COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mardi 28 mai 2024
- Présidence de M. Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France se réunit au Sénat le mardi 28 mai 2024.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. Claude Raynal, sénateur, président, de M. Éric Coquerel, député, vice-président, de M. Albéric de Montgolfier, sénateur, rapporteur pour le Sénat, et de M. Alexandre Holroyd, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Alors que la proposition de loi initiale comportait 14 articles, le texte adopté par l'Assemblée nationale et transmis au Sénat en comptait 19. Lors de l'examen du texte par le Sénat, 6 articles ont été adoptés conformes, 13 ont été modifiés et 10 articles ont été ajoutés. En conséquence, 23 articles restent en discussion sur les 29 articles composant le texte.
Comme il est de tradition, je vous rappelle qu'une commission mixte paritaire (CMP) est simultanément saisie du texte adopté par l'Assemblée nationale et du texte adopté par le Sénat. Elle peut, sur chaque article restant en discussion, choisir l'une ou l'autre des rédactions, ou retenir une rédaction de compromis, proposée par les rapporteurs ou par tout autre membre de la CMP. Pour simplifier nos débats, toutes les propositions de modification et de rédaction portent sur le texte du Sénat, celui-ci ayant été la dernière assemblée saisie.
M. Éric Coquerel, député, vice-président. - Je souhaite tout d'abord remercier le président Raynal pour son accueil. La proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, déposée par M. Alexandre Holroyd, que nous avions examinée à l'Assemblée nationale en première lecture, comportait à la fois des dispositions consensuelles comme celles qui sont relatives à la dématérialisation des titres de créance et d'autres dispositions qui ont suscité davantage d'opposition et de réserves, y compris de ma part. Il s'agit notamment de l'approche particulièrement libérale qui a consisté à ouvrir la faculté d'émission d'actions à droits de vote multiples, susceptible de renforcer le pouvoir de quelques actionnaires, ou encore des nouvelles conditions d'augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription, de la dématérialisation de la tenue des assemblées générales ou des habilitations à légiférer par voie d'ordonnance introduites par le Gouvernement dans le texte, visant à proposer des modifications très larges du droit applicable aux instruments financiers, ce qui a suscité les réserves de l'Autorité des marchés financiers (AMF).
Au Sénat, le texte a évolué sans être fondamentalement transformé. Pour ce qui est des habilitations, elles ont tout au plus été précisées.
Les rapporteurs pour l'Assemblée nationale et pour le Sénat ont travaillé à élaborer une solution de compromis. Il reste à examiner les propositions qui ont été faites sur les points qui suscitent des oppositions ou des réserves, légitimes de mon point de vue.
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Après l'intervention des deux rapporteurs de la CMP, je proposerai de laisser la parole à notre collègue sénateur Louis Vogel, qui, en première lecture au Sénat, était rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, à qui la commission des finances avait délégué l'examen au fond des articles 1er, 3, 10 à 10 ter, 11 et 11 bis.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - Comme cela a été rappelé, le Sénat a été saisi après l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à renforcer le financement des entreprises et l'attractivité de la France. Ses dispositions touchent tant au droit des sociétés qu'au droit monétaire et financier. Je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative de notre collègue député Alexandre Holroyd, auteur de ce texte, car ce n'est pas si souvent que nous pouvons aborder des sujets de droit bancaire, financier ou boursier dans un texte dédié.
Si certaines dispositions peuvent apparaître très techniques, touchant au fonctionnement des marchés, aux règles applicables aux acteurs financiers ou encore à celles des assemblées générales des entreprises, elles pourraient avoir un effet très concret sur l'attractivité de la place de Paris et, dans un second temps, sur le financement des entreprises, sujets sur lesquels la commission des finances avait commencé à travailler en amont du Brexit, avec la publication d'un rapport sur la stratégie de la place financière de Paris qui avait été suivi d'un certain nombre d'avancées.
Lors de l'examen de ce texte, le Sénat s'est une nouvelle fois inscrit dans une démarche constructive, poursuivant ainsi les travaux entamés par la commission des finances et par la commission des lois. Notre approche a été guidée par une double exigence : tout d'abord, celle de préserver l'équilibre entre l'attractivité financière de la place de Paris et la protection des acteurs qui y opèrent ; ensuite, celle d'orienter encore davantage le contenu de la proposition de loi vers le financement des petites et des moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Cela s'est traduit par l'adoption de plusieurs dispositifs. Je pense, par exemple, à l'assouplissement des critères d'éligibilité des entreprises cotées au plan d'épargne en actions (PEA) destiné au financement des PME et des ETI, le PEA-PME, qui ne fonctionne pas très bien aujourd'hui ; à l'éligibilité des droits préférentiels de souscription au PEA ; à l'éligibilité des titres de sociétés de capital-risque à divers produits financiers ou encore à l'assouplissement de la composition de l'actif des fonds communs de placement d'entreprise (FCPE). J'ajouterai à cette liste l'adoption en séance d'un amendement du Gouvernement visant à être habilité à légiférer par voie d'ordonnance pour définir un cadre juridique solide et clair pour l'acquisition de fractions d'actions, sujet qui a suscité des débats.
Nous n'avons pas oublié que l'attractivité de la place financière de Paris allait de pair avec une régulation adéquate et rigoureuse. C'est d'ailleurs l'un des arguments aujourd'hui avancés par les établissements financiers quand ils justifient leur choix de s'installer à Paris. Je n'ai donc qu'un regret sur cette proposition de loi, l'absence d'un titre dédié à cette régulation, sujet sur lequel nous avions travaillé avec le rapporteur général Jean-François Husson dans le cadre de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants. Vous le savez, la protection des épargnants est un sujet qui me tient particulièrement à coeur, car il est le contrepoids nécessaire au renforcement de l'attractivité.
Dans cette recherche d'équilibre, je tiens également à souligner les améliorations que le Sénat a pu apporter au texte grâce aux travaux de la commission des lois, en particulier de son rapporteur Louis Vogel, avec qui j'ai pu échanger en toute transparence et en parfaite intelligence. Ainsi le Sénat, comme la commission des lois l'y a invité, a pleinement soutenu la création d'actions à droits de vote multiples dans le cadre des introductions en bourse - dispositif dont je précise qu'il est encadré -, tout en renforçant les garanties prévues pour les actionnaires et les acteurs de marché. Notre assemblée a également renforcé les dispositifs permettant de faciliter le fonctionnement dématérialisé des organes sociaux, dans des conditions sécurisées pour les entreprises.
J'en viens aux principales modifications opérées sur le texte adopté par le Sénat concernant les 19 articles relevant de la compétence de la commission des finances et restant en discussion. Nous nous sommes rapidement accordés sur le fait de vous proposer d'adopter la majorité d'entre eux dans leur version issue des travaux du Sénat, sous réserve de quelques ajustements rédactionnels ou de coordination. Des modifications plus substantielles ont été apportées à quatre d'entre eux. Je me dois de saluer une nouvelle fois le rapporteur Alexandre Holroyd pour la qualité de nos échanges, pour sa disponibilité et pour avoir accepté que nous retravaillions ensemble plusieurs dispositifs.
Je citerai deux exemples. Le premier concerne la demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour réformer le cadre juridique applicable aux organismes de placement collectif (OPC). La commission des finances avait supprimé l'article 10 quater, car le périmètre de l'ordonnance était bien trop large. En effet, il revenait à donner un blanc-seing au Gouvernement, pour « réformer, simplifier, moderniser » les règles applicables aux OPC, qu'il s'agisse de leur vie sociale, de leurs organes de gouvernance ou de leurs opérations.
Je ne vous avais pas caché mon agacement quand le Gouvernement, faisant fi du vote de la commission, avait proposé de rétablir cet article à l'identique en séance. Le Sénat avait largement sous-amendé l'amendement du Gouvernement, en proposant de restreindre la durée de l'habilitation ainsi que son champ. Je me réjouis que nous ayons pu trouver un accord avec Alexandre Holroyd sur ce point extrêmement technique, sous réserve de quelques précisions. Je ne suis pas hostile au fait de légiférer par ordonnance quand le sujet s'y prête, comme c'est le cas ici, mais à la condition que la demande d'habilitation soit encadrée.
Le second changement substantiel concerne le plafonnement des indemnités de licenciement des preneurs de risques, autrement dit les traders. Je vous avais exposé mes motivations : c'est un enjeu d'attractivité majeur pour la place financière de Paris, enjeu que notre commission avait déjà relevé dans le rapport précité de 2017, sur la place de Paris après le Brexit. Je vous avais également fait part des doutes du Gouvernement et des miens quant à la rédaction que nous avions proposée au Sénat, porteuse de risques juridiques.
À nouveau, je veux remercier le rapporteur Alexandre Holroyd pour son engagement : nous sommes parvenus à une rédaction de compromis qui nous semble plus sécurisée juridiquement. Elle ne concerne tout d'abord que les indemnités octroyées par le juge pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse - ces indemnités étant déjà plafonnées par le « barème Pénicaud ». Le champ des salariés concernés est par ailleurs réduit aux seuls traders ainsi qu'à leurs responsables directs, et le mécanisme de plafonnement prend bien davantage en compte l'ancienneté et donc l'impératif de réparer le préjudice subi par le salarié.
Pour résumer, je crois que nous pouvons nous féliciter des apports de cette proposition de loi et de l'accord que nous vous proposons.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je vous remercie pour votre accueil ce matin et souhaite que nous puissions adopter un texte commun sur la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, que j'ai déposée sur le Bureau de l'Assemblée nationale au début du mois de mars dernier et que nos deux chambres ont approuvée au cours des dernières semaines, au terme de débats parfois techniques, mais toujours révélateurs de l'opinion des uns et des autres sur la compétitivité de la place de Paris.
Grâce à la qualité des échanges que nous avons eus avec les personnes que nous avons auditionnées, avec la direction générale du Trésor et surtout entre nous, rapporteurs des commissions des finances des deux assemblées et de la commission des lois du Sénat, je crois pouvoir dire que nous avons amélioré tant la portée pratique que la sécurité juridique du texte, qui est passé de 14 à 29 articles.
Nos négociations préalables à la réunion de cette commission mixte paritaire se sont inscrites dans le droit fil de cette recherche d'efficacité et de rigueur pour les mesures prévues par la proposition de loi.
Le titre Ier, relatif au renforcement des capacités de financement des entreprises depuis la France, a été l'objet de nombreux enrichissements au cours des travaux de la Haute Assemblée. Je me réjouis de leur pertinence, qui nous permettra d'en conserver la plupart. Aussi les rapporteurs que nous sommes ne vous proposeront-ils que des ajustements marginaux.
Le titre II est afférent à la transférabilité et à la convertibilité des lettres de change, billets à ordre et autres warrants sous forme électronique, pour un gain de temps et de confiance, donc de ressources financières, en faveur des importateurs et des exportateurs internationaux, ainsi que des établissements de crédit et des assurances. Ses quatre articles n'ont certes pas été adoptés en termes conformes, mais nous gardons tous les apports techniques de la Haute Assemblée.
S'agissant du titre III, nous avons obtenu un équilibre satisfaisant, non pas tant entre la rédaction de l'Assemblée nationale et celle du Sénat, car nous n'avons jamais été en désaccord sur la plupart des diagnostics et sommes pareillement attachés au bon fonctionnement des entreprises, mais plutôt entre la volonté de moderniser leur gouvernance et celle que cette simplification ne retire aucun droit aux actionnaires minoritaires.
C'est ainsi que, par exemple à l'article 10, nous préservons un droit d'opposition large au recours à des consultations écrites électroniques en lieu et place d'une réunion du conseil, mais évitons de compliquer la vie des sociétés par des contraintes pratiques disproportionnées ou des risques contentieux qui nuiraient à notre objectif, à savoir l'attractivité de la France.
Par ailleurs, à la suite de nos échanges avec les administrations compétentes, nous proposons quelques ajustements et compléments très circonscrits aux précisions bienvenues apportées par le Sénat à l'habilitation à légiférer par ordonnance en matière d'organismes de placement collectif, sollicitée par le Gouvernement, qui figure à l'article 10 quater. Un même pragmatisme nous conduit à vous proposer, au terme d'un travail mené avec les services de la Chancellerie, une rédaction modifiée de l'article 10 sexies. Cette rédaction donnera son caractère opératoire à la réduction souhaitée des délais d'examen des recours formés contre certaines décisions de l'AMF.
Le titre IV présente un caractère technique et prévoit l'entrée en vigueur du texte et son application outre-mer.
M. Louis Vogel. - Je tiens tout d'abord à remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce texte, au premier rang desquels Alexandre Holroyd, auteur du texte et rapporteur pour l'Assemblée nationale, les membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale, ceux des commissions des finances et des lois du Sénat, et Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat.
Il est important de noter que cette proposition de loi intervient dans un contexte certes favorable pour la place de Paris, qui est désormais la première en Europe, devant Londres, mais aussi au moment où de nombreux pays assouplissent leur législation et entrent en concurrence frontale avec nous, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. La concurrence entre les droits est donc forte.
Cette proposition de loi nous permet d'améliorer notre compétitivité et in fine notre attractivité. Elle fait suite à d'autres textes qui avaient la même vocation sur d'autres aspects, et devra, à mon sens, être suivie par d'autres mesures. En effet, l'attractivité ne saurait se résumer au droit des sociétés et il faut également prendre en compte le coût du travail, la protection sociale et la fiscalité, entre autres critères.
Les articles sur lesquels la commission des lois du Sénat a reçu une délégation au fond offrent aux entreprises de nouvelles possibilités juridiques. Il s'agit notamment de l'article 1er, qui permet la création d'actions dotées de droits de vote multiples ; de l'article 3, qui prévoit un assouplissement des modalités d'augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription ; et de l'article 10, qui permet une extension du recours à la dématérialisation des modalités de décision du conseil d'administration, du conseil de surveillance et de l'assemblée générale des actionnaires.
Lors de l'examen du texte au Sénat, il n'y a pas eu de remise en cause des principes traditionnels du droit français des sociétés. Je me suis en effet opposé à tous les amendements allant dans ce sens, le texte proposé n'ayant pas cet objet.
En revanche, le Sénat, sur l'initiative de la commission des lois, a adopté plusieurs modifications, qui me paraissent importantes. À l'article 1er, les amendements adoptés par le Sénat ont permis de renforcer certaines garanties pour les actionnaires, en complétant le champ des catégories de résolutions pour lesquelles les droits de vote multiples n'ont pas vocation à s'appliquer et en assurant la bonne information des acteurs de marché sur les modalités de recours à ces actions de préférence.
À l'article 10, le Sénat a entendu renforcer l'opérationnalité des dispositifs de consultation dématérialisée des organes sociaux, tout en veillant à la sécurité juridique des décisions prises, en supprimant les nouveaux cas de nullité créés par le texte, alors que l'article 11 bis vise à habiliter le Gouvernement à refondre le régime des nullités pour le simplifier.
Dans le même temps, nous avons veillé à améliorer la protection des actionnaires minoritaires en adoptant, notamment, l'article 10 bis A, qui vise à renforcer l'efficacité des procédures contentieuses pour les rendre plus rapides.
Je me félicite que, sur ces articles, la plupart des apports du Sénat soient conservés dans le projet de texte de compromis présenté par nos rapporteurs. Les propositions de rédaction qui vous seront soumises concernant ces articles ne remettent pas en cause les équilibres trouvés.
En particulier, s'agissant de l'article 1er, j'ai été convaincu par les arguments d'Alexandre Holroyd sur la nécessité de ne pas prévoir de plafond aux droits de vote associés aux actions de préférence sur les marchés réglementés.
S'agissant de l'article 10, la préservation d'un droit pour tout membre du conseil d'administration de s'opposer à une procédure de consultation écrite, comme l'avait souhaité l'Assemblée nationale, paraît constituer une garantie raisonnable dès lors que le dispositif, comme l'avait souhaité le Sénat, peut être appliqué dans l'ensemble des sociétés anonymes et n'est pas réservé à celles où la présidence du conseil d'administration et la direction générale sont assurées par des personnes différentes.
Ce texte doit nous permettre d'être compétitifs, d'attirer de nouvelles entreprises en France, mais aussi d'empêcher le départ d'entreprises vers des places autrement plus « agressives » juridiquement parlant, sans remettre en cause, encore une fois, les grands principes de notre droit des sociétés.
M. Charles de Courson, député. - Le bénéficiaire d'actions à droits de vote multiples pourrait se voir octroyer jusqu'à 25 voix par action. Par conséquent, avec une minorité d'actions, ils pourraient être majoritaires en voix. Qu'avez-vous prévu pour éviter que ces bénéficiaires n'abusent de leur pouvoir ? Par exemple, si un bénéficiaire détient 5 % des actions et plus de 50 % des voix, peut-il décider d'augmenter considérablement la rémunération des dirigeants plutôt que de distribuer les dividendes ?
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet. Le cas de figure que vous évoquez existerait dans le cas où un actionnaire détiendrait 51 % des actions et pourrait ainsi abuser de son pouvoir d'actionnaire majoritaire, situation que permet déjà le droit commun. En outre, il y a déjà en France des droits de vote doubles qui peuvent permettre qu'un actionnaire détienne 25 % du capital et 50 % des voix.
Toutefois, un encadrement est prévu grâce à des exceptions très précises pour l'application des droits de vote multiples. L'Assemblée nationale et le Sénat ont souhaité le renforcer.
De manière plus fondamentale, la décision d'investir dans une entreprise cotée relève de la liberté de l'investisseur, qui souhaite s'engager dans un projet de croissance et qui peut le valoriser en fonction des droits de gouvernance qui sont les siens.
Pour reprendre votre exemple de la distribution des dividendes, certaines grandes entreprises de tech américaines exerçant les droits de vote multiples ont fait le choix de ne pas fournir de dividendes pendant les premières années. Les investisseurs ont choisi de les soutenir non pas pour la rémunération sur les dividendes, mais pour une rémunération issue de la valorisation de l'action.
Selon moi, il faut laisser à l'investisseur le choix d'investir. Évitons de surtransposer le droit européen, qui prévoit que les droits de vote multiples doivent être plafonnés sur les systèmes multilatéraux de négociation, mais pas sur les marchés réglementés. La proposition de loi se tient à cette philosophie en laissant leur liberté aux investisseurs sur les marchés réglementés.
M. Éric Coquerel, député, vice-président. - Si l'on poussait votre logique jusqu'au bout, les sociétés finiraient par ne plus être encadrées par le droit. L'initiative finirait par prévaloir contre tout. En ce qui me concerne, je n'ai toujours pas compris pourquoi est proposé un multiplicateur de vingt-cinq, alors que l'Autorité des marchés financiers recommande un multiplicateur maximal de dix. Vous nous répondez que le plafond ne sera jamais atteint, mais nous n'avons aucune assurance en la matière. Un multiplicateur à vingt-cinq augmentera de manière considérable le pouvoir de certains actionnaires, qui ne seront d'ailleurs pas forcément ceux qui ont été à l'initiative de la société.
M. Louis Vogel. - Je souhaiterais apporter une précision en complément des propos d'Alexandre Holroyd, s'agissant du texte qui est proposé à la CMP. Le Sénat a étendu la liste des résolutions pour lesquelles les droits de vote multiples ne s'applique pas. Cette règle vaudrait, par exemple, non seulement pour l'approbation des comptes, mais aussi pour la politique de rémunération des dirigeants ou les conventions réglementées. Les cas où il pourrait y avoir un éventuel abus de pouvoir sont donc encadrés.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Sur ce point, je remercie le Sénat d'avoir repris certaines dispositions qui n'avaient pas été adoptées à l'Assemblée nationale, malgré l'avis favorable que j'avais donné. Je suis heureux que nous puissions trouver un équilibre dans le cadre de la CMP.
Il est certain que les droits de vote multiples n'ont pas vocation à assurer une rémunération disproportionnée à la personne qui les détient. Le Sénat a suffisamment encadré le dispositif pour éviter une telle situation.
Le marché financier doit se caractériser par la clarté et la transparence des conditions dans lesquelles on investit. L'AMF joue un rôle fondamental en cela. Comme l'a rappelé Albéric de Montgolfier, nous avons la chance d'avoir en France un régulateur de première qualité, capable d'assurer à l'investisseur la connaissance précise des conditions dans lesquelles il investit. Il revient donc à l'investisseur de faire le choix d'investir et de savoir à quel prix il le fait. La liberté d'investir ou non dans une entreprise est totale. C'est à chacun de choisir s'il veut ou non prendre le risque d'investir, même si ses droits de gouvernance sont dilués.
En pratique, on constate que les entreprises qui recourent le plus à ce type de dispositif sont à très forte croissance, à besoin de capitaux importants et au développement rapide. Les actionnaires qui y investissent croient à la valorisation de l'entreprise plus qu'à la rémunération des dividendes. L'entreprise propose une offre à ses actionnaires potentiels, qui sont libres de choisir d'investir dans des catégories et selon un prix qu'il leur revient de définir.
EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
M. Claude Raynal, sénateur, président. - Mes chers collègues, nous allons maintenant examiner chaque article restant en discussion, les modifications et rédactions qui vous sont proposées portant toutes sur le texte du Sénat.
Article 1er
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 1 tend à rétablir le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, qui prévoit de circonscrire aux sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un système multilatéral de négociation la limitation du ratio entre les droits de vote associés aux actions de préférence et ceux qui sont associés aux actions ordinaires, fixé à vingt-cinq pour un.
La proposition commune de rédaction n° 1 des rapporteurs et de M. Louis Vogel est adoptée.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 2 vise à clarifier la rédaction des alinéas 26 et 28. Il n'est pas nécessaire de prévoir que l'AMF soit formellement consultée sur les modalités d'application réglementaires de cet article parce qu'elle l'est déjà de manière informelle pour ce qui concerne toute publication de données d'information.
La proposition commune de rédaction n° 2 des rapporteurs et de M. Louis Vogel est adoptée.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, comprenant également des modifications rédactionnelles et de précision.
Article 1er bis (nouveau)
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une modification rédactionnelle.
Article 2
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 3 apporte plusieurs modifications formelles et de coordination à l'article 2 tel qu'adopté par le Sénat. L'unique modification de fond concerne le report de l'entrée en vigueur des nouvelles exigences de préliquidation applicables aux fonds communs de placement à risques (FCPR) agréés à compter de la promulgation de la loi, afin d'éviter que les FCPR existants ne doivent modifier leur règlement.
La proposition commune de rédaction n° 3 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 bis (nouveau)
L'article 2 bis est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une correction rédactionnelle.
Article 2 ter (nouveau)
L'article 2 ter est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de clarifications rédactionnelles.
Article 2 quater A (nouveau)
L'article 2 quater A est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.
Article 2 quater (nouveau)
L'article 2 quater est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 quinquies (nouveau)
L'article 2 quinquies est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une correction matérielle et d'une coordination.
M. Louis Vogel, sénateur. - Dans la continuité de la proposition de rédaction n° 2, la proposition commune de rédaction n° 4 vise à ne pas prévoir dans la loi de consultation formelle de l'AMF pour la détermination des conditions d'application réglementaires du présent article.
La proposition commune de rédaction n° 4 des rapporteurs et de M. Louis Vogel est adoptée.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 5 bis
L'article 5 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 5 ter (nouveau)
L'article 5 ter est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.
Article 6
L'article 6 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de correction d'une erreur matérielle et de modifications rédactionnelles.
Article 7
L'article 7 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une clarification rédactionnelle.
Article 8
L'article 8 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 9
L'article 9 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 10
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Avec le rapporteur pour avis de la commission des lois, Louis Vogel, nous avons discuté des conditions dans lesquelles serait applicable la possibilité créée par la loi pour un conseil de surveillance d'une société anonyme ou un conseil d'administration de procéder par circularisation. L'Assemblée nationale avait prévu deux dispositifs : premièrement, tout membre du conseil d'administration avait le droit de s'opposer à cette procédure ; deuxièmement, cette procédure était limitée aux sociétés dans lesquelles les fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général étaient assurées par des personnes différentes.
Nous vous proposons de ne conserver que le premier garde-fou, à savoir que tout membre du conseil peut s'opposer à cette procédure, le second étant de nature à poser un problème juridique.
La proposition commune de rédaction n° 5 des rapporteurs et de M. Louis Vogel est adoptée.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Par la proposition commune de rédaction n° 6, nous supprimons la phrase selon laquelle la voix du président du conseil de surveillance est prépondérante en cas de partage. Nous laissons les sociétés déterminer les règles de départage des votes au sein de leur instance.
La proposition commune de rédaction n° 6 des rapporteurs et de M. Louis Vogel est adoptée.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, comprenant également des clarifications rédactionnelles.
Article 10 bis A (nouveau)
L'article 10 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve d'une modification rédactionnelle.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat a restreint la demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance pour réviser le cadre juridique applicable aux OPC, tant pour ce qui concerne son calendrier que pour ce qui concerne son champ. La proposition commune de rédaction n° 7 vise à préciser et à compléter le champ de l'habilitation s'agissant, par exemple, du fractionnement des actifs des organismes de placement collectif immobilier ou du rôle des organes de surveillance des sociétés d'investissement. L'objectif est en effet de parvenir à une réforme cohérente du cadre juridique des OPC.
M. Patrick Hetzel, député. - Voilà un bel exemple de l'intérêt du bicamérisme ! Cette précision est bienvenue. Certains d'entre nous sont en effet enclins à encadrer les habilitations à légiférer par voie d'ordonnance. Merci au Sénat d'avoir proposé ces précisions.
La proposition commune de rédaction n° 7 des rapporteurs est adoptée.
L'article 10 quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire, comprenant également des clarifications rédactionnelles.
Article 10 quinquies (nouveau)
L'article 10 quinquies est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.
Article 10 sexies (nouveau)
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 8 concerne le délai laissé à la juridiction pour statuer sur un recours contre une décision individuelle de l'AMF relative à une offre publique.
Nous sommes parvenus au compromis selon lequel un décret en Conseil d'État fixera la liste des cas dans lesquels le délai sera réduit à trois mois, contre cinq pour les décisions les plus complexes.
La proposition commune de rédaction n° 8 des rapporteurs est adoptée.
L'article 10 sexies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 9 vise à sécuriser le dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement en le restreignant aux seuls traders et à leurs responsables directs ainsi qu'aux seules indemnités octroyées par le juge pour des licenciements sans cause réelle et sérieuse - ces indemnités faisant déjà l'objet d'un encadrement. Toujours dans cet objectif de sécurisation, la proposition de rédaction permet de mieux prendre en compte l'ancienneté du salarié et donc l'impératif constitutionnel de réparer le préjudice subi ; ce ne sont en effet plus les indemnités de licenciement qui seraient plafonnées mais le montant de la rémunération mensuelle prise en compte pour calculer le montant maximal de l'indemnité pouvant être octroyée au salarié par le juge. Nous proposons enfin de décaler l'entrée en vigueur du dispositif aux licenciements intervenus postérieurement à la publication de la présente loi.
Ce dispositif, qui existe déjà dans d'autres pays, concernera un nombre très limité de personnes, mais est important pour accroître l'attractivité financière de la place de Paris
M. Charles de Courson, député. - Le plafond retenu par le code de la sécurité sociale s'élève à un peu plus de 46 000 euros. Quid dans le cas où le contrat ou un accord conventionnel aurait prévu une indemnisation supérieure ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - La disposition prévue à l'article 12, telle que modifiée par la proposition de rédaction n° 9, ne s'appliquerait qu'aux indemnités octroyées par le juge, dans le cas d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. Charles de Courson, député. -Elle ne s'appliquerait donc pas dans le cas d'une rupture conventionnelle ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - La disposition ne concerne en effet pas les ruptures conventionnelles ou l'octroi d'autres indemnités prévues dans le contrat de travail.
Je le répète, la portée de cette disposition est limitée, mais elle est de nature à accroître l'attractivité de la France pour les établissements financiers et à conduire ces derniers à localiser ces emplois très mobiles en France, et non à New York, Londres, Francfort ou Amsterdam. C'est une demande assez partagée de la place de Paris.
M. Charles de Courson, député. - Quelle est son utilité ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - Attirer des établissements financiers et des emplois très qualifiés. Le coût des licenciements de ces personnels est bien moins élevé en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit là aussi de reconnaître la particularité de cette profession, avec des rémunérations sans commune mesure avec celles qui existent dans d'autres professions et qui ne sont pas du tout liées à l'ancienneté dans l'entreprise. Les preneurs de risques exercent un métier par nature cyclique : en contrepartie de rémunérations très élevées, leur carrière connaît des hauts et des bas. Sur toutes les grandes places financières, que ce soit à Londres, à New York, à Amsterdam, à Hong Kong ou à Singapour, la sécurité de l'emploi s'est dégradée en contrepartie de rémunérations élevées. Le dispositif cible les salariés d'un établissement de crédit, d'une société de financement, d'une entreprise d'investissement ou d'une entreprise d'assurance ou de réassurance. Certains employeurs sont susceptibles de tenir compte des indemnités de licenciement afférentes à l'activité pour choisir le lieu de travail de leur personnel. De plus, notre rédaction de compromis se fonde sur le barème Pénicaud.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat. - En combinant le dispositif que nous vous proposons et le barème Pénicaud, avec quinze ans d'ancienneté, un trader pourrait se voir octroyer par le juge une indemnité maximale de licenciement de 602 000 euros ; 927 360 euros pour trente ans d'ancienneté.
La proposition commune de rédaction n° 9 des rapporteurs est adoptée.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 13
L'article 13 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de coordinations.
Article 14
L'article 14 est adopté dans la rédaction du Sénat, sous réserve de modifications rédactionnelles.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France.
La réunion est close à 10 heures.
Jeudi 30 mai 2024
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères se réunit au Sénat le jeudi 30 mai 2024.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, de Mme Constance Le Grip, députée, vice-présidente, de Mme Agnès Canayer, sénateur, rapporteur pour le Sénat, et de M. Sacha Houlié, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - La commission mixte paritaire (CMP) est chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
Je laisse immédiatement la parole à Sacha Houlié, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, auteur et rapporteur du texte à l'Assemblée nationale.
M. Sacha Houlié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous sommes réunis ce matin pour aboutir à un accord sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. C'est avec une certaine satisfaction que je m'exprime, puisque ce texte est le fruit d'un long travail, amorcé par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) lorsque j'en assurais la présidence, retracé dans le rapport de la DPR rendu en juillet 2023. Il est en effet assez rare que les initiatives parlementaires sur un sujet aussi régalien prospèrent. Je souhaite la même réussite à mes successeurs, en particulier à Cédric Perrin. Le texte reprend quatre des vingt-deux propositions initiales du rapport, dont certaines étaient de nature réglementaire.
La proposition de loi vise à mieux armer notre pays face à la menace grandissante des ingérences étrangères. Je salue les votes convergents de nos deux assemblées, qui témoignent de constats partagés et d'une vision commune.
Je remercie aussi Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois du Sénat. Nous avons eu des échanges constructifs en vue de parvenir à un accord, qui sera, je l'espère, entériné par cette commission mixte paritaire.
Ce travail fructueux préserve les enrichissements apportés en commission des lois et dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, complétés par le travail du Sénat.
Concernant l'article 1er, qui prévoyait la création d'un nouveau répertoire ayant vocation à retracer les activités d'influence étrangère, géré par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), le Sénat a adopté une série de modifications permettant de distinguer plus clairement ce nouveau dispositif de celui qui a été créé par la loi Sapin 2, en le recentrant sur les activités d'influence sur la décision et les politiques publiques. Il s'agit d'avoir deux registres, le premier, dit de droit commun, concernant le lobbying domestique, le second contrôlant plus étroitement les influences étrangères.
Nous proposons d'opérer des modifications, qui sont, de mon point de vue, bienvenues, notamment à l'alinéa 6, qui prévoit d'intégrer dans ces opérations d'influence celles qui visent la politique européenne de la France.
Nous proposons également que les informations soient transmises dans un délai d'un mois à la fin de chaque trimestre, et non dans les trois mois suivant la réalisation d'une activité. C'est une façon de rendre plus opérationnel le dispositif prévu par l'article 1er.
Le dispositif a en outre été élargi, puisque le seuil au-delà duquel les élus locaux sont considérés comme une cible potentielle d'influences étrangères a été abaissé à 20 000 habitants.
La date d'application a également été modifiée. L'Assemblée nationale avait prévu une entrée en vigueur au 1er janvier 2024. Le Sénat avait préféré la date du 1er janvier 2025. Nous avons retenu, avec Agnès Canayer, le 1er juillet 2025 pour plusieurs raisons. Cela permettra de voter des crédits pour la HATVP, de recruter des agents et de s'assurer que ceux-ci soient opérationnels six mois après l'adoption du projet de loi de finances pour 2025.
À l'article 1er bis A, le Sénat a souhaité renforcer le contrôle des reconversions des anciens ministres, des anciens membres d'autorités administratives indépendantes et des anciens élus locaux, en prévoyant que ce contrôle s'exerce sur cinq ans, contre trois ans actuellement. J'y suis, là encore, extrêmement favorable.
Il fallait, en revanche, clarifier la question de l'influence et de l'ingérence. Les registres concernent en effet l'influence, c'est-à-dire des actions légales, qui peuvent nécessiter un contrôle. L'ingérence, au contraire, est caractéristique d'une infraction. La HATVP contrôle l'influence. Nous souhaitions donc opérer cette modification.
Quant à l'article 2, il prévoit la remise d'un rapport sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Nous avons préféré retenir la rédaction de l'Assemblée nationale, qui prévoyait un rapport tous les deux ans. Ce délai nous paraît pertinent pour apprécier l'évolution des menaces, qui, si elle est assez rapide, ne justifie pas forcément un débat et un rapport annuel.
L'article 2 bis, ajouté par le Sénat, apporte d'importantes précisions. Je salue l'enrichissement de Jean-Baptiste Lemoyne, notamment sur le champ du rapport annuel consacré aux investissements étrangers en France. L'article prévoyait également un fort élargissement des pouvoirs d'investigation des présidents des commissions des affaires économiques et des rapporteurs généraux des finances, en ouvrant un contrôle pour l'ensemble des investissements étrangers au-delà de ceux qui sont susceptibles de faire l'objet d'une décision du ministre chargé de l'économie. Nos réserves ne portaient ni sur le principe ni sur la confiance à accorder à ces personnalités extrêmement qualifiées, mais sur le risque de leur conférer davantage de pouvoirs que n'en dispose la DPR. C'est la raison pour laquelle nous proposons de renvoyer cette discussion à la prochaine loi sur le renseignement qui devrait être soumise au Parlement d'ici un an.
En revanche, au Sénat, le Gouvernement s'était engagé en séance auprès de Jean-Baptiste Lemoyne à renforcer le contrôle parlementaire de l'intelligence économique. C'est la version que nous proposons de retenir dans un article 2 bis.
L'article 3 prévoit l'utilisation d'algorithmes en cas de menace pour la défense nationale. Le Sénat a précisé utilement la manière de travailler, en suivant une logique d'entonnoir : l'utilisation des algorithmes sur les données de connexion et sur les URL est élargie à différentes finalités du renseignement. Il est néanmoins indiqué que ce n'est que dans certains cas que ces techniques pourront être utilisées. C'est la démarche que nous avions souhaité suivre à l'Assemblée nationale en ajoutant qu'étaient visées les ingérences ou les tentatives d'ingérence. La rédaction du Sénat est néanmoins plus précise, puisqu'elle permet de cibler certaines finalités et qu'elle indique que les cyberattaques entrent bien dans le champ de ce que nous cherchons à combattre avec les algorithmes.
Par ailleurs, le contrôle parlementaire est renforcé par la remise d'un second rapport à la fin de l'expérimentation.
Nous vous proposons d'entériner ces deux évolutions.
L'article 4 consacre explicitement le caractère préventif du dispositif du gel d'avoirs. Cette mesure administrative a un objectif de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions. La précision est donc bienvenue. Elle constitue une garantie supplémentaire visant à sécuriser juridiquement le dispositif, notamment aux yeux du Conseil constitutionnel.
Nous sommes également favorables à la création d'un nouvel article dans le code monétaire et financier afin de mieux distinguer les mesures de gel. En revanche, nous avons préféré une rédaction plus large, calquée sur le dispositif applicable aux gels en matière d'avoirs terroristes, en vue de prévenir non seulement la tentative d'ingérence, mais également sa réalisation.
Enfin, l'article 4 bis ajouté par le Sénat crée une circonstance aggravante lorsque des atteintes aux biens ou aux personnes sont commises dans le but de servir des intérêts d'une puissance étrangère, d'une entreprise ou d'une organisation étrangère sous contrôle étranger. Nous nous étions interrogés sur le sujet à l'Assemblée nationale, et avions écarté la création d'une nouvelle infraction pour ne pas empiéter sur certaines infractions existantes, ayant trait à l'ingérence. Ainsi, la parade que constitue la définition de cette nouvelle circonstance aggravante nous paraît justifiée. La modification que nous proposons est technique. Il s'agit de confier l'instruction et le jugement des affaires d'ingérence aux juridictions chargées des infractions militaires ; ou au tribunal judiciaire de Paris en matière de cyberattaque - soit à des juridictions spéciales. Pour le reste, les juridictions de droit commun resteraient compétentes.
Le texte est respectueux de la volonté de chacune des assemblées, avec un travail fructueux, qui est la traduction de ce que nous faisons quotidiennement à la DPR. Je propose à tous les membres de la CMP de se rallier au compromis auquel nous sommes parvenus.
Mme Agnès Canayer, rapporteur pour le Sénat. - Je tiens à remercier Sacha Houlié pour les échanges approfondis et constructifs que nous avons eus en prévision de cette commission mixte paritaire. Chacun a fait l'effort de comprendre les arguments de l'autre et a fait les concessions nécessaires.
Dans l'ensemble, et malgré quelques motifs d'insatisfaction sur des points essentiellement techniques, j'ai le sentiment que nous sommes parvenus à un résultat équilibré et raisonnable. Le texte que nous vous proposons poursuit son objectif premier, à savoir la lutte contre les ingérences étrangères sur notre territoire.
La délégation parlementaire au renseignement, instance de contrôle transpartisane et commune aux deux assemblées, a mené un travail approfondi sous la présidence de Sacha Houlié et a formulé plusieurs recommandations aujourd'hui traduites dans ce texte.
Nous avons dès lors, en commission comme en séance, approuvé l'ensemble des mesures qui étaient préconisées dans ce rapport.
Premièrement, nous avons voté en faveur de la création d'un registre des activités d'influence étrangère sur le modèle du Foreign Agents Registration Act (dit « Fara ») en vigueur aux États-Unis, pour favoriser la transparence en la matière.
Deuxièmement, nous avons veillé à améliorer l'information du Parlement quant à l'état de la menace en matière d'ingérence étrangère.
Troisièmement, nous nous sommes accordés sur l'expérimentation de l'extension à deux nouvelles finalités de la technique dite de l'algorithme.
Quatrièmement, nous avons apporté notre soutien à l'élargissement aux ingérences étrangères la procédure de gel des avoirs.
Nos divergences portaient principalement sur trois points pour lesquels nous sommes arrivés à trouver des compromis.
En premier lieu, nous avions choisi, contrairement à l'Assemblée nationale, d'autonomiser le registre nouvellement créé et spécifique aux influences de celui qui existe depuis la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, pour les représentants d'intérêts et d'en repousser l'entrée en vigueur au 31 décembre 2025 pour laisser le temps aux acteurs, notamment la HATVP, de déployer les outils nécessaires à leur contrôle.
Si l'Assemblée nationale a compris nos arguments quant à la nécessité d'étanchéifier les deux registres afin de renforcer l'effet signal de chacun d'eux et de renforcer, pour celui qui est relatif aux influences, les pouvoirs de la HATVP et les sanctions pénales associées, elle ne souhaitait pas retarder à la fin de l'année 2025 l'entrée en vigueur du dispositif. Nous nous sommes donc accordés sur la date du 1er juillet 2025, de façon à laisser passer les jeux Olympiques et Paralympiques et à attendre que les moyens soient mis en oeuvre.
En deuxième lieu, le Sénat avait réduit aux seules finalités préventives la mesure de gel des avoirs de l'article 4, par crainte d'une censure constitutionnelle en cas d'application d'une mesure administrative en lieu et place d'une sanction pénale en cas de commission d'ingérence étrangère. Sur ce point, nous avons maintenu la restriction du dispositif à sa seule nature administrative et donc préventive, tout en acceptant les demandes de l'Assemblée nationale d'élargir le champ des comportements ainsi visés par des mesures préventives.
En troisième lieu, le Sénat a choisi d'enrichir par trois dispositifs le texte de l'Assemblée nationale, dont deux ont fait l'objet de discussions assez longues entre nous.
Tout d'abord, avec le soutien de plusieurs groupes politiques et en nous appuyant sur une recommandation du rapport de l'OCDE, nous avons souhaité permettre à la HATVP de renforcer le contrôle des mobilités entre le public et le privé qu'elle exerce aujourd'hui en matière de conflits d'intérêts et de l'étendre aux risques d'ingérence étrangère. Nous avons en effet considéré qu'elle pourrait utilement mettre à profit les informations du répertoire nouvellement créé pour émettre des avis quant aux risques induits par certaines mobilités.
Nous avions également souhaité prévoir, en la matière, un contrôle plus long que celui qui existe en matière de conflit d'intérêts. Le Sénat a ainsi porté la durée de ce contrôle à cinq ans. Après avoir acté l'intérêt opérationnel et dissuasif d'un tel dispositif, nous sommes parvenus à un compromis sur ce point visant à substituer à la notion de risque d'ingérence étrangère celle de risque d'influence étrangère afin d'éviter toute confusion entre les deux notions. Ce nouveau contrôle de la HATVP sera donc plus large, en un sens, que celui que nous avions souhaité, mais plus dilué en ce qu'il visera une activité légale porteuse de risque de commission d'actes pénalement répréhensibles.
Par ailleurs, nous avions adopté un amendement de notre collègue Jean-Baptiste Lemoyne, sous-amendé par Sophie Primas, visant à traduire les recommandations d'une mission sénatoriale sur l'organisation de l'intelligence économique en France. Il poursuivait un triple objectif : instaurer un débat annuel sur l'intelligence économique au Parlement, améliorer le contenu du rapport annuel remis aux présidents des commissions chargées des affaires économiques et aux rapporteurs généraux des commissions chargées des finances et renforcer les pouvoirs d'investigation octroyés à ces mêmes acteurs en matière de contrôle des investissements étrangers en France.
Permettez-moi de rappeler que la commission des lois du Sénat n'a pas donné un avis favorable à l'adoption de ce dispositif.
D'une part, nous avions considéré que celui-ci octroie à la présidence des affaires économiques des pouvoirs d'enquête plus importants que ceux qui sont conférés à la délégation parlementaire au renseignement. Or cette instance paritaire et transpartisane est la seule habilitée au secret de la défense nationale et a su faire la preuve de la pertinence de son contrôle sur l'action du Gouvernement, y compris en matière économique et financière - en témoigne le rapport annuel de 2018.
D'autre part, il me semble que les deux derniers alinéas de cet amendement ainsi sous-amendé souffrent d'un double risque constitutionnel, celui d'être dépourvu de tout lien même indirect avec le texte initial et celui de porter atteinte à la séparation des pouvoirs en ce qu'il permet au Parlement de s'immiscer dans des dossiers pour lesquels le Gouvernement est en train d'instruire des décisions individuelles. Cette solution n'est pas raisonnable. Il s'agit d'une disposition secondaire qui, si elle était maintenue, serait d'ailleurs très vraisemblablement censurée à la première occasion par le Conseil constitutionnel.
Nous avons donc convenu de ne conserver que les quatre premiers alinéas de cet article et vous proposons de supprimer les deux derniers.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter le texte de compromis que nous vous soumettons. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car nos services de sécurité ont plus que jamais besoin de l'appui du Parlement dans leur action.
EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
Article 1er
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 1er bis A
L'article 1er bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 1er bis
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2
L'article 2 est adopté dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
Article 2 bis
L'article 2 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 3
L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 4
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 4 bis
L'article 4 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
La réunion est close à 9 h 25.