Mardi 14 mai 2024
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique et de M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification économique. - Nous commençons les travaux de la commission spéciale par l'audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, audition organisée en commun avec la délégation aux entreprises.
Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le projet de loi de simplification de la vie économique que nous devons examiner constitue l'un des piliers de la stratégie française présentée à l'Union européenne (UE). Nous ne pouvons que constater et nous réjouir qu'il s'appuie notamment sur de nombreux travaux conduits par le Sénat, ou des sénateurs et notamment par des membres de cette commission spéciale.
Nous sommes particulièrement sensibles, dans les différents domaines de l'action publique, à la question de l'empilement des normes et à la nécessité de distinguer la norme qui protège de celle qui entrave inutilement l'action. La situation est devenue anxiogène pour ceux qui veulent entreprendre aujourd'hui.
Ce sujet, monsieur le ministre, il faut le voir avec pragmatisme et au plus près du terrain. « Cela suppose un examen systémique et systématique », avez-vous écrit. Mais la commission ne dispose que de quinze jours pour l'examiner - c'est très peu. Je remercie nos deux rapporteurs, Catherine Di Folco et Yves Bleunven, pour leur investissement.
Je comprends que ce texte doive s'inscrire dans un ensemble, dans une continuité touchant plusieurs secteurs, et ce sur plusieurs années. Pour autant, la présence à la marge du secteur agricole ou des collectivités territoriales - premier investisseur public - nous interpelle. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus ?
Le Sénat est prêt à relever le défi de la simplification avec vous, monsieur le ministre, mais sans renoncer aux prérogatives du Parlement et à exercer notre mission de législateur. Nous serons vigilants sur ce point. La simplification est une oeuvre commune, comme la complexification est une responsabilité que partagent le Gouvernement, le Parlement et l'administration. Le règlement du stock de normes, de leur flux, est un travail de longue haleine, auquel s'ajoutent les normes liées au principe de précaution.
M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises. - Je me réjouis de cette audition organisée conjointement avec la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique.
Madame la ministre déléguée, nous avons l'habitude de travailler ensemble de façon constructive. Ce sujet de la simplification, nous l'avons déjà abordé à de nombreuses reprises, et la délégation aux entreprises l'a constamment porté à son agenda depuis sa création. Il est désormais partagé par le Gouvernement, ce dont nous nous réjouissons. Nous avons d'ailleurs noté les multiples références aux travaux de la délégation dans le projet de loi dont le Sénat est saisi. Je pense en particulier à l'évaluation du poids et du coût de la complexité normative que j'ai mise en évidence voilà moins d'un an dans le rapport d'information sur la sobriété normative pour renforcer la compétitivité des entreprises que j'ai présenté avec mes collègues Gilbert-Luc Devinaz et Jean-Pierre Moga.
La simplification ne va pas de soi, particulièrement en France. Bien des tentatives infructueuses ont eu lieu depuis 2011 avec les premières Assises de la simplification et le choc de simplification de 2013. Depuis vingt ans, l'incantation de la simplification a conduit au mieux à des mesures ponctuelles d'allégement.
Pourtant, nous l'avons vu lors de l'examen de la proposition de loi visant à rendre obligatoires les « tests PME » que j'ai déposée, c'est un changement de paradigme dont nous avons besoin. Le « test PME » illustre parfaitement cette révolution culturelle, avec l'examen par un haut conseil indépendant composé de représentants des TPE-PME, entreprises de taille intermédiaire (ETI) et grandes entreprises, des projets de normes pour en évaluer l'impact sur les entreprises, qu'elles soient commerciales, industrielles ou agricoles. Je ne manquerai pas de proposer à la commission spéciale de modifier l'article 27 pour y intégrer les dispositions adoptées par le Sénat le 26 mars dernier. J'ose le dire : « Tout le texte du Sénat, rien que le texte du Sénat. »
Vous avez fait vôtre cette nécessité de changer de paradigme, comme cela est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi de simplification de la vie économique. Pourtant, le texte demeure une juxtaposition de mesures sectorielles. Même si elles vont dans le bon sens, il manque un virage plus structurel dans la manière dont nous concevons et appliquons la loi. À cet égard, je regrette moi aussi vivement les délais qui nous sont imposés pour examiner ce texte, alors que les enjeux sont considérables. Je le rappelle, la complexité coûte a minima 3 % du PIB. Il aurait fallu prendre le temps de définir de nouvelles méthodes permettant d'aller au-delà de mesures trop circonscrites à quelques secteurs.
Il importe d'associer pleinement les parlementaires au-delà de l'examen de ce projet de loi. En effet, vous prévoyez des habilitations du Gouvernement à agir par ordonnance. Mais gardez en tête l'exemple du guichet unique. Le Parlement avait voté sa création dans la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte). Mais par les mesures d'application, vous avez ensuite décidé de le confier à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), dans des conditions qui ont conduit à des dysfonctionnements inacceptables pour la continuité de la vie économique de notre pays. Nos alertes répétées ont fini par être entendues, et il s'agit aujourd'hui de ne plus recommencer les mêmes erreurs stratégiques. En matière de complexité, je pourrai également citer la transposition de la directive européenne CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. -Je marque un seul point de désaccord avec Olivier Rietmann : l'Inpi nous a été imposé et je m'étais personnellement opposé à cette proposition, conscient des difficultés que cela risquait de soulever. Dont acte : les sénateurs avaient vu juste sur ce sujet.
Permettez-moi de faire quelques remarques liminaires sur la simplification.
La simplification est l'exception, une concession de l'administration ; elle doit devenir la règle et une obligation pour tous les fonctionnaires à l'égard de nos concitoyens et de nos entreprises. C'est très souvent une question de survie pour nos TPE et nos PME. En ce début d'année, nos résultats économiques sont bons et très différents de ceux que l'on nous avait annoncés. Alors que certains parlaient de récession, nous affichons 0,2 point de croissance. On nous avait parlé de destruction d'emplois, nous venons de recréer 50 000 emplois supplémentaires au cours du premier trimestre, qui s'ajoutent aux plus de 2 millions d'emplois que nous avons créés en sept ans. On nous avait dit décrochage français, nous restons la Nation la plus attractive pour les investissements étrangers en Europe. Et le sommet Choose France a montré hier que de nombreuses entreprises internationales font le choix de la France, avec 15 milliards d'euros d'investissements et plus d'une cinquantaine d'investissements qui vont irriguer de manière très concrète tous les territoires.
Quand on discute avec des patrons de TPE et de ME, des indépendants ou des présidents de grands groupes internationaux, on s'aperçoit que la complexité administrative reste un obstacle à l'investissement et à la croissance en France comme en Europe. La simplification est donc une exigence absolue : elle améliorera nos résultats économiques, elle nous donnera plus de croissance, plus de prospérité, plus d'emplois, et nous permettra de rester dans la course du monde. Il ne peut y avoir, d'un côté, la Chine et les États-Unis qui simplifient à outrance, et, de l'autre, l'UE qui ne cesse d'ajouter des normes.
C'est pourquoi je souhaite que ce texte soit un point de départ, que cet exercice de simplification soit renouvelé chaque année, et que s'engage alors un mouvement plus global européen de simplification des normes et d'allégement des obligations qui pèsent sur toutes les entreprises européennes. La Commission européenne agirait mieux en supprimant des règles plutôt qu'en en rajoutant systématiquement de nouvelles.
Le premier volet de ce projet de loi simplifie la vie des entrepreneurs et des salariés.
Nous allons d'abord supprimer les 1 800 formulaires Cerfa. Ce travail sera très fastidieux, car certains d'entre eux seront purement et simplement supprimés tandis que d'autres seront dématérialisés. À cet égard, je rends hommage aux services administratifs qui se sont attelés à ce travail de fourmi.
Ensuite, nous ferons une revue complète, sur trois ans, des 2 500 autorisations administratives et des milliers d'autres démarches obligatoires qui sont appliquées aux entreprises et qui se révèlent très souvent inutiles. Par exemple, les arrêts maladie étant déjà déclarés auprès de l'assurance maladie, 15 millions de déclarations peuvent être supprimées. Il en est de même pour les attestations d'assurance chômage : chaque année, 26 millions de formulaires sont remplis alors que l'information est déjà traitée.
Enfin, au niveau réglementaire, nous doublerons dès cette année le seuil de la déclaration DAS 2 de 1 200 à 2 400 euros. Doubler le seuil me paraît un minimum, et je suis ouvert pour aller plus loin sur ce sujet.
Le deuxième volet de ce projet de loi concerne la simplification drastique de la commande publique, notamment des collectivités locales. Cette dernière, qui est fondamentale en ce qu'elle représente plusieurs dizaines de milliards d'euros, est aujourd'hui trop complexe. Pour soumissionner à un appel d'offres, une entreprise doit le faire différemment selon qu'il s'agit de l'État, d'un hôpital ou d'un opérateur public. Notre objectif est de mettre en place une plateforme unique, intitulée « Place », pour tous les marchés publics. Si les collectivités territoriales veulent y participer, nous sommes ouverts à ce débat. Cela simplifierait la vie de nos entrepreneurs, qui pourront déposer un dossier unique avec le numéro Siret, lequel vaudra pour tous les appels d'offres.
Aujourd'hui, la compétence est dévolue au juge administratif et au juge judiciaire. Demain, elle sera exclusivement attribuée au juge administratif. Les règles d'avance de trésorerie seront simplifiées et unifiées - 30 % pour tout le monde. Depuis des années, elles variaient en fonction de la situation économique.
Par ailleurs, nous allons mettre en place le « test PME », très demandé par les entreprises. M. Olivier Rietmann a formulé des propositions qui me paraissent judicieuses sur ce sujet : outre l'intervention de représentants des PME, une approche interministérielle devra garantir la validité de la recommandation de ce test. Ce point, certes technique, est fondamental d'un point de vue politique pour s'assurer que, quels que soient le texte et son origine, les PME demeurent favorisées.
Enfin, nous allons rapprocher le droit des professionnels et celui des particuliers en matière de banque et d'assurance, aligner les règles de clôture de compte des entreprises pour que les frais soient nuls, permettre la résiliation sans frais des contrats d'assurance pour les TPE et les PME, et, enfin, imposer le respect d'un délai pour l'indemnisation des professionnels comme des particuliers, de six mois en cas d'expertise et de deux mois pour les sinistres sans expertise. Telle est la leçon que nous avons tirée des inondations intervenues dans le Nord-Pas-de-Calais.
S'agissant des salariés, nous proposons une feuille de paie simplifiée, qui passera de 55 à 15 lignes. À terme, le chef d'entreprise n'aura qu'à produire ce document, et les salariés auront une vision exacte de la réalité de notre modèle social. Une telle simplification est un gage de transparence, de lisibilité et de démocratie. En revanche, la feuille de paie complète sera mise à la disposition des salariés dans une banque des données sociales d'ici à 2027.
Je le redis, nous souhaitons que ce travail de simplification soit reconduit chaque année par les ministères pour faire l'objet de nouvelles mesures législatives.
Un autre grand volet de la simplification concerne l'information et le conseil des patrons de TPE et de PME et des entrepreneurs.
Premier outil que nous voulons généraliser : les rescrits. Ceux-ci sont unanimement salués, mais ils sont très souvent réservés au domaine fiscal et ne font l'objet d'aucun recueil. Nous proposons d'élargir les rescrits à d'autres domaines, notamment en matière de consommation ou de droit du travail, et d'établir une jurisprudence des rescrits en faveur des entreprises, de façon anonymisée.
Nous supprimerons les peines de prison encourues par les chefs d'entreprise lorsqu'elles nous apparaissent exagérées en termes de sanctions, notamment lorsqu'une déclaration a été mal remplie, à partir du moment où aucune intention de nuire n'est établie.
J'en viens au troisième grand volet, la réindustrialisation, qui est au coeur de ce que nous défendons depuis sept ans. J'insiste sur l'importance politique de refaire de la France une grande nation de production. Les grandes vagues de délocalisation constituent le plus grand drame économique et politique que notre pays a vécu depuis quarante ans. Aucun autre grand pays de l'OCDE n'a connu des vagues d'une telle ampleur, n'a sacrifié 2,5 millions d'emplois industriels, n'a fermé plus de 600 usines, n'a sacrifié des filières entières, n'a divisé par deux la part de l'industrie dans sa richesse nationale. Il s'agit d'un scandale politique, économique et financier inacceptable. Il s'agit d'une saignée humaine, culturelle,financière et de compétences qui a durablement affaibli la France et dont découlent nombre de nos problèmes : le déficit du commerce extérieur, nos difficultés à équilibrer nos comptes publics, les tensions sociales qui sévissent dans certains territoires et la montée des extrêmes. Une grande partie de nos difficultés sociales et politiques sont liées au fait que nous avons vidé la France de sa substance en la privant de sa capacité de production.
Je me bats contre ce phénomène depuis sept ans. Les décisions d'allégement de la fiscalité, sur le capital et les entreprises, constituent la base de cette bataille. Ensuite, nous oeuvrons en matière de formation, de qualification et de revalorisation de certaines filières, au premier rang desquelles figure celle du nucléaire, qui fournit des emplois et garantit à nos entreprises l'accès à une énergie compétitive et décarbonée, à bas coût. Il nous faut aussi procéder à l'accélération du déploiement des installations industrielles, dont certains disent qu'elle nuit au climat, alors que c'est le contraire. Faut-il produire des voitures, des avions ou des batteries en France, de façon décarbonée et en gardant nos emplois, ou faut-il importer depuis des pays où le coût climatique est beaucoup plus élevé, en perdant nos emplois ? Nous sommes pour l'emploi, pour les usines et pour le climat. Nous ne souhaitons pas que la France ne soit qu'un pays de consommation, qui importe les biens manufacturiers dont il a besoin.
Cette position explique la présence de mesures visant à faciliter les installations industrielles. À titre d'exemple, les grands projets industriels ne figureront plus dans le champ d'intervention de la Commission nationale du débat public (CNDP) et pourront bénéficier d'une exonération du calcul du « zéro artificialisation nette » (ZAN), profitant systématiquement du quota national ZAN de 12 500 hectares. Il s'agit d'un grand débat et d'un vrai choix politique : l'accélération du déploiement industriel français est bon pour l'emploi, pour la prospérité nationale, mais aussi pour le climat.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation. - Je voudrais d'abord saluer le rapport d'information de la délégation aux entreprises, qui a nourri notre travail, notamment l'article relatif aux « tests PME ».
L'objectif de ce texte est simple : redonner du temps utile aux entrepreneurs et simplifier la vie des entreprises, notamment des plus petites. Grâce à une grande consultation, nous avons fait remonter des propositions d'entrepreneurs, mais aussi de fédérations et d'organisations professionnelles. Nombre des articles et dispositions du projet de loi peuvent être directement sourcés, et ce texte est issu non pas d'une logorrhée technocratique, mais de la vraie vie de nos acteurs économiques.
Il ne sert à rien d'appeler à la simplification si on ne la pratique pas et la confiance ne se décrète pas : elle se met en oeuvre. Ce texte démontre une volonté de changement de l'état d'esprit de l'État et de l'administration, qui doit être caractérisé par le souci de ne pas complexifier la vie des entrepreneurs.
Les deux enjeux majeurs du flux et du stock sont largement présents dans le texte. Les mesures relatives au stock sont importantes et nous proposons, par exemple, la suppression des 1 800 formulaires Cerfa. Cependant, les mesures concernant le flux sont aussi stratégiques, puisqu'elles portent l'hygiène de la simplification. Chaque année, nous devons avoir un débat sur la simplification et il est indispensable que nous passions enfin des paroles aux actes, notamment en mettant rapidement en oeuvre le « test PME », sans mettre à mal la liberté totale du législateur ni les projets de l'exécutif.
Je signale aussi que le projet de loi est accompagné d'une cinquantaine d'actions et de mesures, qui ne sont pas forcément normatives, et dont vingt-six prennent la forme d'articles législatifs. J'en donnerai deux exemples. D'abord, je mentionnerai la simplification des démarches sociales des travailleurs non salariés (TNS), qui se sentent souvent un peu perdus et peinent à rentrer dans les cases. Désormais, France Services, avec les services de l'Urssaf, pourra accompagner les indépendants et répondre à leurs sollicitations, permettant ainsi de renforcer la capacité de l'État à mieux les conseiller. Ensuite, nous envisageons d'améliorer le titre emploi service entreprise (Tese) par voie réglementaire, pour poursuivre notre chemin vers le plein emploi et permettre aux indépendants d'embaucher plus facilement.
Pour répondre à Olivier Rietmann, nous avons davantage été guidés par le bon sens que par une approche sectorielle. Les entreprises ne sont pas égales face au poids de la norme, les TPE et les PME n'ont pas les mêmes capacités que d'autres à la comprendre et à s'y conformer. Dans un souci de justice économique, le texte comprend un volet spécifique pour les acteurs les plus vulnérables face à la norme.
Enfin, le projet de loi comprend des mesures relatives à l'accompagnement des commerçants, auxquels nous rendrons du temps, mais aussi de la trésorerie, grâce aux dispositions relatives à la mensualisation des loyers et au « capage » des dépôts de garantie. De plus, nous voulons fluidifier les ouvertures de commerces et sécuriser les projets commerciaux.
M. Yves Bleunven, rapporteur. - Monsieur le ministre, l'article 1er du projet de loi prévoit de supprimer la Commission supérieure du numérique et des postes (CSNP), présidée par le sénateur Damien Michallet et composée aux trois quarts par des parlementaires. Quelles raisons motivent ce choix ? Vous nous demandez de cautionner un affaiblissement du contrôle parlementaire, alors que votre gouvernement souhaite s'affranchir le plus possible du Parlement, faute de majorité et de culture du consensus ; c'est insensé. En 2020, le Parlement s'est déjà opposé à la suppression de la CNSP.
Votre projet est d'autant plus problématique que les secteurs concernés revêtent une importance primordiale pour les élus que nous sommes. La Poste exerce quatre missions de service public : le service universel postal, la distribution de la presse, la contribution à l'aménagement du territoire et l'accessibilité bancaire. Par ailleurs, Orange demeure attributaire du service universel des communications électroniques. Il s'agit d'autant de missions essentielles à l'aménagement de nos territoires les plus reculés, au maintien du lien social partout en France, à l'accès à l'information et à la numérisation de notre économie. Sur ces sujets, le Sénat et l'Assemblée nationale doivent effectuer un contrôle de nature politique, permanente et transpartisane.
L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) effectue un contrôle des obligations légales et réglementaires des opérateurs, mais son collège n'est composé d'aucun élu, contrairement à ceux des autres autorités indépendantes. Le Conseil national du numérique (CNNum) a une vocation plus prospective.
J'en viens à l'article 7, qui vise à modifier les informations présentes sur le bulletin de paie, dans le but de le rendre plus lisible pour les salariés et plus simple à éditer pour les employeurs. Cet article ayant fait l'objet d'une communication importante de la part du Gouvernement, nous en attendions beaucoup. Cependant, peut-on parler de simplification quand on demande aux employeurs de collecter, de conserver et de mettre à disposition des employés l'ensemble des informations qui ne figureront plus sur le bulletin ? Quel sera le coût pour les employeurs de la mise en place de ces nouvelles modalités ?
Enfin, pourquoi remettre sur le métier la réforme du code minier, engagée par la récente loi Climat et résilience ? Si la facilitation de la conversion de puits d'hydrocarbures en vue du stockage souterrain de CO2 paraît utile, quel sera le nouveau schéma de délivrance des autorisations minières en Guyane ? L'Office national des forêts (ONF) jouera-t-il toujours le même rôle ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - J'entends ce que vous dites sur la CSNP, mais la France compte, en plus de la Commission, le CNNum, un Observatoire national de la présence postale et, de façon plus générale, 313 commissions ou instances consultatives, dans lesquelles siègent de nombreux parlementaires. Au bout du compte, la multiplication de ces instances affaiblit le pouvoir de contrôle des parlementaires, auquel je suis attaché et qu'il faut renforcer. Néanmoins, je ne livrerai pas de grande bataille sur le sujet, et nous nous en remettrons à la sagesse du Parlement.
En ce qui concerne le bulletin de paie, il ne s'agit pas de doubler les obligations des entrepreneurs, mais de donner aux salariés l'accès à des informations simples : ce qu'ils payent comme cotisations et impôts, ce qui leur reste à la fin du mois et ce que paye l'entrepreneur. Nous avons un devoir de transparence et de simplification en la matière. Nous souhaitons que les informations restantes ne soient plus remplies par l'entrepreneur, mais par l'administration. Elles figureront sur le portail national des droits sociaux, qui sera mis en place au plus tard en 2027, et sur lequel le salarié pourra consulter le détail de ses cotisations. J'insiste sur ce point, soulevé par de nombreux patrons de PME : ces derniers n'auront plus à remplir un bulletin de paie de 55 lignes.
Enfin, nous souhaitons poursuivre la réforme engagée du code minier. La démarche de raccourcissement des délais n'a pas été menée dans les champs miniers. Le volet relatif à l'autorisation environnementale ne sera pas remis en cause.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Je commencerai par évoquer un sujet irritant pour les parlementaires. Les articles 2, 3 et 11 autorisent le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance sur des sujets centraux pour la vie économique des entreprises. Les délais de ces habilitations sont longs, puisqu'ils sont compris entre dix-huit et vingt-quatre mois, et leur champ est vaste, ce qui conduit le Parlement à se dessaisir de sa compétence sur de larges pans de l'action publique économique. Or nous avons la capacité de débattre de textes longs et complexes. Les sujets couverts par ce projet de loi ne paraissent pas tant techniques que politiques. Qui peut penser que la simplification des démarches administratives n'intéresse pas la représentation nationale ? Nous pourrions presque imaginer que vous ne faites pas confiance au Parlement pour traiter de ces sujets ; j'espère que vous me démentirez.
L'article 23 prévoit d'intégrer l'objectif d'innovation dans le mandat de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Ni le dispositif prévu par l'article ni l'étude d'impact ne nous renseigne sur le contenu ou la portée juridique de cette mesure, lourdement critiquée par le Conseil d'État. Il pourrait s'agir d'un effet d'affichage. La définition du mandat d'une autorité administrative indépendante est importante.
L'article 6 illustre une autre limite du projet de loi. Il vise à réduire de deux à un mois le délai d'information des salariés avant tout projet de vente du fonds de commerce. Cette formalité administrative supplémentaire, imposée aux entreprises par la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », était supposée favoriser les rachats par les salariés. Cependant, ces rachats sont restés très rares ; pourquoi ne pas aller au bout de votre démarche et supprimer cette mesure dont l'inefficacité semble démontrée ?
Enfin, le volet agriculture est étrangement absent de ce projet de simplification de la vie économique, alors que les agriculteurs sont des entrepreneurs ; pourquoi avoir fait ce choix ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je commencerai par apporter un démenti formel quant à la confiance que j'accorde aux parlementaires, qui est totale. J'ai moi-même été parlementaire pendant quinze ans. Nous faisons le choix de l'ordonnance quand le travail est fastidieux, long et technique, notamment dans le cas des 2 500 démarches administratives que nous voulons simplifier ou supprimer. Je tiens à ce que les textes de loi soient clairs et simples. L'ordonnance semble représenter le meilleur moyen pour aller vite et procéder à l'analyse extensive de ces démarches, ce qui n'exclut pas d'avoir recours à la voie législative pour certaines dispositions, dont celles qui sont relatives aux rescrits, sur la base de propositions qui seront faites par les parlementaires.
En ce qui concerne la Cnil, nous faisons face à des révolutions technologiques considérables. Si nous n'ajoutons pas ce volet relatif à l'innovation, lié notamment à l'intelligence artificielle (IA), j'ai peur que nous ne prenions beaucoup de retard. L'IA doit être au coeur de notre réflexion sur l'administration de demain et l'administration française, l'une des meilleures au monde, doit aussi être l'une des plus performantes et des plus innovantes en la matière. Il s'agit d'un défi considérable, mais le relever nous permettra de servir l'usager, qu'il soit entrepreneur ou citoyen. Cet article sera longuement discuté, mais je souhaite que le déploiement de l'IA soit le plus rapide possible dans notre administration. À titre d'exemple, le recours à l'IA sera utile pour les appels d'offres et il est déjà très répandu pour le conseil aux usagers, permettant de répondre plus vite, sans renoncer au conseil humain quand l'IA ne permet pas de répondre aux questions posées.
Sur le délai d'information des salariés, nous nous en remettrons à la sagesse des parlementaires. Avec le délai actuel de deux mois, le nombre de rachats d'entreprises par les salariés est passé de 40 à 50, sur 30 000 cessions. On peut donc légitimement s'interroger sur l'efficacité du dispositif.
Enfin, j'en viens à la question de l'agriculture. Le projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture comporte des dispositions de simplification. Nous avons choisi de scinder les sujets.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les trois ordonnances seront-elles ratifiées ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Bien sûr.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Si elles ne le sont pas, le Parlement sera exclu.
M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est noté, madame la sénatrice.
M. Fabien Gay. - Le texte est technique, fourre-tout selon certains, mais il s'agit surtout d'un texte très politique, ce qu'illustre l'article 7. En effet, celui-ci va complexifier la vie des entreprises et des salariés alors que vous prétendez la simplifier. Les services de paie sont complexes et il faudra que les entreprises changent leur système informatique pour répondre aux nouvelles exigences. De plus, s'ils le demandent, les salariés devront pouvoir accéder aux informations présentes sur l'ancienne fiche de paie. Il faudra donc produire deux fiches, selon deux systèmes différents, ce qui ne sera pas simple pour un entrepreneur qui fait tout lui-même. Il s'agit donc non pas de simplifier, mais de préparer une offensive politique sur la question du salaire.
Depuis sept ans, vous dites ne pas vouloir augmenter les salaires, pour vous concentrer sur le partage de la valeur, le dividende et l'actionnariat salarié. Vous allez chercher à rapprocher le salaire brut du salaire net. Je suis d'accord sur la nécessité de donner accès aux salariés à l'information relative aux composantes de son salaire et c'est d'ailleurs un vrai combat, mais je ne crois pas à la solution du portail numérisé.
J'en viens à la réindustrialisation. Certes, nous recréons de l'emploi industriel, mais nous en perdons aussi. Quelle chaîne de valeur veut-on construire en France ? Dans le secteur automobile, vous souhaitez que la France devienne leader dans le domaine de la batterie électrique. Sommes-nous condamnés à ne construire que cet élément de la chaîne, à l'heure où les fonderies et les sous-traitants ferment les uns après les autres ?
M. Michel Canévet. - Le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la transmission des entreprises et nous avons mis en exergue les difficultés liées à la loi Hamon ; une révision du dispositif de consultation des salariés est-elle envisageable ?
En ce qui concerne les délais de paiement, pourrait-on considérer la proposition des commissaires de justice, qui vise à éviter la judiciarisation systématique pour obtenir le paiement des factures, en ayant recours à des procédures simplifiées ?
Les tribunaux administratifs seront les interlocuteurs pour la commande publique. S'il s'agit d'une bonne mesure, il faudra faire en sorte que les délais d'instruction soient raccourcis.
Enfin, nous parvenons à réduire les délais d'instruction dans certains dossiers, mais les administrations font obstacle. Il nous faut tenir un discours clair à l'intention des entrepreneurs : quand des délais sont mis en place, ils doivent être respectés.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Ce projet de loi nous parvient après de nombreuses lois de simplification, dont les effets en termes d'allégement des contraintes administratives et de compétitivité n'ont jamais été évalués.
Je souhaite aussi revenir sur la feuille de paie, votre proposition étant très étonnante. Dans le back office des entreprises, on procédera toujours aux mêmes calculs des différents éléments de la paie. Par ailleurs, vous dites que les salariés auront ainsi accès à des « informations simples », ce que je trouve légèrement méprisant. Dans de nombreuses entreprises, certains employeurs et les syndicats aident les salariés à comprendre leur feuille de paie. Le nouveau dispositif les rendra incapables de comprendre à combien s'élève le salaire socialisé pour chacune des cinq branches de la sécurité sociale. Vous construisez une allergie aux cotisations en choisissant de faire figurer une somme globale, qui sera importante, et en effaçant les risques socialisés auxquels elle correspond. Il s'agit d'une mesure politique et idéologique, qui ne simplifiera rien.
Par ailleurs, le projet de loi comprend peu d'éléments liés aux TPE et aux PME. De nombreuses mesures prennent acte du fait que les administrations sont surchargées et qu'elles ne sont pas en mesure de réaliser certains actes administratifs dans des délais satisfaisants. Vous souhaitez davantage acter l'insuffisance des effectifs de fonctionnaires que simplifier la vie des entreprises. À titre d'exemple, vous évoquez les délais trop longs du traitement administratif des paiements directs des sous-traitants, pour supprimer un mécanisme qui offrait pourtant une garantie. Ce dont les TPE et les PME ont besoin, c'est d'accompagnement.
Enfin, quand mesurerez-vous le bénéfice social, sanitaire et écologique des normes ? Quand évaluerez-vous les coûts qu'elles permettent d'éviter ? Je pense notamment à la suppression de l'obligation de résultat quant à la compensation écologique.
M. Serge Mérillou. - Simplifier la vie des entreprises, c'est aussi sécuriser ces dernières et les collectivités, notamment dans le cadre des marchés publics. Or les décisions de justice peuvent intervenir de façon très tardive en la matière, annulant des autorisations pour des travaux dont la réalisation est déjà avancée, voire terminée. L'article 15 du projet de loi prévoit d'étendre le dispositif de projet d'intérêt national majeur aux data centers ; pourrions- nous étendre cette disposition aux projets d'infrastructure routière portés par les collectivités, sous réserve qu'ils soient compatibles avec le maintien de la biodiversité et positifs en matière de sécurité routière ?
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique. - Les recours abusifs représentent un véritable sujet de préoccupation dans de nombreux domaines.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Pour répondre à Mme Poncet Monge, une compensation écologique est prévue, mais elle doit être différée dans un délai raisonnable. Aujourd'hui, quand un terrain est disponible, comme au Havre par exemple, qu'une usine souhaite s'y installer, que la réindustrialisation est possible et la perspective de création d'emplois est réelle, mais que les hectares équivalents pour compenser la construction ne sont pas immédiatement disponibles, il faudrait abandonner l'investissement. Je ne suis pas d'accord. Cependant, nous ne renonçons pas à la compensation écologique, qui est seulement reportée dans le temps.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Quel est le délai raisonnable ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous aurez à coeur de le définir. Mais si nous ne reportons pas, l'usine s'installera en Chine, en Inde ou en Turquie. Nous ne le souhaitons pas, et c'est la différence entre vous et nous. Nous préférons que l'usine s'ouvre en France, dans des conditions écologiques qui sont les meilleures au monde en termes d'émission de CO2 par produit manufacturier produit. Je ne reproduirai pas les erreurs commises par tous mes prédécesseurs depuis quarante ans : choisir de polluer ailleurs, importer ensuite et perdre, par ces importations, toutes les réductions de CO2 obtenues en France.
J'en viens à la réindustrialisation et à l'industrie automobile, qui constitue un enjeu stratégique pour le pays. Depuis un siècle, la France a une industrie automobile de pointe, dont les marques font partie de notre patrimoine. La bascule vers le véhicule électrique ou hybride représente donc une transformation essentielle. Je voudrais vous rassurer sur notre stratégie. D'abord, nous avons un rendez-vous en 2027 ; nous verrons où nous en sommes alors. Ensuite, la bascule définitive aura lieu en 2035, quand la vente - et non la circulation - des véhicules thermiques sera interdite.
Notre souhaitons que la France soit une nation de production et non de consommation. Si nous ne prenons pas immédiatement le tournant du véhicule électrique, de manière cohérente et volontariste, il sera trop tard, et notre retard en matière de batteries, de terres rares, de métaux critiques et de moteurs électriques sera trop grand. Nous avons donc décidé, avec le Président de la République et l'ensemble de la filière de l'industrie automobile, dont je salue l'unité, d'accélérer la transition et de maîtriser l'intégralité de la chaîne de valeur.
À cette fin, il nous faudra maîtriser l'approvisionnement en lithium, en cobalt et en terres rares, et rouvrir des mines. Il faudra aussi assurer la production de batteries, qui représentent entre un tiers et un quart de la valeur des véhicules électriques. Nous avons donc ouvert quatre giga factories, qui concentreront 20 000 emplois, et nous avons choisi de faire venir des investisseurs comme ProLogium, qui travaillent sur des batteries d'un autre type, dans l'objectif de se passer du lithium ou de l'utiliser en moindre quantité. Il faudra également recycler les matériaux des batteries et récupérer les matériaux critiques.
Enfin, nous voulons produire les véhicules en France et la discussion avec les constructeurs est parfois difficile sur ce sujet. Renault est capable de produire la R5 à Douai et des véhicules utilitaires légers à Sandouville, où 200 millions d'euros ont été investis, deux nouvelles lignes de production ont été installées et plusieurs centaines d'emplois vont être créés. Il y a dix ans, ce site devait fermer et j'ai été heureux d'y retourner et d'y croiser des salariés qui avaient le sourire aux lèvres, parce qu'ils savent que l'avenir de l'usine est garanti pour les décennies à venir. Cependant, Renault et Stellantis doivent prendre des engagements sur les volumes de production, les modèles et les plateformes qui correspondent à l'investissement que réalise la Nation française dans ce domaine. Notre stratégie est cohérente : accélérer, maîtriser l'intégralité de la filière et obtenir des volumes satisfaisants.
J'ajoute un point qui peut irriter : il faut protéger notre industrie face aux surcapacités chinoises. Nous ne parviendrons pas à résister sans rétablir un équilibre commercial entre la Chine et l'Europe. Les 26 autres États membres de l'UE doivent aussi le comprendre. Les normes environnementales strictes que nous imposons à nos constructeurs ont un coût et si ce dernier n'est pas facturé à l'entrée sur le marché européen, nous n'avons aucune chance de maintenir notre industrie. La compensation est indispensable. Produire de l'acier ou de l'aluminium décarboné, à Fos-sur-Mer ou à Dunkerque, nécessite l'installation de fours électriques, qui coûtent des milliards d'euros. Le coût plus élevé de l'acier ou l'aluminium sera répercuté sur ceux de la carrosserie et de la voiture. Cette voiture ne peut pas rivaliser commercialement avec des produits fabriqués dans d'autres pays, dans des conditions environnementales moins satisfaisantes.
Se protéger, c'est aussi assumer que les bonus versés pour l'achat d'un véhicule électrique ou d'une pompe à chaleur soient réservés aux biens qui respectent les règles environnementales les plus strictes. Je regrette que d'autres pays européens n'aient pas suivi cette politique.
Il s'agit de l'un des enjeux stratégiques pour l'industrie européenne dans les décennies à venir : si l'on ne rééquilibre pas les conditions de marché avec la Chine, l'industrie européenne disparaîtra, comme c'est déjà le cas avec le secteur de la chimie. Nous ne pouvons pas demander à nos industriels de supporter le coût environnemental sans garantir un équilibre commercial avec leurs concurrents.
Enfin, j'en viens à la feuille de paie. Les changements prévus prennent du temps parce que transférer la charge de l'émission des données de l'entreprise au portail national des droits sociaux prendra un peu de temps. La tâche du chef d'entreprise sera allégée.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - En ce qui concerne le dispositif prévu par la loi Hamon, le mécanisme en place est trop lourd et freine les repreneurs, ce dont témoigne la faible proportion de transmissions aux salariés. Nous sommes ouverts à toute proposition qui pourrait enrichir les dispositions prévues.
Nous sommes également ouverts à vos suggestions sur la question des commissaires de justice.
Quant à l'article 12, il vise à simplifier les contraintes pesant sur les juges des référés et à supprimer le critère de grade, qui conditionne l'exercice de cette fonction, afin que ces juges soient plus nombreux.
Madame Poncet Monge, dire de ce texte qu'il est à la fois technique et politique n'est pas une insulte. Par ailleurs, il comprend de nombreuses mesures à destination des TPE et des PME : supprimer les formulaires Cerfa, faciliter l'accès à la commande publique en ligne, développer les visites de conformité, généraliser les rescrits et la médiation, réformer le droit des contrôles spéciaux, instaurer le « test PME », ouvrir la résiliation à tout moment pour les assurances de dommages des professionnels, reconnaître le statut de tiers déclarant, alléger les obligations de la DAS 2, fournir des outils pour faciliter l'embauche, faciliter la création de groupements momentanés d'entreprises et simplifier les démarches des entreprises du bâtiment et des travaux publics - peu importe que nous empruntions la voie législative ou réglementaire, ces mesures s'adressent aux TPE et aux PME.
Monsieur Mérillou, nous sommes ouverts à considérer des mesures de simplification pour d'autres types de projets d'intérêt national majeur.
Mme Pascale Gruny. - Je suis parlementaire depuis vingt ans et j'ai vu passer de nombreux textes de simplification. Alors j'ai envie de vous dire : ne touchez à rien, ce sera pire après !
Je souhaite revenir sur la question des bulletins de paie, pour que vous ne pensiez pas que la critique ne vient que d'un côté de l'hémicycle. Le bulletin est déjà simplifié et je ne sais pas à quoi fait référence M. Le Maire quand il évoque 55 lignes. Par ailleurs, l'entreprise aura toujours besoin des informations qui figuraient sur le bulletin. Vous ne simplifiez rien, mais le coût en matière de maintenance informatique et d'expertise comptable sera certain. Enfin, en ce qui concerne le portail, la déclaration sociale nominative (DSN) permet déjà d'avoir accès à toutes les informations.
Dans le dossier de presse préparé par votre ministère sur le projet de loi, vous précisez que la disparition des formulaires Cerfa pourra passer par le fait de « supprimer purement et simplement la démarche », auquel cas, « l'information sera obtenue autrement ». Il faudrait alors veiller à ce que l'on puisse parler à de vrais interlocuteurs lorsqu'on contacte l'administration ; j'ai pu constater personnellement hier les carences en la matière en appelant le service des impôts, car personne n'a su me répondre.
M. Martin Lévrier. - J'évoquerai la course difficile que les entreprises doivent mener pour obtenir des subventions. Des entrepreneurs m'ont dit qu'ils pouvaient toucher jusqu'à 280 subventions pour un même produit. Quant à des dispositifs comme MaPrimeRénov', ils sont devenus bien trop compliqués pour que de petits entrepreneurs tentent d'en bénéficier. Le sujet mériterait un travail de réflexion et la simplification pourrait prendre la forme d'un guichet unique des subventions.
Vous avez présenté l'administration française comme l'une des meilleures du monde, mais elle est souvent perçue comme une police des polices. Ne devrait-on pas préférer le mot « conseiller » aux termes « contrôleur » et « inspecteur » ? Pendant la crise de la covid, l'administration s'est montrée beaucoup plus proche des entreprises et il faudrait poursuivre ce travail en modifiant certains mots.
J'en viens aux « tests PME » et aux évaluations annuelles. Pourrait-on aussi envisager une évaluation normative ou réglementaire des amendements votés ? Nous en concevons beaucoup et sommes parfois les pires constructeurs de la réglementation.
M. Hervé Reynaud. - D'abord, je souhaite que le texte final soit bien d'inspiration sénatoriale, car nous avons mené un travail de longue haleine sur le sujet.
Ensuite, j'évoquerai un regret. Il semble dommage que l'objectif de simplification ait été scindé, séparant, par exemple, les questions économiques de l'agriculture. Nous aurions pu évoquer aussi les collectivités territoriales et rapprocher l'administration déconcentrée et décentralisée de nos entreprises.
Vous avez dit avoir consulté des organisations professionnelles ; quel a été le périmètre de ces concertations ? Il était important de réintroduire les corps intermédiaires dans la réflexion.
Enfin, je souhaite revenir sur la facilitation de l'accès aux commandes publiques pour toutes les entreprises. Ces dernières doivent fournir les pièces administratives requises dès la phase de candidature ; il serait sans doute possible d'alléger cette procédure.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite évoquer les formalités administratives induites par la mise en conformité de nouvelles normes, qui menace la compétitivité des plus petites entreprises. En effet, celles-ci sont obligées de recruter pour se conformer à ces normes et les sommes importantes ainsi dépensées ne sont pas investies en recherche et développement (R&D) ni dans la production. Dans notre rapport d'information sur la directive CSRD, qui a été adopté par la délégation aux entreprises, Marion Canalès et moi avons formulé une proposition : l'extension aux entreprises du principe : « dites-le-nous une fois ». Compte tenu de la densité des informations demandées aux entreprises dans le rapport de durabilité de la CSRD, l'administration ne devrait pas avoir à demander de nouveau les éléments qui s'y trouvent. J'aimerais que cet exemple de simplification soit intégré au texte.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je remercie Mme Gruny pour sa mise en garde, mais il m'en faut plus pour me décourager ! Certes, la simplification est un travail difficile, notamment parce qu'il touche aux intérêts particuliers. À titre d'exemple, dans le cas de la CSNP, pour laquelle je m'en remets à votre sagesse, les parlementaires savent qu'ils devront cesser d'y siéger si elle devait être supprimée. La même chose se produit pour les agents de la fonction publique, qui redoutent une perte d'activité. La simplification crée de l'inquiétude et nécessite de la confiance. M. Lévrier le mentionnait de façon très juste, le conseiller doit prendre la place de la police des polices. Dans le cas de DAS 2, le contrôle est tel parce que le dispositif repose sur l'idée que tout chef d'entreprise est un fraudeur en puissance. Je pars du principe qu'il faut faire confiance et que les contrôles doivent permettre de sanctionner lourdement ceux qui trichent et abusent de cette confiance. Il s'agit d'un renversement complet : ne pas multiplier dès le départ les contrôles et la paperasse pour éviter toute fraude, et faire en sorte que la confiance soit le principe.
En ce qui concerne le guichet unique pour les subventions, il s'agit de l'une des réflexions que nous sommes prêts à ouvrir. Un tel dispositif serait utile et j'y suis favorable.
Pour le « test PME », nous proposons de reprendre le travail remarquable d'Olivier Rietmann. Cependant, il s'agit d'un débat politique lourd. En effet, cela suppose de faire confiance à des chefs de PME et de TPE pour juger d'un texte et de son impact sur la vie des entreprises. En second lieu, le secrétariat doit être assuré de manière interministérielle pour garantir l'efficacité de la procédure, ce qui est complexe.
Enfin, notamment sur la question du « test PME », ce texte est bien d'inspiration sénatoriale.
Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée. - J'ai lancé à Bercy un groupe de travail, qui rassemble des avocats, des administrateurs et mandataires judiciaires, des philosophes et d'autres acteurs, pour réfléchir aux mots à poser sur les maux de nos entrepreneurs. M. Lévrier et tous ceux qui pourraient être intéressés sont invités à venir échanger. Je crois à l'importance des mots, notamment pour les entrepreneurs qui rencontrent des difficultés. Recevoir un courrier du tribunal pour une « liquidation » ne donne pas envie d'ouvrir sa boîte aux lettres et le déni constitue un problème, notamment pour les micro-entrepreneurs. Je voudrais proposer d'autres termes, ainsi que des procédures allégées et moins difficiles humainement, pour faire face à l'échec et au rebond. L'expérience des sénateurs nous serait utile en la matière.
Monsieur Reynaud, la consultation que nous avons organisée a duré plusieurs mois, a rassemblé 70 fédérations professionnelles, le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), l'Union des entreprises de proximité (U2P), mais aussi des acteurs sectoriels du bâtiment, du commerce, de l'industrie, de l'artisanat, du chiffre et du droit. Nous avons reçu 1 500 propositions et 33 000 citoyens et chefs d'entreprise ont participé en ligne, nous adressant 5 300 propositions.
Madame Romagny, le principe : « dites-le-nous une fois » est au coeur de l'article 2. L'administration détient déjà 80 % des informations qu'elle demande. L'article concernant la plateforme unique pour les marchés publics va aussi dans ce sens, puisqu'il suffira de donner son numéro Siret une fois pour avoir accès à l'ensemble des marchés publics disponibles.
Cette question est aussi au centre de nos préoccupations concernant la directive CSRD et je salue votre engagement sur le sujet. Nous avons décidé de prétester le « test PME » auprès des PME sur la CSRD, en réunissant quinze PME, qui ont appliqué les douze normes prévues par la directive. Nous n'avons pas constaté de rejet en bloc puisque 70 % des informations ne consistent pas à agréger des données quantitatives, mais à décrire la politique menée par l'entreprise, ce qui ne peut être noté ni sanctionné. De plus, un tiers des données paraissent compliquées ou très compliquées, ce qui signifie que deux tiers d'entre elles sont assimilables par les PME. Un autre point important est apparu : la simplification doit aussi consister à éviter de demander plusieurs fois aux entrepreneurs des documents qui se ressemblent, sans être tout à fait les mêmes. À cet égard, nous avons veillé à ce qu'il y ait convergence entre les demandes liées à la CSRD et à l'indicateur climat de la Banque de France.
M. Rémy Pointereau, président de la commission spéciale sur le projet de loi de simplification de la vie économique. - Nous avons encore beaucoup de travail. Il nous faut arrêter la surtransposition européenne, faire mieux en matière de dérogation des préfets et étudier de plus près la proportionnalité des lois, ainsi que la différenciation en fonction du nombre de salariés.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez évoqué la suppression de certains comités et de certaines commissions. Chiche ! Mais alors, il faudra aussi travailler à la suppression d'un certain nombre d'agences, qui coûtent très cher à notre pays.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 00.
Jeudi 16 mai 2024
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Audition d'organisations syndicales patronales
M. Rémy Pointereau, président. - Mes chers collègues, nous procédons cet après-midi à l'audition des partenaires sociaux sous forme de deux tables rondes.
La première rassemble une partie des organisations patronales, les contraintes d'agenda nous ayant conduits à proposer à l'Union des entreprises de proximité (U2P) et à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) de les entendre mercredi prochain.
Nous sommes donc heureux de recevoir : pour le Mouvement des entreprises de France (Medef), M. Thierry Mallet, co-président de la commission simplification et réforme de la sphère publique du Medef, président de Transdev et du Groupement interprofessionnel du transport et de la logistique, et M. Stéphane Dahmani, directeur adjoint à la direction économie du Medef ; pour l'Association française des entreprises privées (Afep), Mme Stéphanie Robert, directrice générale et Odile de Brosses, directrice des affaires juridiques ; enfin, pour la Fédération française du bâtiment (FFB), son président, Olivier Salleron.
Mesdames, messieurs, le projet de loi de simplification de la vie économique que nous devrions examiner en séance le 3 juin est présenté comme ayant fait l'objet d'une large concertation avec les entreprises : vous nous direz si tel a bien été le cas. Il entend s'inscrire dans une démarche où la simplification serait la règle.
Malgré le peu de temps qui nous est imparti pour procéder aux consultations - notre commission spéciale a été mise en place le 7 mai -, nous avons pu entendre Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, et procéderons à des auditions de terrain afin de recenser les difficultés que peuvent notamment rencontrer les entreprises rurales. Nous acceptons donc de nous engager dans cette démarche de simplification. Cependant, nous avons des interrogations sur les mesures qui nous sont proposées : certaines sont très précises ; d'autres sont pleines de bonnes intentions, mais très floues - comme les demandes d'habilitation faites par le Gouvernement ; d'autres, enfin, semblent d'abord politiques et pas forcément simplificatrices, telles que celle qui concerne le bulletin de paie.
Il est donc important pour nous de recueillir l'avis des premiers concernés sur la démarche et sur le contenu du projet de loi.
M. Thierry Mallet, co-président de la commission simplification et réforme de la sphère publique du Medef, président de Transdev et du Groupement interprofessionnel du transport et de la logistique. - Merci de nous auditionner dans le cadre de ce projet de loi. Nous avons effectivement participé à son élaboration en faisant remonter, au niveau du Medef, un certain nombre d'interrogations du terrain et en formulant environ 80 propositions, qui ont été en partie reprises.
Selon nous, ce projet de loi ne constitue que la première brique d'un édifice plus global. Nous sommes en effet confrontés à une inflation normative, le volume de la loi ayant quasiment doublé entre 2002 et 2022, avec un nombre de mots contenus dans les textes en vigueur qui est passé de 22 millions à 46 millions pendant cette période. Un tel empilement ne facilitant pas la vie des entreprises, nous appuierons toute démarche permettant de supprimer des réglementations obsolètes, contradictoires et inutiles ou de réduire les délais, en s'assurant que l'administration réponde dans le temps imparti - que sa réponse soit négative ou positive. De la même manière, tout ce qui permettra de numériser un certain nombre de procédures et de supprimer des certificats nous agréera. La vie des entreprises sera également facilitée si l'on renverse la charge de preuve et si c'est à l'administration qu'il revient de démontrer que l'entreprise a commis une erreur.
Un point essentiel a trait au flux normatif : il conviendrait de mieux évaluer l'impact réglementaire et de procéder à des expérimentations avant de généraliser telle ou telle mesure, en prenant le temps de la norme afin d'éviter les erreurs et de décrédibiliser la loi. Des normes fiables, solides et applicables seront d'autant plus nécessaires dans le cadre de la transition énergétique. Cet aspect, essentiel à nos yeux, apparaît dans le test petites et moyennes entreprises (PME), mais il faudra probablement adopter une approche plus globale dans le travail d'évaluation en amont.
Comme je l'indiquais précédemment, toutes les mesures proposées pour simplifier la vie des entreprises vont dans le bon sens, qu'il s'agisse de supprimer des formulaires Cerfa, de ne demander l'information qu'une fois, d'alléger la DAS 2 ou encore de faciliter l'accès à la commande publique pour les petites entreprises. Dans ce domaine, il ne faudra d'ailleurs pas s'arrêter au prix et prendre en compte les aspects environnementaux ou ayant trait à la proximité locale.
Par ailleurs, la réduction de certaines contraintes paraît nécessaire : je rappelle que des peines pénales sont prévues pour la non-communication de certains documents, ce qui semble excessif au regard de ce que pratiquent nos voisins européens. Dans le même registre, les mesures d'accélération des implantations d'entreprises seront bienvenues compte tenu de la forte concurrence avec les autres pays européens, ce qui n'empêchera pas le débat. Le zéro artificialisation nette (ZAN) génère une réelle contrainte : nous éprouvons des difficultés à trouver des terrains et à transformer les friches, alors que tout ce qui contribuera à accélérer la relocalisation des activités en France nous permettra de mieux contrôler les émissions. Je précise, sur ce point, que le réel enjeu consiste à mesurer notre empreinte, et non pas les émissions. Enfin, il nous paraîtrait utile de favoriser l'implantation de data centers, car il s'agit d'un élément clé de souveraineté.
Ensuite, la programmation d'une loi annuelle de simplification nous semble être une bonne idée. Plus globalement, nous serons très attentifs à la fabrique de la loi : les propositions actuelles ne permettront de maîtriser que les projets de loi, et non les propositions de loi ni les amendements. Toute une partie du domaine normatif ne sera donc pas intégrée au test PME, que nous souhaiterions voir davantage centré sur les impacts économiques globaux. Un comité permanent pourrait permettre d'associer les entreprises, d'autant que les sujets à traiter sont plus complexes que par le passé. Il est important d'avancer à la bonne vitesse et de suivre, dans ces circonstances, l'adage « nous sommes pressés, ralentissons » : vouloir aller trop vite n'apporte pas la garantie d'avoir la meilleure loi.
Mon dernier point portera sur le bulletin de salaire, dont la complexité résulte d'une accumulation de normes, chacune des lignes ayant sa justification. Vouloir le simplifier en faisant disparaître des lignes revient à mettre la poussière sous le tapis. Ne plus mentionner la contribution versée par l'entreprise empêchera les collaborateurs de comprendre les différents coûts. Selon nous, cette mesure est artificielle : mieux vaudrait réfléchir à une simplification ou à une unification des différentes taxes présentes sur le bulletin de salaire.
Mme Stéphanie Robert, directrice générale de l'Association française des entreprises privées (Afep). - Je vous remercie de nous donner l'opportunité d'évoquer ce sujet majeur. Je partage en tout point l'intervention de mon collègue du Medef, et souligne que la démarche engagée a été très contributive. Si une attention particulière a été accordée aux PME et aux très petites entreprises (TPE), l'Afep, qui représente les grandes entreprises, est préoccupée par l'ensemble du tissu économique français et voit d'un oeil favorable cette démarche de simplification.
Il nous semble essentiel de distinguer le stock et le flux. Le stock peut être géré par des lois d'habilitation : pour certains aspects, il faut se donner le temps d'une rédaction plus approfondie, tout en s'assurant d'une relative rapidité des délais. La complexité de la réglementation représente un enjeu de compétitivité et d'attractivité pour les entreprises, s'y attaquer de manière durable est indispensable. De nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni et l'Allemagne, s'y sont attelés par le passé, avec de réels effets. Nous devons accomplir un travail collectif important en la matière.
Ensuite, le flux normatif reste une préoccupation considérable, le législateur français n'en étant pas la seule source puisque le législateur européen y contribue également. Portons collectivement ce message à l'occasion des élections européennes : le Medef et les organisations patronales l'ont fait, mais je crois que la représentation nationale doit aussi s'intéresser à ce sujet alors que nous avons été, ces dernières années, confrontés à un véritable flot de réglementations folles. Le prochain mandat doit être l'occasion de réguler un certain nombre d'obligations.
Au reste, lorsqu'une réglementation européenne vient s'ajouter à un domaine dans lequel la France était en avance - tel était le cas en matière de reporting extrafinancier -, il importe de « nettoyer » les dispositions et de redonner de la cohérence aux règles : nous ne pouvons pas absorber à la fois le stock et le flux sans un travail d'harmonisation, quitte à accepter, peut-être, de revenir sur une série de spécificités et de dispositions françaises.
Enfin, je m'associe au propos de M. Mallet sur le bulletin de salaire et invite à la prudence par rapport à cette proposition dans la mesure où elle soulève des enjeux essentiels de compréhension du financement de notre système de protection sociale. Ne masquons pas la réalité du sujet alors que nos concitoyens ont besoin d'éducation financière et sociale : trop simplifier nous expose au risque de passer à côté des vrais enjeux.
M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB). -Je rappelle que je fais également partie du comité exécutif du Medef. Le secteur du bâtiment, qui regorge de normes et de réglementations, est exposé en permanence à une forte instabilité normative, ce qui le contraint à rester agile. Nous avons accueilli avec joie le lancement de ce chantier de simplification et avons fait de nombreuses propositions.
Au niveau de la construction, la France applique les normes environnementales les plus élevées au monde depuis l'entrée en vigueur de la RE 2020 le 1er janvier 2022. Aucun pays au monde n'applique des normes de construction aussi vertueuses, ce qui est à la fois un motif de fierté et une source d'augmentation des coûts. Nous avons malheureusement été confrontés à une série de crises depuis quatre années, qu'il s'agisse du covid ou de la crise des matériaux et de l'énergie, qui ont surenchéri les coûts de construction de 25 %.
Particulièrement demandeur de simplification, le bâtiment a contribué au débat par des propositions, quand bien même cette réforme de simplification ne nous permettra pas de sortir de la récession qui a gagné le secteur. Après une relance assez forte qui avait permis d'employer 120 000 salariés supplémentaires depuis la fin de la crise du covid, je dois malheureusement vous annoncer que la complexification des normes et le détricotage de MaPrimRénov' - un excellent dispositif, que j'ai toujours défendu - a entraîné, depuis le 1er janvier 2024, une diminution de 65 % du nombre de dossiers mobilisant cette prime par rapport à l'an dernier, ce qui est une véritable catastrophe pour nous.
Parmi les mesures à saluer figure l'obligation pour les personnes publiques autres que les collectivités territoriales de déposer leurs appels d'offres sur la Plateforme des achats de l'État (PLACE). D'autres mesures non législatives sont également bienvenues, dont la réponse à des appels d'offres au simple moyen d'un Siret : en 2024, à l'heure du numérique, je pense que l'administration est capable de l'utiliser pour décliner toutes les attestations et qualifications requises.
Par ailleurs, la réduction des délais de paiement et des délais cachés demeure une préoccupation essentielle dans nos métiers : continuons à les combattre, car nous pouvons encore gagner en efficacité sur ce point, même si Bruno Le Maire et son administration y sont tout à fait favorables.
Pour les TPE-PME, le relèvement des avances avant travaux à hauteur de 30 % est une très bonne chose, car il fournit un bonus de trésorerie qui permet d'acheter les matériaux avant de pouvoir facturer, parfois plusieurs mois après. Parallèlement, la proposition d'une retenue de garantie à 3 % - contre 5 % actuellement, en général - est pertinente, même si elle aurait pu être ramenée à zéro pour les petits travaux, car elle ne représente dans ce cas que quelques centaines ou quelques milliers d'euros, ce qui n'en fait pas un moyen coercitif pour empêcher des abandons de chantiers.
J'en viens à l'article 5, relatif à l'unification et à l'accélération des contentieux. Si le règlement amiable des litiges est une bonne mesure, il faudra cependant s'assurer que les contrats privés ne seront pas soumis aux mêmes règles que les contrats publics selon lesquelles le juge administratif est compétent pour la partie concernant la passation et le juge judiciaire compétent pour la partie relative à l'exécution. Les tribunaux sont déjà suffisamment engorgés et relever de deux juridictions reviendrait à complexifier la situation. Nous sommes donc assez dubitatifs sur cet article.
Quant à l'article 11, la FFB est éminemment favorable à la réforme des contrats spéciaux, qui incluent le louage d'ouvrage et le contrat de construction de maison individuelle. Le diable se cachant dans les détails, nous apprécierions d'être associés à l'écriture finale, après avoir participé aux travaux initiés par la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy.
S'agissant de l'article 16 et des dérogations au code de la commande publique afin de favoriser l'implantation d'usines et de projets de transition énergétique, des mesures dérogatoires sont prévues dans différents domaines - installations d'éoliennes, réseaux haut débit -, le secteur du bâtiment étant très engagé dans l'aménagement du territoire. En revanche, l'acheteur pourrait, par dérogation au code de la commande publique, décider de ne pas allotir, c'est-à-dire de recourir à une entreprise générale et à un marché unique, ce qui va à l'encontre des intérêts des TPE, PME et artisans du bâtiment. Si la mesure peut se justifier pour des marchés d'envergure présentant des contraintes particulières, l'allotissement favorise en effet l'accès des TPE, PME et artisans à la commande publique. Ces catégories figurent parmi nos effectifs, aux côtés des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des groupes tels qu'Eiffage, Bouygues ou Vinci : nous défendons donc tout le monde.
Sur un autre point, le sous-traitant du titulaire du marché pourrait, par dérogation, renoncer expressément au bénéfice du paiement direct. Cette mesure est incompréhensible, car on ne voit pas quel intérêt il y trouverait, et constitue une source de complexification contractuelle pour les PME et TPE : protégeons-les.
Nous sommes en revanche favorables à l'article 20, qui permet de déroger au plan local d'urbanisme (PLU) afin de contribuer au déploiement des pompes à chaleur et des panneaux photovoltaïques, tout comme à l'article 24, relatif au régime de baux commerciaux, qui instaure un principe de paiement mensuel du loyer pour tout preneur qui en a fait la demande : certains de nos adhérents sont preneurs et bailleurs, c'est parfait.
L'article 26, ensuite, remplace le système d'autorisation par un système de déclaration pour la réalisation des travaux dans certains établissements recevant du public (ERP) afin de simplifier les travaux à l'intérieur des magasins situés dans l'enceinte de grands centres commerciaux. La mesure est bienvenue.
Nous portons également une série de propositions et d'amendements sur l'ensemble du texte. Bruno Le Maire a promis la fin de tous les Cerfa : peut-être faudrait-il commencer par le formulaire relatif à la TVA réduite, car les clients se trompent souvent en le remplissant, ce qui génère des problèmes et donc des délais cachés, alors qu'une mention sur le devis pourrait suffire. De la même manière, le Cerfa attestant le respect des règles de construction par le maître d'ouvrage fait doublon : simplifions.
Nous préconisons également, depuis un certain temps, le passage d'un régime de permis de construire à un permis déclaratif en zone d'activité commerciale et en lotissement soumis à permis d'aménager. Hormis quelques compliments, nous n'avons pas obtenu de réponses pour le moment.
En matière d'urbanisme, le projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables prévoit de réduire drastiquement le délai encadrant le recours gracieux dont disposent les voisins pour demander au maire de retirer un permis délivré, au motif qu'il serait illégal. Ledit recours ne suspendrait plus le délai dont disposent les voisins pour attaquer les permis de construire auprès des tribunaux administratifs : la proposition avait déjà été émise par la commission Rebsamen et il faut désormais la mettre en oeuvre, afin de mettre un terme à délai de recours abusif.
Il faudrait favoriser, par ailleurs, la densification des zones pavillonnaires et commerciales existantes, et généraliser le permis d'aménagement multisites pour des projets complexes. De surcroît, il conviendrait d'adapter l'objectif ZAN à la réindustrialisation, non seulement pour les usines, mais également pour les logements, cette contrainte bloquant de nombreuses communes rurales.
En conclusion, un nouveau travail sur les délais de paiement des acteurs publics est annoncé, ce qui nous satisfait, car nous devons être payés rapidement pour le travail effectué : certaines régions le font, d'autres n'effectuent leur règlement que trois mois après. Enfin, comme je l'ai déjà évoqué, le relèvement de 30 % de l'avance minimum sur les marchés de travaux et de collectivités favorisera nos trésoreries alors que nous nous préparons à affronter plusieurs années de crise.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je suis un peu surprise par vos remarques sur la simplification du bulletin de paie, pensant que vous étiez à l'origine de cette demande. Le ministre de l'industrie nous a parlé de 55 lignes, ce qui m'a amenée à examiner un bulletin de salaire, qui en compte plutôt une vingtaine. En tout état de cause, les entreprises devront toujours calculer les mêmes éléments : il semble donc s'agir non pas d'une opération de simplification, mais d'une annonce à visée politique, voire idéologique.
Comme vous l'avez indiqué, les salariés doivent pouvoir comprendre les différents coûts, ainsi que les prestations contributives. Si les droits socialisés - ou différés - font bien partie de vos coûts, il s'agit d'abord de droits. En en faisant figurer qu'un seul bloc de cotisations, on prend le risque de développer, à l'instar des impôts, une allergie à la cotisation, puisqu'apparaîtrait seulement un retrait, dénué de sens. Je me réjouis donc de vous entendre vous interroger sur l'utilité de cette mesure.
Notre groupe est pour sa part intéressé par le maintien d'une ligne spécifique « exonérations, écrêtements et allègement de cotisations », alors qu'il est question, dans le cadre de cette démarche de simplification, de faire apparaître votre contribution nette desdites exonérations. Pour différentes raisons, dont une interrogation relative à l'efficacité et à l'efficience de ces allègements, nous pensons que cette ligne devrait continuer à figurer sur le bulletin. Avez-vous un avis sur ce point ?
Enfin, quelle est votre opinion sur le délai de deux mois fixé par la loi Hamon du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire ? Ce délai prévu pour informer les salariés a-t-il entravé la vente de certaines entreprises ?
Mme Stéphanie Robert. - Le sujet des exonérations et allègements de charges dépasse l'enjeu de la simplification pour rejoindre celui de la compétitivité et de l'attractivité des entreprises françaises. Si un débat doit s'ouvrir sur l'efficacité de ces dispositifs, il devra être très documenté : identifier ce dont on parle est toujours une bonne chose, et ne faire apparaître qu'une contribution nette ne serait pas forcément adéquat.
Sur le fond, nous sommes évidemment très favorables à ces dispositifs, même si le terme d'« allègements » crée toujours une ambiguïté. Pour rappel, les allègements renforcés ont pris la suite du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice). Ces dispositifs sont pour nous cruciaux : le coup de rabot qui a été porté l'année dernière au travers de l'absence d'indexation sur l'évolution du Smic porte un coup très dur aux emplois qualifiés dans l'industrie, envoie un mauvais signal par rapport à l'industrialisation à plus forte valeur ajoutée dont nous avons besoin pour l'avenir et résulte probablement d'une analyse erronée de l'impact du coût du travail dans notre pays. Supprimer des allègements entraîne une augmentation du coût du travail.
M. Olivier Salleron. - Nous serions favorables à une réduction du délai prévu par la loi Hamon de deux mois à un mois, car il a pu être un frein à la transmission de certaines entreprises. Quelle que soit leur taille, de nombreuses sociétés vont être transmises dans notre secteur : mieux vaut que ce processus soit rapide.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Au-delà d'une diminution du délai, la disposition pourrait même être annulée.
M. Olivier Salleron. - Nous n'avions pas milité en faveur de cette loi à l'époque. Une suppression de cette obligation nous conviendrait.
Mme Stéphanie Robert. - Les grandes entreprises ne sont pas directement concernées par ce dispositif conçu pour favoriser la reprise des entreprises par les salariés, mais je doute que ce type d'information obligatoire l'encourage dans la pratique. Nous n'avions pas non plus soutenu ce dispositif, qui est à la fois une fausse réponse et une source de blocages potentiels. Il est cependant malaisé de citer des exemples dans lesquels ce délai a posé problème, car les facteurs entravant une transmission peuvent être multiples.
M. Pierre Barros. - Ayant travaillé pendant vingt ans dans une agence d'architecture, je suis assez sensible aux propos concernant le bâtiment. Je me souviens que la dernière loi de simplification avait ajouté de la complexité, notamment sur la question des permis de construire. Comme tous les participants, nous serons très attentifs à ce que l'actuelle démarche de simplifications évite un tel écueil.
Certaines expériences passées ont permis des simplifications du côté des services de l'État, dont la dématérialisation, par le biais de systèmes tels que Chorus : ont-elles été efficaces ? Assez complexe en termes de dialogue entre les entreprises et les collectivités, ledit système a pu être utilisé de manière assez variable et pas nécessairement adaptée aux partenaires. Si ce dossier est très technique, il peut engendrer, au quotidien, un nombre d'heures de travail incommensurable.
Le texte qui nous est présenté comporte une trentaine d'articles et introduit une notion de dérogation à la règle, ce qui m'interroge fortement, une fois encore du point de vue de l'efficacité de la simplification. En effet, introduire une dérogation revient souvent à complexifier et à fragiliser un texte, et on peut redouter qu'elle rajoute du travail, notamment dans le cadre de recours. Qu'en pensez-vous ? Ne faudrait-il pas bannir le terme de « dérogation » de l'ensemble du texte ?
M. Thierry Mallet. - La mise en place de Chorus a été difficile dans un premier temps, mais la situation s'est ensuite améliorée, au bénéfice d'une simplification de la vie des entreprises. En revanche, le déploiement du guichet unique fait office de contre-exemple, car il a débouché sur un bel échec faute de préparation suffisante, démontrant à nouveau qu'il ne faut pas se précipiter en matière de simplification. À l'inverse, le prélèvement à la source, qui avait suscité des inquiétudes, a été déployé sans difficulté majeure.
Je n'ai pas d'avis particulier sur la dérogation : elle peut être utile dans certains cas, pour accélérer des procédures, mais elle peut aussi créer des risques en ouvrant la porte à des recours. Il conviendrait d'examiner précisément la nature des dérogations avant de les éliminer systématiquement.
M. Stéphane Dahmani, directeur adjoint à la direction économie du Medef. - Il faudrait peut-être envisager de réserver ces dérogations à des secteurs jugés stratégiques pour notre souveraineté. Comme le rappelait l'Afep, nous agissons dans un cadre mondial exigeant en termes de compétitivité. Dans un contexte où l'intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus important, nous nous félicitons des dispositions relatives aux data centers et aux projets énergétiques, qui s'inscrivent dans le prolongement de la loi relative à l'industrie verte et convergent avec le texte européen Industrie zéro émission nette (Net Zero Industry Act). Nous devrons nous assurer de la cohérence entre les volets français et européens afin d'être compétitifs et attractifs sur la scène internationale.
M. Pierre Barros. - Certains projets emblématiques et structurants ont débouché sur des expériences malheureuses, avec l'installation de zones à défendre (ZAD) par exemple. Même après avoir coché toutes les cases de la légalité et de la procédure, l'acceptabilité par la population a pu faire défaut : si des projets tels que l'implantation de data centers - intéressants d'un point de vue stratégique et souverain - venaient à être mis en place par le biais de dérogations dans des endroits qui ont d'autres vocations, ils pourraient être d'autant plus contestés par des mouvements citoyens. J'évoquais ce risque à titre de précaution.
Mme Odile de Brosses, directrice des affaires juridiques de l'Afep. - Censé simplifier la vie des entreprises, le dispositif du guichet unique n'est toujours pas au point. Plusieurs entreprises nous ont indiqué que certaines formalités nécessitaient plus de 200 heures de travail, et nous travaillons avec l'administration afin de corriger les défaillances du système le plus rapidement possible. Le temps presse dans la mesure où les autres dispositifs tels qu'Infogreffe fermeront à la fin de l'année.
Mme Stéphanie Robert. - Ce projet de loi nous conduit à une réflexion de nature culturelle plus que législative. Loin d'une opposition qui serait la pire des choses, il nous faut trouver des moyens pour accélérer dans un monde en mutation rapide et nous inscrire, dans la durée, dans une logique de co-construction. Nous avons ainsi progressé sur le guichet unique, l'administration ayant accepté d'écouter les problèmes signalés par les entreprises et leurs propositions pour y remédier : j'y vois une forme de maturité, car travailler de concert est essentiel.
Dans le même ordre d'idées, nous sommes prêts à ouvrir nos entreprises dans le cadre des stages de vérificateurs de divers horizons : nous ne serons pas forcément d'accord in fine, mais nous saurons mieux échanger et comprendre les problématiques existant de part et d'autre. Cette évolution culturelle me semble très importante.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Je souhaiterais revenir sur l'unification du contentieux de la commande publique. J'ai cru comprendre que vous étiez d'accord, malgré la réserve que vous avez soulevée au sujet de quelques entreprises.
M. Thierry Mallet. - En effet, lorsque la partie liée à l'appel d'offres est traitée différemment de l'exécution du marché.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Le Conseil d'État a fait une remarque à ce sujet : « il convient de ne pas surestimer les avantages de la mesure en termes de simplification pour les entreprises, car elle peut à son tour soulever des interrogations ou complications pour les acheteurs et leurs cocontractants ». Qu'en pensez-vous ?
M. Thierry Mallet. - La partie du marché lié à la commande relève du droit administratif et celle liée à son exécution du droit commercial. Qu'un marché relève de deux juridictions est susceptible d'engendrer de réelles difficultés.
Ce projet de loi pourrait être l'occasion de promouvoir le droit à l'expérimentation, auquel nous sommes très favorables. Avec l'expérimentation, on regarde si la mesure fonctionne et on se donne le droit de revenir en arrière, le cas échéant. Pourquoi penser qu'un texte élaboré en quelques semaines puisse contenir la solution à tous les problèmes ? Le Conseil d'État lui-même n'a pas eu le temps d'évaluer ce texte.
Les tribunaux administratifs rendent leur jugement dans des délais très longs. Ils sont bien sûr compétents en droit administratif, peut-être moins lorsqu'il s'agit d'aborder des domaines techniques, notamment en cas de contentieux sur un chantier : en ce cas, le tribunal de commerce est plus efficace.
Faisons évoluer notre culture juridique : il faut examiner l'impact des textes avant leur entrée en vigueur et promouvoir l'expérimentation. Ainsi, la loi gagnera en qualité. Pourquoi ne pas envisager que des dispositions soient adoptées de manière temporaire ou qu'elles puissent être réversibles ?
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous rejoins totalement. Le Gouvernement est responsable de la situation, mais nous le sommes aussi, nous, les parlementaires. Mais nos concitoyens demandent pour leur part toujours plus de norme... L'application du principe de précaution, défini par le Conseil constitutionnel, a elle-aussi amplifié le phénomène.
Nous consacrons beaucoup de temps à la question de la simplification au sein de la délégation aux collectivités territoriales. Les études d'impact sont parfois faites à la va-vite et ne sont pas toujours objectives ou indépendantes - souvent, l'objectif est de rendre le texte conforme...
Nous avons envisagé la solution de clauses « guillotine » : les nouvelles dispositions sont testées durant trois ou quatre ans, puis elles sont abandonnées si elles ne fonctionnent pas.
La différenciation et la proportionnalité sont d'autres pistes : les normes pourraient varier selon le nombre de salariés dans les entreprises, à l'instar des dispositions applicables aux communes, différentes selon le nombre d'habitants.
M. Olivier Salleron. - Tout le monde s'accorde à reconnaître l'utilité de l'étude d'impact, de la planification, de l'expérimentation ou des clauses « guillotine ». Mais, dans la réalité, nous en sommes encore loin.
Mme Stéphanie Robert. - Les études d'impact doivent aborder les conséquences économiques du projet, mais surtout sa faisabilité et le rapport coût-bénéfice. Les intentions de normalisation sont louables, mais quels en sont les effets concrets dans la vie quotidienne des entreprises ? Ces dernières ont trop souvent l'impression que les problèmes sont abordés en silos, sans penser aux moyens de les résoudre ; cela devient infernal.
Certes, une grande entreprise peut affecter des moyens à la gestion des normes, mais ce sont autant de personnes en moins au service de son développement et de sa croissance.
M. Rémy Pointereau, président. - Les études d'option, également appelées études d'opportunité, sont intéressantes : elles permettent de déterminer si un texte est réellement utile avant le lancement du processus législatif.
M. Thierry Mallet. - L'étude d'impact suppose un travail préalable. J'évoquerai l'exemple de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Le coût de la tonne de CO2 n'avait pas été évalué ; or celle-ci varie selon les secteurs industriels, de 50 euros à 1 000 euros la tonne. Pourtant, chiffrer l'impact d'une mesure est primordial. Si l'objectif consiste à décarboner le plus possible, il faut commencer par prendre les mesures les plus simples, qui coûtent aussi le moins cher. Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il faut s'attaquer aux cibles plus complexes.
Il faut non pas établir un catalogue des mesures les plus séduisantes, mais retenir les mesures les plus efficaces. Nous souhaiterions tous supprimer les passoires thermiques. Mais les premières normes à prendre, ce sont les plus efficaces, celles qui permettent de réaliser 80 % des objectifs. Cette dimension économique manque cruellement dans beaucoup d'études. Si l'on veut faire beaucoup, il faut commencer par ce qu'il y a de moins cher.
M. Christophe Chaillou. - Je partage les propos de M. Mallet. En tant que nouveau sénateur, je suis frappé par l'inflation législative, sans parler des délais très courts que l'on nous impose pour examiner ce texte fourre-tout. Vous avez raison, monsieur Mallet : édicter des normes mérite de prendre tout le temps nécessaire. Or c'est de moins en moins le cas.
Les tests PME nous ont été présentés comme l'alpha et l'oméga de la simplification. Mais comment améliorer ce dispositif ?
Nous avons tous dénoncé les errements de MaPrimeRénov : cela montre à quel point disposer de normes stables est important. Vous avez évoqué une baisse de 65 % des dossiers présentés depuis janvier. Les récentes modifications apportées au dispositif sont-elles de nature à freiner cette tendance ?
M. Olivier Salleron. - MaPrimeRénov' est emblématique de la complexité des règlements ou des mesures votées en novembre lors des projets de loi de finances, que l'on nous demande d'appliquer à nos clients le 1er janvier de l'année suivante.
La dernière mouture du dispositif prônait des rénovations globales, avec un rôle accru des accompagnateurs Rénov'. C'est une très bonne chose : nous l'avions nous-mêmes demandé. Mais il n'y avait même pas un tiers des effectifs nécessaires sur l'ensemble du territoire. C'est pourquoi de nombreux dossiers n'ont pas été traités. Ainsi, 11 000 rénovations globales ont été menées sur les 200 000 prévues, soit seulement 6 % de l'objectif assigné par le ministère de la transition écologique. Voilà l'exemple d'une mesure décidée sans étude d'impact, sans planification, sans expérimentation. Pourtant, la version antérieure de MaPrimeRénov' fonctionnait plutôt bien - en tout cas bien mieux que les dispositifs précédents. À partir du 1er janvier dernier, pour isoler un mur ou changer une fenêtre, il fallait installer une pompe à chaleur en remplacement de la chaudière, même si cette dernière avait moins d'un an. Je vous laisse imaginer le surcoût pour les particuliers, bien que les montants des aides sont importants - il faut le reconnaître.
Face à cette situation, M. Béchu nous a convoqués en urgence pour trouver une solution. Le 15 février, nous avons formulé des propositions, qui correspondaient peu ou prou à la version de MaPrimeRénov' en vigueur l'année dernière, mais la mesure est entrée en vigueur seulement hier. Les artisans ont dû faire patienter leurs clients pour valider les devis, afin que ceux-ci puissent prétendre aux subventions : c'est catastrophique.
Pour le projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement envisage de revenir à la situation en vigueur au 1er janvier 2024. C'est incompréhensible : on revient à la situation que nous avons dénoncée. J'espère que nous disposerons d'accompagnateurs Rénov' en nombre suffisant cette fois... On voit les résultats de cette politique : le nombre de constructions neuves a diminué de 40 % et le secteur du bâtiment a perdu 23 000 équivalents temps plein durant le premier trimestre. C'est décevant, au vu de tous les travaux qui pourraient être engagés pour améliorer l'isolation des bâtiments.
M. Thierry Mallet. - Souvent, on distingue les PME et les grandes entreprises. Mais prenons garde à ne pas créer deux mondes complètement étanches. À cet égard, l'application de la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) présente de réelles difficultés. Cette réglementation européenne ne s'applique théoriquement qu'aux grands groupes : les petites entreprises locales ne sont pas concernées. Mais si celles-ci veulent travailler avec un groupe sur un chantier plus important, elles seront obligées de s'y conformer - la directive européenne les contamine, en quelque sorte.
Les tests PME sont un premier pas dans la bonne direction. Mais le chemin de la simplification est un travail de longue haleine, sans parler de la surtransposition systématique des règles européennes.
Au-delà des tests PME, il faut développer les tests économiques, pour examiner l'impact des décisions sur les émissions de CO2, par exemple. Ceux-ci permettront de déterminer si les décisions projetées amélioreront réellement l'attractivité de l'entreprise. À l'heure actuelle, l'enjeu économique est un angle mort de nombreuses lois. Les parlementaires devraient recueillir l'avis des entreprises avant de voter les textes qui les concernent. C'est une étape indispensable pour améliorer la qualité de la loi. Mieux vaut faire moins de lois, mais des lois de meilleure qualité, à l'heure où la norme est indispensable, compte tenu des enjeux environnementaux. Il faut voter des normes que l'on sera en mesure de respecter. Le retour en arrière serait la pire de situations : nous tous, parlementaires et professionnels, serions décrédibilisés. Il faut prendre du temps : mieux vaut une norme efficace durant trente ans plutôt que durant quinze jours.
M. Stéphane Dahmani. - Le Medef s'interrogeait sur la pertinence de publier une liste annuelle des surtranspositions, qui coûtent chaque année près de 80 milliards d'euros aux finances publiques.
M. Antoine Portelli, directeur de mission au sein de la direction des affaires publiques du Medef. - Le 7 novembre 2018, le Sénat avait adopté un projet de loi portant suppression de surtranspositions de directives européennes en droit français, mais celui-ci n'a jamais été examiné par l'Assemblée nationale. Certaines dispositions de ce texte pourraient sans doute être utilement réutilisées.
Mme Odile de Brosses. - Une circulaire a été publiée récemment à ce sujet : le Premier ministre doit désormais donner son accord en cas de surtransposition.
Mme Stéphanie Robert. - Nous avons des propositions à vous faire en la matière, notamment dans le domaine du droit des sociétés.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Nous sommes preneurs de vos remarques, mais il faut nous les transmettre rapidement, compte tenu des délais contraints qui s'imposent à nous.
M. Rémy Pointereau, président. - Messieurs Mallet et Salleron, vous avez évoqué tout à l'heure le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qui étudie l'impact des textes avant leur examen par le Parlement. Malheureusement, le Conseil, présidé par Gilles Carrez, dispose de peu de moyens et est souvent contraint de travailler dans l'urgence, quelques jours avant la séance publique. Pourtant, leur travail est intéressant. Qu'en pensez-vous ?
J'en viens aux recours abusifs, qui constituent un problème réel lorsque des entreprises souhaitent s'implanter. Comment en réduire le nombre ? Dans certains pays, une caution est exigée pour déposer un recours.
Mme Stéphanie Robert. - Nous n'avons pas de solution juridique prête à l'emploi. Cela dit, la transparence et l'intérêt à agir sont des sujets majeurs.
Le Sénat a mené un travail intéressant lors de l'examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, en cours d'examen par le Parlement. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale élargit considérablement la notion d'intérêt à agir - ce n'est pas un problème en soi. En revanche, il ne prévoit aucune transparence sur les porteurs de l'action de groupe : c'est très dangereux.
M. Thierry Mallet. - Nous avons eu l'occasion d'entendre Gilles Carrez lors d'une réunion de la commission simplification et réforme de la sphère publique du Medef. Selon lui, l'action du CNEN est efficace, mais ses moyens sont limités et les délais imposés au Conseil sont trop courts. On en revient toujours au même problème : sur les sujets importants, pourquoi ne pas se donner plus de temps afin d'adopter des normes de meilleure qualité ?
En Allemagne, une entité autonome procède à l'évaluation des textes avant leur examen par le Bundestag. Réunir les représentants des fédérations et des collectivités locales favorise un dialogue de qualité. Nous serions prêts à nous engager dans une structure de ce type et à y mettre des moyens. Il faut explorer cette piste, on ne peut pas se contenter du test PME. Peut-être cette disposition ne figurera-t-elle pas dans ce projet de loi ; en tout cas, elle doit être instaurée rapidement, car elle nous ferait progresser collectivement. On pourrait aussi profiter de l'occasion pour renforcer les pouvoirs et les moyens du CNEN.
M. Stéphane Dahmani. - L'Allemagne l'a fait : le pays a réduit ses coûts administratifs de 25 %, avec 12 milliards d'euros d'économies à la clé. Une telle mesure a aussi été instaurée au Royaume-Uni.
Mme Stéphanie Robert. - Je souscris totalement aux propos de Thierry Mallet. Le test PME est une ébauche intéressante, mais gare aux effets de seuil. La norme peut s'appliquer de manière indirecte : lorsque l'on impose des exigences de conformité à certains acteurs, ces obligations se reportent sur d'autres, qu'on le veuille ou non. C'est là tout l'enjeu de la directive CSRD et du devoir de vigilance, qui se dilue dans l'ensemble du tissu économique. Mais il serait très dangereux d'écarter les plus petites entreprises uniquement parce que l'on voudrait leur éviter la pression de telles contraintes. J'arrive toujours à la même conclusion : mieux vaut une loi bien écrite et universelle plutôt que des seuils qui interdisent à des petites entreprises de grandir.
M. Olivier Salleron. - Nous travaillons sur les recours abusifs depuis trois ans : toutes les propositions figurent dans les conclusions des travaux de la commission présidée par François Rebsamen. Il faudrait peut-être prévoir des sanctions dans ce domaine.
Je souscris aux propos relatifs au CNEN. Un exemple : la RE 2020 a fait évoluer les normes de construction en France de manière drastique. Or elle a été annoncée à la fin du mois de novembre 2021 pour une application le 1er janvier 2022 : la consultation aura duré seulement un mois et demi... Les professionnels n'ont pas été suffisamment consultés avant cette réforme de très grande ampleur. Pourtant, les grandes fédérations du bâtiment sont capables de collaborer avec les services de l'État.
M. Michel Canévet. - Je voulais répondre aux justes récriminations du président Salleron contre l'évolution de MaPrimRénov'. Il s'agit d'une évolution réglementaire, puisque les parlementaires n'ont voté que les enveloppes ; c'est le Gouvernement qui a voulu instaurer des critères draconiens, d'où des résultats catastrophiques.
Monsieur Salleron, auriez-vous des propositions à nous faire dans le cadre de ce projet de loi de simplification pour répondre au problème du logement que connaît notre pays ?
Par ailleurs, mesdames et messieurs, étant donné l'habilitation à légiférer par ordonnance inscrite à l'article 2, pensez-vous que nous puissions inscrire dès à présent, dans ce texte, un certain nombre de mesures de simplification bienvenues pour la vie des entreprises ?
M. Olivier Salleron. - Ne touchez pas à MaPrimRénov' ! Les modifications datent d'hier. Laissez-nous au moins deux ans... c'est un minimum. L'appropriation de la part des entreprises comme des clients est très importante. Nous décarbonons lentement la France, mais nous décarbonons.
Malheureusement, le prêt à taux zéro a été complexifié : il n'est pas accordé à l'ensemble du territoire, seulement aux zones tendues. Maintenant, nous jouons aux fléchettes : j'espère qu'un jour les 1 300 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) français seront concernés. Par ailleurs, la maison individuelle ne peut en bénéficier.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - On ne fait plus de maison individuelle !
M. Olivier Salleron. - Encore 83 % des Français souhaitent vivre dans une maison individuelle, même petite. Une petite maison verticale occupe très peu de foncier et n'imperméabilise pas les sols.
Il faudra aussi trouver une solution alternative au Pinel, pour que, grâce à l'épargne, des Français achètent des logements afin de les louer aux plus modestes.
M. Thierry Mallet. - Nous avons travaillé avec M. Thierry Mandon sur les sujets de simplification. Son plus grand regret est que nous ayons agi simplement sur le stock, et pas sur le flux. Ainsi, il ne faut pas en faire plus ! Simplifier, c'est bien, mais nous avons l'impression de gravir une montagne qui monte ; nous ramons vers l'horizon.
Le test PME vise à ce que la norme produite soit beaucoup plus raisonnable, ce qui permettra de s'attaquer au stock. Mais si nous nous attaquons au stock sans rien faire sur le flux, la situation dans un an sera la même, voire pire.
Mme Stéphanie Robert. - Je confirme complètement ce que vient de dire M. Mallet.
M. Rémy Pointereau, président. - Nos voisins votent entre 15 et 20 textes de loi par an ; nous en votons entre 45 et 50 par an. Nous, législateurs, avons sans doute une part de responsabilité. Nous voulons aller trop loin dans le détail de chaque texte. Nous déposons des centaines d'amendements qui viennent se télescoper. Il nous faut nous réguler, chacun doit s'autodiscipliner, notamment le Gouvernement et la haute fonction publique. Sur le ZAN, le décret publié est tout à fait contraire à ce qui a été voté. Tout cela engendre une grande complexité, source de notre crise normative.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition d'organisations syndicales représentatives au niveau national
M. Rémy Pointereau, président. - Mes chers collègues, nous continuons nos travaux avec l'audition des organisations syndicales.
Nous recevons, pour la CFDT, Mmes Aurélie Seigne, responsable du service Économie et société, et Bérengère Faveaux, assistante politique chargée des relations avec le Parlement ; pour la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), MM. Nicolas Blanc, secrétaire national de la transition économique, et Louis Delbos, chargé d'études économiques ; pour la CGT, MM. Thomas Vacheron, secrétaire confédéral, et Victor Duchesne, conseiller confédéral ; pour Force ouvrière (FO), M. Patrick Privat, trésorier confédéral, et Mme Brussia Marton, assistante du secrétaire général.
Mesdames et messieurs, les sénateurs n'ont que quinze jours pour travailler sur ce projet de loi. Nous l'avons dit à plusieurs reprises, il faut distinguer la norme qui protège et celle qui entrave inutilement. Il faut donc faire simple sans mettre en péril ni notre édifice social ni l'environnement. Il nous a donc semblé important de vous entendre, même si cela a lieu dans des délais contraints, pour avoir votre avis sur ce projet de loi et ses dispositions les plus médiatiques, comme sur le bulletin de paie. Vous pourrez nous adresser des notes écrites, si nous n'avions pas le temps d'aborder tous les points.
Mme Aurélie Seigne, responsable du service Économie et société de la CFDT. -En préambule, je tiens à préciser que, pour la CFDT, simplifier peut être de bonne gouvernance dès lors qu'un certain nombre de conditions sont réunies. Simplifier n'est pas déréguler. Il appartient au législateur de garantir que la vie économique respecte nos principes, nos valeurs et permette l'atteinte des engagements qui sont les nôtres, en particulier en matière sociale, écologique ou démocratique. Pour la CFDT, une bonne simplification est celle qui permet l'effectivité des droits.
De ce fait, la simplification ne peut se faire dans l'urgence et doit faire l'objet d'un réel travail de concertation et d'expertise, afin d'évaluer précisément les effets de la suppression de telle ou telle norme.
Plus structurellement, il faut s'interroger sur la construction de la norme elle-même : ne revenons pas sur des mesures dont l'encre est à peine sèche - c'est pourtant bien le cas dans le projet de loi qui nous intéresse.
La CFDT distingue sept points de vigilance dans ce texte, dont certains suscitent une forte inquiétude.
Une garantie avait été apportée : les sujets qui concernaient le travail devaient être traités via le ministère du travail, à l'issue d'une consultation ou concertation avec les partenaires sociaux. Or force est de constater que l'article 7 porte sur la simplification du bulletin de paie.
Nous y voyons deux risques : une complexification de l'accès aux informations qui concernent les salariés et une moindre compréhension des mécanismes de protection sociale, sachant que le bulletin de paie est un instrument de pédagogie de notre modèle social. La CFDT estime qu'il est très important que soient maintenus les grands risques couverts par les cotisations et contributions, ainsi que le montant des exonérations et allègements de cotisations. Il s'agit d'argent public qui participe au financement des salaires : la transparence auprès des salariés doit s'imposer.
Nous notons d'ailleurs que les organisations patronales n'étaient pas particulièrement demandeuses de cette simplification, d'autant plus qu'il s'agirait plutôt d'une simplification de façade, puisque les informations devront quand même être fournies. Cette transmission uniquement par voie électronique représente un risque pour les personnes souffrant d'illectronisme.
Deux autres articles nous inquiètent également, s'agissant de l'habilitation du gouvernement à agir par ordonnance.
L'article 2 sur la simplification des régimes d'autorisation administrative et de déclaration ne cadre pas du tout les domaines concernés. Nous, organisations syndicales, n'avons pas de garantie que le domaine du travail ne sera pas concerné. Il faudrait à tout le moins avoir la garantie que les conclusions de la mission inter-inspections soient rendues publiques, ce qui n'est pas toujours le cas.
L'article 3 interroge également, puisqu'il s'agit de développer les rescrits sectoriels sur un champ extrêmement large, ce qui n'exclut ni l'administration du travail ni les organismes de sécurité sociale. Le projet de loi ouvre la possibilité, finalement, de priver le salarié de sa possibilité de recours vis-à-vis d'un employeur qui aurait obtenu une garantie par l'administration. Une démarche judiciaire restera évidemment possible, mais nous tenons à appeler votre vigilance sur ce point.
L'article 6, qui concerne aussi le champ du travail, ne se contente pas de réduire le délai d'information préalable des salariés en cas de cession, mais réduit aussi le périmètre, puisque ne seraient concernées plus que les entreprises qui sont dotées d'un comité social et économique (CSE) à attributions élargies, et non plus, comme c'est le cas actuellement, toutes celles qui ont vocation à l'être. La nuance est de taille ; c'est une atteinte à l'esprit de loyauté du dialogue social, principe qui nous anime à la CFDT.
L'absence totale d'échanges avec les organisations syndicales en amont de la présentation du projet de loi nous inquiète aussi au sujet de l'article 27 sur le test PME. Une PME, c'est un employeur, mais aussi des salariés. Prendre des mesures de simplification qui concernent la vie économique d'une entreprise a aussi un impact sur les salariés. Un test PME doit aussi tenir compte des salariés.
Ensuite, l'article 10, contrairement à ce qu'annoncent le dossier de presse du plan d'action de simplification pour les entreprises, l'étude d'impact et l'exposé des motifs, supprime purement et simplement le délit d'entrave à l'audit de durabilité, ce alors même que lesdits documents évoquent la transformation de la peine en sanction financière, ce qui pourrait tout à fait se justifier. Accessoirement, c'est une disposition qui a été adoptée en décembre 2023 - en parlant d'encre à peine sèche, nous voyons de quoi il ressort. Nous risquons de rendre cet audit inopérant, et donc l'ensemble de la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), qui est pourtant plutôt protectrice pour les PME. Nous y voyons là un vrai risque.
Enfin, les articles 15 à 21 multiplient les dérogations aux règles de droit commun pour l'implantation de projets industriels. Il est évident que la France a besoin d'un certain nombre de projets industriels dans le cadre de la transition écologique et énergétique. En revanche, pour la CFDT, l'acceptabilité sociale de ces projets est la clef de leur réussite. Les « bonnets rouges » et les « gilets jaunes » ont fourni suffisamment d'exemples du fait qu'à vouloir aller trop vite on risque de n'aller nulle part. Ce n'est pas en dérogeant aux mécanismes d'enquête publique et de fourniture d'un certain nombre de documents que l'on garantit que ces projets industriels s'implanteront véritablement en France.
M. Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT. - Les interventions des organisations syndicales seront très complémentaires : nous n'avons pas été auditionnés, il y a de quoi être en colère.
Monsieur le président, vous avez dit ne disposer que de quinze jours. Nous aussi, nous subissons la situation. Nous sommes donc d'accord, il s'agit de méthodes de travail à marche forcée, brutales, précipitées, ce de manière régulière et récurrente. Avancer ainsi, systématiquement, pose un problème démocratique.
L'étude d'impact est insuffisante, comme la commission spéciale du Sénat le souligne dans son communiqué de presse. Le Conseil d'État lui-même parle d'un trop bref délai.
Prendre un prisme de non-concertation avec ceux qui représentent les salariés, à savoir 88 % des actifs de ce pays et 99 % des effectifs des entreprises, tel est le biais de ce texte.
Ensuite, ceux qui simplifient sont ceux qui ont eux-mêmes complexifié ! Cette complexification est le résultat de contre-réformes sociales successives, de casses ou de reculs qui font que notre modèle social, creuset de notre République, est amoindri : de fait, c'est la République qui est cassée. Au moment où nous vivons une extrême droitisation du débat public, amoindrir les droits des salariés est un carburant pour la désespérance sociale.
Une confusion est entretenue entre simplification et dissimulation des informations pourtant nécessaires au contrôle de l'activité économique, de la protection de l'environnement et de l'exercice des droits des salariés. Cette dissimulation des droits est conçue comme une étape vers leur suppression ; cet objectif est à peine caché par le Gouvernement.
Finalement, personne n'est dupe, puisque le projet de loi est la suite logique de plusieurs rapports. Nous avions noté les 80 propositions de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Après qu'on leur a volé deux années, le rapport Rendre des heures aux Français, produit par des parlementaires, pourrait les faire sourire si la colère n'était pas encore présente dans le pays.
Tous ces éléments indiquent la direction que le projet de loi prend, soit directement, soit via différentes habilitations à légiférer par ordonnance, soit encore par le biais des amendements souhaités par le Gouvernement et une partie du patronat.
Finalement, derrière un apparent fourre-tout, nous identifions bien les mesures phares, très inquiétantes, parmi lesquelles la destruction du bulletin de salaire et, en ligne de mire, celle de la sécurité sociale.
Je m'arrêterai sur trois articles.
L'article 2 prévoit la possibilité de légiférer par ordonnance, alors que l'étude d'impact rappelle la nécessité de faire un état des lieux des démarches administratives et de leur nécessité. Le texte met la charrue avant les boeufs et donne un chèque en blanc au Gouvernement, dont on peut malheureusement imaginer le coût pour les salariés, notamment en faisant passer les autorisations administratives en simple déclaration et en supprimant simplement certaines déclarations.
Voici un exemple concret. Aujourd'hui, pour déroger à la durée maximale de travail hebdomadaire de 48 heures, il faut que l'inspection du travail, indépendante, donne son autorisation et que le CSE donne son avis. Demain, un employeur pourrait, sur simple déclaration, décider de faire travailler un salarié jusqu'à 60 heures de travail par semaine. Voilà ce qu'est ce chèque en blanc.
L'article 6 ferait passer de deux à un mois le délai accordé aux salariés pour faire valoir leur volonté de reprise d'entreprise. Alors que les cessations d'entreprise sont en recrudescence, le texte pénalise les salariés les plus attachés à leur travail et à leur emploi et empêche ces reprises d'entreprise.
Enfin, je souhaite insister sur l'article 7, qui vise prétendument à simplifier la présentation du bulletin de paie. Connaître son bulletin de paie, c'est connaître son salaire net, celui qui permet de vivre au cours du mois, et c'est connaître son salaire brut, salaire utile pour les aléas de la vie, quand on est licencié, quand on est malade ou quand on a subi un accident de travail, ou encore pour les moments de bonheur, pour les congés paternité ou pour la retraite. Tout cela représente du salaire. L'altérer, c'est l'amoindrir.
Dire que le bulletin de paie est compliqué, c'est oublier d'où viennent la complexité et les lignes qui ont été ajoutées. Elles viennent des réformes successives. Par exemple, on lit trois lignes - une de contribution sociale généralisée (CSG), une de contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et une de complémentaire santé - plutôt qu'une seule ligne de sécurité sociale.
Le texte ne va rien simplifier, puisque le bulletin de paie est en fait la synthèse des déclarations et des paiements réalisés par l'employeur, qui doit être en mesure de fournir les informations détaillées à son salarié, comme cela est prévu dans le projet de loi ; surtout, ce bulletin de paie permet de faire les déclarations auprès de l'Urssaf.
Le bulletin de salaire est la synthèse des droits des salariés : supprimer des lignes aujourd'hui, c'est potentiellement supprimer des droits demain. Finalement, le problème, aujourd'hui, pour les travailleurs, c'est la faiblesse de leur salaire, pas la longueur de leur bulletin de paie.
M. Patrick Privat, trésorier confédéral de Force Ouvrière. - Nous ne sommes pas opposés à la simplification. J'ai le plaisir et l'honneur de siéger depuis 2006 dans une instance qui s'appelle Urssaf-Caisse nationale. Il y a, au sein de cette instance, une commission intitulée « commission législation simplification ». De la législation, nous en avons vu, mais de la simplification, jamais !
Découvrir ce projet de loi alors même que nous n'avons jamais été consultés sur ses éléments n'est tout simplement pas tolérable. L'article L1 du code du travail prévoit que, quand des modifications prévues touchent au travail, il doit y avoir une concertation avec les organisations syndicales qui représentent les salariés.
On nous dit que ce projet de loi diminuera radicalement la charge engendrée par les démarches administratives. Il s'agit de « changer de paradigme », de « rationaliser la norme »... C'est tout de même assez extraordinaire. Ce sujet de la simplification revient dix ans après le choc dit de simplification, qui comportait déjà un ensemble de mesures censées faciliter la vie des entreprises et simplifier leurs démarches ; sept ans après les ordonnances sur le travail ; cinq ans après la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), dont c'était l'une des ambitions - et deux mois après la publication de 80 mesures proposées notamment par une organisation patronale, la CPME, dont nous avons retrouvé certaines directement retranscrites dans le dossier.
Certes, nous n'avons pas été concertés, mais il y a deux articles sur lesquels je vais insister. Il s'agit de l'article 6 et de l'article 7, vous vous en doutez. Je passe sur l'article 2, relatif aux ordonnances : on sait ce que donnent les ordonnances. Avec cela, il ne faut pas s'étonner qu'il y ait des difficultés de dialogue social, quels que soient les intitulés des textes !
L'article 6 réduira le droit d'information des salariés en cas de cession de l'entreprise. Je regrette, mais les salariés ne sont pas tous au fait des arcanes juridiques de ce type d'opérations. Pouvoir consulter soit l'inspection du travail, soit une organisation syndicale, ce n'est pas toujours simple, notamment dans une petite entreprise.
J'en viens à la fiche de paie. Alors là, c'est extraordinaire. Le document comparant un « avant » et un « après » est incroyable. La partie « après » fait apparaître un « coût total pour l'employeur » - qui figure déjà sur les fiches actuelles, quand elles sont bien faites. La nouvelle présentation serait culpabilisante. Elle montre au salarié qu'il coûte cher à l'entreprise, pour le dissuader de revendiquer une augmentation. Mais le salaire, c'est ce qui permet de vivre, de remplir le frigo. C'est ce qui permet aussi d'avoir une protection sociale collective. Il ne s'agit pas uniquement du salaire, qu'on reçoit après déduction de l'impôt à la source. On négocie en salaire brut dans les conventions collectives ou dans les entreprises, car cela intègre toute la protection sociale. En fait, on ne gagne pas un salaire net, mais un salaire brut. Ce qui est au-delà du net, c'est du salaire différé.
Laisser croire qu'en simplifiant la fiche de paie, on va simplifier la vie des entreprises, c'est se moquer du monde. D'abord, ce document a déjà été simplifié, il y a très peu de temps. Puis, tous les éléments de la fiche de paie complète, sans exception, doivent être conservés dans l'entreprise, ne serait-ce que pour faire la déclaration sociale nominative (DSN), dont nous avions soutenu la création, car elle permet de lutter contre la fraude, entre autres.
Bref, celui qui a pondu ce projet n'a jamais fait un bulletin de salaire, à mon avis. Il ne sait pas ce que c'est que de faire la paie. En tant que trésorier d'une confédération, je suis employeur. J'édite quelque 150 bulletins de salaire tous les mois. Je suis donc plus représentatif que certaines entreprises qui adhèrent à la CPME, et n'ont que quelques petits salaires à verser. Je n'ai pas de leçons à recevoir sur la fiche de paie. D'autant que je suis administrateur de l'Urssaf depuis 1996 : la musique, je la connais par coeur.
Ce qu'il faut faire, c'est labelliser la fiche de paie, avec les quatre ou cinq éditeurs qui représentent 80 % du marché. Mettre en place une vraie norme rendrait tous les bulletins compréhensibles par tous, dans le privé comme dans le public. Dans la fonction publique d'État, les bulletins sont à peu près lisibles. Dans la fonction publique hospitalière, il faut s'accrocher. Et dans la fonction publique territoriale, c'est encore pire. J'ai pu consulter des milliers de fiches de paie : il y a autant de modèles que de collectivités territoriales ! La convention d'objectifs et de gestion (COG) signée par l'Urssaf-Caisse nationale a été élaborée avec MM. Gabriel Attal, Yann-Gaël Amghar et Thibault Lanxade. Un article y parle de labellisation, et ce texte a été largement adopté par le conseil d'administration de l'Urssaf.
M. Nicolas Blanc, secrétaire national de la transition économique de la CFE-CGC. - Il y a donc un front syndical : nous sommes unis dans nos remarques. Je souhaite revenir dans un premier temps sur le rapport évoqué tout à l'heure, intitulé Rendre des heures aux Français. Le Gouvernement n'ose plus parler de choc de simplification, parce que cette expression a déjà été utilisée... Ce texte est une espèce de fourre-tout. Cela évoque le cavalier législatif : tout y est mélangé. Comme ce n'est pas le choc attendu, on peut supposer qu'il y aura une deuxième vague de simplification.
M. Rémy Pointereau, président. - On nous a promis un texte chaque année...
M. Nicolas Blanc. - Eh bien ! Je répéterai la même chose à chaque fois ! Un travail de rationalisation et de normalisation a déjà été fait par ordonnances. Sur les seuils, nous resterons très vigilants. Revenir sur leur définition constituerait une réduction manifeste des droits, même si c'est au nom de la simplification.
La base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) est importante, et elle est utilisée, d'autant que la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) vont transformer les choses. Nous serons donc des régulateurs de premier niveau, dans le pilotage des orientations stratégiques, des bilans, avec les consultations obligatoires qui permettront justement de travailler sur ces grandes questions. Je crois beaucoup au rôle des organisations syndicales en matière de transitions économiques, qu'il s'agisse d'écologie ou de numérique. L'échange de vues est très important et oblige les employeurs à produire des documents - et nous oblige, nous, à les regarder.
Le rapport indique qu'« une deuxième vague de simplification, en relevant les seuils auxquels certaines contraintes s'appliquent, allégerait la charge d'administration des TPE-PME et soutiendrait in fine l'emploi et la croissance des entreprises. » Magique ! S'il suffisait de cela pour générer de la compétitivité... Il faut aussi de la compétitivité hors prix, de l'innovation, etc. Ces raccourcis sont édifiants.
Sur la méthode, je vous renvoie à l'avis du Conseil d'État. Sa saisine a été tardive, et il s'en plaint. De plus, il n'y a pas eu d'études d'impact conséquentes. Sans cela, on ne peut pas travailler, tout le monde le dit. Le manque de transparence est déplorable.
L'article 6 réduit le délai d'information. Mais il faut permettre aux salariés de travailler sur les offres. L'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise visait au contraire à favoriser le développement de l'actionnariat salarié...
Sur le bulletin de paie, la même logique est à l'oeuvre, l'on n'y voit qu'une charge. Au-delà de la simplification de ce document, il faut parler de sa dématérialisation. Je crois que nous devons toujours laisser le choix. Dématérialiser réduit les coûts, certes, mais cela peut mettre certaines personnes en difficulté. Il faut donc veiller à l'inclusivité dans les entreprises.
L'article 13 vise à faire bénéficier les TPE-PME de la gratuité de certains frais bancaires. Le coût de cette mesure ne sera-t-il pas répercuté par les banques sur les particuliers ?
L'article 15 concerne les data centers. Que vient-il faire dans ce texte ? Je ne comprends pas, surtout après les effets d'annonce du sommet Choose France...
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Merci à tous d'avoir exposé vos points de vigilance. Mais ce texte comporte-t-il, à vos yeux, des apports intéressants ? Que peut-on y ajouter ? Vous êtes tous favorables à la simplification, je crois.
M. Patrick Privat. - La simplification ne nous pose pas de problème en tant que telle. Encore faut-il qu'on mette tout sur la table et qu'on indique à quoi cela sert, comment cela fonctionne, qu'est-ce qui est fait plusieurs fois par les entreprises, etc. « Dites-le-nous une fois », par exemple, nous convient, à condition que les systèmes d'information soient compatibles.
Nous n'avons pas de problème particulier avec la dématérialisation de la fiche de paie. Beaucoup de salariés utilisent leurs smartphones pour la consulter. Certains ont accès à un coffre-fort personnel électronique où leurs fiches de paie sont stockées. Cela peut être pratique, chez le banquier par exemple. Mais tout le monde ne peut pas faire ça. On ne peut pas imposer d'autorité ce genre de choses en pensant que cela générera des économies. D'ailleurs, ce coffre-fort est payant. Et la nouvelle version très simplifiée de la fiche de paie, pensez-vous qu'elle sera gratuite ? Non, les entreprises devront la payer.
Mme Aurélie Seigne. - Vous dire que ce projet de loi suscite l'enthousiasme de la CFDT, ce ne sera pas possible. Nous trouvons étonnant que cette démarche de simplification ait été présentée comme une aide aux TPE-PME, car ces dernières ont largement disparu du projet de loi.
Nous sommes très favorables à l'esprit du « Dites-le-nous une fois ». Il est évident que la multiplication des demandes inutiles produit de l'inefficacité. En revanche, l'étude d'impact souligne l'absence d'effet budgétaire de l'ensemble des 27 articles du projet de loi. Or, un certain nombre de mesures se traduiront par une surcharge d'activités pour l'administration. On doit présumer que cela se fera à moyen constant, que ce soit en termes d'effectifs ou d'heures supplémentaires, entre autres. Cela nous interroge. Pour nous, une bonne démarche de simplification, c'est une démarche co-construite, ce qui permet aux acteurs de produire les solutions les plus intéressantes.
Nous ne sommes pas du tout opposés à la suppression de comités obsolètes, dès lors qu'ils ne se réunissent plus ou que leur périmètre d'action a été absorbé par un autre comité.
Je tiens à souligner un point positif dans l'article 7 - le seul - constitué par les garanties qui entourent la mise à disposition et la conservation des bulletins de paie en cas de remise électronique : l'intégrité, la disponibilité pendant une certaine durée, la confidentialité. Ces garanties sont étendues à l'ensemble des éléments qui sont censés être mis à disposition du salarié. Il est bienvenu que ce type de précision figure dans le projet de loi et y demeure tout au long du débat parlementaire et jusqu'à la phase réglementaire.
M. Thomas Vacheron. - La démocratie, ce n'est pas simple, n'est-ce pas ? On peut faire fi du Parlement, gouverner à coups de 49.3 et accélérer le rythme. Puis, pourquoi avoir un Parlement si c'est plus simple de faire sans ? Pourquoi avoir un Sénat ? C'est la démocratie, j'imagine. Êtes-vous pour ou contre la simplification ? Simplifier quoi ? Pour qui ? Quel est l'objectif ? Cela demande du temps, du temps de réflexion, du temps de concertation, du temps d'information, des études d'impact.
Donc, suspendons le projet, prenons le temps, élaborons et co-construisons, comme cela vient d'être dit. La simplification, ce n'est pas la dissimulation. Pour autant, ce qu'il y a dans le projet, c'est de la dissimulation et non de la simplification, justement. Je me suis efforcé de ne parler que de trois articles, mais je peux aussi mentionner l'article 8 qui, contre les petites entreprises, facilite les fusions-acquisitions des grands groupes. Si la simplification consiste à donner aux donneurs d'ordre, qui ont déjà tout, au détriment de tous les autres, c'est une drôle manière de simplifier : au profit de qui ?
Nous avons des propositions très concrètes. Par exemple, dans le cas des arrêts maladie, nous proposons, pour simplifier, des subrogations automatiques des entreprises, pour qu'il n'y ait plus d'avance à faire par le salarié et que tous les mécanismes soient automatisés. Par exemple, sur la fiche de paie, nous sommes pour la suppression de certaines lignes et pour remplacer la CSG par une cotisation sociale unique, afin que ce soit clair pour tout le monde.
Il y a nombre de propositions extrêmement concrètes auxquelles nous pourrions contribuer, mais pour cela, il faut du temps de réflexion. Enfin, parce que vous avez demandé si un article nous conviendrait, l'article 9, qui pose la question de la médiation, n'est pas un élément auquel nous serions opposés de fait. Mais l'état général de tous ces éléments fait que ce projet de loi, tel qu'il est amené et tel qu'il a été fait, n'est pas acceptable.
M. Nicolas Blanc. - Je rappelle le piratage récent de France Travail et des données de 40 millions de citoyens. Il faut donc apporter des garanties.
Il y a des points positifs dans le texte. Je vais vous donner un exemple. Dans le rapport, la proposition n° 14 était de faciliter drastiquement l'accès à la commande publique pour les TPE-PME. On parle beaucoup de souveraineté économique, en évoquant l'Inflation Reduction Act américain. Faciliter l'accès de toutes les entreprises à la commande publique, en la simplifiant et en l'harmonisant, comme le prévoient les articles 4 et 5, serait une première étape ; mais cela manque d'ambition !
Mme Raymonde Poncet Monge. - Les organisations patronales ne demandent pas une simplification de la fiche de paie... Elles ont bien conscience des objectifs idéologiques et politiques de cette mesure, qui ne constitue certes pas une simplification. Il faudra un calcul des cinq risques, etc. Et, dans un premier temps, les entreprises seront tenues de répondre aux demandes individuelles des salariés. Mais ensuite, l'accès deviendra quasi impossible. La dématérialisation sera obligatoire, c'est-à-dire automatique. Vous dites que, pour l'inclusivité, elle doit se faire à la demande. J'irais plus loin : ce doit être avec l'accord du salarié. Il y aura une demande de suppression de l'article 7, qui ne répond aux voeux de personne.
Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Peut-être pas de tout l'article 7.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Sur l'article 6, on nous dit que l'effet est faible, mais il n'y a aucune évaluation. En passant à un mois, l'effet sera encore plus faible, en tous cas. J'ai demandé aux organisations patronales des exemples de ventes qui auraient été entravées, retardées par ce droit qui existe depuis dix ans. En tant qu'organisation syndicale, quelles remontées avez-vous sur les difficultés rencontrées par les salariés pour reprendre leur entreprise ? L'employeur n'a pas à motiver le fait qu'il ne retient pas l'offre des salariés. On parle sans cesse de partage de la valeur, mais surtout pour décider d'exonérer de toute cotisation...
Pour la feuille de paie, les organisations patronales sont d'accord. Les exonérations et allègements pourraient figurer non plus sur une ligne distincte, qui les marque bien, mais être intégrées. Cette invisibilisation pose problème.
Mme Aurélie Seigne - Pour des salariés, reprendre l'entreprise n'est pas naturel, cela ne se fait pas en trois coups de cuillère à pot. Le délai de deux mois est déjà extrêmement réduit. La période de la crise sanitaire a complètement modifié la donne par rapport au contexte dans lequel la loi a été adoptée en 2014. Il faut donc vraiment observer la manière les choses ont évolué avant de vous apporter une réponse étayée sur le sujet.
M. Thomas Vacheron. - Nous sommes impliqués dans de nombreux projets industriels de reprise d'entreprise par les salariés. Je peux citer Scop-Ti, par exemple, dans les Bouches-du-Rhône. Cette entreprise s'est battue contre Unilever, une multinationale. Pour sauver les emplois, l'outil industriel, il a fallu produire des produits de qualité, et développer une production locale et biologique de sachets de thé et d'infusions. Il a fallu batailler. Si les délais étaient réduits, cela ne serait plus possible. Fontanille, aussi, dans ma ville, a été reprise. Heureusement qu'il y avait plusieurs mois pour le faire ! Je pourrais vous citer un nombre important d'entreprises qui ont été reprises - ou qui n'ont pas pu l'être.
Il y a aussi le problème des levées de fonds, car une entreprise est plus facile à fermer qu'à tenir et, quand ce sont les salariés qui ont à le faire, cela pose des problèmes. Comment peut-on envisager un instant de réduire les droits de ceux qui en ont déjà très peu ? Comment se pose-t-on la question, dans un projet de loi de simplification, d'empêcher de possibles reprises ? Tout le monde est d'accord pour sauvegarder l'emploi, je pense !
Pour maintenir un tissu industriel, il ne peut pas y avoir d'un côté Choose France et de l'autre côté MA France, sous-traitant de Stellantis, qui ferme au même moment. Ces questions-là sont bien posées, mais on y répond complètement à l'envers. Le minimum serait de partir de ce qui existe, de prendre le temps, et même d'élargir les possibilités données aux salariés par la loi Hamon, afin de protéger l'emploi et notre outil industriel. Vous savez bien que les territoires, une fois que l'entreprise est supprimée, sont complètement sinistrés.
Le scandale dans ce pays, c'est que la simplification consiste surtout à donner de l'argent public aux entreprises privées et à faire des exonérations de cotisations. Le premier budget de l'État, c'est l'aide publique aux entreprises privées. Ce qui est en train d'exploser, ce sont les exonérations de cotisation, qui ne figurent justement pas sur la fiche de paie. Personne ne sait aujourd'hui que 700 euros par mois sont donnés, rien qu'en exonération, pour chaque salarié au Smic. C'est pourtant de l'argent public qui va aux entreprises privées. Et justement, en ce moment, on s'aperçoit que cela n'a pas d'effet sur l'emploi. Voilà qui serait un indicateur intéressant pour le salarié, important pour l'entreprise, supplémentaire pour l'employeur et pour vous, élus de la République : voir ce qu'on fait de l'argent public en toute transparence sur un bulletin de paie, tout simplement.
M. Patrick Privat. - Un mot sur les reprises d'entreprises. Mon premier métier était d'être conseiller à l'emploi, au sein de feu l'ANPE, devenue l'usine à gaz pour l'emploi aujourd'hui nommée France Travail. Vous ne devenez pas entrepreneur en claquant des doigts. Vous pouvez être un excellent ouvrier, un excellent compagnon et un très mauvais gestionnaire. J'ai aussi exercé un autre métier, le recouvrement en caisse de retraite complémentaire, dans les années 1990. La période d'exonération de cotisations pour la création d'entreprises, y compris pour des SARL, était une période clé. Nombre de personnes ne savaient pas prévoir dans leur business plan que les prix de vente des produits devaient déjà intégrer qu'il n'y aurait pas d'exonération sur les systèmes de production. C'est pourquoi, après six ou douze mois, les choses capotaient. Et vous ne levez pas des fonds auprès des banques en claquant des doigts, surtout pas aujourd'hui, vu les taux d'intérêt. Bref, créer une société coopérative participative (Scop) en un ou deux mois est tout simplement impossible.
Nous avons dématérialisé la fiche de paie chez nous, à la confédération. Mais nous avons laissé le choix.
M. Nicolas Blanc. - Je n'ai pas en tête d'exemples de reprises d'entreprises. Sur la dématérialisation, je pense aussi qu'il faut laisser le choix. Qu'est-ce que cela simplifie, d'ailleurs ? Les salariés ont besoin de leur fiche de paie, ils y sont attachés. C'est une habitude. Tout le monde n'est pas un digital native...
Dans le film Mammuth, Gérard Depardieu cherchait ses fiches de paie à travers toute la France. C'est un symbole : pour certains, la fiche de paie, c'est le papier. Arrêtons ces logiques de simplification à l'extrême.
M. Christophe Chaillou. - Merci pour vos propos.
M. Rémy Pointereau, président. - Heureusement que le Sénat auditionne les organisations syndicales. J'avais compris, dans le document qui nous a été donné par Bercy, qu'il y avait eu une concertation avec les fédérations professionnelles et des organisations syndicales.
M. Christophe Chaillou. - Oui, cette situation est surprenante. Merci de nous avoir fait partager vos préoccupations, que nous aurons à coeur de porter dans le débat parlementaire.
M. Thomas Vacheron. - On espère que Bercy, après avoir fourni de faux modèles de fiches de paie, ne produit pas des faux dans les documents qu'il vous donne. Ce serait inquiétant pour les finances publiques.
M. Rémy Pointereau, président. - C'est la nature du Sénat d'être pluraliste et d'auditionner toutes les parties prenantes pour chaque rapport important.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Dans les modèles dont vous parlez, ne figure même plus la convention collective nationale à laquelle on est rattaché !
M. Rémy Pointereau, président. - Merci à tous. La labellisation des bulletins de paie me semble intéressante, car les formats de bulletins sont extrêmement divers.
M. Patrick Privat. - La COG que j'évoquais a été signée le 29 juin 2023 entre l'Urssaf-Caisse nationale, Gabriel Attal, alors ministre de l'action et des comptes publics, François Braun, alors ministre de la santé et de la prévention, Thibault Lanxade, président de l'Urssaf et Yann-Gaël Amghar, alors directeur de la Caisse nationale. C'est là que la labellisation de la fiche de paie est évoquée. L'Urssaf, d'ailleurs, collecte les cotisations pour tout le monde. Il s'agit donc d'une labellisation des fiches de paie pour tout le monde. D'ailleurs, je vous informe que les plus mauvaises fiches de paie sont éditées par l'Urssaf elle-même, avec le chèque emploi associatif, qui ne fait pas figurer, mois par mois, le report des salaires bruts obtenus. Je l'ai signalé maintes fois, et je vous invite à vous pencher sur la question, car cela concerne toutes les petites structures associatives, qui n'ont pas de comptable et qui font confiance à l'Urssaf !
M. Rémy Pointereau, président. - Ce sont souvent les cordonniers qui sont les plus mal chaussés... Merci à tous.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 35.