Jeudi 28 mars 2024
- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -
Examen du rapport relatif à la marque employeur des collectivités territoriales
Mme Françoise Gatel, Présidente. - Nous allons examiner ce matin les conclusions de la mission d'information menées par nos trois collègues, Catherine Di Folco, Cédric Vial et Jérôme Durain sur la marque employeur. Jérôme Durain est excusé, puisqu'il est retenu par la commission d'enquête sur le narcotrafic qu'il préside.
Cette mission a conduit un travail très important autour de l'attractivité de la fonction publique territoriale. Nous constatons en effet un certain désintérêt pour les métiers de la fonction publique, quelque soit la branche. Cette tendance est renforcée par le changement sociétal très fort du rapport au travail.
Vous avez engagé, il y a plusieurs mois, cette étude sur l'attractivité. Je vous laisserai présenter vos angles d'attaque. Je rappelle que le premier volet de vos travaux relatif aux secrétaires de mairie a abouti à une loi. Cette loi participe, comme celle sur la protection des élus, de l'apport important du Sénat pour sécuriser l'engagement des élus.
J'étais en réunion hier avec des élus alsaciens. Partout, on constate les mêmes difficultés des élus et leur crainte de ne pas être accompagnés par un personnel compétent face à la complexité normative et à la responsabilité qui est la leur. Cette responsabilité est d'autant plus grande que nos concitoyens se comportent parfois en consommateurs. Chers collègues, vous avez la parole.
Mme Catherine Di Folco, co-rapporteure. - Vous l'avez dit, madame la Présidente, ce rapport est l'aboutissement d'un long travail sur l'attractivité de la fonction publique, et notamment de la fonction publique territoriale. Le premier volet a été présenté en juin 2023. Il portait sur le sujet prégnant des secrétaires de mairie qui a fait couler beaucoup d'encre. À cet égard, je voudrais remercier notre collègue Céline Brulin, qui a la première mis un coup de projecteur sur cette thématique grâce à sa proposition de loi. Nous l'avions votée ici à l'unanimité au Sénat. Cependant, ce texte n'a pas prospéré, puisque le gouvernement n'a pas souhaité l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Par opportunisme, un collègue du groupe présidentiel a redéposé une proposition de loi et celle-ci a pu aller jusqu'au bout. On s'en satisfait, puisque les mesures que nous avions introduites dans la proposition de loi Brulin y ont été reprises. Je remercie donc Céline Brulin d'avoir amorcé le travail qui s'est concrétisé par cette loi du 30 décembre 2023 revalorisant le métier de secrétaire de mairie.
C'est aujourd'hui le second volet de notre mission que nous vous présentons. Il traite d'un outil éveillant l'intérêt d'un nombre croissant de collectivités territoriales : la marque employeur. En avril 2023, nous avions, ici même, lancé cette réflexion par une table ronde qui nous avait permis de découvrir la marque « Den-breizh », chère au coeur des centres de gestion bretons.
Afin de comprendre les enjeux gravitants autour de la marque employeur, il convient de replacer cette innovation dans le contexte plus général de la dégradation objective, que l'on peut regretter, de l'attractivité de la fonction publique territoriale. Nous rentrerons ensuite dans le détail de ce nouvel outil, qui mérite assurément l'attention.
La présidente l'a dit tout à l'heure, beaucoup de collectivités peinent à recruter, et ce dans de nombreux secteurs. La perte d'attractivité frappe toutes les fonctions publiques, pas uniquement la territoriale. Le phénomène est bien documenté. Avec mes collègues, nous avons en mémoire l'audition d'une consultante déplorant que la majorité des cadres de la fonction publique rencontrent des difficultés de recrutement.
Tout d'abord, il y a l'arrivée de nouvelles générations sur le marché du travail ; elles ont un autre regard que celui qu'on pouvait avoir autrefois sur la fonction publique. C'est un retournement qui s'est opéré, au point que ce qui était auparavant perçu comme un avantage devient un inconvénient. Souvenez-vous, c'était finalement un aboutissement que de rentrer dans la fonction publique. Autrefois, les parents étaient fiers lorsque leur enfant décrochait un poste dans la fonction publique. Aujourd'hui, la situation s'est inversée. La stabilité de l'emploi devient un repoussoir pour des jeunes diplômés. Conscients de leur valeur marchande, ces derniers ont envie de se faire remarquer que ce soit dans le public ou dans le privé.
Il y a aussi le filtre du concours qui constitue un facteur supplémentaire de désamour. La procédure du concours est jugée longue, complexe, archaïque et très concurrentielle. Finalement, on se rend compte qu'elle rebute de plus en plus de candidats. Tout le monde a également en tête l'aspect salarial qui n'est pas du tout négligeable. A poste similaire, les filières de la fonction publique sont beaucoup moins rémunératrices que le secteur privé. Si cela concerne les trois versants de la fonction publique, le secteur le plus touché par cet aspect, c'est bien la fonction publique territoriale. Vous le savez, 75 % des fonctionnaires de la territoriale relèvent de la catégorie C et donc ils ne sont souvent pas bien loin du SMIC.
Et puis, il y a le management qui est perçu comme trop hiérarchique. On retrouve dans ce registre de reproches les attributs souvent attachés à la bureaucratie : le manque de souplesse interne, le côté déresponsabilisant de l'organisation, l'esprit d'initiative contrecarré par le poids des procédures et les niveaux de validation. Or, sur le marché de l'emploi, près d'un candidat sur deux cite le critère de la bonne entente avec le management parmi les critères déterminants dans le choix du poste. Il me semble quand même que le développement des formations pour les managers devrait permettre une amélioration dans ce domaine.
Dans ce paysage d'emploi de la fonction publique qui n'est guère réjouissant, certains traits spécifiques à la territoriale alourdissent encore plus la barque. Cela est d'autant plus dommageable que les métiers de la territoriale sont pourtant ancrés dans le concret, porteurs de sens et implantés dans un territoire. Ces fonctions peuvent donc parfaitement convenir aux aspirations professionnelles de ceux voulant travailler en mode projet, désireux d'une chaîne hiérarchique courte ou attirés par la digitalisation et l'innovation.
Hélas, la filière d'emploi de la territoriale souffre d'être trop méconnue. On le sait tous, les métiers de la territoriale sont méconnus, et pourtant ils sont nombreux. On ne connaît pas les possibilités de recrutement et on ne connaît pas non plus les possibilités de mobilité. À titre d'illustration, une partie des demandeurs d'emploi continue de croire que le rôle des agents se limite à l'accueil en mairie ou à l'entretien de la voie publique. Lorsque l'on rentre dans une mairie, on voit les agents. Lorsqu'on circule sur la voie publique, on voit les agents qui nettoient, mais il y a tellement d'autres métiers. En réalité, on se rend compte que la territoriale ne dispose pas d'une vitrine médiatique permettant de bien cerner ses métiers, au contraire de la fonction publique d'État, dont la visibilité est assurée par des reportages, des documentaires, des films et des séries mettant en scène les forces de l'ordre, les enseignants, les magistrats. On a tous en mémoire ces spots publicitaires ou les séries policières montrant le fonctionnement des commissariats, etc... Le degré de méconnaissance est tel qu'un sondage commandé par la direction interministérielle de la transformation publique révèle que 10 % des répondants croyaient qu'il faut être élu pour exercer dans la fonction publique territoriale, tandis que 26 % pensaient qu'il faut résider dans la commune où se trouve le poste. Il y a vraiment une très grande méconnaissance. Force est de constater que l'information diffusée dans le cursus scolaire ne permet pas de redresser cette distorsion et que l'enseignement supérieur met surtout en avant les concours de la fonction publique d'État. Je crois que la territoriale a bien pris conscience de ce retard et que, de plus en plus, il est question de participer à des forums d'étudiants. Je suis persuadée que ce genre d'initiatives fera connaître les métiers.
Ce qu'on appelle aussi l'expérience candidat est un facteur nuisant à l'attractivité de la territoriale. Sur bien des aspects, le cheminement d'un candidat pour intégrer une structure territoriale reste perfectible. Les offres d'emploi font certes l'objet d'une obligation de publicité lors d'une vacance de poste. Il arrive cependant très fréquemment que le poste en question soit déjà pourvu en interne. Ce biais conduit parfois des candidats extérieurs à ne même plus déposer leur candidature, afin d'éviter une perte de temps inutile. Concernant les fiches de poste, les candidats souhaitent également davantage de transparence sur les prérequis. Est-ce que ce poste est bien accessible aux contractuels, par exemple ? Dans le cas où le poste est ouvert en priorité aux fonctionnaires, quels sont les concours privilégiés ? Lesquels peuvent être équivalents ? Il faut le reconnaître, les collectivités locales publient des offres de postes avec des descriptions qui sont souvent peu attrayantes ou peu éclairantes. Que font concrètement un rédacteur et un attaché ? L'information est bien souvent trop juridique pour être comprise par des personnes qui ne sont pas dans la fonction publique.
Il convient toutefois de relativiser quelque peu ce jugement d'ensemble assez pessimiste. En pratique, les collectivités territoriales ne sont pas toutes égales face aux difficultés de recrutement. Leur attractivité varie en fonction de leur taille, mais aussi de leur localisation géographique. Dans une petite commune rurale, les recrutements sont souvent plus difficiles en raison de l'éloignement ou du risque d'isolement. Les petites collectivités offrent moins de perspectives de déroulement de carrière. Elles proposent des métiers exigeant de la polyvalence. On l'a vu avec le métier des secrétaires de mairie. En outre, c'est important, l'emploi du conjoint y est également parfois beaucoup plus difficile. Les familles regardent également les filières pour les études des enfants. Dans une grande agglomération, c'est un frein d'une autre nature qui joue : le coût de la vie, qui peut être très élevé. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, on a beaucoup d'agents de catégorie C dans la fonction publique territoriale, qui sont souvent rémunérés au SMIC. En matière de localisation, certaines zones géographiques sont plus prisées que d'autres. La proximité de la mer, un climat favorable, une bonne desserte en transport font par exemple de l'Ouest et du Sud de la France des territoires disposant d'atouts supplémentaires lorsqu'il s'agit de séduire les candidats.
Au total, selon le baromètre de la marque employeur du secteur public établi par la Gazette des communes, les trois types de collectivités les plus attractives sont les conseils départementaux, les métropoles et les communes de 500 à 5 000 habitants. À contrario, les trois catégories de collectivités ou d'établissements les moins attractifs sont les communes de moins de 500 habitants, les centres de gestion, sans doute parce qu'on ne sait pas du tout ce qui se passe dans ces centres, et les services départementaux d'incendie et de secours.
M. Cédric Vial, co-rapporteur. - Dans le contexte qui vient d'être décrit, la question est de savoir ce que peut apporter une marque employeur.
D'abord, à quoi renvoie exactement ce terme sibyllin pour les non-initiés ? La marque employeur correspond à un ensemble d'outils et de stratégies de communication et de marketing permettant à la fois de valoriser un employeur auprès de candidats potentiels, mais aussi de fidéliser et de conserver les talents. Elle se construit à partir de l'image de la collectivité en tant qu'employeur et de sa réputation, mais aussi de sa capacité à fournir un environnement de travail correspondant aux attentes.
À cet égard, je crois nécessaire de souligner un point très important dans le contexte actuel de guerre des talents et de tensions sur le marché du travail. La logique de recrutement tend à s'inverser. Il faut en avoir conscience. Les employeurs doivent désormais s'efforcer de séduire les candidats et de devenir des employeurs de choix.
La marque employeur peut y aider, à condition que la collectivité s'astreigne à un travail de fond afin de définir précisément sa culture et son identité, ainsi que les pratiques professionnelles susceptibles d'être valorisées. L'un des meilleurs exemples à cet égard dans le secteur public correspond probablement à la marque employeur de l'armée de terre qui innove en permanence pour recruter les candidats.
La marque employeur permet de contrecarrer les idées reçues, altérant l'image des fonctionnaires. Face aux critiques portant sur l'organisation prétendument désuète, les déficiences en management ou encore le peu de responsabilisation, les collectivités territoriales ont tout à gagner à faire découvrir la variété et la réalité des emplois qu'elles offrent. Des vidéos de témoignages des agents de la collectivité sont souvent des supports appréciés par les candidats potentiels, ce que pratique le Sénat par exemple. En effet, qui de mieux pour parler de la diversité des métiers que ceux qui les exercent ? Il s'agit pour les collectivités de mettre en avant et de diffuser à grande échelle leurs nombreux atouts. Elles peuvent valoriser leur mission de service public, leur proximité avec les administrés, leur participation à l'intérêt général, le respect de la vie personnelle des agents, etc.
Attention, la marque employeur d'une collectivité territoriale ne doit pas être confondue avec du marketing territorial. Le marketing territorial est déjà largement mis en oeuvre et de longue date. Il vise à mettre en avant les atouts d'une collectivité pour attirer des personnes mais aussi des entreprises, des infrastructures, des événements culturels. La marque employeur et le marketing territorial sont donc différents, mais complémentaires. Le marketing territorial apporte des arguments supplémentaires pour inciter les candidats potentiels et leurs familles à prendre un emploi au sein de la collectivité.
À ce stade de la présentation, je veux insister sur le sens de mon propos. Il ne s'agit pas de dire et encore moins de croire que la marque employeur permet de résoudre tous les problèmes et serait une potion magique qui marche à tous les coups. Pour que la réussite soit au rendez-vous, encore faut-il satisfaire à quelques conditions. Je conclurai donc mon exposé par les facteurs clés de réussite que nous avons pu identifier avec mes collègues rapporteurs.
Tout d'abord, avant de se lancer dans la création d'une marque employeur, il est nécessaire de s'interroger sur la stratégie géographique pertinente. La multiplication des marques employeurs brouille les identités des collectivités. À l'inverse, créer une marque pour un territoire trop large peut conduire à escamoter les spécificités et les avantages locaux. La marque employeur risque alors d'être trop éloignée de la réalité du terrain. Il paraît donc assez évident que les plus petites communes n'ont pas assez de moyens à consacrer au développement d'une marque employeur. J'y reviendrai. Cette stratégie semble d'ailleurs moins pertinente à une petite échelle puisque les besoins en recrutement de la collectivité sont beaucoup plus ponctuels. Intuitivement, il paraît donc plus avisé de créer une marque employeur à une échelle plus large au niveau des métropoles, des intercommunalités, des départements ou des régions.
Le deuxième facteur clé de réussite réside dans la définition d'une identité et d'une proposition d'employeur claire. Or, les consultants que nous avons auditionnés le soulignent, même si le niveau de salaire reste essentiel pour une grande majorité des candidats, leur motivation évolue. Parmi les critères de choix les plus déterminants, on peut notamment citer l'équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, l'ambiance de travail, l'entente avec le management, la flexibilité et le sens trouvé dans le travail. La crise sanitaire a d'ailleurs contribué à accélérer ce changement de paradigme et les jeunes diplômés sont désormais particulièrement attentifs aux critères sociétaux.
Le troisième facteur clé de la réussite passe par l'étroite association des élus et des équipes locales à l'élaboration de la marque employeur. En d'autres termes, il faut embarquer l'ensemble des équipes pour que la marque reflète bien la réalité du terrain, mais il faut aussi faire participer les élus qui seront ensuite d'excellents relais locaux pour la diffusion de cette marque.
La quatrième condition de réussite consiste en la nécessité d'embrasser dans le chantier de construction de la marque autant le recrutement que la fidélisation des candidats. Dans cette perspective, les agents en poste doivent être invités à participer à l'évolution de la marque employeur et peuvent même continuer à en être les ambassadeurs après leur départ de la collectivité.
Si une collectivité veut se lancer dans l'élaboration d'une marque employeur, une dernière question se pose, faut-il être accompagné par un cabinet spécialisé ? Un certain nombre de cabinets de conseil, notamment ceux en ressources humaines, ont développé une activité spécifique autour de la marque employeur. Cette expertise n'est pas récente, puisque la notion est apparue dans le secteur privé dès les années 90. Toutefois, ce sujet constitue bien une nouveauté à l'échelle des collectivités territoriales, et les cabinets ont compris l'intérêt à développer leur offre dans cette direction. L'accompagnement par un cabinet de conseil spécialisé semble donc faciliter la tâche aux collectivités pour qui la communication et le marketing ne sont pas le coeur de métier. Mais encore une fois, la taille de la collectivité a son importance. Elle conditionne de fait largement la pertinence du recours à un cabinet. Les plus grandes collectivités sont mieux équipées pour se lancer sans accompagnement. Elles disposent de moyens humains plus importants, direction de la communication, des ressources humaines notamment, mais aussi d'une surface budgétaire suffisante pour développer une marque employeur en autonomie. Par comparaison, les plus petites collectivités, y compris certaines intercommunalités, auront probablement davantage intérêt à se faire accompagner par des cabinets spécialisés. Mais bien évidemment, faire appel à ces structures comporte un coût qui reste difficile à évaluer dès lors qu'il dépend du format de la mission, de la durée, d la taille ou encore du sujet abordé.
En conclusion, si la marque employeur rencontre un intérêt aussi récent que certains dans le monde des collectivités territoriales, c'est qu'elle entre en résonance avec un enjeu essentiel à l'échelle de la fonction publique territoriale, celui de redonner du sens à la mission, bien loin de se réduire à un pur phénomène de mode. La stratégie de la marque employeur doit être interprétée pour ce qu'elle est vraiment, à savoir l'opportunité de réfléchir en profondeur à l'identité de la collectivité et de revisiter la relation collectivité-employeuse-agent territorial. Les attentes des nouvelles générations arrivant sur le marché de l'emploi y invitaient déjà. Les tensions actuelles sur le marché du travail ne soulignent que plus encore l'intérêt de développer une marque employeur afin de travailler à l'attractivité des postes offerts par la collectivité.
Bien évidemment, nous en sommes tous conscients, cette stratégie ne peut à elle seule résoudre l'ensemble des difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales en termes de recrutement, de fidélisation et de progression de carrière de leurs agents, mais elle offre une corde de plus à l'arc des réponses. Avec mes collègues, nous avons donc voulu fournir une boîte à outils et poser les bonnes questions pour faire gagner du temps aux élus qui souhaiteraient demain se lancer dans la démarche d'une marque employeur. Et nous espérons ainsi, sans en être certains, avoir fait oeuvre utile.
J'ajouterai une remarque. La prise de conscience de la compétition entre les employeurs pour recruter des collaborateurs me semble parfois être absente des politiques de ressources humaines (RH), ou en tous les cas, pas assez présente. On cherche à attirer des collaborateurs grâce à un environnement, à des conditions de travail. En retour, il ne faut pas oublier que l'expertise du collaborateur doit aussi être un critère de sélection, me semble-t-il, dans les démarches RH.
Mme Françoise Gatel, Présidente. - Je vous remercie pour ce travail sur un sujet essentiel. En effet, nous devons sensibiliser l'ensemble des acteurs à la nécessité de parler différemment, vous l'avez dit l'un et l'autre à votre manière, aux candidats qui pourraient être intéressés. Ce que l'on sait de l'évolution du rapport au travail touche évidemment les collectivités, mais les élus n'en sont peut-être pas suffisamment conscients. À part les experts, personne ne sait ce qu'est le métier de rédacteurs. On a besoin de métiers essentiels. On parlait du métier de secrétaire de mairie, par exemple. On a aussi de nouveaux métiers. Je pense à des métiers sur la cybersécurité, l'urbanisme, ect ... On voit bien également que les grandes collectivités sont souvent les plus attrayantes, pour les candidats, parce qu'elles offrent des conditions de travail plus adaptées. De ce fait, il y a une sorte de transfert des candidats vers les intercommunalités.
Nous avons conduit un travail important sur le statut de l'élu. L'envie de s'engager est renforcée lorsque l'élu sait qu'il a autour de lui un staff, même léger, qui va le sécuriser, le protéger, l'accompagner et qui apportera l'expertise nécessaire au pilotage de la collectivité.
Votre contribution est tout à fait essentielle et je trouve qu'elle tombe au bon moment.
M. Cédric Chevalier. - Je voudrais tout d'abord remercier les trois rapporteurs. Effectivement, le constat n'est pas propre à la fonction publique territoriale, il peut être étendu aux autres versants de la fonction publique et au secteur privé en général. Il faut observer la jeune génération. Aujourd'hui, les jeunes témoignent dans leur cursus d'une forte mobilité. À partir du moment où ils ont goûté à cette mobilité, leur périmètre de recherche d'emploi n'est pas uniquement local, régional mais également national, voire international. La concurrence est rude.
J'entends ce qui a été dit, notamment sur le fait de retrouver du sens et des conditions de travail. Aujourd'hui, la plupart des jeunes entrent sur le marché du travail en cherchant une certaine forme de sens. L'aspect financier n'arrive que dans un second temps.
Je voulais simplement revenir sur ce qu'a dit, tout à l'heure, Cédric Vial, sur la définition de la marque employeur. En fait, je me pose la question de la pertinence d'une évolution des règles, en termes de management. Tout à l'heure, Catherine di Folco parlait de cette image un peu archaïque de la fonction publique territoriale, mais il y a aussi une forme de rigidité. On a, dans ce pays, des gens qui sont très bons techniquement, mais il nous manque un aspect managérial avec une certaine agilité. Cédric Vial mentionnait la technicité en conclusion de son propos. Mais est-elle aujourd'hui une vraie réponse ? Sur l'aspect managérial, ne faut-il pas imaginer de nouveaux leviers pour valoriser les collaborateurs méritants ?
Les règles doivent certainement évoluer pour donner beaucoup plus d'agilité et de souplesse aux personnels encadrants, pour valoriser, pour trouver un sens, pour progresser aussi en termes de compétences. La réflexion autour d'un véritable parcours doit être engagée.
Je trouve que le cadre, aujourd'hui, est peut-être un peu trop rigide par rapport à ça. Et comme je peux être provoquant, j'ai envie de poser la vraie question : faut-il encore un statut de la fonction publique territoriale ?
M. Lucien Stanzione. - Je vais aller dans l'autre sens, par rapport à l'intervention de notre collègue. Je voudrais revenir sur les propos de Catherine Di Folco et sur la question de l'accès à la fonction publique par les concours. Cette remarque pose la question du statut, bien évidemment. Je crois qu'il y a aussi une notion de la valorisation, ou de dévalorisation, des emplois si l'on en vient à envisager la disparition du concours. Pour les fonctionnaires qui nous écoutent, ils doivent réfléchir à leur sort. Le concours permet l'égalité des chances face à un poste, et enlève une certaine part d'arbitraire dans le recrutement. Il est le fondement du statut de la fonction publique.
Je ne trouve pas souhaitable de libéraliser complètement le dispositif par rapport au recrutement, au statut et au déroulement de carrière. La réforme du concours pose la question de la carrière. Comme certains d'entre nous, j'ai été fonctionnaire tout au long de ma vie. Dans la fonction publique, on progresse en travaillant et en certifiant, de temps en temps, les capacités qu'on a pu acquérir. C'est un long débat, mais c'est une remarque.
Mme Céline Brulin. - Je ne vais pas venir sur le sujet du statut, parce que vu le temps imparti, je pense qu'on déborderait forcément, mais c'est un vrai sujet qu'on aura à traiter, puisque de toute façon, une réforme est envisagée. On aura ce débat, et il me semble effectivement nécessaire.
Je voulais d'abord remercier les rapporteurs. Évidemment, nous voyons bien ce qu'une marque territoriale peut apporter en termes d'attractivité et de valorisation. Vous avez bien pointé la concurrence entre les plus grosses et plus petites collectivités, et même entre territoires. Nous en sommes bien conscients, étant nous-mêmes issus de régions diverses.
Je m'interroge sur le rôle du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) dans ce travail de valorisation des métiers de la fonction publique territoriale, ces métiers étant effectivement extrêmement nombreux et variés. Une des richesses de ces métiers, c'est précisément de pouvoir être mobile, à la fois dans des strates de collectivités, mais aussi géographiquement.
Vous évoquiez l'armée de terre. Je pense que la réussite des campagnes de communication de l'armée de terre consiste à montrer à la fois cette entité globale et la diversité des métiers qui peuvent s'y retrouver.
Et puis, le second sujet, mais là non plus on ne va pas pouvoir le traiter dans cette matinée, vous l'avez dit, c'est la rémunération. C'est particulièrement vrai pour les catégories les plus basses, je ne le dis pas de manière péjorative, puisque régulièrement, il faut remettre les salaires au niveau du SMIC dès que le SMIC augmente. Nous avons eu le débat sur la médecine scolaire. Recruter des médecins dans la fonction publique aujourd'hui est très compliqué car les salaires ne sont pas du tout attractifs. C'est une question redoutable, puisqu'on l'a vu avec les augmentations légitimes du point d'indice qui sont intervenues ces derniers temps, cela met les collectivités dans un drôle de dilemme financier : est-ce que je recrute des personnels compétents et rémunérés en conséquence, quitte à devoir revoir à la baisse des services à la population ? Parce que parfois, les choses se posent en ces termes-là, et je pense que c'est aussi une question sur laquelle il va falloir se pencher.
M. Cédric Vial. - Je commence par réagir à vos questions, puis je laisserai Catherine Di Folco compléter. Je vais répondre à Cédric Chevalier, partiellement au moins, sans faire non plus le débat sur le statut de la fonction publique. En tout cas, ce qui est certain, c'est que si on en est là, aujourd'hui, à devoir développer des stratégies de marque employeur, c'est qu'il y a un problème d'attractivité du statut de la fonction publique. Donc, est-ce qu'il faut revoir le statut ou pas ? Effectivement, c'est un autre débat.
Le problème d'attractivité du statut oblige les collectivités à déployer des stratégies pour attirer des collaborateurs. La question du concours est un corollaire. Le concours était une manière de départager des candidats. On avait 1 000 candidats et 100 postes, on organisait un concours pour les départager. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse, on a 100 postes et 50 candidats, et donc, on déploie des stratégies pour aller chercher de nouveaux candidats. La charge de la preuve s'est inversée. Là où le candidat devait faire preuve d'imagination pour essayer de se faire remarquer, de se faire recruter, aujourd'hui, c'est la collectivité qui doit faire preuve d'imagination pour se faire remarquer par le candidat et se faire accepter ou choisir par lui. La plupart du temps, on veut recruter des fonctionnaires qui ont déjà eu le concours. C'est plutôt une démarche d'attractivité face à une mobilité plus forte. On est, pour l'instant, dans une logique qui n'est pas complètement en concurrence avec le concours. Mais, effectivement, on vient pallier des manques qui sont liés à celui du statut, à l'attractivité du métier, à des questions de rémunération ou autre.
Après, la question sur le management. Évidemment que c'en est une dans toutes les collectivités et avec des prégnances différentes selon la taille de la collectivité. Le management dans une collectivité de 500 habitants, effectivement, ou de 250 000 habitants, n'est pas tout à fait la même. Et les outils à disposition ne sont pas tout à fait les mêmes non plus. J'allais dire, le marketing, la marque employeur, c'est une manière de mettre en avant ses atouts. On a beaucoup parlé de la Bretagne. Celle-ci dispose d'atouts environnementaux, d'un cadre de vie, d'atouts gastronomiques probablement aussi. D'autres départements n'ont pas tous ces attraits, mais sont contraints d'en trouver. Ils valorisent avec plus d'ingéniosité les techniques managériales, le cadre de vie au travail, etc... Chacun déploie les atouts qu'il peut.
La marque employeur est plutôt conçue pour promouvoir les avantages offerts par une collectivité, plutôt que pour remédier à une situation déficitaire dès le départ. Je ne veux pas être plus long. Je laisse Catherine di Folco compléter sur le CNFPT et les autres sujets.
Mme Catherine Di Folco, co-rapporteure. - Un petit mot sur le statut, sans entrer dans le débat, mais c'est une remarque très importante. Moi, je pense qu'il faut encore conserver le statut de la fonction publique parce que c'est quand même, comme vous le disiez, la garantie du traitement égalitaire d'un agent, quel que soit le territoire. Le statut est le même pour tout le monde.
Je pense qu'il y aurait des mesures de simplification du statut. Comment peut-on faire plus compliqué que le statut de la fonction publique ? Mais au moins, il garantit qu'un agent en Bretagne, s'il part en Rhône-Alpes, aura les mêmes avantages liés à son statut. Pour autant, il faut lui apporter de la souplesse. C'est là où je rejoins notre collègue Cédric Chevalier. Je pense qu'il faut de l'agilité et de la souplesse. On a commencé à le faire lors la dernière réforme d'importance, celle de la transformation de la fonction publique en 2019 par laquelle où on a ouvert des possibilités d'engager des contractuels. Je sais que tout le monde n'apprécie pas forcément ça, mais il n'empêche que ces ouvertures-là ont été salutaires. J'en veux pour preuve notamment les contrats de projet. Je suis un employeur d'une collectivité un peu importante. Je crée un service, par exemple informatique. Je n'ai pas les outils en interne, mais j'ai besoin d'une compétence particulière. Une fois que mon service sera créé, qu'il fonctionnera, je n'ai pas besoin d'avoir ce fonctionnaire en permanence. Donc je recrute un contractuel pour ce projet bien précis, pour une durée déterminée, et au moins, je me dote des compétences que je n'avais pas en interne. Je pense que ça peut fonctionner. C'est une souplesse qui est offerte par le code de la fonction publique.
Vous savez qu'un chantier a été ouvert il y a un an maintenant, par le ministre de la Transformation et de la Fonction publique, sur l'accès, le parcours et la rémunération des agents publics. Je crois que l'on embrasse vraiment tous les sujets dont on a parlé. Quand on passe un concours dans la fonction publique, ce n'est pas forcément pour répondre à un emploi. Cédric Vial l'a dit. C'est pour rentrer à un niveau, à une catégorie, dans la fonction publique. Je passe un concours pour être rédacteur. Je passe un concours pour être attaché. Mais je ne passe pas le concours pour forcément être employé au service urbanisme. Donc le concours permet de mettre tous les candidats sur la même ligne de départ pour prétendre à rentrer à un certain niveau de la fonction publique. Les concours ont été, et ils le seront encore davantage dans l'avenir, toilettés.
Lorsqu'on évoquait la difficulté des concours, notre collègue Céline Brulin a mentionné le recrutement d'un médecin scolaire dans la fonction publique. Il faut alléger le concours d'entrée dans la fonction publique pour ce médecin. On ne peut pas, au travers d'un concours, apprécier sa valeur professionnelle. C'est déjà un professionnel puisqu'il est médecin. Par contre, il faut qu'on s'assure qu'il connaisse l'environnement de travail de la fonction publique territoriale. Il faut généraliser les concours sur titre. Il faut les développer de plus en plus, parce que c'est idiot d'aller repasser, en quelque sorte, des unités de valeur pour attester d'une compétence professionnelle. Le ministère a conscience qu'il faut revoir un peu certains concours.
Par rapport au CNFPT, je suis complètement d'accord. Le CNFPT a un rôle à jouer, évidemment, pour valoriser les métiers. Encore faut-il qu'il ait les moyens de le faire. Toutes les campagnes qu'on voit sur l'armée de terre, sur la police, etc., cela représente des budgets. Et quand on voit les financements du CNFPT, ils sont un petit peu contraints, on va dire. Le ministère peut donner les moyens au CNFPT d'aller dans le sens souhaité.
Comme on le disait, qui mieux que les personnels de la fonction publique territoriale pour en parler et parler de ses métiers ? Je crois beaucoup au travail en cours sur la rémunération. Céline Brulin l'a bien dit, avec la revalorisation des points et puis l'augmentation du SMIC, on a écrasé certaines grilles. On l'expliquait un jour quand on avait reçu le ministre, justement : bientôt, des fonctionnaires de catégorie B vont être au SMIC. Et d'ici une dizaine d'années, des fonctionnaires de catégorie A le seront aussi. Donc, c'est très peu attractif. Mais il s'agit d'un chantier colossal : revoir complètement le système de rémunération. Est-ce qu'il faut encore des grilles ? Je ne sais pas. On a grand espoir que ça bouge, mais ça ne va pas bouger très vite parce que c'est très, très compliqué.
En tout cas, avec mes collègues co-rapporteurs, je pense que nous avons vraiment apprécié de travailler sur ce sujet de l'attractivité de la fonction publique territoriale. Merci de nous l'avoir confié.
Mme Françoise Gatel, Présidente. - Merci pour ce travail de fond. Ce rapport s'inscrit aussi, d'une manière fort pertinente, dans les travaux et les évolutions qui pourraient être présentées par le gouvernement sur le sujet. Donc, merci de nourrir notre réflexion et d'éclairer ce sujet parfois un peu invisible, mais vous, vous l'avez vraiment mis en lumière. Je pense que c'est un sujet clé pour la démocratie locale.
Chers collègues, je vous soumets à présent l'adoption des recommandations ce rapport.
Le rapport est adopté à l'unanimité des sénateurs présents.
Audition relative aux dispositifs applicables en matière de formation des élus locaux
Mme Françoise Gatel, présidente. - Bonjour à tous.
Moins de 5 % des élus locaux se forment chaque année, alors même que nous faisons face à une urgence de formation. Celle-ci ne relève plus que de la seule formation traditionnelle aux finances publiques. Les élus sont aux prises avec des sujets très importants de management, de conduite de projet, ou encore des sujets nouveaux liés à la transformation du métier de l'élu local.
Très récemment, nous venons d'adopter au Sénat à l'unanimité une proposition de loi sur le statut de l'élu, intégrant un volet important sur la formation. La formation des élus n'était pas toujours transparente. Il est apparu souhaitable de clarifier et de sécuriser ce champ.
Nos intervenants nous expliqueront pourquoi l'offre et la demande se rencontrent difficilement. Je voudrais aussi relayer les témoignages que nous avons reçus sur la mise en oeuvre pratique de l'accès à la plateforme numérique du Droit individuel à la formation (DIF). La direction générale des Collectivités locales (DGCL) et la Caisse des Dépôts et consignations (CDC) devaient intervenir aujourd'hui, mais cela n'a pas été possible. Avec le gouvernement, nous avions fait oeuvre salutaire en matière de reprise en main du dispositif de formation, en le sécurisant et en lui donnant plus de transparence. Il me semble que la meilleure intention du monde se mue parfois en difficulté lors de sa mise en oeuvre. Aujourd'hui, nous constatons d'importantes difficultés d'accès au DIF. Nous souhaitons donc rencontrer la CDC pour avoir avec elle un échange positif et constructif sur le sujet, ainsi que la DGCL.
Pour terminer, je vais vous donner quelques chiffres inspirants. Le nombre de dossiers de demande de DIF a considérablement baissé depuis 2021, passant de 50 000 à cette date à 20 000 en 2022 et à moins de 12 000 pour les trois premiers trimestres 2023.
M. Pierre Camus, Docteur en sociologie à l'Université de Nantes, co-président de l'Observatoire National de la Formation des Élus Locaux. - Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Sénateurs et les Sénatrices, merci pour cette invitation sur un sujet peu évoqué à l'université. Avec Sabrina Ghallal, nous sommes seulement deux chercheurs à nous intéresser à ce sujet. Vous l'avez rappelé : 3 % à 5 % des élus locaux se forment par année. Ces chiffres ne sont pas incontestables. Pour dresser le baromètre que vous avez rappelé, je me suis appuyé sur les données dont nous disposons de la part de la Caisse des Dépôts. Ces données sont de nature publique. Je suis aussi en lien avec la DGCL pour disposer des données vis-à-vis du droit des collectivités locales. Or à ce jour, je n'ai pas de réponse et j'ai dû engager une procédure auprès de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) à l'encontre de la DGCL. Ces données publiques gratuites devraient nous permettre de jouer notre rôle d'information et de diagnostic.
Le droit à la formation des élus locaux est « bicéphale ». Il est à la fois financé par les collectivités locales et à la fois prélevé sur les indemnités des élus par la CDC. 60 % des collectivités locales n'inscrivent pas de budget pour la formation de leurs élus. De 2 % à 20 % de l'enveloppe indemnitaire, en fonction de la taille de la collectivité, sont dévolus à la formation des élus. Ces budgets sont encore parfois abaissés par les maires, qui doivent faire face à des injonctions contradictoires et à des budgets qui se resserrent.
Le DIF s'est dégradé et permet une formation moindre que par le passé. Il ne permet pas d'accueillir plus de 10 % des élus locaux. Certains élus locaux se retrouvent face à des dispositifs très contraignants et se retrouvent bloqués face à la plateforme, ce qui constitue une importante difficulté qui pourrait être restreinte si la CDC prévoyait un service d'accompagnement des élus.
D'un autre côté, le marché est totalement insuffisant aujourd'hui, dans la mesure où le Conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL) n'a pas réussi à intégrer suffisamment d'organismes. 35 % de ces derniers sont situés en région Ile-de-France. 17 départements ne comptent aucun organisme de formation agréée. Au-delà de l'aspect homogène du marché de la formation des élus locaux, les organismes sont très inégaux et proposent des offres qui ne présentent pas du tout les mêmes qualités pédagogiques. Le terme de « formation » recouvre souvent de l'information, de la sensibilisation, de l'échange entre pairs.
Je recommanderai de désindexer le financement sur l'enveloppe indemnitaire des collectivités, pour rompre la dégressivité des droits qui pénalise les petites et moyennes communes. Il faut également encourager l'intercommunalité à jouer un rôle de gouvernance et de mutualisation des coûts. Il pourrait aussi être utile de se tourner vers les préfectures, pour vérifier pourquoi les enveloppes ne sont pas inscrites dans les budgets locaux. L'augmentation du DIF ne résoudra pas le problème de l'accès à la formation. J'entends la création d'une validation des acquis de l'expérience et des systèmes de reconversion professionnelle. Peut-être faudrait-il penser à rapprocher les formations vécues en cours de mandat de ces dispositifs. Il serait enfin intéressant de disposer de données annuelles publiques à disposition de toutes et de tous, qui permettraient d'objectiver ces éléments.
Je termine mon intervention avec des exemples étrangers. Le cas français est singulier. Je pense être le seul aujourd'hui à avoir travaillé sur ce sujet de la formation des élus locaux au niveau international. Le cas français rompt avec une notion plus informelle et non cadrée de la formation dans les différents pays. Depuis 2014, nous constatons une injonction dans des pays anglo-saxons autour de la notion de déontologie, notamment au Québec, dans certains États des États-Unis, sur l'accès aux données, l'accès au record public pour les citoyens. Selon moi, l'un des modèles qui a atteint un degré de maturité élevé est celui du Queensland, État fédéré australien, qui voit la formation des élus locaux en trois temps. Tout d'abord, une formation est obligatoire pour les candidats. Au Queensland, pour être candidat à une élection, il faut satisfaire une obligation de formation. Après l'élection, les fondamentaux du mandat sont enseignés. Ensuite, les collectivités ont l'obligation d'inscrire chaque année un parcours de formation de leurs élus, pour développer leurs compétences.
M. Xavier Giguet, Inspecteur de l'Administration, co-auteur du rapport « La formation des élus locaux ». - Madame la Présidente, Madame et Messieurs les Sénateurs, merci pour cette invitation et la possibilité ainsi offerte de présenter à la délégation les conclusions du rapport que nous avions remis. Notre rapport a été rédigé il y a maintenant quelques années. Il s'agit d'un travail collectif, réalisé par l'inspection générale de l'administration du ministère de l'intérieur et l'inspection générale des affaires sociales. Nous avons rencontré l'ensemble des parties prenantes : élus, organismes de formation, administrations, intéressées sur ce sujet, de manière à pouvoir en tirer la meilleure exégèse et des propositions. Ce rapport a été remis il y a un peu plus de quatre ans, après une commande passée en 2019. Mon intervention s'inscrit donc dans cette temporalité. Nous avons creusé le sujet à l'automne 2019, nous avons remis le rapport en janvier 2020 et, comme pour les autres rapports administratifs, une fois que le rapport est remis, il est la propriété du destinataire, en l'occurrence les ministres en charge des collectivités et de la formation professionnelle.
Cette mission a été lancée en juillet 2019, avant le renouvellement municipal de 2020. Les élus locaux et municipaux représentent 99 % des 500 000 élus français. C'était le moment idéal pour porter un regard objectivé sur le fonctionnement du dispositif de formation, en vue de proposer des améliorations. L'année 2019 est également marquée par la réforme de la formation professionnelle et une volonté de rapprocher le dispositif de formation des élus des dispositifs génériques de formation des actifs, ainsi que par la publication d'articles et de reportages sévères sur le dispositif de formation des élus, faisant état de dérives réelles et supposées. Les autorités ministérielles voulaient se doter d'un regard sur la réalité de ce fonctionnement et de ces dérives éventuelles. Enfin, le dispositif de formation des élus reposait sur deux éléments : les financements assurés par les votes des conseils municipaux et le droit individuel à la formation des élus, mis en place en 2015. Il s'agissait d'un dispositif très incitatif et, en 2019, de réelles interrogations ont porté sur sa soutenabilité financière à très court terme. L'objectif de la mission consistait à assurer une capacité à donner accès à la formation aux élus locaux, mais dans des conditions financières qui soient également soutenables.
Le rapport visait à répondre à ces différents points. Nous avons voulu mettre en évidence les besoins des élus, les attentes des élus, les capacités et difficultés rencontrées par les élus pour accéder à la formation, évoquer l'ensemble des aspects administratifs, fonctionnels, mais aussi sociologiques sur les barrières à l'entrée de la formation. Sur le fonctionnement du dispositif, nous avons veillé à réaliser un état des lieux et avons voulu émettre des propositions qui visaient à corriger les dysfonctionnements et à mettre en place un nouveau dispositif intégré.
Nos 13 propositions s'intègrent dans un dispositif assez nouveau. Elles visaient à garantir un droit à la formation, à répondre aux enjeux, à s'assurer de la meilleure gouvernance du dispositif et, en outre, au-delà de la formation, à mettre en place une meilleure information des élus, notamment au début de leur mandat municipal.
Quel bilan, quatre ans après ? Une fois que le rapport a été remis, il est la propriété des autorités qui l'ont reçu. Nous avons l'impression d'avoir fait oeuvre utile. Ce rapport a donné lieu à une réforme profonde l'année suivante et donne encore lieu à des débats. Le fait que nous en discutions aujourd'hui en est l'illustration. Plusieurs propositions ont été mises en oeuvre. Les réformes qui ont été lancées ont veillé à s'inspirer de la philosophie de notre rapport. Certaines propositions ne sont pas mises en oeuvre stricto sensu, mais les dysfonctionnements qui ont été mis en évidence ont été corrigés de manière à répondre à l'objet de nos propositions. Le dispositif est aujourd'hui plus transparent, assaini par rapport à certaines dérives. Nous avons également l'impression d'avoir anticipé des débats de société.
Je ne pourrais pas me prononcer sur la réalité de la mise en oeuvre opérationnelle de ce rapport. Nous avons fait un constat à l'automne 2019. Nous avons conscience que des progrès restent à faire et la représentation nationale est certainement la mieux qualifiée pour mettre en oeuvre les améliorations nécessaires.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Je partage l'intérêt et la grande qualité de votre travail. Nous avons la conviction que la formation est utile et indispensable. Il s'agit d'un sujet éminemment sérieux, dépendant de fonds publics. Dans « 3DS », nous nous sommes beaucoup inspirés de vos travaux. Aujourd'hui est venu le temps de l'évaluation, sans remise en cause de vos préconisations. Nous sommes néanmoins parfois gênés par la mise en oeuvre technique de l'exercice, qui est très problématique.
Mme Brigitte Guigou, Responsable formation et partenariat recherche de l'Institut Paris Région. - Je vous remercie, Madame la Présidente et Mesdames et Messieurs les Sénateurs, pour cette invitation à exposer une recherche-action, une étude à visée opérationnelle qui est modeste, mais qui peut apporter un certain nombre d'enseignements et de fruits. L'objectif de cette étude était de repenser la formation des élus locaux, d'expérimenter un certain nombre de formats alternatifs et de faire des recommandations et des propositions pour améliorer la situation. Cette étude qui a été réalisée sur deux ans, entre 2020 et 2022. Elle a été financée dans le cadre d'un programme « Territoires d'innovation de grande ambition » et d'un programme régional, « Construire au futur, habiter le futur », soutenu par la région Île-de-France. Il s'agissait de réfléchir à une nouvelle offre de formation des élus locaux, à la question des transitions au sens large. Nous avons travaillé sur les questions d'aménagement, de développement des territoires, d'environnement, mais pas sur le champ des formations. Nous avons plutôt ciblé les élus du rural et du périurbain, donc des élus qui disposent d'une ingénierie et de ressources plus modestes que de grands élus de métropole ou de grandes villes. L'étude a été réalisée par l'Institut Paris Région, une agence régionale d'urbanisme et d'environnement, au service de la région Île-de-France et de partenaires, par la 27ème région, qui est un laboratoire d'innovation publique et de bureaux d'études.
Avec une démarche participative, nous avons développé, pour les élus locaux et avec les élus locaux, un programme de trois ans, composé de trois modules, d'une enquête collaborative, de 12 expérimentations, de recommandations et de propositions, de publications assez innovantes de livrables qui sont en ligne et qui sont à votre disposition, d'un blog et d'une tribune signée par une cinquantaine d'élus locaux.
Nous avons fait le constat de ce paradoxe de la formation des élus, qui a déjà été abondamment développé. La formation est un outil absolument formidable, absolument indispensable. Il devrait s'agir d'un outil stratégique pour accompagner les mandats des élus. Or c'est rarement le cas. Comment réduire le décalage entre les besoins et les attentes des élus locaux d'une part, et l'offre, d'autre part ?
L'offre de formation actuelle est principalement individuelle. Or, aujourd'hui, les élus ont aussi besoin de faire équipe, de travailler au sein d'un exécutif. L'offre de formation est d'abord technique. C'est indispensable, mais les élus sont confrontés à une multiplicité d'injonctions, souvent paradoxales, et à une complexité croissante de leur action. Il faut donc donner du sens à leur action et retrouver des moyens d'agir. Or la plupart des formations ne permettent pas d'aller dans ce sens. L'offre est sur catalogue, alors que les élus ont très souvent besoin de formations sur mesure, contextualisées, parce que chacun est confronté, selon les territoires, à des problèmes différents. Les formations proposées sont souvent descendantes, avec un ou des formateurs qui délivrent un savoir. Or les besoins des élus sont plutôt des besoins d'échange entre pairs. L'échange entre pairs existe, mais il n'est pas suffisamment développé, ni suffisamment adapté aux besoins des élus. Enfin, les formations sont souvent chronophages. Les élus des territoires ruraux ont besoin de retrouver du temps, puisqu'ils ne sont pas des professionnels. Ils ont une vie professionnelle, une vie familiale et une vie d'élu.
En synthèse, les élus ont besoin dans les formations d'un retour d'investissement immédiat. Comment outiller cet apprentissage sur le terrain, comment valoriser les acquis, comment construire des parcours ?
Nous avons identifié un certain nombre d'orientations. Il faut aider à identifier les besoins des élus, individuels et collectifs, et s'appuyer sur toutes les ressources du territoire qui pourraient aider les élus à se former, renforcer les synergies élus-agents, adopter des méthodologies différentes, par exemple, mettre les élus qui se forment en situation d'enquêter directement auprès de pairs, dans un cadre de confiance.
Nous avons mené 12 expérimentations, qui ont été évaluées, et je vous propose d'évoquer trois d'entre elles. Par exemple, nous avons monté un dispositif d'enquête entre pairs avec une dizaine d'élus locaux, qui avaient comme objectif d'accompagner des projets de méthanisation sur un territoire. Nous avons construit un dispositif avec trois élus qui ont déjà été confrontés à ces questions, dans un cadre de confiance.
Nous avons également mis en place un groupe d'entraide pour élus en charge des transitions. Sur plusieurs séances, avec une animation légère, nous avons permis un échange entre ces élus, en partant de leurs difficultés et des leviers d'action en garantissant un cadre de confidentialité.
Nous avons enfin organisé un « speed dating » entre élus de petites communes rurales et associations locales, autour d'un projet très concret d'aménagement d'une place de centre-bourg. Les élus en sont ressortis en ayant le sentiment qu'ils pouvaient s'appuyer sur des ressources locales.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Votre démarche est très intéressante, parce qu'elle transforme le regard sur la formation. Les sujets de management de son équipe, d'acceptabilité des décisions, du travail avec ses concitoyens, de construction de sa réflexion avec d'autres, sont aujourd'hui prégnants. Les élus sont contributeurs à leur formation. Quand nous avons travaillé sur le statut de l'élu, nous avons ressenti cette énorme fatigue des élus. Or vous apprenez aux élus à cheminer, à avoir confiance et à progresser. Vos interventions sont très intéressantes.
M. Laurent Burgoa. - S'agissant de la formation par rapport au mandat municipal, on oublie trop souvent que, pendant un an et demi, nous avons dû gérer une crise sanitaire qui nous a beaucoup impactés. Pendant un an et demi, les équipes municipales n'ont pas pu se former, voire constituer une équipe autour du maire. Cette crise a engendré des démissions d'élus.
Votre idée de formation ascendante est intéressante. Quelles sont les attentes de nos élus en matière de formation ? À quel échelon la formation entre pairs serait-elle la plus pertinente ? Doit-il s'agir d'initiatives d'élus entre eux ou d'associations d'élus départementales ?
Mme Catherine Di Folco. - Certains nouveaux élus sont issus du monde de l'entreprise. Or la gestion d'une collectivité et tout à fait différente de la gestion d'une entreprise. J'aime beaucoup l'idée d'une formation initiale, obligatoire, pour connaître l'environnement territorial, notamment dans les toutes petites collectivités. Les nouveaux élus ne savent que rarement se positionner par rapport à un agent et mélangent souvent le niveau politique et le niveau exécutif. Une formation initiale à l'environnement territorial devrait être obligatoire.
Pour revenir sur les difficultés que vous aviez identifiées, il pourrait être intéressant de réfléchir à la création d'un « CNFPT pour les élus ». Cela permettrait notamment de se retrouver en groupe pour partager ses expériences.
M. Cédric Vial. - Tout d'abord, l'inscription à une formation prend plus de temps que la formation elle-même. Certes, il est important de prévoir des garde-fous, mais cette procédure d'inscription à une formation est aujourd'hui totalement déraisonnable. Cette complexité a-t-elle été mise en oeuvre volontairement pour freiner la formation des élus ?
Par ailleurs, certains organismes de formation sont spécialisés dans la fonction publique, mais ne sont pas agréés pour la formation d'élus. C'est le cas du CNFPT. Or certaines formations techniques pourraient intéresser les élus. Ces situations sont absurdes. Cette procédure d'agrément constitue-t-elle une véritable garantie de qualité ? J'en doute.
Enfin, les techniques de formation mises en oeuvre aujourd'hui ne sont-elles pas archaïques ? Des solutions sous forme de webinaires, de MOOC, de livres audios, de podcasts, etc., pourraient être privilégiées. Les élus peuvent avoir besoin, non pas d'une demi-journée dont ils ne disposent pas en formation présentielle face à un formateur, mais peut-être d'un accompagnement numérique, plus souple.
M. Pierre Camus. - Le seul statut d'élu local ne signifie rien en termes de formation. Les formations dépendent en effet du type de collectivité dans laquelle siège l'élu. Les élus régionaux et départementaux ont beaucoup plus d'appétence pour des formations théoriques et de prise de distance. Dans les collectivités plus petites, les élus ont plus envie d'outillage concret.
Il est également nécessaire de tenir compte du parcours personnel de l'élu. Certaines formations professionnelles peuvent ainsi compléter la formation des élus.
Depuis les années 1970 et la loi Raymond Barre, cette complexité n'est pas pensée, parce que la formation pour les élus locaux a été envisagée historiquement comme devant être différente des formations existantes. Le CNFPT a ainsi toujours été rejeté de cet univers de la formation pour les élus locaux. De ce fait, le CNFPT aurait aujourd'hui des difficultés à absorber cette marge de travail, parce qu'il a déjà beaucoup à faire avec les agents.
Les élus se forment sur les finances pour 25 %, l'urbanisme pour 25 % et la communication pour 25 %, ces trois champs représentent donc 75 % des formations. Dans ces thématiques, les formations sont très différentes et abordent des enjeux très différents. Les 25 % restants correspondent à l'ensemble des autres formations, sachant que les formations qui n'existent pas ne sont pas demandées, les élus se contentant des offres existantes.
Normalement, la formation en début de mandat est obligatoire depuis 2020. Tous les élus des communes de plus de 3 500 habitants ont l'obligation de se former durant la première année. En 2026, si le droit reste tel qu'il est, tous les élus qui reçoivent délégation auront l'obligation de se former en cours de mandat. Cependant, aucun régime de sanctions et de contrôles n'a été prévu. De plus, la notion de liberté est fondamentale en matière de droit à la formation pour les élus locaux.
Pour revenir sur la procédure d'inscription trop longue, vous faites référence au DIF. Au sein des collectivités, la procédure est peut-être plus simple. Cependant, globalement, effectivement, les dispositifs sont très contraints et sont pensés, de manière consciente ou inconsciente, pour limiter le recours à la formation. La CDC serait incapable de répondre à une demande massive des élus locaux en formation. Ce point est important.
J'ai beaucoup travaillé sur les procédures d'agrément dans le cadre de ma thèse. J'ai ainsi été accepté en 2017 pendant quatre mois au sein du secrétariat du CNFEL. Globalement, l'agrémentation du CNFEL est restée dans une forme assez arbitraire. En fonction du moment et des personnes, les doctrines d'agrément peuvent ainsi varier. De 1994 jusqu'aux années 2000, la vision de l'agrément était très restrictive, avec plus de 60 % de dossiers refusés. De 2000 à 2010, la vision de l'agrément s'est libéralisée. Il était alors globalement considéré que l'élu est individuellement responsable de son parcours de formation. La quantité et le volume de formation fait alors foi dans le renouvellement comme une pièce justificative de l'intérêt que les élus pour l'offre de formation. De 2010 à 2016, nous sommes revenus à une forme hybride, avec parfois des organismes refusés par défaut ou de manière automatique. Pendant très longtemps, il a par exemple été considéré que les organismes d'apprentissage des langues n'avaient rien à faire sur le marché de la formation pour les élus locaux. Selon moi, ce facteur arbitraire n'est pas de la responsabilité des membres du CNFEL. Ceux-ci sont placés devant une mission impossible. Il leur est demandé de définir ce qu'est la formation pour les élus locaux, alors que ce sujet n'est pas défini. Si on considère que la formation est obligatoire et qu'elle est un processus essentiel, une notion de compétence entre en jeu. De ce fait, tout le monde ne peut plus être élu. On entre alors dans une sociologie qui est très « désenchantante ». Il faudrait alors distinguer des personnes dont les parcours biographiques les prédisposeraient à pouvoir apprendre par eux-mêmes et à avoir les dispositions pour devenir élus et les autres. Tant que ce problème n'aura pas été résolu, la formation des élus locaux n'avancera pas. Ces sujets rejoignent des questions de mythologie républicaine, la professionnalisation des élus locaux, la compétence, etc.
M. Xavier Giguet. - Mon intervention sera très complémentaire de celle de Pierre Camus, qui rejoint de nombreux éléments inscrits dans le rapport.
Quelles sont les attentes formulées par les élus locaux dans le cadre des demandes de formation ? Ces demandes sont très partagées et portent sur le savoir-être et sur le savoir-faire. Elles portent sur l'animation d'un conseil municipal, comment se comporter avec son environnement, comment se comporter avec des élus, quel positionnement pour gérer des conflits, comment prendre la parole en public, etc. En ce qui concerne les savoir-faire, les demandes portaient sur les sujets budgétaires, les sujets d'urbanisme, les sujets de transport, avec des thématiques très fortes : les transitions et la thématique environnement-urbanisme. Nous avons noté que deux types de public étaient plus demandeurs que d'autres de formations. Les femmes élues étaient ainsi plus demandeuses que leurs collègues, ainsi que les élus d'opposition.
La question sur le partage entre pairs fait écho à la deuxième série de questions, sur l'idée de la formation obligatoire. Dans notre rapport nous n'avons pas proposé de formation obligatoire en début de mandat, en raison de l'absence de régime de sanctions. En revanche, nous avons beaucoup insisté sur la mise en place d'une information obligatoire en début de mandant. C'est là que le partage entre pairs nous paraît très important. Nous proposions de généraliser des sessions d'information ouvertes aux élus, animées par les associations départementales de maires. Un élu sera d'autant plus réceptif au message qu'il entendra un autre élu qui aura exercé d'autres mandats précédemment. À défaut d'intervention des associations départementales de maire, nous proposions que les préfectures puissent jouer un rôle.
Lorsque nous avons réalisé nos travaux, nous avons veillé à faire émerger dans nos propositions ce qui semblait faire consensus entre les associations d'élus et les élus rencontrés. La proposition relative à un CNFPT des élus n'a pas émergé, puisqu'elle implique également des décisions administratives et budgétaires.
En ce qui concerne les difficultés de procédure et de fonctionnement, en 2019, nous n'avons pas eu l'impression qu'elles existaient afin d'éviter que les coûts deviennent prépondérants. Lorsque le DIF a été mis en oeuvre, la CDC a créé une petite équipe pour gérer ce dispositif et s'est retrouvée débordée par une croissance exponentielle des bénéficiaires. Nous n'avons cependant pas ressenti d'intention de brider le dispositif. Aujourd'hui, quatre ans plus tard, je ne connais pas suffisamment la situation.
Sur la question des agréments, dans notre rapport, nous avions fait état d'une proposition radicale. Nous proposions de fait la suppression du CNFEL, la suppression des agréments et la mise en place d'un dispositif de droit commun d'agrément d'instituts réalisant des formations.
La dernière question portait sur un éventuel retard de nos modèles de formations. Depuis 2019, nous avons traversé la crise sanitaire et la généralisation des pratiques à distance. Je partage l'intervention du Sénateur Vial et la possibilité de recourir à des formations via des MOOC et les nouvelles technologies.
M. Daniel Gueret. - Pour expliquer l'essor des réseaux de formation de pair à pair, il semble que les élus soient plus sensibles à cette formation dispensée par leurs semblables. Cependant, comment ne pas risquer de rester en vase clos ?
Se former, c'est aussi se professionnaliser. Comment éviter l'écueil du métier de la politique ?
Enfin, comment ne pas sacrifier la diversité des profils des élus avec la vie professionnelle sur l'autel de la formation ?
Mme Ghislaine Senée. - Ces sujets sont passionnants et demandent que l'on y réfléchisse. J'ai plaidé pour ma part pour des formations obligatoires. Nous assistons en effet de fait à une professionnalisation, dans les grandes communes comme dans les petites communes. Tous les élus sont confrontés à un besoin de montée en puissance en matière de compétences, en raison de la judiciarisation, des transferts de compétences, etc. Je suis sans emploi et considère que j'exerce un mandat. Chacun peut être élu, mais il faut ensuite monter en compétence.
Les formations doivent également porter sur les savoir-être et les savoir-faire. Une formation relative à l'environnement territorial doit être dispensée d'emblée. Auparavant, les services de la préfecture étaient en capacité de nous accompagner, ce qui aujourd'hui n'est absolument pas le cas. Cette formation doit être obligatoire, même si l'on sait pertinemment qu'il n'y aura pas de contrôle.
En ce qui concerne l'offre, nous constatons effectivement un blocage. Il faut dresser le bilan des dysfonctionnements. Nous sommes face à un problème d'agrément et l'offre est insuffisante. Ensuite, la question du financement se pose. Je continue à penser que ce vivier de 500 000 élus représente une opportunité incroyable pour l'État, pour la citoyenneté, pour ce qui a toujours fait la force de notre pays. Cela nécessite de se donner les moyens et de se doter des outils. Cela passe aussi par la structuration de l'offre publique de formation ou par une ouverture aux organismes de formation.
Il est donc important de prévoir une continuité de nos réflexions pour avancer concrètement sur la question de la formation des élus.
Mme Brigitte Guigou. - Les attentes des élus locaux de communes petites et moyennes sont très diverses et ne sont pas les mêmes en début et en fin de mandat. Elles sont assez opérationnelles, parce que les problèmes auxquels sont confrontés les élus évoluent. Si la formation a besoin d'évoluer, si l'offre a besoin d'évoluer, c'est parce que les élus locaux ont connu ces dernières années des problèmes qui se transforment extrêmement vite. Être élu aujourd'hui d'une commune rurale ou périurbaine n'appelle plus du tout le même type de positionnement, de besoin de connaissance, de besoin de compétences, de savoir-faire et de savoir-être qu'il y a dix ans.
Les élus demandent un outillage pour faire et retrouver du pouvoir d'agir. Les besoins de connaissance et de compétences doivent être travaillés en situation et sur des enjeux concrets. Les formations doivent s'appuyer sur des connaissances, des compétences et de l'expertise.
Les questions environnementales et d'adaptation au changement climatique sont absolument majeures. Les besoins de formation sur ces sujets sont importants.
Nous constatons également un besoin de faire équipe à l'échelle de la commune, entre élus, avec les agents et avec les habitants, parce que la question de l'acceptation sociale des projets est fondamentale. Il faut aussi travailler à l'échelle de l'intercommunalité et en interterritorial, entre intercommunalités.
Lorsque j'évoquais la formation de pair à pair, je ne faisais pas référence à de la formation dispensée par les élus. Ce sont bien les formateurs qui ont la main, mais simplement, ils donnent la parole à des élus qui ont déjà été confrontés au problème et qui vont échanger avec d'autres élus qui sont en position d'enquêteur. C'est cependant le formateur qui construit le cadre. Il ne s'agit donc pas de déléguer la formation aux élus, mais de leur permettre d'aborder leurs propres expériences.
Compte tenu de la complexité des problèmes et de la judiciarisation, les besoins de compétences sont indéniables. Néanmoins, le terme de « professionnalisation » est un piège. Un élu n'est pas un professionnel, il exerce d'abord une fonction politique, une fonction de décideur. Il me semble indispensable de réfléchir à cette fonction d'élu et à son accompagnement par la formation. Les élus ont besoin de compétences, mais ils ne sont pas des professionnels au sens sociologique du terme.
M. Pierre Camus. - La notion de « professionnalisation » fait débat aujourd'hui en sociologie, pour ce qui concerne les élus locaux. Les indicateurs tendent à montrer que, pour une petite partie des élus locaux, qui font carrière, dont le mandat est la principale source de revenus, qui sont entourés de collaborateurs, la professionnalisation est effective. Nous observons également une complexification de l'exercice du mandat local. Une partie du mal-être des élus locaux, qui explique en partie les démissions, correspond à l'aspect pyramidal du municipalisme, où le maire est chargé de tout, avec quelques adjoints délégués et des conseillers municipaux qui, parfois, n'ont pas d'utilité. Dans cette optique, une gouvernance plus transversale pourrait être utile, pour activer des leviers de travail collectif.
Il est important aujourd'hui de normaliser le temps du mandat dans le temps de la vie active. Il est important de réunir les conditions pour toutes et tous de pouvoir arrêter de travailler, de pouvoir vivre de leur mandat. Tant que le mandat local n'aura pas été normalisé comme une profession, en termes de droits et de devoirs, les difficultés subsisteront.
M. Xavier Giguet. - Je vais être très rapide et rebondir sur les deux dernières interventions, celles du Sénateur Guéret et de la Sénatrice Senée. Ces deux interventions sont liées, font écho à la problématique de l'offre de formation. La diversité de l'offre de formation permet de répondre aux deux remarques.
Une offre diversifiée offre un champ des possibles qui répond aux attentes. Certains élus souhaiteront se former dans des organismes où ils seront entre élus. Certains élus souhaiteront se former dans des organismes proches de formations politiques dont ils sont proches. Nous avons pratiquement rencontré toutes ces structures dans le cadre de nos travaux et avons été impressionnés par la qualité de leurs propositions.
D'autres élus souhaiteront insister sur la diversité des profils. Il ne me choque pas que des formations soient ouvertes à tout type de public, pour les savoir-être, par exemple, la prise de parole et la gestion de conflit.
La diversité des offres permettrait ainsi de satisfaire toutes les demandes et tous les profils.
Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup.
Nous avons pu ressentir l'intérêt porté à ce sujet. Au-delà des questions techniques que nous nous sommes posées, nous revenons à la question de l'engagement d'élu. Il faut dissocier l'engagement de l'élu local municipal de celui d'un conseiller régional. L'élu local s'engage pour faire et fabriquer de l'action publique.
Nos débats renvoient à la conception même de la démocratie. Certains sénateurs considèrent qu'aujourd'hui, le travail de l'élu est devenu tellement technique qu'il nécessite de se professionnaliser. Cela induit la création d'un type de contrat de fonctionnaire, comme cela existe. La majorité des sénateurs considère cependant que l'engagement citoyen nous renvoie à l'esprit qui a prévalu au moment de la création de la commune par les révolutionnaires. La commune n'est pas une institution politique ni un débat d'idées, mais un espace de vie commune dans lequel les habitants doivent pouvoir décider eux-mêmes. Cela veut dire que tout le monde doit pouvoir être élu. Certes, les temps ont changé. Il convient de se méfier de la tentation de considérer que le mandat d'élu est aujourd'hui tellement difficile qu'il doit être professionnalisé. Ce faisant, les partis politiques auraient encore plus de poids, y compris dans les communes. Or la commune a ceci de très fort qu'elle est l'espace le plus démocratique qui soit. La plupart de nos communes ont des listes qui ne sont pas des listes politiques, mais des listes d'échantillonnage de la population.
Ces débats rejoignent donc des conceptions philosophiques. Les maires et les élus locaux sont face aujourd'hui à des enjeux de conduite du changement : changement climatique, changement environnemental, changement de relation avec les techniciens, etc. et doivent être accompagnés avec des formations adaptées.
Je crois beaucoup aux actions qui sont menées par les associations départementales de maires. Après chaque élection se tiennent les universités des maires. Au sein de leurs communes, ceux-ci ont vocation à donner une impulsion.
Merci pour ce débat de fond sur un sujet important. Nous avons vocation au sein de notre délégation à faire en sorte qu'en 2026, des élus se présentent. Vous évoquez la nécessité de prévoir une formation obligatoire. Cependant, que faire si l'élu refuse de suivre cette formation ? Que faire si l'élu d'opposition impose au maire de suivre cette formation ? J'estime pour ma part que ce sont les associations d'élus et les intercommunalités qui doivent permettre une offre adaptée.
Merci pour cette table ronde très intéressante.