- Mardi 13 février 2024
- Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
- Proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports - Examen des amendements au texte de la commission
- Projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Audition de M. Gérald Darmanin
- Mercredi 14 février 2024
- Proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française - Désignation d'un rapporteur
- Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises » - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière - Désignation d'un rapporteur
- Proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
- Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise - Examen des amendements au texte de la commission
- Projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales - Examen des amendements au texte de la commission
Mardi 13 février 2024
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement - Examen du rapport pour avis
M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes réunis ce matin pour examiner le rapport pour avis de Françoise Dumont sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement porte une ambition à laquelle je vous propose de souscrire pleinement, à savoir moderniser les outils aux mains des collectivités territoriales et des opérateurs, pour leur permettre d'intervenir le plus en amont possible et, ainsi, prévenir la dégradation des copropriétés. L'enjeu est de taille : 40 % des Français vivent dans une copropriété et le Gouvernement évalue à plus de 114 000 le nombre de copropriétés « particulièrement fragiles ».
La rénovation de ces dernières peut en effet être freinée par des difficultés inhérentes à l'habitat collectif, telles que le coût élevé des travaux, la nécessité de parvenir à une majorité lors de l'assemblée générale de la copropriété, la concentration d'une population défavorisée ou encore le blocage des résolutions par des « marchands de sommeil ». Or l'intervention des pouvoirs publics lorsque le bâtiment est irrémédiablement dégradé peut parfois s'étaler sur une vingtaine d'années, en raison tant de blocages locaux que de la complexité à mobiliser les outils existants. Il était donc nécessaire de légiférer.
Tel que transmis au Sénat par l'Assemblée nationale, le projet de loi comporte quarante-six articles, dont dix-neuf sur lesquels notre commission s'est saisie pour avis, la commission des affaires économiques étant saisie au fond. Ces dix-neuf articles traitent principalement du droit de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du droit des copropriétés et du droit pénal.
Lors de mes travaux, j'ai veillé tout particulièrement à la proportionnalité des mesures proposées, notamment au regard du respect du droit de propriété, garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Je vous propose de considérer, dans l'ensemble, que le texte atteint un équilibre satisfaisant entre la facilitation des opérations de rénovation, qui constitue un motif sérieux d'intérêt général, et l'accompagnement des copropriétaires en difficulté, y compris ceux qui seraient récalcitrants. Suivant cette démarche constructive, je vous propose d'émettre un avis favorable à quinze des dix-neuf articles dont nous sommes saisis et d'adopter vingt-deux amendements, qui visent principalement à rendre plus opérationnels les outils prévus par le texte.
Compte tenu de l'ampleur du texte, je vous épargnerai une présentation détaillée de ces dix-neuf articles et de l'ensemble des amendements, sur lesquels je reviendrai lors de leur examen.
Trois grands thèmes se dégagent des articles dont nous étions saisis.
Une dizaine d'articles visent tous à faciliter la résorption de l'habitat dégradé, en donnant de nouveaux outils aux acteurs de terrain ou en réformant les outils existants. Ces outils seront particulièrement utiles aux autorités chargées de la police de la sécurité et de la salubrité, c'est-à-dire le maire, le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d'habitat et le préfet.
J'insisterai plus spécifiquement sur trois nouvelles mesures qui me semblent de nature à renforcer la capacité d'action des autorités publiques dans leur lutte contre l'habitat dégradé.
La première, à l'article 3, consiste à créer une procédure spéciale d'expropriation pour cause d'utilité publique des bâtiments dont l'état de dégradation ou d'insalubrité est remédiable, sur le modèle de la procédure dite « Vivien » qui permet déjà une expropriation sans enquête publique pour les bâtiments dont l'état de dégradation ou d'insalubrité est irrémédiable. L'objectif est ainsi d'intervenir tant qu'une rénovation est possible.
La deuxième, à l'article 10, est la possibilité de scission ou de subdivision judiciaire du syndicat d'un immeuble situé dans le périmètre d'une opération de requalification des copropriétés dégradées (Orcod) ou d'une opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah) ou faisant l'objet d'un plan de sauvegarde.
La troisième, aux articles 11 et 14, est l'extension de la possibilité de prise de possession anticipée à toutes les Orcod et à toutes les opérations d'intérêt national.
Il s'agit, à chaque fois, de dérogations au cadre général du droit de l'expropriation pour cause d'utilité publique ou du droit des copropriétés. Je considère cependant que ces mesures dérogatoires, qui font l'unanimité parmi les personnes et les entités que j'ai auditionnées, sont justifiées par un motif d'intérêt général sérieux, à savoir la lutte contre l'habitat dégradé. Leur objet me semble suffisamment circonscrit pour éviter un usage disproportionné, et de solides garanties des droits des propriétaires et des occupants sont prévues, en particulier le droit à l'indemnisation et au relogement. Je ne vous proposerai donc, sur ces quatre articles, que six amendements visant à améliorer les dispositifs prévus sans remettre en question les objectifs qu'ils portent. Ces amendements permettront notamment de renforcer le contrôle du juge sur ces procédures ou encore de préciser que la nouvelle procédure d'expropriation inclura les locaux à usage professionnel ou commercial, afin d'éviter toute ambiguïté quant au droit à indemnisation de leur propriétaire.
En parallèle, deux autres articles ajoutés par l'Assemblée nationale complètent plus marginalement les moyens juridiques dont disposent le maire, le président de l'EPCI ou le préfet pour exercer leurs prérogatives de police de la sécurité et de la salubrité.
L'article 9 bis B permet à ces trois autorités ou à leurs représentants d'assister aux assemblées générales des copropriétés ayant fait l'objet d'un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l'insalubrité. Il permet également au maire de recevoir les procès-verbaux de ces assemblées générales. L'article 12 bis permet au maire ou au président de l'EPCI de s'appuyer sur un rapport du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) ou de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité (CCDSA) pour fonder ses arrêtés de mise en sécurité.
Ces deux articles m'ont paru intéressants en ce qu'ils permettent au maire et au préfet de se tenir informés de la situation locale. Il semblerait cependant que, dans la pratique, ces mesures soient déjà appliquées. Je prends le parti de considérer qu'ils permettront donc de leur donner un fondement juridique et je vous proposerai deux amendements : le premier a pour objet d'étendre au préfet la possibilité de recevoir les procès-verbaux des assemblées générales des copropriétés en difficulté lorsqu'il a signé un arrêté de traitement de l'insalubrité ; le second tend à recentrer le dispositif de l'article 12 bis sur le seul risque incendie et sur les seuls Sdis.
Le second volet vise à prévenir et à gérer les difficultés d'administration et d'entretien des copropriétés. En effet, la dégradation des copropriétés résulte parfois de blocages internes aux conseils syndicaux de copropriétés ou de difficultés liées aux rapports avec le syndic. Afin de constituer un vivier de syndics expérimentés en matière d'accompagnement des copropriétés en difficulté, l'article 5 bis crée un agrément de « syndic d'intérêt collectif », qui serait délivré par le préfet à certains syndics ayant fait leurs preuves dans ce domaine. Il s'agit d'une demande très attendue sur le terrain, mais qui suscite de nombreuses incompréhensions quant à ses modalités. C'est pourquoi je vous proposerai de préciser que cet agrément ne donne pas compétence exclusive à ses bénéficiaires pour travailler sur les copropriétés en difficulté, mais qu'il s'agit uniquement d'un label attestant de compétences utiles au traitement des difficultés financières.
L'article 9 bis modifie le cadre des interactions entre le syndic et les copropriétaires, dans un double mouvement de renforcement des obligations reposant sur le premier et de simplification des modalités de communication des notifications. Sur le premier point, cet article impose notamment au syndic de donner « sans délai » au président du conseil syndical accès aux comptes et aux opérations bancaires de la copropriété. Il uniformise également les procédures applicables pour résilier le contrat de syndic, le droit en vigueur prévoyant des délais différents selon que la résiliation est demandée par le syndic ou le conseil syndical. Enfin, il systématise la dématérialisation des communications des notifications et des mises en demeure, la voie postale devenant, à l'inverse de la situation actuelle, l'exception.
Sur cet article, je vous proposerai d'adopter deux amendements. Le premier tend à supprimer l'accès « sans délai » aux comptes et aux opérations bancaires, d'une part parce qu'il est en partie satisfait par le droit en vigueur, qui prévoit l'accès numérique aux relevés périodiques des comptes bancaires de la copropriété, et, d'autre part, parce qu'il s'agit d'une contrainte de gestion disproportionnée à la charge du syndic. Le second amendement vise à supprimer la dématérialisation systématique des communications entre le syndic et les copropriétaires. L'état actuel du droit me semble, en effet, préférable : les notifications par voie électronique sont valables, mais le copropriétaire doit faire connaître son accord exprès pour ce mode de communication. Cette façon de procéder est plus protectrice des copropriétaires, en particulier compte tenu de la part encore élevée d'illectronisme parmi la population.
Enfin, toujours sur ce deuxième volet, l'article 9 ter vise à abaisser les seuils de majorité pour la réalisation de travaux d'économie d'énergie et à élargir les possibilités pour un copropriétaire de faire des travaux à ses frais sur des parties communes, sauf opposition d'une majorité des copropriétaires en assemblée générale, le vote n'étant cependant pas exigé pour les travaux sur la toiture. Je considère que cet assouplissement est démesuré et pourrait entraîner le passage en force de travaux, souvent coûteux, malgré le désaccord d'une part significative, voire majoritaire, des copropriétaires. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer cet article.
J'en viens désormais au troisième et dernier volet sur lequel notre commission s'est saisie pour avis, à savoir les dispositions pénales visant à mieux lutter contre les marchands de sommeil. L'article 8 bis A inscrit dans le code de procédure pénale la possibilité pour les notaires de consulter le bulletin n° 2 du casier judiciaire de tout acquéreur personne morale, les notaires étant tenus de surveiller le respect des interdictions d'acquisition susceptibles d'être prononcées contre un marchand de sommeil. Cependant, il ne m'est pas apparu nécessaire de légiférer sur ce point, qui est déjà satisfait.
Les articles 8 ter et 8 quater A remplacent le délit de soumission d'une personne vulnérable à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, puni de cinq ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende, par un délit de mise à disposition moyennant contrepartie d'un hébergement contraire à la dignité humaine, puni de sept ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende, et augmentent les sanctions en cas de circonstances aggravantes.
Je partage bien évidemment l'objectif de mieux lutter contre les marchands de sommeil. Cependant, la récente loi dite « immigration » a aggravé les sanctions prévues en cas de non-respect des dispositions particulières applicables aux propriétaires de logements insalubres. De plus, la rédaction proposée pose des difficultés au regard de l'échelle des peines. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer ces deux articles.
En revanche, l'article 8 bis B, qui prévoit une peine complémentaire d'impossibilité pour une durée de quinze ans au plus pour les marchands de sommeil de faire l'acquisition d'un bien immobilier autre que leur résidence principale et l'article 8 quater, qui instaure une sanction frauduleuse de contrats de location, me semblent tout à fait opportuns. Je vous proposerai de nouvelles rédactions, essentiellement destinées à mieux insérer les dispositifs juridiques au sein des dispositions existantes.
Pour finir, je tiens à souligner la qualité du travail effectué avec Amel Gacquerre, rapporteure pour la commission des affaires économiques. Nous avons effectué la plupart des auditions en commun et nous partageons l'immense majorité des constats et des propositions d'amendements sur ces dix-neuf articles. Cette coopération fructueuse a permis de capitaliser sur les domaines d'expertise de nos deux commissions. Je suis convaincue que le texte qui sera adopté par le Sénat sera un texte utile, qui répondra aux attentes des acteurs de terrain, notamment les élus locaux, et renforcera l'arsenal juridique en faveur d'un habitat digne, en particulier dans le contexte actuel de crise aiguë de l'immobilier.
M. Alain Marc. - Je félicite la rapporteure pour son travail. Partant du constat de la dégradation de l'état de nombreuses propriétés, ce projet de loi s'inscrit dans les court et moyen termes. Prévoit-on de travailler plus en amont, afin de ne pas faire le même constat dans trente ou quarante ans ? Ne pourrions-nous pas imposer aux syndics de faire des provisions pour obsolescence dès la construction d'un immeuble neuf ? Cela nous épargnerait de légiférer de nouveau sur l'habitat indigne.
Mme Audrey Linkenheld. - Notre groupe se félicite de ce projet de loi. Nous souscrivons à un grand nombre de ses propositions, même si d'autres nous laissent plus sceptiques.
Je félicite à mon tour la rapporteure pour la clarté de sa présentation sur ce sujet particulièrement complexe. Ce projet de loi n'est pas le premier à traiter de l'habitat dégradé. Il fait suite notamment à la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), qui a représenté une grande avancée. Cette loi a notamment précisé, en effet, ce qui relevait de la provision et du fonds de prévoyance, et veillé à l'équilibre entre, d'une part, le droit constitutionnel de propriété et, d'autre part, la nécessité d'anticiper la dégradation des logements.
La loi était elle-même inspirée de travaux sénatoriaux, notamment de ceux de Claude Dilain. Il me paraît tout à fait intéressant, dix ans plus tard, d'y apporter des compléments.
En matière de lutte contre le logement dégradé, notre vision n'est pas uniquement de court terme. Les gouvernements successifs et le Parlement ont eu l'occasion de se pencher sur ce sujet ; je crains qu'ils ne le fassent encore à d'autres reprises, même après l'adoption du présent projet de loi.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. -Il n'est pas prévu de solliciter des provisions pour dégradation. En revanche, il vous est encore possible de déposer un amendement de séance sur le sujet. Je rappelle par ailleurs que plusieurs dispositions du projet de loi ont pour objet, comme je viens de l'énoncer, de prévenir et d'anticiper les difficultés des copropriétés.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-123 procède à une coordination avec l'article 12, afin d'inclure les locaux à usage professionnel ou commercial au sein du dispositif prévu à l'article 3. Cette inclusion permettra de sécuriser l'indemnisation des propriétaires de ces locaux en cas d'expropriation, la jurisprudence n'étant pas stabilisée sur ce point.
L'amendement COM-123 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale visant à permettre au procureur de la République de placer sous séquestre le montant de l'indemnité d'expropriation des marchands de sommeil avant sa confiscation définitive par le juge est intéressant, mais nécessite des ajustements pour être conforme aux exigences constitutionnelles. C'est pourquoi je vous propose, par l'amendement COM-124, qu'il soit fait recours au juge des référés.
L'amendement COM-124 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Par l'amendement COM-116, je vous propose, d'une part, d'imposer au Gouvernement de procéder à un réel suivi de l'expérimentation issue de la loi Alur et, d'autre part, de supprimer la nouvelle expérimentation que prévoyait le 2° de l'article 3 bis A, qui soulève plus d'ambiguïtés et de difficultés pratiques et juridiques qu'elle ne présente d'avantages.
L'expérimentation permettant de n'exproprier que des parties communes n'a pas été mise en oeuvre au cours de ces dix dernières années, notamment parce qu'elle n'a fait l'objet d'aucun suivi ni d'aucune mesure d'accompagnement de la part de son initiateur, c'est-à-dire le Gouvernement. Pour nous éviter de proroger inutilement cette expérimentation, un suivi s'impose !
Par ailleurs, la rédaction de cet article, qui prévoit une nouvelle expérimentation s'apparentant à une hypothèque sur les parties communes de l'immeuble, manque de clarté. Elle me semble dangereuse, car elle pourrait accroître les difficultés des copropriétaires qui verraient la valeur de leur bien baisser.
En outre, compte tenu de l'inapplication de l'expérimentation votée en 2014, il convient avant tout de veiller à la bonne mise en oeuvre de cette première expérimentation avant de multiplier des dispositifs expérimentaux inaboutis, qui ont peu de probabilité d'être mobilisés par les acteurs concernés.
Mme Audrey Linkenheld. - Cet amendement témoigne d'une mauvaise interprétation de la situation. Certes, l'expérimentation permise par la loi Alur n'a pas encore été mise en oeuvre de manière concrète, mais de nombreux acteurs y réfléchissent très sérieusement. C'est la raison pour laquelle une extension est proposée.
Vous avez dit vous-même qu'il était complexe de mobiliser les outils existants. Celui-ci n'est pas simple, mais il n'a pas fait l'objet d'un abandon ni d'un immobilisme. Il ne s'est pas rien passé depuis dix ans. Au contraire, les organismes de foncier solidaire, notamment, se sont portés candidats pour être les porteurs de ces parties communes en cas d'expropriation.
Vous le savez, les organismes de foncier solidaire sont liés notamment au bail réel solidaire, que Gouvernement et parlementaires aimeraient étendre aux logements intermédiaires, voire aux logements libres. Il serait, selon moi, particulièrement malvenu et contre-productif de supprimer maintenant cette expérimentation. Nous nous opposerons donc à cet amendement. C'est précisément maintenant que nous avons besoin de prolonger cette expérimentation.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Je ne me suis pas bien fait comprendre : il s'agit non pas de supprimer l'expérimentation de la loi Alur, mais de conditionner sa prorogation à un suivi plus approfondi. L'expérimentation que nous proposons de supprimer est une nouvelle expérimentation, distincte de celle prévue par la loi Alur, qui a été ajoutée lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale.
Mme Audrey Linkenheld. - Certes, mais l'encadrement vient empêcher son extension.
L'amendement COM-116 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-114 procède à une clarification rédactionnelle afin de préciser que l'agrément de syndic d'intérêt collectif n'est pas une condition exclusive pour intervenir dans les copropriétés en difficulté, les syndics sans agrément pouvant toujours y assurer leurs fonctions.
Lors de mes auditions, je me suis en effet aperçue que ce nouvel agrément faisait l'objet de confusion de la part des acteurs concernés, y compris les syndics.
L'amendement COM-114 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'article 8 bis A entend inscrire dans le code de procédure pénale la possibilité pour les notaires de consulter le bulletin n° 2 du casier judiciaire de tout acquéreur personne morale.
Il s'agit de leur permettre d'assurer l'obligation qui leur est faite par l'article L. 551-1 du code de la construction et de l'habitation de surveiller le respect des interdictions d'acquisition susceptibles d'être prononcées contre un marchand de sommeil. Cependant, la nécessité juridique de cette mesure a fait l'objet d'analyses divergentes au cours des auditions. Concrètement, la Chancellerie nous a dit que tout cela était déjà possible en l'état du droit. Il paraît préférable de s'en assurer d'ici la séance, notamment au regard de la possibilité qu'ont déjà les notaires de consulter le bulletin n° 2 des personnes physiques. À ce stade, je vous propose donc, par l'amendement COM-127 de supprimer cet article.
L'amendement COM-127 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'article 8 ter remplace le délit de soumission d'une personne vulnérable à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, par un délit de mise à disposition moyennant contrepartie d'un hébergement contraire à la dignité humaine, puni de sept ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende, et augmente les sanctions en cas de circonstances aggravantes.
Tout en partageant l'objectif de mieux lutter contre les marchands de sommeil, on doit constater que la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration a tout récemment aggravé les sanctions prévues à l'article L. 511-22 du code de la construction et de l'habitation en cas de non-respect des dispositions particulières applicables aux propriétaires de logements insalubres.
De plus, la rédaction proposée pose des difficultés au regard de l'échelle des peines. Elle aboutirait à réprimer plus sévèrement la mise à disposition d'un logement indigne pour toute personne autre que les personnes vulnérables. Elle sanctionnerait également plus sévèrement le logement indigne que l'exploitation du travail dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, ce qui est contestable.
Il vous est donc proposé, par l'amendement COM-128, de supprimer cet article.
L'amendement COM-128 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - La suppression proposée par l'amendement COM-129 est la conséquence de celle qui a été proposée à l'article 8 ter.
L'amendement COM-129 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'article 8 quater B prévoit une peine complémentaire de quinze ans d'interdiction d'achat de certains biens immobiliers pour les marchands de sommeil. L'amendement COM-126 rejoint cet objectif, mais augmente pour ce faire les peines déjà prévues à l'article 225-26 du code pénal. Il procède par ailleurs à une coordination à la suite de l'adoption de la loi Immigration.
L'amendement COM-126 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Sur le fondement de l'article 1714 du code civil, qui dispose que l'« on peut louer ou par écrit ou verbalement », la jurisprudence admet la possibilité qu'un bail soit conclu verbalement, la seule obligation étant d'élaborer un contrat écrit si l'une des parties le demande. L'article 8 quater entend sanctionner la dissimulation de bail. L'amendement COM-125 prévoit une nouvelle rédaction, afin de s'insérer au mieux dans le cadre des dispositions existantes.
L'amendement COM-125 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-115 a pour objet principal d'uniformiser les deux mesures portées par l'article 9 bis B, en permettant au préfet et au président de l'EPCI compétent en matière d'habitat, et non pas seulement au maire, de recevoir les procès-verbaux des assemblées générales de copropriété, lorsqu'ils sont signataires d'un arrêté de traitement de l'insalubrité.
L'amendement COM-115 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'article 9 bis comporte quatre mesures qui affectent les relations entre le syndic et les copropriétaires. Deux d'entre elles me paraissent inutiles parce qu'elles sont partiellement satisfaites par le droit en vigueur et, compte tenu de leur modeste plus-value, inopportunes. Il s'agit de la fixation du contenu des appels de fonds par décret et de l'obligation, pour le syndic, d'organiser pour le président du conseil syndical la consultation sans délai des comptes et des opérations bancaires de la copropriété. Je vous propose donc, par l'amendement COM-118, de les supprimer.
L'amendement COM-118 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'Assemblée nationale a prévu une systématisation de la dématérialisation des communications entre le syndic et les copropriétaires. Cette mesure est une demande très forte des syndics, qui souhaitent ainsi faire des économies. Le droit en vigueur, qui prévoit l'accord exprès des copropriétaires pour recevoir leurs documents de façon dématérialisée, me semble satisfaisant et plus protecteur des copropriétaires. Je rappelle que l'illectronisme concerne encore 15 % des Français. Je doute par ailleurs que les syndics répercutent réellement la baisse des coûts sur les charges de copropriété. C'est pourquoi l'amendement COM-119 tend à supprimer ces alinéas.
L'amendement COM-119 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-117 tend à supprimer l'article 9 ter, qui a pour objet d'abaisser les seuils de majorité en assemblée générale pour lancer des travaux et d'assouplir les conditions dans lesquelles un copropriétaire peut faire réaliser des travaux à ses frais sur les parties communes, parfois même sans vote de l'assemblée générale.
Le Gouvernement, qui avait supprimé par ordonnance en 2019 certaines de ces mesures, estime que celles-ci ont pour effet de « faire passer en force des résolutions qui n'avaient pas obtenu lors du premier vote un seuil suffisant de voix de copropriétaires composant le syndicat en leur faveur, en engendrant des frais de convocation et de tenue d'assemblée générale, voire du contentieux supplémentaire ».
Mme Audrey Linkenheld. - Nous sommes opposés à la suppression de cet article. Le terme « passage en force », qui figure dans l'objet de l'amendement, me paraît exagéré : l'assemblée générale des copropriétaires a toujours la possibilité de s'opposer, à la majorité, aux travaux. On ne s'assoit donc pas sur la voix des copropriétaires !
L'amendement COM-117 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'Assemblée nationale a étendu le dispositif dérogatoire de cet article aux Opah, qui couvrent plus de 700 zones.
En comparaison, les Orcod, qui étaient ciblées par le texte initial, ne concernent actuellement que quatre quartiers, à Metz, à Saint-Étienne-du-Rouvray, à Sarcelles et à Argenteuil.
Au regard du respect du droit de propriété, il n'est par conséquent pas souhaitable d'étendre exagérément le dispositif dérogatoire de l'article, qui permet d'imposer aux copropriétaires la scission ou la subdivision du syndicat. C'est pourquoi je vous propose de recentrer le dispositif en remplaçant les Opah par les opérations de revitalisation de territoire, qui sont plus spécifiquement utilisées pour la rénovation des centres-villes anciens.
Mme Audrey Linkenheld. - Lorsque les Orcod ont été créées par la loi Alur, elles n'avaient pas vocation à être très nombreuses : si je me souviens bien, une quinzaine ou une vingtaine de quartiers avaient été listés. Quatre, c'est un bon début !
Il est regrettable de ne pas conserver la possibilité de scission dans les Opah, qui sont les cas les plus fréquents. La scission doit servir à faire face à d'énormes copropriétés, difficiles à gérer en cas de difficultés. Elle devrait permettre, d'une part, de faciliter la prise de décision dans chacune des copropriétés et, d'autre part, de protéger les copropriétaires dont le bien n'est pas en train de se dégrader : avec la scission, ils sont mis à l'écart de l'opération de rétablissement là où l'autre copropriété a besoin d'une intervention.
La scission est une simple faculté : on peut compter sur la capacité de discernement des professionnels pour ne pas y avoir systématiquement recours.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - La scission reste possible, pour tous types de copropriétés, sur la base du volontariat des copropriétaires. Pour rappel, l'article 10 concerne la procédure de scission judiciaire, qui s'impose donc aux copropriétaires.
L'amendement COM-120 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-121 a pour objet de préciser que le juge n'a pas une compétence liée : il se prononce en toute indépendance sur la demande de scission ou de subdivision de la copropriété qui lui est formulée.
L'amendement COM-121 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-113 prévoit que l'arrêté de prise de possession anticipée est notifié par le préfet, par dérogation à l'article 4 de la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics qui confie cette charge au maire.
La prise de possession anticipée est, conformément à l'alinéa 8 de l'article 11 du projet de loi, une procédure qui ne peut être mise en oeuvre que par l'État : il me paraît donc normal que ce soit son représentant qui procède à la notification.
L'amendement COM-113 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Je vous propose par l'amendement COM-122 de supprimer un ajout de l'Assemblée nationale, aux termes duquel le juge judiciaire détermine le montant de l'indemnité d'expropriation « en considération d'une méthodologie nationale d'évaluation des biens définie par décret en Conseil d'État » pour les biens expropriés selon la procédure dérogatoire dite Vivien et celle qui a été créée par l'article 3 du projet de loi.
Cette mesure relève du domaine réglementaire. Par ailleurs, elle est trop ciblée.
En effet, le problème du manque d'harmonisation des évaluations des biens par le juge concerne tous les types d'expropriation, et non les seules expropriations selon les procédures dérogatoires précitées.
L'amendement COM-122 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'Assemblée nationale a prévu d'autoriser le maire à fonder ses arrêtés de mise en sécurité sur des rapports des Sdis et de la CCDSA.
Cette disposition est intéressante et est soutenue par les sapeurs-pompiers. Je vous propose cependant, par l'amendement COM-111, de recentrer le dispositif sur les seules situations qui concernent le risque incendie et de mobiliser seulement les Sdis, et ce uniquement dans le cadre de la police de la sécurité afin d'éviter toute instrumentalisation.
Mme Audrey Linkenheld. - Je ne suis pas sûre de bien comprendre le sens de cet amendement. En tant qu'élue de Lille, j'ai été confrontée à l'effondrement de deux immeubles en novembre 2022, qui a malheureusement causé la mort d'une personne. À la suite de cet événement, de nombreux signalements d'immeubles - plus de 300 - ont été faits, pour lesquels nous avons bénéficié du précieux concours du Sdis et des sapeurs-pompiers. Je ne vois donc pas de quelle instrumentalisation vous parlez.
Peut-être faut-il améliorer la rédaction de l'article, mais nous avons besoin des Sdis, et pas seulement pour des questions d'incendie.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Cet amendement vise à recentrer l'action des sapeurs-pompiers sur leur coeur de métier : l'urgence et le secours.
La rédaction de l'article 12 bis est trop large : la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France elle-même craint que les pompiers ne soient appelés pour des querelles de voisinage ou un ascenseur qui tombe en panne...
M. François-Noël Buffet, président. - Leur expertise en matière de sécurité pourra toujours être utilisée par le maire pour prendre les décisions nécessaires.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Tout à fait.
Mme Audrey Linkenheld. - Dans le cas de l'effondrement des immeubles survenu à Lille, c'est un jeune homme qui a appelé les pompiers après avoir vu une fissure en rentrant en pleine nuit chez lui. Comment restreindre le champ du dispositif ?
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Notre amendement vise la procédure administrative, lorsque les pompiers sont saisis par le maire, et en aucun cas les opérations de secours.
Mme Audrey Linkenheld. - Alors il n'y a pas d'instrumentalisation de relations de voisinage !
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Dans le cas que vous venez de citer, les pompiers continueront bien évidemment à intervenir : c'est une situation d'urgence.
L'encadrement que nous prévoyons correspond, je le redis, à une demande des sapeurs-pompiers. Nous voulons éviter le détournement des demandes de constat d'une situation d'insécurité.
M. François-Noël Buffet, président. - En cas de situation d'urgence, les pompiers interviendront et, sur la base de leurs constats, le maire ou l'autorité compétente prendra les décisions nécessaires.
En dehors de l'imminence d'un péril, il ne faut pas que l'administration ait systématiquement recours aux pompiers pour faire l'évaluation technique d'un bâtiment, puisqu'elle dispose d'autres moyens - je pense notamment à ses propres services techniques.
L'amendement COM-111 est adopté.
Article 14
L'amendement rédactionnel COM-112 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - Les notaires m'ont fait part de leurs difficultés à identifier la totalité des indivisaires dans le cadre de successions non partagées dans les territoires ultramarins, et ce malgré le vote de la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dite loi Letchimy, que notre commission avait soutenue à l'époque.
C'est pourquoi je vous propose, par l'amendement COM-108, d'autoriser le recours aux actes de notoriété pour l'établissement de la qualité d'héritier dans le cadre du règlement successoral, dans les conditions fixées et encadrées par le code civil.
L'amendement COM-108 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-109 vise à corriger ce qui semble être une erreur dans la loi Letchimy, en supprimant le terme « judiciaire » accolé au mot « partage », afin d'inclure dans le dispositif de l'article 5 de cette loi les partages conventionnels, qui restent le mode privilégié de règlement successoral.
L'amendement COM-109 est adopté.
Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-110 tend à corriger une erreur matérielle.
L'amendement COM-110 est adopté.
La réunion, suspendue à 9 h 45, est reprise à 12 h 30.
Projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse - Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
M. François-Noël Buffet, président. - Nous entendons ce matin M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse, sur lequel nous examinerons, demain, le rapport d'Agnès Canayer et qui sera débattu en séance dans une quinzaine de jours.
Comme toujours, monsieur le ministre, nous sommes heureux de vous accueillir, pour cette audition qui, je le précise, est retransmise sur le site internet du Sénat.
Vous connaissez la position qui a été celle du Sénat au cours des précédents débats sur le sujet. La volonté d'inscrire l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution revient aujourd'hui devant notre assemblée, à travers un texte porté par votre Gouvernement et sur lequel l'Assemblée nationale s'est déjà prononcée. Nous avons des questions de nature constitutionnelle à vous poser. Mais, au préalable, je vous invite à exposer votre projet et les raisons de vos choix.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Demain, mesdames, messieurs les sénateurs, votre commission examinera le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse, tel qu'il a été adopté - très largement - par l'Assemblée nationale. Je suis honoré de pouvoir m'exprimer devant vous sur ce sujet.
Ce projet, vous le savez, est le fruit d'un long processus parlementaire - nous pourrions presque parler d'une troisième lecture ! Comme le Président de la République s'y était engagé, le Gouvernement a proposé une rédaction reprenant largement l'ensemble de ces travaux, en particulier ceux du Sénat.
Avant d'évoquer cette rédaction, j'aimerais vous dire quel est mon état d'esprit.
Sans être démenti, je crois pouvoir dire que j'ai toujours respecté le travail parlementaire, notamment celui de votre commission ; je le respecte à plus forte raison sur cette question sensible, qui impose un débat apaisé et respectueux de la conscience de chacun. Je me présente donc devant vous pour écouter, débattre et tenter de vous convaincre, et je ne suis pas pressé. Si certains ont eu l'impression que « la charrue était mise avant les boeufs », cela n'a jamais été mon intention, encore moins celle du Président de la République. Le Parlement doit faire son travail : nous prendrons le temps qu'il faut !
Venons-en au fond.
S'agissant de la nécessité de cette réforme, trois principes sont aujourd'hui en débat : la liberté de la femme de recourir à l'IVG, la liberté de conscience des médecins et des sages-femmes et le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Sur ces trois principes, seuls deux ont valeur constitutionnelle.
C'est le cas du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, en vertu de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994, dont le deuxième considérant, rattachant ce principe au Préambule de la Constitution de 1946, précise : « [...] la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».
C'est le cas, également, de la liberté de conscience, en l'occurrence des médecins et des sages-femmes, qui a beaucoup taraudé les parlementaires. Dans le treizième considérant de sa décision du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel a ainsi indiqué qu'elle constituait « l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », en la rattachant à l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dès lors, vous le savez, cette liberté de conscience a valeur constitutionnelle.
En revanche, ce n'est pas le cas de la liberté de la femme de recourir à l'IVG, qui, elle, est simplement rattachée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, sans que d'aucune manière elle ne soit consacrée comme un principe à valeur constitutionnelle ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le Conseil d'État partage cette analyse : dans son avis, il indique très clairement que cette liberté « ne fait aujourd'hui l'objet d'aucune consécration en tant que telle dans la Constitution française [...]. Elle n'est pas davantage consacrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l'homme ou de la Cour de justice de l'Union européenne. »
L'objet de la révision constitutionnelle est précisément de protéger le recours à l'interruption volontaire de grossesse, en l'inscrivant dans notre Constitution. À l'heure actuelle, rien n'interdirait à une majorité parlementaire de contraindre excessivement la liberté des femmes d'y avoir recours, pire encore de l'abolir.
Il est donc nécessaire d'agir, et ce de manière calibrée et prudente. À cet égard, que les choses soient claires : le Gouvernement n'entend pas créer un droit absolu et sans limite. Il s'agit bien de protéger une liberté, pas de l'étendre ; d'éviter qu'une majorité future ne puisse mettre drastiquement à mal la liberté des femmes de disposer de leur corps.
Pour ce faire, nous présentons un projet de loi reprenant très largement la rédaction élaborée par le Sénat voilà un an - j'ai dit voilà peu, devant votre délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qu'il y était conforme à 95 %, mais ce pourrait être plus...
Jugez par vous-mêmes ! D'abord, cette version retient l'emplacement choisi par le Sénat, à savoir l'article 34 de la Constitution. Ensuite, comme l'avait souhaité votre assemblée, elle accorde une place centrale à la loi pour déterminer les conditions d'exercice de cette liberté et préserve ainsi le rôle du Parlement. Enfin, contrairement au vote initial de l'Assemblée nationale, le Gouvernement s'est rangé derrière la Haute Assemblée pour définir le recours à l'interruption volontaire de grossesse comme une liberté.
Je m'arrête sur deux points suscitant, je le sais, des débats parmi vous.
D'une part, je ne vois pas de raison d'écarter la formule « interruption volontaire de grossesse » : elle figure dans le code de la santé publique, et c'est celle qu'emploient tant le langage commun que la littérature médicale. Elle semble d'ailleurs plus restrictive que l'expression retenue dans un amendement du sénateur Philippe Bas, évoquant le fait de « mettre un terme à sa grossesse ». Nous devrions trouver un accord sur ce point.
D'autre part, le Gouvernement a souhaité préciser son intention en employant le terme « garantie ». C'était une demande forte de l'Assemblée nationale et, je le précise, la seule précision reprise de vos collègues députés. Toutefois, ce terme ne doit pas vous inquiéter : il ne crée aucun droit absolu, sans limite ou opposable. Nous entendons, je le répète, protéger la liberté de recourir à l'IVG, et non l'étendre.
Comme je l'ai déjà indiqué, les autres principes en jeu sont déjà consacrés à un niveau constitutionnel. Le Conseil d'État ne s'y est pas trompé, au vu du quatorzième considérant de son avis dans lequel il indique : « Par elle-même, l'inscription de la liberté de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, dans les termes que propose le Gouvernement, ne remet pas en cause les autres droits et libertés que la Constitution garantit, tels que notamment la liberté de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse ainsi que la liberté d'expression. »
La rédaction proposée ne crée donc aucune forme de droit opposable ou inconditionnel, et cette garantie découle précisément des termes retenus par le Gouvernement : il s'agit d'une liberté personnelle de la femme, exercée dans les conditions fixées par le législateur, mais sans que celui-ci ne puisse y porter atteinte au point d'en compromettre l'exercice.
La révision constitutionnelle n'appellera pas non plus une prévalence de la liberté de recourir à l'IVG sur d'autres principes à valeur constitutionnelle, ni n'empêchera de censurer une loi qui viendrait porter à huit mois et demi de grossesse le délai maximal pour pratiquer une IVG.
L'esprit de ce texte, c'est donc : protection de la loi Veil ; pas extension !
D'ailleurs, si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est bien pour débattre d'une révision de notre Constitution, et non pour voter une mesure législative nouvelle qui relèverait du périmètre du ministère de la santé. Si le Gouvernement n'ignore pas les difficultés matérielles qui peuvent encore exister dans l'accès à l'interruption volontaire de grossesse, ce sujet n'est pas d'ordre constitutionnel et relève d'un autre portefeuille que le mien.
Le Sénat s'est déjà exprimé en faveur d'une protection constitutionnelle de la liberté de recourir à l'IVG - je veux à ce titre saluer l'engagement de Mélanie Vogel et Philippe Bas. J'espère donc sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous approuverez ce texte à la rédaction soupesée, fruit de nombreux travaux parlementaires, et qu'ensemble nous pourrons faire de la France le premier pays au monde à protéger la liberté des femmes à disposer de leur corps.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Effectivement, c'est la troisième fois que nous débattons de la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse.
Le projet présenté aujourd'hui, nous le notons, reprend certaines avancées introduites par le Sénat, notamment l'emplacement à l'article 34 de la Constitution, article procédural fixant la compétence du législateur. C'est à nos yeux la moins mauvaise solution, étant précisé que l'inscription dans la Constitution ne règlera pas toutes les difficultés constatées par les défenseurs - dont nous sommes - de cette liberté reconnue de recourir à l'IVG.
Par ailleurs, nous savons que les protections constitutionnelles relèvent de l'ensemble du bloc de constitutionnalité, dont fait partie la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or celui-ci a toujours eu une démarche protectrice du droit à l'IVG et de la liberté de la femme à y recourir, sur le fondement de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Nous considérons donc cette liberté comme étant aujourd'hui constitutionnellement garantie.
S'il faut aller plus loin sur un plan symbolique, l'accroche à l'article 34 est, comme je l'ai dit, un moindre mal. Mais la formule retenue n'est que proche de la rédaction votée voilà un an par le Sénat et peut poser des difficultés.
Le Gouvernement introduit notamment un concept nouveau, que l'on ne retrouve nulle part dans la Constitution : la notion de « liberté garantie ». Vous nous expliquez, monsieur le ministre, que ses effets seront limités. En tant que constituants, nous devons néanmoins être attentifs aux conséquences. L'enjeu d'effectivité ne relève pas d'une révision constitutionnelle, mais c'est tout de même le principal but visé : que toutes les femmes puissent réellement exercer cette liberté et que celle-ci ne puisse être remise en question. Or cela entraîne une responsabilisation de ceux qui réalisent ces actes et encadrent ces démarches.
Nous sommes donc assez dubitatifs sur les termes retenus : vous nous assurez qu'il n'y aura pas d'effet en termes de responsabilisation, mais les juristes sont encore partagés sur la question.
Pourquoi ne pas avoir repris la formule du Sénat ? Elle a l'avantage d'être claire et limpide, et l'on sait qu'en droit, il est essentiel de ne pas laisser de doute, d'éviter tout risque de futurs effets inconsidérés par l'introduction d'un concept nouveau dont on ignore les contours.
Enfin, vous souhaitez prendre tout le temps qu'il faut... Pourquoi, en ce cas, le Président de la République a-t-il annoncé la tenue d'un Congrès, si possible réuni le 4 ou 5 mars prochain ? Cette date annoncée dans les médias a-t-elle pour fonction de faire pression sur le Sénat ? S'agit-il de tirer profit d'une semaine dédiée aux droits de la femme autour du 8 mars ? Ou est-ce simplement une annonce inconsidérée, sans effet autre que celui de créer un buzz médiatique ?
M. Philippe Bas. - Nous sommes heureux de vous entendre, monsieur le ministre, et vous remercions de vos éclaircissements.
Avant de vous poser quelques questions très simples, permettez-moi une remarque... J'ai relu la décision du Conseil constitutionnel du 27 juin 2001 : elle reconnaît que la loi dont celui-ci était saisie ne rompait pas l'équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et la liberté de la femme telle qu'elle découle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Vous avez utilisé des mots bien choisis pour expliquer que cette liberté n'était pas reconnue « en tant que telle » dans la Constitution : elle est tout de même protégée par celle-ci et, de ce point de vue, nous ne jugeons pas indispensable son inscription noir sur blanc. Cela étant, avec la majorité de mes collègues, nous en avons accepté le principe, à la condition que ne subsiste aucune ambiguïté. C'est le texte adopté par le Sénat !
Je vous donne acte du fait que le Président de la République et le Gouvernement sont repartis de ce texte pour rédiger le leur. Mais, parce que cela a été demandé par l'Assemblée nationale - ce qui n'est tout de même pas une motivation de fond très solide -, vous avez accepté de faire référence à une « liberté garantie ». Alors, je me suis demandé s'il y avait, dans la Constitution, des droits et libertés garantis, et d'autres qui ne le seraient pas... Il serait intéressant de faire l'inventaire... En effet, quand il utilise un mot, le constituant entend qu'il ait un sens, un effet utile, une portée juridique - sans cela, il ne s'agit que de disserter.
Je voudrais donc vous interroger sur la portée juridique du terme « garantie » que vous avez retenu. S'il n'en a pas, il faut le retirer. S'il en a une, et que celle-ci tendrait à faire reconnaître un nouveau pouvoir du juge au travers d'un droit opposable, je ne serais pas favorable à ce que je considérerais comme un déplacement du pouvoir du Parlement vers le pouvoir du juge. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, vous avez indiqué que le texte adopté par l'Assemblée nationale ne comportait aucune extension du droit à l'IVG ; il ne comporte pas non plus de restriction. Si, demain, le Parlement décidait de ramener de quatorze à douze semaines le délai maximal de l'interruption volontaire de grossesse, la Constitution s'y opposerait-elle ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous vivons incontestablement un moment important. S'agissant du débat qui nous anime, je suggère déjà de mettre de côté les questions qui, me semble-t-il, ne se posent plus à nous.
Tout d'abord, comme le garde des sceaux l'a rappelé, la jurisprudence constitutionnelle ne protège actuellement pas le droit à l'IVG et l'avis du Conseil d'État est très clair sur ce point. J'écoutais le long développement, très argumenté, d'Agnès Canayer : le fait que le Conseil constitutionnel ne juge pas une loi inconstitutionnelle n'a rien à voir avec la protection d'un principe par la Constitution. On fait dire à la jurisprudence constitutionnelle plus qu'elle ne dit !
Pour les mêmes raisons - la clarté de l'avis du Conseil d'État -, on peut également évacuer la question de la liberté de conscience et, sans m'appesantir sur le sujet, le rattachement à l'article 34 est effectivement une bonne chose.
J'en viens donc à la notion de « liberté garantie ». On peut s'interroger sur le terme retenu - j'écouterai avec intérêt la réponse du ministre - ; pour autant, il n'a pas pour conséquence de créer un droit opposable et je trouverais singulier que, parce que d'autres libertés ne se verraient pas attribuer ce qualificatif dans la Constitution, il faudrait ne pas l'employer ici.
S'agissant de la temporalité, nous savons que la date annoncée du Congrès a suscité un peu de contrariété. Mais, dès lors que le Président de la République procrastine sur un certain nombre de sujets - je pense, par exemple, à la fin de vie -, j'ai plutôt apprécié le fait qu'il arrête une date et je suggère à ceux qui se sont émus de cette annonce qu'ils dépassent leurs premières réactions, vu l'importance du sujet.
Pour conclure, j'apprécie beaucoup la créativité de Philippe Bas, mais nous avons donné en la matière. Il est temps ! Il faut conclure ! C'est pourquoi nous soutenons le texte présenté, alors même, je le précise, que la rédaction retenue n'est pas la rédaction idéale pour nous.
Mme Mélanie Vogel. - Je le confirme, celles et ceux qui ont porté des formulations plus ambitieuses, claires et formelles sur la substance du droit qui allait être protégé auraient de nombreux arguments à avancer pour montrer que la rédaction finalement retenue n'entraînera aucune révolution.
Le droit à l'IVG dispose-t-il déjà d'une protection constitutionnelle ? La réponse à cette question est très claire. Nous avons ici suffisamment de compétences pour pouvoir lire une décision du Conseil constitutionnel : ce n'est pas parce que celui-ci estime qu'une loi ne remet pas en cause un équilibre, qu'elle ne contrevient pas à la Constitution, que telle liberté est consacrée comme principe constitutionnel. D'ailleurs, de 1958 à 1975, l'IVG était interdite en France, alors que nous avions la même Constitution !
Quant à la crainte - que je veux bien entendre - de voir un droit opposable se créer, le Conseil d'État affirme clairement dans son avis que le projet de loi ne fait que consacrer ce droit et laisse au législateur la liberté d'en déterminer les conditions d'exercice. C'est ce que vous souhaitiez, mes chers collègues de la majorité sénatoriale ; ce n'est pas l'équilibre auquel j'aspirais ! D'ailleurs, cette rédaction n'est pas à 95 % celle du Sénat, comme l'a dit le ministre ; elle l'est à 105 % : c'est le texte du Sénat, auquel on a ajouté le terme « garantie ».
Enfin, on trouve des déclinaisons du terme « garantie » dans la Constitution. À la dernière ligne du préambule de la Constitution de 1946, il est écrit que la France « garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques et l'exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus ».
M. Philippe Bas. - Ce n'est pas la Constitution !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - C'est le bloc constitutionnel ; ne soyez pas mauvais perdant !
Mme Mélanie Vogel. - De fait, les droits et libertés sont donc garantis par ce préambule et je me demande, pour ma part, quel effet serait recherché par le retrait du terme « garantie ».
J'y insiste, nous aurions souhaité un texte plus ambitieux. Mais l'histoire des droits et libertés publics en France a aussi démontré qu'à un moment, droite et gauche pouvaient travailler ensemble et trancher. C'est pourquoi nous nous satisfaisons de la formulation du Gouvernement.
Mme Dominique Vérien. - Je voudrais réagir, en m'appuyant sur les travaux de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
L'interruption volontaire de grossesse n'est aujourd'hui pas menacée en France, c'est vrai, et nous ne sommes pas un État fédéral comme les États-Unis. Mais nous pourrions être l'un des États américains, lesquels, les uns après les autres, font reculer le droit à l'IVG - en même temps, d'ailleurs, que le droit à la contraception. La question que ce débat soulève est donc bien celle, globale, de la maîtrise par les femmes de leur corps.
C'est l'effectivité de l'accès, et non la loi, qu'il faut travailler. Je rappelle à cet égard qu'un pays comme l'Italie n'a pas encore interdit l'IVG, mais a rendu son accès pratiquement impossible. Pour autant, partout dans le monde, les forces contraires à ce droit l'attaquent par le biais de la loi.
C'est pourquoi sa protection me semble absolument nécessaire.
Je conclurai en paraphrasant Philippe Bas : soit le fait de voter ne change rien, alors votons ; soit cela protège mieux, alors votons !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - À l'instant où je vous parle, mesdames, messieurs les sénateurs, sans doute la liberté de la femme de disposer de son corps n'est-elle pas menacée... Mais n'attendons pas qu'il soit trop tard ! Le jour où un législateur souhaitera abroger la loi Veil, il pourra le faire très simplement, et ce sera trop tard !
J'entends les discussions techniques qui se posent et je conçois qu'il faille regarder tout cela très attentivement. Mais, en réalité, l'avis du Conseil d'État répond à toutes ces questions.
Je ne partage pas votre avis, monsieur Bas, sur ce qui est protégé constitutionnellement et ce qui ne l'est pas. Vous êtes un fin juriste. Sur le triptyque que nous devrions voir protégé par la Constitution - liberté de conscience, respect de la dignité humaine, liberté de disposer de son corps -, une décision de juillet 1994 fait de la sauvegarde de la personne humaine un principe à valeur constitutionnelle - un PVC, fameuse notion que tout le monde connaît -, une décision de 2001 précise que la liberté de conscience est l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République - un des tout aussi fameux PFRLR - et cette même décision, dans son cinquième considérant, ne fait que rattacher le droit de la femme à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Soyons clairs : ce rattachement n'est pas une consécration constitutionnelle !
M. Philippe Bas. - Vous savez que ce n'est pas le cas.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Si je suis dans l'erreur, le Conseil d'État l'est également. Vous pouvez me concéder ce point...
M. Philippe Bas. - Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - J'insiste, la protection accordée à la liberté de la femme n'a pas valeur constitutionnelle.
Par ailleurs, le mot « garantie » est une explicitation bienvenue. On se situe effectivement au sein de l'article 34, article de partage entre loi et règlement, mais aussi article de consécration d'une liberté, ce que permet d'indiquer le terme retenu.
Bien sûr, le législateur peut aménager la liberté de recourir à l'IVG. Je vais m'arrêter un instant que ce qu'écrit le Conseil d'État à ce propos : « Par la rédaction proposée et ainsi qu'il ressort des débats devant le Conseil d'État, l'objectif du Gouvernement est d'encadrer l'office du législateur afin qu'il ne puisse interdire tout recours à l'interruption volontaire de grossesse ni en restreindre les conditions d'exercice de façon telle qu'il priverait cette liberté de toute portée. Pour cela, le Gouvernement souhaite, d'une part, affirmer que la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse est garantie par la Constitution et, d'autre part, renvoyer dans ce cadre au législateur la détermination des conditions d'exercice de cette liberté. Son intention n'est pas de modifier l'équilibre entre les deux principes de valeur constitutionnelle que sont la liberté de la femme et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation. Il n'envisage pas, enfin, que l'inscription dans la Constitution entraîne la nécessité de modifier les textes législatifs en vigueur régissant l'interruption volontaire de grossesse. »
Je poursuis avec le douzième considérant : « Le Conseil d'État estime que la rédaction du projet de loi constitutionnelle, telle qu'elle est proposée par le Gouvernement, est libellée de telle manière qu'elle devrait pouvoir s'adapter aux évolutions de toute nature, notamment techniques, médicales ou scientifiques. Il considère que cette rédaction, comme le souhaite le Gouvernement, laisse au législateur la possibilité de faire évoluer le cadre juridique dans lequel s'exerce cette liberté, en en fixant les garanties et les limites et dans le respect des principes mentionnés au point 8, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il souligne que la disposition examinée n'impose aucune modification des dispositions législatives existantes. »
J'ajoute que le Conseil constitutionnel prend en compte l'intention et la volonté du constituant, que vous ne manquerez pas d'exprimer. C'est une garantie supplémentaire.
Enfin, la Constitution faisant référence, dans son article 61-1, aux droits et libertés qu'elle « garantit », je ne vois rien de troublant à l'emploi de l'expression « liberté garantie ».
S'agissant de l'annonce du Président de la République, je vous rappelle ses propos exacts : « Un examen dans chaque assemblée pourra avoir lieu au premier trimestre 2024, afin qu'un Congrès puisse être envisagé le 4 mars prochain. » On peut difficilement être plus prudent !
Une révision constitutionnelle exige des compromis, et nous avons fait de grands pas vers le Sénat. Sans aucune forme de pression, le temps n'est-il pas venu de consacrer, ensemble, cette liberté ? Cela aurait de l'allure, et c'est une décision attendue dans le pays.
M. Philippe Bas. - N'y voyez pas d'entêtement, monsieur le ministre, mais, quand rien n'est écrit dans le bloc constitutionnel, le Conseil constitutionnel peut reconnaître un principe à valeur constitutionnelle ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Mais il n'a pas besoin de le faire si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen contient une disposition en ce sens. Or, je le rappelle, selon le Conseil constitutionnel, la liberté de la femme découle bien de l'article 2 de cette déclaration. Quoi de mieux ?
Mme Mélanie Vogel. - Dès lors, pourquoi l'IVG était-il interdit par le passé ?
M. Philippe Bas. - Dès lors qu'il existe un texte écrit, interprété d'une manière positive par le Conseil constitutionnel - et personne ne m'a vu récemment en contester les décisions -, on ne peut pas prétendre que cela n'a pas de valeur constitutionnelle. Ce débat est certes très intéressant, mais il peut continuer à nous séparer indéfiniment. L'important, c'est que nous trouvions une solution pour pouvoir inscrire cette liberté dans la Constitution, sans remettre en cause l'équilibre fondamental de la loi Veil lequel repose, d'une part, sur la liberté de la femme qui prévaut pendant les premières semaines de la grossesse et, ensuite, sur la protection de l'enfant à naître qui prévaut, sauf avortement thérapeutique, pendant la période suivante de la grossesse. Je ne souhaite pas que nous sortions de cet équilibre expressément visé par le Conseil constitutionnel dans sa décision de juin 2001.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis moi aussi respectueux du Conseil constitutionnel et des décisions qu'il rend. Mais pourquoi celui-ci n'écrit-il pas que la liberté de la femme est un principe à valeur constitutionnelle ?
M. Philippe Bas. - Parce qu'il y a déjà la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Nous n'avons pas la même appréciation, monsieur le sénateur.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 13 h 30, est reprise à 14 h 00.
Proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports - Examen des amendements au texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports. Nous commençons par l'examen des amendements de la rapporteure.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Article 1er
L'amendement rédactionnel LOIS.1 est adopté.
L'amendement LOIS.2 est adopté.
Article 9
L'amendement de correction LOIS.3 est adopté.
Article 12
L'amendement LOIS.4 est adopté.
Chapitre V : Création d'un fichier administratif pour centraliser les auteurs d'infractions dans les transports
L'amendement rédactionnel LOIS.6 est adopté.
Article 17
L'amendement de précision LOIS.5 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
La commission donne les avis suivants sur les amendements de séance :
La réunion suspendue à 14 h 10 est reprise à 16h10.
Projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie et projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Audition de M. Gérald Darmanin
M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, d'être avec nous cet après-midi pour aborder, en présence du rapporteur Philippe Bas, les deux textes que vous soumettez au Parlement. Le premier, de nature organique, concerne le report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ; le second, de nature constitutionnelle, a trait à la modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Le rapporteur du premier premier texte présentera demain matin à la commission son rapport, commission qui désignera, ce même jour, le rapporteur sur le second texte. Il y'a près de deux ans, le Sénat a rendu un rapport d'information consacré à l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie aux termes duquel il a émis un certain nombre de recommandations. Dans l'intervalle, la situation sur place s'est apaisée et les projets commencent à avancer de manière assez concrète. Je souligne, monsieur le ministre, toute l'attention qu'accorde la commission des lois du Sénat à ce dossier particulièrement important, à la fois pour nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour la République et pour notre pays.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer. - Je suis ravi de pouvoir évoquer avec vous ce beau territoire de la Nouvelle-Calédonie, dont les évolutions politiques et institutionnelles sont suivies par le Sénat avec une attention particulière.
Avant de présenter les deux textes - l'un constitutionnel, l'autre organique - que le Président de la République a souhaité vous soumettre dans le prolongement de son déplacement en Nouvelle-Calédonie quelques mois plus tôt, je commencerai par rappeler les objectifs politiques que nous cherchons à atteindre.
À la suite de l'accord de Nouméa, la Nouvelle-Calédonie a connu trois référendums d'autodétermination successifs au cours du premier mandat du Président de la République. Par trois fois, les Calédoniens - certes, avec des scores serrés - ont rejeté l'indépendance. L'accord de Nouméa prévoyait expressis verbis que les différentes parties devaient se réunir si le « non » l'emportait à trois reprises afin de constater la situation ainsi créée, sans précisions supplémentaires quant à la suite du processus.
Ces trois référendums clos, la Nouvelle-Calédonie reste française en droit, mais le territoire, qui bénéficie d'une très large autonomie économique, fiscale et sociale, est toujours traversé par des oppositions politiques et idéologiques. La question de l'indépendance reste très prégnante et ne pouvait être ignorée par le Gouvernement, sous peine de faire preuve de mépris et de recréer les conditions susceptibles de créer les événements dramatiques que la République a malheureusement connus par le passé.
Dans le même temps, le Gouvernement n'entendait pas organiser un énième référendum, qui se serait inscrit dans une logique visant à faire voter les électeurs jusqu'à ce qu'ils répondent « oui », dans la mesure où une telle option n'était pas prévue par l'accord de Nouméa et où le choix souverain des Calédoniens de rester Français devait être respecté.
Je me suis rendu à de nombreuses reprises en Nouvelle-Calédonie et le Gouvernement a tenu moult réunions - bilatérales, trilatérales ou en aparté - avec les représentants du territoire. J'ai pu porter ce dossier durant les mandats de Jean Castex et d'Élisabeth Borne, en lien avec Sébastien Lecornu pour la première partie du quinquennat. Nous avons proposé aux Calédoniens, qu'ils soient indépendantistes ou non, de pouvoir écrire un nouvel accord qui ancrerait évidemment la Nouvelle-Calédonie dans la République, mais qui prendrait également en compte une série d'évolutions institutionnelles.
En préalable, je souligne la complexité de l'organisation de la Nouvelle-Calédonie, qui découle d'une histoire ancienne et se base sur une répartition du pouvoir spécifique, avec des provinces qui sont l'équivalent des régions métropolitaines, mais dont les pouvoirs sont bien plus larges, notamment en matière économique. Cette structuration particulière complexifie les politiques publiques menées, alors que le territoire fait face à des défis d'ampleur, qu'il s'agisse du réchauffement climatique, d'enjeux économiques liés au nickel ou encore d'égalité des chances.
Cinq institutions régissent en effet ce territoire peuplé de 300 000 habitants : un congrès, un gouvernement et trois provinces, auxquels s'ajoutent des communes. Chaque province dispose, par exemple, de son propre code de l'environnement, alors que les enjeux environnementaux dépassent probablement leur périmètre géographique, ce qui rend parfois complexes les politiques de lutte contre le réchauffement climatique.
Outre la question institutionnelle, la question plus politique de la citoyenneté calédonienne - reconnue par la Constitution - est posée. Le fait que les Calédoniens sont à la fois Français et Calédoniens induit une problématique électorale qui est l'objet des textes que nous vous présentons.
Trois listes électorales coexistent. La première, commune, est utilisée pour les élections présidentielle et législatives dans le cadre d'un suffrage universel non restreint ; la deuxième, « provinciale », sert à élire les représentants des provinces, ce scrutin étant important à double titre. D'une part, ces représentants disposent d'un pouvoir local considérable ; d'autre part, les rapports de force dans les provinces déterminent la répartition des sièges au sein du congrès et, in fine, la présidence du gouvernement de Nouvelle-Calédonie. L'enjeu électoral se conjugue donc à un enjeu de représentation, étant précisé que, en vertu de l'accord de Nouméa, un pourcentage donné des membres du Congrès peut déclencher ou non les référendums d'autodétermination. La troisième, enfin, est la liste « référendaire », qu'il n'est en aucun cas question de modifier.
La véritable urgence concerne les élections provinciales, censées se tenir en mai 2024. Plus précisément, il s'agit de déterminer si nous devons convoquer celles-ci avec un corps électoral spécifique, qualifié de « gelé », ou si nous modifions ce dernier. Selon nous, le Président de la République en poste au moment de la signature de l'accord, Jacques Chirac, avait, dans une démarche de compromis et de paix, accepté de restreindre le corps électoral pour les élections locales et le scrutin référendaire. Par conséquent, les Calédoniens qui naissent aujourd'hui de parents calédoniens sur le territoire - les « natifs » - ne votent pas ; à l'inverse, un Français arrivant de métropole ne pourrait pas voter pour élire un représentant provincial, et ce quelle que soit sa durée de résidence sur place, ce qui va à l'encontre des droits démocratiques les plus élémentaires.
Considérant que l'accord de Nouméa revêtait un caractère transitoire, le Gouvernement prend donc la responsabilité de modifier le corps électoral des élections provinciales afin de se rapprocher du droit commun, du moins relativement. Aussi avons-nous proposé, après de longues discussions, de dégeler ledit corps électoral en instaurant un critère de dix ans de résidence ininterrompue en Nouvelle-Calédonie pour pouvoir voter aux élections provinciales. En y ajoutant les natifs - kanaks ou non kanaks - qui ne peuvent pas actuellement voter en l'état de la législation, le corps électoral accueillerait environ 25 000 nouveaux électeurs.
Pourquoi avoir retenu cette durée ? Là où, schématiquement, les indépendantistes étaient opposés au dégel du corps électoral, les non-indépendantistes proposaient de retenir des durées de domiciliation comprises entre trois et cinq ans. À la demande du Président de la République, j'ai suggéré de retenir une période de dix ans, qui semblait représenter un compromis acceptable par les deux parties. Philippe Bas se souvient sans doute qu'il s'agissait de la première proposition formulée par le président Jacques Chirac : acceptée dans un premier temps, elle avait finalement été écartée.
Plusieurs questions découlent de ce choix, à commencer par celle de savoir si nous pouvons dégeler le corps électoral et convoquer les élections provinciales en mai 2024. Le Conseil d'État y a répondu par la négative en indiquant que les modifications envisagées étaient de nature constitutionnelle, alors que nous pensions dans un premier temps que les tableaux auxquels faisait référence l'accord de Nouméa étaient de nature organique. Nous avons pris acte de cette interprétation.
Concernant la possibilité d'adopter rapidement ces modifications et d'organiser les élections dès le mois de mai, la réponse est également négative ; d'où notre proposition visant à décaler le scrutin au mois de décembre. Le Conseil d'État a fait savoir qu'il serait possible de reporter une nouvelle fois ces élections, en novembre 2025 au plus tard.
Notre dessein collectif consiste bien à parvenir à un accord global avec les Calédoniens - indépendantistes ou non - dans lequel s'inscrirait le dégel de la liste électorale provinciale, mais également une redéfinition de la nationalité calédonienne, aujourd'hui uniquement rattachée au fait de voter, sans oublier d'éventuelles adaptations d'institutions qui manquent peut-être d'efficience. Le congrès ou la Nouvelle-Calédonie pourraient ainsi être rebaptisés, tandis que nous pourrions nous interroger de manière plus approfondie sur le lien qu'entretient la Nouvelle-Calédonie avec la France, en examinant le degré d'une autonomie qui pourrait peut-être aller jusqu'à disposer du pouvoir diplomatique.
Le Gouvernement a toujours exprimé le souhait d'aborder l'ensemble de ces sujets dans le cadre d'un accord qui s'inscrirait dans la continuité de celui qui a été signé à Nouméa. En outre, la question de l'autodétermination reste posée : la République ne saurait refuser à la Nouvelle-Calédonie le droit de se prononcer dans certaines formes, mais en s'assurant qu'un tel scrutin n'intervienne pas de manière trop rapprochée, car cela reviendrait à désavouer les votes précédents tout en créant une instabilité qui nuirait aux investissements locaux, menacés en permanence par une épée de Damoclès.
Pour autant, cette question de l'autodétermination pourrait être posée à l'horizon d'une génération. Reste à voir sous quelle forme : un référendum n'offrant le choix qu'entre « oui » et « non », au caractère très européen, devrait peut-être céder la place à des référendums de projets qui correspondrait davantage au caractère océanien. L'un des défauts de l'accord de Nouméa résidait peut-être dans le fait d'avoir fixé une date précise et posé une alternative binaire, alors que certains Calédoniens peuvent être favorables à l'idée d'indépendance tout en étant attachés à la France. Nous pourrions ainsi imaginer que l'un des partis politiques propose un projet d'association à la France, en s'assurant que les deux tiers ou les trois cinquièmes du congrès de Nouvelle-Calédonie soient associés à ce type de démarche et qu'aucune des forces politiques n'écrase les autres.
Jusqu'à présent, nous avons longuement discuté, mais sans parvenir à un accord, malgré l'importante avancée que représente l'adoption, à une large majorité, du projet de loi organique destiné à reporter le scrutin par le congrès de Nouvelle-Calédonie. N'oublions que les indépendantistes comme les non-indépendantistes sont eux-mêmes divisés : l'Union nationale pour l'indépendance-Palika n'a ainsi pas adopté la même position que l'Union calédonienne (UC) en votant en faveur de ce texte aux côtés des non-indépendantistes, alors que ces deux formations appartiennent au Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS).
Le Gouvernement a choisi d'aller de l'avant en mettant sur la table ces modifications organiques et constitutionnelles qui ne touchent que la liste électorale provinciale et qui prévoient un report du scrutin. Nous avons toujours signifié aux Calédoniens que s'ils parvenaient à trouver un accord entretemps, nous l'étudierions avec grand intérêt et le proposerions au Parlement français, en modifiant les deux textes. La méthode choisie fonctionne dans la mesure où, pour la première fois depuis quatre ans, les indépendantistes et les non-indépendantistes se sont réunis à deux reprises sans l'État afin de discuter d'un éventuel accord, en en publiant des communiqués de presse communs. À défaut d'être parvenus à un accord à ce stade, et sans nier l'existence de points d'achoppement tels que l'horizon de l'autodétermination, les deux camps dialoguent.
Cependant, les échéances se rapprochent puisque le FLNKS tiendra son congrès au mois de mars prochain, tandis que le Sénat examinera le texte à la fin de ce même mois, avant que l'Assemblée nationale ne s'en empare le 13 mai. Le Congrès se réunira quant à lui avant l'été et n'examinera que ce dossier néo-calédonien. La paix dans ce territoire transcende sans doute les épisodes de politique politicienne et devrait permettre de se concentrer sur le fond, à la demande des Calédoniens eux-mêmes.
Nous leur adressons le message suivant : nous avançons, sans bousculer les équilibres et en proposant une solution de compromis sur le dégel du corps électoral, mais sans préjuger d'un éventuel accord relatif aux institutions ou à la citoyenneté. Me rendant à nouveau en Nouvelle-Calédonie le 20 février, j'espère que nous trouverons les voies d'un compromis permettant d'organiser les élections provinciales de la façon la plus apaisée possible.
Le Gouvernement respecte donc les parties comme l'histoire de la Nouvelle-Calédonie qui s'inscrit dans la continuité de l'accord de Nouméa et prend en compte la volonté de la population de rester française, sans nier le droit à l'autodétermination qui devra s'exercer dans une temporalité raisonnable.
Pour résumer notre état d'esprit, nous sommes optimistes, mais prudents. Je tiens à souligner la grande responsabilité dont font preuve les élus locaux, dont le président Louis Mapou, le président Roch Wamytan, les présidents de province et en particulier Sonia Backès, présidente de la province Sud qui a pris l'initiative des discussions entre indépendantistes et non-indépendantistes. Je souhaite également saluer l'ensemble des parlementaires, ainsi que les maires, qui jouent un rôle très important en Nouvelle-Calédonie : même les élus indépendantistes ont organisé le troisième scrutin, ce qui démontre, au-delà d'idées politiques que nous respectons, leur loyauté envers la République. Enfin, je remercie les différents hauts- commissaires qui se sont succédé.
Pour toutes ces raisons, un texte constitutionnel est nécessaire afin de supprimer le dernier alinéa de l'article 77 de la Constitution introduit en 2007, qui imposait le gel par référence au corps électoral de 1998 ; et de créer le nouvel alinéa 77-1 introduisant les deux critères que j'évoquais concernant les natifs et les dix années de domiciliation. Le projet de loi organique prévoit, quant à lui, le report du scrutin, avec la possibilité pour le Gouvernement de justifier un report supplémentaire par l'imminence de la conclusion d'un accord.
Merci de m'avoir donné l'opportunité de présenter ce dossier aussi complexe que passionnant. Restons très modestes dans ce dossier, qui a connu des épisodes sanglants et qui suscite de fortes attentes.
Pour terminer sur une tonalité plus romantique, la jeunesse locale, kanake ou non, indépendantiste ou non, ne se pose pas nécessairement les mêmes questions que ses aînés. Tous les Kanaks ne sont pas indépendantistes, et un certain nombre d'entre eux servent dans les rangs de la police ou de la gendarmerie tout en manifestant un attachement culturel à l'indépendance et à la « Kanaky » ; de la même manière, l'identité calédonienne compte pour les jeunes non-indépendantistes, qui ne se sont pour la plupart jamais rendus dans l'Hexagone. La question institutionnelle se pose différemment pour cette génération, à qui nous devons offrir une perspective tout en tenant compte de ses incontestables spécificités.
Enfin, nous devons protéger la Nouvelle-Calédonie des ingérences étrangères et des tentatives de prédation économique visant le nickel - secteur qui traverse une période très difficile -, sans oublier les enjeux liés à la zone économique exclusive (ZEE) et à une contestation plus globale de la présence occidentale dans la zone indopacifique. Travaillons pour cette jeunesse calédonienne, à laquelle tous pensent en imaginant l'avenir du territoire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Monsieur le ministre, merci pour votre exposé qui reflète votre bonne connaissance de la question calédonienne, à laquelle vous avez consacré beaucoup de temps. Sur ce sujet excessivement complexe, seul le texte organique reportant au plus tard au 15 décembre 2024 les élections provinciales initialement prévues en mai est pour l'instant inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat.
J'ai été surpris de l'adoption en conseil des ministres du texte constitutionnel, qui reflète une créativité dont la Nouvelle-Calédonie offre un certain nombre d'exemples, mais qui justifie un certain nombre de précautions. Parallèlement à ce travail du Gouvernement, des discussions visant à parvenir à un accord global sont en cours en Nouvelle-Calédonie. Dans le cadre de nos déplacements sur place avec le président François-Noël Buffet, nous avions déjà souligné l'exigence d'apporter une solution d'ensemble au territoire.
Ne craignez-vous pas, en ayant si rapidement rendu public un projet de loi constitutionnelle visant à traiter la question du corps électoral, d'initier un processus séparant l'organisation des élections de la recherche d'une solution globale, qui reste l'objectif principal ? Cette méthode ne risque-t-elle pas de reporter d'autant un accord plus large ?
De surcroît, la date du 15 décembre 2024 équivaut à une prolongation de sept mois du pouvoir des assemblées provinciales et du congrès. Le Conseil d'État a, quant à lui, généreusement considéré que l'on pourrait aller jusqu'à une prolongation de dix-huit mois. Pourquoi un tel empressement de votre part ? Serait-ce une manière de faire adopter par le Parlement français une solution constitutionnelle partielle, dont vous prévoyez heureusement qu'elle pourrait ne jamais être appliquée en cas d'accord local ?
Peut-être êtes-vous animé par le souci d'inciter à la conclusion d'un accord par le biais d'un texte repoussoir qui n'engloberait pas toutes les problématiques néo-calédoniennes. Celles-ci, outre le corps électoral, concernent les relations avec l'Hexagone, les évolutions institutionnelles et les modalités d'exercice du droit à l'autodétermination, un droit incontestable, mais qui ne saurait s'exercer dans des modalités identiques à celles qui sont prévues par l'accord de Nouméa. Je souhaiterais que vous puissiez lever cette difficulté en amont de la définition d'un calendrier d'adoption de ce texte constitutionnel, qui reste un peu virtuel à ce stade.
Par ailleurs, en admettant que nous organisions des élections sur le fondement d'une liste révisée par application du texte constitutionnel, aurions-nous vraiment le temps de franchir toutes les étapes nous séparant de la date butoir du 15 décembre ? Cette échéance doit impérativement être respectée, ne serait-ce que pour des raisons pratiques : elle correspond en effet au début des grandes vacances australes, et ne pas tenir ce délai reviendrait à perdre trois mois.
Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie nous a assuré que tout serait prêt et qu'il ne manquerait pas un seul bouton de guêtre, mais ses affirmations n'ont pas levé tous les doutes que je pouvais éprouver.
Enfin, quelle évaluation faites-vous des progrès des discussions ? De récents contacts avec les parties prenantes m'ont donné l'impression que des avancées étaient obtenues, ce qui pourrait nous inciter à leur laisser davantage de temps, sans qu'elles puissent nous soupçonner d'exercer une pression sur elles en adoptant un texte visant une solution à la fois unilatérale et partielle.
Mme Corinne Narassiguin. - Je souscris aux propos tenus par le rapporteur. Depuis l'accord de Nouméa, la démarche de la France consiste à laisser de l'espace à la conclusion d'un accord local, un objectif qui pourrait être contrarié par le critère des 10 ans « secs » de domiciliation, qui ne satisfait pas les deux parties. Certains pourraient s'interroger sur la sincérité des négociations à venir, estimant que le Gouvernement fera adopter de toute façon le projet de loi constitutionnelle. N'existe-t-il pas là une entrave au bon déroulement des discussions ?
Nous partageons tous le souhait d'aller vers une situation la plus pacifiée possible, avec une définition de plus en plus claire de la répartition des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. Le processus d'autodétermination, quant à lui, devra aller jusqu'à son terme. Vous n'avez d'ailleurs pas mentionné le fait que les indépendantistes ont contesté le troisième référendum et refusé d'y participer, sans revenir, fort heureusement, à la violence. La situation n'en demeure pas moins fragile : si un texte constitutionnel venait à être adopté au forceps, les élections, qu'elles soient organisées en décembre 2024 ou plus tard, pourraient être considérées comme illégitimes par une partie de la population.
M. Gérald Darmanin, ministre. - Le rapporteur dispose d'une connaissance plus ancienne et plus approfondie de la Nouvelle-Calédonie que la mienne et a soulevé des questions que nous avons évoquées avec le Président de la République. Je corrigerai néanmoins certains de vos propos : consacrer plus de trois ans à la discussion ne me paraît pas témoigner d'un empressement ou d'une volonté de bousculer nos interlocuteurs.
Par ailleurs, chacun en conviendra, fixer la date des élections et délimiter le corps électoral sont des tâches essentielles dans une démocratie. S'agissant dudit corps électoral, tous s'accordaient à reconnaître qu'il était gelé de manière transitoire, dans la période définie par l'accord de Nouméa, avec la tenue de trois référendums. Même si les Calédoniens avaient voté majoritairement « oui » lors du dernier scrutin, les élections provinciales auraient dû être organisées : comment les indépendantistes auraient-ils alors procédé ? Sans doute pas en réservant le scrutin aux seuls Kanaks, solution qui constituerait une rupture d'égalité et qu'ils n'ont d'ailleurs jamais soutenue.
Concernant la méthode, ma lecture de la situation est inverse à la vôtre : c'est bien à la suite du dépôt des textes que les discussions ont débuté, alors que les indépendantistes et non-indépendantistes ne se réunissaient pas sans l'État depuis le troisième référendum, en dépit du fait de vivre ensemble au quotidien. Les deux camps ont ainsi refusé toute réunion trilatérale officielle pendant deux ans, tandis que les indépendantistes - à l'exception de l'Union nationale pour l'indépendance-Palika - ne s'étaient pas déplacés lors de la visite du Président de la République.
Nous avons finalement réussi à organiser une rencontre trilatérale, avant que le dépôt des textes ne déclenche, comme par magie, des réunions et des séminaires débouchant sur des communiqués communs. J'estime donc que notre initiative a dynamisé la machine institutionnelle. Certes, les indépendantistes n'ont aucun intérêt à voir le corps électoral dégelé, en tout cas pas sans négocier d'autres évolutions institutionnelles qui détermineraient, par exemple, les modalités de l'autodétermination. Plus globalement, toutes les parties ont intérêt à ce que les institutions fonctionnent de manière plus efficace et à ce que la citoyenneté calédonienne soit mieux définie.
J'ai donc le sentiment que si nous arrêtions ce processus, les deux camps ne trouveraient plus aucun intérêt à se réunir et reporteraient de manière indéfinie les sujets qui fâchent.
En outre, la date du 15 décembre a été validée par le congrès calédonien, présidé, à l'instar du gouvernement, par un indépendantiste. Je ne vois pas par quel miracle une majorité indépendantiste voterait le report des élections contre son propre gré. Une majorité du congrès, ainsi que le président du gouvernement Louis Mapou, a validé cette échéance.
L'État est en ordre de marche pour les étapes qui suivront le vote de la loi, le décret correspondant étant d'ores et déjà prêt et pouvant être transmis à votre commission.
Cela fait plus de deux ans que nous avons préparé ce scénario, ne serait-ce que pour montrer aux Calédoniens ce que pourra donner la révision du corps électoral.
Que signifie exactement le dégel électoral ? Qui vote ? Où et comment ? Et de quelle manière le vote est-il influencé ? Les simulations que nous avons conduites montrent que s'ajouteront aux listes 12 441 natifs qui ne votent pas - soit des Calédoniens de plus de 18 ans, nés en Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient ou non Kanaks - et 13 400 non-natifs résidant depuis plus de dix ans sur le territoire. On atteint ainsi le nombre de 25 000 nouveaux électeurs que j'évoquais tout à l'heure.
Nous avons tout organisé et méticuleusement noté, nous sommes prêts pour la révision des listes électorales. Existe-t-il d'autres moyens permettant aux Calédoniens de voter aux élections provinciales ? Le Gouvernement n'est pas opposé à l'idée qu'on puisse justifier d'un intérêt matériel et moral, en plus de la naissance ou du nombre d'années de résidence. Mais cela complexifie les choses, car il faudrait créer des commissions composées à parité d'indépendantistes et de non-indépendantistes ; dans ce cadre, certains auraient intérêt à évincer les autres, puisqu'il y a une élection à gagner.
J'insiste sur l'urgence de disposer de représentants provinciaux pour la gestion du nickel, qui se trouve dans une situation extrêmement complexe à l'heure où nous parlons.
Les indépendantistes n'ont pas intérêt à boycotter la province Nord, car ils laisseraient les non-indépendantistes gagner la gestion de l'usine de nickel. Je pense que les indépendantistes iront voter, surtout qu'ils savent qu'ils remportent massivement les élections dans la province Nord. Que ce soit l'Union calédonienne ou l'Union nationale pour l'indépendance qui remporte la province est une autre question. En Nouvelle-Calédonie, savoir qui va gagner les élections n'est pas un enjeu : la province Sud revient aux loyalistes, la province Nord aux indépendantistes. En revanche on se demande quelle famille d'indépendantistes va remporter le scrutin et comment elle va influencer le congrès. Bref, il faut s'attendre à des votes indépendantistes.
Encore une fois, nous serons prêts parce que le décret est d'ores et déjà préparé et que nous avons conduit ces simulations justement pour pouvoir organiser les élections en décembre prochain.
Le texte présenté est-il un repoussoir ? Je ne le pense pas, car, il y a un an, alors que je présidais les négociations, toutes les tendances indépendantistes et non indépendantistes ont signé un document autorisant le dégel du corps électoral pour y inclure les citoyens résidant sur le territoire depuis plus de dix ans. Quelle démocratie vivrait avec une liste électorale ne comprenant que les natifs, sans jamais inclure les personnes qui viendraient à résider sur le territoire ? Il ne s'agirait certainement pas d'une démocratie classique.
Quant au troisième référendum, il a été organisé à la demande des indépendantistes. C'est une vérité qu'il faut sans cesse rappeler, sans quoi on pourrait avoir le sentiment que l'État a voulu forcer les choses. J'insiste, ce sont bien les indépendantistes qui, au congrès, ont demandé à l'État d'organiser ce référendum et d'en fixer la date.
Pour des raisons de fond et de forme sur lesquelles je ne reviendrai pas, le référendum a été reporté au moment où la pandémie de covid-19 a éclaté. Lorsque le référendum a enfin eu lieu, au sortir de la crise sanitaire, les indépendantistes se sont en grande partie abstenus. Mais ce ne fut pas le cas de tout le monde. Par exemple, le président Paul Néaoutyine, signataire des accords de Nouméa, est allé voter.
Il n'en demeure pas moins que je suis d'accord avec vous : les indépendantistes ont boycotté le référendum, prétextant qu'il y avait la covid. Cela ne les a pas empêchés d'aller voter aux élections législatives qui se sont tenues quelques semaines plus tard, dans la perspective de battre un député de la majorité.
À mon avis, les indépendantistes ont dû se dire qu'ils risquaient de perdre le référendum et qu'ils avaient commis l'erreur de le déclencher. Par ailleurs, ils ne se sentaient pas forcément prêts à acquérir leur indépendance tout de suite. Dans ces conditions, il valait mieux demander à l'État de repousser la date du référendum.
L'État a décliné cette demande, car il y avait une machine référendaire à mettre en place et que la tenue de ce genre de scrutin en Nouvelle-Calédonie implique un maintien de l'ordre public particulier. Par ailleurs, les maires indépendantistes ont accepté d'organiser le scrutin et de convoquer les électeurs.
Le troisième référendum a été contesté juridiquement, mais le Conseil d'État a donné raison à l'État français. La Nouvelle-Calédonie a toujours la possibilité de saisir les instances internationales aux fins de contestation, ce qu'elle n'a pas fait. Aucun pays au monde, y compris ceux de la zone Pacifique, ne s'est saisi de cette question. Je peux l'attester, m'étant rendu à la réunion du C-24, le Comité spécial des Nations unies chargé d'étudier la situation en ce qui concerne l'application de la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Nous sommes le seul pays à y envoyer un ministre ou un ambassadeur pour justifier la considération de l'État pour les demandes d'indépendance de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, deux territoires à décoloniser. Le C-24 a lui-même constaté que nous avions respecté toutes les règles du droit électoral lorsque nous avons organisé le référendum.
Plus personne ne conteste le résultat du scrutin, y compris les indépendantistes. D'autant que le Gouvernement ne nie nullement le droit à l'autodétermination : il exige seulement qu'on en précise les modalités. C'est ainsi que nous avons mis plusieurs scénarios sur la table...
Du reste, je ne pense pas que le Gouvernement agisse de façon trop rapide. C'est parce que nous présentons ces textes que les Calédoniens ont commencé à discuter et à progresser dans les négociations. Oui, nous faisons un pari, mais celui-ci paraît assez raisonnable dès lors que nous n'avons pas poussé notre avantage : en effet, nous n'avons parlé ni du dégel total du corps électoral, ni de l'étendre aux citoyens pouvant justifier de trois années de résidence, ni de l'autodétermination et de son échéance éventuelle, ni d'ajout ou de retrait de compétences. Nous nous en sommes tenus au minimum minimorum de la République et de la démocratie en proposant que les citoyens de plus de 18 ans nés en Nouvelle-Calédonie et ceux qui y résident depuis plus de dix ans puissent participer aux élections provinciales.
Je le dis pour nos futurs débats : nous n'avons pas proposé de modification de la représentation au sein des assemblées de province et du congrès. Certains parlementaires pourraient être tentés d'aller dans cette voie, mais cela outrepasserait le gentlemen's agreement que nous avons conclu avec les Calédoniens. Pour l'heure, ils continuent à discuter et je les rencontrerai avec beaucoup de plaisir la semaine prochaine.
Bien entendu, nous vous fournirons les documents par lesquels Victor Tutugoro et Roch Wamytan ont accepté les discussions sur le dégel du corps électoral, dans les conditions que j'ai décrites.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie pour votre participation, monsieur le ministre.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 00.
Mercredi 14 février 2024
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Alain Marc rapporteur sur la proposition de loi n° 1959 (A.N., XVIe lég.) visant à faciliter la mise à disposition aux régions du réseau routier national non concédé, sous réserve de sa transmission.
Projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Thani Mohamed Soilihi rapporteur sur le projet de loi n° 279 (2023-2024) ratifiant l'ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.
Projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Philippe Bas rapporteur sur le projet de loi constitutionnelle n° 291 (2023-2024) portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Proposition de loi visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. François Bonhomme rapporteur sur la proposition de loi n° 154 (2023-2024) visant à expérimenter le transfert de la compétence « médecine scolaire » aux départements volontaires présentée par Mme Françoise Gatel et plusieurs de ses collègues.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Muriel Jourda rapporteur sur la proposition de loi n° 169 (2023-2024), adoptée par l'Assemblée nationale, améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
Proposition de loi rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprises » - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Elsa Schalck rapporteure sur la proposition de loi n° 192 (2023-2024) rendant obligatoires les « tests PME » et créant un dispositif « Impact Entreprisse » présentée par M. Olivier Rietmann.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne Mme Isabelle Florennes rapporteure sur la proposition de loi n° 266 (2023-2024), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière - Désignation d'un rapporteur
La commission désigne M. Francis Szpiner rapporteur sur la proposition de loi n° 308 (2023-2024), adoptée par l'Assemblée nationale, créant l'homicide routier et visant à lutter contre la violence routière.
Proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux - Désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Di Folco, M. Mathieu Darnaud, Mme Françoise Gatel, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Hussein Bourgi et Mme Patricia Schillinger comme membres titulaires, et de Mme Nadine Bellurot, Mme Marie Mercier, M. Jean-Michel Arnaud, M. Éric Kerrouche, Mme Cécile Cukierman, M. Alain Marc et M. Guy Benarroche comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse - Examen du rapport et du texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Agnès Canayer sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Nous voilà réunis pour la troisième fois en seize mois pour débattre de la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).
L'IVG est entrée dans notre droit grâce à l'engagement de Simone Veil qui a fait adopter la loi du 17 janvier 1975 visant à inscrire dans le code de la santé publique le droit pour la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre sa grossesse d'en demander l'interruption auprès d'un médecin ou d'une sage-femme. Ce droit à l'IVG a été renforcé à de nombreuses reprises depuis lors. Vous connaissez comme moi les réformes qui ont permis d'allonger les délais, notamment jusqu'à quatorze semaines en 2022. Cette même année, 234 000 IVG ont été pratiquées en France, soit un taux encore jamais atteint.
Le 19 octobre 2022, le Sénat a rejeté la proposition de loi de Mélanie Vogel et ses collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires qui visait à inscrire à l'article 66-2 de la Constitution le fait que nul ne peut porter atteinte au droit à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Le 1er février 2023, soit quelques mois plus tard, le Sénat a adopté la proposition de loi des députées Mathilde Panot et Aurore Bergé qui visait également à inscrire à l'article 66-2 de la Constitution l'accès effectif et égal au droit à l'interruption volontaire de grossesse, mais en la modifiant, sur l'initiative de notre collègue Philippe Bas. Le texte remanié prévoyait ainsi d'ajouter à l'article 34 de la Constitution la formulation suivante : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse. »
Nous nous retrouvons donc pour une troisième tentative : il s'agit, sur l'initiative du Gouvernement, d'inscrire à l'article 34 de la Constitution le principe selon lequel « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».
Certaines questions restent d'actualité et nous en avons déjà débattu. Premièrement, faut-il consacrer dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse ? Deuxièmement, cette consécration garantira-t-elle véritablement un accès effectif sur le territoire de toutes les femmes à l'interruption volontaire de grossesse ?
Sur ce second point, il y a consensus : ce n'est pas la constitutionnalisation du droit à l'interruption volontaire de grossesse ou de la liberté d'y recourir qui rendra plus effectif son accès. En effet, les difficultés en la matière relèvent davantage de la désertification médicale, du moindre coût du remboursement des actes médicaux, du manque de prévention, d'éducation et de sensibilisation, ainsi que du manque de moyens pour les centres de santé sexuelle et pour le Planning familial. Or, ces dispositions relèvent non pas de la Constitution, mais du domaine réglementaire, voire législatif lorsqu'il s'agit des moyens financiers.
L'inscription dans la Constitution de la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse sera-t-elle une garantie absolue contre toute remise en cause de l'IVG ? Si nous pouvons admettre, en suivant l'avis du Conseil d'État, que nous consacrerions la liberté de recourir à l'IVG, en l'inscrivant noir sur blanc dans le texte de la Constitution, force est de constater que cela ne garantirait pas sa protection de manière absolue.
De plus, la consécration de cette liberté par son inscription dans la Constitution aurait des effets juridiques limités. En effet, une révision constitutionnelle peut toujours se défaire par une autre révision constitutionnelle, et la Constitution de 1958 a déjà été révisée à vingt-quatre reprises. Ainsi, s'il devait y avoir un changement de régime politique remettant en cause la liberté de recourir à l'IVG, ce qui n'est pas le cas puisque pour l'instant aucun parti politique ne le revendique en France, la Constitution serait balayée et n'apporterait aucune garantie.
Je souligne qu'aucun pays dans le monde n'a inscrit de manière positive la reconnaissance de la liberté de recourir à l'IVG dans un texte constitutionnel. Cette consécration symbolique ne renforcerait pas la protection d'un droit qui est déjà largement protégé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci s'est en effet prononcé à quatre reprises sur le sujet en rattachant le droit de recourir à l'IVG à la liberté de la femme dont le principe est consacré à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Une protection constitutionnelle existe donc déjà, qui résulte, d'une part, des textes formant le bloc de constitutionnalité, et, d'autre part, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je précise que celui-ci se considère comme libre de son interprétation à l'égard du Conseil d'État et des débats parlementaires.
Si d'un point de vue strictement juridique l'inscription de la liberté de recourir à l'IVG ne se justifie pas pleinement, nous pouvons toutefois constater que la donne politique a changé. En effet, le vote des députés a été plus que majoritaire pour adopter le texte proposé par le Gouvernement. Par ailleurs, l'initiative est désormais gouvernementale et non plus parlementaire. La procédure de révision constitutionnelle ne sera donc pas la même puisque, en vertu de l'article 89 de la Constitution, l'initiative parlementaire rend obligatoire le recours au référendum, alors que, dans le cas présent, le Président de la République aurait le choix entre le référendum ou la réunion du Congrès à Versailles. Nous savons déjà que c'est cette dernière option qui serait choisie si les deux assemblées adoptent le texte dans des termes identiques.
L'accroche du texte a également changé. Alors que les différentes propositions de loi que nous avions examinées visaient à introduire l'inscription de cette liberté à l'article 66-1 de la Constitution, dans un titre consacré aux libertés individuelles, le projet de loi prévoit de la rattacher à l'article 34, comme l'avait proposé le Sénat. Il s'agit là de la moins mauvaise des solutions, car cet article de procédure donne compétence au législateur pour intervenir en matière de libertés publiques, ce qu'est précisément le droit à l'IVG.
Le garde des sceaux considère que la formulation, telle qu'elle est proposée, recouvre 95 % de ce qu'avait proposé le Sénat. Il s'agit, en effet de reconnaître une liberté à la femme. Toutefois, les 5 % non couverts n'ont rien de neutre. Le remplacement de l'expression « mettre fin à sa grossesse » par le terme technique d'« IVG » fait référence à la loi Veil, de sorte que nous pouvons accepter ce compromis. Quant à la notion de « liberté garantie », elle pose davantage problème, car le terme « garantie », s'il est utilisé à plusieurs reprises dans la Constitution ou dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, est toujours attaché à un sujet, que ce soit la société, la Nation ou la Constitution. Or, ce n'est pas le cas ici, de sorte qu'une incertitude plane.
En outre, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prévoit que toutes les libertés inscrites dans la Constitution sont garanties. Le texte du projet de loi est donc forcément redondant. Quand bien même il y aurait une utilité réelle à utiliser l'expression de « liberté garantie », il faudrait se poser la question de ses effets juridiques. Or, il s'agit à mon sens d'un ovni juridique, dont on ne sait pas s'il créera des droits opposables ou non. On ne sait pas non plus comment le Conseil constitutionnel interprétera la notion afin de censurer les lois qui viendraient, par exemple, limiter les délais de recours à l'IVG. Rien n'indique que le Conseil constitutionnel, qui se considère comme autonome et indépendant dans ses interprétations de la Constitution, n'aura recours à un tel concept. Les incertitudes juridiques sont donc trop nombreuses pour que l'on puisse considérer la rédaction proposée comme satisfaisante.
Par conséquent, nous pouvons prendre acte du vote exprimé en février 2023 par une majorité de sénateurs pour inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l'IVG. Cependant, le texte proposé par le Gouvernement reprend une rédaction proche, mais pas tout à fait identique à celle que le Sénat avait proposée. Enfin, nous devons constater que le texte qui sera soumis au débat dans l'hémicycle sera, en vertu de la procédure définie à l'article 89 de la Constitution, obligatoirement issu du Gouvernement.
Je propose donc que la commission considère qu'il n'y a pas lieu de se déclarer défavorable, en l'état, à l'adoption du projet de loi constitutionnelle Et que sous les réserves énoncées et dans l'attente des débats qui auront lieu en séance publique, la commission prenne acte du texte présenté par le Gouvernement.
M. Philippe Bas. - Je précise que, l'an dernier, je n'ai pas proposé d'amender la proposition de loi Panot-Bergé, mais que j'ai fait une contre-proposition. Il n'y a pas un mot de commun entre le texte adopté par le Sénat et celui qui lui avait été transmis par l'Assemblée nationale. Le Sénat ne s'est pas inscrit dans un processus conditionné par la réflexion de l'Assemblée nationale, mais il a substitué une contre-proposition au texte initialement proposé.
En écrivant à l'article 34 de la Constitution que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse », nous avons, sur ma proposition, voté que la Constitution garantira le respect de l'équilibre de la loi Veil, qui a permis l'acceptation progressive de l'interruption volontaire de grossesse par la société française. Cette acceptation est désormais acquise, si bien que l'IVG n'est pas menacée dans notre pays.
En quoi consiste cet équilibre ? Les exigences posées par le Conseil constitutionnel le définissent, qui prévoient, d'un côté, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, principe de valeur constitutionnelle, et, de l'autre, le respect de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dont découle la liberté de la femme. Le Conseil constitutionnel vérifie lui-même que cet équilibre sans lequel l'IVG ne serait pas acceptée dans la société française est bien respecté par toute loi qui modifierait le régime qui définit ce droit : c'est la décision du 27 juin 2001.
Il est vrai qu'à force de législations successives qui sont toutes allées dans le même sens, nous sommes arrivés, de mon point de vue, à la limite au-delà de laquelle cet équilibre serait compromis. Le délai des quatorze semaines y participe tout comme la prise en compte spécifique d'affections psychosociales au titre de l'avortement thérapeutique.
Je crois qu'il est très important, puisque nous réfléchissons à une inscription de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse dans la Constitution, de bien prendre en compte le fait que quand le texte constitutionnel prévoit que le législateur détermine les conditions de cette liberté, cela signifie qu'il en détermine également les limites. Il n'est rien d'étonnant à cela, car aucune liberté, quel que soit le texte où elle est inscrite, n'est dépourvue de limites. C'est le régime constitutionnel de toute liberté que d'être protégée tout en connaissant des limites. En renvoyant au législateur le soin de fixer les conditions d'exercice de la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse, le constituant lui imposerait en réalité de faire respecter cet équilibre fondamental auquel le Conseil constitutionnel veille déjà.
Nous avons pu vérifier, lors de l'audition du garde des sceaux, hier, que dans le cadre de cette inscription constitutionnelle, le législateur garderait une grande liberté d'action dans un sens comme dans l'autre. Dans sa décision de 2001, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs établi que l'équilibre devait être respecté en l'état des connaissances scientifiques. Si celles-ci devaient évoluer au sujet du développement de la personne humaine en gestation, la législation pourrait donc en tenir compte, tout en respectant l'équilibre fondamental de la loi Veil.
Je considère que le texte adopté par le Sénat l'an dernier est meilleur que celui que propose le Gouvernement et que l'Assemblée nationale a voté. En effet, son écriture est plus élégante, ce qui devrait compter quand il s'agit de la plume du constituant. De plus, une sorte de verrue a poussé dans le texte, après son dépôt par le Gouvernement et son adoption par l'Assemblée nationale. Il s'agit du mot « garantie » qui figure dans la phrase : « la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie de la femme de mettre fin à sa grossesse. ».
Ma critique ne porte pas sur le fait que cet ajout n'est pas suave à l'oreille, mais le seul effet utile qu'il pourrait avoir serait de déplacer du législateur vers le juge l'appréciation des moyens à mettre en oeuvre pour assurer l'effectivité de cette garantie de l'accès à l'interruption volontaire de grossesse. Autant je considère que les conditions ne sont pas remplies pour assurer l'égal accès des femmes à l'IVG, autant il me semble que ce n'est pas au juge d'apprécier, dans le cadre d'un recours, ce que devraient être les moyens mis en oeuvre par la République pour assurer la garantie de ce droit. Par conséquent, l'ajout du mot « garantie » aurait pour effet que le juge déciderait lui-même comment ce droit doit être garanti par les moyens mis en oeuvre pour l'assurer. Or, cela n'est pas conforme à la séparation des pouvoirs et à l'ordre constitutionnel français. Aucune liberté ni aucun droit énoncé dans le corps même de la Constitution n'est assorti du mot « garantie ».
Le garde des sceaux nous a dit, hier, que l'Assemblée nationale souhaitait l'inscription de ce mot dans le processus de révision de la Constitution. Mais ce n'est pas là un argument de fond. Soit cet ajout ne sert à rien, soit il induit une perturbation dans notre ordre constitutionnel aux dépens des droits du Parlement et du Gouvernement.
Je souscris aux analyses du rapporteur.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - L'audition du garde des sceaux, hier, nous a déjà donné l'occasion de débattre sur ce sujet. Nous saluons l'exigence et la rigueur de la rapporteure et j'entends les arguments de Philippe Bas. Si le droit à l'IVG est un jour inscrit dans la Constitution, celui-ci y aura contribué. Je connais son attachement au parcours du texte de Simone Veil.
Le texte qui a été voté l'an dernier par le Sénat et celui qui nous est transmis par l'Assemblée nationale se ressemblent incontestablement. Ils prévoient tous les deux que l'ajout se fera à l'article 34 et ils reprennent une formulation similaire. Quant à la liberté de conscience, elle ne semble pas poser de problème.
Comme je l'ai dit hier, il n'est pas exact de prétendre que le droit d'accès à l'IVG est garanti aujourd'hui. En effet, il ne faut pas confondre une décision du Conseil constitutionnel selon laquelle une loi n'est pas inconstitutionnelle avec le fait que le principe serait désormais protégé.
J'entends les critiques qui portent sur l'emploi du terme « garantie ». La Constitution garantit déjà de nombreux droits. Faut-il préciser qu'une liberté spécifique est garantie alors que la Constitution le prévoit déjà de manière globale et sans le spécifier ? On peut en discuter, mais ce serait aller très loin dans l'exégèse du sujet.
Le texte proposé ne pose pas de problème juridique. Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain y sont favorables et notent l'effort de réflexion et de contribution de la majorité sénatoriale sur le sujet.
Mme Mélanie Vogel. - Comme je l'ai dit hier lors de l'audition du garde des sceaux, il n'est pas exact de dire que ce projet de loi recouvre à 95 % le texte qu'avait proposé le Sénat, car il le fait plutôt à 105 %. Il reprend l'intégralité de ce que voulait le Sénat, dont l'emplacement et le fait de laisser au législateur le soin de déterminer les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté. Il ajoute en outre le mot « garantie ».
Comme Agnès Canayer l'a rappelé, la notion de garantie figure à plusieurs endroits de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais toujours attachée aux mots « droit » ou « liberté ». À plusieurs endroits, il est même précisé que c'est la Constitution qui garantit tel ou tel droit ou liberté.
Ajouter le mot « garantie » dans ce processus de révision constitutionnelle aurait seulement pour effet de préciser le sens de cette révision, à savoir mettre la liberté de recourir à l'IVG au même niveau que d'autres libertés garanties constitutionnellement, et pas moins haut. Si nous ne le faisions pas, il subsisterait un doute. En procédant à cet ajout, nous assurerions à la liberté de recourir à l'IVG un régime identique aux autres droits et libertés garantis par la Constitution, étant entendu qu'il n'existe pas, en effet, de droit absolu, opposable et inconditionnel et que toutes les libertés et tous les droits restent encadrés et limités par la loi.
Enfin, l'avis du Conseil d'État est clair. Faisons-lui confiance sur l'interprétation qu'il donne de cette révision constitutionnelle : il n'y aura aucune obligation pour le législateur de modifier la loi et les équilibres actuels pourront demeurer.
Mme Dominique Vérien. - Sans refaire le débat d'hier, les arguments très justes de Philippe Bas m'ont rappelé la discussion que nous avions eue, en 2018, lors de l'examen du texte sur les violences sexuelles et sexistes, au sujet d'un amendement visant à inscrire l'interdiction de toute relation entre une personne majeure et un mineur de moins de 13 ans. Philippe Bas nous avait alors expliqué pourquoi, en droit, il n'était pas possible de voter cet amendement. Deux ans plus tard, le livre intitulé La Familia grande était publié, la société évoluait et l'interdiction a été votée pour les mineurs de moins de 15 ans. Cela montre que parfois la société est plus forte que le droit, obligeant celui-ci à s'adapter à elle. Je pense que c'est ce qui se passe aujourd'hui.
M. Olivier Bitz. - Je remercie notre rapporteur qui a su trouver les moyens de nous rassembler autour d'une position commune.
J'observe avec satisfaction la grande maturité de notre système politique. Alors que nous n'avons que peu de points communs avec certains groupes politiques de l'Assemblée nationale, nous parvenons tout de même à faire en sorte qu'un texte chemine entre nos deux chambres, qui devrait être adopté par le Congrès.
Concernant le débat sur la rédaction du texte, il me semble que, au moment où le juge devra se prononcer sur ces dispositions, il en fera exactement ce qu'il voudra, quoi que l'on écrive dans la Constitution. Chacun sait que la capacité créatrice du juge peut rapidement se libérer des dispositions textuelles, y compris pour fonder des normes de valeur constitutionnelle.
Mme Marie Mercier. - Je ne peux pas laisser dire que la clause de conscience ne pose aucun problème. En effet, j'ai entendu le président du conseil de l'ordre de mon département ainsi que des membres de son bureau au sujet du mot « garantie ». Or, les médecins m'ont dit qu'il fallait absolument que le mot porte aussi sur la clause de conscience. Le droit à l'IVG n'est pas menacé en France, mais on considère qu'il pourrait l'être dans l'avenir. Pourquoi cela ne vaudrait-il pas aussi pour la clause de conscience ?
Il faut aussi évoquer le cas des anesthésistes, qui interviennent autant pour les césariennes que pour les IVG. Nous manquons cruellement d'anesthésistes, de sorte que certaines IVG ne peuvent pas avoir lieu et que nous devons faire appel à des anesthésistes qui viennent d'Allemagne ou d'Italie et qui refusent, pour des raisons d'ordre religieux, d'intervenir dans le cadre de ce type d'opération. J'ai aussi entendu des gynécologues qui m'ont dit pratiquer des IVG, quelle que soit leur religion, mais jamais de gaieté de coeur. Toutefois, certains d'entre eux, de confession musulmane, refusent de le faire.
Si nous discutons de l'inscription dans la Constitution de la liberté de conscience, c'est sans doute parce que nous avons porté à quatorze semaines, soit seize semaines d'aménorrhée le délai pour réaliser cet acte. Or, après douze semaines, l'intervention présente des difficultés pratiques, avec le forçage du col, le bouchage de canule, etc.
Je crois donc que la clause de conscience constitue un vrai sujet.
M. François-Noël Buffet, président. - Au-delà des convictions des uns et des autres, je souhaite que la commission des lois adopte une approche de constituant et soit vigilante quant à la rédaction du texte qui pourrait être issu des travaux du Sénat.
Le débat se noue autour de la notion de « garantie ». En réalité, il s'agit de savoir si ce droit sera opposable ou non. Comme Olivier Bitz l'a rappelé, rien ne préjuge de la liberté du juge constitutionnel de donner l'interprétation du texte qu'il souhaitera. Pour autant, notre rôle reste de veiller à ce que la rédaction soit la plus intelligible et la plus claire possible de manière à ce qu'elle donne lieu au moins d'interprétation possible.
Je salue le travail du rapporteur, Agnès Canayer. Dans la mesure où aucun amendement n'a été déposé, je vous propose de nous rallier à son avis, en prenant acte du texte présenté par le Gouvernement. En effet, je vous rappelle que, en matière constitutionnelle, c'est le texte transmis qui doit être examiné en séance publique et que la commission n'établit pas de texte. Chacun pourra s'exprimer dans l'hémicycle et voter comme il le souhaitera.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - La commission ne rend donc pas d'avis ?
M. François-Noël Buffet, président. - L'avis de la commission est de prendre acte du texte du Gouvernement. Des amendements pourront être déposés en séance sur lesquels la commission rendra un avis.
M. Olivier Bitz. - En quelque sorte, la commission déclare ne pas s'opposer au texte du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, président. - Exactement.
Il en est ainsi décidé.
Proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise - Examen des amendements au texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous en venons à l'examen des amendements de séance sur la proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement n° 11 précise la rédaction de l'article 1er. Il supprime une référence superfétatoire, précise les modalités d'identification et de classement des consultations juridiques parmi les dossiers de l'entreprise et précise que l'obligation d'assistance par un avocat ne s'appliquerait que dans le cadre des procédures judiciaires donnant lieu aux saisies pour lesquelles des procédures de contestation ou levée de la confidentialité sont prévues.
L'amendement n° 11 est adopté.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement n° 12 tend à préciser la rédaction des dispositions transitoires pour en aligner la rédaction sur une disposition similaire déjà adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
L'amendement n° 12 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement n° 5 rectifié vise à garantir les missions des autorités administratives indépendantes (AAI). Il n'est pas possible d'appliquer la confidentialité aux procédures qu'elles conduisent. Ce serait vider ce texte de son objet.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Notre groupe politique a porté, aux côtés d'autres groupes, un amendement visant le même objectif.
Il s'agit de savoir si l'on accepte ou pas que les autorités administratives indépendantes de contrôle, en particulier l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Autorité de la concurrence et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), aient accès aux documents des entreprises. Ces trois autorités souhaitent bénéficier de cet accès. Si on le leur refuse, le parquet national financier (PNF) aura des pouvoirs d'investigation qu'elles n'auront pas. Cela marque une différence dans le régime probatoire, notamment dans la lutte contre la corruption, et pose problème.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les AAI se sont en effet montrées très inquiètes. C'est pourquoi nous avons prévu une procédure spéciale pour qu'il puisse y avoir saisie des documents dont elles ont besoin dans le cadre des procédures qu'elles conduisent. Ces documents seront déposés chez un commissaire de justice, qui veillera à ce que l'entreprise n'y ait plus accès pour les modifier. Ensuite, un juge décidera du caractère éventuellement usurpé de la confidentialité d'un document ne respectant pas les critères posés par la loi, ou de la levée de la confidentialité s'il apparaît que le juriste d'entreprise a facilité ou incité à la commission de manquements dans le document en question. Dans un cas comme dans l'autre, les autorités administratives pourront obtenir les documents demandés. Ce ne sera néanmoins pas le cas des documents respectant la législation, l'objectif étant aussi de permettre aux juristes d'entreprise de mettre en garde leur employeur en cas de défaillance sur certains aspects du fonctionnement de l'entreprise.
Voter ces amendements, c'est dévitaliser totalement le texte. Voilà pourquoi il faut y être défavorables.
Je rappelle à nouveau que nous avons mis en place une procédure qui n'existait pas dans la rédaction proposée par Louis Vogel, pour, malgré tout, rendre l'accès aux documents possible, et que ce soit un juge qui décide de leur communicabilité. Avis défavorable à l'amendement n°5 rectifié.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avis défavorable à l'amendement n° 2, aux amendements identiques nos 1 et 8 et à l'amendement n° 4 rectifié, pour les raisons déjà évoquées.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2, aux amendements identiques nos 1 et 8 et à l'amendement n° 4 rectifié.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce refus d'accorder l'accès aux autorités de contrôle est très étrange.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les amendements nos 3 et 6 visent à protéger la possibilité pour les lanceurs d'alerte de lever cette confidentialité. Cette disposition semble superfétatoire, la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise ne figurant pas, aux termes de la présente loi sur la liste des exclusions du régime de l'alerte prévue dans la loi dite « Sapin 2 ». Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3, de même qu'à l'amendement n° 6.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Les personnes travaillant dans les entreprises sur le droit des brevets sont plutôt des ingénieurs formés spécifiquement à ce droit. Je comprends qu'elles souhaitent la même confidentialité que les juristes d'entreprise, comme l'amendement n° 7 le précise, mais nous n'avons pas pu mener les auditions nécessaires pour savoir si le dispositif de cette proposition de loi serait adapté à leur profession. J'émets un avis défavorable pour l'instant, en formant le voeu que le travail se poursuive sur ce sujet à l'Assemblée nationale.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 7.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Deux amendements doivent être déposés par le Gouvernement en vue de la séance, que je me propose de vous présenter : le premier prévoit que les centres régionaux de formation professionnelle d'avocats (CRFPA) assurent la formation des juristes d'entreprise. Cela me paraît utile et une telle disposition, qui me paraît recueillir l'assentiment des représentants des avocats, risquerait une irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution si elle était portée par un amendement d'origine parlementaire : je proposerai donc un avis favorable en séance.
Le second vise à mieux garantir la conformité du dispositif au droit européen, en précisant que l'insaisissabilité des documents dont la confidentialité est alléguée s'applique sous réserve de l'exercice par les autorités de l'Union européenne de leur pouvoir de contrôle. Cette disposition me semble satisfaite compte tenu de la hiérarchie des normes, mais cela va néanmoins mieux en le disant, en particulier pour éviter un contentieux long et coûteux. Je proposerai donc également d'y être favorable en séance.
Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme VÉRIEN |
11 |
Précision rédactionnelle |
Adopté |
Article 2 |
|||
Mme VÉRIEN |
12 |
Précision rédactionnelle |
Adopté |
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements de séance :
- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -
Projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, président. - Nous en venons à l'examen du rapport de Philippe Bas sur le projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce texte très simple consiste à reporter les élections provinciales de Nouvelle-Calédonie du mois de mai à une date non précisée, mais qui ne pourrait aller au-delà du 15 décembre 2024.
Le Conseil constitutionnel veille au respect des conditions de report des élections : il faut un motif d'intérêt général, et que le report ne soit pas trop lointain. Cela tombe sous le sens, puisque c'est de la démocratie dont il est question. Ce n'est pas sans précédent : de nombreuses lois ont déjà organisé le report d'élections, qu'elles soient municipales, cantonales ou régionales.
Le Conseil d'État a estimé, à raison, qu'en l'espèce, les conditions d'un report étaient réunies.
Nous sommes dans une période d'indétermination en Nouvelle-Calédonie, après l'organisation des trois référendums d'autodétermination prévus par la Constitution, qui reprenait les termes de l'accord entre les forces politiques de Nouvelle-Calédonie et les représentants de la République, conclu à Nouméa en 1998. Ces dispositions constitutionnelles sont transitoires.
Cette période close par le troisième référendum aurait pu conduire à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Il avait donc été décidé, d'un commun accord entre les représentants de la République et les forces politiques calédoniennes, que le corps électoral de ces référendums portant sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ne serait pas composé de tous les citoyens français de Nouvelle-Calédonie, mais seulement des natifs, ou de ceux y résidant depuis suffisamment longtemps. Le terme de « citoyenneté calédonienne » a été repris dans la Constitution.
La situation est toutefois un peu plus compliquée que ce que j'expose là, puisqu'il existe, en Nouvelle-Calédonie, non deux, mais trois listes électorales. La première rassemble tous les électeurs de nationalité française, qui votent en Nouvelle-Calédonie aux élections municipales et nationales. La deuxième réunit ceux qui votent pour les élections provinciales, qui déterminent non seulement la composition de chaque assemblée provinciale, mais aussi celle du congrès de la Nouvelle-Calédonie et celle du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui repose - fait rare - sur un principe de proportionnalité. Dans l'accord de Nouméa, on a considéré que le congrès pouvait constituer l'embryon d'une assemblée nationale calédonienne, et que seuls les électeurs relevant d'une forme de citoyenneté calédonienne pouvaient se prononcer. On aurait pu penser que cette deuxième liste pouvait servir pour les consultations d'autodétermination, mais pour des raisons propres à la dynamique de négociation assez particulière de la Nouvelle-Calédonie, une troisième liste électorale a été élaborée.
On est sorti de l'accord de Nouméa sans en avoir tiré les conclusions juridiques. Est-il toujours justifié d'organiser les élections provinciales sur la base d'un corps électoral restreint ? Une partie des forces politiques considère que oui, une autre que non. Le Gouvernement considère que ce débat doit être tranché avant les élections. C'est le motif d'intérêt général qui justifie leur report.
De mon point de vue, comme de celui du Conseil d'État, il existe bien un motif d'intérêt général, qui est de se donner une chance de régler le problème de fond de la composition de la liste électorale avant d'organiser les élections. Sinon, il faudrait organiser les élections sur une base restreinte dont il n'est pas certain que, en cas de recours, elle n'entraîne pas une annulation des élections. Il serait imprudent de tenter le diable !
Surtout, si l'on organise les élections sur la base actuelle, une grande partie des électeurs estimeraient que leur droit de suffrage est méconnu - ceux qui n'ont pas un lien suffisant avec la Nouvelle-Calédonie selon l'accord de Nouméa. Mais il se trouve que le corps électoral a été gelé. Alors qu'il excluait 7,46 % des citoyens français de Nouvelle-Calédonie de plus de 18 ans en 1998, il en exclut 19,28 % aujourd'hui. Certaines personnes de plus de 18 ans nées en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis vingt-cinq ans n'ont pas le droit de prendre part aux élections, qui sont bien locales puisque le processus d'autodétermination est allé à son terme, ce que conteste d'ailleurs une partie des forces politiques, qui récusent l'organisation du troisième référendum, alors même qu'elles l'avaient demandé. Elles ont considéré que la covid-19 empêchait l'organisation du scrutin dans de bonnes conditions. C'est un débat politique auquel nous n'avons pas à prendre part.
En tout état de cause, cette exclusion de 19,28 % des électeurs pose problème. Dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d'État s'interroge sur la dérogation au principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage : n'atteint-elle pas un niveau disproportionné avec le but poursuivi ? Il y a là un imbroglio qui justifie le report de l'élection.
La question du corps électoral, du point de vue de la commission des lois, ne peut pas être traitée séparément d'autres questions importantes concernant l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, ses liens avec l'Hexagone et les conditions d'exercice du droit à l'autodétermination, qui subsiste après l'achèvement de l'application de l'accord de Nouméa.
Le Gouvernement est fondé à demander le report des élections. Il est fondé à rechercher un accord. Des discussions bilatérales sont en cours entre les forces politiques calédoniennes, dont l'État est informé. Il n'exclut pas qu'aucun accord ne soit trouvé. Aussi, le Gouvernement a adopté en conseil des ministres un texte constitutionnel qui modifie la liste électorale, et seulement cela. Il faudra bien organiser ces élections, même avec un report de sept mois, mais ce n'est pas possible de le faire sur la base d'un corps électoral trop restreint.
Le Gouvernement proposera une réforme constitutionnelle, sans doute baroque aux yeux des juristes, selon laquelle seront inscrits sur la liste électorale tous les citoyens français nés en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis au moins dix ans. Mais cela n'a pas fait l'objet d'un accord. Simplement, le Gouvernement doit faire savoir aux parties calédoniennes que l'on ne peut pas reporter les élections indéfiniment dans une démocratie. À la commission des lois, nous avons toujours dit que la Nouvelle-Calédonie n'avait pas d'avenir possible sans accord, et que cet accord devait être global.
Je vous propose d'adopter le report des élections. Très honnêtement, ce serait une prouesse que de réussir à les organiser pour le 15 décembre. En effet, plusieurs étapes doivent nous mener au scrutin, et, en parallèle, il y a une compétition entre des dispositions unilatérales proposées par le projet de loi constitutionnelle et une négociation entre les partenaires dont le Gouvernement dit lui-même qu'il la privilégie. La situation est très complexe sur le plan juridique, et plus encore sur le plan politique.
Je constate une progression des discussions entre les parties calédoniennes, mais elle peut à tout moment s'interrompre. Le ministre de l'intérieur doit se rendre en Nouvelle-Calédonie le 20 février, et le FLNKS, qui comprend l'ensemble des partis indépendantistes, réunit prochainement son congrès. Nous ne savons pas ce qui sortira de tout cela.
M. Olivier Bitz. - Je n'ai strictement rien à retrancher au rapport présenté par Philippe Bas. Ce texte n'est pas d'une importance fondamentale en lui-même, mais il conditionne la qualité du dialogue en Nouvelle-Calédonie. Nous sommes à la croisée des chemins. C'est la fin du processus de Matignon, initié par Christian Blanc en 1988 après le drame d'Ouvéa. Nous sommes tous extrêmement attentifs à ce qui peut se produire pour les années à venir. Attention à ne rien brusquer. Souvenons-nous du drame politique du référendum Pons de 1987, qui avait embrasé le territoire. Soyons vigilants aux messages envoyés aux acteurs politiques calédoniens.
Tout le monde doit se mettre autour de la table pour que les choses se passent au mieux. Ces opérations doivent être pilotées au plus haut niveau de l'État. Le dossier calédonien relève du Premier ministre depuis 1988, ce qui est pertinent. Les enjeux sont extrêmement importants. Comment le Sénat peut-il contribuer à ce que tout le monde, sur le Caillou, puisse se parler et à ce que toutes les forces politiques se rejoignent pour tracer une nouvelle feuille de route pour les trente ou quarante prochaines années ?
Le droit à l'autodétermination est permanent. Il ne s'agit pas de le discuter, mais plutôt de savoir comment il peut être exercé sous le contrôle vigilant des Nations unies, puisque la manière dont le processus de décolonisation est mené est observée.
Le risque de violence est toujours présent. Le troisième référendum s'est bien passé, en matière d'ordre public, avec le concours de 2 000 gendarmes en renfort et d'un sous-préfet - moi-même.
Veillons à l'esprit dans lequel ce sujet doit être traité : il doit être complètement décorrélé de tout enjeu politique hexagonal.
Mme Corinne Narassiguin. - Nous convergeons avec l'excellente analyse du rapporteur quant à la nécessité de reporter ces élections. Le groupe socialiste, écologiste et républicain votera ce projet de loi organique. Effectivement, les élections ne peuvent pas se tenir ce printemps, puisqu'il est absolument indispensable que des avancées soient d'abord faites sur le corps électoral, en vue d'un accord global.
Nous pensons que la date proposée est bien trop proche. La tenue des élections en décembre 2024 est une gageure. C'est pourquoi nous défendrons un amendement qui reporte les élections le plus loin possible, jusqu'au 30 novembre 2025.
Il s'agit de rester fidèle à la méthode employée par tous depuis l'accord de Matignon, en laissant la place la plus large possible aux discussions, afin de trouver un consensus entre les parties locales et avec l'État. Or, avec ce projet de loi organique, le Gouvernement rompt avec cette méthode. Nous voulons adresser le signal que le Parlement souhaite, d'abord et avant tout, un accord global.
L'excellent rapport d'information des présidents Buffet, Bas, Sueur et Marseille met en évidence trois conditions cumulatives pour l'approbation d'un accord par le Parlement : la nécessité que chaque partie sorte des discussions en ayant obtenu la reconnaissance claire de demandes légitimes ; le refus de traiter isolément les différents sujets institutionnels, seul un accord global étant possible ; l'engagement clair et fort de l'État pour faire émerger un consensus tout en étant lui-même force de proposition. Nous voulons nous inscrire dans cette philosophie. C'est pourquoi notre amendement prévoit le report maximal des élections.
Nous accueillons le projet de loi constitutionnelle avec beaucoup de scepticisme, car il nous semble contre-productif dans le processus actuel.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci au rapporteur pour sa pédagogie et son formidable déroulé intellectuel.
Nous partageons tous l'idée que l'accord doit être préalable, mais un report à la fin de l'année est déjà limite. Un report jusqu'à fin 2025 nous laisserait totalement désarmés. Ce ne serait pas admis.
Hier, lors de l'audition du ministre de l'intérieur, je n'ai pas clairement entendu parler de rétroplanning. Quel est le temps nécessaire à l'organisation de l'élection du congrès calédonien et à une révision constitutionnelle ? Quelle serait la date limite des négociations, si l'on souhaite tenir la date incontournable du 15 décembre ? Sans date limite, on peut imaginer que les négociations n'aboutissent pas.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Olivier Bitz, il est heureux pour la commission des lois de compter des membres qui ont, comme vous, une très bonne connaissance de la Nouvelle-Calédonie.
Je ne donnerai pas d'avis favorable à votre amendement, Corine Narassiguin. Oui, j'ai émis des doutes sur la date du 15 décembre, mais ce n'est pas si mal d'essayer de la respecter.
Nous avons interrogé le ministre et ses collaborateurs sur les différentes étapes à franchir, ainsi que le haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie. Tous assurent de la capacité de l'administration à remplir sa mission en temps utile. Mais l'incertitude demeure sur la règle applicable à l'élaboration des listes électorales. Une règle figure dans le projet de loi constitutionnelle, mais s'il était adopté, la réforme ne pourrait avoir lieu avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Pendant ce temps, les négociations sont en cours. La composition de la liste électorale reste en suspens. Un processus est engagé pour une révision de la liste fin mars, sur les bases de la législation actuelle, mais cette révision a toutes les chances d'être remise en cause, soit par un accord, soit par la révision constitutionnelle.
Même volontariste, la date du 15 décembre doit être conservée, tout en sachant que nous pouvons refaire ce que nous faisons aujourd'hui en octobre ou en novembre prochain, s'il y a lieu et que les conditions pour le faire sont réunies.
Nous savons que la marge pour différer les élections existe peut-être, autant que ce qui est souhaité par les auteurs de l'amendement, mais il ne semble pas souhaitable de le décider dès aujourd'hui.
M. Christophe-André Frassa, président. - Il me revient de vous indiquer le périmètre indicatif du projet de loi organique. Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives au report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-1.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
L'article unique est adopté sans modification.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-2 est très technique. Il porte sur la date d'entrée en vigueur de la loi organique. Compte tenu des délais impératifs de convocation des élections, il s'agit d'éviter que le Gouvernement ne soit contraint de publier le décret de convocation des électeurs pour les élections de mai et qu'il doive l'abroger par la suite, alors que le projet de loi organique reportant les élections aurait été adopté par les deux chambres.
L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.
Le projet de loi organique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales - Examen des amendements au texte de la commission
M. Christophe-André Frassa, président. - Nous allons à présent examiner les amendements de séance sur la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales. Nous commençons par l'examen des amendements du rapporteur.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Mon amendement n° 2 vise à cibler les projets structurants réalisés par les communes, en les listant, afin d'éviter que les communes de moins de 2 000 habitants ne puissent prétendre à 95 % de financements publics cumulés pour réaliser des projets ludiques, du type skate park ou club-house. Ciblons les projets les plus coûteux, constituant des contraintes pour deux ou trois budgets municipaux successifs.
M. Olivier Bitz. - Ce n'est pas très sérieux ! Jamais aucune commune rurale n'obtiendrait 95 % de subventions pour financer des investissements ludiques. C'est la réalité du fonctionnement des communes rurales.
Mme Audrey Linkenheld. - On connaît les communes rurales comme vous !
M. Olivier Bitz. - Je ne sais pas. Ni l'État, ni les départements, ni les régions ne viendraient financer des équipements ludiques à hauteur de 95 %, dans une commune de moins de 2 000 habitants. On répond à une question qui ne se pose pas !
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - La question se pose. Il nous a été indiqué, au cours des auditions, que l'on pouvait tout à fait atteindre les 80 % avec les contributions de l'État, du département, de la région et des fonds intercommunaux. Un maire nous a déclaré qu'il pouvait exiger une subvention de la part des fonds intercommunaux, ces derniers étant à sa main. On peut ainsi tout à fait atteindre 95 % de subventions.
Le fléchage du fonds de concours de l'intercommunalité est décidé par les maires, en général en début de mandat. Certains maires nous disent que, demain, ils pourraient tout à fait utiliser le fonds de concours pour financer ce type de projet.
M. Olivier Bitz. - Je vous mets au défi de trouver un tel investissement, même à hauteur de 80 % de financements cumulés.
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Mon amendement n° 3 écarte du bénéfice de cette nouvelle dérogation les communes de moins de 2 000 habitants les plus aisées. Lors des auditions, en particulier de la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, la question du potentiel financier des communes a été évoquée. Actuellement, certaines communes de moins de 2 000 habitants sont plus aisées que d'autres, en raison de leur activité. Sur 29 000 communes de moins de 2000 habitants, nous écarterions 500 à 600 communes. Nous éviterions ainsi les effets d'aubaine.
M. Olivier Bitz. - Là encore, on répond à une question qui ne se pose pas. On regarde évidemment la richesse d'une commune avant d'attribuer la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). On a toujours fait la part des choses. Combien de fois un financement atteint-il ne serait-ce que 80 % dans les communes que vous ciblez ?
Mme Audrey Linkenheld. - Nous n'avons manifestement pas tous la même expérience, qu'elle soit professionnelle ou élective. On parle de l'ensemble des financements publics cumulés : départementaux, régionaux, intercommunaux, communaux, d'État, de l'Union européenne ou d'ailleurs. Dans certains cas, l'État attribue la DETR ou la DSIL à des communes dotées d'un certain potentiel financier, afin de respecter l'équité dans un département. Ce n'est pas anormal.
Il est juste d'examiner le potentiel financier d'une commune, pour l'ensemble de ces financements publics.
L'amendement n° 3 est adopté.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Hussein Bourgi, rapporteur. - Les auteurs de la proposition de loi et moi-même sommes défavorables à l'amendement n° 1 du Gouvernement. Ce texte est un acte de confiance à l'égard des maires. Leur dire qu'ils doivent passer sous les fourches caudines du préfet afin de bénéficier de cette disposition est assez baroque.
La présidente Françoise Gatel a fait voter une dérogation, en 2019, qui prévoit qu'une préfecture peut accorder une prise en charge pouvant atteindre 100 % pour les travaux dus à une calamité ou une catastrophe naturelle. Or, cette dérogation est peu connue, tant des préfets que des maires. En 2022, elle n'a été sollicitée que dans 100 dossiers sur 22 000, soit dans 0,45 % des cas.
Pourquoi, si des maires ont deux projets et que l'État ne participe au financement que du premier, à hauteur de 60 %, la commune prenant en charge les 40 % restants, le préfet devrait-il autoriser la levée de fonds auprès de la région, du département et de l'intercommunalité pour le deuxième projet ? Comme Dany Wattebled et Marie-Claude Lermytte, je suis défavorable à cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.
Les sorts des amendements du rapporteur examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :
La commission a également donné l'avis suivant sur l'autres amendement de séance :
Auteur |
N° |
Objet |
Avis de la commission |
Article unique |
|||
Le Gouvernement |
1 |
Octroi de la dérogation par le préfet de département |
Défavorable |
La réunion est close à 11 h 10.