Mardi 5 mars 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française - Examen des amendements de séance au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française, présentée par M. Pascal Allizard et plusieurs de ses collègues.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR

Article 2

L'amendement de précision rédactionnelle FINC.1 est adopté.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Après l'article 1er

L'amendement n°  18 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Après l'article 1er bis

L'amendement n°  8 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

TABLEAU DES AVIS

Article 1er

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. DOSSUS

1

Suppression de l'article

Défavorable

M. TEMAL

13

Création d'un livret d'épargne souveraineté

Défavorable

M. DOSSUS

2

Modification du nom du livret de développement durable et solidaire en livret durable et militaire

Défavorable

M. SAVOLDELLI

10

Suppression du fléchage d'une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense

Défavorable

M. DOSSUS

3

Transformation du dispositif en une expérimentation de deux ans

Demande de retrait

M. SAVOLDELLI

9

Précision sur la détermination des entreprises éligibles au fléchage d'une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense

Demande de retrait

Mme PAOLI-GAGIN

4 rect.

Précision sur l'arrêté définissant la part des encours non centralisés du livret A et du LDDS qui devra être fléchée vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense

Sagesse

M. SAVOLDELLI

7

Subordination du fléchage des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de la BITD à l'épuisement d'une procédure de médiation du crédit

Défavorable

Article additionnel après Article 1er bis

Auteur

Objet

Avis de la commission

Mme PAOLI-GAGIN

5 rect.

Participation de la commande publique au soutien à la souveraineté nationale

Demande de retrait

Mme Gisèle JOURDA

17

Demande de rapport sur l'accès des entreprises de la BITD aux financements européens

Demande de retrait

Article 2

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. TEMAL

14

Modification de la demande de rapport pour exclure l'évaluation de la création du produit d'épargne dédié au secteur de la défense

Demande de retrait

M. ROCHETTE

12 rect. bis

Modification du rapport pour inclure un bilan sur la participation des banques au dispositif prévu à l'article 1er

Défavorable

Intitulé de la proposition de loi

Auteur

Objet

Avis de la commission

M. TEMAL

15

Modification de l'intitulé de la proposition de loi

Sagesse

La réunion est close à 14 h 05.

Mercredi 6 mars 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Jean-Marie Mizzon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-duché de Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et la fortune.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur. - Il nous revient aujourd'hui d'examiner un projet de loi visant à approuver l'entrée en vigueur d'un avenant à la convention fiscale bilatérale entre la France et le Luxembourg. En application de l'article 53 de la Constitution, il appartient en effet au Parlement d'approuver ou de ratifier un certain nombre d'accords internationaux, dont font partie les conventions fiscales. Dans ce cadre, le Sénat est la première chambre saisie du présent projet de loi, qui comporte un article unique autorisant l'approbation de l'avenant du 7 novembre 2022 à la convention fiscale bilatérale du 20 mars 2018 entre la France et le Luxembourg.

Dans un premier temps et préalablement à l'exposé du contenu de cet avenant, il me paraît opportun de rappeler les évolutions récentes de notre relation fiscale avec le Grand-duché.

La France et le Luxembourg ont signé le 20 mars 2018 une nouvelle convention, venant remplacer celle de 1958 qui régissait jusqu'alors nos relations en matière fiscale. La modernisation des relations bilatérales était attendue et nécessaire, pour tenir compte notamment des dernières avancées de l'OCDE. Par conséquent, la convention intègre les derniers standards de cette organisation, notamment une définition modernisée de la résidence fiscale et de la notion d'établissement stable ainsi qu'une clause générale anti-abus.

Parmi les concessions obtenues par le Luxembourg au cours des négociations de la convention de 2018 figure un régime spécifique d'imposition du télétravail des transfrontaliers. Compte tenu de sa superficie et de sa situation géographique, le Luxembourg est en effet particulièrement dépendant de la main-d'oeuvre transfrontalière pour faire fonctionner son économie et ses services publics. Près de 121 000 transfrontaliers français travaillent au Luxembourg, les deux premiers départements de résidence de ces travailleurs étant la Moselle et la Meurthe-et-Moselle.

Le protocole annexé à la convention de 2018 prévoit un forfait de télétravail de vingt-neuf jours au cours duquel le contribuable est réputé travailler dans l'autre État. Concrètement, un Français qui travaille au Luxembourg est, en principe, imposé au Luxembourg. Lorsqu'il télétravaille en France moins de vingt-neuf jours, il est réputé exercer son emploi au Luxembourg et continue donc d'être imposé dans ce pays. Je précise que cette clause est de nature fiscale et n'empêche en rien de télétravailler au-delà de vingt-neuf jours. Simplement, en cas de dépassement de ce seuil, l'activité est imposée dans l'État de résidence dès le premier jour de télétravail.

Les règles d'application de la convention ont été précisées dans un accord amiable du 16 juillet 2020. Il fixe notamment la méthode de décompte des jours de télétravail. Si ce régime permet de simplifier la situation des transfrontaliers, il conduit à une perte fiscale pour la France estimée entre 30 et 60 millions d'euros annuels par la direction de la législation fiscale (DLF). La France renonce en effet à un droit à imposer les activités en télétravail en-deçà de vingt-neuf jours. Cette perte fiscale peut être en partie compensée par les recettes de TVA induites des dépenses en France des télétravailleurs. En dépit de ce manque à gagner fiscal, au sortir de la crise sanitaire, au cours de laquelle le télétravail s'est banalisé, les gouvernements français et luxembourgeois se sont accordés pour étendre ce forfait de télétravail.

J'en viens au second point de mon intervention, qui aborde plus en détail les stipulations de cet avenant. S'il est vrai que son contenu et sa portée sont relativement limités, son entrée en vigueur est très attendue, à la fois, par les travailleurs transfrontaliers et par notre partenaire luxembourgeois.

Premièrement, l'avenant augmente la durée du forfait de télétravail de vingt-neuf à trente-quatre jours. Désormais, le seuil de trente-quatre jours conditionne le régime d'imposition des contribuables en télétravail.

Ce chiffre de trente-quatre jours correspond à une demande des autorités luxembourgeoises. Il est cohérent avec la renégociation récente par le Grand-duché de ses conventions avec la Belgique et l'Allemagne afin de prévoir des seuils similaires de télétravail. Cette renégociation d'ensemble permet de placer les travailleurs transfrontaliers sur un pied d'égalité, quel que soit leur pays d'origine.

Deuxièmement, l'article 2 de l'avenant étend le bénéfice du forfait de télétravail à certains contribuables percevant des rémunérations publiques.

La technicité de cette clause mérite que l'on s'y attarde un instant. La convention de 2018 prévoit deux hypothèses d'imposition pour les contribuables percevant des rémunérations publiques. Le principe général est que les rémunérations publiques sont imposées dans l'État de source. Concrètement, un Français travaillant au Luxembourg pour l'ambassade de France est imposé en France. Par exception, la convention stipule que les rémunérations publiques sont imposées dans l'État d'exercice de l'activité lorsque le contribuable est résident de cet État et dispose de sa seule nationalité. Lorsqu'un Luxembourgeois travaille au Luxembourg pour l'ambassade de France, il est imposé au Luxembourg.

Or le télétravail peut faire basculer un contribuable d'une hypothèse à l'autre. Un Français qui travaille pour la ville de Luxembourg est imposé au Luxembourg en présentiel et en France en télétravail. Pour remédier à cette situation, l'avenant permet de prévoir qu'en-deçà du seuil de trente-quatre jours de télétravail, les revenus sont imposés dans l'État de source. Cette stipulation permet d'aligner le régime des personnes employées dans le secteur public sur celui des personnes employées dans le secteur privé.

Troisièmement, l'avenant prévoit une clause de revoyure à la fin 2024, par laquelle les parties à la convention examineront l'application de ces nouvelles règles. Ce nouvel examen devrait permettre d'envisager un nouveau régime d'imposition du télétravail transfrontalier. En effet, les règles actuelles apparaissent comme un cadre provisoire. En l'état du droit, il s'agit d'un compromis équilibré qui permet de concilier la simplification de la situation administrative des travailleurs transfrontaliers et la protection des intérêts du Trésor public. En Moselle et Meurthe-et-Moselle, les transfrontaliers sont attentifs à cette question puisqu'ils attendent tous une augmentation du forfait de trente-quatre jours, pour obtenir au moins un jour et demi par semaine. La discussion porte surtout sur les rétrocessions fiscales.

À cet égard, le rapport attire votre attention sur un avenant récent du 27 juin 2023 à la convention fiscale franco-suisse de 1966. Celui-ci prévoit un forfait de télétravail à hauteur de 40 % du temps de travail, soit deux jours par semaine, au cours duquel s'applique le principe d'imposition dans l'État d'exercice de l'activité. En contrepartie, l'État qui dispose du droit d'imposer reverse une compensation fiscale à l'État de résidence.

Dans l'attente de cette renégociation, l'entrée en vigueur de l'avenant qui nous est présenté me paraît nécessaire pour simplifier le régime d'imposition des travailleurs transfrontaliers.

Je vous propose d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le département du rapporteur, la Moselle, et le mien, la Meurthe-et-Moselle, sont particulièrement concernés par cette convention fiscale.

Lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), il avait été envisagé que les conventions fiscales ne soient débattues en séance publique que par la voie de simples amendements au projet de loi de finances. Or, ces dispositifs sont complexes. Je souscris aux propos du rapporteur, en ajoutant qu'il nous faut anticiper sur ce type de conventions car elles posent des problèmes d'équité - par exemple, en termes de retraites -, et changer d'échelle en travaillant entre gouvernements nationaux : ici, entre le Luxembourg, la France et la Belgique, plutôt qu'entre le Luxembourg et les représentants de l'État dans deux départements, ce qui n'est ni respectueux des droits et devoirs des États ni au bon niveau. L'État français doit donc changer de braquet. Mais les travaux en la matière n'avancent pas vite.

Il faut considérer ce dispositif, provisoire, pour ce qu'il vaut. Je propose au rapporteur que nous nous rendions sur le terrain afin d'apprécier les effets de ce texte en matière de télétravail.

M. Marc Laménie. - Il faut également tenir compte des habitants du nord meusien et de l'est des Ardennes qui vont travailler au Luxembourg, et associer la Belgique à cette problématique.

Quel est le volume de l'évasion et de la fraude fiscales évoquées en matière d'impôts sur le revenu et la fortune ?

Mme Nathalie Goulet. - Ce n'est pas la première fois que nous nous penchons sur ce dossier. Dire que l'on veut prévenir l'évasion et la fraude fiscales dans le cadre d'une convention avec le Luxembourg, cela pose question, même si les travailleurs frontaliers et transfrontaliers ne sont pas en cause !

Je rappelle la signature d'un accord de coopération entre Tracfin et les services de renseignements financiers des Émirats arabes unis (EAU), ce qui a notamment permis à ce pays de sortir de la liste grise du Groupe d'action financière (GAFI)... Pour ce qui concerne le Luxembourg, la présente convention ne règle ni la question des ports francs ni celle de l'opacité des banques luxembourgeoises. Ce texte est provisoire ; quand finira-t-on par régler la situation des travailleurs frontaliers et transfrontaliers ? Pourquoi ne pas proposer un dispositif complet afin de pouvoir travailler sur le sujet de fond de la fraude et de l'évasion fiscales ?

M. Éric Bocquet. - Je souscris aux propos de Nathalie Goulet.

Aux dires du rapporteur, le régime spécifique d'imposition du télétravail des transfrontaliers issu de la convention de 2018 a entraîné pour la France une perte fiscale estimée entre 30 et 60 millions d'euros - une fourchette d'ailleurs très large ; ne pourrait-on l'estimer plus finement ? Quelles sont les conséquences de cette convention sur les cotisations sociales ? En quoi la TVA permettrait-elle de compenser cette perte fiscale ?

Le gouvernement du Luxembourg souhaite vivement augmenter le nombre des jours de télétravail ; pour quelle raison, selon vous ?

M. Christian Bilhac. - On nous demande d'approuver une convention visant à augmenter la durée du forfait de télétravail de vingt-neuf à trente-quatre jours. Or le rapporteur nous a précisé que cette durée ne faisait l'objet d'aucun contrôle. On signerait donc un chèque en blanc... Il a aussi évoqué une compensation financière, pour une perte de recettes limitée à 60 millions d'euros ! Pour autant, on nous demande d'approuver un dispositif dont on ne sait pas grand-chose. Les informations données au Parlement sur ce dossier sont pour le moins légères.

Mme Florence Blatrix Contat. - Cet avenant est le deuxième que nous examinons sur la situation des travailleurs frontaliers, alors même que la convention de 2018 qu'ils modifient est somme toute récente. Un nouvel avenant est en préparation, prévoyant un forfait de télétravail de cinquante jours... S'il est bon d'éclairer sur les conditions d'exercice du télétravail, il existe une distorsion entre les règles fiscales et les règles sociales. Il faudrait travailler sur ces deux champs afin d'assurer une concordance, et donc une simplification.

M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur. - Je répondrai à Marc Laménie que les contrôles exercés par l'administration française et celle du Grand-duché contre la fraude sont légers. La convention prévoit un système d'échange d'informations et une clause générale de lutte contre les abus fiscaux.

Christian Bilhac m'a interrogé sur le contrôle de la durée du télétravail. Celui-ci repose sur des déclarations. Il est possible de prouver que l'on travaille moins de vingt-neuf jours en produisant un contrat de travail et des relevés horaires. Sur ce point, l'étude d'impact du projet de loi est perfectible, voire parcimonieuse...

Je répondrai à Nathalie Goulet que le Luxembourg, qui a le PIB par habitant le plus élevé au monde, est un véritable soleil pour les habitants du Grand Est... Cet avenant n'est pas définitif, et une clause de revoyure est prévue. Dans ce secteur, tous les travailleurs transfrontaliers, et notamment la moitié d'entre eux dont le poste est « télétravaillable », souhaitent bénéficier d'un plus grand nombre de jours de télétravail, ne serait-ce que pour éviter un trafic routier saturé. Le Luxembourg fait des efforts en direction de la France en cofinançant à hauteur de 50 % les infrastructures favorisant la mobilité - aménagement de quais de gare, parkings de covoiturage, etc. Mais il pourrait aller plus loin, dans la mesure où ces équipements ne sont pas détachables des emplois qui existent dans ce pays. Et puisque c'est un État souverain, on ne peut lui forcer la main. Les choses avancent doucement ; je comprends l'impatience qui s'exprime.

Éric Bocquet m'a interrogé sur la perte fiscale annuelle pour la France, estimée entre 30 et 60 millions d'euros. Au Luxembourg, près de 50 % des emplois sont occupés par des frontaliers :120 000 Français, soit la moitié des travailleurs frontaliers de ce pays, 50 000 Allemands et 50 000 Belges. La moitié de ces travailleurs français occupent un emploi « télétravaillable », mais seulement un quart des transfrontaliers français se déclarent prêts à télétravailler : cela explique l'estimation très large de cette perte.

Florence Blatrix Contat a posé une question sur la distorsion entre les règles fiscales et les règles sociales. Le droit social prévoit que le télétravail peut représenter jusqu'à 49 % du temps de travail sans changement de régime ; quant au droit fiscal, il prévoit sur ce point un taux de 34 %. Si l'on devait traiter ensemble ces deux sujets - fiscal et social -, qui sont déjà complexes séparément, on ne s'en sortirait pas. Il conviendrait de rechercher une plus grande cohérence, mais l'on n'en prend pas le chemin.

Ce sujet peut paraître anecdotique à Paris mais, j'y insiste, tous les travailleurs frontaliers et transfrontaliers de ce secteur géographique veulent travailler à distance !

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Michel Canévet sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Moldavie pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Le projet de loi qu'il nous revient d'examiner a pour objet d'autoriser l'approbation de la nouvelle convention fiscale signée avec la République de Moldavie le 15 juin 2022, et ratifiée par le Parlement moldave en juillet 2022. Le présent texte, adopté par l'Assemblée nationale le 29 janvier 2024, sera examiné au Sénat en séance publique la semaine prochaine.

La Moldavie, qui se trouve à la frontière de l'Union européenne, entre la Roumanie et l'Ukraine, a été reconnue officiellement pays candidat à l'adhésion européenne en juin 2022.

Les relations franco-moldaves connaissent un regain important depuis l'élection à la présidence de la République moldave de la pro-européenne Maia Sandu en 2020. À la suite de l'agression russe contre l'Ukraine, pays frontalier de la Moldavie, la France s'est engagée comme l'un des premiers soutiens financiers de ce pays, qui figure parmi les États les plus pauvres d'Europe. Elle dirige notamment avec l'Allemagne et la Roumanie la Plateforme de soutien à la Moldavie (PSM), qui vise à coordonner l'assistance internationale apportée à ce pays. Elle accompagne également la Moldavie dans sa démarche d'intégration européenne.

La France et la Moldavie ne sont plus liées par aucune convention fiscale depuis la décision de la Moldavie de dénoncer la convention fiscale franco-soviétique du 4 octobre 1985, qui s'appliquait jusqu'alors. Un premier projet de convention bilatérale avait été signé en 2006, mais il ne s'était pas concrétisé, la Moldavie ayant décidé par ailleurs de supprimer son impôt sur les sociétés. Un nouveau projet de convention fiscale avait échoué en 2012.

La France avait fixé deux conditions à la reprise des négociations : d'une part, le retour d'un taux standard d'imposition sur les sociétés ; d'autre part, un engagement accru de la Moldavie en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Ces deux conditions ont été remplies par l'adoption d'un taux d'impôt sur les sociétés à 12 % en 2012, puis par l'adhésion de la Moldavie au Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements, et à la Convention d'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (Maac) de l'OCDE, la même année. Compte tenu de ces évolutions, des négociations sur une nouvelle convention fiscale bilatérale ont été ouvertes à l'été 2019, et la présente convention a été signée le 15 juin 2022.

J'en viens au contenu de la convention et voudrais, à cet égard, insister sur deux points.

Premier point : la rédaction de cette convention s'est largement appuyée sur les derniers travaux de l'OCDE. Pour rappel, deux instruments de cette organisation orientent désormais la politique conventionnelle française en matière fiscale. Il s'agit tout d'abord du modèle de convention fiscale de l'OCDE, mis à jour en 2017. Ce modèle a été complété par l'instrument multilatéral de l'OCDE, issu du plan d'action pour lutter contre l'évitement fiscal et moderniser le droit fiscal international, plus connu sous l'acronyme anglais Beps (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices).

La convention franco-moldave intègre, par conséquent, les principaux standards des travaux de l'OCDE.

Il s'agit, à titre d'exemple, de la définition modernisée de l'établissement stable. Cette notion permet de déterminer si une activité industrielle, commerciale ou libérale est imposable dans l'État où elle est exercée ou dans l'État de résidence de l'entreprise. L'État d'exercice de l'activité peut imposer les bénéfices de l'entreprise à partir du moment où elle dispose d'un établissement stable dans cet État.

La convention intègre également une clause générale anti-abus qui permet de refuser l'octroi d'un avantage conventionnel lorsqu'il apparaît que celui-ci est l'un des objets principaux d'un montage ou d'une transaction ayant permis, directement ou indirectement, de l'obtenir. Elle prévoit un mécanisme d'élimination des doubles impositions. La France a opté pour la méthode dite de l'imputation, qui consiste à accorder au contribuable un crédit d'impôt imputable sur son impôt français. La Moldavie a choisi, de son côté, une méthode similaire pour les revenus dont l'imposition est partagée avec la France.

Second point : la France a réussi à inclure dans la convention des stipulations conformes à la pratique conventionnelle française.

La France a pu intégrer au sein de la convention une clause relative au volontariat international, une clause relative à l'imposition dans l'État de source des revenus des mannequins et une stipulation relative aux prestations relevant de la notoriété personnelle. Ces différentes clauses sont conformes à la politique conventionnelle de notre pays.

La France a également obtenu au cours des négociations un abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs que sont les dividendes, intérêts et redevances. La convention fixe ainsi un taux de retenue à la source de 10 % pour les dividendes et de 5 % pour les intérêts et les redevances. Un principe d'imposition exclusive dans l'État de résidence est toutefois prévu pour les intérêts relatifs aux investissements réalisés ou garantis par les personnes publiques, compte tenu de l'importance de l'aide au développement française apportée à ce pays.

Compte tenu du déséquilibre dans la répartition des investissements entre la France et la Moldavie, il résultera de cet abaissement généralisé des taux de retenue à la source un partage plus avantageux des recettes fiscales pour le Trésor public français. En effet, la retenue à la source est éliminée par l'État de résidence, qui vient minorer l'impôt perçu sur ces mêmes revenus. L'accord trouvé entre la France et la Moldavie me paraît équilibré et de nature à renforcer la sécurité juridique des contribuables, tout en stimulant les échanges avec ce pays d'Europe orientale.

La nouvelle convention fiscale viendra en effet sécuriser la situation des particuliers comme des entreprises, en prévoyant un cadre clair d'élimination des doubles impositions. En l'absence de cadre conventionnel, la France et la Moldavie appliquent actuellement et concurremment leur droit fiscal interne. Ce vide conventionnel est propice à l'apparition de situations de doubles impositions.

Toutefois, contrairement à des conventions fiscales récentes que notre commission a eu l'occasion d'examiner ces derniers mois - je pense à la convention franco-grecque et à la convention franco-danoise -, la convention bilatérale franco-moldave ne vient pas répondre à des situations particulières de double imposition. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances ne nous ont pas fait remonter de cas spécifiques. En outre, l'abaissement des taux de retenue à la source sur les revenus passifs devrait permettre de soutenir la croissance des échanges commerciaux et financiers bilatéraux. Si la Moldavie n'est que le cent treizième client de la France, le commerce entre les deux pays connaît une croissance annuelle moyenne de 13 % depuis 2018. Environ 240 entreprises françaises sont implantées en Moldavie, notamment Orange et Lafarge ; en revanche, il n'y a pas d'entreprises moldaves connues implantées en France.

En dehors des considérations fiscales et économiques, l'entrée en vigueur de cette convention fiscale bilatérale dans le contexte géopolitique complexe de la Moldavie est de nature à encourager ce partenaire dans sa démarche d'intégration européenne.

Je vous propose d'émettre un avis favorable à l'entrée en vigueur de la convention franco-moldave du 15 juin 2022, c'est-à-dire d'adopter le présent projet de loi sans le modifier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. Michel Canévet est également vice-président du groupe d'amitié France-Moldavie et donc bien au fait du sujet.

Cette convention fiscale répond aux standards de l'OCDE et s'inscrit dans la continuité de conventions que nous avons adoptées récemment. Il est toujours bon de prévoir des règles juridiques communes avec l'ensemble de nos partenaires, même s'ils ne sont pas majeurs en volume, et de les adapter.

Je souscris aux conclusions du rapporteur mais nous devrons examiner d'un peu plus près les études d'impact, car il nous faut disposer d'assises juridiques fortes.

M. Emmanuel Capus. - Une partie du territoire moldave, la Transnistrie, se trouve dans une situation de non-droit. Qu'en sera-t-il, dans ces conditions, de l'application de cette convention ?

D'autres États qui relevaient autrefois de la zone d'influence soviétique, comme la Géorgie, pourraient-ils signer une telle convention bilatérale ?

D'autres États européens ont-ils signé une convention bilatérale avec la Moldavie ? Si oui, ces conventions présentent-elles les mêmes avantages et inconvénients que celle-ci ?

M. Rémi Féraud. - Ce petit pays est européen. Pourquoi la signature de cette convention a-t-elle tant tardé depuis la dénonciation de la convention fiscale franco-soviétique de 1985, voire depuis sa ratification par le Parlement moldave, alors même que la situation géopolitique est très sensible et qu'il nous faut envoyer des signaux à ces pays ?

Pourquoi y a-t-il si peu d'études d'impact attachées à ces conventions bilatérales ? Une cellule de suivi avait été prévue, mais elle n'est toujours pas créée. Bercy s'y est-il engagé ? La corruption étant importante en Moldavie, une telle convention fiscale est-elle porteuse de risques ? Le suivi de sa mise en oeuvre semble essentiel, tout comme celui de ses conséquences sur les recettes publiques.

Mme Nathalie Goulet. - La semaine dernière, la Russie a proféré des menaces fortes contre la Transnistrie, ce qui peut avoir une influence sur le conflit avec l'Ukraine. Il s'agit d'une zone de grandes turbulences, d'autant que la Moldavie est intégrée au partenariat oriental de l'Union européenne. Il est positif de signer une convention avec ce pays, mais il faut des garanties. En effet, la Moldavie et la Roumanie figurent au « hit-parade » de tous les réseaux de fraudes sociales et fiscales. Des dispositifs de suivi sont-ils mis en place ? J'engage les fonctionnaires de Bercy à se rendre sur place avant de rédiger des conventions !

M. Bernard Delcros. - Quid de l'application de cette convention dans les territoires moldaves pro-russes ?

M. Éric Bocquet. - Le rapporteur a cité les sociétés Orange et Lafarge, qui sont installées en Moldavie. Quel taux d'impôt sur les sociétés s'applique à ces entreprises françaises dans ce pays ? On sait que, de façon générale, ce taux qui était de 0 % voilà quelques années est passé à 12 % ; il reste donc bien inférieur à celui applicable en France. Quant au salaire minimum, il y est de 46,29 euros par mois. Enfin, les retenues à la source sur les dividendes sont plafonnées à 10 %, ce qui est loin de notre plafonnement forfaitaire unique (PFU)...

M. Michel Canévet, rapporteur. - L'évolution récente des relations entre la présidente Maia Sandu et les autorités de la Transnistrie est en effet préoccupante. La Transnistrie ne respectant pas les règles fixées par l'Union européenne et par l'OCDE, cette entité de 465 000 habitants n'est pas incluse dans le périmètre de la convention fiscale. La convention s'appliquera à ce territoire à compter du retour de la pleine souveraineté moldave.

La Biélorussie, le Kirghizstan et le Turkménistan sont les trois derniers États concernés par la convention de 1985 entre l'Union soviétique et la France.

La plupart des pays européens ont déjà signé une convention fiscale avec la Moldavie, dans le respect des normes fixées par l'OCDE. Il est vrai, monsieur Féraud, que les délais de conclusion et de ratification de cette convention fiscale sont très longs. Les négociations ont débuté en 2019 et n'ont abouti qu'en 2022, une première tentative ayant échoué dès 2006. Nous sommes dans l'attente depuis deux ans. Le Parlement moldave a pourtant fait preuve de célérité et lorsque le groupe d'amitié France-Moldavie s'était rendu sur place en 2022, la signature et la mise en oeuvre de la convention étaient au coeur des discussions. Même si nous devions la ratifier dès maintenant, elle n'entrerait toutefois en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2025. Tout cela est inquiétant : dès lors qu'un accord avait été conclu, nous aurions pu le valider plus rapidement.

Monsieur Bocquet, le taux d'impôt sur les sociétés est en effet de 12 % en Moldavie. Toutefois, puisque nous avons choisi la méthode de l'imputation, les entreprises bénéficieront d'un crédit d'impôt pour les sommes payées en Moldavie et seront imposées en France sur le complément. Il en va de même pour les redevances. Cet accord est donc avantageux également pour le Trésor français. Parmi les 240 sociétés qui avaient été identifiées en 2021 sur le territoire moldave, Orange, Sanofi, Lafarge et Lactalis représentent environ 4 000 emplois.

Enfin, je précise qu'une élection présidentielle à enjeu aura lieu à l'automne prochain. Le mandat de Maia Sandu, qui se représente, arrive en effet à échéance. La situation politique moldave pourrait donc évoluer.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 10 h 30.

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Le 23 novembre dernier, lors de la discussion générale qui lançait l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, je concluais mon intervention en indiquant que j'avais « bien peur que, malgré vos propos, il ne faille rapidement trouver des recettes nouvelles et remettre en cause les nombreuses lois de programmation que le Gouvernement nous a soumises » et que « le retour sur terre ne faisait que commencer », en vous invitant à « bien attacher vos ceintures ! » Eh bien, quelques semaines après le début de l'année, nous y sommes déjà !

C'est donc à une audition assez exceptionnelle que nous consacrons notre réunion en cette fin d'après-midi, puisque nous recevons, en dehors du calendrier habituel des textes financiers, M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics.

Historiquement, le Parlement avait la primeur des informations et des explications des ministres. Depuis quelque temps, on apprend l'information par la presse. Aujourd'hui, vous préférez aussi répondre prioritairement aux questions des journalistes plutôt qu'à celles des parlementaires, ce que nous regrettons profondément. Le seul effet bénéfique de ce mode de fonctionnement est que votre présentation pourra être très synthétique dans la mesure où nous savons déjà quasiment tout, ce qui laissera du temps à nos échanges.

Messieurs les ministres, vous avez pris le 21 février dernier un décret portant annulation de crédits d'un montant exceptionnel et tout à fait inédit de 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 10,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Un montant inédit, car les décrets d'annulations de crédits pris en cours d'année sont presque toujours de quelques dizaines, parfois de quelques centaines de millions d'euros seulement. En septembre dernier déjà, un décret annulait 5 milliards d'euros de crédits sur l'exercice 2023, c'est à présent le double sur l'exercice 2024, et ce dès le mois de février.

On ne sait guère comment ce montant de 10 milliards d'euros est apparu. Est-ce une nouvelle prévision de croissance à 1 %, comme vous l'indiquez, qui amène à cette annulation de crédits ? Pour ma part, je crois que le raisonnement a été construit à l'envers et que le chiffre de croissance de 1 % découle de l'annulation de 10 milliards d'euros, soit presque le montant maximal d'annulation possible sans passer par un projet de loi de finances rectificative (PLFR).

Dès lors, une croissance inférieure - et j'ai bien peur que ce soit malheureusement le cas - nous conduirait inéluctablement à un PLFR dans un délai assez rapide et à la recherche de nouvelles économies, puisque vous vous interdisez toujours la possibilité de nouvelles recettes fiscales.

Avec cette première annulation de crédits de 10 milliards d'euros, vous abandonnez aussitôt qu'annoncée votre méthode de revue des dépenses pour la bonne vieille technique, si décriée par vous pourtant, du « coup de rabot ». Parlons de l'avenir, alors que la trajectoire de la loi de programmation, déjà extrêmement complexe à tenir, est désormais totalement à revoir. Quel que soit l'acquis de croissance de 2023 à 2024, il sera certainement très faible, ce qui peut susciter dès à présent des inquiétudes quant aux futures demandes de diminution des dépenses. Si vous avez annoncé tabler sur une stratégie de l'ordre de 12 milliards d'euros, quelques calculs rapides m'ont amené à pronostiquer des efforts compris entre 15 milliards d'euros et 18 milliards d'euros ; mais, en écoutant vos échanges avec les députés, j'ai cru comprendre que la véritable fourchette se situerait entre 18 milliards et 20 milliards d'euros, soit une aggravation très sensible.

Mais, pour avoir une trajectoire financière, encore faut-il avoir une boussole politique et quelques priorités claires. Or, au fil de l'actualité, chaque mois, un nouveau sujet devient prioritaire. Une priorité chasse l'autre, au point qu'on finit par s'y perdre : quelles sont les grandes priorités du Gouvernement ? Vous en avez cité quelques-unes dans la presse : s'agit-il des vôtres ? Avec votre gouvernement, finalement, tout se vaut, et le PLF devient une simple politique d'affichage d'intentions des ministres, que le ministre vient contredire dès que le texte est voté.

Cela ne peut plus durer ! Le pays a besoin de clarté, de sincérité et d'une lisibilité sur l'éventuelle répartition des efforts à consentir, autant d'éléments qui font défaut. Je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant d'en venir aux questions que le rapporteur général et l'ensemble des commissaires des finances ne manqueront pas de vous poser.

Je vous rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat, ainsi que sur les réseaux sociaux.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Monsieur le président, je vous prie tout d'abord de nous excuser pour ce retard indépendant de notre volonté : après avoir répondu à toutes les interrogations des députés, nous répondrons à l'ensemble des questions posées par les sénateurs.

Je ferai preuve ici de la sincérité et de la clarté que vous avez demandées. Quant à ma boussole politique, elle est extrêmement simple : la direction à suivre consiste à revenir en-dessous du seuil de 3 % de déficit public en 2027 et à parvenir à un déficit de 0 % en 2032, c'est-à-dire à un équilibre des comptes publics que nous n'avons pas connu depuis 1974. Cette année marquera en effet un demi-siècle de déséquilibre des comptes publics français.

Retrouver cet équilibre suppose de changer de logiciel et d'arrêter de considérer que la dépense publique constitue la solution à tous nos problèmes, je crois à l'inverse qu'elle risque de devenir notre problème collectif. Il y a donc urgence à rétablir, sereinement et méthodiquement, les comptes publics de la nation. Je rappelle que cette majorité a déjà su le faire en 2017, 2018 et 2019 : il suffit donc de reprendre cette méthode, avec détermination, clarté et fermeté.

Pourquoi tenir ce cap est-il à ce point important à mes yeux ? Plusieurs vérités désagréables à entendre le justifient, à commencer par le fait que la France a le niveau de dépenses publiques le plus élevé de l'ensemble des pays développés, la part de la dépense publique dans la richesse nationale s'élevant à 57 %. Ce modèle est selon moi obsolète.

Deuxième vérité, ce poids plus élevé des dépenses publiques par rapport aux autres pays européens s'explique principalement par la dépense sociale, ce qui permet de répondre immédiatement à votre question, monsieur le président : dans les années à venir, l'effort à fournir devra être partagé entre l'État, les collectivités territoriales et les dépenses sociales. Ces dernières expliquent, pour 6,1 points, l'écart que j'évoquais par rapport à la moyenne européenne. Cette particularité française nous prive de marges de manoeuvre pour d'autres priorités, telles que la défense ou la sécurité.

La troisième vérité a trait au fait que la France présente le niveau de dette publique le plus élevé de la zone euro après la Grèce et l'Italie. Cette conséquence de l'accumulation de déficits fait de nous le premier émetteur de dette brute, avec 285 milliards d'euros à lever en 2024, et le premier émetteur de dette nette avec 133 milliards d'euros prévus en 2024.

J'en viens à un point essentiel. En 2001, la France avait le même niveau de dette publique que l'Allemagne. Notre pays a par la suite augmenté la dépense publique pour faire face aux crises, comme sa voisine et d'autres États européens, mais, une fois celles-ci terminées, il a considéré la dépense comme un acquis et n'est jamais revenu en arrière. C'est bien là que réside le problème français et c'est pour cette raison qu'il faut rétablir les comptes publics, comme nous l'avons fait en 2017.

Au lendemain de la crise financière, l'Allemagne comme la France ont dépensé davantage pour protéger leur économie. Cependant, alors que la première a rétabli très rapidement ses comptes publics, la seconde les a laissé filer, ce qui a progressivement creusé un écart de dette entre les deux pays qui a atteint 37 points en 2017, lors de notre arrivée au pouvoir.

Avec la crise du covid, l'Allemagne a de nouveau dépensé pour protéger ses compatriotes, la France ayant procédé exactement de même. Nous commençons à baisser à nouveau la dépense, en abandonnant les boucliers tarifaires sur le gaz et l'électricité, puis en retirant les dispositifs de protection des entreprises. Nous en arrivons désormais à un moment décisif où nous pouvons soit décider de maintenir le même niveau de dépenses, soit suivre notre proposition de rétablissement des finances et de diminution des dépenses.

La quatrième vérité a trait au fait que la France n'a pas connu l'austérité depuis cinquante ans : il n'y a pas eu d'austérité hier, il n'y a pas d'austérité aujourd'hui et il n'y en aura pas demain, car j'estime qu'elle n'est pas une réponse adéquate à la situation économique dans laquelle nous nous trouvons. Sur ce point, il est utile de rappeler que la dépense publique s'élevait à environ 760 milliards d'euros en 2000, contre 1 600 milliards d'euros en 2023. Le rappel de ce doublement de la dépense publique me conduit à rejeter les critiques nous reprochant de mener une politique d'austérité.

La cinquième réalité a quant à elle une tonalité plus positive : nos résultats économiques sont solides, la croissance française cumulée entre 2017 et 2024 étant la plus élevée de tous les grands pays européens, ce qui est à mettre au crédit de la stratégie économique du Gouvernement. Nous avons ainsi favorisé la création de 400 000 entreprises l'année dernière, le nombre d'emplois créés entre 2017 et 2023 avoisinant les 2 millions, dont 130 000 emplois industriels. En outre, nous avons mieux protégé le pouvoir d'achat de nos compatriotes, les dépenses publiques engagées pour faire face au covid et à l'inflation ayant permis d'empêcher un choc trop brutal.

Une fois ce tableau esquissé, nous voilà à la croisée des chemins, face à trois options.

La première consiste à laisser filer la dette et les dépenses, ce qui serait totalement irresponsable et aboutirait à une augmentation des taux d'intérêt qui renchérirait les coûts de la dette, du financement de l'État et de l'investissement des entreprises comme des particuliers : j'écarte cette option, qui reviendrait à jeter l'argent par les fenêtres par manque de courage.

Réclamée par un certain nombre de députés, la deuxième option consiste à augmenter les impôts, mais il s'agit d'une impasse dans un pays qui a déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l'Union européenne. Je n'augmenterai pas les impôts !

La dernière option - celle que je vous propose - vise à rétablir les finances publiques en rompant avec la fatalité qui aboutit à considérer, à chaque sortie de crise, que toute dépense exceptionnelle doit devenir une dépense ordinaire, tant et si bien que nous montons régulièrement une marche de l'escalier de la dépense, sans jamais rebrousser chemin.

Comment cette stratégie peut-elle être mise en oeuvre ? Elle doit s'appuyer sur plusieurs piliers, à commencer par la nécessaire réduction de la dépense publique face à des recettes en baisse, qu'il s'agisse de l'impôt sur les sociétés (IS), de l'impôt sur le revenu (IR) ou de la TVA. Ladite diminution des recettes est significativement plus élevée que la baisse de croissance enregistrée en 2023 - 0,9 % contre une prévision initiale de 1 %. Nous devons donc supprimer un certain nombre de dépenses, en commençant par celles liées à la crise, puis en poursuivant par celles de l'État.

Il s'agit d'ailleurs du deuxième pilier de cette stratégie : après la sortie des dispositifs exceptionnels, l'État doit montrer l'exemple en réalisant les 10 milliards d'euros d'économies que Thomas Cazenave et moi-même avons annoncés. Je note d'ailleurs que le terme « rabot » utilisé pour décrier cet effort est généralement le prétexte utilisé pour ne réaliser aucune économie. Certes, des économies plus structurelles sont également nécessaires, mais celles-ci ne donnent de résultats que bien plus longtemps après avoir été décidées. Or, lorsqu'un choc se produit, il est de notre responsabilité d'activer un frein d'urgence en réduisant les dépenses de l'État.

Quant au moment choisi pour effectuer ces annonces, je rappelle que les prévisions de croissance du Fonds monétaire international (FMI), de l'OCDE et de la Commission européenne entre septembre et octobre 2023 étaient comprises entre 1,2 % et 1,3 % : en comparaison, la prévision de 1,4 % du Gouvernement ne paraissait donc pas fantaisiste. Les autres pays européens, Allemagne en tête, ont révisé leurs prévisions de croissance en février, à hauteur non pas de 0,4 point, mais de 1,1 point. Tous les États européens ont attendu les nouvelles prévisions du FMI, de l'OCDE et de la Commission européenne pour corriger leurs propres prévisions, ce qui démontre notre sincérité.

J'insiste, par ailleurs, sur le fait que ces économies n'ont rien à voir avec l'austérité que certains dénoncent. Les crédits de la mission « Travail et emploi » ont ainsi progressé de 40 % entre 2017 et 2024, une augmentation qui sera limitée à 34 % après les économies que nous venons de décider : il me semble donc que nous conservons des marges de manoeuvre pour continuer à agir. De la même manière, dénoncer un désengagement complet de la France sur l'aide publique au développement est une plaisanterie, puisque nous avons doublé les crédits dédiés entre 2017 et 2024 : il ne me paraît pas illégitime de modérer cette augmentation. Enfin, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ont progressé à hauteur de 64 % sur la même période et, après les annulations, augmenteront malgré tout de 41 %.

Il est donc bien question de prendre des décisions justes en vue de « refroidir la machine », à un moment où la croissance ralentit partout en Europe. La France ne gagnerait rien à se distinguer de ses partenaires en n'ayant pas le courage d'assumer ces décisions nécessaires.

J'en viens au troisième pilier de notre stratégie, qui consiste à effectuer des choix de politiques publiques. Le président de la commission nous a interrogés sur ce point, j'y apporte une première réponse en soulignant que tous devront contribuer à cette diminution des dépenses publiques ; il faudra ensuite s'interroger, de manière plus structurelle, sur un certain nombre de sujets, dont l'organisation de l'État, le nombre de strates administratives et les grands choix de politique sociale.

Pouvons-nous encore nous permettre de rembourser l'intégralité des transports médicaux, à hauteur de 5,7 milliards d'euros par an ? Ou considérons-nous qu'il faut réduire cette dépense afin de faire davantage pour le handicap par exemple ? Est-il légitime que la protection sociale soit intégralement financée par ceux qui travaillent ? Sur un autre sujet, pouvons-nous ignorer le fait que le nombre de jours d'absence par an s'établit à 17 dans les collectivités territoriales, à 12 dans le secteur privé et à 10 dans les services de l'État ? Il pourrait s'agir d'un levier de réduction des dépenses publiques parmi d'autres.

Toutes ces questions sont politiques au sens le plus noble du terme, car elles impliquent des choix. L'adage « gouverner, c'est choisir » est d'autant plus valable en matière de finances publiques : il n'y aura pas de réduction des dépenses publiques sans choix politiques forts.

La définition d'un calendrier clair représente le quatrième pilier de notre stratégie.

La première étape correspond à la sortie des dispositifs exceptionnels de crise, d'où la suppression d'un certain nombre de guichets pour les entreprises, la fin du bouclier tarifaire sur le gaz, puis la sortie du bouclier tarifaire sur l'électricité, annoncée en janvier 2024. Ladite sortie se traduit par une remontée du prix, en rehaussant de 0 euro à 21 euros par mégawattheure la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité - elle s'élevait à 32 euros avant la crise. À la différence des précédentes sorties de crise, cette étape d'abandon des dispositifs exceptionnels a été franchie.

La deuxième étape consiste à réaliser les 10 milliards d'euros d'économies sur les dépenses de l'État, comme annoncé par décret ; elle sera suivie d'une troisième étape qui, en fonction du niveau de recettes, pourrait mener à l'adoption d'un PLFR à l'été : je ne suis pas en mesure de donner une réponse définitive à ce sujet dès aujourd'hui.

Enfin, le PLF pour 2025, nourri par les revues de dépenses publiques, permettra de passer au crible les aides aux entreprises, les dispositifs en faveur de la jeunesse, les politiques de l'emploi, la formation professionnelle et l'apprentissage, les dispositifs médicaux, les affections de longue durée (ALD), les aides au secteur du cinéma, l'absentéisme dans la fonction publique, les mesures de maîtrise de la loi de programmation militaire et enfin les dépenses immobilières des ministères.

En conclusion, le dernier pilier de notre stratégie vise à nourrir la croissance par des réformes de structure. Après avoir mené à bien la réforme des retraites et de la formation professionnelle, il me semble indispensable de poursuivre la réforme de l'assurance chômage, de simplifier la vie des entreprises par une grande de loi de simplification, de renforcer l'attractivité du pays pour attirer davantage d'investissements étrangers et de poursuivre la politique de l'offre mise en place depuis 2017 avec le Président de la République. Cette dernière nous a permis d'obtenir les bons résultats économiques que je vous ai présentés précédemment.

C'est bien la conjugaison de cette réduction déterminée de la dépense publique et du soutien à la croissance par une politique de l'offre qui nous permettra de revenir à des comptes publics équilibrés.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Je tiens à souligner que le ralentissement brutal de la conjoncture en fin d'année nous a conduits, à l'instar de nos partenaires européens, à réviser nos prévisions de croissance et surtout le montant de nos dépenses.

Le décret d'annulation de crédits que nous avons décidé de prendre a été guidé par plusieurs principes, à commencer par un principe de réalité : une diminution des recettes doit entraîner une baisse des dépenses - et nos voisins allemands ont pris des décisions allant dans ce sens.

Le deuxième principe relève de la sincérité : c'est bien parce que nous avons constaté un ralentissement des recettes que nous sommes immédiatement intervenus pour prendre des mesures d'annulation de crédits. Dans le cas contraire, vous nous auriez reproché à juste titre notre inaction et auriez réclamé des mesures d'urgence.

Ce décret a été également sous-tendu par une exigence de réactivité et d'efficacité, les annulations de crédits étant plus susceptibles de produire des économies réelles en début d'année qu'ultérieurement, lorsque les dépenses sont déjà engagées. Cette méthode permet aussi à tous les ministres d'effectuer une reprogrammation budgétaire de leurs dépenses et projets, qu'ils auront probablement l'occasion de présenter lors d'auditions au Sénat.

J'insiste, par ailleurs, sur le fait que ce décret respecte à la lettre la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), alors que certains ont pu nous reprocher un déni de démocratie, ce qui n'est pas sérieux. La démocratie implique le respect des règles et la Lolf prévoit justement ce mécanisme pour faire face aux aléas. Nous avons ainsi respecté le plafond qui équivaut à 12 milliards d'euros en matière d'annulation de crédits, sans outrepasser nos prérogatives.

Le cinquième principe guidant ce décret renvoie à l'exigence de solidarité et à l'absence d'immunité budgétaire, tous les ministères étant mis à contribution. Pour autant, il n'est pas question d'un coup de rabot aussi homogène qu'aveugle qui s'appliquerait à tous les ministères, indépendamment de nos priorités. Le décret tient en effet compte de deux dimensions : d'une part, comme l'a rappelé Bruno Le Maire, certaines politiques publiques ont été sollicitées ; d'autre part, des efforts supplémentaires d'économies sont demandés à chaque ministère. Ces derniers ont été calculés en fonction de la réserve disponible et du caractère pilotable ou non de la dépense, tout en tenant compte de certaines réalités ou priorités : aucune annulation n'est par exemple prévue sur les crédits d'intervention du ministère de l'agriculture.

J'ajoute que le décret s'arrête au niveau des programmes, les ministères étant chargés d'aller dans le détail des arbitrages.

Une fois encore, notre démarche est fort éloignée d'une cure d'austérité, alors que les dépenses de l'État ont augmenté de 23 % entre 2019 et 2023. Les pays qui ont réellement connu l'austérité ont, eux, diminué les retraites et les rémunérations, tout en mettant les services publics à l'arrêt et en augmentant les impôts, soit une situation bien différente.

En outre, nous ne renonçons pas à nos ambitions en matière de transition écologique : avec 40 milliards d'euros de dépenses dans ce domaine, il s'agit bien du budget le plus vert de notre histoire. Nous poursuivons ainsi notre effort en consacrant 8 milliards d'euros supplémentaires aux investissements en faveur de la rénovation énergétique, dans le domaine ferroviaire ou encore en soutien aux énergies renouvelables.

Je tiens également à réaffirmer l'absence de remise en cause des engagements découlant des lois de programmation, les plafonds d'emplois qui y sont actés seront préservés, qu'il s'agisse de l'intérieur, de l'armée ou de l'éducation nationale. De la même manière, la politique d'aide publique au développement n'est pas remise en question.

En conclusion, mon rôle de ministre des comptes publics m'impose de présenter clairement la situation de nos finances. La forte diminution de nos recettes, à hauteur de 7,7 milliards d'euros, compromet notre objectif visant à contenir le déficit public à 4,9 % du PIB en 2023. Dans le détail, les recettes provenant de l'IS ont diminué de 4,4 milliards d'euros et celles issues de la TVA de 1,4 milliard d'euros, l'IR ayant connu une baisse d'un montant similaire. Cependant, nous avons dans le même temps - j'insiste sur ce point - baissé les dépenses de l'État.

Quant à notre boussole, notre crédibilité repose sur deux dimensions, à savoir notre capacité à mener des réformes structurelles et notre capacité à maîtriser les dépenses publiques. Tel était le cas en 2023, le décret d'annulation de crédits venant conforter cet élément de notre stratégie.

Monsieur le président Raynal, vous avez évoqué à raison l'obstacle que constituerait une croissance plus faible en 2024. Afin de respecter la trajectoire visant à contenir le déficit en deçà de 3 % d'ici à 2027, nous devrons fournir des efforts supplémentaires dès 2025, qui s'élèvent effectivement à environ 20 milliards d'euros.

En termes de méthode enfin, nous devons tous être mobilisés pour le redressement des finances publiques. L'État sera concerné en premier lieu afin de faire preuve d'exemplarité, avant de discuter en profondeur, dans le cadre des textes financiers pour 2025, de l'ensemble des champs de l'action publique, dont les collectivités territoriales et la protection sociale.

Dans cette perspective, j'ai entendu l'appel du rapporteur général et du président en faveur d'un travail plus rapproché avec l'exécutif : nous y sommes tout à fait prêts, d'autant plus qu'il faudra grandement avancer la préparation de ce budget compte tenu des contraintes existantes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je commencerai par un propos agréable en souhaitant un bon anniversaire à M. Cazenave, né en 1978, belle époque durant laquelle Raymond Barre entreprenait courageusement des travaux de redressement de la situation des finances publiques, ce qui n'a pas empêché de connaître ensuite des jours heureux.

Vous avez indiqué ne pas avoir changé de boussole. Il me semble pourtant que vous modifiez votre cap et que vous avez un peu perdu le Nord !

Vous avez, monsieur Le Maire, mis en avant la force de l'action que vous conduisez depuis désormais sept ans. S'il est toujours possible de remonter encore plus loin dans le temps, je souhaite que chacun assume sa part de responsabilité, y compris la surdité avec laquelle nombre de nos propositions ont été accueillies. J'apprécie votre présence parmi nous, n'ayant pas eu le plaisir ni l'honneur d'échanger avec vous en dehors de votre propos introductif au PLF pour 2024. Au nom de la majorité sénatoriale, j'avais à l'époque alerté sur le fait que nous étions déjà entrés depuis quelque temps dans une nouvelle ère, celle des déficits extrêmes.

Quant à vos propos affirmant qu'il n'est pas question d'austérité, monsieur Cazenave, nous avions proposé 7 milliards d'euros d'économies dans le cadre du PLF pour 2024, ce qui vous avait alors conduit à nous accuser de brutalité, d'irresponsabilité et de mépris du peuple, alors que vous nous présentez aujourd'hui un effort nettement supérieur.

Le Parlement - et en particulier le Sénat - mérite d'être mieux entendu et davantage pris en considération : je vous avertis d'ores et déjà que ni la majorité ni la minorité sénatoriales ne seront au rendez-vous si le mépris dont vous faites preuve à l'égard de notre assemblée perdure.

Jamais autant de crédits budgétaires n'avaient été annulés par un gouvernement en cours d'année, et encore moins cinquante jours après le début de gestion. Monsieur le ministre des finances, vous avez choisi le journal télévisé de 20 heures de TF1, le 18 février dernier, pour proposer de réduire les crédits par décret à hauteur de 10 milliards d'euros en raison, je vous cite, d'un « nouveau contexte géopolitique », une appréciation que je ne partage pas.

Vous avez cité, en effet : la « guerre en Ukraine », qui a commencé il y a plus de deux ans ; le « ralentissement de l'économie chinoise », alors que Le Monde titrait déjà, le 22 août 2023, « L'économie chinoise au défi du ralentissement » ; la « récession allemande en 2023 », alors que le même quotidien titrait, dès le 22 juin 2023, « Les grands instituts de conjoncture anticipent désormais une nette récession cette année pour la première économie d'Europe ».

Je vous le dis très sereinement : vous avancez un prétexte fallacieux pour justifier vos économies, dans la mesure où le contexte géopolitique n'a pas changé entre l'automne 2023 et février 2024. Vous aviez décidé d'afficher des perspectives ambitieuses à l'automne : c'est votre droit, mais n'allez pas alors chercher des prétextes qui ne correspondent pas, messieurs les ministres, à la réalité.

Notre commission des finances avait d'ailleurs, dès l'examen du PLF, mis en lumière le caractère fantaisiste de vos prévisions, presque deux fois supérieures à toutes les estimations qui étaient alors disponibles.

Puisque tout le monde vous disait dès l'automne 2023 que la croissance ne serait pas au rendez-vous, pourquoi donc avez-vous sciemment conservé des prévisions de croissance fallacieuses ? À l'heure actuelle, le consensus des économistes table sur une croissance de 0,7 % pour la France en 2024. Pourquoi souhaitez-vous malgré tout retenir une « prévision » de croissance de 1 % ?

Au-delà de l'effet agréable de communication et de rêve - de moins en moins efficace sur les Français - que vous avez pu rechercher en affichant une croissance à 1,4 %, les conséquences pratiques de vos choix sont, de mon point de vue, désastreuses. En réalité, avec ce décret d'annulation, vous remettez brutalement en cause des décisions que vous aviez précédemment défendues : c'en serait risible si les sujets n'étaient pas aussi sérieux.

Tout d'abord, toute votre communication gouvernementale sur un PLF pour 2024 « écologique », avec 7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, est nulle et non avenue, puisque la mission « Écologie, développement et mobilité durables » est la grande perdante du décret d'annulation, avec 2,2 milliards de crédits supprimés. En particulier, les 5 milliards d'euros pour MaPrimeRénov' ne seront pas au rendez-vous.

Ensuite, la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR) n'est pas respectée, le budget 2024 étant finalement 400 millions d'euros en deçà des cibles fixées. La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice n'est pas non plus respectée, puisque 325 millions d'euros manqueront à l'appel.

De surcroît, l'annonce en grande pompe par Christophe Béchu et Gabriel Attal d'un abondement du fonds vert, dopé par 500 millions d'euros supplémentaires en 2024, se dégonfle : le voilà d'ores et déjà amputé de 400 millions d'euros.

Les nombreuses annonces du Premier ministre sur l'école, en particulier la prise en charge par l'État des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sur la pause méridienne, sont quant à elles incompatibles avec les annulations massives sur ce ministère, à hauteur de 692 millions d'euros. Et je pourrais encore poursuivre !

Vous auriez pu financer toutes ces priorités si vous aviez construit le PLF pour 2024 de manière rigoureuse, c'est-à-dire, premièrement, en retenant des hypothèses macroéconomiques prudentes, réalistes et communément partagées, au lieu de choisir la fantaisie. Vous auriez dû, deuxièmement, fixer aux ministères un cadrage cohérent avec ces hypothèses : vous avez préféré faire voter des missions budgétaires en augmentation pour tous les ministères=. Troisièmement, vous auriez pu faire voter une loi de finances documentant les économies pertinentes et, si besoin, les réformes associées, mais vous avez recouru à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur un PLF « hors sol » pour finalement tout contredire, par décret, deux mois plus tard.

En résumé, vous avez privilégié une politique d'annonces avec des perspectives budgétaires en hausse pour tous les ministères, pour ensuite ressortir le rabot et les coupes sombres et brutales.

Ma deuxième question est donc la suivante : comment financerez-vous toutes les annonces récentes qui arrivent « en même temps » que le décret d'annulation, avec 3 milliards d'euros pour l'Ukraine, 500 millions d'euros pour les hôpitaux et 400 millions d'euros pour les agriculteurs ? Prévoyez-vous un nouveau rabot qui fera également de ces annonces des engagements qui ne seraient plus complètement tenus ?

Enfin, monsieur le ministre, vous avez dit sur TF1 : « N'importe quel ménage peut comprendre que, quand on gagne moins, on dépense moins. » De la même manière, n'importe quel ménage peut aussi comprendre que, si pour chaque euro gagné, il en dépense deux, il est bon pour la commission de surendettement. Or, c'est exactement ce qui se passe. En 2024, l'État devra trouver 601 milliards d'euros pour faire face à ses dépenses et au remboursement de la dette, alors qu'il ne disposera que de 305 milliards d'euros de recettes nettes, voire encore moins, si j'en crois vos propos.

Il en résulte, depuis l'arrivée au pouvoir de votre majorité, que le taux d'endettement de la France a successivement dépassé celui de Chypre, de la Belgique, de l'Espagne, puis celui du Portugal. Ne restent plus derrière nous en Europe que l'Italie et la Grèce. Cette réalité factuelle doit être confrontée avec vos propos indiquant, je cite, que « la maîtrise des finances publiques est dans l'ADN de la majorité » : je n'ose imaginer ce qu'il adviendrait s'il en était autrement !

Au regard de ces éléments, ma dernière question est la suivante : quelles sont les chances, selon vous, que la note de la France soit dégradée par les agences de notation en avril et en juin prochains ? Craignez-vous une telle dégradation ou pensez-vous que la France pourrait poursuivre la même politique budgétaire après une dégradation ? Merci de vos éclaircissements.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je répondrai à M. le rapporteur général, en prenant un peu de recul : 62 %, 97 %, 111 %, ce sont les niveaux de dette publique enregistrés en 2008, 2017 et au moment de la crise inflationniste. Nous avons recensé 35 points de dette supplémentaires au lendemain de la crise financière de 2008. La dette est donc bel et bien une question, et il est impératif de réduire la dépense publique, a fortiori lorsque les recettes diminuent.

Nous avons le courage de le faire, mais nous ne le faisons pas pour les agences de notation. Nous le faisons pour les Français. Il est bon pour eux de rétablir les finances publiques. Laisser filer la dépense publique n'est pas une bonne réponse à la situation du pays. Nous pouvons débattre ensuite de la méthode à suivre ou des choix politiques que nous pouvons faire dans les années à venir. C'est tout l'objet de nos discussions. Au regard de ce qui nous attend et des efforts qui seront nécessaires, le débat est indispensable. En revanche, la nécessité de réduire notre niveau d'endettement par la réduction de la dépense n'est pas discutable. À partir du moment où la croissance se réduit partout en Europe, il faut réduire les dépenses.

Vous avez cité Raymond Barre, personnage éminemment honorable. Je partage moins l'idée qu'il y a eu des lendemains heureux à la suite de son gouvernement, car cela a conduit à l'élection de François Mitterrand...

Il faut rétablir les finances publiques avec fermeté, mais sans tomber dans les excès. Je prends toutes mes responsabilités. Nous avons rétabli les finances publiques lorsqu'il le fallait, puis dépensé pour protéger les Français face au covid et à l'inflation. Un rétablissement des finances publiques est à nouveau nécessaire. Je note, malicieusement, qu'entre votre majorité au Sénat et le groupe auquel vous appartenez à l'Assemblée nationale, il y a parfois des divergences notables...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et au sein de la majorité présidentielle ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - La majorité présidentielle a voté tous les budgets. De plus, la réforme des retraites est l'un des éléments clés du rétablissement des finances publiques. C'est en effet sur les retraites que la France marque le plus grand écart avec les autres pays européens en matière de dépenses sociales. La réforme des retraites vient réduire significativement cet écart. La majorité des sénateurs a voté en sa faveur. Cela n'a pas été le cas des députés de votre groupe à l'Assemblée nationale.

Vous avez proposé, courageusement d'ailleurs, l'augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), de zéro euro à 32 euros le mégawattheure. Nous l'avons, de manière moins brutale, augmentée à 21 euros. Or, cette décision a été vertement critiquée par le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale.

Je veux bien que chacun prenne ses responsabilités, mais cela vaut pour tout le monde.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous le faisons !

M. Bruno Le Maire, ministre. - J'en viens à l'accusation d'insincérité. En novembre 2023, la Commission européenne évaluait à 1,2 % la croissance de la France en 2024. Elle a modifié ses prévisions en février 2024, en la faisant passer à 0,8 % pour la zone euro. Nous avons corrigé nos prévisions de croissance à sa suite, comme l'ont fait le Fonds monétaire international (FMI), l'OCDE et tous les autres États de la zone euro, à commencer par l'Allemagne. Vous me dites que nous sommes insincères ou que nos prévisions sont toujours trop positives. Je rappelle qu'en 2023 les mêmes économistes que vous citez prévoyaient la récession pour la France.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ils parlaient d'un risque de récession, c'est différent.

M. Bruno Le Maire, ministre. - J'avais annoncé une prévision de croissance à 1 %. La France a finalement enregistré 0,9 % de croissance. Qui était le meilleur prévisionniste : ceux qui annonçaient un risque de récession ou le ministre de l'économie et des finances qui prévoyait 1 % ?

On ne peut donc remettre en cause la sincérité de nos prévisions de croissance. Quand il a fallu les corriger rapidement, nous l'avons fait. Et les 0,9 % de croissance enregistrés en 2023 prouvent que les prévisions de croissance du Gouvernement étaient plus proches de la réalité que celles de nombre de prévisionnistes et d'instituts internationaux.

J'en viens enfin à la méthode. Je suis prêt à toutes les évolutions qui permettront de rassembler le maximum de parlementaires, quels que soient les horizons politiques d'où ils viennent, pour sortir de l'addiction à la dépense publique et rétablir nos comptes.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - J'ai du mal à me retrouver dans certains mots du rapporteur général, alors que nous avons passé beaucoup de temps ensemble durant le débat sur le PLF pour 2024. Le Gouvernement n'a jamais témoigné de mépris à l'égard des propositions formulées par la majorité sénatoriale.

Nous avons eu des désaccords. Je ne pouvais pas vous laisser faire des économies en supprimant la mission « Cohésion des territoires » pour 19 milliards d'euros ou la mission « Administration générale et territoriale de l'État » pour 4 milliards d'euros ! Il y avait 40 milliards d'euros sur lesquels nous n'étions pas d'accord, car il ne s'agissait pas vraiment d'économies. Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur le rapporteur général, que vous nous avez proposé des économies formidables et faciles à mettre en oeuvre. Annuler des missions entières n'était pas crédible.

Concernant les prix de l'électricité, comme Bruno Le Maire l'a rappelé, nous avons pensé que vous alliez trop loin. Vous rétablissiez un chèque par ailleurs, ce qui ne correspondait pas à notre stratégie.

Nous augmentons la somme dévolue à MaPrimeRénov' à hauteur de 800 millions d'euros et nous nous attacherons à simplifier ce dispositif.

Je perçois aussi votre attachement aux lois de programmation, qui représentent notamment des effectifs supplémentaires d'agents publics. Mais lors de l'examen de la loi de programmation des finances publiques, vous vouliez supprimer 120 000 postes... Je veux bien que vous soyez désormais le garant de nos lois de programmation, mais il faut être cohérent.

Les schémas d'emplois ne sont pas remis en question, tant au ministère de l'intérieur qu'au ministère de la justice, au ministère des armées ou au ministère de l'éducation nationale. Les économies que nous faisons sur les masses salariales sont liées à des sous-exécutions de l'an passé. Nous tenons les engagements qui ont été pris.

Enfin, si le fonds vert n'est pas porté à 2,5 milliards d'euros, il est maintenu à hauteur de 2 milliards d'euros. C'est un effort inédit pour aider les collectivités territoriales à conduire la transition écologique. Nous tenons donc nos engagements.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous avons retrouvé, monsieur le ministre Bruno Le Maire, un peu provocateur lorsqu'il le faut. Quand ces provocations se font entre membres des Républicains, cela ne me gêne pas trop, je dois dire ! Quand on convoque le président Mitterrand, cela me gêne un peu plus...

Vous dites que vous avez réalisé un exploit en 2017, mais je rappelle que, sous François Hollande, le déficit public est passé de 5,2 % du PIB à 3 %. Le président Hollande y a d'ailleurs perdu par la même occasion la possibilité de se représenter...

M. Jean-Raymond Hugonet. - La mission « Médias, livre et industries culturelles » n'est pas touchée formellement par les économies annoncées ; toutefois, le ministère de la culture a indiqué qu'il financerait les économies sur la mission « Culture » par redéploiement. Quelques 20 millions d'euros sont ainsi annulés sur les 79 millions d'euros du nouveau programme créé dans le PLF pour accorder à l'audiovisuel public des financements conditionnés aux objectifs des contrats d'objectifs et de moyens (COM), que nous ne connaissions pas au moment où l'on nous demandait de voter ces crédits.

Vous nous dites qu'il faut « refroidir la machine ». Or la machine de l'audiovisuel public est en surchauffe permanente et croissante ! Lors de l'examen du PLF, nous vous avions proposé de geler les crédits. Nous ne connaissons toujours pas ces COM, la ministre de la culture ayant décidé de les mettre en suspens dans l'attente d'une réforme de l'audiovisuel public que nous appelons de nos voeux.

Pouvez-vous nous éclairer sur le financement de l'audiovisuel public, sur lequel nous naviguons à vue depuis longtemps ?

Mme Isabelle Briquet. - Messieurs les ministres, avec le coup de rabot, vous choisissez la contraction budgétaire sans vous préoccuper de ses conséquences économiques et sociales. Vous cherchez à maîtriser la dépense publique, en occultant totalement le volet des recettes fiscales. Vous avez fait de la baisse des impôts l'alpha et l'oméga de votre politique. Ne croyez-vous pas que cette obstination conduit dans une impasse ?

À titre d'exemple, la suppression de la taxe d'habitation coûte 23 milliards d'euros chaque année à l'État en compensation pour les collectivités locales, qui se trouvent par ailleurs privées d'un levier fiscal important. Vous avez donc appauvri à la fois l'État et les collectivités locales. Comptez-vous poursuivre dans cette voie, alors que les caisses de l'État manquent de recettes ?

Mme Christine Lavarde. - Si l'enveloppe d'autorisations d'engagement du fonds vert est maintenue en 2024 à son niveau de 2022, les crédits de paiement baissent de 430 millions d'euros. Ils sont décentralisés, à la main des préfets. En outre, 62 % de ces crédits qui ne sont pas annulés ont été mis en réserve de précaution. Il ne reste donc presque rien à dépenser en 2024 au titre du fonds vert.

Si, à première vue, la baisse des crédits du programme 113 de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » est assez faible - 46,8 millions d'euros dans un programme dont les crédits avaient augmenté de  237,5 millions d'euros -, je rappelle que la part la plus importante de cette progression découlait du transfert des financements de la Stratégie nationale biodiversité du programme 380, le Fonds vert, vers le programme 113. La baisse annoncée correspond, presque à l'euro près, à la hausse des crédits du programme hors transfert, de 43,5 millions d'euros, qui comprend un financement visant à équilibrer le budget de l'Office français de la biodiversité (OFB), une compensation des dégâts causés par le gibier et la mise en oeuvre d'une loi sur l'interdiction des animaux sauvages dans les cirques. Est-ce à dire que ces nouvelles politiques sont, elles aussi, annulées ?

J'en viens au programme 174 et à un appel à projets porté par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) sur l'écosystème des véhicules lourds électriques. Alors que les crédits avaient doublé en 2024, je crains que la politique de stop and go du Gouvernement ne gèle toute initiative d'investissement du secteur privé.

Enfin, la semaine dernière, la nouvelle politique immobilière de l'État a été présentée au Conseil de l'immobilier de l'État (CIE), dont je suis membre. Le Gouvernement a affiché son ambition d'une baisse de 25 % des surfaces dans les dix prochaines années. Or, dès que les réductions de dépenses que vous avez annoncées ont été imposées aux ministères, ces derniers ont commencé à supprimer les crédits de politique immobilière qui permettaient de moderniser leurs installations. Comment atteindre, dans ces conditions, vos objectifs ?

M. Pascal Savoldelli. - Monsieur Le Maire, j'ai pris de l'avance, en lisant l'entretien que vous avez accordé au journal Le Monde. Vous avez ciblé des économies sur les 5,7 milliards d'euros qui financent actuellement le transport médical de patients. Vous avez aussi déclaré que l'État devait prendre la main sur l'assurance chômage de manière définitive.

On peut être à la fois libéral et autoritaire. C'est ce que montre le décret d'annulation. Au début de l'examen du PLF, le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste-Kanaky (CRCE-K) avait pourtant dit que vos prévisions de croissance étaient insincères. Le déficit public pour 2023 dépassera les 4,9 % du PIB.

En politique, il y a certes de la communication, mais il y a aussi de l'action. Quelque 479 millions d'euros d'économies sont annoncés sur les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale. Ce sont 4 600 équivalents temps plein (ETP) d'AESH qui ne seront pas financés ! Les enseignants du premier degré vont rendre 2 620 postes, il y en aura 1 740 dans le second degré. En 2023, 2 280 classes ont été fermées. Nous devons regarder quels types d'activité ou de services à la population sont touchés par le décret d'annulation de 10 milliards d'euros.

Vous dites qu'un coup de rabot de 5 % sur les crédits de l'aide publique au développement est minime. Cependant, il faut voir de quoi l'on parle. C'est l'équivalent de l'aide bilatérale de la France à destination de l'Afrique de l'Est en 2022. Cela représente ce que la France consacre chaque année pour soutenir la santé dans les pays en développement. Les Français doivent comprendre ce que recouvrent réellement vos décisions.

Allez-vous agir uniquement par décret ou un débat aura-t-il lieu au Parlement autour d'un projet de loi de finances rectificative ? Nous méritons au moins cela. C'est le respect minimum dû à l'Assemblée nationale et au Sénat.

M. Grégory Blanc. - Je vous ai beaucoup entendu parler d'économies, moins de la stratégie budgétaire à déployer dans la durée au regard des mutations du monde, notamment le réchauffement climatique. La fiscalité devra s'adapter à la hausse des températures. Un récent rapport de la direction générale du Trésor annonçait une baisse des recettes de l'État, en lien avec la transition énergétique, de 13 milliards d'euros d'ici à 2030. Mécaniquement, des hausses d'impôt sont donc à prévoir dans d'autres domaines. Par quoi cette baisse sera-t-elle compensée ?

Comment comptez-vous financer la hausse nécessaire des budgets dans les territoires pour faire face à cette hausse des températures ? Il faudra réduire les déficits, endiguer la hausse des taux d'intérêt et accompagner les acteurs. Or aucune loi de programmation pluriannuelle pour la transition écologique n'est annoncée. Comment sanctuariser, dans ces conditions, les budgets nécessaires pour adapter notre pays à cette nouvelle donne ? La transition écologique sans accompagnement, c'est la multiplication des normes. Nous avons vu le résultat d'une telle multiplication, récemment, dans le secteur agricole.

Il faut repenser nos normes, définir des budgets inscrits dans la durée et donner de la visibilité aux acteurs. Les entreprises savent que le monde change et que la fiscalité devra s'adapter. Nous devons leur dire comment nous concevons cette évolution dans les cinq à six ans à venir.

M. Emmanuel Capus. - La mission « Travail et emploi » est la deuxième mission la plus touchée par le décret d'annulation, 1,1 milliard d'euros d'économies étant prévus. Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) fera l'objet de 150 millions d'euros d'annulation. Nous avions voté un amendement en ce sens lors de l'examen du PLF. Nous avions aussi appelé de nos voeux, par ce même amendement, une diminution de la participation au PIC de France compétences. Cela fait-il également partie des pistes envisagées ?

Au-delà des mesures annoncées - réduction des coûts-contrats des centres de formation d'apprentis (CFA), introduction d'un reste à charge sur la mobilisation du compte personnel de formation (CPF) -, quelles sont les autres pistes envisagées ? Nous avions suggéré de recentrer l'aide aux employeurs d'apprentis sur les formations à bac+ 2 et les PME, soit une économie de 700 millions d'euros.

M. Hervé Maurey. - Si je partage votre constat, monsieur Le Maire, sur la nécessité de remédier à l'excès de dette publique, je note que vous semblez découvrir cette situation, comme si vous aviez été nommé au Gouvernement il y a quinze jours. Je rappelle que les lois de finances ont été adoptées par la mobilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, que vous avez refusé les mesures d'économies que nous proposions et que le Haut Conseil des finances publiques a toujours considéré vos prévisions comme optimistes. Comment se fait-il que vous ayez eu une illumination sur le sujet entre 2023 et 2024 ?

Je suis surpris par ailleurs de voir des secteurs pourtant présentés comme prioritaires par le Gouvernement soumis à un sérieux coup de rabot : l'écologie, l'éducation ou le logement. La baisse du fonds vert affectera fortement la transition écologique dans nos territoires. La baisse des crédits du plan France Très Haut Débit est un mauvais coup porté à l'achèvement de la couverture numérique du territoire.

Quelles sont vos intentions quant à l'effort demandé aux collectivités locales ?

Annoncer sans arrêt des baisses d'impôt et des dépenses nouvelles, est-ce cohérent avec l'objectif que vous avez réaffirmé ce soir ?

M. Christian Bilhac. - « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s'abandonnent », disait Pierre Mendès France. Monsieur Le Maire, vous aviez annoncé 15 milliards d'euros d'économies en août dernier. Or en définitive, celles-ci ne se sont pas confirmées !

Il existe peut-être trop de strates en France ; cependant, les régions, comme les intercommunalités ou les communes, votent toutes des budgets en équilibre. Elles ne sont donc pas responsables de la situation actuelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Eh non !

M. Christian Bilhac. - Le seul responsable, c'est l'État.

Vous avez regretté que la santé soit financée uniquement par ceux qui travaillent. Vous avez raison, il s'agit d'un bien commun. Dans ce cas, je vous prends au mot : nationalisons la santé !

Envisagez-vous de supprimer des ministères ou des opérateurs ? Aujourd'hui, l'État veut tout faire. Qu'il assure les missions régaliennes comme il faut, le reste des tâches étant confié aux collectivités locales. Quand on fait tout, monsieur le ministre, on fait tout mal.

M. Stéphane Sautarel. - L'évolution du PIB depuis trois ans, mise en regard de la quantité d'argent public mobilisée durant la même période, suscite des interrogations. Nous nous glorifions d'une croissance meilleure que celle de nos voisins, mais ne s'est-elle pas faite au prix d'une dépense publique excessive ?

Après le coup de rabot de 10 milliards d'euros qui vient d'être décidé, je doute de notre capacité à respecter les lois de programmation sectorielles, d'autres économies n'ayant pas été réalisées par ailleurs quand elles auraient dû l'être. L'objectif d'un déficit public à hauteur de 4,9 % du PIB en 2023, inscrit dans la loi de programmation des finances publiques, ne sera pas tenu. La crédibilité de ces lois de programmation pluriannuelle en pâtit.

Des questions se posent également lorsque l'on constate l'écart qui sépare le niveau élevé de notre dépense publique et l'absence d'efficacité de celle-ci. L'État est omnipotent et impuissant. Les collectivités locales ne sont en rien responsables du déficit et leur part dans la dette publique est raisonnable et limitée. Or ce sont elles qui soutiennent nos services publics de proximité et l'investissement public. Comment entendez-vous les appeler à participer à l'effort d'économie que vous souhaitez réaliser ?

M. Dominique de Legge. - Messieurs les ministres, nous vous avons entendu expliquer tout à l'heure devant nos collègues députés que le décret d'annulation serait moins douloureux qu'il y paraît, car il porte sur les crédits mis en réserve. Or la réserve de précaution a été fortement renforcée, notamment sur les programmes ne faisant pas l'objet d'annulations de crédits. Ainsi, on enregistre 548 millions d'euros de réserve sur la mission « Défense ». On ne peut donc pas dire que le décret serait indolore.

Les nouveaux surgels ont-ils vocation à être annulés ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Tout le monde devra contribuer. On ne peut opposer le méchant État aux gentilles collectivités locales, comme si celles-ci n'avaient aucune responsabilité. Celles-ci augmentent leurs dépenses, qui sont compensées par l'État au moyen de subventions directes ou de taxes affectées, comme la TVA, dont les recettes ne cessent de diminuer pour l'État au profit des collectivités locales.

Je suis ouvert au débat, il faut que j'ai en face de moi des personnes qui acceptent de débattre.

J'ai créé un Haut Conseil des finances publiques locales, lieu de débat rassemblant notamment la Cour des comptes, le ministre de l'économie et des finances, le ministre des comptes publics et des parlementaires. Or, cela fait six fois que je fais des propositions de date aux représentants des collectivités locales pour une réunion et six fois qu'ils me répondent que c'est impossible. Je proposerai une septième date. J'espère que les représentants des collectivités locales accepteront de débattre avec nous.

Monsieur Bilhac, vous avez évoqué la possibilité de supprimer des ministères ou des opérateurs. Cela ne me pose aucun problème. Nous pourrions également étudier la possibilité de simplifier les strates locales, entre communes, communautés de communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou régions. Je suis prêt à avoir ce débat, car l'accumulation de strates administratives, nationales comme locales, a un coût vertigineux.

Je proposais effectivement 15 milliards d'euros d'économies à l'été 2023. Nous en avons réalisé 16 milliards en sortant des boucliers tarifaires. Je suis prêt à aller plus loin.

Monsieur Maurey, je ne découvre pas la situation. Cela fait deux ans que je dis que nous sommes à l'euro près, que la cote d'alerte est atteinte et qu'il faut prendre les décisions nécessaires. C'est la raison de la fin des boucliers tarifaires. Les collectivités locales doivent participer, mais cela ne peut se faire qu'au moyen d'un débat entre nous. Nous avons pris la responsabilité, en urgence, de traiter les dépenses de l'État. Les collectivités locales doivent accepter ce débat dans le cadre du Haut Conseil des finances publiques locales.

Monsieur Grégory Blanc, la question de la stabilité fiscale est essentielle. Je ne dévierai pas de la ligne politique qui consiste à refuser la facilité d'augmenter les impôts. Nous avons le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de tous les pays développés. Il serait irresponsable de céder à cette facilité. En réalité, l'augmentation des impôts masque un manque de courage pour réduire les dépenses. Ce masque, je veux le faire tomber.

En revanche, je suis prêt à modifier notre fiscalité pour qu'elle soit plus verte. C'est loin d'être facile. Nous y sommes parvenus pour le gazole non routier (GNR), à l'issue d'un an de travail et d'un accord passé avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). Il a fallu faire bouger les lignes, même si je salue la responsabilité du secteur du bâtiment et des travaux publics qui a accepté de maintenir une augmentation de la fiscalité sur le GNR pour favoriser la transition écologique. Il est donc indispensable de verdir notre fiscalité, en conservant le même niveau de prélèvements, mais en les affectant différemment pour que les énergies fossiles soient davantage taxées que les énergies décarbonées.

J'ai saisi le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) pour étudier quelles seraient les réponses appropriées à la baisse de recettes de la TICPE liée à la moindre consommation des énergies fossiles et à l'électrification du parc de transport français.

Enfin, et je me suis battu personnellement pendant sept ans pour y parvenir, nous avons obtenu des résultats en matière de fiscalité internationale pour la taxation des géants du numérique qui nous rapporte 1 milliard d'euros par an. Nous avons fait front, avec le Président de la République, contre les menaces de Donald Trump, contre les augmentations de tarifs douaniers. Nous avons tenu contre vents et marées, là où presque tous nos partenaires européens nous ont lâchés. Nous étions partis courageusement en 2017, avec les Italiens, les Allemands et les Britanniques, pour instaurer une taxation sur les géants du numérique. Donald Trump a brandi la menace d'une taxation en retour. Seule la France a tenu bon et, la première, a mis en place une taxation sur les géants du numérique. C'était une question de justice et d'efficacité. Je ne peux pas accepter qu'une PME de 150 salariés paye ses impôts quand Google ne les paye pas.

La France a proposé par ailleurs une taxation minimale sur les bénéfices des sociétés et s'est battue au sein de l'OCDE pour son instauration. C'est un technicien français, Pascal Saint-Amans, qui a rédigé tous les textes fiscaux correspondants. Je lui rends hommage, car, grâce à sa ténacité, il n'y a plus d'évasion fiscale possible pour les grandes multinationales qui exercent leurs activités en France, mais payaient jusqu'alors leurs impôts en Irlande. Une taxation minimale s'appliquera donc en 2025 pour l'impôt sur les sociétés, qui rapportera 1,5 milliard d'euros en 2026.

J'irai plus loin : je suis déterminé à mettre en place une taxation minimale des personnes les plus riches pour mettre fin à l'optimisation fiscale. Je souhaite que ce soit l'Union européenne qui ouvre la voie sur ce sujet, par souci de justice, d'équité et d'efficacité.

Il faut donc verdir notre fiscalité et proposer une nouvelle fiscalité internationale, plus juste et plus efficace, dans le prolongement de ce que nous avons déjà réalisé.

Monsieur Savoldelli, vous me dites libéral et autoritaire. Les deux termes qui vont plutôt ensemble sont les adjectifs « communiste » et « autoritaire ». Je vous retourne donc le compliment.

Je persiste et signe sur l'assurance chômage. Notre système d'assurance chômage est l'un des plus généreux des pays développés. Quelque dix-huit mois d'indemnisation peuvent être obtenus au bout de deux ans de cotisations. Aucun autre pays développé n'offre des conditions aussi généreuses. Il me paraît donc nécessaire de poursuivre la réforme de l'assurance chômage.

Nous pouvons avoir un débat à ce sujet, mais vous ne pouvez pas me reprocher de manquer de clarté. La responsabilité des chômeurs revient à l'État, celle des salariés aux partenaires sociaux. Je suis prêt à ce que ces derniers présentent davantage de propositions sur la participation des salariés à la réflexion sur la gestion et l'avenir de leurs entreprises. En revanche, tout ce qui a trait à l'accompagnement des chômeurs ou au traitement du revenu de solidarité active (RSA) - sur la base des propositions sénatoriales - incombe à l'État. La nation française a besoin de clarté. Chacun doit exercer ses responsabilités, c'est ainsi que nous ferons avancer le pays.

Je n'ai pas décidé de cibler des économies sur les 5,7 milliards d'euros portant sur le transport médical par autoritarisme ou parce que cela me fait plaisir. J'ai vu des chefs de service, directeurs d'hôpitaux, responsables de services d'urgences qui en ont assez de signer des bons de transport pour des personnes parfaitement capables de payer leur transport et qui se disent que cet argent jeté par les fenêtres serait plus utile pour acheter un scanner.

M. Pascal Savoldelli. - Moi, je n'ai jamais vu autant de riches !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je n'ai jamais vu autant de personnes utiliser les transports médicaux, alors que ce n'est pas nécessaire. Ayons ce débat !

M. Pascal Savoldelli. - Le problème, ce sont donc les patients qui prennent des transports médicaux ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ne caricaturez pas mes propos. Vous me reprochez de proposer une économie sur ce point. Je vous réponds, avec le même enthousiasme et la même fermeté que vous.

M. Pascal Savoldelli. - Vous divisez les gens !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne divise personne !

M. Pascal Savoldelli. - Vous ne pouvez pas dire que cette économie sur le transport médical des patients réglera les problèmes de notre société. Nous pouvons avoir des différends, mais vous ne pouvez pas faire cela.

M. Claude Raynal, président. - Poursuivez, monsieur le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. - J'ai écouté la tirade de M. Savoldelli, sans dire un mot.

M. Pascal Savoldelli. - Il n'y avait pas de provocation.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous m'avez traité de libéral et d'autoritaire, ce n'est pas de la provocation ?

M. Pascal Savoldelli. - Je n'ai pas dit comme vous que l'État était une pompe à fric.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Si aucune économie n'est possible, sur aucune dépense se chiffrant à 5, 10 ou 15 milliards d'euros par an, abandonnons l'objectif de parvenir à l'équilibre des comptes publics.

Je ne fais pas partie, et vous non plus d'ailleurs, de ceux qui affirment que c'est en réglant le problème de l'aide médicale de l'État (AME) que nous réglerons le problème de la dépense sociale en France. En revanche, j'ai écouté les personnels hospitaliers.

Mme Isabelle Briquet. - Combien ? Et pour quelle économie ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous ne ferons jamais 5 milliards d'euros d'économies brutalement, d'un jour à l'autre, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières. C'est en étant plus exigeant sur chaque dépense, y compris la dépense sociale et, en l'occurrence, les transports médicaux, que nous parviendrons à l'équilibre des comptes publics.

Je persiste et signe, sans aucun autoritarisme, mais avec beaucoup de conviction.

Vous me dites par ailleurs que nous supprimons des postes. On recense 60 000 postes de fonctionnaires supplémentaires en 2023. C'est la réalité ! Sur chacun des points que j'ai indiqués, des économies sont possibles. Les prochaines économies seront débattues, car elles feront l'objet de projets de lois de finances, rectificatives ou non. Toutes les économies que je viens de mentionner sont mises sur la table pour le débat.

Il y a une revue de dépenses publiques qui porte sur les transports médicaux. Elle a été choisie par le Gouvernement, conformément à la Lolf, et sera débattue avec les parlementaires. Nous prendrons ensuite une décision pour le PLF 2025. M. Savoldelli, vous êtes convaincu qu'il n'y a pas d'économies à faire sur ce sujet. Je suis convaincu du contraire. Débattons-en, c'est la démocratie. Il n'y a aucun autoritarisme là-dedans.

Madame Lavarde, les dépenses relatives au fonds vert que vous avez citées sont intéressantes - animaux dans les cirques, pistes cyclables, etc. - car elles touchent précisément à ce que je dis sur l'État « pompe à fric ». Ce n'est pas ce que je veux.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est vous qui les avez proposées !

Mme Christine Lavarde. - C'est incroyable !

M. Bruno Le Maire, ministre. - À un moment donné, il faut refroidir la machine, et accepter de revenir sur certaines dépenses. Nous avons engagé des aides pour les collectivités locales dans le cadre du fonds vert. Or, les recettes ayant diminué, nous devons réduire les dépenses. Cela me paraît vertueux et nécessaire.

Soit nous voulons rétablir les comptes publics, et il faut avoir le courage de refroidir la machine sur certaines dépenses, soit nous n'y arriverons pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Deux mois après avoir dit le contraire ?

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Sur l'audiovisuel public, vous êtes allés plus loin que nous lors du débat sur le PLF, en supprimant le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

Tout le monde doit contribuer, y compris l'audiovisuel public, aux efforts qui sont demandés. Nous annulons donc 20 millions d'euros au titre du programme de transformation. Ce n'est pas rien. La ministre de la culture a annoncé des réformes, que je lui laisserai le soin de présenter.

Madame Lavarde, le fonds vert conserve le même étiage que l'année dernière, à hauteur de 2 milliards d'euros.

Mme Christine Lavarde. - En autorisations d'engagement (AE) !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Cela reste un effort considérable à destination des collectivités territoriales. Ce dispositif n'existait pas auparavant.

Tous les engagements de 2023 qui peuvent avoir un impact en 2024 seront tenus. Un travail de reprogrammation est en cours, y compris sur la réserve.

Sur la politique immobilière de l'État, je n'ai pas la même analyse que vous. Réduire les dépenses de fonctionnement des ministères est la meilleure incitation pour ces derniers à chercher des économies sur une partie de leurs surfaces. L'État paye 2 milliards d'euros de loyers par an. Il est possible de libérer des locaux loués ou d'en vendre. L'effort demandé à tous les services de l'État accélérera en réalité le programme de réduction des surfaces.

Je veux aussi rassurer M. Savoldelli, nous ne remettons pas en cause le schéma d'emplois du ministère de l'éducation nationale. Les dépenses de personnel visées par le décret d'annulation sont calées sur la sous-exécution que nous avons constatée en 2023. Je confirme par ailleurs que 2 500 ETP seront recrutés en 2024. Les engagements seront tenus.

Monsieur Grégory Blanc, nous aurons à débattre de manière plus globale de la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, au-delà des aspects fiscaux.

Monsieur Capus, la mission « Travail et emploi » contribue à l'effort, à hauteur d'un peu plus de 1 milliard d'euros. Nous demandons un effort sur le CPF avec un reste à charge. La ministre Catherine Vautrin précisera les modalités concrètes du forfait qui sera appliqué sur ce point. Un travail est conduit par le ministère pour identifier les économies qui seront réalisées au sein du programme d'investissement dans les compétences.

Il est important pour nous de laisser les ministres responsables de leurs programmes. Nous n'allons pas définir par le menu ce que nous allons faire, ligne par ligne, action par action. Les ministres participent à l'effort collectif.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons vu ce que cela donnait !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Nous nous sommes mis d'accord sur quelques objectifs de politique publique. Je vous réponds, ainsi nul ne pourra dire que nous aurons méprisé le Sénat. Je n'accepte pas cette critique.

Monsieur Maurey, les 117 millions d'euros d'annulation relatifs au financement du très haut débit sont liés à une reprogrammation technique en fonction de l'avancement des projets. Ils ne conduisent pas à revoir le plan de déploiement.

Monsieur Bilhac, le maire de Charleville-Mézières, Boris Ravignon, s'est vu confier une mission par Dominique Faure et moi-même sur le coût de l'enchevêtrement des normes et des responsabilités entre les collectivités territoriales, l'État et ses opérateurs.

M. Christian Bilhac. - Et des compétences ! Car tout le monde fait tout !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Je vous invite à l'auditionner. Nous perdons beaucoup d'argent dans notre organisation collective, alors que nous pourrions être plus efficaces.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Exactement !

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Le respect des lois de programmation - loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), loi de programmation militaire (LPM), loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) - est par ailleurs fondamental. Nous ne remettons pas en question les recrutements dans les ministères régaliens, ni dans la recherche, et nous sanctuarisons les enveloppes d'investissement pour les armées.

Voyez notre débat : nombre d'interventions visaient à s'assurer que nous n'allions pas réduire la dépense publique sur plusieurs missions que vous jugez prioritaires. Nous touchons ici à la difficulté de l'exercice de réduction de la dépense publique.

Monsieur de Legge, un surgel a effectivement été pratiqué. La réserve de précaution a été ramenée à un peu plus de 10 milliards d'euros le 26 février. Ce travail s'inscrit dans la reprogrammation budgétaire en cours.

M. Thierry Cozic. - L'annulation de crédits que vous avez actée trahit une gestion profondément court-termiste, à contre-courant de ce que l'histoire nous a enseigné. Depuis 2008 et la crise des dettes souveraines, nous savons qu'en période de croissance faible une telle mesure d'austérité - même si le terme vous déplaît - ne fait qu'accentuer les effets récessifs. Vous vous prétendez le chantre de la défense économique de notre pays. Je ne vois pas comment ce choix, pris contre toute logique économique et alors que le chômage augmente de nouveau, pourrait produire des effets positifs.

Après avoir endetté la France de plus de 800 milliards d'euros, ce qu'aucun gouvernement précédent n'a fait, dont seulement 140 milliards d'euros sont imputables à la crise sanitaire, vous faites le choix de l'austérité imposée par la trajectoire européenne. Dans le même temps, les marchés financiers atteignent de nouveaux records et la hausse des impôts des plus aisés reste à vos yeux chimérique.

Nous assistons à un non-sens économique et budgétaire, marqué par une constante : votre volonté de désarmer fiscalement notre pays. Près de 250 milliards d'euros de recettes fiscales ont été supprimés en six ans.

L'austérité n'est pas une fatalité, c'est un choix politique. Les temps à venir s'annoncent difficiles. Quel message envoyez-vous à nos concitoyens, en désarmant ainsi, par gros temps, des secteurs d'avenir comme l'écologie, la recherche et l'éducation ?

M. Olivier Paccaud. - Alors que l'école est, selon Gabriel Attal, la mère des batailles et une priorité absolue, un coup de rabot de 692 millions d'euros est prévu. Vous avez dit que ces crédits supprimés correspondaient à la sous-exécution des dépenses de personnel. Cela signifie que l'on n'a pas réussi à recruter, notamment pour les AESH. Mais pourquoi n'en avez-vous pas tenu compte au moment du vote du budget ? Nous avions alors présenté un amendement de « sincérisation », ayant pour objet une baisse de 600 millions d'euros sur la gestion des personnels, car nous constations depuis plus de dix ans une sous-consommation des crédits sur cette ligne. Or cette suggestion a été rejetée avec mépris, comme 80 % de ce qui avait été voté au Sénat.

La prise en charge des AESH sur la pause méridienne annoncée par le Premier ministre est une bonne chose, mais elle constitue une dépense supplémentaire. Il en va de même pour le renforcement des moyens consacrés à la médecine scolaire ou l'instauration des groupes de niveau. Vous annoncez de nouvelles dépenses depuis le 12 janvier dernier. Que de contradictions ! On n'y comprend plus rien.

M. Antoine Lefèvre. - Quelques 328 millions d'euros sont annulés dans la mission « Justice », soit plus de 50 % de la hausse des crédits que nous avons votée entre 2023 et 2024, en accord avec la loi de programmation.

Le budget de la justice s'inscrirait donc en deçà des propres engagements du Gouvernement. Comment le justifiez-vous ? Le garde des sceaux, M. Éric Dupond-Moretti, disait à l'automne dernier : « Le budget 2024 respecte à la lettre la trajectoire de la loi de programmation, conformément à l'engagement du Président de la République et à la volonté de la Première ministre, grâce au soutien du ministre délégué chargé des comptes publics. » Deux mois plus tard, le garde des sceaux doit regretter votre soutien, monsieur Cazenave... J'aurai l'occasion de l'interroger sur cette annulation de crédits.

M. Rémi Féraud. - Je voudrais évoquer la mission « Action extérieure de l'État ». Il y a deux ans, face aux crédits décevants prévus pour le ministère des affaires étrangères dans le premier projet de loi de programmation des finances publiques, un mouvement important a eu lieu au Quai d'Orsay. Il a été suivi des États généraux de la diplomatie et d'engagements pris par le Président de la République, qui ont été traduits dans une nouvelle trajectoire, plus favorable, de programmation des finances publiques, dont le budget pour 2024 a tenu compte, en prévoyant près de 300 millions d'euros d'augmentation. Or, deux mois après, l'essentiel de cette augmentation est annulé.

Les engagements du Président de la République de réarmement de notre diplomatie au cours du quinquennat sont-ils toujours valables ou sont-ils déjà abandonnés ?

Par ailleurs, comment pouvez-vous justifier l'annulation de la suppression de la niche fiscale sur les meublés touristiques, qui a été estimée à 330 millions d'euros par la Cour des comptes en 2023, alors même qu'elle est inscrite dans la loi de finances ? C'est incompréhensible, incohérent et illisible. Êtes-vous prêts à renoncer à ce non-respect de la loi de finances promulguée ?

M. Laurent Somon. - Dans son discours du 7 décembre 2023 prononcé devant la communauté de la recherche, le Président de la République a affirmé que la recherche et la science étaient « une priorité du pays, encore plus aujourd'hui qu'hier », tout en prenant l'engagement de « continuer à donner plus de moyens » à la recherche et en se portant garant de cette promesse. Moins de trois mois après ce discours, le plan d'économies de 10 milliards d'euros que vous présentez fragilise déjà les engagements présidentiels.

En effet, la réduction de 685 millions d'euros que vous proposez sur les programmes budgétaires 172, 190 et 193 excède les 4 % de mise en réserve de précaution. Dans quels domaines allez-vous demander aux opérateurs de recherche de ralentir leurs activités ?

Ces coupes budgétaires, que la rédaction de la revue de référence Nature qualifie d'« incompréhensibles », sont d'autant plus graves qu'elles aboutissent à ne pas respecter la trajectoire de la LPR que nous avons votée en décembre 2020. Pour ne citer que le programme 172, force est de constater que le niveau des crédits ouverts pour 2024 après votre plan d'économies s'établira à 7,8 milliards d'euros, soit 200 millions d'euros de moins que l'objectif fixé par la LPR. La trajectoire fixée est-elle donc caduque ? Prévoyez-vous de passer par le Parlement pour l'actualiser ?

Je m'interroge également, messieurs les ministres, sur le financement de la recherche spatiale. Dans les documents qui nous avaient été transmis à l'automne, il était indiqué que la contribution française à l'agence spatiale européenne (ESA) atteindrait 1 milliard d'euros en 2024. Or votre coupe budgétaire de 190 millions d'euros sur le programme 193 représente une diminution de plus de 20 % de la subvention propre du Centre national d'études spatiales (Cnes). Alors que l'accès souverain de l'Europe à l'espace est déjà remis en cause par les retards du programme Ariane 6, pourriez-vous détailler les domaines dans lesquels vous allez demander au Cnes de ralentir ou de reporter ses programmes de recherche ?

Enfin, afin de vous aider à bâtir des budgets à l'équilibre, nous sommes tout à fait prêts à cosigner une lettre demandant au Président de la République de ne pas annoncer des dépenses supplémentaires vous mettant en porte-à-faux à chacune de ses sorties !

M. Raphaël Daubet. - S'agissant de l'aide publique au développement, Michel Canévet et moi-même avions, lors de l'examen du PLF pour 2024, déposé un amendement visant à réaliser une économie de 200 millions d'euros. La ministre de l'Europe et des affaires étrangères avait alors émis un avis défavorable et indiqué qu'une baisse était « impossible et déstructurerait totalement » la mission. Comment expliquez-vous le revirement du Gouvernement sur les crédits de l'aide publique au développement ? Pourriez-vous préciser les dépenses qui pourraient être affectées par les économies à réaliser ?

Pour ce qui est de l'apprentissage déjà évoqué par M. Capus, le spectre d'une nouvelle coupe dans les financements des CFA suscite de vives inquiétudes chez les élus locaux et chez les artisans, en particulier dans le Lot. Depuis 2018, la politique d'alternance a été très volontariste et a porté ses fruits, même si je n'ignore pas son impact sur les finances publiques. J'imagine que vous ne souhaitez pas enrayer cette dynamique, mais avez-vous obtenu, de la part du ministère du travail, l'assurance que les nouvelles baisses de dotation n'affecteront pas les CFA de l'artisanat ?

Mme Ghislaine Senée. - J'allais justement évoquer les économies annoncées sur la mission « Travail et emploi », dont l'introduction d'un reste à charge pour la mobilisation du CPF. Lesdites économies n'auront pas d'impact sur le budget de l'État, mais sur celui de France compétences, organisme qui accusait déjà un déficit de 2,1 milliards d'euros : comment réussirez-vous à faire des économies sur une structure elle-même déjà déficitaire ?

Vous évoquiez par ailleurs les nécessaires choix de politiques publiques : visez-vous toujours le plein emploi ? À quelle échéance pensez-vous pouvoir ramener le taux de chômage à 5 % ?

Pour ce qui est du débat autour de la notion d'austérité, vous nous aviez déjà indiqué, monsieur Cazenave, qu'elle correspondait à la baisse des salaires et des pensions et à une forte dégradation des services publics. Peut-être faut-il vous rappeler que la non-indexation des salaires et des retraites aboutit à cette même diminution et que nos services publics sont en grande souffrance, afin de vous démontrer que la formule « cure d'austérité » n'a rien de galvaudée.

Enfin, vous nous expliquez que jamais la France n'a autant investi dans la transition écologique, ce qui est heureux compte tenu de l'urgence. Cependant, à force d'économies dans ce domaine, quel scénario de réchauffement climatique retiendrez-vous ? Celui à deux degrés, trois degrés ou quatre degrés ? Les services de l'État s'appuient sur le dernier d'entre eux, synonyme d'importants impacts sur les collectivités et les Français. Comment pouvez-vous donc, en toute sincérité, prendre l'engagement d'un retour à l'équilibre des comptes publics en 2032, alors même que nous connaissons l'impact des aléas climatiques sur nos finances ?

M. Éric Jeansannetas. - La mission « Sport, jeunesse et vie associative » subit une coupe de 180 millions d'euros, sans affecter les jeux Olympiques et Paralympiques. En revanche, le programme 163 « Jeunesse et vie associative » se voit amputer de 129,5 millions d'euros, soit 14,4 % des crédits. Or il s'avère que cette baisse affectera un dispositif qui a donné toute satisfaction, à savoir le service civique.

La commission des finances avait proposé une augmentation de l'indemnisation des jeunes afin de rendre le dispositif plus attractif, et constaté que la trésorerie de l'agence dédiée était importante. Il nous avait alors été expliqué que cette trésorerie justifiait un gel des crédits, désormais accompagné d'une nouvelle coupe budgétaire. La trésorerie commençant sans doute à s'épuiser, l'objectif des 150 000 jeunes accomplissant un service civique sera-t-il atteint ? Je rappelle que le dispositif bénéficie à la vie associative, culturelle et sportive des territoires.

M. Albéric de Montgolfier. - Vous êtes rattrapés non seulement par la diminution des recettes fiscales, mais aussi par la révision des règles européennes. Aujourd'hui, trouver 10 milliards d'euros est déjà douloureux : comment allez-vous trouver 20 milliards d'euros supplémentaires ?

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Vous avez indiqué que le déficit pour 2023 serait significativement supérieur à 4,9 % du PIB : pourriez-vous préciser à quel point ?

Par ailleurs, vous avez évoqué avec emphase le fait que l'augmentation des impôts était le masque du manque de courage pour réduire les dépenses, et que vous souhaitiez le faire tomber. Permettez-moi de faire tomber un masque à mon tour : en 2016, dernière année de la présidence de François Hollande, le taux de prélèvements obligatoires s'élevait à 47,6 % du PIB, contre 48 % aujourd'hui : comment l'expliquez-vous ?

Enfin, je m'étonne de votre annonce selon laquelle l'État devrait prendre définitivement la main sur l'assurance chômage, alors que les partenaires sociaux ont toujours fait preuve de responsabilité dans leur gestion, y compris en 2017, lorsque vous souhaitiez contraindre l'assurance chômage à indemniser largement les salariés démissionnaires aux côtés des chômeurs.

La gestion des finances publiques par l'État est-elle à ce point exemplaire qu'il faille l'étendre à l'Unédic ? Je rappelle que vous avez déjà prévu de ponctionner l'assurance chômage à hauteur de 12 milliards d'euros d'ici à 2027, somme à laquelle il faut ajouter 18 milliards d'euros au titre de l'indemnisation du chômage partiel, pour des dépenses annuelles de l'Unédic d'environ 45 milliards d'euros.

Faire ainsi les poches de l'assurance chômage compromet non seulement la capacité de désendettement de l'Unédic, mais aussi le rôle contracyclique de l'assurance chômage - auquel vous sembliez pourtant tenir l'année précédente afin de réduire la durée d'indemnisation des chômeurs - au détriment des entreprises cotisantes et des salariés qui perdront leur emploi.

Prétendre que notre régime est le plus généreux au monde n'est pas audible : si la durée d'indemnisation est relativement longue, nous ne nous situons pas dans le peloton de tête en matière d'indemnisation. En réalité, les ponctions sur l'Unédic que vous envisagez, sans aucunement réduire les ponctions sur le travail, reviennent à détourner de leur usage des sommes toujours plus importantes afin de combler un déficit de l'État que vous ne parvenez pas à maîtriser. L'arrêté du 27 décembre 2023, qui a fixé les montants des ponctions sur l'Unédic jusqu'en 2027, sera-t-il actualisé ?

Mme Frédérique Espagnac. - Vous prévoyez l'annulation de 25 % des crédits de paiement sur le plan France Très Haut Débit, une proportion qui ne peut selon être moi assimilée à une économie de fonctionnement. Le choix de réduire les crédits de ce plan est contestable, alors même qu'il existe de sérieux doutes sur l'atteinte des objectifs de couverture intégrale du territoire par la fibre optique en 2025.

Comment l'État compte-t-il honorer les engagements pris auprès des porteurs de projets dans le cadre du plan ? Au regard de l'importance de l'accompagnement des collectivités locales par l'État pour déployer la fibre optique sur l'ensemble du territoire, le circuit de financement doit être particulièrement clair.

De la même manière, l'annulation de plus de 170 millions d'euros sur le programme 134, qui finance notamment le fonctionnement de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCRRF), excède le taux de 4 % de mise en réserve des crédits, ce qui impliquerait de renoncer à certaines dépenses pourtant présentées comme essentielles ces dernières semaines.

Votre position consiste d'habitude à renvoyer la responsabilité aux autres ministères, mais vous êtes en l'espèce directement concernés : pouvez-vous nous indiquer les mesures d'économies pour réduire le budget de fonctionnement de Bercy ? De manière plus prospective et globale, faut-il s'attendre à une pérennisation de ces économies pour les ministères et leurs agents ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Le ministère dont j'ai la responsabilité est celui qui a le plus contribué à la réduction de la dépense, notamment en termes de réduction du nombre d'emplois publics.

De manière générale, si je comprends que chacun défende le périmètre de sa mission, je crains que nous n'arrivions jamais à réaliser d'économies, sauf à employer la hache proposée par M. le sénateur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons le droit d'interroger les ministres comme nous l'entendons afin de comprendre vos orientations !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je tâche de répondre calmement à l'ensemble de vos interrogations, en rappelant que nous devons fournir un effort collectif. Je propose que nous débattions le plus largement possible des revues de dépenses publiques, afin d'identifier les pistes d'économies qui vous semblent les plus utiles et les plus nécessaires : nous avons six mois devant nous.

Madame Carrère-Gée, la légère diminution du taux de prélèvements obligatoires à l'oeuvre n'est effectivement pas à la hauteur des baisses d'impôts - d'environ 50 milliards d'euros - que nous avons engagées. Il s'agit en effet d'un processus vertueux : plus le taux de l'IS diminue, plus les recettes augmentent, à la condition que la croissance soit élevée. Par ailleurs, nous avons créé 2 millions d'emplois qui ont généré des cotisations sociales intégrées au taux de prélèvements obligatoires.

Cette méthode représente à mes yeux la voie à suivre pour la nation française : des emplois plus nombreux et une activité plus dynamique des entreprises génèrent davantage de recettes fiscales pour l'État, permettant au pays d'emprunter le chemin de la croissance et de la prospérité. L'alternative consistant à taxer davantage les personnes comme les entreprises doit être définitivement écartée.

Concernant le chômage, je n'ai jamais critiqué le montant des allocations, mais évoqué la durée de l'indemnisation. Enfin, pour ce qui est des relations entre l'Unédic et l'État, je ne critique en aucun cas les partenaires sociaux, mais j'estime qu'ils ont vocation à s'occuper de la place des salariés dans l'entreprise, tandis que l'État doit s'occuper du chômage.

Pour ce qui est d'atteindre l'objectif de plein emploi, nous devons d'abord chercher à atteindre un taux d'emploi des seniors semblable à celui des pays du nord et de l'Allemagne, après un choix collectif désastreux qui a consisté à mettre les plus de 55 ans à la retraite le plus tôt possible. Au-delà de ce chantier, nous devrons tâcher d'améliorer le taux d'emploi pour toutes les catégories, qu'il s'agisse des jeunes ou des plus de 55 ans : si nous y parvenons, nous aurons réglé une grande partie des problèmes de la société française.

Concernant la recherche spatiale, nous avons effectivement annulé des crédits mis en réserve et récupéré une partie de l'argent utilisé par l'ESA pour sa trésorerie et non pas pour des programmes utiles.

S'agissant de la recherche plus globalement, le véritable problème français réside dans la faiblesse de la recherche privée en comparaison des autres pays développés, même s'il faut soutenir la recherche publique.

Enfin, le covid et l'inflation ont joué un rôle majeur dans l'envolée de l'endettement : la crise inflationniste est la plus grave depuis les années 1970, tandis que la crise sanitaire a entraîné un effondrement du PIB sans pareil depuis 1929, ce qui justifiait l'adoption de mesures de protection des entreprises et des salariés. Il n'est pas question de revenir à l'austérité, mais de se placer sur une trajectoire de rétablissement des comptes publics.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. - Monsieur Paccaud, les engagements relatifs à l'éducation, y compris pour le choc des savoirs et les groupes de niveau, seront tenus. Les ETP nécessaires pour mettre en oeuvre ce dernier dispositif a été évalués et seront mis en oeuvre, même avec le décret d'annulation.

Monsieur Lefèvre, les recrutements prévus en 2024 au ministère de la justice ne sont pas remis en question : il s'agit de 1 300 ETP supplémentaires pour la direction des services judiciaires et de 599 ETP supplémentaires pour la direction de l'administration pénitentiaire. Certains investissements ciblés pourront être replanifiés dans le temps, mais les engagements fondamentaux de la loi de programmation seront bien tenus.

Monsieur Féraud, les annulations de crédits de titre 2 ne représentent que 23 millions d'euros et ne remettent pas en cause la stratégie du Quai d'Orsay en matière de ressources humaines, en particulier les engagements pris par le Président de la République pour le réarmement de la diplomatie française au regard de notre stratégie d'influence.

Concernant la niche fiscale Airbnb, je vous rappelle les débats que nous avons eus et les votes qui ont eu lieu. Vous n'avez pas exactement supprimé l'intégralité de l'abattement fiscal, de 71 %, qui s'applique sur les locations de meublés touristiques, certaines locations pouvant encore bénéficier d'un abattement pouvant aller jusqu'à 92 %. Le gain que vous estimez à 300 millions d'euros n'est pas celui que vous avez voté.

Nous avons opté pour une mesure de tolérance, pour éviter un changement brutal de fiscalité, en renvoyant à une réforme plus globale de la fiscalité du logement. Une mission sur la fiscalité locative, confiée par la Première ministre Élisabeth Borne à Annaïg Le Meur et Marina Ferrari, rendra prochainement ses conclusions, qui nourriront nos débats autour du prochain PLF.

Monsieur Somon, pour ce qui concerne le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous utilisons la réserve de précaution et reportons quelques projets pluriannuels immobiliers. Des questions se posent par ailleurs concernant quelques appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Toutefois, le volet « ressources humaines » de la loi de programmation de la recherche est confirmé, tout comme les engagements pris par la ministre sur la vie étudiante.

Monsieur Daubet, les trois quarts des 200 millions d'euros annulés sur l'aide publique au développement porteront sur l'aide multilatérale, notamment sur des contributions à un certain nombre de fonds non obligatoires, et sur des dépenses d'aide bilatérale, dans une moindre mesure. Tout cela est à mettre en regard des efforts menés depuis 2017, qui sont considérables.

Concernant l'apprentissage, aucune mesure n'a été identifiée, mais un travail est mené par la ministre du travail pour ajuster les économies sur les différents programmes.

Madame Senée, il revient au ministère de décider de la façon dont les missions sont organisées autour de France compétences. Nous avons un désaccord persistant sur la cure d'austérité. Nous prévoyons une économie de 10 milliards d'euros sur plus de 400 milliards d'euros de dépenses de l'État, on ne peut raisonnablement penser qu'il s'agit là d'une coupe claire dans nos services publics.

Sur la transition écologique, je maintiens ce que j'ai dit. C'est le budget le plus vert de notre histoire. Personne n'avait autant investi auparavant dans la transition écologique. On peut penser que ce n'est pas assez, il n'empêche qu'il s'agit d'un effort historique !

Monsieur Jeansannetas, nous ne touchons pas, naturellement, aux crédits des jeux Olympiques et Paralympiques. Ce magnifique événement sera une réussite collective. En revanche, plusieurs annulations portent sur la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». L'objectif de 150 000 jeunes en service civique est maintenu. Toutefois, des efforts ont été demandés à l'Agence du service civique, comme à tous les opérateurs de l'État. C'est une mesure de solidarité.

Monsieur de Montgolfier, le travail va commencer autour du PLF 2025. Je suis à votre disposition, notamment sur les propositions d'économies, pour que nous bâtissions ce projet de loi ensemble : nous n'avons jamais caché qu'il devrait être exigeant compte tenu de notre stratégie de redressement des finances publiques et de la conjoncture internationale.

Madame Espagnac, je connais votre attachement au plan France Très Haut Débit. La réduction de 25 % des crédits de paiement prévue ne remet pas en question la trajectoire de déploiement. Un travail de programmation et de mobilisation de la trésorerie de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) y pourvoira. Je vous invite à poursuivre cette discussion avec Marina Ferrari.

Enfin, plusieurs mesures touchant des dépenses d'intervention, de fonctionnement et d'investissement sont prévues pour l'ensemble du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Une fois le programme d'économies prévu pour Bercy validé, nous vous en dévoilerons le détail. Tous les ministères devront avoir terminé ce travail pour la fin du mois de mars.

M. Claude Raynal, président. - Il est assez désagréable de travailler dans ces conditions, en revoyant tous les sujets un par un à l'aune d'une mesure discrétionnaire et réglementaire. Il faudra revenir aux discussions normales prévues autour du projet de loi de finances. C'est là que tous les équilibres doivent se trouver, certainement pas deux mois après le vote du budget !

Pour que nous puissions débattre utilement, retrouvons les formes normales, en veillant à ce que nos prévisions de croissance ne soient pas trop ambitieuses. Menons un travail plus en profondeur pour le PLF 2025 afin d'éviter des annonces de hausse budgétaires pour presque tous les ministères qui seraient démenties par la suite.

La réunion est close à 19 h 55.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.