Mercredi 20 mars 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de M. Jean-René Gourion, directeur général de MBDA France sur la production de munitions

Cette audition ne fera pas l'objet d'un compte-rendu.

Projet de loi relatif à l'accord économique et global UE-Canada - Examen des amendements de séance

M. Cédric Perrin, président. - Nous examinons maintenant les amendements de séance sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

EXAMEN DE LA MOTION

Demande de renvoi à la commission

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Je suis défavorable à la motion de renvoi en commission n°  1 déposée par les membres du groupe Union Centriste (UC). En effet, repousser l'examen du projet de loi autorisant la ratification du Ceta serait contraire aux positions exprimées par le Sénat sur ce sujet.

Je rappelle que, le 15 avril 2021, notre assemblée a adopté à la quasi-unanimité - 309 voix pour, 0 contre, le groupe UC ayant voté unanimement pour - une résolution invitant le Gouvernement à envisager la poursuite de la procédure de ratification du Ceta. Comment pourrions-nous aujourd'hui justifier que le Sénat refuse de se prononcer au seul motif qu'il y aurait un risque de rejet et qu'il serait donc préférable de continuer à appliquer la quasi-totalité de cet accord sans validation par le Parlement ? Adopter cette motion de renvoi à la commission reviendrait tout simplement à refuser l'obstacle, alors que nos concitoyens attendent justement de notre assemblée qu'elle prenne position en conscience et en responsabilité.

L'argument selon lequel l'inscription de ce texte dans une niche parlementaire ne permettrait pas un examen en profondeur n'est en outre pas recevable.

Je veux rappeler que, dans le cadre de l'examen de ce texte, nous avons auditionné des représentants de la direction générale du Trésor, de la direction des relations extérieures de l'Union européenne du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, de la direction générale Commerce de la Commission européenne, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), du Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), de la Fédération nationale de l'industrie laitière (Fnil), de la Fédération nationale bovine (FNB) et de l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev).

Nous avons également entendu l'Ambassadeur du Canada en France.

Nous avons reçu des contributions écrites de la part de la direction générale de l'alimentation (DGAL), de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de Business France, de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (Fevs), du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cépii) - il a publié un rapport extrêmement inquiétant sur l'impact du Ceta à l'horizon 2035 : +40 % pour les exportations canadiennes vers la France contre +14 % dans le sens inverse ! -, du Medef ou encore de l'Association française des entreprises privées (Afep).

Or je lis, dans l'objet de la motion, que le travail a été un peu bâclé. Je ne vous cache pas mon étonnement.

Enfin, je veux vous rappeler que, lors du débat qui s'est tenu au Sénat en janvier dernier sur l'accord avec le Mercosur - ce sont deux accords différents -, il a été explicitement fait référence au Ceta : pour rejeter l'accord avec le Mercosur, beaucoup se sont appuyés sur les défauts du Ceta, défauts que nous dénonçons nous-mêmes.

M. Olivier Cigolotti. - Vous comprendrez que je ne sois pas en accord avec cette position. Nous ne refusons en aucun cas le débat ; nous estimons simplement que la temporalité n'est pas la bonne.

Olivier Cadic a souligné, la semaine dernière, l'intérêt du Ceta pour 90 % de ses dispositions, mais cet accord contient un volet agricole et agroalimentaire important, qu'il ne nous semble pas possible d'examiner au moment où ce secteur connaît une crise majeure. Même si des travaux ont été menés, il nous semble préférable d'examiner ce texte dans d'autres conditions, à une autre période. Il est dommageable de comparer le Ceta à l'accord avec le Mercosur ; ce sont deux accords assez différents. Enfin, je veux rappeler que le Canada est un partenaire fiable.

M. Rachid Temal. - Je formulerai trois remarques.

Premièrement, cet accord a été signé puis mis en application à titre provisoire. Chacun peut en penser ce qu'il veut, mais c'est ainsi que les choses fonctionnent. Sur les dossiers relatifs à l'Union européenne, chacun joue un jeu de dupes, ce qui permet de prendre position pour ensuite ne pas agir, le cas échéant.

Deuxièmement, nous aurions souhaité que le Sénat examine ce texte juste après l'Assemblée nationale : nous aurions ainsi pu travailler de manière approfondie.

Troisièmement, le Sénat se plaint souvent que ses positions ne soient pas suffisamment prises en compte par le Gouvernement. Mais il devrait s'appliquer cette règle à lui-même ! Certes, le rapporteur nous indique avoir organisé beaucoup d'auditions, mais celles-ci ne revêtaient pas de dimension collective.

Aujourd'hui, nous avons un débat qui s'assimile au match retour de la semaine dernière. Demain, nous disposerons de quelques heures pour échanger sur le Ceta. À la fin, chacun aura beau jeu de dire, par voie de communiqué de presse, avant les élections européennes du 9 juin, qu'il a voté contre l'accord, tout en rappelant que nous aimons les Canadiens - mais pas trop quand même... Or tout le monde connaît la suite : comme le Gouvernement ne fera rien, l'accord continuera à s'appliquer après le 10 juin.

En tant que parlementaires, nous devons nous interroger sur ces pratiques. Pourquoi ne pas avoir créé une commission spéciale ? Olivier Cigolotti a évoqué le sujet agricole. Mais n'oublions pas aussi la question des terres rares, par exemple.

M. Cédric Perrin, président. - En tant que commission permanente, nous avons précisément compétence au fond sur ces sujets, nul besoin de créer une commission spéciale.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Le renvoi en commission est une démarche intéressante.

Depuis le début du processus, le Gouvernement a instauré une méthodologie plus poussée que celle qui est traditionnellement utilisée pour les projets de loi de ratification, avec une évaluation macroéconomique des impacts, une étude du Cepii ou l'intervention d'une commission d'experts, entre autres. Le Parlement gagnerait à avoir la même audace.

Les craintes qui se sont exprimées sont infondées. Mais chacun doit se prononcer en connaissance de cause. Un travail additionnel est nécessaire : le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants soutient la démarche du groupe Union Centriste.

M. Jean-Pierre Grand. - Il faut davantage travailler ce dossier. Deux chiffres sur la viticulture : nous disposons de quatre millions d'hectolitres non vendus dans les cuves, alors que nous importons quatre millions d'hectolitres d'Espagne.

Aujourd'hui, le problème porte sur la viande bovine. Pas une seule étude ne nous indique que les producteurs seraient lésés par cet accord. On nous dit que ce sera peut-être le cas demain. Mais cela ne me suffit pas !

Le moment est mal choisi. 1944-2024 : lors de la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de Canadiens sont morts pour la France. Et, aujourd'hui, on enverrait un message fort peu diplomatique ? Ce pays francophone est notre ami. Et on lui expliquerait que nos relations doivent se détacher ? Ce n'est pas le moment.

Ceux qui prônent le rejet du Ceta sont favorables au protectionnisme - ce n'est pas le cas de ma famille politique.

M. Didier Marie. - Dix ans de négociations, cinq ans d'attente depuis le vote de l'Assemblée nationale, multiplication des alertes des parlementaires : nous aurions préféré que le Gouvernement respecte ses engagements et inscrive le Ceta à l'ordre du jour des travaux du Sénat. Mais, faute de décision gouvernementale, saisissons l'occasion qu'offre cette niche parlementaire.

Nous avons largement eu le temps de nous intéresser au Ceta, que ce soit à la commission des affaires étrangères ou à la commission des affaires européennes. Nous sommes nombreux à avoir participé au comité de suivi des accords commerciaux, qui, malheureusement, ne se réunit plus. Nous avons discuté avec les représentants des filières professionnelles, de la Commission européenne ou des ONG : nous ne sommes pas mal informés - c'est le moins que l'on puisse dire. Après tant de demandes d'examen du Ceta, nous ne pouvons pas refuser de discuter : le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) s'oppose à ce renvoi en commission.

M. Olivier Cadic. - Lors de la présentation du texte la semaine dernière, notre rapporteur a longuement évoqué le cas du Parlement chypriote qui n'aurait pas ratifié le Ceta.

Comme cela semble avoir échappé à la commission, je souhaite vous donner la liste des 17 pays l'ayant ratifié : l'Allemagne, l'Autriche, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède, soit 62,3 % de la population de l'Union européenne.

Que le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-Kanaky) propose ce texte à quelques semaines des élections européennes, dans un contexte de crise agricole, personne n'est dupe : le groupe communiste a toujours été contre le libre-échange, à l'origine d'une mondialisation malheureuse pour les peuples.

Or 90 % des dispositions de ce texte relèvent des compétences exclusives de l'Union européenne. Je serais gêné si le Sénat français apparaissait comme le « gilet jaune » de l'Union, en ne respectant pas ses règles et en voulant imposer un point de vue différent, alors que cela ne fait pas partie de son domaine de compétences.

Lors de la précédente réunion de la commission, nous avons bien perçu le trouble et la confusion de certains collègues dans leurs votes. Nous pouvons comprendre les craintes. C'est pourquoi il importe que nous reprenions nos esprits. Ainsi, chacun pourra voter en conscience.

M. Roger Karoutchi. - Je regrette la confusion. La Constitution et le Règlement du Sénat sont clairs : le renvoi en commission n'est pas une manière d'éviter un vote négatif. Sinon, c'est la négation du Parlement !

Je comprends le procédé, mais il ne faut pas dire que les auditions du rapporteur n'ont pas été suffisamment collectives : c'est le cas pour tous les textes que nous examinons. Sinon, la commission dans son ensemble serait rapporteur elle-même.

À l'occasion de la révision constitutionnelle de 2008, j'avais proposé un système permettant de surseoir à statuer. Je regrette que nous n'ayons pas pu aboutir sur ce point.

Je peux comprendre les oppositions au Ceta, mais relativisons : quel que soit le vote du Sénat, celui-ci continuera de s'appliquer. D'ailleurs, le Premier ministre se rendra au Canada pour rassurer nos amis : restons sereins...

Il faut respecter la Constitution et le Règlement du Sénat et ne pas détourner la procédure.

M. Claude Malhuret. - Le rapporteur s'oppose à la motion de renvoi en commission déposée par le groupe UC. À l'inverse, plusieurs collègues viennent d'exposer leur position : il faut examiner le texte de façon plus approfondie.

Quel dommage que l'ingéniosité du groupe CRCE-K se mette au service d'un cynisme électoral évident plutôt qu'à celui des intérêts de notre pays et à l'avenir de notre continent !

En ressortant ce texte en pleine crise agricole et deux mois avant les élections européennes, il s'agit d'une manoeuvre évidente. Or nous sommes ici pour débattre du fond en dehors de toute pression temporelle ou électorale.

Ce vote associera un parti adversaire de tout temps du libre-échange à un autre dont la tradition est de défendre la liberté d'entreprendre : c'est une alliance contre nature, et je le regrette profondément. Nous aurions pu montrer que la politique n'est pas qu'affaire de caricatures et d'opportunisme, et qu'elle est affaire de sagesse et de pragmatisme : ce sera une occasion perdue.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - J'ai quand même le sentiment d'avoir fait mon travail avec sagesse et pragmatisme... J'ai été désigné rapporteur en 2019, nous sommes en 2024 : nous avons eu le temps d'y réfléchir.

J'ai évoqué le parallèle avec le Mercosur. Mais je n'ai pas exposé ma propre analyse : cette proposition de résolution a été déposée en début d'année par Jean-François Rapin, Sophie Primas, Anne-Catherine Loisier, Laurent Duplomb et d'autres collègues. Elle fait explicitement référence au Ceta pour critiquer des dispositions du Mercosur. Nos collègues regrettent que l'on ne prenne pas en compte le vote du Sénat.

J'entends l'argument de la temporalité. Les niches parlementaires existent et nos collègues ont déposé ce texte. En tant que rapporteur, je suis parvenu au terme du travail.

Monsieur Grand, je n'ai pas pu vous exposer le rapport complet la semaine dernière. Celui-ci contient une analyse détaillée des conséquences du Ceta sur tous les secteurs d'activité, avec les points négatifs et positifs.

Pas moins de 17 pays ont ratifié l'accord. En effet, j'ai évoqué le cas de Chypre, le pays de l'Union européenne le plus petit et le plus oriental. Le Parlement chypriote a rejeté l'accord, mais le gouvernement ne l'a pas notifié à l'Union européenne : ainsi, le vote est sans conséquence. L'actuel gouvernement plaide pour une seconde lecture, mais les députés que j'ai rencontrés restent sur leur position.

La loi nous donne non seulement la possibilité, mais aussi l'obligation de nous prononcer. Je ne vois pas pourquoi nous nous sentirions obligés de suivre aveuglément ce qui est décidé à Bruxelles. Certes, il y a des différences de gains entre les filières françaises, mais aussi entre les pays de l'Union européenne. Certains y trouvent davantage leur compte que la France, je comprends qu'ils aient déjà ratifié l'accord. Ce n'est pas le cas d'autres pays. Le vote de jeudi pèsera peu sur l'issue de la situation. Mais, à un moment donné, nous devons faire notre travail. J'ai réalisé mon travail de rapporteur, sans états d'âme. Prenez connaissance en détail du rapport, qui étudie tous les secteurs d'activité.

Les analyses prospectives pour 2035 montrent que les échanges augmenteront de 40 % du Canada vers la France, contre une augmentation de14 % des échanges de la France vers le Canada. Elles pointent le déficit de compétitivité des entreprises françaises par rapport aux entreprises canadiennes ; c'est ce point qui devrait nous interpeller.

Mme Michelle Gréaume. - Nous devons tous nous respecter. Le groupe CRCE-Kanaky a choisi de présenter ce texte dans son espace réservé ; libre à chaque groupe de faire ce qu'il entend dans son espace réservé.

Mme Valérie Boyer. - Lorsque ce projet de loi avait été présenté à l'Assemblée nationale, alors députée, j'ai voté contre. Je voterai contre ce texte pour les mêmes raisons. Ce n'est ni opportuniste, ni un manque de cohérence, ni lié au calendrier.

Soyons cohérents : nous ne pouvons pas accepter sur notre sol des aliments fabriqués avec des produits interdits à nos agriculteurs. On ne peut pas soutenir les agriculteurs sur les barricades et accepter l'accord.

On se doit d'être franc avec ses amis. L'amitié franco-canadienne, que vous invoquez, en sortira renforcée.

La commission émet un avis défavorable à la motion n°  1 tendant au renvoi à la commission du projet de loi.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article 1er

M. Pascal Allizard, rapporteur. - L'amendement ETRD.1 vise à supprimer l'article 1er qui autorise la ratification du Ceta. Nous proposons de supprimer l'accord économique, mais de maintenir l'accord de partenariat stratégique. C'est un message pour nos amis canadiens. Trois raisons doivent nous conduire à rejeter cet accord. D'abord, le bilan de l'application provisoire de l'accord ; ensuite, le Ceta fait peser des risques importants sur l'agriculture française, en particulier sur la filière bovine ; enfin, cet accord dit de « nouvelle génération » apparaît désormais, dans une large mesure, anachronique.

Fortement marqué par le contexte dans lequel il a été négocié, cet accord est désormais en décalage avec les attentes des peuples européens en matière de bien-être animal, de souveraineté alimentaire - la crise du covid nous l'a démontré - ou de soutien à l'agriculture.

M. Philippe Folliot. - En 2019, également député, j'ai voté pour le Ceta. Par cohérence, je voterai ce texte.

Sur le fond, cet accord est déjà appliqué à plus de 90 % depuis plusieurs années, et apporte globalement un bénéfice à l'économie française. Certains s'inquiètent des effets sur l'agriculture, et en particulier sur l'élevage bovin. Si mes informations sont bonnes, la France importe 29 tonnes par an de viande bovine, soit trois fois rien !

Le rapporteur propose de vider le texte de sa substance. Nous devons voter en responsabilité. Quel message la France enverra-t-elle à l'Europe et au monde en étant le premier pays d'Europe à refuser cet accord ? Au regard des liens historiques avec le Canada - et le Québec en particulier - on ne peut pas dire certaines choses d'un côté et agir différemment de l'autre. En sus des enjeux économiques, nous avons une responsabilité politique et morale, soyons-en conscients.

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Je travaille depuis 2018 sur ces accords. Ma position n'a pas changé. Je plaide dans le désert, mais je pense fermement que l'agriculture devrait être exclue des accords de libre-échange.

Mme Valérie Boyer. - Tout à fait !

M. Pascal Allizard, rapporteur. - Nous avons vu les difficultés d'approvisionnement lors du covid et de la guerre en Ukraine. Si l'agriculture et l'alimentation sortent de cet accord, je n'y serai plus opposé.

Actuellement, le Canada n'utilise pas la totalité de ses quotas relatifs à la viande bovine. Monsieur Folliot, la France importe bien 50 tonnes de viande bovine canadienne. Le problème n'est pas là. Le quota attribué au titre du Ceta est de près de 50 000 tonnes.

La proposition de résolution sur le Mercosur, qui fait référence au Ceta, indique que dans ces accords internationaux, l'élevage, notamment bovin, est devenu la variable d'ajustement systématique. À chaque fois, nos éleveurs sont sacrifiés, ce qui pose problème.

Le modèle d'élevage canadien, ce sont des fermes de 12 à 15 000 têtes, alors qu'en France nous refusons des fermes à 1 000 têtes. Les contrôles d'hygiène et les contrôles vétérinaires y sont totalement différents des nôtres. Le taux de contrôle de 20 % prévu à l'entrée de nos frontières a été abaissé à 10 %. En réalité, il n'atteint que 2 %. Les autorités européennes ont effectué deux contrôles au Canada. En 2019, les résultats étaient mauvais, et ils étaient toujours aussi mauvais en 2022. Quel pansement a-t-on apposé sur cette jambe de bois ? On demande aux éleveurs canadiens d'obtenir un certificat des vétérinaires qui contrôlent leurs propres troupeaux au quotidien. Il y a un conflit d'intérêts !

Le contrôle sanitaire ne se fait pas préventivement sur toute la chaîne d'abattage - comme cela se fait chez nous, avec un coût économique certain pour nos éleveurs. Au Canada, il est réalisé en bout de chaîne, lors de l'abattage. On décontamine les carcasses au karcher, avec quelques molécules dedans... Nous refusons totalement ce processus. Les Canadiens ont demandé des dérogations pour livrer les carcasses ainsi nettoyées. Croire que les Canadiens livreront 50 000 tonnes de carcasses est faux : ils exporteront en fait 50 000 tonnes de côtes de boeuf, ce qui sera totalement destructeur de valeur pour nos agriculteurs. Et ils les livreront alors que les conditions de production sont différentes et que les coûts sont bien moindres que chez nous. Le danger économique est réel. Ce n'est pas un fantasme, mais la réalité.

L'amendement ETRD.1 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 1er

M. Didier Marie. - Le Ceta est un accord de nouvelle génération, et n'est pas uniquement axé sur la baisse des barrières tarifaires et non tarifaires : il concerne aussi les investissements, les normes environnementales, les services publics et de nombreux autres domaines.

Il a un objet principal : diminuer les entraves au commerce et aux investissements en plaçant de facto le droit commercial au-dessus de tous les autres droits. J'y reviendrai ultérieurement.

Cet accord est un accord mixte. D'une part, il porte sur le commerce. La décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) précisant que la Commission européenne détient une compétence exclusive en matière commerciale est postérieure à la signature de l'accord. Par ailleurs, est inclus en son sein un dispositif de règlement des conflits entre investisseurs et États, qui relève d'une compétence toujours partagée entre l'Union européenne et les États membres. S'y ajoute la mise en oeuvre d'un forum réglementaire qui permet aux entreprises canadiennes de peser sur les normes européennes. En général, les normes canadiennes de protection de l'environnement sont en deçà des nôtres.

Le dispositif de règlement des différends est totalement dépassé. La France, de même que d'autres pays européens, est sortie du traité sur la Charte de l'énergie (TCE), qui protégeait les investissements sur les énergies fossiles avec des clauses de survie extrêmement longues. Il y a exactement la même chose dans le Ceta. Il est contradictoire de sortir du TCE et de maintenir ce système de règlement des différends au sein du Ceta.

Après sept ans d'application, le bilan du Ceta est mitigé sur le commerce, et est clairement négatif pour l'environnement.

M. Olivier Cadic. On entend beaucoup de choses au sujet du Ceta, dont certaines ne sont pas avérées. Le Ceta, ce n'est pas seulement l'élevage. Grâce à ce traité, nos très petites entreprises (TPE) et nos petites et moyennes entreprises (PME) peuvent accéder pleinement aux marchés publics fédéraux canadiens. Il y a des emplois à la clé. Si nous votons contre le Ceta et que des entreprises perdent des marchés, celles-ci ne manqueraient pas de nous le reprocher.

Par ailleurs, je suis quelque peu ulcéré par l'argument du bien-être animal. Pour ma part, je ne mange pas de viande. Chacun doit voir midi à sa porte.

Concernant le manque de compétitivité, on constate que la réponse apportée par les États qui en souffrent est souvent le protectionnisme. Lorsque j'ai proposé des mesures de simplification, certains de nos collègues qui s'opposent au Ceta les ont rejetées. Plus nous rendons les choses compliquées, plus il est nécessaire de se protéger pour accéder aux marchés.

Je perçois un rejet de l'Union européenne derrière certains discours, qui me rappellent les arguments des pro-Brexit. Or, croyez-moi, les agriculteurs britanniques ne sont actuellement pas ravis.

La commission émet un avis favorable aux amendements identiques nos  2, 3 et 6.

Intitulé du projet de loi

M. Pascal Allizard, rapporteur. L'amendement n°  4 vise à modifier dans les termes suivants l'intitulé du projet de loi : « Projet de loi de ratification de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part. »

Compte tenu de notre volonté de supprimer l'article 1er et de notre avis favorable à l'article 2, qui traite exclusivement de l'accord de partenariat stratégique, un tel intitulé mettrait le titre en cohérence avec le texte que nous proposons de voter. J'y suis donc favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

Proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Cédric Perrin, président. Nous examinons le rapport de Christian Cambon sur la proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.

M. Christian Cambon, rapporteur. Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui vise à sortir de l'ornière en mettant enfin sur pied la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, plus de deux ans et demi après sa création théorique par la loi d'orientation et de programmation sur l'aide au développement.

Je vais d'abord rappeler dans ses grandes lignes la réforme de l'évaluation opérée par la loi de 2021, que le Sénat avait largement enrichie et améliorée.

Actuellement, il existe trois organismes d'évaluation en matière d'aide au développement, au sein, respectivement, du ministère de l'économie et des finances, du Quai d'Orsay et de l'Agence française de développement (AFD). Concrètement, les évaluations pilotées par ces services sont en général réalisées par des cabinets de conseil sélectionnés sur appels d'offres, sous la direction d'une équipe de responsables administratifs des ministères concernés ou de l'AFD.

Ces évaluations sont en général effectuées avec sérieux et peuvent permettre aux services d'améliorer leurs pratiques, mais elles présentent aussi des lacunes, qui imposaient une réforme.

Tout d'abord, elles aboutissent souvent à des conclusions stéréotypées et peu incisives faute d'indépendance des organismes cités par rapport à leurs ministères de tutelle. En somme, le résultat est proche de celui auquel aurait abouti une évaluation interne.

Ensuite, la France est largement en retard dans les classements internationaux en ce qui concerne la transparence de l'aide. L'ONG Publish What You Fund ne classe ainsi l'AFD qu'au vingt-huitième rang sur cinquante en matière de transparence de l'aide. Cela montre que les structures existantes ne jouent pas suffisamment leur rôle d'information du public.

Par ailleurs, l'évaluation reproduit l'éclatement du pilotage de la politique d'aide publique au développement (APD) entre deux ministères et un établissement public, ce qui rend plus difficile la réalisation d'études transversales ou globales, mais aussi le contrôle du Parlement.

Enfin, la nature même des évaluations réalisées apparaît insatisfaisante. Une évaluation est, en principe, une analyse ayant pour objet d'apprécier l'impact d'une politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en oeuvre. Or les instances d'évaluation actuelles concentrent leur analyse sur les processus de gestion, l'organisation institutionnelle et les enjeux financiers et budgétaires, négligeant trop souvent l'impact et la durabilité des interventions françaises.

Concrètement, elles ne répondent pas toujours à la question qui compte le plus  : tel projet a-t-il réellement permis à ses destinataires d'être mieux soignés, mieux nourris ou de trouver un emploi leur permettant d'assurer leur subsistance ?

C'est pour remédier à toutes ces limites que nous avons créé la nouvelle commission d'évaluation indépendante, qui sera compétente de manière transversale sur l'ensemble des projets et des programmes de développement. Cette commission s'inspire de la commission indépendante pour l'impact de l'aide (Independent Commission for Aid Impact, Icai) mise en place par le Royaume-Uni, qui est composée de spécialistes du sujet et est capable d'évaluer l'impact final des projets.

Cette nouvelle commission sera ainsi séparée et indépendante de l'AFD, dont elle sera tout particulièrement appelée à examiner l'activité, étant donné la place prédominante de l'agence dans cette politique, qui s'appuie sur 12 milliards d'euros d'engagement. La présence d'un collège de parlementaires, introduite par notre commission lors de l'examen de la loi, renforcera son indépendance par rapport à l'exécutif, tout en assurant la prise en compte de nos préoccupations.

La solution instaurée par la loi n'est certes pas parfaite. Une autre option aurait été de créer une véritable autorité administrative indépendante (AAI), avec un personnel plus nombreux et des moyens importants. Cela aurait cependant signifié un coût considérable et l'ajout d'une nouvelle structure au millefeuille administratif, que nous dénonçons régulièrement. Ce n'est pas ce que nous souhaitions. Dès lors, il fallait bien adosser la commission à une administration préexistante, apte à en assurer le secrétariat.

Initialement, l'Assemblée nationale avait choisi un rattachement à la Cour des comptes. Dès le départ, nous avons pressenti que cette option n'était pas idéale. La Cour est avant tout un organe de vérification et de contrôle de la régularité de la dépense, composée de magistrats financiers qui ne sont pas spécialistes des domaines qu'ils contrôlent, même si elle a aussi un rôle en matière d'évaluation.

Nous souhaitions au contraire créer un organisme spécialisé s'appuyant sur des méthodes d'évaluation permettant de mesurer l'impact final des projets. Le décret d'application du 6 mai 2022 a aggravé cette difficulté en accentuant le rôle de la Cour en imposant la présence de deux magistrats de l'institution au sein de la commission, dont le Premier président, qui aurait logiquement présidé le nouvel organisme.

C'est pourquoi, après la controverse que l'on sait, Jean-Louis Bourlanges a déposé cette proposition de loi qui vise à rattacher la commission d'évaluation au Quai d'Orsay et non plus à la Cour des comptes. Ce rattachement d'ordre administratif - je le précise -paraît finalement le plus simple à mettre en oeuvre.

Je rappelle que la loi prévoit toujours que les experts de la commission sont indépendants et qu'ils déposent une déclaration d'intérêts - un amendement a été déposé à ce sujet. En outre, n'oublions pas l'apport de notre commission, qui a intégré la présence des parlementaires au sein de la commission d'évaluation, ce qui constitue une autre garantie d'indépendance par rapport à l'exécutif.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l'essentiel des projets et la plus grande part des dépenses bilatérales en matière de solidarité internationale sont le fait de l'AFD. Or le Quai d'Orsay manifeste depuis longtemps une réelle volonté de renforcer ses capacités de contrôle et d'évaluation de l'agence, compte tenu de la disproportion entre les moyens de celle-ci et ceux du ministère - ce dernier compte quatre fois moins de crédits que l'agence. Il n'y a donc aucune raison de penser que le ministère des affaires étrangères soit tenté de freiner ou de tempérer le processus d'évaluation de l'AFD - nos auditions tendent à prouver le contraire.

En tout état de cause, cette proposition de loi ne peut pas comporter un luxe de détails et nous avons demandé et obtenu de la part du Gouvernement d'être associés, comme Jean-Louis Bourlanges l'a fait au nom de l'Assemblée nationale, à la rédaction du décret qui précisera la composition et le fonctionnement de la nouvelle commission.

Au reste, nous avons déjà tenu une première séance de travail constructive avec le chef de service chargé de ce décret à Bercy, à qui j'ai pu expliquer en détail notre vision du rôle de la commission d'évaluation. Nous préférerions également qu'une personnalité indépendante, dont l'expertise en matière d'aide publique au développement est reconnue, soit élue à la tête de la commission par ses membres.

Pour conclure, cette proposition de loi nous permet de sortir de l'ornière : jusqu'à présent, le Parlement ne disposait que de la période budgétaire pour contrôler l'activité de ces organismes. Le Gouvernement restant l'arme au pied pour dégager les moyens nécessaires au lancement de cette commission, l'adoption de cette proposition de loi permettra d'accélérer enfin les choses.

Si ce texte n'est pas parfait, il nous semble satisfaisant. Aussi, je vous invite à ne pas le modifier, sans quoi il serait difficile de le voir adopter à l'Assemblée nationale, compte tenu des équilibres politiques. Un vote conforme permettrait de clore un feuilleton qui n'aura que trop duré et de nous doter enfin d'une instance d'évaluation de l'aide au développement digne de ce nom.

M. Cédric Perrin, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, nous devons arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement instituée par la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021.

Je vous propose donc de considérer que ce périmètre inclut des dispositions relatives au rattachement administratif de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, à ses missions, à son secrétariat, à la composition du collège d'experts, ainsi qu'à l'autorité chargée de recevoir la déclaration d'intérêt des membres de ce collège d'experts.

Il en est ainsi décidé.

M. Rachid Temal. - J'étais rapporteur, avec Hugues Saury, de la loi du 4 août 2021. Il est curieux de noter que le Gouvernement, qui disposait alors d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale, nous avait poussés à nous tourner vers la Cour des comptes, alors qu'il bloque tout depuis deux ans et demi de majorité relative. S'ils ont déjà tout décidé, que tout est réglé et que nous n'avons d'autre choix que celui d'accepter leur texte, nul besoin de réunir le Sénat !

Sur le fond, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut avancer sur le sujet. Pascal Allizard, à propos du Ceta, a expliqué précédemment que cela pouvait poser problème lorsque le propre vétérinaire d'un exploitant bovin contrôlait lui-même les bêtes. Or c'est en quelque sorte ce qu'on nous propose au travers de cette proposition de loi : l'autorité de tutelle de l'AFD est le ministère des affaires étrangères, lequel sera chargé de l'évaluation. Autrement dit, il s'agit d'autoévaluation !

On nous rétorque que le rattachement est purement administratif. Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir laissé la tutelle à la Cour des comptes ou l'avoir octroyée à France Stratégie ?

En ce qui concerne l'argument selon lequel un vote non conforme entraînerait une perte de temps, je rappelle que les présidents de groupe ont reçu le 11 mars un courrier de la ministre chargée des relations avec le Parlement, Marie Lebec, adressé au président Larcher, dans lequel elle indique que les conclusions de la commission mixte paritaire seraient examinées au mois de mai.

Au reste, je tiens à rassurer Jean-Louis Bourlanges : il y aura une majorité lors de la commission mixte paritaire, qui sera peu ou prou la même que sur le projet de loi de programmation militaire. Encore faut-il que nous puissions améliorer le texte, comme nous avons amélioré la loi du 4 août 2021.

En l'état, plusieurs dispositions posent des problèmes. Il est ainsi prévu que la commission évalue la pertinence des projets. Il s'agit donc non pas d'une simple évaluation de l'efficacité, mais bien d'un jugement en opportunité.

Ce texte est largement perfectible. Nous avons déposé des amendements. Je vous invite à les adopter, et nous nous mettrons d'accord ensuite avec les députés lors de la CMP, en mai prochain.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Voilà deux ans et demi que dure l'imbroglio ! Au Sénat, nous avions pourtant trouvé un compromis et adopté une position commune. La situation actuelle n'est pas de notre fait. Si la commission d'évaluation est rattachée au ministère des affaires étrangères, elle ne sera pas indépendante. C'est pourquoi nous souhaitons qu'elle soit rattachée à France Stratégie. Le texte, à ce stade, n'est pas acceptable.

Mme Nicole Duranton. - La commission d'évaluation apportera de la clarté et de la transparence en ce qui concerne l'aide publique au développement. Si elle est rattachée au ministère des affaires étrangères, elle pourra mieux apprécier cette aide au regard des objectifs fixés par la loi, des ambitions de la France en la matière et de nos intérêts à l'étranger, en harmonie avec l'AFD, qui fait un travail remarquable. Je voterai ce texte.

M. Pascal Allizard. - La politique est l'art du possible. J'espère que nous sortirons de cette situation par le haut. Lors de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, en 2021, j'avais émis des réserves. Depuis, il ne s'est rien passé, alors que les sommes en jeu sont considérables. La solution proposée aujourd'hui n'est sans doute pas la panacée, mais elle a le mérite d'exister et elle résulte d'un compromis avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement. Il est temps d'avancer. Les sénateurs qui siégeront au sein de la commission d'évaluation pourront faire leur travail de contrôle de l'action du Gouvernement. Je voterai cette proposition de loi.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Inclure des parlementaires dans une commission indépendante d'évaluation d'une politique publique n'est pas judicieux. Cela revient à politiser l'analyse. J'ajoute que les parlementaires ne sont pas toujours disponibles ni assidus. Il aurait mieux fallu conserver l'équilibre de la rédaction initiale de l'article 9 du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire : il était prévu que la commission soit composée d'experts. Les membres de la Cour des comptes n'étaient d'ailleurs pas majoritaires - deux membres sur dix au total. Les parlementaires ont déjà tous les moyens nécessaires à leur disposition pour effectuer leur mission de contrôle, prévue à l'article 24 de la Constitution. Or ils ne s'emparent pas assez de cette compétence. Ils ont tendance à se concentrer sur la discussion des lois et à négliger leur exécution.

Nous en sommes arrivés à la situation actuelle parce que l'on a voulu à toute force que des parlementaires siègent au sein de la commission. D'autres solutions étaient possibles. On aurait pu prévoir que cette dernière soit purement et simplement indépendante. Elle pourrait aussi, éventuellement, travailler en lien avec le centre de développement de l'OCDE. Je suis donc réservé à l'égard de cette proposition de loi.

Mme Michelle Gréaume. - Il semble que l'APD ait été peu à peu intégrée au domaine réservé du Président de la République. Ainsi, lors du conseil présidentiel du développement, plusieurs orientations de la loi du 4 août 2021 ont été modifiées en profondeur. En juillet dernier, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement a bafoué toutes les orientations qui avaient été définies : l'objectif d'allouer à l'APD 0,7 % du revenu national brut (RNB) a été encore repoussé ; la liste des États prioritaires a été revue. La commission prévue par ce texte est donc nécessaire. Le Parlement doit reprendre la main. Nous voterons cette proposition de loi.

M. Patrice Joly. - Les montants financiers en jeu - 15 milliards d'euros - sont modestes au regard du montant global de l'APD dans le monde - 200 milliards - et surtout des besoins nécessaires pour lutter contre la pauvreté, qui sont estimés par l'ONU à plus 3 000 milliards. J'ajoute que les fondations des Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft - sont les cinquièmes contributeurs à l'APD... Il n'en demeure pas moins qu'il est important, si nous voulons pouvoir exercer un contrôle sur cette politique, que nous disposions d'une information objective, fournie par une autorité indépendante.

M. Roger Karoutchi. - Voilà des années que l'on discute de la création de cette commission et que l'on s'interroge sur son rattachement. Finalement, on n'avance pas et pendant ce temps l'APD n'est pas évaluée. Il est temps de sortir de ce débat. J'entends dire que les parlementaires n'ont pas leur place dans cette commission, car ils risquent de politiser l'expertise, mais nul n'a les mains blanches ! Qui, d'ailleurs, nomme les experts ? Il n'y a rien d'idéal. Soyons donc pragmatiques, créons cette commission : il est urgent qu'elle puisse fonctionner.

M. Alain Cazabonne. - On peut dire que les sommes consacrées à l'APD ne sont pas assez élevées, mais elles ne sont pas négligeables ! Je suis favorable à la présence de parlementaires au sein de la commission : ils ne sont pas moins honnêtes que d'autres, fût-il Premier président de la Cour des comptes !

M. Cédric Perrin, président. - On peut toujours chercher à faire mieux, certes, mais l'essentiel, désormais, est d'être efficace et d'agir. Nous avons longtemps discuté avec M. Bourlanges, et la solution proposée semble être la meilleure possible en l'état.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur Temal, nous avons clairement une appréciation divergente de ce texte. Je ne conteste aucunement le droit d'amendement et j'espère que vous ne contestez pas non plus mon droit d'avoir un avis défavorable sur ces amendements...

Il est évident que la lettre envoyée par Mme la ministre Lebec était imprudente, mais elle relève d'une logique administrative habituelle : le Gouvernement envoie au Parlement une lettre de cadrage de l'ordre du jour pour les mois suivants afin que nous puissions nous préparer. Nous aurions pu nous passer de cette référence à une éventuelle commission mixte paritaire, mais il est normal que le Gouvernement anticipe toutes les possibilités. Je rappelle d'ailleurs que convoquer une CMP relève de la compétence du Gouvernement et que cela n'ôte rien à notre droit de voter un texte conforme.

Madame Carlotti, il est vrai que le compromis trouvé à l'époque était juridiquement douteux du point de vue du président de la Cour des comptes. C'est ce qui a créé ce blocage et cette longue attente. Le Gouvernement a tenté de passer par décret, mais cela n'était pas possible. C'est pourquoi nous devons changer le dispositif législatif.

Les évaluations que réalisera cette commission concerneront bien sûr les actions propres du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais l'objectif principal est d'évaluer les actions de l'AFD. Chaque année, les engagements de l'agence s'élèvent à 12 milliards d'euros. L'évaluation des projets de l'AFD est essentielle et tout le monde le dit depuis très longtemps.

La Cour des comptes continuera naturellement d'assurer ses missions de contrôle.

Monsieur Lemoyne, nous n'avons cessé ici de demander plus de contrôles et d'évaluations sur l'aide publique au développement. Alors, pour une fois qu'on crée un organisme sui generis, ne boudons pas notre plaisir !

En outre, nous savons fort bien que le rôle des parlementaires dans les différents organes de contrôle où ils sont présents est extrêmement important. Je pense à la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada), à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ou encore, bien sûr, à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) où siégeait, par exemple, Michel Boutant, ce qui lui prenait un temps considérable.

J'en profite pour dire qu'à mon sens la fonction de président de la commission d'évaluation représente un temps plein. C'est un point sur lequel j'insisterai pour le décret d'application.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-2 prévoit de placer la nouvelle commission d'évaluation auprès de France Stratégie. Le Gouvernement n'y est pas favorable. Parallèlement, l'amendement COM-5 prévoit que le secrétariat de la commission est assuré par le Cepii, qui fait lui-même partie des organismes rattachés à France Stratégie.

Or le Cepii est un think tank qui produit ses propres analyses et études d'économie internationale. Il n'a pas vocation à assurer le secrétariat d'un autre organisme, tel que la nouvelle commission d'évaluation. Il n'y aurait donc pas de logique de le charger d'un organisme qui ferait à son tour des analyses.

C'est pourquoi je propose un avis défavorable.

M. Rachid Temal. - Je suis surpris : faut-il demander l'accord du Gouvernement avant de déposer un amendement ?

M. Christian Cambon, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Rachid Temal. - Ce sont les atermoiements du Gouvernement qui expliquent que rien ne se passe sur ce dossier depuis trois ans ! Le Gouvernement est un peu le pompier pyromane dans cette affaire... En outre, il propose au fond que l'organe qui est censé piloter l'AFD supervise les évaluations, ce qui est quand même surprenant.

Surtout, il y a une forme de contradiction dans la position du rapporteur. Nous parlons ici d'un rattachement administratif. Or France Stratégie est justement un organisme autonome rattaché au Premier ministre, dont le rôle est l'évaluation et la stratégie. Si j'ai bien compris la position du Gouvernement, ce sont les membres de la commission, c'est-à-dire les experts et élus qui y sont nommés, qui réaliseront les évaluations. On peut donc tout à fait rattacher administrativement la commission à France Stratégie.

Au fond, la question est simple : souhaitons-nous une évaluation indépendante ou une autoévaluation ? Rattacher la commission au ministère de l'Europe et des affaires étrangères est un enterrement de première classe !

M. Christian Cambon, rapporteur. - Nous n'avons rien négocié avec le Gouvernement : si France Stratégie était apparue comme un organisme pertinent de rattachement, nous aurions fait ce choix.

En matière d'indépendance, le Premier ministre, qui exerce la tutelle sur France Stratégie, supervise aussi le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid). Il y aurait donc aussi un mélange des genres entre contrôleurs et contrôlés...

Nous parlons bien d'un secrétariat administratif, d'un « hébergement » si je peux me permettre cette expression, pas de la mission d'évaluation en elle-même. Le ministère est plus qualifié pour accueillir un tel secrétariat administratif que France Stratégie.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-3 entend apporter une précision rédactionnelle pour prendre en compte le fait que le ministère des affaires étrangères s'appelle ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Le décret précisera les choses. Cette imprécision n'empêche pas l'application du texte. J'y suis donc défavorable.

M. Rachid Temal. - Je rappelle quand même que le ministère s'appelle, depuis 2017 maintenant, ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Vous nous proposez donc d'adopter une formulation inexacte dans la loi, à charge pour le pouvoir réglementaire de rectifier les choses... Cela risque de créer de nouvelles incompréhensions et ambiguïtés, comme nous en connaissons depuis trois ans sur ce sujet. Cela ne me paraît pas très cohérent de la part d'un gouvernement qui donne des leçons à la terre entière !

M. Christian Cambon, rapporteur. - Je vois bien l'habileté de cet amendement, mais il est très fréquent que la loi ne reprenne pas l'appellation stricte d'un ministère, ne serait-ce que parce qu'elle change fréquemment !

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-4 entend supprimer la notion d'évaluation de la « pertinence » des projets.

Contrairement à ce qui est affirmé par les auteurs de l'amendement, la proposition de loi ne prévoit pas une évaluation de la « pertinence » en général des projets, mais de leur pertinence « au regard des ambitions et des objectifs prévus par la loi », et elle précise que la commission « en examine les résultats pour apprécier leur efficacité, tant sur le plan financier que vis-à-vis des priorités de la politique extérieure et de coopération ainsi que des intérêts à l'étranger de la France ».

C'est une formulation très large qui permet, d'une part, d'apprécier que les projets sont en ligne avec les objectifs fixés par la loi du 4 août 2021, et, d'autre part, d'éviter que la commission ne se borne à être une instance de contrôle des fonds publics déployés dans le cadre de l'APD. La suppression du rattachement à la Cour des comptes a d'ailleurs précisément pour objectif d'assurer que la nouvelle commission soit avant tout une instance d'évaluation et non de contrôle purement financier. L'avis est donc défavorable.

M. Rachid Temal. - Il ne s'agit pas d'un amendement rédactionnel ! Je crois que la rédaction choisie a un sens : parler de « pertinence » à cet endroit permettra au bout du compte d'évoquer l'opportunité des projets. Cela pourrait même aller jusqu'à remettre en cause les décisions du Parlement - il est vrai que ce gouvernement n'en a déjà pas grand-chose à faire... Comme nous l'avons vu au moment de la rédaction du projet de décret, une telle rédaction posera des problèmes à l'avenir. Cela touche directement à la capacité d'évaluation de la commission.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Il faut lire l'ensemble de la phrase et ne pas s'arrêter à ce mot ! Nous n'avons pas la même lecture.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Comme je l'ai dit, l'amendement COM-5 vise à rattacher le secrétariat de la commission d'évaluation au Cepii. Par cohérence, j'y suis défavorable.

M. Rachid Temal. - Dans sa rédaction actuelle, il est prévu que la direction générale chargée du développement international du ministère des affaires étrangères, qui pilote déjà l'AFD, assure le secrétariat de la commission. Elle n'est pas plus compétente que le Cepii pour assurer un secrétariat administratif.

L'amendement COM-5 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-6 prévoit que la présidence de la commission sera assurée par un parlementaire. Je n'y suis pas favorable parce qu'il s'agit d'une lourde tâche que les obligations des parlementaires ne leur permettront sans doute pas d'assumer. Je souhaite d'ailleurs que le décret permette de définir cette fonction comme étant à temps plein.

Il est essentiel que des parlementaires s'impliquent dans ce type d'organe de contrôle ou d'évaluation, mais il n'est pas nécessaire que l'un d'eux en soit président. En outre, nous serions obligés de prévoir une présidence alternée entre Assemblée nationale et Sénat, ce qui nuirait à l'efficacité du dispositif.

J'ajoute que les présidents des deux assemblées peuvent saisir la commission de demandes d'évaluation. En tout état de cause, les parlementaires joueront un rôle important dans cette commission, s'ils s'y impliquent.

M. Rachid Temal. - S'il s'agit d'un poste à temps plein, le décret devra prévoir que le président soit rémunéré.

Le conseil d'administration de l'AFD est notamment composé de parlementaires, qui n'ont pas franchement le temps d'examiner le budget de l'Agence.

Certains organismes sont présidés par des parlementaires sans que cela pose de problème : le président préside, voilà tout ! En amont, des rapporteurs feront leur travail d'analyse.

Nous considérons que nommer un parlementaire à la présidence de la commission d'évaluation donnerait un rôle plus important à cette fonction.

L'amendement COM-6 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à faire en sorte que les experts déposent leur déclaration d'intérêts devant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). L'article L. 122-2 du code général de la fonction publique prévoit que des agents publics nommés dans l'un des emplois dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient doivent déposer une déclaration d'intérêts auprès de leur autorité de rattachement. En revanche si l'administration de rattachement n'est pas certaine de l'appréciation qu'il faut porter, elle peut saisir la HATVP.

La Haute Autorité n'est directement compétente que des postes prévus par la loi, notamment, s'agissant des AAI, pour celles qui ont des pouvoirs de sanction importants, ce qui confèrent une importance particulière à leur déclaration d'intérêts.

Mon avis est défavorable.

M. Rachid Temal. - Pourtant, l'article 12 de la loi évoque la possibilité d'un tel dépôt !

M. Christian Cambon, rapporteur. - Les experts doivent déposer leur déclaration devant leur autorité de rattachement.

M. Rachid Temal. - Le texte dit bien que l'expert déposera sa déclaration auprès du ministre des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Oui, auprès du ministère des affaires étrangères et non de la Haute Autorité ; il n'y a pas donc pas de raisons de modifier le texte.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

M. Christian Cambon, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à instaurer une commission uniquement composée de parlementaires. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

Projet de loi autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Cédric Perrin, président. - Nous en venons à l'examen du projet de loi autorisant la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan, dont Mme Michelle Gréaume est la rapporteure.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure. - Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui a pour objet l'approbation de la ratification du traité d'entraide judiciaire en matière pénale entre la République française et la République du Kazakhstan, signé à Nour-Soultan le 28 octobre 2021.

Précisons d'emblée que ce ne sont pas de gros volumes de dossiers qui ont motivé la signature de ce traité.

De fait, avec, depuis 2012, seulement neuf demandes d'entraide de la part de la France, et vingt-neuf de la part du Kazakhstan, la coopération judiciaire entre nos deux pays aurait pu se poursuivre sur la base des principes de réciprocité et de courtoisie internationale, ou sur le fondement de conventions multilatérales. Cela n'aurait pas présenté d'inconvénient majeur, hormis une plus grande lenteur de traitement.

Ce texte correspond à une demande des autorités kazakhstanaises, qui dès 2017, ont sollicité l'ouverture de négociations bilatérales en vue de la signature d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, assortie d'une convention d'extradition et de transfèrement des personnes condamnées. Il n'avait pas été donné suite, à l'époque, à cette proposition, en raison du faible nombre de dossiers concernés. Mais une nouvelle demande, formulée par les autorités kazakhstanaises en 2019, a reçu de la garde des sceaux de l'époque un avis favorable, pour le seul volet concernant l'entraide judiciaire en matière pénale. Il n'y a donc pas de volet « extradition » dans le traité qui nous est soumis aujourd'hui.

L'unique demande, purement formelle, de la partie kazakhstanaise lors des négociations, avait été que cet accord prenne la forme d'un traité, signé par les chefs d'État, plutôt que d'une convention, signée par les chefs de gouvernement. Ce point, sans conséquence sur la portée de l'accord, n'avait pas soulevé d'objection de la part de la France, et c'est pourquoi c'est bien un traité, et non une convention, qui se trouve soumis à notre approbation aujourd'hui.

Pour une parfaite compréhension de la signification de ce revirement français, il me semble important de replacer ce traité dans un double contexte.

Le premier aspect est l'importance géostratégique majeure de la République kazakhstanaise, poids lourd de l'Asie centrale, dont elle concentre près de la moitié du PIB. Son économie repose, à plus de 60 %, sur ses exportations d'hydrocarbures. Le Kazakhstan est notamment le premier fournisseur de pétrole brut de la France, et, à ce titre, un partenaire commercial majeur pour notre pays. Nos relations économiques bilatérales sont marquées par une forte présence des investisseurs français, qui se classent au troisième rang des investisseurs étrangers dans le pays, avec un stock net de 13,3 milliards de dollars en 2020 dans les secteurs de l'énergie, de l'aéronautique, des transports, de la chimie, des matériaux de construction, de l'agroalimentaire, etc.

Mais au-delà de l'intérêt indéniable de ce partenariat commercial, le Kazakhstan est également un acteur diplomatique crédible dans le contexte international compliqué que nous connaissons depuis l'invasion de l'Ukraine.

Premier état d'Asie centrale élu membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, le Kazakhstan revendique en effet une diplomatie multivectorielle et prône la résolution pacifique des conflits. À cet égard, il paraît être à la recherche d'une position d'équilibre délicate sur le conflit ukrainien, faisant état de sa neutralité, tout en cherchant à affirmer sa souveraineté et son indépendance vis-à-vis de son voisin russe, en évitant toutefois de se l'aliéner.

Ainsi, d'un côté, Moscou demeure pour le pays incontournable, car il s'agit de son premier partenaire commercial, avec lequel il a signé un important accord bilatéral de coopération militaire en 2020.

D'un autre, l'invasion de l'Ukraine suscite de fortes inquiétudes au Kazakhstan, qui partage une frontière terrestre de plus de près de 7 000 kilomètres avec son grand voisin et abrite une importante communauté russe sur son territoire. C'est pourquoi la déclaration du président Tokaïev, le 17 juin dernier, en présence de Vladimir Poutine, selon laquelle son pays ne reconnaîtrait pas les Républiques de Donetsk et de Lougansk, semble être une prise de distance courageuse. Le président Macron, en visite au Kazakhstan en novembre dernier, a salué ce « refus de vassalisation » du pays par la Russie.

Le Kazakhstan apparaît ainsi en quête de partenaires susceptibles de contrebalancer l'influence russe. Il est demandeur d'un approfondissement de sa relation avec l'Union européenne, et avec la France en particulier. Le traité qui est soumis aujourd'hui à notre approbation s'inscrit dans cette logique.

Le second élément de contexte qu'il me paraît indispensable de rappeler concerne les avancées récentes du pays en matière de droits de l'homme.

Depuis son accession au pouvoir en 2019, le Président Tokaïev a conduit une politique de réformes très encadrées. Un premier bloc de réformes, en 2019, a permis l'autorisation de manifestations sur la voie publique, la mise en place d'un statut pour l'opposition parlementaire, la création de nouveaux partis politiques, l'abolition de la peine de mort, ainsi que des mesures de transparence budgétaire, économique et financière. Ces réformes sont entrées en vigueur progressivement depuis lors, selon des modalités qui en restreignent parfois la portée.

La seconde vague de réformes a fait suite aux événements insurrectionnels de janvier 2022 et à leur répression sanglante, après lesquelles le président a affiché la volonté de passer d'un régime « hyper présidentiel » à « une république présidentielle dotée d'un parlement fort ». Ces annonces ont été suivies par l'organisation le 5 juin 2022 d'un référendum constitutionnel, que les Kazakhstanais ont approuvé à plus de 77 %, et qui prévoyait notamment une réduction des pouvoirs du président, l'élection au suffrage universel de certains maires et gouverneurs et la création d'une cour constitutionnelle.

Le système judiciaire kazakhstanais reconnaît les grands principes de procédure pénale et garantit notamment la présomption d'innocence et le droit à être assisté par un avocat dès la première heure de garde à vue.

Le Kazakhstan s'est par ailleurs doté d'un Haut-Commissaire aux droits humains auquel chaque citoyen peut adresser une requête s'il s'estime lésé dans l'exercice de ses droits.

Ces avancées méritent d'être saluées, et vont de pair avec la volonté de construire un partenariat solide avec les démocraties européennes. Force est cependant de constater que malgré ces réels efforts la République kazakhstanaise ne peut être qualifiée d'État de droit, et qu'en dépit de leur affichage, certains droits fondamentaux font encore l'objet d'entraves.

Ainsi, la législation relative aux rassemblements pacifiques est passée d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration, mais les manifestations représentant un problème pour les autorités demeurent interdites sous justification d'une menace à l'ordre public.

La société civile existe, mais son expression est limitée et ne peut opérer que dans des sphères déterminées par les autorités : lutte contre les violences domestiques, contre l'extrémisme religieux.

L'enregistrement des partis politiques, prérogative du ministère de la justice, est régi par le principe d'autorisation, de sorte que depuis 2023 seuls sept partis ont pu être légalement enregistrés.

Enfin le système judiciaire demeure sujet à une importante corruption, et l'indépendance des juges n'est pas totale.

L'ONG Reporters sans frontières classe en 2023 le Kazakhstan 134e sur 180 pays, ce qui donne une idée du chemin restant à parcourir en matière de droits de l'homme. Cependant, en 2010, il était classé 162e sur 175.

On pourra préférer voir ici le verre à moitié vide, ou le verre à moitié plein : c'est la partie la plus discutable de ce débat. Cette situation fait en tout cas l'objet d'un dialogue approfondi avec l'Union européenne, et la diplomatie joue pleinement son rôle pour encourager et accompagner le processus en cours.

Après ces rappels contextuels, je vais à présent vous présenter le contenu du traité.

Composé de trente-deux articles, ce texte met en place une coopération judiciaire en matière pénale, incluant notamment toutes les techniques modernes de coopération, en matière d'obtention d'informations bancaires ou d'utilisation de la vidéoconférence pour les auditions.

Le contenu du texte, qui a été rédigé par les services français, correspond tout à fait aux standards nationaux et internationaux en matière d'entraide judiciaire et pénale. Il apporte toutes les garanties usuelles pour prévenir toute demande abusive.

De manière classique, sont exclues du champ du traité l'exécution des décisions d'arrestation et d'extradition, l'exécution des condamnations pénales et les infractions pénales strictement militaires. Le traité stipule également que l'entraide doit être refusée si la partie requise « a des raisons sérieuses de croire que [celle-ci] a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de sexe, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, d'appartenance à un groupe social déterminé, d'idéologie ou d'opinions politiques, ou que la situation de cette personne risque d'être aggravée pour l'une de ces raisons ». L'entraide sera également refusée si la personne mise en cause doit être jugée par une juridiction d'exception n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense.

À titre de précaution, il n'a pas été prévu de procédure accélérée, entre autorités judiciaires, comme c'est souvent le cas pour les conventions de ce type ; toutes les demandes devront transiter par l'autorité centrale.

Les infractions fiscales figurent dans le périmètre du traité, qui précise, de manière notable, que le secret bancaire ne peut être invoqué comme motif de refus.

Enfin, le traité garantit la protection des données personnelles, conformément à la réglementation européenne du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui viendra consolider un partenariat stratégique que la France comme le Kazakhstan appellent de leurs voeux.

L'Assemblée nationale l'a quant à elle adopté le 13 décembre dernier, après débat en séance publique.

Son examen en séance publique au Sénat est prévu le mercredi 3 avril prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 12 h 10.

Lutte anti-drones - Communication

Le compte rendu de cette audition ne sera pas publié.

La réunion est close à 12 h 30.