COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mardi 21 novembre 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat -

La réunion est ouverte à 21 h 05.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 se réunit au Sénat le mardi 21 novembre 2023.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de M. Claude Raynal, sénateur, président, de M. Éric Coquerel, député, vice-président, de M. Jean-René Cazeneuve, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale et de M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

Étaient également présents Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Sautarel, Vincent Delahaye, Thierry Cozic et Didier Rambaud, sénateurs titulaires, MM. Vincent Capo-Canellas, Emmanuel Capus et Thomas Dossus, sénateurs suppléants, ainsi que M. Mathieu Lefèvre, Mmes Nadia Hai et Véronique Louwagie et M. Mohamed Laqhila, députés titulaires, et MM. Benoît Mournet et Kévin Mauvieux, Mme Charlotte Leduc, M. Mickaël Bouloux, Mme Eva Sas et M. Charles de Courson, députés suppléants.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. Claude Raynal, sénateur, président. - Le projet de loi initial comportait onze articles, dont l'article liminaire. L'Assemblée nationale a modifié six de ces articles. Au Sénat, huit articles ont été adoptés conformes, trois articles ont été modifiés et un nouvel article a été introduit.

Ainsi, quatre articles du projet de loi restent en discussion.

Je vous rappelle qu'une commission mixte paritaire est simultanément saisie du texte adopté par l'Assemblée nationale et du texte adopté par le Sénat. Elle peut, sur chaque article restant en discussion, choisir l'une ou l'autre des rédactions, ou retenir une rédaction de compromis, proposée par les rapporteurs ou tout autre membre de la commission mixte paritaire (CMP).

M. Éric Coquerel, député, vice-président. - Je souhaite remercier le président Claude Raynal pour l'organisation de cette CMP dans une période particulièrement chargée.

La CMP sur le projet de loi de finances rectificative l'an dernier à la même époque s'était traduite par un accord.

Sans préjuger de ce qui va être proposé et voté, il ne me semble pas inenvisageable que ce projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 puisse également donner lieu à un tel accord.

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. - Je remercie mon collègue Jean-René Cazeneuve pour le travail que nous avons réalisé et qui devrait nous conduire à une CMP conclusive.

Le Sénat a accepté les modifications adoptées par l'Assemblée nationale lors de l'examen en première lecture, le 8 novembre dernier.

Je me réjouis de ce premier projet de loi de finances de fin de gestion, qui ne contient donc aucune mesure fiscale et respecte ainsi la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Cela clarifie nettement le débat parlementaire.

La prévision de croissance retenue, de +1 % pour cette année, nous apparaît crédible. En revanche, nous constatons que l'état des finances publiques reste particulièrement dégradé. La prévision de déficit est en effet de 4,9 % du PIB, soit un niveau malheureusement plus élevé que l'année dernière, quand nos principaux partenaires européens voisins profitent, eux, de la sortie de crise pour redresser leurs comptes publics.

Le déficit budgétaire est supérieur à 170 milliards d'euros, soit presque le double de la moyenne des déficits d'avant la crise, qui était d'environ 90 milliards d'euros par an. En outre, il est encore plus lourd que ce que prévoyait la loi de finances initiale, avec près de 7 milliards d'euros supplémentaires.

Au-delà de ce constat, nous avons souligné la difficulté grandissante à prévoir correctement l'exécution budgétaire : le niveau des recettes est plus difficile à prévoir dans un contexte où l'État a abandonné la majorité du produit de la TVA. Il est aujourd'hui tributaire des recettes de l'impôt sur les sociétés, qui sont extrêmement volatiles en fonction de la conjoncture et des pratiques de reports des entreprises.

De même, les dépenses sont plus imprévisibles puisque les ouvertures de crédits dans ce texte sont très importantes : 9 milliards d'euros hors remboursements et dégrèvements. Si ces ouvertures massives pouvaient se comprendre durant la crise sanitaire du covid, leur persistance en cette fin d'année 2023 est de nature à nous préoccuper, voire à nous inquiéter.

S'agissant de ces ouvertures, le Sénat a validé celles qui étaient proposées dans le texte. La première qui s'impose à nous est la charge de la dette, qui est réévaluée de 3,8 milliards d'euros en raison de l'inflation, mais également d'une remontée des taux d'intérêt à trois mois, qui s'établiraient en fin d'année à 3,9 %, alors que la loi de finances partait sur une hypothèse de 2,1 %.

La deuxième principale ouverture de crédits porte sur la mission « Défense », à hauteur de 2,1 milliards d'euros, notamment du fait de l'aide à l'Ukraine, que nous soutenons bien évidemment.

De nombreuses autres ouvertures de crédits reviennent très régulièrement, qu'il s'agisse du budget de l'agriculture, où les crises se succèdent, ou de celui de l'hébergement d'urgence, pour lesquels le Gouvernement ne parvient toujours pas à prévoir un budget adapté en début d'année.

Comme l'année dernière, les annulations de crédit s'apparentent à de simples constats de sous-exécution, et non à des économies. Cela donne lieu à des reports ou à des annulations de crédit, et ce au détriment de la bonne information du Parlement.

Cette année, les annulations portent, par exemple, pour 400 millions d'euros, sur les guichets d'aide aux entreprises face à la hausse de l'inflation, qui s'ajoutent aux 4 milliards d'euros déjà annulés par décret, ou sur le dispositif MaPrimeRénov'.

Outre les amendements proposés ou soutenus par le Gouvernement, le Sénat a, pour sa part, fait légèrement évoluer le texte et n'a adopté que des amendements de crédits.

S'agissant de crédits de paiement (CP), nous avons voté des enveloppes supplémentaires en faveur de la réfection des ponts et du réseau routier, notamment des petites communes, de la réduction du taux de fuite du réseau d'eau, de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), de l'aide d'urgence à l'Arménie et, enfin, de l'aide alimentaire, en complément de l'enveloppe votée par l'Assemblée nationale.

S'agissant des autorisations d'engagement (AE), nous avons voté des crédits permettant de contracter rapidement pour la réouverture du train d'équilibre du territoire (TET) Metz-Nancy-Dijon-Lyon.

Nous avons travaillé en bonne intelligence avec le rapporteur général de l'Assemblée nationale, afin de parvenir à un texte commun. Tout en partageant le souci du Gouvernement d'éviter une dérive trop importante de la dépense publique, nous avons décidé de maintenir toutes les enveloppes votées par le Sénat, en réduisant néanmoins le montant de chacune d'entre elles. Ainsi, nous vous proposons d'adopter des crédits à hauteur de 20 millions d'euros pour la réfection des ponts, 50 millions d'euros pour la rénovation du réseau d'eau potable, 60 millions d'euros pour la réfection du réseau routier, 15 millions d'euros pour le soutien à l'Arménie, 20 millions d'euros en faveur de l'aide alimentaire, 4 millions d'euros à destination de l'IGN et 35 millions d'euros, en autorisations d'engagement seulement, pour le TET Metz-Nancy-Dijon-Lyon.

Nous demanderons demain au Gouvernement de lever les gages lors de la lecture des conclusions de CMP.

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous voilà réunis autour du premier projet de loi de finances de fin de gestion, en application de la Lolf réformée d'un commun accord entre nos deux assemblées voilà quasiment deux ans.

Expurgé de toute mesure fiscale, ce texte a pour seule vocation de régler l'exercice budgétaire de fin de gestion en ajustant les prévisions de recettes de l'État, en annulant les crédits sans objet et en ouvrant ceux qui apparaissent nécessaires, en particulier pour répondre aux aléas que nous avons connus cette année.

Je ne reviendrai pas sur le scénario macroéconomique sous-jacent au texte retenu par le Gouvernement. Que ce soit le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), les conjoncturistes, les assemblées parlementaires, tous s'accordent aujourd'hui à le considérer comme crédible.

Le texte que le Gouvernement nous a soumis est marqué par une égalité entre les ouvertures et les annulations de crédits, hors charge de la dette. Cette formule n'est pas une pirouette. Jean-François Husson est témoin de l'attention que je porte à l'état des finances publiques et à notre endettement. Nous sommes conduits à ouvrir presque 4 milliards d'euros supplémentaires pour financer la charge de la dette en 2023. Cela illustre une fois encore la nécessité, qui nous concerne tous, de rétablir et de normaliser nos finances publiques dans les années à venir - il faudra faire preuve de constance et de courage. Toutefois, je note qu'en 2023 une pierre a été apportée à l'édifice, avec un repli non négligeable de la part des dépenses publiques et de celle des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale, après des années records, il est vrai, depuis 2020.

Le projet de loi de finances de fin de gestion annule donc des dépenses de guichet, devenues sans objet du fait d'une relative modération des prix de l'énergie par rapport aux prévisions. En contrepartie, le Gouvernement propose de conforter notre défense dans la perspective de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM), de nos opérations extérieures et des missions intérieures en 2023 ainsi que du soutien à l'Ukraine. Il est en outre proposé de renforcer nos moyens pour accueillir les réfugiés ukrainiens à hauteur de 200 millions d'euros. Je note également l'effort légitime consenti en faveur de nos agriculteurs face aux calamités et aux épizooties, de nos outre-mer ainsi que des personnes handicapées dans le contexte de la déconjugalisation de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

L'Assemblée nationale a approfondi ces orientations, notamment en direction de l'Ukraine, des familles monoparentales les plus modestes, des bénéficiaires de l'aide alimentaire et de l'hébergement d'urgence, des agriculteurs frappés par le mildiou et la crise du bio, des pêcheurs et de certains professionnels de santé dans le cadre des compléments apportés au Ségur - cette liste n'est pas exhaustive. À cet égard, je me félicite de l'apport de chacun des groupes de l'Assemblée nationale : nous avons eu de vrais échanges, lesquels ont abouti à un véritable consensus, qui a permis d'enrichir le texte.

De son côté, le Sénat a voté des crédits supplémentaires en faveur de l'Arménie. Il a en outre choisi, comme l'année dernière, de cibler la réfection, nécessaire, de nos réseaux routiers locaux, de nos ponts, de nos réseaux d'adduction d'eau potable. Il a complété le travail de l'Assemblée nationale sur les banques alimentaires et prévu une aide en faveur des Mahorais pour l'accès à l'eau en bouteille. Il a également proposé d'accorder au conseil départemental de Mayotte une aide exceptionnelle s'apparentant à celle que l'Assemblée nationale a prévue en faveur de la collectivité territoriale de Corse.

Au total, chaque assemblée parlementaire a travaillé utilement, et de façon raisonnable, dans le respect de la structure et du solde du budget de l'État prévus par le Gouvernement dans son texte. Je souhaite que nos deux assemblées continuent à travailler ensemble à la réduction de nos dépenses dès l'année prochaine.

Je me réjouis que nous soyons en mesure de vous proposer un compromis, lequel vous a été exposé par le rapporteur pour le Sénat. Nous avons souhaité ajuster le montant des enveloppes afin de tenir compte du fait que nous agissons en fin de gestion. Notre proposition respecte les votes du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Je tiens, pour finir, à saluer la qualité d'écoute et la force de conviction de mon collègue rapporteur général du Sénat. Je vous invite à valider ce compromis.

M. Charles de Courson, député. - Pouvez-vous me confirmer que 63 millions d'euros sont prévus pour la distribution d'eau à Mayotte et 50 millions d'euros au département de Mayotte pour l'aide sociale à l'enfance (ASE), la protection maternelle et infantile (PMI) et le transport scolaire ?

M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Absolument, ce sont bien les montants votés au Sénat et que nous avons acceptés dans le cadre du compromis.

M. Charles de Courson, député. - Si vous me permettez une observation, alors que les recettes des agences de l'eau ont été plafonnées, on leur octroie des crédits à hauteur de 50 millions d'euros dans l'objectif de lutter contre les fuites d'eau ?...

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. - Ces 50 millions d'euros sont décaissés par l'État en complément des ressources des agences de l'eau. Nous avons adopté ce dispositif l'an dernier, qui faisait suite à une première décision prise dans le cadre du plan de relance. Je puis vous le dire, pour siéger dans l'agence de l'eau Rhin-Meuse, que les crédits sont vraiment consommés. De nombreuses fuites d'eau importantes sont encore à déplorer dans nos territoires.

M. Claude Raynal, sénateur, président. - Plutôt que d'augmenter le plafond des recettes des agences de l'eau, ces crédits sont fléchés.

Je vous propose de partir de la rédaction de compromis des rapporteurs en nous arrêtant sur chaque article et, sauf demande de modification particulière sur un article, de mettre, ensuite, directement aux voix le texte dans son ensemble.

M. Charles de Courson, député. - Les ouvertures de crédits pour les ouvrages d'art et les routes des collectivités locales se traduisent-elles par une majoration de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ?

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons été victimes d'un hold up l'an passé : nous avions demandé 50 millions d'euros pour les routes communales, et le ministre nous avait donné son accord. Lors de l'examen de la loi de règlement, nous nous sommes aperçus que cette somme avait en réalité été allouée à la voirie nationale.

Cette année, les crédits sont inscrits dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales », ce qui nous permet d'être sûrs que les communes et les départements pourront bénéficier de 60 millions d'euros de crédits supplémentaires exceptionnels. Je ne pense pas que les territoires s'en plaindront !

M. Charles de Courson, député. - Quel est l'outil utilisé ?

M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. - Ce sera un programme spécifique.

Vous le savez, la DETR est à la main du préfet. Lors de la dernière réunion de la commission départementale pour la DETR à laquelle j'ai assisté, il a été indiqué que seuls huit départements continuaient d'apporter un soutien à la voirie avec des fonds de DETR. Mais nous n'avons pas toujours les bonnes informations de la part des représentants de l'État : en l'occurrence, je pense que ce qui a été dit est inexact.

M. Charles de Courson, député. - Je confirme partiellement les propos du rapporteur général du Sénat. Le préfet de mon département, la Marne, nous avait indiqué dès l'année dernière qu'il ne voulait plus que la DETR soit utilisée pour des subventions à la voirie communale - il en aurait reçu l'instruction. Nous lui avons répondu que ce n'était pas raisonnable, et il y a d'ailleurs eu quelques exceptions. Je ne sais pas si des collègues ont les mêmes échos dans leur commission départementale.

M. Claude Raynal, sénateur, président. - Les préfets ont reçu consigne de limiter les dépenses « brunes ».

Je mets aux voix la rédaction de compromis des rapporteurs pour l'ensemble des dispositions restant en discussion.

La commission mixte paritaire adopte, dans la rédaction proposée par ses rapporteurs, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi.

La réunion est close à 21 h 30.

Mercredi 22 novembre 2023

- Présidence de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, députée, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 00.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024

Mesdames, messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 21 novembre 2023.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

- Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, députée, présidente ;

- M. Philippe Mouiller, sénateur, vice-président.

Elle a également désigné :

- Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;

- Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions du projet de loi restant en discussion.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, députée, présidente. - Le projet de loi initial comptait cinquante articles. L'Assemblée nationale a introduit quarante-sept nouveaux articles tout en supprimant quatre articles du texte initial. Le Sénat, pour sa part, a adopté trente et un articles conformes, a rétabli trois articles, a maintenu une suppression conforme, a supprimé sept articles et a inséré cinquante articles additionnels. Il reste donc cent quinze articles en discussion.

Plusieurs de nos récentes réunions ont abouti à des textes importants que nos deux assemblées ont ensuite définitivement adoptés. Depuis la rentrée, je pense bien sûr au projet de loi pour le plein emploi et à celui relatif au partage de la valeur. Je crois que nous avons toujours lieu de nous réjouir lorsqu'un accord est possible entre les deux chambres du Parlement. Au printemps dernier, également, nos travaux ont été longs et conclusifs sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. En revanche, je crains que, sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nos travaux ne soient plus brefs et qu'ils ne soient pas fructueux.

M. Philippe Mouiller, sénateur, vice-président. - Le Sénat a adopté en début d'après-midi le PLFSS 2024, à l'issue d'une intense semaine d'examen. Je laisserai à notre rapporteure générale, Élisabeth Doineau, le soin d'exposer la manière dont avons envisagé ce texte et les principales mesures auxquelles nous tenons. Le Sénat a abordé cet examen avec un esprit constructif et selon des lignes directrices qui ne devraient étonner personne. Nous avons rétabli les articles obligatoires, qui avaient été supprimés par l'Assemblée nationale en première lecture, tout en marquant notre opposition au montant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) retenu pour 2023 et 2024, ainsi qu'à la trajectoire financière.

Ce qui importe pour nous, c'est le renforcement du contrôle parlementaire sur les dépenses de la sécurité sociale et, d'une manière générale, l'application du principe de prudence sur un certain nombre de réformes potentiellement inquiétantes pour les établissements de santé ou médico-sociaux.

Compte tenu de la procédure employée à l'Assemblée nationale en première lecture et de la nature des différences entre les textes des deux assemblées, un accord me paraît hautement improbable. J'espère néanmoins que de nombreux apports du Sénat seront retenus dans la suite de la navette.

Mme Élisabeth Doineau., sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Cette commission mixte paritaire rappelle fortement celle de l'an dernier, sur le PLFSS 2023. Comme il y a un an, l'Assemblée nationale a supprimé des dispositions obligatoires, que le Sénat a dû rétablir. Comme il y a un an, nos deux assemblées pourraient s'entendre sur de nombreuses modifications apportées par le Sénat mais, sur d'autres sujets, les divergences sont importantes, voire insurmontables. Et, comme il y a un an, le probable recours du Gouvernement à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution complique le rapprochement de nos positions.

En première lecture, le Sénat s'est montré fidèle aux principes qu'il défend de longue date : la nécessité d'enclencher le retour à l'équilibre des comptes sociaux et celle d'améliorer réellement le contrôle du Parlement sur les dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Le Sénat a apporté plusieurs modifications, que l'on peut répartir en trois groupes, selon que la convergence de nos positions semble plus ou moins aisée.

Je présenterai d'abord les modifications qui pourraient, me semble-t-il, susciter sans trop de difficultés l'adhésion de l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, le Sénat a rétabli l'article liminaire, ainsi que les articles 1er et 2. Il s'agissait de dispositions obligatoires, qui n'auraient pu être rétablies dans la suite de la navette et dont l'absence aurait pu conduire à la censure du texte. À l'article 10, le Sénat a, contre l'avis du Gouvernement, supprimé la neutralisation de l'impact du transfert de CSG de la Caisse d'amortissement de la dette sociale vers la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) sur les plafonds des compensations de la prestation de compensation du handicap et de l'allocation personnalisée d'autonomie versées par la CNSA aux départements. La défense des territoires fait partie de l'ADN du Sénat ; or nous savons combien le vieillissement de la population et l'augmentation du nombre de personnes handicapées met les départements en difficulté.

À l'article 10 quinquies, relatif au bornage supérieur des bandeaux famille et maladie, le Sénat a adopté, avec un avis favorable du Gouvernement, un amendement précisant que cette borne ne peut devenir inférieure à 2 Smic de l'année en cours. Il s'agit de sécuriser ces bandeaux comme instruments de la politique de l'emploi.

Dans le domaine des finances locales, à l'article 37, le Sénat a transformé en expérimentation la fusion optionnelle des sections « soins » et « dépendance » des Ehpad et unités de soins de longue durée ; à l'initiative du Gouvernement, il a inséré un article 38 ter prévoyant un soutien complémentaire de la CNSA aux départements de 150 millions d'euros.

J'en viens maintenant à une deuxième catégorie de modifications : celles qui, quoique substantielles, traduisent des divergences d'approche entre nos deux assemblées qui ne sont peut-être pas insurmontables.

À l'article 11, le Sénat a supprimé la réforme de l'assiette et des modalités de liquidation de la clause de sauvegarde. À l'article 23, il a prévu d'expérimenter la réforme proposée du financement des activités de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) pour une durée de trois ans, à compter du 1er janvier 2025. Il a également instauré une somme forfaitaire versée à l'assurance maladie à la charge des assurés n'honorant pas un rendez-vous médical - dite « taxe lapins ». À l'article 33, le Sénat a supprimé la possibilité pour le Gouvernement de rendre obligatoire la dispensation à l'unité de médicaments en rupture. Le Sénat a en outre adopté diverses dispositions, déjà adoptées l'année dernière, visant à mieux maîtriser les dépenses de santé tout en renforçant le contrôle du Parlement : fixation par la loi du montant des dotations de la sécurité sociale aux fonds et organismes subventionnés ; clause de retour devant le Parlement en cas de prévision de dépassement de 1 % de l'Ondam.

J'en arrive, enfin, à la troisième catégorie de modifications : celles traduisant des divergences qui paraissent plus difficilement surmontables.

À l'article 2, le Sénat a adopté une répartition différente de l'Ondam, majorant de 200 millions d'euros le sous-objectif relatif aux établissements de santé. Il a supprimé l'article 6, relatif au renforcement des obligations des plateformes numériques pour garantir le paiement des cotisations dues par leurs utilisateurs. À l'article 9, le Sénat a supprimé la disposition prévoyant une contribution de l'Agirc-Arrco au titre de la solidarité financière du système de retraite.

À l'article 10, le Sénat a transféré 2 milliards d'euros de la branche maladie vers la branche famille, en cohérence avec sa position de l'année dernière sur le transfert de charges correspondant. À l'article 10, toujours, il a supprimé la possibilité pour le Gouvernement de réduire par arrêté la compensation à l'Unedic des allégements de contributions patronales.

Le Sénat a supprimé l'article 16 et l'annexe A, considérant que la programmation pluriannuelle, qui prévoit le passage du déficit de 8,8 milliards d'euros en 2023 à 17,5 milliards en 2027 est à la fois insuffisamment ambitieuse et, paradoxalement, optimiste. Il a adopté un article 27 A prévoyant la consultation des commissions des affaires sociales des deux chambres du Parlement sur toute modification des montants de la participation forfaitaire ou de la franchise annuelle.

Le Sénat a inséré un article 40 undecies instaurant une obligation de justification annuelle de l'existence des retraités résidant à l'étranger par le biais de la biométrie à compter de 2027. Il a supprimé l'article 43, rejetant ainsi l'Ondam pour 2024. Le Sénat a réduit à 1 milliard d'euros, au lieu de 1,2 milliard, le transfert de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) à la branche maladie.

Dans le domaine de la fiscalité comportementale, le Sénat a alourdi la « taxe soda », prévu pour le tabac à chauffer une taxation seulement à l'unité et instauré deux nouvelles taxes, sur les produits sucrés et sur les dépenses de publicité pour les jeux d'argent et de hasard. Il a en outre supprimé l'article 43 bis, qui suspend une fois de plus le rôle du comité d'alerte si le risque de dépassement de l'Ondam vient de la crise sanitaire.

Ces différences d'approche entre nos deux assemblées sont substantielles. Je forme le voeu que, quel que soit le résultat de nos travaux, certaines de ces initiatives puissent être retenues dans la suite de la navette, notamment les dispositions relevant de la première catégorie et, parmi celles de la deuxième catégorie, celles qui améliorent le contrôle du Parlement. Mais je suis consciente que, comme il y a un an, les conditions d'examen du PLFSS à l'Assemblée nationale pourraient ne pas permettre une discussion d'ensemble de ces dispositions lors d'une éventuelle nouvelle lecture.

Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Comme la présidente l'a indiqué dans son propos liminaire, le texte issu des travaux du Sénat traduit un certain nombre de points d'accord et de convergence entre nos deux assemblées. Je voudrais en évoquer quelques-uns avant de passer aux points de divergence, qui ne permettent malheureusement pas d'espérer une issue conclusive à cette commission mixte paritaire.

Comme je l'avais fait l'année dernière, je voudrais d'abord saluer la responsabilité des sénateurs, qui ont rétabli un certain nombre d'articles de la première partie, indispensables au respect de la loi organique, au premier rang desquels se trouvent l'article 1er et l'article 2. Même si nous ne faisons pas la même lecture de l'Ondam, ces rétablissements étaient souhaitables et nécessaires.

D'autres points du texte témoignent du fait que l'Assemblée et le Sénat trouvent régulièrement des terrains d'entente, y compris sur des textes budgétaires. J'en évoquerai brièvement quelques-uns. S'agissant des recettes et de l'équilibre général, le Sénat a utilement complété l'article 10 quinquies, adopté à l'initiative de nos collègues Jean-René Cazeneuve et Marc Ferracci, afin d'encadrer le gel des bandeaux famille et maladie, qui rapportera, dès 2024, 600 millions d'euros à la sécurité sociale.

À l'article 8, le rétablissement de la possibilité pour les branches professionnelles de transférer le recouvrement de leurs contributions conventionnelles de formation professionnelle et de dialogue social aux Urssaf n'était envisageable qu'à la condition de définir un cadre juridique clair, précis et opérationnel dont l'absence justifiait sa suppression dans le texte initialement proposé par le Gouvernement. Ce rétablissement a été rendu possible par le travail de Frédérique Puissat et des sénateurs, qui permet d'envisager une mise en oeuvre concrète de ce transfert à horizon 2026 pour les branches qui le souhaitent.

S'agissant de la santé et de la prévention, je me réjouis de l'adoption conforme des articles 18 et 19, qui portent respectivement sur la gratuité des préservatifs pour les moins de 26 ans et le remboursement, sous certaines conditions, des protections menstruelles pour les femmes de moins de 26 ans et les bénéficiaires de la complémentaire de santé solidaire, mais aussi de l'article sur le dépistage systématique du cytomégalovirus chez la femme enceinte, ou encore de l'article 24 sur la régulation de la permanence des soins dentaires.

Je regrette en revanche qu'aucun des articles relatifs aux médicaments et aux produits de santé, à l'exception de l'article 29 ter, n'ait fait l'objet d'une adoption conforme.

Au sujet de l'autonomie, je note les modifications apportées à l'article 37 et la transformation de l'option vers la fusion des sections en une expérimentation. Je retiens par ailleurs l'insertion de l'article 38 ter qui prévoit le versement, par la CNSA, d'un complément financier de 150 millions aux départements au titre des concours d'allocation personnalisée d'autonomie.

S'agissant de la branche vieillesse, je me réjouis que le Sénat ait complété le texte, dans le prolongement des travaux des députés, pour tirer certaines conséquences de la réforme des retraites d'avril dernier, notamment en ce qui concerne la surcote parentale et la prise en compte des trimestres validés en tant que parent au foyer ou proche aidant pour le calcul des minima de pensions.

Ces points d'accord, pour réels et importants qu'ils soient, ne suffisent cependant pas à masquer des points de divergence sur des sujets essentiels.

S'agissant des recettes et de l'équilibre général, à l'article 9, vous avez supprimé l'accroche légale permettant à l'Agirc-Arrco, dans un cadre conventionnel et uniquement si les partenaires sociaux y consentent, de participer au financement des éléments de solidarité au sein du système de retraites. J'ai entendu les débats en séance publique au Sénat et je dois dire que nous n'avons pas la même lecture que vous : le texte que vous avez adopté ne permettrait pas, demain, à l'Agirc-Arrco de participer financièrement à la solidarité, alors même que les partenaires sociaux ont eux-mêmes ouvert la voie à une telle hypothèse dans l'accord national interprofessionnel qu'ils ont conclu le 5 octobre dernier.

À l'article 10, le Sénat a adopté un transfert de taxe sur les salaires de la branche maladie vers la branche famille pour un montant de 2 milliards d'euros, correspondant notamment au transfert à la branche famille du financement des indemnités journalières versées pendant le congé maternité, voté en loi de financement pour 2023. Je vous accorde que cette position est cohérente avec votre opposition initiale à un tel transfert, mais je ne la partage pas.

La suppression, au même article, de la possibilité pour l'État de récupérer une partie des sommes versées en compensation des allégements généraux à l'Unedic constitue un autre point de divergence majeure. La version adoptée par le Sénat ampute ainsi chaque année le budget de l'État d'un montant compris entre 2 et 3,5 milliards d'euros qui, je le rappelle, doivent permettre le renforcement des politiques de l'emploi et donc, à terme, une augmentation des ressources de la sécurité sociale. Cette possibilité intervient dans un contexte où l'assurance chômage connaît des excédents structurels liés aux réformes mises en place par la majorité.

Je déplore aussi la suppression de l'article 16 portant approbation du rapport annexé, qui présente la trajectoire financière des régimes de base et l'Ondam pour les quatre années à venir, ou encore l'article relatif à l'Ondam pour 2024, alors même qu'il s'agit d'un article obligatoire d'une loi de financement. Même si j'entends les arguments qui vous ont poussés à cette suppression, je tiens à rappeler que l'Ondam pour 2024, qui a été fixé 254,7 milliards d'euros, est en hausse de 3,2 % par rapport à l'objectif rectifié pour 2023, hors dépenses de crise. Cela représente une augmentation de 8 milliards à champ constant par rapport à 2023, et de plus de 54 milliards par rapport à 2019.

S'agissant de la santé et de la prévention, le Sénat a reporté à 2028, après une phase expérimentale, la mise en oeuvre de la réforme du financement des activités MCO. L'article 20, relatif aux rendez-vous de prévention, dont nous souhaitons la mise en place opérationnelle le plus rapidement possible, a été complexifié. Je ne partage pas non plus plusieurs des modifications proposées à l'article 27 sur la lutte contre les arrêts de travail injustifiés et à l'article 28 sur l'encadrement de la téléconsultation.

S'agissant de la branche AT-MP, je ne peux que m'opposer à la réduction du montant du transfert de la branche AT-MP vers la branche maladie au titre de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles de 1,2 à 1 milliard d'euros.

Pour toutes ces raisons, il me semble impossible d'aboutir aujourd'hui à l'adoption d'un texte commun. Cela n'empêchera naturellement pas l'ensemble des rapporteurs de l'Assemblée nationale de veiller à conserver les améliorations apportées par le Sénat sur un certain nombre de sujets.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, députée, présidente. - Je constate que nos points de divergence sont plus nombreux et importants que nos points de convergence. À l'issue de ces échanges, je prends donc acte du fait que la commission mixte paritaire ne sera pas en mesure de produire un texte et j'en constate l'échec.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

La réunion est close à 18 h 20.