- Mercredi 22 novembre 2023
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Économie » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Politique de la ville » - Examen du rapport pour avis
Mercredi 22 novembre 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Recherche et enseignement supérieur » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Bonjour à toutes et à tous. Notre commission examine ce matin trois rapports budgétaires pour avis. L'ordre du jour que vous avez reçu a été modifié afin d'examiner en premier le rapport sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », Amel Gacquerre, rapporteure pour avis, devant repartir dans son département. Madame la rapporteure pour avis, je vous laisse la parole pour nous présenter votre rapport. Votre intervention sera suivie d'une prise de parole de Jean-François Rapin, rapporteur spécial sur la mission à la commission des finances.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - Madame la présidente, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui les crédits de la mission interministérielle pour la recherche et l'enseignement supérieur (Mires), dans le cadre du périmètre suivi par la commission des affaires économiques depuis désormais plusieurs années.
Au total, pour 2024, les crédits de la mission sont en hausse et devraient s'élever à 32,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 31,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respective de 3,5 % et 3,3 % par rapport à l'an dernier. Cette hausse s'explique en grande partie par la quatrième année de mise en oeuvre de la loi de programmation de la recherche (LPR). Cette trajectoire est conforme à la trajectoire budgétaire votée par le Parlement en 2020, avec une hausse prévue de 324 millions d'euros pour le seul programme 172 qui finance entièrement ou en partie les principaux établissements de recherche de notre pays.
Comme les années précédentes, les effets de la LPR sont amplifiés par les moyens alloués aux programmes et aux organismes de recherche par les plans d'investissement d'avenir (PIA) et par France 2030. Si cette dispersion des crédits dédiés à la recherche et à l'innovation ne facilite pas le travail de contrôle parlementaire, nous constatons néanmoins des effets positifs sur le budget, le recrutement et les activités des établissements de recherche. Le renforcement conséquent de l'Agence nationale de la recherche (ANR) se poursuit, ainsi que celui des moyens budgétaires et humains alloués aux établissements de recherche.
Les personnes auditionnées sont globalement satisfaites de ce budget, même si elles demeurent unanimement soucieuses de l'impact de l'inflation sur la feuille de route. En 2020, le Sénat avait pourtant attiré l'attention du Gouvernement sur le fait que la trajectoire budgétaire prévue par la LPR était calculée en euros courants, et non en euros constants, c'est-à-dire sans prise en compte de l'inflation. À l'époque, il nous avait été répondu que l'inflation était une donnée économique qui appartenait au passé. La situation actuelle nous donne raison. Concrètement, si nous comparons les trajectoires budgétaires de la LPR en euros courants et en euros constants pour les années à venir, cela pourrait conduire à un écart prévisionnel de l'ordre de 400 millions d'euros si rien n'est fait d'ici 2027.
Cette situation est d'autant plus dommageable que la LPR aurait pu être actualisée dès cette année. En effet, son article 3 prévoit une clause de revoyure au moins tous les trois ans, mais ce travail n'a pas été réalisé par le Gouvernement. J'espère qu'il le sera, de façon concertée, transparente et en association avec le Parlement, dès l'année prochaine.
Aujourd'hui, le budget des établissements de recherche demeure fortement impacté par la hausse des prix de l'énergie, même si cette hausse est moindre que l'an dernier. Ces surcoûts ne sont que partiellement compensés : à hauteur de 55 millions d'euros en 2023 mais, pour 2024, il n'est pas prévu de compensation, même si des mesures en gestion pourront être prises, selon la volatilité des prix. Par ailleurs, plusieurs établissements ont indiqué avoir pu bénéficier, dans la limite de 2 millions d'euros, du fonds d'intervention « amortisseur électricité » mis en place à l'automne dernier, mais ce dispositif n'est pas reconduit.
Le budget des établissements de recherche demeure également impacté par les mesures successives de revalorisation salariale liées à l'inflation. Ces mesures sont partiellement compensées : à hauteur de 121 millions d'euros en 2023 pour compenser les mesures de revalorisation annoncées en juillet 2022. Mais, pour 2024, seule une enveloppe de 45 millions d'euros est prévue pour financer les mesures de revalorisation annoncées en juillet 2023, obligeant une nouvelle fois les opérateurs à puiser dans leur trésorerie.
Je souhaite donc ici être très claire : les objectifs de la LPR ne doivent pas être détournés pour amortir les surcoûts engendrés par l'inflation et la hausse des coûts de l'énergie. Les hausses budgétaires prévues par la LPR doivent avant tout permettre de soutenir nos activités de recherche et porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous stagnons depuis plusieurs années à seulement 2,2 % du PIB. Par conséquent, la clause de revoyure de la LPR prévue en 2023 doit être activée au plus vite afin de nous permettre de définir un mode de financement de la recherche plus efficace et plus pérenne dans le contexte économique actuel.
Malgré ces sources d'inquiétude, je souhaiterais saluer aujourd'hui le renforcement de deux politiques indispensables à l'atteinte de notre compétitivité, de notre souveraineté et de notre réindustrialisation : il s'agit des politiques nucléaire et spatiale.
Sur la politique nucléaire d'abord. Alors que la filière française subissait un regrettable déclin depuis les années 2010 faute d'une stratégie politique, énergétique et industrielle appropriée pour atteindre l'objectif de décarbonation de notre production d'énergie à horizon 2050, le renouveau engagé depuis les deux dernières années trouve enfin ses premières traductions budgétaires dans le cadre de ce projet de loi de finances. C'est une cohérence appréciable avec les dispositions votées dans le cadre de l'examen de la loi relative à l'accélération de la construction de nouvelles installations nucléaires et avec les décisions prises lors du dernier Conseil de politique nucléaire.
Ainsi, le projet de loi de finances est marqué par un renforcement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), fer de lance de la recherche nucléaire en France et en Europe. Les subventions versées par l'État sont donc en augmentation de 340 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Par ailleurs, une hausse de 204 postes dont 146 pour ses activités de recherche et de développement (R&D) est prévue, le CEA souhaitant recruter jusqu'à 500 postes en R&D dans les prochaines années afin d'accompagner la relance de la filière nucléaire civile. La hausse des subventions versées au CEA permettra notamment de poursuivre le financement du réacteur de recherche Jules Horowitz sur le site de Cadarache, mais également de financer l'installation de deux nouvelles infrastructures de recherche dans le domaine des réacteurs à sels fondus. Il s'agit d'une priorité de recherche pour l'établissement, comme le développement des autres modèles de réacteurs, des réacteurs modulaires innovants et des petits réacteurs modulaires. En jeu, il y a donc l'avenir de l'indépendance énergétique de notre pays.
Je souhaiterais également évoquer le financement de la politique spatiale qui, comme vous le savez, est aujourd'hui à la croisée des chemins car ni la France ni l'Europe ne dispose, à date, d'un accès autonome et durable à l'Espace. En septembre 2022, lors de l'ouverture du Congrès astronautique international (IAC), la Première ministre avait annoncé une mobilisation budgétaire d'environ 9 milliards d'euros pour les trois prochaines années, sur les volets civil et militaire de la politique spatiale. Cette mobilisation budgétaire se poursuit dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, certains crédits provenant également de France 2030 et de la loi de programmation militaire.
Cette mobilisation renouvelée en faveur de la politique spatiale ne permet toutefois pas à la France d'être le premier contributeur au budget triennal de l'Agence spatiale européenne (ESA). Désormais deuxième contributeur derrière l'Allemagne, l'enjeu pour la France est d'assurer un bon « retour sur investissement » en fonction de ses priorités politiques, industrielles, scientifiques et technologiques. Je pense en particulier à la nécessité de finaliser le développement d'Ariane 6 pour permettre à la France et à l'Europe de retrouver un accès autonome et durable à l'Espace dans la mesure où le dernier vol d'Ariane 5 a eu lieu, où les lanceurs Soyouz ne sont plus employés et où les lanceurs Vega-C ont des difficultés techniques en vol.
Vous l'aurez compris, des progrès indéniables ont été réalisés ces dernières années en matière de financement de la recherche et de l'innovation, avec des priorités sectorielles mieux définies. Toutefois nous ne devons pas pour autant nous reposer sur nos lauriers, car 2023 aurait dû être une année plus propice pour la recherche. En plus d'une actualisation de la trajectoire budgétaire de la LPR, la clause de revoyure devrait nous permettre d'avoir une nouvelle réflexion sur l'attractivité des métiers et les besoins en compétences nécessaires pour permettre de demeurer une grande nation scientifique et technologique.
Je vous soumets donc quelques réflexions. Tout d'abord, le niveau des salaires ne saurait être le seul élément d'attractivité d'une politique efficace de soutien à la recherche. Il serait également souhaitable de travailler sur le niveau d'autonomie accordé aux chercheurs dans la conduite de leurs travaux, sur leur capacité à piloter une équipe, à disposer d'un budget adéquat et des infrastructures de recherche propices à leur permettre de faire de nouvelles découvertes.
Au-delà d'un soutien public affirmé, une politique efficace de soutien à la recherche repose aussi sur une politique partenariale d'ampleur avec les entreprises innovantes, qui bénéficient aujourd'hui de nombreuses incitations budgétaires et fiscales, en premier lieu le crédit d'impôt recherche (CIR). Face à la volonté du Parlement de faire évoluer ce dispositif, le Gouvernement s'était engagé l'an dernier à présenter cette année une réforme du CIR, en particulier pour modifier l'assiette de ses dépenses éligibles. Or, force est de constater qu'aucune réforme n'a été proposée, que les modifications suggérées par l'Assemblée nationale n'ont pas été retenues en première lecture, alors même que le Sénat avait formulé des pistes de réforme très concrètes à ce sujet.
Mes chers collègues, je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et de se donner rendez-vous en 2024 pour la revoyure de la LPR.
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. - Merci Madame la Présidente. J'adhère pleinement aux propos de Madame la rapporteure pour avis puisque la commission des finances porte une analyse similaire. Mon premier point porte sur la question des euros courants et constants. Dans le cadre de l'examen de la LPR en commission mixte paritaire (CMP), il avait été souligné que la clause de revoyure constituait une question liminaire avant même que la CMP ne donne un avis favorable. Cette position était plutôt partagée par l'ensemble des parlementaires qui étaient présents à la CMP. En conséquence, la mise à l'écart de la clause de revoyure est inquiétante. Est-ce à dire qu'en évitant la clause de revoyure, le Gouvernement souhaite ne pas revenir sur l'ensemble des débats qui s'étaient alors tenus à l'époque, notamment en matière d'inflation ? J'avais dénoncé en séance plénière le fait que l'inflation n'était absolument pas prise en compte et qu'elle reposait sur des bases qui n'étaient pas crédibles.
Nonobstant cette remarque, force est de constater que les engagements sont pris et bien maintenus en euros courants, ce dont on peut se féliciter. Les personnes auditionnées ont émis un avis plutôt favorable.
Le deuxième point que je voudrais mettre en exergue a été soulevé par Amel Gacquerre, rapporteure pour avis, à savoir, la recherche spatiale dont une partie substantielle a été transférée de cette mission à la recherche militaire. Néanmoins des enjeux très forts liés à la recherche spatiale demeurent ici, notamment en matière environnementale. Conserver ce volet de la recherche est important. Un groupe de suivi sur l'Espace composé de commissaires de la commission des finances, des affaires économiques, des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et des affaires européennes avait été constitué. Il conviendrait peut-être de le reconstituer.
Mon dernier point concerne le volet européen de la recherche. La France demeure aujourd'hui contributrice nette des programmes européens de recherche avec un delta d'environ 7 points qu'il conviendrait de rattraper. Des actions ont été entreprises à cette fin, notamment par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les grands opérateurs de la recherche, avec la volonté de mettre en place une ingénierie pour nos opérateurs de recherche de taille plus modeste, leur permettant d'accéder à la recherche européenne et ainsi de compenser ce delta. Il est anormal que la France soit un contributeur net à la recherche européenne avec un taux de retour qui est à mon sens trop faible.
Par ailleurs j'attire votre attention sur deux amendements déposés à l'Assemblée nationale, abondant à hauteur de 20 millions d'euros le programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ». Le premier réduit de 10 millions d'euros les crédits du programme « Recherche spatiale » afin de développer la recherche sur les cancers pédiatriques. Le fonds de roulement de la recherche spatiale devrait permettre d'absorber cette réduction de crédits. Le second amendement tend à accroître les moyens de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans le domaine de la recherche contre la maladie de Lyme. La commission des finances a donné un avis favorable à ces deux amendements.
Pour conclure, la commission des finances a adopté les crédits de la mission sans réserve car elle a considéré que les efforts requis avaient été globalement effectués. Toutefois, elle demeure particulièrement vigilante à la mise en oeuvre de la clause de revoyure et en matière de recherche européenne.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, Monsieur le rapporteur spécial. En l'absence de questions et d'interventions, je laisse la parole à Mme Amel Gacquerre, pour des observations dans le prolongement de votre intervention ainsi que pour la présentation de son amendement.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure pour avis. - S'agissant de la clause de revoyure, j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, nous aurons l'opportunité de nous saisir de cette question dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. En effet, c'est un rendez-vous manqué en 2023. Quant à la recherche européenne, je n'ai rien à ajouter. Le rapporteur spécial a été extrêmement précis.
En ce qui concerne l'amendement, j'ai fait le choix de ne vous en proposer qu'un qui rassemble les différentes constatations qui ont été émises dans le cadre de cette présentation, notamment dans la perspective du renouveau de la filière nucléaire française. Cet amendement vise à pallier les effets de l'inflation, en augmentant de 21 millions d'euros, en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, le budget de fonctionnement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette augmentation compensera les surcoûts énergétiques auxquels le CEA devra faire face en 2024. Ces surcoûts sont estimés à environ 31 millions d'euros dont 8 millions d'euros pour le gaz et 23 millions d'euros pour l'électricité, le CEA évaluant son reste à charge à hauteur de 21 millions d'euros. C'est pourquoi, je vous propose d'abonder son budget de fonctionnement à hauteur de 21 millions d'euros.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En l'absence de demandes d'intervention sur la présentation de cet amendement de notre rapporteure pour avis, je vous propose de passer au vote sur cet amendement puis sur les crédits de la mission tels que présentés par Amel Gacquerre avec un avis favorable.
La commission adopte l'amendement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Économie » - Examen du rapport pour avis
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'industrie. - Cette année encore, je constate que les crédits de la mission « Économie » ne reflètent pas les moyens consacrés à la politique industrielle de notre pays, dont ils ne constituent qu'une part minime : environ 1,5 milliard d'euros - en comptant très large - soit quatre à six fois moins que ceux consacrés à France 2030.
Si l'on excepte la non-reconduction des 4 milliards d'euros d'aides exceptionnelles aux industries énergo-intensives prévus par la loi de finances pour 2023 - aides qui n'ont d'ailleurs pas été consommées -, ces crédits augmentent cette année de 631 millions d'euros, soit 18 %. Mais pour l'industrie, le seul poste qui augmente réellement, c'est celui de la compensation carbone, comme les années précédentes. Ce dispositif, qui bénéficie à des filières exposées à la concurrence internationale, comme la sidérurgie, l'aluminium ou l'industrie du papier, est essentiel à leur compétitivité. Tous les grands pays européens ont d'ailleurs mis en place des mécanismes similaires, l'Allemagne en particulier, et pour des montants bien supérieurs à ceux de la France !
Mais on doit aussi s'interroger sur la soutenabilité de cette dépense, qui croît mécaniquement avec le coût du carbone, et risque d'exploser, à mesure que les entreprises vont s'électrifier pour décarboner leur production. Pourra-t-on continuer à lui consacrer plus de 1 milliard d'euros chaque année ? Pour autant, peut-on laisser laminer par la concurrence internationale ces industries qui participent de notre souveraineté économique ?
D'autant que ces industries vont aussi prendre de plein fouet la disparition des quotas carbone « gratuits », alloués par l'État, remplacés d'ici à 2026 par le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Or les gagnants du MACF ne seront pas forcément ceux qui auront perdu leurs quotas, étant donné la multiplicité des acteurs sur le marché. Aussi, avant sa mise en oeuvre effective, nous devrions obtenir du Gouvernement des garanties pour que les dépenses de correction des distorsions de concurrence créées par la taxe carbone aux frontières, ne soient pas supérieures au produit du mécanisme d'ajustement - il doit profiter de préférence aux entreprises de notre pays qui feront les efforts nécessaires.
Pour en revenir au budget, à mesure que la compensation carbone augmente, le reste des aides à l'industrie est réduit à la portion congrue. Or ce sont ces dépenses, pilotables, qui devraient permettre de soutenir la transition vers une industrie en phase avec les changements d'usage et avec les enjeux climatiques et environnementaux, et plus largement l'ensemble des mutations vers l'industrie du futur : plus numérisée, davantage centrée sur la durabilité des produits, mais aussi moins vulnérable aux soubresauts de la chaîne d'approvisionnement.
À cet égard, avec Sophie Primas et Amel Gacquerre, nous avions fait des recommandations en ce sens dans le rapport Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique. Qu'en a fait le Gouvernement ? A priori pas grand-chose...
Sauf, peut-être, il faut le souligner, la création d'un crédit d'impôt investissement industries vertes (C3IV), pour les éoliennes, panneaux solaires, batteries et pompes à chaleur. Il concerne l'ensemble de la chaîne de valeur, jusqu'à l'extraction des matières premières critiques. On peut regretter son périmètre restreint, mais malgré le cadre européen très contraignant en matière d'aides d'État, ce crédit d'impôt pour les industries vertes devrait être élargi au fur et à mesure du développement de cette nouvelle industrie. Il faudra y veiller dans les mois et les années à venir.
Je regrette également l'absence quasi totale d'aides ciblées sur nos petites et moyennes entreprises (PME). Je ne parle pas des start-up et des licornes, plutôt avantageusement traitées par France 2030, mais de très petites entreprises (TPE)-PME industrielles qui font vivre nos territoires. Elles rencontrent souvent des difficultés pour répondre aux grands appels à projets nationaux, et leur appréciation sur leur accompagnement par Business France est assez mitigée d'après mes dernières auditions.
Toutefois, la reconduction pour la période 2023-2027 du programme Territoires d'industrie est une très bonne nouvelle. Sa logique ascendante permet de répondre aux aspirations et aux besoins des territoires, tout en répondant à des axes stratégiques définis par l'État. Son financement, à hauteur de 100 millions d'euros sur quatre ans, correspond à l'amendement que j'avais porté l'an dernier, et que le Sénat avait adopté.
Je souligne que ces crédits seront uniquement déployés via le Fonds vert, qui m'apparaît de plus en plus comme un fourre-tout pour la transition écologique des territoires et nous fait perdre en lisibilité. Le gros des aides, auxquelles sont par ailleurs éligibles les Territoires d'industrie, passe par France 2030 et par la mission « Cohésion des territoires ».
Cela m'amène à mon dernier point : le peu de lisibilité de la politique industrielle. Or, au vu des enjeux de transition verte et du contexte géopolitique, la politique industrielle est appelée à monter encore en puissance. Afin d'exercer correctement nos missions de contrôle et d'évaluation en tant que parlementaires, nous devons en avoir une appréhension et une compréhension globale.
C'est pourquoi je vous proposerai deux mesures.
D'une part, un amendement visant à demander au Gouvernement de fournir désormais, en annexe du projet de loi de finances, un rapport présentant les choix stratégiques et les objectifs des politiques nationales en faveur de l'industrie, les moyens dédiés et une évaluation des bénéfices attendus pour l'économie, l'emploi, l'environnement et les territoires. Et je parle ici non pas d'indicateurs sur le nombre d'usines ouvertes grâce aux investissements directs étrangers (IDE) que le Gouvernement nous présente comme l'alpha et l'oméga de la performance industrielle française, mais de la nature de la croissance induite au regard des enjeux climatiques, environnementaux et plus largement de transition des modèles productifs. C'est un point essentiel pour la compétitivité future de notre industrie.
D'autre part, je propose d'élargir la focale de nos avis budgétaires, sans nous limiter aux crédits de la mission « Économie ». Ce serait un progrès utile pour notre travail parlementaire au sein de la commission.
Pour l'heure, je vous propose malgré tout un avis favorable sur la mission « Économie », pour ce qui concerne le volet « industrie », au périmètre restreint que j'ai évoqué.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs aux télécommunications, aux postes et à l'économie numérique. - Dans le cadre de la mission « Économie », des changements significatifs concernant les crédits dédiés aux télécommunications, aux postes et à l'économie numérique sont à signaler depuis désormais deux ans.
Je concentrerai mon analyse sur trois axes.
Tout d'abord le suivi du plan France Très Haut Débit, pour lequel à première vue les objectifs semblent en passe d'être atteints, avec 83 % de locaux raccordables à la fibre optique au 30 juin 2023, soit 36,2 millions de locaux. Malheureusement, le ralentissement observé dans nos territoires se confirme. Quatre obstacles portent aujourd'hui atteinte à l'objectif de généralisation de la fibre optique.
Premièrement, le ralentissement des déploiements est surtout marqué dans les zones les plus denses et dans les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii). Pour ces dernières les opérateurs ont des engagements juridiques contraignants et opposables. C'est dans ce cadre que la formation restreinte de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a prononcé une sanction de 26 millions d'euros à l'encontre d'Orange pour non-respect de la première échéance de ses engagements de déploiement en zones Amii. Cette décision, rare, mais que nous pouvons saluer, nous invite à être attentifs à la suite du déploiement de la fibre par l'ensemble des opérateurs et souligne que l'accès au très haut débit est encore loin d'être acquis.
Deuxièmement, même si la France demeure le premier pays de l'Union européenne en matière de déploiement de la fibre optique, les opérateurs confondent parfois vitesse et précipitation, au détriment de la qualité et de la durabilité des réseaux. Pour des raisons économiques, ils privilégient le déploiement aérien au détriment de l'enfouissement. Selon une récente étude commandée par InfraNum et la Banque des territoires, ce sont 500 000 kilomètres de lignes aériennes, principalement situées en zones rurales, qui seraient vulnérables face aux crises. Les récentes tempêtes nous rappellent, une nouvelle fois, la grande vulnérabilité de ces réseaux face aux aléas et au dérèglement climatique, mais aussi les surcoûts occasionnés par le déploiement aérien. Ces choix économiques de court terme se font donc au détriment d'une meilleure résilience et durabilité de nos réseaux censés être raccordés à l'électricité.
En cas de coupure, les antennes de téléphonie mobile ne bénéficient pas d'un raccordement prioritaire au réseau de transport d'électricité - point sur lequel nous reviendrons.
Troisièmement, de fortes inégalités territoriales persistent toujours, notamment dans le département de Mayotte, aujourd'hui très éloigné du plan France Très Haut Débit : seuls 40 % des locaux disposent d'un accès à internet fixe, quand la moyenne nationale est de 85 %. Alors que le conseil départemental a lancé un appel d'offres pour déployer son réseau d'initiative publique sur cinq ans, estimant les besoins de financement de l'État à 60 millions d'euros, sur les 210 millions globaux, seulement 4,5 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement (AE). Si le projet mérite effectivement d'être précisé, l'enveloppe allouée ne constitue pas un amorçage suffisant et réaliste. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à soutenir la situation à Mayotte.
Quatrièmement, les objectifs ne seront pas atteints tant que la question du financement des raccordements complexes, sur les domaines public et privé, n'est pas réglée. L'appel à projets « Création d'infrastructures de génie civil nécessaires aux raccordements finals » s'est terminé le 17 avril dernier. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a reçu 41 demandes de candidature, elle n'est toutefois pas en mesure d'estimer la consommation de l'enveloppe de 150 millions d'euros qui aurait dû être mobilisée dans les deux dernières années. De plus, cette enveloppe n'est pas reconduite dans le projet de loi de finances pour 2024. Aucune proposition opérationnelle n'est présentée par le Gouvernement pour inciter les opérateurs et les particuliers à réaliser ces raccordements les plus complexes.
Ce PLF marque également une évolution avec le rattachement du programme « Inclusion numérique » à la mission « Économie », qui permet notamment de financer 3 600 conseillers numériques dans les maisons France Services. Depuis 2021, 40 millions d'euros sont mobilisés chaque année pour une enveloppe globale de 250 millions d'euros. La fin de la subvention de ces postes devrait intervenir en 2026-2027. C'est une source de préoccupation majeure pour les élus locaux qui devront en assurer le financement intégral. Nous suivrons avec attention l'évolution de la consommation de ces crédits, notamment après 2025.
Dans d'autres domaines, les moyens budgétaires mobilisés s'avèrent plus adaptés, même si nous proposerons quelques amendements : c'est le cas des compensations versées à La Poste au titre de ses quatre missions de service public. Elles font désormais l'objet de compensations pluriannuelles, ce qui facilite le contrôle budgétaire du Parlement.
Sur le service universel postal, la compensation de 500 millions d'euros versée depuis l'an dernier est bien reconduite. Toutefois, les dispositions du contrat d'entreprise signé entre La Poste et l'État ne sont pas toutes respectées, à savoir la compensation optionnelle de 20 millions d'euros qui n'est pas prise en compte en AE. Cette compensation optionnelle permettait de préserver la logique de « bonus-malus » selon l'atteinte d'objectifs de qualité de service fixés par voie réglementaire. Ces objectifs n'ont par ailleurs pas été revus à la hausse par le Gouvernement, ce qui est regrettable.
Concernant la mission de transport de la presse, l'entrée en vigueur de la nouvelle réforme de la distribution au 1er janvier 2023 ne produit pas encore les effets attendus : le basculement du postage vers le portage semble plus lent et compliqué que prévu. Dans un contexte inflationniste, le portage demeure plus onéreux que le postage pour les éditeurs de presse, ce qui m'amène à m'interroger sur les effets de la baisse de 15 % de l'aide à l'exemplaire posté, effective à compter du 1er janvier 2024. La clause de révision des tarifs devrait tenir compte de l'inflation, pour ne pas pénaliser injustement les éditeurs de presse.
Concernant la mission de contribution à l'aménagement du territoire, les compensations budgétaires sont insuffisantes pour compenser la baisse des compensations fiscales, assises depuis l'année dernière sur les impôts de production. Pour 2024, la compensation prévue est de 105 millions d'euros, tandis que le rendement fiscal est estimé à 54 millions, ce qui conduirait à un financement effectif de 150 millions d'euros. Le contrat de présence postale territoriale autorise pourtant un financement de 174 millions d'euros. Cette sous-compensation pourrait être préjudiciable aux commissions départementales de présence postale territoriale, auxquelles vous participez peut-être, mes chers collègues. Nous devrons donc veiller au bon fonctionnement de ces commissions chargées du maintien des 17 000 points de contact postaux sur l'ensemble de notre territoire.
Enfin, je ferai un dernier point d'actualité sur l'Arcep et la mise en oeuvre budgétaire du projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique.
Je souhaiterais saluer l'anticipation du déploiement du filtre antiarnaques, grâce à une budgétisation de 4,5 millions d'euros permettant d'assurer la bonne coordination informatique entre toutes les administrations et les autorités chargées de signaler des actes de cybermalveillance en ligne.
Je m'inquiète en revanche de l'absence de budget supplémentaire alloué à l'Arcep, qui se voit confier de nouvelles prérogatives en matière de régulation des marchés de l'informatique en nuage - le cloud - et des services d'intermédiation des données.
D'une part, ces missions sont très éloignées des missions historiques de l'Arcep, qui n'a pas les ressources suffisantes en interne. D'autre part, contrairement aux autres autorités qui seront chargées d'appliquer ce projet de loi, l'Arcep ne bénéficie pas d'un renforcement de ses moyens qu'ils soient budgétaires ou humains. Cet oubli est préjudiciable pour la bonne application de la loi et pour la poursuite des missions de l'Arcep elle-même. C'est pourquoi je proposerai également un amendement sur ce sujet.
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au commerce, à l'artisanat et à la consommation. - Vous l'aurez compris au gré des interventions de mes corapporteurs, la mission « Économie » est un ensemble disparate de crédits. Malgré cet éparpillement, mon constat est clair : comme chaque année, le commerce et l'artisanat, et dans une moindre mesure la consommation, sont les oubliés du budget.
Hors aides exceptionnelles, les crédits de la mission sont en augmentation de plus de 600 millions d'euros. Or, seulement 62 millions d'euros sont dédiés au commerce, à l'artisanat et à la consommation. Ce n'est même pas 10 % de la hausse ! Alors que ce sont des domaines essentiels : le commerce représente plus de trois millions de salariés et 250 milliards de valeur ajoutée ; l'artisanat concerne pareillement trois millions d'actifs, et permet la transmission de savoir-faire inestimables ; enfin la consommation est justement ce qui fait vivre nos commerces et artisans. Néanmoins, plusieurs avancées par rapport aux années précédentes sont à saluer, car nous partions de loin !
Concernant la consommation, les alertes répétées de notre commission ont porté leurs fruits : les moyens de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) connaîtront enfin une hausse significative en 2024, de plus de 70 équivalents temps plein (ETP). C'est bienvenu et hautement nécessaire.
La DGCCRF faisait l'objet de réductions d'effectifs depuis plus de dix ans. Un rapport de nos collègues des finances estime qu'elle a perdu près de 400 ETP entre 2007 et 2022, à périmètre constant.
Pendant ce temps, ses missions n'ont pas cessé d'augmenter, notamment sous l'effet de textes examinés par notre commission, comme la loi du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur, la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat d'août 2022 ou encore la loi Descrozaille du 30 mars2023. Tous ces textes - et c'est bien légitime pour protéger les consommateurs - étendent le champ des missions de la DGCCRF. Mais comment protéger les consommateurs avec moins d'enquêteurs pour effectuer les contrôles ?
Au niveau qualitatif, la DGCCRF a besoin de ces crédits supplémentaires pour poursuivre sa transformation, notamment numérique, en lien avec l'évolution des modes de consommation et, malheureusement, l'évolution des modes de fraudes. La DGCCRF a déjà développé des outils numériques comme Polygraphe, qui détecte les faux avis sur internet. D'autres chantiers sont en cours, et il faut qu'elle puisse les poursuivre.
Dans un tel contexte, la hausse des crédits de la DGCCRF est justifiée. Son rôle en période inflationniste est crucial pour protéger le pouvoir d'achat des ménages, mais aussi la trésorerie des entreprises : à ce sujet, la DGCCRF m'a alertée sur la recrudescence des retards de paiement. Les grandes entreprises profitent de l'inflation, au détriment de nos TPE-PME ! Ce sont des pratiques inacceptables. La DGCCRF les sanctionne déjà lourdement, mais ce n'est sans doute pas assez dissuasif. J'ai interpellé le ministre à ce sujet la semaine dernière, car j'estime qu'une réflexion doit avoir lieu sur l'efficacité et le pouvoir dissuasif de ces sanctions.
Toujours sur la consommation, j'ai porté attention au soutien public au mouvement consumériste. Comme cela a été souligné par mon prédécesseur, Serge Babary, le mouvement est trop émietté et les subventions restent élevées. Certaines recommandations de notre commission sont à l'oeuvre, notamment sur le recours aux appels à projets en complément des subventions, mais c'est encore trop timide. La coopération entre les associations et la DGCCRF doit aussi être renforcée : il faut tirer parti de la proximité des associations avec les victimes d'arnaques, de plus en plus nombreuses.
Concernant le commerce, le constat est peu enthousiasmant. La mission « Économie » ne comporte quasiment plus de crédit de soutien au commerce depuis la disparition du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) en 2019. Une seule évolution positive : la création d'un fonds territorial à l'accessibilité, doté de 300 millions d'euros d'ici 2028. Axé sur les TPE-PME, il financera des travaux de mise en accessibilité de nos restaurants, bars ou hôtels, mais il est loin d'être transversal comme l'était le Fisac, qui permettait le développement et la modernisation des commerces.
Concernant l'artisanat, une stratégie nationale en faveur des métiers d'art a enfin été lancée en mai dernier. C'est un secteur qui oeuvre à la transmission de savoir-faire qui font l'excellence et le rayonnement de la France. C'est donc pour moi une avancée que d'avoir, pour la première fois, une politique publique unifiée, avec une stratégie interministérielle regroupant l'économie et la culture. En revanche, il ne faut pas être dupe sur les effets d'affichage : cette stratégie ne comporte que 2,4 millions d'euros de mesures nouvelles, c'est très peu.
Enfin, les mêmes critiques que l'an dernier demeurent concernant les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) : le Gouvernement souhaite poursuivre la trajectoire de réduction de 60 millions d'euros de la taxe pour frais de chambre d'ici à 2027, dans un contexte où elles n'ont cessé d'être sollicitées par l'exécutif. De plus, le Gouvernement oublie que nos entreprises artisanales n'ont pas toujours la culture ou les moyens de recourir à des services onéreux. C'est pourquoi il m'apparaît pertinent de lisser cette réduction dans le temps. Toutefois, cela porte sur la première partie du PLF, qui n'est pas l'objet de l'avis de notre commission.
Voilà, chers collègues, le résultat de mon examen des crédits relatifs au commerce, à l'artisanat et à la consommation de cette mission : ils incluent des avancées, même s'il reste beaucoup à améliorer. Je vous propose donc d'adopter ces crédits.
M. Stéphane Fouassin. -Dans ce contexte de mutations majeures, cette mission se focalise sur plusieurs fronts cruciaux. Bpifrance, acteur clé dans l'accompagnement des entreprises, bénéficie d'une hausse budgétaire de 100 millions d'euros pour 2024 - on peut s'en féliciter. Ce financement vise à soutenir activement les transitions des entreprises avec au total plus de 2 milliards d'euros sur deux ans dédiés à la transition énergétique et écologique.
Le plan France Très Haut Débit se concentre sur des secteurs vitaux allouant plus de 40 millions d'euros pour renforcer l'inclusion numérique, réduisant ainsi les fossés numériques persistants. Notons la création du fonds territorial d'accessibilité, doté de 300 millions d'euros et crucial pour aider les petits commerces à améliorer leur accessibilité sur une période s'étendant jusqu'en 2028.
Le volet de protection des consommateurs face aux défis des nouveaux usages numériques est renforcé par des initiatives de contrôles en ligne et de régulation du commerce sur internet. Les programmes s'adaptent à l'après-crise sanitaire et énergétique mobilisant des leviers pour moderniser l'économie avec des investissements stratégiques : la cybersécurité et un soutien spécifique à la transition énergétique.
Le secteur des postes et des télécommunications continue à être soutenu. L'engagement pour l'internationalisation des entreprises est consolidé via Business France et Bpifrance Assurance Export. Cette mission intègre des interventions régulatrices adaptées aux nouvelles pratiques commerciales pour garantir un marché dynamique et équitable.
En résumé, les programmes 343, 220, 305 et 367 contribuent activement à notre politique économique financière et statistique. Le programme 367 soutient notamment l'État actionnaire sans nouveaux crédits garantissant des opérations patrimoniales financées pour 2024.
Mme Sophie Primas. - Plus que le budget en lui-même, je retiens le fait qu'il y a une profusion de dispositifs, conduisant à une grande confusion, qu'il s'agisse des programmes de développement, de soutien à l'industrie ou de soutien au commerce et à l'artisanat. Finalement, on constate une grande recentralisation de l'action en matière de développement économique.
Si les grandes entreprises, qui bénéficient de services juridiques et financiers, ont les moyens de solliciter tous ces dispositifs, ce n'est pas toujours le cas des entreprises de taille intermédiaire (ETI), et encore moins des PME et des TPE.
Même si je perçois une volonté à la fois européenne et nationale de soutenir les entreprises, je regrette qu'on coupe les ailes des acteurs capables de les aider localement, et notamment d'aider les ETI et les PME, par exemple les chambres de commerce et d'industrie. Ces dernières dépensaient, certes, beaucoup d'argent et elles ont dû faire des efforts, mais force est de constater que l'on est aujourd'hui à l'os. Face à la profusion et à la confusion des dispositifs, il faut apporter une aide au niveau local. Aussi, ne reproduisons pas l'erreur faite en matière d'organisation territoriale auprès des entreprises.
Je reviendrai notamment sur l'erreur, là encore importante, commise il y a quelques années en demandant aux écoles portées par les chambres de commerce et d'industrie d'avoir leur propre compte d'exploitation, ce qui empêche les mécanismes de péréquation. De ce fait, aujourd'hui, on ferme des écoles jugées non rentables, ce qui est extrêmement préjudiciable à la montée en compétences, à la professionnalisation, dont on a grandement besoin sur les territoires.
M. Fabien Gay. - Nous vivons une crise post-covid importante, avec 5 000 défaillances d'entreprises recensées par mois et potentiellement 50 000 et 55 000 au total cette année, ce qui est très important. Si ces défaillances recouvrent différentes réalités, allant de l'autoentrepreneuriat à l'artisanat en passant par la petite PME, elles soulèvent trois questions.
Premièrement, ces défaillances ne sont pas forcément toutes dues au non-remboursement des prêts garantis par l'État (PGE) - beaucoup d'entreprises ont su rebondir -, mais pour une part d'entre elles, c'est un réel problème.
Deuxièmement, le retard de paiement, notamment pour beaucoup de TPE et de PME, est également problématique. Les grandes entreprises ne doivent pas se défausser sur les TPE et PME.
Troisièmement, on nous alerte sur la question préoccupante de l'énergie - je pense par exemple à nos artisans boulangers qui ont vu leur facture multipliée par cinq, voire par dix. La réforme du marché européen permettra sans doute d'améliorer les choses, mais il y a urgence. N'attendons pas des mois avant d'intervenir, sachant que le Gouvernement annonce une nouvelle hausse de 10 % du tarif réglementé de vente de l'électricité au 1er février 20 24, après une hausse de 25 % déjà cette année.
Travaillons donc autour de ce triptyque.
Enfin, j'estime que les dispositifs mis en oeuvre par le Gouvernement avec l'argent public pour aider les entreprises bénéficient pour une grande part aux très grandes entreprises et pas assez à nos TPE et PME. On a raison d'y ajouter des conditions sociales et écologiques, mais il est anormal que les petites entreprises y aient si difficilement accès, quand l'argent coule à flots pour les grands groupes. Nous devrions faire une meilleure utilisation de cet argent. Attelons-nous à ce problème et faisons des propositions - nous n'aurons pas tous les mêmes, car nous ne défendons pas le même projet de société !
Je ne m'étendrai pas au sujet de La Poste, mais je n'en pense pas moins...
Mme Viviane Artigalas. - Puisque mon collègue passe son tour, j'aurais une question concernant La Poste, notamment sur la pérennité de la compensation de l'État pour ses missions de service public.
Le contrat de présence postale territoriale détermine un nombre de points de contact, mais la compensation n'est pas à la hauteur des besoins. D'autant que la qualité n'est pas la même partout : entre le bureau de poste, l'agence postale communale et le bureau de tabac, le service n'est pas identique. L'impact financier n'est pas non plus le même pour les communes.
Aussi, soyons vigilants à ce que la pérennité de ces compensations soit bien assurée dans le temps. On imagine bien que l'État sautera sur l'occasion dès qu'il pourra s'en dispenser.
M. Alain Chatillon. - Je suis tout à fait d'accord avec les rapporteurs. Je soutiens également les propos de Fabien Gay sur le coût énergétique terrible que subissent nos entreprises, quelle que soit leur taille. Il est beaucoup plus important qu'en Allemagne, ce qui freine notre développement économique à l'international. Il faut pousser ce dossier au plus haut.
M. Jean-Luc Brault. - Je suis tout à fait aligné sur la position des rapporteurs, notamment sur le problème de délais de paiement évoqué par le rapport de Mme Sylviane Noël. On l'observe dans le Loir-et-Cher, principalement auprès de nos PME, qui sont payées au bout de 150,160 jours, parfois même 180, pour des motifs futiles.
Cette situation est inadmissible pour nos entreprises, dont les trous de trésorerie peuvent se chiffrer entre 500 000 euros et un million d'euros si l'on prend l'exemple d'une PME dans le BTP de quarante à cinquante salariés, avec un chiffre d'affaires pourtant solide de 4 millions d'euros.
Sur ce sujet je rejoins l'indignation de M. Fabien Gay : aidons dès à présent nos TPE et PME, sans leur donner des subventions ou leur allouer des crédits spéciaux, mais simplement en exigeant de l'État que les délais de paiement soient respectés.
M. Michel Bonnus. - Je reviendrai également sur l'intervention de M. Fabien Gay, qui a souligné à juste titre l'impact considérable des 5 000 entreprises par mois forcées de déposer le bilan.
Il était certes important de soutenir les entreprises pendant la crise du covid, mais l'allongement du PGE a un grand impact sur celles-ci, non seulement parce que le taux d'intérêt n'est plus le même mais aussi parce que l'extension de ce prêt, même à dix ans, fait perdre toutes les garanties de caution de l'État. En plus des PGE à rembourser, les entreprises connaissent une multiplication par six, si ce n'est par sept, de leur facture énergétique, également intenable - une entreprise comme la mienne est passée de 2 500 à 6 000 euros par mois d'électricité ! Nous n'y arrivons plus.
À cela s'ajoutent des imprévus, comme le fait qu'après la crise sanitaire, les entreprises ont dû embaucher - parfois pendant un an ! - de nouveaux employés pour remplacer ceux qui n'avaient pas pu prendre leurs congés.
Notez également que pendant cette période, le salaire des employés était pris en charge par l'État à hauteur de 84 % ; le reste à charge ayant été pris en charge par l'employeur pour garder ses salariés, imaginez à quel point cela pèse à terme dans leur trésorerie.
Aujourd'hui, un PGE de 200 000 euros représente un remboursement de 5 600 euros nets par mois - on rajoute de la dette à la dette ! J'y insiste, les entreprises sont en grande difficulté.
Mme Antoinette Guhl. - À nos yeux, la mission « Économie » ne reflète pas suffisamment notre ambition d'orienter l'économie vers la transition écologique. J'évoquerai trois points.
Le premier concerne la non-écoconditionnalité des aides et de l'accompagnement. Vous avez évoqué les fonds de Bpifrance : nous estimons qu'ils doivent être écoconditionnalisés, c'est-à-dire distribués uniquement aux entreprises engagées dans une transition écologique forte, avec des plans d'action contrôlés.
Le deuxième porte sur l'économie sociale et solidaire, largement sous-calibrée dans ce budget. Alors que ce secteur représente 14 % des emplois, soit deux fois plus que l'hôtellerie-restauration ou le bâtiment, et quatre fois plus que l'agroalimentaire, seuls 20 millions d'euros lui sont alloués. Il y a un réel déphasage entre les emplois créés et les aides apportées aux entreprises. Ces fonds sont toujours orientés pour construire des « champions », quand ils devraient au contraire profiter aux entreprises plus vertueuses aussi bien sur le plan social qu'écologique et économique.
Enfin, troisième point, sur la partie relative à la consommation, il est regrettable qu'il n'y ait rien sur l'inflation alimentaire, qui touche tous nos concitoyens.
Nous voterons donc contre l'adoption des crédits de cette mission.
M. Yannick Jadot. - J'évoquerai pour ma part le crédit d'impôt recherche. Des réflexions extrêmement intéressantes ont été développées par Philippe Aghion sur la transformation de ce crédit d'impôt, qui aujourd'hui représente un poste de dépense très important. Il s'agit d'un bel outil malheureusement mal utilisé, à la fois en termes de taille des entreprises - les PME en bénéficient très peu par rapport aux grandes entreprises - et mal ciblé, par rapport aux orientations que l'on veut donner à notre économie, vers la transition écologique et l'économie sociale et solidaire. Un chantier est à mener sur ce sujet.
Je veux évoquer un autre point, qui s'écarte, certes, un peu du texte, mais concerne tout autant notre économie et notre industrie : il est aberrant qu'aucune préférence géographique ne soit mentionnée de manière explicite dans l'attribution de nos marchés publics locaux, comme le font nos grands concurrents de l'économie mondiale.
Dans les faits, à l'échelle locale, les marchés sont principalement ciblés vers les entreprises souhaitées, mais pourquoi ne pas revendiquer politiquement qu'une partie de l'argent public profite en priorité aux entreprises du territoire, comme pour le Buy European Act ? On constate un blocage total dans le discours français : au niveau européen, on défend le Buy European Act, mais Bercy bloque les négociations. Nous devrons trouver le moyen de faire sauter ce verrou.
M. Daniel Fargeot. - Je partage tout à fait le triptyque évoqué par M. Fabien Gay sur la situation économique actuelle : le constat post-covid risque d'être dramatique pour nos PME et TPE dans les mois à venir. Les retards de paiements ont un impact important sur la trésorerie, la compétitivité et, par conséquent, sur l'existence de ces entreprises.
La DGCCRF est pourtant chargée de contrôler le respect des dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement. Or, elle ne le fait que marginalement, au cas par cas. Les sanctions pécuniaires sont importantes pour les entreprises qui ne respectent pas les règles. Une action doit être menée auprès de la DGCCRF.
Il faudrait également revoir le délai de remboursement du PGE pour les entreprises particulièrement impactées par ces remboursements obligatoires.
S'agissant de l'explosion de la facture énergétique, les PME et les TPE sont en effet les plus touchées. Elles sont dans l'incapacité de refacturer à leurs donneurs d'ordre le coût énergétique.
Enfin, je terminerai en évoquant le dispositif France 2030 : il faudrait augmenter la part d'investissement attribuée aux ETI, aux PME et aux TPE. On parle toujours des très grandes entreprises, mais n'oublions pas l'importance du tissu économique local. Les TPE et PME sont les premières entreprises de France.
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis. - Compte tenu du périmètre de la mission, je n'ai volontairement pas évoqué la question de l'énergie. Elle est évidemment centrale - tous les représentants d'entreprises auditionnés l'ont mentionnée. Nous n'avons pu obtenir de réponse à ce sujet de la part de Bruno Le Maire lors de son audition sur la situation d'ici la fin de l'Arenh en 2026.
Je crains que l'on assiste dans les années à venir à une hausse régulière et importante des prix de l'énergie, en particulier de l'électricité, et ce indépendamment des questions géopolitiques auxquelles nous faisons face actuellement, même si la proportion d'énergies renouvelables (EnR) augmente. Il faut s'y préparer, et cela vaut aussi bien pour les entreprises que pour les consommateurs.
N'oublions pas que le marché des petites et moyennes entreprises est lié au pouvoir d'achat des particuliers. C'est une lapalissade, mais il faut bien le dire !
Je terminerai en insistant sur la nécessité de rendre à l'avenir plus lisible et compréhensible l'examen de ces crédits : il est frustrant de porter des avis sur des points trop parcellaires.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Sophie Primas a fait une remarque très juste sur la profusion des dispositifs d'aide, une profusion qui est source de confusion quand cela ne conduit pas à de la non-réalisation... Les suivis sont difficiles à réaliser. On l'observe : sur le volet numérique, avec le dispositif de financement des raccordements complexes, qui bien qu'absolument nécessaire est aujourd'hui en panne ; et, dans une moindre mesure, sur celui concernant les conseillers numériques, présentés comme une solution d'inclusion dans les territoires, mais dont les collectivités devront assumer seules la charge, au risque de voir le dispositif péricliter.
S'agissant de La Poste, la pérennité des compensations pose effectivement question. L'État maintient bien ses compensations pour les missions de service universel postal ou d'aménagement du territoire, mais le rendement fiscal diminue ce qui conduit à un manque de 15 millions d'euros pour cette mission d'aménagement du territoire, que l'on propose de compenser.
Idem concernant la qualité du service postal : la dotation de 20 millions d'euros, censée être un bonus lorsque La Poste atteint ses objectifs de qualité, a disparu. Nous proposerons également sur ce point un amendement. On affiche des dispositifs et on ne vérifie pas l'année d'après qu'ils portent bien leurs fruits. Il faut remédier à ce réel manque de suivi.
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis. - Je reviendrai plus spécifiquement sur la question des délais de paiement. Aujourd'hui, la sanction maximale pour retard de paiement s'élève à 2 millions d'euros, et peut atteindre 4 millions en cas de réitération du manquement dans les deux ans : un montant insuffisamment dissuasif pour mettre fin à ce genre de pratiques compte tenu de l'inflation actuelle.
Cette problématique est une réalité et nous a notamment été signalée par la DGCCRF. Nous sommes typiquement dans un souci de technocratie administrative insupportable - en tant que maires, nous connaissons bien le côté tatillon des perceptions. Je ne sais pas comment y remédier, si ce n'est de rappeler que les personnes publiques ont un devoir d'exemplarité en la matière.
Contrairement à ce qui a été énoncé, la DGCCRF a pris ce problème à bras-le-corps : au premier semestre 2023, elle a lancé ou mené à bien des procédures de sanctions administratives auprès de 224 entreprises, dont certaines ont été sanctionnées assez lourdement - je pense par exemple à Veolia Eau'. Rappelons que cette autorité de contrôle est extrêmement mobilisée en période d'inflation et face à la profusion de fraudes et d'arnaques dans le secteur du numérique notamment.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DES RAPPORTEURS
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis. - L'amendement n° II-130 prévoit que le Gouvernement joigne au projet de loi de finances une annexe présentant clairement les choix stratégiques et les objectifs des politiques en faveur de l'industrie. Cette annexe devra recenser de manière précise l'ensemble des contributions apportées par l'État, ce qui nous permettra de réaliser un meilleur travail de contrôle et d'évaluation de l'efficacité des politiques publiques dans le secteur de l'industrie.
L'amendement n° II-130 est adopté.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - L'amendement n° II-131 vise à doter l'Arcep d'une enveloppe de 1,2 million d'euros en AE et en crédits de paiement (CP) pour lui permettre notamment d'assurer les nouvelles missions qui lui sont confiées par le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique.
L'amendement n° II-131 est adopté.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - L'amendement n° II-132 concerne le département de Mayotte. Il vise à augmenter, à hauteur de 25,5 millions en AE et de 10 millions en CP, la part de l'État dans le déploiement du réseau d'initiative publique du département, dont le coût total est estimé à 210 millions d'euros. Alors que la part de financement de l'État devait s'élever à 60 millions d'euros, seuls 4,5 millions d'euros sont actuellement ouverts en AE dans le projet de loi de finances pour 2024.
L'amendement n° II-132 est adopté.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - L'amendement n° II-133 concerne la mission de service universel postal de La Poste. Il s'agit de réaffecter la tranche supplémentaire, mais optionnelle, de 20 millions d'euros, accordée si, et seulement si, La Poste atteint des objectifs de qualité fixés par voie réglementaire.
Mme Sophie Primas. - Ces objectifs assignés à La Poste sont-ils atteignables ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - Ils ont fait l'objet d'un débat lors de leur mise en place, mais n'ont pas été identifiés comme non atteignables. Il s'agit là plutôt d'une question d'absence de suivi...
L'amendement n° II-133 est adopté.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. - L'amendement n° II-134 concerne également La Poste, cette fois sur sa mission de service public de contribution à l'aménagement du territoire. Il vise à augmenter de 15 millions d'euros sa dotation pour compenser les effets de la réforme des impôts de production, afin d'atteindre le montant de financement de 174 millions d'euros fixé par le contrat de présence postale territoriale. Il s'agit de de permettre l'accompagnement des territoires et des élus locaux dans la préservation des missions des commissions départementales de présence postale.
L'amendement n° II-134 est adopté.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Politique de la ville » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous examinons le rapport de Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis des crédits du programme 147 « Politique de la ville » de la mission budgétaire « Cohésion des territoires ».
Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Madame la présidente, mes chers collègues, selon une méthode que j'ai adoptée depuis trois ans, j'ai voulu croiser les avis de responsables nationaux avec des visites de terrain afin de préparer ce rapport. Je me suis donc rendue la semaine passée avec Mme Anne-Chain Larché, à Dammarie-lès-Lys, pour y rencontrer le maire M. Gilles Battail et, avant-hier, à Vaulx-en-Velin, auprès de Mme Hélène Geoffroy, ancienne ministre de la Ville. Mon rapport est donc le fruit de ces deux regards : des considérations nationales et des exemples et des réflexions issus de l'expérience locale.
C'était d'autant plus important cette année que les émeutes urbaines de l'été 2023, qui restent encore à comprendre pour apporter des solutions appropriées, ont ravivé les questions sur la pertinence de la politique de la ville et du renouvellement urbain alors que c'est bien plus souvent l'absence de l'État et des services publics, autrement dit du « droit commun », qui est en cause. À travers ce budget, la question se pose donc de savoir si la réponse apportée tardivement par le Comité interministériel des villes, le CIV, du 27 octobre dernier est à la hauteur de l'enjeu.
Je débuterai donc mon propos par une présentation des principaux éléments du budget avant d'analyser la réponse du Gouvernement aux émeutes à travers le CIV.
En 2024, les crédits spécifiques de la politique de la ville s'élèveront à 634 millions d'euros, soit une augmentation de 6,2 % et de 37 millions d'euros courants. Depuis 2017, le budget de la politique de la ville poursuit son augmentation quasi constante. Rappelons qu'il s'élevait à 429 millions d'euros en 2017.
L'augmentation des moyens du programme « Politique de la ville » dans le projet de loi de finances (PLF) 2024 s'explique essentiellement par la hausse de 35 millions du versement de l'État à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Mais, hors ANRU et compte tenu de l'inflation, les moyens de la politique de la ville vont baisser en 2024. La généralisation de Cités éducatives sera financée par redéploiement. Pour l'avenir, on peut se demander si les besoins financiers croissants de l'ANRU ne risquent pas de phagocyter les moyens de la politique de la ville ou de reporter la charge sur d'autres acteurs.
Cette année, un effort budgétaire particulier est réalisé au bénéfice de l'ANRU. De 15 millions d'euros accordés chaque année depuis 2021, les crédits passent à 50 millions d'euros. Cette évolution est conforme à l'arbitrage effectué l'an passé et devant conduire l'État à apporter 300 millions d'euros sur le quinquennat.
Si cette inflexion et le respect de l'engagement sont positifs, je reste néanmoins inquiète. En effet, l'État s'est engagé à verser 1,2 milliard d'euros d'ici 2033, soit en moyenne 120 millions d'euros par an. Pourtant, à la fin de cette année, il aura versé moins de 110 millions d'euros. Ainsi, en raison du retard accumulé et même si l'échéancier était respecté d'ici 2027, l'essentiel de la charge est repoussé au-delà du quinquennat, faisant peser le doute sur le réel investissement de l'État aux côtés d'Action Logement et des bailleurs sociaux.
Ce retard de l'État devient également problématique au regard de la dynamique du Nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) qui est dans sa phase opérationnelle et devrait conduire à des décaissements d'un milliard d'euros par an jusqu'en 2028. Malheureusement, la hausse des coûts de construction et l'inflation pourraient gripper cette dynamique. En effet, le NPNRU est une enveloppe fermée, sans clause d'actualisation ou de révision. Il existe donc un risque que de nombreuses communes ou bailleurs, n'ayant pas les moyens de financer le surcoût, soient conduits à revoir l'ambition de leurs projets à la baisse, voire d'y renoncer. Il est même possible que l'abandon de certains permette de financer une aide plus importante ailleurs, cette solution pouvant être facilitée par une continuité de l'ANRU après le NPNRU. Il me semble que cette perspective doit être davantage prise en compte par l'État afin qu'aucun porteur de projet ne soit laissé de côté dans nos départements. L'action de l'ANRU reste pourtant absolument déterminante pour remodeler ces quartiers. J'en ai encore eu un très bon exemple lundi à Vaulx-en-Velin pour la restructuration d'une dalle de parking qui focalise les trafics et qui est le coeur d'un quartier de copropriétés dégradées où 10 habitants sont morts dans un incendie en décembre 2022.
Hors ANRU, la principale mesure du PLF 2024 est la « généralisation » d'ici 2027 des Cités éducatives qui a été annoncée par le Président de la République à Marseille, en juin dernier et qui exige une augmentation de crédits de 29 millions d'euros. On peut être surpris par cette décision, d'abord parce que leur généralisation avait été proposée par le rapport Borloo il y a cinq ans... Ensuite, parce que l'an passé, il ne fallait pas généraliser, mais stabiliser et maintenir l'esprit de projets inhérents au dispositif... Pour 2024, le Gouvernement parle désormais de « généralisation », mais sans faire des Cités éducatives un élément structurant du droit commun comme les REP... En réalité, « seuls les volontaires seront généralisés » après un appel à projets ! Que de temps perdu à cause de toutes ces tergiversations !
Quoiqu'il en soit, cette décision est positive, compte tenu des retours généralement bons sur ce dispositif et de la nécessité d'investir sur l'éducation. Il y a une réelle attente. Ainsi, le maire de Dammarie-lès-Lys a fait part de sa volonté de candidater, ne comprenant pas pourquoi, compte tenu des difficultés de sa commune, il n'avait pas été éligible jusque-là. À Vaulx-en-Velin, la cité éducative englobe toute la ville et permet notamment que les parents redeviennent acteurs de l'éducation. J'en ai eu de beaux témoignages lors de ma visite. Vous vous souvenez peut-être d'ailleurs que lors de son audition devant la commission, la semaine dernière, Mme Sabrina Agresti Roubache a indiqué que 214 millions d'euros étaient prévus sur le quinquennat pour passer de 208 à 850 Cités éducatives.
Mais dans ce cas aussi, je m'interroge sur la soutenabilité de la trajectoire opérationnelle et financière. En effet, les Cités éducatives requièrent que les collectivités territoriales apportent un financement équivalent à celui de l'État, soit 350 000 euros par an et par Cité. Avec, en outre, plus de 300 millions d'euros en 2027, ce seul programme pourrait représenter jusqu'à la moitié du budget de la politique de la ville... Mon inquiétude est tout à fait concrète puisque, dans le budget 2024, la généralisation des Cités éducatives est gagée sur plusieurs économies, dont la principale est l'arrêt au bout de trois ans des Bataillons de la prévention, représentant 16 millions d'euros. Introduits par le CIV du 29 janvier 2021, pérennisés pour l'année 2023 suite aux annonces du CIV du 29 janvier 2022, ils sont maintenant arrêtés. Si je ne peux pas reprocher au Gouvernement de faire des choix et de fixer des priorités, je déplore que ces dispositifs lancés un jour et pérennisés le lendemain soient arrêtés le surlendemain... alors que les conclusions d'une évaluation quartier par quartier sont encore attendues. Le Gouvernement met en avant le manque d'expérience des adultes relais, la difficulté de recruter des éducateurs, les défauts de coordination ou l'absence de perspectives pour des contrats à durée déterminée (CDD) de trois ans... À cet égard, j'ai été interpellée par les réflexions du maire de Dammarie-lès-Lys qui, constatant les limites des adultes relais en raison la précarité de leur situation, des difficultés de recrutement, plus de 9 mois, de la faiblesse de la rémunération et de l'absence d'avenir, a souligné le caractère plus attractif de sa police municipale qui propose une réelle carrière et assure la fonction de médiation auprès des habitants. Pour autant, j'avais constaté à Reims, l'an passé, comme à Nice en 2022, leur bon fonctionnement et leur intérêt dans le cadre d'une coopération étroite entre la préfecture et les collectivités. Si une amélioration était nécessaire, la suppression d'un dispositif gage de présence humaine dans les quartiers le soir et le week-end, quelques mois après les émeutes, semble s'inscrire à rebours des besoins. J'ai donc apprécié, le pragmatisme de la secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté et de la Ville, qui a annoncé lors de son audition devant la commission avoir obtenu le dégel de 20 millions d'euros pour assurer la poursuite des Bataillons de la prévention partout où les retours sont positifs, corrigeant ainsi un PLF pas encore voté !
Au-delà de ces trois points structurants du budget, le défi du moment est bien d'apporter une réponse adaptée aux émeutes urbaines. Je l'ai dit, les émeutes de l'été relancent les questions sur la politique de la ville et les politiques de droit commun menées depuis plusieurs années. À Dammarie-lès-Lys, 8 millions d'euros de dégâts sont à déplorer. Les violences ont été principalement commises par des collégiens qui ont brûlé la médiathèque au coeur de la Plaine du Lys, la maison de l'emploi, une école maternelle et attaqué le commissariat. Aujourd'hui, seule l'école maternelle a été reconstruite afin d'assurer une rentrée normale. Mais les motivations ayant conduit des adolescents et des habitants à détruire des équipements qui leur sont dédiés suscitent toujours de profondes interrogations. À Vaulx-en-Velin, les dégâts sont plus limités. Un bar a été brûlé après avoir été pillé, mais la médiathèque, le commissariat et le local de la police municipale qui ont été attaqués ont pu être préservés. Les émeutiers étaient plus âgés, entre 18 et 25 ans et n'appartenaient pas toujours à la commune. Ils ont utilisé une grande quantité de mortiers d'artifice et semblaient organisés. Le lien avec le trafic de drogue est très probable.
Même si un grand nombre des 555 communes ayant subi des violences (des petites villes aux grandes banlieues parisiennes) ont au moins un quartier prioritaire, la moitié d'entre elles n'a pas connu de violences. Ces émeutes se sont étendues à des petites villes, voire à des territoires proches de la ruralité. Si la dégradation des rapports entre la police et la population ou le sentiment de stigmatisation sont remontés par les préfets et les habitants, les causes sont plus larges comme la rupture du dialogue intergénérationnel et le développement de la pauvreté et des familles monoparentales. Par rapport à 2005, outre l'extension géographique, y compris outre-mer, et les violences hors quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), les pillages constituent une nouveauté. Ces violences ont été le mieux jugulées là où la médiation, les associations, les parents, un conseil citoyen, soit l'ensemble du tissu d'encadrement et de proximité d'un quartier a pu intervenir.
Ainsi, la question posée par les émeutes est beaucoup plus large que la seule politique de la ville. C'est l'ensemble de l'action publique dans les territoires pauvres qui est interrogée. La mise en cause de l'efficacité de la politique de la ville ou du renouvellement urbain et « des milliards déversés dans ces quartiers » souligne une nouvelle fois l'insuffisance de l'évaluation, alors que le marketing politique, le jeu des annonces et la froide logique budgétaire sont souvent les principaux motifs de telle ou telle décision, comme le montre bien le budget 2024.
Dans ces conditions, je ne peux que renouveler les propositions déjà formulées en 2022, dans notre rapport avec la présidente Mme Dominique Estrosi Sassone et Mme Valérie Létard, de renforcer les capacités d'évaluation locales et les moyens de long terme comme le suivi de cohortes individuelles, pour connaître les trajectoires des habitants.
Par ailleurs, c'est bien le manque de droit commun qui est une nouvelle fois souligné et l'absence d'outils de suivi. Le document budgétaire de politique transversale, annexé au projet de lois de finances et censé le répertorier, est tout à fait inopérant, selon les mots mêmes de la ministre lors de son audition devant notre commission. Il dénombre quelque 10 milliards d'euros de crédits théoriques, alors que les évaluations qualitatives effectuées par l'Assemblée nationale en 2018 ou l'Institut Montaigne en 2020 ont montré l'étendue du différentiel par rapport aux territoires normalement dotés.
Je regrette également que le Gouvernement n'ait apporté pour l'instant que des réponses tardives et limitées. Lors du Comité interministériel des villes (CIV), tenu le 27 octobre 2023 à Chanteloup-les-Vignes après tout de même quatre reports et plus d'un an d'attente, la Première ministre y a présenté plusieurs mesures, dont beaucoup figuraient déjà dans notre rapport d'information de juillet 2022 que j'évoquais à l'instant. On y retrouve notamment le soutien aux associations (subvention de fonctionnement et contrat sur trois ans), le développement de l'entrepreneuriat, la signature de nouvelles conventions interministérielles d'objectif ou encore la réforme des conseils citoyens.
Le CIV reprend également les travaux du Sénat afin d'éviter les concentrations de difficultés en reprenant la notion de « résidence à enjeu de mixité sociale ». Cette notion a été adoptée dans la loi « Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification », dite « 3DS » de 2022, malgré l'avis du gouvernement, lors de la commission mixte paritaire. Le décret d'application n'a d'ailleurs toujours pas été publié, deux ans après. Enfin, le CIV encourage le renforcement du rôle du maire dans l'attribution des logements sociaux, mesure qui a fait l'objet de la proposition de loi de Mme Sophie Primas et a été votée par le Sénat le 10 octobre dernier. Toutefois, le Gouvernement voudrait le mettre en oeuvre par circulaire, ce qui ne paraît pas juridiquement possible, et alors même que le principal problème reste l'insuffisance du nombre de logements sociaux à attribuer. Nous le constatons tous dans nos territoires.
Je regrette également que, plutôt que de proposer une révision parlementaire de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dite « loi Lamy » de 2014, qui constitue le cadre de la politique de la ville, comme cela était proposé dans notre rapport, le Gouvernement envisage de saisir le Conseil constitutionnel en application de l'article 37 de la Constitution pour obtenir la « délégalisation » de certaines dispositions et conduire cette réforme par décret et en catimini.
Enfin, à la suite de l'ensemble de ces observations, vous pouvez, je crois, constater combien nous avons besoin en matière de politique de la ville d'une programmation de moyen terme, formalisant une stratégie d'action et crédibilisant une trajectoire budgétaire qu'il s'agisse de l'ANRU, des Cités éducatives, du renforcement de la médiation ou de la promotion de l'entrepreneuriat. C'est, là aussi, ce que nous proposions dans notre rapport de 2022, mais je craindrais de me répéter...
Pour conclure, Madame la Présidente, mes chers collègues, tout n'est pas mauvais dans ce budget naturellement. Pour autant, je n'y trouve pas la cohérence et l'ambition nécessaire pour répondre aux enjeux, notamment depuis les émeutes de l'été. C'est pourquoi, au regard également des crédits « Logement » présentés la semaine passée par Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis, je propose moi aussi que notre commission donne un avis défavorable aux crédits de la mission Cohésion des territoires.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, Madame la rapporteure pour avis, tant pour le contenu de votre rapport que pour votre enthousiasme et votre passion partagée pour ces sujets par un certain nombre de nos collègues commissaires. Il me semble que le problème réside dans l'incapacité dans ces quartiers à mobiliser le droit commun. Un grand nombre de difficultés est issu de cette absence complète de mobilisation du droit commun, aux côtés des crédits contractualisés. Madame Anne Chain-Larché, vous avez la parole.
Mme Anne Chain-Larché. - Je souhaite remercier notre collègue, Mme Viviane Artigalas, pour le travail minutieux qu'elle a effectué et affirmer, dans le sens de la conclusion de notre collègue, que sans aller sur le terrain, on ne peut absolument pas comprendre la pertinence de ce qui doit être décidé. Faire des choix politiques, c'est essentiellement se tourner vers les problématiques de terrain, vers le concret et la réalité. Or on observe notamment à Dammarie-lès-Lys, particulièrement sinistrée au moment des émeutes, comme dans bien d'autres villes, tant l'échec de ces politiques que l'incongruité des décisions qui sont prises. J'illustrerai mon propos par le classement des écoles en zone éducative prioritaire. Certaines le sont, alors que d'autres, situées à quelques mètres, ne le sont pas. Cela crée des tensions dans le corps enseignant ainsi que des difficultés dans l'exercice de leur mission. Les familles ne comprennent pas pourquoi certaines classes dans certaines écoles sont dédoublées, tandis que d'autres ne le sont pas.
Alors que des moyens considérables sont déployés, certaines décisions ajoutent des difficultés et « du mal au mal ». C'est pourquoi cette mission budgétaire sur la politique de la ville est essentielle, car elle permet de faire remonter les décisions incongrues ou absurdes prises dans des bureaux à Paris, loin du terrain. Il nous appartient au sein de notre commission de les dénoncer. Je remercie donc une fois de plus la rapporteure pour avis, d'être venue dans mon territoire en Seine-et-Marne et d'effectuer ces déplacements essentiels, partout en France.
M. Henri Cabanel. - Je remercie également la rapporteure pour avis et partage son constat de devoir effectivement se déplacer sur le terrain afin de se rendre compte de la réalité des décisions mises en oeuvre. Je vous ferai part d'une première observation sur l'efficience des politiques de la ville qui ont été menées depuis quelques décennies. Elles ont été élaborées dans les années 1980 et mises en place dans les années 1990. Force est de constater que la réussite n'est pas au rendez-vous, en dépit d'engagements financiers importants. Je regrette effectivement qu'aucune proposition n'ait jamais été accompagnée à un moment donné de la réalisation de constats et d'évaluations de ces politiques ainsi que de la reconnaissance des échecs. En outre, il conviendrait de cesser de faire de la politique entre soi et construire ces politiques avec ceux qui vivent dans ces territoires. Ces derniers ne sont pas assez écoutés.
Dans le cadre des travaux que je mène sur la citoyenneté, j'ai rencontré, la semaine dernière, à Lyon, le sociologue M. Azouz Bégag, ancien ministre dans le gouvernement de M. Dominique de Villepin, qui est issu de ces quartiers paupérisés. Il m'a fait part de sa vision assez négative de la situation, en déclarant que nous étions autour d'un volcan, sans connaître la date d'irruption, mais tout en sachant que cette dernière aura lieu. Je pense que malheureusement nous connaîtrons encore des émeutes telles que l'on vient de les vivre. C'est pourquoi il est crucial de rencontrer ceux qui vivent dans ces territoires afin de tenter de trouver, ensemble, dans l'esprit de co-construction, des solutions pour améliorer les politiques de la ville.
M. Yannick Jadot. - Merci pour ce rapport ainsi que pour les témoignages qui doivent évidemment nous inspirer. Indépendamment des positionnements politiques par rapport aux préconisations du rapport Borloo sur la situation des quartiers prioritaires de la politique de la ville, puis-je suggérer, Madame la présidente, que la commission auditionne M. Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la cohésion sociale, pour son recul sur le dernier véritable exercice réalisé sur la politique de la ville, par les différents acteurs, sociaux, politiques, etc. Il pourrait être intéressant de bénéficier de son regard dans le moment présent.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Lors de la précédente session, Mme Sophie Primas, présidente, avait convié effectivement M. Jean Louis Borloo qui avait été auditionné par la commission.
M. Serge Mérillou. - Je remercie notre rapporteure pour avis pour ce superbe travail. Deux problématiques se dégagent. La première concerne la question du logement qui est inhérente à toute politique de la ville, tout en allant bien au-delà d'ailleurs. Les milieux ruraux connaissent également le problème du logement. Nous avons le sentiment d'accumuler un retard qu'il sera extrêmement difficile de combler. En outre, cette problématique du logement recouvre ce que l'on a vu précédemment, notamment les difficultés économiques liées à une baisse de la construction qui est estimée à environ 10 %, voire plus.
La seconde problématique me conduit à m'interroger sur l'impuissance des pouvoirs publics face au phénomène de la drogue, malgré les moyens qui sont consacrés à leur lutte par les forces de police et de gendarmerie. La dépénalisation est-elle une opportunité ou pas ? Je pose la question, car on ne peut pas continuer à accepter que nos quartiers, voire les petites villes, nos villages aujourd'hui, soient concernés par ce fléau. Avons-nous ou non la volonté de régler ce problème qui mine nos territoires ?
Mme Sophie Primas. - En réponse à notre collègue, M. Henri Cabanel, je souhaiterais souligner que les difficultés et besoins de ces populations sont connus. Je vis dans ces quartiers difficiles et je communique avec leurs habitants. La politique de la ville représente un sujet qui est extrêmement complexe parce qu'il est incompris d'une partie de la population, notamment ceux qui ne vivent pas dans ces quartiers. En conséquence, expliquer le bien-fondé des investissements réalisés par l'État dans ces quartiers est difficile. Ces investissements demeurent importants et doivent être poursuivis, malgré la poussée de violence.
Cette observation faite, je pense, à l'instar de notre collègue Serge Mérillou, que le recul du régalien pose un problème crucial. Nous pouvons reprendre le constat de notre ancien collègue Philippe Dallier : le manque de services publics dans ces quartiers. Je peux presque reprendre le discours de notre collègue Fabien Gay : « on a le moins de Justice, de police, etc ». Effectivement ces quartiers sont gangrénés par deux phénomènes, les trafics en tout genre, drogues, armes, cigarettes, ainsi qu'une prise de pouvoir qui se définit comme antirépublicaine. En effet, il faut avoir le courage de dire que ces trafics alimentent l'intrusion de la religion et des pouvoirs anti-laïques et antirépublicains.
Je suis convaincue que le régalien peut résoudre ces problèmes. Les cités éducatives constituent des solutions qui fonctionnent et qui sont demandées par les habitants des quartiers. Il convient donc d'y poursuivre les investissements, tout en se posant la question que j'ai adressée à la ministre la semaine dernière, sur la géographie de la politique de la ville. En effet, la politique de la ville, aujourd'hui, devrait être beaucoup plus large que les seuls quartiers qui ont été identifiés dans le passé. Les territoires, objet de la politique de la ville, doivent être à nouveau définis pour y mettre en oeuvre une véritable politique cohérente. Je me situe donc dans une position particulière par rapport à une partie des sénateurs, quelles que soient leurs origines géographiques, en affirmant qu'il faut continuer à investir dans la politique de la ville.
M. Daniel Salmon. - Je remercie notre rapporteure pour avis pour son analyse que je partage. Nous pouvons évoquer un constat de semi-échec de la politique de la ville. Elle a essentiellement porté, depuis des années, sur le bâti, conduisant à de nombreuses rénovations urbaines. C'est une condition nécessaire qui n'est, toutefois, pas suffisante, ainsi que j'ai pu l'observer dans certains quartiers de la métropole de Rennes. Des tours entières y ont été restaurées avec un certain succès sans que ne soient traitées cependant les problématiques sociales liées la paupérisation de la population ou à l'économie parallèle qui s'y développe. Il est crucial d'aborder ce phénomène alors qu'on n'ose pas l'attaquer, aujourd'hui, par peur. On parle de volcan, mais ce volcan est là, dans cette économie parallèle. S'attaquer à cette économie parallèle conduit à s'interroger sur la nature de l'économie légale à mettre en place pour la remplacer alors qu'elle soutient aujourd'hui financièrement de nombreuses familles.
En outre, je souhaiterais vous alerter sur le fait qu'on a beaucoup parlé de la dotation de 5 milliards d'euros consacrée au dispositif de rénovation MaPrimeRénov'. En réalité, le compte n'y est pas, on est plutôt à 3,6 milliards d'euros. Une fois de plus, la réalité n'est pas tout à fait à la hauteur des effets d'annonce. Nous pouvons dresser le même constat pour les Bataillons de la prévention. En fin de compte, on a souvent affaire à des vases communicants. Ce sont des budgets que l'on passe de l'un à l'autre, ce qui ne permettra pas de résoudre la situation.
M. Jean-Marc Boyer. - On parle beaucoup de crédits pour ces territoires en zone défavorisée, mais je suis quand même surpris et déçu face à l'échec des politiques de la ville depuis une trentaine d'années. On a connu des plans Borloo et des émeutes. Où sont les causes exactes ? Elles ont été évoquées. Je pense qu'il y a effectivement des trafics qui existent de manière relativement importante ainsi qu'un irrespect total de la loi. La police ne rentre plus aujourd'hui dans certains quartiers. On parle de faire intervenir effectivement les forces de l'ordre, mais il faut être réaliste. Or je crains qu'on ne réagisse avec beaucoup d'angélisme. On parle beaucoup de droits, mais on ne parle pas beaucoup de devoirs. À un moment donné, il faudra que la sanction judiciaire ou pénale intervienne. Après avoir injecté des milliards d'euros, on s'aperçoit que les solutions ne sont pas là, et doivent donc être certainement ailleurs.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cher collègue, les policiers n'interviennent plus dans certains quartiers, comme les pompiers ou d'autres professionnels de santé.
M. Michel Bonnus. - Madame la rapporteure, vous avez dressé un constat édifiant. Je rejoins complètement les précédents intervenants. Ces quartiers ont beaucoup changé. Ces jeunes ont franchi un cap. Ils n'ont plus peur d'aller en prison. Les collectivités ont un réel travail à effectuer en instaurant des passerelles. Rappelons que nous connaissons ces personnes. Vous avez parlé de trajectoire. J'ai retenu ce mot, il est important, car chaque personne a une trajectoire particulière. Les responsables associatifs comme les enseignants ou les principaux des collèges ont tous des trajectoires différentes. Nous sommes en capacité de lire et de voir ce qui se fait sur le terrain, en raison du recul et du vécu que nous procure notre présence en bas des tours et du climat de confiance que nous créons, même s'il nous arrive de nous tromper sur un président d'association ou un éducateur.
Quand je parle de passerelle, c'est bien entendu avec les universités, mais aussi avec les entreprises. Depuis le début de l'année, j'ai reçu entre dix et vingt demandes de stage ou d'apprentissage par mois. L'un d'entre nous a évoqué la semaine dernière, la prise en charge du reste à charge pour les entreprises dans ces quartiers difficiles. J'ai trouvé cette idée très intéressante.
En outre, il convient de s'interroger sur les moyens de capter l'intérêt des jeunes de ces quartiers. Ce n'est pas en leur proposant des activités de macramé, mais en créant des liens avec le monde sportif et le monde culturel. Enfin, il faut distinguer l'instruction à l'école de l'éducation. L'enseignant a pour mission de donner les connaissances, tandis qu'il revient aux parents et aux éducateurs de transmettre les valeurs.
Nous faisons tous le même constat à quelques mots près. En revanche, les propositions ne seront pas les mêmes selon les quartiers, selon la présence ou non de services publics, de la Poste, des maisons de service public, des banques, etc.
Nous devons également nous interroger sur les conséquences des trafics sur l'économie, sur la circulation d'espèces et du possible blanchiment, ainsi que sur la santé des commerces. J'ai pu observer une chute de leur chiffre d'affaires de l'ordre de 40 % à 50 % à la suite d'une intervention de police dans le quartier. Il faut appréhender la situation dans son ensemble, créer des passerelles avec monde de l'entreprise et soutenir les actions sur le terrain afin de donner de l'espoir à ces jeunes.
M. Fabien Gay. - Le sujet est extrêmement complexe. Premièrement, je tiens à souligner que je combats l'idée complètement fausse selon laquelle la politique de la ville mobilise des milliards d'euros d'argent public qui sont déversés comme dans le tonneau des Danaïdes et qui seraient finalement inutiles. Cette idée est souvent portée par l'extrême droite sur les quartiers populaires. L'ancien premier ministre, M. Édouard Philippe, avait en son temps clairement déclaré que la Seine-Saint-Denis, l'un des départements les plus pauvres de France, était discriminée. En effet, la première des réalités est que les politiques publiques ne s'appliquent pas dans ces quartiers populaires. Je l'affirme une nouvelle fois, je ne les oppose pas aux territoires ruraux ni aux territoires ultramarins, parce que je pense que cette même réalité se vit de façon différente. En effet, la disparition progressive des services publics qui frappe les quartiers populaires, les territoires ultramarins ou les territoires ruraux n'entraîne pas les mêmes conséquences sur la vie au quotidien. C'est pourquoi il faut d'abord combattre politiquement l'idée d'inutilité de ces politiques.
Deuxièmement, je ne crois pas que toute la politique de la ville soit globalement un échec ou un semi-échec. Il y a des réussites, même si des manques demeurent et des ajustements doivent être entrepris. Une fois que l'on a agi, par exemple en matière de rénovation, il ne faut pas dire que c'est terminé. Ce n'est pas la fin, c'est le début. C'est pourquoi je combats le principe de rattrapages, ou de demandes de budget supplémentaire, car de toute façon, nous ne sommes pas entendus quand on vient de la Seine-Saint-Denis. Je lutte en revanche pour « être dans les politiques publiques communes ».
Une fois la rénovation achevée, il faut se poser la question de l'implantation des services publics, de la Poste, de la police de proximité, de la Justice et surtout de l'emploi. Les quartiers prioritaires de mon département enregistrent des taux de chômage de 50 % à 70 %. Je vais caricaturer, mais on peut toujours rénover la façade sans que la vie quotidienne ne change, si on ne propose pas des emplois et si on n'implante pas de services publics. En outre, les trafics prospèrent là où il y a la misère humaine. Je ne dis pas que tous les pauvres sont des trafiquants. Ce n'est pas vrai, car de nombreuses personnes sont très actives dans les quartiers pour s'en sortir et faire vivre la solidarité et des associations. Je compte un grand nombre d'autoentrepreneurs dans ma circonscription, 20 000 chauffeurs Uber. La plupart sont dépourvus d'un horizon satisfaisant. C'est pourquoi on doit pouvoir bénéficier des politiques publiques communes. Une fois le plan de rattrapage achevé en Seine-Saint-Denis, nous devons disposer des mêmes moyens que les autres territoires. Chacun doit prendre conscience, par exemple, qu'un enfant scolarisé en Seine-Saint-Denis perd une année de scolarité dans sa vie, en raison de l'absence de professeurs non remplacés. C'est le réel. « C'est chaotique. »
Je mets donc un petit bémol sur la conclusion d'échec. J'observe que le gouvernement a « enterré le rapport Borloo » parce que ce rapport était le fruit de la réflexion des élus et des associations dans leur diversité. Si le gouvernement veut agir, rappelons que les compétences sont sur le terrain, il faut juste les écouter et leur donner les moyens.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je crois effectivement que nous sommes nombreux ici à considérer que la politique de la ville n'est pas un échec et qu'elle a conduit à certaines réalisations. C'est une politique qui devrait être à mon sens beaucoup plus évaluée. Le sujet essentiel demeure la mobilisation du droit commun dans ces quartiers. Monsieur Lucien Stanzione, vous avez la parole.
M. Lucien Stanzione. - Félicitations à notre rapporteure. Je compléterai les propos de notre collègue Fabien Gay, qui a bien expliqué la question de la politique de la ville et l'absence d'application du droit commun. Toutefois, se pose derrière ce constat, en toile de fond, la question de l'habitat. La politique de rénovation n'est pas à la hauteur de la pénurie de logements et de la vétusté aujourd'hui du bâti existant. Nous avons reçu le ministre qui nous a fait part de ses idées et a démontré une certaine écoute, mais ce qu'il faut, c'est construire. Cela fait des années, voire des décennies, qu'on ne répond pas à la demande populaire. Or l'habitat constitue la pierre angulaire de la vie de tous les jours, avec les aspects que notre collègue Fabien Gay a évoqués. Tant qu'il n'existera pas de volonté politique de construire et mettre à disposition des logements de qualité, des personnes souffriront.
Mme Antoinette Guhl. - Je partage un grand nombre des observations qui ont été formulées. La question de la rénovation urbaine est importante. Des progrès ont été réalisés en ce domaine. Des quartiers entiers ont pu être reconstruits avec des espaces verts, voire bénéficier d'une nouvelle conception de la ville, ce qui est positif. Toutefois, la véritable question est celle de l'emploi. Habitant un quartier populaire, le 20e arrondissement de Paris, je m'interroge sur les critères de qualification de quartier de la politique de la ville. À mon sens, certains devraient l'être et ne le sont pas. Je vous invite à interroger les maires de votre circonscription sur ce point.
Je suis également surprise du manque de continuité de certaines politiques publiques. Je vous invite également à vérifier que les crédits prévus pour la mise en oeuvre de la politique de la ville sont toujours bien alloués parce que les programmes mis en oeuvre à ce titre dans les quartiers représentent un travail de longue haleine, qui ne peut être abandonné en cours de route, en raison d'une réduction de crédits, justifiée par une baisse de la population ou tout autre arbitrage budgétaire.
Quant à la question primordiale de l'économie, aucune solution n'est possible sans une perspective économique afin d'offrir aux jeunes et aux populations de ces quartiers un espoir d'avenir, ainsi que des moyens d'évolution et d'insertion. À cette fin, nous devons discuter spécifiquement de la discrimination à l'embauche pour ces quartiers ainsi que, plus généralement, des outils d'incitation à l'embauche de ces populations afin de lutter contre les poches de pauvreté, terreau d'évolution du pire, dont les trafics en tous genres. En effet, les habitants de ces quartiers, confrontés à la pauvreté, survivent avec les moyens existants. Lorsqu'il n'y a aucune possibilité d'emploi légal, certains se tournent vers d'autres choix contestables. Je pense donc qu'il convient de mettre en oeuvre une politique économique très incitative pour les quartiers de la politique de la ville, une fois qu'on en aura redéfini correctement les contours afin de prendre en compte l'ensemble des quartiers concernés.
M. Franck Montaugé. - Je tiens à remercier la rapporteure pour ce rapport précis, argumenté et nuancé, reflétant son expérience et sa connaissance de la diversité des quartiers de la politique de la ville, ainsi que pour son enthousiasme et engagement.
Sans paraphraser ce qui a déjà été dit, je résumerais en trois points les axes à privilégier dans le cadre des politiques publiques de droit commun : éducation, accès au travail et soutien à la fonction parentale, c'est un point qui n'a pas été évoqué, mais qui me paraît fondamental. S'agissant des objectifs nationaux en la matière, je reste convaincu, même si ce n'est pas possible partout, que les quartiers de la politique de la ville doivent être banalisés, à la faveur des actions qu'on y mène, notamment sur le bâti, pour y introduire de la mixité sociale. En effet, je reste persuadé que si on laisse subsister des quartiers concentrant des populations aux caractéristiques comparables, avec les problématiques qui y sont associées, cela restera un échec en termes de mixité. Je sais pertinemment qu'il est difficile de faire disparaître les grands ensembles gigantesques, mais je vous l'affirme, fort de mon expérience, bâtir des ensembles à taille humaine permet de les faire évoluer pour aller vers ces objectifs de mixité, de diversité et finalement de banalisation pour que ces quartiers soient comme les autres.
Je terminerai mon intervention sur l'accès au travail qui est une condition de la dignité et, d'une certaine manière, du regard des autres et de celui que l'on porte sur soi-même. Il représente également une question absolument centrale, en termes de sécurité et de respect des lois de la République.
M. Jean-Claude Tissot. - C'est à mon tour de remercier la rapporteure pour son travail et son enthousiasme. Je souhaiterais vous alerter sur la nécessité de poursuivre les efforts en matière de politique de la ville, tout en faisant très attention à ne pas comparer l'urbain et le rural lorsque l'on parle de désengagement des services publics. À désengagement égal, si j'ose dire, les conséquences ne sont pas les mêmes. Ma permanence parlementaire se situe dans un quartier de la politique de la ville de Saint-Étienne, tandis que ma résidence principale appartient à un territoire rural. La gestion des problèmes ne peut être la même. Tout désengagement des services régaliens dans les territoires ruraux encourage une désertification. Ce ne sont pas les mêmes problématiques.
M. Yannick Jadot. - Il y a les gilets jaunes.
M. Jean-Claude Tissot. - C'est un autre débat si j'ose dire. Je suis très favorable au résumé de la politique de la ville par notre collègue Franck Montaugé. Il ne faut surtout pas se résigner, au risque de devenir spectateurs de ce qu'il se passera dans ces quartiers. En tant que parlementaire, j'adhère totalement au discours de notre rapporteure et de plusieurs de nos collègues. En termes explicites, « il ne faut vraiment rien lâcher sur l'engagement des services de l'État. »
M. Philippe Grosvalet. - La politique de la ville est bien évidemment utile. Il suffirait d'imaginer nos territoires sans politique de la ville au cours de ces dernières décennies. Ce débat est assez évident. Pour autant les problèmes sont-ils réglés ? La réponse est évidemment négative. Nous vivons une hypocrisie forte dans notre pays quant aux principaux fléaux qui sont générateurs de cette situation dans certains territoires de la France et, sans doute aussi demain, dans les territoires ruraux. Je pense notamment aux trafics qui s'étendent sur tout le territoire. En effet, comme tout marché qui atteint des montants gigantesques, l'économie parallèle s'ancre dans des réseaux et des ramifications bien organisés.
Cette hypocrisie est telle qu'on oublie également que l'existence de cette économie repose sur celle des consommateurs. On en avait en très grand nombre dans les 93 collèges de Loire-Atlantique. Tout le monde ferme les yeux sur cette réalité qui est plus qu'une réalité économique, mais une réalité sociale et culturelle dans notre pays. On ne peut continuer à ignorer cette économie parallèle. Je vis dans un territoire où il y a de l'emploi et qui a connu des fluctuations économiques, en raison de la variation des activités industrielles notamment dans la construction navale. Au cours des dernières décennies, on pouvait observer les effets de l'économie industrielle sur les territoires. Aujourd'hui, cela n'est plus vrai, car il existe une véritable concurrence entre ces deux économies. Lors du choix entre deux emplois différents dont l'un est payé 10 fois plus que l'autre, exigeant 10 fois moins de temps de travail et intégré dans un ensemble social et culturel, la question qui se pose n'est plus seulement celle de l'emploi. Nous vivons donc avec cette hypocrisie. Or, en écoutant ce qui se dit ici, j'observe que l'on pourrait s'entendre sur les constats, mais quand on débat par exemple sur la question de l'immigration et de la place des étrangers dans notre pays, on oublie que cette question aussi est centrale et qu'une grande partie des populations constituée de Français, parfois de 2e ou 3e génération, se sent aussi rejetée dès l'instant où il y a dans notre pays le débat que nous avons eu récemment dans cette assemblée.
Il existe donc une hypocrisie sur la question de l'économie parallèle, ainsi que sur celle de l'acceptation, de l'intégration, de l'inclusion de toutes les populations, quelles que soient leurs origines et la couleur de leur peau dans ce pays. La forme urbaine est importante, mais elle n'explique pas tout. C'est un ensemble d'éléments qu'il convient de prendre en compte. Il faudra, en tout état de cause, que cessent ces hypocrisies sur l'économie parallèle et sur la question de l'intégration de toutes les populations dans notre pays et dans la République. Nous n'aurons peut-être pas les mêmes solutions unanimes que j'entends ce matin dans cette salle.
M. Denis Bouad. - Madame la rapporteure, je vous remercie pour cet excellent rapport qui reflète exactement la problématique auxquels nous sommes confrontés déjà depuis de nombreuses années. Il ne faut donc pas définir un raccourci trop proche entre délinquance et politique de la ville. Nous avons trois sujets principaux que sont la politique de la ville, la construction de logements sociaux et le renouvellement urbain. J'habite dans le département du Gard qui fait souvent l'actualité, notamment récemment en raison de deux meurtres commis en moins de six mois, et des trafics de drogue impressionnants. Plus de 250 policiers, il y a trois jours, ont procédé à quinze arrestations.
Je ne vais pas développer cette situation, car quel est le véritable problème auquel nous sommes confrontés ? La politique de la ville, ainsi que vous l'avez souligné, madame la présidente, fait l'objet de nombreux financements. Les départements y consacrent un budget conséquent pour accompagner ces politiques. Peut-être sommes-nous là sur un sujet qui me paraît sensible ? On a affaire à un gouvernement qui, depuis quelques années, lance des appels à projets, déclinés nationalement sur des problématiques nationales. En tant que président de l'office HLM et président du département, j'ai pu observer le travail social, effectué par les gens de terrain. Je crois que le moment est peut-être venu de décentraliser ces politiques au niveau du département afin d'apporter effectivement une réponse aux quartiers. En effet, bien des fois on aurait pu mieux faire lors de la mise en oeuvre des politiques publiques nationales.
S'agissant du renouvellement urbain, nous avons commencé une telle mission depuis plus de 20 ans. Le travail à effectuer est immense. Or ce n'est pas le programme de renouvellement urbain, que nous avons en ce moment, qui réglera le problème. Nous devons multiplier ces crédits de façon importante. Mais, pour ce faire, encore faut-il que l'on ait rapidement les crédits nécessaires pour la construction de logements sociaux et de logements intermédiaires afin de revenir à une véritable mixité sociale dans les quartiers, pour que l'on puisse y vivre comme on y vivait il y a 25 ans, comme le disait notre collègue Philippe Grosvallet. Mon sentiment personnel est qu'aujourd'hui, il n'existe pas de volonté politique de production de logements sociaux. Le renouvellement urbain est véritablement problématique. Nous n'aurons pas assez de crédits pour l'achever. Les crédits sont dans des enveloppes fermées. Nous ne terminerons pas les opérations. Compte tenu de l'inflation et du coût de Livret A, je pense que c'est le moment de tirer la sonnette d'alarme.
Mme Anne Chain-Larché. - Je voudrais attirer l'attention de la commission sur les territoires ruraux en revenant sur l'exemple de Dammarie-lès-Lys. 820 logements y ont été démolis et 195 uniquement ont été reconstruits dans la ville. Cela signifie que les autres logements ont été reconstruits ailleurs et que leurs habitants ont été orientés vers d'autres territoires, notamment ruraux. Ces derniers, qui étaient dans ces villes desservies par des transports et protégées par des politiques de la ville, ne trouvent aucune réponse en termes d'économie, de transport, de scolarité ou de présence médicale dans ces territoires ruraux. C'est ainsi que je constate depuis des années l'apparition d'une précarisation des villages de mon territoire rural qui n'existait pas auparavant.
Il convient donc d'appréhender la situation dans son ensemble. Décentraliser me paraît être une excellente solution. C'est par ailleurs ce que l'on défend par le biais de la proximité et des déplacements sur le terrain pour analyser la situation. Cette dernière se dégrade, y compris dans les territoires ruraux. Les dealers sont désormais présents dans les coins isolés de nos campagnes et proposent leurs drogues à nos enfants scolarisés au collège comme à l'école primaire. Il convient d'en prendre vraiment toute la mesure ainsi que de plaider en faveur d'une décentralisation de ces politiques.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous alerte sur le recours à la décentralisation, très souvent invoqué par les politiques. Sans attribution des moyens financiers nécessaires, ce sont les élus locaux qui en porteront toute la responsabilité. Madame la rapporteure, vous pouvez conclure.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Je vous remercie tous pour la qualité de vos interventions ainsi que pour le débat. Vous évoquez mon enthousiasme. Il a été partagé avec notre présidente et notre ancienne collègue Valérie Létard, dans le cadre du rapport La politique de la ville, un tremplin pour les habitants, publié avant les émeutes. Je rappelle que nombre d'observations et de propositions que vous avez formulées figurent dans notre rapport, si bien que l'on pourrait peut-être déposer une proposition de loi transpartisane qui reprendrait les propositions que nous avons faites.
Pour conclure, je vais reprendre certains points que vous avez abordés. En ce qui concerne la question de la géographie prioritaire et des zonages du réseau d'éducation prioritaire (REP), nous l'avons abordée dans notre rapport. Le critère de définition des quartiers prioritaires porte sur la concentration en pauvreté. Or nous avons constaté que la pauvreté se diffusait non seulement dans les quartiers de la politique de la ville, mais également vers d'autres lieux, tels que les centres de villes moyennes. Or je ne peux m'empêcher d'établir une relation avec les émeutes qui ont eu lieu parfois hors des quartiers de la politique de la ville, dans nos centres de villes moyennes qui ont été très impactés par des dégradations. Un travail plus fin et précis sur la géographie prioritaire devrait certainement être effectué ainsi que sur les zonages de la géographie prioritaire. On nous a, en effet, signalé au-delà de Dammarie-les-Lys, des écoles, situées à la limite du quartier de la politique de la ville, qui ne sont pas en réseau d'éducation prioritaire.
Vous avez évoqué les échecs et les réussites de la politique de la ville, j'approuve les propos de notre collègue, Fabien Gay. Il n'y a pas que des échecs. La politique de la ville compte des réussites. Toutefois, dans le cadre de notre rapport, nous ne sommes pas parvenus à quantifier véritablement ces trajectoires individuelles de réussite. En effet, ces personnes quittent leur quartier pour réussir ailleurs, grâce à la politique de la ville.
S'agissant de la question de l'emploi, force est de constater que ces quartiers enregistrent un plus fort taux de chômage, car on y trouve moins d'emplois. En revanche, l'entrepreneuriat s'y développe de manière significative, en particulier chez les femmes parce qu'elles ne trouvent pas d'emploi. À côté d'un grand nombre d'autoentrepreneurs de type « Uber », on recense également de véritables réussites de jeunes accompagnés par la politique de la ville sur des projets. On ne peut donc réduire la politique de la ville à ses échecs. Il est regrettable que ses réussites ne soient pas assez mises en avant dans les rapports, notamment ceux de la Cour des comptes. Nous avons tenté de le faire dans le nôtre. C'est pourquoi j'insiste sur la question de la valorisation de l'entrepreneuriat dans les quartiers de la politique de la ville.
Vous avez débattu sur la question des budgets. Des moyens financiers importants sont certes consacrés à la politique de la ville. Cependant, depuis 2017, ils sont affectés via des procédures d'appels à projets. Ces moyens financiers, selon les retours d'expérience sur le terrain, sont « mal employés et mal utilisés ». Cette politique d'attribution ne peut fonctionner de manière efficiente, car est mise en oeuvre une politique de nature « descendante des appels à projets », alors que le développement des quartiers de la politique de la ville requiert l'application d'une politique « ascendante » qui recueille les besoins de ces quartiers pour y répondre spécifiquement. Nous avons observé que l'État diffuse sur le territoire ses appels à projets dans des temps très courts. Ceux qui répondent sont généralement de grandes associations disposant d'un projet déjà prêt avant même la diffusion de l'appel. Par conséquent, ces projets ne répondent pas toujours précisément aux besoins spécifiques du terrain. La politique de la ville dispose donc de budgets importants, mais ils sont le plus souvent mal employés.
En matière de rénovation urbaine de l'habitat et des logements, celle-ci doit être accompagnée de la mise en place de structures, d'équipements publics, tels qu'une médiathèque, des écoles, etc. Nous en avons vu de bons exemples sur le terrain. Néanmoins, je crains l'abandon, d'une part, de certains projets de rénovation en raison de l'augmentation du coût de la construction ou, d'autre part, de tout ce qui accompagne la rénovation des logements. En outre, certains exemples de destruction de tours témoignent de la complexité de maîtriser l'environnement et de réorganiser le territoire, notamment afin d'éviter le trafic de drogues. Ainsi à Vaulx-en-Velin, les espaces verts favorisent ce trafic, en l'absence de caméras. Je tiens sur ce sujet à saluer le travail effectué par les petites associations en proposant des activités diversifiées aux jeunes des quartiers de Vaulx-en-Velin afin de les sortir de la rue. Encore une fois, ce sont de telles associations qui ne parviennent pas à répondre aux appels à projets et qui manquent donc de moyens pour accomplir leurs missions.
Je rejoins vos propos sur l'attrait du sport. Nous devons proposer aux jeunes des quartiers des activités qui les intéressent. Ce sont généralement de nouvelles pratiques, telles que le e-sport (sport électronique). J'ai pu découvrir ce dernier grâce à une association de ma circonscription, qui est également très investie dans l'organisation des Jeux olympiques. Il est important d'accueillir ces nouvelles pratiques pour les proposer aux jeunes générations. Une autre initiative associative à Vaulx-en-Velin consiste à lutter contre les accidents causés par les rodéos urbains, en accompagnant les jeunes avec des minibus hors du quartier, pour y faire de la moto.
M. Michel Bonnus. - Quelle que soit la discipline, le plus important, c'est l'éducation et la passion qu'on va y mettre sur le terrain.
Quant aux rodéos urbains, je tiens à souligner les conséquences de la loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés, sur la création d'évènements tels qu'une course automobile, voire même sur le tourisme.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Je poursuis mon propos par un exemple remarquable de co-construction, celui de la médiathèque de Vaulx-en-Velin, bâtie avec les associations et les habitants du quartier dans le cadre de la rénovation urbaine. Je l'évoque, car il convient d'être vigilant. Elle représente une menace pour les trafiquants de drogues en tant qu'équipement structurant accompagnant les jeunes pour les sortir de la rue. C'est pourquoi elle a été attaquée. Heureusement l'intervention immédiate de la police a évité son saccage.
Il faut donc continuer à investir dans les quartiers, mais de manière plus efficiente et différemment parce que cela permet notamment aux élus et aux associations de lutter contre le trafic de drogue. Se désengager de la politique de la ville, en n'investissant plus dans les quartiers, sous prétexte d'échecs, c'est laisser la place aux trafiquants.
Mon dernier commentaire vise à mettre en garde contre toute volonté d'opposer les territoires ruraux et urbains. Cela est d'autant plus tentant que le droit commun commence à être absent partout. Nous manquons de médecins et de professeurs partout et plus encore dans les quartiers de la politique de la ville que dans les autres. Toutefois, les habitants des territoires ruraux connaissent également ces problèmes.
Par ailleurs, le problème de l'application du droit commun est mal défini. Il faut l'évaluer. Je rappelle également que la politique de la ville n'est pas faite pour remplacer le droit commun. Elle vise, par équité, à donner plus à ceux qui ont le plus besoin.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, madame la rapporteure, ainsi que les commissaires d'avoir nourri ce débat fort intéressant. Nous devons maintenant voter sur l'ensemble des crédits de la mission « Cohésion des territoires ». Le rapport sur les crédits pour le logement nous a été présenté la semaine dernière par notre collègue rapporteure Anne Chain-Larché, qui préconisait un avis défavorable. Il est complété aujourd'hui par le rapport de notre collègue rapporteure Viviane Artigalas, proposant également un avis défavorable sur les crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires ».
La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits « Logement » et « Politique de la ville » de la Mission « Cohésion des territoires ».
La réunion est close à 12 h 15