Jeudi 28 mars 2024
Examen du rapport d'information de Mmes Colombe Brossel et Béatrice Gosselin sur les familles monoparentales
Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin un rapport d'information consacré aux familles monoparentales, présenté par nos collègues Colombe Brossel et Béatrice Gosselin, les deux rapporteures de notre mission « flash » débutée à la mi-décembre.
Le Gouvernement et divers parlementaires travaillent actuellement sur cette thématique et nous souhaitons apporter notre contribution à cette réflexion.
Nous avons mené des auditions pendant trois mois, entendu de nombreuses associations représentant des familles monoparentales ou se mobilisant pour les soutenir, mais aussi la Cnaf (Caisse nationale des allocations familiales), le Haut Conseil de la famille, des sociologues, des économistes et des juristes.
Au terme de ces auditions, nous sommes parvenues à une double conclusion :
- d'une part, le cumul des difficultés et inégalités - inégalités de genre, inégalités professionnelles et inégalités sociales - auxquelles les familles monoparentales font face est sous-estimé ;
- d'autre part, les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, sont insuffisantes et peinent à soutenir efficacement ce public.
Avant de laisser la parole aux rapporteures qui vous exposeront leurs recommandations, il me semble important de préciser ce qui se cache derrière ce terme générique de « famille monoparentale » qui recouvre une diversité de situations et jette un voile pudique sur les difficultés de celles qui sont très majoritairement des mères isolées dans des situations précaires.
Les familles monoparentales, ce sont désormais une famille sur quatre. Dans 82 % des cas, il s'agit d'une mère vivant seule avec ses enfants, et dans l'immense majorité des cas celle-ci assure seule au quotidien l'éducation des enfants. La situation de résidence alternée - prégnante dans les représentations que nous pouvons avoir - ne concerne en réalité que 10 % des familles monoparentales et même seulement 5 % des mères solos (contre 35 % des pères solos).
Ces familles, ces mères isolées ont des conditions de vie et d'emploi particulièrement dégradées. 46 % des enfants vivant seuls avec leur mère vivent sous le seuil de pauvreté. C'est presque trois fois plus que les enfants qui vivent dans une famille composée d'un couple (avec leurs deux parents ou en famille recomposée). La baisse de niveau de vie est particulièrement marquée l'année de la séparation : les enfants résidant avec leur mère connaissent une baisse de leur niveau de vie de 25 % cette année-là, contre 11 % pour les enfants résidant seuls avec leur père.
Face à cette réalité, l'objectif de notre rapport est triple :
- sortir les familles monoparentales du « ghetto social » dans lequel elles sont aujourd'hui reléguées et changer les représentations sociétales de la monoparentalité ;
- renforcer les mécanismes de solidarité publique et privée pour lutter contre la précarisation des familles monoparentales ;
- enfin, faire de ces familles un public prioritaire pour l'accès à certains droits et services.
Dans cette optique, nos rapporteures vont vous présenter leurs recommandations.
Je précise que vous avez reçu dès hier et avez actuellement sous les yeux l'Essentiel du rapport, c'est-à-dire sa synthèse, ainsi que la liste des recommandations.
Je laisse la parole à la rapporteure Béatrice Gosselin.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Merci Madame la Présidente. Chers collègues, afin de soutenir le niveau de vie des familles monoparentales, nous souhaitons renforcer les mécanismes de solidarité publique et privée, c'est-à-dire :
- d'une part, le système sociofiscal, qu'il s'agit de rendre plus lisible et plus juste ;
- et, d'autre part, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ou CEEE, plus communément appelée « pension alimentaire », que nous souhaitons davantage sécuriser.
Les deux principaux dispositifs publics destinés aux parents isolés sont la demi-part fiscale supplémentaire - la fameuse case T de la déclaration de revenus - et l'allocation de soutien familial (ASF), d'un montant de 187,24 euros - sur laquelle je reviendrai.
Les familles monoparentales peuvent également bénéficier de majorations de plafonds de ressources, de montants ou de durée de versement pour une dizaine de prestations. C'est le cas notamment pour le RSA et la prime d'activité, dont le montant est majoré. C'est le cas également pour le Complément de libre choix de mode de garde (CMG), pour lequel les familles monoparentales bénéficient d'une majoration des plafonds de ressources, d'une majoration du montant ainsi que, désormais, d'une majoration de durée, jusqu'aux 12 ans de l'enfant, ce dont nous nous félicitons.
Cependant, ces différents dispositifs sont mal maîtrisés, y compris par les personnes concernées que nous avons entendues en audition. Le taux de non-recours au RSA et à l'ASF est d'au moins 15 %.
Nous recommandons donc de mener des campagnes d'accès aux droits, afin de faire connaître ces dispositifs et de lutter contre la problématique du non-recours. Nous pensons que les algorithmes des CAF (Caisses d'allocations familiales), dont nous avons beaucoup parlé récemment, doivent être un levier d'activation des droits plutôt qu'une stigmatisation de certains cas.
J'en viens maintenant au sujet de l'allocation de soutien familial (ASF), qui a fait l'objet de débats importants entre nous.
Cette allocation est versée aux parents veufs ou séparés, assumant seuls la charge de leurs enfants. Au fil du temps, elle est devenue une sorte de « pension alimentaire minimale » versée par la solidarité publique au bénéfice des enfants privés du secours de l'un de leurs parents, dans la majorité des cas parce que celui-ci est décédé, inconnu ou bien insolvable.
Cependant, alors que les pensions alimentaires demeurent dues lorsque le parent gardien se remet en couple, le versement de l'ASF est, lui, suspendu dès la remise en couple du parent gardien, alors même que le nouveau compagnon n'a aucune obligation de participer aux frais d'entretien des enfants.
C'est la raison pour laquelle plusieurs associations représentant les familles monoparentales appellent au maintien du versement de l'ASF lors de la remise en couple du parent gardien. Ma collègue rapporteure Colombe Brossel y est favorable.
Pour ma part, je suis plus mesurée car nous n'avons pas d'évaluation du coût d'une telle mesure pour les finances publiques et nous pourrions par ailleurs créer de nouveaux effets de distorsion entre familles.
Nous nous sommes donc accordées, avec ma collègue rapporteure, sur le principe d'une expérimentation du maintien provisoire du versement de l'ASF, pendant six mois, après la remise en couple du parent gardien. Cette expérimentation, assortie d'une évaluation chiffrée, nous permettra de prendre des décisions éclairées sur d'éventuelles évolutions complémentaires.
Une autre problématique qui ressort de nos auditions concerne la prise en compte des pensions et de l'ASF par le système sociofiscal et tout particulièrement dans les « bases ressources », c'est-à-dire dans les ressources examinées pour le bénéfice de diverses prestations sociales.
Actuellement, la pension est incluse dans les bases ressources s'agissant à la fois du père qui la verse et de la mère qui la perçoit. Des études économétriques montrent que, pour une mère au niveau du Smic, chaque euro perçu de pension diminue son revenu disponible de 30 centimes en raison d'effets de seuil lui faisant perdre le bénéfice de certaines prestations. Il ne nous semble donc ni juste ni souhaitable pour les finances publiques qu'une mère ait davantage intérêt à solliciter la solidarité publique qu'à bénéficier de la contribution que le père doit à son enfant. Nous préconisons donc un abattement des pensions prises en compte dans les bases ressources des prestations telles que les prestations familiales et les aides au logement. Cet abattement pourrait être à hauteur du montant de l'ASF, soit 187,24 euros.
Après avoir évoqué le système sociofiscal, j'en viens au principal mécanisme de solidarité privée destiné à soutenir le niveau de vie des familles monoparentales : la CEEE (contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant) ou, plus simplement, « pension alimentaire ». Il nous semble en effet important d'insister sur la responsabilité des deux parents, et non uniquement de la mère, dans la prise en charge de leurs enfants, ce qui passe notamment par cette contribution financière.
Nous recommandons de faire évoluer et d'unifier les barèmes de calcul de la CEEE mis en place par le ministère de la justice et par les CAF, et qui servent de référence pour les juges aux affaires familiales (JAF) et pour les parents.
Le montant moyen de la CEEE est de seulement 190 euros par mois et par enfant, alors que le coût d'un enfant varie de 200 à 900 euros selon les revenus des parents et leur situation géographique notamment, avec une moyenne autour de 750 euros.
En effet, le barème ne tient compte, de façon visible, que des ressources du parent non-gardien, déduction faite d'un revenu minimal, amenant les JAF à renoncer à demander une pension aux pères à revenus modestes, et ce même lorsque les revenus de la mère sont tout aussi modestes voire davantage.
Ensuite, le barème tient compte du nombre d'enfants et de l'amplitude du droit de visite et d'hébergement, mais pas des dépenses liées à l'enfant. Si le JAF se penche sur ces dépenses, il ne s'intéresse qu'à l'alimentation et aux vêtements, alors qu'il nous semble légitime qu'un parent contribue également aux loisirs et à tout ce qui participe au développement et à l'épanouissement de son enfant.
Enfin, nous recommanderons la réalisation d'un bilan annuel de l'Aripa, l'intermédiation financière mise en place pour le versement de la CEEE.
Cette intermédiation n'est automatique que depuis janvier 2023, il est donc encore trop tôt pour envisager une nouvelle réforme, mais si les services ne s'attaquent pas au « stock » au-delà du « flux » de nouvelles pensions et si le taux d'impayés ne diminue pas drastiquement, il faudra se poser la question de l'efficacité de ce système et de la pertinence de passer à un prélèvement à la source des pensions, sur le modèle québécois, que je trouve particulièrement intéressant. Avant l'Aripa, 30 à 40 % des pensions n'étaient pas ou pas toujours payées. La COG (convention d'objectifs et de gestion) entre l'État et la Cnaf signée en juillet 2023 a pour objectif de diminuer ce taux à 21 % en 2027. Cela représentera encore une pension sur cinq ! Nous pensons que nous pourrions être plus ambitieux.
Je laisse maintenant la parole à ma collègue rapporteure Colombe Brossel qui abordera la question du statut des familles monoparentales et la possibilité d'en faire un public ciblé dans l'accès à l'emploi et aux services.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Au cours de nos travaux sur les familles monoparentales, nous avons pris conscience du poids des représentations sociétales négatives et de la stigmatisation qui pèsent sur elles. Les deux mots qui sont revenus le plus souvent, au cours de nos auditions, étaient en effet : isolement et stigmatisation.
Les familles monoparentales se heurtent, avant tout, à un défaut de reconnaissance alors même qu'elles s'inscrivent dans les normes de la parentalité contemporaine.
Ce défaut de reconnaissance explique sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd'hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multi-dimensionnalité.
C'est pourquoi nous proposons une adaptation des politiques publiques destinées aux familles monoparentales et, en premier lieu, la création, à titre expérimental, d'une carte de « familles monoparentales » facultative et renouvelable, permettant de matérialiser et d'objectiver la situation familiale d'un parent élevant seul son ou ses enfants.
La détention de cette carte, dont l'obtention relèverait d'une démarche volontaire de la part du parent, ferait l'objet d'un renouvellement annuel et serait soumise au respect de conditions préalablement définies permettant de caractériser une situation effective de monoparentalité.
L'intérêt de cette carte serait de proposer une solution pragmatique et opérationnelle aux familles monoparentales.
Cette carte permettrait par exemple de bénéficier de tarifs préférentiels spécifiques pour l'accès à certains services et prestations (cantine scolaire, transports publics et collectifs, mutuelles, loisirs, colonies de vacances, activités périscolaires, activités sportives et culturelles, etc.).
Nous nous sommes bien sûr interrogées sur l'opportunité de créer un véritable statut juridique de famille monoparentale car il existe aujourd'hui un débat sur cette question.
Mais, faute d'évaluation aboutie, à ce stade, du levier juridique, du périmètre et du coût d'un tel statut, nous avons opté pour une solution pragmatique : l'instauration, à titre expérimental, de cette carte. Nous estimons que cette évaluation relève d'une mobilisation interministérielle et resterons bien sûr attentives aux prochains travaux entrepris sur ce sujet, à la fois par le Gouvernement et par nos collègues parlementaires. Il faudrait une vraie étude d'impact sur la mise en place d'un tel statut.
Nous recommandons donc, dans le cadre du présent rapport, une expérimentation de la délivrance de cette carte afin d'en évaluer l'impact et le coût pour les acteurs concernés par sa mise en place (employeurs, collectivités territoriales, services publics).
Sur le fondement de cette carte, nous préconisons des mesures dans différents domaines.
Les employeurs qui le souhaitent pourraient proposer à leurs salariés monoparentaux, dans le cadre par exemple de leur politique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ou de leurs accords sur l'égalité professionnelle, des mesures permettant de tenir compte de leur situation particulière : horaires aménagés, recours plus souple au télétravail, doublement des jours pour enfants malades, développement de dispositifs spécifiques de conciliation vie professionnelle/vie familiale, etc.
Lors de nos auditions, nous avons en effet relevé que des employeurs souhaitaient proposer des dispositifs plus souples à leurs salariés parents isolés mais rencontraient des difficultés faute de savoir précisément comment les identifier et par crainte d'être accusés de discrimination.
D'autres dispositifs déjà existants pourraient, par ailleurs, être généralisés :
- la priorisation, par les bailleurs sociaux, des familles monoparentales dans l'attribution de logements sociaux sur le fondement, par exemple, de points supplémentaires accordés aux familles monoparentales au sein des systèmes de cotation des demandes de logement social élaborés par les EPCI ;
- l'accès des familles monoparentales au service public de la petite enfance (crèches et/ou assistantes maternelles) et à des modes de garde d'enfants adaptés à leurs spécificités, au-delà de la seule petite enfance, pourrait être facilité avec la définition de critères de priorité dans les barèmes de crèches - notamment les crèches à horaires élargis ou celles à vocation d'insertion professionnelle - de centres de loisirs et autres modes d'accueil périscolaire.
Nous recommandons également la mise en oeuvre de politiques publiques véritablement adaptées aux familles monoparentales et au cumul de difficultés qu'elles connaissent.
En matière d'accès à l'emploi et d'insertion professionnelle, les parents isolés peuvent bénéficier de dispositifs sur mesure (parcours d'insertion et de formation) car, on le sait, la question du travail est au coeur de leur émancipation économique. Nous estimons nécessaire que ces dispositifs se développent encore.
Les familles monoparentales sont aujourd'hui en première ligne face aux difficultés d'emploi et de conciliation des temps de vie. Les mères qui élèvent seules leurs enfants sont plus souvent au chômage, en CDD et en temps partiel subi. Elles sont surreprésentées dans les emplois peu qualifiés, socialement et financièrement défavorisés avec des perspectives d'évolution et de formations limitées.
En matière de politique du logement, le développement de solutions d'habitats partagés et de logements adaptés aux contraintes de la monoparentalité doit être encouragé. Ce type de dispositif commence à se développer dans notre pays et nous avons d'ailleurs pu en visiter un. Ces projets permettent de rompre l'isolement des familles monoparentales.
Enfin, d'après des études sociologiques récentes, les familles monoparentales expriment une forte attente de soutien à la parentalité. Nous estimons que ces dispositifs doivent être soutenus et proposés à toutes les familles, que ce soit l'aide à la parentalité, les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits sociaux.
Enfin, pour les familles monoparentales, des solutions de « répit » parental ainsi que les activités en « temps partagé » peuvent apporter un soutien parfois indispensable pour un parent qui élève seul ses enfants.
Telles sont nos principales recommandations de nature à rompre l'isolement des familles monoparentales.
Nous sommes bien sûr à votre disposition pour développer davantage l'une ou l'autre de nos recommandations.
Mme Marie-Pierre Monier. - Bravo pour ce travail approfondi, réfléchi et argumenté, parfaitement en phase avec les préoccupations de notre délégation.
J'ai été surprise de constater l'évolution de la composition familiale depuis les années 1970, époque où les familles monoparentales représentaient moins de 10 % des familles contre un quart aujourd'hui, ce qui témoigne d'une véritable transformation de notre société.
Comme l'invite à le faire le titre de votre rapport, il va falloir désormais changer de représentation sociétale et mettre fin à cette stigmatisation des familles monoparentales, dénoncée de manière récurrente tout au long des auditions menées. Lors des émeutes de l'été 2023, on a souvent incriminé, dans les quartiers, les familles jugées défaillantes et manqué de compréhension vis-à-vis des difficultés quotidiennes que rencontrent ces mères, seules dans la plupart des cas.
S'agissant de votre recommandation de création d'une carte de famille monoparentale, j'ai bien compris qu'elle pourrait s'avérer compliquée à mettre en oeuvre mais je pense qu'il est nécessaire d'ouvrir des droits supplémentaires pour ces familles afin de répondre concrètement aux difficultés auxquelles ce modèle familial, aujourd'hui prégnant dans notre société, doit faire face, en matière de transports, de loisirs, de restauration scolaire, etc.
Je souhaiterais savoir si vous avez des précisions à nous apporter sur la manière dont cette carte pourra répondre à ces besoins ainsi que sur les leviers d'incitation envisagés à destination des entreprises pour aider les mères isolées ?
Concernant la recommandation de maintien provisoire du versement de l'ASF en cas de remise en couple du parent gardien, vous prévoyez une expérimentation qui, il me semble, pourrait remédier à l'injustice actuelle qui pénalise les mères dont le nouveau concubin refuse de participer financièrement à l'éducation des enfants de la première union et les place de fait en situation de dépendance économique. Sans oublier les cas de situations conflictuelles ou de violences intrafamiliales dans lesquels la mère se trouve face au choix douloureux de subvenir aux besoins de ses enfants ou de se remettre en couple.
J'ai apprécié vos recommandations portant spécifiquement sur la responsabilisation du parent non-gardien : il est non seulement invraisemblable aujourd'hui qu'un parent non-gardien solvable sur quatre ne verse pas de pension alimentaire mais aussi que son montant moyen soit seulement de 190 euros par mois par enfant. Il est donc indispensable de réévaluer le barème de calcul de la CEEE !
Je suis également favorable au bilan annuel de l'Aripa, à l'évaluation de ses objectifs de recouvrement des impayés de pension et à la mise en place du prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.
Je conclurai en soulignant qu'il s'agit d'un excellent rapport qui deviendra, j'en suis sûre, un document de référence, comme tous ceux que produit notre délégation.
M. Marc Laménie. - Je me joins aux félicitations exprimées par notre collègue pour saluer le travail d'investigation fourni par les rapporteures en si peu de temps, les problématiques humaines qu'elles ont permis de mettre en évidence et les dix recommandations formulées.
En ce qui concerne les dispositifs fiscaux et sociaux, en dépit du volume des lois de financement de la Sécurité sociale ou des lois de finances qui traitent pourtant d'une multitude de sujets, les problématiques de familles monoparentales sont peu identifiées. De même, on constate une multiplicité des interlocuteurs et des acteurs - collectivités territoriales, opérateurs publics, grandes administrations, associations - dans laquelle il est parfois difficile pour les familles de se retrouver.
Mme Olivia Richard. - Issue moi-même d'une famille monoparentale et entourée de femmes qui élèvent quasiment seules leurs enfants, ce modèle de famille relève pour moi d'une certaine normalité. Or, au cours de ces travaux, j'ai pu prendre conscience du poids de la stigmatisation subie encore aujourd'hui par ces familles.
Merci d'avoir mis en lumière les défis que ces femmes - car ce sont essentiellement des femmes - vivent au quotidien. Il y a des évidences qui méritent d'être énoncées : lorsqu'un enfant « coûte » 750 euros par mois et qu'une pension alimentaire « rapporte » 190 euros par enfant, le reste à charge est évidemment assumé par la mère. De même, il aura fallu que je devienne mère pour réaliser que les jours pour enfants malades sont un vrai problème lorsqu'on élève seule un enfant.
Vos questions sont justes mais je m'interroge : au regard de l'état actuel des finances publiques et dans la perspective des restrictions budgétaires qu'on nous annonce, quels moyens pourra-t-on déployer pour corriger ces situations ?
Je dresserai enfin un parallèle avec notre thématique de travail sur les femmes dans la rue car nos travaux se répondent : faute d'accompagnement et de prise en charge, il arrive trop souvent que des femmes qui quittent un mari violent pour mettre en sécurité leurs enfants se retrouvent à la rue.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Merci pour ces commentaires élogieux. Pour revenir sur les propos de notre collègue Marc Laménie, il existe déjà en effet un socle de dispositifs mis en place par les différentes collectivités, EPCI, etc. mais la carte « famille monoparentale » permettrait de les rassembler de manière simple et lisible. De même, nombre d'entreprises privées, dans le cadre de la RSE, ont déjà travaillé sur des dispositions comme les assouplissements d'horaires, l'accès au télétravail ou la majoration du nombre de jours pour enfants malades, mais ces entreprises nous disent qu'elles ont besoin d'un cadre qui les sécurise en tant qu'acteur économique. L'idée serait donc d'entraîner une dynamique en prenant tous les dispositifs de politique publique ou privée existants, afin de construire une offre à destination des familles monoparentales, comme a pu se construire par exemple l'offre à destination des familles nombreuses.
Pour répondre à Olivia Richard sur le coût de ces dispositifs d'accompagnement pour les finances publiques, nous avons travaillé dans le sens d'un rééquilibrage de la responsabilité privée, c'est-à-dire celle des parents non-gardiens : je le dis très fermement, il n'y a pas de raison que la solidarité publique prenne à ce point le relai des parents non-gardiens qui ont des devoirs en matière d'éducation de leurs enfants.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Un mot sur les impayés de pensions alimentaires : on constate que, dans un certain nombre de cas et pour diverses raisons, comme la peur du conflit avec l'ex-conjoint par exemple, des mères ne réclament pas les sommes auxquelles elles pourraient prétendre. Dans ces cas-là, l'intermédiation de la CAF est très utile. Malheureusement, on sait que le taux d'impayés ne devrait pas descendre en-deçà de 21 % d'ici 2027 - au vu des objectifs fixés dans la COG entre l'État et la Cnaf. Il me semble donc que le prélèvement à la source des pensions serait une bonne solution. Les services de la DGFiP (Direction générale des finances publiques) savent parfaitement gérer le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, cela ne devrait donc pas poser de problème pour le recouvrement des pensions alimentaires.
Je vous rejoins sur la nécessité de réévaluer le montant de la CEEE et sur la nécessité de responsabiliser le parent non-gardien.
Mme Sylvie Valente Le Hir. - Merci pour ce beau travail !
J'approuve pleinement cette idée de carte famille monoparentale, notamment dans le cadre de la politique RSE, j'espère donc qu'elle sera très rapidement expérimentée et le plus largement possible.
S'agissant des dispositifs d'insertion professionnelle, des initiatives en matière d'habitat partagé et des accompagnements à la parentalité, pour favoriser notamment le répit parental : comment envisagez-vous concrètement leur mise en place ?
M. Adel Ziane. - Je suis très heureux que ce travail de fond aboutisse à un rapport et des recommandations consensuels. J'en ai personnellement beaucoup parlé dans mon territoire et j'ai pu constater de grandes attentes de la part des élus sur le terrain.
Je tiens particulièrement à souligner l'importance de la recommandation relative aux campagnes d'information sur l'accès aux droits à destination des parents isolés : beaucoup de familles monoparentales n'entament pas les démarches car elles ne connaissent pas leurs droits. Nous devrons donc tous communiquer efficacement auprès de ces familles dans nos différents territoires.
Deux points me semblent essentiels : la réévaluation du barème de calcul de la CEEE et la question de l'abattement sur son montant pris en compte dans les bases ressources. Il faut mettre en lumière à la fois l'écart considérable entre le montant de la pension alimentaire et le coût réel d'un enfant, mais aussi les difficultés de recouvrement, notamment dans les situations de conflit familial ou de difficultés relationnelles. Je suis tout-à-fait d'accord avec ce qui a été dit : les services fiscaux savent très bien prélever à la source quand il le faut !
Nous avons aussi évoqué les dispositifs d'aide à la parentalité et notamment les maisons de répit, je pense que ces dispositifs doivent être développés.
Enfin, étant moi-même issu d'une famille monoparentale, j'ai été conduit à m'interroger et à réfléchir sur la place des enfants dans ces familles : qu'est-ce qu'être un enfant de famille monoparentale ? C'est, je le pense, une réflexion qu'il faudra conduire.
M. Gilbert Favreau. - Je joins mes félicitations à celles qui vous ont été précédemment adressées par nos collègues.
Je voudrais aborder le sujet sous un angle très pragmatique. Il me semble que les recommandations listées sont très complètes mais je souhaite revenir sur le problème du manque d'information, que l'on constate à plusieurs stades : au premier niveau, c'est-à-dire au stade judiciaire, au moment du divorce - il y a de grands progrès à faire pour que les avocats prennent le temps d'informer leurs clients sur les droits et démarches - mais aussi au stade du recouvrement des pensions alimentaires, qui connait de graves défaillances.
S'agissant des mesures, il y a deux types de contributeurs : le père, dans la majorité des cas, et les services publics. Dans la mesure où l'on observe que, dans de nombreux cas, la mère préfère ne pas solliciter le père, il faudrait prévoir un dispositif mensuel pour s'assurer du règlement de la pension par le père et, en cas de non-paiement constaté, un basculement automatique vers un système de prélèvement à la source, par la CAF ou la DGFiP selon la situation économique du père.
Pour les mesures qui relèvent des administrations publiques ou des services sociaux, qui seront prises soit par la voie réglementaire soit par la voie législative, il faudra être prudent et ne pas proposer de dispositifs trop systématiques - je pense aux saisies et à la généralisation ou à l'augmentation de certains avantages sociaux et fiscaux - car nous risquons, dans le processus parlementaire, de nous heurter à des oppositions. Le maintien de l'ASF au parent gardien en cas de remise en couple, par exemple, me semble constituer un sujet extrêmement sensible.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - En effet, c'est bien ce dernier point qui a été l'objet des plus grands débats entre nous et c'est pourquoi nous proposons une expérimentation afin de pouvoir, dans un premier temps et avant toute décision définitive, mesurer l'impact financier de cette mesure et ses implications en matière d'équité entre les familles.
Concernant les mesures d'organisation et plus particulièrement, d'urbanisme, je pense qu'il faut favoriser l'installation de maisons réservées aux parents solos, dans nos territoires urbains et ruraux. Il ne s'agit pas de créer un ghetto mais d'encourager des lieux de répit, qui permettent de rompre l'isolement de ces familles et d'alléger leur quotidien en proposant des échanges de services.
J'ai découvert dans mon département une structure qui permet à des parents isolés de se rencontrer régulièrement, avec des éducateurs qui prennent en charge les enfants, afin d'apporter une respiration et un échange entre parents. Ce n'est pas compliqué à mettre en place. C'est simplement une autre conception de l'organisation familiale, rendue nécessaire par l'évolution de notre société.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Sur l'insertion professionnelle, sur laquelle notre collègue Sylvie Valente Le Hir nous a interrogées, les chercheuses qui ont travaillé pour la Cnaf et que nous avons auditionnées nous ont expliqué qu'il y a vingt ans, les mamans solos travaillaient plus que les mères de famille en couple. Mais depuis, les courbes se sont croisées et aujourd'hui le taux de chômage est plus important chez les mamans solos. C'est principalement à cause du problème du mode de garde, absolument indispensable pour s'engager sur la voie de l'insertion professionnelle et du retour à l'emploi.
C'est pourquoi nous avons souhaité reparler des crèches à vocation d'insertion professionnelle, destinées à accueillir les enfants pendant que les parents suivent un parcours d'insertion professionnelle. La ministre Aurore Bergé s'est d'ailleurs engagée, lors de son audition par la délégation le 21 mars 2024, sur la création de dix mille places supplémentaires dans ces crèches. Il est vrai que ce sont des structures davantage adaptées aux zones urbaines que rurales, l'enjeu consistera donc à réussir à coordonner la cartographie des zones d'implantation de ces crèches avec celle des zones où se trouvent les formations d'insertion professionnelle. C'est en tout cas un dispositif que nous souhaitons encourager car il fonctionne et nous suivrons la mise en oeuvre des engagements pris par la ministre avec attention.
Un deuxième point que je voulais aborder concerne la dénomination. En effet, les familles monoparentales recouvrent des réalités bien différentes qui se retrouvent dans la diversité des terminologies employées pour les nommer : familles monoparentales, parents solos, parents isolés, parents gardiens... Nous avons choisi le terme qui nous semble le plus neutre et le plus universel, « famille monoparentale », qui est celui employé par l'Insee et la CAF.
M. Gilbert Favreau. - Une précision : en zone rurale, il existe déjà des maisons d'assistantes maternelles qui pourraient peut-être, à voir avec la CAF, jouer le rôle d'accueil sur des horaires décalés par exemple.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Les services du département de l'Yonne, à 95 % rural, ont engagé une étude sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA depuis plus de deux ans et ont découvert à cette occasion que la grande majorité de ces bénéficiaires étaient des mères de famille sans solution de garde. Car, en effet, les seuls emplois qui leurs sont proposés sont des emplois non qualifiés, de services d'accompagnement à la personne, à horaires atypiques tôt le matin ou bien tard le soir, ce qui nécessite d'avoir une solution de garde, qui soit n'existe pas, soit ne leur est tout simplement pas accessible au regard de son coût. Cette étude a contribué à changer la représentation traditionnelle qu'on pouvait avoir des personnes bénéficiaires du RSA et je m'en félicite.
Mme Annie Le Houerou. - Bravo pour ce travail. Sur la question du statut qui vous a conduit à préférer le système de la carte famille monoparentale, il est vrai qu'il y a une revendication à ne pas être enclavé dans un statut car la monoparentalité est une situation qui peut être transitoire.
Je salue votre proposition de revaloriser le barème de fixation des pensions alimentaires qui est ridiculement bas mais j'aimerais revenir sur l'Aripa : aujourd'hui en cas de non-paiement de la pension, il faut tout de même faire une démarche auprès de la CAF, ce qui ne règle pas le souci de retard de versement ni le fait que, finalement, la femme doit toujours justifier du non-paiement du parent défaillant. Ne faudrait-il pas, comme c'est le cas au Québec, automatiser ce recours et le déclenchement de l'Aripa ?
Pourriez-vous par ailleurs nous préciser comment favoriser les solutions d'habitat partagé, qui me semblent constituer une offre très intéressante, pour pouvoir nous donner des idées dans nos collectivités ?
Enfin, s'agissant de l'aide au répit parental, cela pourrait inspirer nos conseils départementaux pour mettre en oeuvre des dispositifs d'accompagnement éducatif de groupe, par exemple dans le cadre de la protection de l'enfance, sans vouloir faire d'amalgame bien sûr car la monoparentalité n'est pas forcément synonyme de situation problématique.
Mme Agnès Evren. - Je tiens à vous féliciter pour la qualité de ce rapport, très précis et technique.
Malheureusement, il y a beaucoup de représentations stéréotypées, d'idées reçues sur les familles monoparentales, qui ne sont toujours pas considérées comme un modèle de famille comme un autre.
Comment se situe-t-on par rapport aux autres pays européens, et desquels, selon vous, pourrait-on s'inspirer en matière de politiques publiques ?
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - En ce qui concerne l'Aripa, nous avons auditionné la CAF qui estime que le déclenchement est assez rapide mais ce n'est pas forcément ce qui ressort des témoignages que nous avons recueillis. Ce n'est pas un dispositif si simple à mettre en place en effet, et il faudrait que cela aille plus vite ! Nous n'avons pas encore de solution pour l'automatiser.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Avec le modèle québécois, qui repose sur une automatisation du prélèvement à la source, 95 % des pensions sont payées. Nous n'avons pourtant pas choisi de vous proposer d'emblée ce système car l'Aripa n'est pleinement opérationnelle que depuis un an et nous pensons qu'il est trop tôt pour changer un modèle qui a mis plusieurs années à se mettre en place puisqu'il a été voté en 2016. 1 000 ETP ont été déployés par les CAF, il faut leur laisser le temps de mettre pleinement en oeuvre ce dispositif et ce ne serait pas raisonnable d'y mettre fin dès aujourd'hui. Notre recommandation ouvre cependant une possibilité pour mettre en place un prélèvement à la source automatique si nous ne constatons pas d'évolution positive.
S'agissant de l'habitat partagé, ce qui est intéressant c'est que ce sont essentiellement des initiatives privées, qui répondent à un besoin. Nous avons visité la maison « Commune » de Poissy mais il y a aussi un projet en construction dans le nord de la France, à Roubaix. Il s'agit d'un vrai lieu d'habitation à soi avec des services en commun : une immense cuisine pour dîner ensemble si on le souhaite, un espace pour les enfants, une buanderie partagée... Ces services sont aussi une réponse aux problématiques économiques très concrètes que vivent les familles monoparentales.
Lorsque nous avons interrogé la cofondatrice de la maison « Commune » sur l'aide que nous pourrions apporter à son projet, elle a manifesté le souhait de rester dans le domaine privé mais a indiqué vouloir surtout convaincre les collectivités de l'utilité de ce projet afin de pouvoir bénéficier de facilités, notamment en matière d'accès au foncier.
Mme Béatrice Gosselin, rapporteure. - Je regrette seulement que ce dispositif, néanmoins très intéressant, ne puisse être accessible à tous financièrement, car en dépit de la perception des aides aux logement, cela suppose d'avoir tout de même un revenu un tant soit peu confortable. Ce projet mérite sans doute de mûrir, car il est encore très récent.
Mme Colombe Brossel, rapporteure. - Pour répondre enfin rapidement à Agnès Evren, la France, tant en termes de proportion de familles monoparentales que de politiques d'accompagnement, se situe à mi-chemin entre les deux modèles, celui du Sud traditionnellement basé sur la solidarité familiale et celui du Nord, davantage axé sur des politiques publiques volontaristes.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Je voudrais à mon tour remercier les rapporteures de cette mission flash pour leur engagement et leur important travail sur ce sujet.
Sachez que nous avons rencontré notre collègue Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, au moment où nous avons eu notre débat sur le maintien de l'ASF, et qu'il approuve notre recommandation d'un maintien temporaire.
On voit bien que c'est un sujet davantage d'ordre privé que public : comment mettre chacun devant ses responsabilités, et particulièrement les pères ? Ce sont essentiellement des systèmes privés et associatifs qui se mettent en place, tant en ce qui concerne les habitats partagés que les crèches en territoire rural, ce qui prouve bien que notre délégation est totalement en phase avec la société actuelle et les préoccupations de nos concitoyens.
La ministre Sarah El Haïry, en charge de l'enfance, de la jeunesse et des familles, m'a d'ailleurs indiqué qu'elle souhaitait que nous puissions lui remettre le rapport dès qu'il sera publié.
Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses dix recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier.
Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?
Il n'y en a pas, le rapport et ses conclusions sont donc adoptés.
S'agissant du titre, les rapporteures vous proposent : Familles monoparentales : pour un changement des représentations sociétales. Nous avons en effet été marquées, tout au long de nos travaux, par la stigmatisation que ressentent les familles monoparentales et la nécessité de faire évoluer les regards portés sur ces familles qui constituent désormais un modèle familial parmi d'autres. Cette proposition vous convient-elle ? Je constate un accord unanime sur ce titre.
Nous en avons donc fini avec l'examen de ce rapport d'information.
Merci à toutes et tous !