- Jeudi 7 mars 2024
- Étude sur la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) - Audition sur les aspects européens
- Étude sur la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) - Audition de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom
Jeudi 7 mars 2024
- Présidence de Mme Micheline Jacques -
Étude sur la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) - Audition sur les aspects européens
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de nos auditions pour le rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous abordons ce matin les aspects européens de cette problématique.
Nous échangerons dans un premier temps avec des élus particulièrement impliqués sur ces dossiers, et aurons l'honneur et le plaisir d'entendre successivement :
- Wilfrid Bertile, conseiller régional, qui représente Mme Huguette Bello, présidente de la région Réunion ainsi que de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) ;
- Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe) ;
- Max Orville, député européen (Mouvement démocrate) ;
- Maxette Pirbakas, députée européenne (Non inscrits).
Nous avions également contacté le député Younous Omarjee, mais son emploi du temps chargé n'a pas pu lui permettre de se joindre à cet échange.
Nous vous remercions, Madame et Messieurs, de votre présence, car nous comptons sur vos éclairages de spécialistes. Comme vous le savez, l'Union européenne (UE) tend à renforcer les collectivités territoriales en tant qu'acteurs de l'intégration régionale, mais le problème de l'accès réel aux fonds européens afférents reste un sujet récurrent.
La sous-consommation des crédits, notamment ceux des programmes Interreg, est souvent pointée. Comment l'expliquez-vous ? Certaines procédures sont-elles trop complexes ? Est-ce que l'accompagnement des autorités de gestion et des porteurs de projet est suffisant ? Comment renforcer, le cas échéant, cet accompagnement et le niveau d'ingénierie ?
La question des normes préoccupe aussi de longue date notre délégation. Ces normes européennes ne sont-elles pas un frein à la coopération régionale ?
Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents poser toutes leurs questions et développer les sujets qui les préoccupent après vos exposés liminaires - d'environ une dizaine de minutes - sur la base de la trame qui vous a été transmise, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.
Dans un second temps, nous recevrons Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, association créée en 1989 à l'initiative de Gérard Bally, afin de représenter les RUP. Nous ne manquerons pas de l'interroger à son tour sur les programmes Interreg pour les outre-mer, leurs objectifs et l'efficacité de ces programmes.
Les éléments recueillis lors de la présente réunion nous permettront d'interroger, lors d'une prochaine séance, les responsables des directions compétentes de la Commission européenne.
Sans plus tarder, je donne la parole à Wilfrid Bertile, que nous avons eu l'occasion de rencontrer lors de notre déplacement à La Réunion et qui représente ce matin la présidente Huguette Bello.
Wilfrid Bertile, conseiller régional, représentant Mme Huguette Bello, présidente de la région Réunion, présidente de la Conférence des présidents des RUP. - Merci, Madame la présidente. Mon propos s'articulera autour de 3 points :
- la nature des RUP et de la Conférence des présidents des RUP ;
- l'évolution des relations entre l'UE et les RUP ;
- des problématiques d'actualité.
Les RUP sont au nombre de 9 (6 françaises, 2 portugaises et 1 espagnole) et peuplées de 5 millions d'habitants. Elles représentent donc 1 % de la population de l'Union européenne (UE). Cependant, les RUP et les PTOM lui assurent une présence exceptionnelle sur l'ensemble des continents, ainsi que la première zone économique exclusive (ZEE) mondiale.
En outre, les RUP représentent le réservoir principal de la biodiversité de l'UE, lui apportent une population jeune et culturellement diversifiée, ainsi que de nombreuses ressources naturelles et un important potentiel de recherche et d'innovation. Elles représentent un véritable atout en vue du redressement productif de la France.
Selon le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), différents handicaps tels que l'éloignement, l'insularité, la faible superficie, le relief, la difficulté du climat, la dépendance économique vis-à-vis d'un nombre réduit de produits, expliquent que ces territoires soient les seuls à bénéficier d'un statut spécifique. L'UE souhaite promouvoir la convergence économique et sociale de ces régions dans le cadre de sa politique de cohésion.
Ces territoires jouissent désormais d'un statut privilégié au sein de l'UE.
Le Traité de Rome de 1957 ne reconnaissait que les départements d'outre-mer (DOM), également considérés comme des pays sous-développés, qui bénéficiaient, jusqu'en 1980, du Fonds européen de développement. L'arrêt Hansen de 1978 a permis de lever toutes ambiguïtés et d'inscrire dans le marbre que les DOM faisaient bien partie des territoires européens, tout en reconnaissant qu'ils pouvaient bénéficier de mesures spécifiques eu égard à leurs situations particulières.
Cette situation n'était toutefois pas satisfaisante, car les mesures prises en faveur des DOM n'étaient que provisoires, alors que leurs handicaps étaient permanents. Le statut de RUP a donc tout d'abord fait l'objet d'un document annexe au Traité de Maastricht de 1992, repris dans le texte du Traité d'Amsterdam de 1997.
Pour obtenir leur statut, les RUP ont pu compter sur l'action du Parlement européen, mais également des États et des présidents de RUP. Elles ont bénéficié de mesures spécifiques dès 1975. Les fonds qui leur étaient alloués ont été doublés en 1989, et, désormais, la Commission européenne définit ses politiques à leur égard par l'intermédiaire de Communications (2004, 2008, 2012, 2017, 2022).
La concertation entre les présidents de RUP a précédé la reconnaissance du statut. Après une première rencontre à Madère en 1988, la Conférence a été créée à Saint-Malo en 1993. La première d'entre elles s'est tenue en Guadeloupe en 1995. La Conférence représente une force de pression et de proposition auprès du Parlement européen, de la Commission européenne, ainsi que des gouvernements nationaux. Cette instance s'accompagne d'un comité de suivi mensuel, qui exerce des fonctions de veille, d'information et de suivi des dossiers. Enfin, une troisième instance, le Forum des RUP, se réunit tous les deux ans à Bruxelles avec la Commission, les États membres, les représentants des RUP et la société civile.
L'UE, et avant elle la communauté économique européenne (CEE), s'est toujours montrée favorable à la coopération régionale ainsi qu'à l'insertion régionale des RUP, avant même la création de leur statut. Les problèmes ont émergé lorsqu'il a été question d'échanges commerciaux entre la CEE et les pays ACP, à l'occasion de l'intégration du Royaume-Uni notamment.
La Convention de Lomé a toujours tenu compte de l'existence des DOM : Lomé I consacrait un article à la coopération régionale, Lomé II un chapitre entier, Lomé III un objectif spécifique, puis Lomé IV mentionnait l'intégration régionale. L'accord de Cotonou a par la suite repris les différentes dispositions de la Convention.
Parallèlement à ces relations contractuelles entre l'UE et les pays ACP, le Conseil européen a adopté, le 22 décembre 1989, un programme spécifique pour les agricultures outre-mer : le POSEIDON, devenu POSEI à la suite de son extension aux Canaries, aux Açores et à Madère. En son article 4, il prévoyait la possibilité de signer des accords régionaux et, par ailleurs, des actions de promotion commerciale communes entre les outre-mer et les pays voisins ACP.
En ce qui concerne les questions d'actualité, les actions de l'UE en matière de coopération régionale semblent plus volontaristes que celle de l'État. J'illustrerai ce point à l'aide de 3 exemples.
En premier lieu, la politique européenne de voisinage, initiée en 2004, définissait une approche intégrée autour de 3 axes :
- l'accessibilité et la réduction des effets des contraintes ;
- la compétitivité ;
- l'insertion régionale.
Le 26 mai 2004, la Commission européenne a publié une communication intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP. Je regrette que cet objectif n'ait pas connu un meilleur sort sous sa forme initiale. Il a en revanche prospéré sous la forme d'une politique de voisinage avec les pays frontaliers de l'UE. Entre 2014 et 2020, environ 18 milliards d'euros ont en effet été consacrés à cette politique, somme qui ne serait pas pour déplaire aux présidents des RUP.
C'est dans cette optique que la dernière Conférence des Présidents de RUP, en date du 8 novembre 2023, a demandé à la Commission européenne « une véritable politique de grand voisinage, avec des instruments ad hoc et des ressources dédiées ».
Ensuite se pose la question de l'asymétrie des échanges dans le cadre de la politique commerciale. La convention de Lomé permettait aux pays ACP d'exporter leurs produits agricoles et industriels vers les marchés européens, tout en posant des restrictions d'accès à leurs marchés. Ce déséquilibre a été dans une certaine mesure atténué par les accords de Cotonou, consécutivement aux recommandations de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Malheureusement, les RUP, et bien souvent les États, ne sont pas associés aux négociations des accords de partenariats économiques ni à la mise en oeuvre des décisions.
Produire des études d'impact des accords de partenariats économiques, à l'échelle locale et non pas européenne, trop abstraite, semble nécessaire. Les clauses de sauvegarde sont trop lourdes à mobiliser et ne peuvent sauver des secteurs en danger. Il existe par ailleurs une liste de produits à ne pas libéraliser qui doit être préservée.
S'agissant de la question des normes sociales et environnementales, les RUP ne bénéficient pas de clauses miroirs et sont victimes de véritables distorsions de concurrence et subissent les contradictions des politiques européennes.
Enfin, les crédits Interreg étaient dans un premier temps très modestes. Entre 1994 et 1998, La Réunion recevait par exemple, en moyenne, 5,4 millions de francs par an. Depuis 2001 et Interreg 3, La Réunion est devenue autorité de gestion. Les crédits ont augmenté de 5 millions d'euros pour la période 2001-2006 à 35 millions d'euros pour la période 2007-2013, et s'établissaient à 63 millions pour la période 2014-2020. Au total, entre 2001 et 2020, 535 projets de coopération régionale ont été soutenus grâce aux fonds européens. Pour la période 2021-2027, 62,3 millions d'euros ont été débloqués.
Se pose également la question de la coordination de ces crédits Interreg avec les crédits de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI). La Réunion a réglé ce problème de manière pragmatique, en étudiant les possibilités de financement des projets au cas par cas.
Les RUP réclament d'ailleurs un traitement au cas par cas de leur situation, « sur mesure », comme le proposait la Commission européenne dans sa communication du 3 mai 2022.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Stéphane Bijoux.
M. Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe). - Merci madame la présidente. J'arrive de Bruxelles, et je peux porter témoignage qu'au sein du Parlement européen, chacun sait l'importance des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et que chacun sait l'importance du dialogue entre parlementaires. En ces temps où certains, ici ou là, et à l'échelle européenne, veulent construire des murs, il est important, plus que jamais de construire des passerelles.
Ces premiers mots représentent l'ADN de mon engagement politique. Je crois à la force de l'intelligence collective. Un moment tel que les auditions d'aujourd'hui permet de croiser les visions et de construire des solutions.
Travailler sur le sujet de la coopération régionale, qui concerne les échelons nationaux, européens et internationaux, envoie un signal fort au sein de cette institution, qui représente les territoires.
On fait de la politique, car on est convaincus qu'elle contribue à changer le quotidien des gens. La coopération permet d'oeuvrer en ce sens, en coconstruisant, entre voisins, des solutions nécessaires.
Sur l'île de La Réunion, la coopération est presque un mouvement naturel. De l'autre côté de l'océan vivent nos cousins. L'océan fait le lien entre les différents bassins régionaux. Les RUP et le PTOM se situent aux avant-postes des grands enjeux contemporains : changement climatique, géostratégie, migrations, environnement, etc. Sur chacun de ces sujets, nous avons quelque chose à partager avec nos voisins. Cette réalité géostratégique doit déclencher une prise de conscience.
Je le dis devant vous, avec force et détermination : face à ces défis, les outre-mer sont les meilleurs atouts de la France et de l'UE. Nous devons resserrer les liens avec les pays tiers, avec nos voisins, pour consolider des partenariats à l'échelle du monde.
Depuis le premier jour de mon mandat, je défends une approche géostratégique de cette coopération régionale au service du développement de nos territoires d'outre-mer. Pour jouer efficacement la carte de cette coopération régionale, nos territoires ont bien évidemment besoin d'Europe. Depuis 2019, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour conforter ce cap et enrichir une boîte à outils européenne.
Le programme Interreg représente le principal outil à notre disposition. En tant que rapporteur pour mon groupe politique du nouveau programme Interreg 2021-2027, j'ai soutenu la création d'un volet spécifique unique pour les RUP, qui concentre, pour la première fois, l'ensemble des enveloppes régionales RUP. Le montant du programme, qui se veut plus accessible et efficace, s'élève à 281 millions d'euros. Avoir gagné la bataille du budget permettra de stimuler l'initiative locale, véritable carburant de la construction des solutions.
Le programme Interreg a déjà prouvé son efficacité, comme l'illustrent :
- La plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), qui a déjà mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à 2 millions de personnes ;
- Le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar, les Seychelles ;
- Le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.
Interreg permet donc des réponses adaptées aux problématiques locales. Toutefois, si l'on souhaite consolider ces acquis, une étape supplémentaire doit être franchie. Les possibilités offertes par la coopération régionale n'ont pas été entièrement exploitées. Pour réussir, nous avons besoin de deux choses : de l'efficacité, mais également de l'audace.
Efficacité d'abord, parce que c'est la condition d'une action qui porte des résultats sur le long terme. La coordination des actions des différents fonds qui interviennent dans la coopération des outre-mer (Interreg, FED devenu NDICI, programmes BEST ou Archipel) doit être approfondie, d'autant qu'ils poursuivent des objectifs communs. Le cheminement des porteurs de projets doit également être simplifié. Leur complexité éteint en effet l'initiative locale et éloigne les solutions.
Les synergies doivent également être approfondies avec les autres programmes de coopération régionale, tels que Protège et l'Initiative Kiwa, qui soutiennent le partage de solutions pour l'adaptation au dérèglement climatique entre les territoires français et les États insulaires du Pacifique. Ces programmes sont cofinancés par la France et l'UE, qui doivent être de véritables partenaires dans leur stratégie de codéveloppement.
La semaine prochaine, la commission du développement votera l'accord de Samoa, signé entre l'UE et les États ACP. Cet accord doit devenir la base d'une nouvelle méthode de travail qui implique plus avant les RUP afin de fluidifier la coopération avec ces pays.
Audace, ensuite, parce que devons mettre de nouvelles idées sur la table. Nous devons soutenir nos nombreux talents qui innovent au sein de nos territoires, explorer les champs nouveaux des solutions qu'imposent les défis immenses auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Je suis convaincu que la coopération régionale représente une véritable solution face aux grands défis d'aujourd'hui et de demain. Au sein du Parlement européen, je porte actuellement le projet de création d'une Blue Belt, qui constituerait un réseau mondial d'interconnexions et de coopération entre les aires marines protégées, afin de mieux faire face à l'immensité des défis auxquels les océans sont confrontés. Je suis également convaincu qu'il nous faut investir plus avant dans le champ de l'éducation et de la jeunesse.
Pour conclure, je souhaite mettre en avant le programme REUNION, équivalent d'Erasmus pour l'océan Indien, soutenu par la Commission de l'océan Indien (COI), l'Université de La Réunion et l'UE, dont la dynamique doit être amplifiée.
Je suis Réunionnais, député européen, et depuis le début de mon mandat, lors de chacune de mes visites à La Réunion, je rencontre des jeunes qui me disent que leur horizon est bouché. La coopération régionale représente une voie d'accélération pour élargir cet horizon. C'est quelque chose qui engage profondément notre responsabilité.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Max Orville.
M. Max Orville, député européen (Mouvement démocrate)
Je m'inscris dans la continuité des propos des intervenants précédents : les programmes Interreg fonctionnent bien. Leur taux d'utilisation s'avère en outre satisfaisant. Je souhaite donc vous donner quelques exemples de succès dans la zone Antilles-Guyane. Outre le programme SARG'COOP, nous pouvons évoquer :
- le programme ELAN, qui promeut les échanges linguistiques et la mobilité ;
- le projet Ready Together, qui permet de répondre efficacement aux besoins essentiels des populations caribéennes exposées aux risques naturels et aux effets du changement climatique ;
- un projet d'enlèvement d'épaves du lagon de Saint-Martin, en réponse aux dégâts occasionnés par la tempête Irma.
Est-il possible d'aller plus loin ? Bien sûr, mais en associant plus avant les collectivités et territoires d'outre-mer à ces projets, en prenant en compte les enjeux qui sont les leurs dans les négociations entre l'UE et les États tiers, notamment en ce qui concerne les accords commerciaux. Si les députés européens issus des RUP ne représentent que 1 % du Parlement, il serait toutefois incorrect de parler d'une non-prise en compte des enjeux propres aux outre-mer français, bien qu'elle puisse être améliorée.
Les accords de Samoa, signés le 15 novembre 2023 et qui succèdent aux accords de Cotonou, instaurent trois assemblées territoriales régionalisées :
- l'Assemblée territoriale UE-Afrique, dont j'assume la co-présidence ;
- l'Assemblée territoriale UE-Caraïbes ;
- l'Assemblée territoriale UE-Pacifique.
Elles permettront de mettre en oeuvre le programme Global Gateway, décliné en fonction des spécificités des territoires, en tenant compte des ambitions portées par nos RUP. Je pense qu'il s'agit d'une grande avancée, qui devrait nous permettre d'évoluer positivement.
La question des normes, évoquée précédemment, apparaît parfois comme un frein à la coopération régionale. Elles permettent de disposer d'un cadre, mais mettent en évidence l'asymétrie de certaines relations avec les États voisins. Une concurrence déloyale s'est par exemple instaurée dans le secteur de la banane, car la banane dollar n'est pas soumise aux mêmes normes sanitaires que les bananes françaises, alors qu'elles mettent en jeu la santé des consommateurs.
Au niveau européen, je porte la création d'une Université européenne de la Caraïbe, inscrite dans un programme européen et partie prenante du programme Erasmus. Les étudiants verraient d'un très bon oeil cette Université, qui serait en lien avec les Universités européennes, mais également partenaire des Universités des Caraïbes, voire de l'Amérique du Sud.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos. Je donne la parole à la députée Maxette Pirbakas.
Mme Maxette Pirbakas, députée européenne (non inscrit). - Madame la présidente, je vous remercie pour votre invitation. Monsieur Orville mentionnait la banane dollar, qui représente en effet une concurrence déloyale, puisqu'elle n'est pas soumise à des exigences de traçabilité ou sanitaires similaires à celles des bananes françaises.
Je souhaite vous livrer le fond de ma pensée : malgré la bonne volonté affichée par la France et l'UE, l'intégration régionale des départements d'outre-mer est largement insuffisante, aussi bien pour des raisons historiques que parce que tout est fait pour maintenir cet état de sujétion. Nos territoires d'outre-mer restent très largement tournés vers la métropole et l'Europe continentale et les échanges économiques et humains restent pour le moins déséquilibrés. De ce fait, nos outre-mer sont incapables de tirer des avantages de leur statut de territoires relativement prospères et de territoires politiquement et économiquement stables, comparés à leurs voisins. Ils ont toutefois des atouts qui font la force de la France, telle que leur zone économique exclusive (ZEE).
Chacun s'accordera à dire qu'une meilleure intégration régionale représente toutefois une nécessité en tant qu'instrument de développement économique de nos territoires, afin de lutter notamment contre la cherté de la vie. On parle quelques fois de « bouclier prix ». Les produits de première nécessité sont 83 % plus chers en Polynésie qu'en métropole, 66 % à La Réunion, 48 % à la Guadeloupe, etc. Saint-Martin souffre de son côté de problèmes d'assainissement, qui impactent la cohésion sociale.
Par ailleurs, si l'UE reconnaît les spécificités des RUP, les freins administratifs restent nombreux. En mai 2022, la Commission européenne fixait, lors de la mise à jour de sa Communication, l'objectif d'améliorer et intensifier la coopération avec les pays voisins, tout en soulignant que « la coopération reste limitée en raison des problèmes réglementaires, administratifs, budgétaires et politiques ». La lourdeur administrative freine l'élan des porteurs de projets. Alors que ces derniers sont très majoritairement des PME, des artisans ou des jeunes, qui ne disposent pas d'un accompagnement adéquat.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur certaines difficultés politiques de la coopération. Certains pays de l'Océan Indien qui bénéficient des programmes européens ne reconnaissent pas le rattachement de Mayotte au territoire français. Une telle posture révisionniste devrait les empêcher d'accéder aux fonds européens.
Concernant le programme Interreg, seuls 21 % des paiements dont devrait bénéficier la Guadeloupe ont été effectués. Cette situation est anormale.
Les RUP français bénéficient de 168 millions d'euros. La région Guadeloupe gère 67,9 millions d'euros, et cofinance par exemple un projet de production locale et décarbonée d'électricité en mer. La coopération avec les pays voisins des Caraïbes doit toutefois être approfondie.
Cependant, les financements restent insuffisants. Le budget dédié à chaque objectif stratégique n'est que de 15 millions d'euros et ne permet pas de modifier les équilibres locaux.
La sous-consommation et les délais de paiement sont trop étirés et ne permettent pas de travailler efficacement. Sur Interreg V, le taux de paiement aux bénéficiaires des 369 projets n'est que de 21 %. À titre de comparaison, ce taux s'établit entre 74 % et 93 % pour les Interreg de l'Europe continentale.
Je me suis également amusée à me rendre sur les sites Internet des différentes autorités de gestion : la plupart du temps, j'ai trouvé des informations floues, datées et peu opérationnelles. La communication et la disponibilité de l'information autour de l'existence et des modalités d'accès aux fonds sont déplorables. Les porteurs de projets ne peuvent s'y retrouver sans cabinet de conseil, ce qui exclut d'emblée la majorité d'entre eux.
Au sein de la Commission de développement régionale du Parlement européen, nous débattons régulièrement de la lourdeur des procédures. Mais à Bruxelles comme à Paris, toute tentative de simplification aboutit à l'effet inverse.
Je souhaite enfin dire un mot de l'adaptation normative aux réalités des outre-mer. La création d'une norme dérogatoire à la norme CE au sein des RUP permet certes l'utilisation de produits locaux tels que le béton, mais doit produire des effets avant que ce processus ne soit élargi à d'autres secteurs.
D'une manière générale, l'UE, championne incontestée de la norme, met les RUP au défi de la souplesse et de l'adaptation. La capacité de l'UE à se remettre en question en dira long sur sa volonté réelle de mettre à jour son logiciel mental.
Je conclurai en disant que nos territoires ne doivent plus être considérés dans une perspective de rattrapage et de compensation des handicaps, mais en intégrant leur propre trajectoire de développement économique et humain, une trajectoire que l'UE doit davantage stimuler.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci Madame la députée. Je donne la parole au rapporteur de la délégation, Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci Madame la présidente. Vous avez chacun répondu à un certain nombre de questions qui vous ont été préalablement adressées. Je pense que les propos de Mme Maxette Pirbakas amèneront des réactions, puisqu'il semble qu'un certain nombre de positions ne soient pas partagées par tous. L'objectif de notre rapport est de faire des propositions pour améliorer les choses.
Sentez-vous que le prisme outre-mer va s'amplifier au sein de l'UE, qui envisage par ailleurs son élargissement ? Dans le contexte du Brexit, quelle est la nature des relations entre RUP français et les territoires d'outre-mer du Royaume-Uni ?
Il me semblerait intéressant de revenir sur la pertinence des programmes Interreg outre-mer, que chacun a abordée sous l'angle des propositions à faire. Dans notre rapport, nous souhaiterions étudier la pertinence de ces programmes et des modes de gestion qui y sont déployés. De quelle manière nos collectivités pourraient davantage y être associés, aussi bien en ce qui concerne leur conception que leur mise en oeuvre ?
Qu'en est-il du rôle du rôle et de la coopération avec les agences françaises du secteur du développement et de la coopération ?
Nous souhaiterions également entendre l'avis des différents intervenants au sujet de la dérogation à la norme évoquée par Mme Maxette Pirbakas.
Enfin, pensez-vous que la coopération entre les RUP et les PTOM, qui partagent un certain nombre de préoccupations communes (autosuffisance alimentaire, changements climatiques, migrations), pourrait être renforcée ?
M. Wilfrid Bertile. - L'élargissement de l'UE à des pays qui n'ont pas de passé colonial amoindrit d'autant le poids de ceux qui défendent les RUP ainsi que les PTOM, c'est-à-dire la France, l'Espagne et le Portugal. Cela demande donc plus de concertation et de travail.
Concernant le programme Interreg, il ne faut pas céder à la généralisation. Le taux de consommation de La Réunion s'élève à 98 %. Malgré le Covid, aucun dégagement n'est à noter.
La Réunion a en effet mobilisé toutes les possibilités offertes par le programme : nous avons ainsi créé une cellule qui accompagne les porteurs de projets. Par ailleurs, les procédures en matière de facturation sont simplifiées par la programmation 2021-2027. 3,5 % des crédits Interreg sont destinés à rémunérer du personnel qui accompagne les gens.
Les choses s'améliorent peu à peu, grâce à la possibilité de faire des avances sur subvention.
S'agissant de l'AFD, j'ai signé le 28 février 2024 un accord de partenariat avec Rémi Rioux, qui en est le directeur général, afin de coordonner l'ensemble de nos actions durant toute la programmation 2021-2027.
Enfin, concernant les PTOM le rapport de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de 2023 sur l'Indopacifique, affirme que les RUP et les PTOM doivent être considérés comme des acteurs régionaux à part entière. Il ne peut y avoir de coopération régionale en l'absence de liens très étroits entre l'UE, l'État, les collectivités locales et la société civile.
M. Stéphane Bijoux. - Un mot rapidement sur la défense des spécificités de nos territoires ultramarins dans cette Europe à 27. Je veux, avec beaucoup de solennité, dire l'importance des messages politiques du Parlement européen auprès des autres institutions européennes. Dans le rapport sur la stratégie outre-mer, que j'ai porté personnellement, j'ai fait adopter, par le Parlement, un message politique extrêmement fort, voté par près de 90 % des députés, qui exigeait le respect d'un « réflexe outre-mer » par les institutions et la loi européennes. La Commission européenne a repris cette exigence politique dans sa communication. Cette exigence est aujourd'hui ancrée aux côtés de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'UE.
Dans moins de 100 jours auront lieu les élections européennes. De nombreux élus d'extrême droite feront peut-être leur entrée au Parlement, et une nouvelle Commission sera désignée. Si nous le devons, nous reprendrons notre bâton de pèlerin pour réancrer notre message, pour redire que l'efficacité de l'action publique de l'UE dans nos territoires passe impérativement par le respect de nos spécificités.
Concernant la simplification, je dois vous dire qu'un nouvel accord politique entre les négociateurs européens, relatif au règlement UE sur les produits de construction, a été signé le 13 décembre 2023. Les États membres auront désormais la possibilité d'exempter les produits de construction mis sur le marché des RUP du respect des exigences du marquage CE. En termes de calendrier, cet accord sera validé lors de la session du mois d'avril 2024. Nous travaillerons à son entrée en vigueur le plus rapidement possible. Chacun sait l'importance du BTP dans la construction de logements et dans la création d'emplois. La Réunion peut par exemple s'approvisionner en matériaux de construction en Afrique du Sud, où ils sont soumis au même cahier des charges que dans l'UE. Les modalités de travail avec nos voisins doivent être simplifiées.
Si d'ailleurs la simplification des normes est nécessaire, je tiens à rappeler que les normes protègent nos concitoyens, qu'elles permettent à tous les Européens de jouir d'une alimentation d'une grande qualité. Nous disposons, au sein de l'UE, de la meilleure des sécurités alimentaires.
Le problème n'est pas la norme, mais le trop-plein de normes, le mille-feuille administratif. La vraie bataille concerne la simplification et l'intelligence de l'action publique.
Concernant l'AFD, la complémentarité de ses actions avec les programmes européens de coopération régionale doit être renforcée, ainsi que le dialogue entre les RUP et les PTOM. Ils pourront ainsi mieux faire face à leurs défis communs.
M. Max Orville. - Je rappelle la définition d'Interreg : il s'agit d'un projet de coopération entre au moins deux États membres et un pays tiers, sur un projet profitable pour chaque partie.
Dans le cadre du programme Interreg pour les RUP françaises, le système est un peu différent, puisque les spécificités des zones géographiques ne permettent généralement pas d'initier des projets de coopération entre plusieurs États membres. Dans les Caraïbes, la France est systématiquement le seul interlocuteur de l'UE. Cette situation s'avère parfois problématique, dans la mesure où elle reproduit de fait le mode de fonctionnement des fonds européens structurels et d'investissement (FESI), et ne laisse place à aucun contre-pouvoir.
Contrairement à ce qu'affirme Mme Maxette Pirbakas, la consommation des fonds Interreg est élevée. Au mois de février 2024, le taux de certification de l'Interreg Caraïbes s'élevait à 90 % sur les 5 programmes.
Les relations entre les RUP et les États des Caraïbes sont quant à elles bonnes, et recherchées par les élus locaux. Le Président de la collectivité territoriale de la Martinique était récemment en réunion avec l'OECO. Les RUP françaises des Antilles souhaitent approfondir leurs échanges avec les pays indépendants des Caraïbes et faire évoluer leur diplomatie territoriale en ce sens.
Les conséquences d'un élargissement à venir de l'UE sur les RUP pourraient être négatives. Si le « réflexe RUP » doit évidemment être renforcé, il faut toutefois garder à l'esprit que l'UE octroie déjà des sommes importantes aux RUP, qu'il convient d'utiliser le plus efficacement possible et avec discernement.
Comme l'a évoqué Madame Maxette Pirbakas, il existe des difficultés en termes d'ingénierie locale : l'administration doit être formée adéquatement afin d'accompagner les porteurs de projets locaux. La situation est très différente au sein des RUP portugaises et espagnoles, où ces porteurs de projets sont parfaitement accompagnés par leurs autorités de gestion.
Je souhaite souligner un autre point. L'article 349 du TFUE dispose que l'UE doit tenir compte des spécificités locales des RUP. C'est là, malheureusement, que le bât blesse. Lors des 27e et 28e Conférences des RUP qui se sont respectivement tenues à Bruxelles et aux Canaries, il a unanimement été reconnu que cet article était sous-utilisé.
Encore aujourd'hui, à chaque directive européenne, nous devons nous battre afin d'obtenir des dérogations qui nous sont dues. Je pense par exemple à la situation de la Guyane, qui a dû défendre la biomasse afin de promouvoir son indépendance énergétique.
Je pense qu'il est temps de changer de mode de fonctionnement, d'arrêter de réclamer systématiquement des dérogations. Le « réflexe RUP » doit permettre de mettre en évidence les problématiques spécifiques des RUP dans différents domaines (énergie, transport, environnement) et d'obtenir automatiquement les dérogations naturelles auxquelles elles ont droit.
Il est une anecdote que j'évoque régulièrement : en 2012, je visitais une entreprise en Guyane qui produisait du poisson fumé. Les normes européennes l'empêchaient de fumer son poisson parce qu'elle devait importer du bois de hêtre, malgré la proximité de la forêt amazonienne. Il est donc clair que les normes sont inadaptées aux spécificités locales, et que les législations doivent évoluer.
Concernant la question des normes et à la dérogation au marquage CE pour les matériaux de construction, certains acteurs du secteur du BTP des Caraïbes restent perplexes. Le nouveau marquage est mal connu et entraîne de la méfiance. Des mesures d'adaptation doivent être imaginées pour améliorer la communication.
Enfin, le rôle de l'AFD est central au sein de nos territoires, et compatible avec l'ensemble des programmes Interreg et des fonds européens. Toutefois, dans la mesure où l'essentiel du tissu économique des Caraïbes est constitué de toutes petites entreprises, l'AFD ne peut fournir un accompagnement adéquat. Bien qu'elle remplisse dans l'ensemble sa mission avec dynamisme, ce point doit être amélioré.
Mme Micheline Jacques, président. - Avant de donner la parole à Madame Maxette Pirbakas, dans la mesure où nous sommes pris par le temps, je propose que nos collègues Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi vous posent oralement leurs questions, auxquelles vous répondrez par écrits.
Mme Maxette Pirbakas. - Je veux dire tout d'abord à M. Stéphane Bijoux que je ne suis pas venue aujourd'hui pour faire campagne en vue des élections européennes. Alors que le tissu économique des Caraïbes est en effet majoritairement composé de toutes petites entreprises, il est regrettable que Bpifrance ne leur apporte pas son soutien.
Les agriculteurs des RUP ne vivent pas dignement de leur métier. L'augmentation du coût des intrants n'est pas soutenable, alors que les législations européennes et françaises sont drastiques. La loi Egalim 3 est en outre inadaptée aux réalités locales des RUP.
Les pêcheurs sont toujours victimes des problématiques de renouvellement de flotte. En Martinique, il n'y a plus que 464 pêcheurs contre 1 000 il y a quelques années.
Enfin, sans encadrement technique, les projets financés par le programme Interreg ne pourront pas être mis en oeuvre.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie nos invités pour leurs éclairages qui concernent l'ensemble des océans. Il est important pour nous de pouvoir entendre nos députés européens.
L'UE semble tellement loin pour les habitants des RUP, alors que les fonds européens leur sont si essentiels. Par ailleurs, une prise de conscience de la surface de la Polynésie, aussi vaste que celle de l'UE, devrait suffire à intégrer le « réflexe outre-mer ».
Ma question porte sur la simplification. Il semble anormal que l'on demande à vos territoires, en extrême difficulté, de consommer des fonds européens selon le même modèle que la métropole. Ne faudrait-il pas discriminer en fonction des territoires et des besoins ?
Enfin, il semble en effet difficile de parler d'intégration régionale alors qu'un territoire subit des discriminations. Je remercie à cet égard Mme Maxette Pirbakas pour ses propos. En effet, tous les pays de l'UE ont approuvé l'intégration de Mayotte au sein des RUP en 2012. Ce fait doit être rappelé lors de la consommation des fonds européens.
Mme Vivette Lopez. - Je souscris à votre propos concernant les normes européennes, qui ne sont pas adaptées à vos territoires. L'association des RUP à ces réflexions et aux décisions doit en effet être facilitée. Je partage également les propos de Monsieur Bijoux et je suis convaincu que les outre-mer joueront un rôle primordial dans l'avenir de la France, auquel la jeunesse doit impérativement être associée. Vous soutenez l'importance de l'innovation et de propositions nouvelles : avez-vous des idées ou des exemples à nous proposer ?
On entend également que l'avenir s'écrira avec l'océan. Les Ultramarins sont-ils attirés par la mer ? Existe-t-il des classes « enjeux maritimes », qui permettent de sensibiliser les jeunes aux diverses problématiques relatives à la mer ?
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons bien noté que les fonds alloués aux RUP sont en nette augmentation, bien qu'il existe des difficultés à les mobiliser d'un territoire à un autre. Pensez-vous que le modèle d'appel à projets soit le plus pertinent pour les RUP ?
Certaines difficultés quant à la mobilisation des fonds ont été évoquées : que pensez-vous d'une territorialisation des fonds, qui permettrait d'équilibrer les territoires, alors que le principe même de l'appel à projets équivaut à « premiers arrivés, premiers servis » ?
Je ne reviendrai pas sur la question de la flotte de pêche qui représente, je le sais, un sujet cher aux Ultramarins.
J'ai également été frappé, lors d'un récent déplacement à La Réunion, d'apprendre que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui jouissent du statut de PTOM, ne pouvaient pas s'associer avec La Réunion sur un projet de lutte contre les espèces invasives. Une situation similaire se rencontre dans les Caraïbes au sujet des sargasses. Une meilleure articulation des relations entre RUP et PTOM doit donc être étudiée.
Nous vous transmettrons nos questions par e-mail. Je vous remercie infiniment pour votre clarté. Au-delà de nos questions, n'hésitez pas à nous faire remonter des éléments qui n'auraient pas été abordés ce jour.
Étude sur la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) - Audition de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom
Mme Micheline Jacques, président. - Sans plus attendre, nous allons désormais écouter Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom.
M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom. - Nous adopterons ici le point de vue des acteurs économiques, dont nous avons pour mission de porter la parole. Mes propos ne seront donc pas d'ordre institutionnel.
En ce qui nous concerne, la coopération régionale représente une politique publique promue, mais également relativement naturelle au regard de la situation de la plupart des territoires ultramarins. Le développement des États voisins s'effectue en règle générale autour d'un axe UE-RUP, voire France-RUP, alors que nous pourrions envisager que des échanges nourris se développent entre les RUP et les îles alentour.
Un certain nombre de précédents existent. La Réunion porte par exemple le projet d'association des îles Vanille avec Maurice et les Seychelles, grâce auquel les touristes peuvent découvrir les différentes facettes de ces trois régions très différentes, en achetant un billet combiné.
Pour le reste, la situation de la valeur ajoutée créée dans les RUP, à savoir la production de biens et de services, est plus contrastée. L'existence de ce flux quasi exclusif entre l'Hexagone et les RUP n'est sans doute pas l'effet du hasard. Deux causes principales ont été identifiées :
- les coûts de production dans les RUP rendent l'export des produits vers les territoires voisins prohibitifs, hormis quelques marchés de niche (énergie, sismologie par exemple) ;
- les normes européennes, que seules les RUP respectent au sein de leurs bassins régionaux. Si une telle situation est bénéfique pour les consommateurs, les travailleurs et l'environnement, elle avantage économiquement les États voisins.
À cela s'ajoute la conclusion d'accords asymétriques avec les États voisins. Les plus asymétriques d'entre eux sont dénommés négativistes et signifient que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que la réciproque est vraie. De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Les taux de douanes que doit payer La Réunion sont notamment extrêmement et délibérément prohibitifs afin de favoriser le développement des États voisins.
Il existe un dernier obstacle, d'ordre pratique : le trop faible nombre de liaisons maritimes entre les RUP et les États voisins ainsi qu'entre les RUP, alors que les échanges et le commerce reposent sur la fluidité des moyens de communication.
Ma deuxième série de remarques concerne la difficile articulation de la politique européenne :
- entre son marché interne et son marché extérieur ;
- entre les accords de développement et les accords commerciaux.
Ces différents points de vue se contredisent régulièrement. L'exemple de la banane illustre parfaitement cette situation. On impose aux producteurs de bananes un cahier des charges strict pour leur permettre de labéliser leur production bio, alors qu'il n'est pas appliqué aux bananes bio importées sur le territoire européen en provenance de pays tiers, régis par le mécanisme équivalence. En effet, si un producteur agricole bio respecte le cahier des charges en vigueur dans son propre pays, son étiquetage sera valable au sein de l'UE. Ce procédé entraîne donc une importante distorsion de la concurrence. On octroie un avantage de marché à une production moins vertueuse.
Un second exemple permet d'illustrer les difficiles articulations entre les différents pans de la politique nationale ou européenne : la question du renouvellement des flottes de pêche.
Ce dossier traine depuis 7 ans et ne connaît aucune avancée significative, malgré l'urgence des besoins des pêcheurs. Ces derniers ne comprennent pas que la Commission européenne leur refuse des aides publiques au motif de la préservation de la ressource, alors que non seulement elle finance le renouvellement des flottes des pays tiers, mais qu'elle autorise également une vingtaine de thoniers senneurs à arpenter l'océan Indien sous pavillon européen, qui pêchent chacun 6 000 tonnes de poissons par an, alors que la totalité de la pêche réunionnaise atteint seulement les 4 000 tonnes. Les pêcheurs se retrouvent donc au coeur de la contradiction entre la politique interne et externe de l'UE, entre la politique d'aide au développement et la politique commerciale.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous avons en effet déjà abordé la question de la coopération et des programmes européens.
Nous serions intéressés d'avoir votre avis sur le sujet des programmes Interreg sous l'angle de leur pertinence, de leur efficacité, de leur efficience pour les entreprises, y compris dans la relation avec l'autorité de gestion. L'idée de notre rapport est de rédiger des propositions pour faire avancer les choses. Vu de l'entreprise, comment pourrions-nous améliorer la gestion de ces fonds et leur ciblage ? Pensez-vous qu'une approche différenciée, plus sectorielle, notamment en ce qui concerne le transport maritime et aérien, serait pertinente ? Qu'en est-il du rôle que jouent, ou que pourraient jouer, l'AFD, Bpifrance ainsi que la Banque des territoires dans cette approche de la coopération régionale, du point de vue des entreprises ?
Lors de nos précédentes auditions, nous avons évoqué les questions de cohérence, mais également de simplification de l'accès aux aides publiques. Nous serions intéressés par votre avis sur les marges de progrès et les attentes du monde des entreprises. Certaines semblent suspicieuses quant à l'évolution des normes et du marquage CE relative aux matériaux de construction.
Enfin, existe-t-il une diplomatie économique déployée par les entreprises, à l'image de ce qui existe dans le Pacifique ? Une représentation française du Pacifique Sud, à l'initiative du monde économique, permet de faire tomber les barrières et les frontières et de construire des parcours qui permettent de créer du développement, affranchi des contraintes qui pèsent sur les collectivités. De telles initiatives devraient-elles, selon vous, être encouragées ?
M. Benoît Lombrière. - Du point de vue du monde de l'entreprise, l'approche sectorielle semble naturelle. Elle a pour avantage d'aborder les sujets de la manière la plus concrète possible. Elle permet en outre de mobiliser des entreprises d'un secteur déterminé autour de projets concrets, d'embarquer ensemble acteurs publics et privés dans une même direction pour régler un problème bien précis. Le monde de l'entreprise accueillerait favorablement une telle démarche.
La simplification de l'accès aux aides publiques serait également bienvenue. On souffre en France d'une maladie qui pousse à multiplier les échelons, même lorsqu'il s'agit de réfléchir à la simplification. Une approche concrète, sectorielle, qui réunirait les spécialistes du secteur privé et des pouvoirs publics, y contribuerait, sans créer des organismes supplémentaires. Un tel changement de perspective rencontre les préoccupations du monde de l'entreprise et trouvera son écho dans plusieurs de mes réponses.
La question des normes et des marquages se situe au coeur du sujet : je ne pense sincèrement pas que l'assouplissement des normes de construction, accueilli très favorablement par le monde du BTP, qui n'a d'ailleurs pas intérêt à ce que les édifices s'écroulent, pose des problèmes. Il existe par ailleurs suffisamment de contrôles qui n'exonèrent pas les entreprises de leurs obligations en matière de sécurité.
Cette réaction de méfiance provient du fait que, pour le consommateur, les normes n'existent pas par hasard ou pour le plaisir d'embêter les producteurs. Supprimer une norme équivaut donc à supprimer, en quelque sorte, une garantie. Ce sujet est donc plus ambigu qu'il n'y paraît.
Notre posture consisterait plutôt à encourager la transformation de ces normes en éléments positifs. Si nous disposons de normes que les producteurs des pays tiers n'ont pas, c'est parce que nous offrons plus de garanties qu'eux. Ces garanties devraient toutefois se traduire par un avantage de marché. Le problème, c'est que ce raisonnement, relativement simple, qui implique de n'accepter aucun produit qui ne respecte pas les normes imposées à nos propres producteurs, vole en éclat dès lors que les gens qui négocient les règles intra-européennes ne sont pas les mêmes que ceux qui négocient les accords commerciaux ou les accords de développement.
Le fonctionnement de l'UE en tuyaux d'orgue, sans nul doute similaire au fonctionnement national, empêche le décloisonnement des problématiques. Si chacun des aspects relatifs au renouvellement des flottes de pêche évoqué précédemment peut paraître pertinent pris isolément, l'ensemble crée des situations contradictoires. Les accords qui concernent des sujets plus sensibles que, par exemple, le sucre de canne, tels que la viande et les céréales, rencontrent plus d'obstacles. On le voit avec l'accord Mercosur. Les outre-mer sont la variable d'ajustement.
Dans l'ensemble, l'UE bénéficie des accords commerciaux qu'elle signe. Nous ne croyons que peu aux clauses miroir, puisque l'UE ne peut envoyer des inspecteurs dans les pays tiers pour vérifier la conformité de la production aux déclarations. L'UE est d'ailleurs persuadée de l'incompatibilité de telles clauses avec le fonctionnement de l'OMC.
En conséquence, nous devons voir le monde tel qu'il est et imposer nos propres normes. L'UE pourrait promouvoir la bioconformité et non pas la bioéquivalence.
Si les accords sont bénéfiques pour l'UE, compensons donc les effets négatifs subis par les producteurs, qui font les frais de ce bien-être général. Des aides supplémentaires doivent être octroyées aux producteurs de bananes, de rhum, de sucre de canne, etc. D'autant que les droits de douane baissent tendanciellement. Ce principe de compensation doit être admis, sans qu'il soit nécessaire de plaider à chaque fois.
S'agissant de la banane, les derniers accords signés prévoient une baisse progressive des droits de douane jusqu'à 100 euros par tonne. 6,5 millions de tonnes de bananes sont consommées au sein de l'UE chaque année, dont 6 millions produites par des producteurs extracommunautaires, ce qui équivaut à un avantage commercial de 600 millions d'euros octroyé aux producteurs de bananes des pays tiers.
Il est donc difficile de respecter à la fois l'ensemble des normes, de rémunérer correctement la main-d'oeuvre, de soutenir des ambitions écologiques, alors que la concurrence se voit octroyer des avantages commerciaux considérables. Lorsque les producteurs se rendent à Bruxelles ou à Paris, ils sont considérés avec dédain.
En ce qui concerne la diplomatie des entreprises, ma réponse restera générale. Les entrepreneurs de La Réunion sont très actifs en la matière, et bénéficient par ailleurs des liens familiaux qui existent dans cette région, notamment à Madagascar et à Maurice. Des missions économiques sont régulièrement organisées.
De telles missions existent également en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie organisées souvent sous l'impulsion de l'État ou des collectivités. Elles produisent des résultats concrets. Par ailleurs, de nombreuses entreprises réunionnaises investissent ou tentent de le faire dans les pays alentour, avec plus ou moins de bonheur. Il s'agit d'une bonne manière de développer la coopération régionale. L'UE n'a-t-elle pas débuté en tant que traité de libre-échange encadrant le commerce de l'acier et du charbon ? Une fois que des relations d'affaires sont créées, le reste suit naturellement.
Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué les difficultés de circulation des marchandises entre La Réunion, Mayotte et les îles alentour. J'ai moi-même été assez surprise d'apprendre qu'un ananas Victoria produit à La Réunion devait transiter par Rungis puis Dubaï avant de revenir aux Seychelles. Avez-vous diligenté une étude de faisabilité relative à la mise en place d'une petite compagnie régionale qui pourrait justement effectuer de tels trajets ? Les tonnages sont-ils suffisants ? La quantité d'import-export est-elle suffisante pour faire vivre ce genre de structures ?
M. Benoît Lombrière. - Si une telle solution était fiable, elle existerait déjà. L'idée d'une compagnie régionale de cabotage a souvent été évoquée à La Réunion ou dans les Antilles pour les produits frais, issus de l'agriculture ou de la pêche. Cependant, pour qu'une telle solution soit viable, il faut que les transports soient réguliers et les trajets les plus directs possibles. Une compagnie de ce type ne pourrait donc fonctionner que pour des produits qui ne seraient pas frais, ce qui ne représente qu'une part mineure de la production des RUP.
La continuité territoriale inter-îles fonctionne cependant très bien en Polynésie française, notamment parce que le gouvernement polynésien subventionne de manière conséquente les liaisons aériennes et maritimes. Si de telles politiques sont mises en place au sein des RUP, nul doute que des acteurs privés suivront. En revanche, une telle entreprise ne sera jamais rentable.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre franchise. À tout le moins, nous sommes fixés sur ce sujet.
Vous avez évoqué les différentes difficultés auxquelles peuvent être confrontés les producteurs ultramarins, notamment en matière de coût de la main-d'oeuvre, très élevé par rapport aux îles avoisinantes, ainsi que les problématiques d'importation et les contraintes normatives, en prenant l'exemple de la banane.
M. Benoît Lombrière. - Le rhum connaît une situation similaire. Le droit européen reste le même, mais le traité international, supérieur au droit européen, prévoit les dérogations. Une fois qu'il a été négocié, la partie d'en face rechigne généralement à renoncer à ses acquis.
Les indications géographiques protégées (IGP) du rhum répondent également à des cahiers des charges exigeants, qui leur sont propres, qui les défavorisent.
Mme Micheline Jacques, président. - D'où l'importance de procéder à une veille accrue et régulière des différents accords, tel que le récent accord sur le sucre vietnamien. Quelles seraient selon vous les améliorations nécessaire pour éviter que ces situations se reproduisent ?
M. Benoît Lombrière. - Ce sujet est complexe. Le premier réflexe serait de classer « sensibles » les produits que l'on souhaite exclure des accords commerciaux. Tel était le cas autrefois du sucre et du rhum. Mais si le sucre, le rhum et la banane sont retirés du champ de négociation des accords commerciaux, les RUP n'ont plus grand-chose à offrir en contrepartie.
On constate toutefois certaines améliorations, du côté français, depuis une dizaine d'années : une veille accrue, la volonté de prendre en compte les particularités des territoires d'outre-mer au sens large, la demande et l'obtention d'exclusions ou de réductions de quotas.
Mon intime conviction et que les autorités françaises doivent trouver un accord avec l'UE. Dans la mesure où les accords commerciaux sont bénéfiques pour l'économie de l'Hexagone, en particulier pour son industrie, l'UE dans son ensemble en retire des bénéfices tangibles (monétaires). Dans ce cas-là, l'UE doit accepter que des compensations soient offertes à ceux qui font les frais de ce surplus de richesse généré par la conclusion d'un accord commercial. Plutôt que de renouveler sans fin des demandes de dérogation, Bruxelles et Paris doivent mettre en place un système de compensation automatique. Les autorités françaises semblent faire leur maximum, mais subissent l'inertie des accords commerciaux. Pour rappel, la plupart des producteurs agricoles d'outre-mer, jusque dans les années 1980, vivaient sans subventions publiques, et regrettent cette époque.
Au fur et à mesure que le temps a passé et que les protections ont été levées, les productions agricoles des outre-mer se sont trouvées en situation de dépendance économique vis-à-vis de l'État, sans l'avoir jamais souhaité. Il serait bénéfique pour chacun d'apaiser les tensions et de trouver un compromis national et européen.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre disponibilité et vos informations. Nous restons à votre disposition si vous avez des compléments à nous apporter par le biais d'une contribution écrite, dont nous sommes demandeurs.
M. Benoît Lombrière. - Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, je vous remercie.
La séance est levée à 11 heures 45.