- Mercredi 22 mai 2024
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Énergie, climat, transports - « Politique européenne des transports : enjeux et défis de la prochaine mandature » - Audition de MM. Jean-Philippe Peuziat, directeur du département Affaires publiques et européennes de l'Union française des transports publics et ferroviaires (UTP), Pierre Leflaive, responsable transports de Réseau Action Climat - France, Florent Moretti, conseiller transports à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, Denis Saada, président de la verticale Nouvelles Mobilités au sein de l'Alliance des mobilités
Mercredi 22 mai 2024
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Jean-François Longeot, président. - Nous sommes réunis ce matin pour examiner la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, plus communément appelées PFAS ou polluants éternels. Ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture le 4 avril dernier.
Notre collègue Bernard Pillefer a été désigné rapporteur sur cette proposition de loi le 30 avril dernier et je le remercie pour son travail dans un temps contraint.
La présente proposition de loi vise à protéger la population des risques liés aux PFAS en endiguant l'accumulation de ces substances dans l'environnement, au travers de différents types de mesures en amont et en aval de la production de certains types de produits.
Je vous rappelle le délai limite pour le dépôt des amendements de séance fixé par la Conférence des présidents au lundi 27 mai à 12 heures et que la commission se réunira pour donner ses avis le mercredi 29 mai au matin. L'examen en séance publique se tiendra quant à lui le jeudi 30 mai prochain.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Avant de vous présenter le fruit de mes travaux, je tiens tout d'abord à vous remercier de m'avoir désigné rapporteur sur cette proposition de loi et ce sujet si sensibles. Je veux également remercier les collègues qui ont participé aux auditions et contribué, par leur présence et leurs questions, à améliorer ma compréhension du texte.
J'aimerais commencer cette intervention en vous présentant les principaux constats scientifiques que j'ai recueillis au cours de mes auditions.
Les PFAS sont des molécules chimiques contenant une chaîne, plus ou moins longue, d'atomes de carbone sur lesquels sont fixés des atomes de fluor. La description de référence donnée à ces substances par l'OCDE englobe plusieurs milliers de molécules. Au-delà de leurs différences, celles-ci constituent une famille cohérente au regard de leurs propriétés, se caractérisant notamment par leur nature antiadhésive, imperméabilisante et résistante aux fortes chaleurs. Pour ces raisons, l'industrie chimique a encouragé leur fabrication et leur utilisation par de multiples secteurs depuis les années 1950.
Certaines caractéristiques chimiques des PFAS conduisent à une présence significative de ces molécules dans l'environnement, dans l'eau, dans l'air comme dans le sol du fait d'une forte mobilité, d'une grande volatilité et d'une très grande persistance.
Pour l'heure, la présence des PFAS dans les eaux françaises se caractérise par une contamination générale faible, mais par la présence de quelques « points noirs », par exemple la vallée de la chimie dans la région rhodanienne ; une contamination touchant principalement les masses d'eau souterraines qui accompagnent le cours des fleuves et rivières ; enfin, une présence importante de certaines substances PFAS, par exemple les acides perfluorooctanesulfoniques (PFOS).
Cette cartographie encore incomplète devrait être renforcée avec l'extension du programme français de surveillance de l'état des eaux.
Les PFAS s'accumulent également dans les êtres vivants, notamment dans les organismes humains. On parle alors de bioaccumulation. Chez les êtres humains, l'exposition aux PFAS se fait principalement par le biais de l'eau potable ou des aliments pollués. Les demi-vies des PFAS dans le corps humain - soit le temps nécessaire pour que la moitié de la substance soit dégradée - peuvent alors varier de plusieurs jours à plusieurs années. On estime ainsi que 40 % de la population française est contaminée par sept PFAS et 100 % par deux PFAS, à savoir les PFOS et les acides perfluorooctanoïques (PFOA).
De nombreuses pathologies sont associées à certains PFAS avec un niveau de certitude élevé : taux élevés de cholestérol, cancers du rein, diminution de la réponse du système immunitaire à la vaccination ou encore diminution du poids des nouveau-nés. La liste des impacts probables ou suspectés s'enrichit continuellement grâce aux travaux scientifiques.
Le degré de nocivité d'un plus grand nombre de PFAS et les effets cumulatifs associés à l'exposition à plusieurs substances ne sont pas encore pleinement documentés. Toutefois, les études scientifiques les plus récentes invitent à considérer tous les PFAS comme une classe chimique unique, même en l'absence de résultats sanitaires précis sur l'ensemble des substances, compte tenu de leur extrême persistance. Ce constat vaut aussi bien pour les PFAS non polymères que pour les PFAS polymères.
Face à cette contamination massive, endiguer la production et l'utilisation des PFAS dans les procédés industriels en amont représente la priorité afin de prévenir les risques résultant de l'exposition à ces substances.
J'estime que seule une démarche conduite à l'échelle de l'Union européenne, assortie de consultations, permettra la régulation efficace et le contrôle du recours à ces substances. Les propriétés communes partagées par l'ensemble des PFAS ont conduit cinq pays européens à initier une démarche de restriction communautaire de l'ensemble de ces substances. Cette proposition est actuellement soumise à la consultation de l'Agence européenne des produits chimiques (AEPC), également désignée sous son acronyme anglais ECHA, qui est chargée d'examiner les risques associés à ces molécules et d'analyser leurs conséquences socio-économiques.
Au demeurant, compte tenu du principe de libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur, les tentatives visant à interdire l'utilisation de PFAS à l'échelle d'un pays seront inévitablement contournées et extrêmement difficiles à contrôler. En tout état de cause, elles pourraient même se traduire par un affaiblissement de l'appareil industriel national, qui se verrait notamment fragilisé par des risques de délocalisation de certaines productions, et par un accroissement des importations de produits fabriqués à l'étranger contenant, eux, des PFAS.
Aussi, dans ce contexte, et compte tenu des évidentes fragilités juridiques du texte, je vous proposerai de supprimer l'article 1er bis A, relatif à l'activation de la clause de sauvegarde prévue par le règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et la restriction des substances chimiques (REACH) afin d'interdire de façon générale et sans mesure transitoire l'utilisation de PFAS sur le territoire français.
Pour autant, et au regard du calendrier prévisionnel qui résulte des discussions sur la proposition européenne de restriction, j'estime légitime d'enrichir, dès à présent, notre législation par des mesures de restriction à l'échelle nationale dès lors qu'elles sont circonstanciées, comme le prévoit l'article 1er de la proposition de loi.
Aussi, je juge opportun d'interdire rapidement les PFAS pour un certain nombre de produits directement en contact avec le public et pour lesquels des restrictions nationales ne se traduiraient pas par une hausse des importations de produits contenant des PFAS : les cosmétiques et les textiles visés par l'article 1er me semblent répondre à ces critères. L'interdiction des PFAS dans les farts de ski, également inscrite à l'article 1er, se justifie aussi compte tenu des rejets directs qu'ils génèrent dans les milieux naturels.
S'agissant des textiles, hors textiles d'habillement, pour lesquels la proposition de loi prévoit une interdiction des produits contenant des PFAS d'ici à 2030, je vous proposerai des exceptions pour les produits répondant à des utilisations essentielles ou pour les produits nécessaires à l'exercice de la souveraineté nationale et pour lesquels il n'existe pas d'alternative.
Par ailleurs, afin de garantir la bonne mise en oeuvre de ces restrictions, conformément à la logique prévalant actuellement dans les réglementations sur les substances chimiques, je souhaite aussi préciser que l'interdiction ne s'appliquerait pas aux produits contenant des traces résiduelles de PFAS, étant entendu que ces substances sont présentes dans un grand nombre de procédés industriels, notamment dans les joints.
En outre, considérant qu'une interdiction ne saurait être pleinement applicable si elle n'est pas accompagnée de moyens de contrôle et de sanction, je vous soumettrai un amendement précisant que le régime de contrôle et de sanctions administratives sera identique à celui qui est mis en place au titre du REACH.
Enfin, s'agissant des rejets des installations classées pour la protection de l'environnement, je porte un regard favorable sur l'article 1er bis, qui définit une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux de PFAS par les installations industrielles, dans l'objectif de tendre vers la fin de ces rejets d'ici à cinq ans. Je vous proposerai d'ajuster cette trajectoire à la capacité d'analyse des laboratoires en renvoyant à un décret la détermination de la liste des substances concernées.
J'en viens à mon dernier axe, portant sur l'aval.
Commençons par la détection des PFAS dans les milieux. Si restreindre l'utilisation de PFAS en amont doit constituer une priorité, il demeure néanmoins indispensable d'être en mesure de surveiller la présence de PFAS dans les milieux, notamment dans l'eau, en aval. C'est pourquoi je suis favorable à ce que le contrôle sanitaire de la qualité des eaux potables inclue le contrôle de la présence de PFAS, ainsi que le prévoit l'article 1er de la proposition de loi. Dans un souci d'applicabilité du dispositif, il me semble opportun de préciser que les substances concernées par ce contrôle soient listées par décret, sans pour autant exclure le contrôle d'autres PFAS techniquement quantifiables, lorsque cela est justifié au regard des circonstances locales.
En outre, j'accueille favorablement la mise à disposition d'une carte publique permettant d'identifier les sites émettant ou ayant pu émettre des PFAS, à l'instar de l'inventaire existant en matière de sites et de sols pollués ou encore en ce qui concerne la pollution des eaux par les nitrates. Je vous proposerai d'ailleurs d'enrichir les données mises à la disposition du public dans ce cadre, en précisant que cette carte comportera des mesures quantitatives des émissions dans les milieux. En revanche, j'estime peu opportune la publication d'une liste des communes exposées à un danger élevé ou très élevé, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre de cette mesure. C'est pourquoi je vous soumettrai un amendement de suppression de cet alinéa.
En plus de constituer un défi technique important, retirer les PFAS des milieux s'avère économiquement plus coûteux que de prévenir leur rejet dans l'environnement. Il n'en demeure pas moins que le « stock » historique devra être dépollué et que des financements devront être identifiés à cette fin.
À cet égard, j'approuve la création, à l'article 2, d'une redevance assise sur les rejets de PFAS dans l'eau par les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) soumises à autorisation. Bien que son produit estimé reste relativement réduit - 2,4 millions d'euros par an -, il permettra de mobiliser des ressources supplémentaires au profit de la surveillance et du traitement des eaux polluées. J'ai toutefois encadré plus précisément les conditions de mise en oeuvre de cette redevance afin, d'une part, de veiller à ce que cette taxe ne s'applique qu'aux rejets « nets » des exploitants, l'eau pompée en amont pour usage sur site contenant probablement déjà des PFAS ; d'autre part, de veiller à ce que la liste des substances concernées soit définie par décret.
M. Damien Michallet. - Merci pour votre travail.
Comme beaucoup d'entre vous, je m'inquiète pour les générations futures des conséquences des PFAS sur les plans sociétal, économique et sanitaire. Mais je m'inquiète aussi pour les générations actuelles, nos enfants, notamment. Or je ne vois rien dans cette loi qui anime l'immédiateté.
Trois piliers doivent guider notre réflexion, en vue d'aboutir à un texte plus équilibré.
Premièrement, les PFAS doivent être encadrés non pas au niveau français, mais au niveau européen. Ces substances sont des nanoparticules extrêmement volatiles, qui ont même été détectées dans les organismes des ours polaires... Croire qu'une interdiction nationale suffirait à résoudre le problème serait illusoire ; l'Europe doit rester maître sur le sujet. Ne commettons pas l'erreur de vouloir laver plus blanc que blanc et ne créons pas le concept de pré-surtransposition. Tel sera l'objet de l'un de nos amendements : nous aligner sur le droit européen, ni plus ni moins.
Deuxièmement, il faut assurer à nos concitoyens et au monde économique une transition douce. Si l'article 1er bis A était maintenu, son application déboucherait sur la fermeture de toutes les entreprises d'aéronautique et de fabrication textile, entre autres. Nous ne serions plus autonomes en matière de défense. Notre compétitivité s'effondrerait par rapport à celle de nos voisins, qui, eux, bénéficieraient de la transition décidée au niveau européen.
Troisièmement, la version initiale de cette proposition de loi est presque scandaleuse - pardon d'utiliser ce terme - : jamais celle-ci n'évoque les collectivités territoriales, pourtant chargées de la distribution de l'eau. Ce texte les met potentiellement à terre, ainsi que tous les consommateurs. On dit que l'on va sauver des vies, mais à quel prix ? Sortons de l'impasse dans laquelle nous conduit cette proposition de loi. Nous devons intégrer les collectivités dans notre réflexion ; nous avons déposé un amendement en ce sens.
Nous débattrons de ce texte avec objectivité et réalisme.
M. Jacques Fernique. - Merci au rapporteur pour son animation ouverte des auditions, pour son rapport et pour ses amendements, qui, pour l'essentiel, ne dénaturent pas le texte que l'Assemblée nationale nous a transmis, à la suite d'un compromis constructif élaboré par nos collègues députés membres de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Avec cette proposition de loi, notre commission et le Sénat ont l'occasion de faire oeuvre utile, de façon mesurée, raisonnable, opérationnelle, et donc efficace pour engager une première réponse concrète aux contaminations dues aux PFAS. Il serait incompréhensible de rester l'arme au pied face à la prolifération dévastatrice pour la santé de ces substances extrêmement persistantes, reprotoxiques et bioaccumulatives.
Il faut fermer le robinet : tel a été le message martelé au cours de nos auditions par de nombreux scientifiques, forts de leur consensus sur le sujet, mais aussi par les responsables des services publics de l'eau et de l'assainissement ou encore par la Ligue contre le cancer, entre autres.
L'article 1er commence à fermer le robinet, avec les usages pour lesquels il existe des alternatives - cosmétiques, farts de ski, l'essentiel des textiles... Nous proposons d'y ajouter les ustensiles de cuisine, au moins pour 2030, ainsi que les mousses à incendie, au moins pour les entraînements des pompiers, à l'instar de la décision prise par le Danemark.
Ces premières restrictions sont raisonnables. Elles s'inspirent à la fois des très bonnes conclusions du rapport demandé par le Gouvernement au député Cyrille Isaac-Sibille et des préconisations des pays européens moteurs de la proposition de restriction REACH pour la famille des PFAS. Ce cadre européen prévoit de mettre un terme aux usages non essentiels dès que le rapport bénéfices-risques plaide en ce sens.
Engager ces premières interdictions accélérera la prise de conscience des industriels sur la nécessité d'abandonner les PFAS et encouragera fortement le développement d'autres solutions. Ainsi, notre pays servira d'aiguillon pour la future réglementation européenne. Bien sûr, ces premières interdictions, même limitées à quelques usages, obligeront les pouvoirs publics à instaurer un contrôle strict des importations.
Certains, qui voudraient gagner du temps en vue de ne rien changer à la production de PFAS, arguent du processus européen pour ne rien faire et pour attendre. Mais attendre combien de temps ? 2029 ? 2030 ? C'est à cette date que ce lourd processus aboutira au plus tôt. Rappelons-nous : sur la viande aux hormones, sur l'amiante, sur le E 171, sur le bisphénol, la France a eu raison de devancer l'Europe. Des lobbies agissent au niveau européen : ils présentent des arguments similaires à ceux que nous entendons depuis des mois en France, afin de réduire les restrictions relatives aux PFAS dans le REACH. Parmi ces arguments rabâchés figure celui qui est relatif à l'innocuité des polymères, alors que ceux-ci posent souvent problème lors de leur phase initiale de synthèse - avec les rejets indésirables qui en résultent - et lorsqu'ils sont mis au rebut.
C'est dans l'intérêt de nos entreprises : nous assurerons notre vitalité économique et nos emplois en lançant le plus rapidement possible une dynamique de transition.
Les États-Unis sont en avance sur la sortie des PFAS ; la Chine agira très vite également. La compétitivité de demain ne réside donc pas dans la prolongation irresponsable de ces substances scientifiquement condamnées à terme.
Je suis tout à fait d'accord avec Damien Michallet : nous ne pouvons pas attendre, ni pour nos services publics d'eau potable et d'assainissement, ni pour les dispositifs de contrôle de la qualité de l'air, ni pour la gestion des déchets. Les obligations européennes de contrôle et de qualité entreront en vigueur dès le 1er janvier 2026 pour l'eau. Oui, le Sénat, chambre des territoires, doit encore améliorer ce texte pour aider ces acteurs locaux et les collectivités, qui comptent sur l'aide des parlementaires face à cet enjeu colossal.
À terme, il s'agit d'en finir avec le rejet industriel de PFAS, dans l'eau comme dans l'air. Il s'agit d'adapter la redevance eau et la taxe générale sur les activités polluantes air (TGAP Air) afin de dégager les moyens nécessaires pour les mesures et les contrôles. C'est ce que propose notre groupe, mais aussi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), Claude Kern ou le groupe Les Républicains (LR), avec sa proposition de plan de financement de la dépollution de l'eau. En travaillant de manière transpartisane - comme il sait le faire -, le Sénat sera ainsi en mesure d'améliorer le texte.
M. Hervé Gillé. - Ce texte constitue une première brique pour construire ensemble un programme d'action le plus structuré possible. Les constats sont partagés : ces pollutions sont problématiques et dangereuses, aujourd'hui et pour les années à venir, avec un phénomène accumulatif particulièrement préoccupant.
Les premières observations sont essentiellement centrées sur la qualité de l'eau. Or il faudrait se doter de moyens d'investigation et de prospection plus puissants, notamment pour mesurer la pollution de l'air et des sols, afin de disposer d'une vision globale des pollutions diffuses sur le territoire.
Cette proposition de loi est un premier cadre législatif amené à s'inscrire dans une échelle plus large, plus puissante, celle de l'Union européenne.
Les captages d'eau potable sont particulièrement observés pour analyser la qualité de l'eau. Mais nous ne disposons pas de ce regard pour l'ensemble des eaux consommées : c'est notamment le cas pour les eaux en bouteille. Or il faut rassurer les consommateurs et aller beaucoup plus loin dans ce domaine.
La question des moyens a été abordée : les deux millions d'euros sont largement insuffisants pour bâtir un programme de prévention et d'action. On constate que la complémentarité entre les différents acteurs concernés reste insuffisante. Or il faut mettre en place des politiques par gradient, c'est-à-dire identifier les territoires qui sont les plus touchés. Au-delà du coût de dépollution des sols, il importe de réduire la production de PFAS dans les processus industriels, tant en amont qu'en aval. Nous avons déposé des amendements en ce sens.
Même si ce texte ne l'aborde pas, nous devons aussi nous intéresser à la question du droit du travail, notamment pour les salariés travaillant en milieu industriel : ceux-ci subissent des pollutions problématiques. Nous devons adopter une politique beaucoup plus volontariste et trouver des produits de substitution. Aujourd'hui, des vies sont d'ores et déjà menacées.
Je salue le travail pertinent du rapporteur. Il est essentiel d'entériner cette première brique qui nous inscrit dans l'avenir.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Nous partageons tous les inquiétudes sur le plan de la santé évoquées par Damien Michallet.
Je suis élu de la métropole de Lyon et du nouveau Rhône. Le couloir de la chimie se situe dans mon territoire. C'est une chance sur le plan économique, mais ce n'est pas sans difficulté.
Certes, la pollution de l'eau est un problème important, mais n'écartons pas la question de la pollution de l'air : au nord du couloir de la chimie, la métropole de Lyon compte 1,4 million d'habitants. Comme l'a dit Jacques Fernique, il y a urgence à fermer le robinet.
J'ai rencontré de nombreux élus sur une ligne allant de Chasse-sur-Rhône, située dans le département de l'Isère, jusqu'à Pierre-Bénite. Ceux-ci m'ont fait part d'un problème : de nombreux retraités ne peuvent plus exploiter leur jardin, car les sols sont pollués. Or cela représentait pour eux un complément de revenus. Le Sénat devrait entendre ces élus, qui attendent des mesures immédiates.
Ce texte constitue une étape très intéressante.
Mme Kristina Pluchet. - Je pensais que les manifestations d'agriculteurs avaient servi de leçon : les agriculteurs, les entreprises, les Français en ont assez de cette surenchère normative et de ce millefeuille administratif qui gonfle chaque semaine.
Certes, les PFAS sont des substances polluantes, mais, comme l'Union européenne s'est saisie du sujet, quel est l'intérêt de faire non pas de la surtransposition, mais de la prétransposition ? On veut toujours aller plus loin, et ce sans étude d'impact.
Comme l'a rappelé Damien Michallet, cette prétransposition aura des impacts réels sur les syndicats d'eau. Je ne veux pas être responsable de ce coût supplémentaire qui leur sera imposé, alors qu'ils ne sont pas en mesure d'investir. J'en veux pour preuve la situation d'un syndicat d'eau situé sur le territoire de la communauté de communes Roumois Seine : la banque ne veut plus lui prêter de l'argent et il est obligé d'augmenter le prix de l'eau et de répercuter le surcoût sur les consommateurs avec toutes ces contraintes supplémentaires.
Nul besoin de faire de la surenchère, alors que la France a déjà supprimé 20 PFAS. Quel intérêt de mettre les agriculteurs, les entreprises et les Français aux abois ?
M. Philippe Tabarot. - Vous avez entendu l'expression de l'une des membres de notre groupe, qui s'est exprimée avec clarté et franchise.
Je retiens les propos du porte-parole de notre groupe sur ce texte, Damien Michallet. Le problème existe, nous ne le nions pas. Mais nous sommes d'accord avec le rapporteur : nous estimons qu'il s'agit avant tout d'une problématique européenne et nous ne voulons pas de surtransposition ou d'anticipation, comme l'a souligné Kristina Pluchet.
La protection et l'accompagnement des collectivités qui, sur le terrain, font face à des situations complexes sont indispensables. Au sein du groupe LR, nous estimons majoritairement que l'adoption de ce texte, sous réserve qu'il soit enrichi des amendements du rapporteur et de ceux de Damien Michallet, montrera que nous prenons en compte ce problème ; nous apportons des solutions qui n'anticiperont pas sur les décisions que prendra l'Union européenne d'ici à quelques années.
M. Michaël Weber. - Je suis assez surpris par ce débat, qui fait appel à des arguments sans lien avec ce texte. Ainsi de l'argument européen, utilisé quand cela nous arrange. Parfois, on reproche à l'Union européenne d'imposer des contraintes inadéquates ; parfois, on attend d'elle qu'elle accomplisse ce qui relève de notre travail.
J'ai bien compris l'argument consistant à attendre sa décision avant d'intervenir en France. Je ne suis toutefois pas certain que nous en ayons le temps. Nous avons toutes et tous des PFAS dans notre corps, c'est un problème de santé publique. Nous avons la responsabilité d'agir.
J'en appelle à la sagesse des uns et des autres : ce texte doit être adopté, tout en prévoyant l'accompagnement nécessaire pour les collectivités - nous y sommes tous attachés. Je ne comprendrais pas que le Sénat ne soit pas au rendez-vous de l'histoire.
M. Philippe Tabarot. - Je tiens à préciser mon propos : nous ne nous cachons pas derrière l'Union européenne. Mais nous avons bien souvent le sentiment d'être les seuls à faire ces efforts au niveau européen, avec des contraintes qui nuisent à la compétitivité de notre pays.
Pour qu'ils soient traités efficacement, ces problèmes doivent être examinés au niveau européen. Oui, le problème doit être traité, mais qu'un pays agisse seul n'aurait aucun sens : il faut aller de l'avant ensemble.
Mme Marta de Cidrac. - J'ai écouté avec attention les différentes positions sur ce sujet important.
Non, monsieur Weber, nous n'utilisons pas l'Union européenne comme excuse. Pourquoi surtransposer ou prétransposer un sujet qui sera examiné au niveau européen ? Souvent, le Sénat examine des textes visant à supprimer les surtranspositions : soyons donc cohérents.
Les PFAS sont un sujet très sensible. Nous pouvons être particulièrement vertueux, mais la France n'est pas une île isolée. Nous serons plus forts lorsque l'Europe se sera emparée du sujet : voilà la bonne démarche. Même si nous le votions dans les termes souhaités par le groupe écologiste, ce texte ne nous protégerait pas des PFAS venus d'ailleurs.
M. Hervé Gillé. - Remettons le sujet en perspective. La France n'est pas en avance en la matière : cinq autres pays européens ont déjà agi contre les PFAS. Nous nous inscrivons dans leur sillage.
Dans la balance coûts-bénéfices-risques, il faut bien sûr intégrer les enjeux économiques. L'eau est le domaine où les dangers sont les plus prégnants pour les consommateurs. Or c'est un sujet national : sur ces questions, la concurrence européenne est relative.
De nouvelles possibilités apparaissent dans de nombreux processus industriels : les gains technologiques nous permettront de gagner des parts de marché. Les industriels ont tout intérêt à faire évoluer les processus - ils en sont d'ailleurs conscients. Ces gains technologiques doivent être accompagnés à tous les niveaux : pourquoi ne pas envisager un programme national pour faire de la France le pays le plus performant en la matière ?
Ce texte ne menace pas les sols agricoles, bien au contraire. Nous ne pourrons pas en débattre à l'occasion de cette proposition de loi, mais nous proposons de financer les services rendus environnementaux, notamment la protection des aires de captage. Lorsque les agriculteurs agissent, il faut prévoir des compensations et s'inscrire dans une démarche gagnant-gagnant.
M. Alexandre Ouizille. - Du point de vue économique, regardons les choses de manière prospective.
Durant des années, certains groupes politiques ont voulu reculer l'échéance du passage à la voiture électrique. Or, aujourd'hui, les ports européens dégoulinent de voitures chinoises, car d'autres ont pris les devants et ont commencé à innover sur le plan technique bien avant nous.
Le schéma est identique avec les PFAS. En économie, il existe un phénomène de dépendance au sentier : vous avez tendance à réinvestir dans une technologie à laquelle vous êtes accoutumé. Or regardez ce qui se passe aux États-Unis : McDonald a banni les PFAS de tous ces emballages. Ce texte rend service aux industriels : ceux-ci seront obligés d'innover pour pouvoir bifurquer vers des technologies qui leur donneront demain un avantage concurrentiel. Le mouvement a déjà commencé : par exemple, certaines poêles comportent des mentions « sans PFAS ». On peut laisser l'appareil industriel pourrir dans des technologies rouillées, mais, pour anticiper les choses, il faut que l'État et le Parlement jouent un rôle d'aiguillon.
Chers collègues du groupe LR, je vous sais très préoccupés par la bonne gestion des deniers publics - à juste titre, d'ailleurs. Mais derrière les PFAS se cachent des dépenses sociales massives, avec des risques d'éclampsies, de cancers des testicules ou de cancers du rein : il faudra alors financer des affections de longue durée (ALD) par centaines de milliers. C'est pourquoi nous devons prendre des initiatives. Lorsque d'autres solutions sont possibles - certes pas pour tous les PFAS -, vous ne pouvez pas balayer le sujet d'un revers de main en rejetant l'idée d'édicter des normes.
Attendre l'Europe, c'est un peu En attendant Godot... Le Green Deal a fait l'objet de nombreuses coupes budgétaires. Jacques Fernique le disait tout à l'heure : l'Europe agira au plus tôt en 2029. Pendant ce temps, que fait-on ?
Monsieur Tabarot, vous disiez qu'il ne fallait pas se précipiter. Dans ma commune, Villers-Saint-Paul, une usine chimique se situe à 1 000 mètres de l'école. L'État doit opérer des contrôles pour protéger les enfants ; les habitants sont d'ailleurs satisfaits de constater que le législateur se saisisse du sujet.
Ce texte est équilibré, tout comme les amendements du rapporteur. Il vient en appui des collectivités locales - n'allez pas dire le contraire.
M. Jacques Fernique. - Il faut recentrer ce débat passionnant, qui se concentre sur un scénario : que notre pays agisse en cavalier seul, avant l'action de l'Union européenne.
Le rapporteur et les sénateurs du groupe LR ont déposé des amendements visant à supprimer l'article 1er bis A, qui a été introduit par la voie d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, alors qu'il ne s'inscrit pas véritablement dans l'esprit du texte. Au lieu de cibler les usages pour lesquels il est déjà possible de progresser, cet article pointe la possibilité d'actionner sur le plan national la clause de sauvegarde de l'article 129 du règlement REACH. Autrement dit, il a l'apparence d'une interdiction générale des PFAS, alors que cette procédure ne peut pas être déclenchée par le biais d'un article de loi. Qu'il soit présent ou non dans le texte final, l'article 1er bis A ne joue pas un rôle déterminant pour assurer la réussite de cette proposition de loi.
Au vu des amendements déposés, j'ai le sentiment qu'il est possible que nous adoptions ce texte tous ensemble.
Afin de contribuer à l'immédiateté de l'action publique, notamment afin d'aider les collectivités à assumer leurs responsabilités en matière de gestion de l'eau, le Sénat peut contribuer à améliorer ce texte.
M. Damien Michallet. - Cela va mieux en le disant : les apparences peuvent être trompeuses. L'objet de tous nos échanges porte sur cet article, pour lequel nos visions diffèrent radicalement, mes chers collègues. Avec cet article, l'usine située à 1 000 mètres de l'école peut fermer demain. C'est peut-être un objectif local, mais si celui-ci était maintenu sous cette forme, de nombreuses usines pourraient être conduites à la fermeture : ce n'est pas acceptable. Reconnaître qu'il introduit une vision dure de la transition est déjà une grande avancée.
Chers collègues de gauche, sur un tel sujet, il n'y a ni pour ni contre. Vous avez eu des mots durs ; or l'aspect sanitaire a primé lors de notre analyse de ce texte.
Monsieur le rapporteur, vous avez été clair : il existe un désaccord évident sur l'article 1er bis A. Cela dit, nous aurons l'occasion d'échanger en vue d'aboutir à un vote du texte.
Mme Kristina Pluchet. - Cette surenchère, ces pré-tranpositions, ces surtranspositions ont placé nos entreprises et nos agriculteurs dans une situation de concurrence déloyale ; c'est le cas pour la filière betterave, avec à la clé des dizaines de milliers d'emplois supprimés en France. Désormais, le sucre est cultivé en Belgique, avec les mêmes molécules qui sont interdites en France.
De telles dispositions ne peuvent plus être prises sans étude d'impact. Notre travail consiste à défendre les intérêts de la France et des Français.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - J'apporterai des réponses à certaines de vos interrogations lors de l'examen des amendements.
Pour réduire les intrants de PFAS et éviter leur accumulation, il faut mener ce débat à l'échelle européenne.
Plusieurs amendements visent à supprimer l'article 1er bis A.
Les consommateurs ont un rôle à jouer, surtout quand il existe des produits de substitution. Ils peuvent, par exemple, acheter des ustensiles de cuisine sans PFAS ; ainsi, ils envoient un signal aux industriels. Il faut agir, bien sûr, mais avec modération et progressivité, de façon à permettre aux industriels de s'adapter.
Il me revient de vous proposer le périmètre du texte au titre des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution.
Je vous propose d'inclure dans ce périmètre les dispositions relatives à la prévention des risques résultant de l'exposition aux substances PFAS ; à l'interdiction de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de produits contenant des substances PFAS ; au contrôle de la présence de substances PFAS dans les eaux ; enfin, à l'application du principe pollueur-payeur aux personnes dont les activités entraînent des rejets de substances PFAS dans l'eau.
M. Jacques Fernique. - Restreindre le périmètre aux seuls milieux aqueux pose problème. Les auditions ont montré que le milieu de l'air était aussi concerné.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Je précise que c'est à l'aune du texte initial qu'est apprécié ce périmètre.
Le périmètre est adopté.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Concernant les amendements COM-6 rectifié bis, COM-23 et COM-24, seule une démarche conduite de façon concertée à l'échelle de l'Union européenne permettra la régulation efficace du recours aux PFAS. Pour autant, et compte tenu du calendrier prévisionnel de cette proposition de restriction, j'estime légitime d'avancer, de façon circonstanciée, sur des mesures de restriction à l'échelle nationale. Mais, selon moi, il faut pour cela que plusieurs critères soient réunis.
Je pense notamment au contact direct avec le public ou encore au fait que les restrictions nationales ne se traduisent pas par une hausse des importations de produits contenant des PFAS. Dans le cas des ustensiles de cuisine, le second critère n'est malheureusement pas respecté. Je crains en effet qu'une interdiction nationale ne se solde par des délocalisations de productions ou par un accroissement des importations de produits fabriqués à l'étranger contenant ces substances. Il sera en effet impossible de contrôler la teneur des produits importés compte tenu du principe de libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur. En la matière, l'échelle européenne est donc la meilleure. Aussi, j'émets un avis défavorable sur les amendements COM-6 rectifié bis, COM-23 et COM-24.
Concernant les amendements identiques COM-2 rectifié et COM-14, je ne suis pas favorable à la suppression de l'alinéa 9 visant à interdire les textiles, hors habillement, contenant des PFAS à compter de 2030. Cette date correspond peu ou prou au calendrier qui devrait être retenu au niveau européen. L'échéance est suffisamment éloignée pour permettre à nos industriels de s'adapter à la réglementation, sans qu'il n'y ait de risques manifestes de substitution par des produits importés. Avis défavorable sur les amendements identiques COM-2 rectifié et COM-14.
Plutôt que de supprimer l'alinéa 9, je propose, par mon amendement COM-29, de le compléter en prévoyant des dérogations par décret pour les textiles nécessaires à des « utilisations essentielles » - notion qui devrait faire l'objet d'une définition européenne dans le cadre du règlement REACH -, mais aussi pour ceux qui contribuent à l'exercice de la souveraineté nationale et pour lesquels il n'existe pas d'alternative.
L'amendement COM-39 tend à s'appuyer sur un règlement européen pour définir les textiles concernés par l'interdiction à échéance 2030. Par ailleurs, le règlement européen cité a un tout autre objet que celui qui nous réunit aujourd'hui. S'y référer ne me semble donc pas pertinent. Avis défavorable.
Concernant l'amendement COM-37, enfin, il me semble que l'exclusion des fluoropolymères de l'interdiction des textiles contenant des PFAS en 2030 n'est pas justifiée scientifiquement. S'ils sont plus faiblement mobiles dans l'environnement et qu'ils présentent des risques moindres de bioaccumulation du fait de leur plus grande taille, les PFAS polymères ne sont pas sans poser de difficultés pour la santé et l'environnement dès lors que leur impact est étudié sur l'ensemble du cycle de vie des produits ou des biens d'équipements concernés. En effet, ces substances peuvent se dégrader en PFAS non-polymères dans les milieux ou au cours du cycle de vie. En outre, des PFAS non-polymères sont utilisés pour fabriquer les polymères. Une évaluation des politiques publiques publiée dans la revue Environmental Science & Technology en 2020 et consacrée aux fluoropolymères concluait que leur utilisation « devrait être réduite, sauf dans les cas d'utilisations essentielles ». Avis défavorable.
M. Hervé Gillé. - Je tiens à souligner que la présentation globale de ces nombreux amendements - qui sont certes en discussion commune - ne permet pas de prendre position facilement.
Les amendements identiques COM-2 rectifié et COM-14 ne sont pas adoptés, non plus que les amendements COM-23, COM-24, COM-39, COM-37 et COM-6 rectifié bis. L'amendement COM-29 est adopté.
M. Jean-François Longeot, président. - Les modalités de discussion des amendements ne dérogent pas à nos pratiques habituelles de placer en discussion commune des amendements portant sur le même objet.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Je suis favorable à l'amendement COM-4 rectifié bis, qui précise le champ d'application de l'alinéa 8, en incluant les chaussures et des agents imperméabilisants applicables aux textiles et aux chaussures. Je remercie son auteur pour avoir effectué l'ajustement rédactionnel demandé. En revanche, je suis défavorable à l'amendement COM-16, M. Saïd Omar Oili n'ayant pas, à la différence de M. Rochette, rectifié son amendement dans le sens que je souhaitais.
L'amendement COM-4 rectifié bis est adopté. En conséquence, l'amendement COM-16 devient sans objet.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Concernant la présence de PFAS dans les mousses anti-incendie, des travaux européens ont d'ores et déjà été engagés.
Je rappelle ainsi que les mousses sont spécifiquement abordées dans le cadre du règlement REACH. Cette démarche a été initiée avant le fameux projet de restriction universelle des PFAS défendu par cinq États de l'Union européenne.
Dans ce cadre, l'Agence européenne des produits chimiques a proposé d'interdire tous les PFAS dans les mousses anti-incendie, avec une période de transition. En juin 2023, les comités consultatifs de l'agence ont émis un avis favorable à l'interdiction des PFAS dans ces produits.
J'ai d'ores et déjà sollicité la Fédération française des métiers de l'incendie, qui a émis des réserves quant à l'idée d'interdire les mousses anti-incendie contenant des PFAS. N'ayant pas, à ce stade, d'éléments suffisamment précis concernant le calendrier de cette interdiction européenne, et ne percevant pas entièrement les avantages et inconvénients d'une éventuelle anticipation au niveau national, je préfère poursuivre mes consultations et émettre un avis défavorable sur les amendements COM-8 rectifié bis et COM-22. Je m'engage toutefois à creuser le sujet d'ici à l'examen en séance publique.
M. Jacques Fernique. - Il faut en effet faire avancer cet amendement en vue de la séance. Le Danemark, par exemple, a d'ores et déjà interdit ces mousses. Des solutions existent pour les formations des pompiers. Ces entraînements sont souvent l'occasion d'écouler les stocks quand ils arrivent à péremption. Or les agences de l'eau savent que les nappes aux abords des gros aéroports sont déjà largement contaminées. Sur internet, on trouve déjà facilement des mousses sans PFAS efficaces sur des feux d'hydrocarbures.
Les amendements COM-8 rectifié bis et COM-22 sont retirés.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a pour rôle l'identification des valeurs toxicologiques de référence (VTR) pour les différentes PFAS.
Or l'objet de mon amendement COM-28 est de permettre des dérogations aux interdictions de mise sur le marché de produits contenant des PFAS de façon résiduelle. L'objectif n'est pas de fixer une norme sanitaire, ce qui relève du rôle de l'Anses, mais un seuil permettant de qualifier la présence de traces non intentionnelles dans ces produits.
Avis défavorable sur le sous-amendement COM-40.
M. Jacques Fernique. - L'Anses est en effet spécialiste de l'élaboration des VTR. Elle est cependant l'institution la plus à même d'accompagner le Gouvernement dans la rédaction de ce décret, au regard du travail de mutualisation qu'elle mène avec les autres agences sanitaires européennes. Il est préférable de l'inscrire explicitement dans le texte, car ces valeurs résiduelles sont source d'inquiétude : ne laissons pas croire qu'elles seraient définies en fonction d'intérêts économiques.
Le sous-amendement COM-40 n'est pas adopté.
L'amendement COM-28 est adopté, de même que les amendements COM-30 et COM-31.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement COM-32 vise à préciser le contenu de la carte, prévue au II de l'article 1er, de l'ensemble des sites ayant pu émettre ou émettant des substances PFAS dans l'environnement. Il prévoit en effet que cette carte soit accompagnée de mesures quantitatives de ces substances dans les milieux, dès lors que ces données sont disponibles.
Par ailleurs, cet amendement tend à supprimer l'alinéa 13 relatif à l'établissement d'une liste de communes exposées à un danger élevé ou très élevé d'exposition. Au-delà du caractère discriminatoire que pourrait présenter une telle liste pour la population des communes concernées, son principe même apparaît hasardeux et peu opportun. En effet, définir un niveau de dangerosité suivant une maille communale pose des difficultés pratiques de mise en oeuvre au regard de la diversité des critères susceptibles d'être utilisés : on peut parler de la concentration de PFAS dans les milieux, du nombre d'installations rejetant des PFAS, de la présence d'habitations à côté de ces installations...
Les amendements identiques COM-5 rectifié et COM-17, qui prévoient également la suppression de l'alinéa 13, seraient donc satisfaits par l'adoption de mon amendement.
Sur les amendements COM-7 rectifié bis et COM-13 rectifié bis, avis défavorable, car je propose la suppression de l'alinéa 13.
M. Hervé Gillé. - L'élaboration de listes communales permettrait d'engager de premières actions de prévention et d'accompagnement. Nous sommes favorables à la mobilisation de moyens pour accompagner les collectivités concernées. Or, sur ce point, il serait souhaitable que l'échelon intercommunal s'affirme davantage, notamment au travers des plans communaux de sauvegarde (PCS) et des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI).
On peut entendre l'effet de stigmatisation qui résulterait d'une telle liste. Pour autant, il faut commencer à identifier les situations les plus préoccupantes dans les documents d'accompagnement à toutes les échelles, notamment à celle du département, en relation avec les services d'État. La question des gradients est fondamentale, car si la pollution est mondiale, certaines zones sont plus touchées que d'autres. Nous allons donc nous abstenir.
M. Pierre Jean Rochette. - Cette liste pourrait se révéler une véritable bombe pour nos territoires. Elle aurait un effet désastreux pour les communes - sans oublier les ménages : cela reviendrait à ruiner les Français qui ont acheté un bien immobilier dans l'une des communes concernées. Mettons-nous aussi à la place des maires ! Nonobstant l'importance de ce sujet, la méthode n'est pas la bonne. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement de suppression.
L'amendement COM-32 est adopté. En conséquence, les amendements identiques COM-5 rectifié et COM-17 et les amendements COM-13 rectifié bis et COM-7 rectifié bis deviennent sans objet.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-33, COM-3 rectifié, COM-15 et COM-19 rectifié ont pour objet la suppression de l'article 1er bis A. Celui-ci présente plusieurs fragilités qui le rendent tout à fait inopérant.
Premièrement, il prévoit de porter au niveau législatif le recours à la clause de sauvegarde du règlement REACH pour interdire l'ensemble des PFAS sur le territoire français, alors même que l'activation de cette clause est déjà possible par arrêté, en application du code de l'environnement.
Deuxièmement, il est purement incompatible avec l'article 1er du texte, puisqu'il tend à interdire l'ensemble des PFAS dans tous les domaines et dès promulgation du texte, là où l'article 1er privilégie une approche circonstanciée, secteur par secteur, en priorisant des usages du quotidien.
Troisièmement, une interdiction pure et simple à l'échelle nationale se traduirait par un affaiblissement de notre tissu industriel et économique français - à l'heure où nous parlons pourtant de réindustrialisation ! -, et ce, au profit des entreprises étrangères qui, elles, ne seraient pas soumises aux mêmes interdictions. En tout état de cause, une telle décision aurait de dangereuses conséquences socioéconomiques et entraînerait une augmentation des importations, y compris celles incluant des PFAS. C'est pourquoi je défends résolument une approche coordonnée à l'échelle européenne.
Enfin, en tout état de cause, la clause de sauvegarde du règlement REACH prévoit que la Commission européenne a soixante jours pour se prononcer sur des projets nationaux d'interdiction. Il y a fort à parier, compte tenu de la portée générale du dispositif, qu'une telle interdiction soit suspendue, auquel cas cette mesure serait de facto inopérante.
Pour l'ensemble de ces raisons, j'émets un avis favorable sur les amendements identiques COM-33, COM-3 rectifié, COM-15 et COM-19 rectifié.
Quant à l'amendement COM-38, j'y suis défavorable, non seulement parce qu'il est incompatible avec mon amendement de suppression de l'article 1er bis A, mais aussi parce qu'en creux, il invite à opérer une distinction entre les différents types de PFAS, alors même qu'il est nécessaire de les traiter comme une seule et même famille.
M. Jacques Fernique. - Comme je l'ai expliqué, l'article 1er bis A n'est pas opérationnel et ne correspond pas à la démarche de cette proposition de loi : il a tout l'air d'un épouvantail. Nous allons nous abstenir.
Les amendements identiques COM-33, COM-3 rectifié, COM-15 et COM-19 rectifié sont adoptés. En conséquence, l'amendement COM-38 devient sans objet.
L'article 1er bis A est supprimé.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement COM-25 a pour objet l'élargissement de la trajectoire de réduction des rejets aqueux de PFAS issus des installations industrielles aux rejets atmosphériques. Or, pour l'heure, il n'existe pas de norme européenne ni française permettant de mesurer les PFAS en sortie de cheminée. Cette mesure paraît donc prématurée. Des méthodes sont à l'étude, mais leur fiabilité doit encore être démontrée. Avis défavorable.
M. Jacques Fernique. - Le rapport du député M. Cyrille Isaac-Sibille préconise d'en finir avec les rejets industriels, aqueux et atmosphériques, issus de la fabrication des PFAS. Il est vrai que le coût et le manque de fiabilité des mesures des PFAS dans l'atmosphère représentent un frein pour les services chargés de la lutte contre la pollution de l'air. Mais cet article ne détaille pas une démarche toute ficelée qu'il suffirait de mettre en route. Il décline une trajectoire nationale de réduction progressive des rejets aqueux, que nous devrions également engager pour les rejets atmosphériques.
M. Alexandre Ouizille. - N'oublions pas que la chimie est une activité de précision. Les industriels savent quelle quantité de PFAS est rejetée dans l'air par les procédés qu'ils utilisent. Par ailleurs, Atmo a développé plusieurs outils, même s'ils manquent encore de précision. Il serait sans doute utile de travailler à l'élaboration d'une proposition consensuelle sur ce point avant l'examen du texte en séance.
M. Hervé Gillé. - Je veux souligner l'intérêt de cet élargissement aux rejets atmosphériques. Atmo expérimente une surveillance de ces rejets, en lien avec les agences régionales de santé (ARS), qui ouvrent des programmes d'action et d'observation dans le cadre des plans régionaux santé environnement (PRSE). Il serait dommage de ne pas opérer cet .élargissement.
M. Jacques Fernique. - Je suis d'accord pour retravailler cet amendement en vue de la séance. Néanmoins, si nous parvenons à une proposition consensuelle, il ne faudrait pas que le périmètre soit invoqué pour faire rejeter d'emblée notre amendement !
M. Jean-François Longeot, président. - Sans connaître le contenu de l'amendement que vous proposerez, je ne peux pas me prononcer sur son sort.
L'amendement COM-25 est retiré.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Les auteurs de l'amendement COM-20 proposent d'encadrer plus précisément la liste des PFAS concernés par la trajectoire de réduction progressive des rejets aqueux issus des installations industrielles, par un renvoi à la liste établie par l'arrêté de juin 2023. Néanmoins, cela reviendrait à en figer le contenu, alors même que le nombre de PFAS ciblés pourrait être amené à évoluer au gré des capacités des laboratoires à mesurer la présence d'autres substances.
C'est pourquoi je vous proposerai un amendement COM-34 visant à renvoyer à un décret la liste des substances concernées. Cette liste pourra prendre en compte les substances citées par l'arrêté du 20 juin 2023, mais aussi d'autres substances techniquement quantifiables.
M. Jacques Fernique. - Le polyfluorure de vinylidène (PVDF), substance essentiellement utilisée dans les batteries, qu'il soit fabriqué de manière classique, avec des tensioactifs, ou par un procédé plus vertueux, ne peut être exonéré de l'impérieuse obligation d'éviter les rejets aqueux et atmosphériques lors de l'étape cruciale de synthèse. Certes, pendant la phase d'utilisation de la batterie, ce composant est inerte et ne pose pas de problème pour le vivant. Pour autant, pour appréhender le potentiel danger qu'il représente, il faut prendre du recul et analyser tout son cycle de vie.
Ainsi, contrairement à ce que prétendent les auteurs de l'amendement, le PVDF est produit selon des procédés anciens à partir de fluorosurfactants, sur des sites comme celui de Pierre-Bénite. De même, en fin de vie du produit, lorsque les déchets ne sont pas traités spécifiquement, des fragmentations s'opèrent, ce qui altère le métabolisme cellulaire.
L'article 1er bis vise à la réduction des émissions aqueuses. Le PVDF ne peut faire l'objet d'aucune exception, même si son usage est essentiel pour la transition des mobilités.
L'amendement COM-20 n'est pas adopté. L'amendement COM-34 est adopté.
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 1er bis (nouveau)
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement COM-18 rectifié prévoit que le Gouvernement se dote d'un plan d'action interministériel pour le financement de la dépollution des eaux destinées à la consommation humaine gérées par les collectivités territoriales.
Cet amendement est tout à fait opportun. En effet, la redevance prévue à l'article 2 de la proposition de loi permettra d'apporter de nouvelles ressources pour financer la surveillance et la dépollution des eaux, et ainsi appuyer les collectivités territoriales. Pour autant, son produit ne sera pas suffisant pour répondre à l'ensemble des besoins en matière de dépollution. C'est pourquoi la définition d'un plan de financement de la dépollution des eaux un an après la promulgation de ce texte doit être une priorité. Avis favorable.
L'amendement COM-18 est adopté et devient article additionnel.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement COM-21 tend à restreindre la liste des PFAS concernées pour les limiter à celles qui sont mentionnées à l'article 3 de l'arrêté du 20 juin 2023. Comme je l'ai indiqué précédemment, il ne me semble pas opportun de figer la liste des substances concernées par les dispositifs de la proposition de loi en renvoyant à un arrêté. Il conviendrait davantage d'indiquer que la liste des substances concernées sera précisée par décret, et d'ajuster l'assiette aux capacités des laboratoires, car de nouvelles substances pourront sans doute être quantifiables dans les années à venir. Avis défavorable.
Mon amendement COM-35 vise à préciser que la redevance ne s'applique qu'aux rejets nets des exploitants. Il est en effet probable qu'une partie notable des installations concernées rejettent des PFAS présentes dans l'eau pompée en amont pour usage sur site, sans que leur procédé industriel n'en ajoute. Les rejets nets pourront ainsi être déterminés en mesurant les PFAS en amont et en aval des industries concernées.
L'amendement COM-12 rectifié bis vise à augmenter le taux de la taxe pour le porter de 100 euros par 100 grammes à 200 euros par 100 grammes. À ce stade, il me semble préférable d'en rester au taux proposé dans le texte de l'Assemblée nationale afin d'avoir du recul sur les conséquences de cette nouvelle taxe avant d'envisager de la faire évoluer - nous pourrions le faire lors des projets de loi de finances. Avis défavorable.
Les amendements COM-21 et COM-12 rectifié bis ne sont pas adoptés. L'amendement COM-35 est adopté. L'amendement COM-36 est adopté.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-1, COM-10 rectifié bis et COM-27 visent à créer une nouvelle redevance pour pollution issue des produits contenant des PFAS. Je partage l'intention de cet amendement, puisqu'en effet, cette pollution n'est pas exclusivement générée par ICPE, mais elle résulte d'un grand nombre de produits que nous utilisons au quotidien. En outre, la création d'une telle redevance permettrait, en théorie, de prendre en compte les contaminations liées aux produits fabriqués à l'étranger.
Cela étant, une telle redevance semble, dans les faits, impossible à définir, car elle supposerait de connaître la composition de chaque produit mis sur le marché, y compris ceux qui sont importés. De surcroît, un travail est d'ores et déjà engagé à l'échelle de l'Union européenne pour mettre en oeuvre une filière à responsabilité élargie du producteur (REP) sur les micropolluants ; il me semble là aussi préférable de s'inscrire dans une réflexion à l'échelle européenne. Avis défavorable.
M. Jacques Fernique. - Ce mécanisme de contribution des émetteurs existe déjà sur le marché des pesticides. Il faut en effet réaliser un travail de sécurisation juridique pour le contrôle de la composition des produits. C'est ce qui est engagé au travers du règlement REACH. Cette proposition est intéressante, et le plan de financement pour la dépollution de l'eau que nous avons voté s'appuiera sur des outils de cette nature.
M. Hervé Gillé. - Même avis.
Les amendements identiques COM-1, COM-10 rectifié bis et COM-27 ne sont pas adoptés.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Le code de la santé publique précise déjà que les agences régionales de santé sont chargées du contrôle sanitaire des eaux conditionnées, ce que confirme d'ailleurs le site de l'ARS de la Nouvelle-Aquitaine. En outre, un arrêté du 14 mars 2007 fixe des critères de qualité de l'eau en bouteille. Son annexe I définit d'ailleurs des seuils limites pour un certain nombre de PFAS.
L'amendement COM-9 rectifié bis me semble donc satisfait par le droit en vigueur, mais je suis prêt à creuser ce point d'ici à la séance publique, tant je comprends les inquiétudes soulevées par le récent scandale de la contamination des eaux en bouteille. Avis défavorable.
M. Hervé Gillé. - Le rapporteur l'a souligné : nous sommes dans un moment très particulier. N'oublions pas que des systèmes de microfiltration sont utilisés pour traiter des eaux minérales, alors que la directive européenne - qui n'est toujours pas transposée - et la réglementation française l'interdisent.
Nous devons donc aller plus loin. Même si la quantité de PFAS observée était inférieure aux seuils, il faudrait malgré tout limiter la consommation de l'eau en bouteille en raison de son impact sur la santé humaine. J'entends la position du rapporteur, mais je maintiens mon amendement. Peut-être nos positions respectives évolueront-elles sur le sujet d'ici la séance publique.
L'amendement COM-9 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 2 bis est adopté sans modification.
Après l'article 2 bis (nouveau)
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - Je comprends l'intention de l'auteur de l'amendement COM-26, qui prévoit d'assujettir les PFAS à la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur les émissions atmosphériques. J'y suis toutefois opposé, puisqu'une telle taxe serait, dans les faits, inapplicable.
Actuellement, il n'existe pas de norme européenne ni française permettant de mesurer les PFAS en sortie de cheminée dans les rejets à l'atmosphère. Le développement d'une méthode d'analyse constitue d'ailleurs l'un des premiers axes du plan d'action interministériel sur les PFAS. Avis défavorable.
L'amendement COM-26 n'est pas adopté.
M. Bernard Pillefer, rapporteur. - L'amendement COM-11 rectifié bis vise à rétablir une disposition supprimée en commission à l'Assemblée nationale, tendant à créer une taxe additionnelle sur les bénéfices générés par les industries rejetant des PFAS. Cette taxe présente deux principales limites. D'une part, le taux de la taxe n'est pas proportionnel au volume de rejets de PFAS, ce qui ne répond pas à une logique de pollueur-payeur. Ainsi, qu'une entreprise génère 1 gramme ou 10 kilos de PFAS, elle sera soumise à la même taxe. D'autre part, cette taxe vient s'ajouter à la création d'une première redevance prévue à l'article 2 de la proposition de loi qui porte elle aussi sur les installations émettrices de PFAS. Avis défavorable.
L'amendement COM-11 rectifié bis n'est pas adopté.
L'article 3 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
M. Jean-François Longeot, président. - Je tiens à remercier le rapporteur pour son excellent travail. Nos discussions ont témoigné de sa connaissance du sujet, malgré le peu de temps dont il a disposé pour préparer ce texte - d'autant qu'il s'agissait pour lui d'un premier exercice. Je salue également l'esprit constructif qui a présidé à l'examen du rapport et de la proposition de loi.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens au second point de notre ordre du jour. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur pour avis sur la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie.
Nous savons tous, au sein de cette commission, que l'accélération de la transition énergétique est essentielle pour atteindre nos objectifs climatiques. Un débat démocratique sur ce sujet central est indispensable. C'est pourquoi la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi Énergie-climat, a instauré le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, permettant au Parlement de participer activement aux discussions sur le mix énergétique.
Cependant, le Gouvernement a annoncé le 10 avril 2024 qu'il renonçait à déposer un tel projet de loi. Nous regrettons cette décision. Heureusement, une proposition de loi déposée par nos collègues Daniel Gremillet, Dominique Estrosi Sassone et Bruno Retailleau, qui sera examinée en séance publique les 11 et 12 juin prochain, comble ce vide et nous offre l'occasion de débattre de la question cruciale de l'énergie.
Cette proposition de loi de programmation énergétique, envoyée au fond à la commission des affaires économiques, concerne bien évidemment également notre commission qui a pu démontrer son expertise dans les sujets relatifs aux énergies renouvelables, au cours des débats relatifs à la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, puis à la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
C'est la raison pour laquelle il m'a semblé indispensable que notre commission se saisisse pour avis de cette proposition de loi et puisse apporter son regard en complément de celle des affaires économiques.
La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi n° 555 (2023-2024) portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie et désigne M. Didier Mandelli rapporteur pour avis.
La réunion est close à 11 h 15.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Énergie, climat, transports - « Politique européenne des transports : enjeux et défis de la prochaine mandature » - Audition de MM. Jean-Philippe Peuziat, directeur du département Affaires publiques et européennes de l'Union française des transports publics et ferroviaires (UTP), Pierre Leflaive, responsable transports de Réseau Action Climat - France, Florent Moretti, conseiller transports à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, Denis Saada, président de la verticale Nouvelles Mobilités au sein de l'Alliance des mobilités
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Mes chers collègues, avec cette table ronde sur les enjeux européens en matière de politique des transports, nous avons souhaité, à la veille des élections du 9 juin prochain, établir un rapide bilan de ce qui a été réalisé au cours de la mandature qui s'achève. Les initiatives de la Commission européenne dans ce domaine ont été particulièrement nombreuses. Nous voulions, surtout, enrichir notre réflexion sur les multiples défis auxquels devra faire face le secteur des transports. Je pense notamment au verdissement des véhicules ou aux mobilités du quotidien.
Cette table ronde, à laquelle je vous remercie d'avoir accepté de participer, est organisée conjointement par la commission des affaires européennes et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, ce dont je me réjouis.
Le Pacte vert, qui traduit l'engagement concret de l'Europe en faveur de la transition climatique et dont l'application est aujourd'hui très commentée et parfois contestée, a des implications particulièrement fortes pour l'ensemble du secteur des transports.
En effet, celui-ci représente l'activité la plus émettrice de gaz à effet de serre dans l'Union européenne et en France : les acteurs du transport doivent donc contribuer, de façon prioritaire, à l'évolution déjà engagée vers une économie zéro carbone, notamment à l'ambition affichée par l'Europe de s'affranchir de sa dépendance aux combustibles fossiles. Décarboner les mobilités et promouvoir des modes de transport durables - incluant le ferroviaire et le fret intermodal : tels sont les deux axes de la future politique européenne des transports.
Pour atteindre ses objectifs de décarbonation particulièrement ambitieux, fixés dans le Pacte vert puis déclinés dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », l'Union européenne s'est engagée dans une politique d'incitation plus ou moins contraignante de décarbonation des transports maritime, aérien, et bien entendu routier.
Des efforts ont aussi été réalisés, au cours de la mandature actuelle, pour développer les infrastructures et faciliter les interconnexions entre les différents réseaux de transports dans l'Union européenne. À ce titre, il faut souligner l'accord obtenu sur le règlement relatif au réseau transeuropéen de transport (RTE-T), dont les priorités doivent aussi s'inscrire dans le cadre des engagements climatiques européens.
Un texte a dominé la question de la décarbonation : celui qui prévoit la fin de la commercialisation des véhicules à moteur thermique en 2035. Cet accord a suscité des inquiétudes chez nos voisins allemands et continue d'ailleurs à faire débat en Europe et dans notre pays. L'électrification des véhicules individuels, mais aussi des bus et cars, soulève de nombreuses questions, comme celle de leur empreinte carbone durant l'ensemble de leur cycle de vie ou de l'accompagnement social des ménages les plus vulnérables.
La profonde transformation à mener aura de fait un impact majeur sur les ménages, les entreprises, nos économies et nos sociétés, bref, nos modes de vie, comme le Sénat l'a souligné dans sa résolution d'avril 2022, fruit d'un travail commun entre trois commissions, dont les deux ici réunies. Cette table ronde est l'occasion de dresser un bilan du chemin déjà parcouru et d'apprécier l'ampleur des mutations restant à opérer.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je remercie Jean-François Rapin d'avoir pris l'initiative de cette table ronde, alors que les élections européennes approchent à grands pas.
Le secteur des transports est à la croisée de multiples défis - industriels, économiques, écologiques et sociaux - que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable aborde très régulièrement dans le cadre de ses travaux législatifs et de contrôle. Nombre de ces sujets ont une forte dimension européenne. C'est pourquoi il est indispensable pour les législateurs que nous sommes d'anticiper dès aujourd'hui la prochaine mandature en identifiant les enjeux auxquels les politiques de transports sont confrontées et la manière dont l'Union européenne pourrait y répondre.
Je remercie l'ensemble des intervenants pour leur présence et souhaite les interroger sur trois points.
Premièrement, j'aimerais aborder la mise en oeuvre du marché carbone européen : tandis que le transport aérien y était déjà soumis, le transport maritime a été intégré au système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (Seqe-UE), le 1er janvier 2024. Le transport routier devrait, quant à lui, faire l'objet d'un marché carbone dédié qui sera progressivement mis en place à compter de 2027. Quel regard portez-vous sur l'application du marché carbone au secteur des transports ? Identifiez-vous des correctifs à y apporter ? La tendance baissière constatée depuis plusieurs semaines sur le prix de la tonne de CO2 du fait de la stabilisation du prix du gaz suscite-t-elle des inquiétudes pour l'efficacité du système ?
Pour le secteur aérien en particulier, comment le marché carbone européen peut-il inciter les compagnies à utiliser des carburants d'aviation durable, en cohérence avec le règlement ReFuel EU Aviation, qui prévoit une trajectoire d'incorporation croissante jusqu'en 2050 ? Plus largement, comment ce cadre interne s'articulera-t-il avec le régime de compensation et de réduction de carbone pour l'aviation internationale (Corsia) ?
Une part du produit issu de la vente aux enchères des quotas carbone doit alimenter le Fonds social pour le climat créé par l'Union européenne, afin d'accompagner financièrement les ménages vulnérables dans la transition énergétique. Est-il prévu que les ressources issues des quotas carbone des transports soient spécifiquement fléchées vers le verdissement de ce secteur ? Si oui, pensez-vous que les moyens seront à la hauteur des besoins ?
Deuxièmement, je souhaite évoquer la politique européenne en matière de décarbonation des transports. S'agissant du secteur maritime, quel regard portez-vous sur la trajectoire de décarbonation prévue par l'Union européenne à horizon 2030 et 2050 ? Qu'en est-il de la place accordée aux énergies dites de transition que pourraient être le gaz naturel liquéfié (GNL), le gaz de pétrole liquéfié (GPL) et les énergies de synthèse dans cette trajectoire ? Dans la mesure où le transport maritime s'inscrit dans un marché mondialisé, les ports et armateurs européens sont en partie tributaires des solutions de décarbonation développées par leurs concurrents. Cette situation peut se traduire par une forme d'attentisme industriel. Selon vous, quel rôle pourrait jouer l'Union européenne pour identifier les innovations pertinentes et orienter de manière adéquate les investissements en matière de décarbonation du transport maritime ? Je laisserai mes collègues aborder plus en détail la décarbonation des secteurs routiers et aériens, qui soulève également des enjeux sensibles au niveau européen.
Troisièmement, le rail français s'ouvre progressivement à la concurrence depuis 2020, avec un certain « train de retard » par rapport à certains de nos voisins européens - si vous me permettez l'expression ! Comment l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire s'est-elle passée ailleurs en Europe ? Quelles sont les réussites dont nous pourrions nous inspirer, et quels écueils devrions-nous éviter ?
Sur un tout autre sujet, je voudrais profiter de la présence en visioconférence de M. Florent Moretti, conseiller transports à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, pour faire un point d'étape sur le projet de ligne Lyon-Turin. Compte tenu d'un remaniement ministériel, il y a eu quelques atermoiements, en janvier dernier, au moment de déposer auprès de l'Union européenne la demande de cofinancement des études portant sur la section française du chantier. Le dossier a pu être déposé in extremis, ce qui était essentiel pour sécuriser la réalisation des voies d'accès au tunnel. Où en est ce dossier ?
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous allons donner la parole à chacun des intervenants pour un propos liminaire de dix minutes.
Monsieur Moretti, quels ont été à vos yeux les points les plus durs dans la négociation à vingt-sept des grandes législations européennes récentes en matière de transports ? Quels défis pose à présent l'application de ces textes ?
M. Florent Moretti, conseiller transports à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. - C'est toujours volontiers que la représentation permanente de la France vous livre son analyse de la situation depuis Bruxelles. Le moment est particulièrement opportun pour faire un bilan de la mandature qui s'achève et dégager les tendances pour le début de la suivante.
Inscrite dans la trajectoire du Pacte vert, dont l'objet est de mettre l'Union sur la voie de la neutralité climatique, la politique européenne des transports se décline au travers de la stratégie pour une mobilité durable et intelligente, dont l'objectif est la réduction de 90 % des émissions des transports d'ici à 2050. Cette stratégie au champ très large intègre quatre-vingt-deux mesures visant au développement du véhicule et du transport zéro émission, à une mobilité urbaine plus durable, au verdissement du transport de fret, à la tarification du carbone ou encore au renforcement du marché unique.
Des avancées importantes ont été réalisées sous cette législature, d'autant plus au regard des crises importantes qui l'ont traversée - même si toutes les actions programmées n'ont pu être adoptées.
Le principal train de mesures à souligner est le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui a posé des jalons importants pour la décarbonation des transports. Le règlement sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (Afir) a ainsi programmé le déploiement des réseaux de recharge en électricité. Le règlement Euro 7 a renforcé les normes d'émission des véhicules légers. D'autres mesures ont été prises, telles que l'incorporation de carburant durable pour l'aviation et le maritime, et la création - étape très importante - d'un système d'échange de quotas pour le transport routier qui entrera en vigueur en 2027.
Cette dernière année a été particulièrement marquée par la révision du règlement sur le réseau transeuropéen de transports. Ce texte structurant pour les politiques européennes de transport a fait évoluer la carte de ce réseau et des corridors, et renforcé les objectifs de performance que les infrastructures qui le composent doivent atteindre, ainsi que le rôle de la Commission européenne dans le suivi de ce plan.
Ces obligations sont assorties d'une source de financement - le mécanisme d'interconnexion pour l'Europe - fléchée en priorité vers les transports transfrontaliers, comme, en France, le tunnel Lyon-Turin ou le canal Seine-Nord Europe. J'en profite pour vous confirmer que le dossier de demande de subvention pour la réalisation des travaux du tunnel Lyon-Turin et des études concernant les accès a bien été déposé dans les échéances imparties auprès de la Commission européenne. Les résultats de l'appel à projets doivent être communiqués en juin.
Sous la présidence belge actuelle, la fin de la législature est marquée par l'examen du paquet sur le verdissement du fret et de certaines dispositions sur la sécurité routière.
Concernant le verdissement du fret, nous examinons, au Conseil, un projet de règlement sur les capacités ferroviaires. Érigé en priorité par la présidence belge, ce texte doit permettre de mieux utiliser la capacité disponible en renforçant l'harmonisation des règles d'allocation des sillons entre les États. Cette proposition est soutenue par la France et, si les discussions avancent comme prévu, devrait être adoptée par le Conseil des ministres européens des transports en juin. Le Conseil et le Parlement ont également récemment voté en faveur d'un règlement sur la communication des émissions de gaz à effet de serre des services de transport. Il sera d'application volontaire, mais lorsque des entreprises et des fournisseurs de services de transport souhaiteront communiquer sur les émissions liées, ils devront utiliser cette méthode harmonisée. Fait marquant, ce règlement s'est inspiré de la législation française.
Par ailleurs, nous travaillons à la révision de la directive relative aux dimensions et poids pour accorder des bonus de poids plus importants aux véhicules zéro émission et faciliter la circulation des camions plus longs et plus lourds. Cette proposition soulève plus de difficultés pour un certain nombre d'États, dont la France, qui s'inquiètent de la préservation des infrastructures et de la concurrence possible avec le fret ferroviaire.
Enfin, la fin de législature est marquée par la révision de la directive sur le transport combiné pour encourager son développement et favoriser un report modal depuis le transport routier.
J'en viens à la sécurité routière. Le Conseil travaille en ce moment sur une directive sur la reconnaissance mutuelle de la suspension et des retraits de permis de conduire. La révision de la directive sur le permis de conduire ayant déjà été adoptée, les trilogues à ce sujet devraient débuter sous la prochaine mandature.
Trois grandes tendances se sont dégagées des conférences que la Commission, et la direction générale de la mobilité et des transports en particulier, ont récemment organisées.
La première est la volonté de poursuivre la mise en oeuvre du marché unique dans les transports. La Commission estime que l'ouverture à la concurrence s'applique diversement selon les modes de transport. Si elle est une réalité pour le secteur aérien, un certain nombre d'obstacles empêchent sa mise en oeuvre complète dans le ferroviaire. Nous observons d'ailleurs que cet objectif est assez consensuel à Bruxelles, même si chaque partie prenante le nuance et en donne diverses interprétations. La Commission remettra, à la fin de 2024, un rapport important sur l'application de la directive établissant un espace ferroviaire unique européen de 2012, à la suite duquel elle pourrait proposer de nouvelles mesures.
Le marché unique, c'est également l'harmonisation des règles en matière de droits des passagers. La Commission souhaite renforcer ceux-ci, en particulier dans le cadre du transport aérien et des voyages multimodaux.
Au sein de cet objectif, la réalisation du réseau transeuropéen de transport occupe une place à part. Dans ce domaine, l'enjeu principal est l'application du règlement révisé qui vient d'être adopté, pour, notamment, améliorer les interconnexions entre les États, dans le secteur ferroviaire, mais pas uniquement. Ce sujet est très cher à la Commission, qui suivra de près la mise en oeuvre des obligations découlant de la récente révision.
Cette vision est aussi celle du récent rapport d'Enrico Letta sur le marché unique, qui voit dans la réalisation d'un réseau européen de ligne à grande vitesse un projet susceptible de rapprocher les Européens. Néanmoins, on peut d'ores et déjà anticiper que le financement de ces investissements soulèvera des difficultés dans un contexte de ressources limitées à l'échelle européenne et nationale, et du fait que les États ont d'autres priorités qui sont complémentaires, comme, en France, l'amélioration de la mobilité du quotidien ou la rénovation du réseau ferroviaire.
La deuxième grande tendance que nous voyons se dégager est la poursuite des transitions écologique et numérique, qui doivent garantir une forme d'inclusivité. En matière de transition écologique, il s'agit, d'une part, de verdir chaque mode de transport, et, d'autre part, de créer des incitations suffisantes pour un report modal vers les transports les plus écologiques.
Nous devons donc nous attendre à des enjeux relatifs à l'application des mesures qui ont déjà été adoptées, à la poursuite des propositions en cours d'examen et à l'anticipation de nouvelles propositions de la Commission, dont certaines sont déjà annoncées.
Enfin, la troisième tendance est l'émergence et le renforcement de l'objectif de résilience des réseaux et services de transport. Cet objectif s'apprécie au regard, à la fois, des conséquences du changement climatique et des crises et conflits, y compris de la guerre menée par la Russie en Ukraine. Cet objectif de résilience fait le lien avec la politique européenne de réindustrialisation et de sécurisation d'un certain nombre d'approvisionnements. La Commission l'appréhende également dans la perspective d'un possible élargissement futur de l'Union à l'Est.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci. La parole est maintenant à M. Jean-Philippe Peuziat, directeur du département Affaires publiques et européennes de l'Union française des transports publics et ferroviaires (UTP). Quelles sont les attentes des acteurs du transport urbain et ferroviaire à l'approche de la prochaine mandature européenne ?
M. Jean-Philippe Peuziat, directeur du département affaires publiques et européennes de l'Union française des transports publics et ferroviaires (UTP). - Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde très importante à la veille des élections européennes.
Nous avons rassemblé nos attentes pour la prochaine mandature dans un manifeste que nous avons présenté aux équipes des candidats pour les élections européennes. Avant de les détailler, je procéderai à un bilan succinct de la politique européenne des transports des dernières années.
L'UTP est une fédération professionnelle représentant deux branches différentes. D'une part, elle rassemble 170 opérateurs de transports publics urbains, tels que des réseaux de bus, de métro ou de tramway d'agglomérations de tailles très différentes. De l'autre, elle fédère les opérateurs de transport ferroviaire - voyageurs et marchandises - ainsi que les gestionnaires d'infrastructures, incluant les opérateurs historiques mais aussi les nouveaux entrés et les futurs entrants, comme Trenitalia ou Transdev.
Plusieurs mesures décidées au cours des dernières années sont allées dans le bon sens. Le secteur des transports est à l'origine de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe. L'Union européenne souhaite réduire ces dernières de 90 %. Nous avons donc fortement applaudi le Pacte vert, qui sert de boussole dans l'atteinte de l'objectif de neutralité climatique en 2050.
Parmi les solutions pour y parvenir, on peut citer le développement de transports plus vertueux en matière d'émissions. Les transports urbains et ferroviaires représentent, en effet, moins de 3 % des émissions de l'ensemble du secteur. La baisse des émissions nécessite donc le développement massif de l'offre de transports publics, urbains et ferroviaires.
Pour réduire les émissions, en France comme en Europe, nous défendons le fameux choc d'offre que le rapport des sénateurs Maurey et Sautarel sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité chiffrait à 110 milliards d'euros pour l'Île-de-France et l'ensemble du territoire, en investissement et en exploitation. C'est le prix à payer pour offrir aux Français une alternative pour se déplacer grâce aux transports collectifs, en articulation avec de nouvelles mobilités.
Comment les instances européennes peuvent-elles contribuer au développement massif d'une offre de transport ferroviaire et public pour répondre aux besoins, y compris quotidiens, de mobilité ? Nous reprochons, en effet, souvent à l'Union européenne de concentrer ses efforts sur le transport ferroviaire, ce que son intérêt pour le marché unique et ses propres compétences peuvent expliquer. Elle pourrait faire plus pour le développement des mobilités du quotidien, notamment pour aider les collectivités qui mettent en place ces politiques.
Plusieurs annonces politiques ont récemment été faites sur le ferroviaire. Le Conseil a notamment adopté en 2021 des conclusions au titre très clair : « placer le rail au premier plan d'une mobilité durable et intelligente ».
Si la Commission met souvent en avant les questions de subsidiarité et se montre beaucoup plus frileuse quant au sujet de la mobilité urbaine, elle a néanmoins établi un cadre reconnaissant le rôle des transports publics au niveau local comme une solution majeure, efficace et durable pour permettre le déplacement d'un grand nombre de personnes.
Nous nous félicitons donc de ces déclarations. Des programmes de financement importants ont également été mis en place, même si certains sont assez peu connus. Le mécanisme d'interconnexion a notamment financé des mesures très concrètes sur l'électrification de la ligne Paris-Troyes, sur le déploiement du système européen de surveillance du trafic ferroviaire (ERTMS), ainsi que des mesures au niveau urbain. Île-de-France Mobilités (IDFM) a ainsi bénéficié d'aides pour l'achat de bus électriques et la conversion des dépôts. L'Europe a aussi contribué à hauteur de 40 milliards d'euros au titre de la facilité pour la reprise et la résilience, dont 11,5 milliards, dans le plan français, ont été fléchés vers les transports.
Le mécanisme pour la transition juste reste également trop peu connu. Nantes Métropole vient ainsi de toucher une subvention de la Commission européenne de 30 millions d'euros, adossée à un prêt de la Banque européenne d'investissement (BEI) de 200 millions d'euros, afin d'acheter quarante-six tramways. Ces actions ont un effet concret sur le quotidien de nos concitoyens.
Certaines mesures politiques adoptées vont également dans le bon sens. Je pense à la révision du système du marché carbone ou à la création du fonds social pour le climat. En outre, le RTE-T, depuis sa révision, au-delà des connexions ferroviaires qu'il prévoit, intègre 424 grandes villes européennes, qualifiées de « noeuds urbains », qui seront interconnectées et auxquelles la Commission demande d'adopter des plans de mobilité urbaine durable.
Pour autant, d'autres propositions de la Commission européenne nous ont fait « tomber de nos chaises ». Je pense, en particulier, à la révision de la directive poids et dimensions. Nous n'avons pas compris pourquoi l'Union européenne, qui semblait convaincue des bienfaits du fret ferroviaire, proposait une réglementation visant à faciliter la circulation transfrontalière de géants des routes pesant jusqu'à 60 tonnes.
La proposition de la Commission tendant à interdire la vente de bus urbains thermiques dès 2030 a également suscité des inquiétudes de notre part, que le Gouvernement français a entendues. Si nous partageons l'ambition de verdir les flottes, il faut être vigilants quant à la vitesse de la trajectoire. Un bus électrique coûte deux fois plus cher qu'un bus thermique ou au biogaz de dernière génération thermique. Ainsi, ramener l'échéance à 2030 aurait mis en difficulté de nombreuses collectivités, en particulier les petites et les moyennes. Certaines d'entre elles nous ont dit qu'au vu de leurs capacités financières, elles seraient contraintes de réduire le nombre de lignes sur leur réseau, faute de pouvoir acheter suffisamment de bus. C'est aller à l'encontre du mouvement : au contraire, il faut développer de plus en plus de services pour offrir des alternatives aux usagers.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Je donne la parole à M. Denis Saada, président de la verticale Nouvelles Mobilités au sein de l'Alliance des mobilités. Quelles transformations se dessinent en matière de mobilités pour relever les défis climatiques à l'échelle européenne ?
M. Denis Saada, président de la verticale Nouvelles Mobilités au sein de l'Alliance des mobilités. - L'Alliance des mobilités est l'association interprofessionnelle des mobilités durables, incluant les nouvelles mobilités telles que le covoiturage, le vélo, l'autopartage et toutes les mobilités partagées dans le milieu urbain ainsi que les services associés. Nous faisons partie du réseau Mobilians qui représente l'ensemble des métiers de la mobilité, y compris routière.
La mandature qui s'achève s'est fortement concentrée sur la réglementation des mobilités existantes, avec la suppression du carburant traditionnel des véhicules, le Green Deal et la fin de la vente des moteurs thermiques en 2035. Les débats se sont également intéressés au transport aérien, maritime et longue distance.
Les transports du quotidien ont, en revanche, été peu abordés au cours de la législature - et les autres mobilités durables, comme le vélo, encore moins. La mandature s'est cependant conclue par une déclaration européenne sur le vélo, ouvrant la voie au développement - que nous appelons de nos voeux - des mobilités durables et des nouvelles mobilités au sein de l'Union européenne. Huit engagements ont été pris à ce titre : développer et renforcer les politiques cyclables, encourager une mobilité inclusive à l'impact positif sur la santé mentale et physique, investir dans les infrastructures adaptées et nouvelles, créer des conditions favorables au cyclisme comme des supports techniques et des voies réservées, assurer la sécurité des usagers, soutenir les emplois liés au développement du vélo, assurer la multimodalité, et enfin améliorer la collecte de données.
Il faut absolument développer ces nouvelles mobilités. La voiture thermique individuelle pose, en effet, des problèmes sanitaires, sociaux et environnementaux. Si le véhicule électrique doit être encouragé pour les trajets du quotidien, il reste insuffisant pour répondre à l'ensemble des défis liés à la mobilité.
L'Europe a besoin de mobilités durables, notamment de transports en commun. Néanmoins, leur développement ne sera probablement pas suffisant pour couvrir tous les cas d'usage. Je pense notamment aux citoyens qui doivent se déplacer de banlieue à banlieue, en zone périurbaine ou rurale, sur des horaires décalés ou encore dans des centres urbains hyperdenses, grâce à des services de micromobilité.
Pour développer ces mobilités, nous avons trois leviers. Le premier est le développement d'infrastructures cyclables, de covoiturage et multimodales. Le deuxième repose sur l'encadrement réglementaire. Aujourd'hui, nombre de ces nouvelles mobilités ne sont pas définies, du moins pas suffisamment, dans les pays membres et par l'Union européenne. Le troisième est le choc d'offre des mobilités durables, qui, dans les pays où il a eu lieu, a permis de développer les mobilités alternatives.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Enfin, je laisse la parole à M. Pierre Leflaive, responsable transports de Réseau Action Climat pour la France, afin qu'il s'exprime sur les enjeux de la décarbonation en matière de transports, à tous les échelons - local, national et européen.
M. Pierre Leflaive, responsable transports de Réseau Action Climat - France. - Je vous remercie pour l'organisation de cette table ronde.
Les transports représentent aujourd'hui 29 % des émissions de gaz à effet de serre en Europe. Ce taux s'inscrit dans une tendance haussière depuis les années 1990, avec deux exceptions, en 2008 puis en 2020. Autrement dit, à part quand l'ensemble de notre économie est à l'arrêt, on ne sait pas réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. Ce constat est particulièrement préoccupant, puisqu'il révèle la dimension structurelle des changements qu'il va falloir opérer.
Les mesures adoptées durant la précédente mandature peuvent être qualifiées d'historiques, tant au regard des objectifs fixés que des différents leviers activés. Si elles forment une première étape nécessaire, elles restent malheureusement insuffisantes.
La plupart des différents textes structurants ont été évoqués. Selon l'ONG « Transport & Environnement », si toutes les mesures du Green Deal étaient appliquées, les émissions de gaz à effet de serre ne diminueraient que de 25 % par rapport à 1990 en 2040, et uniquement de 62 % en 2050. Autrement dit, les objectifs ne seraient pas atteints.
Certaines pistes ont été évoquées pour aller plus loin. D'autres sont essentielles tant pour réduire nos émissions que pour garantir, plus généralement, l'accès à la mobilité. En effet, le secteur des transports se situe au carrefour d'enjeux multiples, à la fois industriels, écologiques et sociaux. Nous devons donc trouver des solutions répondant à l'ensemble de ces considérations. La bonne nouvelle, c'est que ces solutions existent.
Cependant, elles devront être analysées au travers d'un prisme important : celui de la contrainte en matière de ressources et d'investissements, en tenant compte du panel de réponses possibles.
Prenons l'exemple de l'hydrogène. Cette solution présente un intérêt pour différents modes de transport, mais la ressource sera soumise à une concurrence d'usage avec l'industrie ou encore le bâtiment. Il en sera de même pour les e-fuels, l'électricité, plus généralement notre capacité à investir. L'allocation des efforts, des ressources et, en l'occurrence, des deniers de l'Union européenne dépendra ainsi d'arbitrages politiques.
Ces choix devront tenir compte de l'efficacité de la dépense publique, mais les émissions de gaz à effet de serre ne sauraient être l'unique critère d'efficacité. L'accès à la mobilité et la répartition de l'effort sont également importants. Les entreprises doivent jouer le jeu, notamment en matière de verdissement du parc automobile.
Le niveau de responsabilité individuelle dans les émissions en fonction des revenus de chacun devra aussi être interrogé. En effet, si nous devons tous viser un objectif de 2 tonnes de CO2 par personne en 2050, les disparités sont aujourd'hui très fortes. Tous les Français n'émettent pas la même quantité de gaz à effet de serre, et tous n'ont pas la même possibilité de réduire leurs émissions. Ces disparités concernent également les modes de transport.
Pour répondre à ces défis, plusieurs leviers me paraissent essentiels. La sobriété en fait partie. L'interdiction de vente des véhicules thermiques, à compter de 2035, est nécessaire, mais pas suffisante. À ce titre, une réflexion profonde doit être menée sur les véhicules électriques - leur type, leur taille, la technologie sur laquelle ils reposent. Sans cela, nous ne produirons que de gros véhicules électriques, sans faire évoluer notre rapport à la mobilité et à la voiture individuelle. Nous en avons pourtant besoin pour passer de 62 % de réduction des émissions des poids lourds en 2050 à 90 %, voire à la neutralité carbone.
Je conclus sur la question de l'accompagnement social. J'ai beaucoup entendu parler du choc d'offre. Absolument nécessaire, il est à notre sens complémentaire de toutes les mesures qui devront accompagner la demande afin de garantir l'accès des ménages à la mobilité. Le véhicule électrique, typiquement, reste trop cher. Nous ne pouvons nous contenter d'attendre que son prix diminue en raison de l'évolution de l'offre des constructeurs. Des aides seront nécessaires. La France a déjà proposé des mesures innovantes, au travers notamment du leasing social. Au niveau européen, une réflexion doit être engagée pour assurer l'accès au véhicule électrique quand aucun autre mode de transport n'est disponible et qu'il peut éviter à des ménages de se retrouver dans une situation de précarité liée à la mobilité. En effet, la dépendance au véhicule individuel, et, par conséquent, au cours des prix de l'énergie peut être synonyme de renoncements entre différents choix - le travail, l'école, les loisirs. Ce sont tous ces enjeux qui doivent être pris en compte.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. André Reichardt, vice-président de la commission des affaires européennes -
M. Philippe Tabarot. - Une politique de transports doit concilier différents enjeux parfois contradictoires, dans un souci de recherche d'équilibre, et ce alors que la France est traversée par des fractures qui se sont aggravées.
Nous sommes un certain nombre à nous opposer au projet d'autorisation de mégacamions de plus de 25 mètres de long et pesant jusqu'à 60 tonnes, ces véhicules ne tractant pas une seule remorque, mais souvent deux, voire trois. La circulation de ces véhicules aussi lourds que cinquante-deux voitures aura des conséquences désastreuses sur l'état de nos routes, tout en portant un coup de poignard au fret ferroviaire. La révision, adoptée le 12 mars par la Commission européenne, de la directive relative aux poids et aux dimensions des poids lourds n'étant pas finalisée, les États membres devront adopter une position sur le sujet lors du Conseil des ministres des transports de l'Union européenne en juin. Pourriez-vous, monsieur Moretti, nous rappeler la position de la France sur le sujet ?
Outre les dégâts sur les routes, les conséquences d'une telle autorisation sur le fret ferroviaire risquent d'être lourdes, alors que ce dernier souffre déjà, la Commission européenne ayant lancé une procédure formelle sur les conditions de financement de Fret SNCF. En tout état de cause, le plan de discontinuité se traduit notamment, pour Fret SNCF, par la remise sur le marché d'une partie considérable de ses activités et par la mise en place d'une nouvelle entité juridique. D'après vous, comment faut-il interpréter ces signaux qui ne sont pas tout à fait rassurants pour le développement du fret ferroviaire ? Quelles propositions portez-vous respectivement en la matière ? De manière connexe, pourriez-vous préciser les obstacles qui doivent être levés dans le cadre d'une ouverture à la concurrence du transport ferroviaire ? Sont-ils le fait de SNCF Réseau, comme semble le dire le ministre des transports espagnol ?
Enfin, vous avez évoqué, à juste titre, les difficultés de la France à financer ses infrastructures, mais également des difficultés de même nature au niveau européen. Cela signifie-t-il que l'Union européenne pourrait ne pas tenir ses engagements pris depuis un certain nombre d'années, et diminuer son niveau de participation ? Une telle évolution serait très dommageable pour les projets dans nos territoires respectifs, alors que nous tablons sur une importante contribution de sa part.
Mme Pascale Gruny. - Alors que les grandes orientations du Pacte vert vont être révisées avant la fin 2027, nombre d'acteurs industriels en appellent à une simplification des normes, ou du moins à une pause réglementaire, pour favoriser la compétitivité de l'Europe, en particulier pour l'industrie automobile. Une telle pause vous semble-t-elle envisageable ? Est-elle souhaitable ? Un cadre européen plus stable ne contribuerait-il pas à une meilleure acceptabilité des politiques climatiques par les citoyens ?
Concernant le ferroviaire, quelles sont selon vous les principales interconnexions à développer afin de renforcer le trafic - tant de voyageurs que de marchandises - à l'échelle européenne ? Élue d'un département rural, je note d'ailleurs que les propositions portent souvent sur le milieu urbain. Je me suis battue pour que la SNCF ne ferme pas une ligne de fret qui transportait essentiellement les rails destinés aux TGV, combat que je poursuis en réclamant le retour du transport de voyageurs, même à vitesse réduite.
Comment faire lorsqu'on habite en milieu rural ? Vous avez évoqué le leasing social : les concessionnaires ont vendu de nombreux véhicules en leasing, mais l'État ne paye pas et les professionnels risquent de disparaître en raison des changements qui leur sont imposés. Ce sujet de l'accompagnement est-il abordé au niveau européen ?
M. Hervé Gillé. - L'interdiction des véhicules thermiques à l'horizon 2035 impose une transition rapide de la production européenne de véhicules vers l'électrique. La Chine et les États-Unis dominent assez largement ce marché, ces pays ayant accordé des subventions très volontaristes à leur industrie : l'Union européenne devrait-elle s'en inspirer pour lancer un véritable plan de soutien afin d'accompagner son industrie automobile dans cette transition ?
S'y ajoutent les enjeux de l'acceptabilité économique et sociale concernant l'achat et le leasing de ces véhicules, ainsi que le soutien à apporter à certaines filières. La production de batteries constitue également un enjeu majeur pour la consolidation d'une offre européenne de véhicules électriques. Or nos constructeurs dépendent en grande partie de la Chine pour les approvisionnements en métaux tels que le lithium ou le cobalt : dans ce contexte, comment envisagez-vous le développement d'une filière automobile électrique autosuffisante, ou du moins indépendante de la Chine, en Europe ? Quelle politique d'accompagnement des gigafactories pourrait être mise en oeuvre ? Faudrait-il définir des objectifs d'extraction minière à l'échelle européenne afin d'assurer cette autosuffisance ?
Sur un autre sujet, le vélo représente un levier non négligeable de décarbonation des mobilités quotidiennes : identifiez-vous des pistes qui permettraient à l'Union européenne de se doter d'une véritable stratégie en faveur de ce mode de transport ? Si une déclaration européenne sur le vélo a été adoptée, il reste à déterminer de quelle manière elle sera mise en oeuvre, notamment au travers d'un soutien renforcé à la production et aux services liés aux vélos. La question de la qualité des intermodalités est également posée, puisque celles-ci devraient être un élément primordial pour cofinancer des ouvrages d'intérêt communautaire.
Mme Valérie Boyer. - J'ai une question précise sur la ligne TGV Marseille-Nice : après avoir travaillé avec Philippe Tabarot sur ce dossier, puis y avoir consacré de nombreuses heures en tant que députée-maire du secteur d'Aubagne, qu'en est-il du projet et quel est le montant de la participation européenne ? Ce projet, extrêmement structurant pour notre secteur et pour la France entière, doit pouvoir avancer. Il n'est plus possible d'accueillir les voyageurs dans les conditions - intolérables pour la deuxième ville de France - qu'offre la gare Saint-Charles, notamment eu égard à son parking, en particulier pour l'arrivée des derniers TGV.
Parallèlement, des lignes d'avion seront supprimées à Nice, Marseille et Toulouse au motif qu'il faut privilégier le train, mais encore faut-il être cohérent en accueillant les voyageurs dans de meilleures conditions et en ne supprimant pas des trajets en milieu de journée. La complémentarité entre le train et l'avion se dégrade au lieu de s'améliorer en raison de la suppression de certains vols et de l'accès à Orly en provenance du sud de la France, alors même que cet aéroport sera doté, pour les jeux Olympiques et Paralympiques, d'une liaison vers le centre de Paris. Les Provençaux et sudistes devront quant à eux transiter par Roissy, ce qui est une aberration en termes d'écologie et de transports, puisqu'il nous faudra plus d'une heure pour gagner la capitale.
M. Olivier Jacquin. - La diminution du prix des péages ferroviaires ne permettrait-elle pas d'encourager le report modal en faveur du ferroviaire ? Comment pourrions-nous utiliser les ressources nouvelles issues du marché du carbone ?
S'agissant du fret ferroviaire, la Commission européenne vient de valider les aides massives apportées par l'Allemagne à son réseau de transport de marchandises, ce qui rend d'autant plus incompréhensible la procédure visant Fret SNCF. Comme l'a indiqué Philippe Tabarot, il faudrait pouvoir revenir sur un processus de discontinuité fort contestable ; de la même manière, autoriser les mégacamions serait emprunter la mauvaise direction, d'autant plus que notre commission a déjà soulevé la problématique de la résistance des infrastructures, en particulier des ponts.
En outre, monsieur Leflaive, qu'en est-il des possibilités de réguler le transport aérien ? J'ajoute une question à l'attention de M. Saada : les véhicules lourds étant un non-sens dans le contexte de la transition écologique, ne faudrait-il pas aller vers un malus au poids significatif à l'échelle européenne ?
M. Jacques Fernique. - Au plan européen, la trajectoire actuelle de transition des transports ne permettra pas d'atteindre la neutralité carbone, puisqu'elle devrait déboucher sur une diminution de la contribution du secteur à l'émission de gaz à effet de serre de l'ordre, seulement, de 62 % en 2050.
Il importe de réussir le report modal, tant pour le fret que pour les voyageurs : il nous faut moins de transport routier et aérien, et davantage de trains, de transports urbains et de vélos. S'agissant plus particulièrement des transports urbains, il faudra accomplir des progrès en matière de mobilités en développant des projets tels que les services express régionaux métropolitains (Serm).
Le ferroviaire est la colonne vertébrale de cette transition, l'ambition européenne consistant à déployer l'ERTMS : ledit système permettrait, alors que les lignes existantes sont déjà fortement encombrées, de réduire l'espacement entre les trains. En 2017, la Cour des comptes indiquait que ce déploiement restait limité et décousu, et mettait en exergue l'absence d'une estimation globale des coûts, comme d'une planification appropriée.
D'ici à 2030, près de 50 000 kilomètres de réseau devraient être gérés avec l'ERTMS, avant de s'étendre au réseau global à l'horizon 2050. Néanmoins, les retards sont considérables, particulièrement en France : seule la Lituanie fait moins bien que nous, tandis que, selon le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), l'Hexagone devrait atteindre - au mieux - ses objectifs de 2030 en 2042. Comment pourrions-nous assurer la mise en oeuvre et la réussite de cette démarche européenne de modernisation ? Existe-t-il une réelle volonté française de mettre en oeuvre l'ERTMS ? La moindre saturation de notre réseau par rapport à un certain nombre de pays voisins révèle peut-être la principale déficience de notre système ferroviaire, c'est-à-dire l'incapacité de concevoir la modernisation comme une urgence permettant d'optimiser l'usage du réseau.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Les vallées alpines voient un million de poids lourds transiter chaque année, et plusieurs sénateurs ont apprécié le déblocage - de justesse - du financement des études pour les accès au tunnel Lyon-Turin. Pour autant, quel est le « plan B » dans le cas où ces projets ne seraient pas réalisés ?
Par ailleurs, comment sont prises en compte les innovations en matière de mobilité, par exemple s'agissant de la route électrique ?
M. Florent Moretti. - S'agissant des mégacamions, également appelés « système modulaire européen », il peut effectivement s'agir d'un attelage de plusieurs remorques et de convois d'un poids allant jusqu'à 100 tonnes dans certains pays. Ces mégacamions sont utilisés depuis plusieurs années dans neuf États européens, dont les pays scandinaves, l'Allemagne et la péninsule ibérique, sous un régime d'expérimentation.
Dans le cadre de la proposition de révision de la directive actuellement examinée, certains États souhaiteraient disposer d'un cadre juridique plus pérenne, estimant que l'augmentation du poids des convois permet d'en limiter le nombre et de réduire la congestion du trafic. Je tiens à préciser que l'adoption d'un tel texte n'obligerait en aucun cas les États à utiliser ces mégacamions, puisqu'il est uniquement question de créer un cadre juridique permettant de les autoriser ou non. En tout état de cause, la France s'oppose à l'utilisation de ces véhicules, non seulement sur son sol mais aussi à l'échelle européenne.
Concernant le financement par l'Union européenne de grands projets ferroviaires tels que le Lyon-Turin et la nouvelle ligne Provence-Alpes-Côte d'Azur, les dossiers de demandes de financement ont bien été déposés, mais une réelle inquiétude émerge compte tenu de l'écart entre les ressources disponibles dans les budgets européens et les besoins de financement des États. Cela soulève la question de la dotation du futur cadre financier pluriannuel qui prendra la suite du régime de financement actuel, afin que l'Union européenne soutienne les projets au niveau initialement prévu.
S'agissant de l'ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, la Commission européenne remettra, d'ici à la fin de l'année, un rapport consacré à la mise en oeuvre de la directive du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen. La Commission souhaiterait réexaminer plusieurs sujets : tout d'abord, la méthode de calcul des niveaux des péages ; ensuite, l'organisation des groupes ferroviaires et le degré de séparation entre le gestionnaire d'infrastructures et l'entreprise ferroviaire elle-même ; enfin, l'harmonisation technique, le déploiement de l'ERTMS ayant été confirmé. Un autre point a trait à la billettique, de manière à ce que l'usager puisse acheter plus facilement des titres de transport pour les trajets internationaux.
M. Pierre Leflaive. - S'agissant de l'opportunité de faire une « pause » dans les efforts fournis en faveur de la transition écologique, je rappelle, comme je l'ai fait en introduction, que la trajectoire actuelle est déjà insuffisamment ambitieuse pour atteindre les objectifs. Une pause s'apparenterait donc à un renoncement.
En revanche, la simplification entendue comme un moyen d'avancer plus vite, avec un cap clair, mérite l'attention. Des industriels ont soulevé cet enjeu, dont le directeur général de Stellantis, Carlos Tavares, qui a appelé dans une tribune récente à maintenir un cap lisible en matière d'électrification des véhicules automobiles. Le temps industriel est en effet un temps long, nécessitant des investissements importants : si nous voulons répondre aux défis de la transition, des orientations telles que le verdissement du parc automobile doivent être maintenues, quand bien même ce verdissement ne représente qu'une partie de la solution.
La question de la ruralité est essentielle, mais trop souvent exclue des débats. Je renvoie sur ce point à l'excellent rapport du Secours catholique consacré à la mobilité en zone rurale : publié en avril 2024, ce dernier établit un diagnostic assez alarmant, tout en proposant un panel complet de propositions assez ambitieuses.
De la même manière, l'acceptabilité est un enjeu clé et repose, selon nous, sur deux leviers, à commencer par le partage de l'effort. Il s'agit de demander davantage d'efforts à ceux qui peuvent le plus, tout en démontrant la cohérence de la stratégie suivie. Par exemple, 60 % des véhicules neufs sont achetés par les entreprises, qui structurent ce marché ; lesdits véhicules se retrouvent en moyenne trois à quatre ans plus tard sur le marché de l'occasion, contre quatorze ans pour un véhicule acheté par un particulier : autrement dit, les entreprises structureront également le marché de l'occasion dans les années à venir.
Aussi, si nous souhaitons rendre le véhicule électrique accessible, il faudra à la fois réorienter l'offre des constructeurs vers des véhicules plus petits, plus sobres, plus abordables - et, si possible, produits en France et en Europe - et tenir compte du marché de l'occasion, qui jouera un rôle essentiel, notamment durant le temps nécessaire à une diminution du prix d'achat des véhicules électriques. En termes de partage de l'effort, il s'agit de mettre à contribution les entreprises en retard sur l'électrification de leur flotte.
Pour ce qui est du leasing, je parlerais d'une réponse incomplète à une bonne question, à savoir l'accessibilité des véhicules électriques pour les classes moyennes et les plus modestes. Selon Aurélien Bigo, expert de la mobilité, « l'avenir de la voiture, c'est le véhicule électrique, mais la voiture ne constitue pas l'avenir de la mobilité ».
Quant au soutien à apporter aux industriels face à la concurrence américaine et chinoise, la situation actuelle du secteur automobile français et européen découle de choix stratégiques et politiques qui ont conduit à alourdir le poids des véhicules. Historiquement, Renault et Peugeot savaient fort bien produire des véhicules légers et abordables ; les constructeurs commencent à renouer avec cette tradition. Comme l'illustrent les résultats commerciaux de la Dacia Spring et l'engouement pour le leasing social, il existe une véritable demande pour un véhicule électrique abordable, reste aux constructeurs à s'aligner pour y répondre. Nous travaillons avec la CFDT et la CGT sur ce sujet, syndicats qui nous ont confirmé une appétence des travailleurs pour cette transition sociale et écologique.
La problématique des métaux critiques - notamment du lithium - doit elle aussi trouver une réponse dans la diminution du nombre et de la taille des véhicules.
Le secteur aérien, quant à lui, était jusqu'à présent le passager clandestin de la politique de décarbonation des transports en termes d'efforts, avec des émissions qui ont plus que doublé au cours des trente dernières années en raison de l'explosion du trafic. Certes, des progrès ont été accomplis en matière d'efficacité des avions, qui consomment de fait moins de carburant que par le passé, mais un effet rebond classique s'est produit et a abouti à une très forte augmentation du trafic, incompatible avec des objectifs ambitieux de décarbonation.
Ce tabou commence à être levé, à commencer par la question fiscale et le rétablissement de l'équité entre les différents modes de transports, qui passerait par la suppression de l'exemption fiscale dont bénéficient les avionneurs. Pour ce qui est des solutions technologiques et des différents carburants alternatifs, un consensus scientifique émerge quant à leur potentiel limité pour réduire les émissions. S'il faut continuer à investir dans ces solutions alternatives, il faut être conscient qu'elles ne permettront pas de décarboner le secteur aérien, encore moins avec les perspectives de croissance de ce dernier.
Il faudra donc travailler sur la réduction du trafic aérien et se pencher sur la question des extensions d'aéroports. L'exemple d'Amsterdam, qui a décidé de limiter le nombre de vols à l'année, pourrait être une source d'inspiration. Ces choix renvoient à la problématique des investissements prioritaires dans un contexte d'enveloppes budgétaires contraintes : tout investissement dans le transport aérien n'est, par définition, pas affecté au train, au vélo ou à l'accès à la voiture électrique, il est donc question de choix structurants qui peuvent être effectués au détriment de l'ensemble des Français et des Européens.
M. Jean-Philippe Peuziat. - Le manifeste de l'UTP contient douze propositions articulées autour de quatre axes, dont la mobilité intelligente, le financement et les enjeux de compétences. Nous souhaitons que le report modal - et donc, ipso facto, le développement d'une offre continue de transports collectifs - devienne l'un des objectifs de la Commission européenne, ce qui n'est pas encore acquis : à la différence de la France, qui a clairement identifié le report modal comme le deuxième levier de baisse des émissions après l'électrification du parc automobile, la Commission préfère, pour sa part, parler de « comodalité », ce qui signifie que chaque mode doit se développer en fonction du marché, sans qu'il ne soit nécessaire d'encourager des modes plus vertueux.
Nous sommes en désaccord sur ce point et aimerions que la Commission européenne évalue ex ante l'impact de chacune de ses propositions législatives sur l'offre de transports ferroviaires. Dans le cas des mégacamions, elle aurait ainsi pu s'interroger en amont sur les conséquences sur le fret ferroviaire ; de la même manière, l'obligation faite à toutes les collectivités d'acquérir des bus électriques dès 2030 aurait gagné à s'accompagner d'une réflexion autour d'un éventuel assouplissement du calendrier et d'un accompagnement adéquat.
Cet enjeu du report modal nous inspire d'autres propositions, y compris sur le plan budgétaire : nous plaidons en faveur d'un renforcement des outils budgétaires au niveau européen, à la fois pour le ferroviaire et les mobilités du quotidien. Il importe, en effet, de ne pas se cantonner aux interconnexions de longue distance entre capitales européennes : si elle veut véritablement diminuer les émissions, la Commission européenne doit se pencher sur celles qui sont dues à la mobilité quotidienne.
Une autre de nos demandes porte sur les revenus tirés du système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS), afin de les flécher vers les modes de transports vertueux, au premier rang desquels le transport ferroviaire. Nous avions failli réussir lorsque le Parlement européen avait introduit un fléchage de ces revenus à hauteur de 10 % vers les transports publics et ferroviaires, mais les États membres, qui ne goûtent guère les préaffectations, l'avaient ensuite écarté. Le Sénat avait, d'ailleurs, proposé un fléchage de ce type dans le cadre du dernier projet de loi de finances, afin d'aider les autorités organisatrices de la mobilité et les collectivités. Ce sujet devrait, selon nous, être à nouveau débattu.
N'oublions pas l'enjeu de la stabilité réglementaire... En 2019, la directive européenne relative à la promotion de véhicules de transport routier propres et économes en énergie avait prévu, jusqu'en 2030, les modalités d'achat de bus électriques par les collectivités territoriales. Dans le cadre de sa transposition à la fin de l'année 2021, un traitement différencié a été établi en fonction de la taille des agglomérations, les plus vastes étant davantage contraintes de s'orienter vers des flottes électriques ou hydrogène, tandis que les plus petites pouvaient encore acquérir des véhicules à biogaz ou à biocarburant. C'est sur la base de ce régime que les collectivités continuent à faire des choix d'investissements.
Or, à peine un an et demi après leur transposition en droit français, une proposition de règlement est venue modifier ces règles en interdisant la vente de bus autres qu'électriques ou à hydrogène. Il a donc fallu se démener pour alerter les collectivités sur le fait qu'elles se trouveraient dans l'impossibilité d'acquérir une nouvelle génération de bus à biogaz, ce qui a stupéfié certaines d'entre elles. Ce caractère mouvant de la réglementation peut poser de sérieuses difficultés dès lors qu'il est question d'investissements lourds, et nous avions alerté la Commission européenne sur ce point.
Je conclus en remarquant que la France, comme l'Allemagne, est souvent présentée comme le mauvais élève en matière d'investissements dans l'ERTMS. Sans contester les bienfaits de cette technologie, nous soulignons que les ambitieux objectifs de déploiement fixés par la Commission européenne doivent s'accompagner d'un soutien financier adéquat. À cet égard, nous remercions le Sénat d'alerter, chaque année, le Gouvernement sur la nécessité d'investir davantage dans la régénération du réseau, qui nécessite déjà des ressources considérables. Le déploiement de l'ERTMS correspond, lui, à une modernisation du réseau : comment mener de front ces deux chantiers si l'Union européenne ou le Gouvernement n'apportent pas davantage d'aides ? Une « nouvelle donne ferroviaire » de 100 milliards d'euros a été évoquée un temps, mais nous n'entendons plus beaucoup parler de cette enveloppe, qui aurait été bienvenue pour financer des investissements supplémentaires.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La disparition de cette enveloppe est effectivement inquiétante. Je note que personne n'a répondu à la question de M. Devinaz portant sur l'existence d'un « plan B » aux projets tels que le Lyon-Turin. Il était temps de débloquer les études, mais il serait dommage de s'arrêter là.
M. Denis Saada. - Alors que nous sommes à l'aube d'une révolution de la mobilité, nombre des solutions proposées consistent en de simples évolutions : je pense que nous devrions réussir à penser ce changement de paradigme de manière plus systémique. Concrètement, le remplacement de l'ensemble des véhicules thermiques par des véhicules électriques ne résoudra qu'une partie des problématiques, d'autant plus, d'après certaines études, que ce basculement complet sera impossible, ne serait-ce que pour des questions de ressources.
En gardant en tête ce cap fixé pour 2035, nous devrons donc nous pencher très rapidement sur les autres mobilités qu'il conviendra de développer pour permettre aux Français et aux Européens de se déplacer, voire penser la « démobilité » : certains déplacements non nécessaires peuvent sans doute être reportés et le télétravail, par exemple, a eu des effets bénéfiques sur l'impact carbone des salariés qui y ont recours.
Des solutions innovantes ont été développées par certains États membres pour soutenir les mobilités durables et alternatives, la France n'étant d'ailleurs pas en reste. Ces solutions se subdivisent en trois catégories : tout d'abord, le développement d'infrastructures en faveur des mobilités durables ; ensuite, la construction de politiques publiques qui orienteront les usages vers lesdites mobilités durables ; enfin, la mise en place d'un accompagnement adéquat intégrant le financement.
Plus précisément, les infrastructures à développer correspondent aux pistes cyclables et aux lignes de covoiturage, dès lors qu'elles permettent de couvrir des liaisons qui peuvent difficilement être assurées par du transport collectif.
Pour ce qui concerne les politiques publiques, les zones à faibles émissions (ZFE) souffrent aujourd'hui d'un problème d'acceptabilité. Pour autant, des parangonnages extrêmement intéressants montrent que la ZFE de Bruxelles jouit d'une acceptabilité assez forte et a permis d'atteindre les objectifs assignés, dont une réduction assez nette du nombre de véhicules thermiques dans Bruxelles. Une autre initiative intéressante a été prise à Grenoble, municipalité qui accompagne les citoyens non pas avec des primes à la conversion pour remplacer un véhicule thermique par un véhicule électrique, mais avec une prime multimodale permettant de remplacer une voiture thermique par un mix de mobilités - covoiturage, autopartage, vélo, etc.
J'en termine avec l'accompagnement financier : aujourd'hui, les mobilités durables telles que le vélo et le covoiturage souffrent d'un fort déficit d'investissement, les sommes consacrées au vélo se comptant davantage en millions d'euros qu'en milliards d'euros. Or il importe de créer un choc d'offre en incitant les citoyens à s'équiper : plus il y a de vélos sur la route, plus nous réduirons les coûts et soutiendrons l'industrie du cycle. En France, la mise en place du forfait mobilités durables, depuis 2019, a rencontré un véritable succès puisque 29 % des entreprises y ont déjà recours. Un renoncement fiscal de quelques millions d'euros a ainsi permis un net développement des mobilités durables.
De manière plus générale, il est essentiel de se mettre d'accord sur la définition des mobilités durables : par exemple, les différents pays n'ont pas la même définition du covoiturage, ce qui complexifie l'adoption d'une législation commune. Avec la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), la France a été pionnière dans la définition d'un cadre d'action.
Quant aux véhicules lourds, l'Alliance des mobilités plaide en faveur d'une réglementation harmonisée en Europe, en privilégiant une réglementation ambitieuse au plus petit dénominateur commun. Pour ce qui est du poids et de la puissance, la réglementation française sur les indemnités kilométriques ouvre droit à des remboursements d'autant plus élevés que le véhicule est lourd et puissant et que les distances parcourues sont longues, ce qui va complètement à l'encontre des objectifs de décarbonation impliquant de réduire le poids et la taille des véhicules. Ce type de réglementation, datée, devrait selon nous évoluer.
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Vos interventions ont bien montré la complexité de bâtir une politique européenne des transports en raison de la diversité des réglementations, des ambitions et des conceptions. Pour autant, il n'est nullement question que nous nous découragions face à l'ampleur de la tâche, quand bien même de grandes annonces telles que le plan de soutien de 100 milliards d'euros en faveur du développement du ferroviaire ne sont pas suivies d'effets : nous rappellerons qu'il faut remettre en état le réseau ferroviaire, tout en réfléchissant à améliorer la circulation routière.
Cette table ronde a permis de dresser un état des lieux et de s'interroger sur les orientations à adopter pour les années à venir. Je crois que le principal risque réside dans l'absence de lignes directrices et de choix clairs, ce qui nous exposerait à nous éparpiller dans différentes directions sans rien résoudre. Merci de votre participation.
Cette table ronde a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 15.