- Mercredi 3 avril 2024
- Jeudi 4 avril 2024
- Prix de l'électricité pour les « petits consommateurs » - Audition de M. Antoine Autier, responsable des études et du lobby, Mme Lucile Buisson, chargée de mission énergie, transports et environnement de l'UFC-Que Choisir et M. François Carlier, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV)
- Audition de M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif groupe EDF, en charge de la direction du Parc nucléaire et thermique
Mercredi 3 avril 2024
- Présidence de M. Franck Montaugé, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Marc Benayoun, directeur exécutif du groupe EDF, en charge du pôle Clients, services & territoires
M. Franck Montaugé, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition, cet après-midi, de M. Marc Benayoun, directeur exécutif du groupe EDF, en charge du pôle Clients, Services & Territoires.
Avant de vous donner la parole, monsieur Benayoun, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Marc Benayoun prête serment.
M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050. Nos travaux sont centrés sur le système électrique actuel et sur son avenir. Ce système est-il en capacité de faire face à la demande et d'offrir aux particuliers et à nos entreprises une électricité à des prix compétitifs ? Quelles sont ses perspectives de développement ? Telles sont les questions principales auxquelles nous essayons de répondre.
Le coeur de notre audition va porter sur l'« accord », intervenu le 14 novembre dernier, sur le futur cadre de régulation du prix de l'électricité nucléaire, qui doit prendre la suite de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) à partir du 1er janvier 2026. Il est important que la représentation nationale et nos concitoyens en comprennent les fondements, les enjeux et les conséquences potentielles.
Comment et pour quelles raisons a-t-on abouti au dispositif retenu dans cet accord ? Quel est son contenu ? Quel est son statut juridique ? Pourquoi demeure-t-il entouré d'un halo de secret ? Quelles étaient les positions de départ de l'État et d'EDF, et pour quelles raisons ?
Pourquoi l'hypothèse d'un contrat pour différence (CFD) a-t-elle été abandonnée, après avoir été obtenue de haute lutte à Bruxelles, alors que cet outil offre l'avantage à la fois d'un prix plancher pour sécuriser le producteur et d'un prix plafond pour protéger le consommateur ?
L'accord comprend un volet relatif à la politique commerciale d'EDF : produits de marchés de moyen-long terme à horizon de cinq ans, contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), contrats spécifiques dédiés aux entreprises électrosensibles et autres formes de contrats. Qu'en est-il de la politique d'EDF en la matière et des résultats d'ores et déjà engrangés ?
Question que nous nous posons tous : quel est l'avenir de cet accord, qui n'a pas encore été validé juridiquement, dès lors qu'il évoque un prix cible de 70 euros 2022 par mégawattheure (MWh) et que les prix de marché semblent orientés à la baisse, à un niveau nettement inférieur ?
Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur et mes collègues vont vous interroger.
Je vais donner la parole au rapporteur de la commission d'enquête, M. Vincent Delahaye, pour vous poser ses questions. À l'issue de votre propos liminaire et des réponses que vous aurez pu apporter à notre rapporteur, je donnerai la parole aux autres membres de la commission, pour une nouvelle série de questions-réponses.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Une conférence de presse a pu donner le sentiment qu'un accord avait été conclu entre le Gouvernement et EDF, sans être formalisé. Les seuls documents que nous avons pu nous procurer ne sont pas signés. S'agit-il d'un accord ?
EDF était-il d'accord avec le contenu du projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat, qui a été retiré ?
Comment la négociation s'est-elle passée ? A-t-elle eu lieu, comme je le suppose, sur l'initiative du Gouvernement ? Qui a négocié de part et d'autre ? À quel moment les négociations ont-elles commencé ? Quand se sont-elles achevées ? Quels étaient vos objectifs initiaux ? Quelles étaient vos perspectives, votre feuille de route en tant que négociateur ? Si c'est vous qui pilotiez la négociation, quels étaient vos objectifs ?
La France s'est battue pour obtenir des CFD, et j'imagine qu'EDF était d'accord - le contraire me paraîtrait invraisemblable. Dès lors, pourquoi ne les applique-t-on pas ?
S'il s'agit vraiment d'un accord, qui va payer la différence entre 42 et 70 euros ? Comment cela va-t-il se traduire pour les consommateurs ?
J'espère que vous pourrez nous éclairer sur tous ces points.
M. Marc Benayoun, directeur exécutif du groupe EDF, en charge du pôle Clients, Services & Territoires. - Je veux commencer par rappeler comment fonctionne le marché de gros, quels sont ses mérites, comment se forment des prix de détail en France et quel est l'impact de cette politique commerciale.
Je pourrais répondre ensuite à vos questions sur la négociation. Je n'avais pas prévu de le faire spontanément, mais la politique commerciale d'EDF s'est transformée à la suite de l'accord intervenu avec le Gouvernement, qui permet d'ores et déjà de porter des offres et des produits nouveaux dans le marché de l'électricité. L'avancement est donc déjà relativement satisfaisant.
Pour ce qui concerne le marché de gros, je rappelle que je suis en charge du commerce et des services, donc de toutes les équipes qui vendent de l'électricité aux clients français, qui forment les prix, préparent les factures, les envoient, les recouvrent, etc. Mais je suis aussi référent « ComEx », comme on le dit chez nous, à savoir responsable de la direction optimisation amont aval trading (DOAAT), qui joue un rôle clé pour EDF et au-delà pour le système électrique français, puisqu'elle est chargée d'équilibrer, chaque jour et à toute heure du jour, la production et la demande.
Pour ce faire, nous réalisons, tous les jours, un programme d'appel envers nos centrales et envers le marché : nous achetons ou nous vendons des produits de marché sur la base des signaux économiques. Tous les jours, nous assurons cet équilibre, qui est une condition nécessaire pour que tous les Français puissent avoir de l'électricité de qualité, c'est-à-dire sans délestage, sans problème d'instabilité, de fréquence, de tension, etc.
Le marché de gros a beaucoup été décrié en France, compte tenu de la volatilité qu'il induit. Néanmoins, pour un électricien comme nous, il reste le moyen le plus efficient de faire tourner un parc de production existant et installé. La transformation des prix de gros en prix de détail est une question très complexe, mais le marché de gros en lui-même a de grands mérites, que je veux rappeler.
Ce système se traduit par la fixation, tous les jours - en J-1 pour le jour J -, d'un prix spot, c'est-à-dire d'un prix pour une livraison le lendemain pour les 24 heures de la journée, désormais découpées en 48 demi-heures - ultérieurement, elles le seront en quarts d'heure. Tous les acteurs, courts ou longs, qui n'ont pas assez de production, peuvent acheter à ce prix spot les quantités qu'ils ont annexées ou dont ils ont besoin. Ce système est, par ailleurs, totalement transparent : il est réalisé via une bourse de l'électricité, dénommée EPEX (European Power Exchange), dans laquelle les échanges sont anonymisés - nous faisons une offre sur une heure à un prix donné, mais nous ne savons pas qui achète de l'autre côté.
Ce système présente un certain nombre d'avantages. Grâce à des systèmes de contrôle de la liquidité sur le marché, la bourse assure le bon fonctionnement du fait que tout le monde va livrer - quelqu'un qui ne ferait pas ce pour quoi il s'est engagé subirait des sanctions.
Ce principe de formation d'un prix spot est celui qui permet d'utiliser le parc européen de centrales de la manière la plus efficace qui soit. En effet, tout le monde, à chaque instant, cherche à obtenir le meilleur prix pour satisfaire la demande. On appelle progressivement les centrales. Le prix spot reflète le prix marginal : c'est la dernière centrale appelée qui fixe le prix. On fait se croiser les courbes de l'offre et de la demande.
Il est possible d'appeler les centrales grâce à un système que l'on appelle le market coupling, c'est-à-dire le couplage des marchés entre les différents pays interconnectés. Lorsque les prix spot sont meilleurs, à une heure donnée, en Allemagne qu'en France, Réseau de transport d'électricité (RTE) peut les acquérir en Allemagne pour le compte du marché français, et vice versa, de sorte que le parc de production mobilisé est très important et dépasse le parc français. Ce parc est mobilisé à chaque heure du jour. On appelle toutes les centrales nécessaires - mais pas les moins efficaces -, sur une base de coûts croissants.
Ce système fonctionne depuis vingt ans. Il a progressivement été sophistiqué - je pense notamment au système du couplage des marchés automatique -, pour une bonne circulation en cas d'écarts de prix spot entre deux marchés interconnectés, sans lien avec des acteurs propres. Ce sont les monopoles de transport qui assurent cette fonction. Ils restituent la rente qu'ils captent au passage, au travers des tarifs d'utilisation des réseaux.
Ce système est sophistiqué. Il fonctionne. Il permet d'avoir un système électrique qui assure une très grande sécurité d'approvisionnement à tout moment au moindre coût. Il a notamment permis à la France de passer d'une situation d'exportation nette de 43 térawattheures (TWh) en 2021 - c'est considérable, puisque c'est 10 % de la demande finale française, laquelle s'établit entre 440 et 450 TWh - à une situation d'importation de 16 TWh en 2022, de façon totalement indolore pour les clients. Les clients ne se sont pas rendu compte de cette modification très importante. Bien évidemment, en 2022, EDF a acheté beaucoup d'énergie à un prix élevé, mais tous les contrats signés avec les clients ont été honorés et la perte correspondante a été supportée par l'entreprise. Dans le même temps, nous n'avons appelé, sur l'ensemble européen, que les centrales qui étaient nécessaires pour nous garantir un approvisionnement de qualité.
Ce système permet d'éviter d'avoir des centrales inutiles ou peu utiles dans chaque marché, des centrales qui ne seraient appelées que quelques centaines d'heures sur les 8 760 heures que compte une année, puisque nous pouvons nous appuyer sur des réserves au-delà de nos frontières.
Enfin, dans la mesure où le prix du CO2 est suffisant, ce qui n'est pas tout à fait le cas actuellement, ce système permet de faire tourner davantage les centrales à gaz que les centrales à charbon. Le signal de prix carbone est diffusé de façon efficace et homogène sur tout le système européen, de telle sorte que l'on puisse, petit à petit, se passer des centrales les plus émettrices et, ainsi, faire baisser le contenu en CO2 de l'électricité livrée.
Comment ce système, qui présente des avantages importants, permet-il de former des prix à l'aval, c'est-à-dire des prix de détail pour les clients individuels ?
Il y a souvent un premier malentendu : on dit que les prix spot dirigent les prix de détail, ce qui créerait une volatilité excessive. Ce n'est pas tout à fait vrai ; c'est même relativement faux. Très peu de clients - pour EDF, moins de 20 clients sur 23 millions - couvrent une partie de leurs besoins au prix spot. Ils prennent, tous les jours, le risque d'acheter à EDF selon une formule toute simple : on prend le prix spot moyen de la journée et on la leur répercute de façon transparente. À ces clients, nous recommandons de ne pas couvrir plus de 30 % de leurs besoins au prix spot.
Pour l'essentiel, ils ont acheté à prix fixe, sur la base d'un prix dit forward. Les prix de marché, les prix de détail, hors tarifs réglementés de vente (TRV), sont faits sur la base de ces prix forward : de la même façon qu'EPEX cote tous les jours et qu'existe un marché spot, il y a aussi un marché forward pour des produits plus longs - par exemple, le baseload calendar, qui correspond à la fourniture d'un mégawatt pour une année entière de fourniture, ou encore un produit un peu plus sophistiqué qui fonctionne de la même manière sur les heures de pointe.
C'est donc sur la base de ces prix forward que les offres de détail sont construites. Il y a bien évidemment un lien entre les deux : techniquement, le prix forward représente, en théorie, une anticipation des prix spot. Quand ces derniers varient fortement, c'est-à-dire quand le marché est très tendu ou très détendu, cela joue donc sur les prix forward. Mais, plus on regarde loin - sur deux, trois ou quatre ans -, plus ces prix représentent les fondamentaux du système électrique, c'est-à-dire le coût de la production achetée, la production en pointe étant plus coûteuse que la production plate, en ruban.
Dans les prix de détail, il y a, en gros, quatre termes. Le premier est le prix de l'énergie lui-même. Le deuxième est le « facteur K », qui traduit le fait que le client ne consomme pas plat, mais un peu plus à la pointe - plus le client a une demande formée, plus le facteur K est élevé. Celui-ci couvre aussi le coût de la fonction de commercialisation, qui consiste à aller voir les clients, à discuter avec eux, à les accompagner dans l'analyse de leurs besoins, à leur faire un prix, à établir et recouvrer des factures... C'est ce que font mes équipes. Le troisième facteur est le coût du transport, le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, et le quatrième, les taxes. La composante principale pour les clients industriels est évidemment la part énergie en ruban, donc le prix forward.
En 2022, un certain nombre de clients qui n'avaient pas couvert leurs positions pour l'année N+1, c'est-à-dire 2023, ont vu les prix monter toute l'année. Ayant acheté tardivement dans l'année 2022, à un moment où les prix forward étaient devenus très élevés, ils ont dû supporter les conséquences d'une tension anticipée majeure sur le marché de l'électricité. Certains clients qui payaient des prix de l'énergie de l'ordre de 50, 60 ou 70 euros - y compris, d'ailleurs, la part Arenh à 42 euros - se sont retrouvés avec des parts énergie à 200, 210, 220, voire, parfois, plus de 300 euros.
Il nous est apparu, dans ce contexte, que, si l'on en restait à un système articulé sur des prix forward, nous avions intérêt à amener les clients à souscrire sur une période plus longue et avec une anticipation plus grande. De fait, les clients qui ont le plus souffert en 2023 sont ceux qui ont attendu toute l'année, comme on attend Godot, que les prix de l'énergie redescendent pour trouver des conditions d'approvisionnement raisonnables, alors que les prix n'ont cessé de monter.
EDF considère donc qu'il est dans l'intérêt général de faire apparaître des signaux de marché de plus long terme et d'inciter les clients à contracter sur la base de ces signaux, donc de faire émerger des offres de détail à moyen terme. Il s'agit de contrats sur des durées de trois, quatre ou cinq ans, les prix que l'on constate sur ces durées étant beaucoup plus stables et ne reflétant pas la volatilité de court terme qui a été si dramatique en 2022 et en 2023. C'est l'un des enjeux de l'accord avec le Gouvernement : apporter aux clients, pour la période post-Arenh, qui commence en 2026, et dès ce début d'année 2024, des offres à un niveau que l'on espère compétitif et qui leur donnent une sécurité sur une durée plus longue.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Autrement dit, vous considérez qu'il y a eu un accord ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Même s'il n'y a aucune signature, aucun document officiel ? C'est très peu formalisé... Combien de contrats avez-vous déjà négociés sur la base de cet accord ?
M. Marc Benayoun. - Je vais vous donner ces chiffres. Les volumes sont importants.
Point très important, toutes les offres que nous portons sont compatibles avec la loi. Elles ne nécessitent pas l'adoption d'une loi ou la modification des termes réglementaires qui régissent le marché de l'énergie. Nous avons d'ores et déjà le droit de faire des contrats à cinq ans - ce n'était pas une demande jusqu'à présent, puisque les clients achetaient plutôt de façon conventionnelle pour un ou deux ans, en se disant que l'Arenh les protégeait. Or l'Arenh ne les a absolument pas protégés en 2023, compte tenu des prix auxquels est montée la part qui n'était pas couverte par l'Arenh - l'« écrêtement ».
Au reste, l'Europe incite à des contrats de long terme. La seule chose qu'il est nécessaire d'inscrire dans la loi pour que cet accord soit totalement matérialisé est le principe de seuils de taxation si EDF perçoit une recette qui excède les seuils qui ont été définis. Tant que la recette reste en deçà de ces seuils, nous avons tout à fait la possibilité de faire déjà de telles offres. Ce sont simplement des offres qui ne comprennent plus d'Arenh, puisque l'Arenh n'existera de toute façon plus à partir du 1er janvier 2026.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Combien d'offres avez-vous faites ?
M. Marc Benayoun. - Nous en avons fait 671, pour un volume de 5 térawattheures de consommation annuelle, ce qui est assez considérable, pour des durées de quatre à cinq ans.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avec des entreprises ?
M. Marc Benayoun. - Oui. Nous avons également signé trois lettres d'intention relatives à des contrats d'allocation de production nucléaire, pour un total de 10 TWh. La maison EDF s'est donc mise en mouvement pour porter, dans le marché, des offres permises par cet accord.
La seule chose qui manque pour que l'accord soit effectif est une loi précisant le fonctionnement des seuils de captation et organisant un retour vers le consommateur dans l'hypothèse où la recette d'EDF dépasserait 78 et 110 euros par MWh.
Les prix étant actuellement relativement bas, nous n'anticipons pas que ces seuils puissent être franchis en 2026 et 2027. Le niveau des prix de marché a fortement baissé. Il est de l'ordre de 70 euros aujourd'hui - un peu plus pour la fourniture 2025, un peu moins au-delà. Nous sommes donc en deçà des seuils exprimés en euros de 2022. Si nous vendons aujourd'hui toute notre électricité sur la base de cette politique commerciale, nous serons donc en dessous du seuil de 78 euros et il n'y aura pas de captation.
Bien évidemment, sur le long terme, il y aura certainement des années où les prix seront un peu supérieurs, et il est probable que le seuil sera parfois franchi dans les dix à quinze prochaines années. Il faudra, à ce moment, qu'une loi ait été adoptée pour définir l'assiette de captation de cette recette et le mode de retour aux clients. Mais tout ce que nous faisons aujourd'hui est parfaitement conforme à la loi.
Je veux évoquer le tarif réglementé de vente, autre élément important de l'accord. D'ailleurs, il me semble que l'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord sur la proposition de loi de M. Brun, laquelle installe le retour des tarifs réglementés de vente pour les très petites entreprises, sans limite de puissance. C'est important pour les petits clients. La sécurité et la visibilité qu'apporte le TRV, son renouvellement automatique à un prix fixé par la puissance publique ont de grandes vertus pour des clients qui n'ont pas envie de passer leur vie à acheter de l'électricité. Nous accueillons très favorablement le dispositif de la proposition de loi : il est de nature à augmenter de plusieurs centaines de milliers le nombre de clients qui bénéficieront de ces tarifs.
Aujourd'hui, les TPE représentent un peu plus de 10 TWh au tarif réglementé de vente, sachant que certaines, bien qu'ayant droit au tarif, ont pris des offres de marché - dans une proportion peu importante toutefois.
Si l'on ajoute toutes les TPE qui consomment plus que 36 kilovoltampères (kVA), seuil qu'elles dépassent assez vite - la plupart des boulangers sont au-dessus -, on va recréer des tarifs sans limitation de puissance - à 48, 64 ou encore 72 euros. Les TPE pourront donc toutes acheter l'électricité au TRV. Potentiellement, il en résultera un doublement du volume, avec 10 TWh supplémentaires.
La confirmation que le TRV demeure une solution souhaitable pour les particuliers et le fait que son périmètre d'application augmente à nouveau dans le marché des entreprises - ce sont les très petites entreprises qui ont été particulièrement en difficulté en 2023 - nous paraissent plutôt favorables.
Pour les clients un peu plus grands, le principe est le développement des offres de marché. Cela a représenté un très gros travail pour EDF. Nous avons organisé plus de cinq cent réunions pédagogiques au niveau national ou dans les régions pour expliquer pourquoi cela faisait sens. En outre, les clients commencent à acquérir ces offres à un moment qui n'est pas du tout naturel pour le faire : traditionnellement, les gens achètent plutôt sur la seconde partie de l'année pour les années N+1 ou N+2. Depuis que j'exerce ce métier, je n'avais encore jamais vu des clients acheter des volumes pour quatre ans plus tard ! C'est pourtant ce qui est en train de se passer, à des prix correspondant aux prix forward que j'évoquais tout à l'heure - de l'ordre de 70 euros. Il se trouve, par hasard, que c'est le chiffre qui a été acté dans l'accord.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - C'est la moyenne des contrats que vous avez conclus ?
M. Marc Benayoun. - Absolument. Sur la base de prix forward à 60, 62 ou 75 euros, les prix s'établissent aujourd'hui entre 62 et 74 euros entre N+1 et N+5. La moyenne est un peu inférieure à 70. Mais, en euros de 2022, on est plutôt à 60 euros, donc en dessous du niveau cible articulé par l'accord, qui me paraît compétitif pour beaucoup de clients - de fait, ils signent à ces prix.
Nous déployons, à l'intention des clients les plus sensibles aux prix, donc les électro-intensifs, des contrats d'allocation de production nucléaire, conformément à l'engagement que nous avons pris vis-à-vis de l'État. On trouve ces clients, qui utilisent massivement de l'électricité pour leur métier, dans la transformation énergétique, la chimie, l'aluminium, l'acier... Ce sont moins de cent entreprises, mais qui consomment, ensemble, plus de 40 TWh. Par exemple, Aluminium Dunkerque consomme de l'ordre de 4,5 TWh par an, soit 1 million de fois ce que consomme un client particulier sur un seul site. Si tous les électro-intensifs ne sont pas de cette taille, ces clients consomment, en général, près de 1 TWh, voire plus, soit de très gros volumes.
Notre engagement est de leur proposer des contrats d'allocation de production nucléaire, qui reflètent l'économie du parc de production existant, avec un niveau de prix qui dépend de la performance opérationnelle du parc, c'est-à-dire de sa production, de ses coûts d'exploitation, etc. Dans ces contrats de partenariat industriel, le client accepte de payer une petite partie à la signature du contrat et supporte, en pass through, la réalité des coûts du nucléaire, c'est-à-dire la totalité des coûts, analysés, certifiés par nos comptables et divisés par le volume consommé, pour aboutir à un prix du mégawattheure. Il s'agit donc d'un prix incertain, à la différence du prix fixe d'un contrat de fourniture, mais c'est un prix compétitif et qui intéresse beaucoup les électro-intensifs.
M. Franck Montaugé, président. - Passez-vous des contrats pour les années à venir ?
M. Franck Montaugé, président. - Comment intégrez-vous la question de l'évolution du parc de production, qui est directement fonction de la productivité et de la performance du parc lui-même ?
M. Marc Benayoun. - Ces contrats ont une durée de dix ans minimum. Dans le premier CAPN qui a été signé, le client souhaitait même une durée de dix-huit ans, qui correspondait à la durée de son projet industriel. Effectivement, nous nous appuyons sur le parc existant - sans Flamanville 3 -, et non sur les données économiques, que l'on ne connaît pas encore précisément, du parc futur, c'est-à-dire du réacteur pressurisé européen de deuxième génération (EPR2). Le respect de ces contrats suppose que notre parc actuel fonctionne pendant la durée du contrat, donc de dix à quinze ans. C'est l'hypothèse que nous faisons.
Nos discussions avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) vont plutôt dans le bon sens, puisqu'elles nous permettent d'envisager des durées d'exploitation nettement supérieures aux quarante années initiales : nous étions passés à cinquante ans, et l'on parle aujourd'hui de soixante ans. Par conséquent, nous ne doutons pas que notre parc de production actuel sera opérationnel pour respecter des contrats de quinze ans. Plus incertains sont les coûts que nous allons supporter pour le faire fonctionner - coûts de maintenance, de l'uranium... C'est pour cela que le contrat est dit en pass through : la réalité des coûts annuels sera répercutée au client, qui accepte ce risque.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela est-il réservé aux sociétés françaises ?
M. Marc Benayoun. - Non. Nous avons un client électro-intensif européen. Nos négociations avec les clients européens ne sont pas encore très avancées, pour la simple raison que la production est livrée en France. Or la disponibilité des interconnexions n'est pas très importante et il est compliqué d'acheminer de façon certaine du courant depuis la France.
Le régime des interconnexions et la difficulté à souscrire une capacité ferme pour plus de deux à trois ans feraient courir à celui, au-delà de la frontière, qui achèterait un CAPN le risque de ne pouvoir, certains jours, amener l'électricité chez lui. Ce risque peut se couvrir, mais cela représente un coût complémentaire. Ce n'est donc pas si facile de vendre un CAPN à un acteur européen.
M. Franck Montaugé, président. - Sur quels éléments de coûts se fonde la formation du prix que vous proposez à ce type de clients ? Vous basez-vous sur les coûts complets du système de production, sur les prix du marché ? Il est très difficile de prévoir ces derniers à des échéances aussi lointaines...
M. Marc Benayoun. - L'électricité nucléaire est achetée à son coût, sans marge. Les contrats ne couvrent qu'une partie des besoins du client - les ordres de grandeur sont de 50 % à 70 % -, lequel doit acheter le complément sur le marché et accepter le risque de production du nucléaire. En effet, la production nucléaire n'est pas plate : elle est « formée » dans l'année, elle correspond au programme de production. Telle est la logique des CAPN.
Nous avons signé trois lettres d'intention très précises qui aboutiront à des contrats avant la fin de l'année 2025. À la signature de ces contrats, il y aura paiement d'une « avance en tête », c'est-à-dire une prime fixe initiale. Nous rentrerons ensuite progressivement dans l'exécution, avec des ramp up : soit le client demande le volume nominal dès le début, soit il demande un volume en croissance, correspondant à son projet industriel. Nous sommes évidemment flexibles dans la structuration de ces contrats.
Enfin, nous nous sommes engagés, dans la discussion avec l'État, sur la construction d'une offre pour les clients qui ne sont pas électro-intensifs, mais qui consomment beaucoup d'électricité. Il s'agit d'entreprises de taille intermédiaire qui connaissent des processus de transformation. L'exemple typique est la scierie, qui consomme beaucoup d'électricité, sans atteindre le critère de 3 kilowattheures par euro de valeur ajoutée. L'État nous a demandé de réfléchir, avec l'aide d'une banque, à un contrat simplifié, un peu de même nature que le CAPN, mais avec l'avance en tête financée par la banque, pour que le client n'ait pas à avancer la somme, et avec un profil plus plat, plus « dérisqué », le client n'ayant pas vocation à gérer l'incertitude de production d'un mois sur l'autre qui existe dans le parc nucléaire.
Nous travaillons avec Bpifrance à la définition de cette offre. Nous ferons un test de marché dans le courant du mois d'avril. Nous en avons discuté avec toutes les fédérations industrielles, qui, je crois, trouvent nos propositions relativement intéressantes. Les clients visés représentent une vingtaine de TWh en France et sont environ dix mille - à comparer avec les cent clients électro-intensifs, qui consomment 40 TWh. Ces clients ont besoin d'une visibilité sur leur approvisionnement en électricité pour pouvoir fonctionner et limiter l'exposition qui les a mis en grande difficulté en 2023.
Je termine par un point sur la logique des seuils. Pourquoi avoir retenu 78 et 110 euros ? Parce que l'intention de l'État était de couvrir les prix de revient d'EDF et d'assurer de la compétitivité aux clients français. Nous y souscrivons. En dessous de 78 euros 2022, il ne se passe rien : c'est le prix du contrat qui s'applique. En revanche, la moitié du montant qui dépasse ce seuil retourne au client, ce montant faisant l'objet d'un calcul prévisionnel et une régularisation intervenant à la fin de l'année, pour que la restitution ait lieu dès l'année de livraison. Au-delà de 100 euros, le taux de restitution passe de 50 % à 90 %.
Ces chiffres n'ont pas du tout été définis par hasard dans l'accord : à EDF, beaucoup d'ingénieurs font de la prospective très avancée sur les prix de marché et étudient un grand nombre de scénarios de prix. Le système retenu a toutes les chances de procurer in fine à EDF, pour sa production en base, une recette qui se situe entre 70 et 75 euros 2022. Le parc nucléaire existant coûte un peu moins cher et le parc nucléaire futur coûtera un peu plus cher, mais c'est le prix dont nous avons besoin pour assurer la continuité de notre parc de production et le financement du programme EPR2. Nous connaîtrons, comme aujourd'hui, des périodes de prix bas, où l'on touchera un peu moins de 70 euros, parce que la demande est faible, mais aussi des périodes où les prix remontent. À ce moment, c'est l'activation des seuils qui assurera la compétitivité, si l'on dépasse 78 euros.
Pour terminer, il me semble possible que l'on connaisse des périodes où les prix descendent aux alentours de 50 euros. Au-dessous, c'est très improbable, vu les conditions d'approvisionnement en gaz européen, les prix du CO2 et tous les fondamentaux électriques. EDF pourra, certaines années, dans le contexte de l'accord, avoir une captation de revenus inférieure à 70 euros par mégawattheure. Si l'on monte à des prix très élevés, 150 euros par exemple, son niveau de recettes sera de 98 euros, soit 28 euros de plus : nous toucherons la moitié de ce qui se situe entre 78 et 110 euros, mais seulement 10 % de ce qui est au-dessus de 110 euros. La recette d'EDF sera donc tantôt inférieure, tantôt supérieure à 70 euros, mais il est très probable que ce système donne le niveau de recettes dont nous avons besoin pour le parc nucléaire.
M. Franck Montaugé, président. - Peut-on dire qu'il s'agit d'un pseudo-contrat pour différence ?
M. Marc Benayoun. -Non, c'est plutôt un système articulé au marché, mais dont l'objectif est de déterminer, pour EDF, un niveau de recettes cible, par le système des seuils. Si c'était un contrat pour différence, un prix unique serait fixé quel que soit le prix du marché, ce qui poserait, d'ailleurs, un certain nombre de difficultés - qui fixe ce niveau de prix ? Comment évolue-t-il dans le temps ?...
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je vous remercie de ce propos liminaire très intéressant, mais vous n'avez pas du tout répondu à mes questions. Je vais essayer de vous poser des questions courtes et précises, parce que j'ai besoin d'y voir clair.
Qui a pris l'initiative de cet accord ?
M. Marc Benayoun. - C'est l'État. Cela paraît normal : il faut bien déterminer les conditions de vente de l'électricité post-Arenh.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quand la négociation a-t-elle débuté ?
M. Marc Benayoun. - Elle a duré une bonne partie de l'année 2023, mais elle s'est intensifiée à partir de septembre-octobre. Nous sommes alors entrés dans la logique de calcul et d'estimation des seuils - c'est évidemment central.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Est-ce vous qui avez négocié ? L'avez-vous fait avec d'autres personnes ?
M. Marc Benayoun. - Je faisais partie de l'équipe de négociation, aux côtés d'autres personnes. Il y avait des membres de la direction de la stratégie, de la direction financière et M. Luc Rémont.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Est-ce M. Rémont qui pilotait les négociations à chaque fois ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quels étaient les objectifs initiaux d'EDF ? On a l'impression que l'accord satisfait les objectifs que s'était fixés EDF...
M. Marc Benayoun. - Ce n'est pas si simple que cela... L'État n'a pas intérêt à ce que le niveau de recettes d'EDF soit insuffisant. Il y va de l'avenir d'EDF et du maintien de la filière nucléaire française.
L'État avait un autre objectif, qui était que le résultat soit compétitif pour les clients, comme dans tous les États du monde. Or, aujourd'hui, les prix de marché, les prix de détail que nous formons sont jugés attractifs. Les CAPN ont déjà permis de localiser un investissement industriel majeur en France, celui d'ArcelorMittal. Cela fonctionne !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous considérez qu'un prix de 70 euros apporte une quasi-garantie à EDF, à condition, bien sûr, que les marchés ne soient pas structurellement en dessous. Vous dites que le plancher est, pour vous, de 50 euros. Que se passe-t-il si le prix se promène entre 50 et 70 euros pendant trois ans ?
M. Marc Benayoun. - EDF serait tout à fait capable de résister pendant trois ans, ce qui serait plus difficile sur dix ans. Mais cela dépend, en premier lieu, des prix du gaz et du CO2, ainsi que de ce que l'on appelle la prime de risque, c'est-à-dire le risque que l'on ait des tensions entre l'offre et la demande.
Aujourd'hui, en Europe, il est très difficile d'avoir des prix du gaz à moins de 30 euros. Quand ces prix sont à 30 euros, le prix de l'électricité ne peut être inférieur à 60 euros. Les captations de recettes peuvent être basses durant quelques périodes relativement courtes, mais, sur dix à quinze ans, il y aura forcément des années où les seuils protégeront les consommateurs.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Considérez-vous donc que, à 70 euros, vous pouvez rembourser la dette et, en même temps, financer une nouvelle capacité de production ?
M. Marc Benayoun. - Cela a été l'objet de l'implication de la direction financière dans les négociations. Nous considérons que ce prix nous permet de maintenir la dette à un niveau gérable. L'idée n'est pas de la rembourser ! D'ailleurs, une entreprise ne rembourse jamais sa dette : l'important est que celle-ci ne devienne pas hors de contrôle.
Je suis certain que M. Rémont vous dira que, pour qu'EDF parvienne, avec ce prix, à maintenir sa dette et à financer son programme nucléaire, il faut que notre performance opérationnelle soit très bonne, c'est-à-dire que la production nucléaire retrouve des niveaux que nous avons connus dans le passé - avant qu'ils ne descendent, en 2022, au moment de la corrosion sous contrainte.
Cet accord nécessite que la production, notamment nucléaire, d'EDF revienne rapidement au-dessus de 350 TWh. Il ne nous assure donc pas une protection tout temps tout terrain si notre performance opérationnelle n'est pas au rendez-vous. En cela, il est exigeant pour nous.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pourquoi ne pas avoir utilisé le contrat pour différence, âprement négocié par la France à Bruxelles ?
M. Marc Benayoun. -Aussi bien l'État qu'EDF connaissent les conditions que l'Europe imposerait à la France si celle-ci mettait en place un système de vente à prix fixe de la production nucléaire, qui est très importante dans notre pays - 70 % de la production totale. L'Europe exigerait vraisemblablement une séparation de l'entreprise en plusieurs parties. Nous avions eu cette discussion sur le projet Hercule. La mise en place d'un CFD sur des actifs existants serait, à notre avis, assortie de remèdes qui seraient extrêmement onéreux pour EDF et, probablement, pour le système électrique français.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avez-vous eu des informations précises sur ce sujet ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - À ma connaissance, Mme Pannier-Runacher, à l'époque où elle était ministre chargée de la transition énergétique, est allée discuter de ce sujet avec la Commission européenne.
M. Marc Benayoun. - N'ayant pas été impliqué dans ces négociations, je ne saurais vous le dire.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quelles sont vos sources à ce sujet ?
M. Marc Benayoun. - L'accord qu'a obtenu Mme Pannier-Runacher est très important, parce qu'il permet au nucléaire d'être traité de la même manière que les énergies renouvelables. Il met un terme à la dévalorisation du nucléaire qui existait précédemment. Cela nous gênait profondément, le nucléaire étant un outil pilotable et de production décarbonée tout à fait essentiel au système électrique.
La possibilité du CFD dans l'accord européen - et, peut-être, dans la loi sur la souveraineté énergétique qui sera adoptée un jour - a beaucoup de sens pour le nucléaire futur. C'est un instrument que l'État pourra utiliser. Cependant, nous pensons que, si la France avait choisi cette voie pour le nucléaire existant, pour remplacer l'Arenh, les demandes de contreparties exigées par l'Europe auraient été très onéreuses.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Craignant que soit exigée, en contrepartie, par Bruxelles, la mise en oeuvre du projet Hercule, vous avez écarté l'option des contrats pour différence (CFD) ; or cette option vous semblait opportune pour le nucléaire, si bien que vous souteniez l'État dans ses négociations à Bruxelles.
M. Marc Benayoun. - Bien sûr, car les CFD sont un instrument. Les remèdes exigés par l'Union européenne en cas de mise en place par la France d'un CFD sur le nucléaire dépendent d'un contexte. Dans quatre ou cinq ans peut-être, l'Union européenne pensera qu'EDF doit demeurer un puissant acteur de la production électrique décarbonée au coeur de l'Europe ; du reste, nous venons très souvent au secours de nos voisins, grâce au nucléaire.
L'Union européenne changera peut-être d'avis sur les CFD, mais dans le contexte actuel - peu après les négociations relatives au projet Hercule -, nous pensons que cette option n'aurait pas permis à EDF de maintenir son intégrité.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avez-vous été favorable à la transcription de cet accord dans le projet de loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat ?
M. Marc Benayoun. - Tout à fait. La mise en place d'une nouvelle politique commerciale, les offres à long terme, les CAPN, les seuils étaient bien retranscrits dans le projet de loi, qui n'a finalement pas été présenté.
Le texte matérialisait bien l'accord, au travers de la mise en place des seuils, de la définition de revenus nucléaires et de tout l'appareillage lié à la mise en place d'une captation des recettes nucléaires, si elles excèdent 78 euros et 110 euros.
Mme Martine Berthet. - Je suis étonnée par le décalage entre votre discours sur les électro-intensifs et ce que les industriels eux-mêmes nous disent.
Voilà deux semaines, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, j'ai interpellé M. Bruno Le Maire sur ce sujet, parce que les industriels - en Savoie, il y a au moins cinq entreprises électro-intensives - m'ont dit qu'ils ne sont pas encore passés à la phase des négociations, car EDF négocie actuellement avec les « hyper-électro-intensifs ». Or ces derniers m'ont indiqué que les négociations étaient au point mort, EDF demandant une avance en tête beaucoup trop importante ; de votre côté, vous avez évoqué une petite somme...
M. Marc Benayoun. - Pour eux, ce n'est pas une petite partie, vous avez raison.
Mme Martine Berthet. - Selon eux, cette avance peut atteindre le tiers de leur chiffre d'affaires ; c'est inaccessible !
Votre discours idéaliste est en décalage par rapport à la réalité des contrats actuellement négociés avec les hyper-électro-intensifs. L'électricité représente une matière première très importante pour eux. Ils sont tous engagés dans une démarche de décarbonation de leur production. Ils ont donc besoin de faire des investissements ; ils seront amenés à utiliser davantage d'outils de production électriques.
J'insiste, ils ont besoin de savoir où ils vont ; or les négociations semblent bloquées, car les termes en sont irréalistes pour eux.
M. Marc Benayoun. - Les négociations ne sont pas du tout bloquées : nous avons des réunions toutes les semaines ; plus de vingt accords de confidentialité ont été signés, lesquels représentent largement plus que la moitié des volumes d'électricité consommée par les électro-intensifs français. On ne signe pas un accord de confidentialité avec EDF si l'on n'a pas l'intention de négocier.
Les trois premières lettres signées représentent 10 térawattheures de production pendant des durées supérieures à quinze ans, soit un quart de la demande électro-intensive française. En 2023, la demande électro-intensive française a été inférieure à 40 térawattheures ; les bonnes années, elle atteint entre 43 et 45 térawattheures.
De plus, nous discutons avec six acteurs qui ont décidé - et nous n'avons rien contre - de s'organiser en consortium pour financer l'avance en tête ; ce contrat représenterait 7 térawattheures. Ainsi, 10 térawattheures plus 7 térawattheures, cela fait 17 térawattheures, et à cela il faut ajouter d'autres discussions bilatérales.
Ma réponse sera un « poil à gratter »... Il est normal que des clients en cours de négociation avec un fournisseur se plaignent : ils voudraient avoir moins de risques, un prix plus faible et un fournisseur qui accède à toutes leurs demandes. Or nous devons démontrer qu'il s'agit d'un contrat industriel, qui permet de faire supporter aux clients nos coûts et nos risques. Nous discutons avec de nombreux acteurs industriels ; nous signerons bientôt des contrats représentant la moitié de la demande électro-intensive française.
Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison, je n'aurais pas dû dire qu'il s'agit d'une petite somme, car il s'agit potentiellement d'un peu plus du quart de la valeur du contrat, mais cela ne représente pas le tiers du chiffre d'affaires de l'entreprise. Cela étant dit, dans ce type de contrat, il faut effectivement payer pour une partie des investissements réalisés dans le passé avant de supporter les coûts futurs annuels.
Il s'agit bien d'une somme significative, qui peut conduire des clients à choisir un mode de souscription permettant le financement de cette somme par une banque, et si possible aussi, sa déconsolidation. Certains industriels attirés par ce produit ont voulu négocier rapidement, tant qu'il était encore disponible ; d'autres ont continué à réfléchir sur la manière d'organiser le financement du paiement de l'avance en tête.
Les négociations sont très intenses, je puis vous l'assurer, et comprennent la majorité des acteurs du secteur électro-intensif français.
Dans une négociation, le client va toujours demander à la représentation nationale de l'appuyer dans sa négociation auprès d'une entreprise ; il est normal qu'ils vous disent qu'ils aimeraient qu'EDF fasse des efforts.
Mme Martine Berthet. - C'est vrai, je vous parle des entreprises ayant des concurrents internationaux, lesquels obtiennent des tarifs moitié moins chers. Il est donc normal qu'ils essayent de négocier un peu plus, car cela reste cher pour eux.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pourquoi faire payer le quart du contrat ? Pourquoi y a-t-il besoin de l'avance en tête ?
M. Marc Benayoun. - Le client devient copropriétaire de l'actif et il n'y a pas de restriction à la revente ; cela nécessite de prendre en charge une partie des investissements passés. C'est simplement l'application de la loi.
D'ailleurs, c'est la même chose lors de l'achat d'électricité issue d'un parc éolien ou solaire via ce qu'on appelle la vente directe, en anglais un Power Purchase Agreement (PPA). C'est lié non pas à une exigence de trésorerie d'EDF, mais au fait que dans un contrat industriel, on paie pour une partie la valeur de l'actif et pour une autre les investissements passés.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pourriez-vous baisser ce montant ?
M. Marc Benayoun. - J'ai dit que ce montant représentait environ un quart, car il s'agit d'éléments confidentiels. Nous l'avons fixé au niveau le plus bas permettant de conserver la qualification de contrat industriel.
Nous n'excluons pas que des clients forment un consortium et demandent à une banque de financer pour eux l'avance en tête et de récupérer les annuités au cours de la durée du contrat, de sorte qu'ils n'aient pas à sortir beaucoup d'argent au départ. C'est une façon assez classique de financer l'avance en tête.
Faute d'avance en tête, on ne pourra pas maintenir la caractérisation juridique de ce contrat, alors que c'est un élément central, et l'on reviendra à un contrat de fourniture, lequel comprend des limitations de durée à cinq ans ; c'est ce qui dans le passé a énormément compliqué la vie d'Exeltium, par exemple.
M. Franck Montaugé, président. - Peut-on juger à ce stade des gains de compétitivité des entreprises avec lesquelles vous avez contracté ?
M. Marc Benayoun. - L'Arenh a contribué à leur compétitivité, puisqu'une partie de la demande du client, qui allait selon la forme de sa courbe de charge de 50 % à 70 %, était fournie au tarif de 42 euros le mégawattheure, et le complément était au prix de marché.
Malheureusement, le prix de marché pouvait s'envoler à des sommes extraordinaires, ce qui fait que le prix payé par les industriels, y compris les électro-intensifs, était très élevé - ce fut le cas en 2023.
Aujourd'hui, le prix de marché est de nouveau très compétitif, car le nucléaire est redevenu disponible, ce qui permet aux clients français de gagner en compétitivité.
La France et l'Allemagne sont les deux seuls pays d'Europe où il y a des productions électro-intensives majeures ; aucun autre pays ne produit de l'aluminium, si ce n'est dans une faible quantité. Pendant plusieurs années, le prix allemand de gros était inférieur au prix français ; aussi, les clients français se sont réjouis d'avoir l'Arenh, sans quoi ils auraient été en difficulté.
La compétitivité d'une offre de moyen terme est assurée par deux facteurs : le prix de gros - à l'heure actuelle, le prix français est inférieur de 10 % au prix allemand, ce qui est considérable - et par la mise en place de seuils à 70 euros et 110 euros. Si les prix montaient, ces seuils assureraient une protection complémentaire aux clients.
Il est donc difficile aujourd'hui de trouver des contrats aussi compétitifs que les contrats français. On peut trouver des contrats encore plus compétitifs dans les pays scandinaves, où les ressources hydrauliques sont considérables - les marchés ne permettent toutefois pas d'acheter des volumes importants, car les systèmes électriques sont petits - et en Espagne, où les capacités électriques renouvelables sont immenses - du reste, leur système électrique est en « butée de baisse » et les prix spot de l'électricité sont parfois à zéro.
En dehors de ces deux pays, les prix des marchés de gros et de détail sont supérieurs à ceux de la France. Voilà comment est assurée la compétitivité !
En France, le système est à nouveau extrêmement détendu : la capacité de production couvre très largement les besoins ; il n'y a plus de crainte de délestages au coeur de l'hiver. Le système français a retrouvé sa « longueur », son confort ; cela se voit dans les prix de gros. Il suffit de regarder les prix sur le marché de l'électricité EPEX pour tous les pays d'Europe.
Dans nombre de pays, il n'est pas possible d'acheter sur la base d'un prix de marché à cinq ans, parce que les fournisseurs n'ont pas forcément l'organisation, le bilan ou l'envie de prendre des risques de contrepartie à cinq ans. Nos prix à cinq ans sont parmi les plus bas d'Europe. Par ailleurs, il n'existe pas en Europe de contrats indexés sur le prix du nucléaire à dix et quinze ans, ce que nous proposons avec les CAPN.
Dans certains pays du monde, on trouve des prix plus bas, notamment en Chine et aux États-Unis, mais il faut avoir la capacité ou l'envie de produire dans ces pays, puis de rapatrier la production en Europe - ce n'est pas simple. Aux États-Unis, les prix sont sensiblement plus bas qu'en Europe.
M. Franck Montaugé, président. - Le risque de non-livraison s'accroît pour des contrats aussi longs. EDF est-il couvert pour ce risque ?
M. Marc Benayoun. - Proposer aux clients un prix fixe sur cinq ans, plutôt que deux, représente un risque. C'est moins le cas en matière de CAPN, car il s'agit de pass through : le prix du contrat reflète la baisse de la production ou l'augmentation des coûts. À l'inverse, si la production remonte, l'avantage conféré à EDF est partagé avec le client.
Sur les offres de moyen terme, proposer à des clients un prix fixe à cinq ans, surtout au niveau actuel, nécessite d'avoir une confiance dans notre outil de production et représente un risque. C'est notre rôle d'apporter aux clients français de la compétitivité à la mesure de nos capacités de production.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quelles seront les conséquences du prix à 70 euros en moyenne sur la facture du consommateur particulier ?
M. Marc Benayoun. - La formation des tarifs réglementés de vente (TRV) fait encore débat. Le système qui tient la corde - il assure la contestabilité, c'est-à-dire le fait que les fournisseurs alternatifs puissent répliquer la formule tarifaire et même la battre à certains moments - est celui d'un lissage des prix de gros sur deux ans.
La part énergie du TRV a atteint des niveaux élevés du fait de mécanismes très complexes - je ne rentrerai pas dans le détail - liés à l'écrêtement Arenh. La part énergie du TRV s'élève à 125 euros aujourd'hui. Dans ce que paient les clients français, à raison de 28 centimes TTC du mégawattheure, il y a la part énergie du TRV de 125 euros ; si on maintient un lissage sur deux ans et si les prix restent au niveau actuel, le tarif va baisser.
Si la moyenne de livraison pour 2025 et 2026 reste au niveau actuel, soit 72 euros, comme ce matin - il faut également prendre en compte le coût de la « forme » de consommation, car le client particulier n'est pas un industriel -, la part énergie du TRV s'élèvera à 100 euros qu'à 125 euros.
La mise en place de l'accord n'est donc pas un élément inflationniste pour le TRV.
M. Victorin Lurel. - Client EDF, je me prendrai comme exemple de la situation actuelle. Ma facture, qui s'élevait à 80 euros par mois, a désormais atteint 130 euros ; j'ai récemment payé 272 euros et, selon les prévisions d'EDF, je paierai 400 euros en mars. Or je ne suis jamais là, je suis en Guadeloupe, et je n'ai qu'un frigo. Comment pouvez-vous l'expliquer ? On m'a dit que j'avais besoin de neuf kilovoltampères ! Or, je suis seul à la maison et mon chauffage est éteint. Les répercussions sont énormes pour le client.
Je me bats avec le directeur régional d'EDF en Guadeloupe pour ne pas avoir de compteur intelligent, numérique ou Linky ! On m'a bloqué mon compteur depuis janvier 2023 pour me forcer à passer au compteur numérique ; est-ce là une politique commerciale ?
M. Marc Benayoun. - Ce n'est pas EDF qui fixe le niveau des tarifs réglementés de vente ; c'est justement le principe de ces tarifs. C'est la Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui les calcule, en application d'une formule définie par la loi. La CRE propose en application de cette formule un prix à la puissance publique, laquelle accorde ou non l'évolution demandée par la CRE. Ce n'est pas EDF qui fixe arbitrairement les TRV.
M. Victorin Lurel. - C'est après l'installation de Linky que subitement ma facture est passée de 80 euros à 135 euros, puis à 400 euros en mars... N'est-ce pas lié à un profilage des clients ? « Il est sénateur, il peut payer ! » J'ai du mal à comprendre.
M. Marc Benayoun. - La mise en place des compteurs Linky a permis d'envoyer des factures justes plutôt que des factures estimées. Les compteurs électromécaniques nécessitent d'être relevés pour calculer précisément l'index, c'est-à-dire la consommation réelle, et envoyer une facture. Sans compteur Linky, les factures sont estimées, mais avec Linky, les factures sont réelles.
Les TRV ont augmenté de 45 % en trois ans. À consommation égale, la facture d'un Français a augmenté significativement. On est passé en moyenne de 180 euros à 280 euros. Il y a une très forte volatilité. Cette hausse aurait été supérieure de 70 euros, si l'État n'avait pas mis en place un bouclier tarifaire. On serait passé de 180 euros à 350 euros et non 280 euros.
En tout cas, l'accord récent avec l'État ne fera pas augmenter les tarifs, car la part énergie du TRV va baisser. Le tarif d'utilisation des réseaux publics de l'électricité peut un peu augmenter, parce qu'EDF fait des investissements, mais il n'augmente pas très vite.
La taxation dépend de la politique du Gouvernement ; l'évolution de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) n'est pas dans les mains d'EDF.
La part énergie, qui relève du système électrique, va plutôt descendre que monter.
M. Victorin Lurel. - Espérons...
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - D'après mes informations, il est possible de faire des CFD pour le nouveau nucléaire et pour le nucléaire historique. Selon vous, si un CFD est passé pour le nucléaire historique, des contreparties seront imposées à EDF. Selon les termes de l'accord, il est possible de le faire, mais il n'y a pas d'obligation à imposer un prix fixe ; un corridor de prix pourrait être imaginé, par exemple.
De plus, la contestabilité veut dire que les fournisseurs alternatifs peuvent y avoir accès également. Aussi, je ne vois pas trop ce qui vous retient de choisir cette option ; si cela vous fait peur pour le financement du nucléaire historique, cela vous fera peur également pour le financement du nouveau nucléaire !
M. Marc Benayoun. - Plusieurs projets de nouveau nucléaire ont été financés avec un CFD et cela n'a posé aucun problème aux pays européens qui l'ont fait. Le financement du nucléaire est impossible sans un contrat assurant le financement au producteur et à celui qui s'engage dans un chantier de longue durée et d'un coût important. Sans CFD, il n'y a pas de solution.
L'un des défauts de ce marché de gros, compte tenu de son organisation et des durées accessibles, est de rendre difficile le financement d'infrastructures nouvelles. Au moment de la discussion du projet Hercule, des remèdes étaient demandés en cas d'adoption du CFD.
Dans la discussion à laquelle j'ai participé avec l'État, il n'a jamais été question de CFD. La question était de savoir comment permettre à EDF de vendre de l'électricité compétitive et de couvrir ses coûts post-Arenh. Dans les mois qui ont précédé l'accord du 14 novembre 2023, le CFD n'a pas été évoqué. Cela veut probablement dire que l'État partageait notre analyse et qu'il ne s'agissait pas de la bonne voie ; vous pourrez le demander aux représentants de l'État qui ont été nos contreparties pendant cette discussion.
M. Franck Montaugé, président. - Est-ce qu'EDF est concerné par les PPA ?
M. Marc Benayoun. - Oui. Le PPA est un contrat long dans lequel un client souscrit une capacité qui a été produite par un actif. Le CAPN est une forme de PPA sur un actif existant, le nucléaire. Mais nous vendons aussi des corporate PPA sur base de renouvelables, solaire ou éolien. Nous avons fait deux opérations au cours des derniers mois, mais nous ne sommes qu'un petit acteur, qui est à la mesure de notre capacité de production renouvelable en France - il y a beaucoup d'acteurs dans ce secteur qui est très fragmenté.
La part de marché d'EDF est de 15 % dans l'installation de nouveaux équipements, un peu plus dans l'éolien offshore, un peu moins dans le solaire, encore un peu moins dans l'éolien onshore. Tous les acteurs qui développent des projets ont le choix entre vendre leur électricité avec un mécanisme garanti, le mécanisme d'obligation d'achat, ou faire un PPA avec un client. En tant qu'acteur du renouvelable, EDF est logé à la même enseigne. Nous sommes un petit acteur, car nous ne sommes pas le développeur majeur du renouvelable en France.
Nous avons noté un intérêt fort de nos clients industriels et commerciaux envers le PPA, lesquels estiment qu'il s'agit d'un bon moyen d'avoir un prix fixe.
Par ailleurs, s'agissant d'un produit totalement décarboné et renouvelable, nos clients peuvent le mettre en avant dans leur politique de développement durable, en indiquant par exemple que près de 30 % de leur consommation énergétique est couverte par le parc éolien de tel endroit.
Il y a une demande forte pour des corporate PPA d'origine renouvelable. Les CAPN sont leur équivalent, avec exactement les mêmes principes économiques et juridiques, dans le domaine du nucléaire.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - D'après nos informations, l'État a évoqué dans les négociations la question des CFD ; or vous avancez que tel n'a pas du tout été le cas et que ce n'est pas EDF qui a refusé.
M. Marc Benayoun. - Dans les négociations auxquelles j'ai participé, ce point n'était pas un objet de la discussion. Les questions étaient : quelle est la bonne façon de vendre de l'électricité ? Si l'on est sur une logique de marché qui ne sera pas contestée par l'Union européenne, quels garde-fous faut-il mettre en place pour que le système permette à EDF de capter des revenus suffisants et d'assurer de la compétitivité à notre pays ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Si l'on veut préserver le nucléaire historique, il faut réaliser d'importants investissements, ce qui nécessite de trouver un financement pour EDF.
Je suis surpris que l'accord soit a priori fondé sur la seule hypothèse que le prix de marché sera au-dessus de 70 euros et non en dessous. Les deux hypothèses n'auraient-elles pas dû être anticipées ? Le CFD aurait permis d'anticiper ces deux hypothèses.
M. Marc Benayoun. - Oui, mais cela aurait rigidifié le marché, en imposant de définir un prix. Or je vous rappelle les difficultés immenses de la France à définir le niveau de l'Arenh, qui n'a jamais été revu. Cela s'est terminé par une véritable catastrophe pour EDF, le tarif fixe de 42 euros n'ayant jamais couvert les coûts du nucléaire.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Si !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La Cour des comptes a montré que, depuis la mise en place de l'Arenh et sur toute la durée du dispositif, EDF a dégagé 1,5 milliard d'euros. Ce n'est ni vous ni moi, mais la Cour des comptes qui le dit !
On peut discuter de son absence de revalorisation, mais il ne faut pas dire que c'était une catastrophe ; la catastrophe, c'est la fermeture d'un certain nombre de centrales, qui est arrivée malheureusement au moment où le prix de l'électricité s'est envolé. Voilà ce qui a entraîné des pertes extraordinaires pour EDF.
M. Marc Benayoun. - Il se trouve que j'ai participé à la négociation du tarif de l'Arenh ; il a été fixé à 42 euros dans la continuité du niveau du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché (Tartam). Ce tarif a permis de réaliser des profits par rapport au coût comptable du nucléaire, mais il ne permet pas de maintenir l'outil dans la durée.
Le coût du nucléaire, comme l'a calculé la CRE, même si on peut discuter de certains termes - le coût du capital, etc. -, doit permettre d'assurer la continuité. C'est autre chose si vous estimez que le parc nucléaire doit s'arrêter et ne plus jamais fonctionner. En tout cas, le tarif de 42 euros - je puis vous l'assurer - ne garantit pas l'avenir de la filière électronucléaire française.
M. Franck Montaugé, président. - Il avait été prévu de le revoir à la hausse.
M. Marc Benayoun. - Cela aurait été normal.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Absolument.
M. Franck Montaugé, président. - Au-delà des problèmes techniques, je pense que cela a constitué un facteur d'affaiblissement considérable d'EDF. Nous subissons encore les conséquences de ces décisions et elles sont encore plus prégnantes du fait de la montagne des investissements à réaliser.
M. Marc Benayoun. - De surcroît, nous n'avons même pas touché 42 euros pour la production nucléaire, parce que les années où les prix de gros étaient inférieurs à ce montant, les fournisseurs alternatifs n'achetaient pas à 42 euros ; certaines années, nous avons vendu le nucléaire au tarif de 36 euros.
Fixer un prix du nucléaire est un exercice difficile, qui conduit toujours à des contentieux et qui ne se termine pas toujours bien pour le fournisseur détenteur de l'actif - je l'ai vécu au cours de ces quinze dernières années...
M. Franck Montaugé, président. - L'accord sur le nucléaire historique permet-il de se rapprocher de l'objectif d'un prix de l'électricité au coût moyen pondéré du mix énergétique français ?
M. Marc Benayoun. - Je crois que oui. De nombreuses simulations ont été réalisées avec des hypothèses variées en termes de prix. Nous savons que, dans les quinze prochaines années, il y aura des moments de tensions. Le système de seuils a été fait pour qu'EDF capte un revenu, de l'ordre de 70 euros en 2022, qui est celui dont nous avons besoin.
Lors de la signature de l'accord du 14 novembre 2023, certains clients ou fournisseurs alternatifs ont dit : « EDF va se goinfrer, les prix sont à 85 euros ; on n'atteindra jamais 70 euros ! » Aujourd'hui, les gens se demandent comment EDF va faire, car les prix ne sont pas à 70 euros. Les prix fluctuent ! Il est important d'avoir un système qui, en espérance et dans un grand nombre de scénarios, donne des recettes répondant aux besoins d'EDF pour assurer la continuité de l'exploitation.
M. Franck Montaugé, président. - Est-il possible d'avoir accès aux simulations que vous avez évoquées ?
M. Marc Benayoun. - Je vais vérifier et je vous répondrai par écrit sur ce sujet.
M. Franck Montaugé, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 17 h 55.
Jeudi 4 avril 2024
- Présidence de M. Franck Montaugé, président -
La réunion est ouverte à 15 h 30.
Prix de l'électricité pour les « petits consommateurs » - Audition de M. Antoine Autier, responsable des études et du lobby, Mme Lucile Buisson, chargée de mission énergie, transports et environnement de l'UFC-Que Choisir et M. François Carlier, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV)
M. Franck Montaugé, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. François Carlier, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV), de M. Antoine Autier, responsable des études et du lobby de l'UFC-Que Choisir et de Mme Lucile Buisson, chargée de mission énergie, transports et environnement au sein de la même organisation.
La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) répondra à nos questions sous forme écrite, sa représentante et vice-présidente, Mme Bénédicte Caron, n'ayant pas pu se joindre à nous aujourd'hui.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M François Carlier, Mme Lucile Buisson et M. Antoine Autier prêtent serment.
M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050. Nous centrons nos travaux sur le présent et l'avenir du système électrique : est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir aux particuliers et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?
Le coeur de notre audition va porter sur les enjeux et impacts du prix de l'électricité sur les ménages et sur les PME. Comment analysez-vous les enjeux et les impacts potentiels de la régulation du nucléaire post-accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) pour les consommateurs finaux, entreprises ou ménages ?
Comment voyez-vous l'avenir des tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE), qui, en réalité, ont été très peu protecteurs des consommateurs ?
Quel est votre point de vue sur la fiscalité de l'électricité ?
De très lourds investissements sont annoncés sur les réseaux : comment envisagez-vous, dans ce cadre, l'évolution du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) ?
Enfin, comment permettre aux consommateurs de mieux gérer leurs données et leurs profils de consommation à des fins d'optimisation de celle-ci ? Êtes-vous favorable, par exemple, à ce que l'on passe d'un dispositif dans lequel la communication des données de consommation au fournisseur d'électricité n'est possible que si le consommateur l'a explicitement demandé - opt-in - à un système d'opt-out, dans lequel cette communication est automatique, sauf si le client s'y oppose explicitement ?
Nous vous proposons d'organiser cette audition en plusieurs temps : après une présentation liminaire de dix minutes par organisation s'ensuivra un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Au coeur des enjeux de transition écologique et énergétique, l'électricité est un sujet de préoccupation pour les consommateurs du fait de la hausse et de la volatilité des prix, cette dernière ne leur permettant guère d'anticiper et leur posant parfois des problèmes de paiement.
Dans le même temps, des évolutions telles que l'arrivée des compteurs Linky et l'apport d'informations plus fournies sur la consommation sont intervenues, tandis que les impératifs de sobriété et d'efficacité énergétique ont émergé. En outre, les modes de consommation ont évolué, avec, par exemple, des ajustements de la programmation des équipements consommateurs d'énergie.
Nous souhaitons entendre votre point de vue, afin de nous projeter vers l'avenir et de nous permettre d'améliorer l'ensemble du système, en conjuguant un prix le plus bas possible à une facturation incitant aux économies d'énergie.
M. François Carlier, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers. - La CLCV, association de défense des consommateurs, consacre une part prépondérante de son activité à la pratique contentieuse, c'est-à-dire à la police du marché de détail. Nous avons engagé 16 ou 17 actions en justice dans le secteur de l'énergie depuis 2018.
Mon propos comprendra trois points. Premièrement, le marché de détail a été ouvert en 2007 : si nous avions été très favorables à d'autres ouvertures, en matière de téléphonie ou de transport aérien par exemple, celle-ci était totalement futile dans la mesure où il n'existait aucune rupture technologique permettant d'apporter une quelconque innovation.
De futile, cette ouverture de marché est devenue toxique. En effet, dès lors que l'objectif d'une ouverture consiste à faire entrer le plus grand nombre possible de fournisseurs, alors qu'ils n'apportent pas de valeur ajoutée et ne se différencient pas entre eux, une compétition féroce s'engage. Il en résulte, sur un pan du marché, et bien au-delà de quelques brebis galeuses, des pratiques commerciales déloyales : quand les prix sont bas, celles-ci se traduisent par du démarchage agressif et de la vente forcée, ce qui a amené à une condamnation définitive du groupe ENI sur ces fondements ; en cas de crise de l'énergie, ces pratiques débouchent sur des ruptures contractuelles abusives, les consommateurs ayant été incroyablement maltraités.
Ce constat permet de rappeler que le tarif réglementé de vente (TRV) présente, quoi qu'il arrive, un intérêt, à savoir la sécurité contractuelle. Si près de deux tiers des Français n'avaient pas dépendu du TRV et si nous n'avions pas disposé de services contentieux aussi développés que les nôtres, nous serions allés à la catastrophe.
Dans la mesure où nous avons désormais dépassé le premier pan de la loi de 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (Nome), qui visait à construire le dispositif, j'estime que nous devons abandonner cette idée d'un marché de détail ouvert à tous les vents et introduire des mesures de régulation prudentielle relatives à la couverture et aux autorisations de fourniture. Les dispositions relatives au droit de la consommation présentes dans le projet de loi à venir ne sont d'ailleurs pas du tout satisfaisantes et ne devraient, selon nous, pas être adoptées. En tout état de cause, il faut en finir avec la politique consistant à vouloir à tout prix bâtir un système permettant d'accueillir une cinquantaine de fournisseurs.
Cette observation me permet d'en venir au TRV, fort maltraité car basé sur le principe de la contestabilité : il faut que les fournisseurs soient moins chers et qu'ils puissent continuer à faire de la publicité pour attirer les clients en mettant en avant des tarifs attractifs. Le TRV est construit de cette manière, ce que je juge absurde, voire un peu obscène.
Des augmentations très fortes du TRV ont été décidées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) lors de la crise énergétique. Si le lien avec le marché de gros est indéniable, la CRE a par ailleurs, créé un nombre incroyable de règles pour permettre aux fournisseurs de rester viables. Ainsi, la période d'écrêtement du 1er au 15 décembre devait déterminer le prix du complément Arenh pour le TRV 2022, c'est-à-dire à un moment où les prix ont flambé. Il a alors été suggéré à la CRE de retenir une autre plage pour éviter une hausse trop forte du TRV, mais celle-ci a refusé, au motif que les fournisseurs alternatifs devaient pouvoir se couvrir sur cette période. Cette décision a expliqué en grande partie la hausse du TRV en 2022.
En 2023, ensuite, 160 térawattheures d'électricité au prix Arenh ont été sollicités et accordés par la CRE, alors qu'il s'agissait d'une demande tout à fait exagérée, qui est venue considérablement alourdir le TRV en augmentant le complément Arenh. Certes, le bouclier tarifaire a beaucoup protégé les Français, mais à un coût très élevé pour les finances publiques ; j'ajoute qu'il a servi à dissimuler la forte dégradation du fonctionnement du mécanisme du TRV.
Pour ce qui est de l'avenir, nous estimons que le TRV devra refléter le coût complet optimisé d'EDF et rien d'autre. Il faut, en effet, éviter un prix inférieur, qui serait une sorte de prix « prédateur », et sortir de la vision extrême - voire messianique - de la contestabilité qui a été développée par les institutions de l'énergie, à Bruxelles comme en France. Une fois encore, il n'est pas envisageable de continuer à calibrer le TRV pour garantir la viabilité des fournisseurs alternatifs. Ce changement doit intervenir en 2026, avec un TRV qui devra correspondre au coût optimisé d'EDF.
J'en viens justement, en conclusion, à quelques remarques sur le prix du nucléaire. Premièrement, la crise de l'énergie s'explique en partie par les problèmes de corrosion et la baisse de production d'EDF. Deuxièmement, cette diminution de la production est antérieure à la crise liée aux corrosions, puisque la disponibilité du parc a diminué dès 2016-2017. Troisièmement, certaines méthodes de gestion d'EDF posent question, à commencer par la modulation de la production au jour le jour, en fonction des prix et des arrêts. Il a été avancé qu'il s'agissait d'une méthode adéquate pour optimiser les prix, mais s'agit-il de les optimiser pour EDF ou pour le consommateur ? La question est posée.
En ce qui concerne un futur dispositif de régulation post-Arenh, mes collègues et moi avons souhaité indiquer au Gouvernement qu'il faudrait éviter une négociation de marchands de tapis autour du prix, pour privilégier une discussion d'ensemble sur la gestion du nucléaire, qui porterait, entre autres, sur les méthodes que je viens d'évoquer. In fine, le Gouvernement et EDF ont conclu un accord de leur côté, avec un prix du térawattheure qui devrait avoisiner 70 euros.
Aux États-Unis, le nucléaire amorti sort à un prix de 30 dollars et il en va de même en Finlande. Si je peux entendre que des dépenses de sécurité justifient une partie de l'écart avec le prix français, je vous invite à interroger, à ce sujet, le directeur exécutif d'EDF, Cédric Lewandowski, lorsque vous l'auditionnerez. Selon moi, une bonne partie de la réponse réside dans l'excellente disponibilité du parc de ces pays, alors qu'EDF, confrontée à des aléas dans ce domaine, avance que le coût de production est plus élevé et doit être répercuté sur le consommateur.
Les sénateurs et sénatrices, souvent décisionnaires dans les collectivités locales, savent qu'un exploitant dans le secteur de l'eau ou de la gestion des déchets qui n'atteint pas les performances attendues ne peut pas décider unilatéralement une augmentation du prix - une discussion s'engage avec la collectivité concernée. Il me semble donc que la méthode employée par Bruno Le Maire, consistant à plafonner le prix à un niveau très élevé en raison des difficultés d'EDF, n'est pas correcte : il faudrait entamer une discussion de fond sur la gestion et le prix de l'énergie nucléaire, en observant ce qui se passe à l'étranger et en tenant compte des difficultés qu'ont créées la loi Nome et l'Arenh pour l'opérateur historique.
M. Antoine Autier, responsable des études et du lobby de l'UFC-Que Choisir. - Je remercie les membres de la commission d'enquête de recevoir les représentants de l'UFC-Que Choisir et, plus largement, les représentants des consommateurs, ce choix n'étant pas systématique.
L'UFC-Que Choisir suit les problématiques liées au prix de l'électricité de manière relativement récente. À l'époque de la libéralisation intervenue en 2007, il s'agissait en quelque sorte d'un non-sujet et nous conseillions simplement aux consommateurs de rester au TRV. En effet, jusqu'à la loi Nome, il n'existait pas de problématique liée à la réversibilité, raison pour laquelle nous les incitions à ne pas prendre de risques en allant vers des offres de marché. Jusqu'à la fin de l'année 2014, la loi Nome n'a pas apporté pas de réels changements pour les consommateurs, puisque le TRV représentait 94 % des parts de marché à cette date.
En 2015, deux changements majeurs sont intervenus, à commencer par la modification de la méthode de calcul du TRV : avec le passage à la méthode dite « de l'empilement des coûts », le TRV est devenu un prix plafond du marché, ouvrant ainsi un espace économique à la concurrence. Dans le même temps, une très forte baisse du prix de l'électricité s'est produite sur les marchés de gros, ce qui a permis aux fournisseurs alternatifs de s'y approvisionner et de proposer des tarifs bien plus intéressants, avec les problèmes d'asymétrie que le dispositif a engendrés pour EDF, contraint de leur fournir de l'énergie sans être pour autant protégé en période de prix bas. En 2016, par exemple, aucune demande d'Arenh n'a été formulée, contraignant l'entreprise à brader son énergie sur les marchés.
Nous avons donc assisté, à partir de 2015, à une hausse des parts de marché des fournisseurs alternatifs et, à partir de 2016, à une très forte progression des demandes d'Arenh quand les prix ont commencé à augmenter sur les marchés. Pressentant que le plafond de l'Arenh allait être atteint, nous avons alors plaidé en faveur d'une évolution de ce dernier, craignant que son maintien ne génère une forte augmentation des factures payées par les consommateurs, en particulier ceux qui dépendaient du TRV. Je précise que cette demande visait non pas à faire plaisir aux fournisseurs alternatifs, mais bien à protéger les consommateurs.
Cette possibilité de rehausser le plafond a été obtenue via la loi relative à l'énergie et au climat de 2019. Ledit plafond n'a pas été modifié jusqu'en 2022 et les prix ont commencé à augmenter fortement en 2019, en 2020 et en 2021. Sur une plus longue période, les factures des consommateurs ont augmenté de 50 % en moyenne entre 2010 et 2020 ; si l'on considère les dix dernières années, cette hausse s'élève à 80 %, plus de la moitié de cette augmentation étant survenue durant les trois dernières années.
En 2022-2023, le bouclier tarifaire, même s'il représentait un enjeu pour les pouvoirs publics en termes de financement, a éclipsé ce sujet du plafond de l'Arenh pour les consommateurs. Nous n'avons alors guère été sensibles au discours du ministre de l'économie selon lequel nos concitoyens pouvaient s'estimer heureux d'être mieux protégés que dans les autres pays grâce à l'action du Gouvernement, considérant plutôt que la correction d'un dysfonctionnement de la régulation du marché était la moindre des choses.
En temps normal - c'est-à-dire hors écrêtement de l'Arenh -, la partie « approvisionnement » de la facture des consommateurs relevant du TRV est couverte à hauteur de 68 % par l'Arenh. Cette année, cette proportion tombe à 45 %, la majeure partie des coûts d'approvisionnement dépendant des variations de prix sur les marchés internationaux, ce qui nous interroge. Dans un pays où 90 % de la consommation d'électricité est assurée par des moyens domestiques, comment les prix sur les marchés internationaux peuvent-ils dicter plus de la moitié du coût d'approvisionnement, alors qu'ils fluctuent eux-mêmes essentiellement en fonction du prix du gaz ?
Il nous semble qu'il existe là un défaut majeur dans la construction du prix, qui résulte strictement du dispositif de régulation français : les consommateurs de l'Hexagone sont devenus captifs des prix sur les marchés internationaux.
Un rapport de la Cour des comptes datant de 2022 avait, pour sa part, tiré le bilan des conséquences de l'Arenh pour EDF, en montrant que le dispositif avait été à peu près neutre sur la période considérée. Tel n'a pas été le cas en 2022, la hausse tardive du plafond de l'Arenh ayant pénalisé l'énergéticien. En 2023, en revanche, l'écrêtement s'est avéré très bénéfique pour EDF, qui a alors dégagé des résultats très importants. Ce phénomène s'explique par le fait que l'opérateur a fourni moins d'électricité au tarif Arenh que par le passé.
Partant du constat que la régulation joue un rôle central, nous avons souhaité penser l'après-loi Nome, avec pour objectif de permettre aux consommateurs de payer un prix représentatif des coûts de production de l'électricité en France. À cette fin, nous avons plaidé en faveur d'une reprise de la méthode qui avait été adoptée dans le cadre de la loi Nome, laquelle a fait au rapport de la commission Champsaur. Composée de deux députés, de deux sénateurs et de quatre personnalités qualifiées, celle-ci avait auditionné les différentes parties prenantes - dont la CLCV et l'UFC-Que Choisir pour les consommateurs - et formulé des propositions très largement reprises dans le cadre de la loi. Cependant, le Gouvernement n'a pas donné suite à notre proposition de créer une commission de ce type et s'est borné à présenter les résultats de sa négociation avec EDF, sans consulter qui que ce soit et peut-être même pas les parlementaires, ce qui est problématique.
Le projet proposé par le Gouvernement amène trois critiques de notre part, en lien avec les constats dressés précédemment. La première limite a trait au fait que la régulation ne concerne que le nucléaire, alors qu'elle pourrait être étendue à l'hydroélectricité : une telle mesure permettrait de garantir au consommateur que sa facture dépend pour 80 % des coûts de production en France, tout en offrant une perspective de stabilité des prix pour les prochaines années.
Deuxième point problématique : les seuils de captation et les taux de redistribution.
On nous dit qu'un premier seuil de captation correspondrait au coût complet ainsi qu'à une partie de l'investissement. Une fois ce seuil atteint, le surplus serait redistribué à hauteur de 50 % aux consommateurs. Pourquoi 50 %, plutôt que 40 % ou 80 % ? On ne le sait pas trop. Une fois que les prix ont atteint 110 euros le mégawattheure sur le marché, c'est 90 % du surplus que l'on reversera aux consommateurs. Pourquoi 110 euros et non pas 120 euros ? Pourquoi 90 %, et non 80 % ou 95% ? On ne sait pas. Soit le calcul a été fait au doigt mouillé, ce qui serait problématique, soit il a été fait sur une base objective et nous aimerions alors connaître les éléments qui ont permis de retenir ce chiffre dans le projet de loi rendu public.
Sur le premier seuil de captation, on dit aux consommateurs que la redistribution se fera une fois qu'auront été pris en compte les investissements consentis par EDF. C'est tout à fait logique : on comprend bien qu'il faille déployer de nouveaux moyens de production. En revanche, puisque ce sont bien les consommateurs qui paient ces investissements, la captation commençant une fois la « brique investissements » dépassée, il faut quand même imposer à EDF des obligations en matière de délais et de coûts ! Or le projet de loi ne contient aucune disposition en ce sens.
Si les consommateurs financent une nouvelle centrale, il est tout à fait normal qu'ils puissent bénéficier de la rente qui y est liée, via leur facture d'électricité. Or, aux termes du projet de loi, la régulation du nucléaire ne concernerait que le nucléaire historique, à tout le moins les centrales dont les autorisations d'exploitation auraient été délivrées avant le 31 décembre 2025. Par conséquent, pour les centrales pour lesquelles les autorisations auraient été livrées après le 31 décembre 2025, les consommateurs paieraient en quelque sorte les investissements, sans bénéficier d'aucune régulation de prix sur leur facture, ce qui est tout de même problématique.
Pour conclure, nous estimons que, sur cette question très importante, il faut laisser du temps au temps. On ne peut pas bâcler un tel projet de loi. Certes, la date du 31 décembre 2025 approche, mais pourquoi ne pas prolonger le dispositif actuel, en l'améliorant, en laissant le temps à l'ensemble des parties prenantes de discuter d'un véritable cadre qui soit protecteur aussi bien d'EDF que des consommateurs ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - M. Autier vient de nous dire qu'il faudrait prolonger le système actuel, dont on sait qu'il n'est pas très satisfaisant, dans la mesure où il est basé à hauteur de 45 % sur le nucléaire historique, alors même que celui-ci représente 70 % de la production totale. Aussi, que faut-il comprendre ? Il faudrait apporter des précisions.
Monsieur Carlier, quel serait, selon vous, le bon mode de calcul du TRVE ? Faut-il prolonger l'existant ?
M. François Carlier. - Il doit être modifié.
Le texte communautaire dispose que le tarif réglementé est contestable. Cela veut dire que les cinquante fournisseurs alternatifs doivent pouvoir être moins chers. De fait, il faudra probablement que l'Europe revoie à un moment cette règle de la contestabilité.
Que la règle actuelle s'applique durant les quinze ou dix-sept premières années du marché, c'est un classique d'une politique de la concurrence quand un marché se construit : on met le pied à l'étrier de ceux qui y entrent - les fournisseurs alternatifs dans le cas présent. Mais cette période de l'adolescence est révolue. C'est bien pour cette raison que la loi Nome a prévu que le système prendrait fin en 2026. Tout l'esprit de la commission Champsaur était de dire qu'il fallait mettre le pied à l'étrier des fournisseurs alternatifs le temps qu'ils produisent ou, plus encore, qu'ils fassent de l'innovation-service. Or ils ne l'ont pas fait, se contentant de vivre sur le système Arenh. La période de l'adolescence prenant fin en 2026, la contestabilité ne peut plus s'appliquer comme elle le faisait jusqu'à présent, de manière aussi absolue. Dès lors, tous les arguments que font valoir les fournisseurs alternatifs auprès de la CRE pour que le TRVE augmente ne sont plus recevables a priori. Par exemple, ils vont prétendre que, en tant que nouveaux fournisseurs, capter des clients leur coûte plus cher qu'à EDF, ou bien que, du fait de leur taille plus réduite, la couverture du marché leur demande plus de moyens. Voilà ce sur quoi repose le mécanisme de la contestabilité. La CRE, soyons clairs, est ravie d'accéder à cette demande, son objectif étant d'encourager à l'ouverture du marché.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Dans votre esprit, comment les fournisseurs alternatifs achètent-ils leur électricité et à quel prix ?
M. François Carlier. - C'est là que se pose la question de l'écrêtement. À un moment, il n'existe plus de raison de leur mettre le pied à l'étrier. Ces fournisseurs doivent alors avoir accès au marché de gros, éventuellement passer des contrats de long terme avec EDF. Certains acteurs s'y mettent, comme TotalEnergies. Si ces conditions d'accès au marché leur sont moins favorables que pour EDF ou qu'un autre grand acteur, ils ne peuvent pas en tirer argument pour demander une augmentation du TRVE.
Probablement faut-il réviser le texte européen ou, en tout cas, s'entendre avec nos partenaires européens. Mais, à Bruxelles, l'idée fait son chemin que les règles applicables au moment de la création d'un marché n'ont pas vocation à durer trente, cinquante ou quatre-vingt-dix ans. Logiquement, le TRVE correspond au coût complet optimisé - je ne demande pas un mégawattheure à 90 euros - d'EDF.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quid de 70 euros ? On peut penser que l'accord se fera sur ce prix. Ce serait nettement moins qu'aujourd'hui.
M. François Carlier. - Il est de 30 dollars aux États-Unis !
Dès lors que les fournisseurs alternatifs ont accès au marché de gros, à des contrats de long terme, le fait qu'ils soient plus chers ne doit pas être une raison pour augmenter le TRVE, au nom de la contestabilité.
M. Antoine Autier. - Je ne dis pas que tout va bien et qu'il faut pérenniser le système actuel. Le problème, c'est le calendrier : le 31 décembre 2025, c'est bientôt, et il ne faudrait pas que le Gouvernement prenne prétexte de cette urgence pour mettre en place des mesures de régulation post-Arenh sans qu'une discussion posée soit possible pour aller vers davantage de protection des intérêts des consommateurs.
Prenons le temps, quitte à retarder l'extinction des dispositifs issus de la loi Nome. Cependant, nous ne prétendons pas qu'il faille maintenir le schéma actuel : dès lors qu'il est avéré que l'écrêtement de l'Arenh rapporte à EDF et coûte aux consommateurs, l'idée est de réintroduire la possibilité de rehausser son plafond, de manière à faire baisser les factures. Cette baisse ne serait pas indue, sauf à vouloir privilégier l'intérêt du producteur, en préférant que ce soit EDF qui valorise l'Arenh sur les marchés, au détriment des consommateurs. Telle n'est pas notre option. Bien entendu, EDF ne doit pas perdre d'argent, mais il faut que les consommateurs puissent bénéficier des outils industriels dans lesquels ils ont investi.
Si c'est la condition sine qua non pour permettre un véritable débat sur l'élaboration d'un cadre beaucoup plus protecteur que celui qui a été présenté, nous y sommes tout à fait favorables.
M. François Carlier. - S'il s'agit d'accorder un droit à l'électricité nucléaire à tous les consommateurs - nous ne le revendiquons pas, contrairement à l'UFC -, alors il ne faut pas répéter l'erreur de la loi Nome : ce droit ne doit pas transiter par le fournisseur, pour éviter toute manipulation. Sans compter que la CRE ne s'en sortira pas ! En effet, on a tous en tête les manipulations spéculatives autour de l'Arenh : les fournisseurs demandent un maximum d'Arenh, puis certains font - on l'a vu en 2022 - ce qu'on appelle de l'» arbitrage saisonnier », avec, derrière, des pratiques commerciales très trompeuses. Nous sommes d'ailleurs en train de préparer des plaintes au pénal et au civil.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je comprends un peu mieux vos propositions. La France s'est battue à Bruxelles pour obtenir la possibilité d'avoir des contrats pour différence. Que pensez-vous d'un contrat pour différence sur le nucléaire existant, qui remplacerait l'Arenh ?
Monsieur Carlier, vous avez parlé de la disponibilité du parc nucléaire, élément très important, nous invitant à interroger M. Lewandowski à ce sujet. C'est ce que nous ferons, tout comme nous l'interrogerons sur le prix du mégawattheure aux États-Unis - 30 dollars - et en Finlande. Pensez-vous que la disponibilité du parc nucléaire, qui est effectivement un problème depuis 2016, soit liée, au-delà de la corrosion sous contrainte, à des défaillances de gestion de la part d'EDF ?
Mme Lucile Buisson, chargée de mission énergie, transports et environnement de l'UFC-Que Choisir. - Je vais répondre sur le complément de rémunération. En réalité, le projet de loi Souveraineté énergétique prévoit, en quelque sorte, ce complément. C'est bien là tout le problème.
M. Franck Montaugé, président. - Ce texte, les parlementaires ne l'ont pas encore vu !
Mme Lucile Buisson. - En effet, il a juste fait l'objet d'une présentation devant le Conseil national de la transition écologique (CNTE), mais n'a pas été soumis au Parlement.
La proposition qui est faite est celle d'un complément de rémunération destiné à compenser le producteur lorsqu'il n'arrive pas à vendre à un prix suffisant sur le marché, et d'une taxation au-delà d'un certain plafond, pour rendre au consommateur le surplus que ledit producteur a obtenu sur le marché. Il s'agit là d'un entre-deux difficilement compréhensible.
D'une part, différents plafonds sont proposés - ils ne figurent pas dans le texte, mais ont été évoqués dans une consultation publique parallèle -, à savoir 78 euros et 110 euros le mégawattheure. Au-dessus de ces seuils, l'État prélèverait respectivement 50 % et 90 %.
Ces plafonds sont particulièrement hauts au vu des coûts que doit supporter le parc nucléaire français.
M. Franck Montaugé, président. - C'est un peu de la science-fiction, car vous parlez de quelque chose dont nous n'avons pas eu connaissance...
Mme Lucile Buisson. - Il nous a été répondu que ces plafonds ont été fixés - de manière assez opaque - très haut, de manière à inclure la prime de risque d'EDF lorsque les prix de marché seront très bas. C'est également ce qui explique le caractère aussi tardif du « prélèvement ». Le but est d'offrir à EDF une certaine largesse financière, notamment pour financer de nouvelles centrales.
D'autre part, et en parallèle, le projet de loi prévoyait la possibilité d'un complément de rémunération par le bas, au cas où EDF ne vendrait pas suffisamment cher son électricité sur les marchés et n'atteindrait pas son seuil de rentabilité.
Ce système est particulièrement inadéquat. Il vaudrait mieux un vrai complément de rémunération, comme la réforme du marché d'électricité en ouvre la possibilité, pour compenser un bas tarif de marché, avec un plafond beaucoup plus bas pour les consommateurs, lequel pourrait s'établir autour de 60 euros le mégawattheure, dans une logique redistributive. Au-delà de ces 60 euros, la rente ferait l'objet d'un prélèvement au profit des consommateurs, EDF percevant une compensation dans le cas où les prix de marché seraient trop bas.
Pour résumer, mieux vaut un complément de rémunération avec un plafond qui soit conforme aux coûts de production d'EDF et une compensation en cas de prix bas sur le marché plutôt que le système qui a été proposé dans ce projet de loi, un entre-deux très peu favorable aux consommateurs.
M. François Carlier. - La CLCV ne dispose pas d'une expertise technique telle qu'elle puisse se prononcer sur la question de la disponibilité du parc nucléaire. Mais, que l'on y soit favorable ou non, force est de constater que sa mise en place dans les années 1970 et 1980 a été un immense succès industriel et une fierté française.
Dans les années 2000, quand est apparu le marché de gros, EDF s'est demandé comment articuler son parc nucléaire avec celui-ci. Plutôt que de faire le choix, simple, de produire au maximum à peu près tout le temps - sauf l'été, quand les besoins sont moindres -, EDF a choisi de produire peu ou prou en fonction des prix.
De fait, les arrêts ou modulations de production obéissent parfois à des impératifs techniques, mais ils sont également décidés en fonction des anticipations de prix dans l'année.
C'est ce que l'on appelle une gestion en valeur d'usage ; elle est pratiquée classiquement dans l'hydroélectricité, par exemple. Dans le nucléaire, EDF est le seul exploitant au monde à pratiquer cette optimisation en fonction des signaux tarifaires. À qui profite-t-elle ? À EDF ? Au consommateur ?
Par ailleurs, sur le plan technique, ce principe de modulation par stop and go ne contribue-t-il pas à fatiguer l'outil ? Même si la question commence à être soulevée, j'y répondrai de manière très prudente, pour m'épargner la réception de courriers recommandés la semaine prochaine...
Nous faisons partie des associations qui ont mis les pieds dans le plat à ce sujet, sans que nous soyons les plus compétents sur le plan technique. Ce faisant, nous avons constaté qu'il n'existait quasiment aucune littérature publique sur cette question. Autrement dit, l'opérateur, dont on peut être très fier au regard de ses succès industriels, a fait le choix d'une modalité de gestion qui n'a jamais été évaluée ou auditée. La CRE, avec qui nous en avons discuté voilà dix-huit mois, nous a indiqué s'être penchée sur cette question de la modulation en 2008-2009 et avoir l'intention de s'y intéresser de nouveau.
Pour notre part, nous avons alerté sur ce point, en disant qu'il fallait un débat non seulement sur les prix, mais aussi sur la gestion de l'outil nucléaire, ce que vous faites peu ou prou.
M. Daniel Salmon. - Je vous remercie de ces exposés, mais je suis quand même assez surpris que vous n'abordiez le sujet qu'à travers la focale du prix. En général, on parle du consommateur-acteur, et là, il n'est question ni du citoyen ni du contribuable.
Vous laissez entendre que l'on ne sait pas si la modulation permet à EDF de s'enrichir, que l'on ignore qui est gagnant, qui est perdant. À ce jour, les comptes d'EDF ne sont pas glorieux, avec une dette de 55 milliards d'euros et des investissements colossaux à faire.
Interrogés sur la modulation, les représentants d'EDF nous ont bien indiqué qu'elle visait à une optimisation des gains. Quand le prix du mégawattheure est très bas, il n'y a alors aucun intérêt à vendre de l'électricité ! Et, étant donné que le réacteur d'une centrale fonctionne avec un combustible, à un moment, il faut procéder à son rechargement... D'après ce que j'ai compris, c'est la raison pour laquelle EDF a fait le choix, pour optimiser l'utilisation de son combustible, de ne pas faire tourner le réacteur lorsque le prix du mégawattheure sur le marché est peu élevé.
Par ailleurs, EDF parle non pas d'« arrêt », mais de « modulation » de la puissance de ses réacteurs et conteste toute idée de fatigue.
Le sujet doit être creusé, mais cette approche n'est pas la vôtre.
Par quels moyens le citoyen-consommateur peut-il s'approprier sa consommation d'énergie et aller vers davantage de sobriété et d'efficacité énergétique, lesquelles sont nécessaires étant entendu qu'il n'existe aucune énergie vraiment propre ?
M. François Carlier. - Qu'une entreprise en situation de monopole dans la production d'électricité nucléaire optimise ses gains est un sujet. Je n'en dis pas plus.
Le bouclier tarifaire a permis de protéger le consommateur, mais il a coûté très cher à l'État. Franchement, nous n'étions pas très fiers... Pourtant, en tant qu'association de consommateurs, nous aurions pu tenir un discours de tribune consistant à réclamer un tel bouclier, sans nous soucier des contribuables. Ce qui est totalement anormal, c'est que le TRVE ait pesé à ce point sur les finances publiques.
La consommation et la sobriété énergétique ne sont pas forcément le sujet de la commission d'enquête, ce qui explique que je n'en ai pas parlé. Pour autant, je considère que l'appel à la sobriété lancé en 2022 par le Gouvernement a été une réussite. On a ainsi assisté à un nouveau mouvement vers la sobriété énergétique, après celui des années 1970, ce qui est un vrai motif de satisfaction. On le mesure non seulement dans les chiffres, mais également quand on interroge les gens. D'ailleurs, le Gouvernement aurait pu davantage s'en prévaloir. C'est pour cette raison, soit dit en passant, que les prix ont baissé. Partant, cela pose la question du calibrage de l'outil de production.
On a futilement passé vingt ans à « se prendre la tête » sur l'ouverture du marché de détail, ce qui a contribué à déstabiliser EDF, sans nous poser des questions finalement plus importantes. Plutôt que s'interroger sur l'ouverture du marché de détail - même si cela donne l'occasion à notre association de mener des actions en justice -, il aurait mieux valu s'intéresser à la sobriété énergétique, mais également à la gestion de l'outil nucléaire. Au final, cette ouverture du marché de détail nous a détourné de ce qui était fondamental.
M. Antoine Autier. - Nous sommes entrés dans le sujet par le prisme du prix, qui correspond, selon nous, au cadrage général de la commission d'enquête, car c'est un véritable sujet pour les consommateurs.
Aujourd'hui, la facture d'un ménage s'élève, en moyenne, à 2 240 euros par an, soit 1 000 euros de plus qu'il y a dix ans. Certains consommateurs paient plus de 300 euros d'électricité par mois, notamment ceux qui habitent de grands logements - souvent des passoires thermiques - chauffés à l'électricité. La question du prix est une préoccupation majeure des consommateurs.
Nous travaillons également sur la sobriété et l'efficacité énergétique. Il faut appeler le consommateur à la sobriété ; or, très souvent, celle-ci est contrainte, c'est-à-dire qu'elle est imposée par le signal prix. Il s'agit donc d'un renoncement. La diminution de la consommation est liée au fait que les prix sont tellement élevés que les gens sont contraints de renoncer à se chauffer en hiver. Chacun peut le constater sur le terrain et c'est un véritable problème.
Au sein de notre association, nous travaillons beaucoup sur la question de l'efficacité énergétique. Beaucoup de personnes habitant des passoires thermiques subissent la situation ; locataires, elles n'ont pas les moyens de rénover leur logement. C'est un point d'intérêt et un enjeu d'action dans nos dialogues avec les pouvoirs publics.
Nous défendons non pas le prix bas, mais le prix juste, c'est-à-dire celui qui permet au producteur de couvrir ses coûts et de réaliser une marge normale. Il ne s'agit pas de permettre à EDF de valoriser sur les marchés des volumes nucléaires produits au détriment des consommateurs pour renflouer une dette qui, d'ailleurs, ne leur est pas imputable. Selon la Cour des comptes, le système Arenh a été relativement neutre pour EDF sur l'ensemble de la période ; l'Arenh n'est donc pas la cause de la dette de 50 milliards d'euros d'EDF.
Mme Denise Saint-Pé. - Je partage les propos de M. Carlier sur l'opacité des comptes d'EDF. Les réponses que j'ai obtenues d'EDF ne m'ont pas du tout convaincue.
Personne ne conteste le rôle et le poids d'EDF, qui est un monopole.
J'espère que le Parlement se saisira du problème de l'opacité des comptes d'EDF, car, aujourd'hui, nous, parlementaires, n'avons aucune information : EDF ne parle pas, ne veut pas parler et encore moins aux parlementaires. Je destine ce constat au président et au rapporteur de notre commission d'enquête.
Après l'ouverture du marché, il a été demandé aux fournisseurs alternatifs d'investir dans des moyens de production. L'Arenh a été mis en place, les alternatifs ont eu accès à l'énergie nucléaire, mais très peu - j'attends les informations - ont investi dans les moyens de production, alors qu'ils y étaient obligés. Cela veut-il dire que personne n'a rien contrôlé ?
Le cadre juridique en vigueur nous permet-il d'avoir un droit de regard sur les investissements des alternatifs, afin qu'ils participent aussi à la production d'électricité en France ?
M. François Bonneau. - On nous a souvent dit que, en vendant l'électricité au tarif Arenh de 42 euros du mégawattheure, EDF perdait de l'argent. Or vous avez indiqué que le prix du nucléaire amorti était de 30 euros. Qu'en est-il réellement ?
Monsieur Carlier, vous nous avez invités à réfléchir sur l'optimisation de la production nucléaire d'EDF. La même question se pose sur la production issue des renouvelables : comment faire pour que le consommateur puisse profiter du meilleur prix ?
M. François Carlier. - Au moment où le prix Arenh a été fixé à 42 euros, les estimations de la CRE s'élevaient environ à 36 euros ou 39 euros le mégawattheure. Le prix a donc été fixé à 42 euros par mégawattheure, afin d'anticiper les hausses. Le prix était très bien sur la première période de la loi Nome. Ensuite, il était sensiblement trop bas. Cela étant dit, avancer qu'il faut le fixer à 62 euros ou 70 euros, c'est tout autre chose.
Madame la sénatrice, pour répondre à votre question, l'équilibre de la loi Nome peut être résumé ainsi : « on vous met le pied à l'étrier, puis vous devenez producteur. » En réalité, c'était un voeu pieux ! Cette ouverture ne tenait pas la route. En fait, on a fait semblant de dire : « vous allez devenir producteur », mais personne n'y croyait. Cela dit, il faut convenir - c'est l'argument utilisé - que le secteur hydroélectrique n'est pas tellement ouvert.
Le débat porte dorénavant davantage sur les règles de solvabilité et sur l'innovation. Les alternatifs auraient dû innover, à l'instar des opérateurs lors de la libéralisation du marché des télécommunications : à ce moment, Free a innové en proposant une offre - le triple play - à 29,90 euros et un service, la box, et aucune commission d'enquête n'a été lancée !
M. Franck Montaugé, président. - On ne leur a jamais fait payer le réseau !
M. François Carlier. - Peut-être...
M. Franck Montaugé, président. - C'est sûr ! C'est un vrai sujet.
M. François Carlier. - Il est indéniable que les opérateurs aient innové, à l'inverse des fournisseurs, qui n'innovent pas. Regardez les publicités dans le métro : le message, en clair, c'est : « Avec l'Arenh, nous vous faisons économiser jusqu'à 20 % sur votre facture d'électricité par rapport au TRV. »
Il faut mettre en place des règles prudentielles, sur lesquelles la CRE travaille. On ne peut plus entrer dans ce marché avec seulement quelques millions d'euros.
D'ailleurs, on peut résumer à grands traits les powerpoints des fournisseurs alternatifs. Première slide : « avec l'Arenh, je suis ceinture et bretelle » ; deuxième slide : « de toute façon, le TRV sera toujours plus haut » ; troisième slide : « donnez-moi 5 millions ou 8 millions d'euros et je rentre sur le marché. » On parle tout de même d'un marché de matières premières - commodities, en anglais.
Il est temps de mettre en place, comme cela a été fait à la suite de la crise financière de 2008, des obligations de solvabilité. Les trois quarts de fournisseurs alternatifs seraient évincés du marché, ce à quoi ils objecteraient : « Et la contestabilité ? Vous n'avez pas le droit ! » Or, en l'état actuel du droit, il n'est pas sûr que le Conseil d'État juge que l'argument ne soit pas valable.
On entend dire maintenant qu'ils doivent passer « à l'âge adulte ». Soit, mais cette injonction, à mon sens, concerne moins la production que les obligations de solvabilité. Pour le reste, qu'ils innovent !
M. Franck Montaugé, président. - Si j'ai bien compris, vous ne voulez pas que les tarifs régulés soient la variable d'ajustement du système.
M. François Carlier. - Exactement.
M. Franck Montaugé, président. - Je ne suis pas un zélateur du principe de la libre concurrence, tel qu'il a conduit à la libéralisation de ce marché, mais, tout de même, qu'en serait-il du respect de principe de contestabilité ? Vous l'avez dit, près de 75 % des alternatifs seraient évincés !
M. François Carlier. - La contestabilité est un principe général du droit de la concurrence. Dans n'importe quel autre marché mature, un fournisseur proposera des offres moins chères, si sa structure de coûts le lui permet.
À l'origine, nous étions défavorables à l'ouverture à la concurrence. Une fois que celle-ci était effective, je comprends que de telles mesures « transitoires », comme on les a appelées, aient été mises en place. La force de la loi Nome, issue des travaux de la commission Champsaur, était moins d'imposer une obligation de production que de mettre fin à la contestabilité en 2026, car, à cette date, l'ensemble des acteurs serait « adulte ». Après cette période, si un fournisseur est moins cher, dont acte ! Cela peut tout de même susciter des débats sur l'accès à l'hydroélectrique...
M. Antoine Autier. - La loi Nome a été un voeu pieu. Il n'y a pas eu d'obligation, alors que les fournisseurs alternatifs voulant bénéficier de la production nucléaire d'EDF auraient pu être contraints de participer à son financement.
On aurait pu conditionner l'accès à ce système à la participation au financement du développement des centrales EDF.
M. Franck Montaugé, président. - Et les PPA ?
M. Antoine Autier. - Certes, mais ils soulèvent les mêmes questions de tarification.
Selon nous, le problème fondamental de la loi Nome est lié à l'absence d'obligation pesant sur les fournisseurs alternatifs.
En 2021, dans le cadre de la nouvelle régulation, nous avons demandé la mise en place d'un système symétrique, qui fasse peser des obligations de financement sur les fournisseurs alternatifs. Cette position est liée à ce que j'ai avancé plus tôt : nous défendons non pas le prix bas, mais le prix juste. Elle n'arrange a priori pas les consommateurs.
Nous considérons qu'il était anormal que l'électricité produite par EDF ne soit pas vendue au prix Arenh sur les marchés, lorsque les prix lui étaient inférieurs. Le système doit permettre aux fournisseurs alternatifs d'accéder à des outils de production non reproductibles, en raison du monopole naturel d'EDF. Il doit également les obliger à acheter l'énergie à EDF au prix du coût complet, même lorsque les prix de marché lui sont inférieurs. S'ils ne veulent pas entrer dans le dispositif, tant pis pour eux !
Si les secteurs où EDF est en situation de monopole sont régulés et si les fournisseurs sont sur un pied d'égalité, alors il y a un espace pour la concurrence.
Si les fournisseurs alternatifs n'investissent pas, s'ils sont moins performants qu'EDF, si leur offre est moins intéressante que celle d'EDF, s'ils doivent disparaître du marché, tant pis ! Nous ne disons pas qu'il faut cinquante fournisseurs alternatifs sur le marché. Pourquoi assurer à quelque fournisseur alternatif que ce soit une viabilité sur le marché ?
Il faut un socle commun qui bénéficie directement au consommateur, et il faut laisser un espace à la concurrence. Autrement dit, EDF doit optimiser ses coûts sur la production ou sur la fourniture d'électricité qui n'est pas issue des centrales nucléaires ou hydroélectriques.
Si le tarif EDF est plus intéressant que celui des fournisseurs alternatifs, tant mieux pour EDF et tant pis pour les fournisseurs alternatifs. On ne les pleurera pas !
M. Victorin Lurel. - J'approuve vos propos, aussi bien comme législateur que comme consommateur.
L'opacité d'EDF dépend de modèles mathématiques que personne n'a expliqués.
Fini le monopole naturel, bienvenue la contestabilité ! Je rappelle que cette notion, issue des travaux de Jean Tirole, prix Nobel d'économie, a été inscrite dans la loi. Telle est la doxa : il faut une part de concurrence dans la gestion du marché.
Selon vous, quel serait le coût complet ou le coût de production augmenté d'une marge qui permettrait de couvrir les coûts d'EDF, tout en introduisant une petite dose de concurrence ? À ce calcul, il faut ajouter une marge garantissant le remboursement de la dette et le renouvellement du parc d'EDF.
Deux arguments ont été avancés. Premièrement, les investissements sont nombreux, il faut donc fixer un prix, à 42 euros hier, à 78 euros ou à 110 euros aujourd'hui. Deuxièmement, il faut investir dans le renouvelable, ce qui nécessite de faire du stop and go pour investir dans le réseau et c'est sans compter les coûts de raccordement.
Ces éléments étant posés, quel serait le coût de production complet augmenté d'une marge suffisante ?
Par ailleurs, quel est l'effet du compteur Linky sur le prix payé par le particulier ?
Ayant évoqué ma situation personnelle lors de notre réunion hier, je ne l'évoquerai pas aujourd'hui, mais tout de même ! Le service clients d'EDF m'a indiqué qu'il me fallait une puissance de 12 kilovoltampères (kVA), alors que je suis seul chez moi, d'où je suis souvent absent - je vis en Guadeloupe. À cela, j'ai répondu que 6 kVA me suffisaient, mais on m'a rétorqué que, selon les modèles d'intelligence artificielle, il me faut 9 kVA... Ma facture s'élevait à 80 euros lorsque j'avais un compteur électromécanique ; elle s'élève désormais à 130 euros. En mars, on m'a même annoncé une facture à 400 euros, avant que cela ne soit très récemment rectifié. Une telle situation est incompréhensible pour le particulier.
Quel est votre ressenti sur les compteurs Linky ?
M. Antoine Autier. - Sur le coût complet, on peut vous donner non pas un chiffre, mais une méthode. C'est la méthode qui fixe le prix juste, en toute transparence.
La commission Champsaur II a été chargée de déterminer le prix du nucléaire régulé. Il y avait des approches méthodologiques différentes, qui aboutissaient à des chiffrages différents. Nous devons débattre de la comptabilisation du coût complet. Pour cela, il faut regarder les hypothèses du coût du capital.
Souvent, nous avons lu dans la presse des fuites de rapports confidentiels rédigés par la CRE, imprimés en sept exemplaires et remis au Gouvernement, pour ainsi dire.
Le coût complet correspond au coût de production du nucléaire et de l'hydroélectrique et au coût d'approvisionnement réel. À cela, on peut ajouter une marge, qui est prise en compte dans le calcul actuel du TRV.
Dans quelle mesure les investissements que doit mettre en place EDF pour le renouvellement du parc nucléaire sont-ils pris en compte dans ce tarif ? Voilà ce qui peut faire l'objet de nos réflexions. Cela soulève la question des investissements ; or est-ce au consommateur actuel de payer les investissements futurs ? On peut aussi imaginer qu'il y contribuera au moment de l'amortissement. Nous n'avons pas d'avis tranché sur la question.
Nous avons été sceptiques sur l'intérêt du compteur Linky, notamment en raison du coût associé à son déploiement - c'est le consommateur qui le paie.
Si, alors que votre puissance maximale est de 8 kVA, l'intelligence artificielle indique qu'elle est à 12, cela prouve qu'elle n'est pas si intelligente...
Nous regrettons, monsieur le sénateur, que le montant de votre facture ne soit pas du tout corrélé à votre consommation : vous devriez pouvoir choisir la puissance que vous souhaitez.
M. François Carlier. - Je vous encourage à vous intéresser à la situation aux États-Unis. La régulation relève de la compétence de chaque État ; l'État fédéral s'occupe seulement du grand transport. Selon moi, c'est plus sage que ce qui est en vigueur à l'échelle de l'Union européenne, où tout doit être similaire.
Or, aux États-Unis, il y a tous les systèmes de régulation : il y a autant de monopoles purs que de marchés et la répartition n'est pas partisane. Du reste, la libéralisation du marché de l'électricité dans l'Oregon, demandée par le législateur texan, n'aura jamais lieu. Il y a un kaléidoscope de régulations.
Dans certains États existe une rente naturelle ; la nôtre est fondée sur le nucléaire et, dans une moindre mesure, sur l'hydroélectrique. Dans les États américains, cette rente se compose avant tout d'hydroélectrique et, en partie seulement, de nucléaire, notamment en Oregon. Dans ces États, le marché de détail est souvent un monopole, au motif qu'il serait inutile de créer une concurrence artificielle.
La plupart des comparaisons sont européennes, mais nous sommes le seul pays d'Europe avec autant de nucléaire et les régulations sont relativement unifiées à l'échelle de l'Union européenne. Les États-Unis ont des modes de régulation assez variables selon les États, notamment pour les prix. La France a connu un grand succès dans la création de l'outil nucléaire, mais elle a sans doute à apprendre des modes de gestion et de régulation des prix employés aux États-Unis.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'aimerais connaître votre avis sur la fiscalité de l'électricité dans son ensemble, car c'est une composante non négligeable du prix.
Par ailleurs, quels outils pourraient, selon vous, permettre une meilleure régulation, plus de sobriété et d'efficacité de la consommation ? Aujourd'hui, il y a beaucoup d'informations que l'on ne peut connaître que si le client accepte de les transmettre ; or peu d'entre eux en prennent l'initiative. Ne pourrait-on pas passer à un système inverse, où la transmission serait systématique, sauf opposition du client ?
M. Antoine Autier. - La fiscalité représente traditionnellement environ le tiers de la facture d'électricité. Les consommateurs ne comprennent pas grand-chose aux taxes et contributions spécifiques qui pèsent sur leurs factures. Il en va ainsi de la contribution tarifaire d'acheminement : on peut croire, au vu de son intitulé, qu'il s'agit de financer le réseau, mais ce n'est pas du tout le cas - c'est une contribution au régime de retraite des salariés de l'électricité. Les consommateurs doivent savoir quelle est la destination des taxes et contributions qu'ils acquittent. Ils peuvent s'attendre à ce que la contribution au service public de l'électricité (CSPE) soit fléchée, par exemple vers le développement des énergies renouvelables.
Le principe d'une fiscalité spécifique sur l'énergie ne nous pose pas de problème, tant qu'elle ne dépasse pas un niveau raisonnable. Un point nous gêne toutefois, même s'il reste marginal, car il peut nuire à l'acceptabilité de la taxation : le fait que les taxes et contributions spécifiques sont assujetties à la TVA. Où est la valeur ajoutée, sinon pour les finances publiques ? Dans un contexte de hausse des prix, les consommateurs portent une attention plus importante au niveau et à la pertinence de la fiscalité. Nous plaidons donc pour la fin de l'assujettissement à la TVA des autres taxes et contributions. Certes, la fiscalité a beaucoup baissé, ces dernières années, pour compenser la hausse des prix, mais on parle aujourd'hui de la réaugmenter. Le ministre de l'économie justifie l'arrêt du bouclier par le fait que les prix de l'électricité reviennent à la normale, mais, en réalité, les prix sont à leur plus haut niveau historique, alors que le pouvoir d'achat est déjà sous tension ! Réaugmenter la fiscalité de l'électricité n'est donc pas opportun.
M. Victorin Lurel. - Vous évoquez un empilement de taxes : si je vous comprends bien, on fait porter la TVA sur la CSPE, sur les taxes communales et départementales, ou encore, dans mon territoire, sur l'octroi de mer...
M. Antoine Autier. - Absolument, tout entre dans l'assiette de la TVA. On peut, à cet égard, s'interroger sur le consentement à l'impôt.
Concernant la transmission des données de consommation, très clairement, l'UFC-Que choisir défend l'opt-in. Laissons au consommateur le soin de transmettre ses données s'il le souhaite.
Se pose aussi la question de la qualité des données qui lui sont fournies en retour, une fois qu'il a donné son consentement à ce traitement. Je pense aux options tarifaires proposées. Pour effectuer un choix de manière éclairée, il serait utile de bénéficier d'une mesure de sa consommation dans chacune des plages horaires, creuses ou pleines, d'autant que celles-ci ont évolué. Or cette information est inaccessible sur le site du gestionnaire : on dispose de sa consommation heure par heure, mais on ne peut aisément la regrouper entre heures creuses et heures pleines. De la sorte, on ne peut déterminer sans efforts démesurés combien on paierait si l'on souscrivait à telle ou telle option tarifaire différenciée selon les heures.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Une transmission par défaut des données de consommation n'aurait-elle pas de bons effets, comme aboutir à des tarifs plus incitatifs et, ainsi, encourager la sobriété ? Aujourd'hui, assez peu de consommateurs accomplissent cette démarche, ce qui limite les données dont on peut disposer pour affiner la régulation.
M. Antoine Autier. - La position de notre association est déterminée par son conseil d'administration, auquel je suis tout prêt à soumettre votre argument... Mais c'est largement une question de pédagogie : il faudrait que la transmission de ces données ait une vraie utilité pour le consommateur, notamment dans le choix entre options tarifaires. L'information en la matière pourrait lui être fournie par le gestionnaire ou le fournisseur.
M. François Carlier. - L'électricité est devenue un bien fortement taxé, alors que c'est un bien essentiel. Par ailleurs, entre gaz et électricité, il me semble que cette dernière n'est pas gagnante sur le plan fiscal, ce qui me paraît peu cohérent avec nos objectifs.
Nous sommes favorables à l'optimisation de la consommation. Des efforts doivent être faits. Les associations de consommateurs, par définition, défendent le consentement de ces derniers. Concernant la transmission des données, je pense que les offres commerciales différenciées n'ont pas encore rencontré la demande ; seule la relance de l'offre Tempo d'EDF a été intéressante. Le même problème se rencontre à l'étranger. De fait, le gain permis par les offres « smart » n'est pas énorme pour le consommateur et un choix éclairé est trop difficile.
Concernant le Turpe et les réseaux en général, dans le système actuel, une baisse de consommation entraîne une hausse du prix. Les élus de zones urbaines le savent bien s'agissant de l'eau potable, dont la consommation baisse en l'absence de gain démographique. On va le voir à une bien plus grande échelle encore pour le gaz. L'électricité ayant plus d'avenir, le problème sera moindre, mais la baisse de consommation prévisible entraînera forcément une hausse du Turpe. Pour l'eau potable, les collectivités ont cherché à obtenir des gains de productivité pour atténuer la hausse tarifaire. Par ailleurs, si le Turpe augmente trop, cela remettra en cause le modèle de gestion centralisé : si le coût du transport ne cesse de croître, tout ce qui est décentralisé sera plus intéressant. Reste à savoir si cela serait bon ou mauvais...
M. Daniel Salmon. - Les associations de consommateurs demandaient des compteurs Linky déportés, pour que l'on puisse avoir une vision de sa consommation, à des fins de sobriété et d'économie. Portez-vous toujours cette demande ?
Le coût du mégawattheure nucléaire est un enjeu crucial de nos discussions. Le juste prix, selon vous, est-ce les 30 dollars américains ou les 120 livres britanniques ? La différence est d'au moins un à quatre ! Pour estimer le coût du nucléaire, il faut aller de A à Z, de l'extraction du minerai au Niger à l'enfouissement des déchets, en passant par l'enrichissement de l'uranium - il se fait actuellement pour moitié en Russie -, son exploitation dans les centrales et son retraitement à La Hague. Et il faut encore y ajouter les assurances pour accidents majeurs ! Il faut encore travailler pour établir la vérité des prix. Même a posteriori, c'est difficile, et c'est presque impossible de le faire à l'avance, comme en témoignent les EPR.
On a longtemps présenté le nucléaire comme une énergie bon marché, et encore aujourd'hui on voit en EDF un mauvais gestionnaire parce qu'il ferait payer cher le mégawattheure au consommateur, mais son endettement montre plutôt que les coûts ont été sous-estimés...
M. Antoine Autier. - Le compteur déporté était bien une demande d'UFC-Que choisir. C'était surtout une promesse qui avait été faite, celle d'un outil utile au consommateur, avec des informations en temps réel sur le coût de la consommation. Cette promesse n'a pas été tenue, alors même que le coût du déploiement des compteurs Linky a été assumé par le consommateur. Pour accéder à ces informations, il faut faire appel à des dispositifs payants, assurés par des tiers. Nous demandons toujours la mise en place d'un tel compteur, mais nous voyons bien qu'il a été enterré.
Je rebondis sur le Turpe. On constate aujourd'hui une augmentation très importante des prix payés par les consommateurs pour les réseaux. Cela relance la question du monopole, qui existe sur une large partie du réseau électrique. Le rapport de la Cour des comptes a laissé entendre qu'il y avait quelques problèmes d'égalité dans les modes de calcul du Turpe. Un opérateur en situation de monopole ne prend aucun risque : il répercute sur les particuliers les coûts de réseau.
M. Franck Montaugé, président. - C'est forcément un monopole...
M. Antoine Autier. - Certes, mais, puisque le gestionnaire a l'assurance de pouvoir répercuter ainsi les coûts, pourquoi assurer à ce même gestionnaire des marges très importantes ? Or c'est bien ce qui s'est passé pour Enedis, qui a pu faire remonter ces bénéfices à sa maison-mère EDF et in fine à l'État. On en revient à la problématique du prix juste.
M. François Carlier. - Pour ce qui concerne le coût du nucléaire, il faut distinguer entre le nucléaire historique et le nouveau nucléaire : un prix global est absurde ! Pour le premier, on peut largement objectiver les choses : on peut penser qu'un prix de 40 euros était devenu insuffisant, mais aller au-delà de 50 euros me paraîtrait injustifié.
M. Franck Montaugé, président. - Il faut prendre en compte les coûts de prolongation des centrales historiques.
M. François Carlier. - C'est amorti, même s'il y a de nouveaux investissements. Il peut y avoir des problèmes de disponibilité et de gestion. Cela impose un partage des surcoûts entre le consommateur et l'exploitant. Les chiffres que je vous donne ne sont que des estimations, une fourchette.
Pour les nouveaux ouvrages, c'est évidemment beaucoup plus compliqué. C'est plutôt la vérité économique du moment qui importe : l'ouvrage, quand il sort, est-il dans l'épure du contexte économique ou ne l'est-il pas du tout ? Tout l'enjeu de la baisse de prix est là. Si le prix est très déconnecté de l'environnement économique, le projet devient impossible. Tout investissement est une prise de risques.
M. Franck Montaugé, président. - Merci beaucoup de ces échanges.
La réunion est close à 17 h 10.
La réunion est ouverte à 17 h 30.
Audition de M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif groupe EDF, en charge de la direction du Parc nucléaire et thermique
M. Franck Montaugé, président. - Merci M. Cédric Lewandowski d'avoir répondu à notre sollicitation. Vous êtes directeur exécutif du groupe EDF, en charge de la direction du parc nucléaire et thermique.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cédric Lewandowski prête serment.
M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier, dernier une commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050. Nous centrons nos travaux sur le présent et l'avenir du système électrique. Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir aux particuliers et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable, quelles sont ses perspectives de développement ? C'est la question centrale à laquelle nous souhaiterions pouvoir répondre d'ici quelques mois.
Notre audition, ce jour, portera sur le coeur nucléaire historique, qui a causé à notre pays et à nos concitoyens quelques inquiétudes, notamment en 2022. Il est essentiel que la représentation nationale et nos concitoyens soient bien informés de la situation de ce parc, qui est un gage de notre souveraineté énergétique nationale. Où en est la situation et quelle est l'évolution du productible depuis fin 2022 ? La variante haute annoncée pour 2030 est de 400 TWh. Vous nous direz si c'est toujours le cas. Cependant, EDF communique davantage sur le chiffre de 360 TWh. Comment atteindre le niveau de 400 TWh ? Que manque-t-il pour y parvenir ? Quels sont les obstacles qui persistent à nous empêcher de l'atteindre ?
Où en est le facteur de charge des réacteurs du parc nucléaire historique ? Pourquoi est-il sensiblement plus faible que la moyenne mondiale ? Je me permets de rappeler que le facteur de charge est le rapport entre l'énergie électrique effectivement produite par le parc historique, sur une période donnée, et l'énergie qu'il aurait produite s'il avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même période. Au niveau mondial, ce facteur doit être de près de 85 %, selon nos informations, alors qu'en France, il serait plutôt de 65 % ou 70 %. Il était de 78 % en 2005. Comment le faire progresser ?
La corrosion sous contrainte, dont il a été beaucoup question (on comprend pourquoi), a profondément perturbé le système électrique français et l'on entend aujourd'hui parler d'un risque concernant les réacteurs de 900 MW. Qu'en est-il et à quoi doit-on s'attendre ? L'une des pistes, pour aujourd'hui et pour demain, est une augmentation de puissance du parc actuel qui accompagnerait la prolongation de la durée de vie des réacteurs. Quelles sont vos évaluations de ces possibilités d'augmentation, avec quel échéancier et quel coût ? Quels sont les obstacles éventuellement identifiés ?
Enfin, où en est-on en ce qui concerne la prolongation de la durée de vie du parc jusqu'à soixante ans et au-delà, notamment du point de vue des travaux engagés avec l'ASN, l'IRSN et le CEA ? Quels sont les fragilités et les éléments à traiter d'ores et déjà identifiés à cet égard ?
Avant de vous donner la parole, je la passe à Monsieur le rapporteur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Le président a formulé un certain nombre de questions fondamentales à nos yeux (facteur de charge, modularité du système électrique, conséquences de cette modularité sur l'état du parc, risques restant présents, etc.). Nous pensions notamment que la corrosion sous contrainte était plutôt derrière nous. Est-ce réellement le cas ou bien ce risque est-il encore présent ? De quelle façon préparez-vous la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales à 60 ans, ce qui nous paraît nécessaire aujourd'hui ? Envisagez-vous une prolongation encore plus longue, jusque 80 ans, comme aux États-Unis ? Je reviendrai sur les États-Unis dans mes questions tout à l'heure, car nous disposons avec ce pays d'éléments de comparaison, concernant un parc historique, ce qui rend l'expérience américaine intéressante à nos yeux.
M. Cédric Lewandowski. - Nous sommes en vérité, aujourd'hui, dans une phase que je qualifierais, s'agissant du parc nucléaire, de convalescence dynamique. C'est une phase de reconquête de notre performance opérationnelle. Nous avons vécu récemment deux crises majeures. La première, connue de tous, est celle du Covid, qui nous a conduits à différer toute une série de travaux durant de très longs mois, créant une difficulté à reprogrammer certaines visites décennales. De manière beaucoup plus forte, la crise de la corrosion sous contrainte, en 2022, nous a conduits à la plus faible production de toute l'histoire du parc nucléaire, c'est-à-dire 279 TWh en 2022.
Nous nous relevons actuellement de cette crise. Néanmoins, celle-ci est encore présente et le sera jusqu'à la fin de l'année 2025. Lorsque j'étais intervenu devant l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, j'avais indiqué que nous en avions pour trois ans. L'année 2022 s'est avérée particulièrement complexe puisque nous devions centrer nos travaux sur ce qui nous semblait être les réacteurs les plus affectés. Pour autant, les années 2024 et 2025 seraient également fortement concentrées sur le sujet de la corrosion sous contrainte, avais-je indiqué, en raison de la nécessité de procéder à tous les contrôles restants et aux réparations restantes. Le fait d'avoir découvert récemment à Blayais 4 ou à Paluel 2 de nouvelles traces de corrosion sous contrainte ne constitue donc pas une surprise pour nous. Nous sommes dans le cadre de la programmation industrielle de la reprise en main de ce grand sujet qu'est la corrosion sous contrainte.
C'est ce qui nous conduit à des prévisions de production, pour 2024 et 2025, qui demeurent assez modestes au regard de nos capacités. Notre objectif est de revenir à une échelle de 350 TWh fin 2025. Si nous y parvenons, nous aurons bien travaillé. C'est évidemment un défi en soi, avec une petite part d'incertitude liée au nombre de découvertes que nous ferons au cours des années qui viennent. La crise de la corrosion sous contrainte est donc toujours là, même si elle est en cours de maîtrise industrielle. Nos chantiers sont de plus en plus rapides. Notre capacité de compréhension du phénomène est désormais presque totale. Nous ne le vivons donc plus comme une menace mais comme l'inscription d'un défaut générique dans une programmation industrielle.
Nous avons produit en 2023 320,4 TWh, soit 5 TWh de plus que ce que nous avions envisagé. C'est non seulement parce que nous maîtrisons de mieux en mieux la corrosion sous contrainte mais aussi parce que nous avons lancé un programme visant à reprendre en main les arrêts de tranche, qui constituent notre point de faible. Ce grand programme lancé par la Direction du parc nucléaire, baptisé « Start 2025 », porte d'ores et déjà ses premiers fruits. C'est cet ensemble qui me fait dire que nous sommes aujourd'hui en reconquête de performance. Nous remontons la pente, même si celle-ci est assez raide, du fait notamment de la crise assez exceptionnelle que nous avons eu à affronter. C'était la crise que l'on craignait, finalement, depuis l'origine du parc, la crise du défaut générique. Notre parc étant très standardisé, le risque majeur est celui de constater sur l'ensemble du parc les mêmes défauts. Ceci vaut pour le palier N4 comme pour le palier 1 300 MW et le palier 900 MW. Nous avons des découvertes de corrosion sous contrainte, y compris sur le palier de 900 MW.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce n'est pas ce qui avait été dit au départ. On nous avait d'abord indiqué que ce problème était circonscrit aux réacteurs de 1 450 et de 1 300 MW.
M. Cédric Lewandowski. - Non, pas du tout. Nous avons eu d'emblée la conviction que les réacteurs les plus affectés étaient probablement les plus récents. C'est la raison pour laquelle nous avons concentré tous nos travaux sur le palier N4, c'est-à-dire Civaux et Chooz, qui constituent les centrales les plus récentes, et sur les centrales les plus récentes du palier 1 300. Tout le reste du programme, c'est-à-dire le reste du palier 1 300 MW et le palier de 900 MW, devait être traité par la suite, en 2024 et 2025. Nous sommes convaincus depuis le départ que nous allons, là aussi, trouver des fissures, ce qui est effectivement le cas, même si elles sont moindres, et de moindre importance. Nous avons toujours été extrêmement prudents et modestes sur le sujet, au nom de cette conviction selon laquelle il s'agissait bien d'un défaut générique.
Nous avons quasiment bouclé le programme du palier 1 300. Il reste quelques travaux à effectuer mais nous sommes presque au bout. Nous abordons ensuite le palier de 900 MW. C'est la raison pour laquelle nous pouvons trouver de nouvelles fissures, par exemple à Blayais. Mon message est néanmoins un message d'espoir : après l'annus horribilis qu'a constitué 2022, nous sommes en phase de reconquête. Nous l'avons montré en 2023 avec l'atteinte d'une production de 320 TWh. J'espère que nous ferons mieux en 2024 et que nous atteindrons le seuil de 350 TWh en 2025.
L'année 2023 a été une année charnière. On parle beaucoup de la relance du nucléaire en parlant du nouveau nucléaire à travers la construction des EPR 2 et des petits risques, les SMR. Je suis là pour vous dire, en tant que directeur de la production nucléaire existante, que la relance aussi, chez nous, se fait sentir de manière puissante. Nous rouvrons des chantiers qui avaient été clos ces dernières années dans la mesure où la programmation pluriannuelle de l'énergie nous demandait de fermer 12 réacteurs, en plus de Fessenheim. Nous n'avions donc aucune raison de lancer des chantiers de performance, d'excellence ou de développement.
L'année 2023 est très importante car ce fut une année de réaffirmation et d'ouverture d'un certain nombre de chantiers. La première réaffirmation est venue au printemps dernier. Le Gouvernement nous a demandé de lui écrire une note décrivant notre vision de la capacité de notre parc à atteindre une durée de vie de 60 ans. Nous avons rédigé cette note, en mai ou juin 2023. Elle indique que, selon notre conviction, les 56 réacteurs actuels du parc ont la capacité d'atteindre le seuil de 60 ans. L'ASN a été interrogée, suite à cela, par le Gouvernement, et a donné son avis sur ce point. Forts de cette conviction industrielle, nous avons déposé dès l'été 2023 auprès de l'Autorité de Sûreté Nucléaire un « document d'orientation » pour les « VD 5 900 », c'est-à-dire les cinquièmes visites décennales, qui nous conduiront de 50 à 60 ans pour le parc de 900 MW. L'instruction des VD 5, pour les premières centrales qui atteindront cet âge (Tricastin en 2029), est donc d'ores et déjà lancée.
Le deuxième axe de travail porte sur la capacité à allonger la durée des cycles. Le moment difficile, dans la vie d'une centrale, est son arrêt puis son redémarrage. Moins nous avons d'arrêts et de redémarrages, plus l'outil qu'est le réacteur a la capacité de délivrer ce qu'on en attend, dans de bonnes conditions de sûreté et de sécurité. L'allongement de la durée des cycles d'au moins six mois, pour le palier de 900 MW, est un travail d'ores et déjà lancé. C'est Framatome qui est chef de file sur cette question, avec le concours de toutes nos ingénieries.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Que représente la prolongation du cycle de six mois ?
M. Cédric Lewandowski. - Cela porterait la durée du cycle de douze à dix-huit mois.
M. Franck Montaugé, président. - Si je comprends bien, ceci s'entend sans toucher à la période d'arrêt.
M. Cédric Lewandowski. - Bien sûr. Il s'agit d'un objectif à conditions de fonctionnement constantes, y compris sur le plan de la maintenance.
Un deuxième grand chantier rouvert est celui de l'augmentation de puissance. Nous avons deux cas très différents : celui du palier de 900 MW et celui du palier 1 300 MW.
En ce qui concerne le palier 900 MW, cette augmentation de puissance est relativement simple à obtenir car nous n'allons travailler que sur la turbine et sur le circuit secondaire. Il s'agit de travaux d'amélioration du fonctionnement des ailes des rotors. C'est un travail que nous connaissons et que nous maîtrisons. Il s'agit donc de programmer la capacité de remplacement de ces turbines et de réaliser ces travaux au fur et à mesure des visites et arrêts, afin que chacun des réacteurs du palier 900 MW acquière cette capacité d'augmentation de puissance. Le gain final ne sera pas colossal. Nous attendons tout de même 5 TWh de cette augmentation de puissance, ce qui n'est pas rien non plus.
Concernant le palier de 1 300 MW, l'augmentation de puissance est beaucoup plus complexe, car l'optimisation de la turbine a déjà été réalisée. Nous allons donc travailler sur le circuit primaire, c'est-à-dire le coeur du réacteur. Cela suppose de retravailler toutes les options de sûreté pour obtenir l'augmentation de puissance. C'est un travail considérable. Nous l'estimons à environ sept ans d'études d'ingénierie. La direction technique porte ce chantier en tant que chef de file au sein d'EDF, avec toute une série de partenaires. C'est un chantier d'une grande complexité. Il est possible que nous découvrions en chemin que cette augmentation de puissance n'est pas totalement souhaitable, non en raison de sa finalité, mais si elle conduit à des rigidités et à une moindre modularité, laquelle constitue un attendu important dans le parc français. Des rejets plus importants pourraient aussi en résulter, dans la mesure où le coeur chaufferait davantage qu'aujourd'hui. Je ne suis pas en train d'affirmer que le sujet est clos. Au contraire, le travail ne fait que commencer. Au vu de ce que l'on a entendu par le passé, sur la base des premiers échanges techniques, au vu de la réglementation qui s'est beaucoup durcie, et au vu des sujets que je viens d'évoquer, peut-être serons-nous amenés, à un moment ou à un autre, d'effectuer un certain nombre d'arbitrages. Pour l'instant, l'heure est à la réouverture du chantier. Il est vrai que nous attendons beaucoup de l'augmentation de puissance du palier de 1 300 MW, puisque nous en attendons 15 TWh. Ce serait un gain considérable pour notre parc.
Le sujet de la prolongation éventuelle de la durée de vie des centrales (au-delà de 60 ans) a également été ouvert en 2023. Comme vous l'avez dit, aux États-Unis, six réacteurs de même nature que les nôtres, c'est-à-dire des réacteurs à eau pressurisée, ont obtenu une licence pour aller jusque 80 ans, et d'autres dossiers sont en cours d'instruction. Au vu de ces éléments, il nous a semblé logique, comme j'ai eu l'occasion de le dire lors d'autres auditions devant la représentation nationale, que nous ouvrions ce chantier, d'autant plus que le Président de la République a lui-même rouvert le sujet lors de son discours de Belfort en 2022.
Ce travail a été engagé immédiatement. Nous avons tenu, le 1er décembre dernier, un séminaire commun, avec l'Autorité de Sûreté Nucléaire, l'IRSN, le CEA et nous-mêmes, afin de définir ensemble le cahier des charges qui permettrait à l'Autorité de Sûreté Nucléaire, en 2026, de donner de premières orientations quant à la capacité du parc à aller au-delà de 60 ans. C'est un cahier des charges très exigeant. Il portera sur tous les composants, y compris les composants non remplaçables, comme la cuve. C'est un travail très conséquent. Le président de l'Autorité de Sûreté Nucléaire a clairement indiqué que 2026 lui semblait la bonne date pour se prononcer quant à la possibilité d'ouvrir cette perspective ou non.
Notre conviction est que l'intégralité du parc actuel n'aura peut-être pas la capacité d'aller au-delà de 60 ans, pour mille raisons, mais qu'un certain nombre de réacteurs auraient sans aucun doute cette capacité. C'est une grande satisfaction pour nous que ce travail soit engagé dans une perspective commune : faire en sorte de prolonger le plus loin possible la durée de vie des réacteurs, dès lors que ceux-ci fonctionnent bien et ont été remarquablement entretenus tout au long de leur vie.
Au regard de l'horizon temporel du travail de cette commission, pour 2035, les grandes lignes sont finalement déjà établies : les premières « VD5 » sont déjà sur le métier et, si tout va bien, en 2035 ou 2036 débuteront les VD5 du palier de 1 300 MW. Le parc représentera alors une capacité de production de l'ordre de 63 GWh.
M. Franck Montaugé, président. - Le coût de ce que ceci implique a-t-il été évalué ?
M. Cédric Lewandowski. - Il l'a été à peu près, jusqu'à cette date de 2035. Le Conseil d'administration n'a pour l'instant souhaité acter que les années 2022 à 2028, pour une raison simple : au moment où nous avons présenté ce programme, et encore aujourd'hui, je n'ai pas une vision précise de ce que sera le contenu des VD5. Dans le cadre des VD4, nous dépensons chaque année, en englobant la maintenance et le programme de grand carénage, de 4,7 milliards d'euros à 5,2 milliards d'euros. Nous pouvons donc retenir l'hypothèse d'un coût de 5 milliards d'euros par an environ jusqu'en 2028.
Ensuite, nous serons très dépendants du contenu des VD5. Je vais parler avec prudence car nos équipes n'ont pas encore produit les documents afférents. En outre, l'ASN et l'IRSN auront à travailler sur les propositions que nous ferons. Une considération nous semble assez partagée avec l'ASN : les VD5 seront probablement très concentrées sur l'adaptation au dérèglement climatique. Autrement dit, les VD4 se sont beaucoup concentrées sur le « post-Fukushima » et sur des améliorations de sûreté tout à fait exceptionnelles, qui nous portent non loin du niveau des EPR. Les VD5 continueront bien sûr de porter sur les améliorations de sûreté, mais probablement de manière beaucoup plus modeste, puisque l'essentiel des travaux vient d'être réalisé. Nous nous concentrerons plutôt sur des sujets liés au dérèglement climatique. Le coût global des travaux à réaliser dépendra notamment des types de seuils que nous aurons à imaginer, en termes d'adaptation, et de tous les compléments qui nous seront demandés en termes de sûreté et de gestion des écarts. À ce jour, nous considérons comme assez réaliste ce montant d'environ 5 milliards d'euros de dépenses par an après 2028, même s'il n'a pas encore été précisément calculé, pour les raisons que j'ai indiquées.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce montant de 5 milliards d'euros par an s'entend donc pour les travaux liés à la prolongation de la durée de vie des centrales existantes.
M. Cédric Lewandowski. - Ce montant englobe à la fois notre programme de maintenance courant et le coût des visites décennales.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Quelle puissance supplémentaire apporterait le renforcement de la puissance pour le palier 900 MW, et pour quel coût estimé ?
M. Cédric Lewandowski. -Il est un peu tôt, car les chantiers ont été ouverts en octobre et novembre dernier. Nous sommes au tout début. Pour le palier 900 MW, nous attendons une augmentation de puissance de 5 TWh. Pour le palier de 1 300 TWh, nous en attendons 15 TWh. L'augmentation de puissance globale attendue représenterait donc une production copropriété de 20 TWh. Je m'engage à vous faire parvenir les éléments dont nous disposons quant au chiffrage de l'ensemble.
Pour le palier 900 MW, un pré-chiffrage est sans doute possible dans la mesure où il s'agit de remplacer les turbines. Si l'on connaît le coût moyen des turbines (bien que celui-ci ne soit pas si facile à estimer), nous pouvons vous fournir une approximation. Pour le palier 1 300 MW, nous sommes encore très en amont, puisque ces travaux vont conduire à une modification du coeur et impliqueront peut-être des travaux nouveaux sur le combustible lui-même.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Peut-être avez-vous une idée du coût jusqu'auquel il serait intéressant de rechercher cette augmentation de puissance.
M. Cédric Lewandowski. - Je pense que ce seuil est assez partagé dans la maison. Mon collègue Marc Benayoun l'a peut-être évoqué hier avec vous. C'est le seuil de 70 euros par MWh.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je parlais du montant d'investissement au-delà duquel il ne vous semblerait pas raisonnable de rechercher cette augmentation de puissance.
M. Cédric Lewandowski. - Les deux sont liés, puisque cela aboutit à un prix final en euros par mégawattheure.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ils sont liés dans une certaine mesure mais, s'agissant du seuil de 70 euros, nous n'avons pas le détail du calcul et nous avons peu d'éléments sur les comptes d'EDF. Cela fait partie de nos critiques : nous trouvons qu'il n'y a pas une transparence absolue sur les comptes.
Je me place dans la position d'un dirigeant d'EDF. Si je souhaite renforcer la puissance des réacteurs, sachant que cela peut apporter une production supplémentaire de 5 TWh par an, je vais me demander jusqu'à quel montant je peux investir pour obtenir ce gain de production.
M. Cédric Lewandowski. - Cela rejoint une considération évidente : il faut que le parc nucléaire français reste rentable. Il est formidablement rentable depuis qu'il est en fonctionnement. Plus les années passent et plus nous pouvons amortir tous les frais engagés pour sa construction. Plus il pourra continuer à fonctionner, y compris avec 5 milliards d'euros par an de CAPEX, mieux nous nous porterons. Vous avez parfaitement raison : il y aura une série d'arbitrages à effectuer au regard de ce qui nous rapporte le plus en termes de térawattheures. Cela fera partie des arbitrages collectifs que j'évoquais à propos du palier de 1 300 MW.
J'ai évoqué les arbitrages réglementaires, en termes de rejet et de capacité de modulation. L'entreprise examinera naturellement son intérêt sur le plan économique et financier et présentera les options en présence à son actionnaire qu'est l'État. Le groupe de travail a été ouvert en octobre ou novembre dernier. Nous en sommes encore aux premières heures de cette inspection. Nous vous apporterons une réponse écrite concernant le palier 900 MW, car le sujet est plus simple. Il s'agit de turbines à acheter et à installer.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - En outre, certaines turbines ont déjà été remplacées.
M. Cédric Lewandowski. - Tout à fait. C'était il y a dix ans, toutefois, et les coûts ont connu une formidable envolée depuis lors. Nous vous fournirons en tout cas tous ces éléments. Il ne fait aucun doute que ces travaux seront rentables.
L'horizon 2035 est donc assez clair à nos yeux. L'horizon 2050 dépend des choix que feront, demain, les pouvoirs publics. Si nous devions arrêter notre parc à l'âge de 60 ans, outre « l'effet falaise » qu'il faudrait évidemment retravailler, notre capacité nucléaire serait ramenée, en incluant Flamanville 3, à environ 17 gigawatts, pour le parc existant à ce jour.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je reviens quelques instants sur la corrosion sous contrainte. On a le sentiment qu'il s'agit d'un problème « franco-français ». Avez-vous connaissance de problèmes de même nature qui se seraient produits dans d'autres parcs nucléaires dans le monde ?
M. Cédric Lewandowski. - Il s'agit de fissures sur des tuyauteries auxiliaires au circuit primaire, sur un acier censé être particulièrement protégé dans la mesure où c'est de l'inox. Pour cette matière et à cet endroit-là, il n'existe qu'une seule autre référence assez récente au monde : il s'agit d'incidents qui ont touché un pressuriseur d'un réacteur japonais, concernant la centrale Ohi 3. C'est le seul phénomène comparable à celui que nous connaissons sur nos tuyauteries. C'est aussi la raison de notre désarroi au moment de la découverte du phénomène : il n'y avait aucune littérature, aucune donnée scientifique et technique sur le sujet. Le phénomène de corrosion sous contrainte, en tant que tel, était connu, notamment sur les réacteurs à eau bouillante et sur divers matériaux. Ce défaut, sur les circuits auxiliaires en inox, nous était inconnu. Nous n'avons pas d'autre référence à l'échelle internationale sur le sujet.
Il existe une série d'instances internationales qui nous permettent de dialoguer entre opérateurs. Nous avons été amenés à effectuer de nombreuses communications scientifiques afin d'avoir des échanges avec nos partenaires sur le sujet. Je note que ceux-ci se montrent aujourd'hui très intéressés, notamment par le moyen de détection et de contrôle non destructif que nous avons mis en place. Je suppose qu'ils envisagent d'utiliser des dispositifs similaires pour réaliser des contrôles sur leurs propres installations.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je reviens également sur le facteur de charge. Je comprends que la corrosion sous contrainte ait joué un rôle significatif. Néanmoins, nous constatons depuis 2016 ce problème de facteur de charge, du moins par rapport à la production anticipée. J'ai vu un certain nombre de courbes qui témoignent d'un décalage sensible entre la production anticipée et la production réelle. D'où vient cet écart ? Vient-il de problèmes d'organisation interne ? Quelles mesures peuvent être envisagées afin de retrouver un niveau de facteur de charge plus élevé (étant entendu que ce paramètre a un impact sur le prix de revient du mégawattheure et sur la facture du consommateur) ?
M. Cédric Lewandowski. - C'est une question qui présente ses facteurs de complexité et ses évidences. Vous avez cité, Monsieur le rapporteur, l'année 2016. Ce n'est pas un hasard : c'est l'année de lancement du programme de grand carénage. Rappelons que celui-ci englobe des modifications demandées par l'Autorité de Sûreté Nucléaire pour améliorer la sûreté et l'ensemble du dispositif post-Fukushima. 2016 est le moment où les grands travaux commencent. Ce programme de travail n'a fait qu'augmenter au fur et à mesure du temps. En 2021, l'Autorité de Sûreté Nucléaire a émis un avis générique et depuis lors, nous menons cinq à sept visites décennales par an. Nous allons conduire cette année cinq visites décennales en parallèle : cinq visites décennales du palier 900 MW et deux visites décennales sur le palier 1 300 MW.
Une visite décennale est un très grand chantier. Les quatrièmes visites décennales représentent cinq fois plus de travail que les VD3. Cela vaut à la fois pour les investissements, le nombre d'entreprises mobilisées, le nombre de salariés à coordonner, etc. Là où la durée des visites décennales était de trois à quatre mois, elles représentent aujourd'hui près d'un an d'arrêt. Nous avons donc changé d'époque. Vous évoquez les États-Unis ou la comparaison par rapport à d'autres pays. Il y a une grande différence : nous sommes le seul parc au monde à conduire de tels travaux. Le parc français est le seul qui conduise ses 56 réacteurs à un niveau de sûreté qui soit égal à celui de la génération suivante, c'est-à-dire les EPR. Il est vrai que nous avons une réputation à tenir. Nous avons aussi une responsabilité particulière : la France demeure à ce jour le premier opérateur mondial du nucléaire. Il est donc légitime que nous soyons en quelque sorte à l'avant-garde de ce qui peut être imaginé demain.
Il n'en demeure pas moins que les exigences réglementaires et en termes de sûreté, suite à l'accident de Fukushima et à l'issue de l'ensemble du travail commun réalisé par EDF, l'ASN et l'IRSN, conduisent à des travaux sans commune mesure avec ce que les autres parcs connaissent dans le monde.
M. Franck Montaugé, président. - Vous affirmez que ces objectifs de performance industrielle n'existent pas pour les autres parcs nucléaires dans le monde.
M. Cédric Lewandowski. - Absolument. Nous sommes les seuls à avoir fait ce choix, sans doute au nom d'une forme de responsabilité, considérant qu'après Fukushima, notamment, nous devions basculer d'un monde à l'autre en termes de sûreté. L'objectif est de se rapprocher le plus possible (sans pouvoir l'atteindre tout à fait) du niveau de sûreté offert par les EPR, c'est-à-dire par les réacteurs futurs. Nous sommes les seuls au monde à avoir lancé ces travaux. Il s'agit du premier facteur majeur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il me semble que même avant 2016, nous avions des facteurs de charge moins importants que d'autres parcs. J'ai mentionné 2016, car j'ai vu une courbe partant de cette date. Je ne sais pas ce qu'il en est pour la période antérieure.
M. Cédric Lewandowski. - La date est bien choisie car un décrochage s'observe en 2016. Le facteur que je viens d'évoquer n'est pas le seul qui explique l'écart en notre défaveur, mais c'est de loin le plus important.
Le deuxième tient au fait que notre parc a été construit, pour l'essentiel, en très peu d'années : quinze ans. Nous avons donc eu un renouvellement générationnel colossal à gérer autour de 2016. De 2009 à 2019, 12 000 salariés d'EDF sont partis en retraite. Nous en avons recruté 16 000. Je crois que nous n'avons pas perdu en compétence. Mais nous avons perdu en expérience. 12 000 salariés très expérimentés, qui connaissaient chacun leur réacteur au millimètre, ont été remplacés par des personnes débutantes. Dans le parc nucléaire aujourd'hui, nous avons 30 % de trentenaires. Ils seront excellents dans quinze ans mais ils sont dans une courbe d'apprentissage, car un réacteur nucléaire est d'une complexité inouïe. Il faut beaucoup de temps pour le maîtriser en totalité.
Un troisième élément est à relier aux exigences environnementales qui prévalent aujourd'hui, qui nous conduisent à réaliser des travaux de plus en plus conséquents.
Enfin, nous avons aussi perdu 10 TWh avec la fermeture de Fessenheim.
Il reste un point au regard duquel nous sommes convaincus d'avoir des capacités d'amélioration réelles, grâce à une organisation plus concentrée sur les arrêts de tranche. C'est l'objectif du grand programme « Start 2025 » lancé par Étienne Dutheil, directeur du parc nucléaire. Ce programme est focalisé sur la question des arrêts de tranche afin d'améliorer le dispositif en la matière. Les chantiers ont été lancés en 2019. Ils ont pris un peu de retard en raison du Covid. Nous savons que l'intuition qui est à l'origine de ce programme était parfaitement juste, puisque nous commençons à engranger les premiers résultats très concrets de Start 2025. Je me trouvais ce matin aux Docks d'Aubervilliers, où 1 000 « starters » (les moteurs du programme Start 2025 dans toutes les centrales) étaient réunis. L'énergie qui se dégageait de cette réunion était d'autant plus extraordinaire que de premiers résultats se font jour.
Ils portent notamment sur le « JAL22 », c'est-à-dire des phases de mise à l'arrêt, qui sont toujours critiques. Nous avions des taux de réussite insupportables : en 2019, ils étaient de 2 % pour ces phases de mises à l'arrêt. La réussite, en l'espèce, est constatée si la mise à l'arrêt se déroule exactement dans le temps prévu. Nous sommes passés à 64 %. Notre objectif est d'aller le plus loin possible. C'est déjà un premier changement.
Un deuxième changement réside dans la capacité d'anticipation de la durée de l'arrêt. Nous avions, en la matière, des décalages de plus en plus longs. Nous avons gagné sept à huit jours en termes de capacité de prévision, ce qui est énorme.
Ce sont des éléments très concrets. Des travaux portent aussi sur un plan plus culturel et passent notamment par la réinternalisation d'un certain nombre de fonctions.
Nous avons sans doute poussé le curseur trop loin, à un moment donné, vers l'externalisation, au point de perdre le contrôle d'un certain nombre d'éléments. Je pense à la capacité dite « d'ouverture-fermeture de cuve » ou au soudage, bien sûr. Je pense à mille sujets qui sont tous en cours de reprise en main par ce programme. Celui-ci donne d'ores et déjà des résultats et nous en attendons la capacité à aller plus loin demain. Cela fait partie de la trajectoire des 400 TWh que vous avez évoquée. Celle-ci intègre bien sûr l'arrivée du 57ème réacteur : Flamanville 3 et ses 10 TWh. Elle intégrera peut-être l'augmentation de puissance que j'évoquais, autour de 20 TWh. Quant au programme Start 2025, nous en attendons au moins 20 TWh. C'est cet ensemble qui nous place sur ce chemin et, je l'espère, à l'atteinte du niveau de 400 TWh au cours des années 2030.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Merci pour ces explications. C'est assez clair. Cela explique sans doute aussi la différence de coût complet pour le nucléaire historique. A priori, ce coût complet avoisine 30 dollars/MWh pour le parc américain alors qu'il serait sensiblement plus élevé en France. Si je comprends bien, c'est la conséquence de tous les éléments que vous avez cités, c'est-à-dire les contraintes de sûreté et environnementales.
M. Cédric Lewandowski. - C'est clair.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous n'avez pas évoqué la modulation. Je pensais qu'elle avait une influence sur le facteur de charge. N'est-ce pas le cas ? Pouvez-vous également confirmer que la modulation n'a aucune conséquence sur l'usure des centrales ?
M. Cédric Lewandowski. - Aujourd'hui, les modulations que l'on nous demande n'ont pas de conséquence sur l'outil industriel, ni pour le circuit primaire ni pour le circuit secondaire. J'ai lancé une mission au sein de la DPN sur le sujet afin de nous en assurer. Cette absence d'effet de la modulation n'est pas tout à fait un hasard. Là aussi, nous sommes uniques au monde : nos réacteurs ont été conçus pour moduler. Ils sont les seuls réacteurs au monde à offrir ce service. Cette possibilité existe, car dès l'origine, les centrales nucléaires ont été conçues comme devant fournir l'essentiel de l'électricité du pays. Dans d'autres pays où le nucléaire représente 15 % à 20 % de la fourniture d'électricité, vous pouvez fonctionner en base en permanence. En France, nos anciens, qu'il faut saluer pour cette clairvoyance, ont conçu un dispositif dans lequel nos réacteurs peuvent accepter jusqu'à deux baisses par jour, avec une amplitude de variation de 80 %. Ils peuvent ainsi tomber à 20 % de puissance offerte, en une trentaine de minutes. Il s'agit à la fois d'une capacité exceptionnelle et d'une limite : nous sommes d'accord pour considérer qu'une centrale nucléaire ne sera jamais un outil de gestion de pointe. Ce volant de deux baisses par jour est tout à fait acceptable pour l'outil industriel tel que nous le connaissons aujourd'hui.
La question que vous posez est plus prospective mais il est trop tôt pour vous répondre avec certitude. Je suis à la tête du parc nucléaire et thermique depuis 2019 et un phénomène m'impressionne : le volume de modulations qui nous est demandé, et qui va croissant. Le week-end dernier, on nous a demandé de descendre de 43 GW de puissance disponible à 24 GW, ce qui est un écart considérable. Nous étions au mois de mars. C'est une situation que nous n'avions jamais connue. Aujourd'hui même, on nous a demandé une modulation d'environ 10 GW dans la journée, parce que la production éolienne a été importante. La modulation qui peut être attendue du parc conduira-t-elle, demain, à une réflexion un peu différente de celle que j'évoque aujourd'hui ? Il est un peu tôt pour le dire. C'est en tout cas un point auquel nous sommes extrêmement attentifs, car nous constatons de vrais changements.
La situation que nous redoutons est qu'on nous demande d'arrêter le réacteur. Cela s'est déjà produit. Or comme je l'indiquais, le plus compliqué, dans la vie d'un réacteur, c'est son démarrage et son arrêt. Si nous devions aller vers une fréquence d'arrêts plus importante, en raison d'une modulation liée par exemple au développement des énergies renouvelables et au dérèglement climatique, nous devrions examiner le sujet techniquement de très près.
M. Franck Montaugé, président. - Comment vous est « rémunérée », si ce mot est le bon, cette modulation, étant entendu qu'elle génère des pertes ?
M. Cédric Lewandowski. - C'est l'objet de débats permanents entre RTE et EDF. Marc Benayoun serait mieux placé que moi pour vous répondre puisque c'est lui qui est chargé de l'optimisation amont-aval. La modulation nous est effectivement rémunérée. Aujourd'hui, dans la mesure où elle n'est pas si importante que cela, en moyenne, nous profitons de ces moments pour effectuer de « l'économie combustible » : nous conservons tout le combustible non appelé pour allonger la durée des cycles au moment où nous en aurons davantage besoin. C'est ainsi que nous avons procédé lors du week-end récent que j'évoquais. Les pertes financières, pour EDF, ne sont pas considérables, car nous allons stocker de l'énergie pour le futur. Néanmoins, la question devra être reposée si cette modulation est de plus en plus importante et de plus en plus constante, notamment si elle se renouvelle à chaque saison. Nous avions l'habitude de connaître les modulations au printemps. L'hiver, les centrales « tournaient » à plein régime. L'été était le moment des grandes opérations de maintenance : le tranches étaient en partie fermées et tout était planifié. Les axes de modulation se situaient donc plutôt au printemps. Nous sommes aussi une entreprise saisonnière. Aujourd'hui, il n'y a plus de saison, serais-je tenté de dire, sur ce sujet : nous devons nous adapter en permanence. Nous avons d'ailleurs connu énormément de modulations cet hiver.
M. Franck Montaugé, président. - Vous avez indiqué que le nucléaire, à ces niveaux de puissance, ne pouvait jouer un rôle à la pointe. La donne ne sera-t-elle pas différente, non pas à l'extrême pointe mais en s'approchant de la pointe, avec les petits réacteurs nucléaires (SMR) ? N'est-ce pas un bénéfice que l'on peut attendre de ce type de technologie ?
M. Cédric Lewandowski. - Je ne travaille pas sur le nouveau nucléaire mais les SMR, du moins sous la forme que nous connaissons, avec le projet Nuward, n'ont pas été conçus comme des outils de gestion de pointe. Nous parlons de réacteurs et de technologies qui sont extrêmement différents. Cela dit, je ne peux pas affirmer que ce type d'utilisation est totalement exclu à l'avenir. Le sujet se pose et je suis très heureux que RTE ait indiqué dans son dernier bilan, à l'automne dernier, que nous allions manquer de 3 à 5 GW à la pointe dès les années 2030, en soulignant que ce sujet devait être pris en main rapidement du point de vue de la production.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La décision de fermer Fessenheim a été prise et la fermeture de 14 réacteurs était programmée. Si j'ai bien compris votre propos introductif, vous avez freiné ou en tout cas modulé l'entretien de ces réacteurs en vue de leur fermeture. Ceci a-t-il entraîné un surcoût et, si oui, à combien se chiffre-t-il ?
M. Cédric Lewandowski. - La réponse est oui en ce qui concerne Fessenheim, dont la fermeture était annoncée depuis 2012. En revanche, pour les autres réacteurs, nous avons mené nos travaux conformément aux visites décennales, telles qu'elles devaient être envisagées. Un point très important, dans le dialogue que nous avions alors avec le Gouvernement, apparaissait dans notre cahier d'acteur, produit au moment de la PPE: il faudrait adosser ces fermetures de réacteurs à des visites décennales. Il eût été absurde d'investir pour dix ans et de fermer un réacteur en chemin. C'est donc pour les VD5 que la question se posait. Parmi les 14 réacteurs, deux faisaient partie de la centrale de Fessenheim. Les douze autres étaient liés aux VD5 qui doivent débuter à partir de 2029. Ensuite ont commencé des débats picrocholins sur l'opportunité de débuter ces visites en 2028 ou 2027... Notre position d'industriel a consisté à souligner que c'est au moment des visites décennales qu'il faudrait se poser la question.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il n'y a donc pas eu de surcoût.
M. Cédric Lewandowski. - En effet.
M. Franck Montaugé, président. - S'agissant de la mise en service de Flamanville, avez-vous des informations à nous communiquer ?
M. Cédric Lewandowski. - Nous avons récemment communiqué sur le sujet. Surtout, comme vous le savez, l'Autorité de Sûreté Nucléaire a lancé le 27 mars dernier la dernière phase de consultation du public, en vue d'autoriser la mise en service. Pour ce qui nous concerne, c'est le chargement. Les nouvelles sont donc bonnes : nous n'avons plus devant nous d'obstacle technique qui serait incontournable ou présentant une trop grande difficulté. Toutes les équipes sont concentrées et je n'ai pas besoin de vous dire qu'elles ont toutes hâte d'enfin démarrer.
Il s'agit d'un tout nouveau réacteur et d'un exemplaire unique. C'est donc un réacteur sur lequel nous allons progresser au cours des années qui viennent. Une première période, que nous estimons à six mois, nous conduira à la « VC1 », c'est-à-dire la première grande visite, qui est effectuée sur tout réacteur en phase de démarrage. Cette visite aura lieu en 2026. Nous prévoyons une production d'environ 14 TWh d'ici là. Ce n'est pas encore considérable, car nous anticipons un certain nombre de travaux à conduire et toutes les phases d'essais, à différents niveaux de puissance, qui vont nous permettre de monter progressivement au niveau souhaité.
Cette première visite qui aura lieu en 2026 est très conséquente. Il avait été convenu avec l'ASN, suite à des défauts liés au couvercle de cuve, de remplacer celui-ci. Il y aura donc le remplacement du couvercle de cuve, qui constitue une très grosse opération. Une deuxième opération est prévue, conformément à un engagement que nous avons pris auprès de l'ASN : le remplacement d'échangeurs sur des systèmes de refroidissement. Ce sont des technologies connues mais ce sont des travaux significatifs. Enfin, il y aura l'ensemble des épreuves, hydrauliques notamment, à réaliser comme s'il s'agissait d'une première visite décennale. C'est un temps d'arrêt qui sera très conséquent. Nous sommes en train d'y travailler. Nous ferons tout pour le réduire le plus possible. L'année 2026 sera en tout cas de nouveau très conséquente. Par la suite, j'espère que nous serons autour de 10 TWh de production par an. C'est ce que nous souhaitons pour Flamanville 3.
M. Franck Montaugé, président. - Merci, monsieur le directeur.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 heures 30.