- Mercredi 15 mai 2024
- Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé - Examen, en deuxième lecture, des amendements au texte de la commission
- Démographie médicale - Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, Mme Nathalie Fourcade, secrétaire générale, docteur Isabelle Vincent, conseillère scientifique, du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), docteur Emmanuel Touzé, président, et Mme Agnès Bocognano, secrétaire générale, de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS)
- Enquête de la Cour des comptes sur la santé respiratoire - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes
- Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves - Désignation de rapporteurs
Mercredi 15 mai 2024
- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé - Examen, en deuxième lecture, des amendements au texte de la commission
M. Philippe Mouiller, président. - Aucun amendement n'a été déposé sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-285 du 19 avril 2023 portant extension et adaptation à la Polynésie française, à la Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna de diverses dispositions législatives relatives à la santé. En conséquence, nous passons directement au point suivant de notre ordre du jour.
Démographie médicale - Audition de M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, Mme Nathalie Fourcade, secrétaire générale, docteur Isabelle Vincent, conseillère scientifique, du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), docteur Emmanuel Touzé, président, et Mme Agnès Bocognano, secrétaire générale, de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS)
M. Philippe Mouiller, président. - Bienvenue à cette table ronde sur la démographie médicale, très attendue par nos collègues. En effet, la bonne appréhension des évolutions démographiques des médecins, généralistes et spécialistes, est essentielle pour les pouvoirs publics. On peut même dire qu'elle conditionne tout pilotage des politiques de santé.
Il s'agit de savoir, tout d'abord, si nous disposons bien des outils de mesure les plus pertinents en la matière, c'est-à-dire de ceux qui correspondent au vécu de nos concitoyens et à l'état de la démographie médicale en France. En particulier, nous nous intéresserons à la façon dont les études sont menées. Nous voyons beaucoup de dossiers où l'on parle beaucoup de professionnels de santé et peu de temps médical. Nous savons bien, pourtant, qu'il existe un écart entre le nombre de professionnels de santé recensés, dont certains sont parfois encore à la retraite, quoique toujours au tableau des ordres, et le temps médical, qui correspond au service réel offert à nos concitoyens.
Il s'agit aussi de voir ce que l'évolution de la démographie médicale et des pratiques des jeunes médecins prédisent des tendances en matière d'offre de soins sur nos différents territoires dans les années à venir. Nous souhaitons également savoir si l'augmentation des places offertes en matière d'études de santé est bien calibrée pour permettre à terme de sortir de la crise actuelle. Nous avons des chiffres, qui nous sont donnés par le ministère, mais nous avons besoin de votre regard, même si je sais que vous avez participé au dialogue pour l'évaluation de ces chiffres.
Nous avons donc le plaisir de recevoir ce matin le directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), M. Fabrice Lenglart, qui devrait nous rejoindre dans les minutes qui viennent ; la secrétaire générale du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), Mme Nathalie Fourcade, ainsi que le Dr Isabelle Vincent, conseillère scientifique de cet organisme ; et le président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS), le Dr Emmanuel Touzé, ainsi que la secrétaire générale de cet organisme, Mme Agnès Bocognano.
Mesdames, messieurs, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et je me réjouis de l'éclairage que vous pourrez nous apporter.
Mme Nathalie Fourcade, secrétaire générale du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM). - Merci, monsieur le président, de nous donner l'opportunité de nous exprimer sur un sujet dont vous avez souligné l'importance.
Le HCAAM est une instance de concertation permanente sur les politiques de santé, réunissant l'ensemble des parties prenantes de ces politiques. Lorsque Mme Agnès Firmin-Le Bodo était ministre déléguée, elle nous a confié une mission méthodologique visant à évaluer les méthodes et moyens actuellement utilisés pour la prospective en santé et à identifier des pistes d'amélioration. Nous avons constaté, notamment par comparaison internationale, et en utilisant les travaux de la Drees et de l'ONDPS, que les moyens alloués à ces travaux en France sont largement insuffisants. Notre rapport recommande donc un renforcement des effectifs, avec au minimum dix personnes supplémentaires, pour mener des travaux en adéquation avec les enjeux stratégiques que vous avez rappelés, monsieur le président. Cela permettrait d'intégrer ces travaux dans les politiques publiques et d'éviter les errements passés, caractérisés par des périodes de surabondance puis de pénurie de professionnels de santé, sources d'instabilité.
Mais à quoi sert la prospective en santé ? Pour paraphraser Lewis Carroll, si vous ne savez pas où vous voulez aller, alors n'importe quel chemin vous y mènera. Ainsi, la première étape de ces travaux consiste à élaborer une stratégie pour le système de santé, partant des objectifs en matière d'état de santé de la population. Cette stratégie permet de déterminer les services à rendre à la population, les structures devant fournir ces services, ainsi que les ressources humaines et les financements nécessaires. Les modèles de prospective des ressources humaines en santé sont un pilier essentiel de cette stratégie, permettant de quantifier les différents facteurs influençant l'équilibre entre offre et demande de soins, et d'analyser précisément les interactions entre l'offre et la demande. Par exemple, si l'on souhaite mettre en place des politiques de dépistage pour améliorer l'état de santé de la population, il est impératif de s'assurer que les professionnels nécessaires sont disponibles pour effectuer ces dépistages.
Ces modèles permettent ainsi un dialogue éclairé avec les patients et les professionnels de santé, facilitant la prise de décision et la définition de priorités. Par exemple, nous constatons en France, ainsi que dans de nombreux autres pays, une baisse du temps de travail des professionnels de santé, comme vous l'avez mentionné. Si cette baisse est de 10 %, il est impératif, toutes choses égales par ailleurs, de transférer 10 % de leur activité à d'autres professionnels et de s'assurer que ceux-ci sont disponibles et capables d'exercer cette activité.
Ces outils de quantification et de précision nous aident à progresser vers une vision partagée du système de santé et à donner à chacun des perspectives favorables. Actuellement, de nombreux médecins voient leurs compétences grignotées par d'autres professionnels et se sentent en concurrence avec eux faute d'avoir une vision positive de leurs nouvelles missions dans un avenir proche, où ils auraient délégué les tâches nécessitant moins de formation.
Ainsi, la prospective des ressources humaines doit s'inscrire dans une stratégie globale pour le système de santé, et dans une stratégie globale de gestion des ressources humaines. Déterminer le nombre de professionnels à former n'a que peu d'intérêt opérationnel si l'on ne s'assure pas que ceux-ci accomplissent effectivement les missions attendues. Il reste beaucoup de progrès à faire dans la collecte et l'analyse des données disponibles, d'où la nécessité de moyens supplémentaires, comme je l'ai souligné en introduction. Par exemple, nous avons une connaissance limitée de l'activité des médecins dans des domaines tels que les soins esthétiques ou les pratiques particulières comme l'acupuncture ou l'homéopathie. Il est donc essentiel de progresser dans la compréhension de ces activités médicales, qui ne correspondent pas nécessairement aux priorités actuelles face à la pénurie de soins médicaux, et de réfléchir à des moyens de renforcer l'attractivité de certaines spécialités.
La méthode pour améliorer les outils de prospective est détaillée dans notre rapport. En résumé, il s'agit de mener une analyse prospective profession par profession en partant des modes de recours actuels et en identifiant les déséquilibres entre l'offre et la demande, y compris l'existence de demandes pertinentes non satisfaites, comme celles des patients en affection longue durée qui n'ont pas de médecin traitant, par exemple, qui sont aujourd'hui presque 500 000, mais aussi l'existence de recours qui sont non pertinents. La prospective des ressources humaines en santé nécessite d'établir des priorités, surtout en période de pénurie médicale, et de réguler la demande pour garantir que les besoins prioritaires sont satisfaits en premier, afin de ne pas aggraver les inégalités de santé.
Une fois les déséquilibres actuels identifiés, il est essentiel d'analyser les facteurs qui influencent l'évolution de l'offre et de la demande. Cela inclut d'abord les facteurs démographiques, tels que l'évolution de la population et du nombre de professionnels de santé. Ensuite, il faut prendre en compte d'autres facteurs pertinents mais plus complexes à mesurer, comme l'évolution des maladies à un âge donné - les évolutions épidémiologiques - et, du côté de l'offre, l'évolution du temps de travail, de la répartition des tâches entre médecins, et l'efficacité des organisations de santé.
Ces travaux de prospective ne visent pas uniquement à anticiper l'avenir, mais également à analyser les leviers les plus efficaces pour équilibrer l'offre et la demande, y compris à très court terme. Ces modèles sont donc très utiles, notamment pour mieux réguler la situation actuelle, et sont demandés tant au niveau national que local. Les agences régionales de santé (ARS), en particulier, étaient très intéressées par nos travaux. Elles sont très demandeuses d'outils de projection sur les ressources humaines afin de mieux réguler l'offre sur leur territoire : elles complètent les données nationales par leur connaissance du terrain à un niveau géographique très fin. L'équilibre entre offre et demande dépend aussi beaucoup des contextes locaux, de l'action des professionnels, des conditions d'exercice, des politiques qui sont menées à un niveau très local.
Pour compléter la prospective profession par profession, il est recommandé d'effectuer une prospective par grands domaines de soins, tels que le cancer, la santé mentale, les soins de proximité, ou sur des populations spécifiques, comme les personnes âgées. Cela permet de lier les objectifs de santé aux besoins en services de santé, d'analyser les organisations les plus efficaces pour fournir ces services, et d'estimer les moyens humains et financiers nécessaires. Par exemple, dans le domaine du cancer, des exercices aboutis ont été menés, comme ceux réalisés par Unicancer, et il est recommandé que chaque plan thématique dans la santé intègre une trajectoire chiffrée, pour garantir les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés.
Le rapport prend deux exemples. Le premier est le suivi de la grossesse. Nous partons des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en matière de prise en charge de la grossesse et des indicateurs de santé publique, qui ne sont pas très bons en France aujourd'hui. Nous examinons la situation en Belgique, où une prospective des besoins en sages-femmes a été réalisée, avec plusieurs scénarios selon que la prise en charge de la grossesse est plus ou moins centrée sur les soins de ville ou sur l'hôpital et plus ou moins centrée sur les gynécologues ou les sages-femmes.
L'autre exemple concerne les soins de proximité, domaine choisi pour sa complexité, pour voir si l'exercice était faisable : il s'agit en effet d'un champ transversal, où interviennent beaucoup de professionnels, et où beaucoup de problèmes de santé différents sont pris en charge. Or il n'existe pas de normes fixant le nombre de professionnels dont on a besoin dans chaque territoire pour prendre en charge correctement la population. Nous proposons donc de définir les services prioritaires à rendre à la population : par exemple, que chaque personne qui le souhaite puisse avoir accès à un médecin traitant, en particulier pour les personnes en affection longue durée, que les délais de prise en charge des soins programmés soient cohérents avec la volonté qu'il n'y ait pas de perte de chance, que les soins non programmés soient assurés. Une fois ces services prioritaires définis, nous fixons comme objectif d'atteindre l'équité territoriale, définie comme l'accès pour tous et partout sur le territoire à ce socle de services prioritaires. Nous proposons ensuite d'identifier des territoires, à l'échelle des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), où ces services sont rendus à toute la population par des organisations efficaces. Dans ces territoires, qui doivent être représentatifs d'une certaine diversité - ville, montagne, etc. - nous regardons combien de professionnels sont nécessaires pour rendre ce socle de service, et nous en déduisons une fourchette minimale de professionnels dans tous les territoires. Tout cela suppose évidemment de se doter de mesures efficaces pour améliorer la répartition des professionnels sur le territoire. Sinon, connaître le bon nombre de professionnels au niveau national n'avance pas à grand-chose, dès lors que leur répartition ne correspond pas du tout à celle de la population.
En termes d'organisation, nous nous appuyons sur l'ONDPS et la Drees, dont nous proposons de renforcer les moyens, car ceux-ci ne sont pas du tout à la hauteur de l'enjeu stratégique du sujet que vous avez rappelé, monsieur le président. Il faudrait renommer l'ONDPS pour que ses missions aillent au-delà la fonction d'observatoire, et reconnaître son rôle d'instance indépendante de pilotage de la prospective en ressources humaines, chargée de faire des propositions pour le nombre de professionnels à former, mais aussi pour les autres leviers dans le cadre de cette stratégie globale des ressources humaines. La Drees doit, elle, devenir responsable des modèles de projection de l'offre et de la demande, et de l'investissement très fort nécessaire dans l'amélioration des données sur ce sujet.
Dr Isabelle Vincent, conseillère scientifique du HCAAM. - Ce travail s'est appuyé sur la recherche internationale. Nous avons regardé comment ces exercices de prospective étaient faits chez nos voisins, car ceux-ci sont confrontés à la même pénurie de professionnels de santé. Pour aboutir à ces recommandations, nous nous sommes appuyés sur des méthodes quantitatives, qui s'appuient sur des bases de données. Le travail sur la qualité des bases de données relatives au nombre de professionnels de santé est donc vital.
Nous avons aussi effectué des études qualitatives, comme c'est le cas dans certains pays, pour mieux appréhender les évolutions du temps de travail des professionnels de santé au cours de la prochaine décennie, par exemple. En Belgique, la détermination du nombre de médecins à former prend déjà en compte une diminution du temps de travail de 20 % !
Ces exercices de prospective n'ont de sens que si on les confronte régulièrement avec ce qui se passe tous les ans dans la réalité. Là encore, cela nécessite des moyens. Ce qui ressort souvent des études internationales, c'est l'importance d'associer largement l'ensemble des parties prenantes. Quand on se fixe des objectifs de santé et qu'on se demande comment les atteindre, la concertation avec les professionnels, les usagers et les différents acteurs ou offreurs de soins est fondamentale.
Dr Emmanuel Touzé, président de l'Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS). - Merci, monsieur le président, d'avoir organisé cette réunion, qui illustre bien l'importance de la collaboration entre les différents services ministériels. Je crois que c'est la première fois que nous avons pu travailler ensemble de manière conjointe entre trois organismes et aboutir à quelque chose de consensuel et très intéressant. Permettez-moi de vous présenter brièvement l'ONDPS. Pratiquement toute l'équipe de l'ONDPS est présente ici aujourd'hui, à l'exception d'une jeune statisticienne. En ce qui me concerne, je n'en suis pas président à temps plein ; je suis également neurologue et doyen de la Faculté de santé à l'Université de Caen. Je ne suis donc pas totalement dédié à cette mission, bien que celle-ci soit passionnante.
Comme l'a souligné Nathalie Fourcade, l'ONDPS a été créé il y a environ vingt ans en réponse aux premières questions sur la pénurie de professionnels de santé. Initialement, son rôle était principalement d'observation, d'où son appellation d'observatoire. Progressivement, cependant, l'ONDPS s'est vu confier des missions relevant davantage de la planification. En effet, nous avons été chargés par la loi de planifier le nombre de médecins, pharmaciens, chirurgiens, dentistes et sages-femmes à former, dans le cadre de la réforme de l'accès aux études de santé et de la suppression du numerus clausus. Ce travail était assez novateur, car dans le passé, la régulation du nombre de professionnels de santé reposait sur des critères peu clairs, essentiellement des données démographiques, et peu sur l'évaluation des besoins.
Nous avons réalisé que cette évaluation des besoins était indispensable mais extrêmement difficile. Elle repose sur de nombreuses hypothèses peut-être inexactes, mais ne pas la faire serait encore pire. Avoir une évaluation imparfaite est toujours mieux que rien du tout, car cela permet de mieux anticiper les défis à venir. Les pays qui mènent ce type d'évaluation rencontrent certes des difficultés, mais ils semblent les anticiper de manière plus efficace.
Je ne vais pas répéter ce que mes collègues ont déjà dit, mais je voudrais souligner l'existence de données déjà disponibles. En France, de nombreux organismes fournissent des données, mais il n'existe pas de coordination et ces données ne sont pas toujours collectées dans le but d'évaluer les besoins en professionnels de santé. Il est crucial de se concentrer sur la projection démographique, une tâche que nous savons plus ou moins réaliser. Si nous pouvons compter les professionnels de santé et déterminer leur durée de carrière, nous pouvons faire des projections démographiques. Cela nous donne des nombres, pas du temps, mais c'est quelque chose que nous pouvons mesurer. En revanche, évaluer les besoins est beaucoup plus difficile. Cela nécessite des travaux spécifiques et la mobilisation de tous les acteurs concernés. Il est impossible de centraliser cette tâche, car de nombreux acteurs possèdent des données sur l'activité et les besoins en santé.
La dimension qualitative est également essentielle. Cela signifie qu'il est nécessaire de mener des études de recherche spécifiques, parfois sur le terrain, pour comprendre comment les professionnels s'organisent entre eux, comment les tâches sont réparties, et quelles missions pourraient être déléguées à d'autres professionnels que les médecins, ce qui permettrait éventuellement de libérer du temps médical. Bien que cela soit semi-quantitatif et que nous ne puissions jamais être très précis, cela donne tout de même une orientation qui peut influencer les modèles.
Un autre point crucial est que la planification ne peut être efficace sans régulation. Si nous nous contentons de compter le nombre de professionnels nécessaires, mais que ceux-ci s'installent et exercent où et comme bon leur semble, le système ne fonctionnera pas. La régulation est donc indispensable. La planification doit également être suivie de près. Il est nécessaire d'avoir des tableaux de bord précis pour voir si nous atteignons nos objectifs chaque année. Enfin, il est important de souligner que les dimensions locale et nationale sont toutes deux indispensables. Nous avons besoin d'une évaluation des besoins territoriaux en raison des spécificités locales, mais nous avons également besoin d'un pilotage national pour évaluer les grandes tendances par spécialité et profession de santé, afin de guider la formation nécessaire.
M. Philippe Mouiller, président. - On a bien compris qu'une de vos missions est de donner des éléments d'information sur les besoins, pour calibrer la formation, et notamment déterminer le nombre de places ouvertes. Cette année, le nombre de places ouvertes correspond-il à ce que vous aviez estimé nécessaire ? Pour de l'efficacité, il faut de la régulation. En tant que médecin et doyen, monsieur Touzé, considérez-vous qu'il est important de mettre en place des outils de répartition sur le territoire national ?
Dr Emmanuel Touzé. - En 2021, nos travaux de prospective étaient les premiers à avoir l'ambition de mieux faire correspondre l'offre aux besoins. Nous n'avions pas tous les outils pour répondre à la question et ce travail doit être refait prochainement pour redéfinir les besoins de formation dans les cinq ans à venir. Nous avons tout de même pu prendre un certain nombre d'orientations fortes. La première a été d'augmenter le nombre de médecins en formation, qui a crû d'environ 20 %. Cela correspondait aux demandes des territoires, des ARS, et nous permettra de rattraper un peu plus vite le niveau de densité médicale moyen en Europe. Il y aura toutefois un décalage puisque ces décisions auraient dû être prises il y a une dizaine ou une quinzaine d'années. Le creux que l'on vit aujourd'hui était inévitable, donc.
La deuxième décision forte résultait du constat que l'accès aux soins dentaires était extrêmement difficile, en particulier dans certaines régions qui, par ailleurs, n'offraient pas de formation sur place. Nous avons donc été au-delà de ce qui avait été sollicité par les territoires et les facultés dentaires, puisque nous avons demandé une augmentation significative du nombre de chirurgiens-dentistes à former et que nous avons orienté ces formations vers les territoires à faible densité de chirurgiens-dentistes. L'impact a été important puisque cela a obligé l'État à créer de nouvelles formations et de nouvelles facultés dentaires. Ces travaux ont donc abouti à un certain de décisions politiques.
Mais s'il n'y a pas une répartition des professionnels, des spécialistes, qui corresponde aux besoins du territoire et des citoyens, nous continuerons à constater des inégalités territoriales. Certaines professions sont régulées, d'autres ne le sont pas. Il y a plusieurs façons de faire en sorte que les professionnels se répartissent, sans forcément passer par de la régulation à l'installation. Mais il faut résoudre ce problème. Sinon, on pourra continuer à augmenter le nombre de professionnels, les inégalités demeureront.
Mme Corinne Imbert. - Merci pour ces présentations mais, sauf votre respect, je continue à me désoler, et je n'arrive pas à me consoler. Je continue à me désoler car l'ONDPS a été créé il y a 20 ans, et que c'est la première fois que nous travaillons ensemble, alors que les problèmes que nous évoquons ce matin sont connus depuis longtemps. Je comprends bien l'importance de l'échelon national mais, su Sénat, nous sommes tous attachés à nos territoires, et notre première préoccupation concerne les soins de proximité. Malheureusement, les réponses que nous obtenons ne sont pas toujours à la hauteur, même si ce sont souvent les plus difficiles à trouver.
Permettez-moi de prendre un exemple. Madame, vous avez évoqué le manque de données sur l'activité des médecins dans le domaine de l'esthétique. Mais est-ce là la véritable question ? Ne devrions-nous pas plutôt nous demander pourquoi des médecins généralistes formés choisissent de se tourner vers l'esthétique au lieu d'exercer leur spécialité ? C'est cela, le sujet.
En tant que professionnelle de santé - bien que je ne sois pas médecin - je travaille toujours en zone rurale. Je m'attendais donc à entendre également parler de l'épuisement professionnel des praticiens, qui y font face à une charge de travail toujours plus lourde. Peut-être que cela ne fait pas partie de l'objet de votre mission, mais ces aspects sont étroitement liés. Vous avez mentionné la possibilité de transférer 10 % de l'activité des médecins vers d'autres professionnels en cas de baisse de leur activité. Mais est-ce vraiment réalisable ? Ce sont les médecins qui posent les diagnostics, et non les autres professionnels. Si ces derniers doivent prendre en charge des tâches supplémentaires, cela suppose qu'ils se forment pour cela, ce qui réduit encore leur temps de travail disponible. Comment gèreront-ils alors cette surcharge de travail, notamment s'ils disposent d'une équipe ? Toutes ces questions sont cruciales dans la réalité. Je m'excuse de m'emporter, mais c'est ce que je vis au quotidien.
Les approches que vous évoquez sont certainement nécessaires pour que les décideurs au sein des ministères réfléchissent. Vous avez mentionné les CPTS, qui sont aujourd'hui au coeur des débats. Ce « concept magique » est en vogue, et tous rêvent d'une carte de France recouverte de CPTS. Mais leur mise en place demande du temps, et du personnel ayant envie de s'y engager. Quelle est la taille idéale d'une CPTS ? Dans ma région, cela couvre 110 communes et 52 000 habitants, il faut trois quarts d'heure pour traverser la zone ! Voilà la réalité d'aujourd'hui.
Les premières CPTS qui ont été créées sont parfois très performantes, parce qu'il y avait des hommes et des femmes de bonne volonté, qui ont estimé que le périmètre des territoires concernés était bien défini. Mais ne croyez pas que ce soit la baguette magique. La baguette magique, c'est quand des professionnels travaillent ! Si leur temps de travail doit baisser de 20 % et que vous comptez demander 20 % de plus aux autres professionnels de santé, comment rendre ces métiers attractifs ? En pharmacie, il manque 1 500 étudiants depuis deux ans. Et vous allez confier de nouvelles tâches aux pharmaciens ? (Plusieurs membres de la commission applaudissent.)
M. Bernard Jomier. - Je dois dire que je comprends le sentiment d'exaspération exprimé par Corinne Imbert. Monsieur le président, je vous donne acte d'une forme d'humilité, notamment lorsque vous avez souligné qu'il vaut mieux avoir des prévisions inexactes que pas de prévisions du tout. Cela démontre une certaine modestie. Je ne critique pas le fait que tout le monde se soit trompé. D'ailleurs, dans les années 1990, même ceux qui crient aujourd'hui, comme les syndicats de médecins ou l'ordre des médecins, réclamaient une régulation plus stricte. Et ceux qui ne réclamaient pas qu'on ferme le robinet, comme les hospitaliers ou les universitaires, étaient motivés par leurs intérêts du moment, et non par une prévoyance particulière. Chacun devrait balayer devant sa porte et faire preuve d'humilité, car nous sommes confrontés à une situation complexe.
Je souhaiterais éclaircir un point concernant vos prévisions. Nous assistons à des changements dans les pratiques médicales, et vos calculs peuvent sembler un peu technocratiques, comme l'a souligné Mme Imbert. Mais ce qui m'inquiète, c'est l'impact potentiel du virage vers la prévention, que nous espérons toujours. Prenons l'exemple de l'obésité. Si nous continuons sur la même voie, l'obésité continuera d'augmenter et nous prescrirons davantage de médicaments anti-obésité. L'industrie pharmaceutique est très active sur ce sujet, et tout cela aura un coût. Mais si nous décidons de prendre un virage préventif en encourageant l'activité physique et en travaillant sur l'alimentation, alors les besoins en professionnels de santé seront différents. Nous aurons moins besoin de diabétologues si nous parvenons à réduire le nombre de cas de diabète, par exemple.
Dans cet exercice difficile de prévision, j'ai l'impression que nous commençons à intégrer de nouveaux partages de tâches, mais que nous ne prenons pas suffisamment en compte un éventuel changement de paradigme en matière de santé publique. Cela pourrait être désespérant, car si nous continuons ainsi, cela aura des répercussions non seulement sur les professionnels, mais aussi sur nos finances publiques et notre système de sécurité sociale. Les dépenses de santé qui sont déjà passées de 200 à 250 milliards d'euros, pourraient atteindre 300 voire 400 milliards d'euros dans dix ans. Il est donc crucial de prendre en compte les besoins réels en termes de professionnels de santé et de définir clairement leur rôle.
Mme Nathalie Fourcade. - Merci beaucoup pour toutes ces remarques. Évidemment, nous partageons ce que vous venez de dire. Mme Imbert, vous soulignez que c'est la première fois que nous travaillons ensemble. C'est la première fois que le HCAAM s'empare des sujets de prospective des ressources humaines en santé. Il a été créé initialement pour aborder les questions de financement. Nous nous sommes rapidement rendu compte qu'il était impossible de décider des financements sans analyser ce que nous finançons. Par conséquent, nous avons beaucoup travaillé sur les questions d'organisation des soins. C'est la première fois que nous travaillons sur la prospective des ressources humaines à proprement parler, mais il existe un partenariat de très longue date entre la Drees et l'ONDPS sur ce sujet.
Je vous ai présenté notre dernier rapport, qui porte sur la prospective des ressources humaines en santé, mais notre rapport précédent portait justement sur l'organisation des soins de proximité. Pour le préparer, nous avions effectué de nombreuses visites de terrain, rencontré de nombreux acteurs, et nous partageons totalement ce que vous venez d'évoquer. Nous avons entendu l'épuisement des professionnels, et nous avons donc formulé des propositions pour améliorer l'organisation des soins de proximité, afin de mieux répondre aux attentes de la population et à celles des professionnels. Nous abordons notamment les CPTS et nous soulignons que ce sont des organisations encore jeunes et très inégales. Il serait donc nécessaire d'examiner celles qui fonctionnent le mieux et de capitaliser sur les bonnes pratiques.
Concernant les tâches que l'on peut transférer des médecins à d'autres professionnels, nous mettons en avant le rôle propre des infirmiers, qui semble actuellement être insuffisamment exploité. Il ne s'agit pas de former de nouveaux infirmiers ou de leur faire acquérir des compétences supplémentaires, mais plutôt de valoriser ce qu'ils savent déjà faire. Dans les régions les plus denses en infirmiers, nous constatons que ceux-ci effectuent davantage d'actes infirmiers de soins, tels que les soins d'hygiène, qui pourraient être pris en charge par d'autres professionnels. Il est donc nécessaire de mieux valoriser les infirmiers dans ce qui constitue leur véritable valeur ajoutée.
Monsieur Jomier, nous partageons entièrement ce que vous avez dit sur la prévention. Le HCAAM a consacré un rapport à la prévention de l'obésité en particulier, mettant en avant le rôle des autres professionnels, que vous avez mentionnés à juste titre. Nous le rappelons, dans notre rapport sur la prospective des ressources humaines en santé, en mettant en avant le rôle des patients eux-mêmes dans l'auto-soin, ainsi que le rôle de tous les acteurs qui peuvent ne pas être des professionnels de santé, mais ont un rôle essentiel à jouer dans l'activité physique, l'alimentation, etc. Cependant, nous avons décidé de nous concentrer, pour les besoins de ce rapport, sur les modèles de projection de quelques professions de santé.
Quant aux soins esthétiques, je suis d'accord avec vous, madame la sénatrice, et nous lançons actuellement un travail sur les dépassements d'honoraires, que nous élargissons à la question de l'attractivité des professions de santé. Nous devons faire en sorte que les professionnels fassent bien ce pour quoi ils ont été formés, et ce pour quoi on a le plus besoin d'eux.
Dr Isabelle Vincent. - La lettre de mission d'Agnès Firmin Le Bodo était un texte méthodologique et très frustrant, en effet, sur tous les sujets que vous avez évoqués. Tous les facteurs que vous avez signalés, notamment les difficultés rencontrées par les étudiants en médecine, l'épuisement des professionnels, nous les avons mentionnés dans notre rapport méthodologique en tant que signaux d'alarmes, d'éléments à étudier, à prendre en compte. Cependant, cela dépassait largement le cadre de ce rapport.
Nous n'avons pu que souligner le fait que travailler sur la prospective n'a de sens que dans le contexte d'une vision stratégique des services à rendre à la population. Cela implique une stratégie de santé définissant clairement les services à rendre à la population, ainsi qu'une réflexion sur le rôle des différents professionnels, dans le domaine de la santé comme dans celui de la prévention. Il faudra donc, à un moment donné, associer dans une réflexion large l'ensemble de ces professionnels, et concerter, pour déterminer quel système de santé nous voulons. Mais nous aussi, nous étions très frustrées sur tous les sujets que vous avez évoqués.
Dr Emmanuel Touzé. - Je partage le constat de Mme Imbert. Tout neurologue et doyen que je sois, je vais deux fois par mois consulter dans des territoires ruraux. Je suis donc bien au fait des enjeux d'accès aux soins. Dans nos propos liminaires, il n'était pas question de tout aborder dans le détail. Il est clair que la prospective ne peut se limiter à une simple position descendante ; elle doit être nourrie par la concertation, comme nous l'avons souligné, ainsi que par une vision globale du système de santé et de la politique qui l'accompagne. M. Jomier a raison, si la politique de prévention évolue, cela signifie qu'il faut adapter la formation des professionnels pour répondre aux nouveaux besoins. Nous devons être constamment en interaction avec le système de santé et ses besoins, en anticipant au maximum et non en réagissant en permanence.
Mme Agnès Bocognano, secrétaire générale de l'ONDPS. - L'ONDPS travaille actuellement sur deux professions qui ne sont pas des professions médicales : les infirmières et les aides-soignantes. Ce sont des problématiques qui entrent totalement dans l'étude que nous faisons, qui est aussi une étude sur la démographie et sur la prospective des besoins à venir. L'attractivité des professions, l'attractivité des formations, est encore une autre question, tout comme celle du maintien en formation, qui est un sujet très important pour ces deux professions.
Mme Corinne Imbert. - Je souhaite poser une dernière question au président de l'ONDPS. Vous avez clairement dit que vous étiez favorable à une régulation. Au-delà de la menace de certains syndicats de médecins, pouvez-vous évaluer la part de médecins généralistes qui pourraient se déconventionner après une telle décision ?
Dr Emmanuel Touzé. - L'ONDPS ne peut pas faire ce genre d'analyse à lui seul. C'est un travail qu'il faudrait mener collectivement, avec les bons fournisseurs de données, sans doute les professionnels eux-mêmes - peut-être l'Ordre des médecins.
M. Philippe Mouiller, président. - Monsieur Lenglart, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons eu, en introduction, une présentation des travaux menés par les deux organismes partenaires. L'idée pour nous est de bien repositionner les missions de la Drees sur l'enjeu essentiel qu'est la démographie médicale, et de voir comment, dans ce partenariat, vous participez à l'élaboration des débats, de façon très officielle, de par les missions que vous confère la loi, ou par vos travaux permanents de prospective sur cet enjeu qui pour nous est essentiel.
M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). - Je me joins à vous un peu après le début de la discussion, mais permettez-moi de situer la Drees dans le paysage administratif. C'est une cheville ouvrière dans les travaux menés à la fois par l'ONDPS et le HCAAM. Elle est essentielle car elle aborde la question de la démographie des professionnels de santé, médicaux ou paramédicaux. En collectant des données sur ces différentes professions et en développant des modèles de projection, elle fournit des éléments essentiels pour les travaux de l'ONDPS et, je l'espère, contribue de manière significative à leur utilité.
D'un point de vue global, la Drees éclaire le débat en traçant des courbes prospectives de la démographie médicale, notamment celle des médecins, et en explicitant les paramètres qui influent sur ces projections. Par ailleurs, elle a développé depuis de nombreuses années des indicateurs d'accessibilité potentielle localisée (APL), permettant de mesurer l'accessibilité de l'offre médicale à un niveau communal. Ces travaux ont permis de mettre en lumière la situation actuelle, marquée par une démographie des médecins généralistes en déclin par rapport aux besoins de la population depuis une quinzaine d'années. De plus, ils révèlent que, compte tenu des décisions récentes, nous sommes actuellement dans une période de creux. Bien que cela puisse être une consolation, il est important de noter que modifier ces tendances prend du temps, notamment en raison du temps nécessaire pour former des médecins. Ces projections indiquent néanmoins que la démographie médicale va connaître un redressement dans les années à venir, en raison des décisions prises récemment. Par ailleurs, en fournissant des données sur les indicateurs chaque année, nous pouvons objectiver la situation sur le terrain et constater une augmentation de l'insuffisance médicale, en particulier dans les régions Centre-Val de Loire et Normandie.
Mme Florence Lassarade. - J'ai inauguré récemment un centre médical dans une commune de 1 000 habitants, où les médecins ont proposé de faire une nocturne. Tenez-vous bien, cette nocturne dure jusqu'à... 19h30. Voilà où nous en sommes !
J'espère que les étudiants en médecine, en dentaire, en professions médicales et paramédicales n'écoutent pas cette audition. La manière dont vous traitez la démographie médicale, par des statistiques - ce qui est normal - donne en effet l'impression que les professionnels sont vraiment des pions. Lors de l'audition de Thomas Fatome, celui-ci suggérait que les pédiatres allaient disparaître, et que ce n'était donc pas la peine de se préoccuper de leur rémunération ou de leur formation... D'après lui, ce sont les médecins généralistes qui feront de la pédiatrie avec, tenez-vous bien, trois mois de pratique pour pouvoir exercer. Dans ce pays, tout semble quantitatif. Où est l'aspect qualitatif ? Je suis d'accord pour faire de la prévention, mais le pédiatre fait également de la prévention, et on s'attend à sa disparition. On peut se demander aussi comment les maternités vont tourner, puisqu'il faut sept pédiatres pour une maternité de 1 000 accouchements.
Comme médecin, je me sens quelque peu insultée ce matin. C'est difficile d'entendre cette façon quantitative d'étudier la question.
Vous avez évoqué la profession dentaire. Le doyen de la faculté de Bordeaux a proposé à des dentistes libéraux de venir à l'hôpital former des étudiants, pour décentraliser complètement cette formation et donner envie aux étudiants de se former. C'est une initiative très intéressante, qui incitera les dentistes à se former. Cela signifie-t-il que l'initiative doit venir des régions ? Est-ce qu'il faut régionaliser la santé ?
Enfin, en payant le généraliste 26,50 euros, il ne faut pas s'étonner qu'il fasse de la chirurgie esthétique ou de la petite chirurgie du botox...
Mme Jocelyne Guidez. - Je lisais les récentes préconisations de la Cour des comptes sur la désertification médicale. La Cour observe que plusieurs pays ont supprimé le certificat médical obligatoire pour un arrêt maladie de courte durée, et l'ont remplacé par une autodéclaration du patient, afin de libérer du temps médical. Un tel dispositif supposerait d'instaurer un autre système de régulation, avec par exemple un ou deux jours de carence, qui ne serait pas indemnisé par l'assurance maladie ni par l'employeur. Qu'en pensez-vous ? Le rapport propose également de confier aux hôpitaux une mission d'intérêt général nouvelle : déployer des centres de santé hospitaliers polyvalents dans les zones en grande difficulté.
Mme Céline Brulin. - Il me semble que l'écueil que vous rencontrez, et que nous rencontrons lors de la présentation de vos travaux, réside dans le fait que vous réalisez de la prospective sans avoir de feuille de route claire quant à l'orientation de cette prospective. En effet, on constate que, sur des sujets tels que le virage de la prévention, la régulation et la planification, les études ne sont pas les mêmes en fonction des grandes orientations envisagées. Je comprends parfaitement le coup de gueule de Corinne Imbert, mais je pense qu'il tient en partie à cela. Cela donne l'impression, et je le dis sans mépriser vos travaux, que nous faisons de la prospective pour la prospective, ce qui n'engendre que des insatisfactions.
Cette audition devrait conduire à ce que la puissance publique, en particulier le Gouvernement mais aussi nous en tant que parlementaires, fournisse des orientations claires. Nous connaissons les options qui sont sur la table, nous savons les choix politiques que nous pouvons faire en matière de politique de santé. Il serait judicieux de les exprimer clairement dans une feuille de route qui rendrait vos travaux encore plus pertinents.
Pour en venir à des questions plus précises, pourriez-vous nous fournir des éléments un peu plus détaillés, malgré le temps limité que nous avons ce matin, sur le lien entre la formation dans un territoire et l'installation dans ce même territoire ? Ce lien me semble très important. Pouvez-vous nous donner des éléments plus précis sur la répartition en termes de modes d'exercice ? Car empiriquement, j'ai le sentiment que les professionnels de santé tiennent un discours quelque peu idéologique sur le fait qu'ils veulent être libéraux, mais que, dans leur pratique, les choses sont bien différentes. Il pourrait être intéressant d'analyser ces pratiques pour montrer que la réalité ne correspond pas toujours au discours.
Enfin, nous avons également débattu de la nécessité d'accroître les capacités de formation de nos universités. Nous avons examiné récemment des textes où le curseur a été plutôt mis sur le maintien des capacités actuelles, car il semble que l'on ne puisse pas faire grand-chose de plus. Cependant, j'ai du mal à croire que le creux en matière de démographie médicale va se résorber. Lorsque vous nous dites qu'en Belgique, d'ici 2030, il y aura une diminution de 20 % du temps médical utile, cela signifie que les capacités de formation que nous avons ouvertes aujourd'hui ne suffiront pas. Est-ce que l'analyse de ces capacités de formation fait également partie de vos travaux, notamment en ce qui concerne les terrains de stage ?
M. Khalifé Khalifé. - Je souhaite exprimer ma colère et ma déception, à l'instar de Corinne Imbert. Je suis très déçu par ce que j'ai entendu ce matin, même si je me réjouis que vous déclariez devoir travailler ensemble. Vous n'êtes pas responsables de ces problèmes, certes, qui sont très anciens. J'ai eu le triste privilège d'avoir été président de service hospitalier pendant 40 ans et président d'une commission médicale dans un CHU pendant 20 ans. Donc ces problèmes, je les connais et je les entends depuis vraiment très longtemps.
Il y a un facteur sociétal sur lequel, naturellement, vous ne pouvez rien faire. Les plus jeunes ne veulent pas travailler comme nous le faisions, faire quatre nuits par semaine ou parfois 36 heures d'affilée. L'attractivité des professions est un problème, sur lequel je ne veux pas m'étendre davantage. Je vais revenir sur ce que j'appelle l'aménagement des territoires, que les doyens des facultés de médecine ont peut-être ignoré par obligation...
J'ai vécu cette transformation. Il ne s'agit pas seulement du numerus clausus, dont l'évolution n'a pas été catastrophique dans les années 1970 ; c'est la réforme de 1983 qui a été catastrophique. Lorsque l'on a progressivement mis en place des épreuves classantes nationales, les centres de formation ont complètement oublié les hôpitaux périphériques, où il y avait de véritables maîtres de stages pour les internes. Ces internes restaient pendant quatre ans, six ans, et demeuraient dans les territoires, que ce soit en libéral ou à l'hôpital, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Plus le temps passe, moins nous aurons de personnes compétentes en dehors des villes universitaires pour encadrer des jeunes. Monsieur le doyen, je profite de votre présence pour en parler. Nous espérons, avec Corinne Imbert, inviter le président de la Conférence nationale, afin de discuter de ces épreuves classantes nationales, qui, même si elles ont été récemment modifiées, restent un obstacle important à la répartition des médecins à la sortie de leur spécialité.
Je voulais saluer les régions, qui ont en charge les professions paramédicales, et qui ont maintenu ce maillage territorial. Ainsi, même dans les petits villages, on trouve une infirmière libérale, une aide-soignante, un kinésithérapeute. Tout cela est important, et je trouve que la concentration a été néfaste.
Pour revenir au constat, ce que vous faites est très bien, il n'y a pas de problème, mais sachez que le diagnostic, nous le connaissons depuis des années, à tel point que même les départements, bien que cela ne relève pas de leurs compétences, ont énormément investi. Ce diagnostic territorial, nous l'avons établi de la manière la plus claire et précise possible, afin de chercher des solutions. Mais les solutions sont centralisées, à Paris, et c'est là que nous devons vous interpeller au maximum.
Il est important de revoir les épreuves classantes nationales. Pour ce qui est des paramédicaux, notamment les infirmières, je pense qu'il faut revoir Parcoursup. Les régions ont accepté d'augmenter le nombre d'étudiants mais, avec Parcoursup, il y a jusqu'à 20 % d'abandons d'études, alors qu'avant Parcoursup, les élèves infirmiers étaient vus individuellement avant d'être inscrits à l'école, pour évaluer leur motivation, etc. Parcoursup est aléatoire, je ne vous apprends rien. Il y a des choses qui ne peuvent pas être réglées au niveau régional, et qui doivent l'être au niveau national.
Mme Nathalie Fourcade. - Je vais répondre sur trois points : le rôle du médecin, le rôle des hôpitaux dans la création de centres de santé, et les modalités d'exercice.
Sur le rôle des médecins, tout d'abord, ce que nous indiquons dans nos rapports, c'est qu'en période de pénurie médicale, il est nécessaire d'organiser une priorisation des recours aux soins. Sinon, ce sont toujours les patients les mieux nantis, ceux qui ont déjà un accès adéquat aux soins, qui réussiront à obtenir des rendez-vous. Il est donc crucial d'instaurer une priorisation collective de l'accès aux ressources médicales afin de lutter contre les inégalités de santé. Pour prendre l'exemple de la pédiatrie, le rôle du pédiatre en tant que médecin traitant de l'enfant, au-delà des premières années, est souvent réservé à une certaine catégorie de la population dans les grandes villes, alors que nous manquons réellement de pédiatres dans les maternités. Nous devons donc réfléchir à la manière de mettre en place une priorisation de l'activité médicale en période de pénurie, qui réponde aux besoins de toute la population, y compris ceux qui sont les plus éloignés du système de soins, tout en prenant en compte les besoins des médecins. Cela passe également par une réduction des charges administratives des médecins, comme vous l'avez souligné.
Concernant le rôle des hôpitaux dans la création de centres de santé, notre idée est de laisser au maximum les professionnels sur le terrain s'organiser. La puissance publique, notamment l'assurance maladie, doit jouer un rôle de facilitateur des initiatives des professionnels de ville et les soutenir dans leur réponse aux besoins de la population. Cependant, s'il y a un constat de carence, si aucune initiative professionnelle n'émerge dans un territoire donné, il est alors du ressort de la puissance publique de proposer des solutions, qui peuvent être variées et impliquer différents acteurs. Par exemple, dans le département de Saône-et-Loire, c'est le conseil départemental qui crée des centres de santé, mais cela peut également être réalisé par des établissements de santé.
Enfin, concernant les modalités d'exercice, nous constatons aujourd'hui que les médecins privilégient l'exercice en groupe et ne veulent plus travailler de manière isolée. Ils optent pour diverses formes d'exercice, telles que les centres de santé en tant que salariés, ou les maisons de santé pluriprofessionnelles en tant que professionnels libéraux. Nous constatons que, même dans des régions reculées, on parvient à recruter des médecins dans le cadre de l'exercice de groupe, qui fonctionne correctement.
Dr Emmanuel Touzé. - Le nombre de pédiatres n'est pas en train de diminuer, il continue d'augmenter et je pense que la politique gouvernementale est plutôt d'aller vers une augmentation puisque, suite aux assises de la pédiatrie, il y a bien un besoin qui a été identifié.
Sur la nécessité d'avoir des informations qualitatives, nous sommes absolument d'accord. On a besoin de cet éclairage qualitatif. Mais à la fin, c'est bien un nombre d'étudiants qu'on fait rentrer.
Je rappelle aussi qu'il ne s'agit pas de décisions totalement centralisées. En tout cas, l'ONDPS est un organisme de concertation. Nous concertons en permanence avec les ARS. Nous avons beaucoup concerté avec les régions, aussi, dans le cadre des besoins de formation infirmière et de soignants, conjointement avec les ARS de chaque région. Chacune des régions a été vue. Et cet éclairage a été fondamental pour les orientations que nous proposons.
J'ai été interpellé en tant que doyen sur le lien entre formation et installation. Je l'ai dit tout à l'heure : là où il n'y avait pas de dentiste, c'est là où il n'y avait pas de formation. Quand il n'y a pas de formation, il n'y a pas de professionnels. C'est normal, car ce sont des formations assez longues. Un jeune qui se forme dans un territoire y commence sa vie personnelle aussi. Il faut absolument délocaliser les formations.
Vous faites le lien entre les épreuves classantes nationales et la répartition des étudiants en médecine. C'est aussi notre mission, à l'ONDPS, que de répartir les postes en fonction du dialogue que nous avons avec les ARS et les territoires, par spécialité et par subdivision. Ce n'est pas un système absolu, puisque la liberté d'installation permet toujours à un professionnel formé quelque part de ne pas y rester. Malgré tout, cela fonctionne : les étudiants formés dans un territoire ont clairement tendance à y rester.
Cela ne suffit pas, je suis d'accord avec vous. S'ils ne sont formés que dans les CHU, ils vont s'installer dans les métropoles et autour des CHU, et ils n'iront pas dans les territoires ruraux. C'est là que les doyens ont un rôle fondamental, avec la répartition des stages. Dans ma région, j'ai développé une politique territoriale pour inciter les étudiants à aller dans les hôpitaux périphériques, dans les stages en périphérie, dans les cabinets en périphérie. Mais j'ai aussi donné des capacités de formation, ce qui est indispensable. Il faut donner des moyens universitaires à ces territoires. J'ai créé des postes de professeur, de maître de conférences dans les hôpitaux périphériques. C'est un peu lent, évidemment, cela prend du temps, parce qu'il faut trouver des personnes motivées. Mais il faut aller jusqu'à cette maille territoriale. Cela dépend des spécialités, bien sûr : on ne va pas mettre des neurochirurgiens n'importe où. Mais pour les spécialités fondamentales évoquées tout à l'heure, pour les soins de proximité, il faut se donner les moyens et donc donner des moyens universitaires aux territoires.
C'est nécessaire : si on augmente le nombre d'étudiants en formation, on ne va pas continuer à bourrer les CHU. Il faut donc des capacités en dehors des CHU. Jusqu'à présent, on déterminait le nombre d'étudiants en médecine par rapport au nombre de terrains de stage, essentiellement dans les CHU, et non selon les besoins de la population. Aujourd'hui, on a tendance à dire que les capacités de formation sont saturées. Je ne suis pas certain que ce soit vrai. Simplement, il faut aller chercher des professionnels motivés. C'est le rôle de chaque professionnel de santé, dans chaque territoire, de se dire qu'il a une mission de formation. Certains professionnels de santé sont installés dans des territoires, souvent en exercice isolé, et attendent que cela tombe du ciel ! Non, cela ne peut pas tomber du ciel. Il faut qu'ils se mettent en capacité d'accueillir des étudiants, qu'ils leur donnent envie de s'installer dans leur territoire. Bref, il faut agir sur de nombreux leviers pour que la situation évolue.
M. Fabrice Lenglart. - S'il n'est pas suffisant de disposer de données chiffrées, vous reconnaîtrez tout de même que c'est nécessaire. Les exercices de projection que j'ai cités existent depuis de nombreuses années. Il y a 20 ou 25 ans, sur le fondement de ces mêmes projections et des décisions prises à la fin des années 1980 et au cours des années 1990, la Drees prévoyait un retournement à la baisse du nombre de médecins. C'est de la démographie bête et méchante, si je puis dire.
La pyramide des âges des médecins ressemble aujourd'hui à une toupie. Les médecins de plus de 65 ans sont très nombreux, tandis qu'il y a très peu de médecins âgés de 40 à 50 ans et davantage de médecins de moins de 40 ans. Le nombre de médecins croîtra mécaniquement en France durant plusieurs années, et sans doute plusieurs décennies. Ils ne s'installeront pas nécessairement au bon endroit, mais ils seront plus nombreux.
La Drees documente également, dans la mesure de ses moyens, l'évolution des pratiques médicales en interrogeant un panel de médecins généralistes, non pas seulement sur des données quantifiables, mais aussi sur leurs conditions de travail. Nous publierons du reste, dans le courant de la semaine prochaine, une étude portant sur les pratiques de travail des médecins généralistes, notamment sur leur faculté à répondre à des demandes de soins imprévues ou à prendre des patients qui ne font pas partie de leur patientèle.
La Drees mène également des enquêtes dites « écoles » qui permettent de mesurer les entrées dans les professions paramédicales et les parcours des professionnels concernés. En ce qui concerne les infirmières, nos études montrent que si le nombre de places de formation a effectivement augmenté, on observe concomitamment, ces dernières années, une augmentation assez sensible du taux d'abandon. Il est donc à craindre que les efforts consentis pour la formation d'infirmières ne conduisent pas à une augmentation à due concurrence du nombre de ces professionnelles.
Mme Annick Petrus. - Mes questions porteront sur l'outre-mer en général, et sur la collectivité territoriale de Saint-Martin en particulier. Quelles dispositions spécifiques permettraient d'attirer et de retenir les professionnels de santé dans les outre-mer ? Comment la télémédecine peut-elle être utilisée pour améliorer l'accès aux soins de santé, en particulier pour les patients éloignés des centres médicaux principaux ?
Mme Véronique Guillotin. - Je me réjouis que l'on mette aujourd'hui l'accent sur le pilotage, mais cela ne saurait nous dispenser de déterminer des objectifs. En matière de périnatalité, le pilotage peut aussi bien conduire à regrouper les maternités qu'à n'en fermer aucune. Il en va de même pour la télémédecine : voulons-nous ou non qu'elle se développe ? Autrement dit, le pilotage des ressources humaines suppose un pilotage politique.
Comment l'intelligence artificielle influencera-t-elle les besoins ?
Les besoins de territoires particuliers, notamment transfrontaliers, sont-ils pris en compte dans vos pilotages ? Quid des territoires ruraux, qui suscitent parfois des comportements proches de l'autocensure chez les médecins ? Ne faut-il pas travailler en amont, dans les lycées, voire dans les collèges ?
Mme Annie Le Houerou. - La colère qui s'exprime parmi nous est celle des patients qui renoncent aux soins et nous interpellent.
Les médecins ne veulent entendre parler ni de régulation ni de planification. Comment les convaincre de s'installer dans les territoires qui en ont besoin ?
De même, comment convaincre les médecins d'assurer la permanence des soins 24 heures sur 24 ? Quid de la prise en charge des personnes en situation d'urgence dans nos départements ?
Mme Chantal Deseyne. - En Eure-et-Loir, département dont je suis élue, la population est confrontée tous les jours aux difficultés d'accès aux professionnels de santé.
Vous indiquez, monsieur Lenglart, que les incitations financières pour lutter contre les pénuries de médecins ne sont pas satisfaisantes. Je pourrais citer des exemples qui montrent le contraire. Quels sont selon vous les autres leviers pour favoriser l'installation des professionnels de santé, particulièrement des médecins, sur l'ensemble des territoires ? Sont-ils selon vous complémentaires des incitations financières existantes ?
M. Daniel Chasseing. - Il serait utile de développer une politique territoriale de stages et de rétablir l'internat périphérique, qui conduisait des internes à s'installer autour de l'hôpital périphérique au sein duquel ils ont effectué des remplacements.
Il conviendrait également que les CPTS s'implantent en prenant en compte les bassins de vie, ce qui n'est pas du tout le cas.
S'il est utile que les infirmiers puissent faire des renouvellements de prescriptions, notamment pour le traitement des plaies, je rappelle que le médecin est celui qui fait le diagnostic et qui prescrit. Les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) peuvent pour leur part prendre en charge les toilettes des patients pour décharger les infirmiers, à ceci près que les toilettes sont aussi bien souvent l'occasion, pour les infirmiers, de distribuer les médicaments aux patients.
En tout état de cause, il importe de bien définir le rôle des infirmiers en pratique avancée (IPA). Un IPA peut-il travailler avec plusieurs médecins ? J'estime que dès lors qu'un IPA travaille dans une maison de santé auprès de médecins, il peut tout à fait, sous l'autorité du médecin, renouveler des prescriptions de médicaments, notamment à domicile, pour les patients atteints de polypathologies.
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Je vous emmènerai pour ma part dans les territoires du Pacifique français, notamment à Wallis-et-Futuna, où l'état de la démographie médicale est particulièrement alarmant.
Avez-vous consacré une partie de vos travaux aux problématiques des territoires d'outre-mer ? La situation est également alarmante à Mayotte, à La Réunion et dans les Antilles françaises.
Le nombre d'infirmiers qui abandonnent leur métier a triplé entre 2011 et 2021. La possibilité d'effectuer des études d'infirmier en apprentissage peut-elle changer les choses ?
Comment améliorer l'accompagnement des collectivités locales, dont les efforts financiers sont importants ? En Île-de-France, dont je suis élue et qui est le premier désert médical français, les collectivités locales font ce qu'elles peuvent, mais j'observe que certaines réglementations tatillonnes de l'ARS entravent leur action.
La rémunération des professionnels de santé, et la possibilité de leur proposer d'être salariés plutôt que libéraux, est le dernier point que je souhaitais aborder.
Mme Nadia Sollogoub. - Les courbes sur lesquelles vous vous appuyez doivent être pondérées au regard de l'évolution des pratiques, monsieur Lenglart. En effet, si les nouveaux médecins travaillent deux fois moins que ceux que l'on formait il y a 20 ou 25 ans, il nous faut en former deux fois plus ! Le seul critère pertinent est celui du temps médical produit, qu'il convient de rapporter au besoin de temps médical.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Les services d'accès aux soins (SAS) sont-ils la nouvelle baguette magique qui nous permettra de résoudre toutes les difficultés relatives aux soins non programmés ?
Un tel service est en train de se mettre en place dans la Marne, non sans mal. Je suis régulièrement interpellée par des médecins qui s'inquiètent de se voir imposer l'accès complet à leur agenda et des rémunérations non négociées. Ils se sentent « méprisés ». Or sans médecin volontaire, il n'y aura pas de SAS. Quelle est votre position sur les SAS ?
Mme Nathalie Fourcade. - En ce qui concerne l'intelligence artificielle, nous sommes dans un moment qui est un peu comparable à celui de l'invention de l'électricité : on sait qu'il y a un potentiel pour changer beaucoup de choses, mais on ne sait pas encore très bien comment on va l'utiliser.
En tout état de cause, les premiers gains de productivité seront permis par l'allègement de la charge numérique des précédentes innovations : l'intelligence artificielle nous aidera à remplir les dossiers médicaux et à effectuer toutes les tâches liées au numérique.
Pour ce qui est de la régulation, j'estime que l'obligation ne doit pas porter exclusivement sur les jeunes médecins qui s'installent. Il faut mettre en place un contrat collectif par lequel chaque médecin inscrit son activité dans le cadre de la mission de service public qui consiste à fournir à toute la population les services identifiés comme prioritaires.
Cela peut prendre différentes formes. Un professionnel installé dans un territoire bien doté peut donner de son temps plusieurs fois par mois dans des zones sous-dotées, comme le fait Emmanuel Touzé. Un médecin dont les enfants ont quitté la maison peut aller passer trois mois à la campagne chaque année.
Au-delà de ce contrat de solidarité qu'il convient de mettre en place avec toutes les générations, la puissance publique doit reprendre la main en cas de constat de carence.
Les IPA peuvent effectivement travailler avec plusieurs médecins, mais nous n'en avons tout au plus que quelques milliers à l'heure actuelle. À court terme, le seul levier d'amélioration de l'accès aux soins est donc de recentrer la pratique des infirmiers.
Dr Emmanuel Touzé. - La planification et la régulation doivent procéder d'un dialogue continu avec les parties prenantes. Je comprends votre colère, car je connais des difficultés d'accès aux soins, c'est pourquoi j'appelle de mes voeux une meilleure coordination entre les fournisseurs de données et l'analyse des besoins des territoires.
La principale difficulté des outre-mer tient au déficit de formation, et partant, d'installations de professionnels dans ces territoires. De nombreux professionnels viennent de métropole et pratiquent quelques années en outre-mer, avant de repartir. Nous ne pouvons que constater cette situation, car nous ne disposons pas, à notre niveau, de leviers pour agir. Cela relève du politique.
M. Fabrice Lenglart. - Je ne dis pas que nos projections sont parfaites, et sans doute serait-il utile de mieux tenir compte de l'évolution du temps médical. Celui-ci ne s'est toutefois pas réduit de moitié !
J'accepte toutes ces critiques constructives qui nous permettent d'améliorer en permanence nos modèles de projection, mais je peux dire sans me tromper que la densité médicale aura augmenté à l'horizon 2035. Ce qui est vrai à l'échelle globale ne l'est toutefois pas forcément à l'échelle de chaque spécialité ou de chaque territoire. La densité médicale et les déserts médicaux sont deux problèmes connectés, mais disjoints.
En ce qui concerne les leviers pour inciter à l'installation des médecins, la méta-analyse réalisée pour la Drees par Dominique Polton intitulée Remédier aux pénuries de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale montre que les incitations financières sont relativement peu efficaces, car il faut payer beaucoup pour que peu de médecins acceptent le dispositif. Cette étude montre en revanche que la localisation des formations est très importante.
Des études montrent d'ailleurs que lorsque, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, on a relevé le numerus clausus, on a observé que les territoires dans lesquels on a ouvert le plus de postes d'interne sont ceux qui ont connu ensuite le plus grand nombre d'installations, en particulier de médecins généralistes. Il s'agit donc, non pas d'une baguette magique, mais d'un levier efficace.
J'en viens aux mesures contraignantes. La recherche montre que certaines dispositions, notamment pour les infirmières, ont contribué à améliorer la situation dans certains territoires.
L'installation dépend enfin de la qualité de vie au travail des médecins, et à la qualité de vie qu'un territoire est capable d'offrir, ce qui renvoie aux politiques publiques locales.
M. Philippe Mouiller, président. - Je vous remercie de vos interventions.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Enquête de la Cour des comptes sur la santé respiratoire - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, nous allons entendre à présent Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes, qui va nous présenter l'enquête demandée par notre ancienne présidente, Mme Catherine Deroche, concernant la santé respiratoire.
Madame la présidente, je vous indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo. Elle est retransmise en direct sur le site du Sénat et sera disponible en vidéo à la demande.
Je vais vous laisser sans plus attendre nous présenter les observations et les recommandations de la Cour à l'issue de ses travaux. Je vous poserai ensuite les premières questions en ma qualité de rapporteur pour la commission des affaires sociales du Sénat. Enfin, les commissaires pourront également vous interroger.
Mme Véronique Hamayon, présidente de la 6e chambre de la Cour des comptes. - Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter ce matin le rapport issu de l'enquête de la Cour des comptes portant sur la santé respiratoire, en réponse à votre demande en application de l'article LO. 132-3-1 du code des juridictions financières.
Le premier président aurait souhaité vous présenter lui-même ce rapport, mais ses contraintes d'agenda l'en ont empêché. Ce rapport a été réalisé par la 6e chambre, que je préside. À mes côtés, l'équipe qui a réalisé ce rapport : François de la Gueronnière, président de la 2e section, Juliette Méadel, conseillère référendaire, Catherine Rumeau-Pichon, conseillère référendaire en service extraordinaire et Alexandre Picard, vérificateur.
La notion de santé respiratoire fait référence à des pathologies du système respiratoire, dont les trois principales concernent 10 % de la population. Il s'agit des maladies chroniques que sont l'asthme (4 millions de personnes), la broncho-pneumopathie chronique obstructive ou BPCO (3,5 millions de patients) et le cancer du poumon (160 000 individus, principalement en augmentation chez les femmes).
Premier constat, et non des moindres, les facteurs de risques des pathologies respiratoires sont principalement le tabac, mais aussi la qualité de l'air intérieur et extérieur et le réchauffement climatique. Le tabac constitue la première cause des maladies respiratoires, devant les facteurs de risques de nature environnementale, la pollution atmosphérique, l'air intérieur vicié et les expositions professionnelles.
Pour renforcer la prévention des risques, il vaut mieux cibler les stratégies de prévention en ce qui concerne les plus fragiles, et les personnes exposées en raison de leur profession (10 à 20 % des cancers du poumon seraient d'origine professionnelle). S'agissant du tabac, malgré des politiques actives, la consommation ne diminue pas assez vite en comparaison avec nos voisins européens, notamment chez les femmes et les populations les plus modestes.
Sous l'effet du réchauffement climatique, les facteurs environnementaux des maladies respiratoires pourraient à l'avenir devenir plus déterminants, notamment s'agissant de l'asthme d'origine allergique.
L'efficacité de la prévention dépend aussi d'une approche individualisée, prenant en compte toutes les expositions : comportementales, environnementales et socio-économiques. C'est l'objet de l'exposome, introduit par la loi en 2016, et à la mise en oeuvre duquel pourrait contribuer l'espace numérique de santé.
Le repérage des maladies respiratoires est trop tardif, ce qui affecte l'efficacité de la prise en charge sanitaire. Par exemple, les cancers du poumon sont découverts à un stade avancé avec déjà des métastases pour près de la moitié d'entre eux, en raison de failles dans l'organisation du premier recours et de l'insuffisance de l'offre de proximité, conduisant à des hospitalisations en urgence, coûteuses et potentiellement évitables.
La BPCO est, elle aussi, insuffisamment détectée, parce qu'elle est mal connue des professionnels de santé et de la population. La BPCO est perçue avec un certain fatalisme, comme une conséquence inéluctable du tabagisme sans thérapie efficace. Seulement 20 % des patients à risque ont réalisé une spirométrie, c'est-à-dire un examen permettant de diagnostiquer la BPCO et de proposer au patient un suivi afin d'éviter les épisodes d'exacerbation conduisant à une hospitalisation coûteuse.
Au total, 185 millions d'euros pourraient être économisés si les hospitalisations trop tardives étaient évitées par une prévention et un dépistage au bon moment, notamment pour l'asthme et la BPCO.
Ainsi, la prise en charge lors du premier recours, c'est-à-dire par les médecins généralistes, est insuffisante : les maladies respiratoires sont peu prises en considération en premier recours, et rarement ciblées. Ainsi, le dispositif Asalée (infirmière de santé publique travaillant dans des cabinets généralistes et dédiées aux maladies chroniques), les infirmières de pratiques avancées ou même les communautés professionnelles de territoires de santé (CPTS) sont peu mobilisés pour détecter ces maladies.
Pourtant, la littérature scientifique a montré tout l'intérêt de modalités de prise en charge non médicamenteuses des maladies chroniques : l'éducation thérapeutique du patient qui inclut l'aide au sevrage tabagique, et l'activité physique adaptée constituent ainsi des traitements à part entière des maladies respiratoires. Bien qu'inscrites dans la loi, elles sont encore trop peu accessibles aux patients en proximité de leurs lieux de vie et demeurent insuffisamment sollicitées.
Par ailleurs, il importe de renforcer les initiatives pour favoriser l'accompagnement des patients, comme PRADO (« programme de retour à domicile » après une hospitalisation) et SOPHIA (pour l'asthme). Il faut aussi renforcer les supports numériques. Ainsi, il convient d'encourager le recours aux outils connectés, dès lors qu'ils favorisent l'autonomie et le suivi du patient. Ils ont un rôle à jouer, notamment pour les patients les plus jeunes.
Enfin, il conviendrait de repenser la gouvernance en introduisant la notion même de santé respiratoire dans la planification de la santé environnementale. Le cadre légal applicable à la prévention et à la lutte contre les pathologies respiratoires relève de la notion de « santé environnement », dont la déclinaison administrative est prévue par le code de la santé publique avec la mise en oeuvre du Plan national santé environnement (PNSE). Ce dernier s'ajoute à d'autres plans relevant de nombreux ministères, sans pour autant que soit garantie la cohérence entre tous les objectifs poursuivis. Cette juxtaposition de plans et la dualité des compétences administratives mobilisées, entre le ministère de la santé et celui de la transition écologique, affectent la lisibilité de la politique poursuivie et, par conséquent, son efficacité, son pilotage et le suivi de la dépense publique afférente.
A l'instar du modèle finlandais, dont les résultats en termes de diminution de la prévalence de la BPCO, de l'asthme et du cancer du poumon sont bons, il est préconisé de prévoir une planification plus ciblée sur les pathologies respiratoires. Il convient donc de doter le PNSE de grands objectifs mesurables en termes de prévalence de ces trois pathologies.
Pour assurer la cohérence de l'ensemble, il est nécessaire d'insérer la santé respiratoire dans la stratégie nationale de santé et de veiller à sa cohérence avec le PNSE. Ce dernier doit également s'inscrire dans le cadre des objectifs définis par le ministère de la santé en ce qui concerne spécifiquement la feuille de route consacrée à la BPCO et à l'asthme, telle qu'issue des recommandations de la Haute autorité de santé (HAS).
Enfin, la dépense publique est globalement en augmentation mais son impact sanitaire n'est pas mesuré. Les dépenses de santé en 2021 sont de 150 millions pour la prévention de la consommation de tabac, et de 6,7 milliards pour les soins relatifs aux pathologies respiratoires. Pour le ministère de la Transition écologique, ces dépenses recouvrent des mesures d'amélioration de la qualité de l'air, évaluées à 2,3 milliards d'euros en 2022.
Enfin, l'essentiel de l'augmentation de la dépense publique de soins s'explique par la croissance des médicaments anticancéreux innovants. S'agissant de la dépense du ministère de la transition écologique pour la qualité de l'air, elle doit faire l'objet d'un suivi à partir d'un indicateur de type sanitaire. Nous ne sommes pas capables de dire si l'amélioration de la qualité de l'air a permis d'améliorer, de diminuer ou de stabiliser la situation des patients atteints de pathologies respiratoires en l'absence de tels indicateurs.
Nos recommandations sont de deux types : un volet sur la prévention et le soin, un volet sur la stratégie et le pilotage.
La plupart de nos recommandations ne se traduisent pas par un coût. Revoir la gouvernance et le pilotage n'est qu'une question de volonté. Sur la prévention et le soin, un certain nombre d'outils n'induisent pas non plus de coûts supplémentaires.
Nos recommandations relatives à la prévention et au soin sont les suivantes : mettre en place une stratégie de prévention individualisée au moyen de l'espace numérique de santé en adressant aux patients à risque des messages de prévention individualisés (ministère de la Santé, Cnam) ; sous réserve des résultats de l'expérimentation menée dans les Hauts-de-France, inclure dans « le bilan prévention » à 45 ans un auto-questionnaire en cinq questions en vue d'orienter les patients le nécessitant vers un test de dépistage respiratoire (ministère de la Santé, Cnam) ; promouvoir les dispositifs numériques favorisant l'autonomie des patients, notamment des jeunes asthmatiques, et en proposer le référencement (Cnam).
Quant à la stratégie et au pilotage, nous recommandons : d'intégrer dans la Stratégie nationale de santé des objectifs sanitaires chiffrés en santé respiratoire et les mettre en cohérence avec ceux du PNSE (ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités) ; d'adopter une feuille de route « maladies respiratoires chroniques » et la mettre en cohérence avec le PNSE et la Stratégie nationale de santé, et fixer des objectifs quantitatifs (ministère de la Santé) ; de doter le PNSE d'objectifs sanitaires mesurables pour l'asthme, la BPCO et le cancer du poumon ; en confier le suivi au Groupe santé environnement, et en assurer la déclinaison dans les Plans régionaux santé environnement. Ajouter au PNSE un indicateur de suivi de la dépense (ministère de la santé) ; intégrer systématiquement dans les contrats locaux de santé un volet consacré à la qualité de l'air extérieur et intérieur (ministère du travail, de la santé et des solidarités).
M. Philippe Mouiller, président. - Merci, Madame la présidente. Je vous poserai trois questions pour commencer.
Première question : Le rapport de la Cour souligne l'importance des déterminants socio-économiques dans le développement des pathologies respiratoires dont la prévalence est plus forte chez les individus appartenant à une catégorie socioprofessionnelle dite défavorisée ou vulnérable.
Parmi les outils à mobiliser pour favoriser le repérage précoce de ces pathologies, la Cour évoque l'espace numérique de santé, pour diffuser la culture de la prévention à l'aide de messages personnalisés, mais aussi les nouveaux rendez-vous de prévention.
Selon vous, une politique de prévention efficace ne doit-elle pas prévoir des actions « d'aller vers » pour cibler ces populations spécifiques, qui sont aussi les plus éloignées du soin ?
De ce point de vue, l'espace numérique de santé et les rendez-vous de prévention vous paraissent-ils des outils suffisants ? Quelles politiques complémentaires pourraient être mises en oeuvre au plus près des usagers ?
Deuxième question : En janvier 2024, Santé publique France a publié le résultat de travaux qui soulignent les risques associés à l'exposition des enfants de 6 à 11 ans dans les salles de classe à certains polluants. Environ 30 000 cas d'asthme évitables seraient imputables à ces composés organiques volatils et aux moisissures.
La question de la rénovation des bâtiments scolaires devrait donc constituer une priorité de la politique de santé respiratoire, impliquant les collectivités territoriales et le ministère de l'éducation nationale. Santé publique France avait même indiqué qu'une surveillance réglementaire de la qualité de l'air serait nécessaire au sein des établissements scolaires.
La Cour a-t-elle eu l'occasion d'explorer ce sujet particulier dans le cadre de la présente enquête ?
Enfin, troisième question : Le financement d'actions de prévention portées par l'Assurance maladie est en augmentation. Ces dépenses, estimées à 150 millions d'euros, restent principalement concentrées sur la lutte contre le tabagisme et le remboursement des substituts nicotiniques (à hauteur de 128 millions d'euros). En revanche, les dépenses consacrées aux actions de prévention de la qualité de l'air intérieur et extérieur, principalement à l'initiative de l'ARS, restent limitées, de l'ordre de 10 millions d'euros.
La Cour peut-elle éclairer la commission sur la façon dont se positionne la France en termes de financement de la prévention en santé respiratoire par rapport à d'autres pays européens ?
Mme Véronique Hamayon. - L'efficacité des politiques de prévention repose sur une double approche, l'approche globale et populationnelle, par exemple avec les campagnes de sensibilisation à la lutte contre le tabac, et des actions individualisées et ciblées, notamment pour favoriser l'individualisation de la prise en charge, et le ciblage social et géographique des publics.
Pour ce qui concerne la BPCO, pathologie la plus importante en nombre de personnes touchées, elle est aussi celle qui recèle les plus importantes inégalités socio-économiques. Elle est aujourd'hui insuffisamment détectée tant par méconnaissance de ses symptômes par les fumeurs eux-mêmes, que par les professionnels de santé de première ligne, qui ne sont pas toujours outillés pour la repérer. La BPCO a l'image d'une maladie inéluctable sans traitement adapté. La toux d'une personne fumeuse de plus de 50 ans est considérée comme presque « normale ». C'est notamment pour cette raison qu'ont été mis en place les rendez-vous prévention, pour permettre un repérage précoce en population générale.
Il importe aussi de sensibiliser autant les professionnels de santé que les patients à la nécessité d'avoir recours à des méthodes thérapeutiques non médicamenteuses, dont l'efficacité a été démontrée. Les rendez-vous de prévention sont destinés à favoriser la logique de l'« aller-vers », tout comme la formation des médecins généralistes qui peuvent, en étant mieux formés, conseiller à leur patient de réaliser un examen pour diagnostiquer la BPCO, avec le recours à la spirométrie.
S'agissant de l'espace numérique de santé, il en est à ses débuts. Il ne peut pas, en l'état, suffire mais il est un progrès indéniable. Les évolutions en cours prévoient la diffusion de messages de prévention personnalisés sur la base des informations fournies par l'usager, qui serviront également de base de renseignement pour personnaliser les rendez-vous prévention. Il faut aussi penser aux générations à venir puisque 80 % de la population est susceptible d'utiliser cet outil.
Outre l'amélioration de l'existant (rendez-vous prévention, espace numérique de santé), le rapport propose de durcir les conditions de mise en oeuvre du PNSE afin de mieux évaluer l'efficacité des politiques conduites par les pouvoirs publics.
Nous n'avons pas regardé spécifiquement ce qui se passait dans les écoles car cela sortait du champ de notre enquête. La loi Grenelle II a rendu obligatoire la surveillance de la qualité de l'air intérieur dans les établissements recevant du public, notamment les enfants. Le PNSE a renforcé ces mesures. Depuis 2022, l'évaluation devient annuelle et doit être réalisée d'ici fin 2024. Des progrès ont donc été réalisés. C'est d'ailleurs nécessaire, car 96 % des écoles primaires ont des taux de particules fines dépassant les valeurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Les ARS interviennent, en complément de la DREAL, pour contrôler ces actions. Les pratiques sont très hétérogènes selon les territoires.
La lutte contre le tabagisme donne des résultats tangibles, bien qu'insuffisants. La conjugaison de l'augmentation du prix du paquet, du remboursement des substituts nicotiniques, le Mois sans tabac et l'extension des lieux sans tabac ont porté leurs fruits. La baisse du nombre de fumeurs est assez sensible, mais moindre que ce à quoi nous aspirions. Le taux de consommation est passé de 42 % à 24,5 % entre 1974 et 2022. Cette politique doit continuer, notamment en faveur des femmes et des catégories socioprofessionnelles défavorisées, qui sont les plus touchées.
La Cour travaille actuellement à un chapitre du prochain rapport public annuel portant sur les addictions des jeunes aux drogues et à l'alcool. En effet, si les résultats pour le tabac sont bons sur cette génération, ce n'est pas le cas en matière de drogues ou d'alcoolisme.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Avec ma collègue Cathy Apourceau Poly, nous travaillons à un rapport sur la fiscalité comportementale. Les politiques de lutte contre le tabagisme ont porté leurs fruits mais ce n'est pas suffisant. Nous avons observé une baisse du tabagisme en France mais le niveau de prévalence reste très élevé par rapport à nos voisins. Le tabagisme a stagné dans les populations âgées et baissé chez les jeunes, mais peut-être ces derniers se tournent-ils vers d'autres produits.
Les mesures avancées dans le nouveau Plan national de lutte contre le tabac vous paraissent-elles suffisantes pour obtenir une génération sans tabac ?
Concernant la santé environnement, vous dites qu'il faut une collaboration entre les ministères, et une cohérence des plans de lutte. J'observe que certaines ARS sont sensibles à ce sujet et ont recruté des médecins chargés de l'expertiser dans les contrats territoriaux de santé. Il faudrait capitaliser sur les territoires qui effectuent ce genre de démarches et les développer au niveau national. Avez-vous une méthode pour rendre efficace cette coordination ?
Mme Véronique Hamayon. - Le dernier plan de lutte contre le tabac est ambitieux, puisqu'il a fixé à 20 % l'objectif de prévalence générale du tabagisme, et à 10 % chez les jeunes. Nous regrettons cependant l'insuffisant ciblage des femmes, notamment des femmes enceintes, et la difficulté à faire baisser la consommation de tabac au sein des catégories socioprofessionnelles les plus fragiles. La différence avec les autres pays européens est patente. Il y a une certaine tolérance envers le tabagisme des femmes enceintes, contrairement à l'alcoolisme. Il faut produire un effort envers cette population particulière.
Nous appelons à développer une vision d'ensemble coordonnant la stratégie nationale de santé et le PNSE. Il faut ensuite que des feuilles de route soient établies pour les pathologies chroniques (BPCO, asthme) et le cancer du poumon. Il faut impérativement des indicateurs chiffrés à chaque niveau.
Mme Corinne Imbert. - Votre rapport souligne qu'une politique de prévention doit pouvoir s'appuyer sur une offre de soins de premier recours étoffée et structurée dans l'ensemble des territoires. Cela nous renvoie à notre audition récente sur la démographie médicale. Vous avez évoqué la question de la formation des professionnels. Cela passe aussi par l'organisation de modèles innovants entre professionnels de santé et, pourquoi pas, en s'appuyant sur de la télésurveillance. Compte tenu des difficultés actuelles de la démographie médicale, à quel horizon cette recommandation est-elle atteignable ?
Vous recommandez un auto-questionnaire à 45 ans. Pourquoi pas plus tôt ?
Concernant les modèles de prise en charge à promouvoir, comment la Cour explique-t-elle la faible diffusion de l'éducation thérapeutique du patient en dehors du champ hospitalier ? Vous êtes-vous rapproché de la Cnam pour savoir combien d'accompagnements pharmaceutiques de patients asthmatiques étaient réalisés ?
Enfin, vous avez dit que stratégie et pilotage étaient une question de volonté et non de coût. Toutefois, une stratégie peut se décliner en plusieurs actions qui peuvent avoir un coût. Avez-vous une approche sur ce point ?
M. Olivier Henno. - Cela fait effectivement le lien avec la précédente audition et la nécessité d'aller vers plus de prévention. Je suis toujours surpris de constater à quel point on est plus efficace en intervenant très tôt, dès l'école. Ne serait-il pas opportun d'inclure plus systématiquement le ministère de l'éducation nationale dans ces travaux ?
Mme Véronique Hamayon. - Nous ne parlons pas forcément de formation initiale des professionnels de santé. Il peut s'agir d'enrichissement des connaissances par la formation continue. C'est surtout une question de sensibilisation aux approches non médicamenteuses, qui ne sont pas encore bien connues des médecins généralistes. Cette sensibilisation peut être effectuée rapidement et à faible coût, pour des résultats tangibles à court terme.
Nous ne préconisons pas l'auto-questionnaire avant 45 ans car, hormis l'asthme, ces pathologies apparaissent avec l'âge parce qu'elles sont liées à un tabagisme à long terme. L'asthme, en revanche, touche majoritairement les enfants.
Votre question rejoint celle sur l'accompagnement des patients asthmatiques par les pharmaciens. Aujourd'hui, environ 1 000 d'entre eux effectuent cet accompagnement en France. C'est une piste intéressante. Lorsque ce dispositif sera plus développé, nous pourrons avoir une vision de son efficience.
Concernant les coûts induits par la stratégie, nous pouvons chiffrer les économies liées aux hospitalisations en urgence qui pourraient être évitées (185 millions d'euros). La mise en place d'un meilleur dépistage, d'une sensibilisation des médecins, d'une spirométrie à l'issue du questionnaire, représentent des coûts assez modestes. Aucune de nos recommandations n'induit de coûts importants.
Vous avez raison sur le fait que le ministère de l'éducation nationale devrait travailler de concert avec le ministère de la santé pour sensibiliser à l'asthme et le repérer dans les écoles. Plus les enfants grandissent, plus l'asthme est important.
Mme Juliette Meadel, conseillère référendaire. - Il faut aussi mobiliser les communes. Nous avons investigué un cas de moisissures dans une école en Finlande. Ils ont constaté qu'une quinzaine d'enfants et d'enseignants étaient tombés malades (asthmes, maux de tête). Ils adoptent une approche intégrée de la santé respiratoire mêlant les collectivités locales et l'État dans une prise en compte de tout l'environnement. Lorsque des maladies sont détectées, ils enquêtent immédiatement sur la qualité de l'air. Ils ont engagé des travaux intriquant la commune et l'État de manière très réactive.
M. Khalifé Khalifé. - Jusqu'à il y a quelques années, des radiographies du poumon étaient systématiquement effectuées par la médecine du travail au titre du dépistage. Les données issues de cette enquête incitent-elles à revenir sur cette décision ?
Les écoles et les communes ont été fortement sensibilisées au problème de la qualité de l'air pendant la crise du covid-19. Cependant, dans les logements collectifs, les communes sont fréquemment sollicitées au sujet de problèmes d'asthme mais sont impuissantes.
Enfin, ne pensez-vous pas qu'il faudrait être encore plus sévère en matière de lutte contre le tabac ? À quand l'hôpital sans tabac ?
M. Bernard Jomier. - Vous constatez que la santé respiratoire relève surtout de la prévention mais les choses ne bougent pas beaucoup. Vous avez notamment évoqué les questions de gouvernance. Il y a deux ans, nous avions présenté à la commission un rapport sur la santé environnementale mais rien n'est fait. Le ministère de la santé est malheureusement beaucoup moins impliqué que le ministère de la transition écologique. Il existe une vingtaine de plans en santé environnementale mais il n'y a pas de priorités identifiables. L'air des crèches, par exemple, dépend de deux choses : l'air extérieur et les matériaux utilisés à l'intérieur. C'est donc une question de réglementation. Il suffirait donc de légiférer pour interdire les meubles en bois pressé et éviter ainsi les composés organiques volatils (COV). Qu'est-ce qui coince, au niveau de l'État, pour que ces rapports, pourtant bien documentés, ne débouchent pas sur des changements ?
Mme Marie-Do Aeschlimann. - Vous avez évoqué le coût de la prise en charge d'urgence des patients, notamment atteints d'asthme. J'ai le sentiment qu'il y a une sorte de résignation des patients, qui apprennent à vivre avec leur maladie. Comment éviter le renoncement aux soins ou l'abandon d'un traitement ? Comment faire en sorte que les protocoles de soins soient plus coordonnés, par exemple lorsque des traitements pour l'asthme sont incompatibles avec des molécules utilisées en cardiologie ?
Nous avons vu durant la crise du covid-19 comment les collectivités locales ont été obligées d'installer des capteurs dans les écoles et les crèches. Cela coûte beaucoup d'argent. Elles n'en ont pas toujours les moyens. Ne faut-il pas, en amont, s'interroger sur le bâti, la politique patrimoniale des collectivités locales et sur les matériaux ?
Mme Véronique Hamayon. - Nous n'avons pas étudié la question du dépistage du cancer du poumon par radiologie, mais un travail est en cours par l'Institut national du cancer (INCa) et la Haute Autorité de santé (HAS) sur un dépistage par scanner à faible dose.
Effectivement, les collectivités locales peuvent intervenir dans les bâtiments collectifs, mais c'est plus difficile dans les habitats collectifs.
La population qui fume n'est pas du tout sensibilisée à la BPCO, alors que cela concerne 3,5 millions de personnes. Plus le dépistage est précoce, plus l'accompagnement thérapeutique est efficace. C'est pourquoi nous insistons sur la nécessité d'un dépistage à 45 ans.
Je ne peux être que d'accord avec le constat de M. Jomier. Les résultats de la prévention restent insuffisants. Il existe non pas 20, mais 37 plans, sans priorités clairement affichées. Il faut fixer des objectifs sanitaires au PNSE et que son pilotage soit transféré au ministère de la santé.
La prise de conscience des patients passe par la prévention, la formation et la sensibilisation des médecins. C'est un travail de longue haleine. Au-delà de la question des pathologies respiratoires, il existe un problème de coordination des professionnels de santé. D'où l'espoir mis dans l'espace numérique en santé.
Concernant le bâti scolaire, la réponse est aux mains des collectivités locales.
M. Philippe Mouiller, président. - Merci, Madame la présidente. Merci à toutes les personnes qui ont travaillé sur ce rapport, qui alimentera les travaux de la commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La séance est levée à 12 heures 20.
Proposition de loi pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves - Désignation de rapporteurs
La commission désigne Mmes Laurence Muller-Bronn et Corine Féret rapporteures sur la proposition de loi n° 542 (2023-2024) pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d'autres maladies évolutives graves, présentée MM. Gilbert Bouchet, Philippe Mouiller et plusieurs de leurs collègues.
La réunion est close à 11 heures 15