Mercredi 28 février 2024
- Présidence de M. Franck Montaugé, président -
La réunion est ouverte à 17h00
Prix de l'électricité et la compétitivité de l'industrie française - Audition de MM. Frank Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE), Alexandre Saubot, président de France Industrie, et Nicolas de Warren, président de l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie (UNIDEN)
M. Franck Montaugé, président. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Alexandre Saubot, président de France Industrie, M. Nicolas de Warren, président de l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie (UNIDEN), et M. Frank Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE).
Je vous laisserai présenter les organismes que vous représentez dans votre propos liminaire.
Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Roubanovitch, M. Saubot, et M. de Warren prêtent successivement serment.
Le Sénat a constitué le 18 janvier une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ». Nos travaux sont centrés sur le présent et sur l'avenir du système électrique. Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir aux particuliers et aux entreprises une électricité à un prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?
L'objet de la table ronde d'aujourd'hui est d'apprécier l'impact du système électrique, actuel et à venir, sur la compétitivité de nos entreprises.
Vos secteurs ont tous besoin de quantités importantes d'énergie, notamment électrique, et il était important que nous vous entendions.
Quelle est la part de la consommation électrique dans la structure des coûts de vos entreprises ?
Quel a été l'impact de la crise des prix de l'énergie pour les secteurs industriels et celle des aides exceptionnelles mises en oeuvre depuis 2021 ?
Quelles conditions le système électrique français doit-il remplir pour assurer la compétitivité de notre industrie et contribuer à sa réindustrialisation ?
Quelle est votre évaluation de la réforme du marché européen de l'électricité et de l'accord État-EDF de novembre 2023 de régulation du nucléaire post-ARENH, avec la perspective d'un prix de long terme d'environ 70 euros par MWh ?
Quelle est votre appréciation de la fiscalité sur l'électricité pour les industriels ?
Ce sont quelques-uns des thèmes sur lesquels notre rapporteur et nos collègues vont vous interroger. Nous proposons de dérouler cette audition en quatre temps : vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions en dix minutes maximum ; vos propos liminaires seront suivis d'un temps de questions-réponses, d'abord avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission ; vous pourrez éventuellement revenir sur les propos des autres participants ; nous terminerons par une dernière série de questions-réponses.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Notre commission d'enquête, comme vous le savez, est essentiellement tournée vers l'avenir, c'est à dire vers la période 2035-2050, ce qui n'est pas facile. Les industriels eux-mêmes doivent faire le même exercice avec le maximum de lisibilité. L'enjeu réside dans la capacité à assurer, à des coûts abordables, la croissance prévisible de la production d'électricité, afin que ce soit un facteur de compétitivité pour nos entreprises, tout en assurant la décarbonation de notre mix électrique. Le système actuel est à ce point nébuleux et complexe qu'il est parfois compliqué de s'y retrouver. J'espère que vous allez nous aider à y voir plus clair, tout en précisant ce que vous, industriels, souhaitez voir mis en place à l'avenir. C'est cela qui nous intéresse avant tout, bien plus que ce qui a pu se produire par le passé. Je partage les questions du président sur la compétitivité ainsi que sur l'impact de la nouvelle régulation post-Arenh.
M. Alexandre Saubot, président de France Industrie. - Je remercie la commission de convier l'industrie à présenter son point de vue sur un sujet crucial pour son devenir. L'énergie est un facteur clé de succès pour nos industries. Le prix et la disponibilité de ces énergies sont dans de nombreux secteurs des éléments qui participeront à notre compétitivité, et qui rendront donc possible à la fois la réindustrialisation et la décarbonation de notre économie. France Industrie regroupe 30 fédérations industrielles qui couvrent de manière unifiée l'ensemble de l'industrie française. Cinquante grandes entreprises industrielles en sont également des membres directs. Le président de France Industrie assure aussi depuis quelques années la vice-présidence du Conseil national de l'industrie.
Pourquoi le prix de l'électricité est-il fondamental dans nos industries ? Il faut se rendre compte que dans le monde carboné d'hier, la référence était le prix du pétrole, qui était le même partout. Il n'y avait donc pas de sujet de compétitivité relative d'une zone du monde à l'autre. Dans le monde décarboné qui se profile, les deux références sont le gaz et l'électricité, qui n'ont plus du tout de prix de référence. Depuis le début de la crise ukrainienne, on constate un décalage important sur le prix du gaz et de l'électricité entre l'Europe et le reste du monde, ce qui induit des conséquences sensibles puisque 35 % du mix énergétique de l'industrie est constitué par l'électricité, à égalité avec le gaz. Les secteurs plus particulièrement touchés sont la chimie, l'aluminium et la métallurgie qui ont vu leur activité baisser, voire s'arrêter en raison de la hausse, parfois vertigineuse, des prix de l'énergie. Au-delà de la valeur, le deuxième enjeu pour les industries réside dans la visibilité, avec par exemple les projets de décarbonation qui nécessitent d'énormes investissements, ce qui suppose des prix non seulement compétitifs, mais aussi prévisibles. Depuis quelques semaines les prix semblent devenir plus raisonnables, mais la volatilité extrême constatée reste une source de préoccupation majeure. Il faut rappeler que de leur côté les Américains et les Chinois ont accès à des contrats de long terme à prix compétitifs qui font nécessairement envie aux industriels européens.
Parmi les conclusions du rapport de Philippe Darmayan, ancien PDG d'ArcelorMittal, je retiens l'idée de contrats à long terme adossés au parc nucléaire, le développement de PPA dans le domaine des énergies renouvelables, ainsi que la problématique des aides nécessaires aux projets de décarbonation. Beaucoup de travail a déjà été entrepris sur ces trois questions. Il a permis de mettre clairement en évidence que de nombreux secteurs industriels, particulièrement celui des électro-sensibles, voient leur activité directement touchée par le prix de l'énergie. Plusieurs milliers d'entreprises sont directement impactées. Il faut donc que les outils contractuels ou de régulation puissent répondre aux demandes de compétitivité et de visibilité. C'est ce que l'accord du 14 novembre entre l'État et EDF a mis en exergue, en pointant le rôle particulier des contrats à long terme, notamment pour les industriels électro-sensibles. Il faut rappeler à cet égard l'existence de la clause de revoyure fixée à six mois qui permettra d'établir un bilan afin de savoir si l'accord répond aux enjeux de visibilité et de compétitivité de l'industrie française. La période actuelle est riche d'enjeux importants - délimitation des pouvoirs de la CRE, dispositifs d'atténuation de la volatilité des prix par exemple - et il faudra dresser un bilan précis de ce qui a été mis en oeuvre pour répondre aux enjeux de compétitivité des industriels. Pour cela, je suis persuadé qu'un élément clé réside dans la présence d'un opérateur performant dans la gestion du parc existant et dans la construction de nouvelles centrales nucléaires. Il s'agit en effet d'être capable d'accompagner la croissance future, telle que décrite par les scénarios de RTE.
Avant de conclure, je rappelle que le prix de 70 euros par MWh représente le prix de l'électron vu du côté du fournisseur, le client payant en plus la fiscalité et les coûts d'approvisionnement. Je rappelle en outre que le développement du parc de renouvelables - en particulier d'éolien - va avoir un impact considérable sur le coût du réseau. Un rajout de 10 euros sur le coût d'acheminement représente un facteur impactant pour la compétitivité. Il en va de même pour la fiscalité, pour laquelle il faut préserver le chiffre minimum actuel tant qu'il n'y a pas de visibilité sur l'ensemble du dispositif. Il faut en effet éviter que la fiscalité soit un facteur pesant sur la compétitivité, sachant qu'un ou deux euros de plus de fiscalité impactent finalement considérablement les secteurs industriels. Si les enjeux des sites hyper-électro-intensifs (HEI) sont bien identifiés, il convient d'offrir à toutes les industries les mêmes outils contractuels et un prix d'électricité compétitif. Il en va de la réussite de la réindustrialisation et de la décarbonation de notre économie.
M. Nicolas de Warren, président de l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie (UNIDEN). - Je commencerai en vous livrant quelques indicateurs précis pour vous montrer comment l'activité industrielle se dégrade fortement dans de nombreux secteurs qui connaissent des perspectives très négatives. C'est le cas de la chimie, où la situation allemande est particulièrement significative d'une conjoncture très dégradée.
L'UNIDEN est une association regroupant 62 membres grands consommateurs énergo-intensifs. Elle a été créée en 1979 à l'issue du second choc pétrolier afin de défendre l'intérêt de ce secteur particulier, où les business models sont tout à fait spécifiques, avec un poids considérable de l'énergie ou de l'électricité qui y revêtent un caractère vital. Nous représentons 70 % de la consommation d'électricité et de gaz de l'industrie en France. La décroissance de cette consommation peut s'illustrer par les chiffres suivants. La consommation de gaz a commencé à décliner sensiblement en 2022 puis en 2023, soit une baisse moyenne de 20 % ou 26 TWh - ce qui est considérable - par rapport à la période 2011-2019, où la moyenne de consommation était assez stable à environ 130 TWh. Une part de cette baisse est liée à l'efficacité énergétique et une autre part à la substitution du gaz par l'électricité liée à la décarbonation. Abstraction faite de ces deux facteurs, la destruction de demande liée au prix ou à la baisse de la demande industrielle représente 12 %, soit 14 TWh. Pour l'électricité, la tendance est malheureusement la même. La consommation de l'industrie est tombée à 106 TWh en 2023, soit une baisse de 12 % par rapport à la période 2011-2019. Ces deux indicateurs sont les signaux d'alarme d'une situation structurelle marquée par une part accrue de biens importés qui se traduit par une balance industrielle dégradée.
Dans ce contexte, il faut que l'électricité soit au service de l'industrie et non l'inverse. L'énergie est en effet une utilité qui sert un outil industriel et économique. Nous avons donc besoin d'un EDF dont la trajectoire financière est assurée afin de permettre le programme de grand carénage et le renouvellement du parc nucléaire. Cet EDF en bonne santé ne doit toutefois pas se construire au détriment de nos exigences de compétitivité à l'international.
Par rapport à nos concurrents non européens, il faut comparer notre coût de 60 à 70 euros le MWh à celui de 30 à 45 dollars le MWh qui a cours en Amérique du Nord, ou à celui de 40 à 60 euros le MWh en Chine et en Inde. L'écart est particulièrement significatif aux USA, où le plan IRA (Inflation Reduction Act) agit comme un aspirateur à investissements, face auquel il convient d'apporter une réponse appropriée. Aujourd'hui le gaz vaut 1,9 dollar par million de BTU, soit l'équivalent de 17,5 euros par MWh. Ce chiffre est quatre fois inférieur au prix du gaz en Europe. Le prix du gaz tout compris et livré sur site est de l'ordre de 60 à 70 dollars le MWh aux USA, contre 100 à 110 euros le MWh en Europe. Il était à mon sens important de vous livrer ces éléments de comparaison et de compétitivité essentiels à nos industriels.
Visibilité et compétitivité sont donc pour les industriels les deux mots-clés du moment. Nos trois organismes ont activement participé aux nombreuses discussions préalables à l'accord du 14 novembre. Ce processus nous a permis d'exprimer notre point de vue et nos besoins. Le dispositif décidé comprend quatre volets : un volet de régulation générale qui a abouti au projet de loi aujourd'hui remis en cause et trois volets contractuels portant sur des contrats d'allocations de production nucléaire à long terme, sur l'extension du dispositif collectif Exeltium, ainsi que sur un dispositif encore à créer pour les électro-sensibles. Le projet de loi, qui avait été déposé, a donc été suspendu. Nous n'avons pas de visibilité sur ce projet de loi ou un autre, et notre rencontre de ce jour permettra, je l'espère, de vous exprimer nos attentes à cet égard.
M. Frank Roubanovitch, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE). - Le CLEEE représente des secteurs industriels ou tertiaires très variés et des entreprises de toutes tailles. Nos 75 membres représentent environ 50 TWh de consommation annuelle. Mon intervention portera sur la situation actuelle des entreprises, sur le modèle de marché actuel, ainsi que sur les solutions futures possibles.
Après l'explosion du prix spot en 2022, les niveaux de prix sont revenus à leur niveau d'avant-crise. Mais, comme les entreprises achètent un an en avance sur les marchés à terme, les prix moyens HT de 2024 de 125 euros le MWh sont loin d'être revenus à la normale, et représentent plus de deux fois le coût de production ou le prix d'avant crise. La crise n'est donc pas encore passée. La plupart des entreprises ne sont pas des spécialistes des marchés de l'énergie et les contrats de l'électricité sont devenus pour elles d'une complexité invraisemblable avec de nombreux mécanismes différents qu'il est parfois difficile d'appréhender. Dans un marché volatil, la compétitivité des prix payés dépend avant tout de la date à laquelle les entreprises se sont couvertes, ce qui suppose des prix instables dans le temps, sauf en présence d'un mécanisme de régulation protecteur. Si le prix est important pour les entreprises, celles-ci sont aussi très sensibles à leur prévisibilité et à leur stabilité dans le temps, ce qui permet notamment d'investir judicieusement.
Le modèle de marché actuel, même s'il fonctionne correctement, n'atteint pas les trois objectifs suivants : couvrir les coûts de production d'EDF, garantir sur le long terme des prix compétitifs aux consommateurs, donner de la visibilité aux entreprises pour investir et décarboner. Le marché à terme est forcément volatil, décorrélé des coûts de production, et il ne donne pas de visibilité sur le long terme, condition essentielle à l'investissement. Il ne donne en outre aucun signe incitatif à la décarbonation. Il faut rappeler que RTE considère que le prix de l'électricité restera, dans les quinze années à venir, corrélé au prix du gaz et du carbone 75 % du temps. Les données de RTE montrent en outre que les centrales au gaz tournent pour les besoins d'exportation, confortant ce calage du prix de l'électricité sur le prix du gaz. Le prix de l'électricité est par ailleurs corrélé au prix du carbone, dont on sait qu'il va augmenter à l'avenir.
Le modèle que l'on connaît en Europe n'a rien d'universel et est minoritaire dans le monde. Le modèle le plus proche du cas français, caractérisé par une énergie décarbonée dominante, est celui de l'hydraulique canadien, où un système d'acheteur unique a été mis en place. Il faut aussi faire remarquer que le modèle actuel de prix a été conçu quand les énergies fossiles étaient abondantes. Il ne sera donc plus pertinent lorsque l'électricité sera décarbonée à 90 %. Il serait donc judicieux de revoir ce modèle au plus tôt.
Quel modèle faut-il dès lors mettre en place ? Il conviendrait surtout d'éviter une approche de court terme consistant à ne rien réguler maintenant sous prétexte de prix bas. La période d'accalmie actuelle devrait permettre de mettre en place un dispositif résilient et pérenne. L'accord du 14 novembre ne répond en aucune manière aux objectifs cités il y a un instant. Il n'est en effet pas corrélé aux coûts de production et totalement exposé au marché, ce qui veut dire que le prix d'électricité français est totalement aligné sur le prix allemand dont le mix est très différent du nôtre. Notre prix est, de ce fait, plus élevé qu'en Espagne. Il s'agit là d'une perte de compétitivité certaine. L'accord protège en outre mal les clients contre la volatilité. En résumé, le modèle proposé est moins protecteur que le dispositif actuel, qui, en attendant de trouver mieux, a le mérite d'exister, à travers l'Arenh, qui bien que décrié, présente un caractère protecteur certain.
M. Franck Montaugé, président. - Vos données et votre constat sont-ils partagés avec l'État ?
M. Frank Roubanovitch. - Ce sont des données publiques mises à disposition de tous. Je les ai partagées avec plusieurs interlocuteurs, qui les ont validées. Pour revenir aux modèles éventuels à mettre en oeuvre, le meilleur à notre sens, et le plus adapté à notre mix énergétique, serait l'acheteur unique - comme au Québec -, dans lequel chaque centrale est rémunérée à son coût de production, le consommateur payant un prix pondéré de la moyenne de ces coûts de production. Dans le cadre réglementaire européen, le modèle mettant en oeuvre des contrats pour différence (CFD) sur le nucléaire existant se présente comme la meilleure seconde solution. Il a l'avantage d'être eurocompatible et de protéger EDF grâce à son principe de compensation bilatérale. Il ne sera pas opérationnel dans six mois du fait des négociations en cours avec Bruxelles. La troisième solution à court terme serait un mécanisme de plafond, qui n'est pas parfait, mais donne aux entreprises consommatrices une visibilité certaine de long terme.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il faut constater que pour l'instant le mécanisme post-Arenh évoqué n'existe qu'au stade de proposition. Je voudrais savoir si après trois mois d'observation, France Industrie partage l'avis de Monsieur Roubanovitch sur la non-pertinence de l'accord conclu et des 70 euros par MWh annoncés. Ce tarif peut-il intéresser des entreprises compte tenu de la baisse des marchés ?
M. Alexandre Saubot. - L'accord de novembre 2023 se caractérise essentiellement par la mise en place de nouveaux outils contractuels. Une des raisons du moindre effet de la hausse des prix en Allemagne en 2022 réside dans le fait que de nombreux industriels y étaient couverts sur des durées longues, où les effets spot sont très atténués. Dans le même temps, le système basé sur l'Arenh incitait les opérateurs à se positionner sur des durées courtes, en achetant majoritairement l'électricité à un an, ce qui explique les effets nocifs de la volatilité. Il faut à notre sens attendre la fin des six mois pour tirer un premier bilan. Il semble que les choses avancent doucement.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Voulez-vous dire qu'elles n'avancent pas du tout ?
M. Alexandre Saubot. - Il semble que les discussions, qui relèvent du secret des affaires, avancent doucement. EDF a fait état de lettres d'intention signées à propos de deux CAPN (contrats d'allocation de production nucléaire). Les discussions sur les nouveaux outils ou sur la prolongation d'Exeltium sont en cours, ainsi que celles relatives à la définition d'un nouvel outil collectif, pour lequel des réunions techniques sont prévues courant mars. Face à un sujet d'une grande complexité, il faut accepter de se laisser du temps pour émettre un avis. Je suis incapable de dresser un bilan à ce jour. Ce qui importe est d'avoir la capacité d'apporter à échéance un jugement éclairé sur la pertinence des nouveaux outils contractuels afin de répondre à la problématique de visibilité et de compétitivité. Il faut en revanche examiner de manière constante les développements en cours en Amérique et en Chine. La concurrence entre les zones géographiques, pour laquelle l'Union européenne n'est pas la mieux placée, pose inévitablement la question de la pérennité de certaines activités industrielles. Au moment où la réindustrialisation et le regain de souveraineté sont au coeur des débats, le minimum consiste à s'interroger sur les conditions du maintien des activités présentes sur le territoire européen.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Dans un contexte de baisse de la consommation de gaz et de déclin de la production industrielle, que pense l'UNIDEN des scénarios de RTE ? Y a-t-il d'autres tendances qui se dessinent compte tenu des progrès de l'électrification des process industriels ?
M. Nicolas de Warren. - Il faut tout d'abord observer que le contexte actuel est sensiblement différent de celui d'octobre 2023. Nous avons peut-être tous péché par présomption en considérant que le système à construire s'inscrivait dans un univers de prix définitivement compris entre 90 et 100 euros/MWh. Du fait de la baisse de la consommation, il n'est pas interdit de penser que les prix baissent jusqu'à un niveau d'environ 40 euros/MWh dans les deux ans à venir. Cette hypothèse représente une source de difficulté pour l'accord et le système conçus avec EDF. S'il est, pour l'instant, impossible de savoir quand la bascule vers la décarbonation va se produire, nous estimons que l'hypothèse retenue par RTE de la multiplication par trois de la consommation industrielle à horizon 2050 est tout à fait pertinente. L'effet bassine de court terme ne contredit pas cette tendance de long terme. La question est de savoir si l'accord du 14 novembre, comportant des dispositions asymétriques - auxquelles nous avons consenti un peu malgré nous -, reste valable avec cet effet bassine. Cette question a, semble-t-il, amené les pouvoirs publics à suspendre le processus.
En termes de calendrier, il paraît indispensable qu'un projet de loi sur la régulation soit déposé rapidement. À défaut, nous risquons « d'aller dans le mur ». Les industriels doivent se préparer aux échéances de 2026 dès maintenant. La perspective d'un projet de loi déposé en fin d'année 2024 est à cet égard beaucoup trop lointaine. Si nous n'avons pas de visibilité sur l'un des trois éléments structurels que sont les contrats long terme CAPN, l'Arenh et le marché, nous serons en grande difficulté. La fixation rapide d'un cadre général de régulation est donc impérative.
Il faut en revanche laisser le temps de la discussion pour les CAPN, car ce sont des engagements complexes de dix à quinze ans, caractérisés par plusieurs composantes : la durée, le prix, mais aussi l'association au risque proposé par EDF qui comporte des aléas et constituent des facteurs d'incertitude. Si la question du prix est importante, le point central de discussion réside dans l'équilibre à trouver entre l'association au risque du productible et la contribution au financement à long terme. Les discussions en cours portent précisément sur ce point.
M. Frank Roubanovitch. - Si les contrats de long terme sont essentiels à de nombreuses entreprises, l'immense majorité d'entre elles n'est pas capable de se projeter financièrement sur dix ou quinze ans en signant ce type de contrats. La régulation générale est absolument essentielle et ces contrats de long terme sont tout à fait compatibles avec d'autres types de contrats comme les contrats pour différence (CFD) par exemple. Les uns n'excluent pas les autres.
M. Franck Montaugé, président. - Les PPA sont-ils des contrats dans la continuité des CAPN (contrats d'allocation de production nucléaire) ? J'ai compris qu'ils permettaient le financement de l'investissement.
M. Nicolas de Warren. - La dénomination PPA est un terme générique qui désigne des contrats longs. Les CAPN sont des formes de PPA assis sur un productible nucléaire. Ils ressemblent aux contrats signés par EDF dans les années 1980, où des parts de tranches ont été cédées à des opérateurs sur différents sites nucléaires. La logique qui prévalait jusqu'alors dans les contrats historiques de certains secteurs (chlore, aluminium, etc.), ainsi que sur le contrat Exeltium, supposait l'accès à un ruban, c'est-à-dire à une garantie sur la disponibilité physique, avec une variabilité sur le prix. La logique proposée aujourd'hui par EDF consiste à mettre les industriels en situation de coproducteurs associés aux risques du productible, avec les aléas industriels éventuels et les risques de marché. Là réside la difficulté de cette configuration. Est-ce en effet le rôle d'un industriel, qui ne dispose pas des clés de compréhension du marché au jour le jour, d'être partie prenante de ce risque intégral ? Nous considérons pour notre part que cette association n'est pas suffisamment bornée, avec une exposition au risque trop élevée.
Concernant l'avance en tête, il faut se demander si les industriels préfèrent investir dans leur outil de production plutôt que d'immobiliser des centaines de millions d'euros dans leur approvisionnement, sachant que nos concurrents hors UE n'ont recours ni à cette association au productible et au risque industriel ni à l'avance sur les approvisionnements. Je rappelle qu'Exeltium a consisté à constituer un effet de levier représentant environ 1,85 milliard d'euros pour contribuer au financement du productible, avec pour contrepartie l'accès à des prix hors marché. Ce contrat fonctionne bien depuis 12 ans. Il a vocation à aller jusqu'à son échéance en 2034. Nous avons assumé le risque prix, mais sans risque sur le physique.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire quel est le prix actuel qui découle de cet accord ?
M. Nicolas de Warren. - Ce prix constitue un élément confidentiel. La gouvernance d'Exeltium pourra vous répondre sur ce point. Il s'agit d'un prix hors marché, prévisible, avec une forme d'association au risque par le biais d'une majoration de prix. Le système proposé par EDF constitue une association physique. Si le productible n'est pas conforme aux prévisions annoncées, les industriels doivent avoir recours aux marchés, avec les risques inflationnistes associés. Il faut donc trouver la bonne pondération entre avance en tête et niveau d'exposition aux risques. Les discussions sur ce sujet sont difficiles, mais il conviendra d'avancer impérativement.
Mme Christine Lavarde. - Parmi mes interrogations, j'aimerais avant tout poser la question de l'adaptation des entreprises et de leurs processus de production aux évolutions des prix de l'énergie. Y a-t-il dans les derniers mois des entreprises qui auraient développé des stratégies d'autoproduction pour faire face à la volatilité des prix ? Certaines entreprises ont-elles entrepris leur transition énergétique vers l'électrique ? Quel est le niveau de prix du carbone qui influerait sur ce passage à l'électrique ? Y a-t-il eu des décalages de cycles de production liés à l'évolution des prix dans le temps, et quelles ont été, le cas échéant, les conséquences pour les salariés en termes de conditions de travail et de temps de travail sur des périodes inhabituelles ? Y a-t-il des évolutions du droit du travail à envisager pour faire face à de telles contraintes ? Concernant les électro-intensifs, quelle est la pertinence du dispositif de CSPE et faut-il poursuivre l'application d'une fiscalité différenciée pour ce type d'industriels ?
M. Nicolas de Warren. - Nos 62 adhérents doivent au maximum consommer 200 GWh par an. L'autoproduction est donc marginale depuis qu'il a été collectivement décidé de mettre fin aux cogénérations industrielles afin de saturer le parc nucléaire. L'autoproduction n'est pas un outil adapté aux électro-intensifs (EI) ou hyper-électro intensifs (HEI). Concernant la décarbonation, le mouvement de fond est entamé et n'est pas remis en cause. Certains éléments de conjoncture laissent cependant augurer du ralentissement ou du report de certains projets de décarbonation, sachant que les sauts technologiques se font sur des périodes de cinq à six ans.
Concernant les cycles de production, nos industries fonctionnent en flux continu. Il n'y a pas de décalages possibles dans le temps. Au plus fort de la crise, nous avons limité notre production à la hauteur de nos droits Arenh ou Exeltium, puisqu'il fallait éviter des ventes à perte en produisant avec un prix de l'électricité à 300 à 400 euros le MWh.
Concernant la fiscalité, l'accise réduite sur les industries EI ou HEI constitue une composante absolument essentielle de la compétitivité. Dans nos prix rendus site comprenant le transport et la fiscalité, il faut noter que la compensation carbone est la composante majeure de la compétitivité pour nos adhérents. Des interrogations se font jour sur la pérennité de cette compensation carbone au-delà de 2030, et même du risque de dégradation au-delà de 2026.
M. Alexandre Saubot. - La pérennisation de la compensation carbone constitue un élément vital pour nos industries. L'Union européenne est la seule zone du monde qui fait payer à ses industriels un coût du carbone significatif. Dans le monde de la décarbonation rapide, mais pleine d'incertitudes, il faut disposer du maximum d'outils, qui varieront pour chaque entreprise en fonction de son marché, de son intensité concurrentielle ou de la flexibilité de son outil de production. Ces outils divers doivent permettre aux entreprises, dans le cadre de leur dialogue social, de se donner les moyens de survivre. Il faut éviter que le « faire mieux » en termes d'exigence environnementale devienne un « faire ailleurs ». À force, en effet, d'ériger des contraintes et des réglementations un peu partout, nous n'y arriverons plus. Il faut à tous les niveaux laisser le maximum de souplesse et de capacité de s'adapter pour que, dans le cadre d'un dialogue social de qualité, les entreprises puissent répondre aux chocs externes et aux défis de la compétitivité et de la concurrence. Face aux défis technologiques et environnementaux qui nous attendent, ce sont les plus agiles et les plus flexibles qui s'en sortiront.
M. Frank Roubanovitch. - Concernant la modification des horaires de travail pour gérer la crise, j'ai connaissance d'entreprises qui ont fait basculer leur production la nuit. Les salariés ont accepté ces conditions exceptionnelles qui ne peuvent cependant pas être envisagées comme pérennes. Je voudrais tordre le cou à une idée répandue sur les PPA renouvelables qui consistent à signer un contrat de dix ou quinze ans avec un fournisseur de solaire ou d'éolien. Autant ces PPA sont vertueux du point de vue du développement des énergies renouvelables, autant ils ne constituent pas une solution pour les entreprises, car il s'agit d'effacer de la consommation aux heures de production éolienne ou solaire, alors que les heures de non-production correspondent à des prix spot très élevés, car corrélés aux prix du gaz. Ces contrats ne protègent donc pas du tout les entreprises contre les risques de volatilité et ne représentent pas une solution du point de vue de la diversification des risques.
Mme Martine Berthet. - J'ai l'impression que vous n'êtes pas tout à fait d'accord sur le sujet de la flexibilité. Notre mix énergétique va être de plus en plus composé d'ENR, c'est-à-dire d'une production par définition fluctuante et variable, auquel il conviendra de s'adapter. Je voudrais savoir si les industriels sont prêts pour faire face à cet horizon qui permettra normalement d'obtenir des prix d'électricité plus bas.
M. Nicolas de Warren. - La question de la flexibilité est cruciale pour l'ensemble des systèmes électriques dans le monde. La croissance des ENR, non pilotables par nature, conduit à ce que la volatilité physique d'approvisionnement des marchés augmente considérablement. Il s'agit d'un sujet d'intérêt général et les industriels sont prêts à adapter leurs outils qui deviendront flexibles par adaptation des process. Pour cela, ils ont besoin d'une visibilité sur les investissements. Modifier une électrolyse ou d'autres procédés pour les rendre flexibles suppose des changements technologiques assez profonds. Nous y sommes prêts par le biais de la participation active de la demande, mais cela suppose une planification. Au niveau européen, la Commission en est consciente et vient de lancer une consultation sur le sujet. Déjà évoqué dans la directive sur l'électricité, ce sujet sera de plus en plus présent, car il faudra construire un système économique pour rémunérer cette flexibilité. Il existe pour l'heure des appels d'offres Effacement dont la portée reste limitée et dont l'attractivité a baissé au fil des années. En résumé, le sujet est central et déterminant pour l'équilibre des réseaux électriques.
M. Franck Montaugé, président. - Concernant le projet de loi que vous appelez de vos voeux rapidement, pouvez-vous nous dire quelles sont vos idées sur la régulation à venir ? Concernant les CAPN, pouvez-vous nous dire ce qu'ils représentent en termes de puissance ? Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur la compétitivité des entreprises ayant adopté Exeltium ? Est-ce un modèle qui peut être dupliqué et adapté à d'autres groupements d'entreprises utilisant de l'électricité de façon intensive ?
M. Nicolas de Warren. - En matière de régulation, le gouvernement se trouve face à une alternative. Soit il reprend le projet déterminé le 14 novembre qui met en place un dispositif d'amortisseur se déclenchant à partir d'un certain seuil. Soit il l'améliore en introduisant une dimension de compétitivité pour les industriels, c'est-à-dire en réfléchissant à l'introduction, en plus des deux seuils de prélèvement déterminés (à 78 euros le MWh et à 110), d'une troisième tranche au seuil plus bas qui permettrait de générer plus de revenus à redistribuer. La difficulté d'une première tranche ne garantit cependant rien, eu égard au contexte de marché, contre un niveau durablement bas des prix. Ce dispositif asymétrique devient en effet totalement inopérant si les prix de marché sur lesquels comptait EDF restent au niveau de 40 à 45 euros pendant trois ans. Il faut garder à l'esprit que des niveaux de prix allant jusqu'à 100 euros à long terme ne garantissent pas un même niveau de prix à court terme. Je crois par ailleurs assez peu aux systèmes d'acheteur unique ou de prix plafond.
Par rapport au mois de novembre, nous enregistrons aujourd'hui une avancée significative en matière législative avec la finalisation de la directive européenne sur les marchés de l'électricité, pour laquelle un vote définitif aura lieu courant avril. Grâce à la pugnacité de la France, le texte prévoit la création d'un CFD sur une partie du nucléaire existant, c'est-à-dire, grosso modo, sur l'enveloppe globale du grand carénage. Une lecture attentive de l'article 19-B et du considérant 35 de la directive ouvre la possibilité d'asseoir un CFD sur une quote-part du parc nucléaire existant. Cette disposition est très importante, car elle donne une base juridique à l'institution d'un CFD bidirectionnel comportant un prix pivot à définir, permettant soit une compensation, soit un reversement. Pour les industriels, il est probable qu'un dispositif qui assurerait une garantie à la baisse à EDF permettrait, par effet symétrique, d'avoir accès à un prix compétitif. La perspective d'un CFD bidirectionnel permettrait donc une avancée sur les CAPN, EDF étant plus enclin à proposer un prix compétitif sur ces derniers, en ayant la garantie d'un prix minimum dans un contexte dégradé. Un consensus se dégage sur la part des CAPN qui ne doit pas excéder 50 TWh, soit de 10 à 12 % du productible nucléaire. Pour les CAPN, l'ordre de grandeur serait de 25 TWh.
M. Alexandre Saubot. - Quand on regarde les besoins de l'industrie, les montants évoqués sont capables de répondre à la problématique. La question pourra se reposer à plus long terme.
M. Nicolas de Warren. - EDF a toujours indiqué qu'il serait prêt à revoir ces chiffres pour la suite en cas de nécessité. Pour les HEI, le chiffre de base à retenir va de 15 à 20 TWh, voire 25 TWh en intégrant l'actuel Exeltium. Le volume global serait aux environs de 40 à 50 TWh. Le jugement de la Commission portera sur cet ensemble consolidé, c'est-à-dire sur la part de marché global d'EDF. Je souligne que les 27 clients actionnaires d'Exeltium - tous membres de l'UNIDEN - bénéficient du prix contractuel, dont le niveau répond bien à leurs besoins au regard de la concurrence internationale.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Les CFD acquis par la France auprès de la Commission sont un atout non négligeable, mais il semble qu'EDF craint des contreparties. Pour les industriels, quel serait le bon niveau de prix pour les CFD ?
M. Alexandre Saubot. - La réponse dépendra de ce qui se passe ailleurs. Quand les Allemands ont affirmé pouvoir fournir aux industriels un prix de 60 euros le MWh, cela reflétait bien les besoins des énergo-sensibles allemands, ce qui correspond aussi à ce qui conviendrait à la France. Si les prix de l'électricité et du gaz baissent encore, l'équation devra être envisagée dans des termes différents. Il n'y a pas de vérité absolue, car les différents paramètres sont sujets à évolution. Dans l'état actuel de la réglementation, le chiffre de 60 euros ne choque personne avec la compensation carbone. Les industriels pensent pouvoir travailler avec cette base de prix dans l'état actuel du marché. Depuis que le prix du pétrole n'est plus la seule composante à observer, il faut suivre avec attention plusieurs facteurs, ce qui rend les réponses temporaires et sujettes à évolution.
M. Nicolas de Warren. - Outre cette approche par la concurrence et par le marché, il faut aussi envisager une approche par les coûts. La CRE a établi un prix référentiel de 60 euros/MWh pour le parc nucléaire existant. La question fondamentale réside dans l'ajout ou non de la quote-part de la nouvelle production nucléaire avec une estimation d'enjeu d'environ 53 milliards d'euros. Ce chiffre explique le prix de déclenchement de 78 euros tel qu'envisagé dans l'accord du 14 novembre. Dès lors, il faut se demander si le futur CFD doit être assis exclusivement sur le nucléaire existant ou s'il doit intégrer cette quote-part du nouveau nucléaire. Les industriels sont favorables à la seule prise en compte du parc existant. Intégrer, d'ores et déjà, une quote-part du nouveau nucléaire, reviendrait à adresser un sujet d'ampleur nationale qui ne concernerait pas uniquement les industriels. Nous faire payer dès 2026 le coût de ce nouveau nucléaire ne serait pas acceptable. Le CFD doit être assis, de notre point de vue de consommateurs, sur le parc nucléaire existant. Le financement du nouveau nucléaire pourrait être adressé par un autre CFD, car il est possible de cumuler ces dispositifs, à condition qu'ils soient bien distingués.
Mme Martine Berthet. - Dans les négociations des contrats long terme avec EDF, la nécessité d'infrastructures et de capacité réseau suffisantes est-elle prise en compte et y a-t-il des engagements de prix à ce sujet ?
M. Nicolas de Warren. - Il est vraisemblable que les industriels négocient des contrats sur quinze ans incluant une augmentation des consommations en fonction de leurs échéances de décarbonation. Les volumes sont donc évolutifs en fonction de chaque contrat. La question que vous posez est celle de l'explosion du réseau et de la distribution. Dans le cadre du SDDR, RTE a estimé que nous allions passer d'une moyenne de 2,5 milliards d'euros d'investissements par an sur le réseau à 3, voire 5 milliards d'euros par an, soit un cumul d'une centaine de milliards d'euros. Les ordres de grandeur sont les mêmes pour la distribution. Ce mur d'investissements nécessitera un examen approfondi avec la définition de priorités supportables par l'ensemble des consommateurs, sachant que le cadre général de fiscalité énergétique devra être revu avec une électricité qui deviendra la première assiette de cette fiscalité.
M. Alexandre Saubot. - L'électricité sera non seulement la première assiette de fiscalité d'un monde décarboné, mais aussi un élément clé de la compétitivité. Les décisions qui seront prises, par exemple sur le TURPE ou la TICFE, entraîneront des conséquences sur la viabilité d'un certain nombre d'activités. On peut dire que la fiscalité sur l'électricité deviendra un élément déterminant participant ou non à la compétitivité de tous les secteurs industriels, notamment les plus énergo-sensibles.
M. Frank Roubanovitch. - Si le gouvernement doit mettre en oeuvre l'accord de novembre sur la régulation générale, il y aura un manque de visibilité, car ce sera le prix moyen auquel EDF aura vendu son électricité qui servira de référence, donnée qui par définition ne sera pas connue par les industriels. Il sera dès lors difficile de s'engager sur un contrat de trois ans, en n'ayant aucune idée sur le montant des compensations.
Il existe par ailleurs un doute sur la pérennité du dispositif et sur la viabilité d'EDF en cas de prix bas durables. L'Arenh a beaucoup été critiqué pour son aspect asymétrique, mais le modèle choisi aurait le même effet et serait certainement remis en question d'ici un ou deux en cas de prix bas. C'est la raison pour laquelle nous tenons au dispositif des CFD qui serait applicable à la grande majorité du volume de nucléaire existant.
Quant aux compensations qui pourraient être exigées, les négociations compliquées avec Bruxelles portent notamment sur le niveau de prix. La Commission pourrait en effet décider de fixer un niveau de prix suffisamment bas pour que le dispositif ne soit pas considéré comme une aide d'État. Il y a donc un bon équilibre à trouver entre les besoins d'EDF et les exigences européennes, ce qui prendra un peu de temps.
M. Nicolas de Warren. - L'objectif est accessible et il ne faut pas créer de paranoïa à propos des aides d'État. Tous les mois, les 27 États membres déposent des dossiers d'aides d'État qui font l'objet d'un examen approfondi, et qui la plupart du temps aboutissent. Le cadre juridique posé était par ailleurs un préalable essentiel à la discussion avec la DG Concurrence. Sans ce cadre, les discussions auraient été extrêmement difficiles.
M. Franck Montaugé, président. -Y aura-t-il un corridor avec prix plafond et prix plancher régulés pour les CFD ?
M. Frank Roubanovitch. - C'est une hypothèse qui avait été envisagée en 2020 quand le gouvernement avait mis sur la table un projet de CFD, mais sans succès auprès de la Commission. L'hypothèse d'un corridor existe et pourra constituer une piste de sortie dans le cadre des discussions avec la Commission. Je considère cependant pour ma part qu'un prix cible a le mérite de présenter plus de clarté.
M. Nicolas de Warren. - Dans ce domaine, une créativité assez large existe. Le grand intérêt d'un CFD réside, à nos yeux, dans le respect de la formation des prix sur le marché de gros. C'est un élément qui sera structurant pour les quinze prochaines années.
M. Alexandre Saubot. - Ce dispositif permet aussi de bénéficier d'un marché de moyen terme, dont l'absence durant la crise a coûté cher à la France. Pour le faire vivre, il faut que la régulation soit le plus loin possible de la zone d'exercice du marché, tout n'étant pas trop loin afin d'éviter la volatilité. L'exercice est difficile et la véritable question réside dans la capacité de fonctionnement d'un marché satisfaisant en présence d'un acteur qui détient plus de 80 % de la production.
Par ailleurs, dans la mesure où personne ne va acheter ses besoins à cinq ans, outre la visibilité sur le moyen terme, il faudra observer sur le marché, suivant l'écrêtement, comment fonctionne le plafond. C'est la combinaison des deux - du marché de moyen terme et du marché au sens strict - qui sera importante pour que le modèle puisse fonctionner, sans compter l'apport des contrats spécifiques de type CAPN ou contrats collectifs. L'ensemble de cette construction est nécessaire, d'où le temps d'observation indispensable destiné à savoir si elle fonctionne ou pas.
La réunion est close à 19 h 00.