Mercredi 29 mai 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer - Audition du contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA)
Mme Micheline Jacques, président. - Mes chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons cet après-midi le contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles.
Nous vous remercions, Amiral, d'avoir bien voulu accepter notre invitation et de participer à cette visioconférence exceptionnelle à plus d'un titre.
Vous avez été nommé le 1er août 2023 commandant supérieur des forces armées aux Antilles (FAA), mais aussi commandant de la zone maritime Antilles et commandant de la base de défense des Antilles. Après une carrière déjà prestigieuse, vous dirigez donc les forces armées qui assurent la protection de cette vaste zone et animent la coopération régionale dans ce domaine depuis la Martinique jusqu'à la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Vous pourrez nous dire si votre champ de compétence géographique n'est pas trop large au regard de l'ampleur des missions qui vous incombent et des moyens dont vous disposez !
Par ailleurs, les FAA sont particulièrement engagées dans la lutte contre le narcotrafic au travers de l'action de l'État en mer. Or, la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France a rendu le 14 mai son rapport qui pointe notamment une coopération internationale défaillante et des territoires ultramarins qui ont le sentiment d'être abandonnés par l'État. Le rapport mentionne en effet des services sous-dotés et des mesures parcellaires.
Au final, le constat est sévère. Je cite : « si la stratégie mise en place en Guyane a indéniablement eu des effets positifs, elle est davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que vers celle des territoires ultramarins, justifiant le sentiment d'abandon des habitants, des élus et de la chaîne pénale. Elle a aussi immédiatement conduit à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement : le report vers la voie maritime et le report vers les Antilles ».
Vous nous direz si vous partagez ce constat. Nous nous sommes rendus en avril dans cette région où d'importantes prises de drogue ont récemment été réalisées par les services français. Ces prises correspondent-elles selon vous à un renforcement de l'efficacité de l'action de l'État ou plutôt à une intensification du narcotrafic dans la zone ?
Enfin, compte tenu de l'objet de notre rapport, nous avons beaucoup de questions concernant vos relations avec la préfecture et les autres services de l'État. Quelles sont vos recommandations pour une meilleure organisation et coordination des services de l'État en général, et avec les forces armées en particulier, au niveau territorial ? Quelle appréciation portez-vous sur la surveillance et la protection de l'espace maritime français ?
Voici quelques-unes des interrogations que nous vous avons transmises pour préparer cette audition. Après votre exposé liminaire, je laisserai nos collègues vous interroger.
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos, commandant supérieur des forces armées aux Antilles (Comsup FAA). - Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis très heureux de m'exprimer devant vous. Vous avez brossé un agenda extrêmement ambitieux pour le temps imparti.
J'occupe en effet les trois fonctions que vous avez rappelées. Les FAA regroupent 1 100 personnes, civils et militaires. Elles disposent, pour leur composante maritime, de 5 navires, 2 frégates de surveillance, 1 patrouilleur de la gendarmerie maritime, 1 bâtiment de soutien et de surveillance multi-missions et 1 remorqueur. La composante terrestre est composée du 33e régiment d'infanterie de marine. Enfin, tous les grands services du ministère des Armées sont représentés : communication, infrastructures, commissariat, etc.
Les FAA ont pour mission le maintien de la souveraineté française dans la région, la préservation des ressources françaises, la lutte contre les trafics en mer, notamment le trafic de stupéfiants. Elles doivent aussi être en mesure de participer à une opération de secours d'urgence sur le territoire national. Dans quelques jours nous rentrerons dans la période cyclonique et les forces armées sont un pion important de réponse en cas de catastrophe naturelle, comme elles l'ont fait en 2017 quand la zone a été frappée par le cyclone Irma. Enfin, elles doivent être en mesure de répondre à une opération militaire limitée, comme l'évacuation en hélicoptère de 250 ressortissants français à Haïti au mois de mars par des manoeuvres d'hélicoptères.
Après cette introduction, je vous propose de focaliser sur mon rôle de commandant de zone maritime.
Je coordonne pour le préfet de la Martinique, délégué du Gouvernement, le fonctionnement des administrations qui oeuvrent en mer et qui concourent aux 45 missions de l'action de l'État en mer dont la lutte contre le narcotrafic. C'est sur cette mission que je vais me focaliser pour essayer de répondre à vos questions.
Ma zone d'action est la zone maritime Antilles, en bleu sur la diapositive projetée. Cette zone assez vaste englobe le golfe du Mexique, la zone Caraïbe et une partie de l'Atlantique. Au bout de la zone à l'est, nous sommes à mi-distance du golfe de Guinée, donc au milieu de l'Atlantique. Cette zone s'étend jusqu'au nord du Brésil et englobe la Guyane. Dans cette zone, nous oeuvrons, avec le préfet, pour l'action de l'État en mer.
J'ai indiqué sur la carte ma perception des routes maritimes du narcotrafic. Depuis 2020, la production de cocaïne a augmenté d'environ 15 %. En 2022, 2 300 à 2 500 tonnes de cocaïne pure ont été produites essentiellement en Colombie, au Pérou, en Bolivie. Elle croît parce que la demande croît en Afrique, en Moyen-Orient, en Asie, mais aussi en Europe, avec un trafic qui est toujours aussi rentable et lucratif. En France et en Europe, le gramme de cocaïne est vendu entre 70 et 75 euros, alors qu'il ne coûte que 1 euro à 1,50 euro en Colombie. Le trafic est donc extrêmement rentable et pour le casser il faut intercepter la plus grande partie de la production.
Pour acheminer cette drogue, les narcotrafiquants utilisent de nombreuses routes et de nombreux moyens. Ils utilisent les voies commerciales maritimes et aériennes, en utilisant pour chacun de ces modes des techniques particulières, « les mules », le colis postal, la dissimulation avec, au coeur d'un conteneur de bananes, dans des sacs de café ou dans le fourrage, quelques pains de cocaïne.
Ils utilisent également des voies maritimes plus rustiques, plus irrégulières. Ils font appel à des go fast surmotorisés, à des navires de pêche ou à des voiliers. Ils peuvent également laisser des ballots à la dérive pour qu'ils gagnent leur destination au gré des courants. Enfin, ils ont recours à des semi-submersibles.
Côté Caraïbes, dans notre zone de responsabilité, il y a une sorte d'autoroute de go fast qui part de Colombie et du Venezuela et se dirige vers la République dominicaine et vers Porto Rico. C'est la porte d'entrée la plus aisée pour les narcotrafiquants vers l'Amérique du Nord. Une autre route maritime, plus empruntée, longe le Venezuela, et remonte l'arc Antillais, à partir de Trinité et Tobago, en passant par les petites Antilles jusqu'à Anguilla, avant de rejoindre ensuite Porto Rico de la même façon. Ils utilisent différents types de vecteurs comme des petites tapouilles et les bateaux qui font le service inter-îles. Entre les îles, les distances sont très courtes et sont franchies très rapidement par des bateaux surmotorisés. Il ne faut par exemple que 40 minutes pour aller de Sainte-Lucie à la Martinique quand la mer est agitée. Une troisième route, plus au sud, part du Plateau des Guyanes et rejoint l'Afrique, l'Amérique et l'Europe.
J'observe quatre grandes tendances. Tout d'abord, le trafic s'est déplacé du Pacifique vers l'Atlantique et la Caraïbe, alors qu'il avait historiquement lieu du côté du Pacifique. C'est la pression des États-Unis sur les narcotrafiquants dans le Pacifique qui les a incités à se rabattre dans la Caraïbe et dans l'Atlantique. Par ailleurs, il y a un fort trafic de go fast vers la République dominicaine et Porto Rico, qui sont des portes d'entrée très importantes pour les narcotrafiquants. Les prises sur le Plateau des Guyanes sont en forte augmentation. Cette zone devient une plaque tournante parce qu'il y a une pression très forte sur la Colombie notamment. Les narcotrafiquants utilisent la forêt du Brésil, de la Guyane, du Suriname et du Guyana comme un refuge pour transporter la drogue vers des côtes d'où ils peuvent partir plus facilement vers l'Europe et l'Afrique. Enfin, les quantités saisies par prise sont en forte augmentation. Alors que nous saisissions il y a trois ou quatre ans 500 kg de cocaïne par prise, cette quantité est passée à 1 tonne au minimum. Nos dernières saisies se sont élevées à 2,4 tonnes, 1,5 tonne, 2 tonnes, etc. Nous suspections un bateau de transporter 3 tonnes de drogue mais il était finalement vide. Récemment, la Marine a intercepté 10 tonnes de cocaïne sur un bateau qui rejoignait l'Afrique.
Mme Annick Girardin. - Quels sont les pays partenaires de la France et quelle confiance accordez-vous à ces partenariats ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Nous travaillons étroitement avec les États-Unis. Ils ont monté une sorte de centre inter-agences, le Joint InterAgency Task Force-South (JIATF) Sud, basée à Key West en Floride. Elle réunit quinze pays et toutes les agences qui, de près ou de loin, luttent contre la criminalité, le crime organisé, le narcotrafic, et essaie de coordonner les moyens des différents pays (République dominicaine, Colombie, France, Pays Bas, etc.). C'est une organisation militaire, qui travaille sous les ordres du commandement militaire américain pour le Sud. Nous disposons d'un officier de liaison et la JIATF-S nous fournit des renseignements.
Nous travaillons beaucoup avec les Pays-Bas qui sont implantés à Curaçao et déploient en permanence un navire pour lutter contre le trafic dans leur zone de responsabilité. Ils sont essentiellement confrontés à des go fast, puisque les îles ABC, Aruba, Bonaire et Curaçao, au nord du Venezuela, sont sur les routes des go fast.
Nous avons, en outre, de très bonnes relations avec la marine colombienne, qui est très impliquée dans la lutte contre le narcotrafic, au péril de la vie de nombreux militaires. Chaque semaine, des soldats tombent dans les combats contre les narcotrafiquants. La Colombie nous fournit régulièrement des renseignements et nous demande d'intervenir sur des navires suspectés de transporter de la drogue. Nous menons aussi des opérations conjointes d'interception.
Nous travaillons aussi avec la République dominicaine, qui est soumise à un fort flux de cocaïne. J'essaie de nouer des partenariats entre Marines pour favoriser l'échange de renseignements, la connaissance de la zone, pour essayer d'utiliser le mieux possible nos moyens. Nous n'avons pas de coopération avec le Venezuela, mais des accords nous permettent de leur remettre la drogue interceptée sur les bateaux battant pavillon vénézuélien.
Je précise qu'en mer nous n'avons pas le droit d'intervenir sur un bateau sans l'accord de l'État du pavillon. Quand nous avons un renseignement sur un navire, nous montons à bord et nous réalisons une enquête de pavillon. Une fois que nous l'avons identifié, nous contactons les services diplomatiques de ce pays pour leur demander l'autorisation de fouiller le navire. Si nous trouvons de la cocaïne, nous leur demandons s'ils veulent conserver ou non leurs compétences juridictionnelles, c'est-à-dire s'ils veulent judiciariser le cas chez eux ou s'ils le cèdent à la France. Le Venezuela conserve ses compétences juridictionnelles et nous demande de lui remettre la drogue saisie. J'observe que les militaires vénézuéliens sont très impliqués dans la lutte contre le narcotrafic.
Je suis également en relation avec la Barbade et avec Trinité-et-Tobago. Je m'efforce de favoriser les liens pour que nous puissions agir ensemble contre les narcotrafiquants.
Enfin, nous travaillons avec le Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (Maritime Analysis and Operations Centre-Narcotics - MAOC-N), basé à Lisbonne, qui regroupe sept pays européens, à l'initiative de la France. Il permet l'échange de renseignements entre services policiers et services de renseignement militaires. Ce centre nous donne beaucoup d'informations, notamment sur le trafic au départ du Plateau des Guyanes.
Mme Micheline Jacques, président. - Quelles sont vos relations avec la CMA-CGM ? En effet, lors d'une visite au siège de Marseille, cette entreprise nous a informés de sa stratégie de protection et de lutte contre le narcotrafic.
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Je sais que la CMA-CGM a mis en place une structure particulière de lutte contre le narcotrafic sur ces bateaux. C'est un sujet qui relève de la compétence du service de renseignement des douanes et de la douane terrestre, plus que de la mienne. Je m'occupe de la lutte en mer contre les trafics illicites. La Marine ne peut pas monter à bord d'un navire qui transporte plusieurs milliers de conteneurs en mer pour chercher de la drogue, ce serait illusoire. Ce sont des opérations qui sont menées essentiellement par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), en lien étroit avec la CMA-CGM.
M. Frédéric Buval. - Nous savons que le transport de drogue est corrélé avec l'arrivée massive d'armes en Martinique. Nous sommes devenus un territoire où règne l'insécurité, où tous les jeunes ont des « guns » en leur possession. Comment pouvez-vous stopper ce flot d'armes ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Pour répondre à votre question, je vais essayer de vous expliquer très rapidement la typologie de nos actions. Nous pouvons les classer selon qu'elles se passent au large ou près des côtes, si elles concernent un bateau plutôt rapide, un go fast surmotorisé, ou des bateaux plus lents, voiliers, petits caboteurs ou navires de pêche.
Pour les deux dernières catégories, ce sont des opérations que nous menons soit sur la base du renseignement fourni par nos partenaires dans la région ou les services de renseignement français, soit sur opportunité. Par exemple, nous volons en hélicoptère pour faire une liaison entre la Guadeloupe et la Martinique et nous tombons par hasard sur un bateau suspect et nous décidons de mener une opération. La marine nationale a plutôt vocation à travailler au large. Nous menons des opérations sur le Plateau des Guyanes à presque 2 000 kilomètres de la Martinique. Nous avons intercepté des bateaux à 2 400 kilomètres de Fort-de-France. Ces opérations ont une cinétique particulière, il faut plusieurs jours pour aller sur la cible, nous avons besoin de renseignements très solides pour envoyer un bateau à 2 000 kilomètres.
Les opérations côtières sont normalement du ressort des garde-côtes des douanes, qui disposent de petits patrouilleurs côtiers. Ce trafic côtier nécessite beaucoup de réactivité car pour aller d'une île à l'autre les narcotrafiquants mettent très peu de temps. Les bateaux peuvent rapidement se diriger vers les eaux territoriales d'un pays étranger, ce qui empêche toute intervention.
Les navires côtiers inter-îles transportent tout et n'importe quoi, de la drogue, du lambi, des armes, des motos, des matériels volés et même des migrants. Comme la drogue, les armes passent par ces trafics inter-îles. Il est très difficile de les détecter et de les contrer mais notre action contre les trafics illicites concerne aussi bien la drogue que les armes.
Pour agir en mer, il faut des bateaux, du renseignement mais également des moyens de surveillance aériens. Les moyens aériens à ma disposition sont à mon sens trop peu nombreux, je ne peux pas assurer de permanence. Si j'obtiens un renseignement sur un bateau qui est à 1 000 km de nos côtes, il faut pouvoir le localiser précisément grâce à un avion à long rayon d'action qui communiquera sa position au navire chargé de l'arraisonner. Nous avons besoin d'un tel avion tous les jours. Nous avons malheureusement perdu il y a quelques jours un bateau que nous savions chargé.
De la même façon, pour travailler près des côtes, il faut des bateaux, des intercepteurs côtiers, des personnes qui connaissent bien les côtes et des moyens aériens de surveillance. En effet, quand un navire vient de Sainte-Lucie pour débarquer de la cocaïne dans une baie en Martinique ou en Guadeloupe, la phase terrestre succède à la phase nautique. Sans moyen de surveillance aérienne, comme un drone, qui observe les mouvements du bateau et qui dirige les forces à terre vers la bonne baie, l'opération est irréalisable.
Nous manquons donc de moyens de surveillance aérienne. Nous avons en Martinique un Beechcraft, un avion de surveillance qui appartient au service de garde-côtes des douanes et un hélicoptère H160 tout neuf qui est en train d'être admis au service opérationnel, également mis en oeuvre par les douanes. Cependant, ces deux appareils ont un rayon d'action assez faible et ne peuvent faire que du côtier. La Marine met à ma disposition, trois mois par an, un avion de patrouille maritime, le Falcon 50, qui vient de l'Hexagone, qui dispose de moyens radars et optroniques et d'une autonomie suffisamment longue pour aller voir loin et longtemps ce qui se passe en mer.
J'essaie d'acquérir pour 200 000 euros un drone disposant de 6 à 7 heures d'autonomie en vol grâce aux crédits de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Il sera basé en Martinique et nous permettra de surveiller les canaux et de coordonner l'action des services qui oeuvrent en mer et ceux qui oeuvrent à terre (gendarmerie, douane, etc.). Si tout fonctionne correctement, je souhaite en acquérir un ou deux pour la Guadeloupe et un ou deux pour Saint-Martin, où les trafics sont tout aussi importants.
Des radars seront installés au nord et au sud de la Martinique. À partir de l'été 2025, ils surveilleront les canaux et nous permettrons d'augmenter notre capacité de détection. En effet, pour l'instant, il n'y a pas de radar, ni de sémaphores et très peu de moyens aériens en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ces territoires sont aveugles, ils ne voient pas ce qui se passe en mer. C'est assez singulier. À terme, comme les autres pays dans la région (Jamaïque, République dominicaine ou Barbade), il faudrait que nous disposions de radars en Guadeloupe et à Saint-Martin.
M. Victorin Lurel, rapporteur. - Vous nous avez dit que les moyens aériens dont vous disposez étaient insuffisants. Qu'en est-il de vos moyens maritimes ? Vous n'avez pas de bâtiment de transport léger ni de bâtiment amphibie. La fourniture de ces bâtiments est-elle inscrite dans la loi de programmation militaire ? Que prévoit-elle pour les outre-mer ? En matière aérienne ou plutôt spatiale, les satellites peuvent-ils être utiles ? Je crois que des tests ont été réalisés dans l'océan Indien et dans le Pacifique. Sont-ils transposables dans l'Atlantique-Caraïbes ?
Que pensez-vous de la création d'une préfecture maritime Antilles-Guyane ? Est-ce qu'elle entrerait en conflit avec vos compétences, vos missions et peut-être demain vos moyens ?
Sur la carte que vous avez projetée, je vois que le Venezuela n'est pas producteur. Quels sont les principaux pays producteurs de cocaïne ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Ce sont la Colombie, le Pérou et la Bolivie.
M. Victorin Lurel, rapporteur. - Les 38 pays de la Caraïbe et d'Amérique centrale, dans lesquels la France ne dispose que de six ambassades et où la Chine est très présente, tolèrent-ils le narcotrafic et le trafic d'armes ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Il y a de la corruption dans plusieurs pays. Notamment dans les petits États insulaires qui ont des problèmes de financement et qui sont, comme vous l'avez dit, soumis à l'influence chinoise, il y a des affaires de corruption, en particulier avec des services de garde-côtes.
Nous sommes très attentifs aux forces militaires avec lesquelles nous travaillons. Quand nous remettons deux tonnes de cocaïne aux militaires vénézuéliens, c'est en présence de l'attaché de sécurité intérieure de l'ambassade de France à Caracas qui assiste à la destruction de la drogue.
Une expérimentation est en cours sur l'utilisation de satellites qui détectent les ondes électromagnétiques, donc les radars des bateaux. Les Américains expérimentent des systèmes de satellites défilants, avec des constellations importantes fondées sur l'imagerie. Le taux de répétition de passage d'un satellite dans la zone est tel que, compte tenu de la vitesse des bateaux auxquels nous sommes confrontés, de l'extrême petite taille de ces bateaux et du sillage extrêmement faible qu'ils laissent, ils sont très peu utiles. L'expérimentation n'est pas du tout satisfaisante. Il serait plus utile d'investir dans des systèmes de drones à long rayon d'action qui sont beaucoup plus efficaces comme l'ont montré les Américains.
Je dispose de moyens maritimes importants, avec cinq navires qui sont capables d'aller loin, de rester longtemps en mer et qui soutiennent des vitesses importantes. Les deux frégates de surveillance doivent être remplacées par des corvettes hauturières à l'horizon 2035-2038. Elles seront plus armées. Un petit bâtiment amphibie devrait arriver dans l'année à venir. Il nous manquait pour les opérations de secours en cas de catastrophe naturelle. Avec ces moyens, je peux faire beaucoup de choses.
Votre question sur la création d'une préfecture maritime est délicate. Il y a trois préfectures maritimes en France : Cherbourg, Brest et Toulon. Elles couvrent des territoires qui comportent plusieurs préfectures terrestres. C'est sans doute la raison pour laquelle elles ont été créées, avec à leur tête des préfets de la mer, qui est un domaine singulier, qui nécessite une culture particulière, une culture maritime forte. Nous travaillons avec tous les services de l'État mais il faut expliquer ce qu'est un mille nautique, un noeud, etc.
Qu'est-ce qu'une telle préfecture apporterait de plus par rapport à l'organisation actuelle ? J'entretiens d'excellentes relations avec le préfet de la Martinique, délégué du Gouvernement. Il me fait une confiance totale et je l'en remercie. Notre fonctionnement est fondé sur nos bonnes relations et sur la grande intelligence du préfet mais cela pourrait être différent.
Je pense cependant qu'un préfet, même s'il a des fonctions de préfet de zone, est avant tout préoccupé par son territoire, par la sécurité de la Martinique, plus que par la sécurité de la Guadeloupe ou de Saint-Martin. Un préfet maritime pourrait s'affranchir de cette préoccupation. C'est un reproche qu'on nous fait souvent, d'être martiniquo-centré. Je trouve que c'est une organisation qui fonctionne et qui aurait du sens ici. Par exemple, je ne commande pas les services de l'État qui oeuvrent en mer, je ne dirige ni le service de garde-côtes des douanes, ni les brigades nautiques de la gendarmerie, ni les affaires maritimes. Je ne les note pas, je ne les évalue pas, je tente de les coordonner. Il est certain qu'un préfet maritime n'a pas la même autorité que moi, qu'il n'a pas le même pouvoir pour inciter les uns et les autres à aller dans le sens qu'il souhaite. Par conséquent, une préfecture maritime pour un territoire qui a plusieurs préfectures, morcelé, insulaire, aurait du sens.
M. Philippe Folliot. - Votre devoir de réserve vous fait dire que les moyens qui vous sont octroyés, notamment maritimes, sont suffisants. Pour aller dans le sens de la question de notre rapporteur Victorin Lurel sur la loi de programmation militaire, je constate que, même s'il y a eu une très légère inflexion, depuis une trentaine d'années les forces de souveraineté sont les grandes sacrifiées, pour ne pas dire oubliées, des lois de programmation militaire.
Les moyens qui sont à votre disposition sont tout juste suffisants. Les frégates de surveillance Ventôse et le Germinal ont été mises en service au début des années 90. Vous annoncez qu'elles ne seront remplacées qu'en 2035, après 45 ans de bons et loyaux services. C'est comme si nous avions une R16 qui circule au milieu des Ferrari flambant neuves utilisées par les narcotrafiquants ! Vous ne disposez pas encore de drones à moyenne altitude et longue endurance (Medium-Altitude Long-Endurance - MALE) - qui accroîtraient vos moyens de surveillance et d'action. Je crois que vous avez deux hélicoptères à votre disposition qui ont un nombre d'heures de vol relativement significatif. Les Dauphins ont été mis en service le siècle dernier.
Que pouvons-nous faire en tant que parlementaires pour vous aider à faire face aux différentes menaces et aux trafics qui ont des conséquences, y compris sanitaires, sur la population ? Nous savons que dans les territoires ultramarins, à l'image de ce qui se passe dans l'Hexagone, la consommation de drogue explose, avec tout ce que cela implique en termes de santé publique et d'ordre public.
De quels matériels avez-vous besoin le plus urgemment pour compléter vos faibles moyens, afin d'assurer vos missions avec plus d'efficacité et plus de réussite, même si nous ne pouvons que louer l'engagement qui est le vôtre et celui de vos hommes ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Merci, monsieur le sénateur. Je sais que vous avez embarqué sur une frégate de surveillance pour aller jusqu'à Clipperton. Vous connaissez donc bien ces bateaux.
Le Germinal a effectivement 30 ans, il aura une quarantaine d'années quand il sera désarmé. Cependant, ces frégates ont encore de belles capacités, une belle endurance à la mer. Depuis mon arrivée, je me suis efforcé de maximiser l'efficacité des moyens mis à ma disposition dans la lutte contre le narcotrafic. Je me suis fixé des objectifs très ambitieux. Au cours des six premiers mois de l'année, nous avons saisi environ 15 tonnes de drogue. C'est plus qu'au cours de toutes les années précédentes. Si nous continuons sur ce rythme, à la fin de l'année, nous en aurons saisi trois fois plus que l'an dernier, avec les mêmes moyens.
Nous avons essayé de « sauter sur tout ce qui bougeait », de nouer des relations de confiance avec des partenaires, avec les agences de renseignement américaines, colombiennes, etc. J'essaie aussi d'améliorer la coordination des services de l'État, parce que nous ne manquons pas de moyens si nous regardons l'ensemble des moyens de l'État. La gendarmerie, le Raid, la douane disposent de magnifiques intercepteurs, des bateaux dont la vitesse peut atteindre 50 noeuds. Cependant, les effectifs sont insuffisants pour une réactivité maximum. Dans certains cas, nous avions une information sur un bateau qui quittait la Dominique pour se rendre en Guadeloupe mais personne n'était en mesure d'aller en mer pour aller l'intercepter.
En termes de capacité, il me manque des moyens de détection dans les canaux. Nous sommes aveugles la nuit. Des radars doivent être installés en Martinique mais il en faut aussi dans les autres îles. Le coût est conséquent mais ne doit pas être supporté uniquement par le ministère des Armées. Il me manque aussi des moyens de surveillance aériens, des drones et un Falcon 50 plus que trois mois par an. Si je disposais d'un tel appareil huit mois par an, je serais plus performant. Je le serais encore davantage si cet appareil disposait de moyens optroniques rénovés. Le drone financé par la Mildeca ne coûte que 200 000 euros. Ce sont les moyens dont j'ai besoin, plus que d'une frégate nouvelle.
J'ai aussi besoin de souplesse organisationnelle et réglementaire. Les narcotrafiquants connaissent nos modes d'action et aujourd'hui, ils savent très bien comment nous essayons d'intercepter les go fast. Nous tirons sur leurs moteurs. Cependant, avant de tirer sur les moteurs, la loi, qui n'a pas été écrite pour des go fast mais pour des bateaux de plus grande taille, nous oblige à faire des sommations, puis à procéder à des tirs d'avertissement à l'avant du navire. Pendant que le tireur d'élite embarqué à bord de l'hélicoptère fait ses sommations, l'équipage du go fast jette la drogue à l'eau, en la lestant pour qu'elle coule et nous avons perdu l'initiative. J'aimerais que nous puissions trouver les voies et moyens pour s'affranchir des sommations, de sorte que l'hélicoptère arrive directement en position de tir sur les moteurs, qu'il allume son projecteur à un moment où le bateau est surpris et qu'il tire. C'est de cette manière que nous pourrons faire tomber des réseaux. Dans le cas que je vous ai décrit, le go fast, qui était très lourd, a coulé et nous avons récupéré les quatre narcotrafiquants qui sont devenus des naufragés et que nous avons déposés libres à Fort-de-France !
M. Victorin Lurel, rapporteur. - Dans quel code se trouvent ces dispositions ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Elles figurent dans le code de la Défense.
M. Saïd Omar Oili. - On nous a parlé à Mayotte de la mise en place d'un rideau de fer par la marine nationale. Que signifie cette expression dans votre jargon ?
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Pour moi, le « rideau de fer » renvoie à une notion historique plus ancienne. Dans les Antilles, nous parlons de la « stratégie du bouclier » qui consiste à frapper le plus loin possible des côtes françaises, qu'elles soient outre-mer ou dans l'Hexagone, pour pouvoir éviter que les trafiquants déposent leur butin sur nos îles ou sur le continent européen. Saisir 1,5 tonne de cocaïne en mer permet d'éviter que 1,5 millions de doses de 1 g n'arrivent dans les villes françaises.
M. Saïd Omar Oili. - Le ministre de l'Intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, nous a présenté ce concept à Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine. Or, pour l'instant, nous ne voyons rien.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons noté que vous aviez des moyens humains, beaucoup de volonté, mais qu'il vous manquait des moyens de surveillance, comme nous l'avons observé à Mayotte. Notre collègue a fait un parallèle entre l'immigration clandestine et le narcotrafic, tant il est vrai que Mayotte manque aussi cruellement de moyens techniques.
Nous avons aussi noté votre demande de souplesse réglementaire et que vous êtes plutôt favorable à la création d'une préfecture maritime en raison du morcellement de la zone couverte.
Vous avez également développé la coopération avec certains pays de la zone. Notre délégation mène parallèlement une étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer par bassin océanique. L'année prochaine, elle portera sur justement le bassin océan Atlantique et toute la zone Caraïbe. Ce sera pour nous l'occasion d'examiner les coopérations mises en place avec d'autres pays, notamment avec le Brésil, pour lutter contre le fléau du narcotrafic.
Je vous remercie pour votre disponibilité et nous essaierons de voir dans quelle mesure un vecteur législatif nous permettra de lever les freins qui entravent votre action. Je sais que nous pourrons notamment compter sur notre collègue Philippe Folliot, qui est membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, afin de lever ces freins qui vous empêchent d'avoir une action encore plus efficace.
Merci pour tout ce que vous faites pour protéger nos concitoyens !
Contre-amiral Nicolas Lambropoulos. - Je vous remercie pour votre attention et pour votre soutien.
Mercredi 29 mai 2024
- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -
Femmes dans la rue : table ronde sur la situation dans les Antilles et en Guyane
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Madame la Présidente Micheline Jacques, chers collègues, je me réjouis de cette réunion conjointe entre la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux outre-mer. Elle s'inscrit dans le cadre des travaux que notre délégation mène actuellement sur les femmes dans la rue.
Nos deux délégations se rejoignent régulièrement sur des sujets d'intérêt partagés. Pour mémoire, nous avons publié l'année dernière un rapport commun sur la parentalité dans les outre-mer. Nous avions également travaillé ensemble en 2020 sur les violences faites aux femmes dans les outre-mer.
S'agissant de la situation des femmes en errance, nous comptons aujourd'hui, au niveau national, 330 000 personnes sans domicile, dont 40 % de femmes, bien souvent avec des enfants.
Parmi ces personnes sans domicile, 30 000 personnes, dont environ 3 000 femmes et 3 000 enfants, sont dites sans-abri, c'est-à-dire qu'elles passent la nuit dans la rue, dans des voitures ou des abris de fortune.
Si cette triste réalité est particulièrement prégnante en Île-de-France, elle est malheureusement présente dans de nombreux territoires, y compris dans les outre-mer.
Comme toujours au Sénat, nous attachons une grande importance à la dimension territoriale de nos travaux et nous nous efforçons en particulier de mettre en lumière les situations souvent spécifiques des outre-mer : spécificités géographiques, économiques, sociologiques ou culturelles.
Cette exigence nous a naturellement été rappelée par notre collègue rapporteure Marie-Laure Phinéra-Horth, sénatrice de la Guyane.
Je suis entourée de deux des trois autres rapporteures sur cette thématique : Agnès Evren et Olivia Richard.
Je précise que cette audition fait l'objet d'une captation audiovisuelle en vue de sa retransmission en direct sur le site et les réseaux sociaux du Sénat.
Le sujet dont nous traitons aujourd'hui se trouve au croisement de plusieurs problématiques : augmentation et féminisation de la précarité, manque de solutions d'hébergement et de logement, lutte contre les violences sexuelles et sexistes, accès aux soins, ou encore insertion professionnelle et sociale.
Afin de nous apporter un éclairage sur ces questions, nous entendons ce matin des représentantes de trois territoires :
- pour la Guyane : Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue et directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité - que nous avions déjà entendue dans le cadre de nos travaux communs sur la parentalité dans les outre-mer ;
- pour la Guadeloupe : Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité - que nos collègues ont rencontrée l'année dernière lors d'un déplacement aux Antilles, dans le cadre du rapport sur la parentalité ; Kessy Chenilco, responsable du service intégré d'accueil et d'orientation-115 (SIAO-115), et Malika Fiscal, responsable des équipes du Samusocial - services gérés par la Croix-Rouge ;
- pour la Martinique : Sophie Chauveau, sous-préfète à la cohésion sociale et à l'emploi et Vanessa Catayee, son adjointe, et Murièle Cidalise-Montaise, directrice régionale aux droits des femmes de la Martinique.
Bienvenue à vous. Merci de participer à cette table ronde sur ce sujet crucial.
Vous nous dresserez un tableau de la situation dans vos territoires respectifs. À combien évaluez-vous le nombre de femmes sans domicile et sans abri ? Quels sont leurs profils et les raisons qui expliquent leur absence de logement ?
Vous nous exposerez également les moyens déployés par l'État pour fournir des mises à l'abri, via des places d'hébergement d'urgence, mais aussi des solutions de logement, en nous précisant quelle attention particulière est portée aux femmes. Combien de places d'hébergement sont disponibles dans vos territoires, et combien de places non-mixtes ?
Par ailleurs, quel rôle le SIAO joue-t-il dans la coordination et le pilotage de l'ensemble des acteurs de l'hébergement et du logement - État, collectivités et associations - et quelles difficultés rencontre-t-il ?
Enfin, vous nous ferez part de vos préconisations. En effet, au-delà des constats, l'objectif de notre rapport est également de trouver des solutions pour toutes ces femmes et ces familles.
Avant d'entendre nos intervenantes, je laisse la parole à notre collègue Micheline Jacques, présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Madame la Présidente, Mesdames, chers collègues, je serai brève, vu la qualité des intervenantes à cette table ronde. Je tiens à remercier sincèrement la délégation aux droits des femmes, et tout particulièrement sa présidente Dominique Vérien et les rapporteures, pour cette réunion conjointe qui nous permet de partager nos réflexions sur un problème croissant et préoccupant dans nos outre-mer comme dans l'Hexagone : le sort des femmes dans la rue.
Je tiens à saluer votre démarche, car vous avez tenu à dresser ce point d'attention particulier sur les outre-mer. J'ai conduit en avril dernier une mission de la délégation aux outre-mer aux Antilles avec les deux rapporteurs de notre étude sur l'adaptation des modes d'action de l'État, Philippe Bas et Victorin Lurel. Nous n'ignorons pas les situations dramatiques qui existent dans nos territoires ultramarins, notamment du fait des violences intrafamiliales.
Je me félicite aussi qu'entre nos différentes délégations, les liens soient étroits et réguliers, dans l'esprit des recommandations du groupe de travail de notre collègue Pascale Gruny. Nous avons déjà eu l'occasion de travailler ensemble, de manière très fructueuse, sur des thèmes importants comme la lutte contre les violences faites aux femmes ou la parentalité.
En conclusion, je me félicite de cette nouvelle réunion commune qui nous permet, à l'instar de la récente commission d'enquête sur le narcotrafic, d'inclure les problématiques ultramarines dans vos réflexions, et de prendre ensemble la mesure des défis à relever.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup, chère Présidente. Je me tourne désormais vers nos écrans, puisque c'est en visioconférence qu'Isabelle Hidair-Krivsky intervient depuis la Guyane.
Mme Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guyane. - Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour cette invitation.
En Guyane, 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois. Dans la population nationale, ce taux s'élève à 14 %. La moitié des Guyanais se trouve en situation de privation matérielle et sociale. Environ 29 % d'entre eux vivent dans une pauvreté extrême, avec moins de 470 euros par mois et subissent, dans leur quotidien, au moins cinq des treize privations permettant de mesurer la privation matérielle et sociale dont souffre cette population. Ces restrictions concernent le logement, l'habillement, l'alimentation, les loisirs, ainsi que d'autres besoins tels que l'accès à Internet, à un domicile, ou à un moyen de transport.
Ces personnes cumulent une forme sévère de pauvreté monétaire, et au moins sept privations matérielles et sociales, témoignant de difficultés intenses dans leur vie quotidienne. Par exemple, le Haut Conseil de la santé publique nous rappelle que la consommation d'alcool est particulièrement préoccupante chez les adolescentes enceintes. Environ 34 % d'entre elles ont consommé de l'alcool durant leur grossesse, augmentant le risque de prématurité de 13 %.
Par ailleurs, le territoire est fortement touché par la consommation de crack. Bien que celle-ci soit circonscrite à une population très marginalisée, elle est présente et visible parfois même en pleine rue. C'est notamment le cas dans les agglomérations de Cayenne et de Saint-Laurent du Maroni. Toujours selon le Haut Conseil de la santé publique, la consommation de crack touche particulièrement les milieux de la prostitution et de l'orpaillage, les personnes en errance, les chômeurs, ainsi que les habitants de la zone géographique du Haut-Maroni.
Le taux d'activité des femmes est inférieur à celui des hommes. Elles se retrouvent souvent au chômage, et leur rémunération est bien plus faible que celle de leurs homologues masculins.
Après cet état des lieux, je présenterai la question des femmes dans la rue en deux parties : la première consacrée aux maraudes, la seconde aux guichets uniques de rue. Ces maraudes sont coordonnées par l'Association guyanaise de réduction des risques, l'AGRR. Celle-ci se consacre à la réduction des risques liés à l'utilisation de produits légaux tels que l'alcool et le tabac, ainsi que de produits illégaux tels que le crack et la cocaïne, tout en abordant des pratiques à risque liées à la santé sexuelle et reproductive.
Pour l'année 2023, les volontaires se sont engagés pour un total de 300 heures, dont 140 dédiées aux maraudes, 60 aux guichets uniques de rue et 100 dans des contextes festifs. Trois fois par semaine, des médiateurs ou médiatrices, accompagnés d'un ou d'une bénévole, sillonnent les quartiers de Cayenne et de Matoury en camion équipé, ou à vélo dans les quartiers difficiles d'accès par la route.
Deux fois par mois, les maraudes réalisent des tests rapides d'orientation diagnostique (TROD) en partenariat avec Médecins du Monde et l'association Entraide. La nécessité d'une habilitation TROD s'est révélée cruciale en raison de la prévalence des agressions sexuelles dans la rue, partiellement responsables de la transmission du virus du sida. Avec 490 malades du VIH pour 100 000 habitants, la Guyane affiche la plus forte prévalence de France. D'après Santé Publique France, les étrangers sont surreprésentés parmi les personnes séropositives en Guyane, mais les études montrent qu'ils sont infectés après leur arrivée sur le territoire.
10 % des malades ignorent leur statut, et 24 % se sont vus diagnostiquer des infections à un stade avancé de la maladie. En Guyane, la transmission du VIH se fait majoritairement par voie hétérosexuelle, et la prostitution est l'un des principaux vecteurs de l'épidémie. C'est pour cette raison que l'association Entraide cible particulièrement les travailleurs, et notamment les travailleuses du sexe, en distribuant des kits contenant des préservatifs et des gels. Par ailleurs, les maraudes de l'AGRR sont renforcées par des permanences deux fois par semaine au siège de l'association. Ces accompagnements individualisés facilitent l'accès aux droits, l'explication des processus administratifs, l'orientation vers d'autres structures, et favorisent la reprise du lien familial.
Les acteurs de terrain privilégient souvent une approche axée sur les soins, alors que celle-ci ne correspond pas nécessairement aux attentes des usagers. Ils demandent avant tout un abri comme point de départ pour leur projet de vie, considérant le sevrage comme une seconde étape.
Les demandes d'hébergement de la part des femmes accompagnées sont nombreuses, témoignant d'une souffrance accrue, de la fatigue liée à la vie en rue et des violences. La Guyane compte cinquante-et-une places disponibles pour les femmes victimes de violences, réparties en vingt-quatre places de stabilisation, quinze hébergements d'urgence et douze hébergements temporaires.
Cependant, ces places sont totalement insuffisantes par rapport aux besoins exprimés. La plupart des associations doivent recourir aux nuitées d'hôtel et aux locations de gîte pour répondre aux demandes d'urgence. Les femmes rencontrent de nombreux obstacles qui affectent leur vie quotidienne, que ce soit pour l'accès à l'eau, aux douches, pour déposer plainte, pour obtenir une domiciliation, un hébergement ou un lieu sûr pour protéger leurs effets personnels et éviter les violences et les vols. Ces difficultés accentuent la marginalisation et la stigmatisation des femmes vivant dans la rue.
Une étude du Samusocial montre que les femmes rencontrées sont généralement plus jeunes que les hommes. La majorité d'entre elles sont âgées de 26 à 40 ans. Aucune n'a plus de 60 ans et très peu sont mineures. Elles se trouvent souvent dans des situations plus complexes que celles des hommes, sont plus isolées des structures et plus difficiles à approcher, car elles sont souvent fuyantes.
Ensuite, le guichet unique de rue (GUR) est un événement mensuel rassemblant durant quatre heures des associations médico-sociales au centre-ville de Cayenne. Les rôles des partenaires sont bien définis. Un repas chaud est distribué par Humanity First. Médecins du Monde, la Croix-Rouge, la Cimade et le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) informent et accompagnent les familles sur l'accès aux droits. Une vestiboutique de la Croix-Rouge distribue des vêtements. Des espaces dédiés sont proposés aux enfants. L'AGRR propose du matériel de prévention stérile. Le Planning familial sensibilise et distribue des préservatifs, le Samusocial apporte un renfort infirmier, et le Centre de prévention de santé de la Croix-Rouge réalise des TROD. L'équipe mobile de psychiatrie et précarité et la plateforme de rétablissement du groupe SOS offrent un espace de parole.
Aux côtés de tous ces acteurs, le médiateur de santé du Comité pour la santé des exilés renforce l'accompagnement pour l'ouverture des droits. Un interprétariat professionnel est disponible. Un médecin généraliste réalise des consultations visant à orienter vers la permanence d'accès aux soins (Pass) du Centre Hospitalier de Cayenne et vers l'équipe mobile de psychiatrie et précarité. Les consultations sont ouvertes à tous les âges, de la pédiatrie aux personnes âgées, de toutes les origines et toutes les pathologies. Elles sont réalisées en français, en anglais, en espagnol, et, si nécessaire, en portugais et en arabe, avec l'aide d'un médiateur et d'un interprète.
Les difficultés rencontrées par le GUR relèvent de la fragilité sociale, de la rupture du lien et de l'exclusion sociale. Grâce au cofinancement de la préfecture, de l'Agence régionale de santé (ARS) et de la collectivité d'agglomération du centre littoral, un réseau de travail regroupant une quinzaine d'associations oeuvre dans le domaine de la précarité. Une équipe composée d'une cinquantaine de personnes permet au GUR d'ouvrir ses portes le troisième jeudi du mois au marché de Cayenne, de 9 heures à 13 heures.
En 2022, 174 personnes ont été reçues, dont 48 femmes. En 2023, 242 personnes ont été accueillies, dont cinquante-deux femmes. En moyenne, 25 % du public du GUR est constitué de femmes, et 12 % sont des enfants.
La Syrie, l'Afghanistan et le Maroc sont les trois pays d'origine les plus représentés parmi le public accueilli. Parmi les usagers, 46 % vivent dans la rue, 12 % en habitat informel, 72 % sont demandeurs d'asile, 13 % sont en situation irrégulière, 7 % sont de nationalité française et 6 % possèdent un titre de séjour. En outre, 75 % des bénéficiaires déclarent ne pas savoir ce qu'est une protection de santé et ne pas avoir de ressources financières.
Je mentionnerai enfin le Programme régional relatif à l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (Praps). Il met en synergie les établissements de santé publics et privés, constituant ainsi des points d'entrée clés pour les publics précaires, notamment grâce aux permanences d'accès aux soins présentes dans les trois hôpitaux publics. Les quatorze centres délocalisés de prévention et de soins et les trois hôpitaux de proximité, gérés par le centre hospitalier de Cayenne, jouent un rôle essentiel dans l'accès aux soins des personnes précaires vivant dans des zones isolées. Dans le domaine de la santé mentale, il convient aussi de souligner le rôle des six centres médico-psychologiques et des trois centres d'aide thérapeutique à temps partiel.
Les équipes mobiles de Saint-Georges-de-l'Oyapock, sur le Maroni, les quatre équipes mobiles en santé mentale, ainsi que plusieurs dispositifs mobiles dans les domaines du handicap et du grand âge, renforcent la couverture sanitaire du territoire. Les médiateurs de santé jouent un rôle crucial en aidant les usagers à comprendre et à se repérer dans des parcours de soins souvent très complexes. Le secteur associatif est très actif en Guyane sur les questions de santé et de précarité, jouant un rôle primordial dans les soins et la prévention dans divers domaines tels que la vie affective et sexuelle, les addictions, la périnatalité et le suivi des victimes de violence en rue. Les Centres communaux d'action sociale (CCAS) regroupent de nombreuses compétences au bénéfice des publics précaires.
Je conclurai mon propos par les recommandations suivantes :
- mettre à disposition des logements et dispositifs adaptés aux femmes, afin d'éviter les logements mixtes ;
- améliorer l'accès à l'hébergement pour les usagers de drogues et créer des espaces de consommation plus sécurisés ;
- installer des bagageries et des consignes afin de prévenir les violences en rue ;
- multiplier les accueils de jour réservés aux femmes.
Je vous remercie pour votre attention.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup pour votre intervention. Je laisse maintenant la parole à Kessy Chénilco et Malika Fiscal de la Croix-Rouge, qui gèrent le SIAO-115 et le Samusocial en Guadeloupe.
Mme Kessy Chenilco, responsable du SIAO-115 de la Guadeloupe et de Saint-Martin. -
De façon générale, le SIAO travaille en étroite collaboration avec le Samusocial, qui est un dispositif d'« aller vers » accompagnant le public à la rue, notamment les femmes en grande précarité et les personnes victimes de violences. Nous sommes accompagnés par la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS) ainsi que par la Direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE), représentée par Lucette Faillot.
Malika Fiscal vous présentera sa file active de façon générale, et la mise en place de l'accompagnement pour ce public. Nous exposerons ensuite notre bilan d'activité pour l'année 2023 de façon générale, en nous concentrant sur les personnes victimes de violences.
Mme Malika Fiscal, responsable des équipes du Samusocial de la Guadeloupe. - Le Samusocial intervient sur l'ensemble du département. Nous proposons des maraudes avec des accompagnements sanitaires et sociaux auprès des personnes en situation de précarité. Nous offrons également une aide matérielle sous forme de collations, de boissons et de nourriture. Par ailleurs, nous menons des projets en faveur de l'hygiène et proposons des distributions de kits scolaires et de vêtements.
En 2023, le Samusocial a accompagné 997 personnes, totalisant 11 827 rencontres. Parmi ces personnes, 139 étaient des femmes, représentant 17,96 % de la file active. Leur moyenne d'âge se situe généralement entre 35 et 45 ans, mais nous commençons également à recevoir une certaine proportion de femmes plus âgées, de plus de 60 ans.
Ce public est particulièrement vulnérable et fragile, ce qui rend parfois leur approche difficile par nos équipes. Ces femmes restent généralement peu demandeuses et se tiennent en retrait, peut-être en raison de la visibilité de nos véhicules floqués Croix-Rouge. Nous envisageons de travailler sur une approche différente, en trouvant des points de ressources et des lieux facilitateurs pour créer un espace plus discret pour ces personnes.
À l'instar de notre collègue de Guyane, nous rencontrons également des problématiques liées à la vulnérabilité du public, notamment les violences et agressions sexuelles et sexistes. Nous observons également un cumul de problématiques d'addictions et de santé mentale, qui peuvent entraver l'orientation vers les dispositifs de droit commun.
Mme Kessy Chenilco. - Le SIAO fonctionne avec trois pôles distincts, le service d'urgence - le 115 - qui reçoit les appels pour les demandes de mise à l'abri ; le service d'insertion, qui oriente vers des dispositifs de logement adaptés et facilite l'accès à l'insertion par l'hébergement ; enfin un observatoire social, chargé de recenser les données statistiques relatives à l'activité du service et de réaliser des focus sur le public accompagné.
En 2023, nous avons reçu 5 136 appels, dont 261 concernaient des demandes de mise à l'abri d'urgence. Parmi celles-ci, 251 personnes victimes de violences ont été mises à l'abri. Nous avons recours à deux dispositifs financés par la DDETS et la DRDFE, notamment des nuitées hôtelières pour la prise en charge des personnes victimes de violences, ainsi que des taxis sociaux.
Nous avons sollicité 5 225 nuitées hôtelières pour 467 personnes, effectué 330 courses de taxis sociaux pour 483 personnes et traité 195 dossiers par le service d'insertion pour 67 ménages orientés dans le cadre de commissions partenariales d'orientation. Parmi les 136 signalements de personnes victimes de violences, 72 étaient des femmes accompagnées de 139 enfants. 7 femmes étaient enceintes, et 51 étaient seules. En regroupant les femmes seules et les femmes avec enfants, nous avons accompagné 113 personnes.
Sur le territoire de Saint-Martin, l'activité a été redéployée en mai 2023. Six personnes victimes de violences ont été mises à l'abri ; neuf femmes seules et huit femmes avec enfants ont été signalées.
Le SIAO reçoit des sollicitations de personnes qui, par crainte de leur agresseur, préfèrent ne pas intégrer les dispositifs d'aide existants sur le territoire dans l'immédiat. Elles demandent néanmoins notre accompagnement face à leurs difficultés. Nous avons également mis à disposition des kits pour les personnes victimes de violences, disponibles auprès des forces de l'ordre et des hôteliers vers lesquels nous les orientons avant qu'elles puissent intégrer les centres d'hébergement.
Ces femmes sont souvent confrontées à des problématiques sociales multiples, telles que des ruptures familiales, des troubles psychiques et des problèmes de santé. ces problématiques rendent difficile leur orientation vers les structures d'hébergement existantes. En effet, ces dernières ne sont parfois pas dotées de professionnels capables de proposer un accompagnement social adapté et de qualité, notamment sur le plan de la santé.
Il est important de noter que les personnes victimes de violences hésitent souvent à signaler leur situation par peur. Pour cette raison, le SIAO et le Samusocial s'efforcent de les rassurer et de les informer sur les dispositifs existants. Nous travaillons en étroite collaboration avec les associations d'aide aux victimes, principalement Guadav (Guadeloupe accès au droit et aide aux victimes) et Initiatives France victimes Guadeloupe, qui offrent un accompagnement juridique et social.
Nous oeuvrons également à la mise en place de conventions entre le SIAO et la Croix-Rouge. Nous disposons de nombreux dispositifs d'accompagnement pour le public. Notre objectif est de désigner des référents par structure, notamment auprès de la Caisse d'allocations familiales (CAF), qui accompagne les femmes et les familles. Nous avons constaté que l'ouverture des droits n'est pas toujours effective et que la permanence d'accès aux soins de santé n'est pas présente sur tout le territoire. Ses missions ne sont pas totales. Les personnes en situation irrégulière ne peuvent pas accéder à des soins de qualité en Guadeloupe.
Les personnes à la rue sont désormais mieux recensées grâce à un renforcement de notre équipe depuis février 2024, après le recrutement d'un chargé de mission. Celui-ci a produit un rapport d'activité pour 2023, permettant de fournir des données plus qualitatives.
Le SIAO joue un rôle essentiel dans la coordination des dispositifs existants. Il travaille avec les partenaires pour améliorer l'accompagnement des personnes sur le territoire.
Notre travail est en cours, malgré les difficultés rencontrées par les structures partenaires. Nous encourageons ces dernières à nous faire part de leurs problématiques afin de mieux coordonner les actions sur le territoire. Nous portons également un parcours de sortie de prostitution pour les personnes victimes du système prostitutionnel, en partenariat avec l'association Île y a, implantée dans un quartier à forte présence de prostitution de rue. Nous avons obtenu un agrément en ce sens en avril 2023. Nous avons également sensibilisé les partenaires et les élus pour mieux comprendre et accompagner ces personnes.
Une commission sera prochainement mise en place pour traiter les situations des personnes souhaitant sortir de la prostitution et les accompagner de manière appropriée.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci beaucoup. Nous allons rester en Guadeloupe en écoutant Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité.
Mme Lucette Faillot, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité de la Guadeloupe. - J'ai écouté attentivement les interventions de mes collaboratrices. J'essaierai d'être concise. Je reviendrai d'abord sur la thématique que vous avez posée, « les femmes dans la rue ». Ce phénomène est assez récent en Guadeloupe. Historiquement, on n'apercevait pas les femmes dans la rue. Nous y voyons une sorte de rupture sociale, sociétale et culturelle.
Autrefois, lorsqu'on parlait de sans domicile fixe, on imaginait principalement des hommes. Voir des femmes dans la rue constitue un choc pour la conscience collective. Cette prise de conscience a été renforcée par la crise sanitaire que nous avons traversée.
Ce changement révèle également l'état de la société guadeloupéenne. Les codes de solidarité sociale, qui visaient à subvenir aux besoins des démunis, notamment des femmes, semblent s'être érodés. Cette situation est récente et déplorable.
En Guadeloupe, il existe déjà une stratégie établie par l'État pour gérer l'errance dans la rue. Elle doit être renforcée face aux problématiques spécifiques des femmes sans abri. Cette démarche doit inclure leur visibilité, qui envoie un message négatif aux jeunes et moins jeunes, nécessitant une prise de conscience collective.
Divers services de l'État, comme la DDETS et le sous-préfet à la cohésion sociale, sont impliqués dans la stratégie de lutte contre la pauvreté. Actuellement, il existe 45 places d'hébergement d'urgence pour les femmes victimes de violence, et 125 places d'hébergement classique.
Les dernières données de veille sociale montrent une marginalisation accrue, notamment en Basse-Terre - avec quatre-vingt-seize personnes sans abri, dont vingt femmes - et à Pointe-à-Pitre, avec 211 personnes, dont 33 femmes à la rue. Environ 15 % de ces personnes sont en situation irrégulière. Elles sont âgées de 45 ans en moyenne. Elles sont souvent confrontées à des problématiques de santé chroniques telles que du diabète, des troubles psychologiques et des addictions au cannabis et au crack.
Saint-Martin, qui fait partie de notre région, connaît également des difficultés, notamment en matière d'hospitalisation et de disponibilité des hébergements, surtout durant la période touristique.
Il est important de souligner que malgré ces défis, des stratégies et dispositifs sont en place pour répondre aux besoins des personnes sans abri. Ils doivent être renforcés et adaptés pour mieux répondre aux spécificités des femmes concernées.
La situation de la Guadeloupe présente certaines particularités. Il est crucial d'y assurer une couverture territoriale complète pour pallier les difficultés rencontrées, telles que la topographie et la mobilité géographique. Ces facteurs sont essentiels dans l'accompagnement des personnes sans abri, d'autant plus que les températures tropicales ajoutent des problématiques supplémentaires, puisqu'elles occasionnent des risques de maladies.
Il est également essentiel de souligner la nécessité d'une communication et d'une visibilité accrues concernant ces personnes. Les sans-abri ne sont pas seulement des individus issus de milieux pauvres. Certains ont vécu des déceptions ou des ruptures familiales importantes. Ces dernières les laissent sans repères ni sécurité familiale et nécessitent un accompagnement par des professionnels.
En Guadeloupe, la Croix-Rouge propose des dispositifs bien connus, mais cette notoriété peut engendrer une certaine appréhension de la part de ceux qui pourraient en bénéficier. En effet, l'association est souvent apparentée à une grande pauvreté, ce qui peut dissuader certains de solliciter son aide. D'autres structures, telles que les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), sont tout aussi compétentes pour accueillir ces personnes en préservant une certaine discrétion, mais la difficulté réside dans l'accompagnement dans la durée.
Nous sommes confrontés à un défi majeur, qui consiste à retisser les liens avec les familles, souvent déconnectées et réticentes à renouer contact avec leurs proches sans-abri. Il est également crucial de revaloriser ces personnes, de leur montrer qu'elles sont des individus dignes de respect et d'attention.
Le défi, pour les structures d'accompagnement et les services de l'État, ainsi que les collectivités locales avec les CCAS aussi impliquées, consiste à travailler sur ces thématiques afin que les sans-abri ne se sentent pas chosifiés par une société qui ne leur est pas favorable.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Je me tourne enfin vers les représentantes de la préfecture de la Martinique et je les laisse organiser leur prise de parole comme elles le souhaitent.
Mme Sophie Chauveau sous-préfète à la cohésion sociale et à l'emploi de la Martinique. - Je partagerai avec vous quelques remarques liminaires. Murièle Cidalise-Montaise complétera mon propos et mettra en lumière certaines problématiques spécifiques à notre région.
En Martinique, comme dans la plupart des territoires ultramarins, nous faisons face à des problématiques de pauvreté. Elles touchent particulièrement les femmes. Ici, le recensement des femmes sans abri n'est pas simple, car beaucoup d'entre elles sont invisibles. Par exemple, bien qu'elles soient présentes dans le centre-ville de Fort-de-France, elles ne sont pas toujours perceptibles lorsque les maraudes se déplacent.
À ce titre, nous portons une initiative, qui devrait se déployer d'ici la fin de l'année 2024, en collaboration avec le Samusocial et la Croix-Rouge. Elle vise à opérer un décompte des personnes à la rue à un moment donné, avec l'objectif de genrer ces statistiques tout en gardant à l'esprit que ces personnes peuvent ne pas être constamment sans abri. Elles disposent parfois d'un logement temporaire.
La prise en charge de ces populations est largement assurée par la Croix-Rouge et le Samusocial. Nous avons aussi la chance de bénéficier d'une implantation du mouvement national du Nid à Fort-de-France. Ce mouvement est très actif et ambitionne de se déployer sur d'autres territoires des Antilles. Il nous offre une connaissance plus qualitative de ces populations.
Notre regard est par ailleurs biaisé par le fait que beaucoup de ces femmes sans abri sont des migrantes, ce qui ajoute de la complexité à leur situation et à leur accès aux droits. Même si nous parvenons à les protéger temporairement, notamment lorsqu'elles s'inscrivent dans un parcours de sortie de prostitution, leur avenir reste souvent incertain, faute d'un accompagnement complet.
En termes d'outils, la Croix-Rouge en Martinique a déployé un centre d'accueil spécifique pour les femmes sans abri et les femmes en situation d'addiction. Celui-ci travaille sur une adaptation de ses services à ces populations et propose un accompagnement complet, y compris pour les femmes enceintes.
Je me dois également de souligner une collaboration entre la Délégation régionale aux droits des femmes et à l'égalité et l'agence régionale de santé (ARS). Elle vise à une prise en charge globale des difficultés rencontrées par les femmes, englobant les aspects médicaux, sociaux et sanitaires.
Enfin, la collectivité porte un projet de Maison des femmes, qui ne sera pas uniquement dédié aux femmes sans abri. Elle visera à répondre à diverses situations rencontrées par les femmes sur notre territoire.
Mme Murièle Cidalise-Montaise, directrice régionale aux droits des femmes de la Martinique. - Je compléterai brièvement le tableau dressé collectivement par les représentantes des régions ultramarines et par Sophie Chauveau, en ajoutant quelques éléments sur les dispositifs qui me viennent à l'esprit au fil des conversations.
En particulier, je souhaite mentionner le contrat territorial de sécurité signé entre la collectivité territoriale de Martinique et l'État, représenté par la préfecture de la Martinique. Bien que cela puisse sembler inattendu, ce contrat territorial de sécurité aborde de manière large tous les aspects de la sécurité, y compris les problèmes d'attractivité et de violences sexuelles envers les femmes. Ce cadre se décline dans les contrats locaux de sécurité dans certaines communes et villes de la Martinique, mettant en oeuvre des actions ciblées pour les femmes les plus précaires et celles exposées à des violences, notamment celles que l'on retrouve ou pourrait retrouver en situation de rue, même de manière provisoire.
Un autre dispositif d'accueil important, Elle se pose, est financé par un appel à projets conjoint du ministère de l'intérieur et des outre-mer et du ministère de la santé. Porté par la Croix-Rouge, il est spécifiquement genré pour les femmes en situation de rue. Il n'a pas encore été évalué, mais le sera au cours du deuxième semestre de cette année, ce qui permettra de disposer de données plus précises.
Il est également crucial de souligner la mobilisation du tissu associatif, qui constitue un véritable rempart. Nous avons évoqué les dispositifs étatiques en mentionnant les principales administrations concernées par la lutte contre la précarité et l'errance, mais il ne faut pas sous-estimer l'importance des associations locales. La Croix-Rouge, déjà citée comme un partenaire incontournable, est accompagnée par d'autres associations comme le Secours catholique et le Secours adventiste. Bien que leur impact ne soit pas toujours mesuré de manière formelle, ces acteurs de terrain jouent un rôle crucial, souvent en première ligne face aux populations de la rue, y compris les femmes.
Revenons aux propos introductifs et aux questions précises posées. Je ne connais pas le nombre de femmes à la rue. Je tiens à préciser que mes observations sont empiriques. En plus des éléments qualitatifs et quantitatifs apportés par mes consoeurs, je note que certains territoires de la Martinique sont plus directement concernés que d'autres. C'est le cas de l'agglomération centre, notamment le Lamentin. Nous y observons un phénomène lié à la consommation de drogues, en particulier le crack. À Fort-de-France, certains quartiers sont marqués par la prostitution de rue.
Lucette Faillot le disait, ce phénomène est nouveau. Traditionnellement, les femmes de nos territoires qui vivent « normalement », si je peux m'exprimer ainsi, ne sont pas à la rue. En tout cas, elles n'y sont pas à certains endroits ou à certaines heures. Elles passent, elles transitent, elles s'activent, mais elles ne restent pas dans la rue. Ainsi, le phénomène des femmes de rue est forcément lié à l'augmentation de la précarité et à la rupture du lien social et culturel. Il est visible, ne serait-ce qu'autour de la préfecture. En centre-ville, j'ai décompté six femmes dans la rue sur le périmètre que je parcours à pied pour me déplacer. C'est beaucoup, et c'est nouveau. Elles présentent toutes les comportements et pathologies que vous avez décrits, notamment liés à des problèmes psychologiques et sanitaires. Celles que je vois sont seules.
Pardonnez-moi pour cette approche très empirique, mais je partage ce que je connais, et je souligne que ce phénomène est relativement nouveau. Sophie Chauveau le disait, ces femmes passent un peu « sous les radars ». Nous avons du mal à obtenir des données genrées sur la précarité et la grande précarité. Il me semble essentiel de genrer toutes nos politiques publiques, qu'il s'agisse du social, du soin ou de l'intervention publique, pour adopter une approche plus rationnelle de ce problème et mieux le régler en le mesurant mieux.
Concernant les questions sur l'hébergement et le logement d'urgence, nous sommes déjà en défaillance quantitative. Nous proposons 49 hébergements d'urgence et d'insertion en Martinique. Ils sont saturés. Le flux est permanent, et notre manque de logements sociaux - au nombre de 30 000 environ sur le territoire - est criant. Le parc privé est difficilement mobilisable pour des publics en difficulté.
La problématique de l'hébergement d'urgence est ainsi celle qui me semble la plus importante. Isabelle Hidair-Krivsky soulignait la demande prioritaire de ces populations très exposées. Je la rejoins. Avant même d'être prises en charge sur les aspects sanitaires, sociaux ou d'intégration, elles ont besoin d'un hébergement.
Les partenaires ont déjà été cités. Je ne les rappellerai donc pas. Simplement, je me permettrai d'émettre quelques suggestions qui me sont venues à l'esprit grâce à cette table ronde et à ces échanges.
Il a été question de nuitées hôtelières, mais celles-ci n'impliquent aucun accompagnement. Peut-être faudrait-il concrétiser une convention entre le SIAO et les associations qui interviennent chacune dans leur domaine, apportant une action intégrative d'urgence, des paniers alimentaires, des paniers d'hygiène, mais aussi des actions d'accompagnement économique et social. Une convention avec le SIAO serait utile. Une réunion de travail sur ce sujet est prévue avec la préfecture de la Martinique.
Ensuite, la question de l'accès au titre de séjour est compliquée pour les personnes en parcours de sortie de prostitution. Depuis 2019, sur 300 personnes potentiellement concernées, 33 ont obtenu un titre de séjour. Leur intégration est très réussie, mais l'accès au titre de séjour reste difficile. Les ressortissants que nous accueillons sont surtout vénézuéliens, haïtiens, issus de la République dominicaine, et parfois d'autres territoires.
La coordination des acteurs est fondamentale. Une vision nette et documentée de la situation des femmes dans la rue en Martinique est nécessaire. Pour le moment, elle n'est pas assez documentée. Une bonne coordination des acteurs me semble indispensable.
Je me permets d'évoquer un dernier exemple : une action a été menée pour l'accueil des grands marginaux avec un hébergement dédié au centre-ville de Fort-de-France. Actuellement, seuls des hommes y sont accueillis. S'il est souhaitable d'éviter la mixité dans ces cas-là, il me parait nécessaire de souligner ce constat.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Vous nous avez offert un récapitulatif instructif. Je souhaiterais rebondir sur vos propos concernant les politiques genrées. À la délégation aux droits des femmes, à travers nos divers rapports, nous avons adopté deux principes fondamentaux. Le premier consiste à dire que nous devons compter ces femmes pour qu'elles comptent. En effet, tant que nous ne les recensons pas, nous ne pouvons pas prendre pleinement conscience de leur existence. Le second principe est le suivant : différencier n'est pas discriminer. C'est particulièrement crucial lorsqu'il s'agit des questions de santé, entre autres.
J'ai remarqué avec intérêt que les femmes originaires de République dominicaine et d'Haïti sont plus représentées parmi les femmes étrangères en Martinique. Quelles sont les nationalités prédominantes en Guadeloupe et à Saint-Martin ?
Je suis également surprise par ce qui se passe en Guyane, où l'on perçoit une filière impliquant potentiellement le Brésil pour l'arrivée de femmes afghanes, syriennes et marocaines. La présence de femmes marocaines est assez étonnante dans ce contexte. J'aurais plutôt imaginé le Suriname ou le Brésil en tête de liste pour ces nationalités.
Je laisse la parole à mes collègues rapporteures pour d'autres questions.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Merci, Madame la Présidente. J'avais initialement trois questions, mais suite à votre intervention, il m'en reste deux.
D'abord, j'aimerais savoir comment la déléguée aux droits des femmes de la Guyane parvient à travailler avec les femmes demandeuses d'asile, notamment celles se retrouvant à la rue avec leurs enfants, originaires de Palestine, de Syrie, du Maroc ou du Sahara. Je présume que leur nombre est significatif comparé à d'autres départements.
Ensuite, j'ai récemment été élue présidente d'une association dédiée aux femmes victimes de violences intrafamiliales, appelée La sauvegarde. Nous prévoyons de rencontrer Mme Hidair-Krivsky pour lui présenter nos objectifs. Nous visons notamment la création de dix chambres d'hébergement supplémentaires. Nous allons également développer des activités économiques, comme un restaurant pour femmes, ainsi qu'une ressourcerie. Vous le savez peut-être, Ne plus jeter n'existe plus. Beaucoup de femmes et de familles se retrouvent alors sans vêtements et nous serons là pour les soutenir.
À ma connaissance, la Guyane ne dispose pas de structures similaires. Je m'inquiète de la pauvreté du tissu associatif dans ce domaine, malgré des besoins criants.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Cette table ronde est essentielle, car elle nous rappelle que la France est un pays américain. Notre principale frontière est en effet partagée avec le Brésil. Nous n'en avons pas toujours conscience depuis la métropole. Nous ne sommes pas étrangers aux crises qui affectent les Caraïbes et les pays d'Amérique latine. Par exemple, la crise haïtienne a déplacé des centaines de milliers de personnes au fil des décennies. Nous savons que la situation actuelle est catastrophique. Lors de mon récent déplacement aux Antilles et en République dominicaine, j'ai pu constater l'arrivée massive de milliers de femmes en Martinique et en Guadeloupe. Je ne sais pas ce qu'il en est en Guyane, mais je crains une augmentation préoccupante du trafic d'êtres humains et de la prostitution, touchant femmes et enfants.
Vous avez mentionné la précarisation croissante des femmes, mais il semble que l'afflux massif de migrantes exploitées constitue également un défi pour la prise en charge des femmes déjà en situation précaire. J'aimerais connaître votre opinion sur la nécessité d'une prise en charge différenciée.
Concernant les abris d'urgence et les logements sociaux, des critères de priorisation sont-ils mis en place face à l'insuffisance de l'offre actuelle ?
J'ai également été frappée par l'âge moyen des femmes sans domicile en Guyane, qui se situe entre 26 et 40 ans. Quelles sont leurs perspectives par la suite ? Observe-t-on un nombre significatif de décès parmi les femmes vivant dans la rue ?
Enfin, nous avons débattu hier soir d'une proposition de loi sur la prise en charge des mineurs transgenres. Est-ce une problématique particulière dans votre région ? Nous savons que beaucoup de ces jeunes se retrouvent sans abri en raison du manque de soutien familial. Avez-vous observé ce phénomène dans vos territoires ?
Mme Agnès Evren, rapporteure. - Vous avez parfaitement exposé les causes multifactorielles de l'errance. En effet, le Samusocial est complètement saturé, ce qui conduit de plus en plus de femmes avec des nourrissons à se retrouver à la rue. Comme vous l'avez souligné, elles deviennent invisibles, se masculinisent, adoptant des comportements qui leur permettent de se fondre dans l'anonymat, ce qui les expose malheureusement à des dangers, car elles sont des proies faciles pour les hommes. On les trouve souvent dans des parkings, des squats, voire dans des aéroports.
J'aimerais savoir comment cette réalité se manifeste chez vous. De plus, comment gérez-vous la surpopulation du système d'accueil d'urgence, étant donné que toutes les structures sont surchargées et que des critères de vulnérabilité ont été établis en Île-de-France pour l'accès à l'hébergement d'urgence ? Existe-t-il des critères similaires chez vous ? Dans l'affirmative, comment sont-ils mis en oeuvre ?
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je salue votre implication et vos propositions.
Si le sujet principal de cette audition ne concerne pas directement le bassin de l'océan Indien, à l'occasion d'un récent déplacement, nous avons observé, avec les rapporteurs de la délégation aux outre-mer, l'importance du problème des mineurs isolés qui se retrouvent à la rue. Je tiens à souligner notamment l'association Messo à Mayotte pour son courage et son initiative louable. Elle a mis en place une structure innovante qui mériterait d'être déployée dans d'autres territoires. Elle propose des places d'hébergement et offre un cadre organisé où les jeunes mamans sont prises en charge, incluant des aides maternelles qui s'occupent des bébés pour permettre aux jeunes mères de poursuivre leur scolarité sans risque de décrochage. Elles bénéficient également d'un accompagnement durant la nuit, une nécessité, particulièrement pour les plus jeunes, dont certaines n'ont que 12 ans. Il est essentiel de leur assurer un cadre adéquat après une journée d'école. Ces jeunes femmes sont bien encadrées et bénéficient d'un soutien spécifique de la part de l'État dans le cadre d'un programme dédié. De plus, cette initiative s'étend aussi aux jeunes adultes. Ce modèle pourrait être dupliqué sur d'autres territoires.
Mme Isabelle Hidair-Krivsky. - Pour la Guyane, la jeunesse des femmes prises en charge reflète la jeunesse générale de la population. En effet, plus de la moitié de celle-ci a moins de 25 ans.
La question de la diversité des nationalités parmi les femmes a été particulièrement surprenante pour les associations locales, qui ont dû s'adapter à l'afflux de demandeurs d'asile provenant d'Afghanistan, de Syrie et des Sahraouis. Pour répondre à ces besoins, elles font régulièrement appel à des médiateurs arabophones. Les Sahraouis peuvent généralement communiquer en anglais, tandis que certains Syriens venant du Venezuela parlent couramment espagnol, par exemple. La capacité à jongler avec plusieurs langues est devenue une habitude en Guyane.
Une quinzaine d'associations participent activement au guichet unique de rue, un dispositif expérimenté avec succès en 2022 et pérennisé depuis 2023. Parmi celles-ci, Humanity First joue un rôle essentiel, notamment en mobilisant des membres arabophones pour des activités de médiation et de soutien.
Le guichet unique a distribué plus de 1 000 vêtements lors de sa première année. Ce chiffre a doublé la deuxième année, atteignant plus de 2 000 vêtements distribués.
Concernant les migrants exploités, la présence moins visible des Haïtiens, des Brésiliens et des Surinamais s'explique par leur tendance à rejoindre rapidement leurs familles ou à retourner dans leur pays d'origine. En revanche, les nouveaux demandeurs d'asile ne bénéficient pas de ces points d'ancrage. Ils restent souvent isolés.
Le parcours de sortie de prostitution lancé en 2023 en Guyane a rencontré un succès significatif avec l'intégration de 12 femmes, démontrant les effets positifs de ce dispositif.
Quant aux femmes plus âgées, certaines décèdent ou retournent dans leur pays d'origine, expliquant leur moindre présence dans les programmes d'aide locaux.
Enfin, la prise en charge de la communauté LGBTQIA+ en Guyane est encore embryonnaire, les associations éprouvant des difficultés à organiser des soutiens adaptés. Les hommes d'origine haïtienne constituent la majorité des demandeurs dans ce contexte, faisant face à des défis importants liés à la stigmatisation et à l'acceptation au sein de leurs communautés d'origine. Ce sujet est encore tabou. Les femmes en sont invisibilisées.
Mme Kessy Chenilco. - Le pôle asile de la Croix-Rouge en Guadeloupe regroupe les structures de premier accueil et l'hébergement d'urgence pour les demandeurs d'asile disposant de 22 places. La communauté haïtienne et les ressortissants de la République dominicaine y sont les plus représentés. En Guadeloupe, la communauté haïtienne est particulièrement présente dans les hébergements d'urgence, bénéficiant souvent d'un premier accueil grâce à des attaches préexistantes sur le territoire.
Toutefois, la situation se complique à long terme, car les conditions d'hébergement sont souvent précaires, avec une surpopulation et des conditions de vie difficiles, voire insalubres dans certains cas. Malgré cela, la population haïtienne parvient généralement à exprimer ses besoins et les difficultés rencontrées dès son arrivée.
Les membres de la communauté LGBT, bien que moins représentés, sont souvent capables d'expliquer clairement les raisons de leur fuite de Haïti, percevant la Guadeloupe et la France comme des territoires acceptant leur orientation sexuelle. Néanmoins, la période post-Covid a occasionné une augmentation du flux migratoire en Guadeloupe exacerbant les défis existants.
Concernant le parcours de sortie de la prostitution, récemment mis en place, nous observons plusieurs cas de prostitution de rue impliquant des individus originaires de République dominicaine, de Colombie et du Venezuela. Bien que nous ne disposions pas encore de données chiffrées spécifiques pour ces communautés hispanophones, nous les accompagnons activement à travers nos divers dispositifs comme le Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) pour la prise en charge des addictions et le Samusocial pour l'hébergement d'urgence et l'assistance sociale de proximité. Nous avons pour objectif de proposer à ces personnes un accompagnement de qualité.
L'accès aux droits et aux soins de santé demeure complexe pour les migrants, qui rencontrent des défis persistants, notamment en matière d'asile et d'obtention de titres de séjour. L'accès aux centres d'hébergement et aux soins de santé est également compliqué en raison de files d'attente importantes et de délais prolongés, exacerbant les difficultés d'accompagnement.
En résumé, malgré le lien de confiance établi avec les personnes accompagnées, la mise en place d'un accompagnement social efficace demeure un défi majeur, nécessitant une collaboration continue avec les autorités locales pour améliorer les solutions proposées et orienter de façon adéquate ces populations vulnérables.
Nous sollicitons également les équipes mobiles psychiatriques afin d'aller à la rencontre de personnes qui souffrent de pathologies psychiatriques. Les dispositifs existants sont assez méconnus, ce qui rend la coordination de leur accompagnement difficile, en raison de l'accumulation de problématiques chez ces personnes.
L'accès au parc locatif et au logement social est également très complexe pour nous, car les pouvoirs publics privilégient le logement d'abord, qui nécessite également un accompagnement. Nous le mettons en place vers et dans le logement, en collaboration avec la DDETS, facilitant ainsi l'accès à un logement adapté. Cet accompagnement est crucial pour aider un public principalement féminin à accéder et à maintenir son logement, une fois intégré.
Le SIAO intervient à tous ces niveaux, y compris dans les commissions d'expulsion et de médiation, orientant les personnes vers le parc locatif. Nous mettons particulièrement en avant les critères de vulnérabilité, qui sont en cours de stabilisation.
À Saint-Martin, la situation est encore plus complexe, car les réponses sont peu nombreuses sur le territoire. Seuls deux opérateurs accueillent les personnes orientées vers le SIAO. Initiatives France Victimes accompagne les victimes de violences, et l'association Le manteau accompagne les autres types d'orientation, notamment vers les CHRS et les places d'hébergement adapté.
Les structures sont souvent saturées, avec peu de rotation, en raison du manque d'alternatives. Le coût élevé des loyers à Saint-Martin contribue à maintenir les personnes dans les structures d'hébergement pour des durées prolongées. L'accès à l'aide alimentaire constitue également une problématique majeure, avec des moyens très limités sur les territoires de la Guadeloupe et de Saint-Martin.
Nous collaborons étroitement avec la Banque alimentaire, les structures d'accompagnement et le Secours catholique pour répondre au mieux aux besoins croissants des familles, des femmes seules et des femmes avec enfants, souvent dans des situations familiales complexes avec cinq à six enfants à charge, confrontées à la nécessité d'aide alimentaire et vestimentaire. Malgré nos efforts, les conditions demeurent précaires et extrêmement complexes sur ces territoires.
Mme Lucette Faillot. - Je souhaite souligner l'engagement important des collectivités locales, notamment des communes, dans cette démarche de proximité envers leur population. Cet engagement se traduit concrètement sur le terrain par des actions telles que le portage alimentaire, initié spontanément par ces collectivités afin de soutenir les associations locales et de répondre aux besoins de première nécessité. Bien que certaines de ces actions soient ponctuelles, elles ont le mérite d'exister. Elles permettent d'éviter une rupture complète et un isolement des personnes concernées.
Je tiens à corroborer les propos de Kessy Chenilco et de ma collègue Isabelle Hidair-Krivsky de Guyane concernant les difficultés rencontrées par les étrangers et par la communauté LGBT en Guadeloupe. Il est indéniable que ces sujets restent tabous, ce qui rend particulièrement délicate la prise en charge des victimes de violences conjugales ou d'autres formes de maltraitance au sein de ces communautés.
En dernier lieu, je souhaite aborder notre collaboration avec ces publics au sein de la DRDFE. Nous adoptons une approche transversale, en coopération avec notre service central, le Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE) du ministère de l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous portons une attention particulière à divers dispositifs, notamment ceux liés à la prostitution, soutenus à travers des financements du programme 137. À titre d'exemple, l'association Île y a a récemment obtenu un financement de 50 000 euros pour mener des actions en Guadeloupe, en partenariat avec des structures telles que la Croix-Rouge, sur la question de la prostitution.
Nous sommes profondément engagés de manière transversale sur ces problématiques.
Mme Sophie Chauveau. - En Martinique, nous sommes confrontés à deux principaux défis : d'une part, un problème de ressources financières et, d'autre part, parfois, à une qualité d'hébergement insuffisante. L'année dernière, nous avons été contraints de fermer une structure en raison des dangers auxquels les femmes y étaient exposées.
Le deuxième sujet concerne la situation des « femmes invisibles ». Elles sont, pour ainsi dire, invisibles à nos yeux. Il est souvent difficile de les repérer. Notamment, dans le centre-ville de Fort-de-France, elles survivent dans des squats, dans des conditions précaires, se prostituent et consomment du crack. Elles font face à de nombreux autres défis. Il est donc particulièrement difficile de les identifier. Comme le soulignent nos partenaires du Samusocial, celles que l'on voit dans la rue ne représentent qu'une partie de celles en situation de précarité.
En ce qui concerne la prise en charge des populations transgenres, notre situation est légèrement plus favorable que celle de nos collègues ici présents, car nous disposons d'un centre LGBT récemment stabilisé et reconnu par la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT). Nous travaillons étroitement avec l'association KAP Caraïbe, très engagée sur cette question. Nous envisageons également de collaborer avec Le Refuge pour trouver de nouvelles solutions d'hébergement et d'accueil pour les jeunes qui se retrouvent à la rue en raison de leur orientation sexuelle.
Mme Murièle Cidalise-Montaise. - Vous disiez que la France était américaine. La Martinique est caribéenne. Actuellement, je ne dispose pas d'éléments permettant d'affirmer la réalité d'une arrivée massive de migrantes en Martinique. Cependant, il est indéniable que les crises, qu'elles proviennent du Venezuela, d'Haïti ou d'autres régions, entraînent des fluctuations dans la représentation des populations dans le cadre du parcours de sortie de prostitution.
En ce qui concerne l'hébergement d'urgence et le logement, la Croix-Rouge, en tant que porteuse du parcours de sortie de la prostitution en Martinique, est parvenue à obtenir quinze places en ALT (Allocation Logement Forfaitaire) dédiées à ce parcours, grâce à des échanges étroits entre la préfecture, la DDETS et la Croix-Rouge. Cela a permis de désengorger partiellement les attributions de logements et d'hébergements d'urgence sur l'ensemble du territoire.
Quant à la question de la critérisation pour l'entrée et le droit au logement, je ne peux pas répondre à la place du SIAO, mais je sais que la préfecture veille au principe du logement inconditionnel.
Pour être en phase avec nos partenaires du SIAO, nous avons prévu des échanges avec les associations accompagnant les femmes afin de résoudre les éventuels problèmes et critiques à l'égard de la priorisation des aides.
Enfin, je n'ai pas connaissance de décès de femmes à la rue.
Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes. - Merci pour cette table ronde très riche et pour vos interventions complémentaires. Vos situations ne sont pas si éloignées des problèmes que l'on peut également rencontrer dans l'Hexagone. Merci, Madame la Présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer. C'est toujours un plaisir de travailler en collaboration avec d'autres délégations, et particulièrement avec la vôtre.