Mardi 4 juin 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, et de Mme Elsa Schalck, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans le cinéma - Audition de Mme Anna Mouglalis, actrice et réalisatrice, M. Olivier Henrard, directeur général du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), Mmes Sidonie Dumas, présidente de l'Association des producteurs indépendants (API), Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l'Union des producteurs de cinéma (UPC), Florence Borelly, membre du bureau long métrage du Syndicat des producteurs indépendants (SPI), Clémentine Charlemaine, co-présidente du collectif 50-50, Sophie Lainé Diodovic, directrice de casting, Marine Longuet, assistante-réalisatrice, et M. David Bertrand, co-président de l'Association des directeurs et directrices de casting (ARDA)

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous nous penchons aujourd'hui sur un sujet trop longtemps passé sous silence et dont on mesure, au fil des révélations, les dégâts qu'il a causés sur celles et ceux qui en ont été victimes. Il participe de la culture de l'impunité qui caractérise un secteur culturel prompt à se protéger des regards extérieurs au risque de sacrifier certains de ses acteurs ; je veux bien entendu parler des violences sexuelles et sexistes (VSS) dans le cinéma.

Le septième art est en effet entaché depuis plusieurs années par des révélations en cascade qui le fragilisent et créent un climat de défiance.

Il nous faut en convenir, sept ans après l'affaire Weinstein qui a lancé le mouvement MeToo, beaucoup reste à faire, et il faut saluer ici le courage de celles qui ont parlé, mettant peut-être leur carrière en péril : elles ont parlé pour elles, mais également pour toutes celles qui ne se sont pas exprimées.

Je remercie donc la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, Dominique Vérien, d'avoir porté ce débat dans l'enceinte politique, avec l'audition de l'actrice Judith Godrèche qui avait eu un certain écho.

Je dois également mentionner les travaux de notre commission, notamment la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France portée par Jérémy Bacchi, Sonia de la Provôté et Alexandra Borchio Fontimp, qui comporte un article sanctionnant les producteurs qui ne respecteraient pas leurs obligations en matière de prévention des violences sexuelles et sexistes. Nous aussi, comme législateurs, nous entendons et nous essayons de répondre.

Nous avons choisi de réunir les principaux acteurs concernés. Je remercie donc l'actrice Anna Mouglalis ; pour les associations de producteurs, Sidonie Dumas, présidente de l'Association des producteurs indépendants (API), Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l'Union des producteurs de cinéma (UPC), et Florence Borelly, membre du bureau long métrage du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) ; pour le Collectif 50/50, Clémentine Charlemaine, co-présidente, Sophie Lainé Diodovic, directrice de casting, et Marine Longuet, assistante-réalisatrice ; pour les directeurs de casting, M. David Bertrand, co-président de l'Association des responsables de distribution artistique ; et, enfin pour le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), son directeur général, M. Olivier Henrard.

Mme Elsa Schalck, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Merci pour ces mots d'introduction et pour cette initiative partagée. Je vous prie d'excuser notre présidente, Dominique Vérien, qui n'a pu se joindre à nous.

Vous l'avez souligné, nous vivons, je le crois, un moment de bascule, dans le milieu du cinéma français, mais aussi, je l'espère, dans notre société tout entière.

Vous l'avez rappelé, l'audition de Judith Godrèche par la délégation aux droits des femmes du Sénat, le 29 février dernier, quelques jours seulement après son intervention à la cérémonie des Césars, aura permis, en quelque sorte, de politiser son discours et sa démarche.

Elle avait non seulement témoigné de son cas personnel qui l'avait conduite à déposer plainte pour viol sur mineur de 15 ans, mais elle avait aussi, très justement, pointé le caractère systémique des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma et la profonde vulnérabilité des enfants dans ce milieu qui, en l'absence d'un cadre juridique protecteur, peuvent être victimes de maltraitance.

Au sein d'une industrie qui a longtemps fermé les yeux sur les violences sexistes et sexuelles, qui a aussi invisibilisé la souffrance des enfants laissés seuls, sans encadrement, sans adulte référent et protecteur, nous estimons qu'il est temps de définir des règles et de poser des limites : celles du respect de la dignité humaine, celles de l'écoute de la parole des victimes, celles de la sanction des auteurs de violences et d'agressions.

Plus encore, il est temps d'agir, car, comme l'a dit très justement la comédienne et réalisatrice Anna Mouglalis, qui est avec nous aujourd'hui : « Les victimes n'ont pas besoin d'un confessionnal, elles ont besoin d'actes ! »

Des annonces ont été faites récemment par la ministre de la culture et nous nous en réjouissons, telles que la présence obligatoire d'un « responsable enfants » sur les tournages avec des mineurs, qui constitue une indéniable avancée en matière de protection de l'enfance.

Le secteur lui-même s'organise pour lutter plus efficacement contre les violences sexistes et sexuelles, avec, par exemple, la présence de coordinateurs d'intimité ou de référents harcèlement sur les tournages.

Plus globalement, une action collective doit être menée en concertation avec l'ensemble des représentants de la profession et les pouvoirs publics afin de s'attaquer à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans toute sa dimension systémique et politique.

Pour avancer sur ces sujets, nous avons choisi d'unir les compétences de la commission de la culture à celles de la délégation aux droits des femmes, et de donner la parole à un panel varié de représentantes et représentants de la profession.

Mme Mouglalis, nous vous savons très engagée sur ces sujets et à l'origine d'une tribune publiée dans Le Monde le 14 mai dernier, dénonçant le retard de la France dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Mme Anna Mouglalis, actrice et réalisatrice - Merci de votre invitation. Je viens d'abord en tant que citoyenne.

En tant qu'actrice, je puis dire qu'il y a peut-être encore plus de cas dans le milieu du cinéma, car on recherche chez les artistes-interprètes une forme de vulnérabilité charismatique, et on la trouve souvent chez des personnes qui ont déjà été victimes. Beaucoup de personnes sont à nouveau victimes dans le cinéma ; la porte d'entrée était de repérer cette vulnérabilité. C'est magnifique, la vulnérabilité. Mais elle ne doit pas entraîner une fascination pour les prédateurs. Le cinéma est un milieu extrêmement hiérarchisé, où règne l'omerta.

Je suis à l'initiative d'un rassemblement de beaucoup de femmes et d'hommes victimes de violences sexistes et sexuelles dans tous les milieux, et non pas spécifiquement dans le milieu du cinéma français. Ce milieu peine à prendre la parole ou à agir. Nous nous sommes rassemblés pour dire que ces violences existent dans toute la société, dans tous les milieux professionnels. La société et les médias s'affairent à les séparer pour en repérer la spécificité : le cinéma serait un milieu bizarre avec des gens qui ne font pas vraiment un métier ; le milieu politique rassemblerait des hommes de pouvoir, donc ce ne serait pas étonnant de devenir leur victime... Mais montrer les spécificités de chaque milieu, c'est ce qui permet, à chaque fois, de retomber dans le déni.

Des textes existent. La France a ratifié la convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) de 2019 relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, censée s'appliquer depuis 2021. Tout pourrait être mis en oeuvre pour sanctionner, ne pas écarter les personnes qui parlent, dans tous les milieux. Nous sommes face à un problème de santé publique.

Je trouve intéressant que ce sujet avance dans le secteur du cinéma : c'est un microcosme, où de nombreuses personnes ont accès à la parole et peuvent être médiatisées. Cela a du poids, et c'est formidable que Judith Godrèche et Adèle Haenel aient pris la parole, et qu'Isild Le Besco le fasse désormais. Mais tant qu'il n'y aura pas de volonté politique ni de politique publique sur le sujet... J'aimerais participer et agir, mais je ne vois pas encore comment.

Certes, des formations obligatoires vont être désormais dispensées pour le secteur du cinéma, et c'est très pertinent. Mais penser que les générations futures seraient plus aptes à lutter contre ces violences à partir du moment où c'est nous qui les éduquons, je n'y crois pas trop. On peut se former à n'importe quel âge. Ces formations permettront de découvrir de nombreuses choses.

Une fois que les faits de violence remonteront jusqu'au producteur, que fera-t-il de cette information ? Quels seront les aléas d'un producteur à l'autre ? J'imagine qu'il faudra une ligne d'écoute permanente au CNC pour proposer des protocoles. On ne peut pas dire qu'on ne sait pas. Une femme sur deux est victime de violences sexistes et sexuelles, une sur trois dans son travail - c'est colossal.

Lorsqu'on a accompagné le lobby automobile pour qu'il y ait moins de blessés et de morts sur les routes, on a mis en place la sécurité routière. De nombreuses mesures ont été prises, pas uniquement répressives, mais également préventives : permis de conduire, port obligatoire de la ceinture, limitation de la vitesse, interdiction de l'alcool... Ces actions ont eu des résultats. Ces mesures et ces formations doivent être prodiguées partout, et pas seulement dans le cinéma.

M. Olivier Henrard, directeur général du Centre national du cinéma et de l'image animée. - Le débat vient d'être posé avec le bon point de départ : il faut agir dans ce secteur comme dans tous les secteurs de l'économie. Dans le cinéma, la notoriété des personnes mises en cause a pour conséquence que la filière est objectivement plus observée. C'est parfois jugé comme inéquitable par les milliers d'entreprises et de professionnels responsables et irréprochables qui travaillent dans le secteur, mais c'est un fait. L'action collective, que tout le monde appelle de ses voeux, et que nous avons commencé à mener, devra être exemplaire, et non seulement aboutir à normaliser la filière. Notre filière doit être exemplaire.

Le CNC prendra toute sa part dans le mouvement. Il s'est déjà engagé, depuis environ cinq ans, dans le rôle qui est le sien. Je rappelle que le CNC n'est pas l'administration du travail. Il ne dispose d'aucune prérogative pour modifier le droit du travail, ni surtout pour contrôler son application. Le CNC n'est pas l'inspection du travail du cinéma. Il n'y a qu'une seule inspection du travail en France, pour toutes les entreprises. Le cinéma n'est pas une bulle et n'a aucun intérêt à en être une, à aucun égard. Pour autant, nous disposons d'outils d'incitation puissants pour agir sur le comportement des entreprises, notamment de deux leviers.

Le premier levier, ce sont les aides financières. En les conditionnant au respect de comportements, nous avons obtenu des résultats.

Le CNC est une administration de l'État. Nous entretenons des liens de travail très étroits et permanents avec tous les acteurs de la filière. Cela nous permet de jouer le rôle de maison commune de cette filière : un lieu d'échanges, d'orientation sur les sujets de toute nature, y compris ceux sur lesquels nous n'avons pas nécessairement de prise directe. Nous n'avons pas à nous substituer aux partenaires sociaux, mais nous pouvons les accompagner et faciliter leurs discussions. C'est le second levier sur lequel nous avons essayé de progresser.

Le point commun à ces deux axes, c'est le droit du travail. En vertu de l'article L. 1153-5 du code du travail, « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner ». Cette obligation du chef d'entreprise vaut pour toutes les entreprises, du cinéma ou non. Pour renforcer l'effectivité de cette obligation, le 1er juin 2021, nous avons conditionné l'accès à toutes nos aides au respect de cette obligation par l'employeur. Pour anticiper cette échéance - 2020 était l'année du covid -, nous avons imposé à tous les responsables d'entreprise de suivre une formation de prévention et de lutte contre les violences, sauf à perdre l'accès aux aides du CNC. Nous avons formé 5 000 producteurs de cinéma, de l'audiovisuel et des jeux vidéo, et 1 200 exploitants de salles.

Pour consolider notre pratique de retrait des aides lorsque l'obligation de formation n'est pas respectée, le Gouvernement a approuvé l'amendement à la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, adoptée ici même le 14 février. La ministre soutient vivement l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. Nous espérons que ce sera fait dans les meilleurs délais.

Cet été, nous franchirons deux étapes supplémentaires. D'abord, nous imposerons la formation de la totalité de l'équipe de tournage sous peine de retrait de nos aides. Actuellement, seul le chef d'entreprise est soumis à cette obligation. Nous toucherons toutes les personnes potentiellement concernées, à savoir les potentielles victimes et les potentiels agresseurs. Nous venons de finaliser avec les partenaires sociaux la concertation pour définir le contenu de la formation et les modalités de sa dispensation. Le marché de formation est sur le point d'être notifié, et les formations seront opérationnelles dès le 1er septembre 2024. Elles seront intégralement financées par l'assurance formation des activités du spectacle (Afdas), partenaire que je remercie vivement.

La deuxième étape concernera spécifiquement la protection des mineurs sur les tournages, sujet particulier qui a été identifié. Conformément à l'annonce de la ministre en mars dernier, le conseil d'administration du CNC votera le 27 juin prochain l'obligation de recourir à un responsable enfant sur les tournages, sous peine de se voir retirer l'accès aux aides du CNC. Cette mesure aura un effet immédiat, dès la délibération exécutoire, un mois après son vote.

Les aides du CNC sont un levier indirect. La relation de travail, au premier chef, concerne les partenaires sociaux. Nous ne pouvons pas nous substituer à eux, mais nous les accompagnons et les encourageons. Il faut saluer le travail en un temps record qui a abouti à la signature, à Cannes, le 17 mai dernier, de deux avenants à la convention collective nationale du cinéma. Je laisserai les signataires, présents autour de la table, détailler la liste des avancées - elle est assez impressionnante. Le recours au responsable enfant est devenu une obligation en droit du travail depuis le 1er juin. Le recours au coordinateur d'intimité est désormais fortement incité. La convention collective prévoit maintenant une clause contractuelle type à insérer dans tous les contrats d'artistes qui vont jouer des scènes d'intimité ou à caractère sexuel. Lors des castings, les mineurs sont obligés d'être accompagnés par un adulte référent, et certaines scènes sont encadrées : prohibition de scènes de casting dans certains lieux, prohibition de certains types de scènes, notamment des scènes d'intimité ou à caractère sexuel. C'est désormais interdit dans les castings par le droit du travail. Les signataires en parleront mieux que moi. L'association des directeur.rice.s de casting (Arda) travaille à une charte de bonnes pratiques. Le travail de coordinateur d'intimité fait l'objet d'une fiche métier élaborée par les partenaires sociaux. Elle permettra, à l'horizon 2025, de mettre en place une formation certifiante pour développer considérablement le recrutement de cette spécialité.

Je souligne la complémentarité de l'action entre les pouvoirs publics, l'Afdas, Audiens et les partenaires sociaux sur ces sujets. Cela témoigne de la profonde prise de conscience et de l'efficacité de la réponse.

À Cannes, j'ai rencontré les 36 CNC des pays membres du Conseil de l'Europe. Et j'ai été frappé de voir le caractère unique du cadre que nous avons réussi à mettre en place. Désormais, je suis assailli de demandes de stages au CNC ou de demandes d'expertise dans différents pays européens pour exporter ce que nous avons réussi ensemble à mettre au point ces derniers mois.

Mme Clémentine Charlemaine, co-présidente du Collectif 50/50. - Nous sommes ici trois représentantes du conseil d'administration du Collectif 50/50, créée en 2018 dans la foulée du premier mouvement MeToo, avec un manifeste qui proclamait : « Nous pensons qu'il faut questionner la répartition du pouvoir. [...] Nous pensons que la diversité change en profondeur les représentations. Nous pensons qu'il faut saisir cette opportunité de travailler à l'égalité et la diversité parce que nous avons la certitude qu'ouvrir le champ du pouvoir favorisera en profondeur le renouvellement de la création. » Cette base permet de nourrir nos réflexions.

Notre collectif rassemble plus de 1 000 adhérents et adhérentes, avec une diversité de profils. Notre conseil d'administration est composé de 14 membres, et notre équipe salariée de 4 personnes.

Nos actions sont réparties en quatre axes principaux. Nous produisons des études chiffrées pour établir un état des lieux en matière de parité et de diversité, levier d'action pour objectiver les données pour arrêter d'en faire des perceptions, et les transformer en informations.

Nous élaborons avec les pouvoirs publics des mesures concrètes. Nous avons accompagné la création du bonus parité avec le CNC en 2019, et avons contribué à faire en sorte que la formation en matière de violences sexistes et sexuelles, étendue à toutes les professions, se mette en place, comme la première formation de trois heures, destinée à l'ensemble des gérants et gérantes d'entreprises de production, de distribution et d'exploitation. Nous avons travaillé avec le CNC et le ministère de la culture.

Nous avons réalisé un travail de sensibilisation de toute l'industrie : syndicats professionnels, festivals, entreprises de cinéma, de l'audiovisuel, institutions, personnes non syndiquées et rencontrées sur le terrain... Nous essayons de créer des outils concrets mis à la disposition des professionnels pour changer leurs pratiques en matière de parité, d'inclusion et de lutte contre les violences.

Le sujet des violences sexuelles et sexistes n'était pas inscrit dans l'intention initiale du collectif. Mais il s'est imposé et prend énormément de place - beaucoup plus que nous le souhaitions. Initialement, notre passion, c'est le cinéma, pas les violences sexistes et sexuelles. Nous avons dû nous emparer de ces questions, très importantes, mais avons vocation à nous dissoudre quand nous serons obsolètes. Je suis ravie de m'engager pour cette cause, mais je suis capable de faire autre chose de mon temps libre, comme de regarder des films réalisés dans de bonnes conditions !

En 2020, le collectif a organisé les états généraux de lutte et de prévention des violences sexistes et sexuelles et a publié un Livre blanc. Nous avons participé à la rédaction du kit de prévention des violences sexistes et sexuelles avec les syndicats de salariés et de producteurs et le comité central d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la production audiovisuelle (CCHSCT-PAV). Nous appelons l'ensemble des personnes composant l'industrie du cinéma à se responsabiliser. Nous essayons de garder ce cap, même si nous attendons des institutions et des pouvoirs publics un cadre, nécessaire. Un festival ne peut pas nous dire qu'il n'est pas responsable de violences commises en marge de ses activités ; ce n'est pas une réponse. Chaque personne, à chaque étape, doit se responsabiliser.

Au sein de notre conseil d'administration, un distributeur de films a imposé des coordinateurs d'intimité en cas de scènes d'intimité. En tant que distributeur, il aurait pu se dire que cela relevait de la responsabilité des autres.

Dans le cinéma, il y a des moments isolants, d'autres de grande collégialité. Se posent des problèmes de hiérarchie et de pouvoir, comme l'expliquait Anna Mouglalis, qui sont présents tout au long de la fabrication des films et qu'on ne peut pas dissocier des violences.

Notre collectif est sollicité par les professionnels, mais nous ne sommes pas une cellule d'écoute ni des lanceuses d'alertes. Nous redirigeons les signalements vers les instances compétentes. Notre but est que les pratiques changent.

Les enjeux de violences sont intrinsèquement liés au pouvoir. Ce qui nous a amenés toutes et tous vers le cinéma, c'est la passion. Pour certains, cette passion devrait être totale : nous devrions tout oublier au service d'un projet. Au nom de l'art, certains ont tendance à excuser des comportements abusifs.

Je viens du monde de la production. J'ai entendu autrefois des réalisateurs se dire entre eux, en parlant de tournages violents : ce sont les films qui restent. J'espère qu'on ne dit plus cela. Peut-être que les films restent, mais des vies ont été brisées : des victimes ont souffert de stress post-traumatiques très longtemps. Dans le cas auquel je pense, il y a eu des gens détruits.

Par ailleurs, n'oublions pas que les amis des uns sont les abuseurs des autres. Les abuseurs ne sont pas abusifs tout le temps. Ils peuvent être sympathiques avec une personne, et avoir une relation d'emprise ou être violents avec une autre. N'ayons pas en tête que seuls des monstres seraient concernés. Mettons fin à la confusion entre liberté de création et liberté d'abuser.

Il faut aussi mentionner le rôle de la consommation de substances psychoactives. Le cinéma a une culture de la fête. Celles-ci peuvent être très joyeuses, mais ont parfois des à-côtés violents. L'idée n'est pas d'abolir les fêtes, mais de tracer des limites. La responsabilité d'une production est engagée en cas de débordements lors d'une fête de tournage.

Mme Marine Longuet, assistante-réalisatrice. - Je suis assistante-réalisatrice, mais aussi responsable enfants.

Les violences n'étaient pas invisibles : on en a vu beaucoup ! Une violence indicible. Il ne faut pas croire que personne n'a voulu agir ; c'est plutôt que les outils manquaient. Il y a eu des tentatives, des révoltes ; maintenant, grâce aux outils de notre collectif, il y aura des résultats.

Anna Mouglalis a raison : c'est une question de santé publique. Si le cinéma va mal, c'est que la société va mal. Arrêtons de dire que le cinéma est illisible ou qu'il a des pratiques particulières. C'est un territoire où certains croient que les lois ne sont pas applicables. Je voudrais que les lois de la République soient appliquées partout : dans les loges, les camions de régie, les castings, les festivals...

Mme Clémentine Charlemaine. - Permettez-moi de pointer un élément problématique : l'inspection du travail est organisée par secteurs géographiques. Les particularités du cinéma, avec des tournages dans de multiples régions, rendent son action compliquée. Il faudrait réformer cela.

Mme Sophie Lainé Diodovic, directrice de casting. - Nous aimerions qu'un référent anti-harcèlement externe existe pour soutenir les personnes qui s'impliquent dans les équipes, qui soit apte à mener des enquêtes si besoin et qui soit un soutien à la fois pour la production et les salariés.

Mme Florence Borelly, membre du bureau long métrage du syndicat des producteurs indépendants. - Je suis productrice de films parce que j'aime le cinéma. Mais je suis aussi employeur, donc responsable. Lorsque nous avons suivi la formation de trois heures au CNC, nous avons appris des choses.

Par exemple, en tant qu'employeurs des techniciens sur les tournages - considérés comme étant en mission -, nous sommes responsables de leur santé et de leur sécurité non seulement pendant le travail, mais aussi le soir et le week-end. Nous ne le savions pas.

Nous avons tous envie que les choses changent. Aucun producteur ne souhaite que des actes moralement inacceptables soient commis sur son film. Ce serait une erreur de croire que les producteurs ne pensent qu'à la garantie de bonne fin du film.

Désormais, tout producteur ou toute productrice peut se procurer par le biais du collectif 50/50 le kit dédié à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui présente des fiches selon les situations.

Depuis 2020, avec la Fédération des entreprises du spectacle, nous avons monté une cellule d'écoute psychologique pour les victimes chez notre prestataire de retraites Audiens.

L'Afdas a mis en place des formations pour les techniciens, les intermittents et les permanents, pour les encadrants. Moi, par exemple, j'ai complété ma formation au CNC par une autre formation de trois jours. C'est indispensable. Les jeunes générations - j'ai des enfants jeunes adultes - sont très impliquées dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Pour eux, les films avec des problèmes de VSS sont mort-nés : on n'ira pas les voir. Un producteur ne travaille pas des années avec des équipes très compétentes et motivées sur un film si celui-ci, finalement, ne doit jamais atteindre son public.

En 2022, nous avons publié le kit avec le CCHSCT. Nous travaillons de manière paritaire avec des organisations de salariés. Les avenants que nous avons signés le 17 mai concernent les mineurs, les VSS, les référents et les coordinateurs d'intimité. C'est une révolution en cours. Nous avons tous et toutes intérêt à ce que cela fonctionne.

Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l'Union des producteurs de cinéma. - Le président de l'UPC, Marc Missonnier, a produit un film intitulé Le consentement. Nous avons souhaité prendre la parole toutes les trois pour exposer le travail de fond de nos trois syndicats qui représentent 700 producteurs.

Il est heureux d'avoir des chambres d'écho pour rendre plus efficaces les mesures que nous prenons. Nous effectuons un travail paritaire important, en négociant avec les syndicats de salariés. Nous saluons tous l'accompagnement par le CNC, qui passe par la formation, notamment des producteurs, et bientôt des artistes et techniciens. Il y a une formation théorique, mais aussi désormais, à chaque tournage, une session sur mesure de deux heures environ qui sensibilisera l'équipe sur les spécificités du film, avec l'accompagnement de l'Afdas.

L'un des avenants signés à Cannes porte sur l'accompagnement des enfants. Rappelons que nous ne partons pas de rien dans ce domaine : la France est très protectrice des enfants, s'agissant du temps de travail et de l'accompagnement sur les tournages. En général, le producteur est présent à côté de l'enfant. Avec l'avenant, cela devient obligatoire jusqu'à ses seize ans.

Le CCHSCT est une spécificité à laquelle nous tenons beaucoup. Son préventeur et sa préventrice n'étaient ni sensibilisés ni formés aux violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) - ils le sont désormais. Nous voulons renforcer cet accompagnement par cette instance. Nous travaillons en responsabilité et sommes tous désireux de voir la situation s'améliorer.

La commission des enfants du spectacle, qui autorise les tournages, dispose depuis peu d'une plateforme en ligne pour gérer l'ensemble des autorisations de manière fluide : celle d'Île-de-France doit traiter 4 200 autorisations ! Nous avons entendu qu'elle pourrait disparaître, faute de moyens : c'est un peu contre-intuitif !

Mme Florence Borelly. - Les conditions de travail sont réglementées pour les enfants de moins de seize ans au cinéma ou dans la publicité. Aucun enfant ne peut être engagé sans l'autorisation du préfet après instruction par une commission où siègent un juge pour enfants, un médecin, un représentant de l'éducation nationale... C'est un dossier très lourd, et si votre scénario comporte une scène qui pose problème, la commission vous demande de la changer. Cela a été le cas d'un de mes films où le scénario prévoyait qu'un enfant coure sur le toit d'un immeuble... On l'a fait courir sur un balcon.

Dans ces conditions, me direz-vous, où est le problème ? Il vient du manque de contrôle. On dépose des dossiers avec des plans de travail, mais sont-ils respectés ? Beaucoup de producteurs font très bien leur travail, mais il y a aussi des brebis galeuses qu'il faut sanctionner. Pour cela, il faut contrôler les tournages. Qui s'en charge ? Les inspecteurs du travail. Encore faudrait-il qu'il y en ait ! Si l'on réduit leur nombre et que l'on supprime la plateforme, cela posera un problème de santé publique, comme l'a dit Anna Mouglalis. L'État doit mettre les moyens nécessaires pour assurer le contrôle du respect des règles et des conventions collectives.

Mme Sidonie Dumas, présidente de l'Association des producteurs indépendants. - Anna Mouglalis a raison, c'est un problème de société. Le cinéma montre qu'il est capable d'être réactif. Nous avons conscience des problèmes. Cheffe d'entreprise, je suis parfois effarée de voir ce qui se passe. Qu'on touche à des enfants, à des gens sensibles, c'est inacceptable ! Nous en prenons la mesure ; ce qui vient d'être dit le montre. Nous sommes unis pour faire encore mieux.

M. David Bertrand, co-président de l'Association des directeurs et directrices de casting. - Le cinéma est une passion. Nous sommes ici aujourd'hui parce que nous rejetons un système oppresseur qui nous a fait du mal. En voulant remettre les structures de ce système en question, nous constatons malheureusement qu'elles sont solides, car ancrées dans une culture profondément patriarcale.

Il est normal que nous, gens du spectacle, soyons les premiers à parler et à faire le ménage. Une énorme souffrance est là, sous nos yeux. Une énième prise de parole a enfin été mieux entendue que de très nombreuses précédentes - et j'en remercie Judith Godrèche. Je n'oublie pas les hommes, pour qui il peut être difficile de dire qu'ils sont victimes. J'espère qu'ils pourront prendre exemple sur les femmes.

Il n'existe pas de formation pour devenir directeur de casting. Nous avons donc considéré qu'il fallait un cadre déontologique. Lors d'un entretien pour un emploi, les candidats ne sont pas déclarés. Nous ne sommes pas des directeurs des ressources humaines (DRH) : nous ne recrutons pas en fonction de diplômes, mais par rapport à ce que la personne dégage et aux besoins du scénario. Avoir fait le conservatoire ne change rien. Cela ouvre la porte à la subjectivité. D'où cette première charte déontologique, à la naissance de l'Arda le 25 octobre 2001, pour définir ce métier qui a longtemps été pratiqué par d'autres professionnels : premier assistant-réalisateur, régisseur, repéreur de décors... Depuis le 1er janvier 2012, nous existons dans les conventions collectives. Nous avons tous senti la nécessité de fixer un cadre.

Autre spécificité : nous employons des enfants, alors que le travail des enfants est interdit en général ; il faut donc que ceux qui recrutent des enfants se dotent d'une déontologie.

Nous sommes sans cesse dans une forme d'ambiguïté. Notre métier participe d'une industrie, grâce au choix politique qui a été fait de protéger le cinéma et de faire travailler pour lui beaucoup de monde, avec 300 productions de films par an et autant de téléfilms... Nous savons ce qu'est un acteur ou une actrice.

Aujourd'hui, nous avons les outils pour agir, mais nous constatons une extrême résistance, tous les jours. Nous n'en voulons plus. La parole des femmes, nous devons l'entendre sans résistance, avec toute l'empathie nécessaire, afin de changer la structure même du pouvoir. Je voudrais que chacun - producteur, réalisateur - ne prenne pas cela à la légère. Cela nécessite un peu de violence pour se remettre en question. Nous sommes venus, car nous pensons que vous pouvez nous aider à passer dans un autre monde. Si nous voyons qu'il est nécessaire que les responsables enfants ou les référents VSS dépendent de la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Drieets) ou du CCHSCT, nous sommes prêts à participer financièrement ! C'est pour protéger le cinéma.

Les agents de la Drieets ne sont pas assez formés. Je ne veux pas les mettre à l'index, mais il a fallu leur dire ce qu'étaient les VHSS. Il faut des moyens. J'espère que vous pourrez nous aider dans ce sens.

Mme Elsa Schalck, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - C'est tout l'intérêt de cette table ronde : écouter votre vision, mais aussi faire émerger des propositions.

Mme Anna Mouglalis. - Il y a une spécificité dans le cinéma qui vaut pour les enfants, mais aussi pour les adultes : lorsqu'en théorie la journée devrait s'arrêter, car tout le monde a fait son quota d'heures, si l'on veut ce fameux plan sur le toit au coucher du soleil, tout le monde accepte de prolonger la journée pour le tourner.

Il faut donc des formations collectives qui concernent tout le monde, des techniciens aux acteurs, pour que tous soient à l'affût des situations abusives. C'est bien qu'il y ait des coordinateurs intimité, des coachs enfants, mais à condition que ces derniers ne soient pas, comme dans le sport, les premiers agresseurs...

Mme Marine Longuet. - D'où la nécessité de définir le poste avec beaucoup de précision. Les abus viennent souvent de l'obligation de bonne fin, de l'obligation de terminer le film.

Le cinéma est une organisation pyramidale ; il faut que le haut de la pyramide discute avec le bas. C'est ce qui est en train de se passer dans le cinéma, mais il faut s'assurer que tout le monde a bien compris. Il faut également s'assurer que tout fonctionne comme on l'a décidé ; or aujourd'hui, on peut se rendre compte que le médecin de la Drieets n'est pas là parce que son poste a été supprimé...

Mme Clémentine Charlemaine. - Les représentantes des producteurs nous disent qu'il y a parmi eux des gens de bonne volonté ; c'est vrai concernant celles qui sont présentes ici ! Je suis d'accord avec l'idée d'une responsabilité collective à prendre. C'est une bonne idée d'étendre ces formations : elles existent, elles sont gratuites, mais elles ne sont suivies que par des gens extrêmement motivés... Nous sommes ravies qu'elles soient rendues obligatoires : même les réticents devront les suivre. Vous, productrices présentes ce soir, vous représentez un réel engagement, mais nous devons rappeler que ce n'est pas le cas de toute l'industrie.

M. Jérémy Bacchi. - Merci de vos témoignages et de votre engagement contre les violences sexistes et sexuelles ; merci de participer, ici encore, à cette libération de la parole. Comme vous, j'estime que le cinéma n'est pas en dehors de la société, même si l'on parle peut-être davantage des VSS dans ce secteur. Plutôt que de le regretter, je pense que le cinéma, art le plus populaire dans notre pays, peut jouer un rôle d'exemple, afin qu'il ne soit plus le symbole d'un certain entre-soi : si ce secteur peut arriver à surmonter ces problèmes, quel autre ne le pourrait pas ?

La commission de la culture a adopté un amendement à la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France pour imposer le remboursement des aides perçues en cas de manquement avéré à la lutte contre les VSS sur les lieux de tournage. Y voyez-vous un début de réponse ? Manque-t-il encore d'autres outils ?

Monsieur Henrard, disposeriez-vous d'informations quant à la date d'examen de cette proposition de loi par l'Assemblée nationale ? Ce texte aborde bien des enjeux cruciaux pour cette filière, au-delà du sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Enfin, j'ai bien noté vos propos concernant les moyens octroyés au contrôle, notamment par l'inspection du travail.

Mme Annick Billon. - Je me réjouis de la tenue de cette table ronde, après la libération de la parole symbolisée par l'audition de Judith Godrèche, et vous remercie de toutes les informations que vous avez déjà pu nous donner.

Une tribune signée par 100 personnalités a été publiée dans Le Monde, appelant à une grande loi de lutte contre les VSS. Cette tribune appelle notamment à une redéfinition du viol qui intégrerait mieux le consentement, ainsi qu'à consacrer des moyens importants à cette lutte. Les VSS doivent-elles, dans cet esprit, être traitées dans le cinéma de la même manière que dans d'autres métiers, ou dans la société en général ?

Le collectif 50/50 bataille à juste titre pour l'égalité dans le cinéma, ce qui ne peut que contribuer à rendre la société plus sûre et à diminuer la prégnance des VSS. Monsieur Henrard, quelles contraintes imposez-vous en matière de représentation des femmes dans les instantes dirigeantes du cinéma français ? Dans le secteur du sport, nombre de fédérations imposent une représentation équilibrée. Des outils similaires existent-ils pour le monde du cinéma ?

Vous avez beaucoup parlé de formation ; celle-ci est à la base de toute lutte contre les VSS. Pour avoir, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, conduit un travail sur l'industrie pornographique, qui a abouti au rapport d'information intitulé Porno : l'enfer du décor, j'ai pu constater les conséquences d'un déficit d'éducation à la sexualité, à la vie affective et au sexisme. On parle de responsables de l'accompagnement des enfants sur les tournages, mais des précautions sont-elles prises quant à leur intégrité et leur moralité ? Le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) est-il consulté avant leur recrutement ? Qui procède à ce contrôle, de quelle manière, et à quelle fréquence ?

Pour lutter contre les VSS, il faut connaître l'ampleur du problème, donc disposer de données chiffrées. En avez-vous ? Qui procède à ces études et qui les finance ? Concernant le repérage de ces violences, vous nous avez présenté un kit spécifique. Il existe, par ailleurs, le « violentomètre » qui permet de déterminer si l'on est soi-même victime de violences. Faut-il un outil spécifique pour chaque métier ? Ensuite, comment aider les victimes à se reconstruire et comment éviter leur mise à l'écart ? A-t-on une idée du nombre de victimes, par sexe ? On parle de coordinateurs d'intimité, mais notre travail sur la pornographie a montré que ces outils peuvent n'avoir que peu d'effets sans contrôle ni sanctions.

M. Martin Lévrier. - Merci des informations que vous nous donnez, mais surtout des actions que vous entreprenez, qui ont déjà leur efficacité. Quand on parle du cinéma, cela intègre-t-il les clips vidéo, les publicités, ou encore les courts-métrages ? Concernant ces derniers, comment sont encadrés ceux que réalisent les étudiants des écoles de cinéma ? Je m'inquiète des castings « sauvages » qui peuvent être organisés dans ce contexte. Faut-il un plus grand encadrement des écoles et de ces tournages ?

Mme Colombe Brossel. - Merci de vos témoignages. Vous avez été plusieurs à pointer les spécificités de votre secteur d'activité, mais aussi le fait qu'il s'inscrit au sein de la société. Oui, j'estime, moi aussi, que l'on a besoin aujourd'hui d'une grande loi qui permette de balayer tous les sujets et tous les secteurs.

Martin Lévrier évoquait les écoles de cinéma ; j'y pense également, ainsi qu'à tous les lieux où l'on apprend à être comédien, notamment les écoles de théâtre, que Judith Godrèche avait évoquées. Comment ne pas les laisser hors du champ de la lutte contre les VSS ?

Vous souhaitez rester dans le droit commun du travail et vous demandez notamment que l'inspection du travail joue son rôle. Au-delà de la question des moyens, le caractère itinérant des tournages peut être un obstacle à ce contrôle. Que préconisez-vous en la matière ?

Mme Monique de Marco. - Cette table ronde était nécessaire. En effet, on n'observe presque aucune réponse politique en France au mouvement #MeToo dans le cinéma, à l'inverse des États-Unis. Dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France, j'avais présenté plusieurs amendements visant à améliorer les relations entre femmes et hommes dans ce secteur et à lutter contre les VSS, concomitamment à la prise de parole de Judith Godrèche ; l'amendement tendant à conditionner les enveloppes d'aides à la production du CNC à la mise en place préalable de dispositifs de prévention des VSS a été adopté. On attend l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale. Mais j'avais aussi fait des propositions afin d'atténuer les rapports de pouvoir dans l'industrie cinématographique.

Au-delà de la conditionnalité des aides, il faut progresser en matière de parité et de diversité, à tous les niveaux, des comités d'attribution des aides du CNC jusqu'aux comités de sélection des festivals, dont les plus importants sont encore dominés par les hommes. J'ai également proposé d'inscrire la promotion de la parité et de la diversité dans les missions du CNC. Enfin, j'ai voulu confier à ce dernier une mission de promotion du matrimoine, de manière à garantir que les femmes cinéastes ne perdent pas leur place dans l'histoire du cinéma. Ne faut-il pas renforcer les missions du CNC en ce sens ? Une grande loi pour le cinéma devra aborder les VSS, mais aussi les questions de parité et de diversité.

Mme Sonia de La Provôté. - La dénonciation de ces violences dans le cinéma a un effet symbolique fort, mais ne risque-t-on pas de méconnaître les VSS « ordinaires », si je puis dire : celles qui, pour être moins bruyantes médiatiquement, n'en sont pas moins graves ? Ces violences sont-elles systémiques dans le monde de la création ? Comment diffuser dans ce cas les bonnes pratiques ? La situation est-elle un peu meilleure qu'auparavant ? Le cinéma d'après sera-t-il identique à celui d'hier ? Travaillez-vous à des outils artistiques permettant d'allier une protection absolue des artistes, notamment mineurs, contre ces actes avec une pleine liberté de création ? Des professionnels du spectacle vivant que nous auditionnons s'inquiètent des risques de censure ou d'autocensure sur certains sujets.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Ces échanges étaient nécessaires ; je vous en remercie. Je salue en particulier le propos très réaliste de Mme Mouglalis et son parallèle frappant avec la sécurité routière. Il était important de mettre en exergue au Sénat la parole des victimes. La prévention est essentielle, mais, quand ces actes n'ont pu être empêchés, existe-t-il aussi un protocole d'accompagnement et de mise en protection des victimes ? Une réelle protection doit permettre aux professionnels victimes de telles violences de continuer à exercer ; il faut lutter contre l'omerta et la mise au ban de ceux qui osent parler.

Concernant la vulnérabilité de certains artistes, des évolutions législatives sont-elles nécessaires pour aller plus loin ? On parle de dispositifs pour la protection des enfants de moins de 16 ans, mais cela suffit-il ? Est-on capable à 16 ans de se défendre contre un abuseur exerçant une relation de pouvoir ou de hiérarchie ?

M. Olivier Henrard. - Tout d'abord, monsieur Bacchi, j'ignore comme vous la date de l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à conforter la filière cinématographique en France. Je peux en revanche vous dire que nous sommes très favorables à la disposition relative au retrait des aides du CNC. Cela dit, les dispositions en vigueur du code du cinéma et de l'image animée nous ont déjà permis de procéder à des retraits d'aides ; je pense notamment à un cas récent où le dossier déposé par un producteur auprès de la commission des enfants du spectacle omettait une scène sensible.

L'égalité entre hommes et femmes est un enjeu extrêmement important. Le bonus parité représente tout de même 15 % d'aides supplémentaires. Aujourd'hui, 40 % des films français en bénéficient, car leurs équipes - au niveau des chefs de poste - sont paritaires. Ce ne sont pas que de petits films : on compte parmi eux une Palme d'or - Titane de Julia Ducournau - et un Lion d'or - L'Événement d'Audrey Diwan... Nous avons mis en place la parité dans les commissions d'attribution des aides il y a plusieurs années ; elle s'applique aussi pour la présidence de ces commissions. Les jurys de tous les festivals que nous aidons, soit 159 festivals, sont également paritaires, ainsi que leurs présidences. Aujourd'hui, 34 % des premiers films réalisés en France le sont par des femmes, le taux est en augmentation.

Nous sommes très attachés à la préservation des films réalisés par des femmes dans l'histoire du cinéma, notamment par le biais de leur restauration, ainsi que d'un renforcement considérable de leur place dans les catalogues utilisés par les dispositifs d'éducation au cinéma. Nous venons de réaliser un répertoire de l'ensemble des femmes, artistes ou techniciennes, ayant travaillé dans le cinéma depuis cent ans, qui sera très bientôt rendu public.

Les écoles représentent un sujet essentiel, qui est traité par le ministère de la culture de façon horizontale. Les 45 écoles qui ont bénéficié d'une aide exceptionnelle de l'État au titre du plan France 2030 ont dû justifier d'engagements particuliers en matière de sensibilisation du corps enseignant et des étudiants aux VSS.

Une cellule d'écoute téléphonique a été développée au sein du ministère de la culture, en lien avec le groupe Audiens. Elle a reçu près de 1 000 appels en deux ans ; deux tiers d'entre eux proviennent du secteur du spectacle vivant, 29 % du spectacle enregistré, dont le cinéma est une fraction. Cette cellule peut proposer un accompagnement tant juridique que médical et psychologique.

Mme Sophie Lainé Diodovic. - La cellule d'écoute animée par Audiens fournit du conseil juridique et psychologique ; on n'en est pas encore, hélas ! à l'accompagnement. Les appels provenant du monde audiovisuel et du cinéma ont augmenté de 75 % depuis février dernier, grâce à la libération de la parole engagée par Judith Godrèche.

Les écoles ne forment qu'aux métiers techniques et non aux métiers humains. Dans les métiers du casting, par exemple, ou l'encadrement des enfants, nous sommes formés au fil des stages et des premiers emplois, par nos supérieurs hiérarchiques. La commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l'audiovisuel travaille à créer des formations certifiantes pour les coordinateurs d'intimité et les responsables d'enfants, métiers aujourd'hui sans aucun cadre. Il faut éviter que n'importe qui puisse être recruté dans ces métiers humains où des personnes peuvent être détruites.

L'omerta est liée à l'impunité. Si des gens se permettent d'agir de la sorte, c'est parce qu'ils savent qu'il ne leur arrivera rien. Si des victimes se taisent, c'est parce qu'elles savent qu'elles ne seront pas écoutées et, contrairement à leurs abuseurs, ne pourront plus travailler. Certes, il y a eu des progrès depuis quarante ans, on ne sexualise plus des mineures de 14 ans de la même manière, mais l'omerta reste une réalité de nos métiers. Il y a encore énormément de travail à faire et il faut des moyens pour que les obligations mises en place soient réellement utiles. Ainsi des responsables d'enfants : ils sont obligatoires, je m'en réjouis, mais personne ne contrôle la compétence de ces personnes. Il faut faire les choses dans l'ordre et donner aux productions les moyens de payer tous ces postes supplémentaires, des responsables d'enfants aux coordinateurs d'intimité et aux coachs de jeu, sans en sacrifier d'autres ni multiplier les tâches, parfois incompatibles, confiées à chaque individu.

Il n'y a pas de censure de la liberté de création : nous voulons juste nous assurer que la fabrication de cette création soit contrôlée, encadrée. De nombreux outils ont été mis en place, tout le monde est de bonne volonté, mais il n'y a aucun suivi de ces outils. C'est pourquoi il faut des inspecteurs du travail qui connaissent nos métiers, ce qui n'est pas vraiment le cas actuellement. Il faut mettre de l'argent sur la table pour qu'on puisse mieux travailler !

Mme Marine Longuet. - Oui, les VSS doivent être traitées dans le monde du cinéma de la même manière que dans le reste de la société, mais il faut, pour se faire, garder en tête nos spécificités. Ainsi, un inspecteur du travail ne pourra pas nous trouver s'il ne sait pas lire nos feuilles de service, qui détaillent les lieux de tournage qui se succèdent. D'ailleurs, la transmission de ces feuilles de service à la Drieets n'est plus obligatoire. Comment nous retrouver dans ces conditions ?

Concernant les contraintes supplémentaires à faire peser sur les instances dirigeantes, laissons d'abord le temps aux dispositifs mis en place d'avoir leurs effets. Deux mille ans de patriarcat ne se démontent pas en quelques jours ! Le cinéma reste une industrie, dans un système capitaliste ; or toute industrie est violente pour les corps et les personnes, quel que soit son glamour.

Il me semble que le dernier avenant prévoit la consultation d'un extrait B3 du casier judiciaire pour le recrutement des responsables d'enfants. C'est déjà un progrès dont nous nous félicitons.

Pour les données chiffrées, le meilleur interlocuteur est la cellule d'écoute animée par Audiens. Il est difficile d'avoir une photographie exacte des violences, dans le cinéma comme ailleurs. De plus en plus d'acteurs et surtout d'actrices ont le courage de raconter ce qu'il leur est arrivé, mais d'autres types de violences restent moins connues. Ce problème se pose chez nous comme dans le reste de la société ; peut-être chaque membre de celle-ci doit-il chercher à en savoir plus, dans son cercle familial ou professionnel.

L'accompagnement des victimes n'est pas plus formalisé au cinéma que dans le reste de la société. Les militantes féministes travaillent au recueil de la parole. Il faut le faire avec précaution, en ayant recours aux trigger warnings, en prévenant tous les participants à une réunion que des mots violents pourront être prononcés, capables de réactiver des stress post-traumatiques. Pour accompagner les victimes de VSS, il faut baliser la société tout entière. Il faut aussi un système de santé de très bonne qualité. Aujourd'hui, un accompagnement immédiat est généralement indisponible, à l'hôpital comme pour les dépôts de plainte. Partout, les délais sont très longs. Au cinéma, nous n'avons pas de dispositifs particuliers, mais notre visibilité, notamment au sein du milieu militant féministe, a au moins permis que des outils soient mis à notre disposition, par des associations plutôt que par l'État. Nous prenons soin les uns des autres.

Mme Sophie Lainé Diodovic. - Les formations que nous délivrons permettent de rappeler les définitions des violences sexistes et sexuelles et la législation en la matière : on ne doit pas parler de drague lourde, mais de harcèlement ; pas de blagues graveleuses, mais d'agissements sexistes. Disposer du même vocabulaire diminue le nombre de conflits. Cette sensibilisation est à la base du travail à accomplir pour l'égalité au sein des équipes, afin de contrebalancer certains rapports hiérarchiques.

Concernant les protocoles à mettre en place, les employeurs ont l'obligation de mener une enquête interne quand un signalement de violences est reçu. Nous souhaitons qu'il puisse également y avoir une enquête externalisée, pour diminuer la défiance entre salariés et employeurs. Longtemps on a préféré protéger les films plutôt que les gens. Les tensions sont extrêmes au sein des équipes après de tels signalements, il peut y avoir des vengeances ; pour rétablir la confiance, une enquête externe doit venir étayer l'enquête interne.

Mme Anna Mouglalis. - La spécificité du cinéma est sa très courte durée d'emploi ; un tournage dure très peu de temps. Or une personne ayant subi de telles violences ne le révèle pas nécessairement tout de suite, par exemple pour taire le traumatisme. Puis, au moment du dépôt de plainte, le tournage est déjà terminé, et les équipes n'existent plus.

Nous avons la chance d'avoir des groupes de parole avec des gens compétents, plein de bonnes intentions, même s'il n'y a pas beaucoup d'hommes qui nous accompagnent... Certaines commissions font un travail formidable contre les violences sexistes et sexuelles ou le harcèlement. Je pense ainsi aux quatre-vingt-deux préconisations réalistes et réalisables de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) pour protéger les enfants ou aux conclusions tout aussi réalistes et réalisables de la commission d'enquête sur les violences sexistes et sexuelles dans le sport.

Mais combien faudra-t-il de commissions et de rapports ? Il est temps, me semble-t-il, de mettre les mesures envisagées en oeuvre. Pour cela, nous avons besoin d'une véritable volonté politique. Les textes existent ; il faut qu'ils deviennent réalité. Nous avons l'arsenal répressif sur les viols le plus sévère d'Europe, mais les violeurs ne sont jamais condamnés aux quinze ans ou vingt ans de prison que prévoit la loi française.

La parole des victimes, le psychotraumatisme permettent de prendre conscience de l'ampleur du désastre. La société est complètement malade des violences.

Il faut travailler sur les récits. Des films de femmes sont effacés, invisibilisés. En tant que femmes, nous avons toujours l'impression d'être orphelines dans ce métier. Je crois qu'il serait très important d'avoir de la parité et de la diversité dans les écoles. L'effacement est aussi un des gros leviers de la domination : il y a un universel masculin et blanc. Se réapproprier des récits qui ont été invisibilisés permettra de changer beaucoup de choses.

Mme Clémentine Charlemaine. - L'Association des acteur.ices (ADA), créée récemment, a mis en place voilà quelques mois une cellule d'écoute. Depuis lors, au sein du collectif 50/50, nous avons senti un premier souffle. Puis, avec la prise de parole de Judith Godrèche, le souffle est devenu une véritable vague.

Si ces personnes sont entendues, c'est parce qu'elles sont dans une position, certes, de grande vulnérabilité, mais aussi de pouvoir : comme elles sont comédiennes, elles sont entendues. L'écoute est corrélée à la célébrité. On ne peut jamais dissocier les questions de violences des questions de pouvoir. Et là, le public voit que même des personnes en position de pouvoir sont abusées. C'est historique. Je remercie ces actrices de leur prise de parole. Nous n'avions jamais vu une telle sororité se mettre en place ; il faudrait qu'elle se répande partout, dans les cinémas du monde entier. À mes yeux, ce qui s'est passé est très fort.

Pour que les choses changent, il y a effectivement besoin d'une volonté politique. Nous sommes favorables à une modification profonde de la loi pour mieux adapter la justice aux violences sexistes et sexuelles. Jusqu'à présent, les référents n'avaient pas l'obligation d'être formés aux questions de harcèlement. Désormais, cela figure dans l'avenant.

Les assurances ont aussi un rôle à jouer. Imaginez par exemple que leurs clauses pour les interruptions de tournage en cas d'agression sexuelle soient intenables... Nous sommes très fiers qu'elles s'associent à nos démarches.

Il y a beaucoup de choses à revoir en profondeur.

Mme Florence Borelly. - Aujourd'hui, 86 % des appels à la cellule d'écoute proviennent de femmes. Ne nous voilons pas la face : ce sont en particulier les femmes qui sont dans des positions de domination sur les plateaux.

Je siège à la commission d'agrément du CNC. Je suis effectivement très heureuse de voir que le bonus parité fonctionne ; de plus en plus de films l'obtiennent. Mais ce sont toujours les hommes qui ont la masse salariale la plus importante. Les postes tenus par des femmes sont souvent moins rémunérés.

Mme Clémentine Charlemaine. - Par ailleurs, les films qui sont les plus financés sont des films réalisés par des hommes. Nous avons mené des études sur le sujet.

Mme Florence Borelly. - Au sein de la cellule, 52 % des appels viennent des victimes, 17 % des témoins et 4 % des référents.

Il a beaucoup été question de prévention, de formation. J'insiste - c'est ma vision du monde et de la vie - sur l'éducation ! Si les futurs citoyens apprenaient dès l'école qu'ils ne doivent pas faire de remarques sexistes, nous serions mieux entendus dans le monde du travail. Les gens ne savent pas toujours ce que représentent et ce qu'impliquent un agissement sexiste, une agression ou un viol.

Faisons attention. En tant qu'employeurs, nous sommes astreints au principe de la présomption d'innocence. Dans ces affaires, où c'est souvent parole contre parole, la gestion est compliquée. Je pense que la situation va s'améliorer avec l'éducation, la prise de conscience et la libération de la parole. Mais cela prendra du temps. En tout état de cause, lorsque des gens sont accusés de violences, c'est à la justice, et pas à l'employeur, de se prononcer sur leur culpabilité. Or la justice est lente.

Mme Anna Mouglalis. - Mais l'employeur est tout de même censé agir.

Mme Florence Borelly. - J'y viens.

Cette histoire de blacklist peut aussi avoir des effets sur les personnes qui sont accusées. Il faut en tenir compte.

En matière de gestion de crise, le problème est qu'une équipe de tournage est un microcosme très particulier. On déplace des personnes souvent loin de chez elles, en fournissant la nourriture, l'hébergement. Les frontières entre le privé et le professionnel s'effacent. Il faudrait répéter sans cesse à tous les acteurs du tournage que nous sommes sur un lieu de travail, soumis aux règles du droit social et du droit du travail.

Dans ce secteur très particulier, tout n'est pas toujours facile à gérer. Prenons le cas des pots de tournage. Que faire face aux addictions à l'alcool ou à la drogue sur les plateaux ? Et est-ce à nous, employeurs, de vérifier que nos salariés ne consomment pas de telles substances juste avant la journée de tournage ? Nous ne pouvons pas mettre un policier derrière chaque technicien, chaque artiste.

Il y a un vrai travail à mener sur la gestion de crise. Comment protéger la victime à partir du moment où il y a un signalement ? En tant que productrice, je peux vous dire qu'en cas de remarque sexiste, les choses peuvent se régler facilement : le directeur de production ou la directrice de production signifie à l'auteur qu'il n'a pas à parler comme cela. Mais, face à un agissement relevant de l'agression sexuelle ou du crime, c'est-à-dire du viol, c'est une autre affaire. Nous sommes dans un espace-temps extrêmement resserré et coûteux : un tournage interrompu, cela représente un coût important. Il y a donc une omerta : chacun se sent responsable de la potentielle mise en difficulté de la production.

Nous voulons travailler sur le sujet. Nous avons besoin des pouvoirs publics, du CNC, par exemple pour parler avec les assureurs de cette fameuse clause permettant à un producteur d'arrêter un tournage plusieurs jours. Car ce qui guette un producteur ou une productrice, c'est la panique. Il faut trouver des clauses assurantielles moins difficiles à mettre en oeuvre pour pouvoir interrompre un tournage, voire l'arrêter définitivement. Honnêtement, j'aimerais pouvoir arrêter définitivement un tournage quand un réalisateur est soupçonné de viol.

Mme Valérie Lépine-Karnik. - En matière assurantielle, le dispositif actuel est gratuit. Certes, il est incomplet et insuffisant ; il ne peut pas couvrir toutes les situations de ce type. Aujourd'hui, les assureurs discutent d'une clause qui soit vraiment efficace, mais qui sera aussi très coûteuse. Cela a été rappelé, l'arrêt d'une production coûte beaucoup d'argent.

Hier, nous avons eu un bilan de la production chez Canal+. Bonne nouvelle : pour 2023, sur le financement des premiers films, la parité est atteinte. C'est déjà ça !

M. David Bertrand. - Au sein de l'Arda, nous sommes également très attachés à la formation. Nous intervenons dans les conservatoires, mais nous aimerions également intervenir auprès d'autres écoles plus techniques. Nous voudrions présenter, par exemple, le kit 50/50 lors de chaque stage, afin que tout le monde soit d'accord sur les objectifs.

Nous voulons obliger nos membres à suivre la formation, comme cela est préconisé aujourd'hui. D'ailleurs, ne pourrait-on pas étendre une telle obligation à tout le monde ? Les membres du Sénat suivent-ils une formation sur le harcèlement ? Et quid dans les autres professions ?

Dans le monde du travail, le droit protège le salarié, et le juge protège la parole de la victime. Il faut que nous adoptions ce point de vue dans notre secteur. Dans nos métiers, le contrat de travail ne se signe qu'à la fin de notre mission. Cela rend les choses aléatoires...

Quand une victime vient nous voir, nous lui disons que nous allons l'écouter et qu'il faut s'enlever cette idée de blacklist de la tête. Nous sommes à l'écoute, et il faut l'être, je pense, à tous les étages, car la prise de parole est compliquée. Je souhaite rendre hommage à l'ADA, mais également à Actrices et acteurs de France associés (AAFA), association moins visible, mais qui a aussi travaillé sur les violences. En tant que directeurs de casting, nous travaillons sur les représentations liées au genre, à l'orientation sexuelle, aux transidentités, aux origines, sujets qui me semblent essentiels aujourd'hui.

Nous sommes tous ici aujourd'hui pour la même raison : nous voulons que les choses changent, et fortement. Judith Godrèche ne me semble pas avoir envie d'enlever le pied qu'elle a mis dans la porte. Son action nous inspire. Je souhaite que les actrices et les acteurs continuent de parler, et je leur dis : « Nous sommes là ! »

Mme Elsa Schalck, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Au nom de Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes, je vous remercie de vos interventions, expertises et témoignages.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous voyons qu'une prise de conscience s'opère au sein du cinéma et qu'un dialogue émerge entre les différentes professions du secteur. Il me paraît très important que vos échanges avec les législateurs que nous sommes puissent se poursuivre.

Mme Anna Mouglalis. - Nos porte-parole récentes, Judith Godrèche, Adèle Haenel ou Isild Le Besco, ont porté plainte. Pour que notre action soit utile, les délibérés de justice ne doivent pas se faire dans l'indifférence.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je vous remercie de vos interventions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.

Mercredi 5 juin 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous nous réunissons ce matin pour l'examen de deux propositions de loi d'initiative sénatoriale. Nous débutons par le rapport de notre collègue Stéphane Piednoir sur la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, déposée par Michel Savin et plusieurs de ses collègues.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte est programmé en séance publique lundi prochain après l'examen de la proposition de loi consacrée à la prise en charge des maladies évolutives graves.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - La proposition de loi de notre collègue Michel Savin traite d'un sujet essentiel, celui de la laïcité - souvent évoqué au sein de notre commission -, qui est l'un des fondements de la République, inscrit à l'article 1er de la Constitution.

La laïcité implique de trouver un équilibre entre la liberté de conscience dans la sphère privée et la neutralité dans la sphère publique. Ce principe a toute sa place dans le domaine du sport, qui est l'un des vecteurs de l'apprentissage de la citoyenneté.

Il faut savoir que 58 % des sportifs licenciés ont moins de 20 ans ; 6,3 millions d'entre eux ont moins de 13 ans. Au même titre que l'école, le sport les initie à la coopération et au respect des règles communes. Les valeurs fondamentales du sport sont des valeurs citoyennes. Les seules règles, les seules différences admissibles sur le terrain sont celles qui sont induites par le sport lui-même. Les revendications politiques ou religieuses n'y ont pas leur place. C'est la raison pour laquelle la charte olympique énonce un principe de neutralité, dans sa règle 50.2 : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »

Les atteintes à la laïcité dans le sport sont une réalité trop longtemps occultée.

Il y a vingt ans, le rapport de M. Bernard Stasi sur l'application du principe de laïcité dans la République faisait déjà le constat inquiétant de la formation d'« équipes communautaires » et du déclin de la pratique sportive féminine dans certains quartiers.

La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a réglé la question de la laïcité pour les établissements scolaires publics. Mais le sport est resté un terrain de ce que l'on appelle aujourd'hui le « séparatisme ».

Plusieurs rapports parlementaires récents l'ont montré, notamment le rapport de la commission d'enquête du Sénat de 2020 sur la radicalisation islamiste.

Toutes les atteintes à la laïcité ne sont évidemment pas du même ordre. Mais tous les acteurs que nous avons auditionnés, de l'ancienne ministre des sports Marie-George Buffet aux représentants des collectivités territoriales et des fédérations sportives, font le même constat : celui d'une diffusion générale de comportements remettant en cause le vivre-ensemble et l'universalisme du sport.

Ces phénomènes sont dispersés, au sein d'un réseau de 360 000 associations sportives, et extrêmement difficiles à quantifier. Quelques chiffres permettent toutefois d'illustrer les phénomènes les plus graves.

En cinq ans, 592 alertes ont été rapportées aux cellules de lutte contre l'islamisme radical et le repli communautaire (Clir). Ces contrôles ont abouti à neuf fermetures d'établissements.

En 2022-2023, 100 contrôles ont été effectués par le ministère des sports. Ces contrôles ont permis d'identifier six cas de séparatisme.

En 2021, Mme Roxana Maracineanu, alors ministre déléguée chargée des sports, déclarait que 127 associations sportives avaient été identifiées comme étant en relation avec une mouvance séparatiste, parmi lesquelles 29 étaient tenues par l'islam radical. Seulement cinq de ces clubs ont été fermés, et souvent pour d'autres raisons, de santé publique notamment. Donc, 122 clubs resteraient ouverts. Cela représente, potentiellement, 11 000 sportifs pratiquant dans des clubs en lien avec la mouvance séparatiste.

Un seul retrait d'agrément a été effectué en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, au titre du non-respect du contrat d'engagement républicain (CER).

Ces chiffres sont évidemment très partiels. De nombreux acteurs de terrain témoignent d'atteintes à la laïcité, telles que l'extension du port du voile, des prières collectives dans les vestiaires et sur les terrains, des demandes de modification d'horaires, un refus de la mixité, le refus de saluer l'adversaire, etc. Les sports les plus concernés sont le football, les sports de combat, le tir à l'arc ou encore la musculation.

Dans ce contexte, cette proposition de loi est bienvenue.

En effet, les mesures prises à ce jour sont insuffisantes. Le contrat d'engagement républicain est un outil qui est intéressant, mais trop peu mobilisé. Loin d'être un véritable engagement, il est trop souvent une simple formalité, une case à cocher sur un formulaire administratif.

Par ailleurs, l'État est affaibli, par manque de moyens, que ce soit dans les préfectures ou au sein des services déconcentrés du ministère des sports.

Ces services ont subi de fortes réductions d'effectifs. Ils ont été rapprochés des services de l'éducation nationale, ce qui ne permet plus d'avoir une vision claire de leurs moyens. En tout état de cause, 220 emplois sont aujourd'hui consacrés par le ministère des sports au contrôle des établissements d'activités physiques et sportives, toutes problématiques confondues - hygiène, sécurité, assurance, etc. Une prise de conscience a lieu, puisque ces effectifs ont été augmentés de 56 en deux ans, pour la prévention de la radicalisation et des violences sexistes et sexuelles. Mais ces moyens restent limités.

D'un point de vue juridique, la jurisprudence a validé des extensions ciblées du principe de neutralité, désormais opposable dans certains cas aux usagers du service public, pour permettre le bon fonctionnement du service, prévenir toute confrontation sans lien avec le sport et garantir l'égalité de traitement des usagers.

Le Conseil d'État a validé cette approche à deux reprises.

D'une part, il a confirmé l'interdiction par la fédération française de football (FFF) de « tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » en compétition : le Conseil d'État affirme dans sa décision du 29 juin 2023 que des limitations à la liberté des licenciés sont possibles « si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

D'autre part, dans une ordonnance du 21 juin 2022, le Conseil d'État a validé la suspension du règlement intérieur des piscines de la ville de Grenoble, qui autorisait le port du « burkini ».

Par la suite, plusieurs fédérations sportives ont pris des mesures d'interdiction du port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse lors des compétitions : c'est le cas, outre la FFF, des fédérations françaises de basket-ball (FFBB) et de volley.

D'autres fédérations ont entamé une réflexion, sans prendre de mesures à ce stade. Les pressions sont multiples. Par exemple, 70 clubs de basket franciliens ont adressé une pétition à la fédération française de basket-ball. Des campagnes sont menées sur les réseaux sociaux.

Aujourd'hui, si les fédérations sportives ont la faculté de mettre en place des limitations, elles n'en ont pas l'obligation. Or rien ne peut justifier qu'un principe aussi fondamental que la laïcité s'applique différemment d'une discipline à l'autre.

C'est pourquoi de nombreuses fédérations sont demandeuses d'un cadre législatif clair qui les protège. Rappelons que ces fédérations sont la plupart du temps délégataire d'une mission de service public et que l'extension de la loi de 2004 est envisagée et a été souhaitée par plusieurs acteurs, dont Marie-George Buffet.

Je vous propose donc d'adopter la proposition de loi de notre collègue Michel Savin en y apportant quelques compléments.

L'article 1er reprend quasiment à l'identique une disposition qui a déjà été adoptée par le Sénat à deux reprises, en 2021 puis en 2022.

Il s'agit d'interdire le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives. Je vous propose de préciser le champ de l'interdiction afin qu'elle s'applique aux 120 fédérations agréées, et qu'elle porte non seulement sur les signes et tenues d'ordre religieux, mais aussi sur ceux d'ordre politique.

Je vous propose, par ailleurs, de prévoir la possibilité d'une sanction, afin de rendre la mesure plus effective, mais aussi pour disposer d'un instrument de comptabilisation des atteintes relevées.

L'article 2 interdit les prières collectives dans les locaux mis à disposition par les collectivités territoriales en vue d'une pratique sportive. Un tel usage constitue en effet un détournement de finalité. Je vous proposerai, là aussi, d'adopter cet article, en précisant qu'il s'applique non seulement à l'équipement sportif, mais aussi à tous les locaux attenants.

L'article 3 impose le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignade artificiels publics. Je vous proposerai, ici, de préciser la portée du principe d'égalité de traitement des usagers afin d'être plus explicite et de ne prêter à aucune ambiguïté.

Enfin, je vous propose de compléter cette proposition de loi afin de permettre la réalisation d'enquêtes administratives préalables à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif. En l'état actuel du droit, un individu fiché dans le cadre de la prévention de la radicalisation à caractère terroriste peut se voir délivrer une carte professionnelle d'éducateur sportif. Aucun recoupement n'est effectué puisque le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) n'est pas un fichier de personnes condamnées, contrairement au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais). En revanche, il existe une procédure de criblage préalable au recrutement dans certains emplois de souveraineté ou de sécurité, ou pour l'accès à des sites sensibles, tels que ceux des prochains jeux Olympiques.

Je propose, par conséquent, qu'une enquête administrative puisse être demandée préalablement à la délivrance de la carte professionnelle d'éducateur sportif.

Pour l'application des irrecevabilités prévues par l'article 45 de la Constitution, je vous propose un périmètre incluant les dispositions relatives à la prévention, à l'interdiction et au contrôle des atteintes à la laïcité dans le sport.

M. Pierre Ouzoulias. - Je trouve le périmètre un peu restreint. Il aurait été intéressant de mettre à profit ce texte pour travailler sur la notion de service public, tel que les fédérations en sont délégataires par l'État. J'évoquerai ce point en séance publique.

M. Laurent Lafon, président. - Je prends acte de votre remarque.

Le périmètre est adopté.

Mme Agnès Evren. - Je tiens tout d'abord à remercier le président Retailleau d'avoir versé au débat cette proposition de loi fondamentale. Le groupe Les Républicains salue Michel Savin, auteur de ce texte, pour la qualité de ses travaux, ainsi que le rapporteur Stéphane Piednoir pour les auditions qu'il a menées et qui, nous l'espérons tous, réussiront à convaincre de l'absolue nécessité de défendre le principe de laïcité dans le sport.

Cette proposition de loi se fonde sur un constat issu de différents rapports et d'enquêtes qui ont souligné la faiblesse du sport face à la radicalisation et aux dérives contre les principes de la République. Si la laïcité garantit la liberté de conscience et la liberté religieuse de chacun, elle pose un cadre à l'exercice de ces libertés, qui est de ne pas troubler l'ordre public. Cette condition sine qua non n'étant pas toujours respectée, les acteurs du sport s'accordent sur l'urgence de renforcer certains dispositifs afin d'assurer à tous une pratique sereine et pacifiée. Les valeurs de dépassement de soi, d'intégration, d'émancipation et d'universalité inhérentes au sport permettent d'étendre son accès à tous, quelles que soient l'origine, la religion ou les convictions politiques de chacun.

Certains préfèrent encore éluder le problème de l'ingérence religieuse dans le sport. Pourtant, le communautarisme est un péril qui menace la République dans son ensemble. Cette proposition de loi a le mérite de regarder les choses de façon lucide. Le sport est un terrain de jeu privilégié de ceux qui souhaitent voir appliquer une loi religieuse diamétralement opposée aux valeurs d'émancipation et d'universalité portées par le sport. C'est à l'État qu'il revient d'affirmer son soutien inconditionnel aux acteurs des milieux sportifs pour qu'ils puissent, enfin ! faire respecter le principe de laïcité. Cette proposition vise donc à lutter contre la progression rampante de ce phénomène contraire à la sanctuarisation du domaine sportif et à la neutralité.

Je rappelle brièvement les trois objectifs poursuivis au travers de cette proposition de loi : interdire le port de signes religieux ostentatoires lors des compétitions organisées par les fédérations sportives et les associations affiliées ; préserver l'utilisation des équipements sportifs d'un dévoiement cultuel contraire à leurs objectifs ; enfin, consacrer le principe de neutralité dans les règlements d'utilisation des piscines ou des espaces de baignades artificiels publics à usage collectif.

Naturellement, les propositions d'amendements qui s'inscrivent dans cet état d'esprit seront les bienvenues.

Mme Sylvie Robert. - Je remercie le rapporteur pour son rapport.

La France est une République laïque. Comment répondre au défi d'une société pluriculturelle sans renoncer à la neutralité de l'État et des services publics, au respect des principes d'égalité des cultes et des personnes et à la consécration de la liberté de croire ou de ne pas croire ? Je pense intimement que le concept français de laïcité reste encore pleinement opérant.

Par cette proposition de loi, vous rompez les équilibres des grandes lois de 1905 et de 2004. Mais vous entamez aussi l'État de droit. Cela fait sept fois que nous légiférons sur la question du voile, pour les accompagnatrices de sorties scolaires ou dans le cadre de l'examen de la loi visant à démocratiser le sport en France. Je reconnais là de la constance - pour ne pas dire de l'obsession. Depuis, nombre d'évolutions législatives et jurisprudentielles ont eu lieu ; la question du Conseil d'État sera évoquée en séance.

À entendre les fédérations, les personnes auditionnées, j'estime que cette proposition de loi ne répondra pas à ces défis, car elle déplace plusieurs curseurs. La dernière audition était intéressante, car on a parlé, pour la première fois, du sport comme vecteur d'intégration. Ici, l'équilibre entre intégration et exclusion n'est plus assuré.

Par ailleurs, vous avez fermement défendu le CER.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - C'est le moment des reproches !

Mme Sylvie Robert. - Pas du tout, mais vous l'avez voté. Or vous dites aujourd'hui qu'il n'est pas suffisamment puissant. J'aimerais simplement qu'il soit appliqué. Les municipalités ont passé des contrats avec les associations. Le principe de laïcité figure dans le CER. Je fais confiance aux maires pour que les choses aillent dans le bon sens.

Qui plus est, les fédérations disposent d'un pouvoir réglementaire qui leur permet d'interdire le port de signes religieux, selon une jurisprudence du Conseil d'État. Il aurait été beaucoup plus intéressant de renforcer les contrôles, de permettre l'application du CER, de favoriser la formation et l'accompagnement des acteurs, notamment les éducateurs sportifs.

J'ai l'impression que cette proposition de loi a d'autres visées politiques. Or, en l'espèce, il faut légiférer avec beaucoup de prudence : rompre les équilibres de grands principes comme celui de laïcité peut nous faire perdre beaucoup.

M. Pierre-Antoine Levi. - À mon tour de féliciter Michel Savin, auteur de cette proposition de loi, et Stéphane Piednoir, rapporteur, pour la qualité de leur travail.

La laïcité est l'un des piliers de notre République, qui garantit la neutralité de l'État et assure l'égalité de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances. Pourtant, nous ne comptons plus les atteintes envers ce principe. Certains promoteurs d'une vision radicale et politique de la religion tentent d'imposer des pratiques incompatibles avec notre société.

Le sport en tant qu'espace public de rassemblement et de cohésion sociale doit être le reflet de cette neutralité. Je salue donc Michel Savin pour son initiative visant à remettre sur le devant de la scène cette problématique cruciale. Cette proposition de loi est donc la bienvenue.

L'article 1er introduit une nouvelle disposition dans le code du sport, interdisant le port de signes religieux ostensibles lors des compétitions sportives organisées par les fédérations et associations affiliées. Cette mesure, inspirée par la réglementation en vigueur dans l'éducation, vise à garantir que les terrains de sport demeurent des espaces de neutralité et de respect mutuel. Les récents incidents, tels que ceux qui sont survenus au Sète Olympique Football Club, montrent que cette question est loin d'être théorique. Des maillots arborant des symboles religieux ont suscité des sanctions et des débats intenses, révélant des tensions sous-jacentes.

La FFF a pris des mesures depuis 2016 pour interdire ces signes. Elle cherche à prévenir toute instrumentalisation du sport à des fins religieuses, garantissant ainsi que le terrain de jeu reste un espace neutre et inclusif. Ces bonnes pratiques sont aujourd'hui au bon vouloir des fédérations avec le risque d'interprétations différentes. Inscrire ce principe dans la loi permettra la stricte application par l'ensemble des acteurs du sport de notre pays.

L'amendement COM-3 concernant les sanctions financières est difficile à mettre en oeuvre. Je proposerai plutôt une suspension de licence temporaire de six mois pour l'auteur de l'infraction, avec une gradation dans le temps en cas de récidive.

L'article 2 permet aux collectivités territoriales de déterminer les conditions d'utilisation des équipements sportifs. Il exclut leur usage comme salle de prière collective, sauf disposition temporaire et non préférentielle. Cette mesure est très importante pour éviter que les infrastructures sportives publiques ne deviennent des lieux de culte, ce qui pourrait exacerber les divisions communautaires.

Enfin, l'article 3 renforce le respect des principes de neutralité et de laïcité dans les piscines et les espaces de baignades artificiels publics. L'autorisation à Grenoble du port du « burkini » dans ses piscines municipales démontre l'utilité de telles dispositions.

Garantir l'égalité de traitement des usagers dans cet espace est essentiel pour préserver la cohésion sociale et éviter toute forme de discrimination. Nous devons également considérer les chiffres du ministère des sports qui indiquent que, sur 3 449 contrôles effectués en 2022, plusieurs ont révélé des signes de séparatisme ou de radicalisation nécessitant des mesures correctives.

Ces données illustrent bien la réalité et l'ampleur des défis que nous devons relever. Il est important de comprendre que la laïcité vise non pas à exclure, mais à protéger ; elle garantit que chacun puisse pratiquer son sport librement, sans subir de pression religieuse ou communautaire. Le sport doit rester un lieu de rencontres et de partages au-delà des différences individuelles. Les incidents observés, tels que les annulations de matchs, montrent la nécessité de règles claires et uniformes pour préserver la paix sociale et l'unité nationale.

Vous l'aurez compris, le groupe Union Centriste soutient cette proposition de loi.

Nous croyons fermement que la laïcité est un socle indispensable pour une République unique, unie et solidaire. En renforçant la neutralité dans le sport, nous faisons un pas important pour garantir que cet espace reste un lieu de convivialité, de respect et d'égalité pour tous.

M. Ahmed Laouedj. - Cette proposition de loi, qui semble motivée par une volonté de promouvoir la laïcité, risque en réalité de stigmatiser davantage certaines communautés.

La laïcité ne signifie pas l'exclusion du fait religieux de notre société, surtout dans le domaine du sport. Elle ne peut être interprétée comme la stigmatisation des pratiques religieuses des individus ni brandie comme un prétexte pour réduire les libertés individuelles.

D'abord, au nom de la liberté de conscience, on ne peut interdire le port d'une tenue vestimentaire en raison de son caractère religieux. Une interdiction ne peut être prononcée qu'en cas de trouble à l'ordre public manifeste. Elle doit être adaptée et proportionnée.

Par ailleurs, le principe de neutralité ne s'applique pas de la même manière aux agents et aux usagers du service public. Ainsi, si les obligations de neutralité concernent les personnes exerçant une mission de service public dans le sport, comme les dirigeants ou les salariés d'une fédération, les bénévoles et les sportifs non salariés, bien qu'ils jouent un rôle essentiel, ne peuvent y être directement soumis.

Enfin, je m'interroge sur la pertinence de cette proposition de loi, étant donné que les maires et les fédérations sportives disposent déjà des outils nécessaires pour intervenir en cas de trouble avéré à l'ordre public.

La laïcité est un principe fondamental de notre République. Toutefois, celle-ci ne cesse pas d'exister parce que les individus sont différents. Aussi, ne cédons en aucun cas à la tentation de son instrumentalisation.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à reconsidérer cette proposition de loi et toutes les implications qu'elle aurait sur la cohésion sociale. Réfléchissons à d'autres solutions pour garantir la laïcité dans le sport sans porter atteinte aux libertés individuelles de nos concitoyens.

M. Pierre Ouzoulias. - En France comme ailleurs dans le monde, nos sociétés manquent d'universalisme.

L'alinéa 2 de l'article 50 de la charte olympique veille précisément à garantir ce principe dans le domaine du sport. La République islamique d'Iran est la première à avoir combattu cet article, en négociant des dérogations auprès du Comité international olympique (CIO) après avoir refusé d'envoyer des athlètes féminines aux jeux Olympiques (JO). À ce titre, je regrette vivement que l'olympisme mondial ait cédé aux pressions financières des États du Golfe pour oublier une partie de la charte. Je ne supporte pas que la France ait accepté que ce texte soit ainsi foulé aux pieds à l'occasion des jeux Olympiques de Paris. Nous aurions dû nous battre bien davantage pour veiller à son application...

Nous avons entendu Marie-George Buffet en audition, et nous voterons l'article 1er. Je m'interroge néanmoins sur son champ d'application, qui se limite aux compétitions. J'aurais préféré qu'il s'applique à toute la pratique sportive, en ce qu'elle représente une mission de service public d'ordre éducatif auprès des jeunes. Il est désormais clair pour tous que la loi de 2004 a pour objet la protection des mineurs envers toute forme de prosélytisme. Nous pourrions donc voter un texte équivalent à destination des clubs sportifs. Cet article ne me satisfait donc pas totalement.

Concernant les articles 2 et 3, si j'en comprends l'objectif, leur formulation légistique ne me convient pas, pour différentes raisons.

Je vous mets en garde : la loi française ne reconnaît que les cultes. Le mot « prière » n'apparaît dans aucun texte, à l'exception du code pénitentiaire. Il serait dommage de l'utiliser dans une proposition de loi relative au sport !

L'expression « port de signes religieux », à l'article 1er, est un peu limitée. Je suis offusqué qu'un joueur fasse un signe de croix avant d'entrer sur le terrain. Or il s'agit d'une manifestation religieuse - et non d'un signe religieux -, laquelle devrait également être proscrite.

L'article 3 est une transposition de la décision du Conseil d'État à propos des piscines municipales de Grenoble autorisant le port du burkini. Je salue cette juste décision, qui précise qu'on ne peut changer le règlement d'une piscine, celui-ci étant motivé par des règles d'hygiène, en fonction de desiderata religieux. Mais là aussi, la rédaction pose problème.

Mme Mathilde Ollivier. - Votre rapport évoque à de multiples reprises le séparatisme. Nous devrions plutôt parler de la discrimination et de la stigmatisation d'une partie de la communauté française, particulièrement visée par cette proposition de loi, à laquelle nous nous opposons.

Ce texte est révélateur d'une incompréhension - que je pense délibérée - envers le principe de laïcité. La neutralité s'applique avant tout aux agents du service public, et non à ses usagers. Le Conseil d'État, saisi par les hijabeuses qui contestaient le règlement de la FFF, a redéfini les contours de la laïcité dans le sport. Or sa décision précise que le principe de neutralité s'applique lorsque la fédération exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de décision sur les joueurs et joueuses - et non à tous les autres licenciés. Toutefois, les fédérations sont libres d'édicter des règles internes, tant que celles-ci sont proportionnées et adaptées. La restriction du port des signes religieux peut être décidée pour le bon fonctionnement du service public et contre les troubles à l'ordre public. Par cette proposition de loi, vous souhaitez étendre le principe de laïcité à des usagers qui ne sont actuellement pas concernés.

Lors de leur audition, certains représentants de fédérations sportives ont fait part de leur inquiétude, à quelques semaines de l'ouverture des jeux Olympiques et Paralympiques, à propos de cette proposition de loi qui envoie un signal d'exclusion à l'égard d'une partie des citoyens et citoyennes français. Pourtant, leur accès à la pratique du sport devrait être garanti. Il est d'ailleurs dommage que les associations qui oeuvrent dans ce domaine n'aient pu être entendues.

Nous nous opposons fortement à cette proposition de loi. Nous avons déposé des amendements de suppression sur les trois articles. Il est important, dans un climat de stigmatisation de certaines communautés, de ne pas porter atteinte aux libertés individuelles.

M. Martin Lévrier. - Je n'avais pas prévu de m'exprimer aujourd'hui, tant il est difficile de porter une parole qui ne soit pas enfermée dans le discours d'un parti politique, dès lors qu'il est question de laïcité.

D'un côté, les tentatives d'utiliser le sport à des fins de prosélytisme sont une réalité dont je fais régulièrement l'expérience dans mon département. De l'autre, en France, la laïcité est, selon moi, davantage une valeur qu'un principe : c'est l'accumulation des lois qui fait les principes grâce auxquels cette valeur s'applique. Or cette situation donne lieu à une course à l'échalote : ne sachant pas comment résoudre le problème, nous multiplions les textes pour remettre le sujet à l'ordre du jour.

Pourtant, si nous appliquions fermement le droit existant, nous éviterions une telle situation. Ne vous y trompez pas : si cette loi est adoptée et qu'elle est appliquée, ceux qui sont à l'origine de ce prosélytisme trouveront de nouveaux chemins d'attaque et nous rédigerons une nouvelle loi ! À la fin, nous perdrons l'idée même de ce qu'est la valeur de laïcité. Je sais que nous ne sommes pas tous d'accord sur la définition de celle-ci, mais c'est de cette manière que je la conçois.

Concernant le texte, l'article 1er mériterait d'être repensé. Je m'interroge sur sa constitutionnalité. Quant aux articles suivants, contentons-nous d'appliquer et d'évaluer le droit existant : nous porterions ainsi une parole politique bien plus forte qu'en adoptant une nouvelle proposition de loi, qui sera rapidement battue en brèche pour laisser place à un autre texte.

M. Jacques Grosperrin. - Je remercie l'auteur de cette proposition de loi pour son courage, car le sujet est important.

À ceux qui doutent de la portée politique de cette proposition de loi, je le redis : si, pour vous, le port du hijab est une marque d'émancipation, ce n'est pas notre point de vue. Accepter que les pratiquantes le portent sur un terrain de sport est en totale contradiction avec notre vision de la liberté des femmes.

S'agissant des hommes, un sociologue a raconté lors d'une audition qu'un match de football a été retardé pour permettre aux joueurs de faire leur prière. La maire a prétexté une coupure d'électricité pour justifier la situation. Les choses sont graves. Pourtant, certains sont dans le déni. J'entends dire que cette proposition de loi favoriserait un système d'exclusion et de différenciation. Vous oubliez que les femmes que vous mentionnez sont précisément exclues par ceux qui les placent dans une telle situation. En aucun cas, le sport ne doit être le lieu d'expression et de revendication religieuses.

Monsieur le rapporteur, pourquoi les 120 fédérations agréées par le ministère font-elles appliquer 120 règles différentes ? Dans un tel contexte, il est très complexe de veiller au respect du principe de laïcité sur notre territoire : alors que le football interdit le port de signes religieux, le rugby l'autorise. Pourtant, les deux fédérations bénéficient du même agrément ministériel. Nous faisons face à une incohérence républicaine. Il revient au Sénat de la résoudre.

M. Patrick Kanner. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'audition de Mme Buffet, ancienne ministre très respectable - comme d'autres ministres des sports (Rires.) qui, contrairement à elle, ont été confrontés à la salafisation de certains clubs. C'était le cas à l'époque où j'occupais ce poste. Nous n'y avons alors pas répondu par une caporalisation, mais par une intervention des services de l'État - ils sont malheureusement dans une piètre situation aujourd'hui - pour enquêter, avec une équipe dédiée, sur d'éventuels phénomènes de radicalisation.

Il ne faut pas uniformiser la réponse de l'État aux sujets qui concernent l'intime. N'oublions jamais cette phrase d'Aristide Briand, que le président du Sénat rappelle régulièrement : « La loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. »

C'est cela qui fait l'originalité du système laïc français, qui n'a rien à voir avec le système des pays anglo-saxons. Tant que la menace à l'ordre public n'existe pas, il ne faut pas imaginer une réponse uniforme qui risquerait d'exclure, de stigmatiser, tout en empêchant l'inclusion des femmes françaises de confession musulmane - car, arrêtons de tourner autour du pot, c'est bien de cela qu'il s'agit.

La laïcité n'est pas la caporalisation : c'est une liberté organisée pour chacun de nos concitoyens.

M. Max Brisson. - Notre débat dépasse largement le texte proposé par M. Savin. L'intervention de M. Kanner montre bien que le coeur de la discussion porte sur la loi de 1905, sur laquelle nous avons une approche différente.

C'est sans doute une nouveauté dans notre République : le large consensus sur la loi de 1905 est en train de vaciller sous les coups de boutoir d'un projet politique totalitaire. Nous pensons qu'il faut au contraire le défendre, dans l'esprit de la citation d'Aristide Briand qui vient d'être rappelée. Mais certains voudraient que la religion passe avant la loi de la République, et tentent d'imposer leur vision à chaque fois qu'ils en ont l'occasion.

C'est pourquoi il est nécessaire de conforter ceux qui, au quotidien, sur le terrain, défendent la laïcité. C'est ce qui nous sépare profondément : nous ne pensons pas que la loi de 1905 discrimine ou stigmatise qui que ce soit. Au contraire, elle protège les libertés et préserve les mineurs du prosélytisme.

Nous avons aussi entendu le discours du représentant du parti présidentiel, qui était un summum de « en même temps », de « pas de vague » - et de déni absolu !

M. Martin Lévrier. - Et voilà !

M. Max Brisson. - Surtout, ne rien faire, par peur que quelque chose ne bouge !

J'ai d'ailleurs entendu une affirmation surprenante. La laïcité est un principe constitutionnel, et non une valeur. La loi de 1905 ne se débat pas, elle s'applique. Pour cela, nous devons armer celles et ceux qui, au quotidien, ont sa défense pour mission.

Comparons la situation à celle de l'éducation il y a quelques années. Combien de personnes nous ont dit que la loi de 2004 sur le port de signes religieux ostensibles - mais c'était bien le voile qui était en cause - ne serait pas applicable ? Nous avons alors fait preuve de fermeté, et la question a été réglée. Il en ira de même pour le sport. Mais si nous restons dans une discussion permanente, ceux qui veulent remettre en cause la laïcité gagneront.

Le rôle du législateur est d'apporter aux dirigeants sportifs les outils qui leur manquent. Madame Robert, ce n'est pas une obsession de notre part. J'y vois au contraire la marque d'un problème permanent que la loi actuelle ne suffit pas à résoudre. Nous devons - et c'est l'objet du texte de Michel Savin - aider les éducateurs et tous ceux qui cherchent à faire du sport ce qu'il est - un lieu de vivre-ensemble, où l'on va vers l'autre, en le respectant. C'est aussi ce qu'est la laïcité - et c'est aussi ce qu'est notre pays.

Je remercie le rapporteur d'avoir défendu ce texte important, et son auteur de l'avoir porté avec force et conviction.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - La diversité d'opinions est bien normale au sein d'une assemblée. Je constate que c'est le retour des clivages. Notre différence d'appréciation est manifeste.

Je remercie tous ceux qui ont salué le travail qui a été réalisé en un temps très réduit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous n'avons pas pu auditionner certaines associations ni l'ensemble des ministres des sports, qui sont très nombreux !

Je salue les sénateurs qui soutiennent ce texte et en ont compris les enjeux. Je veux néanmoins répondre à ceux qui ont un avis différent.

En 2004, j'étais enseignant quand la loi encadrant le port de signes religieux a été adoptée. On nous disait alors qu'elle serait inapplicable, que la neutralité des agents du service public devait se cantonner là, et qu'on ne pourrait jamais contrôler celle de ses usagers - dans ce cas précis, des élèves. Cela ne s'est pas fait en un coup de baguette magique, madame Robert, ni en une seule loi. Il a fallu quinze ans, après l'affaire des foulards de Creil, en 1989, pour arriver à un consensus sur cette loi. Quinze années, et combien de propositions en ce sens, avant qu'un gouvernement ne finisse par faire adopter ce texte ! Et aujourd'hui, nul ne le conteste ni dans les établissements ni au niveau du Conseil constitutionnel, alors qu'il est régulièrement attaqué par des hijabeuses qui voudraient réinvestir le champ de l'école. Le Conseil constitutionnel le dit : la pratique individuelle de sa propre religion n'est pas menacée par la loi de 2004.

Depuis quelques années, nous vous proposons de faire de même dans le sport. La pratique de la religion relève de la sphère privée. Les fédérations qui chapeautent les compétitions visées par l'article 1er de la proposition de loi participent à l'exécution d'une mission de service public. À ce titre, monsieur Ouzoulias, je ne suis pas opposé à l'extension du champ de cet article à l'ensemble des activités sportives encadrées par une fédération, en vue de la discussion en séance publique.

À ceux qui estiment qu'on légifère avec répétition, je réponds que c'est précisément l'art de la pédagogie. À titre personnel comme au nom de mon groupe, je continuerai à porter cette parole pour qu'on ne puisse pas distinguer la religion des pratiquants sur un terrain de sport.

Quant à la discrimination, que certains ont invoquée, elle a lieu quand, dans un club de basket féminin, petit à petit, les foulards deviennent la norme, et que ce sont celles qui ne le portent pas qui finissent par considérer qu'elles doivent quitter le club ! Face à ces situations, la fédération française de basket a appelé à l'instauration d'un cadre législatif.

Enfin, dans un récent débat sur un tout autre sujet, on nous a dit qu'il était plus important d'inscrire un principe dans la loi que de se fier à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Nous vous proposons aujourd'hui une rédaction qui s'appuie sur celle du Conseil d'État. Je trouve donc vos positions bien contradictoires !

Mme Mathilde Ollivier. - On ne parle pas de la même chose !

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Bien sûr, mais je fais quand même le parallèle. En inscrivant ce principe dans la loi, nous aiderons chacun à prendre les mesures nécessaires.

Les troubles à l'ordre public ne peuvent être un motif d'interdiction a priori. Par définition, le trouble à l'ordre public se constate une fois qu'il s'est manifesté.

Enfin, je rappelle à tous ceux qui considèrent que la loi de 2004 a mis du temps à aboutir qu'elle a fini par régler un problème qui paraissait insurmontable. Vingt ans après, il ne l'est plus. Je vous propose donc de faire la même chose dans le domaine du sport.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Mathilde Ollivier. - Nous nous opposons à l'interdiction générale et absolue du port de signes qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse pour l'ensemble des pratiquants et pratiquantes lors des compétitions sportives. La loi de 1905 de séparation des Églises et de l'État, interprétée par le juge administratif depuis plusieurs décennies, fournit une boussole claire : le principe de neutralité et de laïcité des services publics s'impose aux agents du service public, et non à ses usagers.

Attachés à l'équilibre centenaire de l'application du principe de laïcité à l'action publique et au service public en France, nous proposons, par l'amendement  COM-7, la suppression de cet article.

Enfin, concernant le parallèle avec la loi de 2004 qui vise à protéger la liberté de conscience des enfants, je rappelle que ceux-ci sont des citoyens en construction. Ils doivent développer leur propre jugement dans le sanctuaire républicain de l'école. Ce n'est pas l'objet de cette loi, qui vise à interdire le port de signes religieux à des adultes. Cette extension n'est donc pas nécessaire.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Chacune des 120 fédérations applique des règles différentes. Elles réclament désormais un cadre unique. C'est l'objet de ce texte.

La loi de 2004 s'applique à beaucoup de majeurs. Les étudiants des classes préparatoires ou des BTS, dans les lycées, doivent respecter cette loi, quand bien même ils sont majeurs. De même, sur un terrain de sport, on trouve des mineurs et des majeurs. Cet argument ne tient donc pas.

Nous voulons donner un cadre universel à tous les sports. Il s'agit aussi de répondre à une forme de dichotomie entre la situation à l'école et celle au sein des associations sportives. En effet, il arrive qu'un jeune pratique un sport dans le cadre des cours d'éducation physique et sportive au sein de son collège, puis, deux heures plus tard, dans un contexte associatif, parfois avec le même enseignant ! Et pourtant, la règle n'est pas la même. Comment voulez-vous qu'il puisse identifier un cadre de référence, dans de telles conditions ?

Avis défavorable à cet amendement.

M. Michel Savin, auteur de la proposition de loi. - Je n'ai pas souhaité intervenir plus tôt pour laisser mes collègues s'exprimer. Néanmoins, concernant cet amendement, le Conseil d'État a précisé que l'interdiction du port de signes religieux apparaît nécessaire pour prévenir tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport, montrant là sa sensibilité à l'égard des difficultés rencontrées sur le terrain. Même si certaines fédérations mettent en place des règlements, leur application par les clubs et les éducateurs est très complexe.

Par ailleurs, la suppression de l'article 1er alimenterait les divergences entre les fédérations sur la réglementation en la matière. M. Ouzoulias l'a dit, l'esprit de la charte olympique, qui défend la neutralité, serait complètement remis en cause. Il faut donc s'opposer à cet amendement.

M. Max Brisson. - Nous aurions sans doute intérêt, en vue de l'examen du texte en séance, à élargir le champ de l'interdiction à toutes les activités pratiquées dans le cadre des clubs et associations sportives, au lieu de la restreindre aux seules compétitions.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-2 réécrit l'alinéa 2 de l'article 1er en s'inspirant de la rédaction de la FFF.

M. Pierre Ouzoulias. - J'aurais aimé que l'alinéa 2 fasse référence à l'article 50 de la charte olympique, car ce texte n'est pas reconnu par le droit français. L'inclure dans le dispositif par l'ajout d'une simple phrase - « dans l'esprit de l'article 50 de la charte olympique » - donnerait de la valeur aux dispositions législatives que nous examinons.

Mme Mathilde Ollivier. - L'extension de l'interdiction à des signes d'appartenance politique est problématique et liberticide. Le sport est souvent l'occasion d'exprimer des revendications politiques : c'était le cas des footballeurs iraniens, qui ont protesté contre le régime des mollahs à l'occasion de la dernière Coupe du monde.

Cette interdiction n'a rien à voir avec la laïcité dans le sport, qui est l'objet même de cette proposition de loi - il n'y a qu'à regarder son titre.

Mme Sylvie Robert. - La mention de signes politiques me semble problématique au regard du périmètre de la proposition de loi, qui traite de laïcité et de sport. Sur quels fondements peut-on étendre cette interdiction ?

Mme Monique de Marco. - Quelle est la définition d'un signe politique ? Les joueurs du club de football de Saint-Étienne pourront-ils continuer à porter le maillot vert, qui ressemble fortement à la couleur du groupe politique écologiste ? C'est une boutade, mais la question mérite d'être posée !

M. Michel Savin. - L'alinéa 2 de l'article 50 de la charte olympique mentionne bien toute « sorte de démonstration ou de propagande politique ou religieuse » : le rapporteur fait donc référence à ce texte.

M. Max Brisson. - D'où la proposition de M. Ouzoulias.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Je répondrais bien à Mme de Marco que tout ce qui est excessif est insignifiant ! Nous n'avons pas inventé cette formulation : c'est celle de la charte olympique.

Mme Mathilde Ollivier. - Donc on élargit le périmètre.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Non, on reste dans le cadre de la neutralité, qui figure bien dans le périmètre.

La formulation retenue dans la charte olympique a été rédigée après les JO de 1968 et les attentats survenus lors des JO de Munich en 1972. Voilà son origine : n'est-elle pas politique ?

Désormais, nous voulons faire appliquer cette charte en France, car la laïcité y fait l'objet d'une conception un peu particulière.

Monsieur Ouzoulias, cet amendement pourrait en effet être complété en vue de la séance.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Il nous a plusieurs fois été demandé comment nous comptions veiller au respect de l'interdiction imposée par la proposition de loi.

Les contrats d'engagements réciproques sont insuffisamment contrôlés. D'ailleurs, ils ne sont pas systématiquement mis en place. Je propose donc de punir par l'amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe tout manquement aux dispositions prévues par l'alinéa 2 de l'article 1er.

L'amendement COM-3 vise surtout à engager une réflexion sur une mesure de sanction individuelle à l'encontre de ceux qui contreviendraient à l'article 1er. Pierre-Antoine Levi a formulé une autre proposition, que je n'avais pas envisagée au cours des auditions. Un débat en commission serait donc utile.

Mme Sylvie Robert. - Une fois que les outils sont instaurés, il faut contrôler leur application, et il est bien normal de prononcer une sanction lorsqu'ils ne sont pas respectés.

Mais pour que le régime de sanction s'applique, encore faut-il qu'il y ait un contrôle ! Or vous évoquez un contrôle insuffisant des CER. J'identifie dans vos propos un paradoxe que je ne m'explique pas.

M. Pierre-Antoine Levi. - Les clubs attendent des mesures fortes. En raison des recours, l'amende financière met beaucoup de temps à produire ses effets.

Des équipes du ministère ou des éducateurs pourraient s'engager à contrôler les manquements à la loi. C'est ensuite l'efficacité de la mesure qui est en question.

En revanche, une suspension de six mois, par exemple, de la pratique du sport me paraîtrait plus dissuasive qu'une sanction financière.

M. Max Brisson. - Le rapporteur indique à raison qu'il n'y a pas d'interdiction sans sanction. Sans cela, nous restons dans une posture de principe. Pour autant, la sanction doit être efficace et dissuasive, et entrer dans le cadre de la pratique sportive. Je suis donc assez sensible à la proposition de M. Levi. Nous avons encore quelques jours pour faire évoluer le texte en ce sens.

M. Michel Savin. - Je suis favorable à la mise en place d'outils de contrôle. Nous constatons un manque de moyens humains au sein du ministère pour contrôler les fédérations. Dans le même temps, les préfets indiquent ignorer les situations en question, en raison de l'absence de sanctions et de règles. Les dirigeants ne savent pas à qui s'adresser. Les maires, qui sont témoins de ce qui se passe dans les équipements sportifs, peinent à effectuer ces contrôles. Ainsi, une obligation de contrôle assortie de sanctions serait pertinente.

Faut-il instaurer une sanction financière ou une suspension de la pratique ? Il serait utile d'en discuter dans les prochains jours. De même, faudra-t-il sanctionner le joueur ou le club qui n'a pas réagi face à l'infraction ? Nous devons prendre en compte les responsabilités de chacun.

M. Pierre Ouzoulias. - Je suis plutôt favorable à la proposition du rapporteur, car il faut faire attention aux possibilités de désaffiliation des associations sportives. Celles-ci pourraient parfaitement sortir du cadre de la fédération pour appliquer les règles qu'elles souhaitent, et, surtout, échapper à la sanction qui serait prévue pour le sportif mis en cause.

Face à cet important danger de contournement, l'amende me paraît plus pertinente.

M. Laurent Lafon, président. - Cet amendement mérite d'être retravaillé d'ici à la séance.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Le temps imparti ne nous a pas permis de mûrir complètement notre réflexion. Pour répondre à ceux qui réclamaient une sanction en contrepartie des interdictions que nous énonçons, mon premier réflexe a été de proposer une amende forfaitaire. Je souhaite en tout cas que l'interdiction soit assortie d'une sanction. Consultons-nous pour réfléchir à la meilleure formulation.

L'amendement COM-3 est retiré.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Mathilde Ollivier. - Par l'amendement de suppression  COM-8, nous exprimons notre opposition à l'article 2 de la présente proposition de loi.

Son objectif - interdire l'usage exclusif d'un équipement sportif à des fins cultuelles - est déjà satisfait par le droit en vigueur. Le Conseil d'État estime en effet de jurisprudence constante qu'une commune peut autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation, par une association pour l'exercice d'un culte, d'un local communal, « à l'exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne ».

Dès lors, en dehors de la volonté de son auteur de réagir à des polémiques, l'objectif d'interdire un usage exclusif des équipements sportifs comme « salle de prière collective » - le terme faisant d'ailleurs référence à une religion en particulier - est déjà satisfait et ne requiert donc pas l'intervention du législateur.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Je pense tout le contraire. On ne peut accepter qu'un match de football soit interrompu pour que les joueurs aillent faire leur prière dans les vestiaires. Au lieu d'attendre que de telles situations se généralisent, prenons dès maintenant des mesures législatives.

L'amendement COM-8 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement COM-4 est rédactionnel. Il précise, d'une part, que les locaux attenant à l'équipement sportif sont aussi concernés, et, d'autre part, que tout usage religieux, et non seulement la prière, y est interdit.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 2

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement  COM-1 appuie la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Les associations sportives agréées sont tenues de souscrire au contrat d'engagement républicain. Si elles le méconnaissent, le préfet suspend ou retire leur agrément, comme le prévoit l'article 121-4 du code du sport.

Cet amendement prévoit que le préfet puisse suspendre ou retirer l'agrément d'une association sportive qui se soustrairait délibérément aux obligations instituées par les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi.

L'amendement COM-1 est adopté et devient article additionnel.

Article 3

Mme Mathilde Ollivier. - L'article 3 méconnaît les principes de neutralité et de laïcité qui s'appliquent aux agents, et non aux usagers du service public.

Le Conseil d'État a déjà indiqué qu'un règlement intérieur ne peut pas déroger aux règles de port de tenues de bain près du corps pour adapter le service à des revendications religieuses, sous peine de méconnaître son obligation de neutralité et d'égalité des usagers devant le service public.

En plus d'être déjà satisfait, le présent article porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, qui doivent rester libres d'adopter, sous le contrôle du juge, le règlement intérieur des piscines pour organiser le bon fonctionnement du service.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression  COM-9. La libre administration des collectivités territoriales s'exerce dans le cadre fixé par le législateur.

L'amendement COM-9 n'est pas adopté.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement  COM-5 précise cet article en se fondant sur la jurisprudence du Conseil d'État, dans son ordonnance du 21 juin 2022, aux termes de laquelle « le gestionnaire d'un service public est tenu, lorsqu'il définit ou redéfinit les règles d'organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l'égalité de traitement des usagers ».

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - L'amendement  COM-6 prévoit que les candidats au métier d'éducateur sportif puissent faire l'objet d'une enquête administrative.

Le code de la sécurité intérieure prévoit le criblage des personnes amenées à exercer certains métiers sensibles. À cette liste serait ajoutée la fonction d'éducateur sportif, chargé notamment de mineurs.

M. Patrick Kanner. - La question du criblage est intéressante. Nous sommes en effet favorables au renforcement des contrôles. Néanmoins, nous devons nous interroger sur le périmètre du texte.

Le criblage se fonde sur trois fichiers différents. Il se pratique notamment pour les éducateurs dans les colonies de vacances. Bien entendu, le risque zéro n'existe jamais. Il arrive, malgré tous les contrôles, qu'un individu commette un acte de déviance sexuelle.

Outre les éducateurs officiels, de nombreux bénévoles sont présents dans les clubs. Il sera difficile de cribler tout le monde. Sur le principe, il est intéressant de renforcer les contrôles en amont, mais jusqu'où pouvons-nous concrètement aller, au regard du fonctionnement actuel des clubs ?

Mme Mathilde Ollivier. - Je m'interroge sur la pertinence de cet amendement qui a davantage trait au domaine sécuritaire et à la prévention du terrorisme, alors que la proposition de loi est relative à la laïcité dans le sport.

M. Stéphane Piednoir, rapporteur. - Madame Ollivier, pour vous éclairer, je vous invite à lire le rapport d'Éric Diard et d'Éric Poulliat de 2019 sur les services publics face à la radicalisation. Celui-ci établit que l'entrisme islamiste s'effectue prioritairement à travers le sport, notamment les sports de combat, où l'on compte quasiment un éducateur par pratiquant.

Monsieur Kanner, l'amendement fait référence à la carte professionnelle d'éducateur sportif. Nous nous sommes demandé comment empêcher un éducateur inscrit au FSPRT ou au fichier des personnes recherchées (FPR) d'exercer sa mission auprès de jeunes. Nous avons déjà évoqué ce sujet. Mme Robert nous dira que c'est une obsession de notre part. En réalité, nous revenons à cette question précisément parce que nous ne trouvons pas de solution. Ces fichiers sont des fichiers de renseignement qui ne sanctionnent pas un délit. Au regard du droit, on ne peut interdire aux personnes fichées d'exercer une activité en tant qu'éducateur sportif. Néanmoins, il est ici question de la délivrance d'une carte professionnelle. Plus de 1 million de contrôles sont réalisés chaque année par le service national des enquêtes administratives de sécurité. Mais nous n'avons pas trouvé de solution pour les bénévoles.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er 

Mme OLLIVIER

7

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

2

Interdiction du port de signes ou tenues manifestant une appartenance politique ou religieuse lors des compétitions

Adopté

M. PIEDNOIR, rapporteur

3

Instauration d'un dispositif de sanction

Retiré

Article 2

Mme OLLIVIER

8

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

4

Précisions rédactionnelles 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 2

M. PIEDNOIR, rapporteur

1

Permettre la suspension ou le retrait de l'agrément d'une association sportive en cas de non respect des dispositions de la proposition de loi

Adopté

Article 3 

Mme OLLIVIER

9

Amendement de suppression

Rejeté

M. PIEDNOIR, rapporteur

5

Préciser la portée du principe d'égalité de traitement des usagers des piscines

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. PIEDNOIR, rapporteur

6

Permettre le criblage des candidats à la fonction d'éducateur sportif

Adopté

Proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés et à garantir davantage de transparence dans les procédures d'affectation et de financement des établissements privés sous contrat - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous en venons à l'examen du rapport de notre collègue Karine Daniel sur la proposition de loi visant à assurer la mixité sociale et scolaire dans les établissements d'enseignement publics et privés sous contrat du premier et du second degrés, déposée par Colombe Brossel et plusieurs de ses collègues.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - La loi de 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a inscrit dans l'article 1er du code de l'éducation le principe selon lequel le service public de l'éducation « veille à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d'enseignement ».

Or, plus de dix ans après cette inscription dans la loi, de nombreuses inégalités dans la composition sociale des établissements scolaires demeurent. Elles s'accentuent même entre établissements publics et privés, et, parfois, entre les différents établissements publics d'un même territoire.

De l'aveu des services du ministère que j'ai auditionnés, la publication de l'indice de position sociale (IPS) en 2022 a eu un effet révélateur assez fort. Si chacun était conscient de l'existence de disparités sociales entre les établissements scolaires, l'importance des écarts sur certains territoires n'était pas perçue.

Bien évidemment, des mesures ont été prises pour renforcer la mixité scolaire. En 2015, à la suite d'une initiative lancée par le ministère de l'éducation nationale, en lien avec plusieurs conseils départementaux, vingt-deux sites regroupant soixante-cinq établissements scolaires se sont engagés dans des actions locales pour réduire la ségrégation sociale entre les collèges publics d'un même territoire, en rapprochant leurs compositions sociales.

Certaines collectivités ont également mené des politiques de lutte contre la ségrégation scolaire, en s'appuyant sur leurs compétences en matière d'implantation des établissements scolaires ou de définition de la carte scolaire.

À Vendôme, le conseil municipal a fait le choix, plutôt que de la réhabiliter, de fermer une école vétuste dont l'IPS était de 79, située dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), et de répartir les enfants dans deux écoles voisines dont l'IPS s'élevait à environ 105. Celles-ci ont bénéficié d'une réhabilitation complète. Aujourd'hui, cette nouvelle sectorisation est acceptée par tous.

Autre exemple, la politique ambitieuse du conseil départemental de Haute-Garonne. Là encore, la nécessité de réhabiliter deux collèges vétustes a été l'occasion d'engager une réflexion sur la carte scolaire. Le département a fait le choix de fermer les deux collèges situés en réseau d'éducation prioritaire (REP) et de répartir les élèves dans douze collèges de l'agglomération toulousaine. Le département a accompagné la nouvelle carte scolaire par la mise en place d'un transport scolaire gratuit. Il a également bénéficié d'un engagement fort du rectorat. Ce dernier s'est engagé à limiter à vingt-cinq le nombre d'élèves par classe en sixième dans les douze établissements accueillant les élèves issus des deux anciens collèges fermés. Les enseignants ont aussi eu accès à une formation sur la gestion des classes à niveau hétérogène.

Quel bilan tirer de cette action ? Pour les élèves des deux collèges fermés, on constate une augmentation du taux de réussite au brevet des collèges, qui passe de 50 % à 70 %. La mixité sociale est également renforcée au lycée. Les élèves ont en effet en majorité décidé de poursuivre leur scolarité dans le lycée relié à leur nouveau collège, plutôt que celui qui est lié à l'ancienne sectorisation. Enfin, cette mixité sociale n'a pas eu d'impact négatif sur les autres élèves de l'établissement ni sur l'IPS.

J'en déduis un point marquant, dont témoignent les auditions des collectivités locales qui ont mis en place ces politiques spécifiques et des associations de représentants telles que l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). Les actions de mixité scolaire fonctionnent particulièrement bien lorsqu'elles sont menées en partenariat entre la collectivité territoriale et le rectorat.

En 2023, le ministère a annoncé un objectif de réduction de la ségrégation sociale dans les établissements publics de 20 % d'ici à 2027. Sur la base des IPS, la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) a identifié des binômes d'établissements proches géographiquement, mais disposant d'IPS différents. Des directives ont été données aux recteurs pour qu'en lien avec les collectivités territoriales, une réflexion soit menée afin de renforcer la mixité sociale au sein de ces binômes.

Le ministère cherche également à renforcer l'attractivité des établissements défavorisés. Ces deux dernières années, cinquante-quatre sections internationales ont été ouvertes, uniquement dans des collèges en éducation prioritaire.

Parallèlement, le ministère a signé il y a un an un protocole d'accord relatif au plan d'action favorisant le renforcement des mixités sociale et scolaire dans les établissements privés associés à l'État par contrat relevant de l'enseignement catholique, que Philippe Delorme a évoqué lors de son audition. Il prévoit notamment la mise en place d'une contribution différenciée selon le revenu des familles, ainsi qu'un engagement de l'enseignement catholique, en lien avec les recteurs, de s'implanter dans des lieux à forte mixité sociale et scolaire.

Si ces initiatives vont dans le bon sens, il semble nécessaire à mon groupe d'aller plus loin. C'est pourquoi la proposition de loi vise à instaurer des mesures plus coercitives pour renforcer la mixité sociale et scolaire, en s'appuyant sur quatre axes.

Premièrement, la loi fixe actuellement un objectif de mixité sociale. Le texte prévoit d'aller plus loin en instaurant un impératif de mixité sociale et scolaire pour l'implantation et l'ouverture de nouvelles classes ou établissements scolaires. L'État devient également le garant d'une répartition des élèves entre les établissements scolaires qui respecte les équilibres socio-économiques nationaux.

Deuxièmement, la proposition de loi permet une généralisation d'outils favorisant la mixité qui ont fait leurs preuves. Elle rend ainsi obligatoire le recours à la sectorisation multicollèges pour des établissements situés à proximité. Elle étend également à l'ensemble du territoire le modèle d'affectation des élèves dans les lycées mis en place dans l'académie de Paris. Il s'agit d'élargir le nombre de lycées auxquels un élève peut postuler et de prendre en compte des critères sociaux dans l'affectation des élèves.

Selon Christophe Kerrero, ancien recteur de Paris, la mise en place de ce système a permis de réduire de 49 % les inégalités sociales et de 39 % les inégalités scolaires au sein des lycées publics parisiens en seulement trois ans.

Troisièmement, le texte fait davantage contribuer l'enseignement privé sous contrat à la mixité sociale. Les lycées privés sous contrat sont ainsi inclus dans les nouvelles modalités d'affectation des lycées. Par ailleurs, les subventions publiques des établissements privés sous contrat sont conditionnées à l'existence d'une mixité sociale comparable à celles des classes publiques du territoire. Afin d'éviter une fuite des élèves vers l'enseignement privé, le texte empêche toute ouverture de classe dans un établissement privé sous contrat dans un délai de trois ans après la fermeture d'une classe d'un établissement public. Enfin, il impose une publicité des dons et legs effectués au profit de ces établissements.

Quatrièmement, le dernier axe porte sur l'IPS. Ce dernier est un outil important pour mesurer les inégalités scolaires et ainsi permettre aux collectivités territoriales de prendre des mesures correctrices. Toutefois, les données sont transmises trop tardivement et de manière aléatoire : les IPS de la rentrée 2023 ont été publiés il y a quinze jours, soit dans un délai trop court pour être pris en compte pour la rentrée 2024. Face à ce constat, le texte prévoit une transmission annuelle de l'IPS aux collectivités territoriales compétentes ainsi qu'aux chefs d'établissement. Il est également important que l'analyse de ces données soit partagée entre les rectorats et les collectivités territoriales qui sont chargés de la mise en oeuvre des politiques publiques susceptibles de modifier la composition sociale des établissements, à moyen et long termes.

À ce titre, les représentants de l'ADF nous ont indiqué que l'IPS est un outil fondamental et qu'il est regrettable que les collectivités ne le reçoivent pas toujours sous un format exploitable. Il me semble que ce point peut faire consensus entre nos groupes politiques. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement rédactionnel visant à isoler cette disposition dans un nouvel article.

Mes chers collègues, je tiens à le rappeler, la ségrégation scolaire accentue les inégalités sociales et remet en cause la cohésion nationale. Aussi, je salue l'initiative de notre collègue Colombe Brossel, qui nous permet de débattre de ce sujet.

Le périmètre que je propose pour l'application des irrecevabilités prévues par l'article 45 de la Constitution inclurait les dispositions relatives à la mixité sociale et scolaire dans les établissements publics et privés sous contrat, et au financement des établissements privés sous contrat. En revanche, n'entreraient pas dans ce périmètre les dispositions relatives aux établissements privés hors contrat et à l'instruction en famille.

Il en est ainsi décidé.

Mme Pauline Martin. - L'exercice qui m'est confié n'est pas des plus faciles, devant un auditoire principalement constitué d'anciens enseignants ! À la lecture de votre proposition de loi, il me semble que nous nous orientons vers des contraintes supplémentaires. Pourtant, les objectifs de mixité déjà fixés à maintes reprises par des protocoles ou les précédentes lois doivent laisser la possibilité à chacun de s'en saisir, sans pour autant contrarier le fonctionnement des établissements où, tout naturellement, la mixité s'opère, sans aucune ségrégation, à l'image de ce que nous constatons la plupart du temps en zone rurale. L'IPS est déjà mis en oeuvre dans les lycées publics comme privés. De même, toutes les académies ont recours à Affelnet. Nous ne souhaitons pas que ces outils se transforment en instruments de chantage idéologique.

Lorsque l'on parle de mixité, et comme indiqué dans votre préambule, on oppose bien trop souvent l'enseignement public à celui du privé, alors que nous sommes parfois mis en difficulté au sein même de nos établissements publics d'un même secteur. La carte scolaire opérée dans la dentelle et bien souvent dans un consensus ne doit pas se transformer en planification autoritaire et bouleverser l'équilibre qui aurait été trouvé. La transparence financière existe : il n'y a qu'à opérer plus de vérifications.

C'est un faux débat. Ce n'est pas la mixité au sein de l'école privée qu'il faut interroger, mais bien les fondamentaux de l'école publique. Ce qui fait la force du privé, c'est l'autonomie des établissements capables de s'adapter aux particularités locales. Cette agilité, qui n'est pas régie par des circulaires nationales, permet un retour de l'autorité et une souplesse pédagogique. Dans ce pays où la norme devient reine, il nous semblait également indispensable de laisser aux familles le libre choix de la scolarisation de leurs enfants.

Enfin, je reprends ma casquette de maire, pour rappeler - au risque de vous entendre jeter les hauts cris, et avec un regard bassement matérialiste - qu'un enfant scolarisé dans le privé coûte moins cher à la collectivité !

L'urgence de la situation éducative du pays à tous les niveaux nous appelle à faire cause commune contre la baisse du niveau des élèves, de la formation des professeurs et de la place des savoirs fondamentaux. Restons donc pragmatiques. Je vous laisse deviner la position du groupe Les Républicains, que Max Brisson vous exprimera clairement !

Mme Colombe Brossel, auteure de la proposition de loi. - Notre proposition de loi est issue de deux constats.

Premièrement, nous avons besoin de travailler sur la mixité sociale et scolaire - il est impératif d'associer ces deux termes -, car un mouvement, à l'oeuvre depuis une vingtaine d'années, tend à la réduire dans de nombreux établissements, en particulier au collège. La recherche académique est claire et étayée sur la question : alors que ce sujet ne touchait, il y a quelques années, que les grandes métropoles, il concerne actuellement les villes petites et moyennes - la comparaison des IPS le montre bien.

L'état de la recherche révèle également qu'en zone rurale, il n'y a pas de différences importantes entre les IPS des établissements scolaires. Il faut donc traiter ce sujet à la bonne échelle.

Deuxièmement, beaucoup de collectivités territoriales travaillent à des politiques publiques en matière de mixité sociale et scolaire, avec les outils qui leur ont été confiés par la loi : périmètre scolaire, sectorisation, travail sur le bâti, transport scolaire... La bonne nouvelle, c'est que là où elles sont mises en place, ces mesures contribuent réellement à l'amélioration de la mixité.

C'est en partant de ces deux constats que nous avons construit notre proposition de loi. Nous souhaitions consolider le travail des collectivités territoriales, et, à l'échelle nationale, fixer à tous les mêmes objectifs.

C'est pour cela que nous avons souhaité inscrire un niveau supplémentaire dans la loi en matière de mixité sociale et scolaire. Il fallait depuis 2013 y « veiller ». Nous considérerons qu'il faut aujourd'hui la « garantir ». Les mouvements qui s'opèrent depuis une vingtaine d'années nous appellent à renforcer cette garantie pour mettre en place des objectifs dans le code de l'éducation. Pour instaurer des politiques publiques dans ce domaine, il faut des outils. C'est la raison pour laquelle nous devons donner une base légale aux IPS qui sont devenus un univers de référence - nous y avons d'ailleurs tous recours dans nos argumentations ! - et imposer une obligation d'information annuelle aux collectivités territoriales, qui agissent beaucoup pour la mixité sociale et scolaire.

Le troisième volet de la proposition de loi est plus polémique. Je repars de l'état de la recherche, car il n'y a pas de politique publique sans état de l'existant. Ce qui change depuis vingt ans, ce n'est pas le nombre d'enfants scolarisés dans l'enseignement privé sous contrat : on est encore dans le 80-20. Mais actuellement, il y a une très forte accélération d'une forme de ségrégation sociale et scolaire qui interroge. Ce sont les chiffres du ministère et de l'ensemble des chercheurs en science de l'éducation. Nous pensons qu'il est nécessaire que cet objectif national et législatif de garantir la mixité scolaire et sociale, et de doter les politiques publiques d'outils, s'applique également à l'enseignement privé sous contrat.

Voulons-nous mettre en place les conditions pour que les enfants grandissant dans les mêmes villes, dans les mêmes quartiers et qui n'ont aucune raison de ne pas être scolarisés ensemble en termes de bassin de recrutement, soient capables de grandir, de jouer, d'apprendre et de devenir des adultes dans une société où il y a tant de fractures ? Ce sujet va au-delà du pur scolaire. C'est un vrai sujet sur notre capacité à faire Nation.

Mme Annick Billon. - Je félicite la rapporteure et l'auteure de cette proposition de loi, même si je ne suis pas d'accord avec le fond du texte.

Je rappelle le contexte : les lois de 2013 et 2021 affirment un objectif de mixité sociale applicable à la fois aux établissements scolaires publics et privés. Des commissions académiques compétentes ont été créées en 2021. Il existe donc déjà un cadre.

En réalité, l'école, l'enseignement, les professeurs et l'éducation nationale souffrent. Mais la mixité scolaire n'est pas forcément le sujet principal et le remède à tous les maux. Avant de traiter de la mixité et d'établir de nouvelles contraintes, il y a énormément à faire. Demain, je vous présenterai un rapport avec Max Brisson sur la formation des enseignants.

La baisse démographique des effectifs peut parfois expliquer, dans certains cas, la baisse de la mixité sociale.

Cette proposition de loi m'interpelle à différents niveaux : la modulation des forfaits en fonction des IPS ne remettrait-elle pas en cause le principe d'égalité ?

Imposer une politique publique basée sur un IPS calculé au niveau national n'est pas opportun, car cela ignore toute logique territoriale. Il en est de même concernant la simplification : souhaite-t-on ajouter de nouvelles responsabilités et contraintes aux collectivités territoriales ?

Le groupe Union centriste (UC) s'oppose au conditionnement du financement de l'enseignement privé, car il remet en cause les principes de la loi Debré et la liberté scolaire. Nous proposerons peut-être des amendements en séance pour supprimer ces dispositifs.

La notion de « lycée de proximité » n'est pas précisée, alors que la question se posera dans certains départements, notamment avec les transports. Des critères de proximité géographique seront-ils instaurés, et si oui, par voie législative ou réglementaire ?

Des mécanismes de contrôle existent déjà.

Dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, vous utilisez des mots forts comme le terme « ségrégation ». La semaine dernière, un chef d'établissement du privé me faisait part de son désarroi : désormais, dans les établissements privés sous contrat, il existe une forme de « ségrégation » de familles retirant leur enfant en raison des coûts de restauration ou de médecine scolaire. La restauration scolaire peut coûter le double dans les établissements privés sous contrat par rapport au public. La liberté de choix n'existe pas pour certaines familles.

Il faudrait voir les problèmes de mixité et de déficit de mixité sous un angle plus objectif et moins caricatural.

Le clivage politique habituel persiste pour cette proposition de loi. Notre groupe, dans le cadre du gentlemen's agreement, s'abstiendra en commission.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, mesdames Brossel et Daniel, pour ce travail de grande qualité. J'ai été très sensible à la façon dont vous montrez concrètement, à partir de données du terrain, comment la mixité scolaire peut favoriser la réussite.

Je loue aussi la Providence, qui fait que nous débattons ce matin de deux textes sur le service public et de la relation entre le service public et la laïcité. Je serai absolument cohérent avec mes propositions : le service public, c'est la laïcité.

Or dans les établissements privés, la laïcité ne s'applique pas. Je vous rappelle les propos de M. Delorme, secrétaire général de l'enseignement catholique, devant notre commission : « la laïcité, ce n'est pas l'absence de signes religieux. » Je me suis abstenu d'en faire mention tout à l'heure lors de nos précédents échanges sur la proposition de loi visant à renforcer la laïcité dans le sport.

Les établissements privés participent-ils du service public de l'éducation nationale ? Sincèrement, je ne leur souhaite pas, et je le dis sans calcul. S'ils revendiquent leur caractère propre et souhaitent se distinguer de l'enseignement public, ce qui est un choix politique que je respecte, car il est constitutionnel, ils ne peuvent pas dès lors bénéficier des mêmes avantages que le service public. Ils ne peuvent pas considérer qu'ils sont le service public et qu'ils doivent recevoir une forme d'égalité de traitement.

Dans les Hauts-de-Seine, les vingt collèges aux IPS les plus forts sont tous privés, les vingt collèges aux IPS les plus faibles sont tous publics. Dans certaines communes, l'IPS est proche de 150, quasiment le record de France. Quand on choisit une école privée à Neuilly, ce n'est pas par conviction religieuse ou parce que l'école publique de Neuilly est défaillante, mais par volonté de cultiver l'entre-soi. La précédente ministre l'avait dit avec beaucoup de franchise, et je lui en suis très reconnaissant : elle voulait que ses enfants soient avec les enfants de ses amis...

Les établissements privés font des choix économiques. À Neuilly, la liste d'attente est de 150 élèves. Ces établissements font le choix d'accueillir les élèves issus des meilleurs environnements sociaux, qui sont aussi souvent les meilleurs élèves. On ne peut dissocier la question sociale de la question pédagogique. Un élève dans un contexte familial extrêmement favorable aura beaucoup plus de chances de suivre un cursus pédagogique plus intéressant.

Je souhaite que nous mettions à profit cette proposition de loi pour redébattre du caractère propre de la notion de service public et de l'autonomie des établissements que vous revendiquez et que je vous accorde.

Mais ces établissements font le choix économique de choisir les meilleurs... L'enseignement privé coûte-t-il moins cher ? Certes, en choisissant des enfants d'un niveau exceptionnel, ils peuvent être 30 à 35 par classe. Ces établissements, qui sont souvent des sociétés anonymes, réalisent des bénéfices - certes, pas partout - et le revendiquent comme tel.

Je pose une question morale : est-il normal que l'État, avec de l'argent public, finance des établissements qui pratiquent une ségrégation sociale pour faire des bénéfices ? Non. Nous sommes fondamentalement opposés sur ce sujet.

Mme Monique de Marco. - Je remercie nos collègues socialistes d'avoir inscrit cette proposition de loi dans leur ordre du jour réservé. Je regrette que la commission ne se soit pas saisie plus tôt du sujet, surtout après l'affaire Stanislas.

Depuis la publication des IPS, après la décision du tribunal administratif de Paris en 2022, on ne peut plus ignorer la fragilité de la mixité sociale en France. Or la mixité sociale est le terreau du vivre ensemble. Elle prépare à la vie citoyenne, elle forme à la tolérance. Son affaiblissement nous concerne tous. Versailles, Reims ou le département de Haute-Garonne ont développé des politiques innovantes en ce sens.

Cet affaiblissement de la mixité n'est pas seulement le fait de la concentration des élèves à IPS élevé dans les établissements privés. C'est aussi le résultat de l'absence d'actualisation de la carte de l'éducation prioritaire depuis 2015, qui accentue des comportements d'évitement et des demandes de dérogation. La ministre a déclaré y travailler ; attendons ses propositions...

Je ne ferai pas le procès des établissements privés ; dans certains territoires, ils sont devenus indispensables. Depuis la décision du Conseil constitutionnel de 1977, il n'est plus question de les remettre en cause. Mais la consécration de la liberté d'enseignement ne doit pas nous empêcher d'établir le bilan des relations entre l'État, les collectivités territoriales et les établissements privés sous contrat, comme l'ont fait les députés Vannier et Weissberg. Ils ont démontré que le droit encadrant l'enseignement privé sous contrat est obsolète et ne correspond plus aux exigences de transparence de nos concitoyens. C'est le règne de l'opacité. Il est impossible d'arriver à un chiffre précis des dotations versées par les collectivités aux établissements privés. On sait simplement que le taux de financement public de ces établissements privés sous contrat avoisine 75 %. Cela va dans le même sens que le rapport de la Cour des comptes de 2003.

Cette opacité est en décalage total avec l'exigence de transparence qui anime la société française et le contexte de restriction budgétaire.

L'enseignement privé sous contrat échappe à toute forme sérieuse de contrôle administratif et budgétaire. Ce n'est pas acceptable. Comme le dit une spécialiste de l'OCDE, la spécificité française réside dans la discordance entre la masse des financements accordés et la très grande liberté par rapport aux règles imposées au secteur public.

Je félicite mes collègues pour leur proposition visant à apporter un peu de transparence. Ce texte vise à réaffirmer l'objectif de mixité sociale figurant déjà dans le code de l'éducation et à reconnaître une valeur législative à l'IPS. Il faudrait peut-être le décliner plus près des territoires, comme je l'avais proposé lors d'une audition. Cet IPS peut être mesuré au niveau national, mais on ne peut l'analyser de la même façon en Île-de-France ou en Gironde, sur un territoire précis.

Ce texte comprend plusieurs dispositions visant à soumettre les établissements privés à de nouvelles obligations de transparence et de mixité sociale. J'espère que nous pourrons en débattre et améliorer ce texte. Le groupe écologiste, solidarités et territoires proposera quelques amendements en ce sens.

M. Bernard Fialaire. - Je remercie Mmes Brossel et Daniel de leur travail. On ne peut se satisfaire en permanence, étude après étude, de voir qu'il y a un préjudice social dans l'égalité des chances des enfants. Dans certains établissements se met en place une forme de ségrégation sociale, sans qu'on puisse réagir.

À partir du moment où existe l'IPS qui permet de repérer des inégalités, c'est notre devoir de nous en servir pour les corriger. Certes, ce n'est pas l'alpha et l'oméga de l'égalité des chances. J'attends avec impatience les propositions de Max Brisson et d'Annick Billon sur la formation des enseignants. Nous devons nous servir de l'IPS pour harmoniser le niveau dans les établissements, pour donner des moyens aux établissements en fonction de l'IPS. Si le privé veut s'engager dans le service public de l'éducation, d'accord, mais servons-nous aussi de l'IPS comme un moyen d'évaluer les moyens que la société mettra à sa disposition.

Nous sommes tous favorables à l'idée de donner les mêmes chances à nos enfants. Mettre le doigt sur ce marqueur social est quelque chose d'important. Nous n'avons pas le droit de ne pas réagir et de ne pas proposer des solutions. Je soutiendrai cette proposition.

M. Martin Lévrier. - Merci à l'auteure et à la rapporteure. Je partage totalement les propos d'Annick Billon, hormis sur un point. La mixité sociale doit prévoir les budgets pour que les établissements privés sous contrat bénéficient de financements pour la demi-pension. J'ai travaillé pendant trente ans dans ce milieu, certains enfants ne mangent pas.

Le regard que portent certains collègues sur l'enseignement privé me laisse pantois. On inverse la charge de la preuve. Je voudrais tant que l'enseignement public relève la tête, reparte de l'avant et soit excellent à tous les niveaux, et donne à chacun les moyens de s'épanouir là où il doit être. Mieux vaut s'inspirer du modèle qui réussit plutôt que d'essayer de l'entraver.

Les listes d'attente sont souvent liées non pas à des raisons financières ou à de l'entre-soi, mais à un projet pédagogique qui permettra à l'enfant de mieux s'épanouir dans l'établissement qu'il choisira.

À Versailles, les lycées publics sont quasiment tous d'excellence, tel le lycée Hoche. Sont-ils vraiment sur la carte scolaire ? Je ne le crois pas. Il en est de même à Paris pour Louis-le-Grand, Henri-IV... Dans le public, il y a des Stanislas partout.

À Versailles, la plupart des filières professionnelles sont dans les lycées privés sous contrat. La majorité des parents qui inscrivent leurs enfants dans le privé à Versailles le font dans une logique d'ouverture. Ne rétrécissez pas ce débat, faisons avancer le dossier en s'inspirant des bonnes idées. Certes, certains établissements privés ont des pratiques contestables, mais des établissements publics aussi...

La plupart des établissements privés sous contrat appliquent un système de quotient familial. Le lycée que j'ai fréquenté en classes préparatoires faisait payer 200 euros par an la scolarité aux familles à faibles revenus.

Trouvons, tous ensemble, des solutions pour faire avancer le public, plutôt que d'entraver le privé.

M. Max Brisson. - Le groupe Les Républicains se place dans une logique de cohérence.

D'abord, nous sommes cohérents dans l'approche que nous avons de l'enseignement privé. Pierre Ouzoulias a rappelé que le parti communiste français est opposé à la loi Debré depuis qu'elle a été votée par le Parlement. Les positionnements des uns et des autres sont absolument cohérents.

Je suis moins en accord avec les propos de Mme de Marco. Les établissements privés sont de toute nature. À force de les caricaturer, comme le fait le rapport Vannier-Weissberg, on jette l'opprobre sur des personnes qui ne le méritent pas.

Je ne relèverai aucune obsession dans la défense de la mixité sociale et scolaire : le groupe socialiste est constant sur ce sujet.

Sur ce sujet, c'est comme celui de la laïcité : quand la mixité allait de soi, il n'y avait pas besoin de texte législatif. Depuis que la mixité sociale et scolaire est en difficulté, on multiplie les textes, comme pour la laïcité.

J'apprécie que Colombe Brossel ait proposé ce moment d'échange, et je remercie la rapporteure. Nous partageons un constat : l'escalier social, qui fut la force de notre République, par la méritocratie, est en panne. C'est pour cela que chacun cherche des réponses, différentes, au problème.

Nous ne sommes pas d'accord avec les réponses de l'auteure de la proposition de loi et avec l'analyse de la rapporteure, Pauline Martin l'a déjà dit. Une réponse planificatrice, centralisée, autoritaire, ne fonctionne pas. Nous devons avoir une réponse établissement par établissement. Face à toutes les barrières, il y a toujours des phénomènes d'évitement, qui se multiplient.

La réponse à la mixité sociale, c'est de faire le contraire de l'éducation nationale en matière de gestion des ressources humaines. Il faudrait apporter aux établissements les plus en difficulté les réponses les plus fortes : plus de moyens, d'accompagnement pédagogique et les professeurs les plus chevronnés. Les ressources humaines ne prennent pas en compte les difficultés que rencontrent ces établissements.

Je vous renvoie à l'excellent rapport du président Lafon : oui, il y a une vraie difficulté dans le rapport de l'école avec les territoires. L'école est incapable d'avoir une approche différenciée des territoires, autant en grande ruralité que dans les réseaux d'éducation prioritaire, dont la révision de la carte, annoncée depuis des années, ne vient pas.

Des indicateurs, qui sont importants, mais non fondamentaux, comme Affelnet ou IPS, deviendraient, avec ce texte, essentiels dans le système de répartition des élèves. Nous n'avons pas honte de dire que les résultats scolaires, la méritocratie, la manière dont les élèves ont réussi le cycle précédent doivent être pris en compte. À force de charger la barque du côté des IPS, on réduit ce qu'a été l'école de la République, à savoir reconnaître et récompenser le mérite, le travail et l'effort. Il est dangereux d'inscrire dans la loi l'IPS ou Affelnet, qui ne sont que des outils, à ne prendre que comme tels. En revanche, ils doivent être diffusés pour une plus grande transparence.

Les groupes de l'opposition ont un immense avantage sur nous, en raison du gentlemen's agreement : vous pouvez, dès le stade de la commission, rejeter les articles d'une proposition de loi issue du groupe majoritaire, contrairement à nous. C'est pourquoi nous nous abstiendrons pour que le texte puisse être discuté dans l'hémicycle.

M. Adel Ziane. - Je me réjouis de ces propos et de l'esprit de concorde républicaine. Lorsque nous avions reçu le secrétaire général de l'enseignement catholique, nous avions aussi montré cette préoccupation, qui s'exprime à des degrés divers. Nous avions évoqué les positionnements politiques des uns et des autres.

Ce matin, je constate notre préoccupation commune de nous pencher sur l'école, son devenir, avec des visions, des propositions et des solutions différentes, avec des logiques territoriales différenciées, avec nos obsessions, mais aussi la volonté de former des citoyens et de trouver un cadre d'épanouissement éducatif pour les enfants.

Nos actions parlementaires convergent progressivement. Je suis aussi très curieux de découvrir le rapport Brisson-Billon. Vous voulez apporter des solutions en ce qui concerne la formation des enseignants, eu égard aux difficultés que nous connaissons avec la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et la réduction du nombre de postes.

Liberté éducative et égalité des chances sont deux expressions qui reviennent régulièrement. Mmes Brossel et Daniel font des propositions sur l'égalité des chances, qui nous tient peut-être plus à coeur que la liberté éducative. Nous ne remettons pas en cause l'autonomie des établissements. La proposition de loi traite bien des établissements publics et des établissements privés sous contrat. Ces propositions se fondent sur des éléments factuels ou scientifiques, comme le rapport de la Cour des comptes, qui mentionne les difficultés de contrôle éducatif, pédagogique et administratif des établissements privés. Le secrétaire général de l'enseignement catholique était le premier à souhaiter davantage de contrôle financier et éducatif. Ce sujet est essentiel pour les établissements privés, mais aussi publics.

À Paris, certains établissements publics font un travail de sélection directe ou indirecte. Ils sont aussi dans le viseur de cette proposition de loi. Nous voulons reconstruire une école républicaine, qu'elle soit publique ou privée sous contrat, avec des règles communes s'adaptant à l'ensemble des élèves. Chaque établissement est en devoir d'y répondre, au regard des financements provenant de l'État.

Affelnet et l'IPS ne sont pas l'alpha et l'oméga, mais il faut bien commencer par quelque chose : posons collectivement les bases d'un processus pour revenir à un travail de fond, et obtenir des résultats sur ce sujet majeur de la mixité sociale et scolaire, en Île-de-France et partout en France.

Évidemment, l'origine sociale a un impact sur la réussite scolaire. Il suffit d'être élu dans une commune pour le voir, que ce soit dans les quartiers populaires urbains ou en zone rurale... L'accès aux transports - pour se rendre au collège - et aux services publics a un impact sur la réussite et sur l'idéal républicain d'égalité.

En Seine-Saint-Denis, les établissements publics et les établissements privés sous contrat ne sont pas traités de la même manière. Il n'y a pas cette même attractivité : les habitants cherchent à inscrire leurs enfants dans le privé pour qu'ils réussissent mieux, et font des sacrifices financiers pour y arriver.

Il faut réfléchir à une déclinaison territoriale pour refléter plus précisément la réalité de ces questions.

Nous échangeons dans un esprit de concorde républicaine. Je remercie le groupe majoritaire de nous permettre de débattre en séance publique sur l'avenir de l'école dans notre pays.

M. Gérard Lahellec. - Je remercie la rapporteure pour ses éclairages, et l'auteure, qui nous permet d'avoir un débat utile sur un sujet de société particulièrement important.

La Bretagne est dans une situation assez particulière : 45 % des élèves sont scolarisés dans des établissements privés sous contrat, 55 % dans l'enseignement public. Cet ensemble doit concourir à la réussite de tous les enfants.

Mais on ne peut être insensible aux évolutions constatées par les IPS : la part des couches sociales privilégiées dans les établissements privés sous contrat est passée de 26 à 41 % en dix ans. Cette tendance n'est bonne pour personne : ni pour l'enseignement public ni pour les établissements privés sous contrat, objets de stigmatisation et de division, alors que nous devrions porter nos efforts sur l'ambition éducative, dans le public comme dans le privé.

Cette situation nous invite à traiter autrement l'égalité et la mixité scolaire et sociale. Ne pas le faire serait passer à côté d'un sujet prégnant, y compris dans notre région. Nous soutenons le débat et les objectifs sous-tendus par cette proposition de loi, qui certes ne réglera pas l'ensemble du sujet.

Mme Karine Daniel, rapporteure. - Je suis un enfant de l'Ouest. Vous ne trouverez pas chez moi le moindre propos qui opposerait l'école privée et l'école publique. J'ai bien précisé dans mon rapport qu'il existait des enjeux de réduction d'inégalités entre établissements d'enseignement public, et entre établissements privés.

J'habite dans un quartier prioritaire où les établissements privés jouent parfois mieux le jeu de la mixité scolaire que certains établissements publics de centre-ville. C'est une évidence.

L'Ouest, où les établissements privés sous contrat sont très représentés, est le territoire avec le moins de différentiel d'IPS entre les établissements publics et privés.

Cette proposition de loi est une invitation à sortir des caricatures et à nous pencher collectivement sur les outils qui permettent concrètement de progresser dans chaque territoire sur ces enjeux.

Cette proposition de loi n'est pas descendante. Elle vise à mettre à disposition des collectivités territoriales, dans leur singularité et leur différenciation, des outils pour créer la dentelle que nous appelons tous de nos voeux. Chaque territoire a sa singularité. Les élus locaux doivent se saisir de ces enjeux en étant éclairés. Dans ce texte, il n'y a pas de contraintes, mais des outils pour que les collectivités territoriales puissent mener leurs politiques publiques.

L'utilisation du terme « ségrégation » ne vient pas de moi, mais de tous les documents du ministère de l'éducation, qui décrivent des situations, de manière neutre. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Les enjeux importants doivent être posés avec les termes adéquats.

Au sein de cette commission, nous défendons tous l'idée de renforcer les moyens, notamment de l'éducation prioritaire. Certes, nous ne sommes pas dans un cadre budgétaire florissant permettant le recrutement massif d'enseignants... Les services du ministère ont annoncé recruter des contrôleurs plutôt que des enseignants. Or cela ne changera pas fondamentalement les résultats.

Nous sommes d'accord, les IPS ne sont pas l'alpha et l'oméga. J'ai passé toute ma carrière scientifique à brasser des indicateurs d'économétrie spatiale. L'IPS est un indicateur « rustique ». Néanmoins, il peut être à peu près compris par tous, notamment les élus locaux dans leur grande diversité.

Nous devons aussi inciter les rectorats à produire des éléments d'analyse pour aller au-delà des IPS, plus finement, et fournir des outils statistiques et d'analyse plus sociologiques et qualitatifs... J'ai évoqué les taux de réussite au brevet, quantitatifs. Sur le qualitatif, on peut évoquer l'accès aux stages de troisième et désormais de seconde. On sait que l'accès à un stage dépend du réseau des parents, puis du réseau des parents de vos amis. Plus on élargit le spectre social du groupe scolaire, plus on facilite l'accès au réseau, à la diversité, et plus on balaie les barrières que se mettent les enfants et les familles.

Soit on fait de l'IPS un outil de marketing des établissements, comme actuellement, où ces résultats sont publiés dans les journaux à des fins d'attractivité des établissements et de contournement, et on renforce ce contre quoi on veut lutter ; soit on en fait un vrai outil mis à disposition des collectivités territoriales pour partager ces ambitions, afin que ces collectivités territoriales puissent s'en saisir, dans la diversité de leurs projets politiques et territoriaux.

EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 1er

Mme Karine Daniel, rapporteure. - À la suite de nos échanges, je propose que nous isolions, par l'amendement COM-1, le sujet des IPS.

Mme Sylvie Robert. - Lors du débat du 1er mars 2023, nous avions évoqué la mixité sociale et scolaire. Tout le monde s'était félicité de la publication des IPS, et était parvenu à un constat commun : notre système scolaire a considérablement accentué les inégalités. Max Brisson ne voulait pas parler de mixité, mais « d'égalité des chances et de réussite des élèves ». Chacun avait admis qu'on ne pouvait pas révolutionner la situation, mais que nous avions besoin d'outils pour la mesurer et pour l'infléchir.

J'espère que le groupe majoritaire votera cet amendement. Sinon, cela serait contradictoire. Dès lors que l'on partage le constat des inégalités, disposer d'outils - ils ne sont pas l'alpha et l'oméga - qui forment une base de lecture commune permettra aux maires de décider des politiques publiques. Le peuplement de nos villes, la fabrique de la ville ont des impacts sur la mixité sociale et scolaire. Libre aux maires de les changer ensuite.

Ne faisons pas de ces échanges de faux débats, caricaturaux. Les maires ont besoin de ces outils, qui doivent être maniés avec suffisamment de discernement pour que les villes ne puissent pas accentuer encore une situation que nous constatons tous ensemble. Réécoutez les débats de mars pour éviter cela.

Mme Annick Billon. - Le groupe UC s'abstiendra en commission pour réserver le débat à la séance publique.

M. Max Brisson. - Le groupe Les Républicains s'abstiendra lors de tous les votes en commission.

L'amendement COM-1 est adopté et devient article additionnel.

Article 1er

L'amendement rédactionnel COM-2 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article(s) additionnel(s) avant Article 1er 

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

Mme DANIEL, rapporteure

1

Publication annuelle des IPS

Adopté

Article 1er

Mme DANIEL, rapporteure

2

amendement rédactionnel

Adopté

La réunion est close à 12 h 05.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Mission d'information sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français - Audition de M. Cyril Mourin, conseiller chargé du sport, des jeux olympiques et paralympiques 2024, de l'engagement associatif et de la jeunesse auprès du Président de la République

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information, dotée des pouvoirs de commission d'enquête, sur l'intervention des fonds d'investissement dans le football professionnel français. Nous accueillons M. Cyril Mourin, conseiller chargé du sport, des Jeux olympiques et paralympiques 2024, de l'engagement associatif et de la jeunesse auprès du Président de la République. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Nous nous interrogeons sur le rôle croissant des fonds d'investissement dans le football professionnel. Cette évolution s'est accélérée en raison des difficultés financières subies par les clubs, confrontés successivement à la pandémie de la Covid-19 et au retrait du groupe Mediapro, auquel la Ligue de football professionnel (LFP) avait attribué une part substantielle des droits télévisés en 2018. Les équilibres de l'accord conclu en 2022 entre la LFP et le fonds d'investissement CVC Capital Partners nous paraissent problématiques. Lors de nos auditions, votre nom est revenu à plusieurs reprises, en tant qu'acteur de la préparation de la disposition législative ayant permis la création de la société commerciale dont CVC est désormais actionnaire à vie.

Il ne s'agit ni de chercher à mettre en cause la responsabilité du Président de la République ni de nous prononcer sur l'organisation des services de la Présidence. Nous voulons en revanche comprendre, dans le cadre de nos pouvoirs de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques :

- le rôle des intervenants dans la définition et la mise en oeuvre de la politique publique du sport en général et du sport professionnel en particulier ;

- le niveau d'information de chacun, lorsque la LFP, bénéficiaire d'une subdélégation de service public, décide d'ouvrir le capital de cette société sans limitation de durée à un fonds, contre 13 % de l'ensemble de ses revenus ;

- votre avis, en tant que conseiller du Président, sur l'arrivée massive des fonds d'investissement (souvent étrangers) dans le football, faute de disposer d'investisseurs nationaux assez puissants.

Le modèle sportif français repose sur une structure pyramidale et un principe de solidarité entre le sport amateur et le sport professionnel. Ce modèle est soutenu par l'État, qui joue un rôle central en déléguant une mission de service public aux fédérations sportives. Ces dernières ont la possibilité de subdéléguer certaines de leurs prérogatives à des ligues professionnelles. Les clubs de football participent à la richesse de la vie dans nos territoires, ainsi qu'au patrimoine sportif et culturel national.

Dans ce cadre, le partenariat avec CVC soulève de nombreuses questions. Il privera à l'avenir les clubs de football professionnel d'une partie de leurs revenus, alors que l'évolution des droits audiovisuels reste incertaine. Des accords similaires ont été rejetés en Italie et en Allemagne, tandis qu'en Espagne, les deux plus grands clubs de la Liga s'y sont opposés. En France, les clubs ont accepté ces modalités à une quasi-unanimité, ce qui peut nous interroger sur une vision court-termiste de la subdélégation de service public.

Monsieur le conseiller, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre mission d'information dotée des pouvoirs de commission d'enquête est passible des peines prévues aux alinéas 13, 14 et 15 de l'article 434 du Code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyril Mourin prête serment.

Je vous remercie également de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêt en relation avec l'objet de notre mission d'information.

Aucun lien d'intérêt n'est signalé.

Cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Monsieur le conseiller, vous avez la parole.

M. Cyril Mourin, conseiller chargé du sport, des Jeux olympiques et paralympiques 2024, de l'engagement associatif et de la jeunesse auprès du Président de la République. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez souhaité m'auditionner pour contribuer aux travaux de votre mission d'information sur la financiarisation du football. J'en mesure pleinement l'intérêt et l'actualité.

Le sport professionnel est un secteur créateur d'emplois, d'activités économiques et d'attractivité. Il contribue, par des mécanismes de solidarité publics ou fédéraux, à la vitalité de notre sport amateur. Il est aussi exposé à des enjeux d'éthique, d'intégrité et de régulation pour assurer son exemplarité, la protection des pratiquants, comme sa soutenabilité - des sujets envers lesquels les gouvernements se sont pleinement engagés depuis 2017, conformément aux orientations du Président de la République, comme, plus globalement, les enjeux ayant trait à notre ambition de progresser sur le chemin d'une nation plus sportive.

J'exerce cette fonction de conseiller du Président de la République depuis 2017. Si j'ai à coeur de pouvoir répondre à vos questions, mon audition ne peut avoir pour but de mettre en cause les actions engagées en qualité et au titre de ma fonction de conseiller du Président, car cela pourrait revenir à contourner le principe de séparation des pouvoirs et l'article 67 de la Constitution. Je me trouve donc dans l'impossibilité de faire état d'éléments qui rendraient compte, directement ou indirectement, de la façon dont le Président de la République prend ses décisions. Au demeurant, de nombreuses questions concernent des dossiers qui relèvent pleinement du Gouvernement. Je m'efforcerai de trouver un chemin entre ce souhait sincère de nourrir votre travail et le cadre que j'ai évoqué, en espérant compter sur votre compréhension.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Pouvez-vous nous préciser vos missions ?

M. Cyril Mourin. - Ma mission consiste à permettre au Président de la République d'appréhender l'actualité et le ressenti des secteurs thématiques dont j'ai la charge, faire remonter les attendus des acteurs et établir le lien entre le chef de l'État et le Gouvernement par rapport aux grandes orientations qu'il a définies.

M. Michel Savin, rapporteur. - En 2020, le football français est frappé par la pandémie de Covid-19. Fin avril, le Premier ministre annonce la fin de la saison 2019-2020. Pourquoi avons-nous été le seul pays à prendre une telle décision ? Avez-vous participé, de près ou de loin, à cette décision ?

M. Cyril Mourin. - Le chef de l'État et le Premier ministre ont étroitement échangé sur les décisions relatives aux enjeux du confinement. Je n'avais pas à en connaître. Les prescriptions sanitaires ne rendaient plus possible la poursuite du championnat.

M. Michel Savin, rapporteur. - Quel a été le montant des aides accordées aux clubs pour faire face à la crise de la Covid-19 ?

M. Cyril Mourin. - À ma connaissance, l'ensemble du secteur sportif français (secteur professionnel associatif et acteurs économiques entrepreneuriaux) a bénéficié d'aides de l'ordre de 7 milliards d'euros, dont 3,2 milliards sous la forme de PGE.

J'aurai des difficultés à vous indiquer le niveau des aides spécifiques. Certains éléments sont connus, comme le PGE accordé à la LFP (225 millions d'euros environ). Je crois me souvenir qu'il avait été publiquement annoncé que les PGE des clubs professionnels représentaient à peu près le double du montant octroyé à la LFP. À cela s'ajoutent des aides de droit commun ou spécifiques, notamment pour la billetterie.

M. Laurent Lafon, président. - Pourriez-vous nous indiquer le montant des exonérations de charges ?

M. Cyril Mourin. - Il faudrait poser la question à Bercy, mais je vous confirme que plusieurs clubs professionnels étaient éligibles aux exonérations de charges.

M. Laurent Lafon, président. - Les procès-verbaux du conseil d'administration de la Ligue mentionnent l'existence d'un rescrit fiscal accordé par l'État à la Ligue. En avez-vous connaissance ?

M. Cyril Mourin. - Non, puisque je n'ai pas à connaître des rescrits de l'administration fiscale. A-t-il été effectué pendant le Covid-19 ?

M. Laurent Lafon, président. - Oui. Il est manifestement en lien avec le PGE.

M. Cyril Mourin. - Je n'ai pas eu à connaître de cet élément.

M. Laurent Lafon, président. - Pourtant, il a pu représenter une aide substantielle de l'État au football professionnel.

M. Cyril Mourin. - Je ne peux que vous renvoyer vers le ministère des finances.

M. Michel Savin, rapporteur. - Monsieur le conseiller, avez-vous été associé à la décision du Premier ministre d'arrêter le championnat ?

M. Cyril Mourin. - Non. Je ne suis pas au cabinet du Premier ministre et je ne participe pas à tous ses échanges avec le Président. Je peux difficilement rendre compte des actes et décisions du Président. Je crois avoir répondu à la question personnelle que vous m'adressez.

M. Michel Savin, rapporteur. - Non, mais je prends acte.

Les sommes que vous avez annoncées sont importantes. Au regard de vos responsabilités et de votre connaissance du milieu du sport, avez-vous alerté le Premier ministre des conséquences financières de cet arrêt sur le football français, sachant que les autres championnats sont allés à leur terme et ont pu percevoir les droits TV correspondants ?

M. Cyril Mourin. - La valorisation des conséquences de la Covid-19 et de l'arrêt du championnat correspond à un montant important, mais l'arrêt des championnats n'est pas la seule raison des difficultés financières connues par la Ligue. Les simples restrictions à l'égard du public ont déjà eu un impact sur ses recettes, ainsi que sur le sponsoring. Je pense qu'il était normal que l'État, par rapport aux prescriptions sanitaires, se préoccupe de la survie économique des acteurs. Des aides d'importance ont été déployées, bien qu'elles ne soient pas au niveau du total des pertes. Il est parfois difficile de différencier ce qui relève spécifiquement des conséquences de la Covid-19 et de la séquence Mediapro.

M. Laurent Lafon, président. - Les clubs étaient en mauvaise situation financière avant la crise sanitaire et la rupture du contrat par Mediapro. Quelle était la vision de l'État sur la situation financière des clubs ?

M. Cyril Mourin. - Je pense que le regard porté sur ces sujets a en partie motivé les actions menées par les pouvoirs publics pour essayer de concourir à la compétitivité du sport professionnel français. Au-delà des problèmes spécifiques à certains clubs, il existait des sujets structurels qui ont d'ailleurs nourri les travaux législatifs. L'État est dans son rôle lorsqu'il fixe un cadre de travail respectueux des principes d'éthique, d'intégrité et de soutenabilité, et essaie de faire bénéficier le secteur de mesures d'attractivité. Cependant, il appartient aux acteurs responsables économiquement de définir la bonne stratégie.

M. Michel Savin, rapporteur. - En septembre 2020, Mediapro se met sous la protection du tribunal de commerce. En décembre, la Ligue valide un accord portant sur la sortie de Mediapro en contrepartie d'une indemnité de 100 millions d'euros. Entre septembre et fin décembre 2020, de nombreuses discussions ont eu lieu pour trouver une solution. Avez-vous eu des contacts avec M. Rourès, alors président de Mediapro ?

M. Cyril Mourin. - Dans le cadre de mes fonctions, je suis amené à rencontrer un grand nombre d'acteurs de l'écosystème sportif. Je ne les détaillerai pas, car cela reviendrait à vous donner des éléments sur les personnes pouvant être en contact avec le Président de la République. J'aurais mal fait mon travail si je n'avais pas pris contact avec certains de ces acteurs pour comprendre leur démarche.

Plusieurs points de détail que vous évoquez n'avaient pas à être suivis par l'Élysée. Le sujet de la situation de Mediapro a été suivi, au-delà de l'action propre du ministère des sports, par le ministère des finances. Le Comité interministériel à la restructuration industrielle (CIRI) s'est chargé du suivi de ce dossier. Mon implication personnelle n'a pas été supérieure à ce qu'elle est dans d'autres dossiers. Il était important que j'aie connaissance de la situation pour expliquer aux acteurs ce qui pouvait se faire ou se dire, mais il n'y a pas eu d'implication particulière de ma part sur ce genre de dossier, qui est suivi de manière assez précise et technique par les services compétents, notamment Bercy.

M. Laurent Lafon, président. - Bercy a travaillé au suivi et à l'accompagnement de procédures tout à fait normales dans le cadre d'une mise sous protection du tribunal de commerce. En parallèle, des discussions ont eu lieu entre la Ligue et Mediapro, et entre Mediapro et Canal+. En dehors de ces procédures, avez-vous eu, en tant que conseiller, ce type de contact ?

M. Cyril Mourin. - Je n'ai à aucun moment participé ou été susceptible d'avoir une influence dans ces discussions, qui dépassent mes compétences et mon champ de responsabilité.

M. Laurent Lafon, président. - Donc vous n'avez pas participé à ce type de réunions ?

M. Cyril Mourin. - Je ne vois pas comment j'aurais pu y participer.

M. Michel Savin, rapporteur. - En novembre 2020, le Président de la République a déclaré dans Ouest-France : « On avait alerté la Ligue. On savait que ce contrat était fragile. Je pense que les personnes qui l'ont négocié n'ont pas été très sérieuses ». Auprès de qui cette alerte a-t-elle été donnée ? Quels étaient les points de fragilité ?

M. Cyril Mourin. - La Constitution ne me permet pas de vous répondre plus précisément sur ce sujet.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le Président a employé le pronom « on », qui peut faire référence à lui-même et ses conseillers.

M. Cyril Mourin. - Vous êtes en train de m'interroger sur une action qu'il a menée, lui et les gens autour de lui.

M. Michel Savin, rapporteur. - Parmi l'entourage, il y a vous. Nous voulons comprendre quel contrôle exerce l'État dans le cadre de la délégation et de la subdélégation, par rapport à un contrat qui aurait dû financer le football professionnel et qui l'a mis en grande difficulté. À travers cette phrase du Président de la République, nous comprenons qu'il y a eu un contrôle de la part de l'État.

M. Cyril Mourin. - Je pense que le chef de l'État a formulé publiquement un ressenti et une alerte exprimée. Je rejoins les propos de Roxana Maracineanu : quand vous êtes ministre, vous contrôlez le cadre réglementaire et législatif et exercez votre mission de contrôle de la délégation et de la subdélégation.

Dans le cadre d'un appel d'offres pour des diffuseurs, il n'y a pas de représentant de l'État dans la salle où les dossiers sont instruits et où les décisions sont prises. Il ne peut pas y avoir de contrôle « sur pièces » de l'État sur la qualité des déposants des offres.

M. Laurent Lafon, président. - L'épisode Mediapro a-t-il amené l'État à passer des messages à la Ligue sur les futurs contrats ?

M. Cyril Mourin. - J'ose espérer que les acteurs de la Ligue n'avaient pas besoin de messages supplémentaires sur le fait que la situation de 2018 ne devait pas se reproduire. Je pense qu'il y a eu une expression de vigilance de notre part sur la qualité des déposants. Je pense que la Ligue était dans sa pleine compétence pour apprécier le plan d'affaires de Mediapro. Il me paraît difficile de considérer que l'État aurait un rôle à jouer dans la qualification des offres et l'appréciation du modèle de Mediapro.

M. Michel Savin, rapporteur. - Une personnalité nommée par le tribunal a joué un rôle au sein de la Ligue : le conciliateur M. Sénéchal. Avez-vous eu des contacts avec lui ?

M. Cyril Mourin. - J'ai dû avoir quelques échanges avec lui, mais nous n'allons pas entrer dans la vie de la Présidence de la République et la manière dont le Président est informé des sujets.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le champ de l'article 67 est limité : seules les questions qui seraient de nature à engager la responsabilité pénale, civile ou administrative du Président y sont évoquées. Cela vous pose-t-il un problème ?

M. Cyril Mourin. - Cela ne me pose aucun problème. Simplement, si vous me demandez qui j'ai vu et comment, vous serez peut-être amenés à vous demander qui était présent. J'ai vocation, par mes fonctions, à nourrir la réflexion du Président, de la ministre des sports et du Premier ministre. Cela me conduit à rencontrer des acteurs sans avoir d'influence supérieure à celle que nous avons sur d'autres champs d'action.

M. Laurent Lafon, président. - Nous voudrions savoir quelle connaissance les plus hautes autorités de l'État avaient de la situation financière de la Ligue et des clubs professionnels. Partagez-vous le discours alarmiste des responsables de la Ligue ?

M. Cyril Mourin. - Les ministres et moi-même portions un regard de confiance à l'égard de la situation décrite par la DNCG - dont l'indépendance nous permet de penser que les chiffres communiqués étaient fiables. Quand vous me demandez si j'avais le sentiment que la situation, telle que décrite, était juste, la réponse est oui, dès lors que la DNCG me semble une structure de confiance.

M. Laurent Lafon, président. - De votre point de vue, les aides de l'État étaient-elles suffisantes face aux difficultés financières du football professionnel ?

M. Cyril Mourin. - Elles avaient vocation à couvrir les difficultés nées du Covid-19. Il n'a, à aucun moment, été imaginé que la situation qu'a connue Mediapro et donc la Ligue, devait faire l'objet d'un soutien public. Il n'y a donc pas, dans le soutien public apporté aux clubs, d'éléments qui seraient connectés à la question des droits TV.

M. Laurent Lafon, président. - Les deux évènements étant survenus en même temps, il est difficile de déterminer quel a été leur impact respectif d'un point de vue comptable.

M. Cyril Mourin. - La plupart des aides ont été adossées aux résultats des clubs de l'année précédente. L'analyse de l'évolution des budgets des clubs n'a pas intégré les effets du départ de Mediapro, puisque nous nous sommes référés au budget de l'année précédente.

M. Laurent Lafon, président. - Si je comprends bien, les aides apportées par l'État permettaient de compenser les crises intervenues durant cette période pour qu'elles n'aient pas d'impact financier d'une année sur l'autre.

M. Cyril Mourin. - L'objectif était de couvrir une partie des pertes, mais pas les pertes de chances. Le sujet Mediapro n'a pas fait l'objet d'un soutien financier de l'État.

M. Michel Savin, rapporteur. - Début 2021, Canal+ récupère les droits de Mediapro pour la fin de saison à hauteur de 35 millions d'euros. Un nouvel appel d'offres est remporté par Amazon pour 250 millions d'euros. Cela conduit la Ligue à subir une perte de plus de 500 millions d'euros par an durant trois ans, soit un total de 1,5 milliard d'euros. Étiez-vous alors inquiet ? Avez-vous eu des contacts avec Canal+, concurrent d'Amazon ?

M. Cyril Mourin. - De mémoire, je n'ai pas eu de contact avec ces acteurs. Lorsqu'un appel d'offres est en cours, nous évitons d'en avoir. Je rappelle que l'essentiel de mon implication provient de mes contacts avec les ministères, qui voient tous ces acteurs. De nombreux conseillers des cabinets ministériels me narrent ce qu'ils ont pu faire, dire ou échanger avec les acteurs que vous évoquez - ce qui rend parfois moins nécessaire une entrevue.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous pouvez nous parler de cela.

M. Cyril Mourin. - Le sens de mon propos consistait à rappeler la prédominance des ministères dans le suivi de ces sujets. Quant au ressenti de l'époque, je pense qu'il y avait une inquiétude, car nous pouvions désormais acter et préciser l'écart de revenus pour les clubs. Certains avaient peut-être commencé à engager des projets de transfert, de recrutement ou d'évolution salariale, sur la base d'un budget prévisionnel qui intégrait ce qu'ils considéraient comme une recette certaine sur les droits télévisuels.

M. Michel Savin, rapporteur. - Donc vous étiez inquiet.

M. Cyril Mourin. - Je pensais que la situation était préoccupante.

M. Michel Savin, rapporteur. - À l'automne 2020, la Ligue lance le projet de la société commerciale. D'après vous, quand l'idée d'une société commerciale a-t-elle commencé à germer ?

M. Cyril Mourin. - Quand j'étais conseiller ministériel en 2016, la Ligue avait déjà été amenée à y réfléchir.

M. Michel Savin, rapporteur. - Savez-vous si le président Labrune était en lien avec CVC lors de son mandat d'administrateur à la Ligue ?

M. Cyril Mourin. - Je n'ai aucun élément pour vous répondre.

M. Michel Savin, rapporteur. - La création de la société commerciale passe par le vote de l'amendement déposé par le député Cédric Roussel sur le texte de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France. Cet amendement répondait à un travail de la LFP. Comment expliquez-vous qu'il n'ait pas fait l'objet de discussions en amont avec le ministère des Sports ?

M. Cyril Mourin. - Il s'agissait d'une proposition de loi. Le ministère l'a ensuite retravaillée, suivant la procédure parlementaire classique.

M. Patrick Kanner. - Je suis heureux de retrouver M. Mourin, qui fut directeur adjoint de mon cabinet lorsque j'étais ministre. Je ne doute pas de son respect pour le Parlement, mais la pratique des propositions de loi téléguidées par le gouvernement peut exister.

Les relations entre la puissante FFF et l'État se règlent souvent au plus haut sommet de l'État. Le monde du football a une place particulière dans le sport français. Vous nous le confirmerez peut-être, dans le respect de l'article 67.

L'Élysée aurait pris une part particulière dans le dossier CVC. Il semblerait que l'actuel Président de la République soit très intéressé par la question des droits TV dans le football. À la lecture des articles du Monde sur les négociations des droits TV pour 2024-2029, nous pouvons être interpellés, sinon inquiets. S'agissant des tractations avec l'Émir du Qatar, y êtes-vous d'une manière ou d'une autre associé ? L'accord avec CVC était supposé professionnaliser le secteur des droits TV, mais semble plutôt révéler un entre-soi, avec une intervention étatique qui nous paraît de plus en plus inappropriée. Partagez-vous ce sentiment ?

En écho à un article de La Lettre A sur CVC, paru le 23 mars 2022, partagez-vous cette affirmation : « L'entrée du géant CVC Capital Partners au capital de la nouvelle filiale commerciale de la Ligue de Football Professionnel a été arbitrée à l'Élysée. Le dossier préparé par les banques Centerview et Lazard a été agréé par le Secrétaire général de l'Élysée, en la personne d'Alexis Kohler ». Le confirmez-vous ?

Enfin, vous n'avez pas pu être entendu par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale concernant les fédérations sportives, l'Élysée s'y étant opposé. Pourquoi avons-nous le bénéfice de vous entendre ?

M. Cyril Mourin. - On ne peut pas ne pas répondre à une audition lorsque, informé des conditions dans lesquelles l'audition devait avoir lieu par mon directeur de cabinet, M. Lafon a souhaité la maintenir. Lorsque la présidente de la commission de l'Assemblée nationale a été informée des conditions de mon audition, elle a préféré ne pas la maintenir.

La Lettre A dit aujourd'hui que j'ai été appelé par M. Lafon sur les conditions de mon audition. Or il pourra vous confirmer que nous n'avons pas échangé à ce sujet.

L'État n'avait pas à donner d'avis sur le choix du fonds d'investissement.

M. Patrick Kanner. - Une démarche de correction de l'article a-t-elle été engagée ?

M. Cyril Mourin. - Si nous devions demander une correction chaque fois qu'une fausse information est publiée, nous y passerions beaucoup de temps. Je pense que le service de presse de l'Élysée a relayé notre étonnement. Nous n'avions ni la compétence ni le droit d'intervenir dans le choix du fonds retenu par la Ligue.

S'agissant du Qatar, je pense que le sujet des droits télévisuels justifie qu'un chef de l'État soit, en quelque sorte, le VRP des intérêts français, comme sur tout sujet économique. Chacun reste à sa place. Il n'y a donc pas de surmobilisation dont je puisse vous faire état.

Enfin, le rugby et le football bénéficient de la présence traditionnelle du chef de l'État notamment pour les matchs de finale du top 14. Ces sports très populaires justifient un intérêt, mais je crois qu'il y a là aussi beaucoup de fantasmes quant aux conséquences que certains en tirent.

M. Michel Savin, rapporteur. - L'ouvrage « Main basse sur l'argent du foot français » de Christophe Bouchet, vous désigne comme l'un des interlocuteurs privilégiés de Vincent Labrune sur ce dossier : « Plusieurs personnes seraient intervenues sur cette proposition de création de société commerciale, notamment le conseiller sport à l'Élysée. Certains conseillers incitent même la ministre des Sports à écouter une commande reçue d'en haut ». Confirmez-vous ces interventions et recommandations ?

M. Cyril Mourin. - L'avis de l'Élysée, de Matignon et des ministères sur ce sujet a été assez convergent. Je ne vois pas en quoi il y aurait eu un interventionnisme singulier de ma part.

M. Michel Savin, rapporteur. - Confirmez-vous qu'il n'y a pas eu de pression sur la ministre ?

M. Cyril Mourin. - Je vous le confirme.

M. Michel Savin, rapporteur. - Elle n'était pas présente au moment du vote.

M. Cyril Mourin. - Elle avait le Covid-19.

M. Michel Savin, rapporteur. - Avez-vous, à titre personnel, participé à l'écriture de l'amendement Roussel ?

M. Cyril Mourin. - Non. Nous pouvons avoir un avis sur les propositions de réécriture, mais nous ne prenons pas la plume. Mes collègues de Matignon et moi-même avons été informés des différentes versions de réécriture. Cet amendement faisait l'objet d'une attention parlementaire. Plusieurs sujets entourant cette création de société commerciale ont fait l'objet d'avis favorables du gouvernement. Donc il y avait une grande convergence de vues.

M. Michel Savin, rapporteur. - Il y avait des différences entre la proposition de l'Assemblée nationale et celle du Sénat sur le pourcentage susceptible d'être cédé à un fonds d'investissement ou encore sur l'hypothèse d'un droit de veto de la Fédération. Il n'y avait donc pas de convergence totale sur les garanties à mettre en place pour sécuriser le montage de l'opération.

M. Cyril Mourin. - Le Sénat, l'Assemblée, les ministères concernés, Matignon et l'Élysée ont plutôt soutenu cette initiative.

M. Laurent Lafon, président. - Est-ce que le soutien à l'initiative revient à soutenir le discours des responsables du football professionnel français, à savoir : nous avons besoin de la société commerciale pour répondre à une impasse financière et pour bénéficier de l'expertise d'un investisseur sur le plan de l'exploitation des droits commerciaux ?

M. Cyril Mourin. - Je pense que la Ligue a transmis des éléments pour justifier l'utilité de ce projet auprès des parlementaires et des ministères. La Ligue expliquait que l'objectif était aussi de professionnaliser le suivi des droits TV en le confiant à une structure tierce centrée sur l'intérêt général de la Ligue. Je disposais des mêmes arguments que vous pour justifier l'adoption de ce texte.

M. Laurent Lafon, président. - Pensez-vous que la création de cette société commerciale et le choix du partenaire étaient de bonnes décisions ?

M. Cyril Mourin. - Vous m'interrogez sur la pertinence du cadre juridique. Je pense que le Parlement a fait le nécessaire. Vous me permettrez de ne pas avoir d'avis sur le choix du fonds d'investissement.

M. Laurent Lafon, président. - Ma question ne portait pas sur le choix du partenaire, mais sur son apport technique, notamment dans l'amélioration des recettes issues des droits télévisés.

M. Cyril Mourin. - Les droits TV perçus par la société commerciale ne sont pas intégralement reversés aux clubs. Une partie est conservée pour un travail prospectif de la Ligue. Dans la presse, des acteurs s'étaient émus que la Ligue investisse peu dans le digital. Chez les créateurs de la société, il y a aussi l'idée de récupérer une partie des capitaux apportés par l'investisseur pour travailler à l'attractivité de la Ligue 1.

M. Laurent Lafon, président. - Deux ans après, estimez-vous que ces objectifs sont atteints ?

M. Cyril Mourin. - Je pense qu'il faut étudier la situation à plus long terme.

M. Adel Ziane. - Peut-être avez-vous un avis sur les modalités économiques du partenariat de la LFP avec un fonds d'investissement, c'est-à-dire des droits TV cédés pour 99 ans, avec un versement de 13 % à 20 % du chiffre d'affaires au fonds ?

Je voudrais aussi vous entendre sur cette professionnalisation de la recherche d'investisseurs et de potentiels diffuseurs, qui semble patiner du côté de la Ligue.

Enfin, nous avons compris que le président de la Ligue présidait également l'instance décisionnelle de la société commerciale. Comment les pouvoirs publics, les collectivités et les clubs pourront-ils faire valoir leurs intérêts dans ce cadre ?

M. Cyril Mourin. - Le rôle de l'État consiste à fixer le cadre législatif et réglementaire pour que les compétences régaliennes soient conservées dans les mains de la FFF et de la LFP, et que les stratégies commerciales des acteurs réunis au sein de la société ne viennent pas affecter l'intérêt général sportif. C'est sur ces sujets-là que l'État a un avis.

En tant que représentant de l'État, je ne suis pas censé avoir d'avis sur la stratégie de la Ligue en termes de droits audiovisuels. Le contrôle de l'État ne porte pas sur le pacte d'actionnaires. Quant aux modalités de rémunération du fonds d'investissement, l'État n'a pas à empiéter sur les responsabilités des clubs - qui ont accepté cette proposition.

M. Adel Ziane. - Le président de la Ligue, Vincent Labrune, est aussi président de la société commerciale. La LFP a une subdélégation de la FFF, qui implique un suivi, par les pouvoirs publics, de l'action menée par la LFP. 5 % des droits télévisés doivent être reversés au football amateur. Ne pensez-vous pas que ce fonctionnement bicéphale pourrait, à terme, nuire au football français ?

M. Cyril Mourin. - Le fait que le titulaire de la subdélégation soit également présent dans la société commerciale me semble être une manière d'éviter que les intérêts commerciaux viennent grever la subdélégation.

M. Michel Savin, rapporteur. - Vous dites que vous avez des avis à donner sur l'intérêt général sportif. Connaissez-vous les règles de choix du futur président de la société commerciale ?

M. Cyril Mourin. - Je ne les connais pas précisément.

M. Michel Savin, rapporteur. - Savez-vous que CVC possède un droit de veto lui permettant de choisir quelqu'un d'autre qu'un représentant de la Ligue à la tête de la société commerciale ?

M. Cyril Mourin. - J'entends vos remarques.

M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce que l'État a assumé son rôle de contrôle de l'intérêt général du sport sur le choix du président et la répartition des droits TV ?

Pensez-vous que les contrôles de la FFF, du ministère ou de l'État ont été défaillants par rapport à la répartition de l'apport de CVC qui prévoit qu'un club bénéficie de plus de 200 millions d'euros de revenus, tandis que d'autres ne perçoivent que 33 millions d'euros ?

M. Cyril Mourin. - À titre personnel, je reste convaincu que l'un des grands enjeux du sport professionnel est de maintenir une rivalité sportive qui attire les spectateurs. S'agissant de la société commerciale, il m'est difficile de considérer qu'une répartition votée à l'unanimité des clubs soit totalement anormale. L'État n'a pas participé aux discussions. Son intérêt est de s'assurer que le cadre législatif et réglementaire est respecté ; que les clubs sont mis en situation de prendre leurs décisions de manière éclairée. J'ai le sentiment que le cadre a été respecté, et je pense que les arguments avancés à l'appui de cette répartition ont été suffisamment convaincants pour que les clubs la suivent.

M. Michel Savin, rapporteur. - Des clubs nous ont dit que cette décision avait été prise sous la pression du président de la Ligue.

M. Cyril Mourin. - Je pense qu'il est important que la Ligue soit dotée d'une gouvernance qui lui fasse honneur. Depuis plusieurs mois, il y a plutôt une forme de consensus - à défaut d'une unanimité. La décision semble rassembler une large majorité des clubs concernés.

M. Laurent Lafon, président. - Nous comprenons que la surveillance du respect de l'intérêt général passe par le contrôle des statuts de la société commerciale. Avez-vous eu connaissance du pacte d'actionnaires ?

M. Cyril Mourin. - Je n'ai pas eu à en connaître et il m'a semblé que la ministre n'en avait pas eu connaissance non plus.

M. Michel Savin, rapporteur. - Est-ce une faute de la part de l'État ?

M. Cyril Mourin. - Il est normal que nous vérifiions que la loi est respectée dans les statuts. L'on ne peut pas imaginer que les règles statutaires n'aient pas été respectées par le pacte d'actionnaires.

M. Laurent Lafon, président. - Le fait que le représentant de la Ligue, au sein de la société commerciale, soit choisi conjointement par les représentants de CVC et la Ligue ne pose-t-il pas problème ?

M. Cyril Mourin. - Il convient de se référer aux statuts de la société commerciale et de la Ligue.

M. Laurent Lafon, président. - Cette clause figure dans le pacte d'actionnaires.

M. Cyril Mourin. - Je ne crois pas que le pacte d'actionnaires soit contraire aux statuts, mais je ne les connais pas suffisamment pour vous répondre.

M. Michel Savin, rapporteur. - Pensez-vous que CVC apportera en termes de droits commerciaux les montants annoncés lors de son arrivée ?

M. Cyril Mourin. - Je n'ai pas d'information particulière à vous donner sur les négociations que mène la Ligue à l'heure actuelle.

Il m'est difficile de tirer un bilan à deux ans de l'arrivée d'un fonds d'investissement dans la Ligue. Soit la valorisation de la Ligue est trop forte, car les droits TV vont baisser, auquel cas les clubs sont gagnants. Soit les droits vont augmenter fortement, auquel cas les clubs pourraient regretter la perte de 13 % d'une somme sous-estimée à l'origine. Dès lors que vous percevez plus de 13 % de la valorisation de vos droits, vous atteignez une forme de rentabilité.

Il est difficile de juger de l'apport de CVC dès lors que la négociation n'est pas achevée, et difficile de connaître le rôle des acteurs nouveaux dans cette négociation.

M. Michel Savin, rapporteur. - Le fonds ne risque rien. Si les droits TV ne sont pas à la hauteur des espérances, les clubs seront les grands perdants.

Nous lisons dans la presse que la Ligue réfléchit à la création d'une chaîne pour diffuser la Ligue 1. En avez-vous été informé ?

M. Cyril Mourin. - Nous sommes informés de cette réflexion, mais il serait plus simple d'interroger la Ligue.

M. Michel Savin, rapporteur. - La négociation des droits de la Ligue 1 a été marquée par des difficultés entre la Ligue et Canal+. Quel est votre avis sur la situation de Canal+ et ses relations avec la Ligue ? Est-il possible d'envisager le football français sans Canal+ ?

M. Cyril Mourin. - Canal+ a peut-être constaté que le prix proposé pour la Ligue 1 était au-delà de son niveau de rentabilité, et décidé de développer une autre stratégie pour préserver son parc d'abonnés. Même si je ne mésestime pas l'impact des éventuelles tensions, je pense que les acteurs ont des approches rationnelles.

M. Laurent Lafon, président. - Quand le Président de la Ligue évoque des recettes largement en deçà du milliard, quel est le point de vue de l'État ?

M. Cyril Mourin. - Nous sommes vigilants à ce que le secteur soit économiquement soutenable et à ce que les projections soient rationnelles. Le milliard que vous évoquez intègre différentes ressources ayant connu des augmentations notables. Il inclut également les droits TV à l'étranger, dont les projections sont rassurantes.

M. Laurent Lafon, président. - Pensez-vous toujours que nous parviendrons à 1 milliard d'euros pour le financement du football professionnel ?

M. Cyril Mourin. - Étant d'un naturel optimiste, je pense que cet objectif est atteignable.

M. Adel Ziane. - Un football à quatre vitesses se dessine à travers cette nouvelle répartition des droits TV. Le président de la DNCG a demandé aux clubs d'élaborer un scénario à droits audiovisuels constants et un scénario « crash » à -20 %. Les clubs du haut du tableau risquent d'avoir un impact fort sur le modèle et l'équilibre économique des clubs français. J'en veux pour preuve le RC Lens, qui a annoncé une vente de 100 millions d'euros de ses joueurs pour équilibrer son budget. Les meilleurs joueurs sont appelés à partir, avec pour conséquence un affaiblissement du niveau du club et du championnat français.

M. Cyril Mourin. - Le rôle de la DNCG dans le contrôle des fonds des clubs et des fonds d'investissement est un élément fondamental qui concourt à la soutenabilité financière du football français.

Je pense que la stratégie déployée par la Ligue (investir plus sur les résultats européens, réduire le nombre de clubs) est plutôt utile. La loi de 2016 encourageant les clubs à acquérir la propriété de leur stade, ainsi que la question du lien entre l'association sportive et la société sportive, ou encore celle du premier contrat professionnel, concourent à construire un modèle sportif français moins dépendant des « actifs mobiliers » que sont les joueurs, et investissant davantage sur des actifs immobiliers (centres de formation et stades). J'espère que les fonds de CVC seront orientés vers des dépenses d'intérêt général de cette nature. Tout l'enjeu est de réduire l'exposition au risque de nos clubs. Enfin, je suis heureux que l'UEFA et la FIFA entendent se saisir de la question de la multipropriété des clubs.

M. Michel Savin, rapporteur. - Quelle est votre vision des clubs français détenus en partie par des structures étrangères ? La présence du même fonds d'investissement dans plusieurs ligues ne fait-elle pas peser le risque d'une ligue fermée ? Des discussions ont-elles lieu au sein des différents ministères et avec vos collègues au niveau européen à ce sujet ?

M. Cyril Mourin. - Je vous confirme - sous l'égide de la ministre Amélie Oudéa-Castéra - que nous portons une parole sur ces sujets au niveau européen. Pour protéger le modèle pyramidal du sport, il faut préserver le principe des compétitions ouvertes et la solidarité entre sport professionnel et sport amateur. Le projet de Super Ligue a été contesté par la France, qui a exprimé son inquiétude.

M. Laurent Lafon, président. - Si l'un des clubs français acceptait d'entrer dans une ligue fermée, quel serait votre pouvoir de blocage ?

M. Cyril Mourin. - Ce club pourrait être exclu du championnat national et aurait plus de difficulté à accéder aux stades et aux centres de formation. De mon point de vue, le projet de ligue fermée n'est pas viable et ne correspond pas à la culture européenne. À titre de comparaison, les acteurs de la Super Ligue voudraient la NBA, mais sans la « draft » : pas de régulation financière, pas d'encadrement... Tout le charme de la Ligue des Champions tient à l'incertitude de la remporter.

M. Michel Savin, rapporteur. - Nous voyons bien que la multipropriété entraîne une porosité entre les clubs, qui se prêtent les joueurs. Ce manque de visibilité sur la réalité budgétaire peut mettre en difficulté l'équité des championnats. L'État examine-t-il cet aspect ?

M. Cyril Mourin. - Ces sujets sont regardés. J'en ai appelé à l'action de l'UEFA et de la FIFA. L'UEFA essaie de valoriser de manière objective ces situations, mais ce n'est probablement pas évident. Il est nécessaire de fixer un cadre pour contrôler les éléments de multipropriété.

Lors de l'élaboration du décret d'application de la loi de 2022, nous avons été attentifs à ce que les actionnaires de clubs ou de diffuseurs ne puissent être présents dans l'actionnariat de la société commerciale de la LFP afin d'éviter les conflits d'intérêts.

M. Laurent Lafon, président. - En l'absence de question supplémentaire, il nous reste à vous remercier, M. Mourin, des réponses que vous nous avez apportées.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.

La réunion est close à 18 heures.

Jeudi 6 juin 2024

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Mission d'information sur les modalités de formation et la place des enseignants - Examen du rapport et vote sur les recommandations

M. Laurent Lafon, président. - Après les discussions que nous avons eues hier sur deux propositions de loi importantes, nous abordons aujourd'hui un point tout aussi essentiel : la conclusion de la mission d'information, créée voilà plusieurs mois, sur la formation des enseignants. Les rapporteurs en sont Annick Billon et Max Brisson.

Je leur laisse la parole afin qu'ils présentent leur rapport et leurs propositions.

M. Max Brisson, rapporteur. - Je remercie tous les commissaires présents ce matin durant cette semaine particulièrement chargée. Je salue également celles et ceux d'entre vous qui ont assisté aux auditions.

Nous avons décidé de coller à l'actualité. Au départ, cette mission portait sur la formation et la place des professeurs dans le système éducatif. Toutefois, certaines déclarations du Président de la République, du Premier ministre, de la ministre de l'éducation nationale nous ont conduits à recentrer nos travaux sur la formation. D'autant que de nouvelles annonces pourraient avoir lieu très bientôt...

Je rappellerai que de nombreuses réformes se sont succédé sur le sujet - je ne reviendrai pas sur nos débats d'hier et sur les expressions de « récurrence » et d'« obsession » -, ce qui prouve qu'aucune n'a permis de répondre aux attentes des professeurs et de la société en matière de formation des professeurs.

Plusieurs raisons expliquent cette situation.

Tout d'abord, cela est dû à l'organisation de la formation des professeurs. Si sa durée, de cinq ans, est comparable à celle qui a été constatée dans la plupart des autres pays européens, la familiarisation au futur métier commence très tardivement. Cela se caractérise en France par l'absence d'un cursus dédié dès la première année de licence.

Alors que le métier de professeur des écoles nécessite des connaissances dans des domaines variés, il existe très peu de licences pluridisciplinaires dans notre système universitaire. Aussi, au moment du choix de leur orientation postbac, nombre de bacheliers candidats au métier de professeur des écoles se retrouvent sans repère.

Cela est d'autant plus paradoxal que le métier d'enseignant reste un métier de vocation. Selon une étude du Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco), 60 % des étudiants envisageant de devenir enseignant auraient fait ce choix avant même de passer le baccalauréat. L'absence de voies dédiées peut les conduire à choisir au final un autre métier ou à se tromper d'orientation, optant pour une licence mal adaptée les conduisant à un échec.

Par ailleurs, nous sommes l'un des rares pays européens à avoir adopté un modèle dit « consécutif ». Les premières années se focalisent sur la formation académique ou théorique. La formation didactique et pratique n'intervient qu'en deuxième partie de formation. C'est seulement au moment du master - au plus tôt - que les étudiants sont confrontés à la réalité du métier d'enseignant. Ces deux temps de formation, théorique puis pratique, sont pratiquement hermétiques.

Enfin, le master de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF) créé en 2013 n'a pas obtenu les résultats escomptés. À peine 50 % des lauréats du concours de professorat des écoles en sont issus.

Cette dichotomie entre la formation théorique et la formation professionnelle peut aussi expliquer les difficultés rencontrées. Et aucune réforme n'a été jusqu'au bout sur ce sujet.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Le constat est sans appel sur les faiblesses de cette formation : près de 30 % des professeurs des écoles stagiaires n'ont jamais réalisé de stages d'observation au sein d'une classe avant leur prise de poste. Plus de 50 % des enseignants français expriment un manque de préparation s'agissant de la pédagogie et des pratiques de classe à l'issue de leur formation. Ils entrent dans le métier sans immersion suffisante ou satisfaisante.

Cette formation initiale inadaptée s'ajoute à un bizutage institutionnel dans la nomination lors des premiers postes. Ce sont autant de raisons qui poussent de plus en plus de jeunes enseignants à abandonner rapidement l'éducation nationale : près de la moitié des départs volontaires - démissions ou ruptures conventionnelles - ont lieu pendant les six premières années. Aujourd'hui, 28 % des enseignants stagiaires ne se projettent pas dans leur métier à plus de cinq ans.

Il existe ainsi un consensus de l'ensemble des acteurs, y compris des syndicats enseignants, sur les constats et la nécessité de revoir la formation initiale des professeurs.

L'annonce faite par le Président de la République le 5 avril dernier, en marge d'un déplacement dans une école, a pris tout le monde de court - y compris nous-mêmes : les syndicats tout d'abord, puisque la dernière réunion de travail datait d'octobre, les universités et les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), mais aussi les services du ministère. D'ailleurs, les textes de mise en oeuvre de la réforme qui doivent entrer partiellement en vigueur dès la rentrée 2024 ne sont pas prêts. C'est au compte-gouttes à travers des pré-projets de texte qui sortent dans la presse que la réforme se dessine avec beaucoup d'hésitations, de flous et de questionnements.

Dans ce contexte d'accélération du calendrier, nous avons fait deux choix : d'une part, celui de recentrer nos travaux sur la formation des enseignants - la portée de notre mission était initialement plus large -, et, d'autre part, de prendre comme point de départ de nos réflexions, les pistes lancées par le Président de la République.

Notre rapport peut être résumé ainsi : comment préciser et améliorer le projet du Gouvernement afin que celui-ci ne soit pas une énième tentative sans réelle amélioration pour notre école ?

M. Max Brisson, rapporteur. - Comment réagir au projet gouvernemental qui n'est pas totalement finalisé, mais à partir duquel nous disposons de quelques lignes essentielles ?

Ce projet du Gouvernement s'articule autour de trois axes.

Premièrement, il est prévu de créer une licence dédiée à la préparation des concours du professorat des écoles.

Deuxièmement, dès la session 2025 est envisagé un déplacement des concours de professeurs du premier et du second degrés, à l'exception de l'agrégation, à la fin de la licence et non plus du master. Le concours interviendra donc en L3.

Troisièmement, seront mises en place deux années de master professionnalisantes au sein d'écoles nationales du professorat, rémunérées à hauteur de 900 euros mensuels en première année - il s'agira d'élèves professeurs - et de 1 800 euros mensuels en deuxième année - pour les fonctionnaires stagiaires ; ce dernier statut est un point important.

À l'issue des discussions et des auditions que nous avons menées, nous pouvons dire que cette réforme va dans le bon sens. Toutefois, pour qu'elle soit réussie, il est indispensable de l'inscrire dans un continuum. Le métier de professeur ne peut être acquis en deux ans ; la formation doit être étalée dans le temps. Elle commencerait par une sensibilisation avant la licence aux réalités du métier en formation postbac. Puis, elle s'intensifierait dans les deux années du master complétées par une période d'approfondissement durant les trois premières années de titularisation par la formation continuée. Enfin, elle se poursuivrait tout au long de la carrière de l'enseignant en formation continue.

Tout d'abord, il nous semble essentiel de mettre à profit les trois années de licence pour une meilleure sensibilisation et confrontation au métier d'enseignant. Pour le premier degré, nous recommandons de prévoir des stages obligatoires, tant en maternelle qu'en élémentaire lors des trois années de la nouvelle licence de professorat des écoles, si possible dans des classes à plusieurs niveaux en zone rurale et dans des classes situées en réseau d'éducation prioritaire (REP). Ces stages doivent refléter la diversité des situations dans lesquelles un professeur du premier degré est amené à exercer.

Pour le second degré, il n'y aura pas de licence dédiée ; le Gouvernement ne l'a pas prévu. Nous proposons de s'appuyer sur des unités d'enseignement spécifiques élaborées dans le cadre des licences disciplinaires classiques et de favoriser l'organisation de stages courts, filés : par exemple, une demi- journée par semaine sur une partie du semestre, afin d'aider à une prise de conscience sur le fonctionnement du système éducatif et les attendus du métier.

Par ailleurs, il nous semble important de tirer les conséquences d'un concours positionné à bac+3.

Des projets de programme de concours commencent à circuler : le positionnement du concours à bac+3 au lieu de bac+5 pour le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes), le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique (Capet) et le concours d'accès au corps des professeurs de lycée professionnel (CAPLP) entraîne mécaniquement une formation disciplinaire plus courte. Cela risque de poser des difficultés pour des professeurs appelés à enseigner en classes terminales ou en classes postbac. C'est pourquoi il nous semble indispensable de prévoir dans la maquette de formation post-concours, en master, des modules disciplinaires d'approfondissement, en parallèle des modules de formation professionnelle. Par ailleurs, il est nécessaire d'engager une véritable réflexion - c'est un serpent de mer - sur l'affectation des agrégés. Nous recommandons qu'à terme ils soient affectés en classes de terminale. Quoi qu'il en soit, le concours s'effectuera à bac+5 après le master, tandis que la certification des professeurs aura lieu au niveau de la licence. C'est le choix du Gouvernement, et il nous faut en tirer des conclusions.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Deuxième axe qui nous semble important : il s'agit de garantir une formation de qualité pour tous les lauréats des concours. Le ministère nous a indiqué qu'un lauréat du futur concours titulaire d'un master 2 ne bénéficierait que d'une année de formation.

Pour nous, s'il n'a aucune expérience professionnelle dans le domaine de l'éducation, il est impératif qu'il suive le même parcours de formation qu'un étudiant de L3, soit deux ans de formation post-concours.

Nous avons également une attention particulière pour les lauréats des concours en reconversion professionnelle. Les secondes carrières sont un atout pour l'éducation nationale. Dans certaines académies, elles peuvent représenter jusqu'à la moitié des lauréats du concours de professeur des écoles.

Or un nombre significatif d'entre eux n'ont aucune expérience professionnelle dans le domaine de l'enseignement. Nous estimons qu'ils doivent également suivre les deux années de formation du master. Nous sommes toutefois conscients que cet allongement de la formation peut conduire à un décrochage salarial important. C'est pourquoi nous proposons la mise en place d'une compensation financière permettant de couvrir partiellement ce décrochage.

Un autre point essentiel pour une formation initiale de qualité est de sécuriser le temps de formation par rapport à la mise en responsabilité devant élèves.

Selon les informations qui nous ont été transmises, en deuxième année de master, les lauréats devraient être en responsabilité devant une classe à 50 % de leur temps. Ce ratio théorie/pratique en deuxième année est identique au schéma actuel. Or il conduit l'étudiant de M2 - futur professeur stagiaire dans le projet de réforme - à sacrifier son temps de formation théorique pour préparer ses classes et cours. Pour nous, le rapport idéal entre théorie et pratique doit être de deux tiers-un tiers pendant les deux années de master.

M. Max Brisson, rapporteur. - Cette recommandation me semble importante, sinon l'on se heurtera aux mêmes erreurs d'une formation professionnalisante considérée comme secondaire par rapport à la prise en charge des classes. C'est l'un des échecs du régime actuel.

Troisième axe de notre réflexion : la formation des enseignants doit être pensée sur huit ans. Nous avons repris l'expression de l'« internat », comme en médecine.

Nous soutenons une position constante de notre commission, à savoir une formation continuée obligatoire dans les trois premières années de la titularisation, dans laquelle se poursuit la formation initiale et qui permet à celle-ci de s'appuyer sur un temps plus long pour être mieux organisée et approfondie.

Le rapport Filâtre le soulignait déjà en 2018 : « La formation initiale ne peut pas donner au futur enseignant toutes les connaissances et toutes les compétences nécessaires à l'enseignement confirmé. À vouloir tout mettre dans les programmes, on nuit considérablement à la qualité de la formation. » C'est la concentration des exigences sur un temps très court qui explique notamment l'échec de la formation et des différentes réformes qui se sont succédé. C'est pourquoi nous proposons de penser la formation de la première année de master jusqu'à la troisième année de titularisation. Cela entraîne deux conséquences majeures.

D'une part, les jeunes enseignants doivent bénéficier de journées banalisées dans leur emploi du temps - 10 jours en première année, soit un par mois puis 5 et 3 jours - connues à l'avance et communes à l'échelle du département ou de la circonscription, afin de finaliser leurs formations initiales.

D'autre part, si la formation est pensée comme un continuum entre le master et les trois premières années en poste, il est nécessaire d'avoir une unité de lieu pendant ces cinq ans. Il s'agirait d'une nouveauté majeure pour le second degré.

Deux voies pourraient être envisageables sur ce sujet potentiellement polémique : une régionalisation des concours du second degré - la ministre a indiqué être ouverte à cette proposition -, ou le maintien d'un concours national avec la formulation de voeux académiques et une affectation dans les écoles de formation en fonction d'un classement national, pratique déjà en cours dans de nombreux concours de la fonction publique. Le modèle de l'internat de médecine est relativement similaire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Le quatrième axe pour garantir une formation de qualité est le renforcement de la formation continue. Nous avons déjà évoqué ce sujet à de nombreuses reprises. L'inscription dans la loi de l'obligation de formation continue en 2019 est restée un objectif purement déclaratoire sans portée réelle. Pire, les taux de sous-consommation des crédits de formation atteignent une envergure inédite : près des deux tiers de ces crédits n'ont pas été consommés en 2023, au point d'être devenus pour le ministère une réserve budgétaire.

Nous proposons d'inclure, dans les ordres réglementaires du service des enseignants du second degré, 18 heures annuelles au titre de la formation continue, comme c'est le cas pour leurs collègues du premier degré. Celles-ci devraient être prises en compte dans le déroulement de carrière.

Là encore, une mobilisation importante du ministère est nécessaire, notamment sur les contenus. Un récent rapport d'inspection dénonçait des formations pensées pour « un professeur virtuel, peu ancré dans le vécu professionnel, qui au final ne s'adresse à personne ».

Cela implique également pour le ministère de reconnaître l'existence de formations organisées en dehors de celles qu'il propose : je pense par exemple aux formations dispensées par des sociétés savantes, des syndicats ou encore des associations d'enseignants disciplinaires.

M. Max Brisson, rapporteur. - Ces formations existent et sont souvent suivies par les enseignants, sans être validées ou valorisées. Les formations dispensées par les associations de spécialistes sont pourtant particulièrement pertinentes et favorisent des rencontres avec le monde universitaire.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Nous pourrions envisager un système de labellisation ou de conventions.

M. Max Brisson, rapporteur. - Enfin, il nous semble indispensable de renforcer le lien organique liant le ministère de l'éducation nationale et les organismes de formation initiale des professeurs. Le ministère de l'éducation nationale doit en effet pouvoir exercer un contrôle spécifique sur ces organismes qui, je le répète, accueilleront en deuxième année des fonctionnaires stagiaires. Après tout, l'État employeur peut exprimer des exigences vis-à-vis de ceux qui sont appelés à le servir ensuite. Voilà pourquoi nous souhaitons, en plaçant les Inspé sous l'autorité des recteurs, que le ministère contrôle la nomination du président de cette instance et le recrutement des intervenants. Bien évidemment, les universités resteront associées à ces écoles, par convention, en particulier pour la délivrance des masters.

L'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (Igésr) doit également être davantage sollicitée. Elle a vocation à piloter et à assurer la cohérence nationale de l'enseignement, il lui reviendrait aussi de veiller à la cohérence de la formation des futurs professeurs. Actuellement, son rôle se limite principalement, dans l'enseignement supérieur, à des enquêtes administratives liées à des dysfonctionnements.

En raison du rôle spécifique des écoles nationales supérieures du professorat (ENSP) dans la formation des futurs enseignants et du statut particulier des étudiants fonctionnaires, l'inspection générale doit pouvoir procéder à des missions d'évaluation, d'expertise, de contrôle et d'appui, au sein des ENSP et auprès de leurs intervenants. Le volet pédagogique doit également être concerné.

Mme Annick Billon, rapporteure. - L'ensemble de ces réflexions nous a conduits à formuler 13 recommandations que nous vous avons en grande partie déjà présentées.

L'inscription de la formation des enseignants dans un parcours pensé sur le temps long et abordant conjointement théorie et pratique est le gage d'une formation de qualité. Il est en effet urgent de sortir de l'illusion selon laquelle un enseignant peut être formé en deux années.

M. Laurent Lafon, président. - Votre démarche est d'autant plus intéressante que l'État peut modifier la formation des enseignants sans recourir à la loi. De ce point de vue, il paraît pertinent de formuler des propositions avant que le Gouvernement ne décline concrètement les annonces du Président de la République. C'est une bonne manière de se placer en interlocuteur du ministère sur ce sujet.

Mme Laure Darcos. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail. En préalable, je rappelle que le déficit de candidats persiste : au niveau de mon rectorat, plus de la moitié des postes de professeurs à pourvoir ne seront pas pourvus, alors même que les candidats qui se présentent aux épreuves d'admissibilité seront tous reçus, quel que soit leur niveau.

S'agissant des mathématiques, un cercle vicieux est enclenché : ceux qui se présenteront au concours dans les prochaines années n'auront pas suivi cette discipline dans le tronc commun de première et de terminale. Quid d'un renforcement de l'enseignement de cette matière ?

Au-delà d'un programme de formation que nous avons tendance à alourdir en y ajoutant des sujets variés tels que la sexualité ou l'environnement, les stagiaires de cette année et de l'année dernière s'interrogent : présents toute la semaine en classe, leurs formations sont organisées le mercredi après-midi et les week-ends, d'où des emplois du temps extrêmement chargés.

Enfin, si je suis favorable à la régionalisation, je souhaite m'assurer qu'aucun Inspé ne disparaisse et qu'un maillage territorial équitable soit maintenu dans toutes les académies.

Mme Colombe Brossel. - L'amélioration et la stabilisation de la formation sont nécessaires après un empilement de réformes qui a pu désorienter les jeunes étudiants souhaitant s'engager dans le métier de professeur. Les propositions des rapporteurs sont intéressantes, même si je soulèverai certains points de désaccord.

Parmi les points positifs, favoriser la confrontation avec le métier d'enseignant au travers de stages et de rencontres diverses nous semble intéressant dès lors que ces moments sont organisés sur le temps de travail. De la même manière, nous souscrivons à l'objectif d'une formation de qualité pendant les deux années de master et nous sommes plutôt favorables à l'avancement du concours à la fin de la troisième année de licence. La manière dont vous en tirer les conséquences est intéressante.

Sans prétendre définir scientifiquement la répartition du temps des enseignants, le fait est que 50 % de formation et 50 % de présence devant les élèves ne nous paraît pas être le bon équilibre. Telle pourrait être la proposition du Gouvernement, qui semble avoir d'autres préoccupations, notamment budgétaires. Le ratio de temps que vous proposez nous semble plus adapté pour mieux former et mieux fidéliser les enseignants.

J'ai été frappée, au cours des auditions, par des paroles très fortes sur le fait que l'éducation nationale, en tant qu'employeur, serait « maltraitante » avec les jeunes arrivants dans le métier. Je crois que c'est vrai, et penser la formation - comme vous l'avez fait en pensant une formation continuée particulièrement séduisante - est une démarche très positive.

En revanche, nous sommes fortement opposés à la régionalisation des concours. Nous sommes déjà confrontés à de sérieuses difficultés d'affectations et à un déficit de candidats tel qu'une proposition de ce type pourrait de facto mettre fin à la solidarité nationale. Compte tenu de la situation dramatique dans certaines académies - à commencer par Versailles et Créteil -, cette régionalisation n'est pas envisageable.

Je souscris, cependant, à l'attention portée par Annick Billon à la formation continue, même si je doute que ses propositions soient reprises par le Gouvernement. Néanmoins, je ne suis pas sûre que d'avoir voulu sortir la formation du temps de travail ait contribué à son suivi par les enseignants.

La réelle ligne rouge a trait à vos trois dernières propositions. Bien évidemment, votre proposition ne vise nullement à jeter l'opprobre sur la capacité des universités à proposer des parcours de qualité et des formations à des personnes venant parfois d'horizons très différents. Mais je ne pense pas que la bonne solution consiste à redonner un pouvoir de tutelle au ministère de l'éducation nationale, y compris sur les nominations.

Certes, l'éducation nationale a, en tant qu'employeur, la responsabilité de la formation de ses salariés - de ses agents, en l'espèce - et doit pouvoir veiller à l'organiser, d'autant plus qu'aucune autre administration ne délègue à ce point cette tâche à d'autres : la justice et la police disposent, en comparaison, de leurs propres écoles. Je note cependant que le mouvement à l'oeuvre dans ces secteurs, en termes de formation initiale, tend à s'orienter davantage vers l'université, afin de renforcer la formation et de mieux fidéliser les personnels. Je doute donc que l'évolution que vous proposez, au-delà d'une question de principe sur la place des universités, soit gage d'une plus grande efficacité.

M. Bernard Fialaire. - Ce rapport nous fournit l'opportunité de rappeler que l'enseignement moral et civique (EMC) n'est pas une matière secondaire, mais qu'il doit au contraire redevenir une composante prioritaire de la formation des enseignants. À l'occasion des travaux autour de la proposition de loi tendant à renforcer la culture citoyenne et de la mission d'information consacrée à l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, nous n'avons pu que constater les conséquences des insuffisances de cet enseignement.

Par ailleurs, l'université n'est pas nécessairement la structure la plus efficace pour favoriser les nécessaires brassages culturels : ma propre expérience d'étudiant en médecine m'a permis de constater que nous ne rencontrions guère les étudiants d'autres filières.

M. Gérard Lahellec. - Merci aux rapporteurs pour cette excellente initiative qui permet de préparer le travail en amont plutôt qu'en réaction. Pour ce qui est de la première partie, vos préconisations me semblent aller dans le bon sens.

Je m'interroge quant aux liens avec les organismes de formation : ne conviendrait-il pas de permettre aux universités de mieux gérer leurs contenus pédagogiques ? Dépositaires d'un certain nombre de responsabilités, elles ne sont en effet pas en mesure de gérer ces contenus, ce qui ne les place pas dans une situation optimale pour répondre aux besoins de formation.

M. Cédric Vial. - L'éducation nationale est au coeur de toutes les problématiques de notre société, d'où l'attention portée à l'enjeu de la formation des enseignants. Pour autant, toute évolution de cette formation est sensible et les responsables politiques peinent à s'emparer du sujet. Je pense pourtant qu'il convient de s'y attaquer afin de modifier le système et d'atteindre les résultats que la société attend de la part du ministère de l'éducation nationale.

Les propositions avancées sont à la fois audacieuses et pertinentes. Nous avons déjà expérimenté le recours à la formation universitaire et j'estime qu'il est temps d'en tirer les conclusions afin d'aller vers un système qui place l'expérience de l'enseignant au coeur du dispositif, sans négliger sa formation académique. L'autre chantier renvoie d'ailleurs à la formation des formateurs, qu'il ne faudra pas négliger. Le groupe Les Républicains soutiendra les propositions des rapporteurs, que je remercie.

Mme Annick Billon, rapporteure. - Merci pour vos remarques.

Concernant la charge de la formation et les matières enseignées, notre référentiel de formation étalé sur cinq ans prévoit des modules adaptés lorsque les enseignants sont en poste. Notre solution permet de rencontrer et non de « confronter » le métier et les situations d'enseignement, et d'assurer une formation continuée et continue dans le métier.

Rendre la formation attractive et éviter de voir des personnes se détourner du métier durant les cinq premières années constitue une première réponse au déficit de candidats.

Sur le concours à bac+3, nous sommes tous d'accord sur le constat. Nous pourrons nous retrouver sur un modèle permettant d'assurer une meilleure formation, de base et continue, et de faire en sorte que les personnes formées resteront dans la profession.

Nous nous doutions que la régionalisation du concours ne serait pas une proposition partagée par tous. Aucune étude d'impact n'a démontré les conséquences sur telle ou telle académie. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de mettre en avant la réussite à un concours. Le mélange entre un concours national et le classement est adapté, pour mettre en avant les talents et donner le choix par rapport à un travail et des résultats.

Sur les relations avec l'université et l'agilité, il peut y avoir des compétences hors les murs. Utiliser ces compétences peut être une richesse supplémentaire, en prévoyant des formations labellisées par l'éducation nationale, et qui permettraient d'éviter aux enseignants d'être « sclérosés » dans un milieu. Les compétences doivent pouvoir évoluer.

Nous savions qu'il y aurait un désaccord sur la gouvernance.

La recommandation n° 10 prend en compte la formation pour le déroulement de carrière. L'obligation doit induire une compensation, ce que nous prévoyons.

M. Max Brisson, rapporteur. - Les professeurs formateurs sont un sujet essentiel. Il y a quelques années, j'avais souhaité qu'il n'y ait aucun professeur permanent dans les Inspé et que tous continuent d'enseigner dans les classes en même temps.

On ne peut envisager des formateurs dans les Inspé en dehors des disciplines universitaires pour ce qui a trait au contenu disciplinaire. Mais en matière de didactique, il faut obligatoirement que les professeurs formateurs soient en contact avec des élèves - ou ne soient pas restés trop longtemps sans être devant eux - pour ne pas rester dans la théorie, mais être dans le transfert de méthodes didactiques.

Madame Darcos, nous ne proposons qu'une réponse parmi d'autres pour renforcer l'attractivité du métier.

La maltraitance des jeunes professeurs, que je qualifiais auparavant de « bizutage institutionnel », est un point central des problèmes d'attractivité, parmi d'autres comme la rémunération. Nous proposons de réduire fortement ce bizutage, en créant une unité de lieu et de formation pour l'insertion professionnelle. Cela stabiliserait l'entrée dans le métier. C'est parce que l'entrée dans le métier est manquée qu'il y a beaucoup de démissions. L'accompagnement et l'installation dans le métier sont des sujets dont le ministère de l'éducation nationale doit se préoccuper.

Nous commençons à avoir des problèmes d'attractivité dans tous les départements, y compris dans le mien. Cela va s'accroître, puisque 300 000 professeurs en exercice vont partir prochainement à la retraite.

Il faut trouver des solutions urgentes pour augmenter l'attractivité. Nous avons fait des propositions sur le volet formation. Je crois beaucoup à l'accompagnement et à l'unité de lieu dans la formation et l'entrée dans le métier.

Comme Laure Darcos et d'autres, j'ai défendu la régionalisation du concours dans le second degré. Il est déjà régionalisé dans le premier degré, sans que la République en ait été ébranlée. Notre proposition de concours national avec classement est une solution intermédiaire qui peut apaiser les craintes. Vous évoquiez les académies de Créteil et Versailles. La solution, c'est la région académique. Dans celle-ci, il y a Paris, qui est très attractif. Chaque région académique comporte des territoires attractifs. La région académique peut être une réponse à la régionalisation des concours, mais le concours peut demeurer national avec un classement lié aux résultats. Cela s'inscrit dans la tradition républicaine du concours national avec affectation en fonction de ses voeux et du classement. Cela mérite un débat permettant de sortir des postures dogmatiques.

Précédemment, nous avons tous géré la réforme de la formation des professeurs par la place du concours - que ce soit au moment de la réforme Darcos-Chatel ou lors des réformes socialistes - et avec des déterminants également financiers. Il faut entrer dans une approche en continuum de la formation.

Il faut parvenir à un équilibre de la gouvernance. Il y a trente ans, l'éducation nationale était maître chez elle avec les écoles normales et les centres pédagogiques régionaux (CPR). Actuellement, le ministre a beaucoup de mal à se faire entendre, conséquence de l'échec de la réforme Blanquer.

Il faut jeter un pavé dans la mare pour revenir au moins à un certain équilibre. Le fait que ce soit des fonctionnaires stagiaires est un élément déterminant. Certes, la liberté académique est essentielle, mais l'État, qui forme les professeurs, peut formuler ses attentes et déterminer les conditions de la formation.

Nous ne remettons pas en cause la mastérisation, et les masters sont bien délivrés à l'université. Mais nous proposons un cap fort pour rétablir le curseur vers un meilleur équilibre.

Mme Laure Darcos. - Je suis d'accord avec les derniers propos de Max Brisson.

Le communiqué de presse de France Universités montre que l'enseignement supérieur a l'impression d'être totalement exclu des réflexions de la rue de Grenelle. Il faut que l'enseignement supérieur y trouve toute sa place.

Mme Colombe Brossel. - Je vous rappelle que nous nous opposerons aux propositions nos 9, 11, 12 et 13.

M. Gérard Lahellec. - Nous nous abstiendrons sur ces quatre recommandations.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 11h40.

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