Mercredi 13 décembre 2023

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage » - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Nous débutons nos travaux par l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à faciliter la mobilité internationale des alternants, pour un « Erasmus de l'apprentissage ».

Ainsi qu'il en a été décidé par la Conférence des présidents, avec l'accord de tous les présidents de groupe, nous légiférons selon la procédure de législation en commission prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat.

De ce fait, le droit d'amendement s'exerce uniquement en commission. La réunion de la commission est publique, avec une retransmission sur le site du Sénat et elle se tient en présence du Gouvernement. Je salue donc la présence de Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, chargée de l'enseignement et de la formation professionnels.

Je donne à présent la parole à notre collègue Patricia Demas, dont c'est le premier rapport au sein de la commission des affaires sociales.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Le bénéfice d'une expérience à l'étranger, qu'elle soit scolaire, universitaire ou professionnelle, dans le cadre d'un parcours de formation ne fait aucun doute. Elle permet l'acquisition de savoirs académiques, de compétences, mais aussi de savoir-être par la découverte d'une nouvelle culture et l'apprentissage d'une langue étrangère. Elle favorise ainsi l'employabilité des jeunes et leur ouverture sur le monde.

C'est pourquoi la réforme de l'apprentissage, opérée par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, comportait un volet visant à développer la mobilité internationale des alternants qui, bien que possible depuis longtemps, demeurait très marginale.

Depuis cette loi, les alternants ont la possibilité d'effectuer une mobilité à l'étranger pour une durée qui ne peut excéder un an, la durée d'exécution de leur contrat en France devant être d'au moins six mois. Lors de la mobilité à l'étranger, le contrat de l'alternant est « mis en veille », l'entreprise ou le centre de formation d'accueil étant seul responsable des conditions d'exécution du travail de l'alternant.

Toutefois, pour les mobilités de moins de quatre semaines, l'alternant peut être mis à disposition de la structure d'accueil à l'étranger, son contrat de travail continuant alors d'être exécuté.

Pour faciliter le développement de ces mobilités, la loi de 2018 a prévu que chaque centre de formation d'apprentis (CFA) désigne un référent mobilité, et a confié aux opérateurs de compétences le soin de financer ce référent. Ces opérateurs peuvent aussi prendre en charge des frais annexes entraînés par la mobilité internationale.

Ces dispositifs complètent ainsi les aides à la mobilité proposées par Erasmus+, programme de l'Union européenne en faveur de l'éducation et de la formation, par des programmes de coopération bilatérale ou encore par les collectivités territoriales.

Les données disponibles ne permettent pas de disposer d'une visibilité exhaustive du nombre d'alternants effectuant une mobilité internationale et de leur profil.

Toutefois, l'agence Erasmus+ estime qu'en 2018-2019, 6 870 alternants ont effectué un séjour à l'étranger soutenu par ce programme, contre 5 300 en 2016-2017. La durée moyenne de la mobilité de ces alternants, tous secteurs éducatifs confondus, est estimée à 41 jours et la durée médiane à 18 jours.

Dans son rapport de décembre 2022 sur le développement de la mobilité européenne des apprentis, l'inspection générale des affaires sociales (Igas) estime
à 7 820 le nombre d'apprentis ayant effectué une mobilité en 2018-2019 soit seulement 2,1 % des apprentis, alors que près de 17 % des étudiants de l'enseignement supérieur effectuent une mobilité à l'étranger.

Le développement de la mobilité des alternants n'a donc pas suivi la progression significative du nombre de contrats d'apprentissage, qui est passé de 300 000 en 2018 à plus de 800 000 en 2022. Certes, la mobilité à l'étranger des alternants a été freinée par l'épidémie de covid-19, mais elle rencontre aussi de nombreux obstacles d'ordre plus structurel.

L'association Euro App Mobility, présidée par notre ancien collègue Jean Arthuis, a publié en septembre 2021 un manifeste « Pour une Europe des apprentis », dans lequel sont identifiés cinq types d'obstacles à lever : juridique, financier, académique, linguistique et psychologique.

J'en profite pour saluer la mobilisation de Jean Arthuis pour le développement de la mobilité internationale des alternants. Son association apporte une aide fort utile aux acteurs de l'apprentissage pour faciliter ces mobilités, en formant notamment, via le programme Mona, des référents mobilité dans de nombreux CFA.

Le frein juridique à la mobilité vient du fait que l'alternant est lié à un employeur et que son accord est requis pour effectuer une mobilité internationale. Or le départ de l'alternant pour un séjour à l'étranger peut être coûteux pour l'employeur et source de perturbation au sein de l'entreprise.

Surtout, le cadre juridique applicable aux mobilités n'est pas adapté à toutes les situations. L'Igas a relevé que la mise en veille du contrat permet à l'entreprise de lever ses obligations en termes de rémunération, mais reporte les contraintes et les incertitudes sur le CFA et sur l'apprenti, voire sa famille. Cette mise en veille du contrat peut donc faire obstacle à la réalisation de projets de mobilité.

En outre, les obligations liées à la signature d'une convention entre l'alternant et les différentes parties impliquées dans la mobilité constituent des démarches complexes à mettre en oeuvre, notamment pour les centres de formation.

Les CFA ne sont d'ailleurs pas tous dotés d'un référent mobilité, cette fonction étant parfois exercée à temps partiel par un enseignant qui n'a pas la capacité d'assumer l'ensemble des charges administratives qu'elle implique et de faire face à la complexité des règles à appliquer.

Les alternants sont aussi freinés par le coût d'un séjour à l'étranger. En 2023, l'agence Erasmus+ n'a pu satisfaire que 53 % des demandes de soutien financier pour des mobilités internationales relevant du champ de l'enseignement professionnel. En outre, le soutien financier des opérateurs de compétences est très hétérogène et souvent insuffisant.

Ensuite, des freins académiques sont constatés, puisque l'alternant n'a que rarement connaissance de la possibilité d'effectuer une mobilité à l'étranger dans le cadre de son parcours. L'expérience acquise lors de sa mobilité n'est pas aisément reconnue dans le cadre des certifications professionnelles, et il conviendrait qu'elle soit davantage valorisée.

À ces difficultés s'ajoutent des barrières linguistiques et psychologiques auxquelles tous les jeunes apprenants font face pour s'engager dans un projet de séjour à l'étranger, et pour lesquelles ils doivent être accompagnés.

Dans ce contexte, la proposition de loi a pour objectif de lever certains freins d'ordre juridique et financier au développement de la mobilité internationale des alternants.

Son article 1er crée un droit d'option entre la mise en veille du contrat et la mise à disposition de l'alternant lorsque ce dernier effectue une mobilité internationale dans le cadre de l'exécution de son contrat d'apprentissage ou de professionnalisation. La mise à disposition de l'alternant ne serait ainsi plus limitée aux séjours de moins de quatre semaines. En outre, la condition d'une durée d'exécution du contrat en France d'au moins de six mois serait supprimée.

Ces mesures permettront ainsi aux alternants, aux employeurs et aux organismes de formation de retenir le régime le plus approprié à chaque situation pour réaliser un projet de mobilité internationale.

L'article 2 supprime l'obligation pour les alternants en mobilité internationale de disposer d'une convention individuelle de mobilité avec l'organisme de formation qui les accueille, dans le cas où une convention de partenariat existe déjà entre le CFA et ledit organisme. Cette mesure contribuerait à diminuer la charge administrative des CFA et les encouragerait à nouer des partenariats avec des organismes de formation à l'étranger. Elle mettrait fin à l'incompréhension qui existe dans certains pays, puisque cette obligation de convention individuelle est spécifique à l'alternance en France, et n'existe pas pour les échanges universitaires.

De façon plus marginale, l'article 2 bis prévoit que les apprentis originaires d'un État membre de l'Union européenne effectuant une mobilité en France puissent déroger à la limite d'âge applicable à l'apprentissage. Certains pays comme l'Allemagne n'imposent pas d'avoir moins de 29 ans pour conclure un contrat d'apprentissage, et il semblerait dommageable que ces apprentis soient exclus du bénéfice d'une mobilité en France.

L'article 3 rend obligatoire la prise en charge par les opérateurs de compétences des frais correspondant aux cotisations sociales liées à la mobilité internationale des alternants, alors qu'elle était jusqu'alors facultative. Il généralisera donc la prise en charge de ces frais et contribuera ainsi renforcer l'aide financière apportée aux alternants.

L'article 3 bis A procède à la ratification de l'ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l'apprentissage transfrontalier. Celle-ci, issue de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS, précise les conditions de mise en oeuvre et de financement de l'apprentissage transfrontalier, et les adapte pour l'outre-mer compte tenu des spécificités des espaces géographiques concernés.

Les articles 3 bis et 3 ter prévoient la remise par le Gouvernement de rapports au Parlement.

Ces mesures sont accueillies favorablement par les acteurs du secteur, qui considèrent que ce texte lèvera certains freins à la mobilité des alternants. Je partage cette appréciation et vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification.

Toutefois, il me semble qu'une série de mesures complémentaires doivent être déployées, tant l'objectif annoncé par le Président de la République de voir la moitié des apprentis effectuer une mobilité de plus de six mois durant leur scolarité semble loin d'être atteint.

Le premier enjeu sera de conforter le financement des référents mobilité dans les CFA, afin de permettre leur professionnalisation, seule garantie de leur efficacité comme le démontre le programme Mona, qui permet de financer la formation des référents de 43 CFA.

Par ailleurs, les financements accordés par les opérateurs de compétences (Opco) gagneraient à être harmonisés, tant dans les procédures que dans leur périmètre et leur niveau de prise en charge. Des mesures, d'ordre réglementaire, sont à l'étude par le Gouvernement. Elles contribueraient à rendre les aides à la mobilité plus lisibles pour les alternants et les centres de formation.

Plus largement, la connaissance des mobilités doit être renforcée auprès des acteurs de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Cela concerne aussi bien les apprentis, qui doivent être informés de cette possibilité avant même la conclusion de leur contrat, que les employeurs. C'est particulièrement le cas des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME), qui doivent recevoir un accompagnement spécifique afin de limiter la désorganisation de leur activité. Les opérateurs de compétences doivent à mon sens renforcer leur rôle de conseil aux employeurs sur la mobilité. Aussi, la pratique des échanges d'apprentis est à développer pour que les entreprises reçoivent un apprenti étranger pendant la période où l'apprenti français part en séjour à l'étranger.

Par ailleurs, une meilleure reconnaissance des mobilités et de leurs apports doit être favorisée. Cette reconnaissance passe par la valorisation de cette expérience dans les certifications professionnelles. La ministre a récemment annoncé la mise en place de mentions au mérite pour certains diplômes professionnels. Une mention « mobilité » pourrait aussi être envisagée.

Enfin, un travail particulier reste à développer autour de « l'apprentissage de la mobilité », car le défi de la mobilité à l'étranger doit préparer les alternants à se saisir plus facilement des opportunités professionnelles hors de leur bassin d'emploi direct, en favorisant les mobilités au sein du territoire national.

Enfin, le secteur public est appelé à prendre sa part dans cet effort en faveur des mobilités des alternants, puisque n'étant pas assujettis à la contribution à la formation professionnelle et au financement des Opco qui en découle, les employeurs publics sont encore trop souvent réticents à financer les séjours de leurs alternants.

Au total, la proposition de loi, que je vous propose d'adopter, permettra de franchir une étape importante pour faciliter la mobilité des alternants. Elle devra être assortie d'une mobilisation plus large pour qu'un véritable « Erasmus de l'apprentissage » voie le jour.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la mobilité internationale des apprentis et des bénéficiaires d'un contrat de professionnalisation ainsi qu'à la prise en charge par les opérateurs de compétences de frais qu'entraîne cette mobilité.

Il en est ainsi décidé.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnels auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - J'ai le plaisir d'être présente aujourd'hui devant vous pour l'examen d'un texte très attendu tant par les acteurs de l'apprentissage que les jeunes eux-mêmes, nombreux, qui se forment par la voie de l'alternance dans notre pays.

Cette proposition de loi est de celles qui offrent à nos concitoyens l'opportunité et la capacité de s'enrichir de cultures et de compétences diverses. Elle est aussi de celles qui, de manière très concrète, dans les États, réalisent pour notre jeunesse la promesse d'une Union européenne ouverte, libre, fondée sur la découverte et le partage. À l'heure où les nationalismes hideux et les replis apeurés menacent l'essence même de notre Union et entraînent avec eux les espoirs de paix et de liberté de toute une génération, il est plus que jamais essentiel d'oeuvrer pour multiplier les opportunités de rencontre entre les peuples : 90 % des jeunes Français entre 15 et 30 ans considèrent qu'il est important d'avoir la possibilité d'effectuer une partie de leurs études à l'étranger.

Beaucoup a été fait depuis 2018 pour rendre concrète et accessible la promesse européenne de mobilité pour les apprenants. Ainsi, nous avons pris deux décisions fortes inscrites dans la loi et qui ont permis d'enclencher une dynamique historique en matière de formation à l'étranger.

La première a été de faire obligation à tous les CFA de se doter d'un référent mobilité. Son rôle est clair : accompagner les apprentis dans la définition et la réalisation de leurs projets, aider à la constitution des dossiers, organiser les financements et multiplier les partenariats partout dans le monde.

La seconde a été d'aider au financement des parcours de mobilité, en garantissant aux CFA le financement des référents mobilité, mais également en orientant les fonds des opérateurs de compétences vers la mobilité des alternants. Grâce à ces avancées, des progrès considérables ont été réalisés dans le pays, puisque nous sommes passés d'environ 7 800 mobilités annuelles à près de 25 000 l'an dernier. Ce sont autant de parcours qui ont permis aux jeunes de développer des capacités d'adaptation, d'autonomie, d'ouverture sur l'autre, mais également de renforcer leurs capacités linguistiques, de se créer un réseau international et in fine de renforcer leur employabilité, pour mieux s'insérer, plus rapidement également, dans l'emploi.

C'est une des raisons pour laquelle nous devons aller plus loin dans l'accès à la mobilité. Vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, cette proposition pose le socle d'une grande ambition portée par le Président de la République : faire en sorte que la moitié d'une classe d'âge puisse avoir passé avant ses 25 ans au moins six mois à l'étranger. Si le volet normatif est essentiel pour parvenir à simplifier et mieux soutenir les périodes de formation à l'étranger, des efforts sont également faits en amont pour mieux promouvoir la mobilité auprès des jeunes, mais également des entreprises. Nous professionnalisons ainsi, avec le réseau des centres animation ressources d'information sur la formation-observatoire régional emploi formation (Carif-Oref), les référents mobilité dans les CFA, pour qu'ils disposent tous d'un socle de compétences et qu'ils soient capables, avec l'équipe pédagogique, de construire les projets de mobilité.

Ensuite, nous travaillons avec un réseau d'acteurs engagés - Erasmus+ ou l'association Euro App Mobility - pour promouvoir la mobilité internationale et favoriser les échanges dans le cadre d'un espace européen de l'apprentissage en construction. Nous avons renouvelé cette année, et pour trois ans, notre soutien à l'association du ministre Jean Arthuis, afin de promouvoir auprès des jeunes et des entreprises la mobilité, de préfigurer un espace européen numérique de l'apprentissage, plateforme qui recensera les offres de formation et d'emploi en mobilité, et d'accompagner les CFA et leurs référents mobilité. Nous travaillons également en lien avec les opérateurs de compétences, interface privilégiée des entreprises avec lesquelles, dans le cadre d'une convention d'objectifs et de moyens renouvelée cette année, nous allons promouvoir la mobilité.

Vous l'avez donc compris, cette proposition s'inscrit dans un continuum de projets et d'initiatives portés par le Gouvernement et les acteurs de l'apprentissage. Elle permettra de lever les derniers freins au développement de la mobilité internationale des alternants.

L'article 1er permet de favoriser les mobilités de plus de quatre semaines tout en sécurisant les parcours à l'étranger des jeunes Français. Pour réaliser plus de quatre semaines de formation à l'étranger aujourd'hui, la mise en veille du contrat d'apprentissage est nécessaire. C'est la principale cause de non-recours aux dispositifs de mobilité.

Cette suspension du contrat de travail n'est jamais anodine puisqu'elle prive le jeune du maintien de sa rémunération et de la protection sociale rattachée au contrat d'apprentissage. Elle s'accompagne par ailleurs de lourdeurs administratives importantes tant pour l'employeur que pour l'apprenti et son CFA. Ce manque de souplesse dans la gestion du contrat d'apprentissage se devait d'être corrigé, ce que réalise la proposition de loi en permettant la mise à disposition de l'alternant, y compris pour les mobilités longues. Il en résultera une meilleure sécurisation de la situation des apprentis qui pourront conserver rémunération et protection sociale.

L'article 2 vient à l'appui de la simplification des démarches pour les acteurs de l'apprentissage, notamment dans le cadre des mobilités académiques. Car si la loi de 2018 règle le sort des mobilités entre entreprises, les mobilités entre écoles demeurent complexes. Leur régime juridique est inadapté. Concrètement, le droit français fait actuellement obligation à l'école étrangère de signer chaque convention individuelle de mobilité des apprentis français qu'elle reçoit, et ce alors même que dans la majorité des cas, une convention-cadre de coopération existe avec le CFA français.

La réponse de cette proposition de loi en la matière est donc pragmatique puisqu'elle dispense l'école étrangère de signature de la convention individuelle de mobilité d'un jeune Français lorsqu'une convention-cadre existe avec le CFA français. Cette simplification répond à l'enjeu que nous portons de multiplier les opportunités de mobilité pour les apprentissages.

L'article 2 bis, ajouté en première lecture par les députés, exempte les apprentis étrangers de la limite d'âge qui existe en matière d'apprentissage. Cet article facilite la réciprocité entre les États et promeut les échanges entre apprentis étrangers, en Europe et dans le monde. Parce que notre Union est fondée sur le principe de réciprocité, nous devons reconnaître que la définition même de l'apprentissage en France n'est pas nécessairement celle retenue chez nos voisins européens, par exemple en termes de limite d'âge. Chez nos voisins allemands, il n'y a pas de limite d'âge pour accéder à l'apprentissage. La logique d'échange d'apprentis entre deux pays permet d'atténuer les effets d'une mobilité longue sur l'entreprise.

L'article 3 corrige les inégalités sociales entre les apprentis, en offrant à chacun d'entre eux un socle de protection sociale et en ouvrant la possibilité d'une véritable harmonisation dans les mécanismes de prise en charge des frais par les opérateurs de compétences. Le départ à l'étranger engendre des frais, parfois importants, que nous devons alléger par des mécanismes efficaces de prise en charge. Parmi les frais les plus importants figurent ceux de la protection sociale à l'étranger. En prévoyant la prise en charge obligatoire par les Opco des frais de protection sociale, nous mettons en oeuvre une mesure forte empreinte d'égalité, qui libère l'apprenti et sa famille du poids financier que peut représenter une telle protection.

Ensuite, l'élargissement du périmètre de prise en charge obligatoire s'effectuera sur la base de cet article. Le Gouvernement procédera par voie réglementaire à un véritable travail d'harmonisation des règles de remboursement par les Opco des frais dits facultatifs. Que ce soit en matière de logement, de transport ou de restauration, des disparités importantes sont aujourd'hui constatées au sein des Opco, créant de fait une inégalité entre les jeunes selon qu'ils se forment dans un secteur d'activité plutôt qu'un autre. Si nous voulons développer la mobilité, nous devons corriger cette inégalité en offrant un socle minimum de prise en charge identique de ces frais par tous les Opcos. C'est ce à quoi nous nous employons actuellement dans un travail de concertation avec les opérateurs et qui se traduira par un décret après l'adoption de la proposition de loi.

Enfin, les députés ont fait le choix, que le Gouvernement soutient, d'introduire deux nouveaux articles. L'article 3 bis A procède à la ratification de l'ordonnance relative à l'apprentissage transfrontalier. Cette ordonnance prise notamment pour adapter le régime juridique de l'apprentissage transfrontalier à nos territoires d'outre-mer constitue l'un des fondements de la constitution d'un espace européen privilégié de l'apprentissage avec nos voisins directs. Grâce à elle, nous avons pu cette année conclure la première convention binationale avec nos voisins allemands permettant à de jeunes Français de réaliser la partie théorique ou pratique de leur apprentissage dans une entreprise ou un CFA allemand. Quant à l'article 3 bis, il commande au Gouvernement la remise d'un rapport sur l'état des lieux des aides financières en matière de mobilité. Ce rapport me permettra de vous indiquer avec plus de précision le sens des travaux que nous menons actuellement en faveur d'une harmonisation des règles de soutien financier.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure, Patricia Demas, pour l'important travail d'audition et d'analyse d'un texte qui poursuit des ambitions très concrètes de développement à la mobilité pour nos jeunes. Cette proposition de loi, que le Gouvernement soutient, permettra à davantage de Français de se former à l'étranger et d'avoir ainsi toutes les clés de réussite d'entrée sur le marché du travail et de mieux accompagner ces nouvelles générations dans les défis de demain. Ce texte rend concrète pour des milliers de jeunes la promesse européenne.

Mme Frédérique Puissat. - Je félicite Mme Demas pour son premier rapport au sein de notre commission. Je remercie également Jean Arthuis, l'initiateur de ce programme au niveau européen, et Alain Milon qui, en 2018, a été le premier à introduire dans la loi le cadre juridique visant à sécuriser les apprentis qui font le choix d'aller à l'étranger. Cette proposition de loi s'inscrit également dans la continuité des travaux de notre ancien collègue sénateur du Rhône, Michel Forissier, qui a déjà permis de lever un certain nombre de freins. Cette loi va permettre maintenant à de plus en plus d'alternants de partir à l'étranger.

L'article 3 bis A concerne une ratification d'ordonnance. C'est suffisamment rare pour le souligner.

Cette ordonnance porte sur les apprentis transfrontaliers. Sachant que 12 % de la dette de l'Unédic, soit environ 600 millions d'euros, sont dus aux travailleurs transfrontaliers, avez-vous mesuré l'impact de cette ordonnance sur l'Unédic ? Avez-vous évalué le coût de cette mesure ?

Mme Silvana Silvani. - Je salue la volonté de lever des freins financiers et administratifs à la mobilité. Toutefois, je crains que la proposition de loi ne soit pas suffisamment aboutie.

Si la création d'un référent mobilité est bienvenue et indispensable, il ne devrait pas être possible de suspendre le contrat. Un apprenti qui verrait son contrat suspendu à l'étranger subirait une rupture dans son parcours de formation difficilement récupérable, qu'une compensation financière ne saurait régler. La mobilité serait ici contre-productive.

Comment élargir les questions de certification et de validation des formations à l'étranger ? Il y a une nouvelle fois un risque de trou dans le parcours d'apprentissage si cette dimension n'est pas bien prise en compte.

Enfin, le schéma de l'apprentissage transfrontalier me paraissait plus élaboré en termes de continuité de parcours, de certification et de prise en charge. Il aurait plutôt fallu élargir ces conventions.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Jean Arthuis a en effet à coeur de voir cette proposition de loi aboutir. C'est un beau texte, qui permet aux alternants de profiter tout autant d'Erasmus que les étudiants. Je remercie Mme Demas pour son excellent travail : les nombreuses auditions qu'elle a menées nous ont fait faire un grand pas.

À nous d'être les ambassadeurs de l'apprentissage. Mettons en valeur l'excellence de ces parcours et de ces voyages de rupture. C'est en observant ce qui se fait à l'étranger qu'on ouvre son esprit critique. Cela peut aussi permettre de se rendre compte de la qualité
- bien que toujours perfectible - de l'accueil et de l'apprentissage en France.

Même si c'est une petite avancée, je suis très satisfaite de cette rupture d'inégalité entre les étudiants et les alternants. Cela demande un travail considérable. Jean Arthuis est sur tous les fronts depuis un moment, et je remercie tous ceux qui participent à cet objectif.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le vote de cette loi passera-t-il au-dessus des contrats transfrontaliers ? L'accord relatif à l'apprentissage transfrontalier signé en juillet 2023 entre la France et l'Allemagne ne concerne en réalité que deux Länder, le Bade-Wurtemberg et la Rhénanie-Palatinat. Autrement dit, un apprenti français est très limité dans ses possibilités d'échanges avec l'Allemagne, alors qu'un apprenti allemand peut aller partout en France. En est-il de même pour cette loi ?

Dans le cadre de ces contrats transfrontaliers, l'Office franco-allemand pour la jeunesse verse une aide à la mobilité de 100 euros par mois pendant toute la période d'apprentissage. Est-ce transposable ? Un tel dispositif a-t-il été mis en place dans le cadre d'autres accords européens ?

M. Dominique Théophile. - Les territoires d'outre-mer, et notamment le bassin caribéen, collaborent difficilement avec les ambassades du fait de leur situation géographique éloignée. Les déplacements peuvent être compliqués. Je ne voudrais pas que les jeunes de ces territoires soient privés de cette opportunité pour ces raisons.

Mme Anne Souyris. - Cette proposition de loi est très importante puisqu'elle favorise l'application de l'égalité républicaine. Les alternants, principalement issus de milieux populaires, représentent en effet la frange la plus précaire de la population des jeunes apprenants. Au moment où le dernier rapport Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) montre que la France baisse dans les classements, on peut voir ce texte comme un tremplin vers davantage d'égalité entre les différentes catégories de population.

Nous aborderons ultérieurement dans cette commission la proposition de loi instaurant une allocation universelle pour les étudiants et les apprentis. L'allocation proposée poursuit le même objectif égalitariste, afin que chacun puisse jouir de l'accès au droit à l'étude tout au long de la vie. Erasmus étant un des grands succès de l'Europe qui a permis d'accroître la mobilité des jeunes, je me réjouis de l'avancement de ce travail.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Madame Puissat, sur le coût de l'apprentissage transfrontalier, nous n'avons pas de chiffrage particulier car la seule convention signée entre l'Allemagne et la France date de juillet 2023 : nous manquons donc encore de recul. Mais il s'agit d'un véritable enjeu et Mme la ministre pourra peut-être apporter des précisions sur le coût de cette mesure prometteuse.

La possibilité de mise en veille du contrat libère l'employeur de sa responsabilité de rémunérer l'alternant. Il faut rappeler que l'organisme d'accueil prend le relais pendant le séjour. En ce sens, il n'y a donc pas de rupture de parcours. Au retour de l'apprenti en France, le contrat d'apprentissage reprend. Dans le cas des petites entreprises, pour lesquelles le coût de la mobilité à l'étranger serait trop onéreux, cette mise en veille permet à l'apprenti d'effectuer tout de même une mobilité. En parallèle, des aides existent, même si les organismes d'accueil et les Opco pourraient soutenir de manière beaucoup plus équitable les alternants à l'étranger, en particulier ceux des TPE et PME concernés par cette possibilité de mise en veille.

La mise à disposition de plus de quatre semaines est un élément de sécurité supplémentaire, à la fois pour l'alternant et les entreprises, afin que le parcours de l'alternant à l'étranger soit mieux cadré.

L'apprentissage transfrontalier s'applique en effet aux Länder frontaliers. Mais pour Berlin ou Munich, il reste la mobilité classique, que l'Office franco-allemand pour la jeunesse soutient activement pour les alternants.

S'agissant des mobilités internationales pour les outre-mer, il faudra effectivement nouer des partenariats avec des pays proches. Cet enjeu est fondamental. Cela peut se faire entre organismes de formation ou entre entreprises. Pour l'apprentissage transfrontalier, l'ordonnance prévoit que les pays voisins des territoires d'outre-mer seront concernés, notamment les pays de la Caraïbe. Il reste au Gouvernement à conclure des accords, mais Mme la ministre pourra peut-être nous apporter des précisions sur le sujet.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - Nous n'avons pas précisément évalué les aspects financiers et notamment l'impact sur l'Unédic, mais nous sommes convenus d'un mécanisme d'équilibre financier dans le cadre de la convention binationale : un bilan du budget est effectué tous les deux ans, permettant le reversement des divers frais supplémentaires qui auraient pu être accordés par l'un ou l'autre pays.

Dans l'ensemble, ces frais de mobilité proviennent de la ligne du budget de l'alternance, pour lequel l'État verse un apport significatif de 2,5 milliards d'euros pour 2024. La loi n'alourdit pas les charges, mais harmonise la prise en charge des frais par les Opco pour assurer une meilleure égalité sectorielle. Il s'agit aussi de garantir l'égalité de l'accès à la mobilité par une égalité de l'accès au niveau minimal de la prise en charge des frais.

Sur la réciprocité des périmètres géographiques concernés par ces conventions avec l'Allemagne, trois Länder sont d'ores et déjà dans la convention binationale. Le ministère de l'éducation allemand s'est engagé à le déployer progressivement sur l'ensemble du pays. Dans le cadre d'un apprentissage transfrontalier, l'apprentissage peut être fait partiellement ou totalement à l'étranger. La mobilité internationale ne concerne qu'une partie de l'apprentissage.

Pour les territoires d'outre-mer, nous souhaitons que la coopération s'étende sur tout l'arc des Caraïbes par des conventions avec les États-Unis, le Canada et l'Amérique du Sud.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION
EN COMMISSION

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

Mme Monique Lubin. - Nous avions insisté au moment de la réforme de l'apprentissage sur le fait que le développement de celui-ci ne devait se faire au détriment ni de la qualité du contrôle ni de l'accompagnement. L'amendement COM-1 vise à ce que l'entreprise qui accueille le jeune à l'étranger reçoive la convention individuelle de mobilité pour en connaître les clauses, notamment en matière de protection de l'apprenti, même si les droits du travail ne sont pas forcément similaires.

Mme Patricia Demas, rapporteure. - Cet amendement prévoit l'obligation de notifier la convention individuelle de mobilité d'étude à l'organisme d'accueil à l'étranger dans le cas où il existe une convention de partenariat.

La qualité de l'accompagnement, et plus généralement l'expérience de l'alternant, est bien évidemment essentielle pour démocratiser la mobilité de l'apprentissage et en maximiser le bénéfice pour les apprentis. Cependant, il ne me semble pas qu'elle dépende de la transmission de la convention individuelle à l'organisme d'accueil à l'étranger, car il s'agit d'un document administratif pédagogique, rédigé en langue française.

En revanche, l'article 3 de la proposition de loi prévoit qu'un décret en Conseil d'État précise les modalités de mise en oeuvre du contenu des différentes relations conventionnelles entre les CFA, les organismes d'accueil et les alternants. La transmission des informations utiles pour l'organisme d'accueil pourra donc être précisée par décret.

L'avis est donc défavorable, bien que je comprenne votre préoccupation, ma chère collègue.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. - La proposition de loi vise à répondre aux freins à la mobilité que les acteurs ont eux-mêmes identifiés. Parmi ces freins figurent les lourdeurs et lenteurs administratives liées aux obligations conventionnelles autour de la mobilité académique pesant tant sur les employeurs que sur les CFA.

Il ne nous paraît pas indispensable d'établir des conventions individuelles de mobilité pour chaque jeune quand existent déjà des conventions-cadres de coopération précisant les modalités des séjours d'apprentissage. Elles entraînent en effet un allongement de la durée de préparation des dossiers.

L'avis est défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 2 bis (nouveau)

L'article 2 bis est adopté sans modification.

Article 3

L'article 3 est adopté sans modification.

Article 3 bis A (nouveau)

L'article 3 bis A est adopté sans modification.

Article 3 bis (nouveau)

L'article 3 bis est adopté sans modification.

Article 3 ter (nouveau)

L'article 3 ter est adopté sans modification.

Article 4 (supprimé)

L'article 4 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études - Examen des amendements de séance

M. Philippe Mouiller, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen des amendements à la proposition de loi visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études. Cinq amendements ont été déposés, dont deux ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article unique

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement n°  2 tend à opérer une substitution de référence d'article pour tirer la conséquence de la suppression de l'article L. 821-2 du code de l'éducation par la présente proposition de loi.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2.

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement n°  4 vise à moduler territorialement l'allocation créée par le texte. Dans la mesure où cette allocation se substitue aux aides existantes, et notamment à l'aide personnalisée au logement dont le montant est territorialisé, cette évolution semble souhaitable.

Elle permettrait en effet de prendre en compte le coût de la vie selon la maille territoriale qui serait précisée par décret, à commencer par la situation du marché du logement dans certaines villes, ou du prix des denrées dans les outre-mer.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 4.

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement n° 5 s'inspire du modèle danois qui module le niveau de la bourse d'État selon que l'étudiant vit ou non au domicile familial. Compte tenu de l'importance du poste logement dans le budget des étudiants et apprentis, cette modulation paraît utile. Elle permettrait d'assurer une meilleure égalité de traitement entre les étudiants et entre les apprentis, ainsi que de réduire le coût de cette allocation pour la collectivité.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5.

TABLEAU DES AVIS

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article unique

Mme de MARCO

2

Amendement de coordination

Défavorable

Mme de MARCO

4

Possibilité de moduler territorialement l'allocation universelle autonomie d'étude.

Défavorable

Mme de MARCO

5

Modulation de l'allocation universelle autonomie d'études selon la cohabitation ou non de l'étudiant avec ses ascendants.

Défavorable

Proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Laurence Rossignol rapporteure sur la proposition de loi visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans-abri dans chaque commune.

Proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France - Délégation de l'examen d'articles

M. Philippe Mouiller, président. - Notre commission est saisie de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France. Si la conférence des présidents en décide ainsi, ce texte pourrait être examiné en séance à partir du 30 janvier 2024 et en commission dès le mercredi 17 janvier. Nos collègues Jean Sol et Jocelyne Guidez en sont les rapporteurs et ont commencé leurs travaux sur ce texte. Par ailleurs, la commission des lois s'est saisie pour avis.

Au regard de leur objet, je vous propose de déléguer au fond à cette commission l'examen des articles 5 quater, 5 quinquies, 5 sexies, 5 octies, 5 nonies et 5 decies - soit six articles. En effet, ces articles concernent les régimes de la curatelle, de la tutelle, du mandat de protection future et de l'habilitation familiale, qui relèvent du droit civil. Ils modifient d'ailleurs exclusivement le code civil.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 9 h 35.

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 11 h 05.

Audition de Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons ce matin, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Cette audition sera suivie d'un vote sur cette candidature pour lequel, vous le savez, aucune délégation ne sera admise.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande, conformément au principe de publicité prévu par la loi du 23 juillet 2010.

Je vous rappelle que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est un établissement public à caractère administratif (EPA), chargé d'évaluer, de surveiller et de contrôler les médicaments et les produits de santé. Elle délivre notamment les autorisations de mise sur le marché des produits de santé, réalise des inspections et peut, le cas échéant, prendre des mesures allant jusqu'au retrait d'un produit du marché.

Le directeur général est nommé pour une durée de trois ans. Son mandat est renouvelable.

Madame Ratignier-Carbonneil, je vous propose de débuter cette audition par un propos liminaire dans lequel vous nous exposerez votre parcours professionnel, plus particulièrement vous pourrez revenir sur votre action et votre bilan à la direction générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ainsi que développer la vision que vous avez de votre prochain mandat à la tête de cet organisme, le cas échéant.

Je vous poserai ensuite quelques questions en qualité de rapporteur pour cette audition.

Enfin, nous lancerons la discussion générale avec les sénateurs.

Madame Ratignier-Carbonneil, vous avez la parole.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). - C'est un honneur pour moi que d'être reçue ce jour par votre commission à l'approche du possible renouvellement de mon mandat de directrice générale de l'ANSM pour une deuxième et une dernière période de trois ans comme cela est prévu par la loi.

Cette procédure d'audition par le Parlement présente pour moi une valeur hautement symbolique puisqu'elle prend sa source dans la loi de 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ces principes visent à garantir la pleine inscription de cet établissement d'expertise qui prend quotidiennement de très nombreuses décisions dans son environnement politique et social. Indispensable au fonctionnement démocratique, l'expertise doit pouvoir être questionnée par les citoyens, par leurs représentants et l'établissement être capable de rendre compte de manière régulière et en tant que de besoin de son action et de sa gestion.

Ainsi, c'est dans un esprit de pleine responsabilité que j'aborde cette audition à l'instar de celle réalisée en décembre 2020 lorsque vous m'avez confié la mission de directrice générale que j'assure depuis trois ans.

Je suis chercheur de formation en immuno-hématologie et j'ai un parcours professionnel uniquement dédié au service public. Après une expérience dans la recherche clinique, j'ai rejoint et découvert le monde des autorités sanitaires et notamment le monde de l'Agence du médicament qui s'appelait à l'époque l'Afssaps, au sein de laquelle j'ai pu exercer différentes fonctions d'évaluation, d'expertise et d'encadrement managérial.

En 2010, j'ai rejoint le cabinet du ministre du travail, de l'emploi et de la santé. J'ai pu être mobilisée et particulièrement impliquée dans l'écriture et la mise en oeuvre du Fonds d'indemnisation sur les victimes du Mediator de la loi de 2011 qui a créé l'ANSM.

Après cette expérience, j'ai rejoint l'Assurance maladie où j'ai pu appréhender l'ensemble de la dimension prise en charge sur les produits de santé, à la fois au niveau du comité économique des produits de santé, mais également concernant la partie négociation conventionnelle avec les pharmaciens, les acteurs de la biologie et les acteurs du monde des dispositifs médicaux.

En décembre 2016, lorsque Dominique Martin était directeur général de l'ANSM, j'ai rejoint l'agence en tant que directrice générale adjointe. Ensuite, vous m'avez confié la mission d'être directrice générale.

C'est une belle institution à laquelle je suis très attachée et ce renouvellement était logique, à la fois pour :

- l'intérêt prononcé des missions de service public que l'Agence exerce sur les questions de sécurité sanitaire ;

- un attachement dans mon parcours à cette maison, à ses agents, dont je salue le très haut niveau d'expertise et la mobilisation, sans faille au quotidien, pour la sécurité sanitaire de nos concitoyens ;

- la conviction qu'une stabilité de la gouvernance est importante, notamment pour guider et accompagner cet établissement public de référence dans la dynamique de notre futur contrat d'objectifs et de performance (COP) sur 2024-2028.

C'est dans cette logique intégrée et assumée que je me présente à nouveau devant vous.

L'ANSM est un établissement public administratif. Il a été créé il y a 11 ans par la loi du 29 décembre 2011. Aujourd'hui, les presque 1 000 collaborateurs de l'établissement public exercent des missions qui couvrent l'ensemble des produits de santé :

- les médicaments : chimiques, biologiques, anciens, expérimentaux, curatifs ou préventifs - par exemple les vaccins. Environ 12 000 spécialités existent sur notre territoire national.

- les centaines de milliers de dispositifs médicaux qui vont des lunettes aux pansements, mais qui passent aussi par des dispositifs implantables plus sophistiqués : les logiciels, les appareils de radiologie, les produits sanguins labiles, les greffes ;

- les plantes et l'homéopathie.

L'Agence s'appuie sur son expertise interne extrêmement forte, mais aussi sur des experts externes dans un cadre déontologique strictement défini et totalement transparent. C'est réellement l'ADN de l'ANSM : le respect des règles déontologiques est un élément cardinal pour la garantie de la sécurité de nos concitoyens, la viabilité et la pérennité de l'ANSM.

Elle exerce de multiples missions d'autorisation, de surveillance, d'inspection et de contrôle dans ses propres laboratoires. Nous sommes un organisme libérateur, notamment de vaccins et de médicaments dérivés du sang. Nous avons plusieurs sites : à Saint-Denis, à Lyon et à Vendargues à côté de Montpellier.

L'Agence dispose de pouvoirs de police sanitaire en propre lui permettant si nécessaire de modifier, de suspendre, d'interdire des activités, des productions et des autorisations de commercialisation dans un unique et seul but : la sécurité des patients qui utilisent au quotidien les produits de santé.

Elle peut également prendre des sanctions financières à l'encontre des entreprises en cas de non-respect de la réglementation. Au total, ce sont plusieurs dizaines de milliers d'avis et de décisions qui sont rendus chaque année par l'ANSM, à peu près 85 000.

Enfin, l'Agence est pleinement inscrite dans son environnement européen. Elle participe de manière prépondérante au fonctionnement de l'Agence européenne du médicament et à la mise en oeuvre des règlements européens sur les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Cette dimension européenne a pris une place considérable en matière de produits de santé.

L'Agence européenne du médicament n'est pas une structure supranationale et n'a pas de pouvoir d'expertise propre. C'est une structure de coordination qui repose sur les seuls experts nationaux des agences sanitaires nationales, notamment de l'ANSM, mais aussi des 26 autres États membres. Ces experts construisent ensemble les évaluations au niveau européen et décident des mesures d'autorisation et de renforcement de la surveillance.

Inscrite dans cette dernière année du COP conclu avec le ministère des solidarités et de la santé le 23 mai 2019 pour cinq ans, l'Agence est pleinement mobilisée autour de ces quatre axes stratégiques fortement guidés par l'ouverture aux parties prenantes et la transparence sur ses travaux.

L'activité de la période de ces trois années a été marquée par la gestion de la crise sanitaire de la covid-19 avec une mobilisation intense des moyens de l'ANSM sur les priorités de gestion de crise. Dès mars 2020, notre activité a été fortement impactée autant sur nos missions de sécurité sanitaire que sur celles liées à l'accès à l'innovation thérapeutique. Quelques exemples :

- l'accélération des procédures d'évaluation des essais cliniques pour le traitement de la covid-19 : nous sommes aux alentours de 45 jours de manière classique. Les délais réglementaires sont de 60 jours. Nous sommes donc déjà en deçà des seuils réglementaires. Mais pendant la période covid, nous avons été en capacité avec une mobilisation exceptionnelle, d'être à sept jours en termes d'évaluation des autorisations d'essais cliniques, sans rogner sur la qualité de l'évaluation, de l'expertise et du rapport bénéfice-risque ;

- la mise en place de plus de 18 000 accès précoces. Ils ont permis l'arrivée des premiers traitements à la fois curatifs et préventifs pour les patients, avec plus de huit mois d'avance sur le territoire national par rapport aux autorisations qui ont ensuite été données au niveau européen ;

- un dispositif de surveillance renforcée en continu des effets indésirables qui étaient liés à l'utilisation des médicaments curatifs dans le cadre de la covid-19, mais aussi liés à la vaccination, avec des études qui ont été menées grâce à notre réseau national de centres régionaux de pharmacovigilance. Nous avons un maillage territorial unique en Europe, même au monde, avec 31 centres qui sont implantés dans les territoires, au plus proche des professionnels de santé et des patients ;

- la mobilisation de notre groupement d'intérêt scientifique (GIS) avec la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), le GIS EPI-PHARE, qui permet d'étudier en vie réelle sur les bases de données de l'Assurance maladie l'ensemble du comportement et des parcours de soins des personnes traitées notamment par des médicaments. Nous avons pu en permanence avoir des données, de manière continue et très réactive sur l'efficacité et la sécurité des traitements et des vaccins ;

- une information en continu de l'ensemble des usagers, des patients, des professionnels de santé au travers de webinaires ou de communications hebdomadaires qui étaient dédiés au sujet de la crise ;

Enfin, nous avons dû veiller et garantir la disponibilité des médicaments de réanimation pour la gestion de la crise, mais aussi d'autres traitements pour les pathologies chroniques.

Malgré la mobilisation très forte des équipes pendant la crise, l'Agence a su garder le cap sur l'ensemble de ses autres activités qui devaient perdurer dans le cadre de ses missions. Quelques exemples :

- l'entrée en vigueur du nouveau règlement européen sur les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ;

- la réforme de l'accès précoce, soit des accès dérogatoires avant l'autorisation de mise sur le marché qui permettent à des dizaines de milliers de patients de bénéficier de traitements avant l'autorisation de mise sur le marché, avec une articulation étroite avec la Haute Autorité de santé ;

- le nouveau règlement européen sur les essais cliniques avec une évolution majeure : l'évaluation est partagée au niveau européen comme cela est le cas pour les autorisations de mise sur le marché. En 2022, nous avons eu plus de 800 autorisations d'essais cliniques, ce qui démontre le dynamisme de la recherche clinique en France. Nous sommes dans le trio de tête en termes de nombre de demandes d'autorisation d'essais cliniques avec l'Allemagne et l'Espagne. Chaque mois, l'un de nous est premier, second ou troisième ;

- une mobilisation forte sur le sujet des pénuries avec le décret sur les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) qui, pour à peu près la moitié de la pharmacopée, soit environ 6000 médicaments, oblige les industriels à avoir deux mois de stock de sécurité et, pour 10 % d'entre eux, quatre mois de stock de sécurité. C'est une mesure, mais pas une « baguette magique ». Elle permet de donner du temps, lorsqu'un industriel déclare une tension, pour se retourner avec les patients et les professionnels de santé afin d'essayer de trouver des solutions par rapport à ces déficits extrêmement impactants.

Le premier semestre de l'année 2022 a également été marqué par la présidence française de l'Union européenne. Nous avons organisé plus de 20 réunions, groupes de travail et comités européens, avec une mobilisation exceptionnelle : plus de 150 secteurs de réunions, 2 000 participants et 115 agents de l'ANSM investis, au départ en distanciel eu égard à la prévalence encore forte de la covid-19, et ensuite en présentiel. Lorsque nous avons pu notamment organiser la réunion de mes homologues en mai 2022, cela faisait quasiment deux ans et demi que nous ne nous étions pas réunis en présentiel.

En cette dernière année d'exercice du COP actuel, le bilan permet de souligner :

- une amélioration nette de la perception de l'ANSM par les parties prenantes grâce aux efforts d'intégration de l'ensemble des acteurs dans nos instances et nos processus de construction des décisions. Dans toutes nos instances et tous nos échanges, nous avons des représentants des professionnels de santé et d'usagers. Chaque message, information, recommandation, décision de l'ANSM passe par les fourches caudines de nos parties prenantes, des professionnels de santé et des usagers, pour s'assurer de la bonne adéquation du message, de sa compréhension et de son adaptation si nécessaire, en fonction des cibles ;

- une place de la France retrouvée au niveau européen, où se jouent beaucoup d'éléments. Par exemple, l'autorisation des médicaments innovants passe uniquement au niveau centralisé par l'Agence européenne du médicament. Il faut donc être très présent au niveau des comités scientifiques européens, notamment du comité européen des médicaments ou du comité pédiatrique. Nous avons la chance d'exercer, par des représentants français de l'ANSM, des présidences et vice-présidences. Pour ma part, j'ai l'honneur d'avoir été élue en juin 2022 vice-présidente du conseil d'administration de l'agence européenne du médicament. La France doit influer et être encore beaucoup plus présente. Le maillon européen est indispensable.

Une mobilisation constante sur le sujet de la couverture des besoins sanitaires est nécessaire. Les déclarations sont en augmentation. Nous étions à 3 700 déclarations en 2022, nous approcherons probablement les 4 000 en 2023. Les déclarations ne sont pas forcément des tensions effectives, mais des risques anticipés. Pour autant, 40 % de ces déclarations nécessitent des mesures, parce qu'il manque des médicaments. C'est un sujet majeur de préoccupation pour nos concitoyens, les professionnels de santé, l'ensemble de la société et pour l'ANSM.

En se fondant sur ce bilan extrêmement riche, grâce à la mobilisation constante et sans faille des 1 000 agents de l'ANSM, il est clair que des activités doivent être poursuivies et renforcées . Aini, un investissement majeur en matière de gestion des pénuries est fortement attendu, et pas uniquement de la part de l'ANSM . Nous devons également développer davantage des modes de communication encore plus proches des patients et des professionnels de santé, malgré des améliorations notables. Il nous revient aussi de nous assurer que chaque patient et professionnel de santé dispose bien de l'information. Et nous devons avoir des objectifs ambitieux en matière d'épidémiologie des produits de santé, notamment au travers de notre groupement d'intérêt scientifique qui doit être maintenu afin de renforcer le suivi des produits de santé en vie réelle.

C'est donc dans ce contexte que je souhaite porter pour les trois prochaines années un projet ambitieux ; il se doit de l'être pour répondre aux défis actuels et à venir.

La question européenne est essentielle pour l'Agence. La prise en charge sanitaire ne peut être envisagée sans évoquer l'échelon supranational. Il faut que l'Agence, que la France, soient omniprésentes à l'échelle européenne, à la fois sur les médicaments, mais aussi sur les dispositifs médicaux et diagnostics in vitro et qu'elles prennent encore davantage de place dans le concert européen.

Le projet que je propose s'organise autour de quatre axes stratégiques :

- une agence garante de la sécurité des patients dans le cadre de l'utilisation des produits de santé, avec un focus majeur sur la gestion des pénuries et l'anticipation : nous souhaiterions ne plus être dans une situation de gestion des pénuries, mais dans une anticipation. En corollaire, il s'agit de renforcer le bon usage des produits de santé. Nous sommes de gros consommateurs de médicaments, donc très sensibles aux tensions et aux ruptures. Cela est un tout permettant de garantir la sécurité. Limiter les prescriptions inutiles, comme pour les antibiotiques, permettrait de diminuer les consommations des produits de santé et le nombre d'effets indésirables ;

- une agence agile et qui accompagne l'innovation scientifique et l'accès des patients aux traitements innovants, par exemple pour les maladies rares. Il faut être agile sur les méthodologies et les procédures, notamment des essais cliniques. Avec un petit nombre de patients, nous ne pouvons pas forcément avoir le même type d'essai clinique. Parmi les points importants, figure l'accès au plus précoce et notamment aux prises en charge. Il s'agit de former les agents aux innovations et aux ruptures technologiques. L'intelligence artificielle est présente et le sera de plus en plus. Les équipes doivent être formées à ces nouvelles technologies, pour traiter des demandes d'autorisation d'essais cliniques impliquant l'intelligence artificielle. Pour avoir la capacité d'appréhender et d'évaluer, la formation est nécessaire, ainsi que de nouveaux profils pour gérer des données de grands volumes ;

- une agence à l'écoute et au service des citoyens qui impose d'être dans la transparence ; nous le faisons déjà, mais il faut aller encore plus loin dans l'accès à nos données, la personnalisation de l'information des publics, être à l'écoute et des remontées de terrain les plus proches. Je souhaite développer de manière très forte une dimension sur la territorialisation, pour avoir un ancrage de l'Agence au niveau des territoires. Si les situations évoluent, elles évoluent au niveau local. Nous avons un réseau de correspondants, de médecins et de pharmaciens au niveau local, dans l'ensemble des régions y compris en outre-mer. L'échelon territorial est indispensable, à la fois pour disposer de remontées du terrain mais également pour évaluer l'application des mesures prises au niveau national. C'est un enjeu pour le COP que de développer de manière extrêmement forte cette territorialisation, cette adaptation. Il y a différentes typologies de patientèles et c'est indispensable d'instaurer cette collaboration, notamment avec le réseau des agences régionales de santé. ;

- une agence performante et engagée. Pour délivrer le meilleur service aux citoyens, l'ensemble de mes équipes doit avoir une qualité de vie au travail adéquate et je suis très attentive à l'équilibre des temps de vie professionnels et personnels. L'ANSM est une agence de sécurité sanitaire et une agence d'urgence. Il n'est donc pas toujours simple de concilier les deux. Mais il est important de conserver cette capacité d'écoute, d'expertise, d'agilité et également de renforcer notre attractivité. C'est une belle institution, dont les missions sont extrêmement exigeantes. Il faut que nous soyons attractifs pour pouvoir attirer et conserver les talents.

Je soulignerai enfin l'importance de l'évolution de l'Agence depuis ces trois dernières années, en réalité engagée depuis 2016. Si l'opportunité m'est donnée de poursuivre mes fonctions auprès des collaborateurs de l'Agence, je m'emploierai à chaque instant à ce que l'ANSM soit et reste une agence à l'écoute de ses usagers, de leurs attentes, capable d'être agile et résolument en prise avec son temps, une agence au service de la sécurité de tous les patients qui utilisent des produits de santé.

De nombreux progrès ont déjà été faits, mais il y a encore du chemin à parcourir et c'est dans ce cadre que je me présente devant vous aujourd'hui.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci beaucoup. Comment se passent les discussions pour le nouveau COP ?

Lors de la commission d'enquête sur la pénurie du médicament qui avait été constituée au Sénat, vous aviez évoqué le manque de moyens de l'Agence pour contrôler le respect des obligations de l'ensemble des acteurs de la chaîne du médicament et pour prendre les mesures nécessaires à la prévention et à la résolution des situations de rupture. Le budget de la dotation de l'Agence pour 2024 a été légèrement augmenté et devrait se traduire par environ sept équivalents temps plein (ETP) supplémentaires. Pensez-vous qu'avec cette augmentation, vous aurez les moyens de régler ces difficultés et quels seront vos chantiers prioritaires ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Notre COP est sous la tutelle de la direction générale de la santé, de la direction de la Sécurité sociale, de la direction du budget et de la direction de la recherche.

Dans le cadre de la préparation d'un nouveau COP, une mission Igas est mobilisée pour le bilan du COP précédent et pour tracer les grands axes. Ce processus est terminé et le rapport est encore confidentiel. De premiers éléments tracent un bilan positif du dernier COP, avec des marges de progression.

Un travail est réalisé en étroite collaboration avec les tutelles sur les axes stratégiques du COP, qui doit être validé par notre conseil d'administration. Dans ce contexte, une discussion a eu lieu fin septembre. Au sein du conseil d'administration de l'Agence siègent des parlementaires, trois sénateurs et trois députés, ainsi que des représentants de professionnels de santé et d'usagers. Le vice-président de notre conseil d'administration est un représentant d'usager. La présidente du conseil d'administration est un membre du Conseil d'État.

Les grands axes que je vous ai présentés ont recueilli l'aval de notre conseil d'administration, mettant en évidence l'adéquation de ces axes. S'ensuit un travail plus précis de rédaction des actions, des thèmes et des indicateurs avec l'objectif que nous puissions avoir un COP finalisé, présenté à notre conseil d'administration fin juin et signé entre le directeur général de l'ANSM et le ministre de la santé et de la prévention fin juin ou début juillet 2024.

J'ai été auditionnée deux fois par la commission d'enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments. Il est nécessaire de pouvoir être mobilisé sur l'ensemble des actions relatives aux pénuries, avec des dimensions et des compétences diversifiées pour l'ANSM. Aujourd'hui, notamment sur le sujet de la régulation, nous analysons des centaines de milliers de données puisque nous regardons, sur l'ensemble des molécules du plan hivernal, l'approvisionnement ligne par ligne, industriel par industriel, spécialité par spécialité, au niveau des laboratoires, des grossistes répartiteurs et des officines.

Il est nécessaire de s'enrichir de compétences nouvelles, de data scientists, d'analystes et d'experts de la donnée. En effet, les sept ETP octroyés à l'ANSM constituent un point positif. Nous avions sollicité davantage, mais c'est déjà extrêmement important, notamment dans le contexte de finances publiques contraintes.

Nous nous emploierons à les utiliser comme chaque ETP, de la manière la plus adéquate possible, notamment en renforçant les profils et les compétences sur cette gestion de données de prescription et d'usage. Il s'agit de savoir comment articuler le bon usage, la gestion des ruptures et les obligations de chaque industriel.

Mme Corinne Imbert. - Je partage avec vous le souci de la juste prescription des médicaments. À titre personnel, j'ai toujours dit aux patients que les médicaments n'étaient pas des « bonbons ». C'est une réalité qu'il est bon de rappeler.

J'ai bien entendu votre attachement à décliner les missions de l'ANSM à l'échelon local. Cela passe par la confiance des acteurs, notamment celle des professionnels de santé.

Pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, le Sénat avait adopté un amendement, qui, par miracle, a été conservé par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité à l'Assemblée nationale. Il consiste, après une procédure contradictoire, à intégrer à la liste des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur un médicament n'étant pas considéré comme tel par l'entreprise qui l'exploite. De quelle manière et selon quel calendrier, comptez-vous vous emparer de cette nouvelle faculté ? Devrait-elle permettre, par exemple, d'intégrer à la liste des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur le paracétamol, lequel a concentré ces dernières années des difficultés d'approvisionnement, notamment pour certaines spécialités ?

Les récentes recommandations de l'ANSM visent à dissuader la consommation et l'utilisation de vasoconstricteurs pour soulager les symptômes du rhume. Ils étaient commercialisés depuis peut-être plus de 20 ans dans certaines spécialités. Cela ne risque-t-il pas de nourrir la défiance des Français vis-à-vis des médicaments et des vaccins ? Comment l'Agence tient-elle compte de cette crise de confiance et comment entendez-vous y répondre dans les prochaines années ? Près de 15 ans après le scandale du Mediator et après trois ans passés à la tête de l'Agence, estimez-vous que la confiance dans le médicament, les vaccins et les autorités de pharmacovigilance s'est améliorée en France ?

Le cas des accès dérogatoires a été largement revu en loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, avec le remplacement des autorisations et recommandations temporaires d'utilisation par les accès précoces et dérogatoires. Comment ce changement a-t-il influé sur l'activité de l'ANSM dans les procédures dérogatoires, et quel bilan tirez-vous à ce jour de la procédure d'accès compassionnel pour laquelle l'ANSM joue un rôle prépondérant ?

Et au-delà de l'aspect financier, quelles sont selon vous les marges de manoeuvre et de progression pour améliorer l'accès des Français aux médicaments innovants ? Les critiques parfois formulées par les patients et les industriels sur ce point sont-elles, selon vous, justifiées ?

Que pensez-vous de la contradiction entre l'obligation de sérialisation, d'une part, et celle de dispenser des médicaments à l'unité, d'autre part, portée par le dernier PLFSS ?

Enfin, je ne suis pas favorable à l'utilisation des somnifères, mais les pénuries de médicaments vous empêchent-elles de dormir ? Il y a, en effet, un somnifère qui rencontre actuellement des difficultés d'approvisionnement.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous sortez d'un mandat qui est loin d'être serein. Nous vous souhaitons un deuxième mandat plus calme.

Dans le rapport de notre commission d'enquête, concernant les gestions de pénurie de médicaments à l'échelon local, nous avions constaté une absence de coordination entre l'ANSM et les agences régionales de santé qui aggravait considérablement la situation. Qu'en est-il aujourd'hui ?

S'agissant des pouvoirs de sanction dont l'ANSM dispose pour le non-respect des obligations de stock des laboratoires pharmaceutiques, nous avions constaté qu'ils sont très peu utilisés. L'Agence n'a pris que huit décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022, pour un montant total de 922 000 euros. Ces sanctions prononcées par l'ANSM apparaissent particulièrement faibles dans leur nombre et leurs montants. Aucune n'a été prise au motif d'une violation des obligations d'élaboration d'un plan de gestion de pénurie et de constitution d'un stock de sécurité par les industriels. Quels sont vos objectifs pour rendre le pouvoir de contrôle et de sanction de l'ANSM dissuasif auprès des laboratoires ?

En février dernier, les ministres de la santé et de l'industrie ont annoncé la mise en place sous trois mois et en lien avec l'ANSM d'un plan de prévention des épidémies hivernales. Pourtant, les pénuries d'antibiotiques tels que l'amoxicilline perdurent. Quel est ce plan et où en est-il ?

Concernant la pharmacovigilance et les effets indésirables des médicaments et des vaccins, le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a fait état de lacunes du système de déclaration passif. Seuls 5 % à 10 % des événements indésirables sont notifiés, ce qui peut engendrer une sous-estimation de l'ampleur d'un problème sanitaire. Le manque d'informations en direction des patients, d'une part, et de formation des professionnels de santé à la pharmacovigilance, d'autre part, sont des lacunes qui ont été bien identifiées dans ce rapport. Quels sont vos objectifs pour améliorer les dispositifs de déclaration et rendre les procédures de déclaration accessibles à tous, professionnels de santé comme patients ?

Enfin, la confiance se construit sur la reconnaissance. Il semble important de reconnaître l'existence de certains effets indésirables, qu'ils prennent une forme le plus souvent bénigne ou parfois grave. À ce titre, les rapporteurs du rapport précité de l'Opecst regrettent que l'ANSM ne se soit pas prononcée à l'échelle nationale sur l'existence d'un lien entre les troubles menstruels et certains vaccins contre la covid-19, en l'absence de prise de position du comité de pharmacovigilance européen, alors que les centres régionaux de pharmacovigilance ont reconnu la pertinence de ce signal.

M. Bernard Jomier. - Au sujet du paquet pharmaceutique européen qui est en préparation avec Pascale Gruny et Cathy Apourceau-Poly, nous sommes chargés d'un avis pour la commission des affaires européennes et procédons actuellement à des auditions. Quel est votre avis sur l'orientation générale de ce projet de paquet pharmaceutique européen ? Trois points méritent en particulier une attention. Premièrement, la commission envisage l'option, concernant le stockage des médicaments, de le confier à l'Union et aux États membres plutôt qu'aux entreprises, ce qui est actuellement le cas en France. Comment voyez-vous cette évolution ?

Deuxièmement, il est proposé de supprimer la procédure de renouvellement des autorisations de mise sur le marché au bout de cinq années pour les médicaments qui ont été mis sur le marché il y a plus de cinq ans. Qu'en pensez-vous ?

Troisièmement, il est prévu d'établir une liste de médicaments critiques. Nous nous souvenons des débats dans notre pays lorsqu'une liste similaire a été publiée par le ministère de la santé. Comment voyez-vous l'élaboration d'une telle liste ? Doit-elle s'appuyer sur des molécules ou sur des groupes pharmaceutiques ?

Quand vous aviez été nommée, vous aviez affirmé votre attachement à la démocratie sanitaire et vous avez débuté votre exposé par cette question. Et pourtant, nous avons l'impression que votre agence écoute assez peu les associations de patients. Depuis que vous êtes directrice, votre agence a été mise en examen pour tromperie. Nous nous souvenons que pour le Levothyrox, il s'est révélé que le laboratoire, délibérément ou non, n'avait pas mentionné sur cette boîte un changement de composition et que l'Agence était restée silencieuse. Nous apprécions votre discours sur la démocratie sanitaire, mais quel dispositif comptez-vous mettre en place ? Nous avons l'impression que c'est plutôt l'avis des industriels qui prime, au-delà du raisonnable parfois et de la réalité scientifique.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Au sujet de la mesure issue du PLFSS, il n'était auparavant pas possible de faire entrer sur la liste un médicament en tant que MITM, puisque c'était à la discrétion des industriels. Sur un certain nombre de sujets, lorsque nous avons des déclarations ou lorsque nous faisons le constat relayé, par des pharmaciens ou par des patients, de difficultés sur certains médicaments, si ces derniers ne rentrent pas dans la définition claire d'un MITM, les conséquences sont nombreuses. En effet, il n'existe dès lors pas d'obligation de stock pour les industriels. En termes de processus, sur la base des remontées ou des disparités, nous pourrons définir et ajouter un certain nombre de spécialités en tant que MITM. Pour une substance active donnée, nous pouvons avoir certaines spécialités que industriels ont classées MITM et d'autres pas. Lorsque nous observons des disparités, nous interrogeons l'industriel et nous aurons la possibilité de les intégrer.

Pour le paracétamol, de manière générale, la question peut possiblement se poser par rapport à la définition réelle du statut MITM. Pour le paracétamol pédiatrique, je suis assez intimement convaincue qu'il répond à la définition d'un MITM. Nous aurons donc la possibilité cette fois-ci de pouvoir le faire entrer, y compris si l'industriel n'est pas dans cette dynamique.

Les professionnels de santé, les pharmaciens, les médecins et l'ANSM recommandent fortement de ne pas utiliser les vasoconstricteurs oraux. Ces médicaments sont commercialisés depuis des années au niveau européen et c'est pourquoi l'avis de l'Agence européenne du médicament est requis pour une décision de suspension définitive, notamment des autorisations de mises sur le marché.

Nous n'avons pas la même appréciation que l'Agence européenne. Nous évaluons le rapport bénéficiaire en fonction des situations. Les vasoconstricteurs oraux servent à soulager un symptôme bénin. Ils vasoconstrictent très bien et débouchent le nez. Cependant, ils vasoconstrictent également ailleurs, avec des risques certes très rares, mais très graves, d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou d'infarctus du myocarde. Risquer un AVC pour un nez bouché ne semble pas complètement adéquat, même si c'est extrêmement rare. Il nous apparaît, avec les médecins et les pharmaciens, que des recommandations d'utilisation de sérum physiologique ou d'eau de mer sont beaucoup plus adéquats.

L'Europe n'a pas cette perception. Un premier avis du comité de sécurité a été rendu avec un ajout de deux nouvelles contre-indications pour les vasoconstricteurs oraux. Elles étaient auparavant 16 et sont désormais au nombre de 18. C'est assez élevé. Ces autorisations de mise sur le marché existent et resteront. Pour autant, nous considérons qu'il faut aller plus loin.

En ce qui concerne la défiance et la méfiance, c'est le rôle majeur de la confiance et de l'échange au quotidien entre les patients et leurs professionnels de santé. Avec les médecins et les pharmaciens, nous avons la chance d'avoir un maillage territorial, notamment au niveau officinal, qui est extrêmement précieux. Nous l'observons dans les enquêtes d'opinions : le patient a confiance en son médecin et en son pharmacien.

Au sujet de la démocratie sanitaire, ces propos me touchent et me blessent. Depuis que je suis à l'ANSM et même depuis 2011, car vous savez mon implication dans la loi de 2011 que j'ai eu la chance de porter lorsque j'étais au cabinet du ministre de la santé, avec le fonds d'indemnisation des victimes du Mediator. Je n'ai de cesse, je peux vous le garantir, d'écouter l'ensemble des parties prenantes et les patients. Les usagers sont présents dans l'ensemble de nos instances de gouvernance et de décision.

Dans le cadre du rapport sur le COP, les parties prenantes et les usagers ont été interrogés, comme France Assos Santé. Ils reconnaissent l'évolution. Certains éléments sont perfectibles et il faut toujours mieux faire. Aujourd'hui, aucun document, aucune information, aucune recommandation de l'ANSM ne sort sans qu'il y ait eu des échanges avec les professionnels de santé et avec les patients, notamment sur les ruptures. L'écoute des usagers est cardinale et primordiale. Sinon, je ne ferais pas ce métier. Des efforts doivent être fournis en ce qui concerne la communication et la description de notre fonctionnement, en parallèle d'une étanchéité totale avec les industriels.

Les industriels produisent les médicaments et j'aimerais qu'ils les produisent en un nombre permettant de garantir la couverture des besoins. Depuis la loi de 2011, plus aucun industriel ou représentant d'industriel n'est présent dans nos instances. Nous avons un comité d'interface, puisque des échanges doivent avoir lieu et sont tracés avec des ordres du jour et des comptes rendus mis en ligne sur notre site internet. Nous pouvons néanmoins ne pas être toujours d'accord. Différents formats existent. Par exemple, les comités scientifiques temporaires sont mis en place sur des sujets spécifiques. Nous venons de mettre en place un comité sur les agonistes synthétiques du récepteur du GLP1. Dans ce comité se trouvent les représentants des patients.

En ce qui concerne la sérialisation et la dispensation à l'unité, nous sommes dans une situation qui est assez orthogonale. Je pense que le sujet de la dispensation à l'unité est une option qui peut être mobilisée dans des cas très spécifiques. Ce qui est important, notamment sur le bon usage, c'est l'adéquation des conditionnements par rapport à la durée de prescription. C'est un travail qui est réalisé à la fois par l'ANSM, mais aussi par la Haute Autorité de santé.

Si je prends l'exemple de l'amoxicilline, six jours de traitement sont prescrits. Les recommandations actuelles évoluent plutôt vers cinq jours. Il est plus adéquat d'adapter un conditionnement. Sérialisation et dispensation à l'unité ne sont pas complètement parallèles.

Les pénuries de médicaments me préoccupent, comme nous toutes et tous.

Lorsqu'un industriel dépose et reçoit une autorisation de mise sur le marché, il s'engage à garantir la couverture et l'approvisionnement en due quantité par rapport à la population cible qu'il a estimée.

La première responsabilité est que l'industriel puisse garantir un approvisionnement. Ensuite, des problèmes de production et des incidents peuvent se produire. Si une autorisation de mise sur le marché est accordée et que l'industriel n'est pas en mesure de produire, c'est une tromperie pour le patient et le professionnel de santé. En effet, avec l'autorisation, c'est un espoir de traitement qui est également donné.

Entre 2018 et 2022, le nombre de sanctions financières a été restreint, eu égard notamment au périmètre qui était autorisé. À partir de fin 2022 et 2023, le périmètre des critères sanctionnables a été élargi. En 2023, il y a déjà eu huit sanctions financières, contre huit sanctions financières entre 2018 et 2022. Elles concernent aujourd'hui uniquement les pénuries. Elles ne doivent pas porter absolument sur les pénuries, mais un accent plus important est mis sur ce sujet. Le montant de la sanction est défini dans les textes avec un seuil maximal.

S'ajoute le sujet de la publicité et de la communication. La publicité de la sanction est importante. Aujourd'hui, les textes imposent que cette communication soit seulement d'une durée d'un mois sur le site internet de l'ANSM. C'est en effet très court pour que ce soit visible, mais telles sont les dispositions réglementaires en vigueur.

Le sujet du plan hivernal nous a été demandé en février 2023. Nous avons mis en place un plan hivernal qui a été coconstruit avec l'ensemble des acteurs, les professionnels de santé, les médecins, les pharmaciens et les directions de l'administration centrale. Il a été communiqué au mois d'octobre avec trois dimensions : surveillance, activation des mesures et retour d'expérience à l'issue de la période. Nous suivons un certain nombre de molécules marqueurs sur les médicaments qui sont utilisés pour les pathologies hivernales : les antibiotiques, les corticoïdes, le paracétamol, le fluticasone et le salbutamol, qui sont utilisés notamment dans les pathologies asthmatiques. La situation sur le paracétamol, par rapport à l'an dernier, s'est normalisée, y compris en termes d'accès pour les patients. Les stocks sont importants chez les industriels, les grossistes et dans les officines.

Pour l'amoxicilline, les causes racines sont extrêmement différentes par rapport à l'an dernier. Le patient rencontre aujourd'hui de grandes difficultés à accéder à son traitement dans son officine, notamment au niveau local. L'année dernière, il y avait une pénurie d'approvisionnement et de production. La production n'était pas à la hauteur de la triple épidémie extrêmement précoce. Aujourd'hui, nous sommes dans une pénurie de distribution. Les stocks sont présents chez les industriels et les spécialités existent, mais la répartition sur le territoire national est extrêmement hétérogène.

Il existe deux façons d'approvisionner les officines :

- les ventes en direct des industriels ou des dépositaires vis-à-vis des officines ;

- les grossistes répartiteurs ; il existe 180 agences de répartition qui ont des obligations de service public pour approvisionner de manière équitable l'ensemble du territoire national.

L'amoxicilline et les autres produits tombés dans le domaine public, soit majoritairement des médicaments génériques, sont en principe distribués à 80 % par les grossistes répartiteurs et à 20 % en vente directe.

En 2023, nous avons constaté une dérégulation du système avec presque uniquement des ventes directes qui ne permettent pas de garantir ce maillage territorial. C'est pourquoi un appel à la responsabilisation de chaque acteur a été fait.

L'Agence possède des missions de garantie de la couverture, mais nous n'avons pas de « baguette magique ». Nous ne produisons pas de médicaments et nous n'avons pas de camions qui approvisionnent. Le seul objectif de l'approvisionnement doit être un objectif de santé publique pour que chaque patient et chaque officine puissent disposer de ces médicaments. Ainsi, une charte d'engagement a été mise en place et signée par l'ensemble des acteurs sous la coordination de la présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) et de moi-même. Nous coordonnons, mais nous ne sommes pas signataires, parce que nous ne sommes pas acteurs de la chaîne. Cette charte inclut des engagements où chaque acteur a uniquement un engagement responsable. Elle n'est pas opposable.

Les déclarations de pharmacovigilance sont spontanées. L'objectif est la communication et la capacité à déclarer à la fois par les professionnels de santé, mais également par les patients. C'est possible depuis de nombreuses années avec un portail unique. Nous observons des déclarations importantes pour les vaccins. Pour autant, lorsque les déclarations sont spontanées, il existe toujours une sous-notification. C'est pourquoi nous avons mobilisé la surveillance sur les vaccins notamment.

À la pharmacovigilance s'ajoute la pharmacoépidémiologie, notamment avec l'EPI-PHARE, notre groupement d'intérêt scientifique, qui s'appuie sur les bases de données de l'Assurance maladie. Il permet d'avoir, notamment sur le vaccin contre la covid-19, en vie réelle et en permanence, les données d'efficacité et de sécurité sur le sujet des effets indésirables. Tous les rapports sont en ligne et on fait l'objet d'articles internationaux.

Au sujet de la reconnaissance de la souffrance et des effets indésirables, la confiance des patients constitue, en effet, un enjeu important. La présence des patients et la parole des patients sont constantes dans les travaux de l'ANSM.

Les troubles menstruels ont été reconnus par l'ANSM qui a porté le sujet au niveau européen. Les recommandations de l'Agence européenne du médicament n'ont pas été aussi loin que ce que nous avons pu mobiliser. Toutefois, il est de notre devoir de relayer les effets indésirables au niveau européen. EPI-PHARE étudie également ce sujet. Cela a permis que le sujet soit étudié au niveau européen. Nous pouvons ne pas être satisfaits de l'issue de l'évaluation européenne. La France est l'État qui recense le plus, parce que nous avons un système de pharmacovigilance qui est probablement plus performant que d'autres États.

En ce qui concerne le paquet pharmaceutique européen, les stockages de médicaments, plutôt au niveau des États membres de l'Union européenne, peuvent s'entendre pour un nombre limité, possiblement dans une philosophie de stock stratégique. L'important est de pouvoir instaurer cette mutualisation qui existe déjà aujourd'hui en cas de situations de tension, nous échangeons avec nos homologues européens pour voir si, par exemple, ils possèdent des quantités et inversement.

La liste des médicaments critiques de l'Union européenne réalisée par l'Agence européenne du médicament, à laquelle nous avons travaillé de manière active, est parue hier, sous mandat de l'Union européenne. De mémoire, 200 médicaments sont répertoriés. La liste constitue toujours un sujet sensible. Chaque État a une liste avec un nombre différent de médicaments.

Le sujet était d'instaurer une notion de criticité, au moins dans un tiers des Etats européens, afin que la liste européenne ne soit pas une juxtaposition de l'ensemble des listes nationales et puisse permettre une évolution. Elle est sortie avec des mesures et des obligations qui interviendront lorsque la révision de la législation pharmaceutique sera approuvée, soit dans un temps beaucoup plus long.

Le renouvellement quinquennal est un renouvellement assez administratif. Il existe une surveillance en permanence, au travers des PSUR (Periodic Safety Update Report) ou des PSUSA (Single Assessment), soit des rapports périodiques de sécurité sur l'ensemble de la substance active. Ce suivi est opéré. Nous ne perdons pas en termes d'évaluation et de sécurité avec la suppression du renouvellement quinquennal.

Mme Pascale Gruny. - À la suite de la liste des médicaments, les chaînes de production globales, incluant les matières premières, les produits finis et les réseaux de distribution, devaient être cartographiées pour permettre de définir la criticité industrielle de ces médicaments. Travaillez-vous sur ce sujet avec le Gouvernement ? Comment qualifiez-vous la collaboration des industriels sur cette question ?

En novembre dernier, il a été signé sous l'égide de l'ANSM et du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, une charte visant à améliorer l'information mutuelle entre les différents acteurs de la chaîne de distribution des médicaments. Les différents signataires s'engageaient ainsi en faveur d'une répartition équitable des stocks de médicaments sur le territoire national. Pourtant, deux semaines après cette signature, la presse a indiqué que les grossistes répartiteurs se plaignaient de ne disposer que de trois jours de stock d'amoxicilline, alors que les stocks des laboratoires sont de plusieurs mois. Pouvez-vous nous dresser un bilan de la mise en oeuvre de cette charte ?

Enfin, j'étais étonnée de vous entendre parler d'homéopathie, car je croyais que c'était interdit pour tout le monde. Le message qui a été envoyé avec le déremboursement ou le non-remboursement a fait que beaucoup moins de personnes se soignent en homéopathie. Les chevaux sont beaucoup soignés en homéopathie. Nos éleveurs de bovins soignent également en homéopathie leurs vaches pour éviter les antibiotiques. Si ce traitement convient aux animaux, pourquoi pas à l'homme ?

Mme Florence Lassarade. - Comme rapporteure sur les effets secondaires des vaccins, il me semble que les troubles menstruels ont été soulignés par ce rapport. C'est juste après que l'ANSM l'a proposé comme effet secondaire.

D'une part, le dispositif d'évaluation des dispositifs médicaux in vitro européens qui existe depuis 18 mois, a-t-il finalement amélioré la situation ? Les remontées sont-elles plus nombreuses ? Quelles sont les conséquences de l'installation de cette agence d'évaluation ?

Pour revenir sur la pénurie d'amoxicilline, moi qui étais pédiatre, je sais qu'en examinant correctement un enfant, les pédiatres prescrivent 50 % d'antibiotiques en moins, en particulier grâce à l'utilisation des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod). Comme les pédiatres sont de moins en moins nombreux, devons-nous nous attendre à une explosion de l'utilisation des antibiotiques ? En France, ne devrions-nous pas d'abord nous demander pourquoi la prescription de médicaments, en particulier antibiotiques, est aussi importante, avant de nous préoccuper de pénurie ?

Par ailleurs, dans les études de médecine, nous étions mis en garde contre les vasoconstricteurs, qu'ils soient locaux ou oraux. Le problème concerne plutôt l'automédication. Avez-vous une appréciation particulière ?

Quelle est votre position personnelle sur l'abandon des molécules utilisées classiquement dans la maladie d'Alzheimer, sans évaluation secondaire de l'abandon de ces molécules ? Les nouveaux traitements monoclonaux utilisés actuellement aux États-Unis pour l'Alzheimer ne sont pas pour l'instant envisagés en France, car la pharmacovigilance insiste beaucoup sur les effets secondaires. Mais n'insistons-nous pas sur les effets secondaires pour ne pas avoir à financer ces produits qui représentent une dépense importante ?

Mme Céline Brulin. - La commission d'enquête avait notamment identifié une qualité très inégale des plans de gestion des pénuries, certains ne comportant aucune évaluation des risques de rupture. Notre commission a proposé, lors de l'examen du PLFSS pour 2024, la mise en place de plans de gestion des pénuries renforcés. Cette proposition n'a pas été retenue par le Gouvernement. Votre agence envisage-t-elle de renforcer les contrôles en amont sur les contenus de ces plans de gestion des pénuries ?

Ensuite, les pénuries toucheraient aujourd'hui plus la distribution que la production. Le fait que tout ne passe pas par des grossistes répartiteurs pose un problème en termes de maillage. La charte et l'appel à la responsabilisation ne semblent en effet pas être complètement opérants. Faudrait-il aller plus loin que cette charte ? Et dans quel sens ?

Enfin, vous avez évoqué huit sanctions financières en 2023, toujours liées à la pénurie de médicaments. Nous pouvons les comparer aux huit qui avaient été prononcées entre 2018 et 2022. Pouvez-vous déjà ressentir ou percevoir les effets de ces sanctions, par exemple des corrections opérées par les industriels ou est-il encore trop tôt ?

M. Khalifé Khalifé. - Permettez-moi de vous remercier de vive voix, car je vous ai sollicité lorsque vous étiez adjointe de la directrice de l'Agence. J'avais alors une autre fonction pour la gestion de la crise de la covid-19 en Moselle avec la pénurie de vaccins et vous avez usé de votre pouvoir de régulation pour nous dépanner rapidement, alors que nous étions un peu délaissés dans cette crise en mars 2020.

Les zones frontalières comme la Moselle ou d'autres départements frontaliers souffrent, malgré certaines négations, de distributions en dehors des frontières où les prix sont plus chers.

Êtes-vous saisie quand il y a une réinternalisation de certains produits ? Et si c'est le cas, percevez-vous une évolution favorable pour augmenter la production en France de certains produits ?

Pour les maladies rares, voire très rares, vous donnez l'autorisation de mise sur le marché et le prix en fonction de l'amélioration du service médical rendu (ASMR). Or, il est difficile de faire des études cliniques assez importantes dans ces cas-là. Cela ne risque-t-il pas d'aggraver certaines pénuries pour des médicaments innovants qui ne seront pas sur le marché français ?

M. Olivier Henno. - Je n'arrive pas à me faire à l'idée d'une pénurie de paracétamol pédiatrique avec les moyens que notre pays consent ou consacre à la santé. Je m'interroge donc, malgré tout, sur la pertinence de notre organisation et sa réactivité.

Au sujet des innovations thérapeutiques et notamment des autorisations d'accès précoces, pensez-vous que notre système d'organisation est pertinent et trouve le juste équilibre entre la nécessaire réactivité ou souplesse et l'indispensable responsabilité ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. - Un travail étroit est mené entre l'ANSM et la direction générale des entreprises pour cartographier les vulnérabilités lorsqu'il n'y a qu'un seul cycle de production ou qu'un seul façonnier. Avant la covid-19, une pénurie sur les corticoïdes avait eu lieu avec un grand nombre de spécialités de génériques de corticoïdes, mais il n'y avait qu'un seul façonnier. Il s'agit également d'étudier les éventuelles mesures de relocalisation au niveau national. La maille européenne est probablement aussi une autre bonne façon de procéder.

La charte d'engagement des acteurs de la chaîne est un appel fort du ministre à la responsabilisation de chacun. Je réunis dans le cadre de la gouvernance du plan hivernal l'ensemble des acteurs de la chaîne tous les quinze jours, ainsi que les professionnels de santé et les patients tous les mois. Une réunion se tiendra prochainement pour que tout le monde oeuvre dans le même sens. À ce stade, avant l'application réelle du PLFSS et de son article 33, je ne peux qu'appeler à la responsabilisation et à la réorientation des flux vers les grossistes répartiteurs.

Avec l'article 33, je disposerai d'une base juridique législative pour l'imposer. J'ai adressé des courriers, notamment en octobre, date limite des recommandations en l'absence de base législative, en demandant aux industriels de réorienter l'ensemble des flux et de revenir à du 80/20. Il semble que les effets soient un peu longs à être visibles. J'espère fortement et fermement qu'il va bien y avoir cette réallocation, notamment sur les stocks de sécurité, parce que ce sont aussi des messages qui sont passés.

Dans une situation de tension comme celle d'aujourd'hui, nous n'imposons pas de ne pas toucher aux deux mois de stock de sécurité, alors que les patients n'ont pas accès aux traitements. Ce serait une hérésie. J'ai en effet indiqué, y compris dès le mois de mai 2023, que les stocks de sécurité devaient être dans le circuit en cas de tension. Nous n'appliquons dans ce cas pas de sanctions financières. L'objectif est avant tout que le patient bénéficie de son traitement. Il faut que ce soit répété et mis en pratique.

Au sujet de l'homéopathie, le déremboursement est sous l'égide de la Haute Autorité de santé et concerne le sujet du bon usage. Par exemple, l'utilisation d'antibiotiques sur des pathologies virales n'a pas lieu d'être. C'est tout un accompagnement, une éducation et une pédagogie. C'est le travail au quotidien des médecins et des pharmaciens de faire comprendre aux patients qu'un médicament n'est pas nécessairement requis.

En ce qui concerne la matériovigilance, il existe un réseau structuré, sur le modèle des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), qui se monte sur la matériovigilance avec des champs plus larges. Ce sont des centaines de milliers de dispositifs médicaux qui sont concernés. La mobilisation au niveau régional monte en puissance.

L'utilisation des Trod est un point majeur. J'ai une grande confiance dans la coordination entre médecins et pharmaciens et la réalisation des Trod par les pharmaciens.

Les vasoconstricteurs sont délivrés sur prescription médicale, mais avec des volumes importants pour les vasoconstricteurs oraux. Des mesures doivent également être prises.

Concernant la maladie d'Alzheimer, le sujet du déremboursement n'est pas de la compétence de l'ANSM. Pour les anticorps monoclonaux, l'ANSM étudie seulement le bénéfice-risque. Ensuite, une évaluation est réalisée au niveau centralisé, puisque ce sont des médicaments innovants et uniquement des biotechnologies. La mobilisation de la France est très forte au niveau européen.

Au sujet des troubles menstruels, la mobilisation de l'Agence et ses communications sont intervenues avant le rapport de l'Opecst. La modification des résumés des caractéristiques (RCP) et des notices est intervenue après, puisque ce point est placé sous l'égide de l'Agence européenne des médicaments. La Commission européenne modifie ensuite le RCP et la notice. Nous ne sommes pas pleinement maîtres des calendriers.

À la fin de l'année 2023 et en 2024, des contrôles seront renforcés sur les plans de gestion des pénuries et sur les stocks de sécurité. Nous avons déjà mis en place un cahier des charges renforcé pour le partager avec l'ensemble des industriels. Les 7 ETP pourront être mobilisés sur l'anticipation, la qualité des plans de gestion des pénuries et les stocks de sécurité.

Nous effectuons des contrôles et des inspections pour les zones frontalières. Quand nous recevons une déclaration de tension ou de rupture, la mise en ligne d'une fiche de rupture de stock sur notre site interdit automatiquement toute exportation parallèle aux grossistes répartiteurs. Nous mobilisons des contrôles, pas en flux continu, pour vérifier s'il y a des écarts. Si tel est le cas, des sanctions sont appliquées.

La relocalisation de la production est un point important. La maille européenne doit également être prise en compte.

En ce qui concerne les maladies rares, la question du service médical rendu (SMR) et de l'amélioration du SMR est sous l'égide de la Haute Autorité de santé. Pour autant, nous sommes très attachés et très impliqués dans l'accès aux médicaments innovants pour les maladies rares, avec les accès précoces et les prescriptions compassionnelles. Un certain nombre de molécules sont développées dans une indication qui, pour des maladies rares, ne seront pas forcément développées par l'industriel dans une autre indication. Nous travaillons avec les filières de maladies rares. Après analyse de la littérature, nous pouvons octroyer un cadre de prescription compassionnelle qui permet aux patients d'accéder à ces molécules. Nous travaillons et nous allons renforcer ces échanges et cette collaboration, sur la base d'une présomption bénéfice-risque, pour permettre aux patients atteints de maladies rares, voire très rares, d'accéder aux traitements. Le sujet concerne un juste équilibre entre les accès précoces, la présomption bénéfic-risque et la part d'incertitude, considérée comme suffisamment acceptable, eu égard aux bénéfices pour les patients, lesquels ne peuvent attendre d'avoir une prescription.

M. Philippe Mouiller, président. - Merci beaucoup, Madame la Directrice.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur cette proposition de nomination

La commission procède au vote sur sa candidature aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Il est procédé au vote.

La candidature de Madame Christelle Ratignier-Carbonneil recueille 16 voix favorables et 7 abstentions.

La réunion est close à 12 h 35.