- Mercredi 6 mars 2024
- Déplacement à Berlin des 28 et 29 janvier 2024 - Communication
- Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Cambodge - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
- Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
- Dégradation du contexte géopolitique - Audition de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
Mercredi 6 mars 2024
- Présidence de M. Cédric Perrin, président -
La réunion est ouverte à 11 h 10.
Déplacement à Berlin des 28 et 29 janvier 2024 - Communication
M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, les 28 et 29 janvier derniers, une délégation de notre commission s'est rendue à Berlin, conjointement avec nos homologues de la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Ce déplacement poursuivait au moins deux objectifs : y voir plus clair sur l'avancée du projet de char de combat du futur (MGCS) et, plus largement, prendre le pouls de la coopération franco-allemande en matière de défense, dans un contexte marqué par le « changement d'ère » annoncé par le chancelier Scholz au lendemain de l'invasion russe de l'Ukraine. Il s'agissait enfin de relancer le cycle d'échanges qu'avait mis en oeuvre le président Cambon avant la crise du covid.
Tacite disait des Germains qu'ils étaient friands de présages. Je me garderai pour ma part d'interpréter les signes apparus sur notre route. Nos interlocuteurs avaient d'abord annulé précipitamment la première rencontre, prévue début novembre. Ensuite, notre chef d'état-major de l'armée de terre, le général Schill, ne devait finalement faire le déplacement que pour s'entretenir avec l'adjoint de son homologue allemand, ce dernier étant retenu par une réunion de l'Otan. Enfin, à peine avions-nous décollé de Roissy qu'une dénonciation amère de la contribution « dérisoire » de la France à l'effort de guerre ukrainien apparaissait sur le compte Twitter de mon homologue du Bundestag. C'est peu dire que le déplacement ne s'annonçait pas sous les meilleurs auspices...
Mais avant d'envisager l'avenir, rappelons le passé. Le projet d'un char de combat de conception franco-allemande, destiné à remplacer le Leclerc et le Leopard 2 d'ici à 2040, a émergé voilà une dizaine d'années. Les industriels Nexter et KMW ont constitué à cette fin une holding en 2015, appelée KNDS, où est né le projet du MGCS proprement dit en 2017. La décision du gouvernement allemand d'y adjoindre l'industriel Rheinmetall en 2019 a cependant déséquilibré l'édifice et, disons-le d'emblée, mis en péril sa survie : sur le plan financier, puisque les industriels allemands prétendent non plus à la moitié, mais aux deux tiers de l'affaire ; et sur le plan de la conception opérationnelle du char, Nexter et Rheinmetall défendant chacun leur propre canon, duquel dépend le choix des munitions.
En sorte que la pérennité du projet repose désormais davantage sur la volonté politique que sur la convergence de vues des industriels. KNDS a certes présenté des projets intermédiaires, tel l'EMBT, première ébauche de char hybride entre le Leclerc et le Leopard, et il s'est essayé à une nouvelle version du Leopard 2 en collaboration avec Rheinmetall, mais le MGCS lui-même semble en quelque sorte suspendu, bien que les ministres Lecornu et Pistorius aient redit dans la presse, en septembre dernier, leur volonté commune qu'il aboutisse.
C'est la fermeté de cette volonté que notre déplacement visait à évaluer.
L'audition du responsable de KNDS effectuée à l'ambassade n'a pas permis d'en prendre la mesure. Pour la holding franco-allemande, certes, l'épaisseur du carnet de commandes, grâce au succès du Leopard à l'export en Europe, trace de belles perspectives, mais cela ne saurait suffire à rassurer la moitié française de l'actionnariat. Nous partageons l'éloge qui a été dressé de la coopération et du potentiel à exploiter ensemble, mais la question de savoir quel type de char KNDS souhaite faire figurer à son catalogue n'a, à notre sens, pas reçu de réponse univoque.
Ces incertitudes, nos échanges avec les membres de la commission de défense du Bundestag non plus ne les ont pas dissipées. Participaient aussi à cette discussion le général Marlow, numéro deux de l'armée de terre allemande, et le général Schill, notre chef d'état-major de l'armée de terre. Il nous a semblé qu'ils interprétaient le même thème - l'importance de la coopération bilatérale -, mais dans des tonalités différentes. Le premier a vanté l'ancienneté de notre coopération militaire, les unités mixtes, les interventions conjointes, avant de relever le caractère quelque peu divergent désormais de nos positions stratégiques respectives, tout en appelant à renforcer la doctrine d'emploi de la brigade franco-allemande. Le général Schill a, pour sa part, insisté sur le caractère commun des nouveaux défis - le retour de la guerre au sol, qui éclipse l'âge d'or des Opex et de la gestion de crise - et sur celui des besoins, à savoir une solution partagée, performante et innovante pour le combat terrestre.
Les échanges avec la présidente de la commission de la défense du Bundestag, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, et les députés présents ont été riches, mais ils n'ont pas permis d'y voir plus clair.
D'une part, la balle a été renvoyée dans le camp des industriels, dont il est loisible à chacun, dans ces circonstances, de saluer l'autonomie de décision. La présidente Strack-Zimmermann n'a ainsi pas manqué de souligner qu'« il peut y avoir un écart entre la volonté politique et les projets industriels... »
D'autre part, nous nous sommes un peu écartés du MGCS pour aborder d'autres questions, importantes : l'aide à l'Ukraine, notre présence au Sahel ou encore l'harmonisation européenne des règles d'exportation d'armes. Sur ce dernier point, fondamental dans notre coopération bilatérale, je n'ai pas manqué de faire observer que le pouvoir de blocage dont abusent actuellement certains États-membres plaidait peu pour une telle harmonisation.
Le président Gassilloud et moi-même nous sommes ensuite entretenus avec Mme Siemtje Möller, la secrétaire d'État parlementaire du ministre de la défense Boris Pistorius. Nous avons évoqué de nombreux sujets, notamment les questions de dissuasion nucléaire, qui intéressent beaucoup les Allemands, mais le dossier du MGCS est resté en grande partie ouvert.
Cela peut sembler paradoxal, mais la seconde leçon de notre mission est plus optimiste. En deux mots, nous pourrions dire qu'il existe, en dépit de ces incertitudes, une fenêtre d'opportunité pour redoubler d'efforts dans la coopération franco-allemande de défense.
Il faut d'abord prendre la mesure du bouleversement que traverse l'Allemagne depuis l'invasion russe de l'Ukraine. Nous avions déjà évoqué ces questions en auditionnant les auteurs du rapport de l'Institut français des relations internationales (Ifri) sur les transformations de la Bundeswehr ; notre ambassadeur sur place nous a brossé de ce Zeitenwende un tableau plus général.
Depuis février 2022, l'Allemagne vit douloureusement la disparition du confort assuré par les dividendes de la paix et l'écroulement de ses certitudes. Comme d'autres nations, sans doute, mais davantage que certaines du fait de sa position centrale en Europe et de sa proximité de Kaliningrad, du poids de son industrie et de la nature de sa dépendance énergétique, de l'émergence d'une conflictualité sociale nouvelle, de l'importance, enfin, qu'elle accorde au lien transatlantique, qui serait plus menacé que jamais si Trump revenait au pouvoir outre-Atlantique.
L'Allemagne a, en quelque sorte, été contrainte d'engager une mue stratégique. La direction prise est claire : réaffirmer son rôle de leader en Europe, y compris sur le plan géostratégique et de défense. L'Allemagne a en effet une conscience plus nette du risque que la menace russe fait peser sur l'Europe. Fin octobre, le ministre Pistorius prévenait ses compatriotes : « nous devons nous préparer à la guerre, nous devons être capables de nous défendre et d'y préparer la Bundeswehr et la société ». C'est ce qui explique l'importance que l'Allemagne accorde à l'aide à l'Ukraine, la vigueur du débat sur la livraison de missiles Taurus, l'accord trouvé sur l'exportation d'Eurofighter en Arabie Saoudite ou encore la décision prise en décembre de déployer une brigade permanente en Lituanie.
Nous avons mieux pris la mesure de ce changement d'état d'esprit, en visitant le siège du commandement territorial de la Bundeswehr. Celui-ci a été créé en 2022, après l'agression russe, pour coordonner toutes les tâches des différentes armées allemandes au niveau national, ce qui va du commandement opérationnel de l'ensemble des forces à l'assistance administrative en cas de catastrophe, en passant par la coordination du déploiement de troupes alliées en Allemagne.
Après avoir organisé, quelques jours avant notre visite, un important colloque réunissant 300 personnes pour réfléchir aux menaces hybrides - guerre de l'information, cyberattaques, espionnage ciblé, sabotage... -, la Bundeswehr travaille à l'élaboration d'un plan opérationnel. Celui-ci définira le rôle de l'Allemagne en matière de défense et organisera sa « capacité de guerre », notamment le déploiement des alliés sur le « hub allemand », que les Allemands voient comme la base de la dissuasion conventionnelle sur le continent. Ce document sera la première planification concrète, depuis la fin de la guerre froide, de réponse en cas d'attaque militaire en Europe de l'Est, l'Allemagne s'étant certes déplacée depuis cette époque de la zone de front immédiate vers la « zone arrière », comme l'appelle l'Otan.
Cette configuration nouvelle, de notre point de vue, offre l'opportunité de consolider la coopération franco-allemande. Si nos journaux ont été remplis, courant 2023, d'articles pessimistes sur la relation bilatérale, les sujets de dissension ont reculé dans les trois derniers mois de l'année : la réforme du marché de l'électricité, la réforme du pacte de stabilité, la coopération en matière spatiale, la feuille de route sur l'intelligence artificielle, celle sur l'union des marchés de capitaux, etc. Le sommet gouvernemental de Hambourg d'octobre dernier a été un succès et une visite d'État est prévue fin mai 2024, avant l'ouverture de l'été du sport franco-allemand. D'une certaine manière, dans cette configuration inédite, en dépit des soubresauts, il existe un espace pour une dynamique nouvelle, parce que le contexte doit nous pousser à resserrer nos liens.
Si certains sujets font encore débat et doivent être clarifiés - la dissuasion nucléaire, le contrôle des exportations -, tâchons de saisir les opportunités qui pourront se présenter sur la défense européenne et les programmes d'armement conjoints entre nos deux pays.
Outre le dossier du MGCS, il faut citer le système de combat aérien du futur (Scaf), mais aussi le partenariat entre Safran et l'Allemand MTU Aero Engines pour la fabrication de moteurs d'avion et d'hélicoptères militaires.
Concernant le projet de bouclier du ciel européen, il est très regrettable que les Allemands se soient lancés sans nous, mais il y a peut-être des convergences possibles. Tel est en tout cas le sens de la tribune que j'ai cosignée avec le président Gassilloud le jour de notre déplacement dans la presse française, et qui a trouvé des échos dans les médias allemands.
Ne nous cachons pas l'asymétrie de la relation. Il y a davantage de visites françaises en Allemagne que de visites allemandes en France. La notion de « couple franco-allemand » n'existe pas outre-Rhin. Et les appels français à l'autonomie stratégique européenne - pour ne rien dire des critiques adressées jusqu'en 2022 à l'Otan - provoquent chez nos voisins un mélange d'inquiétude et d'hostilité, parfois durable. Il n'en demeure pas moins que l'amitié franco-allemande garde une valeur et une vigueur particulières, et nous avons aussi ressenti cette amitié dans nos échanges.
Tel fut ainsi l'objet du message conclusif de la présidente Strack-Zimmermann après le déjeuner. Ce fut également le point final de notre journée de travail, qui s'est achevée Place de l'amitié franco-allemande, dans l'enceinte de la caserne Julius-Leber, avec nos homologues du Bundestag. Nous avons achevé cette journée en visitant l'émouvant petit musée de cette ancienne « caserne Hermann Goering », devenue « quartier Napoléon » de 1945 jusqu'au départ des forces françaises, fin 1994. En espérant que l'expression ne recèle pas un mauvais présage, je dirais que nous nous sommes quittés bons amis...
En conclusion, je pense que la gravité de la situation justifie en tout état de cause que nous exploitions toutes les opportunités de travailler avec nos alliés allemands, quand c'est possible, pour être plus fort face à la montée des périls.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Certes, je reconnais l'existence de cette amitié franco-allemande, mais je ressens toujours un certain manque de confiance. Force est de constater que nous faisons beaucoup d'efforts pour l'entretenir, comme vous l'avez souligné, mais il serait bon de réaliser que l'Allemagne ne souhaite pas de relation exclusive avec la France.
Nos gouvernements continuent pourtant de laisser penser que nous avons absolument besoin de l'Allemagne : c'est une mauvaise manière d'arriver à une table de négociations, quel qu'en soit l'objet. Il faut bien réceptionner les messages qu'ils nous envoient de façon subtile : pour eux, le multilatéral prévaut sur le bilatéral renforcé. Leur vision doit être respectée et entendue.
Acte est donné de cette communication.
Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Cambodge - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Cambodge.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'une convention d'extradition entre le Gouvernement français et celui du royaume du Cambodge, signée à Paris le 26 octobre 2015 par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice français, et M. Ang Vong Vathana, ministre de la justice cambodgien.
Ce texte s'inscrit dans un double contexte : celui de la situation des droits de l'homme au Cambodge - qui apparaît pour le moins préoccupante - et celui de notre relation bilatérale - qui connaît actuellement une dynamique très positive.
De fait, cette convention, qui attend sa ratification depuis 2015, est un serpent de mer législatif : depuis sa signature, elle a été déposée trois fois sur le bureau de l'une ou de l'autre des assemblées ; trois fois elle a été retirée, avant d'être déposée, une quatrième fois, sur le bureau du Sénat le 15 juin 2022. Sa ratification devrait cette fois être menée à son terme, avec un examen en séance publique prévu le 14 mars prochain.
Ces reculades et atermoiements répétés sont tout sauf inopinés : ils sont liés à la détérioration préoccupante, depuis 2017, de la situation des droits de l'homme dans le royaume, avec notamment la condamnation arbitraire des principaux opposants politiques, qui a privé les dernières élections de toute opposition crédible.
Le régime cambodgien est actuellement caractérisé par un profond décalage entre le droit affiché et la pratique : la constitution cambodgienne comme la loi pénale garantissent en effet l'indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme, la liberté d'expression, le respect des droits de la défense, la présomption d'innocence, etc. La garde à vue et la détention provisoire sont strictement encadrées.
Force est cependant de constater qu'en dépit de cette panoplie de garanties, qui n'a rien à envier aux démocraties les plus abouties, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des principes affichés. C'est ainsi que les élections législatives de juillet 2023 ont été précédées par une vague de répression envers l'opposition au parti gouvernemental : condamnation à vingt-sept ans de prison de l'opposant Kem Sokha et dissolution de son parti ; condamnation par contumace de Sam Rainsy et de soixante-dix autres opposants à des peines allant de vingt ans de prison à la perpétuité ; diverses mesures entravant le droit de vote et la liberté de la presse... Les syndicalistes, les défenseurs des droits fonciers, les militants écologistes font également l'objet d'intimidations et d'arrestations que les ONG dénoncent régulièrement.
Cette situation interne a valu au royaume du Cambodge de se voir retirer par l'Union européenne, dès 2020, une partie des préférences commerciales qui lui avaient été accordées au titre du régime « Tout sauf les armes », dont il bénéficiait depuis 2001.
L'élément nouveau, qui a conduit à l'inscription de cette convention à notre ordre du jour, est que, depuis quelques mois, la relation entre la France et le royaume du Cambodge connaît une dynamique particulièrement constructive, avec la visite officielle de Sa Majesté Norodom Sihamoni, roi du Cambodge, en novembre 2023, et celle du nouveau Premier ministre Hun Manet, le 18 janvier dernier. À cette occasion, les dirigeants cambodgiens ont réaffirmé leur volonté d'approfondir la relation bilatérale et se sont montrés demandeurs d'un partenariat renforcé avec la France.
La convention soumise aujourd'hui à votre examen s'inscrit dans ce contexte encourageant. Je vous proposerai de l'approuver pour plusieurs raisons.
La première tient à la relation franco-cambodgienne privilégiée dans laquelle elle s'inscrit, héritée à la fois d'une histoire commune et du rôle central joué par la France dans le développement du pays, mais aussi dans la mise en place de ses institutions, depuis les accords de Paris de 1991. La présence très active de la communauté cambodgienne en France et la place importante de la francophonie au sein du royaume, contribuent à nourrir ces liens. D'une manière générale, la France a plutôt bonne presse au Cambodge. Le roi comme le Premier ministre sont demandeurs d'un rapprochement. Dans le contexte mondial que vous connaissez, où l'influence française est de toutes parts et par tous moyens remise en question, cela mérite d'être souligné et encouragé.
Cette relation privilégiée permet également d'aborder sans tabou la question des droits de l'homme. Même si aucun résultat tangible n'a été obtenu à ce jour, elle pourrait favoriser une évolution positive dans ce domaine.
Deuxième raison, la rédaction de cette convention d'extradition apporte aux justiciables toutes les garanties souhaitables pour prévenir son instrumentalisation à des fins contraires aux droits de l'homme. Son contenu, qui reprend le texte proposé par la France, est conforme en tous points aux standards juridiques nationaux et internationaux.
Le texte prévoit en effet un certain nombre de motifs de refus obligatoires : ainsi, les demandes d'extradition seront rejetées automatiquement si elles concernent des infractions politiques ou si elles apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée. Ces clauses constituent des garde-fous importants dans le contexte politique que je vous ai décrit ; elles préviendront notamment toute demande d'extradition à l'encontre d'un opposant au régime.
Le fait de posséder la nationalité de la partie requise constitue également un motif de refus. Afin d'éviter toute impunité, la partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités, en application du principe aut dedere, aut judicare - extrader ou poursuivre. Cette clause s'avère très protectrice pour nos ressortissants, ainsi que pour les binationaux - ce qui n'est pas anodin, car la quasi-totalité des opposants au régime réfugiés en France possèdent la double nationalité.
D'autre part, alors même que la peine capitale a été abolie au royaume du Cambodge en 1989 et que sa prohibition est inscrite dans la constitution depuis 1993, la convention prévoit une clause de substitution de cette peine, ce qui permet de parer à toute tentation de retour en arrière.
Une clause dite humanitaire permet enfin de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.
Cet arsenal de précautions, qui figure dans la plupart des conventions bilatérales de ce type conclues par la France, a fait la preuve de son efficacité et permet à notre pays d'opérer des échanges extraditionnels avec cinquante-quatre États - dont la Chine et l'Iran.
La troisième raison en faveur de cette convention est qu'elle permettra de mieux cadrer et sécuriser, tant sur le fond que sur la forme, les procédures d'extradition. Les échanges extraditionnels étaient jusqu'à présent réalisés sur la base d'un principe informel de réciprocité ; de ce fait, ils se trouvaient tributaires du bon vouloir des parties. De plus, les procédures, d'un formalisme mal défini, manquent de rigueur et n'ont pas permis à l'unique demande formulée par la partie cambodgienne d'aboutir, en raison d'un dossier incomplet.
Enfin, la convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux parties, notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée ainsi qu'une procédure permettant une arrestation provisoire du justiciable en cas d'urgence.
L'adoption de cette convention d'extradition permettra d'établir une coopération plus efficace entre nos deux pays en matière de lutte contre la criminalité.
Les échanges extraditionnels opérés entre la France et le Cambodge sont particulièrement modiques : au cours des dix dernières années, aucune demande d'extradition n'a été formulée par les deux parties ; entre 2009 et 2013, seules trois demandes avaient été transmises par la France et une par le Cambodge.
Le Conseil d'État a émis un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'une vigilance, de la part des autorités françaises, concernant le respect des principes généraux du droit de l'extradition ainsi que des règles de transmission des données personnelles.
Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 14 mars prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
Le royaume du Cambodge a quant à lui achevé la ratification de cette convention le 14 octobre 2020.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - J'ai écouté avec attention l'intervention de notre rapporteur. Il n'est pas interdit d'être réaliste et je comprends que l'adoption de cette convention permettrait d'envoyer un signal positif alors que les relations entre nos deux pays se réchauffent sensiblement.
Pour autant, je n'oublie pas le travail accompli par notre ancien collègue, André Gattolin, qui était très mobilisé sur la question du Cambodge. Même si les infractions relevant des seuls domaines militaires ou politiques peuvent conduire à des refus d'extradition, on sait qu'il existe d'autres façons de s'en prendre aux opposants, notamment sous l'angle fiscal ou économique.
À ce stade, je m'abstiendrai sur ce texte eu égard aux pratiques passées du régime concerné.
Mme Michelle Gréaume. - Je m'abstiendrai sur ce vote, notre groupe souhaitant la tenue d'un débat en séance publique sur la question du respect des droits de l'homme.
M. Guillaume Gontard. - Je souhaite m'associer à la demande de Michelle Gréaume et du groupe CRCE. Je salue la qualité du rapport de M. Cambon, mais cette convention n'est pas anodine. Il nous semble donc important de tenir un débat sur ce sujet.
M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur Lemoyne, c'est à la demande pressante du Gouvernement que cette convention nous parvient.
Il s'agit en somme de l'éternelle question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Il faut encourager le Cambodge, qui a pris de bonnes résolutions auprès du gouvernement français, notamment lors de la visite du Premier ministre en janvier dernier. Cela étant dit, la volonté d'en débattre en séance publique me paraît tout à fait légitime.
Le projet de loi est adopté sans modification.
Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du premier rapport de Mme Évelyne Perrot sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol.
Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Mes chers collègues, les relations diplomatiques officielles entre la France et le Canada remontent à 1928, c'est-à-dire peu de temps après la déclaration Balfour de 1926, qui a fait du Canada une nation totalement indépendante.
Nos deux pays partagent non seulement une langue, mais aussi de nombreuses valeurs communes.
Sur le plan économique, le Trésor dénombre 1 200 filiales d'entreprises françaises au Canada, où plus de 100 000 Français sont enregistrés auprès de nos consulats. Il s'agit de la cinquième plus importante communauté française à l'étranger.
À l'échelon multilatéral, le Canada et la France sont alliés de longue date dans les enceintes du G7, du G20, de l'Otan, structures au sein desquelles nos deux pays partagent des positions sur les grands enjeux globaux et sur les crises internationales.
La coopération bilatérale est riche, notamment en matière sécuritaire. En janvier 2016, nos deux États ont signé une déclaration d'intention sur un partenariat renforcé dans le domaine de la coopération de sécurité.
Après les attentats du 11 septembre 2001, le Canada a mis en place une unité permanente d'agents de sûreté en vol : le programme de protection des transporteurs aériens canadiens.
En France, les agents pouvant être déployés en cas de menaces graves ou avérées relèvent non pas d'une unité permanente, mais principalement du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), dont l'expérience et l'expertise en matière de contre-terrorisme aérien sont reconnues de longue date.
Les collaborations entre ces deux unités sont nombreuses : échanges techniques et de bonnes pratiques, formations et entraînements communs.
Nos deux États procèdent déjà aux déploiements d'agents de sécurité en vol, mais sur la base de notes verbales. La France et le Canada partagent une approche commune de l'action de ces agents dans une logique de contre-terrorisme aérien, ce qui signifie que ces personnels ont vocation à intervenir en prévention et en réponse à des actes illicites portant gravement atteinte à la sécurité de la navigation aérienne, qu'il s'agisse de celle de l'aéronef ou de celle des passagers. Ils n'ont donc pas un rôle de police générale au sein de l'appareil, contrairement aux Air marshalls américains. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle un tel accord n'a pu être finalisé avec les États-Unis.
Le présent texte a pour objet d'organiser juridiquement les modalités de mise en oeuvre des opérations des « agents de sécurité en vol ». En effet, le déploiement d'agents sur la base de simples notes verbales présente plusieurs inconvénients : celles-ci doivent être adoptées à chaque intervention et n'offrent pas une protection juridique suffisante auxdits agents.
Le présent accord entend donc corriger ces insuffisances. Les premiers contacts ont commencé dès 2009, mais ce n'est qu'à partir de 2013 que les négociations ont réellement débuté, pour aboutir à un texte définitif fin 2021. L'accord a été signé à Paris le 19 janvier 2022 par les deux ministres des affaires étrangères.
Celui-ci formalise la procédure de déploiement d'agents en vol et organise leur protection juridique. C'est le premier accord de ce type que la France conclut.
Concernant la procédure, l'accord précise en premier lieu que ces agents sont des agents gouvernementaux, chargés de missions de contre-terrorisme aérien, spécialement formés à cet effet. Ils doivent respecter la législation de l'État sur lequel ils se trouvent et ne peuvent être déployés que dans des aéronefs immatriculés dans leur pays de rattachement.
Que le déploiement soit programmé à l'avance ou décidé en urgence, il doit faire l'objet d'une information de l'autre partie, par le biais d'un « point de contact national chargé de la coordination des déploiements ».
Pour des raisons évidentes de discrétion et d'efficacité, les agents ne sont pas reconnaissables. Ils sont autorisés à transporter leurs armes de service chargées.
Quant à leur protection juridique, l'accord prévoit l'inopposabilité de la peine de mort dans le cas où l'aéronef serait amené à atterrir sur un territoire qui la pratique. Les parties accordent l'entraide judiciaire la plus large possible à leurs agents en cas de procédure civile ou pénale. Il est également prévu que l'agent puisse communiquer avec son supérieur hiérarchique et qu'il soit séparé des autres détenus. L'examen bienveillant des demandes de priorité de compétence juridictionnelle ou de transfèrement en cas de condamnation est également prévu.
Le respect de la souveraineté et de nos exigences en matière de prérogatives de puissance publique est assuré par le fait que l'accord prévoit, d'une part, que les agents d'une partie ne peuvent effectuer une intervention policière de manière autonome sur le territoire de l'autre partie, et donc sous le contrôle de cette dernière ; d'autre part, que les agents canadiens doivent respecter le droit français lorsqu'ils se trouvent sur le territoire national.
Enfin, on peut noter que l'accord ne créera pas de charges nouvelles pour les services opérationnels déployant des agents, puisque ces déploiements ont d'ores et déjà lieu. L'accord ne comporte pas de mesures contraignantes imposant un quelconque déploiement d'agents de sûreté en vol.
La partie canadienne a déjà mené à terme ses procédures internes de ratification. L'Assemblée nationale a adopté le présent projet de loi le 27 septembre 2023 ; il reste au Sénat de se prononcer en faveur de l'approbation de cette convention, ce que je préconise, en ce qu'elle consolide les procédures opérationnelles et la protection des agents engagés.
L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le jeudi 14 mars 2024, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteure, a souscrit.
Le projet de loi est adopté sans modification, à l'unanimité.
La réunion est close à 11 h 50.
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Dégradation du contexte géopolitique - Audition de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères
M. Cédric Perrin, président. - Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, pour sa première audition par notre commission.
Monsieur le ministre, je vous adresse, au nom de tous les membres de la commission et en mon nom propre, tous mes voeux de succès dans les hautes fonctions qui vous sont confiées. Votre nomination intervient dans un contexte géopolitique très dégradé et préoccupant. Vous aurez fort à faire, et vous trouverez toujours auprès de notre commission des sénateurs qui ont à coeur de défendre les intérêts de la France, la sécurité de nos compatriotes en France ou à l'étranger et la paix dans le monde.
Monsieur le ministre, le décret du 11 janvier qui annonçait votre nomination a placé votre ministère au dixième rang de l'ordre protocolaire, alors qu'il occupait auparavant le quatrième. Quarante jours plus tard, le budget de la mission « Action extérieure de l'État » était amputé de 174 millions d'euros, ce qui représente 60 % de la hausse du budget dont Mme Colonna se félicitait devant nous il y a seulement quelques mois. Ces signes nous inquiètent pour notre diplomatie et pour la défense de nos intérêts dans le contexte dégradé que j'évoquais.
Le Président de la République a déclaré le 26 février que l'envoi de troupes au sol en Ukraine n'était pas exclu. Il revendiquait ainsi une « ambiguïté stratégique » qui a pourtant été immédiatement dissipée par la majorité de nos alliés, à commencer par l'Allemagne. Il a depuis confirmé la teneur de ces propos et a demandé hier, lors de sa conférence de presse à Prague : « Est-ce notre guerre ou n'est-ce pas notre guerre ? »
Cette séquence nous interroge à plusieurs titres. La stratégie du Gouvernement, qui consistait jusqu'alors à aider l'Ukraine tout en évitant l'escalade, a-t-elle changé ? Si oui, quand, et comment ? Vous avez vous-même déclaré que certaines des actions envisagées par le Gouvernement « pourraient nécessiter une présence sur le territoire ukrainien sans franchir le seuil de belligérance ». Encore faudrait-il que la notion de belligérance soit comprise par tous de la même manière...
Si nouvelle stratégie il y a, est-elle compatible avec l'élargissement de l'Union européenne à l'Ukraine ? Je rejoins sur ce point mon homologue Jean-Louis Bourlanges : à défaut de pouvoir soutenir l'effort de guerre ukrainien et de donner une signification stratégique à l'élargissement de l'Union européenne, la décision prise lors de la dernière réunion du Conseil européen ressemble à une fuite en avant. Nous faisons des promesses d'adhésion à un pays à qui nous n'avons pas été capables de donner le tiers des munitions promises : est-ce responsable ? Est-ce digne ?
Le chef de l'État n'a ensuite concédé que du bout des lèvres, face aux réactions suscitées par ses propos, l'organisation d'un débat au Parlement sur l'accord de sécurité conclu avec l'Ukraine, qui aura lieu un mois après sa signature, le 13 mars... Monsieur le ministre, sur des sujets aussi graves, qui engagent le destin de la Nation, le Parlement ne peut être la cinquième roue du carrosse, à laquelle on consent tardivement un bref débat. Ces sujets doivent se travailler dans le temps long, et dans la transparence. C'est pourquoi nous attendons beaucoup de votre audition aujourd'hui.
Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien menace à nouveau d'embraser la région entière. À la sidération provoquée le 7 octobre par les attaques terroristes du Hamas a succédé une impuissance totale de la communauté internationale face à une guerre qui se prolonge, repoussant chaque jour un peu plus toute perspective de règlement politique. Vous avez eu des mots forts pour dénoncer la situation créée par le conflit à Gaza, mais aussi en Cisjordanie ; vous nous direz la part que prend la France à ces discussions et les leviers qu'à son niveau elle entend mobiliser auprès des parties impliquées dans le conflit.
Les implications régionales de la situation sont évidemment majeures. Au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen, une nébuleuse d'acteurs militaires non étatiques proches de l'Iran défie quotidiennement la puissance américaine et ses alliés, dans un jeu de provocations savamment dosées. L'escalade est pour le moment contrôlée, mais tout dérapage peut avoir des conséquences catastrophiques. Vous nous exposerez donc votre vision de la situation et des moyens d'impliquer les partenaires régionaux dans un processus de désescalade.
Sur le continent africain, non seulement nous avons été contraints de quitter le Sahel, mais les Russes multiplient les manoeuvres dirigées contre nos intérêts et soufflent sur les braises du ressentiment à l'égard de notre pays. Tout ceci impose une redéfinition de nos relations avec le continent - une redéfinition que le Gouvernement a entreprise et à laquelle notre commission souhaite participer. Nous avons lancé un travail important sur l'Afrique, associant onze sénateurs de notre commission, et nous entendrons le 3 avril notre ancien collègue Jean-Marie Bockel, « envoyé personnel » du Président de la République pour l'Afrique.
Monsieur le ministre, nos collègues auront sans doute de nombreuses questions sur d'autres sujets, à commencer par nos rapporteurs pour avis de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.
Sur tous ces sujets, la gravité de la situation appelle des mises au point précises de votre part.
M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - C'est avec un grand plaisir que j'aborderai les grandes orientations qui guideront mon action à la tête de ce ministère, à l'occasion de cette première audition. Je pourrai apporter des explications plus précises à certaines de vos questions à l'issue de cette introduction.
Le ministère des affaires étrangères connaît une importante transformation, sur le fondement des orientations annoncées au Quai d'Orsay par le Président de la République en mars 2023, notamment grâce aux efforts de Catherine Colonna, à laquelle je rends hommage.
Par ailleurs, mon ministère est concerné par l'effort budgétaire de 10 milliards d'euros demandé à l'État en 2024. Cela se traduira par des réductions de crédits à hauteur de 174 millions d'euros sur la mission « Action extérieure de l'État » et de 742 millions pour l'aide publique au développement.
En ce qui concerne la mission « Action extérieure de l'État », nous allons procéder à plusieurs ajustements au sein de notre programmation pour 2024. Pour autant, nous souhaitons préserver au maximum les réformes engagées dans le prolongement des États généraux de la diplomatie, en particulier le déploiement de l'agenda de transformation et le réarmement du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Je veillerai à la protection de ces grands chantiers prioritaires. De même, nos activités au service des Français de l'étranger et dans le domaine consulaire seront maintenues. Nous préserverons les augmentations d'emplois prévues, notamment dans le réseau consulaire.
Concernant l'aide au développement, l'effort financier qui nous est demandé nécessitera un travail de réorganisation de notre plan de charge pour 2024. Il faudra préserver toutes les actions humanitaires qui ont le plus d'impact pour les populations. Il y va de la crédibilité de la France dans sa capacité à répondre aux crises et à tenir ses promesses.
Mon ministère doit répondre aux attentes fortes de nos concitoyens dans un monde en crise. Les Français veulent continuer à compter sur notre ministère pour vivre en paix dans un monde qui leur offre des opportunités. Or les crises se multiplient, se complexifient, et elles vont probablement durer. Elles sont parfois amplifiées par des États qui misent sur l'instabilité et le chaos. Nos efforts diplomatiques se déploient aux quatre coins du monde pour dénouer les tensions, former des coalitions, favoriser la désescalade et rappeler, partout, nos principes. Dans ces crises, la France apporte une réponse humanitaire tout en oeuvrant pour la stabilité des régions et le développement : telle est notre feuille de route.
C'est le cas à Gaza, dont la population a bénéficié d'une aide additionnelle de 100 millions d'euros de la part de la France et de l'envoi de plus de 1 000 tonnes de fret humanitaire. C'est aussi le cas depuis deux ans en Ukraine, à qui nous fournirons une aide militaire supplémentaire de 3 milliards d'euros en 2024. Je pense également au soutien de la France aux Arméniens et aux Arméniennes qui ont été forcés de fuir leur pays. Le Sénat s'est d'ailleurs mobilisé sur cette question, dans le cadre de l'adoption de la proposition de résolution transpartisane sur l'intégrité territoriale de l'Arménie, en janvier 2024.
En septembre 2023, les sujets internationaux ont occupé une large partie des échanges à l'occasion des rencontres de Saint-Denis organisées par le Président de la République. À cette occasion, nous avons décidé d'organiser des assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, qui auront lieu le lundi 11 mars. Je me réjouis d'échanger avec vous sur les synergies entre mon ministère, la diplomatie parlementaire et les élus locaux, qui oeuvrent, en concertation avec l'État, dans les domaines de l'humanitaire et du développement. Nos citoyens doivent être davantage convaincus que l'action diplomatique influence également leur vie.
J'en viens à la Russie, dont la posture se durcit avec une intensité sans précédent. La répression envers la population se renforce. Je pense notamment au décès tragique d'Alexeï Navalny. La Russie se montre de plus en plus agressive sur le champ de bataille ukrainien, mais aussi à notre encontre. Elle multiplie les manoeuvres de désinformation en Europe et en France, selon un narratif clair, tendant à nous persuader que sa victoire est inéluctable. Or, comme nous cherchons à le démontrer, cette idée est fausse : l'Ukraine a déjà infligé des pertes immenses à la Russie, elle a contraint sa flotte au repli en Crimée et elle a rouvert un couloir d'exportation en mer Noire. Ce corridor, au maintien duquel nous avons contribué, joue un rôle vital : il a permis d'éviter une crise alimentaire mondiale, notamment en Afrique.
L'année 2024 marquera un tournant dans notre soutien à l'Ukraine et notre sécurité à tous. Notre soutien à ce pays est franc, durable et inébranlable. Il contribue à notre sécurité immédiate en tant que Français et Européens. En agissant ainsi, nous pesons sur la stratégie de la Russie et évitons les conséquences dévastatrices qu'entraînerait sa victoire.
L'accord bilatéral de coopération sur la sécurité que nous avons signé avec l'Ukraine le 16 février témoigne de la solidité de notre engagement. Il est essentiel, car il inscrit notre soutien militaire et civil dans la durée et dans une logique collective, puisque vingt-cinq pays ont déjà pris cet engagement et que six d'entre eux ont signé un accord bilatéral avec l'Ukraine. Le Gouvernement a d'ailleurs décidé d'organiser un débat suivi d'un vote au Parlement sur cet accord.
Celui-ci prévoit la poursuite de l'aide militaire pour l'année 2024 et l'étend à tous les autres champs, comme la formation, la coopération entre nos industries de défense ou encore l'aide civile. Le débat qui aura lieu le 13 mars dans l'hémicycle sera l'occasion de revenir en détail sur la finalité politique et diplomatique de cet accord.
Nous continuerons à jouer un rôle d'entraînement vis-à-vis de la position de nos voisins européens. J'assurerai, avec le ministre des armées, le suivi de la rencontre du 26 février au niveau ministériel. Plusieurs initiatives concrètes seront rapidement opérationnelles. N'oublions pas que la grande majorité - disons 90 % - des mesures décidées lors de cette réunion ont fait l'objet d'un consensus très large. Je pense notamment à la coopération entre nos industries de défense et à la coproduction d'armes et de munitions sur le sol ukrainien, dont les modalités seront définies par une discussion ultérieure. Nous avons également décidé de contribuer à la protection de la frontière avec la Biélorussie par des moyens non militaires, en réponse à une demande des Ukrainiens, dont une partie des troupes, chargée de sécuriser cette zone, ne peut se rendre sur le front.
Cet accord renforce enfin la coopération dans le domaine de la cyberdéfense et du déminage, et le soutien aux pays directement menacés par la Russie, en particulier la Moldavie. Je rencontrerai prochainement la présidente Maia Sandu, en compagnie du Président de la République, à Paris au cours d'un déjeuner, afin de coordonner nos actions. Nous réinvestissons le rapport de force en imaginant également de nouvelles solutions pour soutenir l'Ukraine et renforcer la défense de notre continent.
L'étendue de notre soutien ne saurait être dictée par Moscou. C'est notre principe. Les initiatives que j'ai évoquées témoignent aussi de notre capacité à nous adapter et à agir collectivement pour la sécurité de l'Ukraine et la nôtre. Le cadre de notre action est clair : faire échec à la Russie sans lui faire la guerre. Dans ce cadre, rien ne doit être exclu. Le Président de la République l'a répété en amont de la réunion du 26 février, même si le débat public a effacé cette dimension au profit de la discussion sur la présence des forces militaires sur le territoire et la cobelligérance.
À l'échelle internationale, nous devons continuer à entraver l'entreprise de destruction russe par des sanctions et en luttant contre leur contournement. Nous devons aussi dire à l'ensemble de la communauté internationale que fermer les yeux sur le contournement de ces sanctions et traiter la Russie comme un partenaire fiable, c'est aider ce pays à renverser l'ordre international fondé sur des règles. Notre premier argument est que la Russie viole le droit international : il y a un agresseur et un agressé. C'est essentiel, et nous le répétons depuis deux ans, mais ce narratif a parfois tendance à s'inverser dans le débat public...
J'en viens à la situation au Proche-Orient. Nous constatons d'abord que trois de nos compatriotes sont encore portés disparus. Au total, 134 otages sont retenus à Gaza. Les services de mon ministère et de l'État restent mobilisés pour assurer leur libération. Nous observons ensuite l'intensification des bombardements israéliens et l'avancée de l'armée vers la ville de Rafah, où sont massés 1,4 million de civils gazaouis, quand la ville ne compte habituellement que 300 000 habitants. Le 29 février nous avons vu des émeutes de la faim et des tirs. Nous avons soutenu l'enquête lancée sur ces faits. Je l'ai déjà dit : affamer les Gazaouis est injustifiable. Nous faisons face à une situation humanitaire dramatique, et les tensions restent vives, notamment dans le sud du Liban. Les foyers de crises se multiplient autour de Gaza.
En réponse, nous agissons sans relâche. Notre diplomatie compte, parce qu'elle est entendue et comprise par toutes les parties, mais aussi parce qu'elle agit pour l'urgence du moment tout en cherchant des solutions pour le jour d'après. En effet, nous nous attachons à prendre en compte l'urgence humanitaire, mais aussi à rechercher une solution politique, en vue d'établir la sécurité de tous et d'éradiquer le terrorisme. Un cessez-le-feu à Gaza est urgent et indispensable. Nous y travaillons avec tous nos partenaires, dans tous les formats possibles. La France participe ainsi aux discussions conduites par les pays arabes et les États-Unis pour apporter une réponse à la crise actuelle et oeuvrer en faveur de la proposition de paix qui devra être formulée.
Les Gazaouis doivent recevoir davantage d'aide humanitaire : l'idée fait désormais consensus à l'international. Tous les points de passage doivent être ouverts. Il en va de la responsabilité de l'État démocratique qu'est Israël, dont nous avons, par ailleurs, toujours reconnu le droit à se défendre, dans le cadre du droit international.
Nous avons récemment procédé à un nouveau largage d'aide humanitaire avec nos partenaires jordaniens et égyptiens. Nous avons aussi soigné des blessés et procédé aux premières évacuations d'enfants vers des hôpitaux français.
Pour que la région retrouve la paix, nous poursuivons notre engagement contre le terrorisme, en mobilisant nos partenaires européens pour sanctionner le Hamas. La France a aussi joué un rôle moteur dans les sanctions à l'encontre des colons israéliens violents.
Enfin, nous posons les conditions de la paix dans tous les échanges auxquels nous participons en plaidant pour un État palestinien reconnu dans ses frontières et viable, avec une autorité palestinienne revivifiée, dotée d'une nouvelle gouvernance. Tous les partenaires de la région doivent viser cet objectif : la solution à deux États.
J'en viens à notre partenariat avec les pays africains. Nous devons être un partenaire fiable et crédible pour ces États, en nous appuyant sur de nombreux atouts : l'inventivité de nos entreprises, l'attractivité de nos universités ou encore l'excellence de nos industries culturelles et créatives. Nous appuyons les organisations régionales africaines pour faciliter les sorties de crises. Dans l'Afrique des Grands Lacs, nous envoyons des messages à Kigali et à Kinshasa pour trouver la voie de la désescalade et parvenir à une solution durable au conflit. J'ai échangé à plusieurs reprises avec mes homologues dans ces pays. Par ailleurs, nous accueillerons à Paris le 15 avril une conférence humanitaire pour le Soudan et ses voisins, afin de contribuer à la résolution de cette crise humanitaire dramatique. Cette crise ne doit pas être oubliée.
Parce que l'état du monde dépend de l'état du climat et de nos ressources, notre diplomatie est engagée pour notre planète. J'en tire toutes les conséquences pour mon ministère. Je mettrai en oeuvre une diplomatie étrangère climatique. Si la France est déterminée dans ses actions, la communauté internationale n'est pas sur la bonne trajectoire. La diplomatie française déploiera tous ses efforts pour inciter nos partenaires à réduire leurs émissions, à décarboner leur économie et à sortir des énergies fossiles. L'accord de Paris doit être mis en oeuvre. Nous veillerons à ce que les prochaines échéances portent leurs fruits. Je pense notamment à la COP29. La question des financements est centrale pour permettre au monde de mettre en oeuvre la transition écologique. Ainsi, les pays du Nord ont atteint leur objectif de mobiliser 100 milliards de dollars d'aide pour le Sud en faveur du climat, ce qui est une avancée notoire.
Nous contribuerons à retisser le lien de la solidarité internationale : c'est le sens des initiatives prises par le Président de la République en juin dernier. Je pense notamment au Pacte de Paris pour les peuples et la planète (4P). Retisser ce lien, c'est aussi nous mobiliser plus fortement encore en faveur d'un multilatéralisme qui fonctionne. Pour qu'il soit efficace et inclusif. Il s'agit également de battre en brèche l'idée qu'il existerait un « Nord global » et un « Sud global ». La communauté internationale est forte de chacun de ses membres dès lors qu'ils regardent dans la même direction. Un ordre international doit être fondé sur le droit, sur des principes fondamentaux et sur l'intérêt des peuples.
La diplomatie que je mènerai sera climatique, mais également féministe. La diplomatie française doit défendre les droits des filles et des femmes sans concession dans un monde de plus en plus compliqué. À l'étranger, nous oeuvrons pour qu'elles prennent part à la vie politique, sociale et économique de leur pays ! Je pense notamment à l'Afghanistan, où les femmes sont effacées de la société, où leur existence est niée. Tant qu'il en sera ainsi, nous ne pourrons pas dialoguer avec les talibans. Le 8 mars, j'annoncerai de nouvelles mesures pour renforcer notre action diplomatique en la matière.
2024 sera pour la France une année diplomatique hors du commun !
Pour conclure sur une tonalité plus positive, nous aurons cette année l'occasion d'accueillir le monde entier. Mon ministère travaille déjà pour organiser la venue de nombreuses délégations internationales dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) et des touristes que nous aurons la chance de recevoir. Partout dans le monde et à travers les réseaux diplomatiques, les Jeux vont aussi rayonner et nous permettre de montrer l'étendue de nos savoir-faire dans tous les domaines. C'est une opportunité importante, qui doit être vécue comme un événement international d'ampleur pour notre pays, avec des répercussions économiques et diplomatiques.
En octobre 2024 aura également lieu le XIXe sommet de la francophonie. Il sera une nouvelle occasion d'affirmer le modèle de partenariat que nous souhaitons renouer avec le reste du monde : des partenariats fiables et ouverts, fondés sur des valeurs et porteur d'opportunités pour nos concitoyens.
Vous pouvez compter sur mon engagement !
M. Cédric Perrin, président. - Je donne la parole aux rapporteurs pour avis du programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances 2024.
Mme Valérie Boyer. - Le décret du 21 février 2024 a amputé les crédits du programme 105 de 134 millions d'euros, soit les trois quarts de l'augmentation fixée par rapport à l'année 2023. Sur quels postes de dépenses les économies ainsi imposées seront-elles réalisées et quel sera leur impact sur l'agenda de transformation du ministère ?
Le ministre de l'économie a en outre annoncé ce matin que le déficit public devrait dépasser 5 % du PIB en 2023 et qu'un projet de loi de finances rectificative pourrait être déposé à l'été. La diplomatie ne fait pas partie des postes de dépense prioritaires qu'il a cités. Pourtant, le Président de la République accorde à ce domaine une importance non négligeable. Avez-vous des assurances sur le niveau de vos crédits, ou les grandes ambitions affichées à l'automne dernier n'auront-elles été que de belles illusions ?
Cette situation est révélatrice d'un grave problème démocratique : celui de l'insincérité des budgets que nous votons. Est-ce le cas du budget de votre ministère ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - L'année 2024 est particulière : près de 60 % de la population mondiale est appelée aux urnes pour élire un nouveau dirigeant. C'est notamment le cas des États-Unis, où se déroulait hier le super Tuesday. L'hypothétique retour au pouvoir de Donald Trump ferait considérablement évoluer la donne internationale dans les douze prochains mois, avec un nouvel avènement de la diplomatie du tweet et des guerres commerciales qui avaient durablement marqué la relation transatlantique.
Au-delà des États-Unis, l'ordre international s'érode et le droit international est de plus en plus régulièrement bafoué.
Comment la diplomatie française se prépare-t-elle à cette période qui pourrait devenir plus chaotique encore, en lien, notamment, avec ses partenaires européens ? Vous avez veillé à revitaliser le triangle de Weimar avec l'Allemagne et la Pologne. Comment entraîner d'autres partenaires autour de notre vision ? Certains ont entamé leur mue, mais encore faut-il que celle-ci converge avec nos propres intérêts...
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Je ne peux pas m'engager sur l'outil, législatif ou non, qui vous sera proposé dans le cadre des restrictions budgétaires.
Nous contribuons aux demandes d'effort budgétaire de 10 milliards pour 2024, ce qui représentera une diminution de nos crédits de 174 millions d'euros sur la mission Action extérieure de l'État, dont 134 millions sur le programme 105.
Au-delà de la question de la sanctuarisation du budget du programme 105, il s'agira essentiellement d'une diminution de la réserve, ce qui nous permet de poursuivre les objectifs du ministère, que Mme Colonna avait construits sur le fondement des conclusions des États généraux de la diplomatie et des annonces du Président de la République. La gestion de la mission « Action extérieure de l'État » sera donc pilotée de manière très rigoureuse. Mes services organisent toutes les six semaines une réunion de contrôle afin de ne pas dépasser notre budget : la gestion devra être très contrainte, étant donné que nous ne disposerons quasiment plus de fonds en réserves.
M. Cédric Perrin, président. - Pourriez-vous nous donner des précisions sur cette réserve ?
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Un total de 174 millions d'euros doit être économisé sur l'ensemble des budgets des programmes 105, 185 et 151, dont 115 millions correspondent à des crédits qui avaient été gelés en début d'année afin de constituer notre réserve de précaution. Nous continuerons à suivre les objectifs fixés pour le programme 105. En revanche, la réserve de crédits dont nous disposons pour ce programme sera amputée, et nécessitera une gestion rigoureuse.
Nous évaluons actuellement les conséquences des restrictions budgétaires, mais il n'y aura pas de retour en arrière sur ce budget. Les actions consulaires et les équivalents temps plein (ETP) prévus seront maintenus.
Des élections sont organisées cette année dans huit des dix pays les plus peuplés du monde. En France et en Europe, les élections se déroulent sans poison ni prison. Nous devons être fiers de notre système électoral. J'ai entrepris avec mes homologues allemands et polonais des démarches importantes pour dénoncer les éventuelles ingérences étrangères. Plusieurs organisations avaient prévu des campagnes d'influence informationnelle. Nous avons notamment découvert l'existence d'un dispositif de 193 sites internet de propagande prorusse prêts à être activés (VIGINUM caractérise l'implication d'une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l'administration des sites du réseau « Portal Kombat »).
La question n'est pas politique, mais opérationnelle : nous continuerons à veiller au bon déroulement de ces élections, malgré la multiplication des opérations de piratage informatique. Autrefois liés à des groupes de contrebande, ces actes pourraient s'institutionnaliser et menacer nos services publics.
L'organisation des élections européennes et des jeux Olympiques nous rend vulnérables à plusieurs égards. La sécurité de nos services publics, notamment de nos hôpitaux et des transports en commun, vis-à-vis d'éventuelles attaques informatiques, doit être assurée.
M. Cédric Perrin, président. - Je donne la parole au rapporteur pour avis du programme 151.
M. Guillaume Gontard. - Le 21 février dernier, le Premier ministre a pris un décret d'annulation de crédits, touchant presque tous les domaines de l'action de l'État. Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », dont j'étais corapporteur avec Ronan Le Gleut, est concerné à hauteur de 11,5 millions d'euros, dont 8 millions de crédits de titre 2 consacrés aux dépenses de personnel.
Vous nous avez pourtant assuré, dans votre propos liminaire, que le réseau consulaire serait préservé. Sur quels postes portera l'annulation de 8 millions de crédits ?
Lors de l'examen du PLF 2024, j'avais fait adopter avec mon corapporteur un amendement, cosigné également par M. Lemoyne, visant à doubler le concours de l'État au financement de la catégorie aidée des adhérents à la Caisse des Français de l'étranger (CFE). Les crédits de ce concours subissent une attrition depuis plusieurs années, ce qui place dans une situation difficile tant la CFE que nos concitoyens de l'étranger qui ont le plus besoin d'une protection sociale.
Lors du vote, votre prédécesseure, Mme Colonna, s'en était d'ailleurs remise à la sagesse du Sénat, et avait accepté de lever le gage après l'adoption de l'amendement. Or celui-ci n'a pas été retenu dans le texte que vous avez fait adopter par la procédure du 49.3. Pourquoi ne pas l'avoir conservé, sachant que les montants en jeu étaient modestes ? Comment l'État compte-t-il soutenir le financement de la protection sociale de la catégorie aidée ?
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Le programme 151 est le moins affecté en volume, les annulations pouvant être absorbées par les fonds qui avaient été mis en réserve. Je tiens à vous rassurer : les créations d'ETP prévues seront maintenues, tout comme les bourses, même si les annulations de crédits réduisent notre capacité à élargir le champ de ces dernières ou à faire face à l'inflation. Le concours de l'État au financement de la catégorie aidée des adhérents à la Caisse des Français de l'étranger (CFE) sera examiné, mais les montants en jeu sont assez faibles.
M. Cédric Perrin, président. - En somme, si je vous comprends bien, il n'y aura pas de modification substantielle du programme 105, et le programme 151 sera encore moins touché par les mesures budgétaires annoncées... Peut-être que les arbitrages n'ont pas encore été réalisés ? Nous aimerions avoir des éléments concrets. Vous ne nous avez pas encore fourni de données chiffrées...
M. Stéphane Séjourné, ministre. -Je suis en train d'étudier avec mes services comment ventiler l'effort de 174 millions d'euros qui est demandé à la mission Action extérieure de l'État. Nous devons prioriser notre action, mais les grands axes que je viens d'évoquer seront maintenus : les bourses, le réseau consulaire, l'aide aux Français de l'étranger, à laquelle je suis, comme vous, très attaché. L'utilisation des crédits mis en réserve nous aurait permis de faire preuve de plus de souplesse. Nous devrons être extrêmement rigoureux dans la gestion. Nous ferons en sorte que cet effort budgétaire affecte le moins possible la réalisation de nos objectifs et de nos priorités.
M. Christian Cambon. - Le Sénat examinera bientôt une proposition de loi, déposée à l'initiative de Jean-Louis Bourlanges, relative à la création d'une commission d'évaluation de l'aide publique au développement (APD). Dans quel esprit accueillez-vous la création de cette commission, dont la vocation sera de porter un jugement sur les investissements considérables - plus de 15 milliards d'euros - que représente l'aide au développement ? Quel rôle pourraient y jouer les parlementaires ? Nous souhaitons qu'il soit actif. Il existe déjà plusieurs services de contrôle et d'évaluation à l'Agence française de développement (AFD), à Bercy, au Quai d'Orsay. Comptez-vous unifier ces services et les mettre à la disposition de la commission, de telle sorte qu'elle dispose d'un champ de compétences étendu et puisse réaliser un travail approfondi d'évaluation, comme cela se fait en Grande-Bretagne ou en Allemagne ?
M. Patrice Joly. - La loi de 2021 avait prévu que l'APD devait atteindre, dans un premier temps, le niveau de 0,55 % du revenu national brut (RNB), puis, à terme, celui de 0,7 %, objectif annoncé depuis plus de cinquante ans... Mais c'était avant la réduction des crédits budgétaires de 740 millions. Celle-ci est importante : elle représente 13 % des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » ; elle équivaut à toute l'aide bilatérale du programme 110 et presque à l'ensemble de notre aide humanitaire. Quelles seront les actions affectées par cette baisse ? Ces annulations concerneront-elles une partie des crédits engagés par l'AFD ? Cela constituerait un risque juridique au regard des cofinancements prévus et entraînerait un problème de crédibilité de la France.
Les principaux bénéficiaires de cette aide en Afrique sont le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Les trois derniers pays ont connu des coups d'État condamnables. Faut-il pour autant couper totalement l'aide qui leur est adressée ? Celle-ci profite avant tout aux populations. Son maintien ne constituerait-il pas un moyen de renouer le dialogue et de recréer des coopérations avec ces pays ?
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Nous avons porté l'aide au développement de 0,43 % à 0,55 % du RNB. C'est une hausse historique, et les coupes budgétaires annoncées n'effacent pas totalement cet effort. Je ne peux pas vous indiquer précisément aujourd'hui, comme j'ai pu le faire à propos des programmes précédents, comment nous procéderons. Nous étudierons avec les opérateurs les actions en cours. Je suis très sensible à votre argument relatif au respect de nos engagements politiques et diplomatiques. L'humanitaire restera une priorité absolue. Nous comptons mettre davantage à contribution le multilatéral et privilégier le bilatéral, afin de tenir nos engagements bilatéraux et étudier, quitte à les reporter, nos contributions à certains fonds internationaux.
En ce qui concerne la proposition de loi transpartisane qui sera examinée en séance au Sénat le 26 mars, je n'ai pas pris position au fond. Je souhaite que le processus aille le plus vite possible. Si un repositionnement de la commission auprès du ministère des affaires étrangères était décidé, je me porterais garant de son indépendance et du rôle des parlementaires en son sein. Sans doute faudra-t-il mutualiser, rapprocher de cette commission les différents outils d'évaluation qui existent déjà et lui donner accès à différentes informations pour qu'elle puisse travailler. Si la proposition de loi est adoptée, nous pourrons réfléchir à son fonctionnement opérationnel et préciser le rôle des parlementaires. Vous me trouverez à vos côtés pour veiller à la transparence.
M. Cédric Perrin, président. - Il faudra pourtant bien que vous preniez position dans l'hémicycle, monsieur le ministre ! L'objectif n'était pas que les membres de la Cour des Comptes soient les acteurs principaux de cette commission. Celle-ci doit évidemment bénéficier d'un support administratif, sans compromettre son caractère spécifique.
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Le Gouvernement appliquera la loi ! Je soutiendrai tout schéma qui permette de mettre en oeuvre cette commission le plus rapidement possible de manière opérationnelle et qui soit conforme aux attentes des parlementaires. Je prendrai évidemment une position lorsque je serai au banc dans l'hémicycle, mais il appartient au Parlement de jouer son rôle de législateur et de voter le texte. Le Gouvernement jouera son rôle ensuite, dans la mise en place et l'organisation de la commission.
M. Rachid Temal. - Je souscris à ce qui a été dit sur l'Ukraine. Depuis vingt-cinq ans, Poutine mène la guerre et tue beaucoup de gens : en Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie, sur le continent africain, etc.
Quelles mesures entend prendre le Gouvernement pour faire en sorte qu'il y ait rapidement des élections présidentielles au Sénégal ? Il ne s'agit pas de faire preuve de néocolonialisme, mais de défendre la démocratie sénégalaise.
Le Rwanda est officiellement accusé, dans un rapport de l'ONU, de financer et d'armer les rebelles du M23, qui massacrent, violent et pillent dans la République démocratique du Congo. Il existe un accord d'aide militaire entre l'Union européenne et le Rwanda. Ne faudrait-il pas, au minimum, le suspendre ?
Enfin, quelles mesures comptez-vous prendre pour relancer le processus de l'accord d'Alger ?
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Les coupes budgétaires annoncées par Bruno Le Maire, qui explique d'ailleurs dans la presse, ce matin, que la France n'est pas une « pompe à fric », sont très douloureuses pour l'aide publique au développement. Celle-ci serait rabotée de 742 millions d'euros, soit le montant annuel de l'aide humanitaire. Alors que les crises se multiplient, la France semble se soustraire à ses obligations internationales de solidarité envers les peuples les plus pauvres.
J'ai aussi été particulièrement surprise par le caractère très chaleureux de votre poignée de main avec le ministre des affaires étrangères iranien lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que, le même jour, le Quai d'Orsay condamnait, dans un communiqué, l'exécution d'un nouveau manifestant iranien. Comment expliquer cette attitude ambivalente ? Que peut-on faire pour défendre les droits de l'homme en Iran et pour les Français qui sont encore retenus en otage ?
M. Stéphane Séjourné, ministre. - En ce qui concerne le Sénégal, la France a été très clair avec Macky Sall : il fallait soutenir certains principes auxquels nous sommes attachés - l'État de droit, le respect de la Constitution de ce pays - et ne pas laisser à penser, que la France s'ingérait dans la vie politique sénégalaise, afin de ne pas donner prise à des propos complotistes, alimentés par certaines puissances étrangères, comme cela s'est produit ailleurs. Notre position a été soutenue par la plupart des États, notamment les États-Unis et le Canada : nous attendons des élections dans les meilleurs délais et conformément à la Constitution. Nous serons fermes sur ce point, mais sans faire preuve d'ingérence.
En ce qui concerne le Rwanda, j'ai eu des échanges avec mes homologues pour que nous fassions pression sur le M23. Nous sommes sur la même ligne. Je partage vos inquiétudes. Des événements inacceptables se sont produits dans des villes frontalières. Il faut rester très attentif à la situation. Nous devons continuer à adresser un message de fermeté, comme le Président de la République et moi-même le faisons.
M. Rachid Temal. - Il faut suspendre l'accord !
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Un mot sur l'aide au développement. Nous avons multiplié par quatre l'aide humanitaire en six ans. Je viens d'indiquer mes priorités : éviter toute répercussion sur nos accords bilatéraux et sur les programmes en cours, afin que la responsabilité de l'État ne soit pas engagée. L'aide humanitaire est une dimension importante de notre politique et nous examinerons en premier les crédits destinés au multilatéral.
Sur l'Iran, je comprends votre position mais, quand on fait de la diplomatie, on doit parler à tout le monde, c'est comme cela que l'on peut faire bouger les choses. La totalité de mon entretien avec mon homologue iranien a concerné la situation de nos compatriotes arbitrairement détenus. J'espère que cette entrevue permettra de faire évoluer la situation. Je fais tout pour trouver une solution.
Nous avons pris des initiatives en ce qui concerne nos liens avec le Maroc, l'Algérie et la Tunisie. J'ai rencontré mes homologues. Il importe de rétablir des relations diplomatiques normales, fondées sur une relation d'égal à égal, comme le souhaitent ces pays, de reconstruire le lien de confiance qui avait été abîmé par des incompréhensions.
M. Olivier Cadic. - Vos prises de position courageuses vous valent le respect de vos homologues, comme l'a indiqué le ministre saoudien des affaires étrangères. Après les attaques du 7 octobre, je me demandais déjà en séance : « Comment ne pas craindre l'escalade régionale avec le Hezbollah, proxy de l'Iran qui, non content d'étrangler le Liban, est susceptible de plonger de nouveau le pays du Cèdre dans un conflit avec son voisin ? » Nous y voilà !
La résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies demandait la dissolution des milices armées, dont le Hezbollah. La résolution 1701 réaffirme que seul l'État libanais doit être autorisé à détenir des armes et à exercer l'autorité au Liban. Le Hezbollah n'a pas déposé les armes. Israël considère que l'heure est venue d'obtenir ce désarmement, soit diplomatiquement, soit par la force. Sa détermination est grande à éliminer très vite cette menace. Pensez-vous que la diplomatie puisse obtenir très vite un désarmement du Hezbollah ? Quel plan est prévu pour préparer la communauté française du Liban dans la perspective, crédible, d'une éventuelle escalade ?
M. François Bonneau. - L'accès à l'énergie devient de plus en plus difficile, en raison notamment de la guerre en Ukraine. Un nouveau pays est en passe de devenir le Qatar de demain : le Guyana. Lors d'un déplacement dans ce pays, nous avons constaté, avec Philippe Folliot, que nous n'y avons toujours pas d'ambassade. Pour obtenir un visa, il faut se rendre au Surinam... La France sera-t-elle le dernier des pays occidentaux à ouvrir une ambassade sur place et à nouer des relations diplomatiques et économiques normales avec ce pays ?
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Je me suis rendu au Liban. Jean-Yves Le Drian est très investi sur le volet politique. Nous essayons de convaincre nos amis libanais de compléter leur dispositif institutionnel : beaucoup parlent au nom du Liban, mais ce n'est pas toujours au nom et dans l'intérêt des Libanais ! Les Qatariens et les Américains sont aussi très impliqués et M. Biden a nommé un envoyé spécial.
Au Liban, notre particularité et notre plus-value, c'est que nous parlons à tout le monde. La France compte plus de 20 000 ressortissants sur place. En 2006, l'évacuation des ressortissants européens et français avait été à la fois traumatique et très coûteuse. Nous faisons tout, et engageons tous les acteurs du conflit, pour ne pas avoir à en arriver là de nouveau.
J'ai fait des propositions aux Libanais. Elles ont été bien accueillies, y compris officiellement par les responsables libanais.
Pour prévenir l'escalade, nous parlons à tout le monde. Il faut éviter d'étendre le conflit au Liban. Nous avons transmis ce message à nos interlocuteurs, aux Iraniens, au Hezbollah, aux responsables politiques libanais. Ces propositions devront servir de cadre à de futures négociations de paix.
J'ai demandé à mes équipes de préparer un déplacement au Guyana. On étudie la possibilité d'ouvrir une ambassade. L'augmentation du nombre d'ETP ayant été maintenue dans l'arbitrage budgétaire, la création d'un nouveau poste diplomatique est possible. Nous avons aussi soutenu fermement l'intégrité territoriale du Guyana, nous assumons nos propos : à l'heure où nous défendons le respect du droit international dans certaines parties du monde, nous devons faire de même partout.
M. Cédric Perrin, président. - C'était l'une des recommandations du rapport de nos collègues qui se sont rendus au Brésil et au Guyana l'an dernier.
M. Roger Karoutchi. - Vous avez fait un geste non négligeable en disant que vous vouliez améliorer nos relations avec le Maroc. Le Maroc attend que la position de la France sur le Sahara évolue. Est-ce votre intention ?
Ce pays est notre principal ami et allié dans le secteur. Il contribue à assurer la stabilité de la région et à maintenir ce qui reste de la présence française au Sahel. Par ailleurs, le Maroc joue un rôle non négligeable au Proche et au Moyen-Orient, puisqu'il conserve des relations avec Israël. Il pourrait constituer, pour nous, un intermédiaire important pour participer à un mouvement vers la paix dans cette région. Ne faudrait-il pas accélérer le rétablissement des relations avec le Maroc ?
Mme Nicole Duranton. - Je voulais poser la même question !
M. Philippe Folliot. - Il est important, monsieur le ministre, que vous alliez au Guyana et que vous annonciez la création d'une ambassade française : avoir un diplomate de plus ou de moins à Londres ou à Madrid ne changera pas la donne, mais déployer quatre diplomates au Guyana pour ouvrir une ambassade serait important. En 2026, ce pays aura le sixième PIB par habitant au monde. Les enjeux économiques sont considérables. N'oublions pas non plus que Maduro est le bras armé de Poutine, lequel est engagé dans un conflit global contre l'Occident et essaie de déstabiliser cette région, comme il tente de le faire au Sahel, au Mali ou au Niger.
J'étais récemment au Tchad pour soutenir les hommes du 8e régiment de parachutistes d'infanterie de marine de Castres qui sont engagés sur place. Que se passera-t-il si nous réduisons notre présence militaire dans ce pays ? Ce serait un signal très négatif. M. Bockel rendra un rapport sur ce sujet. Si un pays souverain nous demande de partir, nous devons le faire, mais sinon, nous devons maintenir notre présence. Il y va de la crédibilité de la France.
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Sur le Sahara, mes propos marquent un changement sensible : j'ai dit qu'il convenait maintenant d'avancer rapidement. Nous soutenons les efforts du Maroc pour développer la zone et nous y participerons.
Nous devons toutefois relever encore un certain nombre de défis pour définir une feuille de route et donner un contenu à notre relation diplomatique.
Je partage votre analyse sur le Guyana et sur la pertinence de la création d'une ambassade. J'irai sur place et ferai des annonces.
Quant au Tchad, je vous invite à interroger Sébastien Lecornu sur l'aspect militaire. Les Tchadiens sont préoccupés par l'avenir de la base militaire. Nous tiendrons compte de leur position. M. Bockel travaille sur ce sujet et prendra en considération toutes ses dimensions.
M. Christian Cambon. - En tant que président du groupe d'amitié sénatorial entre la France et le Maroc, je voudrais vous faire une suggestion : pourquoi la France ne créerait-elle pas au Sahara occidental, à Dakhla ou à El Ayoun, un institut français ? Une telle structure ne constitue pas un poste diplomatique, mais elle est néanmoins une institution française. Voilà qui serait un premier geste et qui serait très apprécié par le Maroc.
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Nous avons déjà lancé plusieurs actions culturelles, à l'image de la tournée d'un bus culturel itinérant. Nous travaillons sur différentes pistes avec les autorités marocaines.
M. Rachid Temal. - Je m'exprime en tant que président du groupe d'amitié sénatorial entre la France et l'Algérie. Soit la France considère qu'elle s'inscrit dans le cadre des résolutions des Nations unies, comme elle le prétend, soit elle s'en exonère. Mais il faut de la cohérence !
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Nous restons dans le cadre des résolutions de l'ONU et du droit international, qui permet d'agir dans des territoires comme le Sahara occidental dès lors que c'est au bénéfice des populations locales. La France est l'un des premiers pays à avoir soutenu, y compris aux Nations unies, le plan marocain pour le Sahara. Nous estimons que la discussion sur ce sujet doit avoir lieu dans un cadre multilatéral.
Mme Gisèle Jourda. - Quelle est la conséquence pour la France de la divulgation par les médias russes du contenu d'une conversation entre des officiers allemands sur l'envoi de missiles Taurus et sur la présence supposée en Ukraine de militaires français et britanniques ?
J'ai défendu au Sénat les accords d'association avec l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie conclus dans le cadre du partenariat oriental de l'Union européenne. Je m'intéresse aussi au processus d'adhésion des pays des Balkans. Je me suis rendue en Moldavie : j'ai noté son envie de rejoindre l'Union européenne. Où en est le processus d'adhésion de ces pays ?
Mme Michelle Gréaume. - Les coupes budgétaires dans le domaine humanitaire et l'APD scandalisent l'ensemble des acteurs du secteur associatif et humanitaire, ainsi que nos concitoyens, qui sont, selon un sondage, favorable à un maintien, voire à une hausse, des crédits de l'APD. Le Rassemblement national avait déjà déposé des amendements lors de l'examen du projet de loi de finances pour réduire ces crédits d'1 milliard d'euros. Je regrette que l'on continue dans cette voie.
La pauvreté et les inégalités sont un facteur de conflits dans le monde. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, 11 à 19 millions de personnes supplémentaires sont menacées de famine par la crise alimentaire mondiale. L'indice de développement humain global diminue pour la seconde année consécutive.
Comptez-vous augmenter massivement les crédits du fonds de solidarité pour le développement, en relevant le taux de la taxe sur les transactions financières et en élargissant son assiette ? Cela pourrait rapporter 1,5 milliard d'euros et nous permettre de tenir nos engagements.
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Ma question portera sur les conditions de la mort d'Alexeï Navalny : vous avez convoqué l'ambassadeur russe et demandé l'organisation d'une enquête indépendante et approfondie sur les causes de la mort de l'opposant russe. Nous avons une idée des causes du décès à travers les lettres dans lesquelles il décrit ses conditions de détention dans ce qu'il qualifie de goulag des temps modernes : séjour à l'isolement, faim, froid, soif, violences, armes bactériologiques, etc. Quel est le contenu des échanges que vous avez eus avec l'ambassadeur ? Quels sont les premiers éléments de l'enquête diligentée par le Quai d'Orsay ? Celle-ci sera-t-elle communiquée au Parlement ?
M. Hugues Saury. - La France a fermé dix-huit missions diplomatiques depuis 2016. Il fut un temps où elle possédait le second réseau diplomatique au monde, après celui des États-Unis. La France est désormais doublée par la Chine, la Turquie et le Japon.
Récemment, une réforme globale du corps diplomatique a été réalisée, justifiée par une volonté politique de démocratiser le recrutement des fonctionnaires, afin qu'il soit à l'image de la société française dans sa diversité. Je crains que cela ne se traduise par une réduction de la présence de la France à l'étranger, et potentiellement, par moins de professionnalisme. Ce retrait qualitatif et quantitatif de notre réseau est-il justifié dans le monde périlleux et instable que nous connaissons ?
Mme Évelyne Perrot. - Vous avez parlé du soutien au développement des droits des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus ? Comment peut-on intervenir dans les pays où les femmes et les petites filles sont soumises à des régimes horribles ?
M. Guillaume Gontard. - Vous avez évoqué la situation dramatique à Gaza, où l'on décompte déjà 30 000 victimes, et plaidé pour un cessez-le-feu rapide.
Or Israël utilise du matériel militaire français contre la population civile palestinienne et ce pays est un important acheteur de matériel militaire français : ses commandes d'armes s'élèvent à plus de 209 millions d'euros depuis dix ans. La France a pourtant ratifié le traité sur le commerce des armes de l'ONU, dont l'article 6 prévoit l'interdiction des exportations d'armes lorsque ces dernières sont employées pour commettre un génocide, des crimes contre l'humanité, des attaques dirigées contre des civils ou des crimes de guerre. La Cour internationale de justice a alerté sur le risque de génocide à Gaza, en indiquant que quatre critères sur cinq étaient remplis.
Dans ces conditions, instaurer un embargo sur les exportations d'armes vers Israël, relèverait du simple respect du droit international. J'ai déjà interrogé à plusieurs reprises le Gouvernement à ce sujet, sans jamais avoir de réponse.
M. Stéphane Séjourné, ministre. - Je vous invite à interroger Sébastien Lecornu pour avoir plus de précisions en ce qui concerne la divulgation du contenu d'une conversation entre des militaires allemands. Il s'agit d'une manoeuvre de manipulation assez grossière. La Russie souhaite nous faire comprendre qu'elle peut déstabiliser notre opinion publique. C'est un message d'intimidation et il faut le traiter comme tel. Malheureusement, les répercussions dans l'opinion ne font qu'inciter la Russie à persévérer dans cette voie. En effet, dans nos pays, les journalistes sont libres et ne posent pas les questions qu'on leur demande de poser ! Nous devons donc nous demander pourquoi la Russie a divulgué cette écoute et ne pas nous infliger un débat interne et intra-européen susceptible de nous faire du mal.
En ce qui concerne le processus d'adhésion à l'Union européenne, vous connaissez la position de la France : nous sommes favorables à l'adhésion de ces pays, dans un cadre défini, sous réserve de la réalisation des réformes nécessaires et de la définition d'une nouvelle gouvernance européenne qui permette à l'Union de fonctionner à trente-deux membres. Il nous a fallu douze mois pour réagir à des attaques commerciales de pays tiers, alors que les États-Unis sont capables d'agir beaucoup plus rapidement. Je pense, par exemple, au dumping sur l'acier, qui a détruit une partie de la sidérurgie européenne. L'Union européenne n'a pas su répondre, faute de consensus : la difficulté serait accrue si elle comptait trente-deux membres !
Un budget de 250 millions d'euros reste alloué à l'aide alimentaire de la France. Le programme Food and Agriculture Resilience Mission (Farm) est ainsi maintenu à hauteur de 75 millions d'euros. Celui-ci vise à faciliter la circulation des produits agricoles et à soutenir la production dans les pays aidés.
Néanmoins, la réponse aux crises alimentaires est aussi géopolitique : il s'agit d'éviter la fermeture du corridor d'exportation de céréales en mer Noire. La rétention des stocks de blé ukrainien nous a ainsi fait frôler une catastrophe humanitaire générale en Afrique en 2022. Notre action doit donc aussi être diplomatique.
En ce qui concerne notre réseau diplomatique, aucune ambassade n'a été fermée : nous réfléchissons même à en rouvrir certaines ! Quelques postes consulaires ont été fermés, en fonction des priorités définies à partir de critères de représentativité et d'influence. Notre réseau reste l'un des meilleurs au monde. Nous ferons tout, dans les années à venir, pour le conserver et le développer.
Les crises actuelles nous rappellent que la France doit être présente partout. Notre réseau diplomatique nous garantit de figurer dans tous les cénacles de discussion pour la résolution des crises ; c'est aussi dans l'intérêt des Français. Ce n'est pas seulement une question d'influence, de rayonnement de notre culture ou de la francophonie : le maintien de notre présence diplomatique constitue une question existentielle, dans un contexte de retour de la guerre.
Je ne rouvrirai pas le débat sur la réforme du corps diplomatique, mais 84 % des diplomates ont rejoint le nouveau corps interministériel des administrateurs de l'État. Côtoyant ces diplomates depuis un mois et demi, je peux affirmer que tous font preuve d'une profonde loyauté et témoigner de leurs compétences et de leur expérience. En dehors même de leur statut, les profils sont de grande qualité. Nous devons aussi valoriser cette dimension de notre diplomatie, qui contribue à la richesse de notre influence partout dans le monde.
En ce qui concerne le soutien aux droits des femmes, nous restons particulièrement intransigeants vis-à-vis de l'Afghanistan. J'ai également reçu les associations de défense des victimes. J'annoncerai le 8 mars de nouvelles propositions sur la diplomatie féministe dans cette perspective, et différents événements seront organisés tout au long de l'année. À ce titre, il me semble que l'inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) confère à la France une légitimité d'intervenir sur la question des droits des femmes et témoigne de l'avant-gardisme de notre position.
Concernant la mort d'Alexeï Navalny, de nombreuses déclarations publiques ont été entendues. Que dire de plus ? Pour ma part, j'y vois davantage un aveu de faiblesse de Moscou qu'une marque de force de la part de la Russie. Quand on enferme et que l'on tue ses opposants politiques, c'est qu'on les craint. Tout en rendant hommage à Alexeï Navalny, je veux rappeler que, sans poison ni prison, notre démocratie peut se tenir fière. En dehors de tout clivage partisan, nous devons continuer à la défendre politiquement et collectivement.
Enfin, la France se situe dans un rapport de concurrence avec Israël sur le marché des armes. Nous ne vendons pas d'armes à proprement parler à cet État, qui, au contraire, est en concurrence avec notre industrie sur les marchés internationaux. Il existe des partenariats historiques marginaux sur des composants et des équipements israéliens, qui sont souvent revendus à des pays tiers. Je pense notamment à des composants utilisés pour créer du matériel militaire, qui sont ensuite rachetés par des pays européens, comme l'Allemagne. Nous fournissons des composants qui interviennent dans les systèmes défensifs, tels que le dôme de fer israélien, mais aucun matériel militaire létal n'est vendu à Israël. Sébastien Lecornu pourra vous donner davantage de précisions sur ces composants.
M. Cédric Perrin, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. La mobilisation des sénateurs pour votre audition était importante, et leurs interrogations ont été nombreuses. La situation internationale se complexifie chaque semaine : nous aurons donc plaisir à vous recevoir régulièrement pour échanger sur différents sujets.
La réunion est close à 18 h 20.