COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Lundi 18 décembre 2023

- Présidence de M. Sacha Houlié, député, président -

La réunion est ouverte à 17 h 04.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à revaloriser le métier de secrétaire de mairie se réunit à l'Assemblée nationale le lundi 18 et le mardi 19 décembre 2023.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. Sacha Houlié, député, président, de M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président, de M. Florent Boudié, député, et Mme Élodie Jacquier-Laforge, députée, rapporteurs pour l'Assemblée nationale, et de Mme Muriel Jourda et M. Philippe Bonnecarrère, sénateurs, rapporteurs pour le Sénat.

Sacha Houlié, député, président. - Le projet de loi a été déposé le 1er février 2023 sur le bureau du Sénat, qui l'a adopté le 14 novembre. L'Assemblée nationale l'a rejeté par le vote d'une motion de rejet préalable le 11 décembre. De ce fait, les dispositions qui restent en discussion sont les vingt-sept articles du projet du projet de loi initial déposé par le Gouvernement, y compris les deux articles supprimés par le Sénat, et les soixante-huit articles additionnels, soit au total quatre-vingt-quinze articles.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a demandé une suspension de séance.

La réunion suspendue, à 17 h 05, est reprise à 18 h 55.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je demande une nouvelle suspension jusqu'à vingt et une heures.

M. Boris Vallaud, député. - Cela fait maintenant près de deux heures après que la réunion a été convoquée : je vous invite, monsieur le président, à constater l'absence d'accord.

M. Benjamin Lucas, député. - Cette situation grotesque donne à voir une piètre image du Parlement. Un constat lucide s'impose : les heures de conciliabules et les dîners à Matignon n'ont pas permis de trouver un accord. Je rejoins donc la demande de M. Vallaud : arrêtons cette mascarade.

M. Patrick Kanner, sénateur. - Nous donnons à nos concitoyens une triste image du fonctionnement du Parlement. Demander une nouvelle suspension, c'est ne pas respecter le travail de celles et ceux qui veulent s'investir dans la commission mixte paritaire (CMP). Le terme de mascarade a été utilisé ; il est fort, mais il décrit malheureusement de façon très juste la situation. Suspendez la CMP pour la reprendre le moment venu, voire jamais. C'est une honte que les quatre jours de négociation entre le Gouvernement et Les Républicains aient pu aboutir à cela !

Mme Edwige Diaz, députée. - Tout cela n'est pas sérieux ! La majorité, qui a eu dix-huit mois pour préparer le texte, vit assez mal le vote de la motion de rejet. Tout le week-end, M. Darmanin s'est montré obsédé par une chose : la montée du Rassemblement national dans les sondages. Les petits comités qui se réunissent à l'abri des regards donnent une image de tambouille politique, et ce que si passe ce soir n'est respectueux ni du Parlement, ni de la CMP.

Nous apprenons par la presse que les députés de la majorité pourraient subir des sanctions s'ils étaient récalcitrants au moment du vote. Si vous n'arrivez pas à vous mettre d'accord entre vous, nous vous le demandons de nouveau : proposez un référendum aux Français.

M. Guy Benarroche, sénateur. - L'ensemble des journalistes qui m'interpellent depuis tout à l'heure trouvent abracadabrantesque de reporter la réunion de deux heures encore, alors que des négociations sont en cours depuis quatre jours ! Si vous voulez que nous renvoyions une image un tant soit peu sérieuse et que nous donnions l'illusion que nous ne sommes pas uniquement la chambre d'enregistrement d'un accord signé ailleurs, monsieur le président, laissez les discussions se tenir si nécessaire, mais mettez fin à la réunion de ce jour. Arrêtons de nous ridiculiser ! Peut-être déciderons-nous, avec mon groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, que je ne reviendrai pas à vingt et une heures.

M. Ian Brossat, sénateur. - Maurice Thorez disait « Il faut savoir terminer une grève. » Il est temps, vu la situation, d'arrêter la CMP.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Je m'associe aux demandes qui viennent d'être formulées. C'est ici que devrait être débattu le texte, et non dans les couloirs. Entendez, monsieur le président, ce que vous disent tous les groupes : cette situation est anormale. C'est un déni de démocratie, qui va soulever beaucoup de questions et provoquer l'indignation de nos concitoyennes et concitoyens.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Évitons les grands mots ! Je partage la frustration de mes collègues, mais si nous étions arrivés avec un texte finalisé à la virgule près, nos oppositions nous l'auraient reproché et auraient considéré que tout était joué d'avance. Une CMP doit être un lieu de débat. Si nous pouvons reprendre nos travaux à vingt et une heures, une fois que les groupes qui ont besoin d'échanger auront pu le faire, tant mieux.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Cette situation révèle un manque de respect du Parlement. Le choix de convoquer une CMP après le rejet du texte à l'Assemblée était déjà assez étrange. Depuis quatre jours, le texte sur lequel devrait travailler la CMP est ouvertement négocié à Matignon, ce qui constitue une atteinte inadmissible à la séparation des pouvoirs. Et aujourd'hui, après deux heures de suspension, on nous annonce une nouvelle suspension jusqu'à vingt et une heures. Le mieux ne serait-il pas de retirer le projet de loi ? Il est normal que des discussions aient lieu, mais elles doivent se tenir dans le cadre de la CMP, pas ailleurs.

M. Olivier Bitz, sénateur. - Les discussions auraient même dû avoir lieu en séance publique, à l'Assemblée nationale ! Je trouve stupéfiant que tous ceux qui ont contribué à ce que le débat n'ait pas lieu en séance nous reprochent aujourd'hui la tenue de discussions et d'échanges sur ce texte. Le sujet est fondamental et très important aux yeux des Français. Nous ne sommes pas à une ou deux heures près !

M. Guillaume Gouffier Valente, député. - Effectivement, les groupes qui refusent le travail en CMP sont ceux qui ne veulent pas du projet de loi, ou qui veulent un référendum pour contourner le Parlement. Il n'y a rien d'inhabituel à ce qu'une CMP soit suspendue pour laisser le temps de la discussion aux groupes qui, eux, souhaitent qu'un texte soit adopté.

M. Yoann Gillet, député. - N'oublions pas que les Français attendent du sérieux en la matière. Un débat parfois tendu, mais nécessaire, s'est tenu pendant quarante-cinq heures au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale. La CMP est aussi un lieu de débat, et les protagonistes des négociations qui ont lieu dans une salle obscure devraient nous rejoindre et négocier devant nous. Il est scandaleux, en outre, que Mme Borne et M. Darmanin soient en train de valider point par point les négociations. Cela signifie que les parlementaires de la majorité présidentielle et des Républicains ne sont pas capables de négocier entre eux, ce qui est très inquiétant.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - J'entends beaucoup de propos excessifs. Si une nouvelle motion de rejet était présentée à l'instant, je suppose que les mêmes groupes - RN, LFI, SOC - l'adopteraient. Vous avez souhaité dès le départ, comme cela a été très bien dit par notre collègue sénateur, suspendre toute forme de débats. Ce sont des groupes politiques et non pas l'exécutif, monsieur Gillet, qui continuent de parlementer - comme on le fait au Parlement. Ils continuent à discuter sur des points d'accord et de désaccord : cela s'appelle une négociation. À ce stade, les conditions ne sont pas réunies pour que nous puissions présenter à la CMP des conclusions dignes du débat. Soyez rassurée, madame Taurinya, quelle que soit l'issue de la commission qui reprendra à vingt et une heures, c'est bien la CMP qui décidera. Rien ne se fera sans son vote. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons d'accepter le prolongement de la suspension jusqu'à vingt et une heures. Tout se passe dans des conditions transparentes : nous sommes devant vous et nous vous demandons une suspension, sans chercher à masquer que des discussions se poursuivent.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Elles ne se passent pas ici !

M. Florent Boudié, député, rapporteur. - Ces discussions sont normales et nécessaires, car ce projet de loi est lui aussi nécessaire.

La réunion, suspendue à 19 h 05, est reprise à 21 heures.

M. Sacha Houlié, député, président. - Nous reprenons avec les interventions générales sur le texte.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'immigration est un sujet important pour tous les parlementaires, quelle que soit leur appartenance politique, et pour tous les Français. Sur ce texte proposé par le Gouvernement, nous avons adopté une position assez claire : rappeler ce qu'est une politique migratoire. Pour un pays doté, par définition, de frontières, il s'agit de décider de qui entre sur son territoire, de qui y reste et à quelles conditions, comment sont intégrées les personnes admises à y demeurer et comment sont éloignées les autres.

Dans un premier temps, comme le Gouvernement ne prévoyait rien sur ce point, nous avons ajouté dans un titre I er A des mesures visant à mieux maîtriser les entrées sur le territoire. En tant que rapporteurs au Sénat, depuis quatre ans, des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », mon collègue Philippe Bonnecarrère et moi-même sommes persuadés que, face à un trop grand nombre d'entrées, nous ne parvenons plus à accueillir convenablement, à intégrer ni même à appliquer la loi puisque nous n'éloignons même plus ceux qui ne bénéficient d'aucun titre de séjour pour rester sur notre territoire.

Ce titre Ier A vise à maîtriser l'immigration par le biais de quotas fixés par les parlementaires, en particulier en matière d'immigration professionnelle, et aussi par un durcissement des procédures existantes concernant des prestations qui peuvent inciter les passeurs à diriger les clandestins vers nous. Nous voulons ainsi, sinon tarir, du moins diminuer fortement les flux d'immigration. Ce titre était important pour nous et il le reste. En discutant, nous avons réussi à faire partager notre point de vue à nos collègues de la majorité présidentielle.

S'agissant de l'aide médicale de l'État (AME), il est de notoriété publique que, à la suite du rapport remis au Gouvernement par Claude Évin et Patrick Stefanini, la Première ministre s'est engagée à déposer rapidement un texte pour mieux en contrôler l'application.

Nous avons voulu aussi, en intégrant la vision du Gouvernement, améliorer l'intégration par le respect des principes de la République, la langue et le travail - en estimant que cette intégration par le travail, notamment dans les métiers en tension, ne pouvait pas favoriser la fraude au droit au séjour.

Nous avons aussi adhéré à la vision du projet de loi en matière d'éloignement : il faut être plus efficace, car il est incompréhensible que des personnes qui ne respectent pas les règles restent sur le territoire. À cet égard, nous avons abouti à un texte aussi performant qu'il aurait pu l'être s'il avait été adopté par la voie ordinaire.

Nous avons approuvé la réforme de l'accueil des demandeurs d'asile proposée dans le projet de loi. Nous avons quelque peu modifié la réforme des procédures contentieuses sans que cela n'altère l'intention des rédacteurs du texte, que nous partagions - en son temps, le président François-Noël Buffet avait d'ailleurs déposé une proposition de loi allant dans le même sens.

Enfin, nous sommes d'accord avec la manière dont la commission des lois de l'Assemblée nationale avait pris en compte les sujets spécifiques aux outre-mer, avant que son texte soit rejeté.

Nous avons donc tenté de ne pas nous éloigner de nos travaux au Sénat tout en aboutissant à un texte qui puisse donner satisfaction et atteindre son objectif : la mise en oeuvre d'une vraie politique migratoire.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Première observation : nous avons besoin d'un accord politique dans le cadre de cette CMP. Deuxième observation : nous avons besoin d'un accord institutionnel - après le premier malheur du rejet du texte par l'Assemblée nationale, un échec de la CMP conduirait à une situation de vide institutionnel. Espérons que nos travaux se solderont par un résultat positif.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous avons eu des échanges parfois très vifs sur le texte issu du Sénat, en particulier sur le titre Ier A, tant sur le fond que sur la forme. Sur l'AME, le fond rejoint la forme. Sur le champ de la nationalité, il nous semble important de prolonger la discussion sur certains points tels que le droit du sol.

Le texte adopté par le Sénat a fait naître plusieurs préoccupations.

C'est le cas par exemple en ce qui concerne l'hébergement d'urgence - pour lequel la position du Sénat nous semblait délicate - ou le titre de séjour pour les étrangers malades - qui mérite d'être sécurisé. Je pense aussi à la mesure conduisant les étudiants étrangers à verser une caution, alors que nous voulons garantir l'attractivité de la France. Je rappelle que le nombre d'étudiants qui viennent en France chaque année dépasse celui des personnes qui y sont admises au titre du regroupement familial.

Je n'oublie pas non plus le fameux sujet des régularisations, à l'article 4 bis, même si j'ai bon espoir que nous trouvions une solution commune - de même que sur l'article 13 et le contrat d'engagement républicain.

Nos discussions vont se poursuivre, et c'est bien normal. Comme le rapporteur du Sénat, je crois à la nécessité d'un texte sur la question sensible de l'immigration.

Parmi les apports de la commission de l'Assemblée nationale qui méritent d'être préservés figurent notamment ceux relatifs à l'outre-mer, au sein du titre VI, mais aussi les dispositions relatives à la rétention administrative des mineurs, qui font l'objet de notre part d'une attention toute particulière. Bienvenue à la discussion !

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il ne vous aura pas échappé que cette CMP n'est pas comme les autres. Elle a nécessité un intense travail de négociation ces derniers jours. Nous espérons ce soir pouvoir avancer collectivement.

Nous ne partons pas de rien. Même s'il n'y a pas eu de débat en séance publique à l'Assemblée nationale, la commission des lois a fait son travail.

J'ai eu l'honneur d'être rapporteure du titre Ier, qui traite de l'intégration, et j'ai hâte que la discussion s'engage. J'espère que nous pourrons aboutir à un texte commun.

M. Yoann Gillet, député. - Nous y voilà enfin, après l'obscure CMP parallèle qui vient de se tenir dans une salle voisine !

Alors que 75 % de Français demandent un référendum sur l'immigration, le Gouvernement a choisi de réunir cette CMP. Le Rassemblement national a été le premier parti à dénoncer l'immigration massive. Nous défendons ici la position de fermeté que nous avons toujours eue et que réclament 80 % de nos compatriotes.

L'immigration de masse a des conséquences énormes sur nos comptes sociaux, sur l'hôpital, sur le logement, sur l'insécurité, sur notre identité.

D'un côté, la gauche refuse de voir que l'immigration massive produit les mêmes ravages que le capitalisme sauvage et ses délocalisations. De l'autre, le Gouvernement voudrait faire croire qu'il agit, alors que ce projet de loi ne changera pas fondamentalement les choses.

L'immigration massive, c'est un record de 316 174 titres de séjour accordés pour la première fois en 2022, et 137 505 premières demandes d'asile enregistrées. On sait qu'il y a entre 700 000 et 900 000 individus en situation irrégulière. On compte 411 364 migrants bénéficiaires de l'AME, pour un coût qui dépasse 1,2 milliard d'euros.

Il y a 5,6 millions de personnes inscrites à Pôle emploi et parallèlement, 40 % des étrangers qui résident en France sont actifs. Autre conséquence de l'immigration, l'insécurité est galopante.

À force d'être généreux avec toujours plus de monde, sans aucune condition, nous ne le serons plus avec personne, à commencer par les Français qui ont réellement besoin de la solidarité nationale.

On ne devrait plus pouvoir être naturalisé si l'on a un casier judiciaire, si l'on adhère à une idéologie contraire à nos valeurs, comme l'islamisme, si l'on ne maîtrise pas notre langue et si l'on ne fait pas sienne notre histoire. On ne devrait pas non plus être naturalisé du simple fait d'être né en France.

Plus grave : derrière la fermeté prétendument affichée, ce texte comprend un article qui va aboutir à une vague de régularisation des clandestins. Sous une forme ou sous une autre, le résultat sera le même : c'est une prime à la clandestinité.

Alors que les immigrés sont surreprésentés parmi les délinquants et que cinq millions de Français sont sans emploi, ce projet va accroître les avantages accordés à des étrangers clandestins, donc délinquants.

Le Rassemblement national combattra toutes les mesures de ce texte qui renforcent l'immigration massive. Et, par cohérence avec nos engagements, nous soutiendrons et tenterons d'améliorer les articles qui vont dans le bon sens.

En matière d'immigration, nous sommes toujours cohérents et nous vous répétons que nous souhaitons que le peuple français puisse s'exprimer à travers un référendum.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Cette CMP s'ouvre dans des conditions vraiment très particulières.

Le 18 décembre est la journée internationale des migrants. Le monde entier nous regarde. Des rassemblements ont lieu partout en France. Les associations et les citoyens qui se mobilisent et qui apportent chaque jour leur soutien à des gens qui ont eu un parcours terrible attendent de voir à quoi cette CMP va aboutir.

Le groupe La France insoumise les a reçus, a entendu des chercheurs et des représentants syndicaux, et tous nous ont dit être très inquiets face à un texte profondément raciste et xénophobe, qui attaque des droits fondamentaux et s'en prend aux valeurs de la France, pays des droits de l'homme.

Aujourd'hui, des syndicats de magistrats administratifs et d'avocats ont appelé à la grève pour protester contre certaines mesures de ce texte, qui instaurent une justice expéditive qui ne respecte pas les droits.

Deuxième particularité de cette CMP : il est vingt et une heures et, depuis dix-sept heures, nous n'avons pas avancé. Une semaine de tractations n'aura donc pas suffi pour que vous arriviez à un accord et nous, membres de la CMP, avons dû attendre bien gentiment pendant que vous continuiez à discuter en coulisse. C'est une mascarade, et c'est très grave.

Ces atermoiements montrent que le Gouvernement est aux abois. Depuis un an et demi, il n'a pas réussi à trouver une majorité sur ce projet de loi. Si un accord est trouvé, c'est que le « en même temps » est terminé et que la Macronie a définitivement viré à droite. M. Darmanin avait trouvé Marine Le Pen « trop molle », c'est dire combien le texte sera à droite. Il revient sur nos droits fondamentaux et sur ce qui fait la particularité de la France, pays reconnu dans le monde entier comme celui des droits de l'homme. Je sais que certains députés de la minorité présidentielle vont se poser des questions au moment de voter. Qu'ils pensent bien à ce qu'ils vont faire, car il faudra pouvoir se regarder dans le miroir demain !

Le groupe La France insoumise combattra toutes les mesures racistes et xénophobes de ce texte. Je vous invite vraiment à réfléchir, car le monde nous regarde.

M. Boris Vallaud, député. - Revenons à quelques idées simples. Pour faire la genèse du rapport que la majorité entretient avec la question migratoire, il faut se référer aux propos tenus par Emmanuel Macron en 2017, lorsqu'il disait que « Contrairement à ce que certains disent, nous ne sommes pas confrontés à une vague d'immigration. [...] ce n'est pas un tsunami que nous ne saurions freiner. »

Il énumérait les composantes de ce mouvement migratoire et estimait, s'agissant du regroupement familial, que « Cette pratique demeure marginale et doit être préservée, contrairement, une fois encore, à ce que préconisent nombre de dirigeants politiques (pas seulement ceux d'extrême droite), qui voudraient que nous manquions à la fois à nos valeurs et à nos engagements européens ».

Il poursuivait, après avoir constaté que l'immigration inquiétait les Français, « Mais les racines d'un tel sentiment résident dans la question de l'intégration, pas dans le fait migratoire. » Il disait aussi ne pas croire « aux politiques de quotas, parce qu'on ne sait pas les faire respecter » et qu'« un tel dispositif serait quasiment impossible à piloter. »

Toujours selon lui « Le vrai défi réside en conséquence dans la reconduite à la frontière. » Il dénonçait une hypocrisie, constatant que « à chaque élection présidentielle, on entend des candidats promettre qu'ils feront respecter la loi et reconduiront les étrangers en situation irrégulière hors de nos frontières. Mais la vérité est que nous n'avons quasiment aucun accord de reconduite à la frontière avec des pays tiers. »

C'était Emmanuel Macron humaniste - et c'est au fond sur cette promesse qu'un certain nombre d'entre vous ont été élus en 2017.

Et voilà qu'il y a dix-huit mois, un texte sur l'immigration était présenté par deux ministres censés assurer un équilibre qui, en réalité, a fait long feu. Dans une interview au Journal du dimanche, des responsables politiques de la droite républicaine exposaient leurs exigences, faisant ainsi un pas supplémentaire vers l'extrême droite, tandis que Gérald Darmanin, désormais seul aux commandes, leur tendait la main et leur disait sa disponibilité. Son choix d'introduire le texte au Sénat, dont il connaissait parfaitement la composition et les exigences en matière de politique migratoire, n'était certes pas un hasard. Soutenant, en fait, le texte à coups d'avis de sagesse et avec le vote des sénateurs de la majorité présidentielle, il s'est ainsi laissé entraîner, consentant et complice, dans une dérive droitière, les Républicains s'étant eux-mêmes rapprochés du programme du Rassemblement national.

Au sortir de la commission des lois, le texte fait, pour l'essentiel, des concessions à la droite, qu'il s'agisse de la politique des quotas migratoires, du durcissement des conditions du regroupement familial, du rétrécissement du titre étranger malade, du raidissement du contrôle des étudiants étrangers ou de la précarisation des étrangers privés de tarifs sociaux dans les transports en commun. Je pourrais aussi parler du rabougrissement des régularisations dans les secteurs en tension, en rappelant que c'est moi qui ai dû défendre l'article 3 dans sa version initiale en commission des lois, et que la majorité ne l'a pas même voté.

N'en déplaise au rapporteur, il n'y a aucune nécessité à ce qu'il y ait un texte - en tout cas, pas n'importe quel texte. Mais nous avons constaté que de lignes rouges vous n'aviez pas et que, dans vos choix, vous aviez déjà franchi des lignes bleu Marine.

Ce texte n'est rien de plus qu'une très dure loi de police des étrangers. C'est aussi un grand mensonge aux Françaises et aux Français, car il n'y aura pas moins de migrants sur les côtes européennes, pas moins de migrants qui passeront les cols des Pyrénées ou des Alpes, pas moins de gens dormant sous des tentes ni de travailleurs sans papiers, et rien ne permet d'affirmer qu'il y aura davantage d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) ou de laissez-passer consulaires. Quant à l'intégration, elle n'est qu'un mot dans l'intitulé du texte.

Rien n'oblige cette commission mixte paritaire à toutes ces compromissions. Nous sommes libres de réécrire tous les articles. Nous ne sommes tenus par rien, si ce n'est pas une certaine fidélité aux principes républicains et à ceux sur lesquels nous avons été élus, en songeant que les concessions qui pourraient être faites aujourd'hui à la droite et à l'extrême droite pourraient un jour, plus tard, être retournées contre l'État de droit, contre la République et contre la France elle-même.

Il y avait d'autres chemins. Le Parti socialiste a fait des propositions, sur la base d'un travail de fond qu'il a accompli pour comprendre ce grand mouvement migratoire et les conséquences des mutations mondiales, qui rendent difficile d'affirmer, comme au XXe siècle, la souveraineté d'un État seul contre un phénomène qui est, par définition, mondial. Nous aurions dû saisir cette occasion de nous interroger sur les relations avec les pays de départ.

Nous avons ainsi proposé de remettre en bon ordre le bazar de la politique migratoire du Gouvernement, qui se traduit en particulier par la multiplication sans discernement des OQTF, lesquelles sont très rarement exécutées. Nous avons proposé que le travail donne droit au séjour, pour sortir de l'hypocrisie et pour nous préoccuper à la fois des vies humaines et des secteurs économiques qui ne tourneraient pas sans ces migrants. Nous avons également proposé de remettre en marche l'intégration, de façon interministérielle, en la sortant du giron du ministère de l'intérieur pour créer un secrétariat d'État chargé des politiques correspondantes - le peuplement, l'accès au logement, la santé, la formation professionnelle, l'aide à la parentalité.

Nous sommes tous conscients que la question migratoire taraude les Français. Mais quand le vent est mauvais, il ne faut pas souffler dans le même sens. Comme le disait Rousseau, « La domination même est servile quand elle tient à l'opinion ; car tu dépends des préjugés de ceux que tu gouvernes par les préjugés. » Beaucoup d'entre vous, mesdames et messieurs, sont gouvernés par les préjugés.

J'ai entendu Gérald Darmanin dire que, si nous ne votions pas cette loi, nous aurions Marine Le Pen : mais, d'une certaine manière, avec cette loi, nous avons ses idées sans passer par les urnes !

M. Guy Benarroche, sénateur. - Dès le début de ce texte, dans sa construction même et son début de parcours chaotique, le ver était dans le fruit. Il présentait des failles que rien n'a pu combler et qui sont devenues de vrais gouffres pour notre démocratie. Le texte a été capté par la guerre fratricide que se sont livrée le Gouvernement et la majorité sénatoriale. Il ne faut pas être dupe : le fondement de ce texte est l'intérêt, voire le calcul politicien. Ce qui compte, nous dit-on, c'est d'avoir un texte - mais pour des raisons démagogiques et politiciennes bien éloignées de la loi initialement présentée, conçue par le ministre de l'intérieur et le ministre du travail !

Lors de leur audition par notre commission, MM. Dussopt et Darmanin nous expliquaient l'importance du volet consacré à l'intégration des travailleurs et nous leur disions que nous étions prêts à contribuer à la régularisation des travailleurs sans papiers ou à la possibilité pour les demandeurs d'asile d'accéder à un travail dès le dépôt de leur demande. Tout cela a été gommé par le calcul politicien d'un intérêt électoraliste putatif, fondé sur une loi qui, comme vient de le dire M. Vallaud, irait dans le sens du vent.

M. Darmanin a bien déclaré dans la presse que « l'enjeu est trop important pour la nation pour faire de la politique politicienne » mais la mascarade continue, comme l'ont montré aux citoyens et aux médias qui nous regardent les quatre premières heures de cette réunion.

Le Président de la République lui-même avait pourtant, en mars, lors du retrait du texte de l'ordre du jour après son passage au Sénat, annoncé qu'il y aurait bien une loi immigration, et sans doute même plusieurs. Nous regrettons que le Gouvernement et la droite aient privé le Parlement et le pays d'un débat apaisé à cause d'une politisation outrancière de la question migratoire. Ce piège ne profite finalement à personne, sinon qu'il inscrit, sans passer par les urnes, les idées du Rassemblement national et de l'extrême droite dans le texte qui sera vraisemblablement proposé à notre vote.

Nous voulons plutôt défendre l'idée que la question ne peut pas être traitée uniquement par le ministre de l'intérieur et qu'il faut donner à l'administration, dont l'action a un grand impact sur la vie des étrangers sur notre sol, les moyens d'agir correctement.

Le compromis que vous essayez de trouver aujourd'hui répond à un débat dont le centre de gravité a été posé par l'extrême droite et la droite. Le Gouvernement s'y est plié, alors même que les représentants de Renaissance affirmaient que la majorité ne s'était jamais divisée et avait engagé de vraies discussions. Pourtant, le texte qui nous est aujourd'hui proposé est le plus proche de celui de la droite du Sénat, lui-même au plus proche de l'extrême droite, comme en attestent les amendements communs qui ont été adoptés au Sénat.

Le Président de la République a déclaré qu'il ne serait pas sérieux de recourir à l'article 49.3 pour un texte aussi sensible, alors que les oppositions ont des choses à dire - c'est donc que la réforme des retraites n'était pas un texte sérieux. Où est la boussole, quelle est la cohérence des choix du Gouvernement et de sa majorité ?

Plusieurs d'entre vous ont rédigé ou soutenu une tribune au début du mois de septembre 2023 défendant les enjeux de la régularisation, l'accès au marché du travail pour les demandeurs d'asile et pour les étrangers à régulariser, ainsi que le renforcement des moyens préfectoraux. Tout cela est passé à la trappe car il fallait absolument parvenir à un texte.

Ce texte, je le répète, n'a rien à voir avec une loi qui tendrait à intégrer les travailleurs étrangers et à accueillir les étrangers. Il procède de l'idée que nous pourrions arrêter l'immigration dans notre pays et en Europe. Mais, comme l'a bien dit Boris Vallaud, l'immigration se poursuivra ; cette loi n'arrêtera rien, elle ne fera que réduire encore les droits des étrangers, augmenter le nombre de ceux qui se trouvent en situation irrégulière et accroître la répression qui les vise. Nous aurions besoin d'une loi honnête, opérationnelle et cohérente. Celle qui nous est proposée est dogmatique, politicienne et électoraliste.

M. Ian Brossat, sénateur. - Ce texte nous dit deux choses. La première est que l'immigration serait, de manière générale, une menace dont nous devrions nous protéger - ce qui n'est pas la même chose que de dire qu'il peut exister des individus dangereux dont nous devrions nous débarrasser. La deuxième est que, pour éviter l'immigration et ralentir les flux migratoires, il faut dégrader les conditions d'accueil, ce qui dissuadera les gens de venir chez nous.

Or ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Il n'est qu'à voir les campements que l'on observe un peu partout pour savoir que ce ne sont pas les conditions d'accueil qui font le flux migratoire, mais les conditions qui prévalent dans le pays de départ. Si nous voulons agir sur ces flux, il faut s'intéresser aux conditions de vie dans les pays de départ, question que le texte n'aborde absolument pas.

Il faut donc admettre qu'il y aura des flux migratoires. La situation en Italie est, à cet égard, éloquente : après avoir répété à l'envi qu'il allait stopper les flux migratoires, le gouvernement italien vient d'annoncer qu'il fera venir, d'ici 2025, 500 000 travailleurs étrangers ! Une fois admis donc que le changement climatique et la misère qui se répand dans des zones entières de la planète rendent inévitables ces flux, la seule question qui reste est de savoir comment les organiser - comment sortir du déni et faire en sorte qu'ils puissent se dérouler dans des conditions acceptables.

Comme d'autres, notre groupe a formulé des propositions visant à accueillir dignement et à intégrer les étrangers, et à changer les rapports entre pays du Nord et du Sud pour agir sur les conditions de vie dans les pays de départ. Si nous avions pris la question dans ce sens, tout le monde en serait sorti grandi. Force est de constater que ce n'est pas le cas.

Aujourd'hui, chacun est placé devant ses responsabilités. La semaine dernière, pour la motion de rejet, on se demandait qui avait voté avec qui. Ce soir, la question est de savoir qui votera quoi. Que la droite soit de droite ne me surprend pas, ni que le Rassemblement national défende les positions qu'il a toujours défendues - ce qui au passage bat en brèche l'idée qu'il aurait fondamentalement changé. En revanche, le fait que les inventeurs du « en même temps » valident de telles propositions heurte beaucoup de monde. Chacun devra se déterminer en fonction de tout cela.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Un accord - un compromis - est souhaitable sur ce texte nécessaire, mais pas au prix de compromissions. Nous sommes attachés à l'identité du texte présenté par le Gouvernement, dont les mesures d'intégration sont à la fois plus justes et plus exigeantes. Ce texte est également un texte de fermeté contre les marchands de sommeil, les passeurs et les délinquants étrangers. Il est enfin un texte d'efficacité, prévoyant des procédures permettant d'instruire plus rapidement les demandes d'asile.

Les mesures du titre Ier A, introduit par le Sénat, ont suscité de très vives interrogations sur la forme et sur le fond au sein du groupe Renaissance. Nous serons extrêmement attentifs au maintien du dispositif de régularisation pour les métiers en tension et nous souhaitons que la discussion puisse se poursuivre sur l'interdiction de la rétention de mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA), sur la caution étudiante, sur l'hébergement d'urgence et sur les titres de séjour « étranger malade ».

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Le poids de la responsabilité de chacun des quatorze parlementaires de cette commission est particulièrement lourd puisque nous devons élaborer un texte au nom de 925 de nos collègues. Il ne nous revient pas pour autant d'assumer la responsabilité de l'inconstitutionnalité manifeste d'un très grand nombre de mesures - concernant la déchéance de nationalité, le droit du sol, le titre de séjour délivré à un conjoint de Français, la naturalisation, l'aide médicale de l'État, le fichier des mineurs, le versement d'une caution pour la délivrance du titre de séjour étudiant ou encore la conditionnalité du versement des prestations non contributives - dont une dizaine, introduites par amendement au Sénat, sont contraires à l'article 45 de la Constitution. Vous demandez donc à des parlementaires de voter des dispositions dont vous savez qu'elles seront censurées par le Conseil constitutionnel, ce qui est à la fois irresponsable et irrespectueux. Concernant plus particulièrement l'article 1er A, la décision du Conseil constitutionnel du 20 novembre 2003 a déclaré inconstitutionnelle une disposition législative imposant l'organisation d'un débat en séance publique.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Article 1er A

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Il existe effectivement des interrogations quant à la constitutionnalité de la possibilité pour le Parlement de s'imposer un débat ou de déterminer le nombre de titres de séjour, mais nous n'y voyons pas d'inconvénient pourvu que ce débat ait pour base un rapport annuel, étayé par plusieurs indicateurs, que le Gouvernement remettra au Parlement - c'est une disposition à laquelle nous tenons.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - La remise par le Gouvernement d'un rapport annuel est une bonne chose, mais nous proposons de supprimer l'obligation de soumettre à un débat annuel les orientations pluriannuelles de la politique d'immigration et d'intégration du Gouvernement.

Nous proposons également d'introduire de nouveaux indicateurs afin d'élargir le champ du rapport annuel : répartition par pays des décisions relatives à la délivrance des titres de séjour ; taux d'activité des étrangers arrivés en France au titre du regroupement familial ; lieux d'installation effective des étrangers bénéficiant d'un titre de séjour « travailleur temporaire » ; nombre de mineurs non accompagnés (MNA) pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE) ; nombre d'étrangers se déclarant mineurs à leur arrivée mais dont la majorité a été avérée par les autorités compétentes ; nombre d'étrangers objets d'une décision d'éloignement comparé au nombre d'exécutions effectives, ventilées par pays ; nombre d'étrangers objets d'une mesure d'éloignement non exécutée, prononcée à la suite d'une condamnation judiciaire définitive ; nombre de procédures, ainsi que leur coût, mises en oeuvre pour lutter contre l'entrée et le séjour irrégulier des étrangers ; délai moyen de mise en oeuvre des mesures d'éloignement ; évaluation de la qualification des étrangers entrant sur notre territoire pour des motifs professionnels ; données relatives à la criminalité des étrangers par nationalité et par commune - je rappelle que, en 2019, 58,2 % des étrangers mis en cause étaient originaires d'Afrique ; proportion d'étrangers, ventilée par nationalité, parmi les personnes détenues ; proportion d'étrangers parmi les personnes inscrites sur le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Nous proposons enfin la suppression de l'alinéa 28 qui prévoit la détermination par le Parlement du « nombre des étrangers admis à s'installer durablement en France ». Cette disposition favorise en effet l'immigration massive, à laquelle nous nous opposons.

Mme Andrée Taurinya, députée. - La Macronie peut être fière d'elle : en prévoyant la remise d'un rapport, elle a ouvert la voie à une surenchère du Rassemblement national, dont la litanie de demandes de statistiques ciblant ouvertement les personnes originaires du continent africain démontre qu'il n'a pas changé et demeure un parti xénophobe et raciste. Nous voterons contre la proposition de rédaction du Rassemblement national et contre l'article 1er A.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Nous demandons la suppression de l'alinéa 2 qui instaure un débat annuel au Parlement. En effet, comme je l'ai déjà souligné, dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel considère qu'« en l'absence de dispositions constitutionnelles l'y autorisant, il n'appartient pas au législateur d'imposer l'organisation d'un débat en séance publique ».

M. Boris Vallaud, député. - En 2022, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré que les quotas n'étaient pas réalistes et qu'on ne pourrait pas les tenir. Je pourrais également rappeler les propos de Florent Boudié et de Sacha Houlié, ainsi que les amendements de suppression déposés par le MODEM sur cet article en commission. À moins qu'il ne s'agisse d'acter un premier recul, je les invite à la cohérence.

Par ailleurs, j'aimerais savoir ce que signifie, à l'alinéa 28, qui impose au Parlement de déterminer le nombre d'étrangers admis à s'installer durablement en France, l'expression « compte tenu de l'intérêt national » ?

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

En conséquence, la proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'a plus d'objet.

L'article 1er A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er BA

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article vise à rappeler que seule la police aux frontières est compétente si l'entreprise de transport aérien ou maritime se trouve dans l'impossibilité de réacheminer un étranger.

L'article 1er BA est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er BB (supprimé)

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 1er BB est supprimé.

En conséquence, la proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'a plus d'objet.

Article 1er B

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- Cet article modifie les conditions exigées pour être éligible au regroupement familial.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet.

M. Yoann Gillet, député- Nous sommes favorables à cet article qui durcit les conditions d'accès au regroupement familial. Toutefois, il est nécessaire d'aller plus loin si l'on veut reprendre la situation en main. Nous faisons donc plusieurs propositions de bon sens, comme l'augmentation à 24 ans du critère d'âge minimal pour les couples jeunes afin d'éviter les mariages forcés. Nous souhaitons également interdire le regroupement familial à tout étranger ayant fait l'objet d'une condamnation pour un crime ou un délit puni de plus de deux ans d'emprisonnement depuis qu'il réside sur le territoire français.

M. Boris Vallaud, député- En commission des lois, le président Houlié et le MODEM avaient proposé des amendements de suppression motivés très justement par le caractère excessif de la mesure et son inutilité puisque les chiffres du regroupement familial n'augmentent pas depuis plusieurs années et sont même en diminution selon le ministre de l'intérieur. Quant au rapporteur, il avait proposé un amendement de réécriture pour en corriger les aspects excessifs, inappropriés et inutilement sévères. J'aimerais donc savoir si vous avez à nouveau changé d'avis.

M. Guy Benarroche, sénateur. - Le Rassemblement national ne fait que pousser un peu plus loin la logique de cet article adopté par la majorité du Sénat - je m'étonne d'ailleurs, non pas du manque de cohérence de la droite, mais de sa retenue à épouser la totalité des demandes du Rassemblement national.

À quoi bon cette discussion si l'on nous propose de reprendre dans les mêmes termes un article qui a été rejeté par la commission des lois de l'Assemblée nationale et auquel plusieurs membres de cette commission sont opposés ; s'il ne s'agit que de repartir du début ? J'espère que vous refuserez de voter le texte issu de la CMP et m'étonne que vous puissiez adopter cet article pour des raisons purement électorales et démagogiques.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Nous étions d'accord pour conserver la condition de régularité des ressources, en plus des critères existants de stabilité et de suffisance des ressources, ainsi que pour imposer au regroupant de disposer d'une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

En revanche, nous avions un doute sur la durée de vingt-quatre mois proposée par le Sénat. Actuellement, la demande peut être faite à partir de dix-huit mois, le préfet disposant de six mois pour répondre, soit vingt-quatre mois en tout. Aller au-delà nous semble soulever un risque sur le plan de la conventionnalité, certains États ayant été condamnés pour avoir dépassé cette durée de vingt-quatre mois. Le juge constitutionnel aura à arbitrer ce sujet.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Vous reconnaissez vous-même que cet article fera enfler le critère de durée jusqu'à trente mois. Ce qui me gêne, c'est que vous vous défaussez de votre responsabilité sur le Conseil constitutionnel, nous encourageant ainsi à le saisir - peut-être auriez-vous dû le faire préalablement. Que gagnerez-vous politiquement lorsqu'il vous donnera tort ? Car, en matière de regroupement familial, la question est bien de savoir si l'on peut demander à des familles d'attendre trente mois pour être réunies.

Mme Andrée Taurinya, députée- Cette mesure tord le bras à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). Ce n'est pas la première fois que nous serons épinglés pour cette raison - cela devient même une spécialité. Le regroupement familial est un droit en application de l'article 8 de la CEDH, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Le texte que nous allons voter ternira notre image de pays des droits de l'homme : voilà ce que vous devrez assumer !

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 1er B est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er C

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat- Il s'agit de contrôler le niveau de connaissance linguistique demandé à toute personne demandant à bénéficier d'un regroupement familial. Nous avons toutefois pris soin de ne pas le définir précisément, car cela pourrait être considéré, en application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), comme visant à priver le requérant de toute possibilité de regroupement familial. Le niveau linguistique demandé, élémentaire, peut être démontré par tout moyen : nous avons ainsi sécurisé cette disposition au regard des règles conventionnelles.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

Mme Edwige Diaz, députée- Nous sommes favorables à cet article, qui est de nature à restreindre le regroupement familial et à assurer un minimum d'intégration des étrangers qui bénéficient de cette voie d'accès à la France. France Éducation international est un établissement de l'Éducation nationale précisément chargé de vérifier les connaissances linguistiques initiales des étrangers souhaitant être accueillis sur notre territoire ; il élabore des tests proposés dans 1 200 centres d'examen répartis dans 172 pays et délivre des diplômes nationaux de certification de langue française. Nous pourrions subordonner le bénéfice du regroupement familial à une connaissance de la langue française au moins égale à celle attestée par le diplôme initial de la langue française (DILF), pour les primo-arrivants, et par le diplôme d'étude en langue française (DELF), pour les candidats à la délivrance d'un titre de séjour pluriannuel ou à la naturalisation.

Mme Andrée Taurinya, députée- Charger l'Éducation nationale de l'enseignement du français serait une bonne chose, encore faudrait-il qu'elle en ait la capacité. L'enseignement dispensé aux élèves allophones ne se fait déjà pas correctement, et le texte ne prévoit pas les moyens supplémentaires que cela exigerait.

Par ailleurs, conditionner le regroupement familial à la maîtrise de la langue revient à interdire celui-ci : comment voulez-vous que des personnes vivant dans des endroits reculés puissent suivre des cours français ? Votre méconnaissance de la réalité est totale ; autant écrire l'interdiction noir sur blanc !

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Non seulement cette mesure aurait un effet discriminatoire entre les pays d'origine des personnes susceptibles de bénéficier du regroupement familial, mais c'est surtout l'accès à des formations de qualité une fois sur notre sol qui favorise une bonne intégration. Le regroupement familial est un droit fondamental, reconnu internationalement, et on ne peut pas l'entraver ainsi. Imaginez-vous une famille de Français partant à l'étranger à laquelle on imposerait les mêmes conditions ? Il faut arrêter de penser que ces personnes essaient de profiter du système ou refusent de s'intégrer, alors qu'elles veulent simplement avoir une vie familiale normale. L'article doit être supprimé.

M. Boris Vallaud, député- En commission des lois, le MODEM avait déposé un amendement de suppression de cet article, considérant que la mesure était excessive, « une drôle d'idée ». C'est même une mauvaise mesure, et mal écrite : il n'y a pas de renvoi à un décret d'application ; on ne sait pas ce que signifie juridiquement « communiquer de façon élémentaire », ni qui serait chargé de contrôler le niveau de langue. C'est le retour d'une disposition abrogée en 2016 - avec le vote de notre rapporteur.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- La capacité à communiquer de façon élémentaire correspond au niveau A1 du cadre européen de référence, et c'est cette définition que le Sénat a souhaité intégrer dans le corps du texte.

D'accord avec le Sénat, nous considérons que le parcours d'intégration, qui plus est dans le cadre du regroupement familial, peut et même doit commencer dans le pays d'origine. C'est un projet de vie qu'il paraît opportun de préparer, par exemple grâce aux 834 alliances françaises dans 128 pays, ou aux sept délégations de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Le ministre de l'intérieur s'est engagé à ce que la France propose gratuitement des cours à distance par le biais d'une plateforme.

L'interrogation que nous avons soulevée en commission des lois, c'est que jamais le juge administratif n'acceptera le seul critère de la connaissance linguistique comme motif suffisant pour rejeter une demande de regroupement familial. Mais ce sera à lui d'en décider.

M. Yoann Gillet, député- L'intégration peut en effet commencer dans le pays d'origine, de nombreux États le demandent.

Mme Annie Genevard, députée- À mes yeux, c'est une exigence capitale. Commencer à pratiquer la langue dans le pays d'origine est une garantie que l'apprentissage se poursuivra dans le pays d'accueil. C'est un facteur indiscutable d'intégration - « on n'habite pas un pays, on habite une langue » disait Cioran.

M. Benjamin Lucas, député- Assez d'hypocrisie ! En réalité, vous voulez faire de la maîtrise de la langue un critère de discrimination pour empêcher un certain nombre de régularisations. Personne n'a envie de ne pas être compris. La majorité relative me paraît pencher du côté des Républicains, voire du Rassemblement national ; Renaissance devient une force d'appoint frileuse, qui laisse tout passer pendant que l'extrême droite jubile et que la droite radicalisée lui fait la dictée. J'ai vraiment de la peine pour vous.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale- Dans le cadre de sa compétence partagée avec le Canada, le Québec met en avant le critère de la maîtrise du français et a un ministère de la francisation. Le fait de maîtriser les bases du français dès l'arrivée dans le pays est essentiel.

M. Christophe Naegelen, député- Le niveau de langue demandé n'est pas exceptionnel, et l'apprentissage de la langue est primordial pour une bonne intégration. Exiger la preuve d'une réelle volonté d'intégration, participe à se prémunir contre le communautarisme. La connaissance de la langue d'un pays semble être un élément significatif.

M. Guy Benarroche, sénateur. - Que d'hypocrisie ! Beaucoup d'entre nous ont eu des arrière-grands-parents qui ont acquis la nationalité française sans parler un mot de sa langue. Les personnes arrivant en France doivent évidemment suivre des formations de français pour mieux s'intégrer, mais il s'agit ici de tout autre chose ; c'est un moyen de les empêcher de venir dans notre pays.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 1er C est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er D

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- Cet article concerne les modalités de contrôle, par les maires, des conditions de logement et de ressources exigées dans le cadre du regroupement familial.

L'article 1er D est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er EA

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat- Cet article concerne les modalités d'admission au séjour des étrangers conjoints de français.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député- Cet article présente des mesures de bon sens permettant d'assurer un minimum d'intégration des étrangers. L'immigration familiale est la deuxième source la plus importante d'immigration. Chaque année, depuis 2013, un peu moins de 100 000  titres sont délivrés dans ce cadre. En 2022, plus de 20 000 premiers titres portant la mention « vie privée et familiale » ont été délivrés.

Nous souhaitons que le respect de l'ordre public soit une condition à la délivrance d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à un étranger marié avec un ressortissant français. Si le droit à la vie privée et familiale constitue un droit fondamental, garanti notamment par l'article 9 du code civil et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en doit pas moins se concilier avec d'autres exigences tout aussi fondamentales, liées à la préservation de l'ordre public et à la protection des personnes.

La sauvegarde de l'ordre public, de plus, constitue l'un des premiers objectifs à valeur constitutionnelle selon le Conseil constitutionnel, depuis ses décisions des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi « sécurité et liberté ». Le Conseil a en effet clairement affirmé que la liberté individuelle et celle d'aller et venir doivent être conciliées avec ce qui est nécessaire pour la sauvegarde des fins d'intérêt général ayant valeur constitutionnelle, au rang desquelles figure le maintien de l'ordre public.

L'objectif est donc de permettre à l'autorité compétente de refuser la délivrance d'un titre de séjour en cas d'établissement d'un risque sérieux pour la tranquillité et l'ordre public que ferait peser l'admission de l'étranger concerné sur notre territoire.

M. Boris Vallaud, député- Je rappelle que M. le rapporteur général, lors de la discussion du texte en commission des lois, à l'Assemblée nationale, avait déposé un amendement de suppression de cet article fort bien argumenté, cet article soulevant un risque d'atteinte disproportionnée la vie privée et à la vie familiale ainsi qu'un risque d'inconstitutionnalité et d'inconventionnalité. J'en conclus que, à nouveau, il a changé d'avis.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 1er EA est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er EB

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- Il s'agit de l'extension des motifs de refus de délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député- Les chiffres de la délinquance et de la criminalité du ministère de l'intérieur permettent d'établir un lien clair entre immigration et insécurité. Celle-ci explose et les étrangers sont surreprésentés parmi les mis en cause. Pire, on constate de nombreux cas de récidive. Il est urgent de mettre un terme à ce phénomène.

Au 1er octobre 2021, les étrangers représentaient 24,9 % des personnes écrouées, soit plus de 17 000 individus sur 69 000 détenus. En 2022, selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, 55 % des mis en cause pour vol ou violence dans les transports en commun sont identifiés comme étant étrangers ; en Île-de-France, 69 % des mis en cause pour des faits liés au transport en commun sont identifiés comme étrangers ; les vols violents et violences sexuelles enregistrés dans les transports en commun sont le fait d'étrangers à 76 % et 62 %.

Il est d'une impérieuse nécessité de prendre les mesures adéquates pour lutter contre ce phénomène. Dès lors, le refus d'un titre de séjour doit être automatique.

Après le premier alinéa, nous proposons qu'en cas de poursuite pénale à l'encontre d'un étranger, les procédures de délivrance des titres de séjour soient suspendues en l'attente du jugement définitif. Nous proposons également d'étendre les possibilités de refus de délivrance ou renouvellement d'un titre de séjour à la commission d'une infraction punie de trois ans d'emprisonnement plutôt que de faire un catalogue des condamnations, comme le prévoit le texte.

Mme Andrée Taurinya, députée- Compte tenu des chiffres qui viennent d'être indiqués, je ne comprends pas pourquoi le Rassemblement national ne propose pas purement et simplement d'expulser tous les étrangers. À vous entendre, même si le texte est adopté, tous les Français seront en danger, y compris de mort !

Mme Edwige Diaz, députée- Ces propos sont parfaitement caricaturaux. Yoann Gillet a simplement rappelé des statistiques ministérielles. Peut-être la réalité vous dérange-t-elle, mais nous assumons de dire que les étrangers sont surreprésentés dans la délinquance, ce qui ne signifie pas que tous les étrangers sont délinquants.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 1er EB est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er EC

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- Cet article augmente la durée de résidence nécessaire à l'octroi de trois cartes de résident « vie privée et familiale ».

M. Boris Vallaud, député- Je rappelle qu'en commission des lois, notre rapporteur avait proposé un amendement de suppression de cet article. J'en conclus donc, une fois encore, qu'il a changé d'avis.

L'article 1er EC est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er E

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat- Le titre de séjour « étranger malade » est un de ceux qui a le plus prêté à discussion entre les deux chambres. Je ne reviens pas sur le dispositif, sauf pour rappeler qu'il s'agit d'une spécificité de la France et de la Belgique.

Nous proposons de faire évoluer assez sensiblement le texte du Sénat, essentiellement sur deux points.

Tout d'abord, la délivrance du titre de séjour se ferait « sous réserve de l'absence d'un traitement approprié » dans le pays d'origine mais « sauf circonstance humanitaire exceptionnelle », cette dernière notion ayant été retenue par le Conseil constitutionnel en 2011. Cette rédaction assure la conformité à la Constitution du dispositif.

Ensuite, le Sénat avait souhaité instaurer un principe de non-prise en charge par l'Assurance maladie, avec un renvoi automatique au système assurantiel du pays d'origine. Ces dispositions ont été assouplies avec la référence à une convention bilatérale de sécurité sociale et, à défaut, à la possibilité d'une prise en charge par l'étranger s'il dispose de ressources ou d'une couverture assurantielle suffisantes. Je ne vous cache pas que ces modifications visent en particulier des demandes émanant de ressortissants de pays dits développés, bénéficiant de régimes assurantiels corrects.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Le titre de séjour « étranger malade » est une spécificité, certes, mais nécessaire. Créé dans les années 1990, il devait notamment faire bénéficier des résidents habituels en France de la trithérapie contre le VIH.

Avec l'ajout de la « circonstance humanitaire exceptionnelle », nous pensons répondre à plusieurs inquiétudes qui s'étaient exprimées, tout en rendant le dispositif conforme à la Constitution.

La non-prise en charge générale par l'assurance maladie de tous les titres « étranger malade » reviendrait, elle, à anéantir ce dispositif. Nous avons donc souhaité assouplir cette disposition, en tenant compte des conventions bilatérales de sécurité sociale mais aussi des ressources et du niveau de couverture assurantielle dont disposent les ressortissants étrangers concernés.

Il convient également de tenir compte des effets de bord observés. Un certain nombre de ressortissants de pays tiers bénéficient du titre « étranger malade ». Ils sont relativement peu nombreux chaque année mais, d'une certaine façon, ils décrédibilisent ce titre. La rédaction que nous proposons permet de répondre à la situation d'un certain nombre de ressortissants, notamment, des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont l'offre de soins est appropriée à la pathologie dont ils souffrent et dont le système assurantiel est comparable au nôtre.

M. Boris Vallaud, député- J'avais présenté un amendement visant à prendre en considération, pour l'octroi du titre, les traumatismes physiques et psychologiques liés au parcours migratoire. Il a été refusé. De leur côté, le président Houlié et le MODEM avaient déposé des amendements de suppression de l'article, conscients de l'inutilité d'une telle avanie.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 1er E est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er F

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Illustration d'un rapprochement entre l'Assemblée nationale et le Sénat, la nouvelle rédaction de l'article que nous vous proposons inscrit dans la loi la définition jurisprudentielle des « conséquences d'une exceptionnelle gravité ».

M. Boris Vallaud, député- Le MODEM a sans doute changé d'avis puisqu'il avait déposé un amendement de suppression en commission.

L'article 1er F est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er GA

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. L'article impose le dépôt d'une caution pour obtenir la première délivrance de la carte de séjour « étudiant ».

Nous proposons d'ajouter qu'à titre exceptionnel, le ministre pourra dispenser de cette exigence, à une double condition : la modicité des revenus et l'excellence du parcours scolaire ou universitaire de l'étudiant. Il est également précisé que le décret d'application devra tenir compte, pour la fixation du montant de la caution, des critères d'éligibilité aux bourses.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- L'idée d'une caution n'est pas très compatible avec l'hyperattractivité promue par le Président de la République. Je rappelle qu'il a fixé l'objectif de 500 000 titres « étudiant » délivrés en 2027, contre 108 000 l'année dernière.

La proposition de rédaction garantit un examen au cas par cas de la situation de chaque étudiant. Une future circulaire de la ministre chargée de l'enseignement supérieur tiendra compte des ressources et du parcours scolaire ou universitaire du demandeur pour ce faire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice- Vous vous engagez au nom du Gouvernement, maintenant ?

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Les dispositions législatives sont précisées par des textes réglementaires, et celle-ci a évidemment donné lieu à des discussions. Nous faisons preuve de transparence, nous n'avons rien à cacher.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice- La commission des lois de l'Assemblée nationale avait supprimé à juste titre cet article.

Le principe d'une caution, au demeurant scandaleux, est dénoncé par les présidents d'université qui y voient un coup porté à l'attractivité de leurs établissements. Pour tenir son rang au niveau international, l'enseignement supérieur français se doit d'être accueillant pour les étudiants étrangers. Loin d'être un poids, nous devons les considérer comme une chance pour notre pays. Avec un tel article, vous les dissuadez même de demander à venir ! Par ailleurs, vous faites peser une charge administrative excessive sur les universités en leur imposant des contrôles qui ne devraient pas leur incomber.

M. Benjamin Lucas, député- Jusqu'à présent, c'était le Gouvernement qui tenait la plume. Désormais, c'est M. Boudié qui parle à la place du Gouvernement...

Quelle lâcheté, sur ces étudiants étrangers ! Quelle hypocrisie ! Vous cédez sur tout !

Foutez la paix aux étudiants ! Contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, les étudiants ne coûtent pas d'argent, ils en rapportent - 1,35 milliard par an. En outre, ils réussissent mieux que les autres, car ils sont mus par l'audace, le courage, la persévérance. Enfin, et cela devrait vous plaire, le plus souvent, ils repartent dans leur pays d'origine.

Les étudiants étrangers font rayonner la France. La droite jadis républicaine y était attachée. C'est un outil pour notre influence dans le monde bien plus efficace que la diplomatie louvoyante du Président.

Une fois, encore, vous cédez en rase campagne à des obsessions incohérentes. C'est d'une lâcheté absolue.

Mme Andrée Taurinya, députée- Que s'est-il passé, en une semaine et quatre heures, depuis que la commission a décidé de supprimer l'article ?

Il sera bien difficile pour les étudiants étrangers de croire au slogan « Bienvenue en France » que vous avez choisi. Non seulement ils ne pourront pas savoir si oui ou non ils obtiendront une dispense, mais surtout, l'image qui sera renvoyée de la France - un pays qui ferme sa porte aux étudiants - affectera inévitablement son rayonnement.

M. Boris Vallaud, député- Le rapporteur général, le président Houlié et le MODEM avaient défendu, de manière fort bien argumentée, des amendements de suppression auxquels nous avions souscrit. Que s'est-il passé pour que, alors que la France est passée du troisième au septième rang pour l'accueil des étudiants internationaux, vous cédiez à la droite ?

La dérogation que vous introduisez est vraiment exceptionnelle, puisqu'un étudiant pourra être pauvre et excellent mais avoir malgré tout à payer une caution. Cet article va à rebours du principe d'égalité. Il est l'antithèse de l'esprit des Lumières auquel nous aspirons dans un monde si sombre. Il est une nouvelle preuve que vous n'avez plus de ligne rouge.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député- En 2022, pour la première fois, l'immigration étudiante est devenue la première cause d'immigration. Sont inscrits dans nos universités 46 000 Marocains, 31 000 Algériens et 27 000 Chinois, pour les trois nationalités les plus représentées.

Si nous nous félicitons de l'attrait qu'exerce la France, nous devons nous assurer du retour de l'étranger à l'expiration de son titre de séjour.

Nous voterons donc en faveur de l'article, tout en sachant que la dérogation finira par devenir le principe. Nous proposons donc de supprimer la restitution de la caution en cas de renouvellement du titre. La caution doit être conservée jusqu'à ce que l'étranger quitte le territoire.

Mme Annie Genevard, députée- En 2022, près de 110 000 titres de séjour « étudiant » ont été recensés, contre 45 000 en 2007. Les études sont désormais la première cause de délivrance des titres. On peut légitimement s'interroger sur cette explosion des titres et sur ses raisons.

Parallèlement, l'université manque de tout - de places, de logements, de moyens, d'enseignants. Face à une telle dégradation, comment accueillir un nombre grandissant d'étudiants étrangers ?

Il ne faut pas avoir peur de l'excellence dont l'article fait une condition pour être dispensé de caution. Le fait d'attirer les excellents étudiants peut être une chance pour nos universités.

Mme Marie Guévenoux, députée- Je soutiens la proposition de rédaction des rapporteurs. Comme cela a été dit, le nombre d'étudiants étrangers a augmenté ; le Gouvernement souhaite que nos universités soient attractives, avec un objectif de 500 000 étudiants étrangers en 2027. Il serait regrettable de nous priver d'étudiants dont les parcours sont excellents mais les revenus modiques. À titre exceptionnel, une dispense de caution pourra donc être accordée. En outre, le montant de la caution sera fixé en fonction des critères d'éligibilité aux bourses. C'est à mon sens un bon compromis sur un point important pour le groupe Renaissance.

M. Christophe Naegelen, député- Nous restons cohérents : cette mesure ne nous paraît pas utile. C'est une vexation gratuite. Il faudrait surtout mieux contrôler la délivrance de titres de séjour « étudiant ».

La proposition de rédaction de M. Gillet n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 1er GA est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er G

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat- L'accueil d'excellents étudiants contribue à l'attractivité et au rayonnement de notre pays. Or, pour apprendre, il faut à tout le moins être assidu et se présenter aux examens. Nous n'exigeons pas la réussite systématique, mais il n'est pas excessif de demander que l'étudiant apporte la preuve qu'il a participé aux cours, aux travaux pratiques et aux examens, donc qu'il justifie du « caractère réel et sérieux » de ses études.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Il paraît en effet normal de demander à l'étudiant de justifier qu'il poursuit bien ses études - ayant moi-même été boursier, je me rappelle avoir apporté tous les ans la preuve de mon sérieux. Le contrôle est très sévère à l'entrée dans le dispositif, puis après la première année, mais il n'y en a plus dès lors que la carte de séjour pluriannuelle est accordée. Bien sûr, chacun a droit à l'échec, mais l'exigence du caractère réel et sérieux des études nous paraît importante.

M. Christophe Naegelen, député- Nous sommes favorables à cet article qui avait fait l'objet d'un amendement de Michel Castellani adopté en commission des lois.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député- La France figure au sixième rang des pays qui accueillent des étudiants étrangers : les études sont désormais le premier motif d'admission sur le territoire national, avec plus de 108 000 titres délivrés en 2022.

Il faut éviter le détournement des titres de séjour : le statut d'étudiant ne doit être détourné de sa finalité par des individus souhaitant séjourner sur notre territoire à d'autres fins que celles de suivre un cursus étudiant. C'était le cas d'une certaine Dahbia B., qui a assassiné une certaine Lola. Il faut aussi éviter la constitution de filières d'immigration clandestine, avec des gens qui resteraient en France après l'expiration de leur titre de séjour.

Les détenteurs d'un titre de séjour « étudiant » qui ne justifieraient pas du caractère réel et sérieux de leurs études doivent donc se voir retirer ce titre de séjour : nous voterons pour cet article.

Nous proposons de préciser en outre que la carte de séjour pluriannuelle « étudiant » est retirée si l'étudiant fait l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement. C'était aussi le cas de Dahbia B. : en l'espèce, ces mesures auraient été efficaces. Les étudiants étrangers doivent respecter les lois de la République française.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 1er G est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er HA

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat- Cet article est une redite, dans la mesure où un arrêté prévoit déjà la majoration des frais de scolarité des étudiants étrangers en mobilité internationale. Mais la répétition est un fondement de la pédagogie et son élévation au rang législatif n'est pas neutre : cet article nous a donc paru utile, même s'il ne change pas fondamentalement le droit existant.

Proposition de rédaction de Mme Corinne Narassiguin.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Les groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat proposent au contraire d'interdire la différenciation des frais d'inscription selon la nationalité des étudiants. Cette mesure prévue par le plan Bienvenue en France nous paraît discriminatoire et injuste. L'accueil des étudiants internationaux est un atout pour notre pays et pour son rayonnement, la diversité est une richesse qui profite à nos étudiants et à nos universités. Si cette proposition n'est pas retenue, nous voterons contre cet article.

M. Boris Vallaud, député- La commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé cet article. Mais je comprends que vous avez encore changé d'avis !

L'article 1er HA est adopté dans la rédaction du Sénat.

En conséquence, la proposition de rédaction n'a plus d'objet.

Article 1er H

Proposition de rédaction des rapporteurs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article est relatif à une expérimentation concernant l'instruction des demandes de titre de séjour : l'administration examinerait d'un seul coup l'intégralité des motifs qui pourraient justifier une demande, de façon à éviter qu'à chaque refus, une nouvelle demande soit formulée pour un motif différent. Aucune nouvelle demande ne serait possible dans l'année qui suit la décision, sauf changement de situation. Cette expérimentation a déjà été menée, mais sans base légale.

M. Christophe Naegelen, député- La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de mon collègue Olivier Serva qui précisait que cette expérimentation aurait lieu dans au moins un territoire ultramarin. Cette disposition a-t-elle été conservée par nos rapporteurs ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- C'est au Gouvernement qu'il revient de choisir les territoires concernés, ce n'est pas précisé dans le texte. Il me paraîtrait en effet de bon ton qu'un territoire ultramarin en fasse partie.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- Vous me pardonnerez de me faire à nouveau le porte-parole du ministre, qui n'a pas le droit d'assister à cette réunion : le Gouvernement s'est engagé en commission des lois à mener une expérimentation spécifique aux territoires ultramarins.

Cette disposition nous paraît justifiée pour trouver une solution à la sédimentation des nombreux types de cartes de séjour qui se sont accumulés au fil des années. Une simplification serait bienvenue.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice- Nous regrettons la nouvelle rédaction de cet article, pourtant l'un des seuls qui allaient plutôt dans le bon sens. La proposition de rédaction des rapporteurs le rend plus complexe et difficilement applicable.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. Cette proposition commune de rédaction n'est pas un durcissement, c'est l'inverse.

La modification proposée vise à garantir l'opérationnalité du dispositif. Nous avons toujours été d'accord sur l'objectif du développement de l'instruction dite « à 360° » des demandes de titres de séjour et nous avons trouvé la meilleure solution pour y parvenir : nous vous demandons donc d'adopter la rédaction de l'article que nous vous soumettons.

Mme Edwige Diaz, députée- La rédaction de l'article laisse entrevoir l'idée d'un droit à une prise en charge générale par l'État du souhait d'une telle installation, en ceci que l'autorité administrative devra examiner tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance de ces titres de séjour, même quand elle envisageait de la refuser.

Par souci de cohérence, soit l'administration est libre de se prononcer sur la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, soit sa décision est liée. L'hypothèse prévue par l'article 1er H est une proposition médiane insatisfaisante, qui poursuit deux objectifs contraires dont la juxtaposition est incompréhensible. Nous proposons de supprimer cet article qui facilitera l'installation des étrangers sur le sol français.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 1er H est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er I (supprimé)

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale- L'article a pour objet l'aide médicale de l'État (AME). De nombreuses voix se sont exprimées au Parlement et dans les médias pour s'émouvoir d'une disposition du Sénat visant, non pas à supprimer, mais à réduire très fortement le champ et le panier de soins de l'AME. Des divergences se sont fait entendre sur la nature de l'aide médicale d'urgence entre la position du Sénat et celle du groupe Les Républicains de l'Assemblée.

L'AME est très précieuse : pour les personnes soignées bien entendu, mais également pour la situation sanitaire collective ; ce dispositif est utile et le restera à l'avenir. Le lundi 4 décembre, Patrick Stefanini et Claude Évin, que nous avons auditionnés à l'Assemblée, ont publié un rapport sur l'aide médicale de l'État : ces deux hommes, au profil et au parcours pour le moins différents, sont d'accord pour considérer que l'AME est à la fois nécessaire et susceptible de faire l'objet de modifications, comme l'anticipation de son bénéfice - elle est disponible après trois mois de résidence en France alors que les enjeux de santé collective pourraient justifier de la rendre immédiate.

Nous souhaitons supprimer la réforme de l'AME adoptée par le Sénat : nous remercions nos collègues sénateurs d'avoir compris nos arguments. La Première ministre a adressé aujourd'hui un courrier au président du Sénat, dans lequel elle s'engage à procéder rapidement, par la loi, à des ajustements de l'AME, sur la base du rapport de Claude Évinet de Patrick Stefanini : l'examen de ce texte nous donnera l'occasion de confronter nos opinions sur ce dispositif auquel nous tenons beaucoup.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat- Le Sénat a modifié l'AME pour créer un dispositif, l'aide médicale d'urgence, qui portait, je dois le dire, assez mal son nom ; son champ dépassait largement la simple prise en charge des urgences et comprenait, outre ces dernières, la médecine préventive, les vaccins obligatoires, les maladies graves et les grossesses. Nous ne souhaitions pas la disparition du mécanisme, mais nous refusions de le conserver en l'état, car il se révèle mieux calibré pour les étrangers en situation irrégulière que pour ceux disposant d'un titre de séjour et même que pour nos concitoyens bénéficiant de la sécurité sociale.

Nous n'avons pas renoncé à un recalibrage : la Première ministre s'est engagée à transmettre très rapidement un texte au Parlement ; il est d'autant plus nécessaire d'agir que le rapport de Claude Évinet de Patrick Stefanini constate, après celui de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) en 2019, que certains soins sont bien davantage prodigués dans le cadre de l'AME que dans celui de la sécurité sociale, preuve, aux yeux des inspections générales, de l'attractivité de certains soins à cause de l'AME. Nous devons travailler avec calme et sans tabou, car les Français nous attendent sur le sujet. En l'état, nous nous fions à la promesse écrite de la Première ministre.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN)- La transformation de l'AME en aide médicale d'urgence est une proposition fort ancienne de Marine Le Pen, dont nous nous félicitons que d'autres la reprennent. Cette réforme ferait économiser 900 millions d'euros aux finances publiques, soit le montant que les Français vont devoir payer à cause du doublement de la franchise médicale : nous pourrions épargner ce poids aux Français, surtout en ces temps difficiles.

Le passage de l'AME en aide médicale d'urgence rendrait également justice au tiers de nos compatriotes qui renoncent aux soins et qui ne comprennent pas pourquoi des clandestins peuvent bénéficier d'un tel dispositif.

Quant au faux procès en inhumanité, rappelons que seule l'Espagne dispose d'un mécanisme comparable en Europe, sans que les autres pays soient frappés par les épidémies et autres calamités annoncées par les défenseurs de cette aide.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale- L'AME coûte 1,2 milliard d'euros par an, soit 0,47 % du budget général. Cette ligne budgétaire est extrêmement scrutée lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF). Le rapport de M. Stefanini et M. Évinne relève aucun caractère attractif du dispositif, même s'il pose d'autres questions sur lesquelles nous reviendrons lors de l'examen du futur projet de loi, prévu au début de l'année prochaine.

L'économie budgétaire de 900 millions que nous présente le Rassemblement national est tout à fait théorique, puisque le rapport souligne que les médecins éprouvent des difficultés à évaluer le caractère d'urgence de certains symptômes et qu'une personne présentant des problèmes de santé serait dirigée, en cas de transformation de l'AME en aide médicale d'urgence, vers l'hôpital public, qui devrait alors supporter le coût de soins actuellement pris en charge par le budget de l'État et, à ce titre, objet d'une grande attention.

Le potentiel d'économies de la prescription et de la vente de médicaments à l'unité représente plus de 9 milliards : nous sommes à la disposition de nos collègues pour trouver des économies. En outre, il faut veiller à la lutte contre les maladies infectieuses : nous ne devons pas nous exposer aux pandémies ou à la tuberculose, dans l'intérêt des étrangers présents sur notre sol et des Français.

M. Boris Vallaud, député- Je ne reviendrai pas sur la litanie de celles et de ceux qui, dans la majorité et au Gouvernement, ont défendu l'AME avec des trémolos dans la voix, tout cela pour céder un petit hochet au parti Les Républicains, la Première ministre se donnant la peine d'envoyer un courrier particulier au président du Sénat, dans lequel elle prend l'engagement de conduire une réforme de l'AME dès le début de l'année prochaine : quelle en est l'urgence ?

Vous comptez vous appuyer sur le rapport de Claude Évinet de Patrick Stefanini, dont l'orientation des propositions est fort hétérogène : vous nous réservez encore un débat fielleux et biaisé, qui fracturera la société sur un sujet inexistant. Tous les délires seront permis. La dignité aurait commandé à la majorité de s'en tenir au rétablissement de l'AME et de refuser de se vendre aussi complaisamment pour l'adoption d'un mauvais texte.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - La manoeuvre est d'un cynisme absolu : j'espère que le groupe Renaissance ne pense pas avoir obtenu une quelconque concession. Le Conseil constitutionnel aurait censuré l'article adopté par le Sénat, ce que la Première ministre reconnaît d'ailleurs avec honnêteté dans son courrier. En revanche, Les Républicains ont obtenu une concession supplémentaire, à savoir l'annonce du dépôt d'un projet de loi sur l'AME. Chapeau, l'artiste !

Mme Andrée Taurinya, députée- Le Rassemblement national a dit tout à l'heure que la France était le seul pays européen à avoir mis en place un tel dispositif. Nous en sommes fiers : c'est ce qui fait de nous le pays des droits de l'homme. J'ajoute que l'Espagne avait supprimé ce dispositif avant de le rétablir devant le constat d'une augmentation inquiétante de la mortalité parmi les ressortissants étrangers.

La Macronie a abandonné le projet d'AMU voté par le Sénat, mais par lâcheté puisqu'il reviendra en janvier. Les députés Renaissance vont alors mêler leurs voix à celles de la droite et de l'extrême droite, puisque M. Gillet vient de dire qu'il souhaitait le retour de cette mesure vantée par la candidate du Rassemblement national à la dernière élection présidentielle.

Cet article est inspiré par le Rassemblement national, par l'extrême droite.

M. Yoann Gillet, député- Pas seulement cet article-là !

Mme Andrée Taurinya, députée- C'est ce que je considère également. Depuis le début, je dis que ce texte est raciste et xénophobe. Nous vous attendons donc au mois de janvier !

Mme Annie Genevard, députée- Madame de la Gontrie, personne ne disconvient que cet article sera supprimé en raison de son inconstitutionnalité.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Ah bon ? Je pensais que c'était pour des raisons de fond !

Mme Annie Genevard, députée. - Mais des questions demeurent, auxquelles il faudra apporter des réponses. Vous ne pouvez ignorer que le budget de l'AME a augmenté de 12,5 % en un an, sans compter tous les autres dispositifs relatifs à la prise en charge médicale des étrangers. En responsabilité, nous devons nous interroger quant à la soutenabilité financière de ces onze dispositifs, qui représentent quelque 2 milliards d'euros annuels.

On nous oppose toujours l'exemple de l'Espagne, mais c'est d'abord en raison d'un changement politique de l'exécutif que ce pays a rétabli l'équivalent de l'AME.

M. Patrick Kanner, sénateur. - M. Boudié a évoqué les débats importants sur l'AME dans les médias et à la commission des lois de l'Assemblée nationale. Or, ces débats, nous les avons également eus au Sénat, où ils ont été longs, très approfondis et parfois conflictuels. Au banc, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, a défendu l'AME par de nombreux arguments avant de s'en remettre, finalement, à la sagesse de notre assemblée, ce qui a permis à la droite républicaine du Sénat de voter comme un seul homme en faveur de la suppression du dispositif et de son remplacement par l'AMU. Ces dispositions sont effectivement inconstitutionnelles - nous aurions déposé un recours.

Sur la forme, je regrette que la Première ministre se soit pliée au diktat que lui ont imposé nos collègues sénateurs du groupe Les Républicains, qui se sont déclarés prêts à céder sur ce point en échange d'une lettre d'engagement. Cette méthode n'est pas très scrupuleuse au regard de l'esprit de la Constitution française.

M. Benjamin Lucas, député- Nous voilà à un moment de vérité. Il y a quelques instants, le député Jean-Philippe Tanguy, membre du groupe Rassemblement national, a déclaré à la télévision : « Tous les arbitrages se font sur des points du programme de Marine Le Pen à la dernière présidentielle. » Chers collègues de la majorité, vous vous rendez en rase campagne. Vous n'avez été élus, en 2017 et en 2022, que parce que des millions de gens ont souhaité faire barrage à l'extrême droite raciste ; or vous êtes en train de faire entrer un pan entier de son programme dans la loi de la République.

Même à l'époque du ministère de l'immigration et de l'identité nationale et des débats nauséabonds entretenus par MM. Sarkozy, Hortefeux et Besson, l'AME n'avait pas été remise en cause. Quand je lis la lettre de la Première ministre, je déplore l'affaiblissement de l'autorité de l'État et du respect des institutions. Mme Borne se fourvoie en cédant à la volonté d'un parti sans doute respectable, mais qui n'a obtenu que 4 % des suffrages à la dernière élection présidentielle. Votre mouvement politique est devenu un satellite, un auxiliaire des Républicains. Quelle est votre boussole ? Le président Kanner a rappelé qu'au Palais du Luxembourg, vous aviez donné votre blanc-seing à la suppression de l'AME avant de défendre son rétablissement à l'Assemblée nationale.

Nous venons de vivre une pandémie terrible, qui devrait nous inciter à comprendre qu'avant de passer d'un organisme à un autre, un microbe ne montre pas ses papiers d'identité. Vous faites d'une question de santé publique, d'une question de vie ou de mort pour un certain nombre de personnes, une variable d'ajustement politicienne. C'est lamentable et criminel, au regard des vies qui vont en être bouleversées.

M. Olivier Bitz, sénateur- Étant un tout jeune parlementaire, je ne comprends pas très bien ce que veulent nos amis de la NUPES. Quand l'AME est supprimée, ils sont offusqués. Quand elle est rétablie, ils ne sont pas satisfaits pour autant. Quand la Première ministre propose que nous nous saisissions de cette question sérieuse de santé publique, cela ne va pas non plus.

M. Guy Benarroche, sénateur- Je ne crois pas vraiment à votre naïveté de nouveau parlementaire. En réalité, vous comprenez très bien ce que nous disons. Au vu du rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, des indications données par les uns et les autres ainsi que de l'intervention très claire de Mme Firmin Le Bodo au Sénat, il nous semble que la majorité présidentielle considère l'AME comme une bonne chose, qui doit être préservée et bien entendu contrôlée. En toute logique, vous souhaitez donc revenir sur la suppression du dispositif. Jusque-là, tout va bien. Cependant, si le courrier de la Première ministre ne veut rien dire dans les faits, il n'en constitue pas moins un acte politique par lequel la majorité cède à la demande et à la pression d'une minorité. Il ne s'agit pas de naïveté, mais de réalisme et de cynisme politique.

Mme Edwige Diaz, députée. - Je me réjouis de voir figurer dans ce projet de loi une proposition défendue depuis plusieurs années par Marine Le Pen. Que de temps perdu pour remplacer l'aide médicale d'État par une aide médicale d'urgence ! J'ai une pensée pour les deux tiers des Français qui attendent cette disposition. Je regrette que cette dernière soit prise en otage dans le cadre de négociations obscures, mais l'essentiel est qu'elle figure bien dans le texte.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Le groupe Renaissance se satisfait évidemment de la suppression imminente de l'article 1er I, qui est inconstitutionnel. Depuis 2017, nous avons toujours analysé les problèmes de manière assez pragmatique. Aucun sujet n'est tabou. Il n'y a donc rien de fou ni d'extraordinaire à ce qu'à partir du rapport rendu par Claude Évin et Patrick Stéfanini, la Première ministre demande « aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d'engager une réforme de l'AME ».

Que les membres de la NUPES arrêtent de nous faire des leçons de morale en nous accusant d'adopter ou de reprendre des idées du Rassemblement national alors même que ce sont eux qui ont voté, lundi dernier, une motion de rejet avec le RN !

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 1er I est supprimé et la proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'a plus d'objet.

Article 1er J

L'article 1er J est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er K

L'article 1er K est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er L

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Supprimé par la loi du 31 décembre 2012, le délit de séjour irrégulier est pourtant essentiel dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Je cite les propos du ministre de l'intérieur : « Ce délit de séjour irrégulier, il est important. Il va permettre aux policiers d'interpeller les personnes [...], de pouvoir appliquer clairement la loi française. »

Nous voterons donc cet article 1er L en nous réjouissant, une fois de plus, que le Sénat ait adopté une mesure du programme de Marine Le Pen. Selon un récent sondage, 81 % des Français affirment être favorables au rétablissement de ce délit ; même les sympathisants et les électeurs de gauche et d'extrême gauche partagent cette opinion.

L'article restreint toutefois de manière injustifiée la mise en mouvement de l'action publique aux cas où les faits ont été constatés lors d'une procédure de retenue aux fins de vérification du droit à la circulation ou du séjour. Nous proposons donc de supprimer cette restriction.

M. Boris Vallaud, député. - Est-il besoin que je rappelle les arguments exprimés en commission des lois de l'Assemblée nationale par Florent Boudié et Sacha Houlié pour soutenir la suppression de cet article ? Permettez-moi de lire un extrait de l'exposé sommaire de l'amendement CL1655 : « Votre rapporteur ne souhaite pas son rétablissement, même avec une seule peine d'amende assortie, le cas échéant, d'une peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français. Cette disposition est en effet particulièrement lourde pour les étrangers, sans apporter de plus-value par rapport à la procédure de retenue administrative déjà existante. Elle risque même, au contraire, d'être moins efficace que la procédure administrative actuelle. Par ailleurs, elle pose des questions de conventionnalité, la peine complémentaire prévue semblant contraire au droit européen. »

Notre rapporteur est maintenant amené à soutenir l'inverse de ce qu'il avait voté en 2016 et à se rallier à la proposition de loi déposée en janvier 2023 par Mme Emmanuelle Ménard. Je tenais à l'en féliciter...

M. Christophe Naegelen, député. - Cet article est important : par l'instauration d'un délit de séjour irrégulier, on rétablit peu ou prou, sans la peine d'emprisonnement, l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), qui avait été supprimé en 2012. Les policiers et les gendarmes le demandent : contrairement au dispositif actuel, qui prévoit une réquisition administrative et l'application d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), l'existence d'un délit leur permettra d'entamer un suivi des étrangers en situation irrégulière, par exemple en prenant leurs empreintes. Ces éléments constitueront une base solide si une catastrophe - crime ou autre - survient. On le sait, il y a peu de chances que la peine d'amende soit prononcée ; du reste, elle n'est pas l'élément principal de cet article.

En tant qu'ancien rapporteur, en 2019, de la commission d'enquête sur les moyens des forces de sécurité, je sais combien les policiers et les gendarmes mettent en avant la nécessité d'un suivi. Cet article permettra donc aux forces de l'ordre de travailler plus sereinement.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Le délit de séjour irrégulier avait été supprimé pour se conformer à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Encore une fois, notre image sera ternie par cette disposition. Boris Vallaud l'a dit, il est choquant qu'un article rejeté en commission des lois puisse revenir.

Vous êtes là, la mine basse, à essayer de le défendre alors que, une nouvelle fois, c'est le Rassemblement national qui demande ces dispositions. Comment expliquerez-vous cela à tous ceux qui ont voté pour vous, pensant que le groupe Renaissance et, avant lui, La République en marche, était un peu à droite, un peu à gauche ? Là, vous virez carrément à l'extrême droite.

On est en train de discuter de la vie d'êtres humains, de décider de leur sort. Là, vous pactisez avec le diable, avec l'extrême droite. C'est grave. Oui, si je veux, je peux donner des leçons de morale.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ces propos sont excessifs et injustes : en décembre 2012, nous avons supprimé le délit de séjour irrégulier, car nous venions d'être condamnés par la Cour de justice de l'Union européenne. Celle-ci considérait qu'une peine d'emprisonnement associée au délit de séjour irrégulier n'était pas acceptable sur le plan juridique. Au fond, le débat continue. Ce n'est pas le délit tel que Mme Ménard l'a souhaité, puisqu'elle l'associait à nouveau à une peine d'emprisonnement. Nous considérons que cette mesure n'est pas efficiente - il paraît évident que l'amende ne sera pas réglée.

Dans certaines situations, en revanche, le délit de séjour irrégulier peut être utile. Pour une personne dont le comportement soulève des doutes, il pourrait permettre une interpellation, dans les conditions qui seraient fixées par l'article.

Je le redis, nous avons un doute quant à l'efficience de ce dispositif. Il n'est toutefois en rien comparable à celui que nous avons supprimé en 2012, qui était associé à une peine d'emprisonnement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Supprimez-le, si vous avez un doute !

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je vous rappelle que nous sommes en commission mixte paritaire pour essayer de trouver des espaces de compromis. Vous n'en voulez pas, mais nous les recherchons. C'est la voie vers laquelle nous acceptons d'aller, à ce stade de nos discussions.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Le délit de séjour irrégulier puni par une amende a été expressément autorisé par la Cour de justice de l'Union européenne, en 2011. Il paraît difficile de soupçonner la Cour d'être à l'origine de dérives intellectuelles. Le dispositif proposé, qui résulte effectivement d'une négociation, a une solidité conventionnelle, puisqu'il est fondé sur la décision de 2011. Il n'y a pas à rougir d'une telle situation, qui ne justifie pas de jugements moraux - nous vous laissons la responsabilité de les adresser à la Cour.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

L'article 1er L est adopté dans la rédaction du Sénat.

La réunion est suspendue de 23 h 45 à 0 h 25 le mardi 19 décembre.

M. Sacha Houlié, député, président. - Nous reprendrons nos travaux à dix heures trente, au même endroit.

M. Boris Vallaud, député. - Je souhaiterais que nous convenions que l'accord entre la majorité et Les Républicains achoppe toujours sur le même point. Je propose au président de constater l'échec de la CMP. Ainsi, chacun remballe ses propositions. Manifestement, la CMP a échoué, puisque nous en sommes à la troisième suspension.

M. Benjamin Lucas, député. - Cela fait dix-huit mois que l'on débat de la question et un an que le texte vient, et repart. À chaque épreuve de vérité il s'est fracassé sur l'incapacité de la majorité et du Gouvernement à construire le moindre compromis avec qui que ce soit. Je ne vois pas comment, en une petite nuit, vous pourriez réussir à en bâtir un. Le sommeil est précieux pour tous : tout le monde n'est pas le Président de la République, doté de superpouvoirs. Lui-même, d'ailleurs, ne réglera pas tout cette nuit.

Comme le président Vallaud, je pense qu'il faut prendre acte de l'échec de la CMP. Ce n'est pas grave : une CMP n'est pas obligatoirement conclusive. Dans l'histoire, elles sont d'ailleurs nombreuses à n'avoir pas abouti. Il faut suggérer au Gouvernement d'arrêter les frais de cette course folle. À l'instant, sur les plateaux de télévision, l'extrême droite se félicite d'une validation idéologique de son programme. Il est temps de revenir à la raison. La nuit porte conseil, pour redémarrer sur de nouvelles bases demain matin.

M. Yoann Gillet, député. - Il faut être lucide : les choses ne se passent pas de manière très sérieuse, et on prend la question de l'immigration avec un peu trop de légèreté alors qu'elle requiert un débat de fond. Là, vous êtes encore dans de petites tambouilles politiques, de petits compromis.

Étant donné que des oreilles attentives vous appellent régulièrement pour vous donner des consignes, faites passer le message : la seule solution est de donner la parole aux Français en organisant un référendum. Ils seront plus efficaces que les membres de la CMP.

La réunion est suspendue à 00 h 32.

Mardi 19 décembre 2023

- Présidence de M. Sacha Houlié, député, président -

La réunion, suspendue à 00 h32, est reprise à 10 h 36.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration

M. Sacha Houlié, député, président. - Nous reprenons les travaux de notre commission mixte paritaire (CMP). Je vous informe d'ores et déjà que l'article 1er N sera réservé.

M. Benjamin Lucas, député. - Nous sommes très surpris d'apprendre que l'article 1er N sera réservé. Il semble que la nuit n'ait permis, ni d'aboutir à un accord, ni à la majorité présidentielle de se ressaisir et de se rappeler qu'elle avait jadis des valeurs et des principes. Tout cela n'est pas sérieux : on voit bien que les choses se font ailleurs, à Matignon, à l'Élysée ou au Sénat. Ce ne sont pas des conditions normales de travail en commission mixte paritaire.

Mme Edwige Diaz, députée. - Nous regrettons aussi que, pour convenance personnelle, ou pour quelque raison obscure, vous ayez décidé de modifier l'ordre d'examen des articles. Nous nous réjouissons toutefois que plusieurs de nos propositions aient été reprises dans le texte ; je me permettrai de les rappeler et d'en formuler quelques autres. Nous souhaitons réserver les prestations familiales aux foyers dont au moins l'un des parents est français ; nous souhaitons réserver le bénéfice du RSA et des prestations de solidarité aux étrangers ayant travaillé au moins cinq ans, équivalent temps plein (ETP), dans notre pays ; nous souhaitons restreindre l'immigration familiale et remplacer l'aide médicale d'État (AME) par l'aide médicale d'urgence (AMU). Ces différentes mesures représenteront des économies pour nos comptes publics et elles correspondent parfaitement aux attentes des Français.

M. Philippe Bonnecarrère, sénateur, rapporteur pour le Sénat. C'est une bonne chose que l'article 1er N ait été réservé, car des réunions de groupe ont lieu en ce moment même au Sénat.

J'aimerais réagir à certaines postures moralisatrices. Chacun sait que la morale ne suffit pas à constituer une politique : il faut aussi prendre des décisions. Or toute décision implique de quitter le monde éthéré des strictes valeurs. Ceux qui se réfugient dans ce monde, oubliant la logique qui était celle de la gauche de gouvernement, ont perdu le sens des responsabilités, mais aussi leurs électeurs. Cette forme de désaffiliation, de disparition du lien entre les citoyens et les partis politiques n'est une bonne chose, ni pour les formations de gauche, ni pour l'ensemble de la société.

Par ailleurs, on entend beaucoup depuis hier que les idées du Rassemblement national dirigeraient ce texte : je ne comprends pas bien à quel moment on est passé, aux yeux du Rassemblement national, d'un texte inacceptable à un texte admirable.

La Ve République est fondée sur l'autorité de l'État, sur l'autorité régalienne, qui n'était pas inconnue de la IIIe République : le débat au Parlement n'est pas incompatible avec une autorité régalienne forte, dans le respect de l'État de droit.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Tout cela est grotesque. Vous semblez oublier que nos débats concernent la vie de milliers de personnes. Le travail parlementaire est méprisé, puisque c'est en dehors de cette salle, dans des couloirs, que des accords sont conclus, de manière totalement opaque.

Le Gouvernement et la Macronie déroulent le tapis rouge au Rassemblement national, qui peut distiller son discours raciste et xénophobe : il va falloir que vous l'assumiez. Oui, vous avez perdu vos valeurs, vous avez perdu les valeurs de la République, qui sont la liberté, l'égalité et la fraternité. Ce n'est plus le « en même temps » un peu à gauche et un peu à droite. C'est le « en même temps » un peu à droite et beaucoup à l'extrême droite.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Entendre un centriste dire que c'est la gauche, et - si j'ai bien compris - la gauche socialiste, qui aurait perdu le sens des valeurs, c'est assez énorme. Monsieur Bonnecarrère, vous avez décidé, pour des raisons qui nous échappent toujours, de soutenir l'ensemble des dispositions votées par le Sénat, si bien que le texte qui nous est soumis pourrait presque être résumé par le slogan : « La France aux Français ». À vous de voir comment vous pouvez vivre avec cela et vous arranger avec votre conscience, mais nous renvoyer la faute, c'est un peu fort.

Je souhaiterais par ailleurs que le rapporteur Florent Boudié se déporte de cette CMP, car il prend constamment des positions contraires à celles qui ont été votées en commission des lois à l'Assemblée nationale. Pour sa santé mentale, et par sens des responsabilités, il serait souhaitable qu'il ne siège pas dans cette CMP.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Quelle élégance. Que diriez-vous, chère collègue, si je proposais de vous remplacer ? Vous parlez des valeurs, mais des responsables politiques de grande qualité soulignent régulièrement combien le parti socialiste s'est fourvoyé dans une alliance contre-nature avec une partie de l'extrême gauche et a renoncé à ses objectifs socio-démocrates.

Monsieur Lucas, vous dénoncez des discussions de couloir, mais j'ai cru comprendre que, pour construire la NUPES, il en a fallu beaucoup. Madame Taurinya, vous dites que les décisions sont prises par d'autres, ailleurs, mais quel est le responsable politique qui, par tweets interposés, donne des injonctions de vote aux élus de la NUPES ? Nous n'avons aucune leçon à recevoir de vous.

M. Ian Brossat, sénateur. - Il ne s'agit plus de savoir qui vote avec qui, mais qui vote quoi. Chacun, au moment de voter, devra prendre ses responsabilités et assumer d'adhérer aux mesures contenues dans ce texte. Dire qu'un certain nombre d'entre elles sont la copie de propositions du Front national des années 1980, ce n'est même pas un jugement de valeur : c'est un fait. Les membres du Rassemblement national le reconnaissent eux-mêmes et vous remercient de leur avoir donné une victoire idéologique.

Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous êtes en train de faire ? Vous faites sauter toutes les digues : si vous acceptez de supprimer les allocations familiales pour les étrangers qui sont là depuis moins de cinq ans, qu'est-ce qui empêchera demain de passer à dix ou quinze ans, puis de les supprimer complètement ? Les membres du groupe Les Républicains sont cohérents avec les convictions qu'ils défendent depuis bien longtemps, mais on se demande où vont les macronistes, qui ont essayé de nous faire croire au mirage du « en même temps ».

Mme Annie Genevard, députée. - J'ai une question de procédure : allons-nous recommencer la discussion générale à chaque reprise de la CMP ?

M. Sacha Houlié, député, président. - Je laisse chacun s'exprimer librement. Nous reprendrons ensuite nos travaux.

Mme Danièle Obono, députée. - Puisque nous ne décidons de rien au sein de cette CMP, permettez-nous au moins d'exprimer notre point de vue. Je sens une certaine fébrilité chez les rapporteurs : sans doute ont-ils du mal à se convaincre que ce qui est en train de se passer est tout à fait classique. Le rapporteur du Sénat a évoqué le « monde éthéré » des valeurs : au point où nous en sommes, ces valeurs ne sont même plus éthérées, elles ont cessé d'exister. Vous dites que la confiance des électeurs envers les partis s'est distendue, mais je ne crois pas que c'est en vous parant des oripeaux d'un autre parti que vous restaurerez la confiance. L'original est toujours plus convaincant que la copie et je ne crois pas que c'est en copiant l'extrême droite que les centristes et Les Républicains retrouveront une existence politique.

Enfin, je ne crois pas que l'on restaure l'autorité de l'État en s'attaquant à des familles, en les empêchant de se réunir et en faisant la chasse à des gens déjà très vulnérables. Cette attitude est plutôt la marque d'un État défaillant, qui n'a plus de boussole et plus de valeurs. Ce qui affaiblit l'État, c'est le pacte réactionnaire que vous avez accepté de conclure.

M. Yoann Gillet, député. - Notre rôle de représentants du peuple est d'écouter les Français. Permettez-moi donc de rappeler quelques chiffres : 65 % des Français veulent freiner l'immigration de travail ; 80 % des Français disent qu'il y a trop d'immigrés en France ; 73 % des Français pensent que leur sécurité doit primer sur les libertés des étrangers ; 67 % des Français estiment que le droit français doit primer sur le droit européen et international ; 60 % des Français sont pour la suppression du droit du sol ; 71 % des Français souhaitent que le séjour illégal soit puni ; 71 % des Français sont pour la suppression de l'accord entre la France et l'Algérie.

Félicitons-nous d'améliorer ce texte et d'aller dans le sens souhaité par nos compatriotes. Je donne raison à Mme Obono sur un point : je suis convaincu qu'en 2027, les Français préféreront l'original à la copie.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Il n'est absolument pas incongru que les discussions se poursuivent en dehors ou à côté de la CMP : c'est tout à fait habituel.

J'ai été choquée par les propos de Mme de La Gontrie : tous les parlementaires qui siègent ici sont respectables et il est invraisemblable d'avoir suggéré que M. Florent Boudié, rapporteur général du texte à l'Assemblée nationale, devrait ne pas y siéger.

En nous faisant des leçons de morale, l'extrême droite et l'extrême gauche tentent de nous manipuler, mais nous refusons, depuis des années, d'être les idiots utiles de ces oppositions.

Article 1er M

Mme Muriel Jourda, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'aggraver les sanctions applicables pour les cas de reconnaissance frauduleuse de paternité, qui sont particulièrement nombreuses outre-mer.

M. Yoann Gillet, député. - Nous voterons cet article, qui vise à lutter contre les reconnaissances de paternité et les mariages frauduleux, même si sa portée restera très restreinte, en pratique. Les juridictions sont peu enclines à prononcer de lourdes peines d'amende, du fait de l'insolvabilité de nombreux étrangers. La peine d'emprisonnement de cinq ans paraît bien plus dissuasive.

Les 700 000 à 900 000 clandestins présents sur notre territoire peuvent souhaiter se marier avec un ressortissant ou une ressortissante française pour sortir de leur situation irrégulière. Cela donne lieu à des mariages de complaisance, où les citoyens français se trouvent en position de victime. Récemment encore, une femme a perdu la vie, atrocement assassinée par son conjoint étranger. La lutte contre ces fraudes est plus que jamais nécessaire.

L'article 1er M est adopté dans la rédaction du Sénat.

Propositions de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Nous souhaitons modifier les intitulés du titre Ier et du chapitre 1er, en remplaçant les mots « intégration » et « intégrer » par « assimilation » et « assimiler », un concept qui suppose une adéquation totale aux valeurs fondamentales et à la culture de notre pays.

Mme Andrée Taurinya, députée. - L'assimilation est un mot qui nous ramène à l'époque coloniale ! Au terme d'intégration, je préfère d'ailleurs celui d'installation. La majorité sera responsable d'avoir ouvert grand la porte au Rassemblement national et à l'extrême droite.

Mme Annie Genevard, députée. - L'article 21-24 du code civil dispose que : « Nul ne peut être naturalisé s'il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue [...] [française]. » Il n'y a rien de scandaleux à cela.

M. Benjamin Lucas, député. - C'est très gênant d'être invité à un repas de famille de la coalition des droites plus ou moins radicalisées. Oserais-je parler de convergence des luttes xénophobes ? Nous considérons que la France n'est pas menacée par une submersion migratoire. L'intégration est d'abord un processus civique. C'est pourquoi d'ailleurs nous souhaitons ouvrir le droit de vote aux élections locales aux étrangers. La construction de notre nation n'est pas ethnique, mais politique et démocratique.

Madame Guévenoux, si nous pouvons faire des leçons de morale, c'est qu'il nous en reste une. En 2017, le candidat Macron déclarait à raison : « L'immigration ne devrait pas inquiéter la population française [...] ; elle se révèle une chance d'un point de vue économique, culturel, social. » Je vous invite, chers collègues de la majorité, à revenir à cette conception macroniste de la République et à être fidèles à la source de votre engagement.

Les propositions de rédaction ne sont pas adoptées.

Article 1er

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de conditionner la délivrance d'une carte de séjour pluriannuelle à un niveau minimal de français et à la réussite d'un examen civique.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Nous proposons une nouvelle fois de remplacer le mot « intégration » par « assimilation ».

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Si l'intention de l'article semble bonne, il impose des résultats sans imposer de moyens. Or, en Seine-Saint-Denis, au moins un tiers des demandes de formation ne sont pas satisfaites, par manque de moyens. Vous ne pouvez pas définir des exigences supplémentaires pour l'intégration sans prendre en compte les situations particulières des étrangers, qui peuvent notamment ne pas avoir été scolarisés dans leur pays. Les formations doivent être adaptées, grâce à des moyens. C'est un article d'affichage, qui contribue au climat xénophobe du projet de loi, en supposant que les étrangers ne font aucun effort pour s'intégrer et qu'ils ne sont là que pour profiter du système.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée. - Notons que certains étrangers analphabètes parlent un très bon français ! L'objectif élevé que nous nous fixons s'accompagne bien évidemment de moyens et d'une opérabilité des dispositifs. Atteindre un niveau de langue suffisant permet aux étrangers de s'intégrer dans les meilleures conditions.

M. Benjamin Lucas, député. - Mme Narassiguin a raison de parler d'un article d'affichage : on a en effet l'impression de participer à la rédaction d'un tract reprenant des slogans de la famille Le Pen. Qui peut imaginer que quelqu'un souhaite ne pas être compris dans sa vie quotidienne, que ce soit pour faire ses courses ou accéder à ses droits ?

Quant à l'examen civique désormais prévu à cet article, permettez-moi d'observer que le sens civique est subjectif. Je considère, pour ma part, que la désobéissance civile relève d'une conscience civique aiguë. Est-ce que les emplois fictifs de M. Fillon étaient conformes au sens civique ? Cet examen obligatoire vient nourrir les fantasmes sur les étrangers et n'a plus rien à voir avec la supposée volonté d'intégration mise en avant par la majorité. Le rapporteur général semble d'ailleurs avoir perdu en chemin les principes qu'il nous a exposés lors de l'examen en commission. Il essayait de maintenir un équilibre interne à la majorité ; elle s'aligne désormais sur des velléités brutales et radicales venues de la droite sénatoriale.

M. Boris Vallaud, député. - Il est précisé dans l'étude d'impact que de 15 000 à 20 000 étrangers ne pourront pas profiter de cette mesure. Par ailleurs, l'efficacité des cours de langue de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), qui ne favorise pas suffisamment la pratique orale, n'est jamais évaluée. L'article impose aussi au parent d'assurer « à son enfant une éducation respectueuse des valeurs et des principes de la République » et de « l'accompagner dans sa démarche d'intégration à travers notamment l'acquisition de la langue française ». Mais bien souvent, ce sont les enfants qui viennent au secours de leurs parents dans leurs démarches administratives ou qui leur enseignent la langue française. Par ailleurs, il n'y a pas de moyens supplémentaires accordés aux cours de langue, alors qu'il est très fréquent de devoir attendre de longs mois avant de pouvoir en bénéficier. La mesure ne nous semble donc pas appropriée.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée. - Qui a voté en 2016 la création du contrat d'intégration républicaine dans lequel figure notamment l'apprentissage du français ? Qui a réintroduit en 2015 l'enseignement moral et civique ? Ce n'était ni un gouvernement Macron ni une majorité extrémiste, mais un gouvernement socialiste. Le contrat d'intégration républicaine avait cet immense avantage de proposer à des étrangers primo-arrivants un parcours qui passe notamment par l'apprentissage de la langue française. Vous dites que 15 000 personnes échapperaient à la disposition : c'est pour atteindre le niveau A2. Mais nous parlons ici de l'obligation de résultat pour obtenir une carte de séjour pluriannuelle. Si la personne échoue, c'est son titre de séjour temporaire qui sera renouvelé et elle pourra prétendre à l'obtention de la carte de séjour pluriannuelle l'année suivante. Il y aura jusqu'à 600 heures de cours gratuits pour apprendre le français. Le dispositif prend véritablement les ressortissants étrangers par la main parce qu'ils font partie de la communauté républicaine et que l'État veut se donner les moyens de faire communauté.

Mme Annie Genevard, députée. - Cette question est majeure. Quand j'étais maire, j'ai essayé d'instaurer des formations linguistiques, notamment pour les femmes allophones - leurs enfants et leur mari parlent à leur place ! La pratique de la langue française est un élément d'émancipation. C'est aussi un élément fondamental pour la réussite des enfants à l'école. Inciter les parents à maîtriser la langue française, c'est bon pour eux-mêmes, pour leur émancipation et leur intégration, et pour leurs enfants. J'ai du mal à comprendre ces controverses de Valladolid sur un point qui devrait faire l'unanimité. Beaucoup d'étrangers ne sont pas suffisamment incités à apprendre la langue française, et je n'y ai pas toujours réussi en dépit de la variété des dispositifs que j'ai proposés. Le fait d'obliger à maîtriser la langue française permet de franchir un cap que la seule incitation ne permet pas.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Nous ne sommes pas opposés à l'apprentissage du français. Il est essentiel de maîtriser la langue du pays où l'on réside pour vivre sereinement. Mais ce n'est pas parce que vous obligerez les gens à passer un examen qu'ils le réussiront et maîtriseront le français. Vous ne sortez pas de cette volonté de droite de toujours contrôler et réprimer. Vous annoncez des moyens sans qu'on sache lesquels. Jusqu'en juin 2022, j'étais professeur de lettres : les problèmes pour assurer l'enseignement destiné aux élèves allophones étaient graves et récurrents. Commençons par redonner les moyens nécessaires à l'Éducation nationale. De cela, vous ne parlez pas, et quand vous en parlez, à d'autres occasions, le Gouvernement fait le contraire de ce que vous annoncez. J'ajoute que si les Français devaient passer cet examen, il n'est pas certain que tous le réussiraient. J'ai connu des élèves et des parents, français depuis plusieurs générations, qui maîtrisaient très mal l'oral.

Vous voulez également organiser des examens de valeurs républicaines, mais ces valeurs ne s'évaluent pas, elles se vivent et se ressentent. De plus, quand tous les services publics sont en déshérence, quand les heures de cours perdues s'accumulent en Seine-Saint-Denis faute de remplaçants, mais qu'il n'en va pas de même au collège Henri-IV, l'égalité républicaine n'est plus assurée.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Nous soutenons l'article 1er. Le texte du Gouvernement prévoyait déjà ces mesures en faveur de l'apprentissage de la langue. Le dispositif est incitatif et concerne des personnes qui séjournent en France et qui souhaitent s'y établir : la maîtrise du français est une condition essentielle de leur intégration. Les femmes pourront également y prétendre, ce qui favorisera leur vie sociale et professionnelle.

Enfin, quand une personne étrangère fait le choix de séjourner durablement en France, il est fondamental de nous assurer qu'elle adhère aux valeurs de la République : la liberté, l'égalité, la fraternité.

M. Christophe Naegelen, député. - J'ai rencontré vendredi dans ma permanence une famille qui traverse une situation difficile. Les enfants devaient assurer la traduction pour les parents, pourtant en France depuis six ans. Ils vivent dans une petite ville de 7 000 habitants où oeuvrent des associations qui leur viennent en aide. La maîtrise de la langue est essentielle pour l'intégration ; les fréquentations des gens qui ne parlent pas français sont limitées à leur groupe linguistique, ce qui favorise le communautarisme. Rendre l'examen de français obligatoire sanctifiera la connaissance du français et favorisera l'intégration. C'est cohérent avec l'article 4 bis et la volonté d'intégrer par le travail.

La proposition de rédaction est rejetée.

L'article 1er est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 1er bis

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. Il s'agit d'assurer l'application de l'article 1er, en limitant à trois le nombre de demandes d'un titre de séjour annuel pour les personnes bénéficiant du contrat d'intégration républicaine.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er ter

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. Il prévoit d'exclure de la présomption de validité les actes d'état civil étrangers qui n'ont pas été légalisés.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gilet

M. Yoann Gillet, député. Nos administrations sont confrontées à une fraude massive à l'état civil, en particulier lors des demandes de visas d'entrée en France et des titres de séjour. Nous voterons donc en faveur de cet article. Pour renforcer la lutte contre la fraude, nous proposons de créer une exception à l'article 47 du code civil pour les jugements d'adoption, qui ne seraient reconnus qu'en cas d'accord bilatéral.

La proposition de rédaction est rejetée.

L'article 1er ter est adopté, dans la rédaction du Sénat.

Article 2

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article prévoit des formations en langue française pour les salariés allophones ; nous suggérons de dispenser les particuliers employeurs de l'obligation de les proposer.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Le dispositif vise à dissuader les employeurs d'embaucher des travailleurs étrangers, alors que la France compte 5 millions de chômeurs. Les chefs d'entreprise nous ont confirmé qu'ils pouvaient aller chercher les jeunes éloignés de l'emploi, les bénéficiaires du RSA et même des seniors, puisque la majorité contraint ces derniers à travailler jusqu'à 64 ans. Nous soutiendrons l'article et proposons d'aller plus loin, en obligeant les employeurs à proposer une formation visant à atteindre une connaissance suffisante de la langue française.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit d'un dispositif essentiel, qui associe le travail et la maîtrise de la langue pour faciliter l'intégration. Les particuliers employeurs, dont la situation est spécifique, en seront exonérés pour qu'il soit applicable.

La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet est rejetée.

L'article 2 est adopté, dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 bis A

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article prévoit de déchoir de la nationalité française les binationaux condamnés définitivement pour un homicide commis sur une personne dépositaire de l'autorité publique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - J'insiste sur l'inconstitutionnalité de cet article. La mesure, comme d'autres, ne figurait pas dans le texte initial. Son adoption contreviendrait à l'article 45 de la Constitution. Libre à vous de persister dans l'affichage, mais certains nous encouragent déjà à saisir le Conseil constitutionnel et souhaitent sa censure.

Mme Edwige Diaz, députée. - Lorsque les règles les plus fondamentales de la société française sont ainsi méconnues, la déchéance de nationalité est pleinement justifiée. Les forces de l'ordre ont déploré ces dernières années entre quatre et seize décès par an, survenus dans l'exercice de leurs missions. Le Rassemblement national réclame cette mesure depuis longtemps.

M. Benjamin Lucas, député. - Je partage l'analyse de Mme de La Gontrie. Il n'est pas sérieux de vouloir légiférer sans respecter la Constitution, comme si l'on écrivait un tract. Je mets en garde la majorité : le dernier qui a joué avec le feu de la déchéance de nationalité n'a pas pu se représenter à l'élection présidentielle et son Premier ministre de l'époque est désormais un chroniqueur télé de seconde zone, obligé de singer l'extrême droite pour éveiller l'intérêt. À l'époque, M. Macron se présentait dans les médias comme le contrepoint humaniste de M. Valls ; désormais vous vous alignez sur le discours radicalisé de ceux qui jouent les méchants. Vous mettez le doigt dans un engrenage dangereux. Je croyais que nous partagions au moins certaines valeurs fondamentales, mais cette mesure leur porte atteinte.

M. Boris Vallaud, député. - Lors de l'examen en commission des lois de l'Assemblée nationale, le président de la commission, le rapporteur général et le groupe MODEM ont défendu de manière très argumentée des amendements de suppression de l'article. Nous avons été instruits par l'erreur de François Hollande, dont la mesure de déchéance de nationalité, combattue par sa propre majorité, n'a jamais été votée. En février 2016, Emmanuel Macron disait qu'elle provoquait chez lui « un inconfort philosophique » ; en avril 2017, il déclarait qu'elle était « une faute politique, en plus d'être une solution inefficace ». Encore une fois, vous avez changé d'avis.

Mme Annie Genevard, députée. - La déchéance de nationalité n'est pas une nouveauté juridique, elle est déjà prévue à l'article 25 du code civil en cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. L'article prévoit de déchoir de sa nationalité française un binational qui aurait commis un crime sur une personne détentrice de l'autorité publique. Pour défendre et conforter ceux qui assurent notre protection, nous devons nous opposer fermement à la multiplication des attaques visant à les tuer.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Ce dispositif n'a aucun rapport avec celui de François Hollande, qui était inconstitutionnel. Il prolonge l'article 25 du code civil, qui est par définition conforme à la Constitution. Il s'agit de déchoir de la nationalité française, lorsqu'elle a été acquise, un binational condamné définitivement pour homicide volontaire sur une personne dépositaire de l'autorité publique.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Vous essayez de justifier une position qui reste une faute politique - c'en était déjà une de la part de François Hollande au lendemain des attentats du Bataclan - et est désormais une faute morale, vu la manière dont elle est amenée dans ce projet de loi.

On peut bien chercher des nuances dans la rédaction pour tenter de montrer qu'ici la déchéance de nationalité serait constitutionnelle ou justifiée ; en réalité, vous vous attaquez à la binationalité en établissant une différence entre les Français selon qu'ils ont ou non une autre nationalité, rendant les binationaux a priori suspects. Ce n'est pas ainsi que l'on résoudra les problèmes posés par les conditions de travail des policiers, la dangerosité de leur mission ou les relations entre police et population.

En outre, c'est une faute morale d'introduire la déchéance de nationalité au titre Ier, qui vise « une meilleure intégration des étrangers » : pour vous, mieux intégrer, c'est faire un lien direct et systématique entre étranger, ou Français binational, et tueur de policiers ! Cela relève, comme l'a dit Benjamin Lucas, du tract électoral et c'est honteux.

Mme Andrée Taurinya, députée. - L'article dont nous discutons montre le peu de confiance de ses auteurs dans la justice : la seule vision qu'ils en ont est répressive. On l'a vu en commission des lois lors de l'examen des dernières réformes de la justice ou de la la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi).

On entend, une fois de plus, des choses qui ne sont que des fantasmes. La grande majorité des décès dans la police est due au suicide ! Plutôt que de regarder les images de CNews ou de BFM TV qui montrent une certaine réalité dans le but de faire monter le RN, lisez des livres comme celui, rédigé par des policiers, où ils expliquent les pressions qu'ils subissent au sein de la police.

Je ne comprends pas le retournement qui s'est opéré entre l'examen du texte en commission des lois et le débat actuel. Les mêmes personnes, à une semaine d'intervalle, tiennent des discours complètement différents. Je n'aimerais pas être à leur place. Il faut avoir bien peu de convictions pour retourner ainsi sa veste, peut-être en échange d'un poste - on connaîtra peut-être un peu plus tard le détail de ces petits arrangements. C'est terrible !

Le RN vient de dire qu'il attendait cette mesure depuis longtemps ; encore une fois, c'est vous qui la leur apportez. C'est gravissime.

M. Yoann Gillet, député. - Ce sont les Français qui l'attendent !

Mme Andrée Taurinya, députée. - Non : ce que les Français demandent, c'est de pouvoir remplir leur frigo, payer leurs factures d'électricité et de chauffage, être soignés à l'hôpital au lieu de crever aux urgences, avoir une école qui fonctionne. Et ceux qui soupirent pendant que je parle ne sont pas confrontés à cela ; ils vivent dans un autre monde ; ils n'ont aucun de ces problèmes ! Oui, je crie, parce qu'il y a des gens qui meurent de faim, en France, en 2023 !

M. Sacha Houlié, député, président. - Ne criez pas, vous avez un micro.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Ce qu'attendent les Français, ce n'est pas un texte sur l'immigration, c'est de pouvoir vivre normalement, sereinement !

M. Sacha Houlié, député, président. - Inutile de crier. Vous avez un micro. Il n'y a pas de caméra ici, pas de diffusion en direct. Vos propos seront inscrits au compte rendu.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - L'article 25 du code civil dispose que l'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret, après avis conforme du Conseil d'État, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride. Voilà le cadre dans lequel nous nous inscrivons. La mesure de l'article 2 bis A se limite donc aux personnes ayant acquis la nationalité française, sachant que l'article 25 ne peut s'appliquer au-delà de dix ans après cette acquisition, et que la condamnation doit être définitive et l'homicide volontaire - ce sont autant de bornes qui ont été ajoutées.

M. Guy Benarroche, sénateur- Je me pose une question naïve. Je comprends très bien la valeur symbolique de cet article, je dirais presque sa valeur marchande électoralement - pour qui, c'est une autre question. Mais quelqu'un parmi vous s'est-il demandé ce qu'impliquerait l'article s'il était déjà en vigueur ? Dans quelle mesure serait-il appliqué ? Combien de personnes seraient déchues de la nationalité ?

Vous essayez de minorer la portée de l'article en disant qu'il ne touche pas grand-monde : c'est une façon de justifier que l'on vote la déchéance de nationalité - en somme, que l'intérêt électoral vaut plus que la réalité du terrain. Mais il faudrait évaluer ce que nous votons, en essayant de comprendre à quoi cela mènerait et quelles conséquences cela aurait, si du moins c'était appliqué.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - En ce qui concerne les leçons sur notre comportement passé, M. Vallaud était secrétaire général adjoint de l'Élysée à l'époque dont nous parlons - mais il est sorti et je n'aime pas parler en l'absence de l'adversaire. En tout cas, le projet de loi constitutionnelle déposé le 23 décembre 2015 - après un discours présidentiel applaudi par toute la représentation nationale, sénateurs et députés, au Congrès -, qui émanait bien de François Hollande - et non de Manuel Valls, cher Benjamin Lucas, malgré votre fixette -, tendait à déchoir de la nationalité y compris des personnes nées françaises, quand elles étaient binationales.

Quel était l'enjeu politique, aux yeux des gens qui, comme moi, n'ont pas souhaité voter ce texte ?

M. Benjamin Lucas, député. - Vous n'étiez pas parlementaire !

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Bien sûr que si, je le suis depuis 2012 ! J'ai quelques années d'ancienneté de plus que vous !

L'enjeu était de reprendre l'argumentation du Rassemblement national : même née française, une personne binationale ne serait, au fond, qu'un Français de papier. D'où la très forte opposition de certains députés, y compris, à l'époque, socialistes, membre du groupe ; mais nous étions très peu nombreux à refuser cette disposition. Elle était par nature inconstitutionnelle, puisque, pour l'adopter et l'appliquer, il aurait fallu modifier l'article 34 de la Constitution.

Quelle est la disposition proposée ici ? Je réponds d'abord à notre collègue sénateur : zéro personne en cinq ans. J'ai donc pu dire en commission des lois que le dispositif était inefficient. Mais est-il scandaleux ? Non. Il s'agit de modifier l'article 25 du code civil, qui - cela a été dit - existe et s'applique, très peu de fois chaque année, en cas d'actes de terrorisme, d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, et même pour les binationaux chargés de missions de service public dans l'exercice desquelles ils n'auraient pas respecté certaines règles. Il s'agit d'étendre cet article du code civil à celles et ceux qui commettraient un homicide volontaire sur une personne dépositaire de l'autorité publique, c'est-à-dire membre des forces de l'ordre, juge...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Pas seulement : cela inclut aussi agents de la RATP, de la SNCF, commissaires-priseurs...

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Non, il s'agit des dépositaires de l'autorité publique.

Les faits visés sont ceux commis avant l'acquisition de la nationalité française et jusque dans les dix ans qui la suivent. La mesure ne vise évidemment pas les personnes nées françaises en France. C'est toute la différence avec la proposition de François Hollande. Il s'agit simplement de modifier le code civil en vigueur, et la procédure est restrictive : un décret pris après avis conforme du Conseil d'État.

Pour ces raisons, nous acceptons que cette disposition figure dans la loi. Je ne doute pas que, comme l'a dit Mme de La Gontrie, le problème de son irrecevabilité en vertu de l'article 45 sera soulevé devant le Conseil constitutionnel.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 2 bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 bis

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, sénateur. -Un jeune né en France de parents étrangers peut avoir été élevé dans l'idée de faire partie de la communauté nationale ou bien dans le cadre de la nationalité d'origine. Il s'agit simplement de permettre à ce jeune de manifester sa volonté à sa majorité. Je rappelle qu'il n'existe aucune condition de recevabilité de la demande, aucune possibilité de réponse négative. Quant aux objections qui peuvent viser non pas la constitutionnalité de la mesure, puisqu'elle a déjà existé dans notre droit, mais sa place dans le texte, nous savons tous qu'il y a en la matière une marge d'interprétation ; inutile de reprendre en permanence l'argumentaire à cet égard.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Le Rassemblement national souhaite la suppression pure et simple du droit du sol. En 2020 et 2021, le nombre d'acquisitions de la nationalité a augmenté de 56,3 %. Chaque année, ce sont ainsi près de 100 000 personnes qui l'obtiennent, et la proportion d'étrangers n'a jamais été aussi élevée dans notre pays.

Ici, nous proposons d'empêcher l'acquisition de la nationalité française par droit du sol au profit d'enfants de personnes clandestines - il ne serait pas acceptable que des personnes présentes sur notre sol illégalement puissent transmettre la nationalité - ou en cas de condamnation antérieure pour commission d'un crime ou d'un délit puni de plus de deux ans d'emprisonnement - il est crucial de ne pas accorder la nationalité française à une personne qui aurait gravement violé la loi.

Le droit du sol est ce qui a rendu français le terroriste qui a sévi à Paris il y a quelques semaines. On aurait certainement évité des problèmes en supprimant cette mesure totalement inappropriée.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Monsieur le président, comment la suite de nos débats va-t-elle se dérouler ? Y aura-t-il une pause ?

M. Sacha Houlié, député, président. - Non, nous ne nous arrêtons pas.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Peut-on demander une pause ?

M. Sacha Houlié, député, président. - Il y a des suppléants.

Mme Andrée Taurinya, députée. - On a le droit de demander une suspension !

M. Sacha Houlié, député, président. - Ce n'est pas une négociation. Vous pouvez demander, je peux refuser.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Vous acceptez une suspension de quatre heures, mais quand je demande dix minutes...

M. Benjamin Lucas, député. - Hier, on nous a baladés. Nous sommes arrivés consciencieusement, quasi religieusement, à dix-sept heures, pour travailler, débattre, faire notre devoir de parlementaires. On nous a fait attendre pour que le congrès du RPR puisse se réunir. Puis on nous a fait revenir, repartir, revenir ce matin. Et là, vous nous expliquez que nous ne pourrons même pas nous alimenter ce midi ?

La pause méridienne est nécessaire, y compris pour que les esprits s'apaisent. Certains d'entre nous ont déjà raté les réunions de groupe, essentielles au fonctionnement du Parlement. Tout le monde n'a pas eu la bonne idée, comme M. Retailleau, de se rendre à sa réunion de groupe avant de revenir.

Vous avez décidé d'accélérer parce que cela arrange votre petite tambouille avec LR, en dehors de tous les usages et de la courtoisie minimale. Y aura-t-il une pause pour les questions au Gouvernement ? Ce passage en force traduit, de votre part et de celle de la majorité présidentielle, de la fébrilité, de l'autoritarisme et la volonté d'empêcher le bon déroulement de la commission mixte paritaire.

Monsieur le président, je vous invite à la sagesse. Je demande une suspension à midi et demi ou à treize heures, un moment où jamais des réunions de commission ni des séances publiques ne se tiennent. Depuis cent cinquante ans, traditionnellement, on fait une pause à treize heures. Je sais bien que le nouveau monde veut tout balayer sur son passage, mais tout de même ! Nous devons pouvoir travailler dans de bonnes conditions ; vous ne le permettez pas.

M. Sacha Houlié, député, président. - La faim vous tenaille, mais je vous confirme qu'il n'y aura pas de suspension : nous vous ferons apporter des plateaux-repas. Je rappelle aussi qu'il existe des suppléants dans une CMP : vous pouvez alterner.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 2 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 ter A (supprimé)

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 2 ter A est supprimé.

Article 2 ter B (supprimé)

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 2 ter B est supprimé.

Article 2 ter C (supprimé)

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons de déplacer cet article au titre VI.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). - Les territoires d'outre-mer, en particulier de Mayotte, de la Guyane et de Saint-Martin, sont soumis à une importante pression migratoire dont les conséquences sont désastreuses : les hôpitaux sont surchargés et l'insécurité explose. Selon l'INSEE, plus de 40 % de la population de Mayotte serait étrangère, dont une majorité en situation irrégulière. Or cet article reste totalement insuffisant compte tenu de l'urgence de la situation. C'est pourquoi nous proposons que la durée de présence régulière à Mayotte, en Guyane et à Saint-Martin exigée d'au moins un des parents pour qu'un enfant puisse acquérir la nationalité par le droit du sol soit portée à deux ans et que cette condition concerne désormais les deux parents. Sinon, nous voterons pour cet article, dont l'adoption sera toujours préférable à l'inaction.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Ces dispositions migreront effectivement dans le titre VI, qui comporte des mesures relatives à l'outre-mer ayant fait l'objet d'un travail de consultation mené par le rapporteur Serva et auxquelles je crois que nous sommes collectivement attachés.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - J'aimerais comprendre comment nous pouvons statuer sur une proposition de rédaction portant sur un article placé plus loin.

M. Sacha Houlié, député, président. - Si vous adoptez la proposition de rédaction de M. Yoann Gillet, l'article 2 ter C sera maintenu dans une autre rédaction.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 2 ter C est supprimé.

Article 2 ter

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'acquisition de la nationalité par le droit du sol ne sera pas possible pour les mineurs ayant fait l'objet d'une condamnation définitive pour crime.

M. Boris Vallaud, député. - Le rapporteur, le président de notre commission des lois et le MODEM avaient déposé des amendements de suppression de cet article. M. Houlié disait qu'il s'agissait d'une disposition excessive, puisqu'elle priverait, à vie, des enfants nés et ayant grandi en France de la possibilité de devenir français en raison de faits commis lorsqu'ils étaient mineurs, ce qui paraît tout à fait radical et injuste. Nous constatons de nouveau que vous avez changé d'avis.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Je rappelle que l'ensemble de ces dispositions sont inconstitutionnelles, puisqu'elles violent l'article 45 de notre loi fondamentale. Les rapporteurs décident, une fois encore, de s'asseoir sur elle, ce qui est extrêmement inquiétant.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 2 ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 quater (supprimé)

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 2 quater est supprimé.

Article 2 quinquies (supprimé)

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). - Le montant actuel du droit de timbre pour le dépôt d'une demande de naturalisation est particulièrement faible en comparaison avec ce qui est exigé dans de nombreux pays européens, où le montant peut s'élever à plusieurs centaines d'euros. Par ailleurs, la faiblesse du droit de timbre est à mettre en rapport avec le coût du traitement administratif de ce type de demande. Une revalorisation se justifie à ce titre, car les Français n'ont pas à supporter la charge financière des demandes engagées par les étrangers souhaitant accéder à la nationalité française. Le tarif actuel de ce droit du timbre est bien inférieur à ce qui est réclamé à nos compatriotes pour de nombreuses autres demandes usuelles de documents officiels. Nous proposons cependant de limiter l'augmentation du montant au prix du timbre fiscal.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 2 quinquies est supprimé.

Article 3 (supprimé)

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 3 est supprimé.

Article 4 (supprimé)

Proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Nous arrivons à l'article qui concerne la possibilité d'accès au marché du travail des demandeurs d'asile dès l'enregistrement de leur demande auprès de l'autorité compétente. Il faut rappeler qu'ils ont accès à ce marché, mais après un délai. Ils perçoivent de ce fait une allocation. Pour ceux qui sont soucieux des deniers de l'État, il paraîtrait préférable de permettre à ces personnes de travailler au lieu de percevoir une allocation fort modeste, qui les amène en général à se trouver à la rue. Pour ceux qui s'inquiéteraient de ce que la droite et l'extrême droite appellent un appel d'air, il faut noter que seulement quelques centaines de demandeurs arrivent à mettre en oeuvre cette possibilité. Nous souhaitons réintroduire ce qui était prévu dans le projet de loi initial, et j'imagine donc que les représentants du groupe Renaissance défendront cette proposition avec ferveur.

M. Guy Benarroche, sénateur. - L'article 3 permettait de relever des enjeux économiques soulignés par un grand nombre de patrons, y compris des dirigeants de chambres de commerce et d'industrie, qui demandaient une régularisation de travailleurs, à l'image de ce que vient d'annoncer Mme Meloni en Italie. Cette demande récurrente devait être satisfaite partiellement par le texte déposé par le Gouvernement et correspond à une réalité que personne parmi nous ne peut nier. Nos collègues du centre et de la droite rencontrent suffisamment d'employeurs et de représentants de syndicats d'employeurs pour le savoir. Au-delà de cette raison utilitariste, il s'agissait d'aider des gens installés en France mais obligés de subir une précarité liée à leur situation irrégulière, dont profitent certains employeurs et qui ne leur permet pas de s'intégrer. La suppression de cette disposition et son remplacement par l'article 4 bis nous paraissent donc absurdes.

S'agissant de l'article 4, on s'interroge sur la raison pour laquelle les demandeurs d'asile doivent attendre six mois avant de pouvoir demander une autorisation de travail. Si l'on souhaite qu'ils puissent s'intégrer si leur demande d'asile est acceptée, la meilleure façon de s'y prendre est de leur permettre de travailler, de se loger, de se nourrir et de se soigner. C'est d'ailleurs un peu ce qui a été fait, de façon dérogatoire, lors de l'arrivée d'Ukrainiens dans notre pays, il n'y a pas très longtemps. On a vu que c'était possible et que cela permettait aux gens de s'intégrer beaucoup mieux, quand bien même ils seraient ensuite appelés à repartir. D'autres considérations à prendre en compte sont le coût budgétaire de l'allocation pour demandeur d'asile, qui devait être réduit grâce au projet de loi déposé par le Gouvernement, le recours à l'emploi non déclaré, pour pouvoir survivre, et le fait que les cotisations sociales qui seraient acquittées par un certain nombre - je n'ai plus le chiffre exact en tête - de travailleurs étrangers régularisés et de demandeurs d'asile qui travailleraient dans des conditions régulières permettraient de ne pas reculer l'âge du départ à la retraite.

Mme Annie Genevard, députée. - On peut légitimement se poser la question de l'appel d'air. Je rappelle que nous aurons bientôt environ 200 000 demandeurs d'asile par an, dont 70 % ne sont pas éligibles à la protection internationale, conformément à nos règles, et que 93 % de ces derniers resteront en France. Il faut remédier à ce désordre. Quant à l'idée que ces personnes dormiraient dans la rue, je rappelle que l'État engage près de 2 milliards d'euros par an pour loger les demandeurs d'asile. Vous ne pouvez donc pas dire qu'on ne fait rien.

Je ne suis pas du tout favorable à l'idée de permettre à ces personnes de travailler. La bonne solution est double : il faut instruire plus rapidement les demandes d'asile et, à terme, si une révision de la Constitution est menée, comme nous l'appelons de nos voeux, la demande d'asile se fera aux frontières de notre pays.

Mme Danièle Obono, députée. - Nous n'avions guère d'illusions au sujet de l'article 3, qui avait pourtant fait l'objet de beaucoup de déclarations, notamment du président de notre commission, qui avait fait la une de quotidiens et expliqué à des journalistes que c'était, pour lui, le coeur de l'humanisme supposément présent dans ce texte. Le président de la commission doit avoir une indigestion aujourd'hui, puisqu'il fait plus que manger son chapeau. On voit bien, surtout, le niveau de son cynisme et de celui de ses collègues. La disparition du ministre Dussopt, s'il est encore ministre, illustre parfaitement à quel point vous avez accepté toute la logique sécuritaire et stigmatisante de cette version du texte. Nous ne croyions pas que la régularisation de travailleurs dans des métiers en tension aurait une quelconque effectivité, pas plus que les représentants et représentantes des organisations syndicales et des associations qui accompagnent les travailleurs migrants, mais nous constatons que vous vous êtes finalement ralliés à une mesure encore plus restrictive, qui rendra toujours plus impossible la régularisation.

On peut vous accorder, en revanche, que l'article relatif à l'accès au travail des demandeurs d'asile, qui était cette fois une revendication de nombreuses associations et de nombreuses personnes concernées, correspondait à une réalité. Non, madame Genevard, il n'y aura pas d'appel d'air. Par ailleurs, des personnes bénéficiant du droit d'asile dorment dans la rue, c'est une réalité et non un fantasme, contrairement aux idées que vous véhiculez. Vous refusez de permettre à des personnes qui pourraient avoir un emploi et éviter de dormir dans la rue d'avoir les moyens de vivre dignement : vous savez que c'est injustifiable. On voit bien toute la lâcheté de ceux qui se disaient la gauche de la Macronie, c'est-à-dire plutôt la gauche de M. Darmanin, ce qui ne permet pas de se situer véritablement du côté gauche de l'échiquier politique. J'espère que ce choix politique marquera leurs carrières politiques.

M. Sacha Houlié, député, président. - Dans tous mes engagements politiques, je me suis toujours gardé de me renier en concluant quoi que ce soit avec La France insoumise. Vos leçons ne me concernent pas.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Nous venons de voter la fin de l'automaticité du droit du sol pour les mineurs nés en France de parents étrangers, ce qui répond à une demande de longue date de l'extrême droite : dans ces conditions, les leçons de morale me semblent superflues.

Au Sénat, l'article 4 n'a pas été supprimé en commission des lois mais en séance. Il a ensuite été rétabli dans sa rédaction d'origine par la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il nous semble légitime de proposer son rétablissement : quoi de mieux que l'intégration par le travail ?

M. Yoann Gillet, député. - Le rétablissement de l'article 4 présente un danger : une fois déboutés, les demandeurs d'asile pourront continuer de travailler et, grâce à l'article 4 bis, ils seront régularisés ! Je ne comprends pas comment nos collègues Les Républicains peuvent soutenir cet article - même si ce n'est pas si surprenant, vu qu'ils ont également soutenu l'article 3 en commission des lois au Sénat ! En outre, l'article 4 bis ne changera pas fondamentalement les choses, car on sait à qui obéissent les préfets. Il va forcément y avoir des régularisations massives, qui ne sont ni acceptables ni souhaitées par les Français.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ce que vous dites au sujet de la fin de l'automaticité du droit du sol est mensonger, madame Narassiguin. L'article 21-7 du code civil fixe déjà des conditions à l'acquisition de la nationalité française. Nous en ajoutons simplement une : la manifestation de la volonté. Il y a donc bien automaticité, si les conditions sont remplies.

Nous avions souhaité, avec l'article 4, que les demandeurs d'asile quasi assurés d'obtenir le statut de réfugié puissent travailler immédiatement, mais nous avons dû faire un choix - certes douloureux et difficile. Le compromis auquel nous sommes parvenus ne me satisfait pas pleinement mais nous cherchons un texte, une voie commune !

M. Boris Vallaud, député. - La liste des points sur lesquels vous avez cédé à la droite et au Rassemblement national montre que vous cherchez un texte à tout prix, y compris au prix de certains principes qui devraient pourtant nous rassembler.

L'article 4 se fondait sur des faits, notamment sur le rapport d'information de la députée Stella Dupont sur l'orientation directive des demandeurs d'asile. Mais, sur ce sujet comme sur d'autres, vous avez changé d'avis.

M. Benjamin Lucas, député. - Nos collègues sénatrices et sénateurs découvrent les capacités de prestidigitateur du rapporteur Boudié, qui arrive à faire croire que des mesures inspirées du Rassemblement national seraient progressistes, de gauche et humanistes ! Vous avez solennellement déclaré, monsieur le président, que vous ne vous étiez jamais compromis avec La France insoumise. Faut-il vous rappeler qu'au soir du premier tour de l'élection présidentielle, MM. Ferrand, Macron et Philippe ont dit avoir des valeurs en commun avec celles et ceux qui avaient voté pour Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel ? À ce moment-là, les voix de la gauche et des humanistes vous étaient précieuses !

M. Sacha Houlié, député, président. - Vous ne trouverez aucune déclaration de cette nature de ma part.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je répète que l'article 4 avait été rétabli en commission des lois mais que, lors des discussions avec les rapporteurs du Sénat, nous avons fait le choix de privilégier l'article 4 bis.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

Suivant la préconisation des rapporteurs, l'article 4 est supprimé.

Article 4 bis

Proposition de rédaction des rapporteurs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Les Républicains n'ont pas soutenu l'article 3 en commission des lois, monsieur Gillet : ils ont toujours voulu que cet article soit rejeté.

L'article 4 bis est relatif à la régularisation éventuelle des travailleurs dans les métiers en tension. Il découle d'un raisonnement assez simple : une politique migratoire précise la façon dont des étrangers peuvent entrer dans un territoire et à quelles conditions ils peuvent y demeurer ; les personnes qui ne répondent pas à ces conditions ne peuvent pas rester. En accordant aux personnes en situation irrégulière les mêmes bénéfices qu'à celles qui sont en situation régulière, nous annihilerions toute politique migratoire. La fraude ne doit pas produire de droits.

L'article 4 bis reprend en réalité le droit positif : le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) prévoit la possibilité, pour l'État - en la personne du préfet - d'octroyer une admission exceptionnelle au séjour. L'article 4 bis étend cette possibilité aux personnes exerçant dans des métiers en tension et aux clandestins ayant travaillé dans certaines conditions.

La proposition que nous faisons est essentiellement rédactionnelle. Elle précise toutefois qu'un étranger ayant fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 de son casier judiciaire ne peut pas bénéficier de cette admission exceptionnelle. En outre, un salarié en situation irrégulière pourra exprimer sa demande indépendamment de son employeur, ce qui répond à une volonté commune.

Proposition de rédaction de Mme Andrée Taurinya

Mme Andrée Taurinya, députée. - Nous proposition est très différente : nous souhaitons qu'une carte de séjour pluriannuelle soit délivrée de plein droit à tous les travailleurs installés en France, à tous les parents d'enfants scolarisés et à tous les étudiants. Pour vivre dignement, ces personnes qui ont choisi de venir chez nous ont besoin de papiers. Il faut tourner le dos au fantasme d'une submersion migratoire. La CGT estime à 800 000 le nombre de travailleurs sans papiers : il faut commencer par régulariser ces personnes qui participent déjà à l'économie de notre pays ! Deux visions de l'immigration s'opposent ici : la vôtre, utilitariste, et la nôtre, humaniste.

Proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de la Gontrie, Mme Corinne Narassiguin, M. Patrick Kanner et M. Boris Vallaud

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - L'article 4 bis a fait l'objet des discussions les plus âpres, notamment au Sénat où il s'agissait de faire en sorte que le groupe Union centriste puisse voter le projet de loi. Il avait été modifié par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui avait souhaité se rapprocher de l'état d'esprit du projet de loi initial.

La proposition des rapporteurs n'est pas uniquement rédactionnelle : elle exclut qu'un étranger puisse se voir délivrer une carte de séjour temporaire sur le fondement de cet article s'il a fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Or cette formulation recouvre un spectre assez large de déchéances.

Pour notre part - et l'arc politique qui soutient ce point de vue est assez large puisqu'il va jusqu'à certains membres de la majorité présidentielle et centriste -, nous considérons qu'il faut mettre fin à une hypocrisie : un grand nombre de travailleurs sans-papiers occupent des fonctions vitales en France. Ces personnes travaillent dans des hôpitaux où sont soignés vos parents ou vous-mêmes, comme aides à domicile, comme employés dans les cuisines de restaurants où vous dînez. Selon une excellente enquête parue dans Le Monde, la brasserie Le Bourbon et le restaurant du Sénat étaient dans cette situation. Ces personnes travaillent aussi dans les supermarchés ou livrent à domicile vos courses ou les achats effectués sur internet. Alors qu'elles travaillent en France, elles n'ont pas droit à une situation juridique stable.

Le projet de loi initial - que nous soutenions - prévoyait déjà des mesures d'encadrement : la nécessité d'avoir une résidence en France et d'y travailler depuis un certain temps - exit l'appel d'air. En Espagne, où ce genre de dispositif a été créé, aucun étranger ne s'est rué sur le territoire puisqu'il fallait y être présent depuis un certain temps pour bénéficier de la mesure. Cette disposition, que nous soutenions, avait une autre vertu : l'octroi du titre était de droit - ce qui semblait contrarier certains parlementaires.

À ce stade, nous souhaitons en revenir à l'esprit initial, afin d'éviter les disparités extrêmes que nous connaissons entre les départements, selon que les préfets décident ou non de faire usage de la désormais célèbre circulaire Valls sur les régularisations exceptionnelles. La disposition dont nous discutons est d'ailleurs plus dure que cette dernière car elle s'applique uniquement aux métiers en tension, sachant que le pouvoir normatif d'une circulaire est de toute façon moins important que celui d'une loi. Le seul progrès est que l'accord de l'employeur n'est plus nécessaire.

Nous proposons que la personne ait exercé une activité professionnelle durant au moins six mois au cours des vingt-quatre derniers mois et qu'elle réside en France depuis au moins trois ans. Tout cela est tout de même cantonné. Nous proposons qu'il soit tenu compte des périodes d'apprentissage, et des emplois sur les plateformes - où les travailleurs n'ont pas toujours de contrats.

Cet article central, qui traduit un réel effort de lucidité de la part du Gouvernement, justifiait d'être soutenu dans ses dispositions initiales. Il a été complètement modifié, dans le cadre de vaines tentatives du rapporteur de l'assemblée pour rapprocher les points de vue.

Mme Annie Genevard, députée. - Cet article essentiel a suscité de nombreuses discussions. Avec Les Républicains, nous avons pesé de tout notre poids pour que des mesures soient prises afin d'éviter que l'accès aux métiers en tension ne conduise à des régularisations massives. Tout d'abord, nous voulons que ces régularisations se fassent à titre exceptionnel, à des conditions non opposables à l'autorité publique. Il faut avoir exercé cette activité dans un secteur en tension pendant douze mois sur les vingt-quatre derniers mois et avoir résidé en France pendant au moins trois ans pour se voir délivrer une carte de séjour temporaire d'une durée d'un an, soumise à l'appréciation stricte du préfet. La personne en question doit pouvoir témoigner de son insertion sociale et familiale, de son respect de l'ordre public, de son adhésion au mode de vie et aux valeurs de notre pays. Elle doit aussi faire état d'un casier judiciaire vierge.

Nous avons vraiment pris toutes les précautions pour que ce texte ne donne pas droit à des régularisations massives. Il faut vraiment faire preuve de malhonnêteté intellectuelle pour prétendre le contraire. Si vous êtes honnêtes intellectuellement - ce dont je veux bien accepter l'augure -, vous ne pouvez prétendre qu'il s'agit là d'une mesure permettant des régularisations massives.

Enfin, parce qu'on ne peut tout de même pas se laisser attaquer sans réagir, je voudrais vous rappeler l'amendement de M. Hervé de Lépinau, signé par tous les membres du groupe RN, qui demandait à ce que l'on exonère de poursuites un entrepreneur qui recrute des étrangers en situation irrégulière. Sur ce point, vous n'avez pas de leçon à nous donner.

M. Boris Vallaud, député. - Pour notre part, nous avons soutenu la rédaction originelle du projet gouvernemental, l'article 3. Certains d'entre nous avaient noué une forme de pacte public autour de ce socle minimal - avec le président Houlié et d'autres, nous avons même signé une tribune en ce sens. Nous nous y sommes tenus puisque, en commission des lois, j'ai moi-même défendu l'article 3 dans sa rédaction initiale, mais il n'a pas été adopté par la majorité qui en avait pourtant fait la promotion pendant des semaines.

Cette nouvelle rédaction, l'article 4 bis, nous conduit à nous interroger sur l'intention du législateur. Mmes Jourda et Genevard l'ont décrit avec beaucoup d'honnêteté. Mme Jourda explique qu'il s'agit d'une reprise du droit positif en plus dur. Sur une chaîne d'information en continu, M. Ciotti a indiqué que ce nouveau texte serait beaucoup plus restrictif que la circulaire Valls, ce que Mme Genevard vient de très largement confirmer.

Cet article est devenu bien autre chose que ce qui était prévu à l'origine par la majorité. M. Darmanin et M. Dussopt nous disaient déjà que cela ne concernerait que quelques milliers de cas par an, formulant l'hypothèse de 7 000 régularisations, ce qui équivaut à peu près au nombre actuel. Vous êtes en train de transformer ce projet de loi en un texte de droite extrême inspiré par l'extrême droite pour en faire une vulgaire loi de police ne permettant ni régularisation par le travail ni intégration de quelque manière que ce soit. Or nous avons besoin de régulariser des travailleurs sans-papiers dont certains paient des impôts et des cotisations sociales et font tourner des pans entiers de notre économie - certains secteurs, comme l'hôtellerie et la restauration, ne sont d'ailleurs pas considérés en tension. Le durcissement du texte semble provoquer un réveil tardif du Medef, si j'en juge par des propos entendus ce matin - peut-être aurait-il dû réagir avant ?

Pour notre part, nous pensons que le travail doit créer du droit au séjour ; nous croyons à la valeur du travail comme force d'intégration même si elle n'est pas la seule. Pour avoir suivi tous les débats, je suis forcé de constater que vous avez changé d'avis et cédé.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Cette disposition n'est ni d'extrême gauche ni d'extrême droite. Elle est concentrée sur deux points : il n'est plus nécessaire d'avoir une autorisation de l'employeur pour demander une régularisation ; le titre n'est pas de plein droit puisqu'il fait l'objet d'un examen au cas par cas par les préfets. La suppression de l'autorisation de l'employeur est une mesure d'équité et de justice car personne n'a intérêt à favoriser des trappes à bas salaire et des conditions de travail médiocres, voire indignes - il ne s'agit pas de dire que tous les employeurs ont de tels objectifs.

Les critères retenus n'ont pas fondamentalement changé : trois ans de présence sur le territoire et douze mois d'activité, ce qui correspond bien à une logique d'intégration. À cet égard, les perspectives initiales n'ont pas varié, notamment en ce qui concerne l'absence de régularisations massives, contrairement à ce que l'on a pu entendre. La suppression de l'autorisation de l'employeur répondant aux préoccupations de M. Vallaud, je ne comprends pas que l'on soit si sévère à l'égard de cet article. En 2012, personne n'avait été marri de la publication de la circulaire Valls qui posait le verrou de l'autorisation de l'employeur.

Le titre de séjour doit-il être ou non de plein droit ? Le président Retailleau a été partie prenante d'une discussion qui a abouti à un premier compromis au sein de la majorité sénatoriale. Il est exact que la rédaction du Gouvernement ne posait pas de difficultés au groupe centriste. Nous avons été convaincus par l'idée d'aller vers un examen au cas par cas par le préfet et nous assumons le fait de n'avoir pas retenu le titre de plein droit. J'incite nos collègues membres des formations de gauche à regarder ce sujet avec un peu de recul et en effectuant une forme d'examen de conscience. La question de la régularisation des travailleurs sans-papiers n'est pas nouvelle. Elle a été traitée une première fois en 1956. Elle l'a été une nouvelle fois en 1973, alors que Georges Gorse était ministre du travail de Georges Pompidou. Elle l'a été en octobre 1981, par François Mitterrand, nouvellement élu à la présidence. Elle a fait l'objet d'un nouveau texte en 1994. Elle a ensuite été traitée par Jean-Pierre Chevènement, avant les textes de 2006 et de 2010 de Nicolas Sarkozy, passé du ministère de l'intérieur à la présidence. Nous en sommes finalement arrivés à la circulaire Valls en 2012.

Mon souci n'est pas de faire de l'archéologie politique, mais de vous rappeler que, depuis la seconde guerre mondiale, les gouvernements ont toujours traité cette question sous forme de circulaires appliquées au cas par cas par les préfets. François Mitterrand n'a pas opté pour l'octroi d'un titre de plein droit, pas plus que les ministres de l'intérieur Chevènement et Valls. Partez de cette réalité pour faire un exercice d'autocritique. Pour aller au bout du raisonnement, je vous rappelle aussi que la plus grande vague de régularisation réalisée dans notre pays a eu lieu en octobre 1981 : 140 000 accords sur 160 000 demandes. Même dans ce cas, on avait laissé aux préfets le pouvoir d'apprécier au cas par cas.

Il n'y a donc pas de scandale politique dans cet accord, que nous soutenons aux côtés du groupe LR avec la plus grande facilité. Nous remercions nos collègues rapporteurs d'avoir accepté d'évoluer sur ce point, sachant que ce n'était pas l'approche initiale. Merci d'avoir compris les avantages de cet équilibre obtenu en supprimant l'autorisation préalable de l'employeur tout en gardant l'appréciation par les préfets. Chacun de vous sait comment s'entretenir avec le préfet et traiter les sujets qui lui sont soumis.

M. Yoann Gillet, député. - Madame Genevard, je présume que vous avez voulu plaisanter, en faisant cette présentation de l'amendement de Lépinau. Connaissant le fond de cet amendement, vous savez très bien que vous n'avez pas fait preuve d'honnêteté intellectuelle. À l'intention de nos collègues sénateurs, je rappelle que cet amendement revenait à dire ceci : si un agriculteur fait appel à une société d'intérim pour avoir des renforts, c'est cette dernière qui doit être tenue pour responsable si elle a recruté un clandestin. Actuellement, ce n'est pas le cas : c'est l'agriculteur qui se retrouve devant la justice quand la société d'intérim a recruté un clandestin. Voilà ni plus ni moins le contenu de cet amendement. Pour ma part, j'avais d'ailleurs déposé un amendement visant à renforcer les sanctions pénales à l'égard d'employeurs recrutant des clandestins. Notre vision, très claire en la matière, ne peut prêter à aucune discussion.

Cet article 4 bis ne conduirait pas, selon vous, à régulariser des clandestins. Si, c'est d'ailleurs écrit noir sur blanc ! Vous l'auriez durci en exigeant que la personne ait travaillé douze mois au cours des derniers vingt-quatre derniers mois et qu'elle soit sur notre territoire depuis trois ans. Pour ma part, j'estime que ce n'est pas manifester de la fermeté. En outre, vous faites quasiment tous un amalgame en parlant systématiquement d'étrangers qui travaillent dans tel ou tel domaine. En fait, vous stigmatisez les étrangers qui sont en situation régulière et qui respectent les lois de notre République. Pour notre part, nous estimons que les étrangers en situation irrégulière n'ont pas à être régularisés, même s'ils travaillent - dans ce cas, ils le font de manière illégale, ce qui veut dire qu'ils fraudent, tout comme leur employeur.

Eh oui, madame Genevard, c'est une régularisation de masse qui se profile : énormément de gens remplissent les critères que vous avez donnés. Ce n'est rien d'avoir travaillé douze mois au cours des derniers vingt-quatre mois ! Vous en voyez partout des clandestins qui travaillent. Il y aura donc énormément de régularisations, sachant que notre pays compte quelque 900 000 clandestins. Le préfet obéira aux ordres du Gouvernement. Une fois que ces personnes seront régularisées, elles feront usage de la procédure de regroupement familial parce qu'elles veulent évidemment vivre en famille et ne pas laisser leurs proches au pays. Dans ces conditions, nous l'affirmons : l'article 4 bis est un dispositif permettant des régularisations massives. Nous le maintenons et nous le ferons savoir, en particulier aux électeurs LR.

M. Benjamin Lucas, député. - J'écoute toujours avec intérêt et gourmandise Mme Genevard. Nous sommes en désaccord complet sur quasiment tous les sujets, mais je reconnais qu'elle défend sincèrement une vision cohérente. Je crois au clivage gauche-droite et que la démocratie se nourrit de la confrontation des convictions, le peuple souverain arbitrant in fine entre les différentes options qui lui sont proposées - pourvu que ce soit dans la clarté.

Mme Genevard, que j'écoute donc depuis juin 2022, dit ce qu'elle pense avec constance - ce qui change d'un certain nombre de collègues ici présents, et qui ont par exemple été successivement pour supprimer l'AME, puis pour la rétablir et, enfin, pour la réformer. Elle vient précisément d'indiquer que cet article ne favorisera pas les régularisations. Nous sommes d'accord sur ce constat. La majorité cède complètement face à une revendication de LR. M. Marleix a déclaré, il y a un instant, lors d'une conférence de presse : « La droite Pasqua est de retour. » On a le sentiment que Mme Genevard est ministre de l'intérieur, M. Retailleau Premier ministre et que les groupes Renaissance, Démocrate et Horizons et apparentés ne sont au fond que des forces d'appoint de cette nouvelle majorité relative.

Sur le fond, je n'ai jamais été favorable à l'article 3, même si c'était mieux que rien. Mais il s'agissait d'un point d'équilibre : le fameux « Méchant avec les méchants, gentil avec les gentils. » - moi, je n'ai jamais cru que l'on pouvait résumer la politique d'un grand pays comme la France à un slogan de cour d'école. En réalité, vous êtes aussi méchant avec les gentils. Où est passé l'équilibre ?

Ayez la sagesse d'écouter l'analyse de Mme Genevard et des parlementaires LR, ainsi que celle de la droite sénatoriale - qui s'est radicalisée, mais qui connait son affaire. S'ils sont satisfaits de la rédaction de l'article 4 bis, cela démontre bien que vous avez complètement cédé et renoncé à atteindre un point d'équilibre. On perçoit bien le volet brutal du texte, mais plus du tout son volet humaniste et destiné à favoriser l'intégration. On ne peut pas traiter sur le même plan la fermeté, qui est une attitude, et l'humanisme, qui est une valeur. La politique consiste à faire des choix, parfois binaires. On est humain ou on est inhumain. Vous avez choisi l'inhumanité.

Encore une fois, ce n'est pas mon analyse, c'est celle de LR et de ceux qui écrivent ce texte - et dont la majorité n'est plus que le greffier scrupuleux. Cette majorité n'a même pas réussi à conserver la petite poire pour la soif que constituait l'article 3, et elle est contrainte de digérer avec la droite tout un repas funeste.

M. Sacha Houlié, président. Compte tenu de l'heure qui avance, si vous continuez à être déraisonnables je serais obligé de limiter les temps de parole.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Je remercie Philippe Bonnecarrère pour son rappel clair des faits et de l'histoire des débats parlementaires en matière de régularisation.

L'article 3 ou l'article 4 bis ont été très souvent caricaturés depuis le début de l'examen de ce texte. Il n'a jamais été question de favoriser un appel d'air ni de prévoir un article insignifiant. Cet article a toujours concerné une catégorie précisément définie : des travailleurs en situation irrégulière exerçant un métier en tension, dont la liste est connue. Il a toujours été dit - et cela figure dans l'étude d'impact - que cette mesure ne concernait que 7 000 personnes en 2022 et 10 000 personnes en moyenne. On est loin de la submersion.

Parce que les députés de la NUPES, notamment, ont adopté une motion de rejet la semaine dernière, nous sommes dans la situation que nous connaissons et nous sommes obligés de discuter de nouveau de ces dispositions.

Il s'agit bien d'un texte de compromis.

M. Boris Vallaud, député. - De compromission.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Je le dis très clairement : le groupe Renaissance n'aurait jamais accepté un texte qui n'aurait pas comporté un dispositif de régularisation. Pas plus qu'un texte prévoyant un dispositif de régularisation qui laisse le travailleur à la merci de l'employeur.

La rédaction qui nous est présentée respecte ces deux conditions, qui figuraient dès le départ dans le texte du Gouvernement. C'est la raison pour laquelle notre groupe votera en faveur de la proposition de rédaction des rapporteurs.

Mme Danièle Obono, députée. - Ce serait drôle si ce n'était pas aussi dramatique. Quelle hypocrisie, y compris de la part du Rassemblement national avec ce que nous appelons pour notre part l'amendement de Fournas. La présence de clandestins ne pose pas de problèmes aux députés du RN, car cela alimente leur fonds de commerce politique, mais aussi professionnel. Il est de leur intérêt que ces personnes restent vulnérables et précaires pour pouvoir d'autant plus les exploiter.

Quel témoignage éclatant du comportement de ce courant politique ! Les mots pour le définir finissent par me manquer. Tout comme ils me manquent pour qualifier la compromission totale de la Macronie.

Tout le monde, y compris le rapporteur du Sénat, reconnaît que ces personnes sans papiers travaillent et jouent un rôle essentiel pour le fonctionnement de la société. Pendant la crise du covid, une bonne partie des soignants et de tous ceux dont le travail nous a littéralement permis de survivre étaient sans papiers, et ils étaient applaudis par tout le pays.

Les représentants des personnels soignants que nous avons entendus ne voient pas leurs revendications aboutir dans ce texte, alors qu'ils se trouvent parfois dans des situations abracadabrantesques. Leur concours est pourtant essentiel pour assurer la survie de l'hôpital public, dont la situation est très difficile en raison de vos politiques libérales.

C'est précisément parce que ces personnes jouent un rôle essentiel dans la société qu'il est nécessaire pour vous de pouvoir les exploiter. On nous reproche parfois de caricaturer, mais nous n'en avons pas besoin : ce que vous proposez est une caricature pure est simple de la surexploitation de travailleurs dont vous reconnaissez vous-mêmes qu'ils sont essentiels au fonctionnement du pays.

Les députés macronistes sont devenus une caricature de ce qu'il y a de pire en politique. Vous avez vendu le peu de principes que vous aviez. Et on se demande bien ce que vous y gagnez, ne serait-ce que de manière purement politicienne ? Il vous reste un peu plus de trois ans de mandat. Croyez-vous qu'en faisant passer par-dessus bord un certain nombre d'idées qui vous ont conduit en politique vous allez convaincre des électeurs du RN, abreuvés depuis des années par tous les fantasmes et les horreurs diffusés par ce parti ? Croyez-vous que vous allez attirer ce qu'il reste des électeurs LR et convaincre les électeurs dits de gauche que vous saurez faire barrage à l'extrême droite ?

Il est presque fascinant de voir des hommes et femmes politiques qui disent s'être engagés pour défendre des idées couler à pic. C'est le cas des députés des groupes Renaissance, mais aussi de ceux de LR. Vous pouvez penser que la droite Pasqua est de retour. Je pense plutôt que vous composez l'oraison funèbre d'une certaine droite. C'est déplorable, quels que soient les désaccords politiques profonds que nous avons avec vous. En vérité, vous signez la fin de votre courant politique, coincés entre la Macronie ultradroitisée et l'extrême droite que vous avez légitimée.

M. Florent Boudié, rapporteur. - Chers collègues de la Mélenchonie, croyez-vous sérieusement qu'imposer par un bras de fer dans une loi une voie nouvelle de régularisation pour les travailleurs sans papiers revient à faire un clin d'oeil à l'extrême droite ? C'est exactement l'inverse - et vous le savez très bien, par-delà des postures politiciennes qui peuvent se comprendre mais qui sont parfois totalement ridicules.

Revenons sur le fond, ce qui sera beaucoup plus intéressant. Nous souhaitions que la demande de régularisation ne passe plus par l'employeur, car il existe effectivement des liens de subordination, mais aussi parfois même des situations d'exploitation voire d'esclavagisme moderne. Tel sera bien le cas avec l'article 4 bis. Bien sûr, l'employeur fera l'objet de contrôles de la part des autorités administratives, afin de vérifier combien de personnes en situation irrégulière sont employées et dans quelles conditions de travail et salariales.

Contrairement à ce qui vient d'être dit par ma collègue de la Mélenchonie, cette disposition vise précisément à sortir de l'illégalité et de la subordination à leur employeur un certain nombre de travailleurs qui subissent cette situation, parfois dans des conditions tout à fait inacceptables.

J'ajoute que le texte prévoit aussi de lutter contre les conditions indignes d'hébergement et contre les passeurs. Notre objectif est en effet de mettre fin à l'écosystème dans lequel sont plongées à leurs dépens un certain nombre de personnes en situation irrégulière.

Je ne partage pas l'analyse du président Retailleau : ce dispositif vient s'ajouter à la circulaire Valls, il ne la remplace pas. Cette circulaire permet de régulariser pour trois motifs : des raisons exceptionnelles et humanitaires ; la vie privée et familiale ; l'admission au séjour au titre du travail.

Les conditions proposées par l'article 4 bis sont-elles plus strictes que celles de la circulaire Valls ? La réponse est non. Cette circulaire permet de régulariser des personnes qui résident en France de façon continue depuis cinq ans, alors que l'article 4 bis prévoit une durée de trois ans. La circulaire Valls prévoit cinq ans de travail consécutif au cours des cinq années de résidence. Les conditions sont même moins strictes puisque, dans quelques cas particuliers, la circulaire Valls prévoit une durée de résidence de trois ans et une durée de travail de vingt-quatre mois, alors que le dispositif proposé par cet article en prévoit douze.

Mettre fin au lien de subordination entre employeur et employé était essentiel, de même que s'adapter aux réalités des métiers en tension. Je rappelle encore une fois que les dispositions proposées sont plus souples que celles de la circulaire Valls du 28 novembre 2012.

Nous divergions sur un point s'agissant de la procédure de régularisation, mais nous avons assumé cette divergence de manière transparente. Rien n'est opaque. Nous souhaitions pour notre part instaurer un droit automatique à la régularisation, que le préfet pourrait suspendre. Nos collègues sénateurs souhaitaient un traitement au cas par cas. Nous avons fusionné nos propositions : le préfet analysera les dossiers au cas par cas, ces derniers étant déposés de manière autonome par le demandeur. L'article précise les cas dans lesquels un document de séjour pourra être refusé s'il y a des doutes sur le demandeur, notamment liés à des agissements qui seraient contraires aux principes de la République.

Mme de La Gontrie a relevé qu'un étranger ne pourrait pas être régularisé s'il a fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire - ce qui inclut la déchéance de l'autorité parentale. Heureusement, madame. Le retrait de l'autorité parentale ne peut être décidé par le juge - et non par l'autorité administrative - que pour des motifs particulièrement graves, tels que des crimes ou des délits, comme par exemple la mise en danger de l'enfant.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Et pour défaut de paiement de pension !

M. Florent Boudié, rapporteur. - Par-delà les besoins liés aux métiers en tension, il faut bien sûr s'assurer que l'on peut faire confiance aux capacités d'intégration des personnes à qui l'on s'apprête à accorder un titre de séjour d'un an.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - J'ai bien écouté M. Boudié, qui a tenté de nous expliquer que la rédaction de l'article 4 bis permettait de retrouver l'équilibre initialement recherché, mais je n'ai toujours pas compris en quoi c'était le cas. De fait, le problème est que vous ne cherchez pas à aboutir à un texte équilibré mais à en faire adopter un par cette CMP, et ce quel qu'en soit le contenu.

Les propos tenus par M. Retailleau ce matin sur Public Sénat avaient le mérite de la clarté. Il assumait clairement que son objectif n'était pas de trouver un équilibre mais de faire baisser drastiquement l'immigration. Au moins sait-on à quoi s'en tenir. Et vous avez accédé à toutes ses demandes !

Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie dans le gouvernement que vous soutenez, a rappelé il y a quelques semaines que la France aura besoin de 100 000 à 200 000 travailleurs étrangers pour faire fonctionner notre industrie. La version originale de l'article 3 faisait un petit pas dans la bonne direction. Mais elle ne suffisait pas et ne permettait pas de mener la véritable politique d'immigration économique dont avons besoin pour maintenir notre rang mondial.

La nouvelle version de l'article 3 qui nous est proposée est extrêmement limitée. Il n'est plus question de droit opposable sur des bases claires : on confie un pouvoir discrétionnaire au préfet alors que les préfectures sont déjà surchargées de travail et ont du mal à remplir leurs missions. Les parcours de régularisation sont tellement kafkaïens qu'ils conduisent, du seul fait de la complexité des procédures administratives, à maintenir dans l'illégalité des gens qui pourraient être régularisés. Vous proposez de complexifier les parcours administratifs. Nous souhaitons, pour notre part, un dispositif simple et clair.

M. Ian Brossat, sénateur. - Le Rassemblement national prétend que la régularisation des étrangers en situation irrégulière serait très injuste pour ceux qui se trouvent en situation régulière. Pourtant, il souhaite, à l'instar des macronistes et de la droite, supprimer le versement des allocations familiales et des aides personnelles au logement (APL) aux étrangers en situation régulière. Quelle hypocrisie !

Les dispositions prévues étaient une vitrine visant à faire croire que le texte était équilibré. Toutefois, l'article 4 bis est tellement en recul par rapport à l'article 3 initial qu'il ne peut faire oublier tout le reste.

Un député macroniste du Bas-Rhin vient d'ailleurs d'affirmer, sur CNews, que le pays était en train de sortir du consensus immigrationniste. Non seulement vous reprenez à votre compte des mesures du Rassemblement national mais vous employez ses mots !

M. Guy Benarroche, sénateur. - Comme cela a été très bien montré, cet article ne permettrait en rien de régulariser des travailleurs. Le Rassemblement national, qui craint pour son fonds de commerce, essaie de présenter cette disposition comme permettant une régularisation massive, ce qu'elle n'est pas et n'a jamais été. Certes, un certain nombre de membres du groupe Renaissance soutenaient l'idée d'une régularisation importante de travailleurs pour des motifs humanistes et économiques. Ce groupe ne disposant cependant pas d'une ligne politique cohérente, tout peut être remis en cause par calcul ou sous l'effet de pressions. Le ministre avait d'ailleurs envisagé de présenter deux textes. La faiblesse de ce groupe le conduit à accepter des mesures qui ne résoudront pas le problème de l'accueil des migrants dans notre pays.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - L'article 3 du projet de loi initial était très ambitieux et innovant, puisqu'il avait pour objet de régulariser automatiquement les personnes travaillant dans les métiers en tension. Cette disposition n'a pas été examinée par la commission des lois du Sénat. Elle a été adoptée en séance, au Sénat, sous une forme qui permettait son vote par une majorité de sénateurs. Le rapporteur général a ensuite présenté un nouveau dispositif devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Une majorité de députés, que je qualifierais de négative, a souhaité que nous n'examinions pas le texte en séance : on ne peut pas nous en faire reproche. Nous examinons à présent une disposition qui n'est pas aussi ambitieuse qu'elle l'était à l'origine, mais qui constitue, à tout le moins, un dispositif de régularisation, qui s'ajoute au dispositif existant. Nous avons la volonté de permettre aux salariés de présenter leur demande. Ayons conscience qu'un certain nombre de personnes sont en situation irrégulière sans l'avoir souhaité. Cet article constitue une avancée limitée mais nécessaire.

La proposition de rédaction de Mme Andrée Taurinya n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 4 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 4 ter

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'actualiser annuellement la liste des métiers en tension.

L'article 4 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 5

M. Bonnecarrère s'absente pendant l'examen de l'article 5.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article vise à conditionner l'accès au statut d'entrepreneur individuel à la régularité du séjour.

L'article 5 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 6

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article a trait à la fusion des titres « passeport talent » et à la simplification de leur dénomination.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet.

M. Yoann Gillet, député. - Cet article est purement cosmétique. Il devrait plutôt renforcer la conditionnalité de la délivrance du titre de séjour aux entrepreneurs. L'attribution d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « talent - porteur de projet » devrait être plus stricte afin de protéger les talents et porteurs de projets français. Il serait opportun d'ajouter une condition de ressources personnelles suffisantes pour la délivrance de la carte de séjour. Nous proposons que le ministre de l'économie dresse une liste des secteurs dans lesquels la France souhaite que des étrangers viennent investir notamment pour ne pas concurrencer les entrepreneurs français.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 6 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 7

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit que les médecins étrangers ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances obligatoires en France se voient attribuer une carte de séjour pluriannuelle.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet.

M. Yoann Gillet, député. - Nous ne sommes pas opposés à ce dispositif, car l'échec des gouvernements successifs en matière d'accès aux soins conduit à recourir à une main-d'oeuvre étrangère notamment dans les territoires ruraux. Cela étant, pour ne pas vider les pays étrangers de leurs élites médicales et former nos professionnels de santé en France, nous proposons de limiter le dispositif à cinq ans.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 7 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 7 bis

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article double la durée du sursis à la célébration du mariage prononcé par le procureur de la République lorsqu'il suspecte un mariage frauduleux. Il prévoit en outre que le sursis est réputé en l'absence de réponse.

L'article 7 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 7 ter

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit une condition d'absence de lien avec la famille restée dans le pays d'origine pour délivrer à sa majorité un titre de séjour à un mineur non accompagné (MNA) précédemment pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE).

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - La commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé cette disposition à l'initiative du rapporteur, du président Houlié et des députés MoDem, au motif que c'était la nature des liens qui importait. Il est regrettable que vous ayez changé d'avis.

L'article 7 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 8

Proposition de rédaction des rapporteurs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article prévoit de sanctionner d'une amende administrative les employeurs étrangers qui ne détiennent pas un titre les autorisant à travailler. Nous proposons quelques modifications relatives notamment aux frais d'éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière pris en compte pour fixer le montant de l'amende. Nous proposons également de modifier la dénomination de ces contributions.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 8 bis (supprimé)

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons avec les autres rapporteurs de supprimer l'article 8 bis.

L'article 8 bis est supprimé.

Article 9

Proposition de rédaction des rapporteurs.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'assouplir le régime de protection contre l'expulsion et la peine d'interdiction du territoire français. Nous avons apporté quelques modifications à titre de coordination.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - En octobre 2022, Emmanuel Macron annonçait un objectif d'exécution des OQTF -obligations de quitter le territoire français - de 100 %. Plus d'un an après, les Français subissent toujours la violence de l'immigration clandestine.

Cet article va dans le bon sens, mais nous proposons d'aller plus loin en imposant à l'autorité administrative d'expulser tout étranger dont la présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public. Nous demandons la suppression du statut protecteur dont bénéficient certains étrangers, afin de faciliter leur expulsion. Si un étranger a été condamné définitivement pour un crime ou un délit puni d'une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement, il faut considérer qu'il constitue une menace grave pour l'ordre public. Il est aussi nécessaire de durcir le régime de l'interdiction du territoire, qui doit s'appliquer de façon permanente à ceux qui ont commis un crime, et pour dix ans à ceux qui ont commis un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans. Enfin, nous proposons d'assouplir la protection dont bénéficient certains étrangers contre le prononcé d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire, en supprimant la motivation spéciale du jugement.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 9 bis

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de mieux articuler la sortie de détention et l'éloignement de l'étranger.

L'article 9 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 10

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'assouplir le régime de protection contre les OQTF.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Nous contestons la limitation des possibilités d'éloigner l'étranger qui fait l'objet d'une OQTF. Les chiffres sont éloquents : le taux d'exécution des OQTF était de 6,9 % au premier semestre 2022 ; le nombre de migrants irréguliers sur le sol français en 2021 était de l'ordre de 600 000 à 700 000 selon le ministère de l'intérieur, voire de 900 000 selon certaines données. Depuis cinq ans, M. Macron promet l'exécution des OQTF, mais rien ne vient.

Nous proposons donc de supprimer les exigences de vérifications complémentaires, qui paralyseraient l'action de l'administration. La décision d'OQTF est motivée, ce qui constitue une garantie suffisante.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 10 bis (supprimé)

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons de supprimer cet article pour déplacer ses dispositions au sein de l'article 18.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Dans un entretien accordé au Journal du dimanche en août 2022, le ministre de l'intérieur affirmait qu'« un étranger qui commet un acte de délinquance grave doit être expulsé très vite parce qu'il crache sur le sol qui l'accueille ». Le Rassemblement national considère que tout étranger qui constitue une menace pour l'ordre public doit être expulsé : la France subit assez de délinquance et de criminalité pour ne pas supporter celle d'une population étrangère. Je rappelle qu'alors que les étrangers représentent environ 10 % de la population, 24 % des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires et 16 % des personnes condamnées sont étrangères. Selon le ministère de l'intérieur, 48 % des personnes interpellées à Paris sont étrangères ; c'est 55 % de celles à Marseille et 39 % à Lyon. Ces chiffres sont incontestables.

De plus, 88 % des Français sont favorables à la simplification de l'expulsion des étrangers en situation irrégulière en cas de non-respect des principes de la République. Nous devons nous débarrasser de ces étrangers criminels qui coûtent cher aux finances publiques et nuisent à la sûreté des Français, donc à leur qualité de vie.

Nous voterons pour cet article, même s'il ne va pas assez loin. Nous proposons que le réexamen des motifs de la décision d'interdiction de retour ne se fasse que sur la demande de l'intéressé, car l'automaticité du réexamen représente une charge de travail disproportionnée pour l'administration.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

L'article 10 bis est supprimé.

Article 11

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de simplifier la procédure de relevé d'empreintes sans consentement.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Nous sommes confrontés à une vague migratoire toujours plus massive. L'identification est indispensable pour lutter contre l'immigration, car elle permet d'obtenir des informations sur le parcours de l'étranger avant son entrée en France ; c'est une question de sécurité. Les forces de l'ordre doivent pouvoir procéder aux contrôles nécessaires, donc relever les empreintes digitales et prendre la photographie. Or, l'article prévoit qu'en cas de refus, il faudra demander l'autorisation du procureur de la République, en présence de l'avocat de l'étranger. Ces exigences compliquent considérablement une procédure qui doit rester banale. Ne perdons pas de vue la seule priorité qui vaille : protéger les Français.

Nous proposons que le procureur soit seulement informé et que la présence de l'avocat ne soit pas nécessaire, le recours à la coercition étant pertinent au titre du contrôle des frontières.

Nous voterons cet article.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Vous parlez de simplification des procédures, mais la suppression de la présence de l'avocat constitue une atteinte aux droits fondamentaux ; toute personne a le droit d'être défendue.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 11 ter

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article 11 ter prévoit la création d'un fichier relatif aux personnes se déclarant mineures impliquées dans des infractions à la loi pénale.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Cette mesure est propre à faciliter la lutte contre les mineurs non accompagnés (MNA), dont le nombre a explosé - beaucoup n'étant d'ailleurs en réalité pas mineurs. Les MNA sont surreprésentés dans la délinquance : en 2020, ils représentaient 80 % des mineurs déférés à Paris ; ils étaient impliqués dans 30 % des cambriolages, 44 % des vols à la titre et 32 % des vols avec violence, selon le parquet de Paris lui-même.

Nous voterons cet article. Toutefois, le dispositif de l'alinéa 4 alourdit de manière injustifiée la procédure de conservation des données personnelles. Or celles-ci servent à la manifestation de la vérité dans le cadre d'enquêtes pénales. Nous proposons de supprimer ce critère.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

L'article 11 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 12

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Vous avez souhaité l'interdiction de la présence de mineurs dans les centres de rétention administrative (CRA). C'est à peu près la pratique actuelle du Gouvernement ; la mesure proposée ici est un peu plus large, puisque l'interdiction court jusqu'à l'âge de 18 ans et non plus 16 ans.

L'Assemblée nationale a souhaité, en commission des lois, qu'un mineur ne puisse être placé ni en CRA ni dans un local de rétention administrative (LRA). C'est un point sur lequel nous étions en désaccord : en écartant la possibilité de placer un mineur en LRA, vous privez la puissance publique de la possibilité d'éloigner une famille où le père et la mère auraient un comportement fortement délinquant, mais seraient accompagnés d'enfants mineurs.

Nous comprenons que ce sujet est essentiel à vos yeux, et les compromis se font dans les deux sens. La majorité sénatoriale a accepté la proposition des rapporteurs de l'Assemblée nationale : il n'y aura plus de mineurs, ni en CRA ni en LRA. Nous appelons toutefois l'attention du Gouvernement sur le fait qu'il devra utiliser l'assignation à résidence de façon très précise. Sa tâche ne sera pas facile.

Mme Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je me réjouis que nous ayons réussi à vous convaincre sur deux points : pas de mineurs de 18 ans en rétention, pas de mineurs ni en CRA ni en LRA.

Propositions de rédaction de Mme Andrée Taurinya

Mme Danièle Obono, députée. - Nous partageons l'esprit de ce qui vient d'être présenté. Nous voudrions être sûrs que cette interdiction concerne non seulement les CRA mais aussi l'ensemble des lieux de rétention, qui sont des espaces généralement improvisés à la frontière et qui ne permettent pas de protéger les mineurs de la promiscuité ni de l'insalubrité, fréquente.

Nous souhaitons aussi que l'interdiction concerne tous les mineurs jusqu'à 18 ans.

L'interdiction de rétention doit s'étendre aux parents.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

Mme Edwige Diaz, députée. - Nous proposons de supprimer les alinéas 3 à 6, qui visent à interdire le placement en CRA d'un étranger accompagné d'un mineur de seize ans. Cette règle ne se justifie pas et elle empêche un réel contrôle de l'immigration. Le placement en rétention, si les centres sont correctement aménagés, n'est pas incompatible avec la présence de mineurs et de ceux qui les accompagnent.

Nous lisons les journaux locaux dans nos circonscriptions, et nous y voyons trop souvent que des mamies ont été agressées par des jeunes de 16 à 18 ans, étrangers clandestins, que des jeunes filles se font violer, que des magasins sont braqués. La rubrique des faits divers montre l'existence d'une délinquance due aux clandestins. Nous proposons donc de durcir les règles de placement en rétention des mineurs.

Les propositions de rédaction de Mme Taurinya et celle de M. Gillet ne sont pas adoptées.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 12 bis A

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons d'introduire une précision relative au délai de l'assignation à résidence pour assurer l'éloignement.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

Mme Edwige Diaz, députée. - Dès lors qu'un étranger est entré illégalement en France, il a débuté son processus de demande d'asile par un mépris de notre droit. Le texte prévoit que le risque de fuite n'est pas constitué si l'étranger dépose une demande d'asile dans les quatre-vingt-dix jours à compter de son entrée en France ; nous proposons d'abaisser ce délai à sept jours, en attendant que rentre en vigueur la mesure proposée par le Rassemblement national, aux termes de laquelle une demande d'asile devrait pouvoir être déposée uniquement à l'étranger, dans les ambassades ou consulats français.

Plusieurs drames rappellent qu'il est urgent d'imposer un contrôle renforcé aux demandeurs d'asile qui présentent une menace pour l'ordre public : la décapitation de Samuel Paty par un réfugié tchétchène, l'incendie de la cathédrale de Nantes puis le meurtre d'un prêtre par un débouté rwandais du droit d'asile, le meurtre de trois étudiants par un demandeur d'asile soudanais à Angers, l'attaque au couteau de six personnes, dont quatre enfants en bas âge, par un demandeur d'asile syrien à Annecy.

Cet article permettrait néanmoins de conserver un contrôle efficace des demandeurs d'asile qui présentent une menace pour l'ordre public : nous voterons donc pour.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 12 bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 12 bis B

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de porter de un à trois ans la durée de l'assignation à résidence de longue durée en cas d'impossibilité de quitter le territoire français.

L'article 12 bis B est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 12 bis C

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'aménager les délais entre deux placements en rétention.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

Mme Edwige Diaz, députée. - Cet article permet à l'autorité administrative d'intervenir plus rapidement lorsqu'une circonstance nouvelle de fait ou de droit justifie de placer à nouveau en rétention un étranger qui vient de sortir d'un CRA. Nous proposons de réduire également le délai entre deux placements en rétention lorsque l'étranger n'a pas respecté les mesures de surveillance dont il faisait l'objet.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Même si le déroulement d'une CMP obéit à peu de règles écrites, il est essentiel de maintenir une symétrie parfaite entre les effectifs de l'Assemblée nationale et ceux du Sénat. Or Mme Jourda s'est absentée.

M. Sacha Houlié, député, président. - N'ayez crainte, l'équilibre est parfaitement respecté : j'y veille.

La proposition de rédaction est rejetée.

L'article 12 bis C est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 12 bis

Mme Annie Genevard, députée. - Cet article soulève un problème majeur. Tous les départements de France font état d'immenses difficultés dans la gestion des mineurs non accompagnés, dont le nombre de cesse de croître. Il faut absolument les soutenir et ne pas les obliger à accorder un contrat jeune majeur à des étrangers qui font l'objet d'une OQTF. Les départements attendent que nous légiférions sur cette question.

M. Boris Vallaud, député. - Je signale qu'en commission des lois, le rapporteur et le Modem avaient déposé des amendements de suppression de cet article. Je constate que, sur ce point aussi, ils ont changé d'avis.

L'article 12 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 12 ter

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de créer un cahier des charges national pour l'évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés. Ce cahier des charges devra être défini en concertation avec les départements. Le débat que nous avons avec l'Assemblée des départements de France porte sur le niveau de cette concertation.

L'article 12 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 13

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Sur cet article important, deux éléments ont fait l'objet de longues discussions entre les rapporteurs de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Premièrement, la majorité sénatoriale souhaitait introduire un mécanisme dit de compétence liée entre la constatation du non-respect du contrat d'engagement au respect des principes de la République et les conséquences qui en étaient tirées sur le titre de séjour de l'étranger, mais ce n'est pas la solution qui a été retenue.

L'autre point de discussion concernait les mots « le cas échéant », à l'alinéa 10. Le trouble à l'ordre public reste dans le texte proposé une condition nécessaire, et non facultative, pour caractériser le manquement au contrat d'engagement.

Nous avons vraiment veillé à la constitutionnalité de cet article, comme à celle de l'article 9.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - C'est un article important, auquel nous tenions, comme le Sénat. Ce dernier l'a d'ailleurs enrichi en y ajoutant le contrat d'engagement au respect des principes de la République. En commission des lois, nous étions revenus sur la compétence liée, afin de garantir la constitutionnalité du dispositif, et avions insisté pour que le trouble à l'ordre public soit un élément permettant de caractériser le manquement au contrat d'engagement.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Cet article requiert la souscription par tout étranger qui sollicite un document de séjour à un contrat d'engagement au respect des principes de la République. Nous avons déjà entendu cela en 2021, lorsque vous avez essayé de nous faire croire que vous feriez preuve de fermeté à l'encontre de ceux qui veulent déstabiliser notre société. Or nous avons constaté votre échec : les atteintes à la laïcité ont explosé, que ce soit dans l'espace public, à l'école, au travail, dans les collectivités territoriales, dans les associations et même sur les listes communautaristes aux élections.

L'article ne changera pas grand-chose à la situation, tant elle est grave. Il ne fera trembler ni les délinquants, ni les islamistes. La mention « régissant les relations entre les services publics et les particuliers », à l'alinéa 7, nous semble trop restrictive et nous demandons sa suppression. Par ailleurs, nous souhaitons repréciser que l'octroi d'une carte de séjour pluriannuelle ne peut bénéficier à un étranger qui a manifesté un rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet est rejetée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 13 bis (supprimé)
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Les dispositions de l'article 13 bis sont déplacées au titre VI. Il est donc proposé de le supprimer.

L'article 13 bis est supprimé.

Article 14 A

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons essayé de trouver une rédaction équilibrée, en disant d'une part que nous serons attentifs, pour l'attribution des visas, à la délivrance par les pays étrangers de laissez-passer consulaires, et que nous tiendrons compte, dans notre aide au développement, de la politique migratoire des pays concernés.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - En matière d'aide publique au développement, le Gouvernement avait annoncé qu'il s'efforcerait d'atteindre 0,7 % du revenu national brut en 2025, soit 22 milliards par an. En contrepartie de cet effort financier considérable, il est légitime de demander aux pays aidés de reprendre l'ensemble de leurs ressortissants résidant illégalement en France.

Au premier trimestre 2022, seuls 6,9 % des OQTF étaient exécutés, en partie du fait du refus de certains pays de délivrer les laissez-passer consulaires. Or Marine Le Pen propose depuis longtemps de conditionner l'octroi de visas à la délivrance de ces laissez-passer.

Nous voterons donc pour cet article. Nous proposons toutefois d'élargir son champ d'application et de conditionner de manière stricte l'octroi de visas et le bénéfice de l'aide publique au développement aux réponses obtenues en matière de laissez-passer consulaires. C'est aussi une manière pour la France de se faire respecter à l'international.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Cet article a tout faux. S'agissant des laissez-passer consulaires, le Gouvernement a déjà essayé d'appliquer cette mesure aux pays du Maghreb en septembre 2021 et il a dû l'abandonner dès le printemps 2022. L'ambassadeur de France au Maroc a dit il y a peu que c'était du gâchis : cela n'a rien changé, mais cela a dégradé nos relations avec ces pays.

Quant à l'aide au développement, on ne peut pas dire à la fois qu'il faut que les gens restent dans leur pays et ne pas aider ces pays à se développer.

M. Ian Brossat, sénateur. - Depuis le début, nous sommes quelques-uns à dire que ce qui provoque les migrations, ce n'est pas l'attractivité du pays d'accueil, mais la situation dans les pays de départ. Et, le seul moment où il est question d'aide au développement dans ce texte, c'est pour la restreindre !

M. Boris Vallaud, député. - Les migrations sont un phénomène mondial, qui appelle une régulation mondiale, ou au moins européenne. S'agissant des reconduites à la frontière, les Européens doivent avoir un débat collectif avec les pays d'Afrique, du Proche-Orient et du Moyen-Orient.

M. Guy Benarroche, sénateur. - Il aurait fallu que la loi traite la question des migrations en France, en Europe et dans le monde en prenant en compte la réalité et en abandonnant la fable selon laquelle nous allons mettre fin aux flux migratoires. Ils vont se poursuivre, et même s'amplifier, avec les crises climatiques, économiques et géopolitiques.

L'idée de lier l'aide publique au développement au nombre de personnes que nous pourrons renvoyer dans leur pays est totalement absurde et sera contre-productive. Je m'étonne que cet article, qui a été supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale, réapparaisse ici. Je ne vois pas comment on peut le justifier.

Mme Annie Genevard, députée. - Je rappelle que la France est le cinquième pays contributeur de l'aide publique au développement, avec 16 milliards. Cet engagement important doit être assorti de conditions. C'est précisément l'objet de cet article et je me réjouis d'ailleurs que l'on y ait ajouté les visas diplomatiques, afin de faire pression sur les pays concernés pour qu'ils reprennent leurs ressortissants.

L'État peut prononcer de plus en plus d'OQTF, mais si nous ne sommes pas capables de les rendre effectives, ce ne sera que de l'affichage. Il faut absolument utiliser tous les moyens à notre disposition, à la fois diplomatiques et coercitifs, pour améliorer le rendement des OQTF.

La proposition de rédaction de Yoann Gillet est rejetée.

La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 14 A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 14 B

L'article 14 B est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 14 C

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'étendre la durée maximale d'assignation à résidence d'un étranger faisant l'objet d'une OQTF et de lui en faire assumer les frais, s'il en a les moyens.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - C'est une vraie fuite en avant ! L'exécution d'une OQTF intervient dans les premiers jours voire dans les premières semaines ; ensuite, ça ne marche pas. Vous voulez très clairement limiter la liberté d'aller et venir des uns et des autres mais nous saisirons le Conseil constitutionnel, car cette mesure d'affichage n'a aucune utilité.

L'article 14 C est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 14 D

L'article 14 D est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 14 E

L'article 14 E est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 14 F

L'article 14 F est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 14 G (supprimé)

L'article 14 G est supprimé.

Article 14

L'article 14 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 15

L'article 15 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 15 bis

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Le simple dépôt d'une plainte ne permet nullement de présumer de la réalité d'une infraction. La délivrance d'un titre de séjour temporaire pendant toute la durée de la procédure pénale apparaît donc injustifiée et créera inévitablement un terrain favorable à la fraude de la part d'étrangers en situation irrégulière. Une telle disposition fait prendre un risque à notre territoire. Tout doit être fait pour empêcher l'accueil et le maintien sur le territoire d'un étranger potentiellement dangereux pour l'ordre public.

M. Ian Brossat, sénateur. - Cet article est issu d'un amendement de bon sens introduit au Sénat. Il part d'un constat : les procédures contre les marchands de sommeil sont souvent très compliquées, parce que dans 40 % des cas les victimes n'ont pas de papiers. Dès lors, elles ne peuvent pas être relogées dans un logement social et des communes exproprient un marchand de sommeil sans pouvoir faire les travaux de l'immeuble concerné, étant donné qu'il continue d'être occupé. C'est un amendement pragmatique et humaniste. Les victimes de marchands de sommeil doivent pouvoir bénéficier d'une vie un peu plus digne. Il n'est pas exorbitant de leur permettre d'accéder, après ce qu'elles ont vécu, à des papiers et à un logement digne.

Mme Annie Genevard, députée. - En découvrant cet article, ma première réaction a été de m'y opposer, parce que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude : le fait d'être en situation irrégulière ne devrait pas donner droit à un titre de séjour. Si M. le rapporteur général et M. le ministre de l'intérieur m'ont expliqué que c'était le seul moyen de débusquer les marchands de sommeil, je reste très perplexe. Que se passera-t-il après un an ? La personne sera-t-elle considérée de nouveau comme irrégulière ? Aura-t-elle un titre définitif ? Deuxième problème, qui était apparu dans la loi contre les squats : certains organisent l'insalubrité de leur propre logement afin d'exiger des travaux du propriétaire. M. Brossat pourrait-il m'éclairer ?

Mme Andrée Taurinya, députée. - Comment pouvez-vous tenir des propos aussi inhumains ? Les LR et le Rassemblement national ont le même discours. Et c'est la Macronie qui rend cela possible !

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 15 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 16

L'article 16 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 16 bis A

L'article 16 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 16 bis

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons une précision à l'alinéa 7.

L'article 16 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 17

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons aménagé plusieurs éléments afin de faciliter la procédure de visite sommaire des véhicules particuliers par les officiers de police judiciaire en zone frontalière.

Proposition de rédaction de Mme Annie Genevard

Mme Annie Genevard, députée. - Ma proposition vise à étendre le champ d'application de la visite des véhicules aux ports et aux aéroports, qui constituent des points de passage frontaliers, ainsi que dans un rayon de 10 kilomètres autour de ces infrastructures.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Nous voterons en faveur de cet article, qui offre de nouvelles possibilités à nos forces de l'ordre et vient lutter contre l'immigration illégale. Il est toutefois nécessaire de donner ces mêmes moyens de contrôle des véhicules aux agents de la sûreté ferroviaire (Suge) et de la SNCF, afin de mener des contrôles d'identité. En 2022, près de 80 migrants ont été interpellés par la police nationale à Mulhouse, dans un train en provenance de Bâle. Avec l'ouverture totale des frontières, le train est devenu un moyen de circulation prisé par les migrants pour se rendre en France. Or, du fait de leurs nombreuses autres missions et de leur manque d'effectifs, les forces de l'ordre traditionnelles ne sont pas en mesure d'assurer la sécurité dans les transports ferroviaires. En 2021, 5 330 actes de violences verbales ou physiques, soit 14 actes par jour, ont été commis contre les agents de la SNCF. Les agents de la sûreté ferroviaire et de la SNCF sont des acteurs essentiels de la sécurité dans les gares : ils doivent avoir les capacités juridiques de procéder à de tels contrôles.

La proposition de rédaction des rapporteurs et la proposition de rédaction de Mme Annie Genevard sont adoptées.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

L'article 17 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 18

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article étend la durée maximale de l'interdiction de retour sur le territoire français à 5 ans voire à 10 ans dans certains cas et prévoit également les conditions de son réexamen. Nous proposons quelques modifications.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 18 bis

L'article 18 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 19

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat avait souhaité que les pôles territoriaux « France asile » relèvent d'une expérimentation. Après discussion entre rapporteurs, nous sommes convenus que la progressivité de leur installation valait expérimentation.

Proposition de rédaction de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet, député. - Pour lutter contre l'immigration, il faut commencer par arrêter de créer de nouveaux organismes de recours, dans la mesure où cela conduit à faire exploser le volume de contentieux des étrangers. En 2019, ce dernier a représenté 20 % de l'ensemble des affaires enregistrées en Conseil d'État contre 13 % en 2014 ; plus de 41 % du contentieux total des tribunaux administratifs en 2021 ; 54 % de celui des cours administratives d'appel. Les affaires devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) sont passées de 29 000 à 59 000 entre 2009 et 2019. Plutôt que de traiter les conséquences de votre politique en multipliant les expérimentations et les recours, il faut se concentrer sur les causes du problème, en faisant procéder aux demandes d'asile auprès des autorités consulaires du pays d'origine ou du pays le plus proche.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet n'est pas adoptée.

L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 19 bis A

L'article 19 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 19 bis B

L'article 19 bis B est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 19 bis C

L'article 19 bis C est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 19 bis

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons une nouvelle rédaction mentionnant la référence au droit européen.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 19 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 19 ter A

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Je vous propose avec les autres rapporteurs une nouvelle rédaction, qui prévoit, en quelque sorte, une renationalisation du dispositif, puisque c'est l'État qui assure le service intégré d'accueil et d'orientation. L'étranger ne peut par ailleurs être hébergé au sein du dispositif que dans l'attente de son éloignement.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 19 ter A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 19 ter

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article vise à intégrer les places destinées à l'accueil des demandeurs d'asile dans le cadre de la loi SRU.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Cet article scandaleux avait été supprimé par la commission des lois de l'Assemblée nationale. On atteint le sommet de l'absurde en matière d'urbanisme ! La répartition territoriale de l'accueil est particulièrement déséquilibrée, puisque la majorité des centres d'hébergement sont dans le nord de Paris et en Seine-Saint-Denis. Il faudrait plutôt chercher à mieux les répartir.

L'article 19 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 19 quater

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Nous ajoutons une précision relative à l'Ofii.

L'article 19 quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 20

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article relativement long vise à réformer la Cour nationale du droit d'asile.

Proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Comme beaucoup, nous sommes très inquiets de la disparition de la collégialité à la CNDA.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Nous sommes favorables à la déconcentration de la CNDA mais elle ne doit pas servir de prétexte pour généraliser les procédures à juge unique. Pour accélérer et simplifier, nous risquerions d'attenter aux droits fondamentaux des demandeurs d'asile. En effet, le juge unique aurait la lourde responsabilité d'en débouter certains, donc de les renvoyer dans un pays où ils risquent la mort. Il faut conserver le principe de la collégialité.

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La procédure à juge unique a été introduite par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, dont Mme Sandrine Mazetier, députée de Paris, était la rapporteure. Elle aboutit au même taux de protection que la procédure collégiale. De plus, le juge pourra à tout moment choisir de revenir à la collégialité lorsque la complexité du dossier le justifiera.

Dans plus de 92 % des cas, les ressortissants afghans reçoivent une réponse favorable à leur demande de statut de réfugié. Quel est l'intérêt de recourir à la collégialité quand la protection, légitime, de la République est accordée d'avance ?

M. Guy Benarroche, sénateur. - Le juge unique était l'exception, il deviendra la règle ; la collégialité était la règle, elle sera l'exception.

Vous avancez que les décisions sont les mêmes quelle que soit la procédure. Pourtant, tous les syndicats de magistrats administratifs s'opposent à la réforme et leurs arguments sont très développés ; les personnels administratifs, les avocats et les représentants du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui sont au nombre des assesseurs, la dénoncent également. Rien ne vient justifier ce renversement de situation.

La proposition de rédaction n'est pas adoptée.

L'article 20 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 20 bis

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit la possibilité de suspendre la vidéo-audience à la CNDA, en cas de difficulté technique.

L'article 20 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 21

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons de retenir la rédaction du Sénat, à quelques corrections près. L'article 21 vise à simplifier le contentieux en prévoyant trois types de procédure au lieu de quatre, suivant les recommandations du rapport de M. François-Noël Buffet sur la question migratoire et de celui du Conseil d'État, « 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l'intérêt de tous », dit Stahl. Par ailleurs, lorsque les perspectives d'éloignement sont mal établies, nous ne voyons pas l'intérêt de faire travailler les magistrats administratifs dans l'urgence.

Proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - La généralisation de la vidéoconférence pour les audiences de contentieux administratif nous inquiète. Nous proposons d'en faire l'exception, afin de garantir la qualité de la défense. Même si des salles spécifiques sont prévues, l'avocat ne pourra pas être en même temps dans la salle d'audience avec le juge et avec son client.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Seul le manque de moyens justifie de telles mesures. Comme tous les services publics, la justice est en ruine ; plutôt que recruter, on cherche des palliatifs technologiques. Les personnes qui arrivent en France après un parcours de souffrance ont besoin d'avoir face à eux des personnes, non des écrans de vidéoconférence.

La proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 21 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 22

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Là aussi, il s'agit de simplifier.

L'article 22 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 23

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit également des simplifications. Il prévoit aussi le recours au contradictoire asymétrique dans le domaine spécifique du de la prévention contre le terrorisme.

L'article 23 est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 23 bis

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de mesures plus techniques, relatives au contentieux.

L'article 23 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 24

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - L'article concerne les modalités de comparution des étrangers devant le juge des libertés et de la détention (JLD) ; il prévoit une salle aménagée à proximité immédiate de la zone d'attente ou du lieu de rétention, sur le modèle du dispositif d'éloignement.

Proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - Comme à l'article 21, nous nous opposons à la généralisation des audiences en vidéoconférence.

La proposition de rédaction de Mme Marie-Pierre de La Gontrie n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 24 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 25

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'allonger les délais prévus pour statuer sur les requêtes aux fins de maintien en zone d'attente.

La proposition de rédaction de M. Yoann Gillet allongeant davantage ces délais n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 25 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 25 bis

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit de préciser que seules les atteintes substantielles portées aux droits des étrangers pourront entraîner la nullité de la procédure.

L'article 25 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 25 ter

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit d'une mesure technique ; l'article prévoit que l'appel interjeté contre une ordonnance de fin de rétention du JLD sera suspensif en cas de terrorisme.

L'article 25 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.

Article 26

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Dans le projet de loi initial, le titre VI prévoyait d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnances s'agissant des territoires ultramarins, qui nécessitent des adaptations normatives et des solutions propres. De nombreux parlementaires se sont opposés à cette distinction. Après un travail long et minutieux, accompli notamment par Olivier Serva, rapporteur du titre VI, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait complété les dispositions spécifiques aux outre-mer. Je remercie nos collègues sénateurs d'avoir accepté que nous vous soumettions le titre VI ainsi rédigé. Ce sera très apprécié des parlementaires ultramarins.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 26 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article  26 bis (nouveau)

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée, insérant ainsi un article 26 bis.

Article 26 ter (nouveau)

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit d'un déplacement de dispositions.

La proposition de rédaction est adoptée, insérant ainsi un article 26 ter.

Article 26 quater (nouveau)

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée, insérant ainsi un article 26 quater.

Article 26 quinquies (nouveau)

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée, insérant ainsi un article 26 quinquies.

Article 26 sexies (nouveau)

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée, insérant ainsi un article 26 sexies.

Article 27

Proposition de rédaction des rapporteurs

M. Florent Boudié, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La disposition concerne les délais d'application.

Proposition de rédaction de Mme Andrée Taurinya

Mme Danièle Obono, députée. - Cette proposition de rédaction vise à supprimer l'alinéa 3 pour que l'article 12 entre en vigueur à Mayotte en même temps que dans l'Hexagone. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France onze fois pour sa politique d'enfermement d'enfants dans les centres de rétention administrative (CRA), qualifiant cette pratique de « manque flagrant d'humanité ». Depuis la première condamnation, en 2012, plus de 35 000 enfants y ont été retenus, en particulier à Mayotte. Nous voulons que tous les mineurs bénéficient des mêmes protections, et que la mesure s'applique au plus vite à Mayotte, où la situation est très grave.

La proposition de rédaction de Mme Andrée Taurinya n'est pas adoptée.

La proposition de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 27 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

La réunion est suspendue de 14 h 55 à 15 heures 05.

Article 1er N (précédemment réservé)

Proposition de rédaction des rapporteurs

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour le Sénat. - L'article 1er N concerne l'ouverture de droits à certaines prestations non contributives pour les étrangers à l'Union européenne. Le droit au logement opposable (Dalo), certaines prestations familiales, l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et les aides personnelles au logement (APL) seront soumis à une condition de cinq ans de résidence légale en France si la personne n'a pas d'emploi et de trente mois si elle travaille, ou de trois mois pour les APL. Les étudiants pourront percevoir ces dernières sans délai de carence.

M. Sacha Houlié, président. - Je vais suspendre quelques minutes pour que chacun puisse étudier la proposition de rédaction.

La réunion est suspendue de quinze heures cinq à quinze heures vingt.

Mme Andrée Taurinya, députée. - Tout ça pour ça ! Il aura fallu une semaine de conciliabules pour aboutir à cet article, que vous avez réservé pour la fin de l'examen du texte. C'est tragique : il plongera des milliers de gens dans une très grande précarité. Il s'agit d'êtres humains, qui arrivent dans notre territoire après un parcours ardu. Nous finissons donc avec la mesure la plus abjecte, la plus raciste et la plus xénophobe, puisqu'elle ne s'appliquera qu'aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne, c'est-à-dire les plus bronzés - c'est un fait, vous devrez l'assumer. Si ce texte est voté, ce jour sera historique puisqu'il marquera la fin de l'image de pays des droits de l'homme dont jouit la France. Voilà le résultat de l'accord entre la Macronie et la droite, qui réjouit le Rassemblement national. Le « en même temps » à droite et à gauche est devenu « en même temps » à droite et à l'extrême droite.

Mme Corinne Narassiguin, sénatrice. - L'article 1er N était déjà inadmissible dans sa version adoptée par le Sénat tant il battait en brèche les principes républicains en instaurant la préférence nationale chère à l'extrême droite.

Cette version révisée ne l'est pas moins : en organisant un tri entre les étrangers qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, elle n'améliore en rien le respect des principes fondamentaux. Pour obtenir à tout prix le vote de l'Assemblée nationale et du Sénat, vous faites une énorme concession.

La commission des lois de l'Assemblée nationale avait, à juste titre, supprimé l'article, le rapporteur général s'appuyant sur les propos de la Défenseure des droits lors de son audition selon lesquels plusieurs des prestations ciblées à l'article « contribuent à rendre effectifs des droits fondamentaux garantis par le droit interne et international, notamment le droit au logement, le droit au respect de la vie privée et familiale, l'intérêt supérieur des enfants ».

Rappelons que l'alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 garantit des droits à tout être humain sur notre territoire et pas seulement aux Français.

Nous avons sombré, une page se tourne.

M. Boris Vallaud, député. - En 2019, le groupuscule Génération identitaire avait déployé sur le toit du siège de la caisse des allocations familiales de Seine-Saint-Denis une banderole proclamant : « De l'argent pour les Français, pas pour les étrangers. » Quatre ans plus tard, voilà que vous instaurez la préférence nationale en matière de prestations familiales.

Le rapporteur général, le président de la commission et le MODEM avaient déposé des amendements de suppression au motif que l'article contrevenait à de nombreux droits garantis par notre pays - droit au logement, intérêt supérieur de l'enfant, droit à un niveau de vie suffisant. Le nouvel article constitue une grande régression.

Vous avez franchi non seulement les lignes rouges mais aussi les lignes bleu marine puisqu'une telle mesure figure dans le projet du Front national. Ne venez pas justifier votre compromission en arguant de ce qu'elle est déjà inscrite dans notre droit. Vous n'étiez pas de cet avis il y a une semaine.

Si cela ne suffisait pas, le texte est muet sur les cas d'un demandeur d'emploi, d'un couple dont l'un des membres ne remplit pas les critères ou d'une maman solo d'un enfant français qui serait arrivée en France il y a deux ans. Que se passera-t-il pour eux ?

Bravo, vous n'avez honte de rien !

M. Ian Brossat, sénateur. - Le ministre de l'intérieur prétendait dans cette loi être gentil avec les gentils et méchant avec les méchants. Il avait oublié un détail : il suffit d'être étranger pour être considéré comme méchant.

En effet, cette mesure pénalisera des gens dont le seul tort est d'être étranger, des gens auxquels on n'a rien à reprocher.

Vous pourrez expliquer ce que vous voulez, les tracts en notre possession confirment que la Macronie reprend à son compte une position du Rassemblement national.

Notre pays compte 10 millions de pauvres, 4 millions de mal-logés et 2 millions de bénéficiaires de l'aide alimentaire. Cela ne vous suffit pas ? Il ne fait aucun doute que cette mesure aura pour conséquence d'augmenter la pauvreté dans notre pays. En refusant aux étrangers des prestations sociales, vous les empêchez de garder la tête hors de l'eau, vous les y plongez.

Ceux qui voteront l'article porteront une lourde responsabilité.

Mme Edwige Diaz, députée. - Sur cet article comme sur d'autres, nous vous félicitons pour votre souplesse ainsi que votre capacité à changer d'avis et à écouter les Français.

Nous nous réjouissons de la prise de conscience de l'immigration excessive en France qui vous conduit à durcir les conditions du regroupement familial, d'application du droit du sol et de délivrance des visas « étudiant ». Nous nous félicitons également de vous entendre établir un lien entre immigration et insécurité pour justifier la facilitation de l'expulsion d'étrangers dangereux. Enfin, nous voyons consacrée une valeur qui est chère au Rassemblement national : la préférence nationale.

Nous voterons l'article avec beaucoup de plaisir.

Mme Marie Guévenoux, députée. - Pourquoi prétendre, chers collègues du Rassemblement national, que le texte valide vos idées alors que vous ne le voterez pas ? Vous ne le voterez pas car il prévoit un mécanisme de régularisation à laquelle vous êtes opposés ; il interdit la présence des mineurs dans les centres de rétention administrative ; il propose des mesures en matière d'intégration. Arrêtez de faire semblant d'approuver de telles dispositions pour, une fois encore, fracturer la société.

Ne faites pas croire qu'il est question de préférence nationale. Si tel était le cas, tous les étrangers, sans distinction, seraient concernés. Or la rédaction exclut expressément « les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les apatrides et les étrangers titulaires de la carte de résident ».

Oui, l'article instaure un délai de carence. J'entends les interrogations. Nous aurions préféré ne pas avoir cette discussion mais, puisque vous nous avez renvoyés devant la commission mixte paritaire, nous faisons en sorte d'avancer.

M. Guy Benarroche, sénateur. - Se loger, éduquer ses enfants, se soigner, se nourrir : nous sommes nombreux à penser que ces droits sont fondamentaux dans notre société et qu'ils doivent être octroyés à toutes les personnes présentes régulièrement sur notre territoire, fussent-elles étrangères.

Malgré les dénégations à l'instant, ce n'est pas le cas. Si l'article ne vous convient pas, ne le votez pas. Ne vous en déplaise, il reprend des propositions du Rassemblement national.

Alors que toutes les associations nous alertent sur la pauvreté grandissante dans notre pays, cette disposition accroîtra encore la précarité et la vulnérabilité de personnes résidant en France et qui y resteront. D'autres acteurs devront prendre le relais d'un État défaillant pour maintenir la paix sociale que vous êtes en train de détruire.

J'appelle tous les députés qui sont encore attachés à certaines valeurs à ne pas voter le texte de la CMP ce soir, fussent-il de la majorité.

Mme Annie Genevard, députée. - J'invite mes collègues qui parlent de la préférence nationale, pour la déplorer ou pour s'en féliciter, à faire preuve d'honnêteté intellectuelle.

Il ne s'agit pas d'interdire le bénéfice de prestations sociales aux étrangers parce qu'ils sont étrangers mais de différer leur versement. Avant de revendiquer des droits dans un pays, il est nécessaire de prendre la mesure des devoirs qui les accompagnent.

Je rappelle qu'un étranger doit attendre cinq ans avant de percevoir le RSA. Peut-être cette disposition a-t-elle d'ailleurs été adoptée par une majorité de gauche.

La France est probablement le pays le plus redistributif au monde. Près de 60 % de la richesse de notre pays est investie dans la sphère publique - les prestations sociales en représentent la moitié.

L'article vise les prestations non contributives, précisément celles pour lesquelles il ne faut pas avoir contribué avant de pouvoir en bénéficier. Cela n'a rien de choquant.

Arrêtez d'agiter le drapeau de la préférence nationale ! C'est une manoeuvre politicienne et malhonnête.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Il y a un point que je ne comprends pas si je me place du point de vue de la Constitution : comment espérez-vous que le Conseil constitutionnel valide le lien que vous faites entre prestation non contributive et situation d'emploi ? La distinction que vous opérez dans l'unique but de faire un tri semble constitutionnellement infondée.

M. Patrick Kanner, sénateur. - Je ne m'adresse pas aux collègues Les Républicains qui ont décidé d'être les idiots utiles du Rassemblement national - c'est leur choix. Je suis plus triste pour nos collègues du centre qui prêtent la main à cette confusion.

Lors d'une récente rencontre, le ministre Roland Lescure m'a confirmé le nombre de 100 000 étrangers nécessaires pour mener à bien la réindustrialisation chère au Président de la République. Allez-vous leur dire qu'ils devront attendre trente mois pour bénéficier des prestations sociales ?

Le projet de loi qui sera soumis au vote n'a plus rien à voir avec celui que nous avaient présenté MM. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt le 11 janvier dernier. Vous nous avez trompés. Vous avez menti aux Français. C'est une honte que vous porterez longtemps. Comptez sur nous pour faire de ce texte le sparadrap du capitaine Haddock. M. Macron a perdu le sens des responsabilités.

Mme Danièle Obono, députée. - Je partage les interrogations de mes collègues. Quelle est la justification d'une telle mesure si ce n'est, le sénateur Brossat l'a dit, le statut d'étranger extracommunautaire, autrement dit une profonde discrimination ? Une personne qui ne serait pas française d'origine ne mériterait pas de bénéficier du fruit de son labeur par le biais des prestations contributives.

Vous considérez qu'il faut mériter les prestations sociales. Alors n'oubliez pas que par la TVA, toute personne qui fait des achats sur le territoire contribue à la richesse nationale.

Vous pourrez tourner l'article dans tous les sens, vous élargissez une brèche profondément discriminatoire, raciste et xénophobe. Vous pourrez essayer de faire porter le chapeau à la NUPES et à Jean-Luc Mélenchon, mais vous ne convaincrez personne - vous n'êtes sans doute même pas convaincus vous-mêmes. Vous le savez, cette disposition aura pour seul effet de rendre plus dure et plus intolérable la vie de milliers de personnes.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 1er N est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

La réunion est close à 15 h 40.