Mercredi 29 mai 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est avec un grand plaisir que nous vous accueillons, monsieur le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Occupant ces fonctions depuis 2017, vous avez été reconduit par un vote à l'unanimité des commissions des finances des deux assemblées l'an dernier. Nous vous remercions pour votre disponibilité, tant sur le terrain auprès des élus locaux, qu'à la chambre haute, où vous étiez la semaine dernière entendu par la commission des finances.

Institution financière historique fondée en 1816, la Caisse des dépôts et consignations a traversé les régimes dans une remarquable continuité. « Au service de l'intérêt général et du développement économique du pays » selon ses statuts, elle présente, avec ses 6 000 agents et les 370 000 collaborateurs de ses nombreuses filiales, un spectre d'action très large : logement, en particulier logement social, avec CDC Habitat, mais aussi services postaux et assurantiels avec le groupe La Poste dont elle est actionnaire majoritaire, accompagnement des projets des collectivités territoriales avec la Banque des territoires et, de façon générale, financement de nos entreprises, en particulier des plus innovantes via Bpifrance dont vous êtes l'actionnaire principal. Au regard de toutes ces missions, le surnom de « bras armé de l'État » n'est pas usurpé !

Monsieur le directeur général, compte tenu du rôle de pivot de la Caisse des dépôts et consignations dans notre économie et de la conjoncture que nous connaissons, votre résultat a enregistré une baisse pour l'année 2023 - ce qui ne vous a pas empêché de reverser la somme de 2,5 milliards d'euros à l'État. Les deux causes principales de cette baisse sont la crise du logement, notamment la dévalorisation de l'immobilier de bureau, et les résultats du groupe La Poste, tant sur le volet bancaire que sur le volet postal.

Nous aimerions savoir quel regard vous portez, à mi-parcours, sur les perspectives du groupe en 2024 : la tendance observée l'an dernier devrait-elle se poursuivre ou bien avez-vous déjà redécollé ? Votre activité est très sensible aux taux d'intérêt à long terme, surtout pour la demande de logement. Or les prévisionnistes s'attendent à une légère décrue du taux principal en juin prochain, ce qui sera une première après un cycle long de hausse depuis 2022, tandis que le taux du livret A sera gelé pour dix-huit mois, ce qui sécurisera et limitera à la fois le financement de vos activités. Comment la conjonction de ces deux annonces se traduit-elle dans vos activités, par exemple en matière d'agréments ou de dépôts de permis de construire de logements neufs ?

S'agissant plus globalement de la situation sur le marché du logement, alors que la commission que je préside est au coeur d'un riche agenda législatif sur le sujet, j'aurais aimé vous entendre nous donner votre vision sur les freins réglementaires et financiers à lever pour résoudre la crise que nous traversons : quelle place réserver au logement intermédiaire, aux côtés du logement social ?

Lors de nos échanges, nous souhaiterons par ailleurs aborder certains dossiers chauds du moment, à commencer par le sort de deux grands groupes qui ont connu des difficultés récemment : le groupe Orpea, renommé Emeis, dont vous êtes actionnaire majoritaire, et le groupe Atos, sur lequel le Sénat a lancé une mission d'information et dont on comprend que vous n'y prendriez, via Bpifrance, que des participations stratégiques, sans vous impliquer plus directement. Nos collègues Sophie Primas et Fabien Gay ont publié un rapport sur cette catastrophe industrielle. Ce dernier aurait sans doute voulu vous interroger, mais il est excusé ; la présidente Primas n'y manquera pas si elle arrive en cours d'audition.

Enfin, quel regard portez-vous sur l'idée, qui avait émergé au Sénat, de mettre en place un « livret Agri », pour améliorer le financement des projets agricoles et renouer le lien entre les Français qui épargnent et la ferme France ? De façon générale, les idées pour flécher l'épargne fleurissent, au gré des priorités du moment, qu'il s'agisse des industries de défense dans le cadre de la dernière loi de programmation militaire ou, plus récemment, des nouvelles centrales nucléaires. Comment envisagez-vous de telles pistes, d'un point de vue technique ?

M. Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Comme vous l'avez rappelé, les commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale ont bien voulu me reconduire dans mes fonctions en janvier 2023 : un an et demi après, je suis heureux de vous rendre compte de mon action.

Les résultats pour 2023 traduisent la résilience du groupe dans un contexte économique difficile. Le bilan agrégé de l'ensemble du groupe dépasse les 1 360 milliards d'euros - ce qui représente un impact macroéconomique important - en hausse de 67 milliards d'euros. Nos fonds propres dépassaient 68 milliards d'euros à la fin de 2023, soit une hausse de 11 % en un an.

Le résultat, lui, s'élève à 3,9 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros pour la section générale et 900 millions d'euros pour le fonds d'épargne. C'est un recul par rapport à 2022, mais un recul modeste de 200 millions d'euros environ, qui s'explique par deux raisons : d'une part, la crise du marché immobilier, d'autre part - et c'est plus préoccupant - les résultats contrastés du groupe La Poste. Sont en cause l'inflation, les taux d'intérêt élevés, la faible croissance en Europe et, surtout, la sous-compensation des quatre missions de service public du groupe, pour plus de 800 millions d'euros l'année dernière, qui met en péril la soutenabilité du projet de développement de La Poste et qui pèse sur les résultats de la Caisse des dépôts et consignations.

Le résultat des fonds de l'épargne réglementée qui nous est confiée se maintient, alors que les taux sont passés de 0,5 % à 3 %, ce qui signifie que le coût de la ressource aura augmenté pour nous de 6 milliards d'euros, autrement dit que nous aurons versé 6 milliards d'euros de plus aux épargnants. Dans ces conditions, maintenir un tel résultat reflète une très bonne gestion.

La CDC est un contributeur important du budget de l'État, à hauteur de 2,573 milliards d'euros en 2023.

Depuis 2017, les résultats agrégés ont progressé de 50 % et les fonds propres de 42 %, soit 20 milliards d'euros de plus. Ces bons résultats permettent de mieux servir les Français et d'agir au service de la transformation écologique, de la cohésion sociale et territoriale, et du développement de nos entreprises.

Grâce à la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », qui a créé un grand pôle financier public, les coopérations entre les différentes entités se renforcent dans le cadre de notre projet « Vision Groupe », qui a des effets de plus en plus nets sur le territoire de la République.

Début 2023, je vous avais présenté notre plan stratégique. Son premier axe est la transformation énergétique, car il s'agit d'aller bien plus loin qu'une transition. Notre groupe a fixé des objectifs ambitieux aux côtés de l'État, en cohérence avec la feuille de route nationale France Nation Verte, ainsi qu'aux côtés des collectivités territoriales, qui sont en première ligne face au dérèglement climatique.

Nous avions prévu d'engager 60 milliards d'euros entre 2020 et 2024 et nous avons largement dépassé cette prévision puisque nous avons finalement engagé 80 milliards d'euros entre 2020 et 2023. Pour la période allant de 2024 à 2028, nous serons encore plus ambitieux avec une prévision d'engagement de 100 milliards d'euros. Il faut noter que ce chiffre correspond au tiers des 300 milliards d'euros d'investissements que le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz estime nécessaires.

L'atténuation et l'adaptation constituent le premier axe de notre stratégie. En effet, notre ambition est de rendre tous nos flux financiers compatibles avec l'objectif d'une économie neutre en carbone d'ici à 2050. Nos efforts porteront d'abord sur la rénovation énergétique des bâtiments publics et des logements sociaux en mobilisant 2,5 milliards d'euros par an de la Banque des territoires jusqu'en 2028. Nos priorités sont le bâti scolaire, avec le plan EduRénov, et les logements sociaux, nos financements ayant déjà bénéficié à 100 000 d'entre eux.

Nous nous attaquons aussi à la décarbonation des transports pour 1,3 milliard d'euros, dont 360 millions d'euros pour la seule année 2023. La mobilité décarbonée, ce sont non seulement les transports collectifs, mais aussi le développement de bornes de recharge, y compris dans les zones rurales.

Le dérèglement climatique est là et nous devons aussi nous adapter. Nous consacrerons à cette adaptation 1,2 milliard d'euros d'ici à 2028, sous forme de prêts et de fonds propres, ainsi que de crédits d'ingénierie, c'est-à-dire de subventions à hauteur de 100 millions d'euros pour aider les collectivités territoriales à adapter leur modèle de développement. Nous agirons également pour la préservation de la biodiversité et de la ressource en eau.

J'en viens au second axe de notre stratégie, l'action en faveur des souverainetés. Nous utilisons tous les leviers dont nous disposons pour contribuer à notre souveraineté énergétique. Nous sommes tout d'abord des actionnaires importants des deux grands réseaux de distribution d'énergie du pays.

Nous codétenons en effet, avec EDF, Réseau de transport d'électricité (RTE), qui devra faire face, dans les années à venir, à des investissements d'un montant du même ordre de grandeur que ceux qui ont été consentis dans le cadre du programme nucléaire. Il faudra adapter le réseau aux sources d'énergie décarbonée et électrifier les territoires que nous souhaitons industrialiser.

Nous sommes par ailleurs montés au capital de GRTgaz aux côtés d'Engie. Nous avons raccordé près de 12 térawattheures de gaz renouvelable en 2023 et nous allons continuer à investir, sachant que ces réseaux de gaz pourront demain servir à transporter de l'énergie décarbonée, de l'hydrogène ou du méthane.

Nous sommes enfin entrés au capital de Coriance, qui est le troisième opérateur de réseau de chaleur en France.

Nous investissons 1,5 milliard d'euros de fonds propres pour décarboner notre mix énergétique. La Caisse des dépôts et consignations finance d'ores et déjà 20 % des projets d'énergies renouvelables, qu'ils soient implantés en métropole ou dans les Outre-mer, et nous comptons maintenir ce niveau d'engagement. Je visitais hier à Belfort une usine de production de piles à hydrogène que nous finançons au travers de Bpifrance.

Nous agissons ensuite en faveur de notre souveraineté industrielle. Entre 2020 et 2023, la Banque des territoires, qui est fortement impliquée dans le financement de la réindustrialisation verte, a financé plus de 260 projets industriels, dont plus de 40 créations d'usines.

L'an passé, nous avons mobilisé une enveloppe de 1 milliard d'euros de financements supplémentaires pour la période 2023-2027, afin d'accompagner les industriels dans la décarbonation de leur activité et d'aider les territoires à améliorer l'attractivité du foncier industriel.

La friche Alstom n'en est plus une : elle est désormais presque intégralement occupée par de nouvelles industries. Nous participons activement à ce travail de réoccupation du foncier industriel, en liaison étroite avec Bpifrance, dont je suis par ailleurs président. Nous travaillons aussi en partenariat avec la Banque européenne d'investissement, auprès de laquelle nous nous sommes engagés, vendredi dernier, dans un projet de gigafactory de batteries à Dunkerque, le projet Verkor. Nous sommes de même financeurs et coactionnaires du projet Envision, à Douai.

Un autre axe de souveraineté, essentiel mais trop souvent oublié, est la sécurisation des grandes infrastructures de marchés financiers. Tel est le sens de nos investissements dans Euronext et dans Euroclear, dont l'ancrage européen est également assuré par un actionnariat largement belge et français. Ces actifs sont essentiels si nous voulons progresser vers une union des marchés de capitaux, sujet qui fait du reste l'objet de débats intenses.

Nous allons enfin nous engager plus avant dans le financement des industries de défense. Il nous paraît en effet essentiel, dans le cadre d'une stratégie européenne, d'en faire davantage pour assurer notre indépendance stratégique.

La cohésion sociale et territoriale fait partie de l'ADN de la Caisse des dépôts et consignations. Nous gérons notamment la retraite d'un Français sur cinq et agissons en faveur de la formation professionnelle.

Les secteurs du grand âge et de la santé tiennent également une place prépondérante. Nous avons effectivement oeuvré à sauver Orpea, devenu Emeis, et nous en sommes fiers. Ce dossier s'inscrit dans une action beaucoup plus large en faveur du grand âge et du vieillissement. Je pense notamment à l'apport de capital massif que nous avons réalisé en faveur d'Arpavie et aux actions menées par CDC Habitat et La Poste autour des résidences autonomie. Dans le centre-ville de Châteauroux, les anciens bureaux de poste ont été largement transformés en résidences services pour seniors.

La cohésion territoriale étant au coeur de notre mandat, nous continuons à nous engager fortement dans le cadre des programmes nationaux Action coeur de ville, Petites villes de demain, France Ruralités, Villages d'avenir ou encore dans le cadre du programme Quartiers 2030.

Nous traversons une crise du logement qui est à la fois sociale, territoriale et environnementale. Conformément à notre mission historique d'acteur contracyclique, nous agissons avec une totale détermination pour stimuler le secteur et engager une nouvelle dynamique.

L'encours de prêts au logement social avoisine les 180 milliards d'euros, si bien qu'un logement mis en chantier sur quatre a été financé par la Caisse. Notre filiale CDC Habitat n'a jamais produit autant de logements - elle en a produit 22 000 l'année dernière. Son parc de 545 000 logements locatifs, sociaux, intermédiaires et libres, accueille plus d'un million de personnes logées.

En tant que financeurs, nous sommes très attentifs au coût du financement pour le logement social. Cela nous a conduits à insister auprès du Gouvernement pour que le taux du livret A soit maintenu à 3 % jusqu'au début de l'année 2025.

L'année 2024 a plutôt bien commencé, puisque nous avons signé à ce jour 7,4 milliards d'euros de prêts, dont 4,8 milliards d'euros pour la construction et 1 milliard d'euros pour la rénovation, soit une hausse de 46 % par rapport à l'année dernière à la même période.

Il nous faut toutefois accroître l'effort, car en raison du renchérissement des coûts de construction, cette augmentation permet seulement de stabiliser le rythme de construction. En septembre dernier, lors du congrès HLM de Nantes, j'ai annoncé une enveloppe exceptionnelle de 6 milliards d'euros de prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) pour le logement très social. Nous avons par ailleurs alloué une enveloppe de 5 milliards d'euros au logement intermédiaire, que j'estime complémentaire du logement social.

En tant que bailleurs, nous sommes pleinement engagés pour répondre aux difficultés des promoteurs, que nous aidons notamment au travers d'un large plan d'acquisitions de logements en Vefa (vente en l'état futur d'achèvement). En décembre 2023, pas moins de 17 406 logements ont été précommandés, dont 12 000 logements intermédiaires et 5 000 logements sociaux, pour un montant de 4,1 milliards d'euros.

Nous sommes également partie prenante du programme Territoires engagés pour le logement, car je suis convaincu que la réponse à la crise passe par la mobilisation des collectivités territoriales.

La rareté et le coût du foncier pèsent sur les opérations, particulièrement dans les zones tendues. L'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) inquiète de nombreux élus et percute les projets. Il faut donc libérer plus de foncier en faveur du logement, notamment par la reconversion du foncier d'entrée de ville. L'État, ses opérateurs et les entreprises publiques doivent également libérer le foncier dormant.

Je conclurai en évoquant l'ancrage européen de la Caisse, qui est réel. Nous entretenons un partenariat très vivant avec les 36 membres de l'ELTI (European Long-Term Investors Association) et un partenariat plus resserré encore avec les quatre autres grandes caisses des dépôts de l'Union européenne, ainsi qu'avec la Banque européenne d'investissement (BEI). L'Europe est pour nous une réalité concrète et qui avance.

Mme Viviane Artigalas. - Depuis la loi Pacte, le Sénat est représenté, au sein de la commission de surveillance de la Caisse, par un membre, non plus de la commission des finances, mais de la commission des affaires économiques. Je suis donc membre de cette commission depuis 2020. Je puis donc témoigner que toutes les actions de la Caisse sont validées par cette commission, qui a pour rôle de s'assurer que l'épargne des Français est employée dans le sens de l'intérêt général. Soyez assurés que vous pouvez compter sur moi pour continuer à mener ce travail dans la plus grande impartialité et dans le sens de l'intérêt général, mes chers collègues.

M. Bernard Buis. - Quels sont les critères de sélection des projets que vous accompagnez ?

M. Franck Menonville. - Quelle est la stratégie actuelle et à venir de la Caisse des dépôts et consignations en matière d'agriculture ? Dans le dernier budget du ministère de l'agriculture, nous avons consacré une enveloppe de près de 400 millions d'euros au fonds Entrepreneurs du vivant, qui sera en partie fléché vers du portage foncier. Envisagez-vous via ce fonds de garantir certaines le foncier pour favoriser l'installation de jeunes agriculteurs en rassurant les propriétaires ? Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ont également un fonds, mais l'acquisition du foncier, en raison des investissements de plusieurs millions d'euros qu'elle emporte, achoppe bien souvent sur la question des garanties bancaires.

M. Patrick Chaize. - La Poste reçoit des compensations, qui sont quasiment toutes budgétaires, au titre des quatre missions de service public dont elle s'acquitte. N'y a-t-il pas un risque que ces compensations budgétaires diminuent, mettant La Poste en difficulté ? Certaines pistes sont-elles déjà explorées pour limiter ces besoins de compensation ? N'y a-t-il pas un risque de surcompensation, notamment si les objectifs de réduction des coûts sont atteints ?

M. Éric Lombard. - Permettez-moi de commencer par répondre aux questions que je n'ai pas couvertes dans mon propos introductif.

S'agissant des perspectives de résultat de la Caisse en 2024, dans un environnement économique de reprise progressive, de baisse probable, mais lente, des taux courts à partir de juin, et de stabilité des taux à long terme, les deux difficultés de 2023 demeurent : la crise immobilière, notamment en matière de bureaux alors que les prix résistent dans le secteur du logement, et le déficit des missions de service public de La Poste, malgré les mesures de redressement prises par la direction générale. Ses autres activités affichent de bons résultats, en ligne avec leur budget. Nous anticipons donc un niveau de résultat d'ensemble satisfaisant, permettant de préparer l'avenir du groupe et de contribuer au budget de l'État.

J'en viens à l'impact des taux sur les agréments et les permis de construire. Concernant le logement social, outre le maintien du taux du livret A à 3 % - perçu comme intéressant par les opérateurs -, nous avons distribué 1,4 milliard d'euros en prêts participatifs aux opérateurs de logement social qui souhaitent continuer à investir et nous avons mis en place les plans que vous connaissez. Nous travaillons également avec les collectivités locales pour identifier du foncier et des projets. Dans le logement non social, les réseaux bancaires ont baissé les taux consentis aux emprunteurs, ce qui devrait permettre au marché de redémarrer.

Pour ce qui concerne Atos, l'État va reprendre les actifs stratégiques de l'entreprise et le reste fait l'objet d'une restructuration pilotée par Mme Hélène Bourbouloux. Ni Bpifrance ni la Caisse des dépôts et consignations n'interviennent, considérant que cette situation ne présente pas un caractère essentiel pour nos concitoyens et ne recèle pas de dimension stratégique. L'État fait d'ailleurs la même analyse.

Sur le fléchage de l'épargne grâce à un livret agricole, si je souscris à cette idée, il me semble préférable de le faire à l'intérieur des fonds d'épargne, qui représentent 410 milliards d'euros, dont 210 milliards sont investis sur les marchés financiers et facilement mobilisables pour de nouvelles opérations. Cette méthode est plus flexible que celle d'un livret dédié, qui présente plus de contraintes, à commencer par la nécessité préalable de le remplir. Nous gérons ces fonds, je le rappelle, par délégation du ministère des finances.

Nous sommes actifs dans le secteur agricole, mais nous souhaiterions l'être plus encore. Nous investissons déjà dans des fonds de développement, des marchés d'intérêt national (MIN) et des foncières. Nous sommes prêts et le monde agricole pourrait davantage nous solliciter. Pour autant, notre modèle consiste à investir en capital ou à prêter, mais pas à proposer de la garantie : notre mission d'intérêt général est de gérer l'épargne des Français et de l'investir. Nous pouvons donc consacrer du capital à du foncier et à du développement. Bpifrance est en outre très engagé dans le secteur agroalimentaire, via des prises de participation ou des prêts.

Verkor est un bel exemple de financement du grand pôle financier public. Nous étions présents dès le début, pour amorcer le projet et financer le foncier, ainsi que Bpifrance et la Banque postale. La Caisse des dépôts intervient principalement sur le foncier concernant les projets industriels, mais seulement si l'impact écologique est neutre ou positif, comme dans le cas de Verkor, l'ancien port de Dunkerque étant déjà constitué de terres industrielles. Le projet doit également satisfaire à nos critères de rentabilité, d'utilité en matière de développement économique et de respect des contraintes écologiques, à savoir une économie zéro carbone en 2050. C'est le cas ici. Nous sommes évidemment sensibles à l'aménagement du territoire et reconstruire une usine à Dunkerque va à ce titre dans la bonne direction ; de nombreux territoires remplissent d'ailleurs les conditions que je viens d'énoncer.

Enfin, s'agissant des quatre missions de service public de La Poste, lesquelles sont maintenant toutes financées directement par le budget, le risque de surcompensation est très éloigné. L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) vérifie chaque année leur coût effectif : la sous-compensation dépasse 800 millions d'euros. Pour y remédier, deux pistes sont envisageables.

Premièrement, l'État pourrait accroître ce financement, car dans notre République, il lui revient de financer les missions de service public ; à défaut, une créance se constitue. C'est ainsi que La Poste est maintenant endettée à un niveau qui commence à devenir préoccupant.

La deuxième piste serait la diminution du coût desdites missions. Or La Poste a fait un effort d'ajustement remarquable, notamment grâce à l'engagement de ses agents qui intègrent les nouvelles technologies, passent du courrier au colis, développent des activités de services à domicile et des missions numériques. Peu d'entreprises publiques subissent une telle révolution et il n'est pas possible d'aller plus vite dans l'ajustement de l'appareil industriel.

Une dernière piste, qui n'est pas encore ouverte, mais qu'il faudra peut-être explorer, consiste à ajuster les missions au niveau des compensations. La Caisse des dépôts et consignations est par exemple très attachée à sa mission d'aménagement du territoire, qui est également l'une des nôtres ; pour autant, ce sujet doit être abordé avec les pouvoirs publics et le Parlement dans le cadre de la loi postale. Il faut traiter ce problème, car le « sac à dos » devient trop lourd pour La Poste et commence à peser sur la Caisse des dépôts et consignations, malgré sa taille et sa capacité de résistance.

M. Serge Mérillou. - Je souhaite vous interroger sur le financement du programme nucléaire par le livret A. Le Gouvernement prévoit la construction de six réacteurs pressurisés européens (EPR) d'ici à 2035, dont le financement n'est pas encore finalisé. En mars dernier, vous aviez estimé « logique » d'utiliser les fonds du livret A à cette fin. Or je rappelle que les sommes déposées sur le livret A et le livret de développement durable et solidaire (LDSS) servent essentiellement à financer le logement. Ne craignez-vous pas que l'attribution de fonds du livret A au nucléaire pénalise le financement du logement social ?

M. Daniel Gremillet. - Permettez-moi de prolonger cette question : le défi de la neutralité carbone au niveau industriel à l'horizon 2050 est énorme, en particulier sur le plan énergétique. Les énergies renouvelables, comme le photovoltaïque, l'éolien voire le biogaz, nécessitent souvent l'importation de matériel. Il est donc crucial de réindustrialiser notre pays dans ce domaine. Il en va de même s'agissant des énergies pilotables : le défi nucléaire est important, avec bien plus de six réacteurs nécessaires d'ici à 2050, sans oublier les start-up développant les petits réacteurs modulaires (SMR) et les réacteurs avancés (AMR). Dans ce contexte nouveau, avec de multiples interlocuteurs énergétiques et une ambition hydraulique renouvelée en matière de financement, quel est votre positionnement ?

Par ailleurs, le texte adopté la semaine dernière sur la transformation des bureaux en logements ne prenait pas en compte le milieu rural ; or de nombreuses bâtisses se trouvent dépourvues de vocation dans les villages. Comptez-vous accompagner les collectivités sur ce sujet, notamment dans le cadre de l'objectif ZAN, au vu de l'importance des économies foncières que cela pourrait constituer ?

Enfin, permettez-moi de vous remercier sincèrement : nous allons signer le 4 juin prochain, dans les Vosges, un contrat pour la ligne 14, fermée depuis 2016 et que nous allons rouvrir grâce à 150 millions d'euros de travaux. Vous avez remporté cet appel d'offres de mobilité avec des partenaires courageux. Comptez-vous renouveler dans d'autres territoires ces opérations, véritables vecteurs de confiance et de développement de la mobilité décarbonée ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Depuis quelques années, de nombreux États africains créent des caisses de dépôt. Ces institutions jouent un rôle central dans l'économie de ces pays en mobilisant des ressources financières, en plus des fonds versés par l'étranger, et en proposant des financements à long terme qui sont de véritables leviers de développement.

Votre caisse accompagne le développement de ces homologues africains. Il s'agit là d'une formidable diplomatie parallèle, avec des collaborations discrètes réalisées directement sur le terrain avec les pays africains, qu'il est essentiel de maintenir et de développer. Selon vous, la dégradation de nos relations avec certains pays du Sahel risque-t-elle d'emporter des conséquences sur ces opérations de coopération ?

M. Éric Lombard. - Concernant le nucléaire, il est hors de question que cela pénalise le logement social, qui reste notre priorité, inscrite dans le code monétaire et financier. Les 180 milliards d'euros que nous prêtons à ce secteur sont non seulement protégés, mais j'espère aussi vivement qu'ils augmenteront. Si l'on examine les chiffres, la collecte nette sur les fonds d'épargne, bien qu'elle tende à baisser, dépassera encore cette année les 20 milliards d'euros. Si nous prêtons plus de 12 ou 13 milliards d'euros au logement social, nous aurons réalisé une bonne année, sans oublier les 200 milliards d'euros encore disponibles. Quant au programme nucléaire, les six EPR projetés représentent un budget d'environ 60 milliards d'euros. En supposant que nous en financions la moitié sur dix ans, soit 3 milliards d'euros par an, ce montant est tout à fait gérable au regard des 12 milliards d'euros prêtés chaque année au logement social. Cela ne nous empêchera pas, par ailleurs, d'ajouter 2 à 3 milliards d'euros par an pour les réseaux d'eau, tout en améliorant la sécurité financière des fonds d'épargne, sous la vigilance de la commission de surveillance. Ainsi, nous pouvons parfaitement maintenir la priorité au logement social tout en finançant le programme nucléaire, si l'État, garant de l'ensemble du programme de financement, en décide ainsi. Les discussions à ce sujet commencent seulement.

Monsieur le sénateur Gremillet, vous avez raison, nous avons besoin de toutes les énergies. Au contraire des énergies renouvelables, l'énergie nucléaire a certes l'avantage d'être relativement continue, mais elle n'est pas très flexible. Aucune solution n'est donc idéale et c'est du reste la raison pour laquelle l'Union européenne considère que le gaz est une énergie de transition : il est à la fois continu et flexible. Pour sa part, la CDC encourage le développement de l'hydroélectricité, même s'il existe très peu de nouveaux projets de barrages en France.

Comme l'a conclu RTE dans un récent rapport, la décarbonation de nos sources d'énergie nécessitera que l'on recoure à l'ensemble des ressources d'énergie à notre disposition. Compte tenu des besoins, nous ne pourrons pas passer au « 100 % renouvelables » du jour au lendemain ; le scénario « 100 % nucléaire » n'est, quant à lui, pas nécessaire. Je rappelle à cet égard que la programmation, telle que l'envisage RTE, devra se traduire par une plus grande sobriété énergétique, à savoir une réduction de 30 % de notre consommation d'énergie grâce notamment à des efforts en matière de rénovation thermique.

Vous m'interrogez également sur la nécessité de favoriser la transformation de bureaux en logements. Soyez assuré que nous continuons à nous impliquer dans ce dossier, notamment en zone rurale. Je ne citerai qu'un exemple - il est naturellement transposable dans l'ensemble des territoires -, celui de la friche de Belfort : ce projet est piloté par une société d'économie mixte (SEM) nommée Tandem, dont la CDC est actionnaire. Je le rappelle, la CDC détient des parts dans le capital de plus de 400 SEM en France, ce qui doit permettre de soulager les collectivités locales qui souhaitent investir.

Enfin, vous avez évoqué la réouverture de la ligne 14 dans les Vosges : je suis moi-même très favorable au redéveloppement des petites lignes ferroviaires locales, qui constitue une solution à la fois écologique et sociale. À ce titre, je regrette la fermeture, dans votre département, de la ligne Épinal-Saint-Dié. Comme je l'ai indiqué au congrès de Régions de France à Vichy, la Caisse des dépôts et consignations peut parfaitement financer le matériel roulant et la rénovation des lignes, autant d'investissements essentiels dans le cadre de la transformation écologique. Sachez que vous pouvez compter sur nous pour la suite.

Madame la sénatrice Renaud-Garabedian, je vous remercie de vos commentaires sur notre action en Afrique. J'en profite pour signaler qu'au sein du Forum des Caisses de dépôt nous avons décidé de renforcer le dialogue avec les pays méditerranéens. Évidemment, les événements au Sahel ont des incidences sur notre engagement : dès lors que certains États de la région ne veulent plus de la République française sur leur territoire, il va de soi que l'établissement public qu'est la CDC ne peut plus coopérer avec eux et que nous sommes contraints de nous désengager. C'est d'autant plus regrettable que je partage votre avis à ce sujet : le déploiement du modèle des caisses de dépôt en Afrique est très fécond.

M. Franck Montaugé. - Vous avez évoqué l'implication de la Caisse des dépôts et consignations dans la transition écologique et, en particulier, le financement des énergies renouvelables et des réseaux. L'État vous sollicite-t-il pour le financement du nouveau nucléaire et du grand carénage ? Le coût des intérêts intercalaires pèsera très fortement sur l'appareil de production et, donc, sur les tarifs durant plusieurs décennies. Menez-vous une réflexion à ce sujet ? Le cas échéant, quelles limites l'Union européenne pose-t-elle à votre participation au titre de la réglementation sur les aides d'État ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Permettez-moi tout d'abord, monsieur le directeur général, de souligner l'importance de votre engagement en faveur des réseaux de chaleur, qui seront des équipements absolument déterminants pour l'avenir de la transition énergétique en France.

Ma première question porte sur le programme Territoires d'industrie. Comment qualifieriez-vous à ce stade l'accompagnement de la CDC, notamment sur le volet des mutations et des formations aux nouveaux métiers industriels ?

La seconde a trait aux territoires ultramarins. La France est confrontée à de grandes difficultés économiques et sociales dans les départements et régions d'outre-mer (Drom) : comment la CDC intervient-elle dans ces territoires, notamment dans le domaine du logement ?

M. Daniel Fargeot. - Monsieur le directeur général, vous venez d'annoncer que la CDC débloquerait 5 milliards d'euros pour le logement intermédiaire. La Caisse des dépôts et consignations est par ailleurs l'un des principaux acteurs du programme Territoires engagés pour le logement. Je souhaiterais par conséquent connaître votre point de vue sur le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables : selon vous, ce texte est-il un accélérateur ou une simple opération de communication ? Enfin, que pensez-vous du bail à durée limitée dans le logement social ?

M. Éric Lombard. - Monsieur le sénateur Montaugé, le grand carénage est un dossier qui relève d'EDF et dont nous ne nous mêlons pas. S'agissant du financement du nouveau nucléaire, l'État ne nous sollicite pas. C'est de notre propre initiative que nous avons proposé que les fonds d'épargne y participent, tout simplement parce que cela nous semble utile au développement du programme. J'ai du reste évoqué cette ambition devant la représentation nationale, plus précisément devant vos collègues de la commission des finances lors de l'audition pour ma reconduction aux fonctions de directeur général de la CDC en janvier 2023.

Les questions que vous posez, monsieur le sénateur, font l'objet d'un dialogue technique entre l'État, EDF et l'Union européenne, dialogue qui n'a pas encore abouti - et c'est bien normal. L'enjeu est de parvenir à établir un financement suffisamment compétitif pour que le prix de production du nouveau nucléaire français soit compatible avec la compétitivité économique du pays. On le sait, à terme, toute l'énergie, quelle qu'en soit l'origine, sera électrique : le prix de l'électricité sera donc un élément décisif en termes de compétitivité. En outre, il nous reste à définir un projet industriel clair, ce à quoi les dirigeants et les collaborateurs d'EDF travaillent d'arrache-pied avec la filière qui est en train de se reconstituer.

Madame la sénatrice Loisier, le programme Territoires d'industrie, dans sa dimension de reconquête foncière, a bien avancé. Je salue l'initiative de la Banque des territoires, qui a décidé de lancer un portail baptisé « France Foncier+ », lequel propose à tout industriel souhaitant s'implanter une carte des disponibilités foncières dans notre pays. Cette carte recense aujourd'hui plus de 600 sites prêts à accueillir des projets industriels, que nous sommes naturellement disposés à accompagner.

Vous l'avez rappelé à juste titre, le volet formation est absolument essentiel : d'ailleurs, l'application Mon compte formation, que nous gérons pour le compte de l'État, y contribue. La Caisse des dépôts et consignations est par ailleurs un des financeurs des écoles de production : ces organismes permettent à des jeunes aux origines diverses, qui n'ont pas forcément fait d'études supérieures, de se préparer aux métiers de l'industrie, qui sont des métiers plutôt bien rémunérés et dans lesquels on peut faire carrière.

Dernier point, les départements et régions d'outre-mer sont des territoires où nous sommes extrêmement engagés, via notamment la Banque des territoires et CDC Habitat. Ainsi, en 2017, CDC Habitat a racheté l'essentiel des sociétés immobilières d'outre-mer (Sidom), qui se trouvaient dans une situation financière difficile, et les a remises à flot. Notre filiale a réalisé un investissement massif dans la qualité des logements - j'en ai moi-même été le témoin en Guyane, en Martinique ou en Guadeloupe. Nous sommes en outre l'un des financeurs de la nouvelle route du littoral (NRL), à La Réunion, dont les travaux pourraient repartir. Nous nous impliquons aussi dans les territoires du Pacifique, y compris en Nouvelle-Calédonie, à la fois en tant qu'investisseurs, au travers de Bpifrance, et en tant que prêteurs du logement social et du secteur hospitalier.

Monsieur le sénateur Fargeot, vous avez évoqué les 5 milliards d'euros que la CDC entend investir dans le logement intermédiaire. Nous l'assumons, mais il va de soi, je le redis, que cet effort est complémentaire des actions que nous conduisons en faveur du logement social.

Pour répondre à votre deuxième question, j'estime, en tant que directeur général de la CDC, que mon rôle n'est pas de porter une appréciation sur un projet de loi que vous allez examiner - vous décidez et nous appliquerons le texte. Je tiens simplement à rappeler que nous sommes attentifs au maintien de l'équilibre entre logement social et logement intermédiaire et, plus largement, à l'équilibre des opérations en général, notamment en termes de mixité.

Concernant le bail à durée limitée, je ferai une remarque purement technique : aujourd'hui, aucun locataire du parc social ne peut se prévaloir d'un bail éternel. L'accès au logement social découle de conditions de ressources : autrement dit, quand les revenus d'un locataire excèdent un certain seuil, il est invité à trouver un autre logement. Cela étant, je ne veux pas m'élever au-dessus de ma condition : je suivrai très attentivement les débats relatifs à ce projet de loi.

M. Philippe Grosvalet. - Monsieur le directeur général, vous avez parlé dans votre propos liminaire du « zéro artificialisation nette », le fameux ZAN, un sujet auquel nous nous intéressons de près, puisque le Sénat a lancé un groupe de suivi du dispositif, présidé par notre collègue Guislain Cambier.

J'ai eu l'impression, à vous entendre, que vos solutions - foncières de l'État, requalification des entrées de ville - ne concernaient que les grandes villes. Or les petites et moyennes villes sont également confrontées aux problématiques foncières, mais, à la différence des grandes villes, elles ne disposent pas d'une ingénierie suffisante, cette ingénierie que la Caisse des dépôts et consignations pourrait contribuer à financer. Quelles mesures votre institution prend-elle d'ores et déjà pour s'adapter à cette nouvelle stratégie foncière et pour accompagner au plus près les communes dans leur développement immobilier ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Je souhaite rappeler l'importance des réseaux d'initiative publique (RIP), en particulier dans le cadre du déploiement de la fibre sur notre territoire. Comme vous le savez, l'objectif de 100 % de couverture est un enjeu crucial dans les territoires : pensez-vous que le modèle de péréquation des RIP soit le meilleur pour y parvenir ?

Le Fonds d'aménagement numérique des territoires (FANT), prévu par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, n'a jamais été mis en place par Bercy. La Banque des territoires proposait de prélever 15 centimes d'euro par abonnement, mais s'est heurtée à de fortes résistances. Pensez-vous que ce dossier pourrait aboutir dans des délais raisonnables ?

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le directeur général, je souhaite aborder la question du financement des infrastructures liées à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (Gemapi), un secteur dans lequel vous êtes un partenaire majeur des collectivités locales. Pouvez-vous nous livrer quelques chiffres sur les actions de la Caisse des dépôts et consignations dans ce domaine ? Au vu des besoins à venir, qui ne feront que s'amplifier, pourriez-vous nous indiquer si votre groupe envisage de renforcer les outils mis à la disposition des collectivités dans ce secteur essentiel ?

M. Éric Lombard. - Monsieur le sénateur Grosvalet, vous posez une excellente question, à laquelle, je l'espère, la CDC répond d'ores et déjà de manière satisfaisante. Les besoins en ingénierie sont évidemment très importants, compte tenu de la complexité des actions que les collectivités locales sont amenées à déployer, et vous avez raison d'affirmer que les collectivités de grande taille ont davantage de moyens dans ce domaine.

Je citerai trois chiffres à l'appui de mon propos.

La CDC a dédié 50 millions d'euros aux dépenses d'ingénierie dans le cadre du programme Action coeur de ville, c'est-à-dire à destination des villes moyennes. Elle a prévu un budget quatre fois plus élevé, soit 200 millions d'euros de subventions, dans le cadre du programme Petites Villes de demain, pour financer les besoins en ingénierie de collectivités de plus petite taille. Vous le voyez, nous sommes donc extrêmement attentifs à ce sujet. C'est du reste la raison pour laquelle nous avons alloué une enveloppe de 100 millions d'euros à l'adaptation au changement climatique, qui concernera au premier chef les territoires littoraux et les territoires de montagne. Concrètement, tous ces financements servent à recruter un « sachant », un expert, pendant une durée donnée, pour traiter le problème posé par une collectivité donnée.

J'ajoute que la CDC consacre 80 millions d'euros aux besoins d'ingénierie dans le cadre de projets visant à lutter contre l'artificialisation des sols, pour tenir compte des objectifs du « zéro artificialisation nette ». Les élus de votre territoire, monsieur le sénateur, peuvent donc contacter la direction régionale de la Caisse des dépôts et consignations : nos équipes sont là pour vous aider à trouver le meilleur moyen de mobiliser ces fonds.

Concernant les réseaux d'initiative publique (RIP), monsieur Redon-Sarrazy, les solutions sont diverses. Nous avons fait poser la fibre à Consolation-Maisonnettes, commune de 35 habitants au fond d'une très belle vallée du Doubs. Dans d'autres régions, le financement est plutôt assuré par les collectivités locales. Il revient à l'État de décider de l'activation du fonds de péréquation. Quoi qu'il en soit, nous restons mobilisés, ces réseaux ayant été largement financés par la CDC. Le succès de cette politique est tel que ces réseaux sont d'ores et déjà rentables, bien plus tôt que prévu ; on peut donc les céder à des opérateurs privés intéressés. Je ne saurais vous donner aujourd'hui plus de détails sur l'activation du fonds de péréquation ; j'essaierai d'obtenir une réponse plus précise de nos interlocuteurs, que je vous transmettrai.

J'en viens à la question de l'eau soulevée par Mme Noël. Nous disposons en la matière d'enveloppes très importantes et en augmentation : 4 milliards d'euros maintenant pour la rénovation de projets hydrauliques. Nous accompagnons les collectivités dans l'exercice de la compétence Gemapi. La Banque des territoires a pour objectif d'accompagner 1 600 projets sur la période 2024-2028. Le transfert de cette compétence aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et le rôle accru des agences de bassin, ainsi que le stress hydrique que nous connaissons, vont entraîner la réalisation de nombreux aménagements, qu'il s'agisse de réseaux d'eau potable ou de grandes infrastructures ; nous sommes actionnaires de certaines d'entre elles, comme le canal du Bas Rhône-Languedoc, qui irrigue l'Occitanie, ou encore la Compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne, qui joue un rôle crucial dans le Gers. Que ce soit en ingénierie, en capital, ou en financement, nous serons présents.

À ce propos, nombre de réseaux de distribution d'eau, conçus pour durer soixante ans, arrivent en fin de course. C'est pourquoi nous mettons en place des financements à soixante ans pour des réseaux nouveaux ; cet endettement est nécessaire pour réduire le taux de fuite, qui est aujourd'hui de 25 % en moyenne sur le réseau.

M. Lucien Stanzione. - La CDC envisage-t-elle d'investir dans les groupements fonciers d'investissement, en particulier pour contrer l'arrivée de fonds d'investissement privés, notamment les fonds de pension et les grandes assurances ? Si tel est le cas, comptez-vous vous allier avec d'autres investisseurs publics ?

M. Daniel Salmon. - Nous connaissons votre implication dans la transition écologique depuis l'accord de Paris. En manière d'énergie, pour notre part, le « 100 % renouvelable » nous paraît atteignable, c'est simplement affaire de choix de société ! Il faut agir pour la sobriété, l'efficacité et le développement des énergies renouvelables. Pour ces dernières, la flexibilité est un enjeu important. Quelles actions menez-vous pour encourager celle-ci ? Par ailleurs, si un énorme soutien est apporté aux usines de batteries, on piétine en revanche sur le photovoltaïque face au dumping chinois. Où en est-on ?

La Cour des comptes avait pointé un manque de transparence des actifs de la CDC en matière de décarbonation. Où en êtes-vous de cette transparence ?

Mme Annick Jacquemet. - La surélévation des bâtiments a été présentée par le Premier ministre comme une piste prometteuse pour l'accélération de la construction de logements ; un potentiel de 7 650 logements dans la seule ville de Nice a été évoqué. Une étude structurelle devait être lancée par le Gouvernement et la Banque des territoires. Cette étude est-elle bien en cours ? Quel serait le potentiel de cette piste à l'échelle nationale ?

M. Éric Lombard. - Les fonds privés sont évidemment libres d'investir dans les groupements fonciers d'investissement, mais nous sommes disponibles pour fournir du capital à de telles opérations, monsieur Stanzione. Quand nous intervenons en matière foncière, c'est parfois avec des acteurs privés, quand cela a du sens, mais le plus souvent avec les collectivités locales.

Concernant les énergies renouvelables, monsieur Salmon, l'un des six scénarios élaborés par RTE est bien « 100 % renouvelables », mais les conséquences des actions à entreprendre pour y parvenir seraient si importantes que ce scénario n'a pas été retenu dans la projection du Gouvernement.

M. Daniel Salmon. - C'est un choix !

M. Éric Lombard. - Je constate à regret les réticences que l'on rencontre vis-à-vis de l'installation d'éoliennes ou de champs photovoltaïques. Un débat politique et culturel est nécessaire.

Des solutions existent pour renforcer la flexibilité des énergies renouvelables, mais l'énergie se stocke difficilement. Je pense aux remontées d'eau dans les Alpes, aux batteries associées à un champ de panneaux photovoltaïques à Sinnamary, en Guyane, pour stocker l'énergie solaire afin qu'elle puisse être utilisée la nuit. Nous suivons de tels projets.

M. Daniel Salmon. - Ma question portait plutôt sur la flexibilité de la consommation des entreprises, qui s'adapteraient ainsi aux énergies renouvelables.

M. Éric Lombard. - Dans cette perspective, on peut penser aux batteries de grande taille ou aux piles à hydrogène capables de stocker l'électricité, que j'ai pu observer à Belfort. De tels aménagements sont de la responsabilité des industriels. Pour notre part, nous finançons des projets inscrits dans la trajectoire de neutralité carbone en 2050 ; les moyens d'y parvenir dépendent des choix des industriels.

Concernant le dumping chinois en matière de panneaux photovoltaïques, il convient de l'aborder au sein du sujet plus large des relations économiques entre l'Europe, les États-Unis et la Chine. J'espère que l'Europe trouvera une solution à la mesure de l'enjeu. L'équilibre économique ne pourra pas se faire si on permet à des pays très généreux en subventions d'exporter vers notre espace économique.

La Cour des comptes nous reproche un manque de transparence ; elle est souveraine, mais je ne partage pas ce point de vue. Nous sommes totalement transparents, vis-à-vis de la commission de surveillance, du Parlement et de l'ensemble des parties prenantes. Mais le sujet est important. J'ai constitué un comité des parties prenantes, avec des ONG et des experts, pour exposer notre politique de transformation écologique à des tiers indépendants afin qu'ils puissent donner un avis. C'est une approche exigeante, mais utile. J'ai proposé que les avis du comité soient rendus publics. Nous sommes une institution financière soumise à des contraintes de faisabilité et de rentabilité, mais ce dialogue est intéressant.

Enfin, madame Jacquemet, je ne dispose pas encore des conclusions de l'étude menée sur la surélévation, mais je suis convaincu que celle-ci est une solution, au même titre que le comblement des dents creuses. Nous partagerons ces conclusions avec vous dès qu'elles seront disponibles. Vous savez que la difficulté, dans ce domaine comme dans d'autres, est l'acceptabilité du projet, notamment par les voisins.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci de ce tour d'horizon extrêmement large et de la précision de vos réponses. Nous pouvons être fiers de la CDC dans tous nos territoires.

M. Éric Lombard. - Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à notre action.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'examiner aujourd'hui la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur de l'énergie, présentée par notre collègue Daniel Gremillet, Bruno Retailleau et moi-même. Je remercie particulièrement Daniel Gremillet pour cette proposition de loi de qualité, issue de ses travaux réalisés au sein de groupes d'études et lors de l'examen d'autres textes législatifs. L'examen en séance publique est prévu les 11 et 12 juin prochains.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Comme vous le savez, le Gouvernement a renoncé à la loi quinquennale sur l'énergie pourtant tant attendue.

Sur l'initiative des commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale, la loi « Énergie-Climat », du 8 novembre 2019, a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie. L'objectif de cette loi était, et demeure, de consacrer la préséance du Parlement sur le Gouvernement, de la politique sur le technique, dans le secteur stratégique de l'énergie. Depuis lors, l'article L. 100-1 A du code de l'énergie dispose qu'une loi détermine, tous les cinq ans, les objectifs et les priorités d'action de la politique énergétique nationale. Cette loi doit couvrir cinq grands domaines : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), la réduction de la consommation énergétique, le développement et le stockage des énergies renouvelables, la diversification du mix de production d'électricité, la rénovation énergétique des bâtiments et l'autonomie énergétique dans les outre-mer. Elle doit servir de cadre aux principales orientations de quatre documents réglementaires : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le plan national intégré en matière d'énergie et de climat (Pniec) et la stratégie de rénovation à long terme.

Or le Gouvernement n'a présenté aucun texte de programmation. Pire, il a dévoilé un projet de loi sur la souveraineté énergétique, dont le titre Ier, consacré à la programmation, a été retiré des consultations préalables le 17 janvier. Le 15 mars, le Premier ministre a annoncé le lancement d'une nouvelle consultation sur la PPE et la SNBC, et le 10 avril, le ministre de l'énergie a annoncé renoncer à légiférer sur la programmation, préférant passer par la voie réglementaire.

L'absence de loi quinquennale sur l'énergie pose une difficulté politique et juridique.

Le renoncement à légiférer pose problème au regard des engagements pris. La loi quinquennale sur l'énergie est issue du compromis en commission mixte paritaire (CMP) de la loi « Énergie-Climat » de 2019. C'est l'Assemblée nationale qui, saisie du texte en premier, l'a proposée. De son côté, le Sénat l'a fortement soutenue, en proposant l'intégration à son champ de la rénovation énergétique des bâtiments et l'autonomie énergétique dans les Outre-mer, dès 2019, puis de l'hydroélectricité et de l'hydrogène, en 2021, et du stockage, en 2023.

Le renoncement à légiférer pose problème au regard de l'application de la loi. L'article L. 100-1 A du code de l'énergie prévoit qu'une loi de programmation intervienne « à compter du 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans » et que les documents réglementaires soient « compatibles avec [ses] objectifs ». Par ailleurs, les articles L. 141-1 du code de l'énergie et L. 222-1 C du code de l'environnement prévoient que la PPE et la SNBC soient prises « dans les six mois suivant l'adoption de la loi ». Des outils très concrets - les appels d'offres, les comités régionaux, les zones d'accélération - doivent contribuer à l'atteinte des objectifs fixés par la loi de programmation. Sans ce texte, c'est toute la mécanique administrative qui est grippée.

Le renoncement à légiférer pose problème au regard du cadre européen. Actualisés lors de la loi « Énergie-Climat », nos objectifs énergétiques sont à jour du paquet « d'hiver » de 2016, et non du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » de 2021. Il faut donc intégrer les règlements - loi européenne sur le climat, ReFuelAviation, FuelEU Maritime notamment - et les directives - Énergies renouvelables, Efficacité énergétique notamment. Ces directives, qui prévoient des objectifs en matière d'énergies renouvelables, de carburants durables ou de consommation d'énergie, doivent être transposées, respectivement, d'ici à mai et octobre 2025.

Le renoncement à légiférer pose problème au regard des attentes soulevées. Depuis 2021, le Gouvernement a lancé une concertation publique, une concertation nationale, des groupes de travail. Plus de 30 000 contributions ont été reçues et 200 jeunes consultés. Les entreprises, les collectivités et les citoyens sont donc dans l'expectative. Dans sa délibération du 19 janvier, sur l'ancien projet de loi, le Conseil national de la transition écologique (CNTE) « demande la présentation d'un calendrier de travail sur l'élaboration de la programmation énergie-climat ». Dans son avis du 25 janvier, le Conseil supérieur de l'énergie (CSE) « regrette la suppression du titre programmatique qui aurait permis de fixer un cap indispensable à la réussite de la transition énergétique et climatique ». Quels que soient les acteurs, économiques ou environnementaux, il existe une forte attente pour légiférer.

Enfin, le renoncement à légiférer pose problème au regard des besoins identifiés. Afin de réussir la transition énergétique, les filières économiques ont besoin d'un cap stratégique clair, prévisible et légitime, pour réaliser leurs investissements et mobiliser leurs financements. La filière nucléaire est demandeuse d'une assise législative, actant la construction de nouveaux réacteurs. C'est un point crucial pour nous, qui estimons que seule la loi peut offrir à la relance du nucléaire l'ambition politique et la protection juridique dont elle a besoin. Les filières renouvelables sont aussi demandeuses d'une loi, pour diversifier la production ou modérer la consommation. Nous partageons aussi ce point de vue : les objectifs proposés en matière d'hydroélectricité, de chaleur, de biogaz ou de biocarburants, souvent mésestimés, sont utiles pour diffuser la transition énergétique jusque dans les territoires ruraux. Quel que soit le secteur, nucléaire comme renouvelable, on constate une forte attente pour légiférer.

Enfin et surtout, le renoncement à légiférer pose un problème démocratique. Dans quelle démocratie, les grands choix de la Nation en matière d'énergie, au moment même où le pays doit procéder à une transition énergétique majeure qui va impacter le quotidien de tous nos concitoyens, ne sont-ils pas débattus au Parlement ?

Dans ce contexte, la proposition de loi propose une programmation ambitieuse et une simplification idoine.

La proposition de loi fixe une programmation énergétique ambitieuse.

L'article 1er consacre les grands principes des systèmes électriques et gaziers, dont les participations de l'État dans les entreprises publiques - EDF et Engie -, la propriété publique de certains réseaux, ou encore la péréquation tarifaire en électricité et le prix de référence en gaz. Ces deux derniers dispositifs seraient consacrés pour la première fois dans la loi.

L'article 2 abroge la trajectoire de hausse de la composante carbone des taxes intérieures sur la consommation d'énergie. Le gel de ce dispositif annoncé en 2018 serait inscrit dans la loi.

L'article 3 vise à acter la relance du nucléaire, avec au moins 27 gigawatts (GW) de nouveau nucléaire, dont 14 EPR2 et 15 SMR (Small Modular Reactors). L'objectif est de cranter dans la loi, dès 2024 et a minima, le scénario « N03 » de Réseau de transport d'électricité (RTE), c'est-à-dire le plus nucléarisé. L'enjeu est de conserver un mix nucléaire, au moins aux deux tiers, en 2030, et majoritairement, en 2050. Six EPR2 supplémentaires sont même proposés pour couvrir les besoins en cas de réindustrialisation. Une version résolument moderne de l'énergie nucléaire est souhaitée avec, d'ici à 2030, des taux de décarbonation de 50 % pour le mix énergétique et de 90 % pour le mix électrique, de disponibilité des installations nucléaires de 75 % et de recours aux matières recyclées de 20 %. Un effort de recherche et d'innovation, en direction de la fermeture du cycle du combustible nucléaire, des réacteurs de troisième comme de quatrième génération, des projets de fission comme de fusion, est également inscrit.

L'article 4 consacre les différentes flexibilités, dont au moins 6,5 GW d'hydrogène, 1 GW de batteries et 4 mégatonnes de captage et de stockage du carbone d'ici à 2030. Pour la première fois, le développement des réseaux électriques serait inscrit dans la loi.

L'article 5 promeut les énergies renouvelables, avec au moins 29 GW pour l'hydroélectricité, 45 % de chaleur, 20 % de biogaz, et 50 térawattheures (TWh) de biocarburants d'ici à 2030 ou 2035.

Les articles 6 et 7 prévoient une baisse de 15 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) des carburants du secteur du transport et une part de 5,5 % de carburants de synthèse, aux côtés des biocarburants, d'ici à 2030.

Les articles 8 et 11 consacrent une réduction de 50 % des émissions de GES, hors agriculture et forêt, 30 % de la consommation finale totale et 45 % de la consommation primaire fossile, d'ici à 2030. Pour ce faire, et sous réserve de la sécurité d'approvisionnement, l'arrêt du recours aux centrales à charbon pour la production d'électricité est prévu d'ici à 2027.

L'article 9 accompagne la rénovation énergétique, avec 900 000 rénovations d'ampleur par an, soutenues par MaPrimeRénov', dès 2030, et 1 250 à 2 500 TWh d'économies d'énergie par an, soutenues par les certificats d'économies d'énergie (C2E), dès 2026.

En résumé, les évolutions proposées visent à augmenter la part des énergies sobres en carbone dans nos mix énergétique et électrique, à accompagner l'électrification des usages - par une augmentation de la production d'électricité à la fois nucléaire et renouvelable -, de soutenir les actions en faveur de la sobriété et de la rénovation énergétiques et de limiter in fine nos émissions de GES.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - La proposition de loi poursuit aussi une simplification normative, qui doit faciliter la relance de la filière nucléaire et l'essor de celles renouvelables. L'évolution de notre consommation électrique d'ici à 2050, anticipée par RTE, suppose en effet un véritable coup d'accélérateur.

Une première série de mesures concerne l'énergie nucléaire.

L'article 14 modifie la loi « Nouveau nucléaire » de 2023, afin de prolonger ses dispositions de 20 à 27 ans, de faciliter l'implantation des SMR, en dehors des installations existantes, et d'allonger les concessions d'occupation du domaine maritime, de 30 à 50 ans.

L'article 15 modifie aussi cette loi pour appliquer, pour la première fois, au projet de réacteur expérimental de fusion Iter (réacteur thermonucléaire expérimental international), plusieurs dispositions : la dérogation à l'objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN), le bénéfice de la raison impérative d'intérêt public majeur (R2IPM) et la dérogation à la « loi Littoral ».

L'article 16 renforce les sanctions à l'encontre des intrusions dans les installations nucléaires.

La deuxième série de mesures de simplification porte sur les collectivités territoriales.

L'article 17 étend les sociétés locales de production d'énergies renouvelables aux projets d'hydrogène soutenus par appels d'offres.

L'article 18 élargit la contribution au partage territorial de la valeur, dont les communes et leurs groupements doivent bénéficier sur chaque appel d'offres d'électricité ou de gaz renouvelables, aux projets d'éolien en mer et d'hydrogène soutenus par appels d'offres.

La troisième série de mesures a trait aux énergies renouvelables.

L'article 19 applique le critère du bilan carbone, prévu pour réduire les émissions de GES, mais aussi soutenir les industriels français et européens, aux projets d'hydroélectricité soutenus par guichets ouverts.

L'article 20 facilite la dérogation aux débits réservés et les augmentations de puissance pour les installations hydroélectriques.

L'article 21 prévoit d'autoriser, à titre expérimental, et pour les concessions hydroélectriques échues, le passage du régime des concessions vers celui des autorisations, afin de sortir enfin du contentieux européen qui obère les perspectives de la filière hydroélectrique depuis vingt ans.

L'article 22 renforce les sanctions contre les projets alibis en matière d'agrivoltaïsme.

Une dernière série de mesures concerne la protection des consommateurs.

L'article 23 dote la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de compétences pour surveiller les contrats de long terme en électricité et en gaz renouvelables - Power Purchase Agreements (PPA) - et favoriser l'essor des installations d'hydrogène, d'une part, et de captage et de stockage du carbone, d'autre part.

L'article 24 encadre la définition des offres, la modification des contrats et l'information des consommateurs, et complète le comparateur d'offres du Médiateur national de l'énergie (MNE).

Malgré les délais de préparation très resserrés, nous avons soumis la proposition de loi à un cycle d'auditions très dense, qui nous a permis d'entendre une trentaine de personnalités issues d'une vingtaine d'organismes.

Nous avons auditionné les acteurs économiques intéressés : la filière nucléaire - dont le groupe EDF -, la filière hydrogène, les grands secteurs énergétiques - dont l'électricité, le gaz et le pétrole - ou les différentes filières renouvelables - dont l'hydroélectricité, la chaleur, le biogaz et les biocarburants. Nous avons aussi échangé avec les acteurs institutionnels : la CRE, le MNE, RTE et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régie (FNCCR).

Enfin, nous avons entendu le Gouvernement : le cabinet du ministre de l'énergie et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC).

Nous retenons de nos auditions que le principe de la proposition de loi recueille un accueil très positif, unanime, parmi les acteurs économiques et institutionnels ainsi auditionnés, avec une écoute attentive de la part du Gouvernement, à ce stade.

S'agissant de la filière nucléaire, le groupe EDF a indiqué, pour la première tranche, que « la première étape de 9,9 GW, correspondant en puissance à trois paires d'EPR2, est bien alignée avec le programme industriel engagé par EDF » et, pour les autres tranches, que « la construction de nouveaux réacteurs supplémentaires sera nécessaire pour remplacer progressivement les réacteurs actuellement en fonctionnement, comme le prévoit la proposition de loi ». De son côté, la Société française d'énergie nucléaire (Sfen) a estimé « important d'inscrire dans une loi énergétique » non seulement « un socle programmatique visant à la construction de six réacteurs EPR, totalisant environ 10 GW de capacité installée », mais aussi « la proposition proche de ce qui est développé dans cette proposition de loi [soit] la mise en service d'une nouvelle capacité d'au moins 25 GW de production nucléaire d'ici 2050 ». Quant à RTE, il a précisé que le texte « semble se rapprocher des hypothèses de construction du scénario N03 ».

S'agissant des filières renouvelables, si plusieurs acteurs ont regretté les conditions fixées par la proposition de loi en matière d'éolien en mer, les objectifs proposés pour l'hydroélectricité, de chaleur, de biogaz et de biocarburants ont été accueillis très favorablement.

Du côté de l'hydrogène, nucléaire ou renouvelable, l'inscription d'un objectif de 6,5 GW d'ici à 2030 et la transposition d'une dérogation favorable à l'hydrogène nucléaire, ont été fortement saluées.

Enfin, la CRE et le MNE ont accueilli très positivement les mesures de régulation et de protection proposées, tout en suggérant des compléments.

Pour autant, la proposition de loi nécessite quelques ajustements ponctuels, pour lesquels nous avons déposé 11 amendements.

En premier lieu, nous voulons consolider les objectifs fixés en matière d'énergie nucléaire. D'une part, nous proposons de fixer l'objectif de recours à des matières recyclées à 10 % d'ici à 2030, et 20 % d'ici à 2040. D'autre part, nous voulons préciser que l'objectif de disponibilité des installations nucléaires s'apprécie en moyenne. Enfin, nous entendons spécifier que l'objectif de réduction des coûts des réseaux d'électricité concerne ceux unitaires.

En deuxième lieu, nous souhaitons renforcer les objectifs envisagés en matière d'énergies renouvelables. Tout d'abord, nous voulons ajouter, pour l'hydrolien, un objectif de 1 GW, d'ici à 2030, et de 5 GW, d'ici à 2050. Par ailleurs, nous entendons distinguer l'objectif de 297 TWh pour la chaleur, de celui de 2 TWh pour le froid, en 2030. Enfin, nous voulons appliquer aux stations de transfert d'énergie par pompage (Step) un objectif global de 6,7 GW, en 2035.

En troisième lieu, nous souhaitons conforter certaines mesures de simplification. Ainsi, nous voulons appliquer l'allongement, de 20 à 27 ans, des mesures de simplification prévues pour les réacteurs nucléaires, aux installations d'entreposage liées. Plus encore, nous entendons prévoir que l'existence d'une menace sur la sécurité d'approvisionnement permette un recours, strictement encadré, aux centrales à charbon après 2027. Enfin, nous voulons mieux intégrer les technologies de captage et de stockage du carbone, dans la prochaine loi de programmation.

En quatrième et dernier lieu, nous souhaitons compléter les mesures de régulation et de protection. Tout d'abord, nous voulons donner à la CRE une base légale pour la détermination du prix de référence du gaz. De plus, nous entendons décliner, sur un plan plus opérationnel, les compétences attribuées à la CRE en matière d'hydrogène et de captage et de stockage du carbone. Enfin, nous souhaitons compléter les mesures de protection des consommateurs en intégrant, à l'initiative de la CRE et du MNE, des compléments sur les types d'offres, la présentation des offres, la comparaison des factures ou encore la proposition d'échéanciers.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Voici le périmètre de la proposition de loi que je vous propose de retenir, au titre de l'article 45 de la Constitution.

Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives aux objectifs de la politique énergétique figurant aux articles L. 100-2, L. 100-3 et L. 100-4 du code de l'énergie, ainsi qu'au contenu de la loi quinquennale sur l'énergie, mentionnée à l'article L. 100-1 A du même code, et de la programmation pluriannuelle de l'énergie, mentionnée aux articles L. 141-1, L. 141-2 et L. 141-4 du même code ; aux dispositions spécifiques sur les biocarburants, mentionnés aux articles L. 641-1 et L. 661-1-1 du code de l'énergie, et les centrales à charbon, mentionnées à l'article L. 311-5-3 du même code et dans l'ordonnance n° 2020-921 du 29 juillet 2020 ; à l'adaptation de la loi « Nouveau nucléaire » du 22 juin 2023, ainsi qu'aux sanctions applicables en cas d'intrusion dans les installations nucléaires, mentionnées aux articles L. 1333-13-12, L. 1333-13-13, L. 1333-13-14, L. 1333-13-15 et L. 1333-13-18 du code de la défense ; à l'adaptation des sociétés locales de production d'énergie ou d'hydrogène renouvelables, mentionnées aux articles L. 2253-1, L. 3231-6 et L. 4211-1 du code général des collectivités territoriales, et de la contribution au partage territorial de la valeur, prévue aux articles L. 314-41 et L. 446-59 du code de l'énergie ; à l'adaptation du bilan carbone, prévu aux articles L. 314-1 A et L. 446-1 du code de l'énergie, de l'augmentation de puissance, mentionnée à l'article L. 511-6-2 du même code, de la dérogation aux débits réservés, mentionnée au VI de l'article L. 214-18 du code de l'environnement, et des contrôles des installations agrivoltaïques, définis à l'article 461-1 du code de l'urbanisme, ainsi qu'à l'expérimentation du passage, pour les concessions hydroélectriques, du régime des installations concédées vers celui des installations autorisées ; aux compétences de la CRE en matière de contrats de long terme, mentionnés aux articles L. 333-1 et L. 443-1 du code de l'énergie, ainsi qu'en matière d'hydrogène, mentionné notamment à l'article L. 131-2-1 du même code, et de captage, transport et stockage du dioxyde de carbone ; à l'adaptation de la protection des consommateurs d'électricité, mentionnée notamment à l'article L. 332-2 du code de l'énergie et L. 224-10 du code de la consommation, ainsi que du comparateur d'offres, mentionné à l'article L. 122-3 du code de l'énergie.

Il en est ainsi décidé.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je remercie nos deux rapporteurs qui ont travaillé dans un temps contraint. Je salue la présence parmi nous du rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, M. Didier Mandelli.

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est saisie pour avis de ce texte sur l'énergie, estimant important d'y intégrer le volet relatif aux énergies renouvelables. N'ayant été désigné rapporteur pour avis que la semaine dernière, je me suis limité à deux auditions, mais nous avions déjà beaucoup travaillé sur le sujet lors du débat sur la loi « Aper » du 13 mars 2023.

Au travers de trois amendements, nous proposons de refixer des objectifs compris dans le cadre des engagements français au niveau européen, mais également dans la SNBC et dans tous les textes examinés par le Sénat. J'ai échangé avec les rapporteurs de votre commission pour aboutir à des positions communes.

M. Fabien Gay. - Je suis très partagé. Je remercie l'auteur de la proposition de loi d'avoir déposé ce texte, mais la réalité, c'est la défaillance claire du Gouvernement. Je ne me satisfais pas de la réponse de Roland Lescure, qui estime que le Gouvernement est dans l'incapacité de proposer une loi de programmation pluriannuelle de l'énergie, faute de majorité à l'Assemblée nationale.

Il est en train de dessaisir totalement le Parlement. Nous ne sommes pas responsables de l'absence de majorité stable - ou de majorité d'idées - sur chaque texte. Cela signifie-t-il que durant trois ans, jusqu'à la fin du quinquennat, nous ne voterons pas de texte fondamental ? On est en train de nous soumettre, projet de loi après projet de loi, des volets sur des projets quasi inutiles. Je suis membre de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi de simplification de la vie économique et je puis vous dire que, hier, on a découpé la moitié du texte, alors qu'il ne comportait déjà pas grand-chose... Et on nous dit qu'il faudra déjà y revenir l'année prochaine ! Tout cela participe d'un dégoût et d'un rejet de la politique.

On devrait s'interroger : dessaisir le Parlement de sujets centraux - maintenant la politique énergétique, ensuite le logement... - conduira au pire.

Nous échangerons sur le fond du texte en séance publique. Je partage certaines positions tandis que d'autres sont en débat. Le Gouvernement est défaillant. La droite sénatoriale est dans son rôle, et émet des propositions reposant sur le travail de fond, sérieux, que notre collègue Daniel Gremillet réalise depuis plusieurs années.

Nous devons demander des comptes au Gouvernement en séance publique et ne pas nous satisfaire de cette situation.

M. Yannick Jadot. - Nous débattrons du fond et de la stratégie du tout nucléaire proposée au moment du débat sur les différents articles, et notamment en séance publique.

Je suis d'accord avec les rapporteurs, les auteurs de la proposition de loi et notre collègue Fabien Gay sur le scandale que représente l'attitude du Gouvernement, unanimement critiquée.

Le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC), qui s'adresse directement au Premier ministre, estime que cette défaillance sur l'ensemble du paquet « Climat-Énergie » à produire la loi casse profondément l'ambition climatique de notre pays.

Je ne vous cache pas que je suis plus proche de la proposition de loi de l'Assemblée nationale que de celle-ci, mais nous nous associons au signal politique fort du Sénat contre la désinvolture et le mépris du Gouvernement envers le Parlement.

Mme Micheline Jacques. - Merci de cette belle initiative et d'avoir pensé aux territoires d'Outre-mer, à travers les zones non interconnectées au réseau dit « métropolitain » continental (ZNI).

La stratégie de verdissement du groupe EDF consiste à remplacer le gazole par des biocarburants ; or ces territoires ne sont pas en mesure de fabriquer ces biocarburants. L'autonomie en 2050 risque d'être compromise dans ces territoires. La réduction des GES avec l'approvisionnement risque aussi d'être compromise.

Je déplore que l'utilisation du solaire reste très limitée. Le groupe EDF n'est pas dans la logique de racheter de l'énergie solaire, alors que cela pourrait être un véritable vecteur de développement économique, notamment par l'agrivoltaïsme.

Nous devons conserver un équilibre : l'énergie solaire a aussi ses limites et impose une production qui permet d'ajuster en cas de baisse.

Concernant MaPrimeRénov', le diagnostic de performance énergétique (DPE) hexagonal ne peut être adapté aux territoires ultramarins. La Guadeloupe, habilitée, a réalisé un DPE, mais celui-ci n'est pas reconnu et elle ne peut pas profiter du dispositif MaPrimeRénov'.

Une source d'énergie est souvent oubliée, à savoir l'incinération des déchets. Dans ces petits territoires, elle permet d'apporter deux solutions : l'élimination des déchets et la production d'énergie vertueuse.

Mme Sophie Primas. - Le groupe Les Républicains s'associe aux propos de nos collègues Fabien Gay et Yannick Jadot sur le mépris du Gouvernement envers le Parlement, grave entrave aux principes démocratiques et parlementaires. Au Sénat, nous sommes constitutionnellement les ambassadeurs du compromis, notamment en CMP : nous affirmons des lignes rouges, faisons des concessions, et trouvons des accords avec l'Assemblée nationale - et en réalité avec le Gouvernement.

Ne plus pouvoir nous appuyer sur la confiance des parlementaires envers le Gouvernement, à long terme, qui repose sur la prise en considération de nos négociations lors des CMP, est le pire dévoiement. Nous en tirerons les conséquences. Ce n'est pas la première fois. Nous l'avons vu avec les décrets sur le « ZAN » contraires à l'esprit des accords passés ; on le voit ici sur le secteur énergétique... Devons-nous encore nous fier aux accords conclus lors des CMP ? Le problème devient prégnant, et c'est extrêmement grave pour notre démocratie.

Mme Martine Berthet. - Je félicite notre collègue Daniel Gremillet de ce texte très exhaustif. Tout y est : les attentes, le nucléaire, l'hydrogène, hydroélectricité, les contrats de long terme - sur lesquels il y a un besoin de surveillance -, le lien avec les collectivités locales. Merci pour ce formidable travail et merci aux rapporteurs.

M. Henri Cabanel. - Au nom du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), je partage les propos précédents et dénonce ce déni de démocratie. Nous ne comprenons pas la manière d'agir du Gouvernement. Cette loi de programmation pluriannuelle de l'énergie aurait dû être déposée avant celle d'accélération des énergies renouvelables, avant la loi de relance du nucléaire, et c'est tout l'inverse qui s'est produit. Nous remercions les auteurs de ce texte et les rapporteurs qui, au moins, nous permettent de débattre.

M. Daniel Gremillet, auteur de la proposition de loi. - Effectivement, quelles que soient nos sensibilités, nous avions demandé, depuis plusieurs années, d'examiner d'abord une PPE avant d'en décliner les conséquences.

Force est de constater que la loi n'est pas respectée. Le Sénat a introduit la notion de débat parlementaire sur l'énergie, reprise par la CMP. Nous avons un an de retard par rapport aux exigences de la loi à l'égard du Parlement - c'est grave.

Je me suis permis de déposer ce texte pour plusieurs raisons. On ne peut pas rester dans le vide. On ne peut affirmer, durant la COP28, que la France va sortir des énergies fossiles sans avoir de feuille de route sur les énergies pilotables et renouvelables.

Ensuite, l'énergie suppose du temps long. Toutes les décisions, y compris pour les énergies renouvelables, sont concrétisées plusieurs années après. Pour le nucléaire, il faut un délai de 12 à 15 ans entre la décision et la production.

Enfin, ce texte vise aussi à envoyer des signaux à l'économie : aucun industriel ne se lancera dans la production d'éoliennes ou de panneaux photovoltaïques si l'on n'affiche pas la couleur ; alors, il n'y aura pas de décarbonation.

Je remercie la présidente Dominique Estrosi Sassone d'avoir permis d'évoquer les économies d'énergie au travers de la rénovation énergétique.

Vous ne donnerez pas envie à des jeunes de relever le défi de la recherche et de l'innovation, y compris sur le nouveau nucléaire et l'hydrogène. Il y a un débat sur l'hydrogène. Souvenez-vous pour l'électrique : si les collectivités territoriales n'avaient pas été au rendez-vous, aurait-on autant de voitures électriques ? Quatre collectivités territoriales sont engagées dans l'hydrogène, et les premières motrices seront livrées en 2025.

Ce texte vise à ce que le Sénat, exclu du débat - comme l'Assemblée nationale - puisse s'emparer du sujet et envoyer des signaux forts sur la trajectoire de production énergétique pilotable et renouvelable, sur l'investissement industriel, la recherche et l'innovation, et des signaux forts pour la jeunesse. Il nous faut retrouver une certaine forme d'indépendance de production énergétique sur l'ensemble du territoire.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Je partage les propos de nos collègues Yannick Jadot, Fabien Gay, Henri Cabanel et de la présidente Sophie Primas : le Gouvernement méprise le Parlement, qui est obligé de se substituer au Gouvernement pour simplement faire respecter la loi. Je remercie notre collègue Daniel Gremillet pour tout le travail réalisé, en vue d'atteindre une indépendance énergétique.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Je salue le travail de notre collègue Daniel Gremillet et sa détermination sur ce sujet.

Les acteurs de l'énergie, durant nos auditions, étaient unanimement favorables à cette proposition de loi. Je suis toujours optimiste, le Gouvernement, en l'espèce le cabinet du ministre de l'énergie, semble ouvert à la discussion, même si nous avons eu un accueil des services du ministère plus que froid, c'est-à-dire de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Notre travail ne suffit pas, il faut pouvoir faire vivre cette proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Motion

M. Franck Montaugé. - L'urgence écologique et climatique est au fondement du code de l'énergie, dont l'article L. 100-1 A prévoit des objectifs précis.

Le Gouvernement a effectivement rejeté le débat à l'Assemblée nationale. Le ministre Roland Lescure, auditionné devant la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, l'a confirmé, car le Gouvernement craint un rejet immédiat du texte. Le groupe Socialistes, écologistes et républicains (SER) estime que c'est un déni de la loi, un déni de démocratie, et un contournement inacceptable de la représentation nationale sur un sujet majeur.

Ce texte a une forme de légitimité, une raison d'être fondé. Je tiens à saluer le travail de l'auteur et des rapporteurs sur un texte très dense. Mais, à nos yeux, cette proposition de loi ne répond que partiellement aux objectifs de programmation « Énergie-Climat » du code de l'énergie. La plupart de ces objectifs sont abordés dans le texte, sauf un : la programmation des moyens financiers nécessaires à l'atteinte de ces objectifs.

Cette proposition de loi n'a pas donné lieu à une étude d'impact qui aurait permis de quantifier les objectifs, en cohérence les uns par rapport aux autres. Certes, il appartient au Gouvernement de produire ces données pour réaliser cette étude d'impact et les soumettre au Conseil d'État. Le contexte actuel n'est pas optimal pour légiférer.

Ce texte émet des propositions sur les prix de l'électricité. Si j'en comprends l'intention, en tant que président de la commission d'enquête précitée, nous aurions pu attendre le 5 juillet prochain pour disposer de ses recommandations. Nous vous proposons d'adopter cette motion COM-1 rectifiée de renvoi à la commission pour réaliser un travail plus approfondi, tout en reconnaissant bien entendu le travail réalisé par les auteurs et les rapporteurs. Si cette motion est rejetée, nous participerons cependant constructivement au débat en séance.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Tous les travaux sénatoriaux sont utiles, quels qu'ils soient, et complémentaires.

Je rappellerai quelques éléments de contexte. Le calendrier, peu confortable, n'est pas le fait de l'auteur de la proposition de loi, notre collègue Daniel Gremillet, ou de nous-mêmes en tant que rapporteurs. Nous ne traitons pas des prix...

M. Franck Montaugé. - Un peu quand même !

M. Alain Cadec, rapporteur. - Pas en tant que tels, mais à la marge. Nous évoquons, certes, la protection du consommateur, mais pas la régulation du marché de l'électricité qui se substituera à l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh).

Le contenu de ce texte peut être dense, mais n'a rien d'inédit, tant sur le volet programmation que sur le volet simplification. Certaines des mesures proposées ont déjà été adoptées par notre commission dans des textes précédents.

À l'inverse, adopter votre motion nous priverait d'un débat en séance publique dont nous avons absolument besoin. Chaque groupe doit exprimer ses positions et présenter ses amendements. Avis défavorable à cette motion.

La motion COM-1 rectifiée n'est pas adoptée.

Article 1er

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-10.

L'amendement COM-10 est adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-11 rectifié : notre demande de correction a été validée par son auteur.

L'amendement COM-11 rectifié est adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-34 de précision rédactionnelle modifie l'article 1er relatif aux grands principes du système énergétique. Il vise à faire référence au dispositif du prix repère de vente du gaz naturel développé par la CRE, sans mentionner les textes financiers, par nature instables. Ce faisant, il confère une base légale à cette mission de la CRE, qui l'exerce actuellement sur la seule base de son règlement intérieur. C'est une avancée pour protéger les consommateurs de gaz. La CRE est favorable à cette évolution.

M. Franck Montaugé. - Je comprends l'intention, mais quelles en seront les conséquences ? La formation des prix prendra-t-elle en compte le prix repère ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Il n'y a aucune conséquence. Nous inscrivons dans la loi un dispositif qui est déjà appliqué.

M. Franck Montaugé. - On lui donne ainsi plus de force. Cela peut-il ensuite donner lieu à interprétation ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Je ne le pense pas.

M. Fabien Gay. - La proposition de loi ne peut embrasser tous les sujets, et c'est normal. Que ce soit sur le gaz ou sur l'électricité, nous aurons besoin du contrat post-Arenh, qui aura des conséquences sur la tarification et la construction du tarif réglementé de vente d'électricité (TRVE) - que je conteste - et sur la question gazière. Actuellement, c'est déjà la CRE qui fixe le prix. Selon moi, cet amendement ne change rien ; adoptons-le ! Mais il faudra revenir sur le sujet du prix.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela prouve qu'il n'y a pas de porosité entre la commission d'enquête et cette proposition de loi.

L'amendement COM-34 est adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-12 rectifié, compte tenu des corrections apportées.

L'amendement COM-12 rectifié est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

M. Yannick Jadot. - L'amendement COM-16 vise à supprimer l'article 3. La PPE fixe des objectifs sur dix ans avec des plans quinquennaux révisables tous les cinq ans. Cette proposition de loi évoque des objectifs supérieurs à dix ans en prévoyant la construction de réacteurs nucléaires. Prévoir une quinzaine d'EPR et une vingtaine de SMR sans étude d'impact nous fait rentrer dans un brouillard budgétaire et énergétique absolu... C'est pourquoi nous nous opposerons à cette proposition de loi.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Retrait ou, à défaut, avis défavorable.

La relance du nucléaire a tout à fait sa place dans une loi de programmation énergétique. Par ailleurs, les dispositions de la proposition de loi ont toutes fait l'objet d'une évaluation préalable, notamment dans le cadre de l'ancien projet de loi sur la souveraineté énergétique, et ont déjà été adoptées par notre commission dans des textes précédents. Enfin, ces dispositions vont bien au-delà du seul objectif de production nucléaire.

L'amendement COM-16 n'est pas adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-8 rectifié ter.

L'amendement COM-8 rectifié ter est adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Je vous propose d'adopter notre amendement COM-35. Retrait ou, à défaut, avis défavorable aux amendements COM-6 rectifié bis et COM-27 rectifié bis.

L'amendement COM-35 est adopté. En conséquence, les amendements COM-6 rectifié bis et COM-27 rectifié bis deviennent sans objet.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

M. Alain Cadec, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable à l'amendement COM-13.

L'amendement COM-13 n'est pas adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-36 de précision rédactionnelle modifie l'article 4 afférent aux flexibilités de toute nature.

L'amendement COM-36 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 4

M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-7 rectifié bis vise à ajouter un objectif de capacités installées de production pour l'énergie hydrolienne avant les objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnées à l'article 5. L'énergie hydrolienne est une technologie d'avenir qui doit être promue ; or aucun objectif programmatique propre ne figure dans ce domaine. Je partage, sur le fond, l'amendement proposé, mais notre amendement COM-37 de précision rédactionnelle prévoit un objectif plus ambitieux, avec 5 GW de capacités installées en 2050, contre 2,5 GW en 2040 pour cet amendement. Retrait, sinon avis défavorable.

M. Guislain Cambier. - Il est donc satisfait, je le retire.

L'amendement COM-7 rectifié bis est retiré.

Article 5

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-37 de précision rédactionnelle complète les objectifs en matière d'énergies renouvelables sur trois points. Il prévoit de mieux dissocier la production de chaleur renouvelable de celle de froid renouvelable, en introduisant des objectifs de niveaux de production propres de respectivement 297 et 2 TWh d'ici à 2030. Il précise que l'objectif de capacités installées de production pour les Step, de 1,7 GW en 2035, est additionnel. Enfin, il ajoute un objectif de capacités installées de production pour les hydroliennes, de 1 GW d'ici à 2030 et 5 GW d'ici à 2050. Cet amendement a fait l'objet d'échanges avec le Syndicat des énergies renouvelables (SER), France Hydroélectricité (FH) et la Fédération des services énergie environnement (Fedene).

L'amendement COM-37 est adopté.

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-50 vise à ajouter un objectif de capacités installées de production d'énergie solaire d'au moins 50 GW à l'horizon 2030.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-50 est adopté.

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-51 tend à privilégier le repowering pour le développement de l'éolien terrestre afin d'augmenter la capacité et de profiter des dernières innovations technologiques pour les parcs installés depuis plus de vingt ans et qui sont en renouvellement.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis favorable.

L'amendement COM-51 est adopté.

M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-52 vise à favoriser le développement de l'énergie hydrolienne qui a un potentiel de 3 à 5 GW, essentiellement dans l'Ouest du pays.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Cet amendement vise à introduire un objectif de capacités installées de production en matière d'énergie hydrolienne. Cet objectif, sans chiffrage, est moins ambitieux et moins précis que notre amendement COM-37 de précision rédactionnelle que nous avons adopté. Retrait, à défaut avis défavorable.

L'amendement COM-52 n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles 6 et 7

Les articles 6 et 7 sont successivement adoptés sans modification.

Après l'article 7

L'amendement COM-31 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-32.

L'amendement COM-32 n'est pas adopté.

Article 8

M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-9 rectifié vise à préciser que l'interdiction des centrales de production d'électricité à partir de charbon dès 2027 intervient sous réserve des projets de reconversion de ces centrales vers des combustibles bas-carbone.

C'est une exigence intéressante, qui permet de rappeler la nécessité de décarboner les sites de production d'énergie fossile ; celle d'offrir un avenir aux salariés touchés par les fermetures de tels sites, et surtout, la nécessité pour l'État de respecter ses engagements en la matière. Un ajustement rédactionnel a été accepté par l'auteur. Avis favorable.

M. Fabien Gay. - Lors de la loi « Énergie-Climat » de 2019, j'avais voté pour la fermeture des centrales à charbon à deux conditions : que les territoires concernés soient consultés et puissent travailler sur la reconversion industrielle ; ensuite, que les salariés ne paient pas les pots cassés. Le projet de transformation Ecocombust de la centrale de Cordemais tient la route. Or les pouvoirs publics ont dit tantôt oui, tantôt non, avant de décaler la décision en juin prochain. Les élus se mobilisent, notamment notre collègue Philippe Grosvalet. Envoyons un message fort pour débattre avec le ministre Roland Lescure. Il doit se prononcer. Ce projet est un projet de transition écologique, porté par les syndicats et notamment la Confédération générale du travail (CGT), majoritaire, et par les salariés. Je suis favorable à la fermeture des centrales à charbon, hormis celle-ci en raison de ce projet qui tient la route. Notre collègue Ronan Dantec était avec nous pour défendre les salariés.

M. Philippe Grosvalet. - Je défends ce projet, comme je l'ai fait en tant que président du département. Ce projet original est aussi défendu par la direction de l'usine, les salariés, mais pas par le groupe EDF, dont l'État est actionnaire... Il faut l'appui de toutes les organisations pour faire de ce dossier un symbole de la transition écologique : on quitterait le charbon. Comme il n'y a pas de nucléaire dans l'Ouest, ce projet permet de répondre aux pics de consommation. Il est important pour la production, la transition et l'emploi.

Malgré les interventions du ministre, nous craignons qu'on n'enterre ce projet, qui est une chance pour notre territoire.

M. Franck Montaugé. - Nous soutenons cet amendement. Concernant les critères sociaux et territoriaux du groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste - Kanaky (CRCE-K), j'ajoute que le destin de l'école nationale des métiers de Saint-Étienne-de-Montluc est lié à l'avenir de la centrale de Cordemais. Nous devons l'intégrer dans la loi.

M. Alain Cadec, rapporteur. -Nous partageons cet avis.

L'amendement COM-9 rectifié est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - À l'unanimité !

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-38 de précision rédactionnelle tend à préférer l'exigence d'une « menace » pesant sur la sécurité d'approvisionnement plutôt que d'une « menace grave » pour déroger exceptionnellement à l'interdiction du recours aux installations de production d'électricité à partir de charbon après 2027, dans un souci de sécurité d'approvisionnement et de coordination juridique.

D'une part, le décret mentionné à l'article 36 de la loi « Pouvoir d'achat », du 22 août 2022, fait référence à une menace sur la sécurité d'approvisionnement, ce qui a été admis par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2022-843 DC du 12 août 2022. D'autre part, c'est également le terme choisi à l'article 20 de cette proposition de loi, s'agissant de la dérogation aux débits réservés et des augmentations de puissance pour les installations hydrauliques. Cet amendement a fait l'objet d'échanges avec le groupe EDF.

L'amendement COM-38 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

L'amendement rédactionnel COM-39 est adopté.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 10

M. Alain Cadec, rapporteur. - L'amendement COM-28 rectifié ter vise à modifier l'objectif relatif au mix renouvelable, dès 2030, et autonome, dès 2050, des ZNI. Il préfère l'expression « tendre vers » à « parvenir » dans la rédaction de cet objectif. Avis favorable.

M. Yannick Jadot. - C'est plus que rédactionnel. C'est politique !

M. Alain Cadec, rapporteur. - De la politique rédactionnelle.

M. Yannick Jadot. - De la rédaction politique...

L'amendement COM-28 rectifié ter est adopté.

L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 11

M. Alain Cadec, rapporteur. - Retrait ou, à défaut, avis défavorable à l'amendement COM-46.

M. Yannick Jadot. - Nous sommes là pour dire qu'il faut respecter la loi. Or le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » est bien une loi européenne.

L'amendement COM-46 n'est pas adopté.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-40 de précision rédactionnelle ajuste l'objectif de réduction des émissions de GES mentionné à l'article 11.

M. Franck Montaugé. - Cet amendement constitue une sorte de compensation à l'augmentation de 40 à 50 % du taux de réduction des émissions de GES. Écrire « tendre vers » plutôt que « réduire » relativise considérablement l'objectif...

M. Alain Cadec, rapporteur. - C'est une proposition du Gouvernement, qui, malgré nos critiques, fait parfois des propositions pertinentes...

L'amendement COM-40 est adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

M. Alain Cadec, rapporteur. - Notre amendement COM-45 de précision rédactionnelle complète l'article 12, qui fixe le contenu de la prochaine loi quinquennale sur l'énergie. Il permet de préciser la périodicité des objectifs de déploiement des dispositifs de captage et de stockage du dioxyde de carbone.

L'amendement COM-45 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 13

M. Alain Cadec, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-17.

L'amendement COM-17 n'est pas adopté.

L'article 13 est adopté sans modification.

Article 14

M. Yannick Jadot. - L'amendement COM-18 vise à supprimer l'article 14. Je souhaiterais revenir sur un point. Vous voulez réduire l'objectif en 2030 de 55 à 50 %. Malheureusement, c'est cohérent avec l'idée que les grands investissements énergétiques n'aboutiront qu'en 2040. Mais du point de vue scientifique et climatique, ce n'est pas sérieux.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable.

L'amendement COM-18 n'est pas adopté.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Notre amendement COM-41 de coordination juridique prévoit d'appliquer aux projets d'installation d'entreposage de combustibles nucléaires la même durée de 27 ans que celle qui est proposée pour les projets de réacteurs électronucléaires, dont les petits réacteurs modulaires.

L'amendement COM-41 est adopté.

L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-19.

L'amendement COM-19 n'est pas adopté.

L'article 15 est adopté sans modification.

Article 16

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-20.

L'amendement COM-20 n'est pas adopté.

L'article 16 est adopté sans modification.

Article 17

L'article 17 est adopté sans modification.

Après l'article 17

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - L'amendement COM-22 vise à renforcer les possibilités de délégation entre les collectivités, leurs groupements et les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE). Avis favorable.

L'amendement COM-22 est adopté et devient article additionnel.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-30.

L'amendement COM-30 n'est pas adopté.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-33.

L'amendement COM-33 n'est pas adopté.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-29.

L'amendement COM-29 n'est pas adopté.

Article 18

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-15.

L'amendement COM-15 n'est pas adopté.

L'article 18 est adopté sans modification.

Après l'article 18

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-24 rectifié bis.

L'amendement COM-24 rectifié bis n'est pas adopté.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Retrait, sinon avis défavorable à l'amendement COM-25 rectifié bis.

L'amendement COM-25 rectifié bis n'est pas adopté.

L'amendement COM-26 rectifié bis est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-23 rectifié bis.

L'amendement COM-23 rectifié bis n'est pas adopté.

Article 19

L'article 19 est adopté sans modification.

Article 20

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression COM-47.

L'amendement COM-47 n'est pas adopté.

L'article 20 est adopté sans modification.

Articles 21 et 22

Les articles 21 et 22 sont successivement adoptés sans modification.

Article 23

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Notre amendement COM-42 de coordination vise à tirer les conséquences des nouvelles compétences confiées par l'article 23 à la CRE en matière d'hydrogène ainsi que de captage, de transport et de stockage du dioxyde de carbone. Il fixe des modalités d'application très concrètes en matière de mission, de contrôle ou de sanction, sur le même modèle que la régulation applicable aux réseaux d'électricité et de gaz.

M. Franck Montaugé. - Est-ce la CRE qui a proposé cette rédaction ?

M. Alain Cadec, rapporteur. - Sur le principe, oui. Nous avons été surpris par l'enthousiasme de la CRE...

L'amendement COM-42 est adopté.

L'article 23 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 24

M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Notre amendement COM-43 de coordination renforce la protection des consommateurs d'électricité, suivant les recommandations de la CRE ou du MNE.

L'amendement COM-43 est adopté.

L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Avant l'article 25

L'amendement COM-44 est adopté et devient article additionnel.

Article 25

L'article 25 est adopté sans modification.

Intitulé de la proposition de loi

L'intitulé de la proposition de loi est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Daniel Gremillet. - Je remercie les trois rapporteurs qui ont réalisé un travail qui ne dénature pas cette proposition de loi, ainsi que tous les sénateurs présents. Nous en débattrons lors de la séance publique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Tous les sénateurs seront satisfaits de débattre de ce sujet essentiel et important.

M. Alain Cadec, rapporteur. - Dans la sérénité !

Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :

Motion

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. MONTAUGÉ

1 rect.

Motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi

Rejeté

Article 1er

M. CHAIZE

10

Mention des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) parmi les grands principes du système électrique définis à l'article 1er de la proposition de loi

Adopté

M. CHAIZE

11 rect.

Renvoi à l'article L. 322-4 du code de l'énergie s'agissant de la propriété publique des réseaux de distribution d'électricité mentionnée à l'article 1er de la proposition de loi

Adopté

M. CADEC, rapporteur

34

Introduction d'une base légale permettant à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de définir le prix de référence du gaz à l'article 1er de la proposition de loi

Adopté

M. CHAIZE

12 rect.

Renvoi à l'article L. 432-4 du code de l'énergie s'agissant de la propriété publique des réseaux de distribution de gaz mentionnée à l'article 1er de la proposition de loi

Adopté

Article 3

M. JADOT

16

Suppression de l'article 3 de la proposition de loi relatif aux objectifs en matière d'énergie nucléaire

Rejeté

M. MENONVILLE

8 rect. ter

Inclusion du projet Cigéo aux objectifs en matière d'énergie nucléaire mentionnés à l'article 3 de la proposition de loi

Adopté

M. CADEC, rapporteur

35

Modification des objectifs en matière d'énergie nucléaire mentionnés à l'article 3 de la proposition de loi

Adopté

M. MENONVILLE

6 rect. bis

Modification des objectifs en matière d'énergie nucléaire mentionnés à l'article 3 de la proposition de loi

Rejeté

M. MENONVILLE

27 rect. bis

Modification des objectifs en matière d'énergie nucléaire mentionnés à l'article 3 de la proposition de loi

Rejeté

Article 4

M. CHAIZE

13

Renvoi aux articles L. 322-6 et L. 332-8 du code de l'énergie s'agissant du développement des réseaux de distribution d'électricité mentionné à l'article 4 de la proposition de loi

Rejeté

M. CADEC, rapporteur

36

Précision de la nature unitaire des coûts visés dans l'objectif de réduction de ces coûts pour les réseaux de distribution et de transport d'électricité mentionné à l'article 4 de la proposition de loi

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 4

M. MENONVILLE

7 rect. bis

Ajout d'un objectif de capacités installées de production pour l'énergie hydrolienne avant les objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnés à l'article 5 de la proposition de loi

Retiré

Article 5

M. CADEC, rapporteur

37

Modification des objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnés à l'article 5

Adopté

M. MANDELLI

50

Ajout d'un objectif de capacités installées de production d'énergie solaire parmi les objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnés à l'article 5

Adopté

M. MANDELLI

51

Ajout d'un objectif préférant le renouvellement des éoliennes terrestres existantes à l'installation de nouvelles parmi les objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnés à l'article 5

Adopté

M. MANDELLI

52

Ajout d'un objectif de capacités installées de production pour l'énergie hydrolienne parmi les objectifs en matière d'énergies renouvelables mentionnés à l'article 5 de la proposition de loi

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 7

M. FARGEOT

31

Modification de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert)

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

M. FARGEOT

32

Remise d'un rapport d'évaluation sur les conséquences de l'extension de la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert) au secteur aérien

Rejeté

Article 8

M. GAY

9 rect.

Ajout d'une condition liée à la conversion des centrales de production d'électricité à partir de charbon vers des combustibles bas-carbone, pour permettre le maintien de l'exploitation de ces centrales après 2027

Adopté

M. CADEC, rapporteur

38

Ajout d'une condition liée à l'exigence d'une menace sur la sécurité d'approvisionnement pour permettre le recours à des centrales de production d'électricité à partir de charbon après 2027

Adopté

Article 9

M. CADEC, rapporteur

39

Précision de l'unité utilisée dans l'objectif relatif aux économies d'énergie mentionné à l'article 9 de la proposition de loi

Adopté

Article 10

M. MENONVILLE

28 rect. ter

Modification de l'objectif relatif aux zones non interconnectées (ZNI) mentionné à l'article 10 de la proposition de loi

Adopté

Article 11

M. CABANEL

46

Modification de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mentionné à l'article 11 de la proposition de loi

Rejeté

M. CADEC, rapporteur

40

Modification de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mentionné à l'article 11 de la proposition de loi

Adopté

Article 12

M. CADEC, rapporteur

45

Modification du contenu de la prochaine loi quinquennale sur l'énergie, prévue à l'article 12 de la proposition de loi, en matière de captage et de stockage du dioxyde de carbone

Adopté

Article 13

M. JADOT

17

Suppression de l'article 13 de la proposition de loi, intégrant les EPR2, les SMR, les carburants renouvelables d'origine non biologique et les dispositifs de captage et de stockage du carbone dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE)

Rejeté

Article 14

M. JADOT

18

Suppression de l'article 14 de la proposition de loi ajustant les mesures de simplification prévues par la loi « Nouveau nucléaire » de 2023

Rejeté

M. CADEC, rapporteur

41

Modification des mesures de simplification issues de la loi « Nouveau nucléaire » de 2023 mentionnées à l'article 14 de la proposition de loi

Adopté

Article 15

M. JADOT

19

Suppression de l'article 15 de la proposition de loi étendant au projet ITER les mesures de simplification prévues par la loi « Nouveau nucléaire » de 2023

Rejeté

Article 16

M. JADOT

20

Suppression de l'article 16 de la proposition de loi renforçant les sanctions pénales applicables en cas d'intrusion dans les installations nucléaires

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 17

M. CHAIZE

22

Renforcement des possibilités de délégation entre les collectivités, leurs groupements, et les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE)

Adopté

M. CHAIZE

30

Possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices de tenir compte du caractère nouveau ou non de l'installation de production d'électricité dans les critères d'attribution des contrats de long terme en matière d'électricité

Rejeté

M. CHAIZE

33

Possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices de tenir compte de la part d'énergies renouvelables dans le mix de production d'électricité dans les critères d'attribution des contrats de long terme en matière d'électricité

Rejeté

M. CHAIZE

29

Possibilité pour les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices de tenir compte de la part d'énergies renouvelables dans le mix de production d'électricité dans les critères d'attribution des contrats de long terme en matière d'électricité

Rejeté

Article 18

M. CHAIZE

15

Mention des groupements de collectivités comme destinataires de la contribution au partage territorial de la valeur

Rejeté

Article(s) additionnel(s) après Article 18

M. MENONVILLE

24 rect. bis

Institution de souplesses administratives en matière d'urbanisme pour la réalisation de grands chantiers liés à la décarbonation

Rejeté

M. MENONVILLE

25 rect. bis

Transfert à l'État de l'instruction des autorisations liées à l'occupation du domaine public pour les projets de construction ou d'exploitation de réacteurs nucléaires

Rejeté

M. MENONVILLE

26 rect. bis

Application d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche à Bpifrance

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

M. MENONVILLE

23 rect. bis

Dérogation à l'objectif « Zéro artificialisation nette » pour la réalisation de grands chantiers liés à la décarbonation

Rejeté

Article 20

M. CABANEL

47

Suppression de l'article 20 de la proposition de loi facilitant les dérogations aux débits réservés et les augmentations de puissance pour les installations hydroélectriques

Rejeté

Article 23

M. CADEC, rapporteur

42

Complément, sur le plan opérationnel, des compétences de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en matière d'hydrogène de même que de captage, de transport et de stockage du dioxyde de carbone

Adopté

Article 24

M. CADEC, rapporteur

43

Renforcement de la protection des consommateurs d'électricité s'agissant de l'information sur les offres de fourniture notamment

Adopté

Article(s) additionnel(s) avant Article 25

M. CADEC, rapporteur

44

Application des dispositions introduites en matière de programmation énergétique par la présente proposition de loi dans les îles Wallis et Futuna

Adopté

La réunion est close à 12 h 35.

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 40.

Projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, après une crise agricole majeure, nous sommes heureux de vous recevoir à l'orée de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Nous attendions depuis maintenant près de deux longues années ce texte consacré à l'installation et à la transmission en agriculture, fruit de concertations territoriales et nationales avec de nombreuses parties prenantes.

Après avoir été maintes fois reporté, ce texte s'est enrichi à la suite de la crise agricole d'un titre affirmant l'objectif de souveraineté alimentaire, ainsi que d'un autre titre consacré à simplifier, sécuriser et libérer les activités agricoles. Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale comptait dix-neuf articles. L'examen du texte, commencé à la mi-mai, s'est terminé hier et le projet de loi compte désormais quarante-cinq articles. Lors de ces débats, près de 3 600 amendements ont été examinés par les députés de la commission des affaires économiques, compétente sur ce texte, et plus de 5 400 amendements ont été examinés en séance la semaine dernière, avant un vote solennel hier.

C'est donc un travail titanesque qu'ont entrepris nos deux rapporteurs, Franck Menonville, du groupe Union Centriste, pour les parties du texte relatives à la formation, à l'orientation, à l'installation et à la transmission, et Laurent Duplomb, du groupe Les Républicains, pour les parties relatives à la souveraineté et à la simplification. Ils sont à la tâche depuis quelques semaines et achèveront leurs auditions demain, pour préparer le grand débat démocratique que doit être l'examen de ce projet de loi.

À propos de débat, monsieur le ministre, j'en viens à la question qui fâche. Le texte que vous avez proposé à la délibération parlementaire est bavard sur certains sujets et muet sur d'autres.

Toute sa partie programmatique est peut-être trop développée, au point qu'elle semble quelque peu nébuleuse à nos rapporteurs, si je ne trahis pas leur pensée. On peine à bien mesurer l'impact concret des grands principes généraux qui y sont affirmés.

Par ailleurs, le volet simplification du texte est réduit à son plus simple appareil. Il est limité à des mesures parfois anecdotiques ou périphériques.

Toutefois, monsieur le ministre, ce qui fâche n'est pas tant le contenu lui-même du texte que ce qui n'y figure pas. En effet, vous avez laissé de côté des pans entiers d'engagements pourtant pris par le Premier ministre lui-même. Vous avez ainsi abandonné certaines dispositions relatives aux surtranspositions en matière de produits phytosanitaires, qui figuraient pourtant dans des avant-projets de loi, et aux autorisations environnementales dans l'élevage-. Ce faisant, le Gouvernement s'interdit de résoudre certains problèmes identifiés de longue date, par exemple lors des débats de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, alors que la crise agricole les a fait ressortir avec netteté.

Nous l'avons noté, malgré les aides de crise actées au début de ce mois-ci, le Gouvernement réserve pour l'automne les mesures fiscales et sociales de portée structurelle, les travaux sur les relations commerciales et les lois EGAlim et la réforme du conseil stratégique phytosanitaire (CSP) et des conditions d'usage de produits phytosanitaires. Pourquoi avoir choisi des véhicules législatifs séparés ? La crise multifactorielle traversée par le monde agricole ne mérite-t-elle pas une réponse d'ensemble, cohérente ?

Au Sénat, nous avons fait le choix politique de laisser vivre le débat en interprétant l'article 45 de notre Constitution de manière plus souple qu'à l'Assemblée nationale, quitte à prendre certains risques vis-à-vis de l'examen du texte par le Conseil constitutionnel. Ce faisant, il me semble que nous jouons notre rôle de soupape de la société et du monde rural, car rien ne serait plus contreproductif que de s'interdire certains débats.

Depuis plusieurs années, la commission des affaires économiques développe une vision selon laquelle, pour gagner en souveraineté alimentaire, en attractivité pour les jeunes générations et pour s'adapter au changement climatique, la ferme France doit d'abord regagner en compétitivité. Dans une économie ouverte, la compétitivité est la condition sine qua non de ces trois objectifs.

N'est-il pas paradoxal de vouloir traiter de l'installation des agriculteurs, en particulier des jeunes qui de plus en plus souvent ne sont pas issus du milieu agricole, sans s'intéresser le moins du monde à l'équilibre économique que notre cadre fiscal et réglementaire est à même de garantir à leurs projets ?

En définitive, ce que nous craignons, c'est la « désagricolisation » de la France. Dans mon département des Alpes-Maritimes, où la tendance est plus vertigineuse qu'ailleurs, il y a dix fois moins d'exploitations qu'il y a cinquante ans.

Je conclurai mon propos liminaire en vous demandant, monsieur le ministre, de porter un rapide regard sur le loup, particulièrement présent dans mon département. L'article 16 relatif aux chiens de protection de troupeau ne réglera que quelques cas portés devant les tribunaux chaque année. La modification des protocoles de tirs intervenue par arrêté ne change rien aux plafonds de prélèvements annuels, d'autant que le nombre estimé de loups a diminué depuis votre dernière audition par notre commission. En outre, il semble plus compliqué que prévu de faire évoluer le statut du loup à l'échelon européen... La réponse des pouvoirs publics est-elle à la hauteur de la situation des territoires concernés ?

Monsieur le ministre, je vous cède sans plus tarder la parole pour répondre à ces premières questions. Nous ouvrirons ensuite le débat avec Franck Menonville et Laurent Duplomb, rapporteurs saisis au fond, ainsi qu'avec Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et Christian Bruyen, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et agricole et le renouvellement des générations en agriculture se fixe une double ambition. La première, c'est de proposer une perspective claire aux agriculteurs en réponse aux mobilisations récentes, mais aussi au sentiment de perte de sens vis-à-vis de leur métier que l'on constate depuis des années. La seconde, c'est d'organiser nos politiques publiques agricoles afin de répondre à deux défis de plus en plus importants pour notre souveraineté alimentaire, le changement climatique et le renouvellement des générations, qu'il faudra surmonter pour préserver et développer notre capacité à produire.

Dans ce contexte, par ce projet de loi, nous affirmons avec clarté l'importance stratégique de notre agriculture en la déclarant d'intérêt général majeur, mais aussi en définissant un cadre global de politiques publiques permettant de fonder l'objectif de souveraineté alimentaire. C'est l'objet de l'article 1er, largement réécrit à l'Assemblée nationale sur l'initiative de la majorité et d'une partie de l'opposition. Cet article a vocation à affirmer ce que nous attendons de l'agriculture en matière de production, de souveraineté et de sécurité alimentaires, car ce domaine est stratégique pour assumer nos besoins essentiels et maîtriser nos dépendances.

Dans cet article, ce que les agriculteurs sont en droit d'attendre du cadre dans lequel ils exercent leurs missions est clairement énoncé. Lors de leurs mobilisations, ils ont clairement exprimé un besoin de sens, de clarté, de reconnaissance, de simplification et d'allègement de contraintes, pour en finir avec les injonctions contradictoires.

L'article 1er fixe le cap du projet de loi, qui consiste à tenir l'équilibre entre la souveraineté et la transition. Pas de souveraineté contre ou sans les transitions : celles-ci sont au service de la production et de la souveraineté et ne s'inscrivent pas dans une idéologie de la décroissance. Face aux défis que nous devons relever, nous commettrions une faute en pensant décréter les transitions par la magie de l'incantation, du déclamatoire ou de l'injonction, en imposant toujours plus de contraintes aux agriculteurs tout en perdant de vue l'impératif de souveraineté.

Cela vaut à l'échelon national, mais également à l'échelon européen. Depuis des décennies, à force de vouloir faire mieux que les autres, nous nous retrouvons à importer des pratiques dont nous ne voulons pas. L'enjeu est bien de penser les grandes transitions à l'échelle européenne et pas seulement à l'échelle nationale, de les accompagner, de les soutenir financièrement, pour penser des modèles qui fonctionnent sous contrainte climatique.

Le Gouvernement suivra ce cap à propos de sujets essentiels qui ne figurent pas dans ce projet de loi, ainsi que Mme la présidente l'a remarqué, mais qui ont vocation à compléter ce texte.

Premièrement, en ce qui concerne la protection du revenu agricole, une mission parlementaire menée par Anne-Laure Babault et Alexis Izard est en cours pour améliorer le cadre d'EGAlim. Leurs propositions seront mises sur la table avant l'été pour que vous puissiez vous en emparer à l'automne.

Deuxièmement, au sujet de la protection sociale, nous concrétiserons dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 les dispositions de la loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, dont Julien Dive a été rapporteur à l'Assemblée nationale, en en respectant l'esprit et la lettre.

Troisièmement, en ce qui concerne la compétitivité, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, nous pérenniserons l'exonération sociale pour l'embauche de travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE), nous améliorerons la dotation pour épargne de précaution, demande maintes fois exprimée par les agriculteurs, et nous baisserons la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFNB). De même, les annonces du Premier ministre relatives au soutien fiscal à l'installation et à la transmission seront intégrées dans les prochains textes budgétaires.

Enfin, un texte portant sur le conseil stratégique phytosanitaire sera présenté d'ici à l'été.

Ce projet de loi d'orientation constitue le cadre dans lequel nous inscrirons le prolongement de notre action en matière de revenus et de compétitivité, mais il porte également des avancées très concrètes.

Sans entrer dans le détail de ses mesures, je souhaite vous en présenter quelques-unes.

La première avancée vise à conforter la dynamique positive de l'enseignement agricole que nous constatons depuis 2019, qui s'accompagne encore cette année d'un budget en augmentation de 10 %. Une série de mesures tendent à adapter ce système de formation aux enjeux de souveraineté et de transition et à l'organiser pour qu'il contribue à plus et mieux former. Le programme national d'orientation et de découverte des métiers agricoles a pour objectif de faire découvrir aux plus jeunes les réalités du monde agricole, peut-être à encourager des vocations. Toute une partie de la société a fondamentalement besoin de redécouvrir le vivant, la réalité du métier et de la vie d'un agriculteur. Nous devons pour cela partir de l'école et de la jeunesse. Nous avons également créé une nouvelle mission de l'enseignement agricole, structurante pour les personnels dont je tiens à saluer l'engagement. Au-delà des discussions relatives à son nom, la création d'une formation de niveau bac+ 3 était attendue par les jeunes, ainsi que la concertation organisée en 2023 l'a établie. Celle-ci doit permettre d'attirer de nouveaux publics vers les métiers agricoles : elle constitue un élément d'attractivité auquel je sais que vos rapporteurs ont été sensibles.

La deuxième avancée est d'accompagner différemment les installations d'actifs agricoles. Comme madame la présidente Mme l'a indiqué, une grande partie des installations sera le fait de personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole. Il faut également penser à la trajectoire économique des installations dans le contexte du changement climatique, qui suppose de nouveaux outils comme le diagnostic modulaire.

Je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale, et je le répète devant vous : je veux que ces outils ne provoquent pas de complexité supplémentaire, qu'ils soient pensés dans une logique d'accompagnement et non de contrainte, similaire à celle qui a prévalu lors de la deuxième révolution agricole au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il faut soutenir la capacité de transformation de l'agriculture et non la contraindre.

La logique de l'article 9, profondément réécrit à l'Assemblée nationale par Pascal Lecamp, rapporteur, et par Julien Dive, est donc que les agriculteurs, en tant qu'acteurs économiques et entrepreneurs, puissent au moment de l'installation disposer des outils d'aide à la décision les plus adaptés et les plus performants.

Mieux accompagner et installer différemment, c'est ce que propose le texte avec la création de France services agriculture, réseau de proximité pour faciliter l'installation et la transmission. Comme cela a déjà été le cas à l'Assemblée nationale, nous aurons des débats sur le périmètre de ce réseau, mais celui-ci me semble principalement au service de l'installation et de la transmission. Surtout, nous devons faire en sorte que ces deux sujets soient pensés au sein d'une même structure. Nous avons cherché à simplifier le parcours des porteurs de projet et des cédants, conformément aux attentes exprimées lors de la concertation de 2023.

Au sujet de l'accompagnement, je comprends que les groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI) suscitent des inquiétudes, des incompréhensions et des oppositions, même si une disposition analogue avait été adoptée au Sénat à la fin de l'année dernière. Il faut collectivement prendre le temps de penser les outils nécessaires pour favoriser le portage du foncier et le portage de capitaux. Passer à côté de ce sujet serait une erreur, au-delà des outils que nous avons mis sur la table. Je vous rappelle que, lors de l'examen du projet de loi de finances, 400 millions d'euros ont été alloués à un fonds « Entrepreneurs du vivant », servant à soutenir le foncier agricole avec des moyens publics. Il me semble que nous aurons également besoin de capitaux privés. Certains députés ont parfois donné le sentiment de croire que le privé était complètement absent de l'activité agricole...

Le recours à des fonds privés, encadré, régulé et maîtrisé par la volonté d'installation, peut avoir un intérêt et sera sans doute nécessaire face au défi que l'accès à la terre représentera pour les jeunes générations qui ne seront pas issues du milieu agricole, et pour lesquelles la transmission ne sera pas de même nature que dans le cadre familial.

La quatrième avancée concrète permise par ce projet de loi, sans doute la plus urgente pour les agriculteurs, consiste en des réponses concrètes et directes aux besoins de simplification exprimés. Madame la présidente, il ne me semble pas que le texte soit réduit à la portion congrue sur ce point.

Le sujet ne relève pas uniquement de ce projet de loi : certaines dispositions de simplification relèvent du niveau européen. Nous avons simplifié les règlements européens définissant la politique agricole commune (PAC), en obtenant dans des délais extrêmement courts - moins de six semaines - une décision de la Commission, une décision du Conseil et une décision du Parlement sur ces sujets très sédimentés - cela me semble sans précédent dans l'histoire du Parlement européen. Une grande partie de la politique agricole est décidée à l'échelon européen, et c'était à ce niveau qu'il fallait faire évoluer les choses.

Nous poursuivons par ailleurs le travail de simplification dans les domaines réglementaires et législatifs, notamment en traduisant dans ce projet de loi les évolutions des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE). Nous proposons ainsi d'adapter le régime de répression des atteintes au droit de l'environnement, conformément aux engagements du Premier ministre et du Président de la République, en adaptant les procédures et les peines aux spécificités des situations, de manière à éviter que les agriculteurs ne subissent des procédures infamantes et afin que les sanctions soient proportionnées et progressives. Nous préciserons la notion de « droit à l'erreur », que nous avons commencé à pousser dans le cadre de la PAC : c'est le sens de l'article 13.

De plus, nous proposons de réduire les délais de recours contentieux, corollaires d'un décret pris récemment, en particulier pour les projets d'élevage et les ouvrages hydrauliques agricoles, en adaptant diverses procédures telles que la condition d'urgence et en régularisant les vices de procédure. Le but, c'est d'indiquer clairement et vite aux agriculteurs si leurs projets sont ou non validés et d'en finir avec des procédures qui, pour un certain nombre, servent non à évaluer les impacts des projets et leur conformité avec la réglementation, mais à les décourager. Lorsqu'un agriculteur doit attendre cinq ou six ans la réponse à un projet d'installation, il est évidemment découragé. Ces procédures doivent servir le respect des règles et non décourager les agriculteurs.

Enfin, la simplification et l'unification du régime applicable aux haies visent à en finir avec le maquis des réglementations contradictoires, qui produit l'effet inverse de ce que nous recherchons, c'est-à-dire le maintien et le développement des haies. Certes, les haies sont un élément paysager, mais elles sont aussi des éléments utiles et précieux pour la biodiversité, l'eau et le stockage du carbone. Nous devons avancer sur ce sujet, dans une logique de confiance et non de contrainte envers les agriculteurs.

Former, installer, simplifier : tels sont les trois enjeux auxquels entend répondre ce projet de loi.

La question de la laine n'est pas anecdotique : c'est un cas typique de contraintes empêchant la valorisation d'un sous-produit qui peut aider les éleveurs ovins à trouver un équilibre. Une avancée était demandée depuis longtemps. Ce qui semble lunaire en revanche, c'est que l'on soit obligé de passer par la loi en cette matière, comme pour les chiens patous.

En outre, au sujet de la cohérence globale du texte, les concertations préalables avaient abouti à un pacte. L'ensemble des mesures de nature législative de ce pacte, qui avaient plutôt fait l'objet d'un consensus, figurent dans ce texte. Depuis, il y a eu la crise agricole. Une partie de la réponse à cette crise se situe dans les mesures d'urgence déjà prises, dans les mesures de simplification réglementaire et dans les mesures relatives à la PAC. Certaines dispositions de ce texte visent également à y répondre, notamment l'article 1er, quant au cap et au sens de l'activité agricole, et le titre IV relatif à la simplification.

Je n'ai jamais prétendu que ce projet de loi répondrait à l'ensemble des enjeux et à la crise du monde agricole. Pour cette raison, d'autres véhicules législatifs seront utilisés. Madame la présidente, vous rappeliez que 5 600 amendements avaient été déposés en séance à l'Assemblée nationale. Si nous avions abordé tous les sujets, l'inflation législative aurait sans doute été supérieure au simple doublement du nombre d'articles qui a eu lieu à l'Assemblée. Le corps du texte devait porter sur l'installation et la transmission, il fallait répondre à la crise en proposant des mesures de simplification et en défendant la souveraineté alimentaire.

M. Franck Menonville, rapporteur. - Je me cantonnerai aux articles relatifs à l'installation, à la formation, à l'enseignement agricole et à l'innovation qui me sont délégués.

La politique d'installation et de transmission en agriculture fait face à deux défis.

Bien évidemment, le premier défi est celui de la pyramide des âges : dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs auront l'âge de partir à la retraite. Le renouvellement des générations pose donc un défi immense, notamment par rapport à la souveraineté alimentaire.

Le second défi est l'attractivité des métiers du vivant compte tenu des fortes astreintes et des réalités du métier. Il est important de mieux faire connaître les métiers agricoles et de véhiculer des valeurs de modernité et d'innovation.

Répondre à ces deux défis implique notamment de développer une politique ambitieuse en matière d'enseignement et de formation. Sur ce point, nous partageons les principales orientations du projet de loi modifié par les députés, en particulier la sixième mission confiée à l'enseignement agricole. Nous sommes favorables au programme de découverte à l'école primaire, à la condition de nous appuyer sur les réalités agricoles locales. La création d'un statut d'« experts associés » de l'enseignement agricole est également bienvenue, à la condition que ceux-ci puissent apporter non seulement des éléments scientifiques, mais aussi des conseils pratiques, et que l'on puise dans le vivier des agriculteurs locaux qui apporteront aux apprenants un complément indispensable au processus éducatif.

Monsieur le ministre, pourquoi les députés ont-ils délibérément exclu l'enseignement agricole privé du « Bachelor Agro », alors que celui-ci était initialement prévu ? Nous nous satisfaisions de l'ouverture de ce dispositif à l'enseignement privé. Comme beaucoup de mes collègues, je pense qu'en matière d'enseignement agricole, il faut une complémentarité entre le privé et le public plutôt qu'une forme d'opposition.

Par ailleurs, j'ai constaté avec satisfaction que ce texte prévoyait la nomination dans chaque département d'un correspondant de l'enseignement agricole, sorte de « Dasen (directeur académique des services de l'éducation nationale) agricole ». Cette idée, directement inspirée du rapport d'information sur l'enseignement agricole de nos collègues Nathalie Delattre et Jean-Marc Boyer, a été reprise par les députés. Pouvez-vous indiquer quelles seraient ses missions et comment il s'articulerait avec l'éducation nationale et avec la profession ? Nous souhaitons consolider l'attractivité des filières agricoles, ce qui est d'autant plus important compte tenu de la réforme du lycée professionnel. Il faut donc travailler à la complémentarité des options entre l'enseignement agricole et les lycées professionnels pour augmenter le champ des options ouvertes dans l'enseignement agricole, afin que cette filière bénéficie de ces options.

Enfin, en ce qui concerne le « Bachelor Agro », Laurent Duplomb et moi-même considérons qu'il faut vivre avec son temps. En effet, l'Assemblée nationale l'a rebaptisé « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie », mais nous pensons que cette appellation n'est ni simple ni vendeuse. L'idée de créer une « licence professionnelle » est également avancée. Je le rappelle, ce bachelor correspond non à un diplôme universitaire, mais à un BTS+ 1. Nous approuvons la dénomination que vous proposiez initialement et nous compléterons ce dispositif. Je rappelle que l'enseignement dans les BTS est souvent technique et spécialisé. L'objectif de cette formation, c'est de donner au futur agriculteur des armes au sujet de l'adaptation au changement climatique, de la dimension entrepreneuriale du métier, ainsi qu'une connaissance de l'environnement législatif, réglementaire et économique.

J'en viens au sujet de l'installation et à l'article 10, qui met en oeuvre France services agriculture. Monsieur le ministre, notre ambition est de restreindre ce réseau à la transmission et à l'installation, dans un esprit de visibilité, d'efficacité et de simplicité. Nous vous proposerons donc en ce sens de le rebaptiser France Installation-Transmission.

Par ailleurs, ce qui manque à votre réforme, c'est un volet prospectif et un volet incitatif.

Le volet prospectif consisterait à mieux articuler les informations du diagnostic de l'exploitation et l'action de France Installation-Transmission, pour mieux mesurer les perspectives et les risques de marché à l'échelle territoriale et nationale, afin de refaire de l'économie et de l'adaptation au défi climatique les principes directeurs de notre politique d'installation.

En ce qui concerne le volet incitatif, vous avez abondé le fonds Entrepreneurs du vivant de 400 millions d'euros. Monsieur le ministre, pouvez-vous indiquer, en toute transparence, ce qui bloque le déploiement de ce fonds ? Quelles pourraient être les ambitions de ce fonds, véritable boîte à outils permettant d'alimenter les politiques d'installation et de transmission ? Si nous voulons atteindre l'objectif de 400 000 exploitations et de 500 000 exploitants, il faut attirer des personnes qui ne sont pas issues du monde agricole. Il faut donc des outils et des incitations plus fortes que celles qui figurent dans ce projet de loi et qui ne sont pas suffisamment explicitées, notamment du point de vue programmatique.

Pourrait-on imaginer de s'appuyer sur ce fonds pour mettre en place des « garanties fermage » pour sécuriser les propriétaires et les inciter à mettre en location le foncier, notamment à destination des jeunes agriculteurs non issus de familles agricoles ? Daniel Gremillet avait déposé un amendement pour mettre en place des prêts agricoles bonifiés, ce qui pourrait être utile notamment, comme dans la période actuelle, lorsque les taux d'intérêt sont élevés.

Parmi les autres outils incitatifs, nous voudrions capitaliser sur des modifications introduites à l'Assemblée nationale, notamment le « droit à l'essai » d'association introduit à l'article 10 bis pour expérimenter les installations groupées et l'« aide au passage de relais » pour inscrire dans le temps long la relation entre cédants et repreneurs et anticiper ce moment charnière qu'est la transmission. Monsieur le ministre, nous sommes prêts à travailler en bonne intelligence avec vos services sur ces dispositifs.

Enfin, il est important de recentrer l'article 2 sur la dimension entrepreneuriale de l'activité agricole.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Monsieur le ministre, dans un bon duo, il y a toujours un méchant et un gentil. Vous avez déjà compris quel sera mon rôle...

Mon sentiment général, s'il fallait qualifier ce projet de loi, c'est « trente-six chantiers, trente-six misères ». Le message des agriculteurs lors des récentes manifestations était très clair. Toutefois, au lieu de leur apporter une réponse complète, un message clair ou de fixer un cap, vous avez plutôt choisi de saucissonner les décisions pour donner l'impression que tous les chantiers étaient ouverts, sans que rien ait été réglé depuis trois mois.

On assiste à une forme de poker menteur : dans toutes les prises de parole du Gouvernement, le diagnostic est parfait, pour ne pas dire excellent - j'ai même parfois l'impression de m'écouter parler -, les problèmes sont très bien identifiés, mais rien ou si peu n'est réglé. Après avoir dit que vous mettriez l'agriculture au-dessus de tout et qu'il fallait « lâcher la grappe » aux paysans, j'ai l'impression à la lecture de ce projet de loi que vous n'avez pas compris.

En fait, par dogme général, vous refusez de reconnaître et de corriger les erreurs qui ont été commises. Vous continuez de tergiverser sur la compétitivité, les transpositions ou les projets d'avenir que nous devrions embarquer.

Monsieur le ministre, pour que le message soit clair, voici quelques exemples de mesures que nous aurions aimé voir figurer dans ce projet de loi, qui n'est pas seulement, comme vous l'avez dit, un projet de loi d'orientation, mais qui vise aussi à répondre à la crise du secteur.

Par exemple, j'aurais aimé que le texte traite la problématique de la réintroduction de l'acétamipride. La France est le seul pays du monde à l'interdire, ce qui depuis trois ans met beaucoup de filières dans l'impasse. C'est le cas de la filière betterave aujourd'hui et ce sera le cas de la filière pomme et poire demain en raison de la suppression du spirotétramate à l'échelon européen. Le comble, c'est lorsque votre ministre délégué annonce que les betteraviers pourront traiter cinq fois et non deux fois leurs cultures au Movento, c'est-à-dire au spirotétramate, tout en sachant pertinemment que ce produit ne sera plus commercialisé à partir du mois d'avril 2025. On ne peut pas prétendre régler les problèmes et passer celui-là, qui est tellement crucial, sous silence : la suppression de l'acétamipride et du spirotétramate mettra la production de pommes et de poires dans l'impasse. Nous produisions 2 millions de tonnes de pommes dans les années 1990 et nous n'en produisons désormais que 1,5 million. Et entre 2011 et 2021, nos volumes exportés ont quasi été divisés par deux. Continuera-t-on comme cela ?

Deuxième élément qui manque : rien n'est proposé sur les surtranspositions purement françaises en ce qui concerne les zones de non-traitement et les zones humides. Monsieur le ministre, vous affirmez que vous transposez les décisions des députés européens, mais le vote de votre famille politique n'a pas été unanime, le promoteur de la décroissance M. Canfin s'étant abstenu sur les textes répondant aux manifestations des agriculteurs. Alors que la Commission européenne avait compris qu'il fallait lâcher un peu de lest, lui a trouvé ces modifications inadmissibles, car elles constitueraient une régression importante. Que ferons-nous alors ? Vous avancez que le plan stratégique national (PSN) pour la PAC a été modifié en très peu de temps. Pour autant, va-t-on déroger à la BCAE 7 ? Que ferons-nous à propos de la BCAE 9 ? On parle de monter une usine à gaz pour calculer les taux de prairies à l'échelon régional : encore un calcul alambiqué que seuls les technocrates pourront comprendre !

Troisième exemple : on refuse le progrès qui pourrait enfin permettre de réduire l'impact ou le volume des produits phytosanitaires utilisés. Pourquoi, monsieur le ministre, laisser fuiter un amendement défendant la possibilité d'utiliser des drones en agriculture, mais ensuite ne pas inscrire cette mesure dans la loi ? L'exemple de la banane est éloquent : nous importons des bananes du Costa Rica alors qu'elles subissent 46 traitements aériens, mais nous nous interdisons d'utiliser des drones qui permettraient, en France, de baisser le nombre de traitements et de retrouver un rendement de 60 tonnes, actuellement descendu à moins de 40 tonnes en raison des surtranspositions. Par volonté de ne pas corriger nos erreurs, continuerons-nous de manger des bananes du Costa Rica et refuserons-nous d'ouvrir la case progrès, au prétexte que le traitement aérien par drone serait l'équivalent d'un traitement par A380 ? J'ai l'impression que l'on agite de grandes peurs comme au Moyen-Âge. ?

Le projet de loi comptait dans sa version initiale dix-neuf articles. Beaucoup sont programmatiques, sans qu'aucune solution soit assurée : en clair, beaucoup de littérature !

Monsieur le ministre, je ne nie pas la portée ou l'intérêt de ces articles. Mais que comprend le commun des mortels qui lit, dans un projet de loi d'orientation agricole, un article relatif à une modification des activités des chiens de protection de troupeau, un autre qui allège les contraintes sur la transformation de la laine ou un autre sur l'exercice de la compétence des collectivités territoriales dans le domaine de l'eau ? Est-ce véritablement le sens d'une loi d'orientation ?

Quand on creuse un peu le sujet, l'article sur le statut des chiens de protection de troupeau, que la profession accepte parce qu'elle est acculée, correspond en fait à un renoncement technocratique. Vous refusez de voir que le principal problème des éleveurs d'ovins est qu'ils sont obligés d'avoir plus de dix chiens pour protéger leur troupeau. Par définition, un éleveur d'ovins veut avoir des ovins, pas des chiens ! La technocratie abrutissante a trouvé une solution : au lieu de trouver une manière de leur permettre d'avoir moins de chiens, on les autorise à déroger à la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ! C'est cauchemardesque ! J'ai l'impression de lire Kafka dans mon tracteur ! C'est ça, la réalité que nous vivons tous les jours !

Monsieur le ministre, les agriculteurs vous ont demandé plus de liberté, plus de confiance, moins de règles, moins d'injonctions. Ce que je retiens de votre texte, même si je suis prêt à trouver des solutions pour l'améliorer, c'est que vous leur répondez par plus de contraintes.

Premièrement, vous allez obliger tous les cédants à s'identifier cinq ans avant la cession de leur exploitation. Jusqu'à présent, le délai était de trois ans. Le Conseil d'État lui-même le fait remarquer : aucune profession n'est autant sous le joug administratif que la profession agricole !

Deuxièmement, le diagnostic qui vise à mesurer la résilience des exploitations place à mon sens une fois de plus les agriculteurs devant une injonction totalement paradoxale. Nous sommes tous d'accord pour dire, comme dans Martine à la ferme, que nous voulons conserver une agriculture familiale. Mais je le vois bien : mon fils travaille 90 heures par semaine, ma femme en fait autant et, lorsque je rentre chez moi, je pense plus à m'occuper de mes vaches qu'à répondre à des injonctions administratives ! Imposer aux agriculteurs ce diagnostic, que cela soit à l'installation ou tout au long de la carrière, c'est leur demander un travail supplémentaire dans le but d'évaluer leur résilience. Il suffit d'écouter le message ambiant pour comprendre ce qui sera écrit dans ces diagnostics : il n'y aura plus d'eau, il y aura trop de soleil, la terre sera ruinée, il sera impossible de faire pousser telle ou telle culture parce qu'on devra suivre des injonctions et ne rester que sur des cultures qui ne produisent pas, car la décroissance impose que l'on soit extensif et non productif... Et vous pensez que vous convaincrez un grand nombre d'agriculteurs de s'installer ? C'est comme si vous expliquiez que la meilleure manière de faire ce métier était de renoncer, parce que toutes les injonctions transformeront ce métier en métier sans aucune ouverture sur l'avenir ! Au contraire, ne pourrait-on pas embarquer les agriculteurs dans un vrai projet, en leur faisant confiance et sans leur attribuer une note comme à l'école ? D'ailleurs, on se refuse désormais à noter les élèves !

Le summum, c'est l'article 14 : je croyais qu'il devait être l'alpha et l'oméga de la simplification de la réglementation relative à la haie. Ce que je constate pourtant, c'est que la haie est sanctuarisée comme si elle était un monument historique et qu'il devient obligatoire de passer par une déclaration préalable pour faire quoi que ce soit. Ce que vous refusez de regarder, à moins que nous réussissions à trouver ensemble une solution, c'est que notre problème est votre problème. Vous avez trop vite repris les calculs du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui a dit non pas que 22 000 kilomètres de haie disparaissent chaque année, mais que leurs calculs permettent d'estimer que c'est cette surface globale qui disparaît.

Cependant, lorsque je compare une photo satellite de mon exploitation à une image aérienne de 1950, contrairement au rapport du CGAAER et à ce que pensent tous les écologistes, c'est l'inverse qui s'est passé en Haute-Loire. Dans ce département, en 1950, il n'y avait pas une haie. Les moutons pâturaient les fossés et les chemins communaux, les agriculteurs se chauffaient au bois, les arbres et les buissons n'avaient pas le temps de pousser. Depuis 1950, avec l'exode rural, les agriculteurs se sont concentrés sur le centre des parcelles et non sur leurs bords, et des milliers de kilomètres de haies ont poussé.

Pourtant, par l'article 14, vous allez accorder une prime à la médiocrité. Tous les départements qui auront enlevé les haies bénéficieront d'un statu quo ; tous ceux qui en auront créé se verront imposer une sanctuarisation et des contrôles.

J'en termine, madame la présidente, par un point qui me désole et qui me pousse à dire que je ne serai plus rapporteur d'un texte agricole, car cela m'empêche de dormir. En réalité, nous vivons dans un pays où nous n'avons plus aucune possibilité de faire quoi que ce soit. À chaque fois que nous essayons de modifier ou de détricoter un dispositif, nous nous heurtons à une règle européenne qui promeut l'inverse de ce que nous voulons faire et qui nous empêche de faire quoi que ce soit. Si l'on arrive à trouver une solution sur la haie à l'aide d'un vrai dialogue départemental et à comprendre les spécificités et les us et coutumes des territoires, la règle européenne dit que, lorsqu'on coupe une haie, on a peut-être détruit l'habitat potentiel d'une espèce protégée.

Monsieur le ministre, je vous le dis : nous sommes loin d'être sortis de l'auberge. Trente-six métiers, trente-six chantiers, trente-six misères nous attendent.

M. Marc Fesneau, ministre. - Je commencerai par répondre aux questions posées par M. Menonville. En ce qui concerne l'attractivité des métiers du vivant, reconnaissons que l'enseignement agricole est plutôt attractif. Alors que la démographie n'est pas globalement florissante, ses effectifs ont légèrement augmenté ces dernières années, à hauteur de 1 % environ par an, ce qui est plutôt bon signe. Cela signifie sans doute que les représentations ont un peu changé et que le concept de métiers du vivant est intéressant.

L'enseignement agricole forme quasiment autant de jeunes femmes que de jeunes hommes, ce qui rompt avec certains préjugés. Il prépare à environ 200 métiers différents, et près de 60 % des jeunes qui veulent se former pour s'installer en tant qu'agriculteurs ne sont pas issus du milieu agricole.

Il faut évidemment trouver des bras : la question des actifs est importante. On manque d'exploitants agricoles, mais on manque également de salariés agricoles et de salariés dans l'agroalimentaire. Beaucoup d'agriculteurs, notamment les producteurs de fruits et de légumes, expliquent qu'ils ne peuvent pas récolter toute leur production en raison du manque de bras. Cette question est également importante dans l'élevage, afin d'améliorer les conditions de travail. Tel est l'objet du programme de découverte dans les écoles : il est destiné à combler le fossé qui s'est creusé avec l'agriculture, à trouver des gens qui se destineront à ce métier et à faire en sorte que percole dans l'opinion publique une compréhension des réalités et des grands cycles de l'agriculture.

Le monde agricole fera partie des « experts associés », qui apporteront un enseignement scientifique, mais aussi pratique. Il y a une assez longue tradition de la participation du monde agricole dans l'enseignement, et des passerelles existent déjà. Nous suivrons la philosophie que vous avez indiquée.

Monsieur Menonville, nous n'avons pas précisé que l'enseignement privé participerait à ce qui pourrait être à nouveau nommé le « Bachelor Agro », parce que, pour nous, cela coulait de source. La difficulté de l'examen de ce texte, c'est que l'on demande de clarifier ce qui peut sembler suspicieux et que l'on insère des articles supplémentaires. Lors de l'examen en séance à l'Assemblée nationale, j'ai signalé que la grande richesse de l'enseignement agricole venait en partie du fait que les structures privées et publiques s'y côtoyaient sans querelle, sans qu'il soit nécessaire de sortir la hache de guerre. Ce point ne figurait pas dans le projet de loi initial, car il était logique, compte tenu de la structure de la formation agricole, que les structures privées soient concernées par le texte.

En ce qui concerne le correspondant de l'enseignement agricole et sa mission en miroir de celle des Dasen, nous proposons de décliner à l'échelon départemental la relation entre les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et les recteurs. Des représentants du ministère de l'agriculture doivent être autour de la table lors des réunions relatives à la formation dans les départements, et pas seulement à l'échelon régional. Nous savons très bien qu'en ce qui concerne la découverte des métiers et l'orientation, la maille sera plutôt départementale que régionale.

Je partage assez largement vos points de vue sur France services agriculture : j'ai affirmé à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale que l'on ne pouvait pas en faire un guichet unique pour toute l'agriculture, pour les aides, l'installation, la transmission, etc. Nous aurons l'occasion d'en débattre en séance, mais il me semble qu'identifier ce lieu comme un lieu dédié à l'installation et à la transmission correspond à notre projet ainsi qu'à la demande des agriculteurs.

Ce qui bloque le déploiement du fonds Entrepreneurs du vivant, c'est que ce dispositif est pensé au travers de France 2030, dont les procédures sont complexes. Nous avons désormais signé la convention avec la Banque des territoires pour mettre en oeuvre le fonds. Au début du mois de juillet prochain sera publié un premier appel à candidatures, pour qu'un certain nombre de structures, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ou les établissements publics fonciers puissent émarger. Il y a entre six et huit mois de retard, mais ce n'est pas la première fois que cela arrive dans les politiques publiques. Les choses sont en route et elles permettront de répondre aux attentes ; l'idée est maintenant de sélectionner rapidement les fonds de portage.

Je ne reviens pas sur le droit à l'essai, qui est un sujet complexe qui touche au droit des sociétés, et ne concerne pas uniquement le secteur agricole. Nous continuons de travailler avec le Conseil d'État, car le sujet est sensible. L'idée est de ne pas obliger un agriculteur à s'enfermer dans une structure comme un groupement agricole d'exploitation en commun (Gaec) pendant douze ou dix-huit mois quand il ne le souhaite pas.

J'ai bien entendu vos remarques sur la dénomination du « Bachelor Agro ». Tout le monde a pensé que ces mots ont été choisis pour « faire moderne ». Il y a un besoin de reconnaissance, et ces mots parlent aux générations qui sont en cours de formation. S'il s'agit d'un élément d'attractivité, il serait dommage de s'en priver.

M. Franck Menonville, rapporteur. - Cette formation ne peut s'appeler licence car elle n'a pas de lien avec un cursus universitaire.

M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, je le confirme.

Monsieur Duplomb, vous ne pouvez pas dire, d'un côté, que notre texte est un fourre-tout, de l'autre, qu'un tas de dispositions en sont absentes, notamment dans le titre III, qui est relatif à l'installation et à la transmission. Faute de disposer de dizaines de véhicules législatifs, nous avons choisi de simplifier différents dispositifs en lien avec l'objet du texte.

Je ne refuse pas de reconnaître mes erreurs : nous avons ouvert des chantiers de simplification de la PAC. Démocrate-chrétien d'obédience, l'autoflagellation n'est tout de même pas dans ma culture !

Le ratio régional des prairies et pâturages permanents relève de la BCAE 1 et non de la BCAE 9. Le ratio régional est maintenu, mais les modalités de calcul vont changer. Vous craignez que les agriculteurs de votre département soient ceux qui doivent le plus maintenir de prairies permanentes, je l'entends. Cela étant dit, il nous faut défendre l'élevage, parce qu'il permet de satisfaire nos besoins alimentaires et parce que les haies et les prairies ont des effets vertueux sur l'environnement. C'est une affaire d'équilibres politiques et non de technocrates : souhaitons-nous maintenir des prairies, qui sont utiles à la biodiversité et au stockage du carbone, et qui façonnent nos paysages ? Si l'on répond oui, alors il faut instituer un mécanisme les empêchant de devenir ou bien des friches ou bien des grandes cultures.

J'ai demandé à la ministre déléguée de distinguer les interdictions qui relevaient d'une surtransposition et celles qui relevaient de l'application de fait d'une règle. D'ailleurs, de nouvelles interdictions européennes de pesticides vont entrer en vigueur pour les endiviers.

Gardons-nous de laisser penser qu'il ne faut rien changer. À l'origine, je le rappelle, le chlordécone a bénéficié d'une demande de dérogation dite 120 jours ; elle a mal tourné ! Aussi, quand l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) alerte sur un produit, il est préférable non pas de se hâter de surtransposer, mais de chercher des solutions de remplacement.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ce n'est pas ce qu'a dit votre ministre déléguée !

M. Marc Fesneau, ministre. - On connaît désormais les résultats de l'étude de l'EFSA : il faut abaisser les limites maximales de résidus (LMR) à un point tel que le produit n'a plus beaucoup d'effets.

Oui, il y a un sujet sur l'acétamipride, dont l'interdiction résulte d'une surtransposition, mais je ne réintroduirai pas des molécules telles que le diméthoate et le phosmet, interdites voilà cinq ans ou dix ans, car elles présentent un risque sanitaire avéré.

Bien sûr, on peut toujours faire comme si le risque n'existait pas, mais il vaut mieux trouver des solutions de remplacement.

Nous sommes favorables à l'épandage par drones. Il faut trouver le bon véhicule législatif. D'ailleurs, sur ce sujet, les gens sont atteints d'un syndrome hitchcockien...

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Les Oiseaux ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Non, La Mort aux trousses !

Les gens le confondent avec l'avion d'épandage du film, alors qu'il s'agit d'un outil au service de la réduction d'usage et du nombre de passages, qui permet de pulvériser efficacement les produits sur une parcelle, y compris en pente.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ce projet de loi ne serait-il pas un bon véhicule législatif ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Dans ce texte, nous n'abordons pas les sujets phytosanitaires. D'ailleurs, l'Assemblée nationale travaille sur ce sujet via la proposition de loi visant à lutter plus efficacement contre les maladies affectant les cultures végétales.

Je ne partage pas votre avis sur la simplification : soit on veut 400 000 agriculteurs et 500 000 exploitants et l'on s'en donne les moyens, notamment en accompagnant les futurs installés et les cédants, soit on laisse faire le marché et on ne travaille pas sur un projet de loi d'orientation. Or nombre d'entre vous sont attachés à la régulation. À mon sens, il faut maintenir des zones de production et une présence agricole dans les communes - dans un conseil municipal sans agriculteur, les débats ne sont pas les mêmes ! Dans certaines communes de mon département, il n'y a plus d'agriculteurs... La démographie, c'est la politique, vous le savez.

Il faut nous doter d'outils, notamment pour identifier les cédants, faute de quoi leurs terrains iront à l'agrandissement ou à la déprise.

Le diagnostic modulaire n'est pas un joug supplémentaire. Dans certains territoires, les agriculteurs sont dans une impasse climatique, faute de réflexion sur l'accès à l'eau ou l'assolement. Après trois années de sécheresse, une telle réflexion s'impose ; c'est le sens du plan d'accompagnement de l'agriculture méditerranéenne. Il faut également réfléchir à l'accès à l'eau dans les territoires d'élevage où les agriculteurs cherchent à atteindre l'autonomie fourragère. Il faut anticiper, de sorte que le ministre de l'agriculture ne passe pas son temps à créer des fonds d'urgence pour faire face au dérèglement climatique !

Le monde agricole doit être accompagné. D'ailleurs, les agriculteurs sont déjà très accompagnés au moment de leur installation, ce qui a comme conséquence un très faible nombre d'échecs.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Jusqu'à présent...

M. Marc Fesneau, ministre. - Évidemment, je ne vois pas l'avenir.

Ce diagnostic modulaire permettre de réfléchir aux effets du réchauffement climatique, qui est un fait nouveau ; ne pas le faire serait une erreur. Il s'agit non pas d'une contrainte, mais d'une demande : votre installation résisterait-elle à une hausse de deux ou trois degrés supplémentaires ?

J'en viens au sujet des haies. Philosophiquement, je suis contre la sanctuarisation. Pour autant, le linéaire doit cesser de diminuer ; peut-être même qu'il doit augmenter. Les 20 000 kilomètres de linéaires que la France perd chaque année ne sont pas uniquement agricoles.

Monsieur Duplomb, peut-être y a-t-il beaucoup de haies dans votre département, mais ce n'est pas le cas ailleurs. La disparition des haies est une conséquence de la fin de l'élevage, comme je l'ai constaté dans le Faux Perche, au nord de mon département.

Nous essayons de reconnaître la dimension dynamique de la haie : il ne s'agit pas d'un musée.

Nous créons un guichet où l'on ne se préoccupera pas des quatorze réglementations à respecter. C'est une forme de rescrit.

La date de la taille des haies ne doit pas être la même dans les Alpes et dans les Pyrénées-Orientales, car la nidification n'a pas lieu au même moment. Fixer une date à l'échelle nationale ne permet pas de tenir compte de la réalité des territoires.

Mon objectif est simple : inciter ceux qui ont des haies à mieux les entretenir et à les valoriser, inciter ceux qui n'en ont pas à en créer, sans qu'elles soient figées pour les siècles des siècles, si je puis dire.

Les haies et les prairies sont des éléments centraux de la stratégie nationale bas-carbone. Donnons-nous les moyens d'atteindre la neutralité carbone !

Nous devons trouver un terrain d'entente sur la question de la dynamique des haies, car ceux qui en ont estiment être punis. Je le rappelle, l'objectif est de maintenir le linéaire et de faire en sorte qu'il y en ait davantage là où il n'y en a plus. D'ailleurs, pour maintenir les haies, il faut maintenir l'élevage.

Le statu quo, c'est la disparition des haies ; on le voit dans nombre de territoires...

M. Jean-Claude Anglars, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La commission du développement durable partage nombre de constats mis en évidence par nos collègues de la commission des affaires économiques. Je remercie d'ailleurs madame la présidente Mme de m'avoir invité aux auditions qu'elle a menées.

J'ai été effaré par le texte qui nous a été proposé, car je viens d'un département d'élevage.

De nombreuses dispositions de l'article 1er, même si elles soulèvent beaucoup de questions, permettent de comprendre les orientations qu'il faut donner à l'agriculture française dans le contexte européen et mondial actuel - je le souligne, même si un certain nombre de dispositions sont absentes.

J'illustrerai la complexité de ce texte de simplification par un exemple : le nouveau régime juridique créé par l'article 14, sur lequel s'interrogent nombre de juristes. La déclaration unique préalable est un facteur de meilleure compréhension du droit par les agriculteurs, mais l'objet « haies » n'est pas défini ! Or les députés ont exclu certains linéaires sans qu'il soit possible de les définir précisément.

Comment peut-on prétendre simplifier sans définir préalablement les critères permettant de dire si, oui ou non, tel alignement d'arbustes ou telle végétation ligneuse constitue une haie ? Il faut donc au préalable définir la haie.

L'encadrement des délais de recours et de l'office du juge administratif, ainsi que la suppression d'un degré de juridiction ne garantissent pas nécessairement le raccourcissement des procédures contentieuses en matière de décisions agricoles. Les dispositions de cet article sont-elles en adéquation avec les moyens juridiques institués pour y parvenir ?

Nous partageons votre volonté de renforcer la sécurité juridique des porteurs de projet Iota (installations, ouvrages, travaux et activités ayant un impact sur l'eau) ou ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) et de restreindre les importants reports temporels engendrés par les contentieux qui suspendent les procédures d'autorisation. Pour autant, cet article permet-il réellement de remplir de tels objectifs ?

Autre sujet, sur lequel le Sénat s'est déjà prononcé et qui n'est pas dans le texte : le décompte des bâtiments agricoles des enveloppes d'artificialisation dans le cadre de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN). À compter de 2031, sous l'effet du changement de comptabilisation et de l'abandon de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) et en l'absence d'intervention du législateur, l'artificialisation induite par les bâtiments agricoles sera déduite des enveloppes foncières des territoires concernés. Nous avons adopté, durant l'examen de la proposition de loi de 2023 visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux, une disposition visant à considérer comme non artificialisée une surface occupée par les constructions des installations et des aménagements nécessaires à l'exploitation agricole. Que pensez-vous de cette évolution législative ?

Autre sujet encore, bien connu dans les départements d'élevage : les chiens de protection des troupeaux, les patous. Il faut 30 patous pour 600 brebis, si l'on veut les protéger du loup ! Le statut des patous soulève plusieurs interrogations.

Par ailleurs, la commission du développement durable s'intéresse beaucoup au sujet de la valorisation de la laine.

M. Christian Bruyen, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. - Le rôle des établissements privés dans les formations agricoles a déjà été pris en compte par les députés lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

L'objectif d'accroissement du nombre de personnes formées, fixé à l'article 4, conduit à prévoir une analyse des besoins de consolidation ou d'ouverture de sections de formation professionnelle initiale. Cela implique de mettre en place un contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles. Cette ambition est justifiée, mais elle intervient dans un contexte budgétaire contraint. Pouvez-vous nous garantir qu'il n'y aura pas de phénomène de vases communicants ?

Je crains que cela n'entraîne la fermeture d'autres sections - services à la personne, animation et développement de territoires -, car elles ne sont pas incluses dans ce contrat, alors qu'il s'agit de missions historiques de l'enseignement agricole.

L'article 5 crée un « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l'agronomie ». L'expression « Bachelor Agro » ne nous choque pas, mais nous estimons qu'il manque un maillon dans le système.

Au même article, il est précisé qu'une accréditation sera délivrée par « arrêté du ministre chargé de l'agriculture après avis conforme du ministre chargé de l'enseignement supérieur ». Or pour les autres diplômes de l'enseignement supérieur agricole - le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA), la licence professionnelle, le master ou le doctorat -, c'est l'inverse ! Pourquoi ? Le diable se cachant dans les détails, une telle inversion n'est peut-être pas anodine.

Je m'interroge aussi sur l'inscription dans le texte d'une liste de compétences à acquérir dans le cadre de ce diplôme. Ce n'est pas le cas pour les autres diplômes de l'enseignement agricole ni pour ceux d'autres secteurs, à l'exception de la formation des enseignants, laquelle doit être réformée, selon une annonce récente du Président de la République.

M. Marc Fesneau, ministre. - Dans la proposition de loi tendant à répondre à la crise agricole, la haie a ainsi été définie à l'article 39 : « Une haie est une formation linéaire comportant des arbres, arbustes ou arbrisseaux d'une hauteur potentielle et d'une longueur qui sont supérieures à des seuils définis par l'autorité administrative dans le département en fonction des usages constants et reconnus sur le territoire de ce département. »

Vous en conviendrez, il n'est pas simple de définir les haies ! Sans doute suis-je trop technocrate, mais j'ai du mal à comprendre.

Il faut éviter que les alignements d'arbres dans les communes deviennent des haies. Il vaut mieux la définir, mais il ne faut pas que la définition soit trop restrictive, comme c'est le cas dans cette proposition de loi.

D'ailleurs, cette proposition de loi comprend des dispositions tendant à instituer un guichet unique et à appliquer le principe « j'arrache, je plante » : quelles différences avec le texte que je vous présente ?

L'objectif est de maintenir le linéaire, car la haie, non seulement est utile pour l'élevage, mais permet également de stocker du carbone, d'éviter le ruissellement et l'érosion. Aussi, il ne faut pas trop restreindre sa définition.

Nous travaillerons sur la question des bâtiments agricoles dans ce projet de loi, surtout s'il faut clarifier le sujet.

La valorisation de la laine est une demande des producteurs ovins vieille d'une vingtaine d'années. Personne ne s'y était jamais intéressé jusqu'à présent. Sans doute faut-il que nous allions plus loin, notamment sur les capacités de lavage de la laine.

L'objectif du Gouvernement est non pas d'éradiquer les loups, mais de gérer les problèmes de cohabitation qu'ils engendrent. Si certains veulent éradiquer le loup, qu'ils le disent !

J'aurais pu dire : « Ce n'est pas moi, c'est Christophe Béchu ! ». Au contraire, j'ai pris mes responsabilités, car le loup est évidemment un sujet de biodiversité, mais aussi d'élevage. D'où la mise en place du plan national d'actions Loup et activités d'élevage et la simplification de protocoles.

Nous avons besoin de mieux identifier la population de loups. Aussi, nous modifions nos calculs pour les rapprocher des standards européens. Notre marge d'erreur s'élève à plus ou moins 300 loups ; cela me fait pester, car cela veut dire que l'on trouve sur notre territoire entre 700 et 1 300 loups, ce qui n'est pas tout à fait la même chose...

Le statut du chien patou est de nature législative. C'est un véritable sujet pour les éleveurs ; c'est pour cela que nous nous en sommes emparés.

Je vais vous exposer l'intérêt de l'article 15 à l'aide d'un exemple récent, le contentieux des ouvrages de stockage d'eau en Charente-Maritime. Le 26 septembre 2018, un arrêté préfectoral autorise le syndicat mixte des réserves de substitution de la Charente-Maritime à réaliser 21 réserves. Le 4 février 2021, le tribunal administratif de Poitiers annule l'arrêté. Aujourd'hui, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé la décision du tribunal administratif, validant ainsi le projet. Imaginé dès 2015, le projet de réserves n'en est peut-être même pas à son autorisation finale en 2024... Voilà à quel genre de situations nous entendons répondre au travers de l'article 15. Certaines personnes ont décidé d'embourber les projets en multipliant les recours contentieux ; leur stratégie est de gagner du temps.

Notre objectif n'est pas de susciter plus de contentieux. Certains défendent qu'il ne faut plus construire de retenues d'eau ; telle n'est pas la position du Gouvernement. Au contraire, nous voulons cristalliser les moyens et raccourcir les délais de jugement.

On retrouve les mêmes contentieux contre les bâtiments d'élevage. Pour respecter les règles en matière de bien-être animal, certains éleveurs doivent augmenter les espaces pour leurs animaux. Pour autant, à peine déposé, leur permis de construire est contesté. Je rappelle que près de 50 % de la volaille française est importée. Si l'on veut reconquérir ce marché, il faudra multiplier notre production par deux, ce qui implique de construire des bâtiments - pour certains, c'est un gros mot. Il faudrait 400 poulaillers supplémentaires en France, sauf à proposer de manger deux fois moins de volaille...

À cause des contentieux, il faut dix ans pour construire des poulaillers et il n'y a pas un million de volailles dedans ! Pendant ce temps, nous achetons du poulet ukrainien ou brésilien... Dans mon département, certains contentieux concernent des poulaillers à 10 000 volailles. Et je n'évoque pas les contentieux liés aux panneaux photovoltaïques, aux nuisances olfactives ou sonores, etc. Voilà ce que nous souhaitons éviter grâce à l'article 15.

Nous avons ajusté les moyens en faveur de l'enseignement agricole. Nous n'avons pas besoin de grappiller ailleurs. Si les effectifs augmentent, les moyens seront rehaussés en conséquence : nous l'avons fait pour former 75 % de vétérinaires supplémentaires à l'horizon de 2030. Je vous l'assure, il n'y aura pas d'effet de vases communicants.

L'enseignement agricole doit être attractif. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait un effet de vases communicants entre les filières.

L'article 5 crée une telle accréditation, car les instituts universitaires de technologie (IUT) relèvent du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; je ne peux être le seul à les accréditer. En revanche, les BTSA relèvent uniquement du ministre de l'agriculture.

La liste des compétences à acquérir ne m'a pas choqué, mais nous en débattrons en séance. Quand il s'agit d'écrire des lois moins bavardes, vous pouvez compter sur moi.

M. Frédéric Buval. - Je vous remercie de vos propos rassurants, qui permettent de répondre à l'inquiétude des agriculteurs. Je me félicite des avancées réalisées en matière de simplification lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.

Les agriculteurs ont largement remonté, lors de la crise, des difficultés administratives pour l'obtention des aides PAC. Quelles avancées ont pu être faites sur ce sujet ?

Je souhaite vous alerter sur la situation préoccupante de la filière canne-sucre-rhum en Martinique. Deuxième production agricole après la banane, cette filière est un pilier de l'agriculture en outre-mer. Elle emploie directement et indirectement des milliers de personnes.

Or les prix de la canne livrée à l'usine sont trop bas, ce qui ne permet pas aux opérateurs de dégager des marges suffisantes. Les charges des petits planteurs sont élevées, à cause du coût des intrants et de la main-d'oeuvre. Les petits planteurs sont victimes de retards de paiement de la part de la sucrerie. Ils ont du mal à obtenir des frais bancaires, ce qui limite leurs investissements. Enfin, les jeunes ne sont pas attirés par les métiers de l'agriculture. Il manque 60 000 à 80 000 tonnes de cannes. Quelles mesures sont envisagées pour soutenir les planteurs et assurer la pérennité de la filière ?

M. Daniel Laurent. - Président du groupe d'études Vigne et vin, je souhaite aborder la question de la pression foncière dans les vignobles d'appellation, qui génère une déconnexion entre le prix du foncier et la rentabilité. Cela ampute la capacité d'investissement des viticulteurs pour moderniser leurs outils de production ou innover dans la transition agroécologique.

La fiscalité est un levier indispensable pour pérenniser les exploitations viticoles familiales, pour assurer le renouvellement des générations et pour maintenir les PME dans les territoires.

Monsieur le ministre, intégrerez-vous dans le projet de loi de finances pour 2025 un article répondant aux attentes des acteurs de la viticulture ? C'est indispensable pour assurer la pérennité de nos viticulteurs.

Le groupe d'études Vigne et vin a mené une réflexion sur l'avenir de la viticulture, car certaines régions viticoles - la Gironde et l'Occitanie, par exemple - sont confrontées à de grandes difficultés. Quel avenir souhaite-t-on pour la viticulture ? La consommation baisse, la concurrence mondiale est exacerbée... Penchez-vous sur cette question économique majeure !

En Gironde, c'est la catastrophe : les parcelles de vignes abandonnées sont un foyer de contamination pour la flavescence dorée ou les maladies fongiques. La filière propose de mettre en oeuvre un dispositif de sanctions contraventionnel et non délictuel. En effet, les sanctions pénales applicables aux propriétaires des parcelles abandonnées, qui reposent sur une procédure d'arrachage par voie administrative et judiciaire, durent souvent deux à trois ans. La réécriture de l'article 13 ne convient pas à la filière. Prendrez-vous des mesures adéquates pour répondre à ses attentes ?

Dans le cadre de l'examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit Climat et résilience, le Sénat a adopté la création de zones de transition entre espaces artificialisés et espaces agricoles, afin de limiter les conflits d'usage liés à la poursuite de l'activité agricole. Ce dispositif n'a pas été retenu ; la filière souhaite y revenir.

Monsieur le ministre, nous comptons sur votre vigilance pour que la filière viticole ne subisse pas les dommages collatéraux d'un contentieux avec la Chine qui ne la concerne pas. Vous le savez bien, aujourd'hui rien n'est vraiment réglé pour les spiritueux ou pour le vin. Nous demeurons tous inquiets, même si le Président de la République a essayé de nous rassurer.

M. Jean-Claude Tissot. - Nous examinons enfin ce projet de loi tant attendu, mais il est très décevant, et nous avons été surpris du peu de sujets abordés et du nombre de thématiques soigneusement évitées : impasse sur le revenu agricole, impasse sur l'adaptation des lois EGAlim, impasse sur la mise en place du fameux prix plancher ; le foncier agricole est abordé de façon superficielle et il en va de même pour les règles relatives aux produits phytosanitaires.

Pourtant, notre agriculture française et européenne est à un tournant. Vous aviez là l'occasion de faire une grande loi, monsieur le ministre. Alors que la loi de 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a introduit le concept d'agroécologie, ce texte en limite au maximum l'emploi, ce qui semble aller contre tous nos engagements environnementaux et climatiques.

Pouvez-vous nous dire ce que va concrètement changer pour les agriculteurs le concept d'« intérêt général majeur » fixé à l'article 1er ? Quel est le poids juridique d'un concept qui peut être interprété de bien des manières ? Avez-vous des exemples concrets où il pourrait être invoqué ?

N'allons-nous pas un peu loin en ajoutant l'agriculture à la liste des intérêts fondamentaux de la Nation prévue dans le code pénal ? Ancien agriculteur, je pense qu'il ne faut pas tout confondre ! Ne plaçons pas ce mot dans tous les codes en vigueur pour répondre à un besoin idéologique.

La création du réseau France services agriculture, prévue au titre III, soulève interrogations et inquiétudes quant au respect du pluralisme et des modèles alternatifs au sein de ces futurs guichets uniques, vu le poids exercé par le syndicat majoritaire dans nos nombreuses chambres d'agriculture. Comptez-vous garantir une totale indépendance pour des structures concomitantes et un juste traitement pour les projets alternatifs portés par certains agriculteurs ? On peut craindre qu'un seul modèle agricole soit mis en avant.

Monsieur le ministre, porterez-vous enfin une politique publique du foncier agricole à la hauteur de l'importance des enjeux ?

L'enseignement agricole est-il affranchi, comme les collèges et lycées, des mesures d'économies réalisées par le Gouvernement ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous soldons progressivement les aides de la PAC à l'agriculture biologique. En vue de la PAC 2027, nous devrons moderniser l'outil informatique - il est vieux de plus de trente ans - avec lequel nous essayons de faire tenir un système très complexe. J'ai demandé à mes équipes et à l'Agence de services et de paiement (ASP) de me faire des propositions en ce sens. Les services d'économie agricole, qui instruisent ces dossiers, sont en tension - je tiens à saluer leur travail. Les moyens ont beaucoup été régionalisés et peu départementalisés. L'amélioration de la délivrance des aides de la PAC passe par une meilleure organisation de nos services départementaux.

Par ailleurs, je rappelle qu'il existe près de cent mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) différentes ; joie de la différenciation territoriale ! Or le développement informatique pour 15 bénéficiaires coûte autant que pour 15 000 ! Si l'on veut simplifier, il faut s'astreindre à harmoniser les règles, sinon il ne faut pas se plaindre de la complexité de l'instruction des dossiers. C'est plus simple dans les autres pays européens, car ils n'ont pas autant de mesures agroenvironnementales et climatiques. Nous avons fait, avec la profession, un choix différent.

Nous avons débloqué 2 millions d'euros d'aides d'urgence pour la filière de la canne. Chaque année, près de 10 millions d'euros d'aides européennes soutiennent les filières canne-sucre-rhum.

Il faut répondre à la situation conjoncturelle ; les députés ont adapté le texte aux spécificités ultramarines, mais il faut également déspécialiser, pour reprendre le terme consacré, car il faut améliorer l'autonomie alimentaire en outre-mer. Le coût de l'alimentation est très élevé dans des territoires où le niveau de vie ne l'est pas. C'est un véritable sujet : à chaque crise, les prix grimpent. Par ailleurs, ces territoires sont confrontés à des impasses techniques profondes en matière phytosanitaire, alors que, dans les pays voisins, c'est open bar, si je puis dire.

Monsieur Laurent, je réitère notre engagement : nous mettrons en place une mesure fiscale pour les transmissions ; une mission du CGAAER et de l'inspection générale des finances (IGF) fera des propositions en ce sens. Le Premier ministre l'a également réitéré cet après-midi à l'Assemblée nationale, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement. Le dispositif ne doit pas entraîner la montée des prix. L'enjeu est de pérenniser le modèle familial, car, à cause de la spéculation, les transmissions échappent aux familles.

Je me suis saisi du dossier des difficultés viticoles. En un an, les filières viticoles se sont fortement mobilisées. Elles font désormais un certain nombre de propositions non plus seulement conjoncturelles, mais structurelles ; on ne peut pas répondre aux crises en distillant 100 millions d'euros ou 200 millions d'euros chaque année. Il faut réfléchir sur le volume produit, sur la nécessaire reconquête du marché intérieur, marqué par la déconsommation, par les changements d'habitudes de consommation des nouvelles générations - on consomme plus de vin blanc et de rosé, un peu moins de vin rouge - et par les évolutions des modalités de consommation, ce qui soulève la question du contenant. Certains parlent également de désalcoolisation.

Il faut également réfléchir à la restructuration du vignoble et à la bataille à l'export. À mon sens, il faut vendre le vin France. Les Italiens vendent le vin Italie et non le vin de Toscane. Dans les salons internationaux, l'Italie a un stand national et non des multiples stands régionaux et c'est elle qui est offensive sur le marché mondial.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ils sont fiers de ce qu'ils font !

M. Marc Fesneau, ministre. - Vous ne me trouvez pas fier ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Ce n'est pas ce que laissent penser les messages que l'on entend !

M. Marc Fesneau, ministre. - Vous ne pouvez pas me dire cela...

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Je ne parle pas de vous en particulier !

M. Marc Fesneau, ministre. - Je pense que les régions peuvent être valorisées derrière une bannière France.

Dans certaines régions, les viticulteurs réclament désormais des aides à l'arrachage, alors qu'ils plantaient énormément voilà trois ou quatre ans. L'État n'a pas à rattraper certaines erreurs stratégiques.

Dans sa rudesse, l'article 45 de la Constitution a balayé les dispositions relatives à la flavescence dorée. Pourtant, je suis favorable au passage d'un régime pénal à un régime contraventionnel. Je fais confiance à la sagesse du Sénat et à la souplesse avec laquelle il appliquera l'article 45. Les viticulteurs le réclament, car certains laissent les parcelles à l'abandon et répandent la maladie !

J'en viens aux zones de transition. Ce sont les habitations qui sont allées vers les exploitations agricoles et non l'inverse. On ne peut pas obliger les agriculteurs à mettre en place les zones de non-traitement (ZNT) à chaque nouvelle opération immobilière ; c'est au promoteur de le faire. Si nous avons, en France, nos modalités propres de mise en oeuvre réglementaire des ZNT, partout en Europe, la réglementaire prévoit, selon les produits d'usage, des distances minimales à respecter.

Pour les contentieux avec la Chine, le mieux, c'est de se taire et de faire.

M. Daniel Laurent. - Il faut tout de même être vigilant.

M. Marc Fesneau, ministre. - Ce n'est pas un débat public !

Nous aurons le plaisir d'intégrer la Chine à l'Organisation internationale de la vigne et du vin, ce qui nous permettra de travailler avec ce pays, malgré nos contentieux. D'ailleurs, les sanctions américaines dans le cadre du contentieux opposant Boeing à Airbus restent pendantes.

Monsieur Tissot, j'ai déjà défendu le point d'accueil collectif et les députés ont garanti son pluralisme. Les chambres d'agriculture sont des établissements publics et remplissent des missions de service public. C'est bien de cela qu'il s'agit.

Le Gouvernement souhaite que tout le monde puisse s'y retrouver, notamment ceux qui estimaient être à la marge, sans quoi le dispositif ne fonctionnera pas. Gardons-nous de faire des procès d'intention. Je défends le pluralisme, car cela permet d'accompagner tout le monde. Je veux que les gens vivent de leur métier, qu'ils soient épanouis, qu'ils transforment une envie en projet de vie. Si l'on veut 400 000 exploitants, il faut construire à partir de modèles divers.

Par l'expression « intérêt fondamental de la Nation », il s'agit de préciser que l'agriculture a un important intérêt économique pour la France. Les pays qui ne pourront pas nourrir leur population se heurteront à de grandes difficultés dans les années à venir. L'agriculture est devenue une arme de déstabilisation, comme en témoignent les manoeuvres de Monsieur Poutine dans le sud de la Méditerranée. Si nos voisins ne peuvent pas se nourrir, nous risquerons d'être déstabilisés dans les domaines économique, agricole social, politique et géopolitique. Je rappelle que les crises du printemps arabe sont d'origine agricole.

L'expression « intérêt général majeur », qui sera précisée par la jurisprudence, signifie que l'agriculture doit être l'une des notions à l'aune desquelles la souveraineté sera appréciée, aux côtés de l'économie, de l'environnement, etc. L'agriculture ne doit pas être la cinquième roue du carrosse !

Simplifier n'est pas sacrifier le respect des principes environnementaux.

Je mets au défi ceux qui ont critiqué le texte jusqu'à présent de dire en quoi il y a régression. Je ne suis pas d'accord avec cette vision naïve. Pour ma part, je ne serai pas naïf, surtout si cela a pour conséquence que l'on n'ait plus d'agriculture chez nous. En revanche, on a besoin de simplification et de procédures plus simples. On ne peut pas menacer un agriculteur de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende parce qu'il a commis tel ou tel acte de façon non intentionnelle.

Nous aurons sans doute ces discussions en séance, mais il s'agit là d'un vrai point de désaccord politique qu'il faut assumer. Personne n'est dans la caricature, ni vous ni moi.

S'agissant des haies, on dit qu'il faut simplifier. Le rapporteur considère que nous cherchons à les sanctuariser, alors que d'autres estiment que cela revient à ouvrir un régime d'ouverture de l'arrachage des haies. On n'a peut-être pas lu les mêmes articles ! Pour ma part, j'essaie justement de trouver un point d'équilibre, qui n'est ni ce que décrit le rapporteur ni ce que décrivent les autres. Le débat parlementaire au Sénat permettra peut-être d'éclairer un certain nombre de points.

Chaque fois que l'on cherche à simplifier, certains trouvent que c'est encore plus compliqué, d'autres que c'est trop radical.

M. Jean-Claude Tissot. - Cette simplification peut s'apparenter à une forme de reniement.

M. Marc Fesneau, ministre. - J'ai pris l'exemple des réserves de substitution de la Charente-Maritime. Qui, dans un monde normal, peut accepter que des projets prennent cinq, huit ou neuf ans ? C'est impossible ! C'est oui ou c'est non, mais il faut une réponse rapide, car il faut être en phase avec la réalité. Certains utilisent des recours pour faire échec aux projets : une première fois, il manque une pièce, une autre fois, la délibération n'est pas conforme, etc. Ils font tout pour étouffer le porteur de projet. Et ce sont les mêmes qui vous expliquent savamment qu'on a un problème de souveraineté et qu'il y a du poulet brésilien partout !

Pour notre part, nous faisons des choix, car il faut plus de bâtiments d'élevage. Disant cela, je ne me considère pas comme un affreux je ne sais quoi. Sur la question de la simplification, nous essayons de trouver de la cohérence et de parvenir à un point d'équilibre. Sur les bâtiments d'élevage, je ne dis pas que chacun peut faire comme il veut, mais il faut des réponses rapides, pour éviter que les dossiers ne s'embourbent.

Mme Sylviane Noël. - Sur les questions de prédation, ce projet de loi nous laisse un peu sur notre faim. Pour les tirs de défense simple et la possibilité d'avoir deux tireurs, il a été rajouté la nécessité d'un contrôle technique de l'Office français de la biodiversité (OFB) ou des louvetiers, ce qui rend de fait cette mesure inopérante.

Sur le financement des mesures de protection à date, moins de la moitié sont versées pour 2023, alors que les agriculteurs ont déjà embauché des bergers en 2024. La trésorerie des exploitations agricoles s'en trouve fragilisée.

A-t-on des raisons d'espérer une amélioration du texte sur ces deux points ? La pression exercée par le loup dans certains territoires de montagne devient extrêmement problématique et les attentes sont très fortes en la matière. Il y va de la survie de notre agriculture pastorale et de l'entretien de nos paysages.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le pastoralisme est inscrit au patrimoine immatériel de l'Unesco.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Beaucoup de viticulteurs de la Côte-d'Or m'ont interrogée sur l'usage du drone à la suite de l'expérimentation qui a été menée. Ils comptent beaucoup sur cette disposition pour développer leur activité et traiter dans de meilleures conditions.

Je souhaite évoquer les milieux forestiers, même si j'ai bien compris que nous examinions un projet de loi d'orientation agricole. Néanmoins, monsieur le ministre, pouvez-vous me confirmer que l'article 13 étend son champ aux travaux réalisés par les forestiers ? Par ailleurs, seriez-vous opposé à ce que des dispositions de valorisation de la ressource forestière bois figurent dans ce texte, notamment pour simplifier des mesures comme la REP (responsabilité élargie du producteur) sur les matériaux de bois, qui est un dispositif particulièrement injuste pour cette filière globalement déjà recyclée à 90 % ?

M. Yves Bleunven. - Merci de cet échange franc et direct.

Je fais partie de ceux qui pensent que ce texte, sur la souveraineté agricole et alimentaire est une évolution positive par rapport à une simple loi d'orientation agricole. Reste que le contexte sera stratégique.

Je suis élu du premier département avicole français, le Morbihan. Pas un bâtiment d'élevage ne s'y est construit depuis deux ans ! Les abattoirs ferment ; vendredi, une usine d'alimentation animale sera fermée. C'est la preuve de la décapitalisation de la filière.

Face à ce discours ambitieux et stratégique de souveraineté alimentaire, on trouve des associations environnementalistes, welfarismes, voire anarchistes, qui font à peu près tout et n'importe quoi : vider des trains de blé, suivre des camions avec des traqueurs GPS pour savoir où se trouvent les élevages et faire de l'intrusion. C'est insupportable !

Monsieur le ministre, comment envisagez-vous à la fois de faire la promotion de la souveraineté alimentaire et d'arrêter ces activistes qui sont systématiquement dans l'illégalité ? J'ai bien compris que ce texte permettra de raccourcir les procédures administratives. Pour autant, que faire face à ces militants qui ternissent l'image de nos filières ? Quand va-t-on dire haut et fort que nous sommes le pays le plus avancé en matière de bien-être animal aujourd'hui ?

M. Marc Fesneau, ministre. - La question du statut du loup est très importante. Comme le loup est très protégé, les marges de manoeuvre sont faibles. C'est dans ce cadre que nous avons fait évoluer les protocoles de tir du loup - tireurs, déclarations ex ante - en allant le plus loin possible à date et en faisant de la simplification administrative. En outre, nous allons essayer de mieux accompagner les agriculteurs. Il faut désormais assumer la question de la régulation.

J'en profite pour rappeler ce qui s'est passé à l'échelle européenne. La France a porté par ma voix la question du changement du statut de l'espèce, pour le passer de « très protégé » à « protégé », ce qui aurait simplifié bon nombre de choses, y compris sur les mesures de gestion des populations de loups. Pour y parvenir, il faut l'unanimité ; à ma grande surprise, ce n'était pas le cas il y a un mois et demi, mais j'ai l'impression que cela change. Je reconnais que mon homologue luxembourgeoise est moins sensible à la question de la prédation que mon homologue autrichien ; c'est un des noeuds du sujet. Il faut continuer à se battre, même si cela prendra du temps.

On peut voir si on ne peut pas simplifier davantage les protocoles afin de faciliter le travail des lieutenants de louveterie.

Il y a quelques semaines, j'ai organisé une réunion sur la question de la prise en charge de la protection des troupeaux. J'ai demandé à mes services la simplification du logiciel de saisie des données Safran, car c'est cauchemardesque, je l'ai constaté moi-même ! Si l'on commet une erreur, on est renvoyé à la première page et il faut tout recommencer. C'est à rendre fou ! On ne peut pas faire subir cela à des éleveurs déjà confrontés à la prédation. Je vérifierai que ce travail a été fait, car il faut un dispositif plus opérant et faire en sorte que les éleveurs n'y passent pas des jours et des nuits.

Je reviens à la question des avances. Comme ce sont des aides qui relèvent de la PAC, on ne peut pas toucher à certains mécanismes. Pour autant, j'ai demandé à mes équipes de trouver des réponses d'ici au mois de juin, qui ne prendront pas nécessairement la forme d'une avance, pour faire en sorte que certains ne se retrouvent pas avec douze à quatorze mois de salaire qui ne leur seront payés qu'à la fin de l'année, alors qu'ils gagnent souvent moins que le Smic. Cela fait quinze ans que cela dure et ce sujet désespère les éleveurs ! Je ne comprends pas pourquoi on n'a toujours pas trouvé de solution. Nous devrions aboutir courant juin. Je suis têtu, je ne lâcherai pas, car la situation est injuste.

Des amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale sur la question de la non-protégeabilité qui figure dans le plan Loup, mais des solutions ont été envisagées, notamment sur les dommages indirects, mais l'article 45 a fait son oeuvre... En disant cela, je n'invite à rien...

Madame la sénatrice Loisier, sur les drones, pour moi, la situation est claire.

À l'Assemblée nationale, votre collègue Genevard a fait des propositions sur la question de la friche, du défrichement et du déboisement. Là aussi, et cela fait écho à ce qu'a dit le sénateur Duplomb, la réglementation est telle que certaines terres qui sont mises en friche - ce que l'on appelle la déprise agricole - deviennent, quinze ou vingt ans plus tard, une forêt, ce qui fait que l'on ne peut plus y toucher et que l'on empêche un jeune de s'installer. Pourquoi ?

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - C'est sanctuarisé.

M. Marc Fesneau, ministre. - Voilà. Il faut pouvoir changer les choses, car ce ne sont pas des forêts, ce sont des friches.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. - Et cela concerne 40 000 hectares par an !

M. Marc Fesneau, ministre. - Plutôt 60 000 hectares. Qui plus est, ce seront des nids à incendie de forêt.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Et on a des hectares de forêt dont on ne fait rien !

M. Marc Fesneau, ministre. - Dans certains cas, on peut enrichir le peuplement, dans d'autres, c'est impossible, car c'est considéré comme une coupe rase ou je ne sais quoi.

Là encore, monsieur Tissot, il faut faire preuve de pragmatisme. Vaut-il mieux avoir une prairie ou une forêt ? À mon sens, une prairie a autant d'intérêt. Si l'on peut faire un peu de débroussaillement en forêt pour y faire du pâturage, je n'ai pas l'impression que l'on porte une atteinte grave à l'environnement, je crois plutôt que l'on rend service, car ces parcelles finiront par redevenir forestières. Dans mon département de la Sologne, où certaines terres sont très pauvres, la forêt est repartie du fait de la disparition de l'élevage. Certes, cela fait plaisir à ceux qui ont des activités cynégétiques, mais il y a des sangliers partout, cela fait des dégâts et pose des problèmes de repeuplement forestier. Y a-t-on gagné ?...

Pour autant, je ne suis pas sûr qu'une telle mesure ne soit pas totalement extérieure au texte, mais il ne m'appartient pas de juger de l'article 45. Je laisse cela à votre sagacité.

Sur la question de la REP, on travaille avec le ministère de la transition écologique. Christophe Béchu et moi sommes sur la même ligne quant à la nécessité d'avoir un traitement particulier de la filière forêt. Au train où vont les choses, on va finir par nous démontrer que c'est mieux de faire du béton que de faire de la forêt en construction...

Monsieur le sénateur Bleunven, c'est dans votre département que j'ai rencontré un jeune agriculteur qui attendait depuis six ans une autorisation d'installation et qui allait renoncer à son projet. C'est à cela qu'entend répondre ce texte.

Par ailleurs, comment parvenir à faire redescendre la pression ? Inutile de vous dire que nous sommes dans une société quelque peu fracturée et polarisée sur cette question comme sur d'autres. À mon sens, il faut montrer une détermination sans faille sur la trajectoire à définir, à savoir retrouver notre souveraineté dans tel ou tel domaine. Pour cela, il faut qu'on ait des politiques claires et lisibles. Par ailleurs, il faut créer du dialogue, notamment en impliquant les collectivités territoriales. Cela ne peut pas concerner que les professionnels, l'État et la population. L'échelon territorial doit prendre sa part.

Sur les réserves de substitution, plus généralement sur les ouvrages hydrauliques, très souvent, les collectivités sont nos alliées. C'est d'ailleurs ainsi que l'on y arrivera. Tout ne peut pas se faire à l'échelon central. Le dialogue doit avoir lieu à l'échelle locale. Quand on explique Sainte-Soline, les gens découvrent la réalité de la situation. Je me suis exprimé à au moins cinq reprises tout à fait publiquement sur ce sujet et personne n'a jamais démenti mes propos.

Il faut s'appuyer sur la science, faire de la pédagogie et expliquer ce que l'on fait, sans pour autant basculer dans l'excès en affirmant que la solution à tous nos problèmes et au dérèglement climatique, c'est installer des réserves de substitution partout. Il est difficile de mettre de la raison dans ce débat. Cela contribue au mal-être des agriculteurs et nourrit leur sentiment d'être une forteresse assiégée.

M. Yves Bleunven. - Face à l'agribashing, la souveraineté est une arme.

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous avons deux armes. La première est la reconnexion locale. Sans faire dans le localisme, car ce n'est pas la solution à tout, surtout pas à la production de masse, j'ai toujours pensé que les projets alimentaires territoriaux, les circuits courts ou la vente directe étaient un moyen de recréer du dialogue entre les gens. La seconde, c'est de rappeler que l'alimentation est un sujet géopolitique, géostratégique, mondial. À faire preuve de naïveté et à s'empêcher d'agir, certes, nous, nous continuerons probablement à nous nourrir, mais ce ne sera probablement pas le cas à nos frontières, y compris européennes, et nous serons dans la main de gens qui sont des fous dangereux.

La France et l'Europe ont une responsabilité particulière, celle de sécuriser les approvisionnements mondiaux. L'an dernier, l'Europe a importé 40 millions de tonnes de céréales. Qu'on le fasse, y compris chez M. Poutine, pose problème philosophiquement, politiquement, géopolitiquement. Les Italiens vont chercher du blé dur au Canada et -en Russie.

C'est comme pour le nucléaire ou l'énergie, si l'on veut retrouver de l'autonomie stratégique, il faut faire des choix stratégiques, donc des choix de production, sans forcément en rabattre sur la question environnementale. La question de la transition est devant nous. Si l'on n'accompagne pas les agriculteurs - cela rejoint le débat que nous avons eu sur le diagnostic modulaire -, on commettra une erreur très profonde.

M. Daniel Salmon. - Le mouvement agricole a été très fort et vous l'avez subi. Ce texte ne répond que très partiellement aux attentes nombreuses : revenu, foncier, installation-transmission, transition agroécologique... Tout cela est très peu traité. L'Assemblée nationale a toutefois apporté quelques améliorations.

Allez-vous maintenir les avancées que je considère positives ? Je pense à l'objectif de 400 000 exploitations, à la mise en place d'objectifs de productions biologiques de 21 % en 2030, à l'objectif de 10 % de la surface agricole utile en légumineuse, à la suppression des GFAI, très contestés, en particulier par les Safer.

Je fais partie de ceux qui, comme vous, monsieur le ministre, s'appuient sur la science. La science, pour moi, n'est pas une opinion. Ce n'est pas parce que je vois un papillon devant moi que je pense qu'il n'y a pas de soucis de biodiversité. Je ne mets pas au même niveau les discussions de PMU et le rapport d'un expert universitaire. Il va falloir remettre de la science dans nos débats, car les gens ne peuvent plus se comprendre s'ils ne partent pas des mêmes bases.

Je relève également dans ce projet de loi un certain nombre de reculs par rapport au droit de l'environnement, alors que, depuis 2005, celui-ci est constitutionnalisé par la Charte de l'environnement. On constate une dépénalisation des atteintes à l'environnement et aux espèces protégées. C'est d'autant plus grave que nous assistons à un effondrement de la biodiversité, étayé là encore par des rapports scientifiques.

La non-intentionnalité me pose problème, car, ce faisant, on ouvre la boîte de Pandore ! Quand j'étais enseignant, beaucoup d'élèves me disaient : « Je n'ai pas fait exprès. » Mais enfin, quand on est adulte... D'ailleurs, en ouvrant la notion de non-intentionnalité à l'agriculture, vous devrez élargir cette notion à tous les domaines de la société, ce qui représente un risque colossal : demain, chacun pourra dire qu'il n'a pas fait exprès, qu'il ne connaissait pas bien son droit...

Vous vous dites très attaché aux haies. Je le suis également. Vous avez parlé de mobilité, comme si les haies se déplaçaient. Non, on ne déplace pas des chênes centenaires. Il s'agit pour moi non de sanctuariser les haies, mais de les protéger. Et il faut une protection forte, parce que ce que l'on détruit aujourd'hui ne repoussera pas en cinq minutes. Les arbres qui sont dans nos forêts, ce sont nos bâtiments historiques. Même si l'on constate dans certains endroits de l'enfrichement, de nombreuses haies disparaissent. Je ne regarde pas que mon département, je regarde un peu plus loin.

Ce projet de loi s'inscrit toujours dans le dogme de la compétitivité dans un marché libre et mondialisé. On en est toujours là. C'est ce qui nous a conduits à ces impasses. Les problématiques climatiques sont la conséquence de cette consommation assise sur une guerre commerciale. Les agriculteurs ne veulent pas plus de compétitivité, ils veulent plus de protection et plus de revenus. Le revenu peut se construire tout à fait différemment et nous avons de nombreuses propositions à formuler en ce sens.

Dernier point, nous consommons beaucoup de volailles, alors que nous en produisons à peine la moitié. C'est une vraie question. Pour ma part, je conçois la souveraineté comme une espèce d'autosuffisance, même si on ne peut pas l'avoir dans tous les domaines. Que faut-il faire ? Soit on fait évoluer les régimes alimentaires, ce qui prend du temps, soit on produit à la hauteur de notre consommation. Il faut alors en passer par la déspécialisation, ce qui ne figure pas dans ce texte. En Bretagne, on abat à peu près 220 millions de volailles ; je ne vois pas d'un bon oeil que l'on incite à agrandir encore les élevages là-bas. Il y a d'autres régions qui en ont besoin. Je défends vraiment une polyculture-élevage.

M. Henri Cabanel. - Depuis que je suis au Sénat, j'ai vu passer des gouvernements et des ministres et on m'a toujours expliqué que la simplification était très compliquée ! Vous voulez vous attaquer à la montagne, je vous en félicite, mais j'espère que la montagne n'accouchera pas d'une souris.

Vous avez parlé de la simplification des règles européennes, mais la simplification doit en premier lieu venir de votre ministère et de vos services ! En voici des exemples.

Premier exemple : un jeune viticulteur qui s'est installé en 2022 et qui a touché sa dotation jeunes agriculteurs (DJA) demande, comme il en a le droit, un bonus sur les droits à paiement de base (DPB). La direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) lui répond qu'il n'y est pas éligible, car, s'étant installé en 2022, il aurait fallu qu'il ne cotise pas à l'Atexa, qui est une assurance obligatoire, avant 2018 ; or il est cotisant solidaire depuis dix ans. Je ne sais pas quel fonctionnaire a pondu un tel critère, qui est complètement en inéquation avec l'installation, puisque l'on doit obligatoirement cotiser à l'Atexa quand on est cotisant solidaire. Le directeur de la DDTM m'a indiqué que cela dépendait du ministère de l'agriculture.

Deuxième exemple : lorsqu'un viticulteur remplit son dossier PAC, son exploitation est divisée en îlots, chaque îlot contenant quelques parcelles, voire beaucoup. Chaque année, au moment de remplir le dossier PAC, il faut ouvrir tous les îlots, aller dans toutes les parcelles et cocher des cases pour indiquer que rien n'a changé. Cela prend un temps infini. Il serait beaucoup plus simple de demander au viticulteur ce qui a changé par rapport à l'année précédente !

Troisième et dernier exemple : j'ai rencontré la semaine dernière un viticulteur des Pyrénées-Orientales qui monte un dossier d'autorisation de plantation. Il lui est demandé s'il veut l'irrigation. Comme son exploitation est irriguée, il coche la case « non » et fait les investissements. On lui répond qu'il y a une nouvelle charte et qu'il n'y a pas droit.

Je pourrais vous citer des exemples jusqu'à demain ! Cette simplification dépend directement de votre ministère. Monsieur le ministre, vous devez prendre conscience qu'il y a un effort à faire et sensibiliser votre administration !

M. Daniel Gremillet. - Je parlerai de la laine, même si ce dossier paraît accessoire. Cela pourrait résoudre la problématique de la production ovine par rapport à la Nouvelle-Zélande. Il existe en France des start-up cherchant à utiliser la laine à des fins d'isolation. C'est un marché nouveau qui pourrait redonner une embellie à cette filière.

Sur la question des haies, je partage complètement ce qu'a dit notre rapporteur. Je vais même aller plus loin. Avec la PAC, les haies ont dû être décomptées des surfaces, ce qui a en quelque sorte incité les agriculteurs à faire disparaître les haies. C'est du vécu.

Les haies d'aujourd'hui sont le fruit de l'abandon et de l'incapacité du monde agricole à faire ce que les anciens ont toujours fait. Avant, les animaux se promenaient dans la nature, pâturaient et faisaient en sorte que plus rien ne pousse. C'était débroussaillé naturellement. Aujourd'hui, c'est terminé, sur les chemins de remembrement, il n'y a parfois plus qu'un sentier, la végétation a poussé et ce sera considéré comme une haie.

En voulant bien faire, vous allez inciter les agriculteurs à faire en sorte que plus rien ne pousse ! Je sais que vous gardez un oeil attentif sur l'élevage, monsieur le ministre, mais, ce faisant, vous êtes en train de lui donner un coût supplémentaire.

Je termine en évoquant les prairies. Il y a le problème des prairies temporaires de cinq ans (PT5). Laissons les agriculteurs tranquilles, ils sont capables de savoir si une prairie peut rester temporaire sept ans au lieu de cinq. C'est autant d'économies et de gaz à effet de serre. Faisons confiance à ceux qui travaillent dans le secteur agricole.

Aujourd'hui, il n'y a plus de terrain nu. Les agriculteurs sèment de l'herbe, une fois qu'ils ont récolté le maïs. Or la pousse de l'herbe est quasiment aussi longue que la culture du maïs - pratiquement six à sept mois. À aucun moment, cette herbe n'est comptabilisée comme une production herbagère et l'agriculteur se retrouve pénalisé en raison du seuil de chargement de 1,4 UGB. En clair, mieux vous travaillez, plus vous êtes vertueux, plus vous êtes pénalisé. C'est comme pour les haies...

Sur l'installation, il faut aller plus loin. Nous sommes tous d'accord pour dire que le nombre d'enfants d'agriculteurs n'est plus suffisant par rapport aux besoins dans nos campagnes. C'est pourquoi il est notamment nécessaire de permettre à des exploitants en fin de carrière, qui n'ont pas de successeur connu, de mettre en place un tuilage avec un jeune. À une certaine époque, nous avons créé le statut de stagiaire de la formation professionnelle avec un engagement de l'exploitant à lui céder l'exploitation à la fin. Le tuilage permettra à des agriculteurs un peu vieillissants de ne pas perdre la dynamique agricole et à bien plus de jeunes d'accéder au métier d'agriculteur. Sur ces questions, il faut être plus offensif. Qui plus est, le tuilage réglera le problème de la capacité professionnelle en termes d'expérience.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis contrainte de partir. Je laisse Daniel Gremillet prendre le relais. Monsieur le ministre, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de vos réponses.

- Présidence de M. Daniel Gremillet, vice-président -

M. Bernard Buis. - Les avancées issues des travaux de l'Assemblée nationale permettent de reconnaître l'agriculture et la pêche comme des domaines d'intérêt général majeur. La création d'un nouveau diplôme bac + 3, l'inscription d'objectifs chiffrés en matière de maintien du nombre d'exploitations, le développement de l'agriculture biologique ou encore la limitation des poursuites en cas d'atteinte non intentionnelle à l'environnement vont dans le bon sens.

Afin de favoriser l'installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, vous envisagez la création d'un réseau France services agriculture, qui servira de point d'entrée pour nos agriculteurs. Selon quel calendrier en envisagez-vous la création ? Combien y en aura-t-il par département ? Il faut éviter aux agriculteurs de faire des heures de voiture pour y avoir accès.

M. Rémi Cardon. - J'ai le sentiment que les sujets cruciaux comme le revenu agricole, le foncier, le partage de la valeur ou les problématiques liées au libre-échange ont été écartés de ce projet de loi, qui passe à côté de l'essentiel : faire du renouvellement des générations l'occasion de contribuer à la transformation de l'agriculture. Les ambitions environnementales du texte se limitent à des formules incantatoires guère rassurantes. Pis, au nom de la compétitivité, vous proposez d'assouplir les sanctions contre les atteintes à la biodiversité en introduisant une notion de non-intentionnalité. Pourquoi n'avez-vous pas su répondre conjointement aux problématiques du revenu agricole et à celles du dérèglement climatique - fin du mois, fin du monde, même combat ?

Par ailleurs, selon des prélèvements récents, trois départements de la région picarde, l'Aisne, l'Oise et la Somme, figurent dans les dix zones les plus polluées d'Europe à l'acide trifluoroacétique (TFA). Les seuils proposés par les directives européennes sont largement dépassés. Allez-vous vous pencher sur le sujet, en mettant en place un programme de surveillance des niveaux de TFA dans les eaux de surface et souterraines ? Est-ce à l'ordre du jour du plan Ecophyto 2030 ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Monsieur Salmon, toutes les choses que nous avons entendues sur les ronds-points ne figurent pas dans le texte, mais aucun agriculteur ne m'a expliqué que son problème était la transmission de son exploitation ou le foncier. Les agriculteurs ont parlé de revenu, de normes, de compétitivité, de conditions de travail, mais n'inventons pas des sujets qui n'étaient pas ceux de la barricade ! Néanmoins, ces sujets sont importants. Les sujets de l'installation et de la transmission concernent moins d'agriculteurs que tous ceux qui ont exprimé leur ras-le-bol. En revanche, ils ont tous parlé de la PAC, je vous le garantis ! Et pas pour dire que c'était simple !

En ce qui concerne l'objectif de 400 000 exploitations et de 500 000 exploitants, j'avais dit que je laisserais faire le débat parlementaire. La plupart des amendements adoptés en séance à l'Assemblée nationale ont reçu un avis favorable du Gouvernement. En deçà de ces seuils, nous aurons des problèmes de présence territoriale. C'est un sujet de souveraineté, de préservation des filières. En Italie, il y a 800 000 déclarations auprès de la PAC, 1,2 million d'exploitants, pour une population équivalente à celle de la France. En Irlande, pour 7 millions d'habitants, il y a 150 000 exploitations. Il y a donc un sujet démographique.

Dans les années 1960, la loi Pisani était une loi de restructuration et de modernisation, qui avait fait l'objet d'un accord global afin d'assumer dans de bonnes conditions l'exode rural pour alimenter les industries.

M. Daniel Salmon. - Edgard Pisani l'a en partie regrettée...

M. Marc Fesneau, ministre. - À la fin de sa vie, il a regretté certaines pratiques agricoles, mais il a permis de suivre le grand mouvement agricole qui a eu lieu dans tous les pays industrialisés. On peut toujours penser que nous sommes une île déserte, pensant pourvoir garder huit millions d'agriculteurs dans un monde urbanisé...

Si j'étais taquin, je vous demanderais de fixer des objectifs non seulement pour l'agriculture biologique, mais aussi pour l'aviculture, la production bovine, le lait... Pourquoi ne pas fixer des objectifs pour tous les secteurs ? Vous faites une hiérarchie entre eux ?

À l'Assemblée nationale, on a longuement débattu d'un objectif forclos depuis le 31 décembre 2022, qui était d'atteindre 15 % de surfaces agricoles cultivées en bio. Le taux en 2024 est de 10 %, et personne n'est allé en prison parce que l'objectif n'a pas été respecté ! S'il s'agit simplement de donner une trajectoire, cela ne me pose pas de problème, mais essayons de ne pas multiplier les objectifs. Ce sont des questions de planification. Ces objectifs figurent dans le PSN, dans la PAC et dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Nous pouvons également l'inscrire dans ce projet de loi, mais il me semble plus efficace de mettre 100 millions d'euros par an sur le plan protéique que de fixer un objectif de surfaces cultivées en bio.

M. Daniel Salmon. - Nous n'avons pas le droit de créer de nouvelles dépenses !

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous avons déjà prévu ces dépenses dans le plan protéique ! La PAC a également prévu des financements. On cherche des solutions alternatives aux produits phytosanitaires, car il est vrai que la production de certaines cultures, comme les pois ou le blé dur, baisse en raison d'impasses techniques. Cela vaut aussi pour le riz : 90 % du riz mangé en France est importé, après avoir été produit dans des conditions discutables... On pourrait décider de reconquérir notre souveraineté en riz, aliment de base !

Sur les GFAI, je ne partage pas le diagnostic des Safer, qui parlent d'un risque de financiarisation. Je découvre les joies de la question foncière : tout le monde dit qu'il faut changer les régulations, qu'il n'y a pas de capitaux et qu'il faut des outils de portage, mais, dès que l'on propose un changement, c'est la levée de boucliers ! Il y a une grande hypocrisie. Le nouveau dispositif que nous proposions a été rejeté en commission à l'Assemblée nationale. D'accord, mais nous allons manquer d'argent et, dans cinq ans, on se souviendra que certains se sont opposés non pas à l'idée de la privatisation et de la financiarisation, mais simplement à l'idée que les moyens budgétaires dont nous avons besoin ne peuvent pas exclusivement être publics. La France n'est pas un kolkhoze ! En Occitanie, Mme Delga a mis en place un fonds de portage foncier dans lequel il y a des actionnaires, des banques, sans que cela gêne personne. Mais dès que l'on parle de GFAI, qui plus est encadré, on parle de privatisation et de financiarisation ! Même les Safer qui disent que la politique publique ne doit pas privilégier les portages privés de mesures publiques sont financées par le fonds Élan qui réunit des assureurs et des banques. Cette obsession envers et contre les fonds privés est folle. Il y aura pourtant besoin d'un peu d'argent pour acheter les terres de la moitié des agriculteurs qui cesseront leur activité ! Ce ne sera pas à l'État de le faire, à moins que l'on change de registre...

Monsieur Salmon, je n'aime pas trop votre expression : « discussions de PMU ». Il est toujours intéressant d'écouter ce qui s'y dit.

M. Daniel Salmon. - Je n'ai pas dit que c'était inintéressant. J'ai dit que ce n'était pas du même niveau.

M. Marc Fesneau, ministre. - À chaque fois que l'AESA publie des études sur le glyphosate, les scientifiques sont accusés d'être vendus aux lobbyistes. En revanche, ce n'est pas le cas lorsque les résultats des études vous conviennent... Il n'y a pas les bons scientifiques d'un côté, les mauvais d'un autre ; il y a la science et des protocoles. Faisons confiance à la science !

Vous prétendez qu'il s'agit de reculs des droits de l'environnement. Vous pouvez ne pas être d'accord avec le texte, mais tout de même ! Reconnaître la non-intentionnalité ne signifie pas ignorer la loi. Vous connaissez l'adage : nul n'est censé ignorer la loi. Mais on ne doit pas non plus en venir à des présomptions de culpabilité.

Parfois les règles sont contradictoires. Par exemple, dans le massif des Maures, il faut respecter les obligations légales de débroussaillement (OLD), sauf que, en débroussaillant, on attente à l'habitat de la tortue d'Hermann. Quelle règle doit s'appliquer ? Dois-je prendre le risque d'encourir trois ans de prison pour destruction d'habitat ? Et le jour où cela prendra feu ? D'autant que ceux qui n'ont pas débroussaillé ne sont pas les victimes des incendies. On ne les entend pas se plaindre des incendies dus au non-respect des OLD.. Nous voulons lutter contre de telles injonctions contradictoires.

M. Daniel Salmon. - Oui, mais que répondez-vous alors ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous en débattrons. Il y a des contrôles sur le terrain. En tant qu'enseignant, vous avez sûrement déjà été amené à juger qu'une action n'était pas intentionnelle...

M. Jean-Claude Tissot. - C'est très subjectif.

M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, mais la conviction d'un juge et de jurés est également subjective.

M. Jean-Claude Tissot. - Les OLD n'entrent pas dans votre clause.

M. Marc Fesneau, ministre. - Il y a un problème de cohérence ; nous essayons de le résoudre.

Monsieur Salmon, j'entends votre question sur les haies. La proposition de loi défendue par vos collègues a défini la haie, mais ce n'est pas simple à faire, on l'a vu. D'ailleurs, le texte a avancé que dans certains cas il fallait en planter plus ou au moins autant.

Monsieur Duplomb, il est bien écrit à l'article 39 : « Pour permettre un arrachage de haie au sein d'un espace agricole dans le cadre d'une opération globale conduisant à augmenter le linéaire de haie sur ce même espace ou, à des conditions plus strictes, à maintenir ce linéaire. » Si nous disons tous la même chose, nous finirons bien par trouver un terrain d'entente !

Je ne souhaite pas créer de contraintes supplémentaires. La réglementation de notre pays sur les haies est l'une des plus strictes du monde ; or elle ne fonctionne pas.

Les grands opérateurs de réseau ont beaucoup de linéaires également. Il ne faut pas pointer seulement la responsabilité des agriculteurs. Le merle ne distingue pas une haie PAC d'une haie de voisin ; il niche là où il peut. Or les règles sur la taille sont davantage appliquées aux agriculteurs qu'aux autres.

M. Laurent Duplomb. - Je dis également qu'il faut territorialiser les haies.

M. Marc Fesneau, ministre. - Oui, je ne suis pas contre.

Monsieur Salmon, vous me rétorquez : « dogme de la compétitivité », mais nous ne sommes pas sur une île ! Savez-vous que ce sont les pays européens qui nous taillent des croupières ? Il nous faut être aussi compétitifs que l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, sinon nous ne produirons plus en France. Notre problème principal, ce ne sont pas les Brésiliens ! La compétitivité est une nécessité, pas un dogme.

Sans implantation de nouveaux bâtiments, l'élevage disparaîtra en Bretagne. Certes, les Bretons sont jeunes et dynamiques, mais la pyramide des âges est la même pour eux.

En toute logique, France services agriculture entrera en vigueur en 2026 plutôt qu'en 2025 ; autrement, les délais seraient trop courts.

Monsieur Cardon, nous ne débattions pas des PFAS il y a cinq ans. D'ailleurs, ce n'est pas au premier chef un sujet agricole. Il faut s'en préoccuper, car les agriculteurs seront embêtés, alors qu'ils n'en sont pas responsables.

Monsieur Cabanel, la simplification est un sujet non pas technique, mais politique. Si je n'organise pas maintes et maintes réunions à propos de la simplification, ce sujet s'embourbera. C'est chronophage et ce n'est pas le rôle du ministre, qui, à mon sens, doit seulement donner une impulsion. Mais on m'objecte : « Cela fait trente ans que l'on fonctionne ainsi ; on n'a jamais fait comme cela, etc. ». Bien sûr il y a des règles, notamment européennes, et je ne mettrai jamais en défaut mes fonctionnaires : ils veillent à leur bonne application. Cela étant dit, il me faut lutter contre l'inertie. Ce n'est pas de la mauvaise foi : les ministres passent, parfois rapidement...

Sur la politique agricole commune et sans faire de démagogie, je ne comprends pas que l'on ne parvienne pas à faire des simplifications. La notion d'agriculteur actif a été créée à la demande de la profession et on en a vu les limites et les effets de bord, notamment sur les paiements. On l'a intégrée dans le plan national stratégique de la France pour la politique agricole commune 2023-2027, je n'ai aucun problème à la retirer, mais il va falloir que chacun assume ses erreurs.

Le chantier de la simplification ne concerne pas que la PAC : cela concerne les guichets de FranceAgriMer, les douanes... La simplification va du premier au dernier mètre. En la matière, j'ai quelques marottes.

M. Daniel Gremillet, président. - Monsieur le ministre, nous n'avons peut-être pas battu de record, mais une audition de trois heures, c'est assez rare à la commission des affaires économiques. Je vous remercie de votre disponibilité. Je remercie également les rapporteurs et l'ensemble des commissaires.

Rendez-vous en séance publique pour aborder les sujets sur lesquels vous n'avez pas répondu.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 40.