Lundi 29 janvier 2024
- Présidence de M. Jérôme Durain, président -
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de M. Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, responsable scientifique du Pôle « sécurité, défense, renseignement, criminologie, cybermenaces, crises » (PSDR3C)
M. Jérôme Durain, président. - Nous accueillons M. Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers et responsable scientifique du pôle « sécurité, défense, renseignement, criminologie, cybermenaces et crises » (PSDR3C).
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Bauer prête serment.
M. Jérôme Durain, président. - Je vous propose de procéder à une présentation liminaire, à la suite de laquelle le rapporteur, Étienne Blanc, et les membres de la commission vous poseront des questions.
M. Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, responsable scientifique du Pôle « sécurité, défense, renseignement, criminologie, cybermenaces, crises ». - Il est toujours intéressant de venir au Sénat pour évoquer le trafic de stupéfiants. En effet, alors que l'État était le principal dealer public en France au travers de la Régie générale de l'opium - une version de la Société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (Seita) pour les stupéfiants -, et que le chemin de fer de l'Indochine allait de champ de pavot en champ de pavot, c'est dans cette institution, au nom des enjeux de santé publique et de médecine, que les parlementaires radicaux et médecins, de toutes origines et de toutes obédiences, ont remis en cause la pratique qui visait à faire de l'argent sur le trafic des stupéfiants. Je vous renvoie à l'ouvrage de feu mon collègue Christian Bachmann, Le dragon domestique, qui retrace de la manière la plus aboutie l'histoire des stupéfiants et comment ils ont d'abord été considérés comme un outil naturel de développement du commerce.
Pour ceux qui ont vu le film Les 55 jours de Pékin, je rappelle qu'il s'agit d'une oeuvre de pure fiction. La première coalition internationale de l'histoire du monde, organisée entre des pays qui ne s'étaient jamais fait que la guerre, avait pour objectif d'imposer la fin de la prohibition du trafic et de la consommation des stupéfiants à l'Empire du Milieu, au bénéfice de l'ensemble des puissances coalisées : États-Unis, Japon, France, Grande-Bretagne et Allemagne, entre autres.
Aujourd'hui, nous avons une vision pénale du problème des stupéfiants, alors que voilà un peu plus de cent ans, nous en avions, fort heureusement, une vision médicale qui tendait à répondre à plusieurs problématiques.
En premier lieu, il s'agissait de répondre à l'addiction massive de populations nombreuses, dont une très grande partie avait été gazée dans les tranchées en 1914-1918. Selon le préfet de police, on comptait, à Paris, en 1920, 100 000 personnes dites « addictées » ; c'était un problème majeur qui devait être traité une bonne fois pour toutes. À l'époque, les stupéfiants étaient utilisés comme un médicament.
Ainsi, la boisson Coca-Cola comporte le mot Coca dans son nom, parce que, à l'origine, il s'agissait d'un produit stupéfiant contenant de la cocaïne, comme le vin Mariani qui fut son ancêtre et dont le brevet a été volé aux Français par les Américains. Certes, la cocaïne n'était pas traitée comme celle qui est vendue actuellement, mais elle avait des effets dits « bénéfiques » pour plusieurs activités, notamment de haute intensité ou d'altitude.
La relation aux stupéfiants que nous avions alors était bien plus complexe, difficile à traiter et plus incompréhensible que celle que nous connaissons depuis l'entrée en vigueur de loi de 1970. Cette loi a modifié l'approche de la question des stupéfiants en France pour des raisons pénales, alors que la question médicale avait été considérée, jusque-là, comme essentielle.
Les différentes phases de traitement de la gestion des stupéfiants - je parle ici de la consommation -, accessoirement de leur production et de leur exportation, puis de leur trafic, ont conduit à des modifications majeures d'approches et, par conséquent, de culture - on est passé d'une culture médicale à une culture pénale - pour répondre à l'ultimatum du président américain Nixon. Il s'agissait d'arrêter de submerger les États-Unis avec une production de très bonne qualité qui posait d'importants problèmes. C'est ce qui explique l'apparition du Bureau of Narcotics and Dangerous Drugs (BNDD), ancêtre de la Drug Enforcement Administration (DEA), à Marseille.
Pour avoir une idée des évolutions du phénomène dans le temps, il suffit de visionner Borsalino & Co., pour comprendre ce qu'ont été Carbone et Spirito, qui se sont imposés et qui ont créé le premier kyste criminel français à Marseille, et French Connection, qui dépeint l'industrialisation du trafic et l'effet imprévu, secondaire et pervers de la loi de 1970.
Cette loi, en ne faisant pas le tri entre consommateurs, consommateurs-dealers et gros trafiquants, a instauré l'idée que tout devait être réprimé de la même manière - un peu comme notre code pénal d'ailleurs. Or la prison pour tout et pour tous, cela ne marche pas.
Nous sommes dans un processus dépourvu de sens et de cohérence, qui traite, en permanence, des conséquences liées à des injonctions contradictoires, qui n'ont jamais fait l'objet d'une mise à plat par le Gouvernement, alors que - je tiens à le souligner - l'Assemblée nationale a récemment réussi, à avoir un dialogue construit, intelligible, cohérent, sur la question des stupéfiants. Être d'accord ou pas avec les conclusions est un autre sujet, mais le débat a eu lieu. Il a abouti à une forme de mise en cohérence de la façon d'aborder le sujet et des outils pour le traiter.
Je le précise, étant contre toutes les addictions, je suis plutôt perçu comme un répressif. Néanmoins, lorsqu'une politique de prohibition produit des résultats aussi inverses à ceux qu'ont connus toutes les politiques de prohibition menées au cours de l'histoire, contre l'alcool ou d'autres substances, la cohérence de cette politique soulève des interrogations.
En effet, une politique de prohibition se traduit par une raréfaction du produit, une baisse de sa qualité et une augmentation de son prix. En France, nous avons exactement l'inverse : une augmentation de la qualité, une augmentation de la quantité et une baisse des prix des produits. Lorsqu'une politique de prohibition aboutit à l'effet économique exactement inverse à celui qui est recherché, cela signifie que la politique est mauvaise ou qu'elle est mal appliquée. Or, en France, c'est les deux : la politique est mauvaise parce qu'elle est incohérente, et elle est mal appliquée.
Cela a trait au nombre de consommateurs, de consommateurs réguliers et de jeunes consommateurs, au changement de la nature des produits - augmentation massive du taux de tétrahydrocannabinol (THC) dans les produits de type cannabinoïdes, arrivée de produits de synthèse, dont certains sont extraordinairement dangereux, comme le nitazène et la kétamine, fabriqués dans l'arrière-cuisine ou dans son laboratoire - à la possibilité d'avoir des relations directes du producteur au consommateur en raison de la surmultiplication des champs de production ou des petits laboratoires chimiques à petites zones de chalandise, au développement massif de la consommation dans des zones passées de la banlieue à l'agglomération, puis de l'agglomération à la petite ou à la moyenne ville.
L'ensemble de ces éléments montre que la politique de lutte contre les stupéfiants, s'il y en avait une, est un échec conceptuel, structurel et opérationnel. Le problème doit être repris depuis le début : qui consomme ? Pourquoi ? Comment ? Que consomme-t-on ? Comment faire pour reprendre cette question, en commençant par le volet médical, paradoxalement le plus simple, au travers de la « désaddiction », y compris en passant par des mesures fermes en la matière, en allant jusqu'à la politique de lutte contre les grands trafiquants, notamment menée dans des espaces géographiques proches, qui sont des paradis fiscaux ou des « blanchisseuses » bien connues de produits stupéfiants, et où nombre d'influenceurs ont basé leur arrière-cour ?
Le reste est bien connu. En effet, l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) comme l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) font très bien leur travail. Ainsi en est-il de la connaissance des substances, de leur évolution et de leurs zones de développement, mais aussi du nombre de personnes incriminées, de l'augmentation relativement forte des overdoses, ou encore de l'arrivée rapide et attendue du Captagon et du Fentanyl - nous serons alors exposés à des problématiques médicamenteuses encore plus ardues que celles que nous avons connues récemment en matière de détournement de médicament, comme le Médiator, épiphénomène au regard de ce qui nous attend.
Désormais, nous sommes entourés par deux, voire trois narco-États, la Belgique, et les Pays-Bas ; ces États détestent cette dénomination, mais c'est le point de vue des policiers et les magistrats n'hésitent plus à dire les choses. La situation de notre frontière avec l'Espagne est extrêmement préoccupante. Le sujet en Guyane atteint des degrés absolument invraisemblables en termes d'acceptation de l'ampleur du trafic - une circulaire pénale établissait l'absence de poursuites en dessous d'un kilo, ce qui est inattendu ; je savais que cela existait pour des prises allant jusqu'à 100 grammes. Très honnêtement, la définition d'un niveau de grammage au-delà duquel il est possible de déclencher des poursuites est une nouveauté à mes yeux. Je n'avais pas compris que les parlementaires avaient été aussi précis. Il me semblait qu'il existait une sorte d'interdit absolu, mais on s'adapte comme on peut...
Pour ce qui concerne le département de la Guyane, nous sommes confrontés à une problématique particulière extrêmement inquiétante. De la même manière, s'agissant du crack, les départements d'outre-mer sont confrontés à un développement assez important, ce qui est inquiétant, tandis qu'il ne concerne que des espaces plutôt limités sur le territoire métropolitain, par exemple à Stalingrad à Paris.
Nous sommes donc face à une situation générale de dégradation, à une augmentation de la consommation, de l'intensité des produits consommés et du contournement. Or, face à cela, nous avons des postures, des mouvements, des tours de bras, des déclarations, des sommations, assez peu de réflexions et de contenus, et une incohérence absolue entre la proclamation, l'action et l'accompagnement. Il en résulte un saupoudrage généralisé qui conduit mécaniquement, à force de vouloir tout faire sans rien vraiment faire, à ne pas savoir exactement ce qu'on fait et donc à ne répondre ni à l'expansion du trafic, ni à son intensification, ni à l'augmentation des règlements de compte, particulièrement développés à Marseille - mais c'est une tradition. En la matière, on oublie de parler de ce qui se déroule autour de Montpellier, de Grenoble, un peu autour de Toulouse, évidemment à Sevran et dans la banlieue parisienne, mais aussi à Valence, où j'ai découvert que cette ville avait basculé - il y existe des listes de gens à éliminer.
Des manières inédites de s'exprimer apparaissent également, puisque les trafiquants ont pris l'habitude de raconter sur YouTube ou TikTok ce qu'ils veulent faire, font ou devraient faire. Or, au-delà du matamorisme ambiant, il ne faut pas sous-estimer la dégradation forte de la situation - je dirais même de désagrégation -, liée aux stupéfiants et à leurs effets en termes de violence, de mortalité, d'enlèvement, de torture, de barbaries diverses qui conduisent à l'apparition d'un État parallèle qui est un État-narco, même si la France n'est pas encore un narco-État : il suffit de se rendre dans les tribunaux, pas seulement ceux de Bobigny, pour s'en rendre compte.
Si vous souhaitiez une option optimiste, il ne fallait pas m'inviter en ce début d'année.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Pouvez-vous préciser quelles ont été les conditions d'adoption de la loi de 1970 ? Quelles sont les raisons qui ont conduit à son adoption et quelle a été l'influence des États-Unis en la matière ?
M. Alain Bauer. - Lors d'un coup de téléphone, le président Nixon a déclaré au Président de la République qu'il fallait prendre des mesures pour démanteler les laboratoires, les réseaux et la distribution. Une affaire majeure venait d'avoir lieu, celle du présentateur de télévision, Jacques Angelvin, qui a inspiré le film Le Corniaud.
Les Américains font la guerre à peu près à tout, et plus ou moins bien. Ils avaient décidé de faire la guerre à la drogue, car le marché américain était submergé par les produits stupéfiants de très haute qualité issus des laboratoires corso-marseillais français. Il s'agissait de lutter contre le trafic et ses effets, notamment les overdoses.
En France, une approche médicale a d'abord conduit à développer une politique visant à lutter contre les addictions et non pas contre le trafic. Cela avait donné de meilleurs résultats et prenait en compte la question du gaz dans les tranchées qu'il fallait traiter. En effet, les stupéfiants - le cannabis ou autres - ont des effets médicaux qu'il ne faut pas sous-estimer. Or le problème réside dans le trop. La France aime les extrêmes : c'est tout ou rien. Par conséquent, la dimension médicale, utile, de médicaments dont certains étaient liés à des produits stupéfiants - les opiacés sont des produits médicaux comme d'autres - n'a alors pas été considérée, et le coup de téléphone du président Nixon a provoqué un bouleversement de la politique française en la matière.
La loi de 1970 a été adoptée sous l'effet d'une injonction américaine motivée par des raisons de politique intérieure et par une absence totale d'action de la France, qui considérait que ce n'était pas très grave si ces produits étaient exportés. En cela, c'est un peu comme les Anglais avec le « Londonistan » : on ne s'occupait pas des terroristes djihadistes présents à Londres tant qu'ils commettaient des attentats en dehors de l'Angleterre ; c'était une sorte de deal, de non-dit. Ainsi, le refus d'extrader l'un des principaux financiers du terrorisme international, maintenu pendant des années, n'a été levé qu'après des attentats survenus à Londres. Les Anglais ont alors considéré qu'une coopération internationale était possible. Ce sont des sujets récurrents : cela a été le cas, à propos de l'ETA, entre les Espagnols et l'arrière-pays basque français.
L'injonction formulée par le président Nixon est connue et a été détaillée dans un certain nombre d'ouvrages portant sur les relations franco-américaines. Par conséquent, nous avons produit une loi, écrite « avec les pieds » - en urgence et n'importe comment.
Malheureusement, la loi de 1970 ne traite pas de manière différenciée des situations différentes : l'addiction, qui est un problème médical et qui doit être traitée médicalement ; le cas du dealer-consommateur de petite envergure, qui doit être traité, si je puis dire, selon des dispositions en quelque sorte aménagées, puisqu'il ne s'agit pas de Pablo Escobar ; et enfin, Pablo Escobar qu'il faut traiter comme tel. Or cette loi traite tout le monde de la même manière dans son intention. Toutefois, il est impossible de renvoyer devant des juridictions les 100 000 consommateurs arrêtés « pour faire du chiffre » : par conséquent, on pratique l'injonction thérapeutique ou la saisie de substances, avec destruction des produits par l'usage de la chasse d'eau, voire réutilisation pour les indicateurs divers et multiples, pour compenser leur activité réalisée au bénéfice de la société.
Toute une série de petits aménagements légitimes a été inventée, parce que la réalité est ainsi. Cependant, nous n'avons pas tranché sur plusieurs sujets comme la décriminalisation, la dépénalisation, les contraventionnalisations, la libéralisation, ou encore la nature du cannabidiol (CBD). Les décisions du Conseil d'État ou de la Cour de cassation reflètent ainsi une sorte de grande incertitude générale au sujet de ce qui peut être médicalement accepté et de ce qui doit être pénalement réprimé.
Ne sachant pas réaliser du sur-mesure, nous avons fait du prêt-à-porter : c'est donc trop grand ou trop petit, mais cela n'est jamais taillé juste.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Vous avez évoqué la « désaddiction ». Comment envisagez-vous cette nouvelle politique ?
M. Alain Bauer. - Tout d'abord, l'injonction thérapeutique pourrait être une réelle injonction, à savoir une obligation de soins ; le code de la santé publique le mentionne d'ailleurs pour plusieurs cas.
À l'évidence, la personne qui décide la désaddiction doit faire partie du programme. À l'hôpital Marmottan, il existait des programmes extrêmement innovants développés par le docteur Olievenstein - qui sont restés uniquement des programmes innovants. C'était une sorte d'excuse : on a un dispositif, mais qui ne peut pas traiter l'ensemble des quelque 4 millions de personnes qui ont, un jour ou l'autre, consommé, ni les 1,5 million d'individus qui consomment plus ou moins régulièrement. Or on ne sait plus traiter la différence entre du THC à 1,5 ou 2 ng/mL et du THC à 15 : voilà quelque temps, lors de mon audition au Parlement belge, où un débat sur les drogues « dures » et les drogues « douces » a eu lieu, j'ai indiqué que ce concept avait disparu. En outre, le vocable « drogues douces » - il désignait des substances consommées par de nombreux parents dans les années 1970 - ne s'applique plus au même produit. L'intensité de la substance désignée par le mot « cannabis » n'est plus la même, et il en va de même pour les effets secondaires.
Pour ma part, je suis convaincu qu'une véritable injonction thérapeutique peut constituer le premier élément d'une politique de santé publique touchant l'essentiel des personnes directement victimes, parce que ce sont des malades. À mon sens, nous devons réintégrer cette dimension.
Ensuite, une petite partie de cette population est constituée de consommateurs-dealers, qui produisent pour eux, consomment, mais revendent. Dans ce cas, une forme d'adaptation doit être pensée avec les services de police et de santé publique pour proposer une réponse mixte, tenant compte de la réitération ou de la récidive, comme c'est le cas dans tout processus normal de pénalité. Enfin, il existe un problème de trafiquants majeurs.
Au lieu de continuer à essayer de vider la mer avec une petite cuillère trouée et d'occuper les forces de police à des missions qui ne servent à rien, dont ils savent qu'elles ne servent à rien, et qui ne produisent rien, il serait préférable de concentrer ces forces.
Nous rencontrons le même problème dans le domaine de la criminalité ordinaire. Les criminologues, dont je fais partie, s'occupent essentiellement de savoir qui fait quoi. Ainsi, on sait que 70 % des primoauteurs ne recommenceront jamais - mais on ne le sait évidemment pas la première fois - et que 30 % recommenceront au moins une fois. Aussi ces derniers doivent-ils être traités différemment des premiers. Néanmoins, dès les premiers actes commis, il est nécessaire d'exprimer rapidement l'interdit. Contrairement à une idée largement répandue, les courtes peines ou les mesures éducatives immédiates et rapides, notamment pour les mineurs, sont extrêmement positives : elles donnent d'extraordinaires effets dans les pays anglo-saxons, protestants ou du Nord car en intervenant vite, on casse rapidement le dispositif.
Ensuite, les 30 % qui recommenceront doivent être traités au travers de mesures renforcées. Enfin, environ 5 % de ces individus produisent 50 % de l'activité criminelle. Ils ne peuvent pas être traités comme les autres 70 %, ni même comme les autres 95 %. Chacun doit être traité en fonction du niveau de glissement vieillesse-technicité dans l'activité criminelle. Il faut s'adapter au mode opératoire.
Le mode opératoire, c'est le besoin, l'envie, le plaisir. Le besoin se résume en : « je n'ai rien et je veux quelque chose. » C'est un besoin en général utile, car il nous a permis de passer du statut de sujet à celui de citoyen. C'est la révolte sociale, la révolution, l'expression d'une violence contre une violence plus grande encore. Cette violence n'est pas du tout condamnable, puisqu'elle nous a permis d'avoir un Parlement et une représentation démocratique des citoyens. Cela peut parfois être extrêmement excessif, mais l'histoire a plutôt montré la légitimité de la révolte et du droit à la résistance à l'oppression, qui figure d'ailleurs dans notre Constitution.
Le deuxième élément du mode opératoire, c'est l'envie : « j'ai envie d'avoir ce que quelqu'un a et que je n'ai pas ». Il s'agit en général d'un effet publicitaire : c'est l'effet de la marque, l'effet des influenceurs, l'effet de l'inutile et du présent. Mais, de façon générale, dans ce cas, il n'y a pas mort d'homme.
Enfin, le troisième élément du mode opératoire, c'est le plaisir, le plaisir de l'agression, de la possession, de la violence sexuelle ou physique, avec cette augmentation massive de l'homicide et des « homicidités », dont je traite dans mon dernier ouvrage. Il est impressionnant de constater combien la tendance à la réduction de la violence ultime - indicateur le plus stable dans une société, à savoir l'homicide, le meurtre ou l'assassinat - s'est inversée. En cinq cents ans, nous sommes passés de 150 homicides à moins de deux, ce qui est un gigantesque succès. Or, en vingt ans, le processus s'est inversé. C'est un sujet que nous allons devoir traiter.
Une partie de cette inversion de la tendance est liée aux règlements de compte qui ont lieu dans le cadre du trafic de stupéfiants et à l'augmentation de la violence physique, comme élément de régulation de la vie. En effet, on ne fait plus confiance à l'État pour être un régulateur, un intermédiateur ou un objet répressif, car on ignore ce qu'il fait et que lui-même ne connaît que des injonctions contradictoires. Tout le monde s'engouffre dans les brèches laissées par l'État en France, pays où l'État a créé la Nation. Dans les autres pays occidentaux, la Nation a créé l'État : on a plutôt des États fédéraux, où le territoire fait la loi.
En France, l'État est censé tout faire, à la place de tout le monde et mieux que les autres. C'était vrai jusque dans les années 1970-1975. À ce moment, l'État est mué en État libéral, au sens américain, anglo-saxon ou protestant, du terme. Or ce changement de culture a conduit à un dépérissement de l'État, y compris dans les domaines fondamentaux, comme l'État social, l'État médical comme le Covid l'a montré, ou encore l'État militaire. En la matière, j'ai l'impression que nous n'avons plus vraiment d'armée ; nous disposons d'une armée échantillonnaire et expéditionnaire, mais qui n'est pas prête à la défense opérationnelle du territoire. L'État sécuritaire a une grande difficulté à gérer le problème des violences, notamment les violences physiques qui se produisent un peu partout.
La nature ayant horreur du vide, la violence s'engouffre dans les vides laissés par le dépérissement de l'État, notamment la violence criminelle liée aux stupéfiants. Celle-ci a une particularité en France : l'absence de crime organisé centralisé. Depuis Farid Berrahma, le Spartacus des cités, et la mort de Jean-Jérôme Colonna, le dernier parrain du crime organisé français, une décentralisation des frictions et des problématiques extrêmement difficiles ayant trait aux zones de chalandise a lieu au travers du caïdat localo-régional - Marseille en est l'expression la plus emblématique, mais on peut en parler aussi à Lyon et dans la banlieue lyonnaise - et même leur expansion assez forte au sein de territoires régionaux auxquels on n'aurait pas pensé, comme Valence que j'évoquais. D'ailleurs, la carte des émeutes ressemble assez fortement à celle des 4 000 points de deal, elle-même intéressante car parfois extrêmement surprenante.
Pour répondre à votre question, à mon sens, une politique cohérente commence par une politique d'injonction médicale forte, puissante et accompagnée, qui suppose de réinvestir la question médicale. Ensuite, elle se poursuit par une adaptation aux politiques territoriales de lutte contre les trafics en intégrant l'existence du caïdat à la place du crime organisé, même à Marseille. Enfin, une politique cohérente appelle un réinvestissement des moyens contre le trafiquant majeur, surtout contre le blanchisseur. C'est en tapant au portefeuille qu'on obtient les meilleurs résultats.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Voulez-vous dire que l'amende forfaitaire délictuelle relève d'une vision répressive et qu'elle n'aura aucun effet sur les consommateurs ?
M. Alain Bauer. - Sur l'utilisation de cette amende, je lis des rapports extrêmement contradictoires. Cette création douanière a été adaptée d'une manière plus ou moins compliquée. Toutefois, elle constitue une réponse immédiate dès lors qu'elle est payée, ce qui n'est pas garanti. Or, que se passe-t-il si ce n'est pas le cas ? Rien. En effet, cela fonctionne pour ceux qui veulent bien payer. Dans le cas contraire, on revient au système ordinaire, qui ne sait pas gérer les quelque 100 000 personnes interpellées pour consommation.
En réalité, la consommation n'est pas un sujet pénal. Le deal est un sujet pénal. C'est pourquoi il faut gérer différemment les consommateurs et se demander comment les aider. En général, il s'agit d'ailleurs de poly-consommations, un peu plus compliquées avec l'alcool et d'autres types de produits addictifs. L'OFDT avait été créé pour cela : traiter des toxicomanies et non pas de la toxicomanie. À l'époque, un débat extrêmement violent avait eu lieu pour savoir s'il était possible de traiter la drogue comme le tabac et l'alcool ; mécaniquement, oui. Mais la question, c'est de traiter le malade. Peu importe ce qui le rend malade, s'il s'agit d'une addiction, cela doit être traité comme tel. Il ne faut pas seulement en parler ni simplement le constater.
Nous travaillons beaucoup avec Michel Gandilhon, qui est un très bon observateur des problématiques de stupéfiants en France et à l'étranger, au Conservatoire des Arts et Métiers. Nous nous sommes rapidement rendu compte que le territoire, le développement et les problématiques du deal avaient trait non pas à des problèmes de consommateurs, mais à des réseaux de distribution. C'est donc sur le réseau de distribution qu'il faut taper. Or le réseau de distribution importe de moins en moins et autoproduit de plus en plus. À un moment, la France deviendra exportatrice. Les conditions de production d'une partie des produits « naturels » et, de plus en plus, chimiques nous ramènent à l'avant-1970.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Une des difficultés est liée à la capacité des réseaux, français et internationaux, à comprendre, notamment grâce à l'intelligence artificielle, comment les services de police ont réussi à obtenir des informations qui les ont mis en difficulté et qui conduisent à leur jugement. Or ces éléments figurent souvent dans le dossier procédural. Une des réponses à ce problème pourrait être le dossier coffre : l'autorité poursuivante n'indiquerait pas dans le dossier pénal les conditions dans lesquelles les informations ont été recueillies. Vous êtes très attaché à la protection des libertés individuelles, qu'en pensez-vous ?
M. Alain Bauer. - Je suis très attaché au fait que la défense existe. En raison du très faible nombre d'instructions et du trop grand nombre d'enquêtes préliminaires, qui n'offrent aucune garantie sur à peu près rien, la France qui se proclame défenseuse des libertés a beaucoup de retard. Elle n'a même pas réussi à afficher l'Habeas Corpus.
Non, je ne crois pas que ce soit le problème. Tout d'abord, l'intelligence artificielle accélère simplement des processus qui passent, pour l'instant, essentiellement par des informateurs et des indicateurs plus ou moins payés, plus ou moins manipulés et plus ou moins manipulateurs. On le constate à chaque fois qu'un policier, un douanier ou un gendarme est mis en cause pour des livraisons surveillées, qui ont lieu dans des conditions qui ne satisfont pas toujours - à juste titre - les magistrats.
Par conséquent, à mon sens, le secret de l'instruction, lorsque celle-ci arrive à l'étape du jugement, ne doit pas empêcher la défense d'accéder au dossier de l'accusation. Dans certains cas, la loi prévoit l'anonymat d'un certain nombre d'informateurs, mais pas de ne pas connaître les informations. L'usage d'outils, si je puis dire, ayant davantage trait au monde du renseignement, dans le cadre de procédures judiciaires, avec le pseudo-informateur X27, relève déjà largement de ce cas. Or cela ne donne pas beaucoup d'informations à la défense sur la manière dont elle peut gérer ce type d'affaires.
Enfin, le nombre d'erreurs procédurales qui conduisent à la libération de trafiquants ou de criminels - et qui sont liées à l'encombrement massif de nos juridictions, aux faibles moyens notamment des greffes ou au grand nombre de dossiers que les magistrats ont à traiter - est un problème bien plus important que celui de cacher des éléments à la défense. La défense est largement pourvue en fautes de procédures, sans qu'il soit nécessaire de lui cacher le contenu des dossiers.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Finalement, vos propos ne sont pas démoralisants. En 1970, un coup de téléphone du président Nixon a mis fin aux dégâts de la French Connection, commis grâce à ces laboratoires de qualité situés à Marseille. Une loi, certes imparfaite, est donc le fruit d'une volonté politique. Or, au travers de cette commission d'enquête, nous voulons porter une volonté politique pour s'attaquer à ce sujet.
Sur la question du traitement médical et des addictions, vous n'êtes certes pas médecin, mais vous avez fait référence à une de mes lectures de jeunesse, le livre d'Olievenstein, Il n'y a pas de drogués heureux. Des expériences étaient en cours, notamment à Marseille avec le docteur Prat. Pensez-vous qu'il soit possible de s'inspirer de ces expériences assez libertaires, puisqu'on disait qu'il n'existait pas de personnes « accros » à la cocaïne, alors que la drogue n'était pas la même à l'époque, et qui n'ont jamais été vraiment soutenues ?
Sur les petits dealers de quartier, pourriez-vous préciser en quoi les courtes peines sont efficaces pour les mineurs ?
M. Alain Bauer. - Une courte peine très rapide.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?
M. Alain Bauer. - Pour répondre à votre première question, de nombreuses expériences ont eu lieu, mais aucun bilan n'en a été dressé. Juste avant 1981, le rapport Peyrefitte avait dressé, en vingt volumes, le plus beau et le plus impressionnant bilan de l'état de la criminalité, de la délinquance et des problèmes urbains ; un diagnostic absolument remarquable qui n'a provoqué ni pronostic ni thérapeutique. Après 1981, un certain nombre de propositions ont été avancées dans un nombre important de secteurs, mais il s'agissait de ne pas se montrer trop complaisant, en raison d'un procès en incompétence et en philobanditisme qui s'est arrêté après l'affaire Action directe ; les attentats ont alors créé les conditions d'un retour à l'ordre.
On est donc revenu à un projet à peu près intelligent - celui de citoyens libres dans des villes sûres -, défini lors du colloque dit de Villepinte, issu anciennement du rapport Bonnemaison. La gauche a alors eu une épiphanie : parce qu'elle était aux affaires de la plupart des collectivités territoriales, elle a découvert que cette question devait être traitée. C'était d'ailleurs une gauche « Janus » - je peux le dire facilement, car j'ai connu beaucoup de ses membres, puisque j'ai été le collaborateur de Michel Rocard pendant très longtemps. Ses membres étaient extrêmement rationnels et prenaient en compte le problème au niveau local, mais une fois arrivés à Paris, ils se transformaient en négationnistes culturels, pour lesquels le problème n'existait pas et était une invention de la droite.
Cela pose un problème. La France est le pays de la négation, de la minoration et de l'éjection, à savoir « ce n'est pas vrai », « ce n'est grave », « ce n'est pas de ma faute ». En conséquence, le citoyen lambda, pour lequel c'est vrai et c'est grave, a décidé de s'adresser aux extrêmes parce qu'ils lui fournissaient une réponse. Certes, la réponse n'est pas bonne, mais il y en a une ! Surtout cette réponse ne commence pas par réfuter la réalité du problème qu'ils subissent tous les jours. C'est un peu comme les gens qui n'aiment pas l'obscurité : vous avez le droit de vous moquer d'eux, mais vous ne pouvez pas penser que cela n'existe pas. La reconnaissance du réel est un élément majeur.
Dans mon métier, qui est une science clinique, on réalise un diagnostic qui doit être partagé. Or on le fait assez peu. Ensuite, on établit un pronostic qui doit être discuté, ce qui est évidemment complexe sans disposer de diagnostic au préalable. Un débat thérapeutique, qui peut être extrêmement disputé, peut alors avoir lieu. La France est le pays où se trouvent les meilleurs thérapeutes du monde sans disposer de diagnostic : ça ne marche pas terriblement bien - et ce constat n'est pas uniquement valable pour les questions criminelles ou le trafic de stupéfiants...
La véritable question est la suivante : quel bilan a-t-on des expériences menées à Marmottan ou ailleurs ? Ces expériences sont anciennes, certaines survivent ici et là, mais aucun bilan n'existe ni de propositions. Le seul travail de fond qui a été tenté est celui, que j'ai déjà évoqué, de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la question de la dépénalisation, pour le dire de manière radicale. Au sein de notre centre de recherche au Conservatoire national des Arts et Métiers, nous éditons la revue Politiques des drogues, où cohabitent tous les points de vue, y compris les répressifs comme moi. Le problème est non pas la libéralisation, mais la « désaddiction », qui est une mesure pour permettre de s'en sortir et qui pose qu'il s'agit d'un sujet non pas pénal, mais médical. L'injonction thérapeutique fait partie des moyens médicaux disponibles. Les injonctions peuvent s'appliquer à de nombreux domaines, comme la vaccination pour prendre un exemple récent. L'injonction est un élément structurant d'une politique de réponse au fléau de la consommation ainsi que, par ailleurs, aux réseaux et au trafic de stupéfiants ; dans cet ordre, et non pas l'inverse.
Nous pourrions ensuite dresser un bilan - le Sénat dispose d'ailleurs des moyens pour le réaliser - des expériences menées en matière de désaddiction, utiles ou totalement farfelues. Un bilan permet de faire le tri entre ce qui était utile, ce qui aurait pu fonctionner, être généralisé, modulé, et ce qui n'avait aucun sens. Il en va de même s'agissant des politiques de santé publique en matière de psychiatrie. La fermeture des centres fermés au bénéfice des traitements en milieu ouvert a conduit au désastre de la psychiatrie nationale. Les psychiatres ont eux-mêmes participé à leur propre auto-extinction, mais ils sont revenus sur cette solution. Il est ainsi possible d'avancer en dressant un bilan, neutre, des expériences passées.
Ensuite, des propositions et des dispositifs peuvent parfaitement fonctionner en se fondant sur ce qui avait donné des résultats à Marmottan et ailleurs. Des bilans régionaux, locaux ou sur des subventions publiques ont été réalisés. Ainsi, voilà quelques années, une mutuelle a donné des financements à mon collègue Sebastian Roché pour mener des enquêtes d'auto-incrimination : les auteurs d'actes de délinquance expliquaient pourquoi ils le faisaient. Il n'est pas inintéressant de demander à des individus pourquoi ils décident de devenir des délinquants ou des criminels, notamment ceux qui participaient au trafic de stupéfiants.
Enfin, pour ce qui est de la réponse pénale, avec le dispositif que je vous ai présenté - 70 % de primoauteurs, 30 % de personnes qui recommencent, et parmi eux 5 % d'hyperproductifs -, il est nécessaire de casser le plus rapidement possible le rythme de la carrière criminelle. Ce n'est pas grâce à un bracelet électronique ou à l'isolement que cela s'arrêtera, mais c'est l'accompagnement qui marquera la nécessité de s'arrêter immédiatement. Cela ne fonctionnera que dans 70 % des cas ; puis, plus ou moins rapidement dans 30 % des cas. Au final, c'est sur les 5 % d'hyperproductifs que pourront être massivement mobilisées les forces de répression pénales pour isoler 50 % de l'activité criminelle. Il s'agit d'une représentation : il ne s'agit pas des mêmes 5 % dans tous les types d'activité criminelle.
La reconcentration des moyens sur le noyau dur de l'activité criminelle ou stupéfiante a des effets. Toutefois, il ne s'agit pas de laisser faire les deux dealers qui sont quotidiennement en bas de chez vous, pendant que la filière est en train d'être remontée. On s'en occupera également, mais d'une manière plus intelligente. On sature le terrain, ce qui est important, et on revient à une police de présence, de visibilité et de proximité, qu'on a oubliée. Je le précise, ce n'est pas la police de proximité, qui fonctionne dans les États fédéraux où le maire est le patron de sa police et décide de ce qu'il fait là où il a envie de le faire : il s'agit d'avoir une police qui sature le terrain et non pas une police d'intervention qui vient de temps en temps.
Il est possible de trouver des moyens et de les adapter, y compris en matière de répression et de sanctions rapides, efficaces, limitées dans le temps. Il s'agit de ne pas faire durer 117 interpellations, de présenter 90 personnes au juge puis, au dernier moment, sans que nul ne sache pourquoi, de prononcer une peine de trois ans ferme. C'est incompréhensible pour tout le monde, et cela révèle l'existence d'un problème dans l'application du dispositif.
Vouloir systématiquement trouver des solutions de substitution à tout ne règle rien, lorsque ces solutions sont dépourvues de contenu. Or, aujourd'hui, les alternatives sont des classements sans suite, des injonctions à ne pas réitérer de tels actes, des solutions qui n'ont pas d'effet en réalité, en tout cas, pour une part importante des acteurs les plus perturbateurs, qui se tiennent le plus en dehors du système pénal et du respect des règles de vie ensemble.
Mme Catherine Conconne. - La prise en charge différente de ces personnes passe par la création de nouveaux métiers et de nouvelles filières de formation. Quels sont ces nouveaux métiers ? Un policier ou un juge ne pourront être chargés de cette mission. De qui s'agit-il ? Et comment cela se fera-t-il ?
M. Alain Bauer. - Lorsque je viens au Parlement, je me demande toujours si je suis le représentant d'une espèce en voie d'apparition ou de disparition. En effet, en France, sur l'ensemble du territoire national, outre-mer compris, il n'existe qu'un professeur de criminologie, car la criminologie est considérée comme une « patate chaude ».
Les « sociolâtres » - je ne parle pas des sociologues, pour qui j'ai le plus grand respect - considèrent que le mal n'existe pas, que la société est mauvaise et que les individus sont bons, dans une sorte de rousseauisme étrange. De leur côté, les pénalistes pensent que seul le droit va apporter une réponse à cette question. De fait, chacun fonctionne en silo sans jamais se parler, ni se rencontrer, ni se concerter, au nom de la sacro-sainte indépendance médicale, pénale ou judiciaire.
Sur le terrain, en revanche, on s'aperçoit que de nombreuses personnes s'occupent du sujet, qu'il s'agisse des associations, des gardiens de prison, des magistrats, des avocats ou encore des défenseurs des droits, mais ils le font de manière isolée. J'ai 330 étudiants cette année, bien loin d'un doctorat résiduel pour répressifs extrémistes. Pourquoi ? Il existe une très forte demande de leur part, car ils ont besoin d'apprendre, de partager et de comprendre.
Les espaces existent donc, ainsi que les populations concernées, avec un besoin davantage lié à la formation permanente et à l'accompagnement qu'à la formation initiale. Cependant, le jour où on créera de la formation initiale, des centaines de candidats se présenteront, et il faudra accompagner ce mouvement par la création de supports d'emploi. S'ensuivra un débat budgétaire autour des moyens à consacrer et des limites du « quoi qu'il en coûte », une problématique qui vous est familière.
En réalité, les moyens existent, mais ils ne sont ni visibles, ni coordonnés, ni concertés, ni reconnus, ni respectés. Ainsi, la France ne dispose pas d'une conférence nationale de criminologie qui permettrait aux différents acteurs d'échanger autour des affaires criminelles. Il m'arrive d'aller faire cours au quai aux Fleurs, un endroit formidable qui accueille une rencontre où policiers, gendarmes et magistrats se parlent de politique pénale. Dans la mesure où aucun journaliste n'est présent, personne ne se dispute : les policiers ne sont pas fascistes, les magistrats ne sont pas laxistes et les discussions ont lieu.
Certains de mes collègues y sont invités à venir tenir des conférences qui permettent le débat sur les conditions dans lesquelles s'applique ou non la politique pénale, en toute liberté. Ce format remarquable est accueilli dans une annexe de l'École nationale de la magistrature (ENM) - dont je ne dis pas toujours du bien -, mais je souligne que ces endroits existent, l'École nationale supérieure de la police (ENSP) organisant d'ailleurs des rencontres similaires.
Des activités de même nature se tiennent assez régulièrement en matière de formation des analystes du renseignement, domaine qui ne se limite pas à l'espionnage international et qui englobe le renseignement criminel. De fait, il existe d'extraordinaires compétences de terrain, disséminées partout. Je me suis rendu récemment à une conférence des personnels d'assistance psychologique des départements, endeuillés par l'assassinat de l'un d'entre eux par un déséquilibré. Plusieurs dizaines de participants étaient présents, et nous avons eu un débat riche, nourri par la diversité des expériences. Ces dernières, cependant, ne sont reconnues par personne, ou uniquement dans le circuit professionnel concerné. La ressource existe, elle ne demande qu'à émerger.
Au lendemain de ma nomination comme professeur de criminologie, j'ai découvert l'existence de 40 collègues « clandestins » - des sans-papiers de la criminologie en quelque sorte - qui exercent sous des titres divers dans une série d'universités. Dès lors qu'ils ont pu s'appuyer sur un point de référence, ils ont manifesté la volonté d'aider au développement du Conservatoire. Il existe désormais un institut de criminologie à Lille qui assume totalement sa vision, ainsi qu'une formation en victimologie à Pau, sans oublier une médecine légale de très bonne qualité à Nantes, Rennes et Poitiers. Des pôles émergent ainsi, mais de manière décentralisée et sans reconnaissance des carrières - ce qui pose problème à mes collègues, qui font de la criminologie sans le dire de crainte que cela nuise à leur carrière.
Il suffirait donc d'organiser une conférence nationale ouverte, sans l'élément perturbateur des médias - ceux-ci peuvent être présents après, mais pas pendant - afin que les acteurs échangent autour des sujets que j'ai évoqués. Vous verrez alors à quel point la compétence du terrain est exceptionnellement développée en France et à quel point la structure centralisée, parisienne et bureaucratique de l'État est totalement sourde, aveugle et muette.
M. Jérôme Durain, président. - Vous décrivez un paysage dans lequel une répression tous azimuts a été privilégiée de manière maladroite et désordonnée, au détriment du soin. Dans la réalité de la consommation des stupéfiants, existe-t-il un aspect qui échapperait au soin et qui serait de l'ordre du récréatif ?
Par ailleurs, vous avez dit que l'approche répressive actuelle revient à frapper indistinctement le consommateur, le consommateur-dealer et le trafiquant : une modification de l'échelle des peines pourrait-elle être une voie à emprunter ?
M. Alain Bauer. - Le récréatif peut être addictif et m'indiffère : c'est l'addiction qui me pose problème. S'il est question d'un médicament qui permet de soulager la douleur, son caractère extrêmement addictif ne me dérange pas, car il est traité d'une manière médicale, sous contrôle médical et pour traiter un problème de santé. C'est d'ailleurs ce qui explique les référendums tenus aux États-Unis en faveur de la libéralisation, de la dépénalisation ou la décriminalisation de processus médicamenteux, notamment liés au cancer et à des maladies extrêmement douloureuses et considérés comme des médicaments à l'instar d'une série d'opiacés qui sont devenus des médicaments, ou de médicaments détournés de leur usage, qui deviennent, via des mélanges, des produits dangereux et addictifs.
Selon moi, l'aspect récréatif n'est pas le véritable sujet, mais bien davantage l'addiction, qui doit être traitée d'un point de vue médical même si elle peut avoir l'air récréative de prime abord. Je pense à ceux qui disent : « je ne suis pas alcoolique, mais j'en suis à mon quatrième apéritif » : je n'ai rien contre l'apéritif, mais il s'agit alors bien d'une addiction et d'un niveau d'alcoolisation dont il faut tenir compte. Dans le Colorado, territoire américain que je connais bien, un référendum populaire a décidé d'aller dans la voie de la libéralisation : une augmentation massive du nombre d'accidents de voiture impliquant des personnes sous l'influence du cannabis ou de champignons hallucinogènes en a résulté, d'autant plus que la plupart des conducteurs concernés sont également alcoolisés.
Il s'agit donc d'un problème d'addiction plutôt que d'un enjeu de pénalisation, même s'il faut bien sûr punir ces personnes lorsqu'elles blessent ou tuent quelqu'un d'autre. Je ne prends donc pas en considération cet aspect récréatif, même si j'entends bien la différence que vous établissez.
Concernant une éventuelle modification de l'échelle des peines, la loi de 1970 est inapplicable : il faudrait en effet commencer par modifier le texte afin de refléter la réalité d'un processus qui doit commencer par le médical et non pas par le pénal. L'échelle des peines n'est pas l'élément majeur, quand bien même je ne m'opposerais pas à ce qu'un trafiquant responsable de plusieurs centaines de morts pour avoir surdosé un produit écope de 30 ans d'emprisonnement sans autorisation de sortie. Je précise que je suis abolitionniste et que la peine de mort ne fait pas partie de mes options.
Je n'ai aucun problème avec la répression massive des trafiquants et de tous ceux qui, sachant ce qu'ils vendent, prennent la responsabilité de la mortalité de ceux qui consomment. L'échelle des peines est une question secondaire, ou, plus précisément, n'est pas la question initiale, qui est celle de l'ordre de priorité : il faut d'abord s'occuper des malades ; ensuite, dans l'entre-deux, des consommateurs-dealers ; enfin, réprimer sauvagement - avec la plus grande force de la loi, comme disent les Américains - les trafiquants.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je voudrais justement évoquer les gros trafiquants et le « haut du spectre » des réseaux criminels, qui font feu de tout bois pour gagner de l'argent. Quels sont, d'après vous, les liens entre les trafics de drogue et les autres formes de trafic ? Existe-t-il une porosité avec le trafic d'armes ou d'êtres humains, par exemple ?
Par ailleurs, un traitement spécifique est-il mis en oeuvre pour suivre les réseaux des trafics de drogue par rapport aux autres formes de trafic ? Un travail important est mené sur la question du terrorisme, beaucoup moins sur les trafics de stupéfiants.
M. Alain Bauer. - Dans les années 1960 et 1970, le système criminel était très sectorisé et chacun y avait sa petite spécialité. Après l'apparition de la Ndrangheta et de la Camorra, tout a changé et la modernisation a conduit à la fin de la spécialisation. Par exemple, les centres de prostitution installés le long de la frontière espagnole servent également à distribuer des stupéfiants, dans une optique « multi-services ».
Les réseaux de blanchiment d'argent, à 90 %, servent à la fraude fiscale. Dès lors qu'une structure offshore existe, elle est illégale, dangereuse et devrait être interdite, car elle ne sert qu'à la fraude. Sur ces tuyaux se branchent de nombreuses activités, dont des rétrocommissions, l'argent du terrorisme - dans une proportion très limitée - et évidemment l'argent issu des stupéfiants. Au total, le trafic de stupéfiants représente environ 5 % du PIB mondial et de 20 % à 25 % des dépôts. La lutte anti-blanchiment fonctionne plus ou moins bien dans la mesure où les cryptomonnaies ont créé un nouvel espace de liberté pour le blanchiment.
Désormais, les acteurs se diversifient pour les raisons que vous avez indiquées, à savoir la recherche du gain, d'où une intégration d'autres activités. De fait, le crime organisé, notamment le trafic de stupéfiants, constitue le modèle le plus abouti de l'économie de marché : intégration verticale et horizontale, investissement dans la recherche et développement, développement des zones de chalandise, incitations financières pour le petit personnel. Seule la gestion de la concurrence est plus « définitive » que dans le commerce traditionnel.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - On peut également évoquer l'ubérisation du trafic : pourriez-vous détailler vos propositions en matière d'identité numérique ?
M. Alain Bauer. - Nous disposons d'un état civil depuis 1539, grâce à François Ier. Votre numéro national d'identité permet de savoir où vous êtes né, à quelle date, puis toute une série d'éléments de votre vie sociale, ainsi que votre date de disparition et les conditions dans lesquelles vous avez disparu. Ces données permettent de nourrir une analyse démographique, de déterminer un âge moyen et les fluctuations de la natalité, etc.
Lorsque l'espace numérique a été ouvert, on a décidé, pour d'étranges raisons, de ne pas créer une identité numérique, car il s'agissait d'une atteinte à nos libertés : on a créé un Far West sans shérif car le seul moyen de disposer d'une garantie de compréhension de l'ensemble de l'activité numérique, notamment illégale, mais aussi des trolls et des agresseurs qui s'expriment sur internet en toute liberté, comme s'il n'y avait aucun risque, n'est pas de les priver de la possibilité d'avoir un pseudonyme, mais de s'appuyer sur une identité numérique basée sur une adresse électronique dont tout découle, quels que soient les pseudonymes que vous déciderez d'utiliser.
Cela permettra de résoudre une partie importante de l'excès de violence et de « trollisation » dans un espace que nous n'avons pas voulu encadrer et que nous ne savons pas toujours réguler. La méthode est également valable pour les services offerts sur internet dans le cadre de l'ubérisation : commander sa pizza ou sa dose se fait via des réseaux, qui, contrairement à une idée très répandue, sont beaucoup moins sécurisés que ce qu'on imagine. Dès lors que les services de police et de gendarmerie décident d'y mettre les moyens, les dispositifs peuvent en effet être contournés ou cassés, fort heureusement d'ailleurs. Avec le passage au quantique, il est à peu près certain qu'aucun système de cryptographie ne pourra résister, ce qui est à la fois une interrogation, une inquiétude et une satisfaction selon le point de vue adopté.
En contrepartie, il est difficile d'identifier les auteurs. Le fait d'avoir une identité numérique, sans pouvoir tout empêcher, réduira massivement l'ampleur du développement des réseaux de contournement et de distribution, qui s'ajoutent aux points de deal. La nuisance du livreur à domicile s'additionne ainsi à la nuisance de proximité.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Vous avez rappelé que c'est en tapant au portefeuille que l'on est efficace. Quels défauts identifiez-vous aujourd'hui dans le code de procédure pénale en matière de lutte contre le blanchiment, ainsi que dans l'organisation de nos services douaniers, judiciaires et fiscaux ?
M. Alain Bauer. - Il a fallu attendre les attentats de 2015 et de 2016 pour avoir enfin une coopération antiterroriste efficace entre des services qui n'échangeaient guère, pour des raisons à la fois légitimes liées à la protection des sources et pour d'autres, moins légitimes, de défense de leur pré carré. Les enjeux de coopération dans le domaine des stupéfiants sont similaires à ceux de la lutte antiterroriste, mais à la condition de s'occuper des choses essentielles et de ne pas noyer l'activité antistupéfiants dans la surveillance du consommateur du coin : il faut donc réorienter l'organisation, en lui donnant plus de moyens.
L'Office antistupéfiants (Ofast) est ainsi une bonne idée, même s'il ne correspond qu'à un réemballage d'une idée précédente, qui était elle-même une reprise des groupes d'intervention régionaux. Si les idées n'ont pas fait défaut, c'est la mise en application qui pèche : c'est le drame du pays et le constat est valable pour la plupart des services publics.
En tout état de cause, les moyens existent et permettent, s'ils sont suffisamment puissants, d'obtenir des résultats, y compris sur les cryptomonnaies. Les nouveaux outils de suivi de ces dernières sont d'ailleurs extrêmement efficaces et démontrent qu'il est possible de suivre les flux d'argent, quitte même à les faire disparaître de temps en temps, au grand dam des opérateurs criminels.
M. Jérôme Durain, président. - Au fil de nos auditions, les techniques les plus récentes ont été évoquées, mais également des techniques bien plus anciennes et rudimentaires telles que l'hawala. Existe-t-il des façons de s'en prémunir ?
M. Alain Bauer. - Il nous faut d'abord gérer des problèmes que nous avons nous-mêmes créés avec des centres de transfert d'argent non contrôlés, dont La Poste était elle-même un opérateur bienveillant fût un temps. Il ne faut pas sous-estimer la dimension sociale du trafic, qui permet de payer le permis de conduire ou le loyer ; une série d'opérateurs considéraient qu'il ne fallait pas regarder d'où provenait l'argent. Dans le secteur des HLM par exemple, les trois éléments indicateurs d'une crise avaient trait à la rotation, à la vacance et au niveau d'impayés et de paiements en liquide. Lorsque le taux de rotation s'accélérait, que le taux de vacance grandissait et que le taux d'impayés croissait, une crise apparaissait. Par ailleurs, lorsque le pourcentage de paiements en liquide ou par mandat devenait trop important, cela signifiait qu'un changement de nature des règlements était à l'oeuvre.
Il s'agit d'indicateurs fiables et stables, qui doivent venir compléter des indicateurs tels que le nombre de coups et de blessures volontaires enregistrés par les services de police ou de gendarmerie. Il faut se doter d'outils variés, dont certains ne sont pas purement sécuritaires, afin de disposer d'une vision plus précise de la réalité. De la même manière, nous avons mené des enquêtes de victimation pour affiner notre vision de la réalité, car les plaintes et les mains courantes déposées ne suffisaient pas pour établir un état des lieux de ce que les gens subissaient. Nous sommes ainsi mieux informés au sujet des bris de véhicules qu'en matière de violences intrafamiliales, les premiers étant déclarés à hauteur de 67 %, contre 9 % pour les secondes, alors que ces deux violences n'ont évidemment pas la même gravité. Il s'agit d'un processus lent, qui s'est développé sur d'autres problématiques avec le mouvement #MeToo et la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Nous nous rendons compte, hélas, du retard pris.
Tous les procédés en question sont connus : nous les avons aidés et facilités pour des raisons de business, mais nous pouvons parfaitement y remédier.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Vous avez évoqué les divergences européennes. Qu'entendiez-vous par là ?
M. Alain Bauer. - Il existe une divergence entre la Belgique et les Pays-Bas d'une part et les autres États membres de l'Union d'autre part, à la fois sur la libéralisation de la consommation et sur les poursuites. Aux Pays-Bas, la mafia prend le contrôle des coffee shops, l'enjeu n'étant plus la prohibition, mais celui du contrôle du réseau de distribution. Les organisations criminelles savent toujours où trouver l'argent : en Californie, les « pharmacies du cannabis » sont aujourd'hui contrôlées par les criminels, qui ont éjecté tous les petits gérants.
Au-delà des Pays-Bas, nos amis belges sont également en grande difficulté, tout comme nos amis espagnols, tandis que les Portugais ne savent plus à quel saint se vouer par rapport à leur politique de décriminalisation, dont ils perçoivent les difficultés et les excès. Tout le monde se rend bien compte des problèmes liés à l'absence d'anticipation des problématiques et au manque de cohérence des choix. L'un des États américains a mis en oeuvre une décriminalisation totale en matière de stupéfiants et vit aujourd'hui une crise médicale et sanitaire majeure puisque tous les excès y sont autorisés. Dans la mesure où les frontières entre États ne sont pas fermées, le problème se pose du surcoût lié à la gestion des overdoses et de la criminalité dues à l'arrivée de consommateurs de produits qui ne sont pas autorisés dans les 37 autres États qui ont décriminalisé, dépénalisé, contraventionnalisé ou libéralisé la production de divers types de stupéfiants.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Je voulais également évoquer les poursuites engagées contre les réseaux chez nos voisins.
M. Alain Bauer. - La Belgique en engage, mais les Pays-Bas quasiment plus.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Il existe bien des saisies et des poursuites lorsque la drogue arrive dans les ports.
M. Alain Bauer. - Uniquement dans ce cas précis d'une saisie sur le port. Dans la mesure où la consommation est autorisée, un réseau de distribution officiel existe.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - S'agissant des réseaux de distribution non autorisés, notamment de cocaïne, l'harmonisation européenne vous semble-t-elle suffisante ?
M. Alain Bauer. - L'harmonisation est inexistante : il existe de très grandes différences entre les pays du Sud et les pays du Nord, avec la France au milieu.
M. Étienne Blanc, rapporteur. - Les trafiquants se réfugient à Dubaï, au Maroc ou en Algérie et s'y constituent un patrimoine. S'agit-il, selon vous, d'un sujet essentiel pour lutter contre le narcotrafic ? Quelles mesures préconisez-vous ?
M. Alain Bauer. - L'Algérie et le Maroc entretiennent des relations complexes avec la France, ce qui n'est pas le cas de Dubaï ou des Émirats arabes unis. Il est possible d'avoir une relation directe et opérationnelle avec ces derniers, qui tiennent de plus en plus à leur réputation. Dans les autres cas, la question relève du remords colonial et est très compliquée à traiter, même si ces pays ont mené des politiques répressives majeures par moments.
J'ai noté, par ailleurs, que la Turquie était passée de l'indolence à une répression féroce contre les réseaux de trafiquants de stupéfiants, ce qui pourrait s'expliquer en partie par le rejet de la concurrence d'organisations criminelles externes. Il est tout à fait envisageable de voir un retournement similaire s'opérer au niveau central des Émirats arabes unis, le cas de Dubaï étant plus complexe : en l'absence de ressources naturelles, le commerce y prédomine.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Sait-on mesurer l'influence des réseaux criminels sur l'économie locale, via les rachats d'entreprises par exemple ?
M. Alain Bauer. - Oui, dès lors qu'il en existe la volonté. Un groupe d'intervention associant les douances, le fisc et le renseignement peut mener une enquête approfondie et évaluer l'imprégnation locale du crime organisé, qu'il soit mafieux, lié au trafic de stupéfiants ou « ordinaire ».
M. Jérôme Durain, président. - Merci beaucoup de votre participation.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
Table ronde de représentants de bailleurs sociaux (ne sera pas publié)
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 17 h 25.
Mardi 30 janvier 2024
- Présidence de M. Jérôme Durain, président -
La réunion est ouverte à 09 h 05.
Audition de M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, et Mme Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire (ne sera pas publié)
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 10 h 30.