- Mardi 14 novembre 2023
- Mercredi 15 novembre 2023
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
- Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Mardi 14 novembre 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 15 h 45.
Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La commission des affaires économiques a le plaisir de vous entendre, monsieur le Ministre, à l'occasion de l'examen du budget pour 2024 pour évoquer la stratégie de politique économique de notre pays. Nos rapporteurs des différents programmes vous poseront des questions précises sur les budgets qu'ils rapportent ; je voudrais quant à moi vous interroger sur la stratégie économique qui sous-tend ce budget.
Vous êtes le ministre de l'économie de tous les records, si vous me permettez l'expression. D'abord, vous détenez le record de longévité à votre poste : plus de six ans, une stabilité gage de prévisibilité pour les acteurs économiques - mes collègues en conviendront avec moi. Mais un autre record, dont vous vous seriez bien passé, concerne la dette publique, avec un pic atteint en 2020, l'année du covid, et un ratio de 110 % de notre richesse nationale projeté pour 2024.
Ces dépenses sont, pour partie, l'héritage des crises sanitaire, géopolitique et énergétique que nous venons de traverser et dans lesquelles nous sommes malheureusement encore embarqués. Mais certains pensent ici qu'elles sont également dues à l'absence de ciblage des aides décidées par votre Gouvernement, à travers le « quoi qu'il en coûte » et le bouclier tarifaire, également critiquée par nombre d'économistes, par le Fonds monétaire international (FMI) ou le Conseil d'analyse économique (CAE).
Ma première question s'agissant de ce budget est donc la suivante : comment mettre fin sans dommages économiques à ces aides grossièrement taillées pour mieux les cibler et ainsi accélérer le rythme de réduction des dépenses publiques ? Toutes les aides aux entreprises sont-elles pour vous efficaces ? Ne faut-il pas les réduire ? Et si tel est le cas, selon quels critères ? Voilà des questions que nous nous posons à l'heure où le service de la dette dépasse les 50 milliards d'euros en raison de la remontée des taux d'intérêt. Il s'agit maintenant du troisième poste de dépenses de l'État derrière l'enseignement et la défense ; et ce sera, d'ici à la fin du quinquennat, le premier poste de dépenses.
Ma crainte est que, sans un effort sur ce plan, l'État ne soit pas bien armé pour aborder les défis futurs, à commencer par la transition écologique, la numérisation de notre économie et le vieillissement démographique. Incontestablement, il existe des marges de manoeuvre pour faire mieux à moyens constants, grâce à une réallocation vers les dépenses les plus productives à long terme.
Encore faut-il s'accorder sur ce qui accroît la productivité à long terme. Et je constate que l'espace public et médiatique est, depuis quelque temps, saturé d'objectifs politiques annoncés d'en haut, parfois directement de la bouche du Président de la République, sous forme de chiffres ronds, dont nous peinons parfois à trouver l'évaluation économique sous-jacente : production de 1 million de pompes à chaleur en 2027, de 1 million de voitures électriques à la même échéance, ou encore plantation de 1 milliard d'arbres à l'horizon 2030. Dans ce budget, 10 milliards d'euros de crédits supplémentaires sont débloqués pour la planification écologique avant même, parfois, d'avoir précisément défini le détail de leur affectation, ce qui revient à prendre les choses à l'envers.
Ce retour du volontarisme de l'État dans l'économie tranche avec un passé pas si lointain et, forcément, interroge. La fixation d'objectifs discrétionnaires fait-elle désormais office de politique économique ? Je ne nie pas l'intérêt de la planification pour organiser la transition, mais ne devrait-on pas faire davantage confiance au marché et aux prix pour la transition ? On se retrouve dans une situation schizophrénique où l'État anesthésie le signal-prix du marché, en bloquant les prix de l'énergie d'une main, et donne des stimulants de l'autre, via des subventions et de la fiscalité vertes, pour inciter à la décarbonation. Cette volonté de l'État de tout organiser est-elle soutenable ? Comment séparez-vous ce qui relève du marché et ce qui devrait relever de la régulation économique ?
Concernant le pouvoir d'achat, vous avez amorti le choc inflationniste avec succès dans un premier temps, puisque l'inflation a été mieux contenue ici que chez nos grands voisins européens. Mais en octobre 2023, selon Eurostat, la situation s'est inversée ; et la hausse des prix s'élève aujourd'hui à 4,5 % en France contre 2,9 % au sein de la zone euro. L'État a-t-il engagé des moyens importants qui auraient eu pour seul effet de décaler le problème dans le temps ?
Nous venons de discuter de votre projet de loi sur les négociations commerciales en commission mixte paritaire (CMP), et je dois dire que l'examen de ce texte nous a laissés dubitatifs au sein de cette commission. Nous sommes le seul pays d'Europe qui réglemente ces négociations commerciales. Avec le recul, estimez-vous que le bilan des différentes lois Égalim est positif ? Comment justifiez-vous cette singularité française ?
Avant de vous céder la parole, j'aurais une dernière question concernant un autre triste record, celui de notre déficit commercial. On s'y serait presque habitué s'il n'avait atteint en 2022 un niveau inédit depuis 1949. L'année 2023 se traduit, certes, par une réduction de ce déficit par rapport à 2022, grâce à un dégonflement des prix de l'énergie. Mais comment expliquez-vous, vous qui communiquez volontiers sur l'attractivité retrouvée de la France en matière d'investissements, que l'on puisse voir les relocalisations et la réindustrialisation partout dans la communication du Gouvernement, sauf dans les statistiques de notre commerce extérieur ?
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Madame la Présidente, je tiens tout d'abord à vous féliciter pour votre élection à la tête de cette commission essentielle. Vous me permettrez également de remercier votre prédécesseure pour la qualité du travail accompli, pour le professionnalisme et la rigueur de ces analyses souvent sans concessions - mais c'est ainsi que je conçois l'efficacité du débat entre le Parlement et le Gouvernement. Vous avez été une grande présidente de la commission des affaires économiques.
Je commencerai par répondre aux questions de la nouvelle présidente avant d'évoquer les grandes lignes de la politique économique. Vous avez prononcé les mots de stabilité et de prévisibilité ; je crois que rien n'est plus précieux en matière de politique économique. Au-delà de ma longévité dans ces fonctions, ces deux éléments sont surtout liés à la constance de la politique de l'offre mise en place depuis 2017. Au cours des prochaines années, nous maintiendrons cette politique qui a donné des résultats évidents en termes de création d'emplois et d'entreprises et, surtout, de réindustrialisation. Nous ne dévierons pas de cette ligne directrice, fixée une première fois par le Président de la République en 2017, et de nouveau en 2022, qui vise à soutenir l'activité économique et à permettre le développement de l'emploi sur notre territoire.
Au-delà de l'objectif d'un retour au plein emploi, avec un taux de chômage qui se stabiliserait à 5 %, il y a cet objectif plus politique de redevenir une grande nation de production industrielle et agricole. Ces dernières décennies, l'erreur majeure, commise à la fois par la France et par l'Union européenne (UE), fut d'avoir abandonné la production. Nous sommes la nation développée qui a le plus délocalisé ses activités économiques, qui a le plus abandonné ses ouvriers, ses usines et ses compétences, avec à chaque fois des raisonnements fallacieux qui ont conduit la France dans le mur. Désormais, nous sommes engagés dans la voie de la réindustrialisation, et c'est la première réponse que j'apporte à la question sur le déficit commercial.
Je pourrais m'abriter derrière la hausse des prix de l'énergie, qui explique en grande partie l'explosion du déficit commercial. Mais il est plus intéressant de regarder la balance des paiements et de s'apercevoir que, si l'on rajoute les services, nous sommes proches de l'équilibre ; en revanche, si l'on s'en tient aux biens manufacturiers, nous sommes effectivement déficitaires. Cela prouve que la France n'est plus, depuis plusieurs décennies maintenant, une grande nation de production et qu'il est indispensable qu'elle le redevienne comme elle l'a été pendant plusieurs siècles.
Depuis 2017, nous avons également dû affronter deux crises historiques. La première fut celle liée au covid. Je rappelle que notre pays a connu un effondrement de son produit national brut (PNB) - le plus important depuis 1929 - et que l'on ne se relève pas d'une telle crise du jour au lendemain. J'estime que nous avons fait face, en protégeant avec efficacité nos entreprises, nos industries, nos commerces, nos restaurants, nos hôtels. Toutes ces dépenses étaient justifiées et nécessaires, et beaucoup d'entre vous en réclamaient même davantage. Si nous n'avions pas agi de la sorte, la France n'aurait pas été la première nation européenne à retrouver son niveau d'activité d'avant la crise, et notre pays serait actuellement un champ de ruines économiques.
La seconde crise historique, que nous affrontons encore, c'est l'inflation. Il s'agit de la plus grave crise inflationniste pour notre pays depuis les années 1970. Nous sortirons de cette crise en moins de deux ans, et nous aurons eu en France le niveau d'inflation cumulée le plus faible des grandes économies de la zone euro. Parce que nous avons mis en place des boucliers tarifaire sur l'énergie et le gaz, qui ont permis d'éviter des niveaux d'inflation brutaux de 15 %, 20 % ou 25 %, comme en ont connu d'autres nations européennes.
L'inflation crée de la pauvreté et augmente les inégalités, le phénomène est inéluctable. C'est pour cela que nous avons pris ces décisions : nous savions que l'inflation allait pénaliser les publics fragiles et les personnes aux revenus modestes. Nous avons fait le choix, avec le bouclier tarifaire sur l'électricité et le gaz, de mettre en place des protections qui ont permis d'amortir le choc - peut-être de manière insuffisante, on peut toujours en débattre.
Nous entrons actuellement dans une période plus normale, où l'activité économique n'est plus menacée par une inflation galopante, où il n'y a plus à craindre un effondrement comme pendant la crise du covid. Dans cette période plus calme, il est indispensable de rétablir nos finances publiques. Autant il était légitime pendant ces deux crises historiques de protéger nos compatriotes, autant il serait irresponsable de maintenir ces dispositifs de précaution et de protection alors que nous revenons à une situation normale, d'autant que s'ajoute à cela une forte augmentation des taux d'intérêt, de 200 points de base en l'espace de quelques mois, approchant 3,5 % sur la dette à 10 ans.
Même le grand économiste Olivier Blanchard, avec lequel il m'est arrivé de débattre à plusieurs reprises, qui estimait que l'on pouvait s'endetter sans limites, est revenu sur sa position. De mon côté, j'ai tiré la sonnette d'alarme il y a de cela un an en disant que la France était à l'euro près et que nous avions atteint le point critique. Depuis, je ne cesse de demander des économies supplémentaires. Madame la Présidente, je veux vous rassurer sur un point : le retour à l'équilibre des finances publiques n'est pas négociable.
L'investissement est indispensable dans deux domaines : celui de la sécurité, avec le contexte du retour de la guerre sur le sol européen ; et celui de la décarbonation de notre économie dans la cadre de la transition climatique, qui a un coût très élevé. Si nous voulons financer ces deux priorités, il est nécessaire de réaliser des économies à d'autres endroits. Ajouter encore de la dépense serait suicidaire pour les comptes publics français ; je veux une nation forte, avec des comptes publics bien tenus.
Vous m'avez interrogé sur les différentes lois Égalim ; il s'agit, en effet, d'une singularité française, qui vise à protéger les revenus des producteurs agricoles. J'ai été ministre de l'agriculture durant trois ans, et je suis favorable à tous les dispositifs permettant de protéger les revenus de nos agriculteurs.
Certains préfèrent que le prix soit toujours le plus bas possible, quitte à ne pas avoir de producteurs sur notre territoire ; pendant longtemps, cela a été la politique de la France et de l'UE. De mon côté, je préfère assumer une protection des revenus des producteurs, avec des prix plus élevés, de manière à ce que les productions restent en France. Certes, cela coûte plus cher de produire des véhicules électriques en France, mais ces derniers respecteront mieux les normes européennes et les règles environnementales, et ils seront produits sur le territoire français, avec des ouvriers, des ingénieurs et des savoir-faire français.
Nous avons obtenu des résultats en termes de croissance. Je rappelle que notre croissance cumulée de ces six dernières années est plus élevée que celle de tous nos partenaires européens. Cette solidité se manifeste encore en 2023. On nous prédisait une récession ; or, nous atteindrons bien 1 % de croissance, comme je l'ai toujours indiqué. Cela me donne un peu de légitimité lorsque je défends une croissance à 1,4 % pour 2024, alors que nous sortons de l'une des plus graves crises inflationnistes de notre histoire récente.
Nous avons également obtenu des résultats en termes d'attractivité. Pour la quatrième année consécutive, la France est le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers, avec 13 milliards d'euros d'investissements annoncés lors du récent sommet Choose France. Cette attractivité concerne tous les secteurs : la finance, sachant que la place de Paris est devenue la nouvelle grande place financière européenne, chose peu envisageable il y a encore quelques années ; la technologie, avec déjà 27 licornes, ces entreprises valorisées à plus de 1 milliard de dollars, en avance sur notre objectif de 25 licornes pour 2025 ; l'industrie, sur laquelle je reviendrai plus tard ; et enfin l'emploi, puisque 2 millions d'emplois, dont 100 000 industriels, ont été créés depuis 2017 et que le taux de chômage s'établit à 7,2 %, soit le taux le plus bas depuis quarante ans.
Grâce à notre croissance et notre attractivité, nous avons obtenu des résultats en termes de réindustrialisation. Depuis 2017, on observe un solde net de 300 ouvertures d'usines par an alors que nous en fermions les années passées. À cela s'ajoute l'ouverture de nouvelles filières, comme celle des batteries électriques, avec quatre gigafactories qui verront le jour dans les prochaines années, ou celle de la production de semi-conducteurs.
Maintenant, il s'agit de transformer l'essai aussi bien au niveau industriel qu'en matière d'emplois. Le plein emploi ne tombera pas du ciel, même si, en étant un peu provocateur, avec 7,2 % de chômage, je dirais que nous y sommes déjà si l'on raisonne à modèle social constant.
Si nous voulons atteindre ce taux de 5 %, notre modèle devra évoluer sur plusieurs points. Tout d'abord, il y a l'enjeu de la formation et de la qualification. Des décisions ont été prises par le Président de la République concernant le lycée professionnel, afin d'orienter les jeunes vers des filières où l'on recrute. On doit également faire beaucoup mieux concernant la qualification et la formation des personnes plus âgées ayant vingt ou trente ans d'ancienneté dans leurs entreprises. C'est le premier changement de modèle social que j'appelle de mes voeux et que nous commençons à mettre en oeuvre avec la réforme du lycée professionnel. Il s'agit de qualifier plus et mieux, de former davantage la population active, afin que les compétences correspondent aux besoins des entreprises et aux révolutions technologiques en cours.
L'autre changement que j'appelle de mes voeux, et qui me paraît nécessaire, concerne la mobilité de nos compatriotes. Le sujet, très difficile, suppose de s'attaquer à la question du logement, en particulier dans les zones tendues ; je suis preneur de toutes vos propositions sur le sujet. Le coût et l'accès au logement, notamment pour les jeunes, sont les principaux obstacles au recrutement dans les zones qui sont déjà quasiment au plein emploi. Nous devons avoir une politique du logement qui favorise l'emploi.
Enfin, nous devons savoir si les règles actuelles d'indemnisation du chômage nous permettent de parvenir au plein emploi. Voilà trois sujets - qualification, mobilité, règles d'indemnisation - que nous devons interroger si nous avons la volonté sincère d'atteindre ce plein emploi que nous n'avons pas connu en France depuis un demi-siècle. Si on n'y est pas arrivé en un demi-siècle, c'est qu'à modèle constant, on n'y arrivera pas.
La réindustrialisation est une autre grande priorité. Il me paraît essentiel de saisir l'opportunité de la transition climatique et de la décarbonation de l'économie pour réindustrialiser notre pays. On peut très bien importer tout l'hydrogène vert des pays du Maghreb ou du Golfe ; on peut aussi vouloir le produire en France. Ce n'est pas la même politique, ce ne sont pas les mêmes investissements. Naturellement, je souhaite que nous produisions au moins une partie de notre hydrogène, avec des électrolyseurs produits en France, en nous appuyant sur de grandes entreprises comme Air Liquide ou sur des PME comme Lhyfe qui émergent aujourd'hui et sont très performantes.
Le même raisonnement s'impose pour les véhicules électriques ; je préfère qu'ils soient produits sur le territoire français et, pour cela, je souhaite que nous nous en donnions les moyens. Cela suppose d'avoir sur notre territoire des batteries - chose possible avec l'ouverture de quatre gigafactories - et des dispositifs de recyclage des batteries - nous y travaillons ; cela implique également de travailler sur la production d'anode et de cathode, et d'avoir une politique d'accès aux terres rares, notamment le lithium, qui nous permette d'être indépendants ; je rappelle que 60 % des terres rares sont aujourd'hui dans les mains des Chinois. À cela, on peut également ajouter tout ce qui concerne les semi-conducteurs.
Cette réindustrialisation verte doit nous permettre d'être la première nation décarbonée en Europe à l'horizon 2040. Cette politique suppose de nous défendre à armes égales. Je suis évidemment favorable à un commerce équitable et réciproque ; mais je ne suis pas favorable à un commerce mondial dans lequel les pays européens sont les seuls à respecter les règles du jeu. En théorie des jeux, celui qui perd, c'est celui qui continue d'appliquer des règles que les autres ont cessé d'appliquer. Je constate que la Chine et les États-Unis réservent leurs aides budgétaires à des produits industriels fabriqués sur leur sol. En prenant les normes environnementales, il est légitime de réserver nos aides à des productions réalisées sur le sol européen. Quand on donne des aides pour les véhicules électriques - certains bonus vont, je le rappelle, jusqu'à 7 000 euros par véhicule, ce n'est pas de la roupie de sansonnet -, je préfère qu'elles bénéficient à des véhicules produits dans les conditions environnementales les plus strictes de la planète.
Au-delà de la réindustrialisation, une autre priorité concerne l'innovation et l'investissement dans l'intelligence artificielle, le calcul quantique et les révolutions technologiques en cours. Un sommet très intéressant s'est tenu à Londres autour du Premier ministre anglais, M. Rishi Sunak, concernant l'intelligence artificielle. J'en ai retenu une chose : si nous n'y prenons pas garde, l'Europe risque d'être consommatrice de l'intelligence artificielle générative américaine, comme elle est, depuis quarante ans, consommatrice du numérique américain.
Dans les années 1990, nous avons manqué la révolution numérique ; nous sommes arrivés après la cavalerie, en disant qu'il fallait réguler tout cela. Je soutiens cette régulation, elle est très bonne, mais je préfère que nous ne soyons pas uniquement un continent de régulation, mais aussi un continent d'innovation. Je pense même, en poussant plus loin la réflexion, que l'on ne peut pas réguler une innovation que l'on ne maîtrise pas, surtout en matière d'intelligence artificielle ; le risque, en effet, est d'arriver trop tard, avec des machines, des algorithmes, des supercalculateurs qui tourneront avec des données et une culture qui nous seront étrangères. Il est donc indispensable d'investir massivement, à l'échelle nationale et européenne, dans l'intelligence artificielle afin de disposer demain d'un ChatGPT à l'européenne, et pas uniquement à l'américaine ou à la chinoise.
Pour fonctionner, une économie a besoin d'énergie. L'électricité décarbonée au coût le plus bas possible est un des atouts compétitifs majeurs de la France. C'est la raison pour laquelle je me félicite de l'accord trouvé, après un an de négociations, avec EDF sur le prix de l'électricité. Cet accord garantit à toute l'économie française, pour les prochaines décennies, un accès sûr à une électricité décarbonée, à un coût parmi les plus compétitifs en Europe.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à ma question sur l'efficacité des différentes aides aux entreprises. Le président de la délégation aux entreprises vous interrogera peut-être à ce sujet ; à moins que vous ne souhaitiez le faire dès maintenant...
M. Bruno Le Maire, ministre. - Les aides aux entreprises, comme toutes les aides publiques, méritent à chaque fois d'être examinées attentivement par le Parlement, c'est son premier rôle, afin que nous en tirions les conséquences. Je vais prendre l'exemple des allègements de charges. Je suis évidemment favorable à ces allégements qui garantissent la compétitivité du coût du travail français par rapport à nos voisins européens, mais nous devons avoir l'assurance que ces allégements, qui se chiffrent en dizaines de milliards d'euros, donnent des résultats attendus en termes d'emploi et de recrutements.
Deux parlementaires - l'un de la majorité, l'autre de l'opposition - ont réalisé un rapport très précis sur les allègements de charges entre 2,5 et 3,5 Smic. J'estime que ces allégements restent nécessaires pour garantir la compétitivité de l'industrie française par rapport à l'industrie allemande, mais, lors de la crise inflationniste, l'indexation du Smic à la fois sur le niveau moyen des salaires et sur l'inflation a produit des effets distorsifs très importants sur les bas salaires. Par conséquent, il était légitime de geler le « bandeau famille » entre 2,5 et 3,5 Smic, ce qui représente environ 800 millions d'euros de dépenses. En maintenant l'indexation sur l'inflation de ce bandeau, l'aide aux entreprises aurait été disproportionnée par rapport au résultat attendu. Voilà un exemple très concret sur lequel le Gouvernement a pris position.
Mme Sylviane Noël, rapporteure pour avis sur la mission « Économie ». - L'artisanat d'art représente plus de 3 millions d'actifs en France. La stratégie nationale en faveur des métiers d'art, lancée conjointement par le ministère de l'économie et celui de la culture, est donc une bonne nouvelle ; cela faisait des années que l'artisanat ne faisait l'objet d'aucune politique publique unifiée.
Cependant, seulement 3,5 millions d'euros sont dédiés à la mise en oeuvre de cette stratégie dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024. En dehors des métiers d'art, le soutien au secteur de l'artisanat est quasiment inexistant depuis 2019 et la disparition des fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac).
En parallèle, les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) se voient amputées de 60 millions d'euros de recettes de taxes pour frais de chambre d'ici à 2027. Dès lors, Monsieur le ministre, quelle politique de soutien à l'artisanat défendez-vous ?
Je vous interpelle également sur la question du respect des délais de paiement interentreprises. Ce respect est indispensable à la compétitivité et la viabilité des entreprises, particulièrement des PME. Or, au cours des auditions menées, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) m'a alerté sur une recrudescence des retards de paiement de plus de trente jours, qui sont souvent le fait de grandes entreprises.
Ces pratiques sont exacerbées par l'inflation. Pour donner un ordre d'idées, au premier semestre 2023, la DGCCRF a lancé ou mené à bien des procédures de sanctions administratives pour un total de 30 millions d'euros d'amendes, concernant 224 entreprises. Malgré des capacités financières importantes, ces grandes entreprises participent à d'importantes rétentions de trésorerie des PME. La DGCCRF a, par exemple, sanctionné Veolia à hauteur de 1,6 million d'euros, Nexans à hauteur de 850 000 euros, ou encore McDonald's à hauteur de 200 000 euros. Ne serait-il pas temps de faire évoluer les sanctions financières encourues face à de telles pratiques pour les rendre réellement dissuasives ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur la mission « Économie ». - Sur le sujet des lois Égalim, vous avez réaffirmé votre volonté de protéger les revenus des producteurs. Pourtant, dans la dernière loi sur les négociations commerciales que nous avons examinée, la logique est renversée, puisque l'on donne la main aux distributeurs afin de mieux mettre la pression sur leurs fournisseurs. Ces mêmes distributeurs contournent, par ailleurs, la loi française en développant des centrales d'achats à l'étranger. Monsieur le ministre, quelle est votre cohérence sur ce sujet ?
Je souhaite revenir également sur le plan France Très Haut Débit. Celui-ci se déploie relativement bien sur nos territoires, mais il reste le sujet majeur des raccordements complexes, aussi bien dans le domaine public que privé. Une première enveloppe de 150 millions d'euros a été débloquée sur deux ans ; nous constatons que celle-ci ne sera pas renouvelée en 2024, alors que la majorité de ces raccordements complexes n'ont pas été pris en compte.
Pour l'ensemble des professionnels, il s'agit du principal obstacle à la bonne finalisation du plan. Comment expliquez-vous cette absence d'enveloppe dans le projet de budget ? Si la reconduction n'est, selon vous, pas la bonne solution, que proposez-vous par ailleurs ? Et qu'en est-il de ce véhicule financier dont on parle, qui pourrait être proposé aux collectivités territoriales via la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ?
Enfin, je souhaite vous interroger sur le financement des conseillers numériques dans les maisons France Services, question qui préoccupe de plus en plus les élus locaux. Lors des premières années, on observait un abondement et un soutien massif qui semblent aujourd'hui diminuer de manière importante, ce qui remet en cause la pérennité de ces postes.
M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis sur la mission « Économie ». - Monsieur le ministre, pourriez-vous détailler les principaux éléments de l'accord avec EDF sur les prix et la structuration du marché après l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), que vous avez rapidement évoqué ? Et que fait-on pendant les deux prochaines années, avant l'entrée en vigueur de cet accord ? Que va-t-il en résulter pour les particuliers et les entreprises ?
Les gigafactories vont, à n'en pas douter, produire des emplois. Mais quelles sont les dispositions pour les investissements des entreprises de taille intermédiaire (ETI), petites et moyennes entreprises (PME) et autres très petites entreprises (TPE) qui contribuent à la chaîne de valeur globale ?
Nous parlons beaucoup de transition écologique et de renforcement de l'attractivité économique de nos territoires. Quelle est votre position par rapport au crédit d'impôt vert ? Le conditionnerez-vous à des actions particulières de la part des entreprises ?
Vous avez évoqué le sujet de ChatGPT. De mon côté, j'estime qu'il est déjà trop tard. Une fois de plus, nous allons courir après les Américains. Nous n'avons pas tiré les leçons de l'épisode précédent, relatif à la numérisation des marchés, et cela est fort dommageable pour l'économie française et européenne.
Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis sur la mission « Participations financières de l'État ». - Monsieur le ministre, vous avez indiqué que le soutien à l'industrie était l'une de vos priorités. L'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) évalue les allégements de charges sociales des entreprises - gelés en 2023 - à plus de 140 millions d'euros par an. Cela ne vient-il pas contredire votre soutien à l'industrie ?
L'accord entre l'EDF et le Gouvernement pour un coût de l'électricité à 70 euros me semble une bonne chose. Mais les industriels électro-intensifs et hyper électro-intensifs ont besoin d'un coût moindre pour rester compétitif face à la Chine et aux États-Unis. Ce coût peut-il être revu à la baisse, notamment dans le cadre des contrats à long terme ? Qu'en sera-t-il pour 2024 et 2025 ?
M. Olivier Rietmann, président de la délégation aux entreprises. - Une fois encore, ce PLF qui promet une réduction de la dépense publique est un trompe-l'oeil. À rebours de vos promesses, il prévoit notamment de nouveaux prélèvements sur les entreprises - quelle surprise ! La liste est longue, mais je ne citerai que deux exemples : l'augmentation du versement mobilité des entreprises franciliennes de près de 400 millions d'euros ; et le décalage dans le temps de la réforme des impôts de production, réforme pourtant indispensable à notre compétitivité, qui avait enfin été actée après des années de tergiversations.
Avec les différentes mesures du PLF et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), et les récentes décisions de la Cour de cassation, le coût du travail en France pourrait être renchéri de près de 4 milliards d'euros dès l'année prochaine. Les organisations patronales ont d'ailleurs tiré la sonnette d'alarme devant la délégation aux entreprises.
En outre, nous apprenons que le Gouvernement prépare pour ce PLF une réforme du pacte Dutreil. Au-delà d'une simple mesure antifraude dévoilée par voie d'amendement à l'Assemblée nationale, il s'agirait en fait d'aller beaucoup plus loin et de n'appliquer l'allégement fiscal qu'à seulement 15 % de la trésorerie d'une entreprise ; charge à l'administration fiscale de décider du sort du reste. Cela est très rassurant pour nos entreprises...
Comment pouvez-vous imaginer séparer ainsi le patrimoine de l'entreprise de sa trésorerie, et ainsi transmettre l'un dans des conditions différentes de l'autre ? Il s'agit d'un non-sens total, et cela ouvre une boîte de Pandore pour le contentieux juridique. Le pacte Dutreil est pourtant un outil indispensable pour assurer la transmission de nos PME et ETI familiales. La moitié d'entre elles devraient être transmises dans les dix ans à venir. L'enjeu ici est la survie de notre tissu économique à ce changement générationnel.
Monsieur le ministre, avez-vous effectivement l'intention de mener une telle réforme qui passerait par voie d'amendement et ne comporterait donc aucune étude d'impact sérieuse préalable ? Si tel est le cas, je vous demande d'associer au plus vite à vos travaux le Sénat, qui a travaillé sur ce dispositif et qui formule des propositions autrement plus urgentes et pertinentes que celles qui figurent dans cet amendement.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je veux rassurer M. Rietmann : il n'est pas du tout dans les intentions du Gouvernement d'engager une nouvelle réforme en profondeur du pacte Dutreil. J'ai eu l'occasion de présenter une réforme en profondeur du pacte Dutreil en 2018, ce n'est pas pour la détricoter cinq ans plus tard. Qu'il existe des abus et qu'il faille les contrôler, j'y suis favorable. Mais le pacte Dutreil permet de garantir la transmission des entreprises familiales, et je suis attaché au capitalisme familial.
Je partage également votre préoccupation sur la décision de la Cour de cassation. Cette décision, qui s'impose à tous, fait peser des risques sur le coût du travail.
Concernant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), je rappelle qu'il s'agit, avec 1 milliard d'euros, de la baisse d'impôts la plus importante de ce PLF pour 2024. Nous sommes dans des temps budgétaires difficiles ; ma responsabilité est donc de prendre des décisions difficiles, y compris avec les entreprises. Je revendique cette décision, que j'ai d'ailleurs expliquée à plusieurs reprises aux industriels concernés.
Je ne peux pas imposer 4 milliards d'euros de baisse d'impôts d'un seul coup. Dans la situation budgétaire où nous sommes, ce serait à la fois irresponsable et injuste. Nous allons donc étaler cette baisse de CVAE sur quatre ans. Si nous pouvons le faire plus rapidement parce que la conjoncture est meilleure, nous le ferons. Je reste un fervent défenseur de la suppression de ces impôts de production, qui pèsent trop lourdement sur notre industrie, mais je le fais au rythme que m'autorisent nos comptes publics.
Quant au versement mobilité, vous savez ce que je pense de l'accord conclu entre la présidente de la région Île-de-France et le Gouvernement sur ce sujet. Je ne suis pas favorable à ce que l'on augmente par un biais ou un autre les impôts de production de notre pays. Ces 400 millions d'euros sont une somme importante ; et si nous avons l'ambition d'ouvrir de nouvelles usines dans notre pays, il convient d'éviter des solutions faisant peser sur la production française des charges fiscales trop lourdes.
Pour répondre à Mme Noël, l'artisanat d'art bénéficie des mêmes aides et allégements que les autres entreprises. Par ailleurs, nous travaillons bien avec les CMA.
Je vous rejoins totalement sur la question des délais de paiement interentreprises. Il est indispensable d'avoir de la part des entreprises, ainsi que des pouvoirs publics, qui ne sont pas toujours les meilleurs payeurs, des délais de paiement beaucoup plus réduits. J'ai demandé à la DGCCRF de porter une attention particulière à ce sujet. Si les parlementaires estiment qu'il faut renforcer les sanctions en la matière, je suis tout à fait ouvert à la discussion.
Sur le sujet des raccordements complexes, le travail est en cours. Par ailleurs, nous déploierons les moyens nécessaires pour stabiliser le nombre de conseillers numériques ; j'ai entendu les inquiétudes remontant des territoires sur ce sujet ; c'est Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du numérique, qui s'occupera de la mise en oeuvre.
Concernant l'accord conclu avec EDF, il y avait plusieurs façons d'aborder cette négociation sur les tarifs d'électricité. À partir de 2026, il n'y aura plus de tarifs régulés.
La première option était de se reposer uniquement sur le marché ; cette option n'a même pas été considérée par le Gouvernement, c'était une option de papier.
La deuxième option pouvait se résumer ainsi : EDF étant une entreprise certes pas nationalisée mais à capitaux 100 % publics, la rentabilité importe peu et les prix doivent être cassés. Je me suis opposé à cette idée qui a beaucoup circulé. Certains estimaient qu'à partir du moment où les capitaux étaient 100 % publics, il fallait que l'État décide chaque année le prix le plus attractif possible, quitte à ce que l'entreprise vende à perte. Je n'ai pas voulu prendre une décision qui aurait sacrifié EDF et des dizaines de milliers de salariés. Une entreprise, qu'elle bénéfice de capitaux publics ou privés, ne vend pas à perte sinon elle fait faillite ; et quand la dette de cette entreprise s'élève à 65 milliards d'euros, obligeant chaque année à lever des fonds sur les marchés avec des taux d'intérêt plus élevés, il aurait été irresponsable de demander à EDF de vendre à perte.
La troisième option était de trouver un équilibre entre la rentabilité indispensable d'EDF, la compétitivité pour les entreprises et la stabilité pour les ménages. Après un an de négociations, l'accord que nous avons trouvé avec Luc Rémont, le PDG d'EDF, parvient à tenir cet équilibre.
Comment cela va-t-il fonctionner ? Première différence avec le système précédent, la régulation du tarif d'électricité va porter sur 100 % de la production électrique d'EDF. C'est l'immense différence avec le système précédent : les fameux 42 euros le mégawattheure, dont tout le monde parle, ne portaient que sur un tiers de la production d'EDF. Nous avions alors le choix entre deux options : un prix de référence à 70 euros le mégawattheure, portant sur 100 % de la production électrique nucléaire d'EDF, ou un prix de référence plus bas, ne portant que sur un tiers de la production électrique nucléaire d'EDF, le reste étant exposé au marché. Dans la situation actuelle des finances publiques, si les prix flambaient et prenaient 100 % - ce qui peut arriver en cas, par exemple, d'extension du conflit au Proche-Orient -, l'État ne serait pas en mesure de compenser.
Nous avons donc fait le choix de la sécurité et de la stabilité pour les entreprises comme pour les ménages. Ce prix de 70 euros le mégawattheure reste trop élevé pour un certain nombre d'entreprises énergo-intensives ; elles sont 6 600 et représentent 40 térawattheures ; à charge pour EDF, suivant des modalités que nous avons étudiées et qui seront mises en oeuvre, de trouver des solutions, sous six mois, pour ces entreprises.
Pour les entreprises électro-intensives et hyper électro-intensives, des solutions ont été trouvées, sous la forme de contrats de très long terme, sur quinze ans, les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN). Ces entreprises ont les reins suffisamment solides pour faire une « avance en tête » ; elles disposent d'une partie du capital d'EDF et de la production d'électricité nucléaire d'EDF, ce qui leur permet de bénéficier d'un tarif encore plus compétitif, certainement l'un des plus compétitifs de tous les pays européens.
Pour les consommateurs, cet accord donne de la stabilité sur les prix. Je rappelle que, si nous n'avions pas mis en place le bouclier tarifaire sur l'électricité, une facture s'élevant à 1 500 euros par an, soit la facture moyenne pour un ménage en France, serait passée à 3 000 euros. Ce bouclier tarifaire, qui a coûté 40 milliards d'euros, je peux en user une fois mais pas deux. Il était donc indispensable de donner de la stabilité et de la visibilité aux consommateurs.
Enfin, nous maintenons des tarifs régulés pour les ménages au-delà de 2026 ; nous les maintenons également pour les TPE. Changement majeur, que tous les parlementaires ont réclamé, vous compris, ces tarifs régulés ne seront pas limités par le niveau de consommation des TPE à 36 kilovoltampères, mais seront ouverts à toutes les TPE, quel que soit leur niveau de consommation électrique.
Pendant les deux ans qui restent, nous demeurons dans le système actuel. Nous avons un rendez-vous dans six mois pour nous assurer que cet accord avec EDF se traduise par des contrats pour les entreprises, dans les meilleures conditions possible. Par ailleurs, la mise en oeuvre de cet accord fera l'objet d'une clause de revoyure tous les trois ans, afin de nous assurer que les prix retenus correspondent à la réalité du marché.
Concernant le crédit d'impôt vert, je rappelle qu'il s'applique à quatre types de production : les pompes à chaleur, les panneaux solaires, les éléments d'éoliennes et les batteries électriques. Nous avons fait le choix de restreindre un certain nombre d'activités, afin de ménager les finances publiques. Ainsi, le crédit d'impôt vert n'est pas ouvert à l'hydrogène vert pour des raisons de coûts budgétaires.
Concernant ChatGPT, le défi est considérable, il ne faut pas baisser les bras. Nous disposons d'atouts sur les supercalculateurs avec Jean Zay, ce supercalculateur de nouvelle génération auquel nous travaillons avec les Allemands et les Espagnols. Nous avons des start-up très dynamiques, comme Mistral AI dirigée par Arthur Mensch. En matière de données, nous en avons certaines qui font référence, notamment dans le domaine de la santé ; celles-ci peuvent être très précieuses pour la mise en place de l'intelligence artificielle générative.
Nous ne devons pas abandonner l'objectif d'une intelligence artificielle générative européenne dans les prochaines années. Est-ce que ce sera possible ? Je n'en suis pas sûr à 100 %. Disposerons-nous de tous les éléments ? Ce n'est pas certain. Si l'on prend l'exemple des processeurs graphiques (UPG), elles sont aujourd'hui produites à 92 % par l'entreprise américaine Nvidia ; je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens de la concurrencer. Sans doute serons-nous dépendants sur certains éléments, mais cela ne doit pas nous détourner de cet objectif d'une intelligence artificielle générative européenne.
Enfin, madame Berthet, la question du coût de l'électricité pour les entreprises énergo-sensibles est effectivement majeure.
Les industriels électro-intensifs et hyper électro-intensifs sont concernés par les contrats d'allocation de production nucléaire de très long terme - quinze ans. Ces acteurs peuvent néanmoins se permettre de faire des avances en tête. Quant à l'immense majorité des entreprises industrielles, elles n'ont pas de sensibilité suffisante au prix de l'électricité pour que l'accord conclu leur pose des difficultés. Restent les 6 600 entreprises énergo-sensibles au sujet desquelles nous travaillons avec EDF à des options pour être en dessous du montant de 70 euros le mégawattheure, encore trop élevé pour elles.
M. Frédéric Buval. - Le Comité interministériel des outre-mer (Ciom) qui s'est tenu le 18 juillet dernier a prévu une réforme de l'octroi de mer dans un objectif de baisse des prix des produits de grande consommation, dont les modalités seront inscrites, au plus tard, dans le PLF pour 2025.
Si je souhaite vous alerter dès maintenant, c'est parce que les acteurs économiques et les élus locaux des départements d'outre-mer sont inquiets et souhaitent être associés eux aussi à cette réforme de l'octroi de mer, qui sera très importante pour l'avenir de nos territoires. La réforme aura en effet un impact direct sur l'activité des entreprises d'outre-mer, en termes d'emplois et de croissance, et plus particulièrement pour l'activité de celles qui assurent une production locale et qui sont confrontées à la concurrence des produits importés.
L'octroi de mer représente en outre une ressource capitale pour les collectivités locales. Il finance notamment des services publics essentiels et la commande publique.
La réforme de l'octroi de mer, monsieur le ministre, pour qu'elle soit réussie et équitable, doit être conçue de manière à compenser les pertes de recettes pour les entreprises locales et les collectivités territoriales, tout en améliorant le pouvoir d'achat des consommateurs.
Comment y seront associés, sur chaque territoire, les acteurs économiques et les collectivités locales ?
M. Fabien Gay. - Quoi qu'il arrive, monsieur le ministre, vous traversez toutes les crises, restez droit dans vos bottes et sur vos convictions ! Rien ne peut vous ébranler : vous continuez sur la politique de l'offre, avec 13 millions de travailleurs précaires, dont 6 millions de pauvres, notamment des personnes en situation de précarité énergétique, et des aides alimentaires dont le nombre explose. Une question apparaît centrale, celle du salaire.
Vous n'y répondez que par à-coups, par chèques, intéressement, investissements, actionnariat salarié. Vous vous étiez déclaré favorable à l'augmentation des petits salaires : vos nombreux petits déjeuners avec le patronat pour exiger une telle hausse semblent ne pas donner de résultats. Ne faudrait-il pas passer par la loi, avec une augmentation significative du Smic, qui déclencherait une conférence sociale partout en France ?
Au sujet d'Atos, spécialiste du numérique décarboné, fleuron industriel, l'appât du gain a primé la question industrielle au cours des derniers mois, voire des dernières années. Pourquoi rester opposé à une potentielle renationalisation temporaire pour sauver ce fleuron ?
M. Patrick Chaize. - Ma première question porte sur le déploiement du très haut débit à Mayotte. Mayotte est le dernier département français à ne pas disposer d'un projet financé, alors que ses élus ont déposé un dossier et qu'il est collectivement admis qu'un financement dans le cadre du Fonds national pour la société numérique (FSN) doit leur être réservé. Or le PLF 2024 occulte ce projet. Ne serait-il pas opportun qu'au moins une autorisation d'engagement (AE) soit inscrite, pour rassurer les élus et permettre le démarrage de l'opération ?
Deuxième sujet : La Poste. Celle-ci assure quatre missions de service public qui doivent faire l'objet de compensations financières. Le service universel postal est sous-compensé de 20 millions d'euros, mais je voudrais surtout attirer votre attention sur la mission d'aménagement du territoire. Si l'on se réfère à l'objectif du contrat de présence postale territoriale, cette dernière est sous-compensée de 15 millions d'euros, mais de plus de 190 millions d'euros selon l'estimation de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Cela est d'autant plus inquiétant que le montant alimente un fonds adossé au contrat de présence postale et directement injecté dans les territoires par l'intermédiaire des commissions départementales de présence postale territoriale.
J'en viens à un troisième sujet, celui de l'Arcep. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, toujours en cours de discussion au Parlement, trouve déjà ses premières applications budgétaires dans le cadre du PLF. Les différentes autorités nationales de régulation chargées de faire respecter les règlements européens sur les services et les marchés numériques, en particulier l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et l'Autorité de la concurrence, bénéficieront dès 2024 d'une hausse de leur budget de fonctionnement ou de leur effectif, afin de faire face à leurs nouvelles obligations.
Alors que d'importantes et nouvelles attributions sont confiées à l'Arcep en matière de régulation des opérateurs d'informatique en nuage et d'intermédiation des données - des marchés à fort potentiel de croissance et dont le bon développement est indispensable pour permettre à notre pays d'atteindre la souveraineté numérique -, aucune hausse de moyens ni d'effectif n'est envisagée. Cette absence est d'autant plus préjudiciable que l'Arcep devra se saisir de ses nouvelles attributions dès 2024, bien qu'elle ne dispose pas de compétences internes pour le faire.
Or, pour devenir gendarme des données, quand on est gendarme de la fibre, le chemin est long. Vous savez comme moi qu'un gendarme disposant simplement de son uniforme pour accomplir son travail, sans autre moyen pour faire respecter la loi, n'ira pas bien loin. Monsieur le ministre, comment expliquez-vous cette situation ? Êtes-vous favorables à une correction de cet oubli à l'occasion de l'examen au Sénat du PLF 2024 ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur Chaize, je ne suis pas favorable à des augmentations de dépenses, pour l'Arcep ou pour qui que ce soit. J'entends que les autorités indépendantes demandent plus de moyens, mais à un moment donné les deux fils se touchent !
On nous dit, notamment dans cette assemblée, et je vous en remercie, qu'il faut des comptes mieux tenus, qu'il faut réduire les dépenses et la dette. Je suis entièrement d'accord : faites-moi des propositions d'économies et je les reprendrai !
M. Laurent Duplomb. - Il y en a !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne peux pas envisager d'augmentation systématique des moyens des autorités indépendantes : ce serait contradictoire avec mes objectifs de réduction de la dette et des déficits.
Par ailleurs, je rencontrerai le président du conseil départemental de Mayotte la semaine prochaine sur la question du très haut débit dans l'île. C'est un sujet majeur en termes d'équité ; la question sera traitée.
Monsieur Buval, que les choses soient bien claires, je n'entreprendrai pas de réforme de l'octroi de mer sans les élus locaux et sans les entreprises locales, ce qui n'aurait aucun sens. Les élus locaux vivent de cet octroi de mer, aucune compensation n'est possible pour des montants aussi élevés, de l'ordre de 230 millions d'euros ; il est impératif de conduire cette réforme avec eux, ainsi qu'avec les acteurs économiques locaux, avec l'objectif d'introduire les premières dispositions dans le PLF 2025.
Monsieur Gay, je ne suis pas quelqu'un de droit dans mes bottes : je suis quelqu'un de constant, car il faut savoir en tout temps écouter et corriger ce qui peut l'être. Je n'ai de cesse de le faire, tout en restant fidèle à la ligne de politique économique du Gouvernement. Bien entendu, l'inflation a un impact extrêmement important sur les populations les plus fragiles. Nous n'avons pas hésité à maintenir l'indexation de l'ensemble des prestations et minima sociaux, afin de protéger ceux qui en ont le plus besoin et faire face au risque d'explosion de la précarité liée à l'inflation. L'inflation, je le redis, c'est un drame pour les ménages les plus modestes, pour ceux qui n'ont pas d'emploi. Les moyens d'y faire face sont extraordinairement limités et c'est là que la solidarité nationale doit jouer à plein. Nous avons fait ce qui était nécessaire.
Sur les salaires, je constate une augmentation de 4,3 % en moyenne au cours du dernier trimestre de 2023. Les entreprises continuent donc d'augmenter, en moyenne, les salaires. Si je partage votre préoccupation d'obtenir une augmentation des salaires et de faire en sorte que le travail paie davantage, là où nous divergeons, c'est sur le choix de la manière d'y parvenir.
On peut le décréter par la loi - c'est ce que vous proposez -, mais nous risquerions alors fort d'assister à une explosion du chômage. Ce n'est pas ce que je souhaite. S'il existe un salaire minimum, il ne revient pas, au-delà, au législateur de décider du montant auquel doit être rémunéré un salarié ; la décision en revient aux entreprises.
La meilleure façon d'obtenir des salaires plus élevés, c'est de passer par la réindustrialisation et l'amélioration de la productivité, car elles créent plus de valeur et de prospérité.
La question beaucoup plus structurelle qu'il faut se poser a trait aux charges sociales.
M. Fabien Gay. - Ce ne sont pas des charges, mais des cotisations.
M. Bruno Le Maire, ministre. - En effet. Je me corrige tout de suite pour montrer à Fabien Gay que je ne suis pas droit dans mes bottes. Mais il est évident que lorsque le salarié regarde son bulletin de paie et qu'il voit la somme qu'on lui retire de son brut, il se demande s'il en a pour son argent. Là réside l'une des grandes questions du modèle social français.
M. Fabien Gay. - Et sur le sujet d'Atos ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je commencerai par un rappel : cette entreprise est à 100 % privée. L'État ne gère donc pas Atos.
Ensuite, Atos conduit deux types d'activités. Ses activités ultrastratégiques sont dans la branche Eviden, laquelle comprend deux sous-branches : celle du numérique, avec le cloud de confiance et les systèmes d'information, et celle, sans doute la plus sensible, des supercalculateurs HPC (calcul haute performance), dite branche BDS (Big Data and Cybersecurity). Toute une autre part d'activité, appelée Tech Foundations, ne revêt pas de sensibilité particulière : c'est celle de l'infogérance, c'est-à-dire du stockage de données non sensibles.
La direction et le conseil d'administration d'Atos ont choisi de diviser l'activité de l'entreprise entre ces deux grandes catégories. La responsabilité leur en revenait, et non à l'État. Ma seule responsabilité - et croyez-moi, je l'exercerai avec toute la fermeté requise - consiste à m'assurer que l'ensemble des activités stratégiques d'Atos, via son capital, restent sous contrôle exclusif français. Le décret sur les investissements étrangers en France (IEF) me donne les moyens de le faire.
M. Yannick Jadot. - Le Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital vient de rendre son dernier rapport. Celui-ci est sans appel : le passage de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI), ainsi que le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur le capital, nous ont coûté 4,5 milliards d'euros en 2022 et n'entraînent aucun effet sur l'investissement et les salaires. Ils ont en revanche provoqué une augmentation très significative des dividendes et l'accroissement des richesses des très hauts patrimoines.
Vous démentez toute raideur, le Président de la République avait promis qu'en l'absence d'effet sur les investissements, vous reviendriez sur ces mesures. Y êtes-vous prêt - ce qui nous permettrait de disposer d'un peu plus de souplesse sur les recettes publiques -, par exemple en mettant en oeuvre la proposition de Mme Mahfouz et de M. Pisani-Ferry d'impôt exceptionnel destiné à financer la transition écologique ?
Par ailleurs, sur la position de la France relative à l'accord Union européenne-Mercosur, votre ministre déléguée chargée du commerce dit à peu près tout et son contraire. Pouvez-vous nous garantir que la France ne s'engagera pas dans ce mauvais accord ?
M. Henri Cabanel. - La crise de l'immobilier, en particulier le taux d'usure qui empêche de nombreux ménages d'acheter, affecte l'économie en général, avec un effet papillon sur tous les corps de métier liés à l'immobilier. La chute des droits de mutation entraîne, quant à elle, des effets sur les budgets des départements.
Vous avez indiqué vouloir solvabiliser un grand nombre de ménages pour leur permettre d'acheter un bien immobilier et, surtout, de faire construire. Quelles sont à votre avis les solutions pour relancer le marché de l'immobilier ?
Dans votre propos liminaire, vous avez expliqué - je suis d'accord avec vous - qu'il n'y aurait plus de subventions publiques pour les productions hors Europe. Vous n'êtes pas sans savoir que, en ce qui concerne les énergies renouvelables, la Chine dispose d'un stock de quelque 200 millions de panneaux solaires, qu'elle souhaite mettre sur le marché, ce qui menacera des entreprises françaises et européennes. Dois-je comprendre que tous les projets privés qui recourront à des panneaux solaires chinois ne seront pas subventionnés ?
Enfin, vous avez dit attendre une croissance de 1,4 % pour l'année 2024. Or les institutions économiques, telle la Banque de France, prévoient plutôt une croissance de 0,9 %. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) table lui sur 0,8 %. Quels arguments pourraient vous donner raison ?
M. Daniel Laurent. - Ma question porte essentiellement sur les vives préoccupations des chambres de commerce et d'industrie (CCI) à l'égard du PLF pour 2024. L'article 28 du texte initial prévoit une nouvelle réduction durable de 25 millions d'euros dès 2024, avec d'autres réductions envisagées pour les années à venir. Pour mémoire, la taxe affectée aux CCI est passée de 1,35 milliard en 2013 à 525 millions d'euros en 2023. Deux prélèvements exceptionnels sur fonds de roulement ont été opérés, 170 millions d'euros en 2014 et 500 millions d'euros en 2015. Quant aux effectifs des CCI, ils sont passés de 25 000 en 2013 à 14 000 en 2023.
Malgré cela, le président de la CCI de Charente-Maritime me disait encore tout faire pour préserver les missions de proximité de sa chambre dans les bassins économiques où elle intervient. Les CCI sont également mobilisées sur de nombreuses politiques publiques prioritaires de l'État. Comme vous le savez, ces missions de service public sont déficitaires. Alors qu'elles viennent de signer un contrat d'objectifs et de performance avec l'État déterminant l'exercice de leurs missions pour les quatre prochaines années, à niveau de ressources stable, les CCI ne pourront pas faire face à une nouvelle diminution de leurs ressources fiscales. Ces préoccupations sont aussi partagées par les CMA et les chambres d'agriculture.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur Jadot, sur la fiscalité du capital, j'ai évidemment une vue un peu différente, et on peut lire le rapport dont vous faites état dans le sens que l'on veut. La mise en place du PFU, lequel se situe en France dans la moyenne des pays européens et reste supérieur à celui qui prévaut dans un certain nombre d'entre eux, Allemagne comprise, s'avère essentielle pour l'attractivité de notre pays, les investissements et la création d'entreprises. Les réformes fiscales ont eu un effet très positif en ce sens. À mes yeux, nous aurions tout intérêt à maintenir les dispositifs en l'état, la stabilité étant une véritable vertu en matière fiscale.
En ce qui concerne le Mercosur, je vous confirme la fermeté du Gouvernement. Il serait un peu paradoxal de défendre la production en France et en Europe et, concomitamment, d'ouvrir la voie à la signature d'accords de libre-échange qui ne la garantiraient pas.
Monsieur Cabanel, le marché du logement est une priorité absolue. Cela suppose de bouger des curseurs qui ne sont pas simples à déplacer, notamment d'assouplir certaines règles dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF). Il y a urgence à construire plus vite de meilleurs logements, partout où la situation est tendue en France.
Je crains qu'il ne faille étendre votre réflexion sur les panneaux solaires aux pompes à chaleur, ou au moins à certaines parties d'entre elles, aux composants d'éoliennes, surtout depuis les difficultés rencontrées par Siemens, et aux véhicules électriques.
Je suis favorable à une mesure radicale qui consiste à accorder des aides aux produits à contenu européen. Je sais qu'elle se heurte à des totems de la construction européenne ; mais les totems sont faits pour être parfois renversés. Nous aurions tout intérêt à nous battre dans les mois qui viennent, avec l'échéance des élections européennes, afin que les aides soient réservées à des produits industriels à contenu européen. C'est ce que font les Américains et les Chinois. Cela rétablirait la balance entre les trois grands continents économiques de la planète. Ce sera difficile, du point de vue juridique, et du point de vue politique au Parlement européen, mais je suis favorable à cette orientation. Il faut mesurer que, faute de prendre la décision qui s'impose sur un plan commercial, nos propres industriels ne résisteront pas à la concurrence de certains produits à cause du dumping.
Quant à la croissance attendue pour 2024, le chiffre que nous donnons est proche de celui que l'OCDE avance, soit 1,2 % pour la France, et de celui du FMI, qui prévoit 1,3 %. Nous disposons aussi d'autres éléments positifs, annoncés par les instituts de conjoncture.
Monsieur Laurent, j'ai accepté que nous revoyions notre copie sur les budgets des CCI. Elles n'ont pas d'inquiétude particulière à avoir. Nous avons engagé une réforme structurelle des CCI, qui a ramené leur budget de 1,3 milliard à 525 millions d'euros. Je n'ai pas le sentiment que cela a affecté la croissance économique de notre pays ou la création d'emplois en son sein.
Mme Sophie Primas. - Elle a affecté les écoles.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Peut-être, mais il s'agit de quasiment 1 milliard d'euros d'économies ! Toute économie est difficile. Quand je mets en regard les économies que nous avons réalisées - je salue l'engagement des CCI qui ont fait preuve de volontarisme - et les résultats économiques, nous avons fait en accord avec les CCI oeuvre utile. Néanmoins, j'ai constaté que la charge semblait trop lourde et la marche trop haute pour l'année 2024 ; nous avons donc révisé notre copie.
M. Bernard Buis. - Passé le 31 décembre 2023, le titre-restaurant ne permettra plus d'acheter des denrées non périssables comme actuellement. Une prolongation des modalités actuelles d'utilisation est-elle envisageable ?
Dans un contexte où la hausse des taux d'intérêt pèse sur le marché immobilier, pensez-vous que les conditions d'emprunt immobilier évolueront dans les semaines à venir ?
M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaite vous interpeller sur le remboursement demandé à certaines communes au titre du « filet de sécurité ». Sur l'ensemble du territoire national, 3 425 collectivités vont devoir rembourser tout ou partie de l'acompte qu'elles avaient reçu, pour un montant total de 69,8 millions d'euros. Dans le département de la Loire, 39 communes sont concernées. La disposition apparaît comme particulièrement injuste pour les élus locaux, d'une part parce que ces derniers ne bénéficiaient pas de l'ensemble des indicateurs financiers lors du versement de cette somme, d'autre part parce que l'évaluation de la santé financière des communes semble abusive au regard de la réalité du terrain. Alors que les communes doivent affronter un contexte budgétaire difficile, dû à la hausse des prix de l'énergie et à la baisse continue des dotations, ces demandes de remboursement risquent de durablement fragiliser les finances des collectivités concernées. Entendrez-vous les inquiétudes des élus locaux en commençant par suspendre les demandes de remboursement ?
L'économie sociale et solidaire (ESS), qui joue un rôle primordial en matière de transition sociale et écologique, a su être résiliente face aux crises des dernières années. Pourtant, les soutiens qui la concernent dans le PLF 2024 s'avèrent particulièrement faibles, notamment en comparaison des crédits accordés aux entreprises classiques. Plusieurs organes oeuvrant en faveur de l'ESS mériteraient d'être renforcés. Je pense en particulier au dispositif local d'accompagnement (DLA) ou aux chambres régionales de l'ESS. Cela passe indéniablement par des moyens supplémentaires, nécessaires à l'engagement par cette filière d'une nouvelle dynamique. L'Espagne vient de débloquer un plan d'investissement de 800 millions d'euros en faveur de l'ESS. Comptez-vous, monsieur le ministre, renforcer ces moyens à l'occasion du PLF 2024 ?
Par ailleurs, la tempête que vient de subir l'ouest de notre pays a provoqué des dégâts. Les éleveurs et essentiellement les maraîchers vont être confrontés à des problématiques de production. Permettez-moi d'insister sur les règles de minimis : de quelle manière pourrions-nous nous en affranchir, afin d'accompagner efficacement les producteurs ?
M. Rémi Cardon. - Il y a eu la loi « pouvoir d'achat », mais le 1er janvier 2024, les titres-restaurant ne permettront plus d'acheter des produits de base tels que le riz, les pâtes ou les oeufs, mais seulement des plats cuisinés transformés, souvent industriellement.
Que direz-vous aux 5 millions de bénéficiaires de titres-restaurant qui, parfois chaque jour du fait de leurs pertes de revenus liées à l'inflation, les utilisent pour leurs courses ? Reviendrez-vous sur cette restriction d'utilisation ?
En outre, avez-vous des nouvelles à nous communiquer sur la promesse du Président de la République relative au chèque alimentaire durable ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Vous le savez, je ne suis pas favorable à la multiplication des chèques. Je ne crois pas que ce soit une bonne politique sociale. La meilleure politique est celle qui consiste à créer des emplois, et des emplois bien rémunérés.
Le titre-restaurant concerne 5 millions de salariés. La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat avait prévu, à la suite de l'adoption de l'amendement de Mme la sénatrice Puissat, d'étendre la possibilité de l'utiliser pour l'achat de produits alimentaires. Ce même amendement fixait un terme à cette possibilité au 31 décembre 2023.
Si l'inflation baisse fortement et si nous sommes sortis de la crise inflationniste, l'augmentation des prix des produits alimentaires demeure néanmoins très pénalisante pour des millions de nos compatriotes. Par conséquent, je suis favorable à ce que nous prolongions au-delà du 31 décembre 2023 la disposition qui permet d'utiliser les titres-restaurant pour acheter des produits alimentaires.
Est-ce simple à réaliser ? Non, car il faut une disposition législative. Nous sommes en train d'étudier les solutions envisageables.
Monsieur Tissot, au sujet des reprises d'acompte, nous avons pris toutes les mesures pour étaler cette charge. Aucune collectivité ne sera mise en difficulté. Sans doute avions-nous prévu des acomptes trop généreux et des collectivités se sont retrouvées dans une situation financière plus favorable que prévu. Dans 75 % des cas, les montants restent inférieurs à 10 000 euros, dans 60 % des cas inférieurs à 5 000 euros. Je reconnais que la situation peut cependant mettre de très petites communes en difficulté, et c'est pourquoi nous appliquerons un traitement au cas par cas, de sorte qu'aucune ne soit pénalisée.
Quant aux règles de minimis, le sujet est extrêmement sensible. Pour ma part, je suis favorable à l'évolution des règles européennes quand survient une catastrophe. Il vaut par principe toujours mieux respecter les règles européennes et, pour cela, adopter d'emblée des dispositions rigoureuses. Je conserve le souvenir cuisant, comme ministre de l'agriculture, des fameux « Plans de campagne » ; nous avions dû récupérer plusieurs centaines de millions d'euros auprès d'agriculteurs auxquels on avait fait des promesses impossibles à tenir.
M. Daniel Gremillet. - La relance industrielle est nécessaire dans notre pays. Qui dit relance industrielle, dit besoins énergétiques ; mais il faut aussi que les coûts soient abordables pour notre économie. En juillet 2022, notre commission avait d'ailleurs, au sujet du plan de relance nucléaire, affirmé la nécessité d'un financement très clairvoyant. Sur l'Arenh, le montant de 70 euros du mégawattheure représente une augmentation de 65 % par rapport au montant de 42 euros qui prévalait, et de 41 % par rapport au montant voté par le Sénat.
De nombreux débats ont cours aujourd'hui sur le financement du nouveau nucléaire. Ils portent sur les contrats à long terme, sur les garanties d'emprunt, sur l'idée d'avances remboursables ou sur la mobilisation du Livret A. Quelles sont vos propositions en la matière ?
Au début de 2024, le Parlement examinera la loi de programmation sur la régulation énergétique. Le financement du nouveau nucléaire y sera-t-il inclus ?
Mme Viviane Artigalas. - En 2024, prendront fin les crédits associés au plan Avenir Montagnes, dont l'objectif était de permettre la mise en oeuvre de stratégies touristiques diversifiées et durables. On nous renvoie désormais, dans ce domaine, au fonds vert. De nouveau, le flou prévaut sur une politique d'adaptation pourtant indispensable dans de nombreux territoires. Or la couverture géographique du plan Avenir Montagnes n'a permis d'accompagner qu'une petite partie d'entre eux. Les actions issues des stratégies ébauchées doivent à présent monter en puissance et être soutenues financièrement. De plus, l'aide financière et en ingénierie de la Banque des territoires doit être accompagnée.
Quelles propositions avez-vous à nous présenter pour ces territoires dont les besoins restent nombreux ?
Mme Marianne Margaté. - Le PLF 2024 prévoit une réforme d'ensemble des redevances perçues par les agences de l'eau. C'est une bonne chose, puisqu'elle se traduit par une augmentation des moyens de ces agences de 475 millions d'euros par an. L'augmentation passera toutefois non pas par un accroissement de la contribution budgétaire de l'État, mais par celui du montant de la redevance sur la consommation d'eau potable, due par tous nos concitoyens. Cette mesure se traduira-t-elle par un renchérissement du mètre cube d'eau nécessaire aux premiers besoins et qui, à nos yeux, devrait être gratuit ?
Je réagis par ailleurs sur le sujet du « filet de sécurité » anti-inflation que mes collègues ont évoqué. Il est dommage que l'État ne reconsidère pas sa position, avec des communes qui sont déjà en difficulté. En Seine-et-Marne, 85 % d'entre elles sont concernées par une reprise d'acompte, pour un total de plus de 2 millions d'euros. S'il s'agit dans le détail de petites sommes, il s'agit aussi de petites communes qui, quotidiennement, luttent face à la hausse de la facture d'énergie, celle des denrées alimentaires, enfin pour répondre à l'augmentation du point d'indice. La mesure est donc brutale et injuste. Elle est à l'image des dernières autres mesures du Gouvernement à l'égard des communes. Elle porte la marque d'un mépris regrettable.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Madame Margaté, je ne peux vous laisser dire cela. Nous avons maintenu les dotations, nous avons compensé par des ressources dynamiques les recettes supprimées, par exemple la taxe d'habitation par la TVA. Il n'y a absolument aucun mépris de notre part vis-à-vis des communes, mais une politique financière effectivement rigoureuse. Quel ministre des finances serais-je si, lorsque de l'argent a été versé en trop-perçu, je ne le récupérais pas ? Nous le faisons pour les ménages, nous le faisons pour les communes aussi. Il en va de ma responsabilité de ministre des finances : elle n'est peut-être pas très agréable à exercer, mais elle répond à un principe de justice et d'équité à l'égard de l'ensemble des contribuables.
En revanche, sur le plan eau, je partage votre avis. Les mesures que nous avons annoncées, et qui peuvent être complétées, doivent permettre de répondre à vos inquiétudes.
Madame Artigalas, notre objectif est bien d'inscrire le plan Avenir Montagnes dans la durée. Dans le cas contraire, il perdrait toute efficacité. Je suis ouvert aux propositions que vous pourrez me soumettre dans ce domaine. Je rappelle que, dans ma vie politique, j'ai toujours soutenu les communes de montagne. Elles ont bénéficié de dispositifs tout à fait spécifiques pendant la crise du covid-19. Je pense qu'elles méritent cet appui du fait des difficultés particulières auxquelles elles sont confrontées.
Monsieur Gremillet, n'établissons pas de comparaisons qui créent de la confusion. On ne peut pas dire que le prix de 70 euros du mégawattheure, le prix de référence que nous avons fixé avec EDF, représente une hausse de 65 % par rapport au prix de 42 euros du mégawattheure. L'affirmation est juste mathématiquement, mais fausse économiquement. Le montant de 42 euros porte sur 110 térawattheures (TWh), quand celui de 70 euros porte sur l'intégralité de la production électrique nucléaire d'EDF. Le choix que nous avons fait - on peut le discuter et le critiquer, c'est tout le mérite et le charme de la démocratie - se fonde sur des bases justes. Je n'ai pas voulu exposer les entreprises au marché pour une part de la production électrique. Elles en retirent une sécurité, laquelle a un coût. Il aurait été plus simple pour moi de reconduire l'Arenh sur la base de 110 TWh. Mais l'Arenh ne laisse que des perdants : EDF, ainsi que les entreprises qui, bénéficiant d'une part d'Arenh, sont exposées pour le reste du marché à une flambée des prix de l'électricité, comme celle que nous avons connue au cours des deux dernières années. Je pense que ce n'était pas la bonne solution.
En matière de financement du nucléaire, l'objectif consiste à ce qu'EDF porte une partie du coût des nouveaux réacteurs. La décision sera prise en 2024. Les parlementaires seront évidemment associés aux discussions qui la précéderont. Nous entendons minimiser le coût à la charge des contribuables et le coût du capital. Tels seront les deux critères que nous retiendrons pour le financement des nouveaux réacteurs nucléaires.
Mme Sophie Primas. - Je vous remercie pour vos réponses précises. Je ne partage pas du tout votre vision de la fiscalité des collectivités territoriales, y compris sur la CVAE. Je crois que c'est une erreur de couper le lien entre la fiscalité et le territoire. Mais le débat serait beaucoup trop long.
Ma question porte sur la réunion interministérielle de Séville sur l'espace, domaine qui relève à présent de votre responsabilité à titre principal. L'accès à l'espace est un élément de souveraineté très important, tant en matière de défense que pour l'observation de la terre ou la gestion des données. Je regrette qu'aucun ministre français n'ait été présent à Séville pour marquer l'intérêt que notre Gouvernement attache à ces questions. Un accord a été trouvé, qui assure une nouvelle tranche de financement bienvenue pour Ariane et nos industriels. Il a été dit d'ailleurs que l'accord était favorable aux industriels.
Néanmoins, des questionnements subsistent. Ils concernent d'abord l'ouverture à la concurrence que les Allemands ont obtenue, notamment pour les petits lanceurs, à l'heure où Arianespace présente son lanceur spatial Maia. Ils portent ensuite sur l'avenir du site de Kourou, quand les pas de tir de Soyouz ou d'Ariane 5 sont remis en question : quel équilibre sera-t-il retenu pour ce site ? Enfin, ils intéressent la nature de nos relations avec nos partenaires : existe-t-il encore une politique européenne de l'espace ? Nos intérêts divergent en effet de manière notable, en particulier avec nos amis allemands ou italiens.
M. Laurent Duplomb. - Merci pour la mesure de soutien de 150 euros par vache, qui vise à réduire l'imposition consécutive à l'augmentation des prix et de la valeur du cheptel - les éleveurs bovins l'apprécieront.
Vous avez modifié de manière importante la tarification du gazole non routier (GNR) en supprimant une partie de l'exonération sur les sept prochaines années.
Je me félicite que vous ayez repris à votre compte les trois grandes idées de la proposition de loi que nous avions votée au Sénat en relevant les seuils des exonérations de plus-values, du régime du micro-bénéfice agricole (micro-BA) et de la déduction pour épargne de précaution (DEP).
Vous aviez annoncé dans un premier temps que la déduction de 2,85 centimes d'euro d'exonération du GNR représentait 70 millions de compensation ; quelque temps après, la somme s'est transformée en 90 millions d'euros. J'aimerais que vous apportiez une précision sur ce jeu de bonneteau de 20 millions.
Je voudrais connaître l'évolution attendue de la consommation de GNR liée à l'augmentation des prix. À mon avis, la consommation du GNR ne baissera pas nécessairement. Avec les mesures de planification écologique, on demandera en effet aux agriculteurs d'ensemencer plus souvent afin de produire de la biomasse, ce qui, par définition, requerra un travail du sol plus important. Enfin, vous avez annoncé un crédit d'impôt pour la transition écologique à partir de 2025, destiné à offrir un quatrième volet de compensation de la diminution de l'avantage fiscal sur le GNR. Il semblerait que vous reteniez le principe de passer du carburant B7 au biocarburant B30, soit 30 % d'incorporation, voire au B100, pour le gazole agricole. Dès lors, pouvez-vous nous préciser les contours du crédit d'impôt que vous envisagez pour 2025, afin que les agriculteurs sachent à quoi s'attendre ?
M. Guislain Cambier. - Vous avez à raison plaidé tout à l'heure en faveur de l'industrie verte et des gigafactories. Dans les Hauts-de-France, dans le Nord, tout un écosystème se met en place autour d'elles. Il nécessite de l'espace. Aussi, je souhaite établir un lien avec le « zéro artificialisation nette » (ZAN), sur lequel un consensus parlementaire a été trouvé. Pour autant, les besoins d'implantations dépassent largement l'offre de foncier disponible. Je m'interroge donc : quand le Gouvernement communiquera-t-il une liste exacte des entreprises industrielles que vous avez retenues et de leur consommation foncière ? De manière à concerter l'aménagement du territoire et à réussir localement ces implantations industrielles, menez-vous une réflexion sur le partage de la taxe d'aménagement entre communes et intercommunalités ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je n'ai pas la réponse sur le ZAN, mais mon objectif consiste à disposer d'une vision large de l'industrie verte. Si nous voulons implanter les nouvelles entreprises industrielles vertes, nous avons besoin de foncier disponible. Désormais, le premier obstacle en France au développement de l'industrie sera le foncier. On peut ne pas vouloir développer l'industrie et demeurer très strict sur le foncier ; on peut aussi vouloir développer l'industrie et donner accès au foncier ; mais développer l'industrie sans permettre cet accès au foncier me rappelle le concept d'industrie sans usines des années 1980 : on a vu ce qu'il avait donné...
Monsieur Duplomb, je me félicite, parce que cela arrive rarement, que nous soyons d'accord. Tout arrive. Au sujet du GNR, je vous confirme que nous avons retenu le montant de 2,85 centimes d'euro par litre. Notre évaluation du coût total de la mesure reste à 70 millions d'euros, et non 90 millions. Je confirme également que l'intégralité des recettes iront à la transition écologique des agriculteurs et qu'elles s'accompagneront des mesures fiscales que vous avez portées - je rends à César ce qui appartient à César -, en particulier les exonérations sur les plus-values et la DEP.
Enfin, la question du type de carburant à privilégier sera décidée d'ici à fin 2024. Encore aucune décision n'a été arrêtée dans ce domaine et vos propositions sont de nouveau les bienvenues ; je serai ravi de les reprendre, comme les précédentes.
Madame Primas, le sujet de l'espace est sans conteste stratégique. Notre objectif était de garantir l'accès indépendant de l'Europe à l'espace. Nous avons mené trois mois de négociations trilatérales intenses avec les Allemands et les Italiens. Si je ne me suis pas rendu à Séville, c'est pour des raisons impératives d'emploi du temps. Je pense que nous avons trouvé un bon accord, qui sécurise l'accès indépendant de l'Europe à l'espace, mais qui nous fait aussi entrer dans une nouvelle ère des lanceurs spatiaux européens.
Auparavant, l'argent public était indéfiniment disponible, sans aucune considération pour la rentabilité économique du lanceur. Cette approche était recevable tant que n'existaient pas SpaceX et le Falcon 9. Avec leur arrivée, ce système ne fonctionne plus. Dès lors, nous avons non seulement accepté, mais promu comme les Allemands la compétition sur les lanceurs, avec la création voici seize mois, sur la demande du Président de la République, du programme Maia, pour un futur petit lanceur réutilisable. Il engage effectivement une révolution dans le domaine des lanceurs, puisque nous entrons dans la compétition, au lieu de nous en tenir simplement à la coordination à n'importe quel prix.
Un appel d'offres, appelé challenge ESA, sera lancé en 2025. L'Agence spatiale européenne (ESA) analysera l'état d'avancement des projets allemand, italien et français, pour financer à hauteur de 150 millions d'euros le programme le plus avancé. Que le meilleur gagne... et je souhaite évidemment qu'il s'agisse du lanceur français.
La nouvelle logique dans laquelle nous entrons doit garantir la compétitivité des lanceurs européens. Elle se substitue à une logique institutionnelle trop coûteuse.
L'accord que nous avons conclu avec nos partenaires européens garantit de plus, avec des financements à hauteur de 340 millions d'euros par an, l'avenir d'Ariane 6 pour les dix ans à venir, durée nécessaire avant de disposer d'un futur gros lanceur. Nous avons également obtenu des réductions des tarifs des PME sous-traitantes.
Enfin, l'accord nous a permis de récupérer à Kourou, au bénéfice du lanceur Maia, le pas de tir de Soyouz qui, pour des raisons qui n'échappent à personne, ne peut plus être utilisé par la Russie, ce qui donne un avantage compétitif important à la France.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour toutes ces réponses aux nombreuses questions. Nous retenons que vous êtes dans l'attente des propositions que pourraient formuler les membres de la commission des affaires économiques. Nous espérons vous voir le plus souvent possible dans l'hémicycle dès la semaine prochaine à l'occasion des débats pour le PLF 2024.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 30.
Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Dans le cadre de nos auditions budgétaires, après le ministre de l'économie, nous entendons M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui vient nous présenter le projet de budget de son ministère pour 2024. Nous le remercions de sa venue, alors qu'il arrive à l'instant après un déplacement dans le Nord-Pas-de-Calais, aux côtés du Président de la République.
Monsieur le ministre, la commission des affaires économiques est d'autant plus heureuse, bien sûr, de vous entendre que nous sommes à la veille d'une très riche actualité pour le monde agricole, y compris législative - vous nous donnerez, je l'espère, quelques précisions.
Je dois vous faire part, en préambule, de la circonspection grandissante que je perçois chez plusieurs de mes collègues quant au devenir du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, dont le Gouvernement parle depuis bientôt deux ans, mais qui, de plus en plus, a des allures d'arlésienne.
Un avant-projet d'une vingtaine d'articles a circulé à la rentrée, mais l'on a appris depuis lors que le volet ô combien crucial sur l'eau ne figurerait plus dans le projet, puis l'on a vu une proposition de loi, adoptée au Sénat, sur les groupements fonciers agricoles d'investissement, sujet qui devait être partie intégrante de ce projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.
Pourriez-vous donc nous en dire plus sur le champ et sur le calendrier de ce texte, qu'on annonce maintenant à la rentrée 2024 à l'Assemblée nationale puis au Sénat ? Ne voyez pas dans ma question de l'impatience, mais voyez-y plutôt la très grande motivation de mes collègues de tous bords, dont je me fais ici l'écho, pour traiter de la question du renouvellement des générations en agriculture, si stratégique pour notre ferme France.
Pour en venir à notre sujet du jour, à savoir le budget 2024 de l'agriculture, la presse spécialisée a pointé justement l'absence de mesures spécifiques au projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles et plus généralement au renouvellement des générations, dans le PLF initial, pas suffisamment prêtes semble-t-il pour y figurer.
À l'Assemblée, un amendement du Gouvernement reconduit sous une forme légèrement différente le fonds de garantie « INAF », initiative nationale pour l'agriculture française, visant cette fois-ci jusqu'à 2 milliards d'euros de prêts des banques notamment pour l'installation des jeunes agriculteurs.
J'aurais quelques questions sur ce sujet : comment ce dispositif s'articulera-t-il avec les fonds similaires mis en place dans au moins quatre régions en lien avec le fonds européen d'investissement ? Pourquoi ne pas avoir à nouveau mobilisé le Fonds européen d'investissement alors que l'expérience précédente avait été semble-t-il concluante ? Et êtes-vous bien certain que votre dispositif sera compatible avec le régime général d'exemption sur les aides d'État alors que l'État apporte sa garantie à titre gratuit et pourrait être appelé, dans l'hypothèse d'un défaut massif, à renflouer 25 % du total des prêts, sur 80 % de chaque prêt, soit jusqu'à 400 millions d'euros ?
Pour le reste, la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales est en nette augmentation, de 23 % en crédits de paiement. C'est demain que la commission se prononcera, mais nos collègues rapporteurs ont noté que 22 points sur ces 23 % sont liés aux seuls crédits de la planification écologique. Les informations ont manqué à nos collègues rapporteurs sur l'affectation précise de ces crédits, c'est pour eux un motif d'insatisfaction.
Par ailleurs, plus que jamais, d'autres institutions que votre ministère ont laissé leur empreinte sur ce budget : le Secrétariat général à la planification écologique avec cette enveloppe supplémentaire ; le ministère de l'économie et des finances avec la réduction de l'avantage fiscal sur le gazole non routier négociée directement avec la FNSEA ; le ministère de la transition écologique avec la hausse de la redevance pour pollutions diffuses. C'est le signe que l'agriculture est traversée par des enjeux stratégiques pour notre pays. Nous nous demandons comment dans ce contexte vous parvenez à faire votre place et à faire entendre la voix singulière du ministère de l'agriculture. Certains craignent que la rue de Varenne ne soit progressivement cantonnée à la gestion de crise, en laissant les orientations stratégiques se décider à Matignon, à Bercy ou à l'hôtel de Roquelaure. Si ce ne sont pas des spécialistes du monde agricole qui conçoivent les politiques agricoles, le risque est fort qu'elles ne soient pas adaptées.
Enfin, vous vous doutiez bien, Monsieur le Ministre, qu'en tant que sénatrice des Alpes-Maritimes, je ne vous aurais pas cédé la parole avant d'avoir pu vous interroger sur la prédation. Mon département est le plus prédaté de France depuis 1992, année qui a vu la réapparition du loup sur notre territoire national. Pourriez-vous nous rappeler ce que vous portiez en interministériel dans le cadre de l'élaboration du plan national d'actions loup et activités d'élevages et ce que vous avez obtenu ? Et nous dire quelles sont nos marges de manoeuvre supplémentaires avant que le plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage 2024-2029 ne prenne effet ? Il semble qu'à cette date toutes les possibilités en matière de « prélèvements » ne soient pas utilisées : comment l'expliquez-vous ? Enfin, j'aimerais bien connaître la traduction budgétaire de ce plan loup, puisque je constate qu'il est mentionné dans le dossier de presse de votre ministère sur ce budget. Quelles sont nos marges de manoeuvre, par exemple, en termes d'indemnisations en cas de pertes directes et, j'insiste également, en cas de pertes indirectes ?
Je vous cède maintenant la parole pour répondre sur ce budget 2024 et sur la prédation, Monsieur le Ministre, pour une douzaine de minutes, après quoi mes collègues, à commencer par les trois co-rapporteurs sur le budget, vous poseront leurs questions, chacun en moins de deux minutes, pour un temps de réponse identique si vous en acceptez le principe.
M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Je vous remercie de m'accueillir une nouvelle fois devant votre commission et de me permettre de présenter le budget du ministère pour 2024. Je vais essayer de me tenir aux grandes orientations qui tournent autour de trois axes : la planification, le soutien aux filières, ainsi que la sécurité sanitaire de nos aliments et la santé de nos élevages. Puis je vais tenter de répondre aux questions.
Ce budget donne à notre agriculture les moyens de mener les transitions nécessaires et importantes, qu'elles soient de nature économique, écologique et d'adaptation au dérèglement climatique. Il est nécessaire, y compris pour assumer notre souveraineté, de conserver des moyens de production qui soient en adéquation avec les transitions à effectuer. Je l'ai affirmé à plusieurs reprises, y compris devant votre Commission, une partie de la transition permettra de garantir notre souveraineté.
Force est de constater qu'un certain nombre d'agriculteurs sont parfois en situation d'impasse face aux grands dérèglements climatiques ou économiques. C'est pourquoi, afin de relever ce défi, un montant de 1,3 milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement, seront mobilisés, principalement pour déployer les démarches de planification écologique et de transition. Cela constitue un virage important puisque ce sont près de 4 milliards d'euros sur trois ans que nous allons mobiliser dans cette perspective. Très concrètement, ce plan et cette mobilisation permettront, sans ordre protocolaire d'intérêt, de financer six politiques publiques.
Premièrement, la replantation de 50 000 kilomètres linéaires de haies d'ici 2030, dans le cadre du « Pacte haies » qui démontrera le rôle essentiel et central de nos agriculteurs ainsi que l'intérêt des haies dans la préservation de la biodiversité, la rétention de l'eau, et la lutte contre les inondations.
Deuxièmement, la poursuite du déploiement de la stratégie nationale pour les protéines végétales. Cette reconquête de la souveraineté constitue aussi un élément de diversification des cultures, pour rendre notre agriculture moins dépendante en protéines et en engrais minéraux.
Troisièmement, l'abondement d'un fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions aux fins de valoriser et développer les « reconceptions de systèmes », à l'échelle des filières et des territoires en raison de leurs difficultés face au dérèglement climatique.
Quatrièmement, la mise en oeuvre de la stratégie de réduction des produits phytosanitaires, soit 250 millions d'euros, qui pour la première fois pose une méthode visant à identifier les impasses techniques et à investir dans la recherche et l'innovation. Les observations sur les trajectoires ne sont pas nouvelles. Elles datent généralement du Grenelle de l'environnement. Toutefois, il convient de se donner les moyens de cette trajectoire et d'identifier les impasses afin d'essayer de trouver des solutions et des alternatives.
Cinquièmement, le renouvellement forestier à hauteur de 250 millions d'euros ainsi que le développement du bois-construction pour 200 millions d'euros pour la filière aval. C'est un élément important. Cette trajectoire que nous assumons, renforcera la résilience économique des forestiers. La succession de crises les a, en effet, fragilisés.
Sixièmement, le renforcement de la compétitivité. Je pense aux allégements de fiscalité sur les entreprises agricoles, qui sont également prévus dans ce projet de loi de finances, dans la logique de compensation des dispositions sur le gazole non routier (GNR). Je mentionnerai le relèvement du plafond de micro-bénéfice agricole (micro BA) ou à la provision octroyée à l'élevage bovin pour limiter l'imposition des éleveurs. Je sais que c'est une préoccupation constante de beaucoup d'entre vous, et du rapporteur pour avis, M. Laurent Duplomb, en particulier.
Le financement de ces priorités politiques liées à la planification porte le budget qui vous est présenté, à 7 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 17 % par rapport à 2023 sur le périmètre de mon ministère. Le budget de 2023 était lui-même un budget en forte augmentation, en dépit des reproches émis l'an dernier, y compris par le Sénat, principalement liés à l'assurance récolte. Nous pourrons évaluer dans les jours qui viennent à quel point le dispositif d'assurance récolte est opérant et utile pour un certain nombre d'agriculteurs touchés par les grands épisodes climatiques.
En dehors des crédits de la planification écologique, ce budget nous permet également de disposer de moyens pour soutenir les filières. Ici encore, sans entrer dans le détail, je voudrais citer trois éléments en ce sens.
Le déploiement de la réforme de l'assurance récolte qui se poursuit avec l'accroissement significatif du nombre d'assurés qui en atteste, y compris en prairies, malgré les craintes exprimées l'an dernier. Le système assurantiel est l'un des outils de gestion du risque dont l'importance pour protéger le revenu agricole, va être croissante. Ce budget le permettra.
Le soutien à l'agriculture biologique au-delà des fonds de crise et d'urgence qui sont déployés, avec 10 millions d'euros supplémentaires qui permettront de porter le montant du Fonds avenir bio à 18 millions d'euros et de financer des actions de communication pour relancer la consommation. En effet, nous sommes confrontés à une crise immédiate ainsi qu'à un problème de relance de la consommation. Ces crédits viendront donc compléter le plan que j'ai annoncé cette année, avec à la fois les montants de 60 millions d'euros et de 10 millions d'euros d'aides face à la crise, complétés par le soutien à la filière via la poursuite des objectifs d'Egalim, dans le cadre de la commande publique de l'État.
Le soutien à notre politique forestière qui répond à une attente forte. Au-delà de ce que j'ai dit sur le renouvellement forestier et la filière aval, comme je m'y étais engagé, les effectifs de l'Office national des forêts (ONF) sont préservés pour la deuxième année consécutive. Des moyens supplémentaires sont prévus pour la création de la nouvelle mission d'intérêt général relative à l'adaptation au changement climatique et à la défense de la forêt contre l'incendie. J'ajoute que les débats à l'Assemblée nationale ont permis deux avancées : l'augmentation du budget dédié à la défense des forêts contre les incendies ainsi que l'augmentation des effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), établissement public qui gère les forêts privées afin de porter la hausse initiale de 5équivalents temps plein (ETP) à 16 ETP. Cette augmentation vise à permettre à l'établissement d'assumer les nouvelles missions qui sont les siennes, conférées notamment par la loi dite incendies du 10 juillet 2023. Avec l'abaissement du seuil obligatoire de plan simple de gestion, de nouvelles surfaces seront concernées.
L'ensemble de ces mesures viennent conforter le soutien apporté à nos agriculteurs avec les aides de la Politique agricole commune (PAC) dont le calendrier de versement a été respecté, je le souligne. Elles viennent également prolonger le soutien de l'État aux côtés de nos filières, face aux crises qu'elles ont connues. Ce n'est pas dans le budget mais je tiens à signaler que le projet de loi de finances de fin de gestion qui vient d'être présenté, prévoit 825 millions d'euros d'ouverture de crédits pour financer ces mesures d'aides notamment en matière de distillation, d'arrachage, de vaccination contre l'influenza aviaire, de bio ou des fonds d'urgence qui ont été déployés pour faire face aux différentes situations de crise que nous connaissons.
Après avoir évoqué la planification et le soutien aux filières, je souhaite aborder le troisième axe de ce budget, la sécurité sanitaire de nos aliments et la santé de nos élevages. Nous y consacrerons 650 millions d'euros cette année, soit une augmentation des crédits de 100 millions d'euros par rapport à 2023. Je voudrais citer deux priorités : la fin du déploiement de la police unique en charge de la sécurité sanitaire des aliments et l'engagement de l'État dans le cadre de la campagne de vaccination contre l'influenza aviaire, qui a débuté et sur laquelle nous avons strictement respecté les délais.
J'achèverai mon propos en évoquant deux ou trois sujets sur lesquels vous m'avez interrogé, Madame la Présidente, lors de votre propos liminaire. Le premier porte sur le plan national d'actions sur le pastoralisme et le loup qui entrera en vigueur 2024. En dépit de certains reproches de part et d'autre, selon lesquels il irait trop loin ou pas assez, ce plan est équilibré et comporte de nombreuses avancées, plutôt portées par le ministère de l'agriculture.
D'abord, la reconnaissance de la non-protégeabilité d'un certain nombre de troupeaux. C'est notamment le cas de certains fronts de colonisation en Bourgogne-Franche-Comté vers le Massif central avec des modes d'élevage qui ne sont pas protégeables. On ne peut pas demander à des éleveurs de protéger ces troupeaux. En conséquence, cela les exonère d'un certain nombre de mesures de protection qu'ils ne peuvent pas mettre en oeuvre. Cela concerne principalement des élevages bovins, des élevages équins.
Ensuite, l'abondement à hauteur de 2,5 millions d'euros sur 5 ans pour la recherche en matière de solutions innovantes de protection des troupeaux. Les solutions classiques sont connues, telles que les chiens de protection, les clôtures et les bergers. Il existe peut-être d'autres solutions. Il ne faut pas renoncer à les identifier.
Troisième point, l'accélération de la délivrance des autorisations de tir, en cas d'attaque, constitue une demande récurrente. Je m'y suis attelé en tant que ministre de l'agriculture, de façon frontale, même si le loup ne relève pas du périmètre de mon ministère, car l'élevage, lui, est bien de mon ressort.
De même, une simplification des protocoles de tir est prévue, avec le passage de deux, voire à trois tireurs.
Cinquième point, la capacité donnée aux éleveurs qui le souhaiteront d'accéder au statut de louvetier leur permettra de bénéficier de conditions de tirs simplifiées.
Concernant la prise en compte des dommages indirects, les avortements ou les pertes génétiques. Madame la Présidente, vous me demandez une enveloppe, mais je dois dire que cette enveloppe n'est pas fermée. Ces indemnisations se poursuivent tant que les besoins existent. Il n'y a pas de plafond. Le montant estimé est de 5 à 6 millions d'euros pris sur le budget du ministère de la transition écologique. C'est plutôt 40 millions d'euros sur les mesures de protection, pris, je le précise sur le budget de la PAC ; il y a donc un enjeu pour mon ministère à limiter le coût de ces mesures, qui est important.
Enfin, deux éléments complémentaires doivent être précisés, en termes de stratégie de prélèvement.
Le premier est que 209 loups doivent être prélevés cette année, compte tenu de l'augmentation de la population constatée. Alors que nous avions tendance à prélever un douzième par mois, il me semble plus efficient de prélever au moment des attaques, peu importe que ce soit tôt ou tard en saison. Il n'est pas pertinent de prélever quatre douzièmes les quatre derniers mois de l'année, lorsque les attaques sont moins nombreuses. Le nombre de loups prélevés aujourd'hui s'établit à 175. Je ne ménage pas mes efforts pour que nous atteignions l'effectif prévu, et je suis très attentif à l'attention des préfets, si vous me le permettez. Je vous rappelle que l'an dernier nous aurions dû en prélever 209 puisque le comptage final nous a montré qu'il y en avait plus que ce que nous pensions initialement.
Deuxième point, et c'est peut-être le plus important à terme : pour la première fois, nous avons ouvert la question du statut de l'espèce, ce qui était considéré comme une boîte de Pandore pour certains. Si l'espèce est à un niveau génétique et démographique satisfaisant, il convient de se poser la question de son statut. Je le dis tranquillement, très pacifiquement. C'est une question de bon sens. En outre, pour la première fois également, aucun objectif de population n'a été fixé dans ce plan loup, ce qui n'était pas le cas des quatre ou cinq plans loup précédents.
Vous avez évoqué le Pacte et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOAA), sur le sujet renouvellement des générations. L'annonce définitive a en réalité été faite par le président de la République à Terres de Jim, pas il y a deux ans. Nous avons réalisé un travail de concertation de qualité sur le terrain afin de recueillir les différents besoins. Notre horizon législatif est le premier trimestre 2024, ce qui n'empêche pas de déployer d'ores et déjà, un certain nombre d'éléments du Pacte, dont certains figurent dans le budget qui vous est présenté, tels que les avancées sur la diversification de l'autonomie protéique, le fonds Entrepreneurs du vivant. Ce sont autant d'éléments du Pacte, indépendants de la loi.
S'agissant du PLOAA, vous évoquez deux sujets, l'eau et le foncier. Sur le premier point, les éléments ne sont pas encore tranchés. Quant au sujet foncier, on ne peut évidemment pas poser la question du renouvellement des générations sans aborder celle du foncier. Je rappelle que la proposition de loi sur les groupements fonciers agricoles (GFA) est une initiative sénatoriale, ce qui n'interdit pas au Gouvernement de s'en saisir d'une façon ou d'une autre. La question foncière est importante, non pas pour réinventer le sujet car je n'ai jamais dit que cette loi serait une loi foncière. Ce n'en est d'ailleurs pas l'objet parce des lois ont déjà été votées en ce domaine, dont une récemment.
Nous présenterons le Pacte dans les semaines à venir. Sa portée est très concrète car il est constitué de moyens budgétaires, d'éléments réglementaires, y compris sur la question de l'eau ainsi que des éléments de stratégie de planification territoriale qui permettront de prévoir des mesures concrètes au-delà de la loi. Pour avoir été ministre des relations avec le Parlement, je n'ai pas changé d'avis sur l'idée qu'il faut recourir au meilleur véhicule normatif, que ce soit la loi, si elle est nécessaire ou, en cas contraire, une autre voie.
D'autres éléments figurent également en dehors de la mission, que ce soit le fonds garantie évoqué plus tôt ou plusieurs mesures dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), sans oublier l'augmentation des moyens du compte d'affectation spécial développement agricole et rural (Casdar) ainsi que le renforcement du crédit d'impôt pour les dépenses liées au service de remplacement qui est mis en oeuvre dès cette année, car particulièrement attendu dans le secteur de l'élevage, eu égard à ses rudes conditions de travail.
En ce qui concerne le lieu d'élaboration de la politique agricole, c'est bien rue de Varenne. En outre, vous reconnaîtrez que le budget qui a le plus augmenté, c'est le budget agricole. S'agissant de la question de l'eau, c'est une bataille de tous les jours que nous menons afin de déployer les projets de territoire ou encore d'avancer sur telle ou telle retenue de substitution, telle qu'elle a été prévue. Affirmer qu'il n'existe pas de vents contraires serait inexact, mais je défends pied à pied l'agriculture pour chaque décision. Si 90 % des augmentations de crédits sont consacrées à la planification écologique, il n'empêche que c'est dans l'intérêt des agriculteurs. J'observe aujourd'hui trop d'agriculteurs en situation d'impasse économique et climatique pour ne pas assumer ma responsabilité de traiter des sujets environnementaux afin de les engager dans la transition écologique, avec une volonté de trouver un équilibre économique, sinon, cela ne sert à rien. Nous parlons d'une transition écologique pertinente du point de vue économique.
Quant à la question de la planification sur les sujets phytosanitaires, il n'y a pas de solution facile, il faut se mettre autour de la table afin d'examiner les impasses, les alternatives, et les moyens dont ont besoin les agriculteurs. Je constate que la transition écologique a provoqué un regain d'intérêt pour l'agriculture, dont on peut se féliciter. En effet, la souveraineté et la décarbonation passeront par l'agriculture, ignorée pendant des années. C'est pourquoi nous devons encourager les agriculteurs dans cette voie.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie Monsieur le Ministre. Je vais laisser la parole à nos trois rapporteurs pour avis, Messieurs Laurent Duplomb, Franck Menonville et Jean Claude Tissot, puis au rapporteur spécial de la commission des finances, Monsieur Christian Klinger.
M. Laurent Duplomb. - Madame la Présidente, Monsieur le Ministre, je vous entends parler d'impasses liées aux évolutions climatiques. Il ne faut pas passer sous silence celles qu'on s'est proprement imposées par la surtransposition de certaines normes qui aujourd'hui ont malheureusement plus de conséquences que les évolutions climatiques.
Je souhaiterais aborder, Monsieur le Ministre, la planification écologique prévue à hauteur de 1,3 milliard d'euros. Notre exercice de rapporteur est particulièrement complexe car nous devons rapporter sur tel un budget sur la base d'une dizaine de lignes explicatives. Ce montant de 1,3 milliard d'euros à l'échelle de la France n'est pas négligeable. Il me semble qu'il aurait été intéressant de disposer d'informations sur les objectifs, les moyens, les attentes et les unités de mesure afin de procéder à une évaluation. Cet exercice budgétaire est donc un peu difficile pour nous, compte tenu de la forte progression du budget.
Revenant sur la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, je me félicite de voir que, finalement, les propositions qui ont été retenues sont celles que nous avions écrites dans notre proposition de loi (PPL) pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, que ce soit le relèvement du seuil de l'exonération des plus-values, l'évolution du micro-BA, ou celle de la déduction pour épargne de précaution. C'est exactement ce que nous avions préconisé dans la PPL. Je m'en félicite donc. Il n'en reste pas moins vrai, comme vous le savez, que cela ne s'appliquera pas de façon linéaire sur les agriculteurs. Ceux qui vont subir une baisse de l'exonération ne vont pas bénéficier obligatoirement de la compensation par l'exonération fiscale de ces trois mesures. Il faudra donc veiller à ce que les agriculteurs ne soient pas lésés.
Concernant l'augmentation de la redevance pour pollutions diffuses payée par les agriculteurs, sans vouloir remettre en cause son principe, il me semble qu'on ne peut pas accepter aujourd'hui, de façon arbitraire, une augmentation de 20 % de cette redevance. Le montant qui est versé par les agriculteurs aujourd'hui s'élève à 180 millions d'euros. En comptant l'augmentation de 37 millions d'euros, celui-ci s'établirait à 217 millions d'euros. Cette redevance doit conduire à améliorer le travail des agriculteurs dans la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Or, hormis 71 millions d'euros affectés au plan Ecophyto, nous constatons que le produit de cette redevance n'est pas entièrement utilisé pour la réduction des produits phytosanitaires.
Quant à l'utilisation des fonds du plan Ecophyto, nous n'en connaissons pas véritablement les résultats concrets, à l'exception de la diminution de 25 % du volume des produits phytosanitaires, les faisant passer de 54 000 tonnes à 42 000 tonnes. Une démarche qui donne de bons résultats également est celle des fermes Dephy. Il me semble qu'aujourd'hui, après quinze ans d'Ecophyto, il faut changer de braquet et pour ce faire, il convient de cesser d'utiliser ces fonds pour financer, les agences de l'eau sur des politiques en partie différentes de celle de la réduction de l'usage des produits phytosanitaires. La solution pour réduire l'utilisation des produits phytosanitaires et atteindre cet objectif de 50 % réside dans la valorisation, la vulgarisation et la massification des progrès réalisés dans les fermes Dephy.
Nous ne parviendrons pas une diminution du volume des produits phytosanitaires avec des principes dépassés. Nous disposons aujourd'hui d'intelligence embarquée, de nouvelles capacités de résolution des problèmes avec notamment du matériel qui pourrait permettre de diminuer de 80 % à 90 % le volume de produits phytosanitaires utilisé dans certaines cultures. Il convient, avec ce plan de 1,3 milliard d'euros, de massifier les progrès acquis dans les fermes Dephy sur les dix dernières années, et de faire connaître les alternatives qui ont émergé. Je ne suis pas favorable à l'utilisation de produits phytosanitaires s'il existe une alternative technique, mécanique ou autre. Toutefois, la seule solution ne peut pas consister à interdire les molécules. Il faut commencer par diminuer le volume des produits utilisés, en espérant trouver des alternatives qui permettront peut-être, par la suite, d'interdire la molécule. Procéder de manière inverse serait de nature dogmatique.
Monsieur le Ministre, pourrions-nous prendre du recul pour examiner comment réorganiser les financements et les politiques liées à la réduction des produits phytosanitaires afin de disposer des moyens permettant d'atteindre les objectifs fixés, sans stigmatiser les agriculteurs, mais en travaillant ensemble, en les accompagnant, parce qu'ils sont tous favorables, pour des raisons économiques, à la réduction des produits phytosanitaires ?
M. Franck Menonville. - Monsieur le Ministre, s'agissant de la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, nous avons eu l'impression d'un flottement, avec un montant annuel annoncé initialement de 70 millions d'euros, et finalement révisé à 90 millions d'euros. Pouvez-vous expliquer cet écart et nous rassurer, en prenant l'engagement que des ajustements seront effectués si le constat s'éloigne des prévisions, afin de compenser équitablement nos agriculteurs, en loi de finances rectificative.
Par ailleurs, un passage rapide au biocarburant B100 vous paraît-il réaliste ? Ne faudrait-il pas privilégier dans un premier temps par réalisme un carburant intermédiaire comme le B30 ?
En ce qui concerne les problématiques liées à la forêt, force est de reconnaître que le Gouvernement a pris la mesure de l'enjeu d'un inventaire forestier en outre-mer, car il en finance la préfiguration avec 6 millions d'euros parmi les 15 millions d'euros de la planification écologique dédiés à la forêt en outre-mer. Il était temps : rappelons que cette mesure a été votée dès 2014 dans la loi d'Avenir, et re-précisée dans la loi Climat et résilience par le Sénat en 2021. Toutefois, quatre ou cinq années seront nécessaires pour réaliser un tel inventaire forestier, selon l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'ONF qui en seront les maîtres d'oeuvre. Or, aucun des 24 ETP associés à ce projet ne figure dans ce budget. Nous craignons que cela reporte cet inventaire à 2030. Pourquoi ne pas accélérer sur cet outil dont nous avons un besoin crucial au plus vite, surtout quand on sait que la forêt guyanaise, pourtant deux fois plus réduite, stocke autant de carbone à elle seule que la forêt hexagonale ?
En ce qui concerne le renouvellement forestier, ce budget en maintient les moyens et les accentue dans le temps. Le renouvellement forestier est un enjeu qui doit s'inscrire dans le temps long, et c'est l'objet de ce budget avec également le maintien des effectifs de l'ONF pour la deuxième année consécutive, avec toutefois le bémol que constitue l'enjeu de redéploiement de ses moyens pour assurer ses nouvelles missions. Il convient d'être vigilant afin que ce redéploiement ne s'effectue pas au détriment des territoires.
M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le Ministre, de manière globale, une fois n'est pas coutume, nous pouvons collectivement nous satisfaire de l'augmentation des crédits accordés à cette mission budgétaire. Néanmoins, il est de notre devoir de législateur de rappeler que cette augmentation est un peu en trompe-l'oeil avec des engagements qui seront ventilés sur plusieurs années.
Pour ma part, je me suis intéressé à la question du fonds Entrepreneur du vivant annoncé il y a près d'un an par le Président de la République, censé être doté de 400 millions d'euros, dans le but de « porter dans les premières années le foncier pour permettre de lisser la charge pendant plusieurs années et d'aider à mener les transformations indispensables pour que la reprise soit aussi un moment d'accélération ».
Plus d'un an après, ce fonds reste nimbé de mystère et apparaît surtout comme un conglomérat de mesures disparates. Nous nous interrogeons en particulier sur le montant de 400 millions d'euros, qui ne nous a jamais été expliqué, ni détaillé, ainsi que sur le rattachement de ce fonds d'investissement dans le foncier à France 2030, censé pourtant financer l'innovation de rupture. L'imputation de ce fonds à France 2030 nous laisse craindre une sous-consommation, puisque seulement 17 % des crédits agricoles, alimentaires et forestiers de France 2030 ont été engagés à ce stade, en raison de sa forte sélectivité et de la complexité des règles d'attribution.
Plus inquiétant encore, en l'absence d'une offre suffisamment mature de fonds de portage du foncier, il sera en réalité difficile de consacrer plus de 60 millions d'euros, soit environ 15 % du fonds Entrepreneurs du vivant, à ce sujet, alors que les besoins en portage du foncier et des capitaux sont considérables. 12 millions d'euros par an pendant 5 ans, c'est moins que ce que la Banque des territoires y consacre chaque année.
Confirmez-vous cet ordre de grandeur de 15 % ? De manière concrète, à quoi serviront les 340 millions restants ? Pouvez-vous nous en donner quelques orientations et nous en préciser le calendrier ? Pour ma part, je considère que ce fonds doit être bâti et conçu pour accompagner le monde agricole dans la transition écologique avec un juste équilibre entre conditionnalité et efficacité.
Enfin, Monsieur le Ministre, je souhaiterais vous interroger sur les crédits accordés aux mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), qui apparaissaient particulièrement sous-financées alors que la France est l'État membre de l'Union européenne qui alloue la plus faible part du second pilier aux MAEC, soit 22 %. Ce sous-financement met en grande difficulté les agriculteurs qui ont pris des engagements vertueux tandis que les régions sont contraintes de refuser des dossiers pourtant éligibles. Monsieur le Ministre, comptez-vous renforcer significativement les moyens alloués aux MAEC ?
Je souhaiterais vous livrer un dernier propos, hors loi de finances, sur la tempête subie récemment par nos concitoyens et nos agriculteurs. Je sais que vous êtes allé sur place, Monsieur le Ministre. Il nous faudrait une aide d'urgence, en dérogeant aux règles relatives aux aides d'État, afin de faire face à la situation très difficile que vivent nos collègues éleveurs et, plus encore, maraîchers. Une prise en charge des cotisations de la Mutualité sociale agricole (MSA) est nécessaire ainsi qu'un accès au chômage partiel car les exploitations maraîchères de ces territoires emploient beaucoup de personnes.
M. Christian Klinger. - J'ai deux questions dont une a déjà reçu une réponse partielle. Un certain nombre de mesures du projet de Pacte et d'orientation agricole en discussion, se retrouvent dans le projet de loi de finances. Quelles sont-elles ? Vous les avez en partie mentionnées. A contrario, quels sont les points demeurant en discussion, qui ne figurent pas dans le projet de loi de finances et qui nécessiteraient peut-être l'adoption d'un projet de loi de finances rectificatif ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Votre dernière question me prend au dépourvu. Le projet de loi de finances contient les crédits habituels du ministère de l'agriculture et les trajectoires qui ont été fixées. On y trouve également l'assurance récolte. Ce que nous ignorons, en revanche, ce sont les aléas et les crises. À titre d'illustration, personne ne l'a encore évoqué mais nous sommes particulièrement vigilants sur la crise de la maladie hémorragique épizootique (MHE), en tant que nouvelle crise sanitaire qui peut avoir des effets de déstructuration économique très puissants. Il y a ce que l'on sait aujourd'hui et malheureusement ce que l'on ignore. Nous avons été très réactifs à l'égard des effets de cette crise puisque les marchés espagnols et italiens ont été rouverts à l'importation des jeunes bovins français en seulement 10 jours, un défi qui semblait quasiment impossible. La réglementation nous interdisait totalement d'exporter ces jeunes bovins, ce qui aurait pu nous entraîner dans une chute des cours qui aurait été absolument dramatique. Sur les questions sanitaires, la pression devrait toutefois baisser compte tenu de l'arrivée de l'automne et l'hiver. En revanche, il faudra se préparer dans la perspective du printemps. Un travail européen devra être effectué pour déréglementer sur certains aspects de cette maladie. Une autre question se pose, celle de l'indemnisation, autant de points sur lesquels je n'ai pas d'éléments à vous donner aujourd'hui.
Monsieur le sénateur Laurent Duplomb, vous avez raison. Il convient de regarder ce que nous avons produit collectivement comme normes ou surrèglementation depuis 15 ou 20 ans. Chaque fois qu'on me demande d'ajouter une norme, je réponds : « Europe ou rien ». L'enjeu est d'élaborer des règles ensemble. On ne peut aller voir les 26 États membres et imposer des clauses miroir au reste du monde à partir de normes qui n'existent qu'en France.
S'agissant de la réduction de l'avantage fiscal sur le GNR, vous avez raison. Vous l'aviez évoqué dans la proposition de loi que nous avions débattue ici au Sénat. Il convient de travailler ensemble, sous l'oeil des rapporteurs. Premièrement, je pense que le coût de cette réforme fiscale pour les agriculteurs sera de l'ordre de 70 à 80 millions d'euros mais, par sécurité, nous avons calibré les compensations pour qu'elles atteignent 80 millions d'euros, même si le coût de la réforme serait plus proche de 70 que de 80 millions d'euros a priori. Deuxièmement, je suis d'accord avec vous et je l'avais d'ailleurs indiqué aux équipes du ministère de l'économie et des finances, sur le fait qu'il convient de s'assurer que cela bénéficie à tous ceux qui verront leur avantage fiscal réduit. Or, en particulier pour le secteur de l'élevage, il y a encore, sinon des trous dans la raquette, au moins des questions qui se posent. Nous continuons à travailler avec les équipes de Bercy afin d'identifier les possibles ajustements des trois mesures fiscales de compensation, permettant de mieux intégrer certains secteurs qui pourraient être plus pénalisés que d'autres par cette baisse de l'avantage fiscal. La compensation ne sera jamais à l'euro près, mais nous devons nous assurer de ce que le risque de déséquilibres excessifs, identifié notamment dans l'élevage et les grandes cultures, ou d'un territoire à l'autre, soit aussi limité que possible.
Vous avez également évoqué la redevance pour pollutions diffuses. J'évoquerai le grand paquet fiscalité de l'eau. Tout d'abord, un montant de 145 millions d'euros sur les 400 millions d'euros du plan eau seront destinés à l'agriculture. Cela signifie que des moyens supplémentaires sont alloués, en net, pour les problèmes de l'eau en agriculture, pour la question des produits phytosanitaires, de la sobriété, des équipements et des ouvrages. Il est également primordial que les crédits prélevés sur l'agriculture soient consacrés à des projets agricoles, vous avez raison de le dire. J'ai engagé un dialogue en ce sens avec le ministère de la transition écologique ainsi qu'avec les agences de l'eau. Je les ai réunis la semaine dernière afin de leur rappeler que ces moyens doivent être consacrés aux agriculteurs pour les aider à réaliser les trajectoires prévues. Cette vigilance quant au déploiement des crédits en faveur de l'agriculture doit aussi associer la profession agricole et les parlementaires afin de parvenir à l'objectif assigné. J'ajouterai qu'une partie des crédits fléchés dans le plan eau sont dédiés au ministère de l'agriculture, j'y ai veillé personnellement pour les raisons que je viens d'évoquer car, sans mauvais jeu de mots, il faudrait parfois faire du génie rural pour savoir où sont partis les crédits mis dans la tuyauterie. Ces fonds viendront revaloriser les MAEC. Par ailleurs, le nouveau fonds hydraulique relève du ministère de l'agriculture. À cette fin, nous avons dialogué avec les comités de bassin et les agences de l'eau afin de nous assurer de la conformité de leurs mesures aux trajectoires en matière d'utilisation des phytosanitaires et de sobriété des usages, pour éviter ainsi une incompréhension du monde agricole, dans laquelle nous sommes déjà pour être honnête, face aux prélèvements qui ne bénéficieraient pas à l'agriculture.
Vous avez demandé à accélérer le traitement de la problématique des produits phytosanitaires. N'ayant pris mon poste que depuis 18 mois, j'ai remarqué qu'un grand nombre de déclarations avaient été effectuées depuis le Grenelle de l'environnement sans y mettre les moyens ni en définir la stratégie. C'est pourquoi nous sommes en train d'examiner filière par filière, usage par usage, la situation juridique des molécules ainsi que les risques de retrait qui pèsent sur elles. Pour répondre à la crainte du milieu agricole que nous identifiions les molécules en vue de les interdire, je précise que tel n'est pas notre objectif. Seulement, nous savons qu'il existe un processus de réhomologation européen avec des évaluations qui emportent le risque d'une interdiction. Nous étudions donc les usages par filière pour identifier les éventuelles impasses.
Nous continuerons à déployer ce qui a déjà été mis en oeuvre pour la betterave afin de parvenir à des solutions, qui viendront principalement sans doute des semences mais peut-être également des pratiques. De même, des moyens seront alloués à la culture de la cerise, pour laquelle il est désespérant que, depuis 10 ans, nous soyons dans une impasse. Nous devons mettre en place un Plan national de recherche et innovation (PNRI), face à ces impasses techniques redoutables qui mettent en péril la pérennité de la production.
M. Laurent Duplomb. - Et sur la lentille verte du Puy !
M. Marc Fesneau, ministre. - Je ne l'avais pas tout à fait dans le scope, mais je suis prêt à en parler avec vous. Il y a aussi les endives et, chaque jour, une nouvelle culture. Il n'y a parfois pas besoin d'énormes moyens pour ce que l'on appelle les usages mineurs, qui ne sont évidemment pas mineurs pour les agriculteurs concernés.
Autre élément important, les 250 millions d'euros consacrés au dossier des produits phytosanitaires bénéficieront à la recherche, mais aussi aux équipements. Je suis entièrement d'accord avec vous sur le fait que plutôt que de dire de façon binaire que c'est soit interdit, soit autorisé, nous sommes capables pour un certain nombre de produits avec du matériel sophistiqué pour le traitement des cultures, par exemple des buses anti-dérive, de réduire les doses, parfois de 50 % à 70 %. Je porte l'espoir que les moyens ainsi dédiés vont mettre tout le monde au pied du mur et permettre une prise de conscience générale pour s'engager dans la réduction de l'usage de ces produits.
Monsieur le sénateur Menonville, j'ai répondu sur le chiffrage qui était avancé pour le GNR. Quant à l'inventaire forestier, j'essaierai de vous répondre en séance sur les moyens humains nécessaires. Nous sommes en train de l'affiner et y travaillons avec le ministère des outre-mer. Il est vrai que cela prendra quatre à cinq ans, et j'aurais préféré que cela fût fait il y a quinze ans. En réponse à votre question sur le renouvellement forestier, sachez que je suis de ceux qui regrettent la fin du Fonds forestier national (FFN) en 1999, qui fut une erreur tragique, remettant en cause la viabilité des filières de pépiniéristes ainsi que la dynamique de renouvellement forestier. Cela a duré vingt ans et cela a été vingt ans d'inertie forestière, alors que pendant ce temps, le dérèglement climatique faisait son oeuvre. La trajectoire que je vous expose est une trajectoire pluriannuelle mais elle risque de buter sur les graines et plants. Il est nécessaire de développer les pépinières publiques et privées, des graines publiques et privées, compte tenu de l'appauvrissement de la ressource avec le dérèglement climatique. La main-d'oeuvre en forêt, notamment au niveau des entreprises de travaux forestiers, est également un verrou.
En outre, je tiens à préciser que la trajectoire de 1,3 milliard d'euros, d'une part représente près de 4 milliards d'euros sur trois ans, et d'autre part, ne comprend que des crédits supplémentaires. C'est du net budgétaire, sans recyclage. En effet, ces crédits sont nécessaires pour la transition écologique ainsi que pour crédibiliser notre démarche vis-à-vis des agriculteurs. Je ne veux pas leur demander des efforts sans leur donner de moyens supplémentaires. C'est tout à fait délié d'autres dispositifs. Je pense au 400 millions d'euros du fonds Entrepreneurs du vivant qui, vous l'avez dit, relève de France 2030. Le fonds qui n'est pas encore à l'oeuvre va maintenant se déployer avec, en particulier, un certain nombre d'établissements publics fonciers, notamment les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Ce sera 100 millions d'euros la première année. Je reconnais volontiers que nous avons besoin d'affiner le dispositif, car il est assez complexe. Des éléments vous seront donnés avec la présentation du Pacte.
S'agissant des MAEC, les moyens budgétaires de l'État sont supérieurs de 5 millions d'euros par rapport à la période précédente. Les enveloppes n'ont donc pas été réduites. La nouveauté est la forte demande supplémentaire. En outre, je tiens à insister sur le fait qu'elles ne répondent pas à une logique de guichet, où l'on s'arrête seulement quand il n'y a plus de dossier. Nous avons demandé aux régions d'élaborer des critères et, sans faire de griefs à quiconque, il faut aussi que chacun effectue un peu de régulation budgétaire. L'État est au rendez-vous financièrement et, dans les régions Centre-Val de Loire et Pays de la Loire, par exemple, il n'y a pas de problème d'enveloppe.
Par ailleurs, des moyens budgétaires de l'ordre de 70 millions d'euros étaient prévus par les agences de l'eau. Je ne les ai pas sur la table mais nous sommes en train de valider cette enveloppe, et cela va commencer à répondre à la demande. Nous verrons également si des redéploiements sont possibles. Un montant de 50 millions d'euros est aussi prévu pour les MAEC dans le plan eau. Cela fait donc une centaine de millions d'euros pour répondre à un certain nombre de besoins mais je répète que ce n'est pas un guichet ouvert sans limites. Je suis convaincu de l'intérêt des MAEC dans l'accompagnement de la transition, ayant bien connu ce dispositif dans d'autres fonctions. Toutefois, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, si vous me permettez cette expression.
Nous devons cependant dire aux agriculteurs qu'ils ne se sont pas engagés en vain, à l'heure où l'instruction des dossiers se poursuit : il y a ceux qui ont renseigné des intentions, au mois d'avril et de mai, dans la déclaration PAC, et nous allons vérifier si ces intentions se sont concrétisées, ce qui nous permettra peut-être d'ajuster les moyens budgétaires. Enfin, les enveloppes peuvent être un peu fongibles à l'intérieur des piliers de la PAC en cas de sous-consommation des crédits, et nous regarderont s'il y a un moyen d'introduire une telle fongibilité.
Le sujet de l'indemnisation des pertes dues aux tempêtes est complexe. Il faut distinguer les pertes de fonds et les pertes de récolte. Le système assurantiel, adopté ici au Sénat, couvre l'assuré pour les pertes de récolte, moyennant une franchise de 20 %. Mais la question se pose, pour ce que l'on appelle le troisième étage, l'Indemnité de solidarité nationale (ISN), de son déclenchement. En effet, certaines cultures telles que les fraises donnent lieu à plusieurs récoltes dans l'année : en Bretagne, les maraîchers avaient fini de produire les fraises et, de ce fait, risquent de ne pas atteindre le seuil de 50 % de pertes de récolte le déclenchement de ce dernier étage, quand bien même ils subiront sans doute une perte de récolte pour l'année qui vient. C'est pourquoi un fonds d'urgence sera mis en place ; il ne pourra pas déroger aux règles relatives aux aides d'État et devra donc être inclus dans les seuils de minimis, car il s'agit là de trésorerie.
Par ailleurs, ces mêmes producteurs de fraises ont pu voir leurs serres en verre détruites. Elles sont normalement assurées dans le cadre d'un système d'assurance classique mais, dès lors qu'une franchise s'applique et, qu'en dix ou quinze ans il y a un taux d'usure, ces producteurs seront rapidement plafonnés. Nous travaillons donc avec les régions sur la création d'un fonds d'aide à l'investissement, qui sera affranchi des règles européennes relatives aux aides d'État, nous permettant d'envisager un taux de subvention jusqu'à 65 %, en additionnant les aides du Feader, de l'État et des régions. Pour résumer, le fonds d'urgence pour la trésorerie, sur la partie perte de récolte, entre dans le cadre des aides de minimis, tandis que les subventions pour l'équipement du fonds d'investissement, qui vont concerner un grand nombre d'agriculteurs, n'y entrent pas.
Le Président de la République a annoncé ce midi qu'un montant de 80 millions d'euros cumulés sur le fonds d'urgence et le fonds d'investissement serait consacré à indemniser les victimes des deux tempêtes et les inondations, sachant que des cofinancements du Feader sont possibles jusqu'à 65 %. La question qui se pose dès lors est de mettre en oeuvre ces dispositifs rapidement ; c'est une course contre la montre. Si tout pouvait être documenté et déclaré aujourd'hui, le paiement pourrait intervenir dès fin décembre voire début janvier. Toutefois, les problèmes auxquels nous faisons face sont complexes et couvrent un large spectre de situations. À titre d'illustration, l'ensemble des dommages causés par les inondations ne seront connus qu'au moment de la décrue. Les producteurs de fraises à Plougastel, qui doivent remettre en culture au 15 décembre, devront, eux, obtenir préalablement l'autorisation de réinvestir pour rebâtir leur serre, avant de toucher les indemnisations du fonds d'investissement. La situation de ceux qui n'ont pas perdu de récolte mais qui ne pourront pas mettre en culture pendant six mois ne doit pas être oubliée. La situation en Bretagne est complexe car la tempête a causé des pertes immenses qui ne sont pas toujours couvertes par les assureurs. Ce n'est pas le cas, par exemple, des petites serres, de moins de 80 centimètres. C'est pourquoi c'est prioritairement une aide à l'investissement qui y sera mise en oeuvre. Dans le cas des inondations dans les Hauts-de-France, le mécanisme est bien connu, c'est celui des régimes d'indemnisation des catastrophes naturelles (dit Cat nat) et des calamités agricoles. La question qui se pose est celle de la date du déblocage des fonds et donc de la remise en culture.
J'ajoute un dernier élément, en m'adressant au sénateur Pierre Cuypers, qui connaît parfaitement ce problème, nous allons bien évidemment activer l'ensemble des mécanismes qui sont liés à la dérogation sur les obligations de cultures intermédiaires et de rotation. Nous faisons face à un cas de force majeure, ne permettant pas d'entrer dans les champs pour la mise en oeuvre de certaines des obligations de la PAC. Cela relève de l'action des préfets.
M. Jean-Marc Boyer. - Un sujet inquiète très sérieusement les maires des communes rurales, le « zéro artificialisation nette » (ZAN). Malgré un recours au Conseil d'État par l'Association des maires de France (AMF) et un travail très important effectué par le Sénat qui a introduit en particulier une garantie rurale d'un hectare par commune, le ZAN est l'exemple même d'une décision verticale imposée par la volonté d'une convention citoyenne, au détriment de la concertation en amont avec les principaux acteurs concernés, les agriculteurs, les ruraux, les conseils régionaux et d'autres. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), principal syndicat agricole, est opposée à l'application du ZAN sans territorialisation et sans différenciation. À titre personnel, il me semble essentiel de laisser plus de liberté aux zones rurales et de faire confiance au bon sens paysan des maires ruraux et des agriculteurs. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur le ZAN, qui, je le répète, suscite les plus grandes inquiétudes dans nos campagnes ?
Que pensez-vous par ailleurs des préconisations de la Cour des comptes qui préconise une diminution de 15 % du cheptel bovin français, sous prétexte que les vaches libèrent du méthane et du CO2 et mettent en danger la planète ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Mon premier point concerne l'indemnisation pour abattage des troupeaux, en particulier dans les cas de tuberculose bovine : un niveau de fiscalité relativement élevé s'applique à ces indemnisations, qui couvrent une partie du différentiel entre la valeur du stock et celle de vente. Dans le cas de l'abattage, un grand nombre de dépenses annexes viennent grever l'activité si bien que cette fiscalité est perçue par les agriculteurs comme une injustice. Existe-t-il une possibilité de modulation ?
Mon second point porte sur une autre injustice, celle des agriculteurs, en particulier dans les départements d'élevage et les zones de bocage, qui ont conservé les haies. Ils n'ont pas été aidés pour les arracher et ne le sont pas pour les replanter. Cela constitue une sorte de double peine alors qu'en réalité, ce sont peut-être eux les plus vertueux.
M. Daniel Laurent. - Monsieur le Ministre, en juillet dernier, j'attirais l'attention du Président de la République sur les fortes inquiétudes de la filière viticole quant à une éventuelle augmentation de la fiscalité appliquée sur les boissons alcoolisées. J'ai eu une excellente nouvelle, dont je vous en remercie : il n'est pas prévu d'augmentation de taxe et c'est une bonne chose. En revanche, où en est-on de la taxe dite Trump ? En novembre 2021, un accord avait été conclu avec l'administration du président américain, Monsieur Joe Biden. Sauf erreur de ma part, il n'y a toujours pas de solution pérenne. C'est inquiétant. L'année prochaine se dérouleront des élections américaines. Qu'en est-il sur ce sujet ?
Chaque année, la filière viticole nous fait part de ses propositions dans le cadre de la discussion budgétaire portant sur la fiscalité de la transmission des exploitations, le soutien aux exploitations viticoles face à l'inflation ou sur l'élargissement du périmètre des échanges de biens ruraux. Entendez-vous répondre favorablement à ces attentes ?
Concernant le projet européen de règlement sur l'usage durable des pesticides (SUR), les viticulteurs considèrent que les objectifs proposés par la Commission européenne sont déconnectés des réalités du terrain et auront des conséquences pour l'ensemble de la viticulture européenne. Ils demandent que les ambitions réglementaires soient équilibrées et accompagnées de mesures concrètes de compensation.
S'agissant du décret encadrant l'agrivoltaïsme qui va être mis en consultation publique, les jeunes agriculteurs notamment, sont hostiles au maintien d'un taux de 40 % de couverture maximum d'une parcelle agricole et demandent un taux de 20 % ainsi qu'une application immédiate du décret pour éviter toute dérive.
Vous avez évoqué la MHE. Pourriez-vous nous donner quelques préconisations en la matière ?
Enfin, les chambres d'agriculture nous font part de leur mécontentement sur les moyens qui leur sont alloués et qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de leur mission.
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous m'interrogez le ZAN ; les décrets d'application sont en cours d'élaboration. Je ne reviens pas sur les débats mais, ayant été maire d'une commune rurale de 700 habitants, je vois à peu près le sujet qui est devant nous, et je suis d'accord que nous avons besoin de différenciation territoriale. Si je voulais être très honnête, je vous dirais qu'en vingt ans, nous n'avons même pas consommé un hectare, même si la crise liée au covid-19 fait que nous avons peut-être de nouveaux besoins. Le ZAN constitue un outil formidable d'aménagement et de rééquilibrage du territoire, pour limiter la concentration urbaine qui s'opère depuis soixante-dix ans en France. Cela demeure un objet de débat avec les régions : en tant que conseiller municipal et conseiller communautaire, je me réjouis par avance du débat que j'aurai avec le président de région sur le sujet, car la mise en oeuvre du ZAN ne peut pas être totalement déconnectée de la stratégie territoriale, y compris pour les territoires ruraux.
Quant au secteur agricole, les décrets d'application contiendront des dispositions visant à respecter la philosophie générale que vous avez notamment portée au Sénat et à éviter toute conséquence malthusienne sur les bâtiments d'élevage, au risque sinon de leur disparition. À titre d'illustration, très peu de bâtiments d'élevage se construisent en Bretagne en raison des nombreux recours. Nous travaillons donc sur la simplification. Les mêmes associations qui vous disent que l'élevage, les haies et les prairies sont formidables, forment des recours contre tous les projets. Une partie de l'artificialisation doit être réservée à des projets de nature agricole, sans oublier la transformation agroalimentaire.
Pour répondre à votre question sur les préconisations de la Cour des comptes, je l'ai dit publiquement et je le redis, je trouve que le rapport est de qualité mais que les préconisations sont sans objet et n'ont pas de sens. Je ne comprends pas cette stratégie qui consiste à proposer une baisse massive de cheptel et de l'élevage, tandis qu'on nous explique qu'il faut des haies et des prairies et que, par ailleurs, nous ne sommes pas autosuffisants en viande. Il me semble que cette trajectoire constitue une stratégie de décroissance, que je ne comprends pas ; je m'en suis entretenu avec le président de la Cour des comptes. Le rapport est intéressant, notamment sur la question de la réorganisation de la filière toujours reportée, jamais réalisée, ou de la valorisation des différents morceaux de la carcasse. En revanche la préconisation de réduction du cheptel bovin est une stratégie toxique. Je n'enverrai jamais un tel message aux agriculteurs, pas pour leur faire plaisir, mais parce que je le pense, tant que nous ne sommes pas autosuffisants. Je faisais récemment part de ma position à des représentants d'une association écologiste, en expliquant que nous aurons besoin de bâtiments car, dans le domaine de la volaille, nous dépendons des importations pour nos besoins à hauteur de 50 %.
En matière d'indemnisations des agriculteurs pour pertes dues à la tuberculose bovine, une revalorisation, demandée depuis longtemps, est prévue au mois de février. En outre, je suis prêt à examiner avec vous les problèmes éventuels de déductions fiscales. J'ai également initié des travaux au sein du ministère, avec la direction générale de l'alimentation, afin de repenser notre système d'indemnisation sanitaire en raison des conséquences de plus en plus lourdes du dérèglement climatique. Cette démarche est nécessaire afin d'éviter que les éleveurs ne deviennent rétifs aux mesures sanitaires. Par ailleurs, la lutte contre la tuberculose doit conduire à l'élaboration de mesures de prophylaxie pour empêcher toute épizootie. Face aux réticences de certains d'abattre par exemple un animal atteint d'une maladie très grave, j'alerte les consciences sur la gravité de la question sanitaire, pour les éleveurs mais également pour l'ensemble de la population. J'ai en tête le cas d'un particulier propriétaire d'un cheval malade, pour lequel nous en sommes à la cinquième procédure, sans être parvenus pour l'heure à un abattage.
La fin du moratoire sur la taxe dite « Trump » est fixée à 2026. Ce n'est pas immédiat. Toutefois, dans la perspective des échéances électorales américaines, que nous ne maîtrisons pas et dont je ne me permettrais pas de me mêler, il convient d'éviter toute nouvelle taxe, en sachant que les difficultés de notre filière viticole ont d'abord résulté de cette disposition.
Nous avons commencé à procéder à une revalorisation des moyens des chambres d'agriculture dans le texte qui va être transmis au Sénat. J'ajoute qu'une partie des fonds supplémentaires du Casdar sont dédiés aux chambres et que des moyens leur seront également accordés sur les sujets phytosanitaires. Je suis vigilant parce les chambres représentent des acteurs primordiaux dans les missions de vulgarisation au côté des instituts techniques, filières animales et filières végétales. Elles constituent en effet des tiers de confiance auprès des agriculteurs souvent rétifs aux annonces du ministre de l'agriculture. Nous devrions donc parvenir à doter les chambres d'agriculture des moyens suffisants pour l'accomplissement de leurs missions.
S'agissant du dossier de l'agrivoltaïsme, nous prenons le temps de trouver un accord avec la profession parce qu'elle est elle-même partagée. Le pourcentage maximum de couverture des terres agricoles par les panneaux photovoltaïques est lui-même débattu. Le taux 20 % ou 40 % a un impact différent selon que vous êtes en viticulture, en arboriculture, en grande culture ou en prairie avec des moutons. Le sujet principal ne me semble pas tant être le taux de couverture que la destination de l'argent généré par les panneaux photovoltaïques. La répartition de la valeur permettra d'éviter les projets opportunistes, sans les agriculteurs, et sans résoudre cette question, nous aurons du mal à atténuer la pression. Cet axe de réflexion fait l'objet de travaux du ministère. C'est aussi une question de responsabilité : on ne peut pas vouloir promouvoir les énergies renouvelables, sans accepter des méthaniseurs ou de l'agrivoltaïque et simplifier un peu les choses.
En ce qui concerne la directive SUR, j'ai dit publiquement et, au sein du Conseil de l'Union européenne, à la commissaire en charge de la santé, compétente sur ce texte, qu'il n'était pas acceptable de lire dans un document qu'une réduction de 20 à 30 % de la production viticole n'était pas un problème. Selon moi, c'est un problème, car la viticulture est un élément de l'influence européenne, notamment du sud de notre continent, au-delà de notre seul pays. C'est pourquoi, le texte SUR n'est pas encore adopté. Je m'oppose à cette stratégie qui consiste à assumer, y compris dans le moment géopolitique que nous traversons, une forme de décroissance de la viticulture ou encore des grandes cultures. Il serait prudent d'être prudent et de cesser d'être naïf en matière de souveraineté parce que la souveraineté, qu'elle soit énergétique, alimentaire ou sanitaire, est un enjeu de sécurité ; l'ignorer, c'est prendre un risque mortel. Une prise de conscience est nécessaire. Je ne veux pas entendre de la part de la Commission que la décroissance n'est pas grave car nous ne pouvons pas nous livrer dans les mains des autres, Brésiliens ou Ukrainiens, pour nous nourrir. Cette année, l'Union européenne va importer du blé dur à l'Ukraine mais, je l'espère, pas plus à l'Est. C'est pourquoi la semaine prochaine je proposerai de travailler à la dérogation « jachère ».
Parallèlement, nous essayons de mettre en corollaire la portée des nouvelles techniques génomiques NGT (New Genomic Techniques) et NBT (New Breeding Techniques) parce que celles-ci constituent un élément de réponse à nos impasses techniques. Je dis donc : s'il y a SUR, il y a NBT ; s'il n'y a pas NBT, il n'y a pas SUR. Il convient de trouver un point d'équilibre. Ce sera l'objet d'une négociation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Ministre, vous n'avez pas répondu sur les haies.
M. Marc Fesneau, ministre. - C'est la question des nouveaux convertis. Mais enfin, nous ne pouvons pas leur reprocher d'être convertis. Je comprends le sentiment d'injustice, mais je rappelle que ceux qui n'ont pas arraché leurs haies ne seront pas pénalisés. Ils doivent disposer de souplesse dans la gestion de leurs haies. Il convient également de les aider à valoriser ces haies, y compris dans le cadre de la PAC avec le bonus dans le cadre des écorégimes.
M. Rémi Cardon. - Je reprends vos propos, Monsieur le Ministre : « le bio a de l'avenir, il faut qu'on lui donne les moyens de son avenir. » Ce sont vos mots. Comment comptez-vous articuler la politique dirigée vers l'agriculture biologique pour lui donner les moyens de son avenir, sans oublier d'ailleurs les petites structures bio alternatives ? J'ai constaté effectivement que le budget pour le bio avait été renforcé à hauteur de 10 millions d'euros.
Nous allons débattre sur la vision de l'agriculture française, lors de l'examen du projet de loi de finances et celui du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Quels moyens allez-vous mettre en oeuvre dans les prochains mois et prochaines années pour atteindre l'objectif de 18 % de surfaces en agriculture biologique d'ici 2027 ?
M. Daniel Salmon. - Je participais tout à l'heure à un rassemblement devant l'Assemblée nationale en faveur des MAEC. Je vous confirme que nombreux Bretons étaient présents sans doute parce que nous partons de très loin en Bretagne et que les MAEC y sont essentielles. Seules 3 % des masses d'eau d'Ille-et-Vilaine sont en bon état, par exemple. L'État s'est engagé. Ces agriculteurs ont besoin d'être rassurés et d'être certains qu'ils percevront ces MAEC sur lesquels ils sont engagés depuis mai dernier.
Je souhaiterais connaître la position de la France sur le règlement SUR, relatif à l'usage durable des pesticides. C'est un règlement controversé, qui peut être qualifié d'illusionniste, faisant croire parfois que l'usage des pesticides diminue, alors qu'ils ont simplement été remplacés par d'autres molécules. Il convient d'étudier ce dossier afin d'éviter de partir sur des bases faussées, puisqu'en ce domaine beaucoup de choses sont décidées au niveau européen.
Quant au renouvellement des générations, qui constitue une question centrale, je remarque que le budget du programme pour l'accompagnement et la transmission en agriculture (AITA) est stable, à 12 millions d'euros. Ne devrait-il pas être augmenté ?
Nous avons abordé le problème des moyens des chambres d'agriculture qui demandent un déplafonnement de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB). Quelle est votre position sur ce sujet ? Le cas échéant, l'augmentation des moyens des chambres d'agriculture sera-t-elle accompagnée d'une forme de conditionnalité, notamment en termes de pluralisme au sein des chambres ? Selon moi, ce serait bienvenu.
Enfin, je me permettrais de formuler une dernière observation sur certains raccourcis ou caricatures. Sur internet, on parle des importations de poulets en omettant de mentionner les exportations. Ces dernières ont augmenté de 21 % entre 2020 et 2021, atteignant une valeur totale de 500 millions d'euros. Quand on parle des importations, il convient également de mentionner les exportations.
M. Jean-Jacques Michau. - Monsieur le Ministre, ma question complète celle de mon collègue Rémi Cardon sur la filière bio. Vous avez effectivement prévu dans ce budget des aides pour la filière, mais destinées surtout à la promotion des aliments bio, alors que les entreprises du bio ont aujourd'hui surtout besoin de trésorerie. Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas retenu, dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité, l'amendement transpartisan adopté à l'Assemblée nationale, portant sur des aides supplémentaires ?
M. Marc Fesneau, ministre. - Vous me pardonnerez ma franchise : je serai probablement un jour dans l'opposition, et si c'est le cas j'espère que je n'aurai pas recours à ce genre d'amendements. Je rappelle que dans le débat qui a conduit à l'adoption de l'aide au bio, avaient été discutés un amendement à 800 millions d'euros, puis un autre à 500 millions d'euros pour, à la fin, retenir celui à 200 millions d'euros. On a même parlé d'un besoin d'un milliard d'euros. Je vous le dis très franchement : ce n'est pas sérieux. Chacun sait très bien que des aides à la trésorerie de 15 000 euros par exploitation se heurteront à l'interdiction des aides d'État au-dessus des seuils de minimis. Discuter et voter un tel amendement revient à se faire plaisir et à vendre du rêve mais cela va décevoir beaucoup de monde. Je regrette donc ce genre de procédé.
Je vous rappelle que le crédit d'impôt bio représente une dépense de 100 millions d'euros, que les aides à la conversion s'élèvent à 340 millions d'euros, soit 40 % de plus que la précédente programmation, et que les aides d'urgence se montent au total à 70 millions d'euros, auxquels il faut encore ajouter 50 millions d'euros de bonus via les écorégimes du premier pilier. J'ai en effet veillé, pour les écorégimes, et y compris parfois contre certains, à ce qu'il existe un différentiel de 30 euros par hectare au bénéfice de ceux qui cultivent du bio. Certains me disent qu'il aurait fallu un différentiel de 50 euros par hectare. Mais au total toutes ces mesures représentent un soutien à hauteur de 560 millions d'euros.
Il n'en demeure pas moins un risque de déconversion ou d'arrêt des conversions, que nous ne pourrons mesurer qu'en décembre. Il faudra se demander en quoi les aides à la conversion servent à la cause du bio, et faire en sorte que ceux qui sont aujourd'hui convertis au bio ne se déconvertissent pas ; je reçois de nombreux témoignages à ce sujet. La réponse appropriée à ce problème ne réside pas dans des aides d'urgence mais dans une perspective de consommation soutenue du bio. La perte de chiffre d'affaires du secteur bio s'élève à entre 1 à 1,5 milliard d'euros en 2022, et autant en 2023. Sans être un ultralibéral, je considère que ce n'est pas à l'État de compenser cela. En revanche, il doit soutenir la consommation à moyen terme par le biais de la communication. La grande distribution, qui ne joue pas le jeu aujourd'hui, doit également participer à cette action. Force est de constater que si les produits bio étaient présents dans les étals, les clients en consommeraient davantage. Je m'interroge également, pour contenter cette fois les sénateurs à ma gauche : pourquoi la grande distribution réalise-t-elle plus de marges sur les produits bio que sur les autres ?
En matière de communication, il faut premièrement insister sur le fait que le bio est aussi du local, car la baisse de consommation du bio survient en 2021, après la covid-19, au bénéfice des produits locaux ; deuxièmement, il faut combattre l'image un peu faussée selon laquelle le bio n'est pas accessible, bien qu'il soit plus onéreux.
Outre l'aide d'urgence et la communication, le troisième axe d'action s'agissant du bio, consiste pour l'État à atteindre l'objectif de 20 % de produits bio dans la restauration scolaire prévu par la loi Egalim, puis à encourager les collectivités territoriales en ce sens, sans leur donner de leçons. J'étais récemment à Dijon où la métropole et le département, pourtant pas de même obédience politique, atteignent les objectifs d'EgaliM. Je ne suis pas de ceux qui restent assis sur le bord du chemin et disent que le bio n'a pas d'avenir. Force est d'observer, toutefois, que partout en Europe, le bio vit une crise. Nous devons respecter la trajectoire prévue, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires : des crédits ont été consacrés au secteur bio ; toute déconversion serait donc un échec collectif.
Ce que j'ai dit plus tôt sur les amendements sur le bio vaut aussi pour les MAEC. Il faut que chacun, y compris les organisations syndicales, oeuvre avec responsabilité.
S'agissant de la position de la France sur le règlement SUR, je constate qu'à gauche on me dit que le règlement est tronqué et, à droite, qu'il va trop loin. Première remarque : je ne veux de débats sur l'utilisation des produits phytosanitaires qu'au niveau européen et plus jamais en France, car nous ne sommes pas plus malins que les autres. Deuxième remarque : c'est notre intérêt car on ne fermera jamais la frontière aux Allemands, Italiens ou Espagnols ; les clauses miroirs ne s'appliquent qu'aux pays hors Union européenne. En outre, nos trajectoires doivent être crédibles économiquement. En effet, la mise en oeuvre du règlement sur la restauration de la nature, de la directive sur les émissions industrielles (IED) et du règlement sur les pesticides pèsera lourdement, parfois sur les mêmes exploitants. Sauf à promouvoir des stratégies décroissantes, il faut donc vérifier que le projet de règlement SUR, qui soutient une trajectoire de réduction des usages, soit économiquement viable, même s'il présente par ailleurs un intérêt en termes d'harmonisation des procédures d'homologation ou d'interdiction. De telles décisions d'homologation doivent être prises au niveau européen afin d'éviter toute perte de temps et toute initiative non concertée des États. Nous sommes par exemple un peu lents pour homologuer des produits de biocontrôle, et quand certaines start-ups françaises vont homologuer leurs produits ailleurs, c'est un crève-coeur.
Vous avez mentionné le programme AITA, nous allons pouvoir en reparler dans le cadre du débat budgétaire au Sénat. À date, il couvre les besoins actuels. Des moyens supplémentaires pourront être étudiés, si besoin est, ultérieurement, notamment dans le cadre du Pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Il faut toutefois procéder dans le bon ordre, en doublant le nombre d'installations avant de doubler le budget de l'AITA, et non l'inverse.
Je suis très attaché au pluralisme au sein des chambres d'agriculture, mais pour être décisionnaire il faut obtenir des voix, et une voix égale une voix.
Si vous parlez de pluralisme dans l'accompagnement de l'installation, je réitère mon objectif d'un guichet unique, imposant à tout le monde de passer à la toise : les exploitants qui s'installent sans considérer la question climatique ou évaluer la résilience de leur système prennent le risque de voir leur rêve brisé quelques années plus tard. Des modèles alternatifs, de diverses natures, peuvent exister tant qu'ils sont soutenables économiquement. Le corollaire de ce guichet unique réside dans l'autorisation de toutes les formes d'accompagnement, mais requiert aussi que les structures qui se mettent volontairement en marge décident, elles aussi, de jouer le jeu. On peut conserver son identité en passant par Terres de lien, les Civam ou par le réseau classique des chambres d'agriculture en acceptant un certain pluralisme et en acceptant les autres modèles. Or, certains souhaiteraient imposer leur modèle alors qu'ils sont minoritaires.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci Madame la Présidente. Tout d'abord, je tiens à saluer les efforts du Gouvernement en faveur de la forêt et de la filière bois, qui en a véritablement besoin. Vous avez évoqué, Monsieur le Ministre, la forêt privée qui bénéficiait de singulièrement peu de moyens, au regard de son importance géographique et de son potentiel économique lié au matériau bois.
S'agissant de la forêt publique et notamment des communes forestières, il serait important d'au moins stabiliser les moyens de l'ONF et d'enlever cette épée de Damoclès que représente le schéma d'emplois qui était initialement programmé jusqu'en 2026. Je rappelle qu'aujourd'hui 900 000 hectares de forêt publique demeurent sans document de gestion. Les communes forestières ont acquis plus de 100 000 hectares par leur travail sur les biens sans maître ; ces surfaces sont, elles aussi, dépourvues de document de gestion durable.
Des efforts d'accompagnement et de soutien aux élus sont donc nécessaires pour leur permettre de faire face à ces difficultés d'exploitation forestière, notamment en raison de l'explosion du coût moyen du renouvellement forestier, qui dépasse les 8 000 euros par hectare. Or les plafonds d'aide pour ce renouvellement sont tels que le taux des aides ne s'élève pas à 80 %, comme mentionné dans les documents mais de facto de l'ordre de 50 %, compte tenu de cette explosion des coûts. Je salue donc l'effort budgétaire, mais j'en souligne également les difficultés et notamment le coût des protections contre le gibier.
Je m'interroge sur la ventilation du fonds « tempête » voté par le Sénat à l'initiative du rapporteur général, Jean-François Husson, en 2021. Il serait intéressant de déterminer comment il a été utilisé, ce qu'il devient aujourd'hui et comment le mobiliser pour la suite des opérations.
Je souhaiterais évoquer la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB) afin de s'assurer que sa désindexation bénéficiera également aux acteurs forestiers, puisque 30 % de la TATFNB émane des propriétaires forestiers.
Enfin, en ce qui concerne le GNR, Monsieur le Ministre, nous l'avons rapidement évoqué mais je tiens quand même à souligner le fait que les entreprises de la filière bois, à ma connaissance à ce jour, ne bénéficient pas des dispositifs qui sont ceux des entreprises agricoles. Cela augure donc pour elles de grandes difficultés pour assumer les charges qui sont devant elles.
M. Daniel Gremillet. - Pour prolonger la question posée à l'instant de notre collègue Anne-Catherine Loisier sur le plan de renouvellement forestier, en effet sans précédent. Cependant, pour 1 euro investi, près de 40 centimes vont à la protection du plant contre les dégâts de gibier. C'est l'exemple même du gaspillage, qui s'explique par le déséquilibre sylvocynégétique, à cause duquel un plant devient difficilement une tige adulte. Vous avez la responsabilité des comités paritaires sylvocynégétiques en région. Par ailleurs, au-delà des aides au renouvellement, il faudrait que l'entretien des parcelles soit financé à la hauteur.
Vous avez répondu à une autre préoccupation que je voulais évoquer, celle des nouvelles techniques génomiques, NTG. La France doit être au rendez-vous en ce domaine.
En ce qui concerne le bio, je vais utiliser un exemple pas si lointain, celui des produits allégés : il fut un temps, celui qui ne vendait pas de produits allégés disparaissait des rayons ; or, les produits allégés ont depuis disparu, parce que le consommateur n'en voulait plus, en dépit de toute la publicité que l'on a pu faire sur ces produits. Monsieur le Ministre, il ne faut pas opposer les systèmes, bio et conventionnel.
Mon dernier point porte sur les bâtiments d'élevage. Je trouve regrettables l'inertie et l'absence de perspective sur le traitement des toitures amiantées, qui permettrait pourtant de régler un problème sanitaire mais également de produire de l'énergie par du photovoltaïque et de stocker de l'eau. Le Sénat est très mobilisé sur ce sujet, des amendements y ont été déposés. Nous avons demandé au Gouvernement d'agir, y compris dans le cadre du texte sur les énergies renouvelables. Nous ne voyons rien venir alors qu'il y a urgence à traiter ce problème.
M. Henri Cabanel. - Je me félicite de l'augmentation du budget. Je ne vais pas revenir sur la question du bio, mais je partage les craintes de mes collègues malgré les efforts fournis. Pourrez-vous réellement atteindre les objectifs de 18 % de surfaces bio en 2027 et de 21 % en 2030 ?
Depuis la création de l'assurance récolte, seul un faible pourcentage d'exploitations est couvert, certaines filières étant confrontées au problème de la moyenne olympique. Avez-vous avancé sur ce sujet comme vous l'aviez, me semble-t-il, annoncé l'année dernière ?
Une fraction de la taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus rendus constructibles est consacrée à l'installation des jeunes ; pourriez-vous nous détailler les actions qu'elle finance ? Enfin, seriez-vous favorable à une taxe sur foncier non bâti différente suivant que la terre soit cultivée ou non, afin d'éviter les friches agricoles ?
M. Marc Fesneau, ministre. - S'agissant des aides au renouvellement, le point principal d'inquiétude, au-delà du coût à l'hectare, porte sur la complexité des procédures. J'entends de nombreux propriétaires forestiers s'en plaindre. C'est pourquoi j'ai demandé que les moyens budgétaires de 250 millions d'euros soient sous pavillon du ministère de l'agriculture afin d'éviter que le système, aussi parfait soit-il, ne conduise à ce que plus personne ne plante et que l'on n'en retire pas les bénéfices associés en termes de stockage carbone, de préservation de la biodiversité ou encore de production de bois. Le risque est qu'à force d'avoir les mains propres, nous n'ayons plus de mains.
En matière de chasse, reconnaissons que le sujet est compliqué. Je vois toutes les réticences d'un certain nombre de personnes à atteindre les objectifs qui sont fixés. Il est nécessaire de rappeler aux chasseurs que réguler la population de grand gibier est dans leur intérêt. Sinon, on va consacrer 40 % des 250 millions d'euros à la protection contre le gibier pour financer notamment des clôtures parce qu'on est incapable de prélever les quotas, notamment en cervidés. J'en ai parlé publiquement à l'ONF. Certes, le prélèvement n'est pas une science exacte, mais ne pas atteindre sa cible peut relever d'une stratégie d'augmentation des populations qui risque de nous amener dans le mur. Nous sommes confrontés à une densité de certaines espèces qui n'est pas soutenable. Je vais par ailleurs regarder le sujet de la TATFNB, dont vous m'avez saisi, Mme Loisier, il y a quelques jours.
En complément, sur le GNR forestier, nous sommes en train d'étudier les voies et moyens afin d'alimenter un fonds pour moderniser les équipements des forestiers à des fins de décarbonation. Ce fonds pourrait être doté d'environ 20 millions d'euros, ce qui représente la part d'accise supplémentaire dont s'acquitteront les forestiers. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors du débat budgétaire.
Je ne peux malheureusement pas vous répondre immédiatement sur le fonds « tempête », qui date de 2021. Je reviendrai vers vous avec les éléments demandés.
En réponse au sénateur Daniel Gremillet, je sais que le sujet des bâtiments d'élevage vous tient à coeur. Pour l'instant, nous n'avons pas la martingale. Nous nous sommes interrogés sur la répartition de la valeur du photovoltaïque dont une partie pourrait éventuellement alimenter un fonds qui serait alors dédié aux bâtiments d'élevage. Cela permettrait de régler les problèmes de modernisation des bâtiments d'élevage tout en installant du photovoltaïque dans une logique de préservation des terres agricoles. Sur ce point, il semble que certains assureurs ne veuillent pas couvrir les bâtiments équipés de panneaux photovoltaïques. C'est un sujet que nous devons traiter.
S'agissant du bio, une trajectoire est fixée mais, pour ne pas vous raconter d'histoires, nous allons prendre du retard.
Le nouveau système d'assurance récolte fonctionne contrairement à ce qui a été dit, malgré un retard dans le maraîchage et dans l'arboriculture, nous sommes passés de 0,5 % de couverture des surfaces à 9 % en prairies, et en viticulture et grandes cultures, nous étions déjà assez haut. Toutes cultures confondues, on enregistre une augmentation de 36 % des surfaces entre 2022 et 2023, ce qui représente une couverture de près de 2 millions d'hectares supplémentaires, pour atteindre 6,5 millions au total. Quant au problème de la moyenne olympique, nous poursuivons nos travaux au niveau européen, tout en interrogeant la pertinence du modèle avec la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), en tentant d'imaginer d'autres solutions. Par exemple, dans le Pas-de-Calais, qui vient de connaître quatre inondations en quatre ans, la moyenne olympique ne semble pas le bon temps.
Enfin, la taxe sur le foncier non bâti que vous proposez sur les terres non cultivées constituerait une sorte de taxe pour vacance, à l'instar de la taxe sur les logements vacants. Un tel projet requiert d'étudier l'ensemble des effets collatéraux, qu'ils soient incitatifs ou désincitatifs.
Sur la gestion forestière, il existe un sujet de mise à jour cadastrale. Au-delà des biens sans maître, l'essentiel des surfaces forestières est détenu par des propriétaires qui possèdent un ou deux hectares, qu'ils ne savent pas toujours précisément localiser, ce qui nuit à sa valorisation. Nous devons faire mieux en ce domaine.
M. Guislain Cambier. - Monsieur le Ministre, je souhaite vous interroger sur le programme 149 de la mission budgétaire dans le cadre du cofinancement du Feader. La dimension régionale de la mise en oeuvre de la PAC a été réduite : les régions sont désormais en charge des mesures non surfaciques tandis que l'État gérera les mesures surfaciques. Dans le passé vous avez pu constater qu'on a su parfois adapter les fonds européens, tant pour le Feader que pour le fonds React EU. Or, la difficulté de cette nouvelle répartition des compétences est que l'on ne pourra pas adapter notre intervention Feader régionale aux graves inondations subies dans la région Hauts-de-France. Pouvez-vous préciser quelle place l'État laissera aux régions pour maintenir leur proximité avec la Commission européenne, d'autant plus que sa présidente a annoncé le lancement d'un dialogue stratégique sur l'avenir de l'agriculture dans l'Union européenne ? Comment participer à ce dialogue ? Comment vous pensez mobiliser et adapter le Feader aux réalités territoriales comme celles que vous avez pu voir ce matin ?
Mme Martine Berthet. - Je souhaite aborder une autre impasse technique qui impacte la filière des plantes à parfums aromatiques et médicinales (PPAM). Les propositions de la Commission européenne de juillet 2022 fixent des teneurs limites en alcaloïdes pyrrolizidiniques dans les compléments alimentaires à base de plantes. Ces alcaloïdes sont émis par certaines mauvaises herbes très communes présentes depuis toujours dans les cultures de plantes. Quelques pieds dans une parcelle d'un hectare peuvent contaminer un lot de plusieurs tonnes de plantes médicinales sèches, si l'on se réfère à la valeur de 400 microgrammes par kilo qui a été fixée. Les producteurs intègrent dans leurs pratiques agricoles de plus en plus de méthodes alternatives, encore insuffisantes. Même le désherbage manuel ne suffit pas. De plus les méthodes de dosages de ces alcaloïdes sont imprécises et les résultats analytiques varient selon les laboratoires. Les autres pays européens n'appliquent pas de façon aussi stricte cette réglementation, ce qui engendre une concurrence déloyale.
Ces producteurs souhaitent l'instauration d'une période transitoire dans laquelle on appliquerait la teneur limite de 1 000 microgrammes par kilo, qui est celle appliquée pour le médicament et qui permettrait pendant ce temps d'affiner les méthodes de dosage et de calcul, ainsi que d'évaluer l'exposition des consommateurs et des cultures. Il y a, en effet, peu de consommation régulière. Elles sont de nature ponctuelle, en tisane ou en complément alimentaire.
M. Bernard Buis. - En ce qui concerne la prédation, il est très important de disposer d'un comptage qui soit validé par tous parce qu'on ne peut pas chaque année, avoir trois mois après le comptage initial, une demande de prélèvement de 150, voire 200 gibiers supplémentaires. La méthode doit être adaptée et incontestable.
Ma seconde question porte sur la mission d'intérêt général « Adaptation au changement climatique » confiée à l'ONF. Pouvez-vous apporter des précisions sur les critères d'accès à cette mission ?
M. Lucien Stanzione. - Comme mon collègue, Jean-Claude Tissot, je me félicite de l'augmentation des crédits. C'est une bonne nouvelle. Mon premier sujet, que vous connaissez très bien, Monsieur le Ministre, porte sur la lavande. Nous avons voté l'an dernier un montant de 10 millions d'euros dont 5 millions ont été affectés à l'indemnisation de la campagne de 2022 et 1 million d'euros pour la recherche. Qu'en est-il du delta de 4 millions d'euros ? Comptez-vous mettre en place une aide à l'écoulement du stock des deux années passées ?
Ma seconde question concerne la cerise, que vous connaissez également très bien. La lutte contre la drosophile, sans les produits phytosanitaires qui sont interdits, est difficile. La solution des filets se révèle être peu efficace et satisfaisante. Pensez-vous adapter les critères d'éligibilité du dispositif d'indemnisation qui vient d'être annoncé à la filière ? En effet, il apparaît malheureusement que la moitié des cerisiculteurs ne satisfont pas les critères d'éligibilité. Par ailleurs, pensez-vous éventuellement augmenter la dotation du fonds d'indemnisation ?
M. Sebastien Pla. - Le défi de la viticulture dans certains bassins de notre territoire n'est pas de surmonter la crise actuelle mais clairement d'assurer sa survie. C'est le cas, dans l'Aude et sur le pourtour méditerranéen, voire au-delà, de Bordeaux à la Provence. Une manifestation unitaire sur la viticulture aura lieu à Narbonne le 25 novembre pour alerter les consciences. Vous avez également reçu un certain nombre de revendications de la part des têtes de réseau de la filière.
Je souhaiterais donc avoir des précisions très claires sur les mesures que vous comptez mettre en oeuvre pour résoudre la situation dans ses aspects conjoncturels. Vous avez évoqué le fonds d'urgence « mildiou » dont la portée est en réalité réduite en raison de la règle de minimis. En effet, ces entreprises qui ont investi ces trois dernières années et qui doivent faire face au remboursement de leurs emprunts et à l'amortissement du matériel, ne pourront pas bénéficier de ces fonds exceptionnels de financement alors qu'elles ont des besoins de trésorerie. C'est dommage, mais c'est la règle.
J'ai surtout besoin d'éclaircissements sur les aspects d'ordre structurel de la crise, portant notamment sur les demandes d'arrachage sanitaire. En lien avec la problématique de l'installation et de la transmission, je rappelle, à titre d'exemple, qu'on ne dénombre, dans l'Aude, aucune installation en viticulture l'année dernière. Si vous déclenchez l'arrachage aujourd'hui, cela risque de conduire 1 000 exploitants hors du système. Où en sommes-nous ? Qu'en est-il de l'accompagnement de l'après-retraite ? Je m'interroge également sur la gestion de l'eau ainsi que sur la prise en compte de nouveaux zonages pour intégrer des zones viticoles, en zone ICHN (indemnité compensatoire de handicaps naturels), au regard de l'enjeu de la protection contre le risque incendie.
Je crois beaucoup à une diplomatie économique pour répondre à la problématique de la viticulture, en conquérant des marchés à l'exportation. Force est de constater l'ampleur de la déconsommation en France. Il va donc falloir chercher des parts de marché à l'étranger. Nous devons être aidés dans cette stratégie.
Mme Sylviane Noël. - Les mesures de protection contre la prédation sont prises en charge à hauteur de 80 % par l'État, sur le budget de la PAC. Or le délai d'obtention de ces aides peut s'élever entre six à douze mois, ce qui fragilise grandement la situation financière de certains agriculteurs, qui parfois y renoncent. Le projet de loi de finances prévoit-il un mécanisme d'avance de trésorerie pour y remédier ?
Je souhaite également compléter les propos qui ont été tenus sur le comptage, qui est fondamental. Il fait débat dans de nombreux départements. Le conseil départemental de Haute-Savoie a financé un dispositif expérimental de comptage, plus fiable à l'aide de caméras thermiques, de pièges photographiques et d'enregistrements sonores, qui a permis de dénombrer près du double de loups sur notre territoire que ce qui nous avait été annoncé. Le comptage nécessite des moyens importants qui ne doivent pas incomber au département. Le projet de loi de finances prévoit-il des moyens supplémentaires à cette fin ?
M. Franck Montaugé. - Je m'inscris dans le prolongement des propos de notre collègue, Sébastien Pla. M. Vincent Piquemal, président des Vignerons indépendants d'Occitanie a, pour la troisième année consécutive, été concerné par des phénomènes climatiques, après le gel et la grêle. Le système assurantiel ne fonctionne pas en raison de la moyenne olympique. Les vignerons sont à l'agonie. Certaines exploitations pourtant installées de longue date, sont proches du dépôt de bilan. La situation est absolument dramatique.
Les viticulteurs demandent des mesures d'urgence de soutien, notamment auprès des assureurs, sous forme de gestes commerciaux pour les aider à faire face. Dans de telles circonstances dramatiques, l'État ne peut-il pas instaurer des structures de soutien d'urgence, à l'instar des comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) ? Il doit être possible d'inventer un nouveau dispositif pour répondre à cette situation. Des drames humains se jouent, au-delà de la dimension économique du sujet. Ce sont des professionnels qui produisent des vins de qualité, bio ou sous le label Haute valeur environnementale (HVE).
M. Marc Fesneau, ministre. - Vos questions sur la nouvelle programmation du Feader mériteraient que l'on prolonge le débat. L'essentiel des mesures non surfaciques sont restées aux régions. En conséquence, les capacités d'adaptation, y compris pour l'investissement, demeurent valables. Quant aux MAEC qui ont été transférées à l'État, elles ne font l'objet d'aucune capacité d'adaptation, y compris quand il y a des inondations. Je n'identifie donc pas où se situent les obstacles à l'application des mesures. Je demanderai à mes équipes de prendre contact avec vous pour identifier les blocages. Par ailleurs, je vais faire appel aux régions dans le cadre du Feader, pour accompagner le soutien aux agriculteurs. Je pense donc que la souplesse existe.
En réponse à la question sur les impasses techniques concernant les teneurs limites en alcaloïdes pyrrolizidiniques, nous allons regarder avec les producteurs les possibilités de dérogation.
S'agissant de la question du comptage du loup, celui-ci doit être scientifiquement crédible et partagé, pour ne susciter aucune défiance. Or depuis le début, la défiance est présente. C'est pour cela qu'il y a eu cette expérimentation en Haute-Savoie. Un point de consensus doit être trouvé. En outre, la crédibilité requiert d'éviter tout écart important entre le comptage provisoire et le comptage définitif. Je souhaite également qu'on ait un comptage tôt en saison pour écarter toute annonce de prélèvement supplémentaire à effectuer en quelques mois. J'ai donné des instructions aux préfets sur ce point.
Vous avez raison sur le sujet de l'indemnisation : un problème de délai mais également de simplification se pose. Nous sommes en train d'examiner comment verser des acomptes. Ils ne peuvent être nationaux en raison de la mécanique du fonds européen. Le problème est clairement identifié et nous sommes à la recherche d'une solution afin de raccourcir le délai de paiement. J'ai également demandé de nouveaux développements afin de simplifier le logiciel censé simplifier les déclarations des prélèvements, Safran, dont l'utilisation est en fait plus complexe que le précédent.
Sur les 4 millions d'euros non consommés pour la lavande, nous y travaillons actuellement avec la filière. J'insiste sur le programme de recherche car il serait regrettable de se voir reprocher une absence de résultat. Il faut chercher pour se donner une chance de trouver car les interdictions ne produisent pas en elles-mêmes des solutions.
En réponse à votre demande d'adaptation des critères d'éligibilité du dispositif d'indemnisation pour la cerise, en lien avec la filière, nous avons déjà baissé le taux de spécialisation à 25 %, ce qui est extrêmement bas, et le critère de perte de chiffre d'affaires à 20 %. C'est aussi bas que possible pour justifier une indemnisation. Certains agriculteurs en viticulture ou autres perdent 40 %, 50 % voire 80 % de leur chiffre d'affaires.
Je vais conclure sur la question viticole. Vous avez raison, la situation est empreinte de beaucoup de désespoir. C'est pourquoi il est crucial d'inscrire ces exploitations dans une trajectoire de résilience et de transition pour qu'elles ne deviennent pas les victimes annoncées du dérèglement climatique. Je tiens à souligner que nous disposons des outils nécessaires. Des fonds d'urgence existent. Je propose d'élaborer des projections à 5 ou 10 ans dans les départements les plus à risque. Puis il convient de les aider à l'investissement et à la transition, dans le cadre d'un paquet global qui sera plus efficient qu'un abondement annuel du fonds d'urgence. Il est également nécessaire que l'ensemble des acteurs se mettent autour de la table, et vite : banque, assurances, collectivités, etc.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, nous vous remercions infiniment pour le temps que vous nous avez consacré ainsi que pour la précision de vos réponses. Nous vous donnons rendez-vous pour le débat sur la mission agriculture le 8 décembre.
La réunion est levée à 19 h 48
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 15 novembre 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous allons examiner le rapport de Mme Anne-Chain Larché sur les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2024.
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Nous avons débuté nos auditions budgétaires par celle du ministre du logement et, ce matin, nous entamons l'examen des rapports pour avis sur le PLF 2024 par celui du logement..
Je vais dans un premier temps vous présenter les crédits eux-mêmes puis élargir mon propos au projet de loi de finances, le PLF, pour 2024 et au contexte dans lequel il s'inscrit, la crise du logement qui touche nos concitoyens.
Depuis la loi organique sur les lois de finances, les dépenses de l'État sont réparties en grandes « missions » qui ne correspondent pas nécessairement parfaitement à l'architecture gouvernementale. Ces missions sont elles-mêmes divisées en programmes désignés par des numéros, eux-mêmes décomposés en actions. En l'espèce, ce qu'on appelle les crédits du logement sont inscrits au sein de trois des cinq programmes de la mission « Cohésion des territoires ». Notre commission a décidé de donner un avis sur quatre d'entre eux portant donc sur le logement et la politique de la ville.
Les trois programmes consacrés au logement sont les programmes 109, 135 et 177. Ils représentent 18,3 milliards d'euros sur les 19,4 milliards de la mission « Cohésion des territoires ». Ils augmenteront globalement de 8,2 % en 2024 en euros courants.
En fait, on doit distinguer l'évolution des programmes 109 et 177 qui progressent moins vite que l'inflation de celui du programme 135.
Le programme 109 pour l'aide à l'accès au logement finance les aides personnelles au logement, les APL. Il représente l'essentiel des dépenses avec près de 14 milliards d'euros. Ce programme augmente cette année de 3,9 %, soit 530 millions d'euros. Cela s'explique par l'évolution mécanique du calcul des APL, notamment sur le fondement de l'augmentation de l'indice de référence des loyers, l'IRL, dont le plafonnement à 3,5 % a été prolongé cet été.
Le programme 177 assure le financement de l'hébergement et du parcours vers le logement et l'insertion des personnes vulnérables. Il pèse désormais près de 3 milliards d'euros, en augmentation de 2,63 %. Comme l'APL et malgré la volonté des gestionnaires de le maintenir « sous enveloppe », l'hébergement d'urgence reste une dépense de guichet, puisque le droit français reconnaît un principe d'accueil inconditionnel et que les flux ne sont pas maîtrisés. De ce fait, malgré le maintien de 203 000 places, dont près de 70 000 places d'hôtel, le programme reste structurellement sous doté, de l'ordre de 200 à 250 millions d'euros. En dehors de l'hébergement d'urgence, le ministère déploie la politique du logement d'abord. Alors que, durant le premier quinquennat, celle-ci aurait permis de donner un toit à environ 440 000 personnes, un second plan logement d'abord a été lancé pour continuer le développement du logement intermédié et des pensions de famille et pour renforcer les capacités d'accompagnement social.
Enfin, le troisième programme est le 135 consacré à l'urbanisme, aux territoires et à l'amélioration de l'habitat. Il dépassera 1,5 milliard d'euros en 2024, augmentant de près de 100 %.
Bien qu'il soit le moins important des trois, je me propose de m'y arrêter un peu plus longuement pour souligner quatre points, deux concernant le logement social, et deux concernant le parc privé.
Concernant le logement social, on note pour la première année une enveloppe de 7 millions d'euros pour couvrir ce qu'on appelle la « compension Castex-Rebsamen », c'est-à-dire la compensation intégrale par l'État aux communes de l'exonération de la taxe foncière sur le patrimoine bâti, la TFPB, en faveur des nouveaux logements sociaux agréés entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2026, en application de l'article 177 de la loi de finances pour 2022. C'est important car en l'absence de taxe d'habitation, cette exonération très mal compensée pénalise les communes qui ont le plus de logements sociaux ou qui devaient en accueillir de nouveaux sans dynamique de ressources comparables à celle de la population.
Ensuite, toujours au profit du logement social, le Gouvernement a déposé un amendement à l'Assemblée nationale transférant 400 millions d'euros d'autorisation d'engagement mais seulement 40 millions de crédits de paiement du programme 174 « énergie, climat et après-mines » que suit M. Daniel Gremillet, au profit du programme 135 pour financer la rénovation énergétique des logements HLM. Cela correspond, comme M. Patrice Vergriete l'a expliqué la semaine passée devant notre commission, à l'annonce faite au Congrès HLM de Nantes d'un plan de soutien de 1,2 milliard d'euros sur trois ans. À cet égard, il convient de remarquer que ce montant ne couvre pas le besoin de financement identifié par l'USH et que cette subvention ne correspond en aucune manière au « pacte de confiance » annoncée par la Première ministre et qui aurait dû conduire, dans le contexte de la flambée des taux d'intérêt, à un réexamen de la réduction de loyer de solidarité, la RLS, qui pèse 1,3 milliard d'euros chaque année sur les comptes des bailleurs. Sur ce sujet, lors de notre visite, lundi dernier, avec Mme Viviane Artigalas à Dammarie-les-Lys, le bailleur Habitat 77 nous indiquait que la RLS représentait 5 millions d'euros de pertes annuelles, soit près de 30 millions d'euros depuis sa création. Cela donne une idée de l'impact de cette décision sur nos territoires en termes de construction de logements neufs, de réhabilitation ou d'entretien voire de sur-entretien compte tenu des dégradations subies dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) sur des points de deal. Nous en avons eu lundi plusieurs exemples concrets.
Concernant le parc privé, le budget pour 2024 ouvre une subvention de 721 millions d'euros supplémentaires pour l'Agence nationale pour l'habitat, l'Anah. Une petite partie, 32 millions d'euros, sera consacrée à la création de MaPrimeAdapt' pour aider les ménages à faire des travaux dans leur logement en raison du handicap ou de l'âge. Mais l'essentiel, soit 669 millions d'euros, viendra renforcer MaPrimeRénov' pour la rénovation énergétique des logements.
Cette aide sera réorganisée en deux volets. Un premier volet est dit « efficacité ». Il est principalement financé par le programme 174. Il couvrira les opérations monogestes de changement de chaudière et de décarbonation. Le second volet est dit « performance ». Il est financé par le programme 135. Il couvrira les rénovations globales et multigestes dont le Gouvernement souhaite multiplier le nombre par trois (de 60-70 000 à 200 000).
Cette réorganisation est positive et nous pouvons nous féliciter qu'elle traduise plusieurs recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur la rénovation énergétique des logements, notamment sans exhaustivité : l'augmentation des moyens dévolus à MaPrimeRénov' (4,6 Mds€), le diagnostic de performance énergétique (DPE) préalable aux travaux, l'encouragement des rénovations globales, la réduction du reste à charge pour les plus modestes (jusqu'à 90 % de subventions sur jusqu'à 70 000 € de travaux), un accompagnement systématique par une personne qualifiée (Mon Accompagnateur Rénov'), le financement de travaux de confort d'été, des simplifications comme la prise en charge par l'Anah de la valorisation des certificats d'économie d'énergie, les CEE, qui deviennent transparents pour les ménages, ou encore de nouvelles sanctions en pourcentage du chiffre d'affaires des fraudeurs (article 50 du PLF pour 2024).
Au-delà des dépenses inscrites en seconde partie du budget et sur lesquelles porte formellement l'avis de notre commission, je voudrais élargir mon propos au projet de loi de finances dans son ensemble pour me demander si ce budget est à la hauteur de la crise du logement que nous affrontons.
Vous aurez peut-être entendu la boutade attribuée à M. Bruno Le Maire qui devant la multiplication des sujets et amendements aurait dit : « ce n'est plus un PLF mais un PJL logement ! ». De fait, si les dépenses sont inscrites en 2e partie du PLF, ce qu'on appelle les « dépenses fiscales » sont inscrites dans la première partie relative aux recettes de l'État. En matière de logement, il s'agit de l'ensemble des aides à l'investissement locatif ou du prêt à taux zéro par exemple.
Le PLF pour 2024 est particulièrement riche en la matière. Les sujets « logement » se regroupent au sein de l'article 6 ou dans des articles additionnels après l'article 6.
Pour l'essentiel, le Gouvernement met en oeuvre dans ce projet de loi de finances les conclusions du Conseil national de la refondation sur le logement, c'est-à-dire l'arrêt de l'investissement locatif aidé Pinel, ainsi d'ailleurs que l'extinction des autres dispositifs, et le recentrage du prêt à taux zéro, le PTZ, pour l'accession à la propriété. Ces décisions ont un motif budgétaire avant d'être écologique. Le Gouvernement cherche également à favoriser le développement du logement locatif intermédiaire en y attirant des investisseurs.
Je note en outre l'abaissement du taux de TVA à 5,5 % pour les rénovations énergétiques « seconde vie » dans le parc social ou la création d'un prêt avance rénovation à taux zéro pour la rénovation du parc privé et la facilitation au recours à l'éco-PTZ dans les copropriétés, comme le préconisait la commission d'enquête.
Par ailleurs, le PLF décline dans deux articles l'accord trouvé avec Action Logement dans la convention quinquennale pour 2023-2027. Il s'agit de l'article 29 qui met fin à sa contribution au Fonds national des aides à la pierre, le Fnap, tout en maintenant à 75 millions celle des bailleurs sociaux. Vous vous souvenez peut-être que cela avait fait l'objet de vifs débats l'an passé. Aujourd'hui, il faut constater que la faible activité du Fnap ne justifiait pas le prélèvement sur Action Logement qui a dû emprunter pour le payer et que d'importants reliquats devraient permettre d'assurer l'activité prévisible en 2024 voire 2025.
Par ailleurs, l'article 49 du PLF, au sein des articles non rattachés (c'est-à-dire se rapportant à des dispositions financières permanentes et examinées après les dépenses des missions), organise, comme le prévoit la convention quinquennale, la fusion des cinq fonds de recueil de la participation des employeurs à l'effort de construction, la PEEC, et la garantie de l'État au profit de la garantie locative Visale. Ces deux opérations doivent permettre à Action Logement de réduire son besoin de trésorerie prudentielle et d'abaisser de 2 milliards d'euros son besoin d'endettement sur les marchés.
Sur le fond cependant, l'épée de Damoclès est toujours sur la tête d'Action Logement puisque la procédure contentieuse concernant son classement comme administration publique est toujours en cours. C'est un point de vigilance que nous devons conserver en plus des questions financières qui se présenteront en 2025.
Mais au total et au regard de l'ensemble des dispositions du PLF que je viens d'évoquer, je ne crois pas que le Gouvernement apporte une réponse adaptée à l'ampleur de la crise du logement que nous connaissons. La crise est à la fois conjoncturelle et structurelle. Elle est surtout très profonde avec sans doute en 2024 et 2025 des niveaux de construction neuve inconnus depuis l'après-guerre par leur faiblesse. Pendant ce temps-là, le Gouvernement reste obnubilé par sa vision purement comptable et son objectif de faire des économies sur le dos du logement, comptant sur la baisse des prix pour assurer l'ajustement et la relance du secteur. En faisant cela, il oublie que le logement n'est pas une marchandise comme les autres mais un bien essentiel.
Lorsque dans son document de Perspectives économiques du secteur social, qui fait autorité, la Caisse des dépôts estime à 66 000 logements neufs par an la capacité de construction des bailleurs pour le futur, c'est tout simplement catastrophique et je pèse mes mots. C'est la moitié de l'objectif officiel et bien moins que le besoin ! Cela décrédibilise les propos du ministre sur la défense du modèle généraliste français du logement social. Avec ce nombre de constructions neuves, la marche vers un modèle résiduel est inéluctable.
En matière de construction neuve, la situation de la promotion immobilière n'est pas meilleure. Ce sont 300 000 emplois qui sont en jeu dans les deux ans dont la moitié directement dans le bâtiment et l'autre moitié dans tous les métiers qui en dépendent.
Le blocage généralisé du marché immobilier auquel nous assistons est tout autant une crise du parcours résidentiel et de l'accession à la propriété qu'une crise de l'investissement locatif. Il est peut-être temps de remettre l'église au milieu du village, si vous me passez l'expression. Loger les touristes pour les jeux Olympiques est sans doute nécessaire mais il me paraît plus important de loger les travailleurs essentiels et d'offrir un habitat digne et abordable à tous nos concitoyens, sans quoi cela alimentera un ressentiment et demain une colère légitime.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que je proposerai à la commission de donner la semaine prochaine, après l'examen du rapport de Mme Viviane Artigalas sur les crédits de la politique de la ville, un avis défavorable sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires ».
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup d'avoir accepté de reprendre ce rapport pour avis dont j'assumais la responsabilité depuis un certain nombre d'années. Cette présentation très claire et transparente montre combien la crise du logement que connaît notre pays est particulièrement grave, sans qu'il nous semble que l'exécutif en prenne véritablement la mesure au-delà de déclarations ministérielles, alors qu'une politique du logement particulièrement volontariste et dynamique serait nécessaire. Rien ne bouge par rapport à ce qui a été conduit en matière de logement depuis l'arrivée du président Emmanuel Macron en 2017 et encore plus depuis 2022. Le logement n'est toujours pas une priorité pour le Gouvernement, il est vu comme une rente qui doit pouvoir se réguler naturellement, ce qui n'est bien évidemment pas le cas.
Mme Viviane Artigalas. - Je souhaite à mon tour remercier notre rapporteure pour avis pour son rapport très complet. Nous avons effectué un déplacement conjoint très intéressant à Dammarie-les-Lys ce lundi pour le rapport pour avis « Logement » et pour le rapport pour avis « Politique de la ville ». Si des mesures ont été prises dans ce budget, avec une augmentation des crédits que nous réclamons depuis 2017, il n'y a pas toutefois pas un investissement fort à la hauteur de ce que nous demandons. Ce sont à peu près 11 milliards d'euros qui ont été économisés depuis le début du précédent quinquennat en matière de budget du logement. Il faudra des années pour s'en remettre sauf à prendre tout de suite la mesure de l'importance du sujet.
La situation va encore s'aggraver du fait de la baisse des constructions, avec seulement 66 000 logements par an. J'ignore si ce chiffre tient compte des prêts bonifiés de la Caisse des dépôts, qui font tout de même économiser 630 millions d'euros de charges financières aux bailleurs sociaux. Tant que ce Gouvernement ne reviendra pas sur la RLS, il me semble que nous ne pouvons pas voter les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires », car ce sujet revient chez l'ensemble des bailleurs sociaux. Dans cette période d'inflation, il faudrait a minima un moratoire sur la RLS.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je rappelle que nous avions demandé une clause de revoyure sur la RLS sans jamais l'obtenir. Nous avions dit à l'époque que cette mesure s'inscrirait malheureusement dans la pérennité et force est de constater que c'est bien le cas.
Mme Viviane Artigalas. - Le fait de ne plus avoir besoin des crédits d'Action Logement pour le Fnap illustre bien les difficultés en matière de construction, il s'agit d'un très mauvais indice en plus du manque de mises en chantier.
M. Yannick Jadot. - Je suis très heureux du constat partagé que nous faisons sur l'insuffisance de l'action de l'État en matière de logement. Dans l'intervention du ministre Bruno Le Maire hier, on voit bien que le logement est toujours considéré comme une dépense et jamais comme un investissement. Investir sur le logement, sur le logement social, sur la rénovation, cela rapporte à la société ! On a du mal parfois à s'y retrouver dans les annonces faites par le Gouvernement et les différents montants annoncés. On entend par exemple sur MaPrimeRénov qu'on arriverait à 4,5 voire 5 milliards d'euros, alors qu'en regardant de notre côté on trouve 3,7 milliards en autorisations d'engagement et 3,1 milliards en crédits de paiements. Le rapport Mahfouz Pisani-Ferry estime pour sa part que le montant nécessaire serait trois ou quatre fois supérieur. Autant le cadre de MaPrimeRénov' évolue dans le bon sens, autant les moyens et les changements permanents déstabilisent les artisans et la fédération du bâtiment. Les professionnels eux-mêmes ne s'y retrouvent pas et cela constitue un cercle négatif qui détériore encore le pouvoir d'achat des Français.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je remercie notre rapporteure pour avis de l'ensemble des éléments qu'elle nous a présentés. Je partage les propos de notre collègue Viviane Artigalas : depuis quelques années, on a arrêté de mettre du carburant dans le moteur de la construction de logements publics, avec la réforme touchant les bailleurs sociaux et les « dodus dormants » montrés du doigt. En attendant, on n'a pas trouvé de nouvelle locomotive pour tirer la construction de logements et répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens.
Les efforts déployés sur MaPrimeRénov' sont certes intéressants, mais il s'agit davantage d'outils complémentaires, car il n'existe pas de stratégie au long cours pour redonner confiance aux acteurs et aux investisseurs. A-t-on une idée quantitative de l'effet délétère ces dernières années de cette politique du logement sous forme de comptabilité cumulée de la carence de logements ? S'agissant des investisseurs privés, je note que le ZAN commence à poser un certain nombre de questions. On cumule les obstacles dans un contexte où on aurait besoin d'éclaircir la voie.
Mme Amel Gacquerre. - J'ai le sentiment que nous avons un avis assez unanime et partagé sur le sujet. Est-ce que le budget a été à la hauteur des attentes et de ce que nous réclamons depuis des années ? La réponse est non. Sur les solutions, les propositions diffèrent mais le constat est bien le même : il n'y a pas de changements notables. Hormis les annonces sur la rénovation énergétique et les grands chantiers prévus pour 2024, l'urgence d'apporter des réponses à la filière du bâtiment n'est pas du tout prise en compte. Or c'est aujourd'hui que des mesures sont attendues, qui supposent de mettre de l'argent sur la table sans se cacher derrière des discours. Le secteur le plus en difficulté est celui de la construction neuve, pour lequel les conséquences économiques vont être désastreuses.
Il y a une réelle nécessité d'avoir une politique de long terme. Le logement est un domaine où il n'est pas possible de tricoter puis détricoter tous les ans : on évoque la prorogation du dispositif Denormandie, mais sans fixer des orientations et une politique à plus long terme. Je partage également ce qui a été dit sur le logement social et la RLS.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avions essayé l'an passé, à l'occasion du premier budget du nouveau mandat du président de la République, de formuler des propositions pour donner davantage de visibilité et de pérennité aux acteurs du logement. Force est de constater que nous n'avons pas avancé d'un iota.
Mme Sophie Primas. - Mon intervention va dans le même sens que mes collègues. Depuis sept ou huit ans, nous accumulons une série de mesures prises en silo qui produisent maintenant leurs effets catastrophiques sur le secteur du logement. En matière de fiscalité, quand vous êtes un petit investisseur, l'IFI ne vous pousse pas à investir dans la pierre. Le particulier qui achète un appartement pour le louer ou en vue de la retraite se trouve aujourd'hui découragé en raison des conséquences de cet impôt. De la même façon, les maires sont moins enclins à bâtir du fait de la suppression de la taxe d'habitation qui n'est pas compensée. Comment dès lors accueillir des populations, construire les infrastructures nécessaires et faire face aux frais de fonctionnement ?
Les politiques publiques en matière de foncier, avec une protection des terres agricoles naturelles et forestières, conduisent à un renchérissement du coût du foncier - tout ce qui est rare devient cher. Sur les deux milliards annoncés pour le Fonds friche, la moitié est utilisée pour compenser les départements de la perte de la CVAE, ce qui prouve son insuffisance. L'augmentation des normes pour des raisons climatiques entraîne une hausse des coûts de la construction très importante, à laquelle s'ajoute l'inflation sur les coûts de construction et un contexte de taux d'intérêt élevés. Toutes les décisions prises ces dernières années nous ont donc conduits à une situation de catastrophe dans le domaine du logement.
Je salue le travail effectué par notre rapporteure pour avis et je partage son avis : il faut vraiment voter contre. Le Sénat a beaucoup travaillé sur le sujet et je rends hommage à l'investissement de la présidente Dominique Estrosi Sassone. Beaucoup de propositions ont été formulées par notre assemblée au fil des années sans que nous soyons écoutés ; nous ne voulons pas aujourd'hui être complices de cette catastrophe.
M. Daniel Gremillet. - Je voudrais remercier notre rapporteure pour avis de la qualité de son intervention. Quand on regarde le marché de l'immobilier, on s'aperçoit effectivement qu'on va dans le mur et à l'échec. En l'absence de rénovation soutenable financièrement, beaucoup de propriétaires qui ne pourront bientôt plus louer leur bien pour des raisons de conformité sont amenés à s'en séparer. Je trouve qu'on fait une erreur terrible en les obligeant à une rénovation globale. Cela serait plus intelligent de le faire par étapes avec un échéancier, de manière à rendre l'opération plus accessible à la réalité de la vie. Il ne s'agit pas de renoncer, mais de s'adapter à ce que les familles sont en capacité de réaliser, ce qui éviterait cette situation d'un parc immobilier sortant du marché locatif.
Ma dernière remarque concerne la fiscalité. Les dispositions découlant du ZAN vont nous obliger à reconquérir d'une manière plus offensive le patrimoine bâti qui n'a pas forcément toujours eu une vocation de logement. Lorsque vous rénovez un bâti, vous avez un traitement fiscal différent entre la partie logement et la partie industrielle ou artisanale. C'est une erreur terrible qui nous empêche d'avancer alors que nous avons une obligation d'économiser les surfaces au sol.
M. Denis Bouad. - Je partage complètement les propos de notre rapporteure pour avis et ce qui a été dit précédemment par mes collègues. Nous sommes devant une crise du logement qui date d'il y a plusieurs années, sans aucune volonté politique de faire changer les choses. 2,4 millions de personnes sont actuellement en attente d'un logement social. Il était prévu de construire 125 000 logements sociaux par an, nous en sommes aujourd'hui tout juste à 85 000 et les prévisions pour les années à venir se situent encore en dessous de ça.
J'ai trouvé que le ministre Patrice Vergriete lors de son audition devant la commission hier avait beaucoup de répartie. Il nous a parlé de bon nombre de projets pour demain, mais rien pour aujourd'hui et j'ai été assez déçu de ses premiers propos. Dans mon département du Gard, touché par la précarité, la problématique à laquelle sont confrontés les jeunes ménages est de choisir entre un logement social et un logement dans le parc privé, avec une différence de 250 euros entre les deux en termes de pouvoir d'achat. Le parcours résidentiel des jeunes est en panne depuis longtemps et ce ne sont pas les mesures annoncées qui vont améliorer la situation. Malheureusement, aujourd'hui on naît et on meurt dans du logement social.
Nous sommes face à deux difficultés : le coût de la construction qui a nettement augmenté ces derniers mois et le renchérissement du coût du crédit. On demande aux bailleurs sociaux de construire plus de logements avec la RLS qui les prive de recettes depuis plusieurs années, nécessitant parfois d'apporter plus de 20 % de fonds propres pour construire un logement social. La hausse des taux d'intérêt aggrave ces difficultés et nous place devant une réalité qui devient catastrophique. Quand j'entends la Première ministre nous dire qu'on ne mettra plus les Dalo dans les quartiers politique de la ville ou en difficulté, je dis bravo et suis d'accord avec elle, mais j'aimerais qu'elle vienne nous expliquer sur le terrain comment on fait et où on met les Dalo. Le relogement des Dalo est déjà suffisamment compliqué parce qu'il s'agit souvent de familles nombreuses ayant besoin de grands appartements. On va laisser Monsieur le préfet se débrouiller avec cette problématique, mais ce ne sera pas réglé pour demain matin.
J'ai rencontré la fédération du bâtiment il y a quelques semaines qui m'indiquait que la construction d'un logement mobilisait 2 équivalents temps plein. La baisse de la construction va donc mécaniquement entraîner la perte d'emploi pour un certain nombre de travailleurs, avec à la clé des entreprises en difficulté. J'ai l'habitude de dire, comme beaucoup avant moi d'ailleurs, que quand le logement va, tout va, mais quand le logement va mal les choses pourraient rapidement se compliquer. Je suis déçu que ce Gouvernement ne prenne pas conscience de la gravité de la situation à laquelle il est confronté et je pense que le ministre Bruno Le Maire est complètement sourd à cette problématique.
M. Daniel Salmon. - Lorsqu'on construit un bâtiment, on le construit pour 50 voire 100 ans, il n'est donc pas question aujourd'hui de lésiner sur le niveau thermique ni sur les matériaux biosourcés. Un colloque s'est d'ailleurs tenu lundi dernier sur le biosourcé hors site, c'est-à-dire la construction en matériaux biosourcés en usine qui permet ensuite de construire très rapidement à des coûts très performants et en stockant du carbone. Je pense qu'il faut vraiment aller dans cette direction, y compris dans la rénovation. Dans la rénovation thermique, le phasage est important : on ne peut pas forcément effectuer l'ensemble des travaux d'un coup mais il faut absolument les programmer et conditionner le versement des aides à la mise en place d'un échéancier de travaux. Pour cela, il faut des budgets et que les restes à charge soient minimaux, surtout pour les gens qui ont de grandes difficultés en ce moment.
Mme Marianne Margaté. - Aujourd'hui, le logement n'est plus abordable et on voit le poids que cela pèse sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens qui ont des salaires faibles, même s'ils touchent les APL. Le ministre a évoqué un grand projet de loi en discussion pour l'année prochaine avec un débat sur la conception résiduelle ou généraliste du logement social. Un tel débat me semble complètement en décalage avec la réalité de la situation qu'on connaît aujourd'hui. La question qui se pose est celle de la rénovation du patrimoine que les bailleurs ne peuvent plus entreprendre puisque leurs financements sont siphonnés par la RLS et les taux d'intérêt. Il faudra également traiter la question de l'adaptation de ce patrimoine au vieillissement et au handicap : on laisse aujourd'hui des locataires en souffrance au quotidien faute de pouvoir adapter ce patrimoine.
Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Je vous remercie pour vos interventions très pertinentes. En réponse à Anne-Catherine Loisier, sur la carence de logements ces dernières années : le compte national du logement montre globalement que les aides au logement baissent alors que les recettes de l'État augmentent clairement. Il y a donc un écart qui fait que bien entendu nous n'y trouverons pas notre compte. D'autre part, comme ça a déjà été dit, le nombre de personnes en attente d'un logement social, estimé à 2 400 000, mais vraisemblablement au-delà, est en augmentation. Le potentiel de construction de 66 000 logements neufs dont j'ai parlé tout à l'heure est totalement insuffisant. Pour donner un exemple, en 2016, de l'ordre de 120 000 logements étaient en construction. Aujourd'hui, nous en avons seulement 90 000, alors que la demande augmente.
Nous entendons bien sûr ce qui est bon dans ce budget, même s'il s'agit de mesures que je qualifierais de cosmétiques, en termes de rénovation énergétique. La réalité est que les professionnels, promoteurs, constructeurs, acteurs du bâtiment, sont tous véritablement aux abois avec l'annonce de la suppression de 300 000 emplois. C'est donc l'annonce d'une véritable catastrophe dans ce secteur et manifestement le Gouvernement n'est pas au rendez-vous.
Je voudrais souligner également l'importance du rôle des régions. Nous l'avons constaté avec Viviane Artigalas : en région Île-de-France, nous construisons, nous aidons les constructions. Heureusement que les régions sont présentes, là où véritablement l'État est démissionnaire.
Enfin, je voudrais remercier Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas, ainsi que Valérie Létard, la troisième mousquetaire qui n'est plus là aujourd'hui. Elles ont ouvert ce travail très militant en faveur du logement, de façon transpartisane. Les professionnels que j'ai pu auditionner reconnaissent à la fois la qualité de leur travail et l'intelligence avec laquelle elles l'ont mené.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous serons amenés dans les semaines à venir à nous saisir à nouveau du sujet du Logement au sein de notre commission des affaires économiques. Une grande table ronde se tiendra le mercredi 6 décembre prochain, autour de l'ensemble des acteurs du Logement depuis la Fondation Abbé Pierre jusqu'à la Fédération des promoteurs constructeurs en passant bien sûr par l'Union sociale de l'habitat, mais aussi par la Fnaim. Ils ont été extrêmement déçus et frustrés par le Conseil national de la refondation sur le logement, puisqu'ils y sont allés, ils ont énormément travaillé, ils ont été force de proposition, tout cela pour être balayés d'un revers de la main. Nous auditionnerons ensuite M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Mme Michèle Lutz, maire de Mulhouse, auteurs d'un rapport d'information sur l'habitat indigne et les copropriétés dégradées. Le ministre a d'ores et déjà annoncé que tout ou partie des propositions contenues dans ce rapport d'information transpartisan sera intégré dans un projet de loi dont nous aurons également à débattre. Une proposition de loi transpartisane va également être présentée au mois de décembre à l'Assemblée nationale, par les députés Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz, sur la question des meublés touristiques, abordée non sous l'angle fiscal mais sous l'angle d'un outil de régulation propre à la question des meublés touristiques afin de donner plus de moyens aux communes et aux collectivités pour réguler cette activité. Par ailleurs, le président Gérard Larcher a souhaité que la commission des affaires économiques se saisisse directement de ce sujet au regard de la grave crise du logement que nous traversons et qui va malheureusement s'accentuer, en 2024, en 2025, voire même en 2026 du fait des élections municipales. Nous réfléchissons donc à l'organisation d'ateliers ou de conférences, afin de réfléchir de manière transpartisane à des mesures de première urgence, compte tenu de la gravité de la situation, ainsi que des mesures s'inscrivant dans le plus long terme, qui pourraient être intégrées dans la grande loi sur le logement évoquée par le ministre pour le mois d'avril 2024. Il faudra se poser la question du foncier, de la régulation du foncier, du financement du logement au sens large, pas uniquement du logement social, de l'attribution des logements sociaux et du rôle des maires et des collectivités en la matière. Le panel de sujets est donc large et nous allons essayer de travailler de façon transpartisane car même si nous avons parfois des différences, nous avons prouvé lors de nos précédents travaux que nous pouvions nous retrouver. Nous avons été capables de travailler toutes ensemble, avec Viviane Artigalas et Valérie Létard, sans oublier Marie-Noëlle Lienemann qui a beaucoup participé à nos travaux, notamment lors de la mission flash sur Action Logement, initiée par la présidente Sophie Primas. C'est grâce au Sénat et à la commission des affaires économiques que le Gouvernement a pris conscience qu'il fallait arrêter de ponctionner Action Logement afin qu'elle conserve son efficacité. Toutes vos propositions sur la manière dont ces travaux pourront être conduits seront donc bien évidemment les bienvenues.
J'informe la commission que nous voterons sur ces crédits après avoir entendu le rapport pour avis de Viviane Artigalas sur les crédits de la politique de la ville. Mais vous avez tous entendu la rapporteure sur le volet « Logement » vous proposer un avis défavorable sur les crédits de la mission « Cohésion des territoires ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » - Examen du rapport pour avis
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous allons maintenant examiner l'avis de nos trois co-rapporteurs MM. Laurent Duplomb, Franck Menonville et Jean-Claude Tissot sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ainsi que sur le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » du projet de loi de finances pour 2024. Je laisse la parole à Monsieur Laurent Duplomb.
M. Laurent Duplomb. - Pour la seconde année consécutive, la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales connaît une croissance à deux chiffres, ce qui, évidemment, n'est pas négligeable.
Par rapport à la loi de finances initiale 2023, le budget de la mission proposé par l'État pour 2024 est en effet en hausse de 23 % en crédits de paiement, passant de 3,9 à 4,8 milliards d'euros, soit une hausse de près de 900 millions d'euros.
Devant les besoins considérables d'accompagnement du monde agricole, et en nous fiant à notre éthique de responsabilité, nous accordons au Gouvernement le bénéfice du doute et voterons ce budget, mais non sans émettre quelques fortes réserves et non sans proposer collectivement cinq amendements que nous présenterons au fur et à mesure.
Sur les crédits budgétaires, j'aurais cinq remarques sur la planification écologique. Premièrement, je voudrais signaler qu'en crédits de paiement 22 points sur 23 de la hausse du budget s'expliquent par la rallonge budgétaire annoncée tardivement et estampillée « planification écologique ». À des fins de communication, le montant de cette enveloppe a été, c'est de bonne guerre, quelque peu gonflé en rognant sur les dépenses courantes du ministère, qui par conséquent sont, elles, en stagnation. Mais enfin tout de même : les actions « planification écologique » représentent désormais un tiers des crédits du programme 149 « compétitivité et durabilité de l'agriculture », répartis en dix sous-actions, et un quart du programme 206 « sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation ».
Deuxièmement, je voudrais insister surtout sur le fait que le Gouvernement nous demande, avec les crédits de la planification écologique, de signer un chèque en blanc, puisque pour les dix nouvelles sous-actions, l'administration nous explique que les fiches-actions sont en cours de définition. À nos questions légitimes, l'administration se contente de répondre en lisant le « bleu budgétaire », qui justifie en moins de six lignes en moyenne des lignes budgétaires d'un montant de 120 millions d'euros en moyenne. J'en veux pour preuve le « fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions », de 200 millions en autorisations d'engagement, dont on sait qu'il financera la structuration des filières, mais sur lequel on ne sait pas grand-chose d'autre.
C'est le monde à l'envers : on débloque d'abord des fonds avant de s'interroger sur leur destination précise. Cela pose un problème de contrôle démocratique : rendez-vous compte que le Parlement est amené à autoriser des dépenses, sans en connaître l'affectation exacte. Il est paradoxal que sur ces crédits de la planification écologique, qui devraient aller de pair avec le surcroît de visibilité dont nous avons besoin, on ne soit pas même au clair sur les crédits de l'année prochaine.
Troisièmement, nombre d'actions de la planification écologique ouvrent des guichets pour de l'investissement ou des équipements, mais ne traitent pas l'une des faiblesses identifiées dans la mise en oeuvre de la planification écologique, celle de l'accompagnement et du conseil au plus près des agriculteurs. C'est pourquoi nous proposons par amendement de consacrer 50 millions d'euros sur les 1,3 milliards, à l'accompagnement des agriculteurs. Cela pourrait transiter par les chambres d'agriculture, qui ont l'expérience de cela.
Quatrièmement, l'État ayant engagés des moyens considérables, nous lui demandons également une évaluation rigoureuse pour que ces moyens ne soient pas dépensés en vain : comment s'assurera-t-on par exemple que les aides du plan haies ne soient pas des « primes à la médiocrité », récompensant ceux qui avaient ratiboisé les haies ? Au-delà du chiffre de 50 000 km de linéaire, quels objectifs fixons-nous pour évaluer l'efficacité qualitative de la mesure, par exemple en termes de biodiversité ou de rétention d'eau ?
Cinquièmement, nous demandons également de la cohérence entre politiques publiques : il faut que toutes les actions publiques tirent dans le même sens, dans et en dehors du budget. Or, les crédits de la planification s'inscrivent dans un écosystème réglementaire et fiscal lourd. C'est le cas par exemple pour le plan protéines végétales : peut-on continuer à financer des appels à projet pour ces filières si, dans le même temps on ne leur donne pas les moyens de protéger leurs cultures ? Je pense par exemple, et vous l'aurez tous compris, à la lentille verte du Puy. Je pose cette question, bien sûr, sans provocation.
Passée cette présentation des crédits budgétaires et de la planification, j'en viens à l'une des principales évolutions de ce budget, l'augmentation de 37 millions de la redevance pour pollutions diffuses (RPD), qui est de nature fiscale, mais avec une contrepartie budgétaire, puisque 250 millions de la planification financent notamment les plans de filière pour l'anticipation du retrait de substances actives. Et je m'attarderai plus particulièrement sur le lien entre cette redevance et le financement des actions du plan Écophyto 2030, qui est en cours d'arbitrage, pour prendre la suite de divers plans depuis 2009, dont les effets ont jusqu'ici été pour le moins mitigés.
Nous considérons que les conditions ne sont pas réunies pour une telle hausse de cette redevance qui porte d'ailleurs mal son nom puisque c'est en réalité une taxe.
D'abord, l'augmentation de la RPD ne s'inscrit dans aucune trajectoire d'évolution ; elle s'est faite par à-coups dans les PLF 2019 et 2024 et donne l'impression de répondre plus à des préoccupations de bouclage du budget qu'à une véritable logique pollueur-payeur. Cette année par exemple, la hausse de 37 M€ de la RPD est présentée comme contrepartie, entre autres, du nouveau fonds hydraulique de 30 M€ pour la gestion quantitative de l'eau, sans rapport direct, donc, avec la gestion des produits phytopharmaceutiques.
Par ailleurs, sur les 217 millions d'euros de recettes anticipées avec la hausse de envisagée par le Gouvernement, seulement 71 millions seulement reviendraient toujours à l'enveloppe Écophyto, dont 41 millions à l'enveloppe nationale et 30 millions à l'enveloppe régionale. Le reste, soit 146 millions, dont les 37 millions de hausse programmée, serait dilué dans le budget courant des agences de l'eau. Or, cet argent n'est pas dépensé avec la plus grande transparence qui soit, c'est même la Cour des comptes qui le dénonce.
Enfin, les montants annuels consacrés à la politique de réduction des produits phytosanitaires sont colossaux, avec des résultats pour le moins mitigés. D'après une mission interministérielle de 2023, 643 millions d'euros par an contribuent aux objectifs d'Écophyto. Pour quels résultats d'ampleur ?
Notre proposition transpartisane, pour accroître l'acceptabilité de cette taxe pour les agriculteurs et surtout accroître l'efficacité d'Écophyto, est donc de changer de méthode et de braquet, sur deux plans en particulier.
Premièrement, nous proposons d'augmenter le taux de retour de la RPD aux agriculteurs, pour atteindre au moins 50 % de ce que son produit finance. Cela passe par deux amendements augmentant les crédits du programme 206, pour financer par les crédits courants du ministère le fonds hydraulique de 30 millions d'euros, mais également les 7,5 millions d'euros du bulletin santé du végétal, qui n'ont soit aucun rapport avec Écophyto s'agissant du premier, soit des effets seulement présumés et difficilement démontrables sur la réduction de l'usage des produits phytosanitaires s'agissant du second. Au total, ce sont ainsi 37 millions d'euros qui seraient libérés et pourraient être affectés directement et spécifiquement à la politique de réduction de l'usage des produits phytosanitaires, sans passer par le budget des agences de l'eau.
Deuxièmement, et c'est le plus important, nous proposons avec ces 37 millions d'euros d'ouvrir une ligne d'aides directes aux agriculteurs qui auront des pratiques économes en produits phytosanitaires. Force est de constater que les 250 millions sur la planification iront essentiellement à des instituts de recherche ou aux instituts techniques, même s'il y aurait 50 millions pour l'équipement à partir de 2025, un premier progrès certes à saluer. Pourtant, les solutions que la recherche et l'expérimentation dans les 3 000 fermes Dephy financées par Ecophyto ont fait émerger - 15 à 40 % de réduction de l'indicateur de fréquence de traitements, sans dégradation significative des rendements agricoles -, ne demandent qu'à être mieux diffusées, massifiées, vulgarisées, sans quoi elles resteront une vue de l'esprit. Une mission interministérielle CGAAER-IGEDD-IGF sur le sujet a conclu à l'été 2023 à la nécessité d'aller dans ce sens, en respectant, surtout, les principes de spécialité, d'agilité et d'additionnalité pour des progrès immédiats et facilement mesurables.
J'ajoute enfin qu'il me semblerait souhaitable de se doter d'indicateurs qui, au-delà de la quantité de substances actives (QSA), du nombre de doses unités (NODU) ou de l'indicateur de fréquence de traitements (IFT), évaluent les progrès directement en matière de santé publique, de biodiversité ou encore de protection intégrée des cultures. À mon sens, l'une des raisons du peu de résultats des plans Écophyto successifs depuis quinze ans vient de ce qu'on a perdu de vue le véritable objectif. En ayant une approche pragmatique, on pourrait atteindre des résultats importants beaucoup plus rapidement. Comme je l'ai dit hier, le progrès technique et par exemple l'intelligence artificielle pourraient nous aider en ce sens.
M. Franck Menonville. - Pour compléter le tableau esquissé par Laurent Duplomb, je vais commencer par évoquer une autre évolution majeure de ce PLF, également fiscale et donc en dehors du champ de notre saisine officiellement : la réduction de l'avantage fiscal sur le gazole non routier (GNR). Compte tenu des montants, au moins 70 millions d'euros pendant 7 ans, soit 490 millions d'euros en 2030, il aurait été difficile de nous taire sur ce sujet.
Comme mon collègue Laurent Duplomb a eu l'occasion de le dire hier, nous nous félicitons de ce que les propositions portées par nombre des sénateurs de notre commission dans la proposition de loi pour un choc de compétitivité pour la ferme France aient été reprises par le Gouvernement : relèvement des seuils d'application du micro-BA, d'exonération de plus-values agricoles et de la déduction pour épargne de précaution. Mais ces mesures permettront de compenser la hausse de la fiscalité du GNR, et je crois nécessaire de rappeler qu'il s'agit d'une opération neutre en matière de compétitivité, à la différence de la proposition de loi évoquée.
Nous avons en outre quatre observations à formuler pour garantir le bon succès la réforme. Premièrement, la dépendance des agriculteurs en volume et la faible élasticité du prix du GNR font qu'ils pourront difficilement contourner la hausse de la fiscalité en l'absence d'alternatives actuelles. D'où l'importance d'un suivi attentif afin de s'assurer que les mesures de compensation ne laissent pas de côté certaines filières ou modèles agricoles, par exemple la polyculture-élevage ou les structures modestes. Nous souhaitons un engagement du Gouvernement pour des ajustements éventuels en loi de finances rectificative pour une compensation équitable en cas d'écart marqué avec les prévisions.
Deuxièmement, le crédit d'impôt transition écologique, dernier élément de la compensation du Gouvernement, pourrait consister en une incitation fiscale supplémentaire pour les biocarburants, à laquelle nous sommes bien évidemment favorables. Cependant, nous identifions des obstacles financiers mais surtout techniques, dont les garanties constructeurs, pour passer sans transition au B100, à 100 % biocarburant, comme semble le souhaiter le Gouvernement. Par conséquent, nous jugeons plus réaliste de concentrer les efforts dans un premier temps sur le B30, 30 % d'incorporation de biocarburant, n'est-ce pas cher Pierre Cuypers, afin également d'éviter tout risque d'un retour de la concurrence avec les usages alimentaires.
Troisièmement, nous ne le disons pas assez, mais les forestiers sont aussi concernés par la hausse du taux de l'accise sur le GNR, même si en raison de la structuration de ce secteur, la répercussion du prix vers l'aval devrait se faire plus facilement. Pour faciliter cette transmission, nous demandons toutefois de mettre en évidence l'impact de la mesure via un bas de facture sur le modèle de ce qui existe pour le transport routier, et de mettre à disposition des professionnels un indice des prix régulièrement mis à jour, à l'instar de ce qui existe sur les prix à la pompe pour les particuliers. Ces entreprises de travaux forestiers sont un maillon essentiel mais fragilisé par des difficultés réglementaires dans l'exercice de leur métier et par un manque d'attractivité alors qu'elles sont sollicitées pour conduire les opérations de renouvellement forestier et pallier la baisse des ouvriers forestiers de l'Office national des forêts (ONF) ; j'y reviendrai plus loin dans le rapport.
Enfin, je voudrais simplement rappeler que le secteur agricole et forestier représente 18 % des émissions de notre pays, mais que sur ce total les engins, moteurs et chaudières sont responsables de 13 % seulement de ces émissions agricoles.
S'agissant du budget de nos forêts, je ne m'attarde pas sur les moyens de l'ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour la mise en oeuvre de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'extension et l'intensification du risque incendie puisque, pour la deuxième année consécutive, l'ONF ne perd pas de postes au global, et puisque 21 ETPT supplémentaires sont finalement financés pour le CNPF, grâce à un nouvel effort du Gouvernement par amendement.
Pour l'ONF, à la stabilisation des moyens, devra néanmoins succéder une véritable inflexion, comme le préconise du reste le secrétariat général à la planification écologique. Cela devra se traduire en particulier au travers du contrat État-ONF post-2025, car au-delà de la défense des forêts contre les incendies (DFCI), 10 % de nos forêts devront être renouvelées d'ici à 2030, soit 1,6 millions d'hectares. Il y a des besoins d'ouvriers forestiers pour récolter le bois et assurer les travaux, et également de techniciens forestiers, pour aménager et gérer les forêts publiques, et en particulier communales. La forêt nécessite de la continuité et une vision de long terme, nous le disons souvent dans cette maison.
Il ne faut pas oublier par ailleurs que le CNPF bénéficiera au même titre que les Chambres d'agriculture d'un éventuel relèvement de la taxe additionnelle au foncier non bâti supplémentaire qui pourrait être voté au Sénat. Nous y veillerons lors des débats. Il faut également rappeler que les chambres ont, elles aussi, des missions forestières à accomplir ; mais c'est une réalité variable selon les territoires.
Pour finir, je me suis particulièrement intéressé à la réalisation d'un inventaire forestier outre-mer. Rappelons que cette mesure a été votée dès 2014 dans la loi d'avenir, et à nouveau précisée dans la loi Climat et résilience par le Sénat en 2021 pour une entrée en vigueur en 2023.
Malheureusement, cet outil, dont nous aurions un besoin crucial au plus vite, surtout quand l'on sait que la forêt guyanaise, pourtant deux fois plus réduite, stocke autant de carbone à elle seule que la forêt hexagonale, n'a toujours pas été mise en oeuvre faute de moyens.
Force est de reconnaître que le Gouvernement a pris la mesure de l'enjeu, car il en finance la préfiguration avec 6 millions d'euros parmi les 15 millions d'euros de la planification écologique dédiés à la forêt outre-mer.
Seulement un tel inventaire forestier prendra quatre à cinq ans à être complété d'après l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'ONF, qui en seront les maîtres d'oeuvre. D'autant que l'on peut supposer que le recrutement de personnels aussi spécialisés sur place prendra un certain temps.
Or, si les crédits correspondants sont bien engagés, aucun des 24 ETPT associés à cette hausse ne figure dans le plafond d'emplois des opérateurs du ministère de l'agriculture. Autrement dit, nous craignons que cela renvoie cet inventaire à 2030, une étape pourtant cruciale dans notre trajectoire carbone, alors que le puits de carbone forestier a été divisé par deux dans l'hexagone en seulement dix ans. Ce serait donc un peu tard, et un peu tard également pour le développement économique des Outre-mer, qui ne peuvent pas se permettre d'attendre davantage pour mobiliser et valoriser durablement leur bois.
C'est pourquoi nous proposerons par amendement de relever de 24 ETPT le plafond d'emplois du ministère de l'agriculture pour ensuite permettre 18 recrutements sur le terrain à l'ONF et, via une poche d'ETPT du ministère, 6 au siège de l'IGN pour le traitement cartographique.
M. Jean-Claude Tissot. - Pour que le tableau dressé par mes collègues soit tout à fait complet, je commencerai par évoquer le Casdar, le compte d'affectation spécial développement agricole et rural, qui est en passe de devenir malheureusement un marronnier budgétaire.
Ce compte, financé par les agriculteurs, pour la recherche et l'innovation agricoles, est écrêté au-delà d'un certain plafond. Cela fait partie des sujets irritants pour le monde agricole, car les recettes du Casdar sont régulièrement supérieures au plafond voté en loi de finances.
D'un montant de 126 millions d'euros pour 2023, celui-ci a été porté à 141 millions d'euros dans le PLF initial pour 2024, et même à 146 millions d'euros par amendement après le passage à l'Assemblée nationale. Nous pourrions nous en satisfaire, mais ce sont en réalité des progrès en trompe-l'oeil, puisque le montant de la taxe qui finance le Casdar augmente encore plus rapidement, en fonction du chiffre d'affaires, ce qui porterait son montant prévisionnel à au moins 154 millions d'euros en 2023, plus encore en 2024.
Nous voterons le Casdar, car il serait impensable de ne pas renouveler les appels à projet et le financement des instituts techniques, mais nous demandons comme chaque année que son plafond soit relevé d'au moins 8 millions d'euros de plus, ce que nous ne pouvons malheureusement pas faire par amendement, seul le Gouvernement le pouvant.
Mais j'en viens maintenant au sujet sur lequel je me suis attardé cette année, le fonds « Entrepreneurs du vivant ». J'ai abordé ce sujet hier avec le ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire. Le président de la République en personne a annoncé il y a un an à Terres de Jim, la réunion annuelle du syndicat Jeunes agriculteurs, un fonds « Entrepreneurs du vivant » doté d'au moins 400 millions d'euros, dans le but de « porter dans les premières années le foncier pour permettre de lisser la charge pendant plusieurs années et d'aider à mener les transformations indispensables pour que la reprise soit aussi un moment d'accélération ».
Plus d'un an après, alors que le Gouvernement maintient l'échéance de début 2024, ce fonds reste nimbé de mystères.
Nous nous interrogeons en particulier sur le montant de 400 millions d'euros, qui ne nous a jamais été expliqué, et qui rappelle la méthode à l'envers de la planification écologique, où l'annonce de moyens précède la réflexion sur leur affectation.
Nous ne comprenons pas la logique d'un rattachement de ce fonds d'investissement dans le foncier à France 2030, censé pourtant financer l'innovation de rupture. Il faut noter au passage la sous-consommation de France 2030 : en effet sur 2,9 milliards de ce programme consacrés à l'agriculture, à l'agroalimentaire et à la forêt, qui se déploient théoriquement sur cinq ans, jusqu'en 2026, seulement 17 % ont été engagés. C'est lié à sa forte sélectivité, à la complexité de l'attribution de ses crédits et au non-renouvellement de certains appels à projet.
Plus inquiétant encore, je voudrais souligner deux aspects qui me semblent préoccupants au plus haut point, et qui me semblent nécessiter une interpellation du ministre en séance publique.
Premièrement, la promesse d'une association des chambres, des syndicats et surtout des régions semble complètement oubliée, puisqu'elle se traduirait désormais seulement par l'éligibilité des fonds de portage du foncier régionaux à ce fonds de fonds.
Deuxièmement, on comprend qu'en l'absence d'une offre suffisamment mature de fonds de portage du foncier, il sera en réalité difficile de consacrer plus de 60 millions d'euros, soit environ 15 % du fonds de fonds au foncier, alors que les besoins en portage du foncier et des capitaux sont considérables. 12 millions d'euros par an pendant 5 ans, c'est moins que ce qu'y consacre chaque année la Banque des territoires.
Vous devez mesurer que ce chiffre de 60 millions porte un coup important à la communication du Gouvernement. Car la plupart des acteurs interrogés, à commencer par le syndicat Jeunes Agriculteurs, avaient compris que l'intégralité du fonds serait dédiée au foncier, ce qui révèle toute l'ambiguïté de cette annonce. Nous nous demandons quelle pourra être l'affectation des 340 millions d'euros restants, et le Gouvernement ne nous a apporté aucune réponse. Quelle est donc la réelle portée du fonds ? Les 400 millions d'euros sont-ils autre chose que l'assemblage de mesures disparates marketées sous un nom unique, sans cohérence de fond ? Il n'est pas anodin que le syntagme « Entrepreneurs du vivant » ait d'abord été utilisé par le Gouvernement dans des campagnes de communication.
Nous déplorons le retard pris dans l'élaboration de la doctrine d'utilisation de ce fonds et les interrogations qui subsistent même sur sa forme, puisque l'on nous parle d'un « fonds de fonds », mais sans certitude. Autrement dit, nous sommes très préoccupés par le manque de visibilité sur les contours du fonds Entrepreneurs du vivant, pourtant censé être au coeur du Pacte d'orientation et d'avenir agricole.
Dans une logique constructive, nous voudrions donc proposer par un amendement d'appel sept lignes directrices et demander au ministre de se prononcer sur elles, afin de l'orienter dans sa réflexion.
Premier point, sur l'association des régions : le fonds devrait être adapté aux spécificités de chaque région, en association étroite avec les exécutifs régionaux, au-delà de la simple éligibilité des fonds de portage régionaux.
Deuxième point, sur la facilité d'accès à cet instrument : en lien avec la création du futur réseau France services agriculture, le juste équilibre doit être trouvé entre la conditionnalité, qui me semble indispensable pour s'assurer de la contribution des investissements à l'accélération, et la simplicité d'accès à ce fonds, qui permettra, elle, sa massification. Nous nous demandons en particulier comment le Gouvernement contrôlera que les moyens libérés par le portage du foncier seront bien consacrés à des investissements de transformation, sans bâtir une usine à gaz.
Troisième point, sur la priorité à l'installation : les projets d'installation doivent être préférés à l'agrandissement, qui ne devrait toutefois pas être exclu par principe de l'éligibilité à ce fonds. Mais seuls les agrandissements consécutifs à une amputation de surface liée à une expropriation pour cause d'utilité publique ou en dessous d'un certain seuil de surface, par exemple le seuil d'agrandissement significatif, entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale moyenne, de la loi dite « Sempastous », devraient être éligibles à ce fonds.
Quatrième point, sur le besoin d'un plafond différencié par type de culture : en effet, les secteurs au foncier coûteux tels que la viticulture ou l'arboriculture pâtissent de plafonds ne permettant de porter que quelques ha, et devraient bénéficier de dérogations.
Cinquième point, sur la propriété du foncier à long terme : il faut permettre aux agriculteurs de réinvestir dans le foncier par la suite et non dissocier durablement la propriété de l'activité agricole, avec le risque que cela ferait porter sinon en termes de financiarisation du foncier agricole. Vous attendez, Madame la présidente, une loi sur le logement ; nous attendons depuis une loi sur le foncier. Les deux pourraient être liés...
Sixième point, sur la fiscalité du foncier : il faut engager une réflexion sur la complémentarité entre ce fonds et la fiscalité applicable au foncier, car ce fonds n'épuisera évidemment pas la question de la transmission à lui tout seul.
Septième et dernier point, sur l'ouverture aux foncières solidaires : on a appris que le statut d'investisseur avisé du secrétariat général pour l'investissement faisait obstacle au financement des foncières solidaires, comme Terre de liens. Nous avons besoin de ces acteurs, parmi d'autres, et il faudrait trouver un moyen de les intégrer par des voies juridiques détournées.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup à nos trois rapporteurs pour avis. Nous avons la chance d'avoir la présence de l'un des deux rapporteurs spéciaux de la commission des finances sur la mission agriculture. Je vous laisse la parole.
M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la commission des finances. - Ce sera à vous de me dire à la fin si c'est une chance ! Votre commission est parfaitement placée pour connaître le contexte qu'affronte le secteur agricole : je ne voudrais pas paraître pessimiste et je vous remonterai le moral à la fin mais entre la concurrence économique, les conséquences de la situation géopolitique mondiale, les aléas climatiques, le manque d'attractivité d'une partie des professions agricoles, les dégradations commises sur des exploitations, les crises sanitaires successives, les handicaps propres à la ruralité, le recul de notre souveraineté alimentaire, la recherche insuffisamment tournée vers l'innovation agricole, les vols de matériels agricoles, et j'en passe, c'est peu dire que presque toutes les politiques publiques sont concernées par la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et par le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».
Face au manque de volontarisme politique, ces dernières années, sur le plan budgétaire, il aura fallu que notre assemblée tire la sonnette d'alarme pour qu'enfin le Gouvernement réagisse.
Alors, certes, j'entends que ce n'est pas totalement satisfaisant et que le bonheur n'est pas encore revenu dans le pré, mais nous devons tout de même reconnaître, au regard de l'état de nos finances publiques, qu'un réel effort est consenti dans ce projet de loi de finances pour 2024.
Avec un total des concours publics consacrés à l'agriculture, à l'alimentation et à la forêt de 25,5 milliards incluant les co-financements européens, les dispositifs fiscaux et sociaux ainsi que la présente mission, vous pourriez avoir le sentiment d'un « quoiqu'il en coûte agricole » mais en dehors d'actions supplémentaires destinées à verdir le budget, et si l'on fait abstraction des quelques compétences transférées aux régions, le Gouvernement présente finalement un projet de budget proche de l'exécution moyenne des derniers exercices.
Parmi tous les points que la commission des finances a eu l'occasion d'aborder lors de l'examen des crédits de la mission la semaine dernière, j'en évoquerai quatre qui me semblent devoir être particulièrement pris en compte.
Premier point, la réorganisation dans la gestion des crédits, pour tenir compte de la PAC 2023-2027, se poursuit : certains co-financements européens sur les aides non surfaciques seront désormais gérés par les régions, ce qui explique la diminution des crédits de l'action 23 dans le programme 149, qui comporte entre autres la dotation aux jeunes agriculteurs. Cette action sera dotée de 123 millions d'euros contre 172 jusqu'alors. Comme vous, nous serons très attentifs, en tant que rapporteurs spéciaux à la question des moyens alloués aux régions et plus généralement au contenu du pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, pour lesquels les attentes sont fortes, afin de rendre au secteur son attractivité. Nous espérons d'ailleurs que ce projet de loi portera des propositions fortes sur l'une des composantes de cette attractivité, à savoir l'accès au foncier.
Deuxième point sur lequel la commission des finances est revenue : ce budget traduit un réel engagement budgétaire. L'objectivité commande de reconnaître qu'est consenti ou maintenu un effort particulier notamment pour les personnels qui interviennent dans le secteur agricole. D'une part les moyens en personnels du ministère sont consolidés, sans toutefois exploser, afin que le ministère puisse assumer ses nombreuses missions de contrôle : contrôle écologique, sanitaire, alimentaire, préventif et la liste de ces missions est longue. D'autre part, sont consolidés certains dispositifs favorables aux travailleurs. L'exonération de certaines charges ou cotisations dont bénéficient 71 000 entreprises, soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié, assure le maintien de 31 % du volume global des heures salariées dans le secteur agricole, tout en donnant lieu à compensation à la mutualité sociale agricole (MSA). Nous y voyons un des moyens de lutter contre le travail illégal
Troisième caractéristique de ce budget 2024 que je souhaite rappeler : le verdissement. Quel que soit notre positionnement politique, il nous semble aujourd'hui impossible de rejeter les moyens supplémentaires consacrés à la transition écologique du secteur agricole. Certes, toute l'agriculture ne peut pas s'organiser en fonction de la transition écologique, mais nous ne pouvons plus faire l'économie de politiques adaptées et soutenues par l'État. Deux des programmes de la mission comprendront désormais une action « planification écologique ». Sans pouvoir être exhaustif, je vous signale des sous-actions consacrées au soutien au renouvellement forestier pour 250 millions d'euros, au dynamisme du lien bois-matériaux à hauteur de 200 millions d'euros, mais également de 15 millions d'euros pour la préservation de la forêt en Guyane, de 110 millions d'euros pour financer un plan « haies », de 80 millions d'euros consacrés à une stratégie de décarbonation, de 65 millions d'euros pour un « plan protéines » ou encore de 20 millions d'euros destinés à la réalisation d'un bilan carbone au moment de la transmission des exploitations. Enfin, la nouvelle action consacrée à la planification écologique du programme 206 permettra de consacrer 250 millions d'euros à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. En tout, donc, 1 milliard et 250 millions d'euros supplémentaires sont inscrits dans le programme pour verdir l'agriculture, ce qui me semble considérable et se traduit aussi par le renforcement des moyens de certains des opérateurs amenés à jour un rôle en la matière : je ne citerai que l'ONF, l'ANSES ou encore l'ODEADOM.
Quatrième et dernier point : nous avons longuement eu l'occasion d'expliquer pourquoi nous considérions que le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » devait être rebudgétisé. Le lien direct entre les recettes et les dépenses, obligatoire au regard de la LOLF s'est progressivement étiolé. Par ailleurs, le différentiel entre les recettes et les dépenses se creuse année après année, avec un solde comptable positif de 121 millions d'euros fin 2022 soit bientôt l'équivalent d'une année de dépenses. En résumé, le Casdar déroge en tous points aux principes d'annualité et d'universalité budgétaires auxquels il est en théorie soumis et cela ne saurait durer.
Avec mon co-rapporteur spécial Victorin Lurel qui ne pouvait être présent aujourd'hui, nous avons oralement insisté sur les facteurs d'amélioration, mais le nouveau dimensionnement du budget a conduit la commission des finances à préconiser l'adoption des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.
M. Franck Montaugé. - Je remercie tous les rapporteurs qui se sont exprimés pour la qualité et la précision de leur travail. Je ferai trois remarques.
D'abord, j'aime bien faire des comparaisons budgétaires en euros constants. Quand on ramène les évolutions à euros constants, que l'on prend l'ensemble des mesures qui concernent les agriculteurs, c'est-à-dire ce budget, les crédits de la PAC et les dépenses fiscales et sociales concernant le monde agricole, et que l'on considère, enfin, le fait que sur les millions d'euros supplémentaires annoncés, seulement 504 millions seront dépensés dès cette année, les montants totaux n'augmentent plus que de l'ordre de 2 %. Si nous voulons regarder les choses favorablement, il s'agit donc d'un budget de reconduction, rien de plus ; et en réalité, je pense que c'est même un peu moins que ce que nous avions l'année dernière.
Puis, j'ai écouté, comme nous tous, le ministre hier. Quand on remet les choses en perspective sur la nécessité de restructuration de beaucoup de filières agricoles, et cela engage l'avenir agricole et aussi économique de nombreux territoires dont le mien, on s'aperçoit que les choses n'ont pas vraiment bougé. Il y a eu une démarche très intéressante dans ses ambitions, il y a quelques années, avec les états généraux de l'alimentation, qui ont mis ce sujet de l'évolution des filières à l'agenda ; qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Les ministres de l'agriculture se succèdent pour dire qu'ils vont s'en occuper, que c'est en cours, etc. Mais je vois sur mon territoire, pour les filières viticole et avicole notamment, que les choses n'avancent pas, ce qui, je voudrais le souligner, est vraiment inquiétant.
Ensuite, je regrette la faiblesse de l'accompagnement des productions en difficulté, bio en particulier. Le budget des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) est en diminution et il n'existe toujours pas de paiements pour services environnementaux (PSE) valorisés à la hauteur souhaitable.
Enfin, la filière gras souhaiterait que l'intégralité des vaccinations soient prises en charge par l'État. Je ne le vois pas non plus dans le budget, alors que c'est une nécessité, conditionnant la pérennité des exploitants agricoles concernées.
M. Serge Mérillou. - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je n'ai pas pu être présent hier, à l'audition du ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire, étant retenu en séance publique. Peut-être un certain nombre de questions et de préoccupations ont-elles été évoquées hier.
Ce budget peut paraître plutôt bien doté, mais c'est un budget en trompe-l'oeil, comme l'a précisé Franck Montaugé. Il me semble aussi qu'il manque à ce budget de grandes lignes directrices sur les grands enjeux auxquels l'agriculture est confrontée. Nous sommes en attente de la loi d'orientation et d'avenir agricoles. Peut-être avez-vous eu des informations hier, du moins est-ce ce que j'espérais. J'espère également que cette loi qui nous était annoncée apportera un certain nombre de réponses.
Il me semble qu'il manque dans ce budget des éléments importants concernant ce qui est pour moi un enjeu majeur de l'agriculture, c'est-à-dire notre souveraineté alimentaire qui, je le répète depuis des années, est en berne et, régulièrement, perd des parts de marché. Il manque aussi des éléments importants et forts pour venir en appui de territoires, notamment les zones intermédiaires qui continuent à être en grande difficulté depuis des années, et de certaines filières, la viticulture, l'élevage, la bio.
Les relations entre la bio et le conventionnel sont devenues presque conflictuelles. Or, je répète que nous avons besoin de tout le monde : nous ne pouvons pas nous passer de la bio qui est une agriculture vertueuse, porteuse d'avenir, mais nous avons aujourd'hui aussi besoin d'une agriculture conventionnelle pour assurer notre souveraineté alimentaire, dont le fort déclin m'inquiète.
Sur la transmission des exploitations, qui est un problème majeur compte tenu de l'âge des exploitants actuellement, une proposition de loi a été votée récemment au Sénat sur les groupements fonciers agricoles d'investissement. Je rappelle également le rôle de l'association Terre de liens, qui a été évoquée par Jean-Claude Tissot, et qui joue un rôle novateur et utile dans les territoires. Je souhaite que nous puissions l'aider.
Pour résumer, ce budget ne me satisfait pas, parce qu'il ne répond pas à la préoccupation de notre souveraineté alimentaire.
M. Daniel Gremillet. - Je voudrais remercier également les trois rapporteurs de la commission des affaires économiques ainsi que le rapporteur spécial de la commission des finances.
Je me réjouis, comme l'a dit Laurent Duplomb, que l'on retrouve, dans ce projet de loi de finances, le relèvement des seuils à la fois de la déduction pour épargne de précaution et de l'exonération des plus-values. Ce sont deux évolutions essentielles dans la situation économique actuelle.
Je partage complètement la remarque sur le Casdar : on le dit tous les ans et on n'en sort pas. Cela fait partie des scandales budgétaires, puisque ce sont des recettes acquittées par les seuls agriculteurs, en progression considérable grâce à l'augmentation de leurs chiffres d'affaires, et qui ne leur sont pas intégralement restituées. Il faudra bien que cet argent revienne un jour aux agriculteurs, surtout quand on connaît leurs besoins.
Aujourd'hui, ce sont les régions qui sont compétentes pour distribuer l'aide à l'installation, la dotation jeunes agriculteurs (DJA). Néanmoins, avec l'inflation que l'on connaît, l'outil des prêts bonifiés retrouverait tout son sens dans la politique d'installation. Depuis les lois d'orientation agricoles de 1960 et de 1962, c'était la colonne vertébrale de l'accompagnement de l'installation des jeunes : à la fois la dotation jeunes agriculteurs et un accompagnement financier pour favoriser l'investissement. Or, aujourd'hui, cette seconde composante a complètement disparu. À titre personnel, je l'ai toujours décrié, même s'il fallait peut-être l'adapter. Mais aujourd'hui que nous sommes sortis d'une période de taux très faibles, cela pèse sur les installations.
S'agissant de la forêt, en effet, aujourd'hui, il y a des plantations ; c'est très bien, et il faut continuer en ce sens. Mais il ne faut pas oublier l'entretien et nous ne disposons pas de capacités d'entretien à la hauteur de ces plantations. Il serait dommageable que l'ensemble des moyens mis sur cette politique ne fructifient pas et ne se traduisent pas par des arbres devenant adultes. Il s'agit là d'un problème d'adaptation de nos forêts, qui doit être réglé.
Une autre mesure que nous évoquons chaque année avec Anne-Catherine Loisier serait l'extension du TO-DE aux emplois du secteur forestier.
Une action qui ne coûterait rien, purement administrative mais ô combien stratégique, consisterait à rendre accessible les documents d'accompagnement du plan de relance et de France 2030 sur la forêt, qui ne sont aujourd'hui pas accessibles aux comités paritaires sylvocynégétiques. Cela a pour conséquence que nous n'avons pas connaissance, sur le terrain, des moyens financiers mis pour la plantation, ce qui empêche d'appliquer une pression, en lien avec les chasseurs, pour préserver les plants et, du reste, pour faire des économies et arrêter de gaspiller autant d'argent : je rappelle que pour un euro mis sur la plantation, environ trente centimes vont à des équipements de protection des plants contre le gibier, ce qui est ridicule. Cette protection pourrait être assurée de façon gratuite, en lien avec les chasseurs. L'excuse qui nous est donnée, à savoir que le programme informatique utilisé ne permet pas de restituer cette information aux régions, me paraît trop facile.
Je voudrais insister sur un dernier point, concernant les bâtiments d'élevage. Toutes les régions sont confrontées au vieillissement des bâtiments, et en particulier au problème de l'amiante, qui n'est pas traité et qui a des conséquences énormes en termes de santé publique et de sécurité. Nous avons aussi besoin aujourd'hui d'adapter les bâtiments à l'évolution climatique, que ce soit au froid ou à la chaleur, par une meilleure isolation. Nous pourrions même faire d'une pierre quatre coups puisque nous pourrions après ces opérations apposer des panneaux photovoltaïques et installer des systèmes de récupération et de stockage de l'eau. Je trouve vraiment regrettable que le ministère ne nous entende pas sur cet aspect, depuis le temps qu'on en parle. Il me semblerait absolument stratégique de le faire dans l'ensemble des régions de France au bénéfice du plan de relance de l'élevage.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je voudrais saluer nos trois rapporteurs pour leurs travaux et pour leurs amendements, notamment celui sur la redevance pour pollutions diffuses, qui me semble frappé au coin du bon sens : si les recettes ne sont pas effectivement mobilisées pour accompagner nos agriculteurs, cette redevance devient une espèce de puits sans fond, alors que l'on constate une escalade sans fin des contraintes et des coûts qui pèsent sur notre production agricole.
Je salue aussi les propositions des rapporteurs sur le volet forestier. Pour le coup, il faut souligner sur ce volet une continuité dans l'effort financier, que l'on n'avait pas observée dans ce secteur depuis de nombreuses années. Il est très positif que ces crédits s'adressent au public comme au privé, et à l'amont comme à l'aval. Franck Menonville l'a dit : un effort conséquent est consenti en faveur de la forêt privée qui, avec 12 millions d'hectares mais seulement quelques centaines de salariés au Centre national de la propriété forestière (CNPF) et dans les coopératives, a un vrai besoin de structuration et d'organisation, notamment pour faire face aux besoins liés à la défense des forêts contre les incendies (DFCI). Il y a une réponse, une prise en compte du Gouvernement.
Le rapporteur a attiré l'attention sur l'effort qui doit se poursuivre en faveur des forêts publiques. Je le soutiens en ce sens. Nos élus de communes forestières sont aujourd'hui confrontés à un défi immense, à une catastrophe écologique en cours dans nos forêts, et doivent parfois aussi se débattre contre des habitants qui ne comprennent pas bien le sens de leurs actions ; pratiquement 900 000 hectares de forêts publiques n'ont pas de document de gestion durable. L'effort doit donc se poursuivre.
On peut le regretter, mais l'Office national des forêts (ONF) a aujourd'hui la capacité d'intervenir, avec des ouvriers forestiers, dans certains territoires qui malheureusement ne disposent pas toujours d'entreprises en capacité de le faire. C'est un élément à prendre en compte car on n'atteindra pas l'objectif d'un milliard d'arbres plantés et on ne satisfera pas le besoin d'entretien des parcelles, si l'on n'a pas d'acteurs effectivement sur le terrain pour cela.
En dépit de son importance, on ne parle pas forcément beaucoup de l'aval, qui est très lié au sujet du logement évoqué au début de notre réunion. Quand le bâtiment va, tout va, et comme, en ce moment, le bâtiment ne va pas très bien, l'aval de la filière bois ne va pas très bien non plus. Dans la filière bois, comme dans toutes les filières, c'est l'aval qui tire l'amont, lui permettant de se développer. Or je rappelle que cette filière représente 400 000 emplois en France, soit autant que l'automobile.
De nombreuses entreprises de travaux forestiers sont en très grande difficulté, Franck Menonville l'a dit. À l'article L. 411-1 du code de l'environnement, transposant la directive 92/43/CEE, dite « Habitats », qui les empêche de travailler tout au long de l'année, s'ajouteraient maintenant les dispositions absolument déterminantes de ce projet de loi de finances relatives au gazole non routier (GNR), qui impliquent pour elles un surcoût. Le rapporteur l'a bien souligné, il faut prendre conscience de la difficulté dans laquelle se trouvent aujourd'hui ces entreprises de travaux forestiers, et nous sommes nombreux à avoir déposé un amendement au PLFSS pour que ces entreprises puissent bénéficier du TO-DE. Elles emploient, de fait, de plus en plus de saisonniers pour faire face à ces surcoûts.
On n'a jamais beaucoup parlé de la forêt ultramarine, alors que la France a un potentiel exceptionnel, avec en particulier 8 millions d'hectares rien qu'en Guyane. Bon nombre d'élus guyanais nous demandent d'être davantage au chevet de cette forêt pour lui permettre d'optimiser sa fonction de puits de carbone mais aussi de répondre aux besoins de développement de la Guyane, en matière de logement. Il y a quelques années, la Guyane exploitait 90 000 m3 de bois, c'est-à-dire pas grand-chose, mais qui engendrait tout de même un revenu réinvesti dans la filière bois ; aujourd'hui, c'est à peine 15 000 m3. Ce territoire qui a des problèmes de logement et de développement n'utilise même pas sa panière première, pourtant à sa portée.
M. Fabien Gay. - Je remercie moi aussi nos trois co-rapporteurs et le rapporteur de la commission des finances.
En préambule, je trouve très bien que l'on s'occupe de la forêt amazonienne et guyanaise, mais je ne suis pas sûr que les quelques millions d'euros mis sur la table répondront à ses forts besoins. Je rappelle que la forêt amazonienne, c'est 70 % de notre biodiversité, et aussi ce que l'on appelle l'un des poumons de la planète. Lorsque l'on se rend sur place, l'on s'aperçoit que l'un des problèmes est que cette forêt est grandement menacée par l'orpaillage illégal, mais aussi par des projets miniers de grande ampleur, sur 360 000 hectares. Nous avons souvent donné des leçons au Brésil, en particulier sous son ancien président Jair Bolsonaro, sur la déforestation, mais nous-mêmes n'agissons pas pour la sauvegarde de notre forêt. Ce budget constitue une première pierre à l'édifice, mais il faudra encore travailler sur ce sujet, et mener une véritable action diplomatique avec le Suriname et le Brésil. Il s'agira au début d'essayer de contenir l'orpaillage illégal ainsi que la pollution au mercure, et ensuite évidemment d'y mettre fin.
Je suis d'accord avec Franck Montaugé quand il souligne que le Gouvernement nous explique, pour à peu près chaque mission budgétaire, qu'il n'a jamais fait aussi bien, que jamais autant de dépenses n'ont été engagées, qu'il est le meilleur, bref, que tout va bien. Vous aurez compris que je provoque un peu, mais on en vient parfois à se demander si l'histoire de France n'a pas commencé en 2017. L'inflation est forte et Franck Montaugé a raison de rappeler qu'il faut raisonner à euros constants.
Il ne faut pas se mentir : toutes les problématiques auxquelles nos agriculteurs sont confrontés ne seront pas résolues avec ce budget. Je ne prétends pas que cela soit simple : nous l'avons vu par exemple sur les négociations commerciales, problème pour lequel nous nous avons remis l'ouvrage sur le métier récemment pour la quatrième fois, et qui, je le crains, n'est pas résolu. Nous sommes face à une difficulté, qui est que les agriculteurs et agricultrices, qui sont pourtant des artisans de la terre, sont les seuls à ne pas fixer le prix de leur production, alors qu'un artisan, quel qu'il soit, fixe normalement ce prix.
D'un autre côté, de plus en plus de gens ont des difficultés à se nourrir avec des produits de bonne qualité, et nous avons de la peine à bien identifier les marges qui se font entre producteurs et consommateurs. Nous restons dans cet entre-deux extrêmement difficile.
Je voudrais alerter sur une question intimement liée à l'agriculture et à l'alimentation, qui n'est pas dans le budget, mais dont, à un moment donné, il faut bien parler, car tout cela se recoupe : ce sont les traités de libre-échange ; vous savez combien cela nous tient à coeur, au sein de mon groupe. Nous pourrons voter tous les budgets que nous voulons, il n'en restera pas moins cette question, certes pas unique mais tout de même centrale. Le gouvernement français a conclu un accord avec la Nouvelle-Zélande dans les trois derniers jours de la présidence française de l'Union européenne, au premier semestre 2022. Je pense que lorsque les quotas seront utilisés, la situation pour nos producteurs, notamment de viande, deviendra extrêmement complexe. Il y a au total sur la table plus d'une quinzaine d'accords, qui sont souvent climaticides et constituent une concurrence déloyale pour nos agriculteurs et agricultrices, bref, qui vont à l'encontre de tout ce qu'il faudrait faire pour protéger notre souveraineté alimentaire. Un débat est en cours sur l'accord avec le Mercosur, d'autres ont déjà eu lieu ou auraient dû avoir lieu sur le Ceta (Comprehensive economic and trade agreement) avec le Canada ou sur le Jefta (Japan-EU free-trade agreement) avec le Japon. Tout cela se fait sans débat démocratique et sans les parlements nationaux. Nous nous sommes prononcés il y a deux ans pour inviter le Gouvernement, dans des formules extrêmement polies, à soumettre le Ceta à la ratification du Parlement. Cela fait quatre ans et demi que nous attendons, et toujours rien.
Je pense que nous devrions être associés à la négociation de l'accord avec le Mercosur mais, bien évidemment, nous ne le serons pas. L'alerte doit être collective. Je crois qu'il faudrait que nous prenions en 2024 une initiative politique d'ampleur, ici au Sénat, pour dire que nous devons avoir voix au chapitre. Ce n'est pas possible que cela continue comme cela, dans un déni de démocratie. Après cela, il y aura un vote, et s'il y a une majorité pour dire qu'il faut aller au bout de ces accords et libérer tous les quotas dans le cadre du Ceta, ce sera très bien. Mais enfin, il faut que le débat ait lieu ici, et je pense qu'au bout de quatre ans et demi, nous avons été assez patients. Ces questions sont intimement liées, je le répète, à tout ce que l'on peut faire pour défendre le monde agricole, notre alimentation et notre souveraineté.
M. Henri Cabanel. - Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit à propos du Casdar. Tout ce qui est prélevé pour la recherche et développement doit aller à la recherche et développement. Je ne comprends pas que le gouvernement ne l'entende pas ainsi. Je trouve assez injuste que la redevance pour pollutions diffuses ne soit payée que par les agriculteurs : on devrait aussi la faire payer aux fabricants de produits phytosanitaires, car ce sont eux qui mettent ces produits sur le marché.
Je voudrais également insister sur le foncier, qui me paraît un élément essentiel de notre souveraineté. À mon avis, on ne donne pas assez de moyens aux Safer qui sont là justement pour l'installation des jeunes agriculteurs et éviter la spéculation sur les prix du foncier.
J'avais fait des propositions pour affecter aux Safer une fraction supplémentaire de la taxe spéciale d'équipement (TSE) prélevée par les établissements publics fonciers (EPF). Dans certaines régions, le prix du foncier a explosé, les agriculteurs ne peuvent plus acheter et dans certains endroits, ce sont les grandes entreprises qui achètent. Cela signifie que demain, si nous continuons comme cela, les agriculteurs seront des salariés des entreprises qui seront propriétaires du foncier.
Je suis également d'accord avec ce qui a été dit sur les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et l'absence de mesures sur les paiements pour services environnementaux (PSE), qui me semblent être une nécessité pour les agriculteurs les plus vertueux en matière d'environnement.
On parle beaucoup de souveraineté alimentaire. Hier, le ministre reprochait à certains parlementaires, à travers leurs amendements, de « vendre du rêve ». Je me demande si ce n'est pas lui qui vend du rêve en matière de souveraineté alimentaire, car le constat est là, même si tout le monde ne le partage pas : nous avons un problème majeur de souveraineté alimentaire. Il y a une installation pour trois départs à la retraite. Tant que nous ne serons pas en capacité d'assurer un minimum de revenus aux agriculteurs, nous aurons du mal à installer des jeunes.
Enfin, nous avons un plan stratégique national, ce qui est une bonne chose, mais je pense que nous devrions se donner les moyens à travers ce budget de faire en sorte qu'il y ait un plan stratégique par filière. La filière viticole, par exemple, est en crise dans certaines régions. Le gouvernement a débloqué 200 millions d'euros d'argent public pour une distillation exceptionnelle et dans le même temps, la filière viticole bénéficie d'argent public pour planter des vignes. J'entends la filière, étant moi-même viticulteur, je sais de quoi je parle. Mais les citoyens nous font remarquer ensuite que nous donnons de l'argent public pour planter les vignes, mais aussi pour les arracher et, enfin, pour distiller le vin. Que pouvons-nous leur répondre ? On veut garder notre potentiel agricole, notre souveraineté agricole ; mais avec quelle stratégie ?
Les professionnels dans toutes les filières devront donc se doter d'un véritable plan stratégique à moyen et long terme pour que nous, parlementaires, soyons plus à l'aise aussi dans le choix des budgets que nous aurons à leur allouer.
M. Daniel Salmon. - Bien entendu, ce budget ne nous satisfait pas : quelle est sa véritable augmentation et surtout quelle est sa ventilation ? En matière de transition écologique, les mesures sont clairement insuffisantes. À l'Assemblée nationale, les députés ont voté 2 amendements, l'un de 271 millions d'euros pour le soutien à l'agriculture biologique et l'autre de 350 millions d'euros d'aides pour les MAEC. Ces deux amendements n'ont pas été retenus après l'utilisation du 49.3, ce qui est significatif de ce gouvernement qui ne va pas au bout de ce qu'il avance.
Nous avons quelques divergences sur la réduction des produits phytosanitaires. La technoscience ne sera pas l'unique solution, c'est surtout une solution qui va rendre les agriculteurs encore davantage prisonniers car elle nécessite de nombreux investissements et dépendants d'entreprises qui s'emparent peu à peu de l'agriculture. La redevance pour pollutions diffuses est une véritable mesure incitative qui pousse les agriculteurs à se détacher des pesticides. Bien entendu, je partage l'analyse d'Henri Cabanel : l'agriculteur ne devrait pas être seul à contribuer à cette redevance ; les producteurs ont une responsabilité, et devraient donc également payer. En revanche, je diverge sur l'analyse selon laquelle les agences de l'eau ne géreraient pas bien cette redevance. Une part doit rester aux agriculteurs, mais les agences de l'eau font également un très bon travail.
L'engagement de 110 millions pour les haies est un engagement intéressant, mais pour quel usage ? Je rejoins l'avis de Laurent Duplomb : s'agira-t-il d'une prime à ceux qui ont tout arraché pour qu'ils replantent ? Où cet argent sera-t-il envoyé ? Il faudrait qu'il aille à la restauration des haies existantes. À cet égard, je suis inquiet de la réponse du ministre, pour qui les haies ne doivent pas être figées et doivent pouvoir être déplacées de 50 mètres. Les haies ne sont pas des valises qu'on dépose là un jour pour les déplacer ailleurs ensuite. Elles ne déploient tous leurs services écosystémiques parfois qu'au bout de cinquante ou de cent ans. Il ne s'agit pas de tout figer, certes, mais il faut être réaliste.
Les aides aux organismes nationaux à vocation agricole (Onvar) sont de 7,75 millions, sur les 141 millions de taxes affectées au Casdar. Or, ces Onvar apportent de vrais bénéfices aux agriculteurs ; leur budget n'est donc pas à la hauteur.
S'agissant de l'accompagnement à la transmission et à l'installation, comme je l'ai évoqué hier, la ligne budgétaire dédiée reste à 12 millions d'euros, alors que 50 % des agriculteurs partiront à la retraite dans les dix prochaines années.
On manque aussi d'argent pour le contrôle des opérations foncières afin de limiter l'accaparement des terres. Enfin, la fiscalité n'est pas à la hauteur pour freiner le développement du phénomène sociétaire qui pose beaucoup de problèmes.
Sur l'alimentation, il faut avancer à la fois sur une évolution de l'alimentation et sur une évolution des pratiques agricoles. On ne peut pas faire l'un sans l'autre. Et il nous faut un soutien aux collectivités pour l'application de la loi Egalim dont les objectifs sont aujourd'hui très loin d'être atteints.
Enfin, en ce qui concerne le mal-être agricole, le crédit d'impôt en faveur du remplacement des agriculteurs doit être encore renforcé. Les agriculteurs ont le droit de souffler ; il faut donc vraiment les aider pour les remplacements, élargir le nombre potentiel de bénéficiaires et diminuer le reste à charge.
M. Bernard Buis. - Je voudrais souligner l'importante augmentation du budget de l'agriculture, augmentation qui suit celles des années précédentes et je me réjouis que cette année, la commission propose un vote favorable de ce budget. La hausse significative sur la planification écologique est un signe positif. Après les années de transposition des normes, nous en venons aux années de déploiement des moyens pour rendre le tout soutenable et réalisable pour les agriculteurs. Nous sommes dans l'action après des années d'incantations et nous concrétisons les mots du ministre : pas d'interdiction sans alternative, pas de règlement spécifique français s'il n'est pas européen. Je veux également souligner la réactivité du ministère de l'agriculture, qu'on a encore pu constater ces derniers jours avec l'annonce d'aides suite aux dégâts en Bretagne, en Normandie et dans le nord de la France.
Mme Micheline Jacques. - Je félicite mes collègues de la commission des affaires économiques pour leur excellent rapport, et j'y associe notre collègue de la commission des finances. Je salue tout particulièrement l'attention portée à la forêt guyanaise dont je rappelle que 1,4 million d'hectares sont gérées par l'ONF. Il est vrai que c'est une ressource précieuse et dans l'optique d'une meilleure maîtrise de l'exploitation de ces ressources naturelles, les compétences sont vitales, l'embauche d'agents de l'ONF est donc vraiment à saluer. Certaines essences de bois répondent mieux aux conditions climatiques tropicales et il y a lieu de rechercher l'équilibre entre la production du matériau et la préservation de la ressource naturelle boisée. Enfin, j'attire votre attention sur la réforme des retraites des exploitants agricoles ultramarins, prévue en 2025. Compte tenu de la petite taille de ces exploitations, il y a lieu d'y apporter une attention particulière pour éviter qu'ils se retrouvent en grande difficulté.
Mme Sophie Primas. - Une fois n'est pas coutume, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Laurent Duplomb sur le Grenelle de l'environnement et sur Écophyto. L'agriculture a besoin de temps long, bien loin de la « politique Tik Tok » que nous connaissons aujourd'hui. Il n'y a qu'une récolte par an et quand on impulse des transformations aussi importantes que celles qui sont nécessaires en agriculture, il faut du temps pour en voir les bénéfices. Il faut également des moyens, de l'accompagnement et la démocratisation et la diffusion des bonnes pratiques : ce que Laurent Duplomb a dit sur les fermes Dephy mérite en revanche d'être souligné.
Ce n'est pas l'instauration d'une redevance pour pollutions diffuses sur les produits qu'on ne souhaite plus utiliser qui fait une politique agricole. Il faut offrir des solutions alternatives aux agriculteurs et leur donner les moyens de les utiliser, de les connaitre, de les maîtriser et de les diffuser.
Il serait préférable de se pencher sur la notion de bilan carbone, plutôt que sur les seuls indicateurs d'utilisation des produits phytosanitaires : du fait de l'arrêt de l'utilisation de ces produits, les agriculteurs peuvent venir jusqu'à six fois plus souvent dans leurs champs, ce qui est négatif en termes de bilan carbone.
En revanche, une meilleure diffusion de la technologie permettrait de réduire ses coûts et de la rendre ainsi plus abordable pour la totalité des agriculteurs. Je crois au temps long, je crois à la transformation, je crois en l'apprentissage, je crois en la démonstration mais pour cela, il faut que la politique s'inscrive dans le long terme, même en agriculture.
M. Vincent Louault. - Je voulais intervenir sur le gazole non routier (GNR). Je me suis ému auprès du président de la FNSEA, M. Arnaud Rousseau, de l'accord conclu directement par ce syndicat avec Bercy, en amont du débat parlementaire. Sur la forme, cette réforme nous est donc imposée sans qu'aucun député ou sénateur n'ait été convié à cette négociation avec Bercy, et on nous explique maintenant que le débat n'est plus possible en raison de l'accord qui a été trouvé. Je considère que nous aurions pu en discuter : je doute, comme mes collègues, que les exonérations de plus-values accordées en compensation de la réforme puissent avoir un autre effet que le renflouement des concessionnaires. Je suis très surpris de ce fonctionnement : nous avons déjà le 49.3 ; si en plus nous avons le 49.3 de la FNSEA, alors autant tous rentrer chez nous et la laisser décider du budget avec le Gouvernement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je propose à nos trois rapporteurs pour avis de répondre globalement avant que nous passions à l'examen de leurs amendements.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - L'avis que nous proposons est certes favorable, mais avec plusieurs remarques. Force est de constater toutefois que l'augmentation du budget est réelle - 23 %, soit 900 millions d'euros -, même si on peut arguer que l'inflation des dernières années n'avait pas été prise en compte jusqu'à présent. Cette hausse est peut-être mal organisée, mal ventilée ou mal expliquée, mais en tout cas je peux vous dire qu'elle existe, et je ne suis pas connu pour être spécialement favorable au Gouvernement.
S'agissant de l'évolution des filières, la problématique est simple : nous n'avons aucune vision agricole en France, mais nous additionnons des politiques au gré du vent, du temps, des demandes sociétales, des aléas, des difficultés, de celui qui parle le plus fort, de celui qui a la bonne idée, du concours Lépine de l'idée la plus pénalisante. Au final, on constate que l'agriculture est en défaut, avec notamment un mouvement de décapitalisation, ouvrant la porte aux importations et à des accords de libre-échange.
J'ai démissionné de la commission des affaires européennes du Sénat au mois de février l'année dernière en raison d'un désaccord sur les accords de libre-échange. La Commission européenne a fait valider à l'époque le principe d'accords scindés en deux, avec une partie commerciale qui correspond à un accord intérimaire nécessitant l'approbation de la seule Commission et non plus des États. Je n'accepte pas que nous n'ayons plus notre mot à dire, et que les États, même s'ils ne sont pas majoritairement d'accord, doivent ainsi s'en remettre à la décision de la Commission. On peut bien faire toutes les incantations et écrire toutes les résolutions que l'on veut, c'était à ce moment-là qu'il fallait mettre un coup de pied dans la fourmilière. L'agriculture devient souvent, pour ne pas dire tout le temps, la variable d'ajustement dans la balance face aux pays en voie de développement. Mais ce sont aussi nos propres injonctions contradictoires, nos propres sur-transpositions, nos propres critiques dirigées contre notre modèle agricole qui conduisent petit à petit à une baisse de la production et à une hausse des importations.
Sur les haies, il faut distinguer deux situations. D'un côté, une politique agricole consistant à massifier et intensifier les cultures avec un arrachage très important de haies, qui pose aujourd'hui la question de les replanter. Dans le même temps, il y a des territoires qui, à la fin du XIXe siècle, ne comportaient pas une seule haie, leur création résultant uniquement du manque d'entretien des parcelles faute d'agriculteurs. A contrario, dans des villages comme le mien, avec 1 800 habitants et plus de 1 000 agriculteurs, tous les talus étaient mangés par les animaux et le peu de bois qui tombait servait au chauffage. Il existe en fait un problème de définition : autant les haies existent dans le bocage vendéen, normand ou bourbonnais, autant il est des territoires où il s'agit plutôt de broussailles. Le problème de l'administration technocratique, c'est de confondre toutes les définitions de haies. À chaque fois qu'un agriculteur, chez moi, enlève 100 mètres de soi-disant haies, en fait des broussailles, on le condamne comme s'il avait détruit une haie de plus de 200 ans. Il faut revenir à quelque chose d'objectif et de mieux équilibré.
Il n'était pas question de mettre en accusation le temps long dans mes propos. Mais force est de constater que les agriculteurs paient maintenant 180 millions d'euros par an de redevance pour pollutions diffuses et que 625 millions par an sont en moyenne dépensés au total pour la réduction des phytosanitaires, sans effort vers plus de massification via des aides aux agriculteurs pour s'équiper et diminuer les volumes utilisés. Nous sommes restés dans un dogme qui consiste à supprimer les molécules et non pas le volume. Or cela ne sert à rien de vouloir supprimer une molécule si scientifiquement il est prouvé qu'elle n'a pas un impact très fort sur l'environnement et sur la santé publique, alors qu'on pourrait le garder et diminuer de 80 % son volume.
Un exemple au sujet de l'exonération des plus-values : sur mon exploitation, avec l'installation de mon fils, nous avons augmenté de 300 000 litres de lait notre production cette année, conduisant mécaniquement à une hausse de notre chiffre d'affaires. Le résultat de l'année est moins bon que celui de l'année antérieure, en raison de dépenses plus importantes, mais les plus-values sont calculées uniquement sur les recettes et le chiffre d'affaires et non pas sur le résultat. Il faut arrêter de véhiculer l'image d'Épinal des agriculteurs qui vont chez le marchand de matériel dès qu'ils ont quatre sous. Quand je me suis installé, on disait que les paysans achetaient de si gros tracteurs qu'ils ne pouvaient même pas les ranger dans leur grange parce que la porte n'était pas assez haute. Sur les plus-values, il n'y a pas que le problème du matériel et de la défiscalisation, il y a aussi la réalité économique.
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - Je vais revenir davantage sur la partie forestière de ce budget, pour laquelle on se satisfait bien évidemment de l'évolution positive des crédits qui lui sont alloués. Cela n'évacue pas les sujets de mobilisation qui existent également en dehors de ce budget, comme l'extension du TO-DE à ce secteur, traité dans le cadre du PLFSS. L'activité des entreprises de travaux forestiers est de plus en plus saisonnière, avec les enjeux de protection des sols, de climat, mais aussi les règles environnementales qui s'imposent. Il y a aujourd'hui un vrai défi de compétitivité pour ces entreprises qui peinent à se maintenir et être suffisamment présentes sur nos territoires pour assumer leur travail. Nous serons vigilants à propos des 200 millions d'euros alloués à l'accompagnement de l'aval pour dynamiser la transformation du bois, l'utilisation et la mobilisation du bois de construction. Cette ligne budgétaire, nouvelle dans son dimensionnement, devrait permettre de dynamiser également l'amont dans un contexte immobilier difficile.
Nous avons un vrai problème, qui n'est pas à proprement parler budgétaire mais qui présente des conséquences budgétaires, lié au déséquilibre entre forêt et gibier sur l'ensemble de nos territoires. Je suis président des communes forestières de mon département, qui se classe premier à deuxième selon les années en matière de dégâts agricoles. Les dégâts sur la forêt sont plus difficiles à chiffrer, mais on nous dit qu'un tiers des dépenses du plan de relance, puis de France 2030 et demain de la planification écologique, pour le renouvellement des forêts, y sont consacrés. On mobilise beaucoup trop de fonds publics pour ces protections contre le gibier à mon avis.
Nous sommes nombreux ici à être convaincus que les enjeux de souveraineté alimentaire procèdent avant tout du redressement productif de notre pays et en particulier dans le domaine agricole avec le sujet de la compétitivité. Les impasses que subissent nos filières aujourd'hui ouvrent la voie à beaucoup trop d'importations, très défavorables du point de vue du bilan carbone.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Nous avons mené un travail important ces dernières semaines et cela n'a pas été simple de trouver un terrain d'entente entre nous pour rendre cet avis. Je ne voudrais pas vous donner l'impression de défendre la politique du Gouvernement. C'est la première fois que nous donnons un avis favorable depuis que je suis co-rapporteur de cette mission, sans écarter les réserves que vous avez pu formuler et que nous avions également soulevées. À propos du budget en euros constants, je suis prêt à rediscuter des chiffres d'ici la séance, car nous ne semblons pas tous avoir les mêmes.
Vous connaissez ma ligne politique à propos des MAEC et ce n'est pas cet avis favorable qui va la modifier. La souveraineté alimentaire doit rester une vraie priorité du budget et le soutien apporté à des acteurs alternatifs constitue aussi une avancée qui n'est pas à négliger.
Concernant le fonds de renouvellement forestier, j'évoquais le sujet de sa nébulosité avec le ministre hier : c'est d'une complexité sans nom, une chatte n'y retrouverait pas ses chats. À défaut d'une explication de texte de la part du ministre ou des services, je suis incapable de dire comment cela va fonctionner. Par ailleurs, je partage le constat de la nécessité d'un débat sur les accords de libre-échange.
La redevance pour pollution diffuse (RPD) nous a beaucoup occupés lors de l'examen des crédits de cette mission. À l'instar du Casdar, notre vision est que l'argent cotisé par les paysans dans ce fonds obligatoire doit revenir aux paysans. Je suis très favorable à ce que les agences de l'eau continuent de fonctionner de cette manière, mais avec une transparence totale. C'est encore une fois l'opacité qui entraîne une certaine retenue.
Depuis plus de dix ans et même depuis que je suis engagé en politique, j'attends une véritable loi foncière et non pas une succession de petits textes manquant d'ambition. Enfin, je signale que nous présenterons un amendement au sujet du service de remplacement avec des taux plus incitatifs pour les agriculteurs qui y recourent, ainsi qu'un amendement de repli.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous en venons à l'examen des cinq amendements proposés par nos rapporteurs pour avis.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Les amendements que je vais vous présenter s'inscrivent dans la continuité de ma présentation liminaire. Le premier d'entre eux vise à consacrer 50 millions d'euros sur les 1,3 milliards d'euros prévus pour la planification écologique à la création d'une sous-action explicitement dédiée à l'accompagnement des agriculteurs, qui pourrait être orientée vers les Chambres d'agriculture.
L'amendement AFFECO.1 est adopté.
M. Jean-Claude Tissot, rapporteur pour avis. - Comme je l'ai expliqué dans mon intervention tout à l'heure, l'amendement AFFECO.2 est un amendement d'appel qui a pour but de demander au ministre des précisions sur le fonds Entrepreneurs du vivant, annoncé à grands renforts de communication par le Président de la République en personne en septembre 2022. Une première interrogation porte sur la logique du rattachement d'un fonds de fonds dans le domaine du portage du foncier, à France 2030, plan censé financer l'innovation de rupture. À deux mois de l'échéance prévue, les contours de ce fonds ne sont, du reste, pas connus. Enfin, nous nous inquiétons de la destination, à ce jour inconnue, des 400 millions d'euros de ce fonds, puisque seuls 60 millions d'euros iraient au foncier.
L'amendement AFFECO.2 est adopté.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.3 a pour but de financer le fonds hydraulique, d'un montant de 30 millions d'euros, par le budget général, pour libérer la même somme dans le produit de la redevance pour pollutions diffuses, et l'affecter directement à l'enveloppe nationale du plan Écophyto, sans passer par le budget courant des agences de l'eau. Le but est d'améliorer le retour de la redevance aux agriculteurs.
L'amendement AFFECO.3 est adopté.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.4 vise à financer le bulletin santé du végétal, qui prend chaque année 7,58 millions d'euros sur l'enveloppe nationale Ecophyto, par le budget courant du ministère, pour affecter la même somme, dans le produit de la redevance pour pollutions diffuses, directement à Écophyto sans passer par le budget courant des agences de l'eau.
L'amendement AFFECO.4 est adopté.
M. Franck Menonville, rapporteur pour avis. - L'amendement AFFECO.5 que j'ai présenté lors de mon intervention liminaire vise à augmenter dès 2024 le plafond d'emplois du programme 149 de 24 ETPT - 18 pour l'ONF et 6 pour l'IGN - afin de réaliser un inventaire forestier outre-mer.
L'amendement AFFECO.5 est adopté.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous allons passer au vote de l'avis sur les crédits budgétaires de cette mission, nos rapporteurs pour avis vous proposant un avis favorable. Je vous informe par ailleurs que la séance publique aura lieu le vendredi 8 décembre en fin d'après-midi et le soir.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ainsi qu'à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».
La réunion est close à 12 h 05.
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la Ministre, nous sommes très heureux de vous auditionner sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie » et, plus largement, sur l'actualité, très dense, du secteur de l'énergie.
Avant de vous donner la parole pour nous présenter ce budget, je souhaiterais vous poser plusieurs questions sur cette actualité.
Le 25 septembre dernier, le Président de la République a annoncé l'aboutissement de chantiers législatifs majeurs, avec le dépôt, d'ici à la fin de l'année, d'un projet de loi révisant notre programmation et notre régulation énergétiques et d'un autre projet de loi fusionnant l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) avec l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Pouvez-vous nous préciser le calendrier et les contenus envisagés de ces textes ?
Madame la ministre, je veux le dire solennellement ici : notre commission et - je n'en doute pas - le Sénat dans son ensemble seront très attentifs au respect des droits du Parlement dans le cadre de l'examen de ces deux textes.
Je rappelle que c'est notre commission qui a fixé le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie, lors du vote de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite loi « Énergie-Climat ». Ce faisant, nous avons souhaité, dans un secteur aussi stratégique que celui de l'énergie, consacrer la préséance du Parlement sur le Gouvernement, de la politique sur la technique, car ces choix auront des conséquences majeures sur le quotidien de nos concitoyens. Nous n'accepterons donc pas un énième report d'examen, car cette loi aurait dû légalement être adoptée avant le 1er juillet 2023. Nous veillerons aussi à ce que le contenu de cette loi couvre bien l'ensemble des enjeux : du mix énergétique à la rénovation énergétique. Ce contenu doit courir jusqu'en 2033, s'agissant de l'énergie, et jusqu'en 2038, concernant le carbone.
Pour ce qui est de la fusion de l'ASN et de l'IRSN, c'est aussi notre commission qui a expurgé la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dite loi « Nouveau nucléaire », de toute référence à cette fusion, pour lui préférer une saisine de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). En rejetant les amendements présentés à la hâte par le Gouvernement, après le vote massif du Sénat sur ce texte, nous nous sommes opposés à une réforme mal anticipée et mal évaluée. En saisissant l'Opecst, nous avons remis les parlementaires au coeur des enjeux. Nous souhaitons donc des conditions d'examen qui permettent au Parlement de prendre le temps d'examiner de façon approfondie les tenants et les aboutissants de ce texte.
Nous veillerons évidemment à ce que le contenu de cette loi n'induise pas de déstabilisation de la sûreté, de la radioprotection ou de la recherche nucléaires. Vous le savez comme nous : pour réussir, la relance du nucléaire doit être assortie d'un haut niveau de contrôle et de transparence, gage de la confiance du public.
C'est donc un examen parlementaire approfondi et exigeant que notre commission réservera, comme à son habitude, à ces textes. Un travail que nous voulons de fond, rationnel et collégial.
Parmi les sujets pendants, je forme le voeu que ces textes débloquent deux sujets de financement, sur lesquels je souhaiterais vous interroger.
Dans le domaine du nucléaire, les dépenses s'élèvent, pour le groupe EDF, à 50 milliards d'euros pour la construction de six nouveaux réacteurs pressurisés européens 2 (ou European Pressurized Reactors 2 - EPR 2) et à 65 milliards d'euros pour la prolongation des réacteurs existants, dans le cadre du « Grand Carénage ». Or aucun modèle de financement n'a été trouvé à ce jour ! Aussi, nous voudrions savoir concrètement comment sera financée votre relance du nucléaire...
La réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) est encore attendue. Un accord a été annoncé hier avec un prix autour de 70 euros par mégawattheure (MWh) : en quoi consiste-t-il précisément ? Quel est son impact sur les recettes du groupe EDF et les prix des consommateurs ?
Par ailleurs, les contrats pour la différence (ou Contracts for Difference - CfD), autorisés pour l'énergie nucléaire par la réforme du marché européen de l'électricité, ne sont pas non plus opérationnels. M. Luc Rémont, le PDG d'EDF, a rappelé devant nous la nécessité d'un soutien public, quel qu'il soit, pour réussir la relance du nucléaire.
Comment l'État va-t-il aider EDF à financer ces plus de 100 milliards d'euros d'investissements ? Je rappelle que le montant alloué au nucléaire par le plan « France 2030 » ne dépasse pas 1 milliard d'euros ! Comment, dès lors, développer les EPR 2 et petits réacteurs modulaires (ou Small Modular Reactors - SMR) annoncés ?
À l'échelon européen, les modèles de financement passent par des fonds propres, des garanties d'emprunts, des prix régulés ou des participations de consommateurs intensifs. Quel est le schéma retenu pour la France, en sachant que la Cour des comptes a clairement indiqué que le groupe EDF ne pouvait financer seul cette relance ?
Dans le domaine des énergies renouvelables (EnR), les dépenses atteignent, selon le groupe EDF, 5 milliards d'euros par an s'agissant des investissements dans la transition énergétique. Pour l'hydroélectricité, M. Rémont nous a précisé qu'il étudiait un passage du régime des concessions vers celui des autorisations. C'est une annonce importante, dans la mesure où un contentieux européen obère les perspectives de développement de la filière, depuis bientôt vingt ans. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette solution ? Le Gouvernement est-il sur la même longueur d'onde que le groupe EDF en la matière ?
Je vous laisse réponse à ses premières questions, puis notre rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie », Daniel Gremillet, les rapporteurs ayant travaillé sur des thématiques liées à l'énergie et l'ensemble de nos collègues vous interrogeront.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Un mot d'abord, Madame la Présidente, pour saluer votre élection à ce poste. J'aurai le plaisir de travailler avec vous comme je l'ai eu avec Mme la vice-présidente Sophie Primas, dont je salue également la présence ici.
Le budget de 2024 porte un effort inédit de l'État pour mettre en oeuvre la planification écologique et énergétique. Sur les 10 milliards d'euros supplémentaires dédiés à la planification, 7 milliards seront de la responsabilité directe des ministères de la transition écologique et de la transition énergétique. Avec un total de 62 milliards d'euros, les budgets des deux ministères sont en hausse de 15 %.
Ces moyens financiers se doublent d'un renforcement significatif de nos moyens humains, avec la création nette et sans précédent de 760 emplois dans l'administration centrale comme déconcentrée.
De tels moyens sont au service d'une ambition, celle de l'accompagnement des Français dans la transition écologique et énergétique, celle visant à leur permettre de mieux se déplacer et de mieux se loger, celle visant enfin à conduire notre pays à produire plus d'énergie décarbonée.
Le budget de 2024 est d'abord celui de la décarbonation du quotidien des Français, car, pour atteindre la neutralité carbone, nous devons nous en tenir à un principe intangible : la transition écologique et énergétique ne doit pas aggraver les inégalités sociales. Il s'agit d'une question d'acceptabilité. Je suis convaincue que la transition, synonyme de grande transformation de nos modes de vie, est une question éminemment sociale. Sous-estimer cette dimension, c'est risquer de mettre en danger notre République, dont l'équilibre repose, culturellement, sur une forte exigence de justice sociale.
Au fond, la transition écologique et énergétique est davantage un sujet de progrès social que de progrès technique.
Quand on accompagne les Français pour leur permettre de mieux se déplacer et mieux se loger, avec des véhicules consommant moins et des logements moins énergivores, on marque des points dans la bataille du pouvoir d'achat, des factures.
On gagne également des points dans le combat pour l'amélioration de la qualité de vie en réduisant la pollution de l'air, la prévalence des maladies respiratoires et en permettant à des millions de Français de sortir des passoires thermiques pour habiter dans des logements dignes. Je sais que vous êtes une spécialiste de ces questions, Madame la Présidente.
On gagne encore des points dans le combat climatique en réduisant considérablement le poids des principaux postes émetteurs de gaz à effet de serre (GES), que sont les véhicules des particuliers et les bâtiments résidentiels.
Le Gouvernement a ainsi fait le choix de porter à 1,5 milliard d'euros les aides au verdissement des véhicules, soit 200 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2023, ce qui représente une hausse de 15 %. Ces aides se déclinent autour de trois axes.
Premièrement, nous devons rendre plus accessibles les véhicules électriques aux plus modestes et aux classes moyennes, en particulier à ceux qui vivent en milieu rural et à la périphérie des principaux centres urbains. Nous renforçons ainsi les aides à l'acquisition de véhicules électriques pour ceux-ci. Mon objectif consiste à réduire l'écart entre le prix d'un véhicule thermique et celui d'un véhicule électrique, afin de mettre ce dernier à la portée des bourses modestes et moyennes. Un nouveau modèle de petites voitures électriques arrive sur le marché à partir de 2024, avec un prix de vente de l'ordre de 20 000 à 25 000 euros. Soulignons que, du fait de sa consommation de carburant, et à raison d'une moyenne de déplacement de 12 000 kilomètres, un véhicule thermique coûte environ 1 200 euros de plus qu'un véhicule électrique par an.
Deuxièmement, nous concrétisons la promesse du Président de la République de leasing social à 100 euros, destiné aux 50 % de nos concitoyens les plus modestes. Les premiers véhicules éligibles seront annoncés en décembre prochain.
Troisièmement, nous mettons en place un score environnemental sur les véhicules électriques, afin de ne financer que ceux qui présentent la meilleure empreinte environnementale. Il s'agit d'introduire un élément de concurrence loyale, à l'égard de véhicules électriques produits à l'autre bout du monde et dont le bilan carbone en analyse de cycle de vie s'avère beaucoup plus élevé que celui de véhicules électriques produits en France et en Europe. Le décret a été publié et la liste des véhicules qui satisferont à cette condition sera connue en fin d'année 2023, après instruction individuelle des dossiers.
Par ailleurs, l'État renforce son soutien à l'électrification des poids lourds. Le projet de loi de finances (PLF) 2024 prévoit également des mesures de renforcement des malus sur le CO2 et sur le poids des véhicules, afin d'inciter à l'achat de véhicules électriques plus légers.
Enfin, nous poursuivons nos efforts de déploiement des infrastructures de recharge, avec le soutien à l'installation, en vue d'atteindre 400 000 points de recharge publics d'ici à 2030, comme s'y était engagé le Président de la République. L'enveloppe globale sera précisée dans quelques semaines, mais je peux à ce stade confirmer que les aides certificats d'économies d'énergie (C2E), les aides à l'installation de bornes de recharge au sein des copropriétés, les aides aux entreprises ou en voirie publique bénéficieront d'un abondement de 200 millions pour la période 2024-2025.
Décarboner le quotidien des Français, c'est aussi les aider à mieux se loger.
À ce titre, je tiens à saluer le travail du Sénat sur la question de la rénovation énergétique des logements. Votre rapport du 29 juin 2023 comporte de nombreuses propositions que le Gouvernement partage et dont certaines sont d'ores et déjà suivies d'effet dans le PLF.
Nous mobilisons des moyens financiers historiques : 5 milliards d'euros sont alloués au financement des aides à la rénovation énergétique des logements, ce qui représente 1,6 milliard d'euros de plus qu'en 2023.
La part revenant à l'Agence nationale de l'habitat (Anah) connaît notamment une hausse sans précédent, au service du dispositif MaPrimeRénov'.
Un budget renforcé permettra d'accélérer l'installation d'équipements décarbonés de chauffage et d'augmenter le soutien aux rénovations d'ampleur, en particulier des passoires thermiques qui représentent un enjeu de pouvoir d'achat majeur. Gardons à l'esprit qu'une passoire thermique classée G coûte rien moins que trois fois plus cher en factures qu'un logement ordinaire bénéficiant d'un bon classement D ou d'un mauvais classement C.
Afin de lutter contre les bouilloires thermiques, nous finançons aussi les aides au confort d'été, c'est-à-dire la ventilation, les protections solaires, ainsi que des solutions de climatisation spécifiques à haut niveau environnemental.
Ce budget en hausse doit s'accompagner d'une pleine mobilisation de nos partenaires. Comme vous le soulignez dans votre rapport, il faut que la filière se structure rapidement en vue de réaliser des rénovations performantes. Il revient aux cofinanceurs et acteurs de terrain d'étoffer les guichets France Rénov' et d'accroître le nombre des accompagnateurs Rénov'. Vous connaissez l'ampleur de nos ambitions en la matière.
Le service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH), c'est-à-dire le service public d'accompagnement des Français dans la rénovation énergétique, est cofinancé par l'État et les collectivités territoriales. Ce cofinancement atteste que l'État, dans toutes ses composantes, se range derrière une ambition commune, celle de l'amélioration de l'habitat des Français et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Le retrait unilatéral d'un cofinanceur met en péril tout l'édifice. Je ne peux donc que regretter la décision du président du conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes de mettre un terme au financement de sa région. Je l'appelle de nouveau à revenir sur cette décision. Non seulement elle va à rebours de l'ambition qu'il nous revient collectivement d'honorer, mais elle menace 300 professionnels dont le travail consiste à accompagner quotidiennement les Français sur le terrain dans leurs projets de rénovation thermique.
Parmi les partenaires à mobiliser, les banques sont chargées de distribuer les prêts à taux zéro. Dans le budget 2024, le Gouvernement réaffirme et amplifie ce dispositif de l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ). Il sera prorogé jusqu'en 2027, ce qui donnera de la visibilité aux acteurs. Nous relevons le plafond de travaux finançables à hauteur de 50 000 euros pour les rénovations multigestes, de nouveau en reprenant une partie de la proposition qui figurait dans votre rapport.
En outre, l'adoption en première lecture des amendements du député David Amiel permettra aux Français de bénéficier du prêt avance rénovation à taux zéro, comme vous le proposiez également dans votre rapport. Ce prêt sera ouvert sans condition de ressources. Maintenant, c'est aux banques de jouer le jeu auprès de nos concitoyens pour faciliter l'instruction de l'octroi de ces prêts bonifiés.
Se loger, c'est enfin pouvoir payer ses factures d'énergie.
Dans un contexte de crise, nous avons agi vite et massivement avec des boucliers tarifaires. Il s'agit aujourd'hui d'en sortir progressivement, à la faveur du retour des prix de gros sur les marchés du gaz et de l'électricité à des niveaux plus habituels, tout en soutenant ceux qui en ont le plus besoin au travers du chèque énergie. Le bouclier sur l'électricité continuera de s'appliquer pour les particuliers en habitat privé ou collectif, tout comme l'amortisseur électricité à destination des petites et moyennes entreprises (PME), des collectivités territoriales et des associations.
Au-delà de cette cruciale décarbonation du quotidien, le budget 2024 nous permet de poursuivre aussi nos efforts pour bâtir notre souveraineté énergétique grâce à la production d'énergie décarbonée, dans la droite ligne des deux lois sur l'accélération des EnR et du nucléaire que j'ai fait adopter en 2023.
Nous mobilisons 1,4 milliard d'euros pour financer le soutien à la technologie nucléaire. Les subventions allouées au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) atteindront 1,2 milliard d'euros en 2024, en intégrant le montant de 200 millions d'euros de la subvention pour faire avancer concrètement les projets de SMR et financer le renforcement des effectifs du CEA à hauteur de 126 équivalents temps plein (ETP).
En parallèle, le Gouvernement continue de soutenir les EnR. Un nouveau mécanisme de soutien à la production d'hydrogène décarboné - sur bases renouvelable et nucléaire - verra ainsi le jour l'année prochaine. Les montants versés au titre du soutien à l'injection de biogaz et aux projets de transition énergétique dans les zones non interconnectées (ZNI) augmenteront par rapport à 2023. Au total, l'État financera 4 milliards d'euros au titre des charges de service public de l'énergie (CSPE).
Pour leur part, les projets éoliens, aux prix plus compétitifs que la moyenne de ceux de l'électricité, continueront d'être bénéfiques au budget de l'État avec des reversements à ce budget. La situation montre que le financement des EnR joue dans les deux sens et contribue à stabiliser les prix de l'électricité et que ces énergies sont compétitives.
Le budget consacré aux études sur l'implantation de parcs éoliens augmente de 55 millions d'euros, soit 80 %, pour atteindre 123 millions d'euros. Cela démontre notre ambition en matière d'éolien marin.
Le fonds Chaleur, très apprécié des collectivités territoriales, mais également des industriels, atteint le niveau inédit de 820 millions d'euros. Depuis 2017, nous avons quadruplé le montant du fonds.
Vous l'aurez compris, ce budget de 2024 est le pendant financier du plan de bataille de planification écologique et énergétique que je porte. Il représente un effort massif pour accompagner les Françaises et les Français dans la décarbonation de leur quotidien. Nous devons poursuivre la mobilisation collective de tous les acteurs.
Notre politique de transition énergétique se fonde sur deux piliers : la baisse de la consommation d'énergie et l'augmentation de la production d'énergie décarbonée sur notre territoire.
La baisse de la consommation d'énergie suppose un changement des habitudes et des usages : c'est ce qu'on appelle la sobriété énergétique, sufficiency en anglais, ce qui souligne peut-être mieux un juste emploi des ressources. Sur ce terrain, nous avons réussi à diminuer notre consommation de gaz et d'électricité de 12 % au cours des douze derniers mois. C'est considérable, et pourtant nous pouvons aller encore plus loin.
Elle renvoie également à l'efficacité énergétique, en mettant à profit des technologies et des investissements, afin de réduire, à usage égal, notre consommation d'énergie. Interviennent ici, par exemple, la rénovation thermique, les diodes électroluminescentes (LED) ou les processus industriels.
L'augmentation de la production d'énergie décarbonée inclut les EnR et l'énergie nucléaire. Sur ce sujet, nous ne prenons, en 2023, quasiment aucun risque à pousser les curseurs au maximum pour nous donner toutes les chances de réussir. Car les modélisations extrêmement précises que nous conduisons sur notre modèle énergétique, en particulier sur la partie électricité avec Réseau de transport d'électricité (RTE) ou sur la biomasse dans le cadre de la planification écologique, montrent que les marches à franchir d'ici à 2030, 2035 et 2050 sont très élevées.
Par la suite, les curseurs s'ajusteront à la mesure de notre rythme de déploiement réel et en fonction des nouvelles technologies qui ne manqueront pas d'arriver sur le marché et dans lesquelles nous comptons également investir fortement. Nous ne serons pas les seuls à l'échelle internationale.
J'en viens aux projets de loi.
Vous le savez, nous travaillons depuis un an à une stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC).
Elle a commencé par une phase de concertation du public, entre les mois d'octobre 2022 et février 2023, avec l'organisation d'un Forum des jeunesses, à la restitution des travaux duquel je vous avais conviés, ainsi que les membres de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat.
Nous avons ensuite lancé sept groupes de travail sur la planification énergétique, auxquels plusieurs d'entre vous ont participé aux côtés d'élus locaux, de représentants d'entreprises, de représentants d'associations de consommateurs et d'associations environnementales, d'experts et de représentants d'organisations syndicales. Ces groupes de travail ont remis leurs propositions en septembre dernier.
Le Président de la République en a repris une large part dans la planification écologique qu'il a présentée à la fin du même mois.
J'apporte la touche finale à ce document de stratégie française, qui constitue le document ombrelle. Il contient à la fois la partie programmation du projet de loi relatif à la production énergétique, et la partie relative au décret de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). L'idée consiste à donner sans retard un maximum de visibilité à deux textes qui ont vocation à s'enchaîner.
Nous avons également remonté, à titre indicatif, et sous réserve de validation par nos instances de gouvernance, un plan national intégré Énergie-climat (PNIEC) au niveau européen. Il devrait bientôt être mis en ligne.
Cette stratégie devrait être soumise à consultation d'ici à la fin du mois, avec six semaines pour les consultations officielles et deux semaines pour l'avis du Conseil d'État. La présentation en Conseil des ministres, puis devant le Parlement, du projet de loi correspondant est attendue pour fin janvier ou début février 2024.
S'agissant du projet de loi sur la réforme de notre sûreté nucléaire, cette réforme a été introduite par amendement à l'Assemblée nationale. Il a d'abord été adopté, avant d'être réécrit. Ne réécrivons pas l'histoire ! Les représentants du Sénat, dont la précédente présidente de la commission des affaires économiques et le rapporteur de l'époque, avaient fait savoir que ce procédé qui, en quelque sorte, excluait un examen plein et entier au sein du Sénat, ne leur convenait pas. Ce procédé ne convenait pas non plus à l'Assemblée nationale.
L'Opecst s'est saisi du sujet. Il a remis son rapport en juillet dernier avec pour rapporteurs le sénateur Stéphane Piednoir et le député Jean-Luc Fugit. Le rapport avance des propositions de réforme de la sûreté nucléaire que nous reprenons assez largement dans le projet de loi aujourd'hui à la consultation et qui sera présenté en Conseil des ministres à la fin de l'année puis au Parlement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pour ces deux projets de loi, savez-vous laquelle des deux chambres du Parlement sera saisie la première ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je ne le sais pas encore. Le calendrier de leur présentation est en cours d'élaboration. Nous vous avons adressé en l'état, tel qu'il fait l'objet de concertations, le second projet de loi que j'ai évoqué. Comme il s'agissait d'une réponse aux travaux de l'Opecst, il était logique que vous en disposiez in extenso.
Je précise à présent le contenu de ces projets.
Le projet de loi de programmation « Énergie-Climat » (LPEC) s'inscrit dans une logique de production énergétique. Il reprend le cadre européen, à l'exception, par définition, de ce qui ressortit au domaine réglementaire, en soulignant l'objectif à atteindre et la façon d'y parvenir, notamment en matière de production d'énergie bas-carbone. Il comprend également des éléments relatifs à la protection du consommateur, avec une possible régulation de notre système tarifaire, sous réserve que cet aspect ne relève pas plutôt du domaine d'un PLF. L'analyse juridique est en cours mais il faut, en tout état de cause, donner très vite de la visibilité aux acteurs. Nous ne devons pas avoir la main qui tremble sur le calendrier de cette partie de la régulation.
Le second projet de loi qui concerne l'ASN et l'IRSN consiste à réunir, comme c'est le cas dans d'autres pays, l'ensemble des compétences qui assurent notre sûreté nucléaire, mais aussi les renforcer par une plus grande attractivité. Un article prévoit de rehausser le niveau de rémunération des acteurs. Alors que de nombreux recrutements interviennent, on constate en effet un décalage par rapport aux rémunérations que proposent d'autres opérateurs.
L'objectif est également celui d'une indépendance accrue. Les acteurs de l'IRSN bénéficieraient du statut d'autorité administrative indépendante (AAI). Ils possèdent aujourd'hui celui d'établissement public industriel et commercial (ÉPIC), c'est-à-dire qu'ils sont directement soumis au pouvoir politique et au Gouvernement.
S'ajoutent l'intention de fluidifier les procédures et la volonté d'accentuer la transparence à l'égard du public, avec de nouvelles méthodologies. Celles-ci pourraient passer par la définition de grands sujets de débats par les assemblées - tels que, pour s'en tenir à un exemple d'actualité, la corrosion sous contrainte (CSC) -, ouvrant à une consultation du public avant toute décision par le collège de l'ASN, lui-même nourri de l'expertise de l'IRSN et de l'ASN.
Je précise qu'un certain nombre de sujets sont d'ordre réglementaire ou intéressent les règlements intérieurs des deux institutions : titres-restaurant, remboursement des frais de déplacement, organisation de tel ou tel service. Le projet de loi ne les reprendra évidemment pas. La loi a d'ailleurs vocation à s'en tenir à un niveau principal, en indiquant ce qui est attendu de la nouvelle entité, dont la mission englobera la sûreté nucléaire et la radioprotection.
Sur les sujets de financement, vous soulignez à raison, Madame la Présidente, que le plan de vol d'investissements d'EDF est absolument considérable, avec six nouveaux EPR 2, le « Grand Carénage », ainsi que la rénovation des réseaux. Enedis a présenté une trajectoire de l'ordre de 100 milliards d'euros d'ici à 2040. RTE achève l'élaboration de son propre plan de financement ; son exercice inclut l'évaluation des besoins complémentaires de réseaux, ainsi que les interconnexions avec d'autres pays. L'ensemble de ces investissements apparaît indispensable à la fourniture à tout moment d'électricité à nos concitoyens, en élevant notre niveau de résilience.
À cet égard, le « nouveau nucléaire » ne pèse « que » de 15 % à 20 % des investissements futurs d'EDF. C'est vous dire la marche à franchir en matière d'investissements, et c'est ce qui explique le modèle de régulation que nous proposons pour succéder à l'Arenh après 2025.
Il nous faudra en effet donner, tant aux entreprises qu'aux ménages, une autre trajectoire à partir de 2026.
Les ménages bénéficieront d'un tarif réglementé qui, s'il reste encore à préciser, ne devrait pas changer significativement les règles du tarif bleu actuel.
Pour les très petites entreprises (TPE), j'ai défendu l'abandon de la référence, spécifiquement française, au seuil de puissance de 36 kilovoltampères (kVA), de sorte que toutes bénéficient du tarif réglementé, quel que soit le niveau de leur consommation. Le projet de loi ne tient donc plus compte de ce seuil.
Quant aux autres entreprises, l'objectif est de les inciter très fortement à conclure des contrats de long terme, soit par un partage des risques d'ordre quasiment industriel sur nos capacités de production, soit en accédant à la fourniture d'électricité pour une durée de cinq ans, ce qui lissera et réduira la volatilité des prix.
De plus, nous mettons en place un mécanisme de récupération de la rente des producteurs d'électricité, calculé sur l'ensemble, et non plus sur une partie seulement, comme avec l'Arenh, de la production nucléaire. Cette récupération s'appliquera à hauteur de 50 %, au-delà d'un prix de 78 à 80 euros du MWh - il s'agit des prix de 2022, qui seront réactualisés -, et à hauteur de 90 %, au-delà d'un prix de 110 euros du MWh.
Ce mécanisme assure un bouclier ferme, plus protecteur que l'Arenh, dont l'indéniable efficacité pour faire baisser les prix ne résistait cependant pas devant l'emballement du marché, car le volume à acheter sur ce marché était trop important. Le mécanisme responsabilise aussi les fournisseurs alternatifs, qui devront mettre en place une véritable politique commerciale, et non se contenter d'imiter les choix d'EDF, de passer des marges commerciales et de fermer leurs positions en trading. Enfin, il responsabilise EDF, qui a calculé le prix d'équilibre qui lui permet de supporter ses investissements des prochaines années - une trajectoire d'investissements de 20 milliards d'euros - tout en assurant, avec une efficacité opérationnelle, un niveau de production d'électricité nucléaire supérieur à 360 térawattheures (TWh), contre 280 TWh en 2022 . Ce n'est pas l'épaisseur du trait ; c'est essentiel à notre résilience énergétique !
Notre modèle de financement inclut les investissements courants, l'investissement du « Grand Carénage », ainsi qu'une partie assez importante du coût de la construction des EPR 2, en sachant que ce financement doit aussi être co-porté par l'État, comme l'a indiqué le PDG d'EDF. C'est l'objet de la seconde série de travaux que nous conduisons.
Un projet d'EPR 2 présente des caractéristiques de temps et de risques telles que le coût de son financement atteint quasiment la moitié du coût d'ensemble de l'opération. Tout incite alors à rechercher un coût de financement en taux d'intérêt le plus faible possible. Or, aujourd'hui, c'est l'État qui bénéficie du coût moyen du capital le plus faible. Ce constat souligne l'importance de disposer d'une régulation étatique.
Le texte que j'ai obtenu à l'échelon européen sur les nouvelles régulations du marché de l'électricité la permet. Il devient une référence pour les régulations à venir du « nouveau nucléaire ». Il traite à stricte égalité le nucléaire et les EnR, qu'il s'agisse de l'historique ou du futur. Il reprend, au titre des caractéristiques des CfD, la notion de plafond que nous utilisons en France, ce qui permet de caler les éléments de la négociation de la régulation du « nouveau nucléaire ». Il prévoit des mesures prudentielles pour les fournisseurs alternatifs, qui préviendront l'effet d'entrée et de sortie sur le marché de l'électricité. Je pense que le sénateur Fabien Gay y sera tout à fait favorable. Dans les situations de crise, ce phénomène laissait du jour au lendemain des clients sans contrat. Le texte européen valorise enfin la maîtrise de l'énergie, dans le sens de la sobriété et d'une meilleure résilience. C'est un sujet qui tient beaucoup à coeur au président Bruno Retailleau.
Dans le domaine de l'hydroélectricité, nous sommes bien sur la même ligne que le PDG d'EDF. Nous avons fait parvenir une note à la Commission européenne, qui lui indique notre souhait d'étudier la possibilité d'un régime d'autorisation.
Un tel régime présente l'avantage de la robustesse par rapport aux règles du jeu européennes, contrairement au régime de la concession. Une fois accordée, l'autorisation ne nécessite ensuite aucune remise en concurrence. Le choix de son régime permettrait aussi de s'inspirer de la pratique d'autres pays européens qui, comme l'Autriche, l'utilisent déjà.
Le régime d'autorisation suppose néanmoins un transfert d'actifs, dont le prix est toujours susceptible d'être analysé comme une aide d'État au bénéfice de tel ou tel acteur opérant des concessions hydrauliques. Il existe des mécanismes pouvant nous permettre de garder la main en cas de transfert, comme les golden shares.
La nouvelle approche doit à l'évidence être retenue pour l'ensemble du secteur. Elle requiert quelque méthode, car d'autres acteurs qu'EDF interviennent : la Société hydroélectrique du Midi (SHEM) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR). Cette dernière vient de renégocier sa concession mais l'échéance de 2040 arrive très vite !
Nous entendons avancer le plus avant possible sur le sujet et obtenir, si possible, un accord sur cette éventualité juridique - même s'il y en a d'autres -, avec l'objectif d'investir massivement dans l'hydroélectricité. Si un secteur ne suscite aucun regret à investir, c'est clairement celui-ci !
M. Daniel Gremillet, rapporteur pour avis sur les crédits « Énergie » de la mission « Écologie ». - Madame la Ministre, je souhaite recueillir votre avis sur certaines évolutions des crédits « Énergie » de la mission « Écologie ». Mais avant toute chose, vous avez évoqué la question du prix de l'électricité à partir de 2026, avec la fin de l'Arenh. Quel sera le prix de 2024 et de 2025 ?
En premier lieu, j'observe que plusieurs dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie sont en deçà des attentes.
Tout d'abord, les mécanismes exceptionnels pour l'électricité, le gaz et les carburants passent de 27,9 à 2,9 milliards d'euros. C'est une diminution drastique ! Pourquoi ne pas reconduire pleinement l'amortisseur électricité ? Et pourquoi ne prévoir aucune disposition fiscale ni aucune disposition budgétaire pour le gaz ?
De son côté, MaPrimeRénov' bénéficie de 2,7 milliards d'euros. C'est moins que les recommandations de la commission d'enquête du Sénat sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, qui plaidait pour 4,5 milliards d'euros. Les résultats obtenus sont inférieurs à ceux du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). Ainsi, on dénombre 530 000 ménages bénéficiaires de la prime en 2022, contre 1,4 million de ménages pour le CITE en 2019, et pour un montant moindre. Plus encore, le recours des propriétaires bailleurs et des copropriétés reste faible : 27 000 primes ont été attribuées à des propriétaires bailleurs et 500 à des copropriétés en 2023. Nous avons l'impression que le Gouvernement n'a pas encore trouvé le moyen de massifier cette prime. Qu'en pensez-vous ?
Enfin, le chèque énergie stagne à 900 millions d'euros. Les dispositifs exceptionnels pour le fioul et pour le bois ne sont pas reconduits. Entendez-vous corriger le tir dans ces deux secteurs ?
En second lieu, je constate que plusieurs investissements en faveur de la transition énergétique sont en deçà des engagements.
Aucun crédit n'est prévu pour le fonds de revitalisation des territoires ou pour le fonds d'accompagnement social des salariés, destinés notamment à accompagner les fermetures de centrales à charbon. Or ces dispositifs sont issus d'engagements pris par le Gouvernement, à la demande du Sénat, lors de l'examen en 2019 de la loi « Énergie-climat » de 2019.
Plus encore, les CSPE, qui sous-tendent les dispositifs de soutien aux EnR, sont incertaines. Pour la deuxième année consécutive, elles pourraient être négatives, à -2,7 milliards d'euros. À quoi serviront les recettes perçues par l'État à ce titre ? Une décision du Conseil constitutionnel du 26 octobre 2023 a invalidé le plafonnement des compléments de rémunération pour 2023, ce qui représenterait un manque à gagner de 1,3 milliard d'euros, selon la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Confirmez-vous ce montant ? Le dispositif de substitution aujourd'hui proposé par le Gouvernement permet-il d'éviter ce manque à gagner ?
Enfin, nous souhaiterions abonder le compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités territoriales pour l'électrification rurale », dit « CAS Facé ». Ce compte présente un excédent de 17 millions d'euros de recettes, qui est rétrocédé au budget général : c'est une anomalie. Là aussi, qu'en pensez-vous ?
M. Franck Menonville. - Mes questions porteront sur l'application de la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite « Aper ».
Plusieurs dispositifs de soutien budgétaires ou fiscaux attendent, pour leur mise en oeuvre, une notification auprès de la Commission européenne. Je pense notamment à la prise en compte, dans les appels d'offres, de la contribution territoriale au partage de la valeur, des installations agrivoltaïques et des communautés énergétiques, ainsi qu'aux sociétés d'approvisionnement à long terme. Où en sont ces notifications ? Des dispositifs plus anciens font l'objet d'échanges avec la Commission européenne. Je pense en particulier, au dispositif de soutien à la production d'hydrogène produit par électrolyse, issu de la loi « Énergie-Climat » de 2019, et au dispositif d'effacement de la consommation électrique, issu de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite loi « Transition énergétique ». Où en sont ces échanges ?
Par ailleurs, plusieurs dispositifs réglementaires posent des difficultés d'application.
Le premier est le projet de cahier des charges prévu pour le soutien à l'hydrogène produit par électrolyse. Le seuil prévu de 30 mégawatts exclut un grand nombre de projets dans nos territoires. Ne faudrait-il pas le réviser ?
Le deuxième est le projet de décret pour l'application à l'hydroélectricité de la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM). Le seuil de 3 mégawatts (MW) envisagé laisse de même de côté des projets hydroélectriques de territoires. Ne devrait-on également pas l'ajuster ?
Le troisième est le projet de décret fixant les friches sur lesquelles est autorisée l'installation d'ouvrages de production solaire. Seuls 25 sites seraient retenus ; le confirmez-vous ?
Enfin, ma dernière question concerne la publication des décrets d'application relatifs à l'agrivoltaïsme. Ils sont particulièrement attendus dans les territoires, afin de réguler l'activité qu'y déploient les développeurs d'EnR et de promouvoir les projets vertueux.
M. Pierre Cuypers. - Mes questions portent sur la future loi relative à la programmation et à la régulation énergétiques.
Pouvez-vous nous indiquer les objectifs envisagés d'ici à 2030 par le Gouvernement en matière d'énergie nucléaire, mais aussi d'électricité, de gaz et de chaleur renouvelables ?
Vous avez annoncé une multiplication par deux, voire par trois, de la part du solaire, ainsi qu'une augmentation de 2 gigawatts (GW) par an de l'éolien. Pour le solaire, votre annonce est inférieure à ce que prévoit RTE, qui propose multiplication par 4 à 5. Pour l'éolien, votre annonce est supérieure à ce que prévoit RTE, qui envisage une augmentation de 0,7 à 1,5 GW par an. Pouvez-vous nous expliquer ces différences ?
Au Sénat, nous avons soutenu des objectifs de 27,5 gigawatts d'hydroélectricité, de 680 000 tonnes de production d'hydrogène, de 80 TWh pour la production de biogaz et de 300 TWh pour celle de chaleur renouvelable. Or les annonces du Gouvernement sont peu disertes sur ces autres sources d'énergies décarbonées, qui nous semblent les compléments essentiels des énergies solaire, éolienne et nucléaire. Reprendrez-vous ces objectifs ?
M. Jean-Jacques Michau. - Je souhaite vous interroger sur le rapport de la mission transpartisane « Nucléaire et hydrogène : l'urgence d'agir » de juillet 2022, conduite avec mes collègues Daniel Gremillet et Jean-Pierre Moga.
Parmi nos propositions, nous avons appelé à garantir à l'énergie et à l'hydrogène nucléaires une complète neutralité technologique dans le cadre des textes européens : la taxonomie verte européenne, la directive sur les EnR et le règlement sur la réforme du marché de l'électricité.
Les compromis trouvés, en ce qui concerne l'inclusion de l'énergie nucléaire à la taxonomie et au règlement, ou de l'hydrogène nucléaire à la directive, vous semblent-ils suffisants pour permettre la relance de l'énergie nucléaire et le développement de l'hydrogène nucléaire ?
De plus, envisagez-vous de négocier un CfD, pour le financement du « nouveau nucléaire » ou du nucléaire existant ? Dans l'affirmative, quelles sont les contreparties à attendre de la part de la Commission européenne ?
En dernier lieu, entendez-vous intégrer les compromis négociés à l'échelon européen au projet de loi annoncé sur la programmation et la régulation énergétiques ? Comme l'a relevé le PDG du groupe EDF devant notre commission, il s'agit d'une « boîte à outils » devant encore être appliquée.
Pour notre part, si nous saluons les avancées, il nous semble que les conditions européennes fixées sont encore ambiguës et restrictives, et que les dispositions nationales attendent précision et sécurisation.
M. Fabien Gay. - Un mot d'abord sur la fusion ASN-IRSN. Les communistes ont toujours été favorables à l'énergie nucléaire, mais à deux conditions : celle d'un haut niveau de sécurité et de sûreté, avec ce que cela implique de transparence vis-à-vis des populations, et celle d'un haut niveau de statut pour les salariés.
Sans volonté de polémiquer, les débats en cours avec l'intersyndicale ne portent pour l'heure pas sur les titres-restaurant. Votre projet de fusion souffre d'autres lacunes. De vraies questions se posent autour du statut et du devenir des salariés qui interviennent au sein de la direction de l'expertise nucléaire de défense (DEND) et de ceux qui s'occupent de dosimétrie. Le sort de certains sites pèsera également sur le bon déroulement de cette fusion.
Sur le résultat de l'accord conclu avec EDF pour le remplacement du dispositif de l'Arenh, nous sommes fondamentalement en désaccord, car nous ne partageons pas la même vision : j'estime que l'énergie doit être sortie du secteur marchand.
Certes, si nous nous en tenons à votre vision, la réforme apportera de la stabilité aux entreprises, mais je m'interroge à plusieurs titres sur les tarifs réglementés. Je constate que vous n'avez rien inventé, puisque les CfD avaient été proposés par un précédent président d'EDF.
D'une part, le montant de 70 euros suffira-t-il à couvrir les coûts de production, les 50 milliards d'euros d'investissements du « Grand Carénage », les 50 milliards des six EPR 2 et les 65 milliards d'euros de dettes ? J'en doute et je crains qu'il ne faille reprendre le sujet dans quelque temps, après le constat qu'EDF n'y arrive plus, pour lui substituer une solution de découpage en plusieurs entités, à l'instar de ce qui avait prévalu avec le projet Hercule.
D'autre part, je comprends mal le fonctionnement, à partir de 2026, du seuil de 110 euros et ce qu'il implique pour les consommateurs, de même que, dans le système de l'Arenh, un total de 1,6 milliard correspondant aux deux compléments de prix dits CP1 et CP2 était censé leur revenir. C'est ce que l'on nous avait dit dans le cadre de la mission transpartisane « Mieux prévenir et réprimer la fraude à l'Arenh », de juillet 2023, que j'avais conduite avec notre présidente Dominique Estrosi Sassone. Il faut bien nous en expliquer le mécanisme qui, pour l'heure assez opaque, nous échappe. En l'état, les sommes reviennent en réalité aux fournisseurs alternatifs... c'est-à-dire que ceux qui payent l'amende en récupèrent le montant ! Il serait souhaitable que nous ne nous retrouvions pas en 2026 dans une situation analogue. J'observe que vous avez repris les recommandations sur les obligations prudentielles que nous avions proposées dans notre mission d'information.
Enfin, plus de deux ans s'écouleront entre aujourd'hui et 2026. Or je pense que nous ne pouvons pas conserver le système actuel pendant tout ce temps, avec une flambée des prix de l'énergie qui grève les budgets des ménages, d'un certain nombre de commerçants et de petites entreprises : la facture d'électricité a augmenté de 25 % en 2023 et on nous annonce encore une hausse de 10 % en février 2024 ! Il faut mettre certains verrous que nous avons identifiés dans notre mission d'information.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Une conférence sur les prix de l'énergie sera organisée à l'attention des présidents de groupe ou de toute personne que ceux-ci souhaiteront désigner au sein de leur groupe le 28 novembre prochain. Il nous a paru utile de l'élargir à un public plus large, notamment aux présidents d'association. Elle balaiera les sujets gaz, électricité et carburants.
Nous maintenons en 2024 le bouclier énergétique. La CRE évaluera en début d'année prochaine le niveau de tarif régulé, selon son mode de calcul habituel, qui intègre le prix du marché. Avec le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, M. Bruno Le Maire, nous avons indiqué que si la proposition de hausse du tarif régulé résultant de ce calcul devait excéder 10 %, nous n'augmenterions pas le tarif au-delà de ce seuil. Pour l'heure, l'évaluation de la hausse se tient en dessous de 10 %. Pour le 1er février 2024, le fleuve à l'air de rentrer dans son lit... Mais il convient de rester prudent avec une situation géopolitique pour le moins contrastée, et nous avons vu quelles conséquences des chocs exogènes entraînaient sur les marchés de l'énergie.
En 2025, le mécanisme sera similaire. Sous la même réserve, les prévisions des marchés et des producteurs ne sont à ce stade nullement alarmistes.
En tout état de cause, nous disposons désormais d'éléments très clairs sur les conditions de formation des crises et sur les meilleurs outils pour y répondre. Ce qui a été réalisé en 2022, avec le bouclier énergétique, avec l'adaptation des systèmes d'information des différents fournisseurs d'énergie pour répercuter automatiquement le bouclier sur les factures, permet de dire que nous serions, le cas échéant, équipés pour agir.
Le plafonnement applicable au gaz a pour sa part naturellement disparu du fait d'un prix de marché de gros repassé en dessous du prix de protection du bouclier tarifaire. Plus largement, c'est la baisse des prix sur les marchés de gros qui explique l'évolution des crédits liés aux boucliers tarifaires.
Je ne nourris pas d'inquiétude sur l'étendue des sommes dont le dispositif MaPrimeRénov' bénéficie. Ma préoccupation tient plutôt à la manière dont nous emploierons le budget massif que nous lui consacrons. Dépenserons-nous bien ce budget et le dépenserons-nous intégralement ?
Nombre de rapports ont montré que le CITE n'est pas efficace sous l'angle de la baisse des émissions de CO2 et qu'il cible à 80 % les ménages les plus favorisés, ce qui s'éloigne de l'objectif d'une transition écologique socialement juste. Au contraire, le MaPrimeRénov' vise d'abord, à 66 %, les ménages les plus modestes. Nous avons renversé la vapeur !
Je ne partage pas non plus l'analyse qui conclut au peu de succès de MaPrimeRénov'. Le nombre des rénovations thermiques s'élevait à 70 000 dans la dernière année du quinquennat du président Hollande ; il est à présent de dix fois supérieur !
En revanche, des marges de progrès existent à l'égard des propriétaires bailleurs. Il faut y travailler et différents rapports ont émis des propositions.
Afin de massifier le recours à la prime, nous entendons simplifier et fluidifier le parcours des propriétaires. Cela passera par la prestation de Mon Accompagnateur Rénov'. La prestation représente 2 000 euros, mais elle restera totalement gratuite pour les revenus fiscaux de référence (RFR) les plus modestes. Elle sera assez bien subventionnée pour les RFR 3 et 4. La prestation consiste en un accompagnement individuel dans le montage du dossier administratif, technique et financier.
Autre élément, l'Anah proposera une avance de financement aux plus modestes, de sorte que le reste à charge des travaux de rénovation ne leur soit pas un frein.
Le nombre de prêts consentis au titre du dispositif de l'éco-PTZ demeure insuffisant. Il faut inciter les banques à distribuer cet outil. Nous savons que ce n'est souvent pas la première offre qu'elles proposent et nos propres règles prudentielles à leur égard ne les y encouragent sans doute pas. Au terme de leur analyse du risque financier, elles seront peu enclines à accorder à des ménages sans revenus réguliers et assurés un crédit qui leur est paradoxalement destiné au premier chef. À nous de trouver le moyen de dépasser ce léger hiatus... De ce point de vue, le prêt avance rénovation est intéressant parce qu'il consiste en une avance sur des opérations futures de revente, évidemment à condition que le bien ne soit pas déjà le collatéral d'un prêt.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il faut simplifier ce dernier dispositif.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Effectivement.
Nous couplerons aussi le dispositif MaPrimeRénov' et les C2E, afin d'offrir un guichet unique.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - N'oublions pas la question des copropriétés.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Comment, en effet, incite-t-on une copropriété à décider d'une rénovation ? Comment peut-elle réunir les financements nécessaires et à quelles conditions ? Quels dispositifs sécuriseront les différentes parties prenantes et permettront-ils d'avancer rapidement ? Autant de questions autour d'un sujet complexe, dont le projet de loi sur le logement dégradé et les copropriétés, auquel Patrice Vergriete travaille, a vocation à s'emparer.
Comme Christophe Béchu, je souhaite que nous progressions sur l'idée d'une contractualisation du travail avec les collectivités territoriales. Des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et des communes se montrent très actifs sur la rénovation thermique, disposent de leurs propres aides et de leurs propres guichets. Nous serions tout à fait prêts à leur déléguer des enveloppes budgétaires sur la base d'un contrat, à adopter une approche quartier par quartier, rue par rue, avec du porte-à-porte. Seules des personnes relevant d'un service municipal ou d'une intercommunalité peuvent l'assurer efficacement, tant les sollicitations quotidiennes auprès des particuliers sont nombreuses. Il faut connaître les gens pour les convaincre. Avoir leur confiance est essentiel.
Des expérimentations probantes existent déjà, sur l'initiative par exemple de la vice-présidente Virginie Carolo-Lutrot en Normandie ou du président Loïg Chesnais-Girard en Bretagne.
L'approche reste d'une organisation complexe et lourde, mais il ne faut pas la négliger si nous voulons employer l'argent public à bon escient. Nous sommes prêts à avancer sur ce sujet.
Au sujet de la CSPE, les recettes sont soumises au mécanisme de la prévision des prix et d'ajustement sur les reversements des EnR. La bonne nouvelle, c'est que ce mécanisme nous montre que les EnR sont compétitives et que les investissements des gouvernements successifs des vingt dernières années portent leurs fruits.
Un amendement prend acte de la décision du Conseil constitutionnel sur le plafonnement du complément de rémunération et prévoit de lui substituer un autre système. Il est très important pour les recettes du budget que nous élaborons et le financement du bouclier énergétique.
Nous avions sommairement organisé une forme de CfD : au-delà d'un prix jugé comme correct, nous récupérions la rente inframarginale pour la redonner aux Français dans le cadre du bouclier énergétique. Qu'il s'agisse de la contribution sur la rente inframarginale (CRIME) ou du déplafonnement de la restitution de la CSPE, c'est le complément du prix par rapport au marché qui a été redistribué au travers des mécanismes de boucliers.
Sur le CAS Facé, c'est une question sur laquelle je me permettrai de revenir vers vous.
La « Aper » de 2023 donne lieu, effectivement, à une notification auprès de la Commission européenne sur le partage de la valeur, car celui-ci s'assimile à une aide d'État.
Nous avons d'abord travaillé avec des associations d'élus locaux, des députés et des sénateurs à formuler des propositions sur l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer). En effet, Ifer et partage de la valeur s'articulent, car ce sont deux manières de faire revenir les bénéfices des projets d'EnR dans le budget des collectivités locales ; modifier l'une sans l'autre n'aurait pas de sens.
La saisine de la Commission européenne est en cours. Il en va de même sur la question des effacements et de l'hydrogène.
Sur la partie planification énergétique et zones d'accélération, aucun texte supplémentaire, décret ou disposition réglementaire de mise en oeuvre de la loi, ne s'avère nécessaire. Tout est dans la loi, qui est d'application directe.
Quant à la mise à disposition des documents par l'État, elle a été assurée au mois de juin dernier. J'ai personnellement écrit à tous les maires et présidents d'intercommunalité que l'échéance du 31 décembre 2023 pour définir leurs zones d'accélération n'était pas une date couperet ; que l'enjeu était de faire en sorte que ceux qui sont en avance puissent bénéficier sans retard des avantages de la loi. Ceux qui nécessitent un peu plus de temps peuvent continuer à y travailler au-delà du 31 décembre, mais nous les incitons à ne pas interrompre ou différer pour autant leur effort.
Sauf erreur, le cahier des charges sur l'hydrogène est soumis à consultation. Le point que vous soulevez fait partie des sujets qui remontent et que nous analyserons.
Pour l'application à la petite hydroélectricité de la RIIPM, le seuil à retenir est une affaire d'experts de la biodiversité. Il importe aux collectivités locales, mais ne pèse guère sur l'enjeu énergétique national et la production nationale dont je traite. J'ai indiqué à mes collègues chargés de la biodiversité, que les collectivités locales et les experts interpellent contradictoirement sur la question, que la décision leur revenait. Nous avons transmis un projet à 3 MW et le débat se poursuit, notamment au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE). Je considère légitime que la position du ministère de la transition énergétique s'en tienne au mode mineur sur le sujet.
En ce qui concerne l'implantation de panneaux photovoltaïques sur des sites dégradés, l'analyse est menée site par site. Il m'importe que le premier décret paraisse, avec la liste des premiers sites qui remplissent les caractéristiques attendues. D'autres textes pourront le suivre.
Après un long travail avec les fédérations d'agriculteurs et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), la préparation du décret sur l'agrivoltaïsme touche à sa fin. Je signale qu'on prête parfois à l'Inrae des études qu'elle ne reconnaît pourtant pas, lesquelles font circuler des chiffres erronés sur le taux de couverture de l'agrivoltaïsme et la perte de rendement qui s'associe à son usage. En aucun cas la pratique de l'agrivoltaïsme ne saurait donner lieu à une perte de rendement agricole et mettre en danger la souveraineté alimentaire de notre pays ; ce serait contraire à l'esprit même de la loi. Le législateur a tranché le débat et nous appliquons la loi. De ce point de vue, nous atteignons à présent un niveau de compromis et des équilibres satisfaisants. Je conduis actuellement les consultations obligatoires et j'effectuerai des annonces à la fin de ce mois de novembre sur le sujet. Le décret paraîtra fin 2023 ou au début de 2024. Avec les fédérations d'agriculteurs et les chambres d'agriculture, nous continuerons à échanger pour que tout cela atterrisse localement.
Il y a un éléphant dans la pièce : le partage de la valeur. Il ne constitue pas un sujet de la loi « Aper » de 2023 ; il concerne les baux ruraux et l'adaptation d'une politique agricole vieille de soixante-dix ans au fait nouveau de l'agrivoltaïsme. Nous en avons beaucoup échangé avec le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, M. Marc Fesneau, et des propositions de nature législative existent. La loi est très bien écrite : elle définit précisément l'agrivoltaïsme et interdit le photovoltaïque au sol sur les terrains agricoles. Pour autant, entre un bail rural à quelques centaines d'euros de l'hectare et un terrain agrivoltaïque à quelques milliers d'euros de l'hectare, cela rend créatif sur l'interprétation de la loi. Des projets agrivoltaïques fonctionnent néanmoins déjà très bien, notamment en viticulture et en arboriculture. En définitive, je suis confrontée à des présidents de conseils régionaux qui bloquent toute avancée dans ce domaine, quand d'autres me pressent de publier le décret qu'ils attendent. J'assiste à un grand écart de perception entre ces élus, mais aussi entre agriculteurs.
J'en viens aux objectifs gouvernementaux pour l'horizon 2030-2035, inscrits dans le cadre de la planification écologique. Je rappelle, tout d'abord, que nous avons très largement repris les propositions des groupes de travail et des associations d'élus pour élaborer la LPEC. Ensuite, j'insiste sur le fait que nos objectifs sont parfaitement alignés avec ceux de RTE.
Les objectifs sont les suivants : le doublement du rythme de déploiement du solaire, le maintien du rythme de déploiement de l'éolien et le doublement de celui du biogaz comme de celui de la chaleur renouvelable. S'agissant de l'éolien en mer, 10 GW devront être mis aux enchères - ou du moins en attribution - en 2025.
Concernant l'hydroélectricité, nous avons décidé en lien avec RTE de conserver une marge de sécurité, dans la mesure où nous ne pouvons pas évaluer précisément les répercussions du dérèglement climatique sur notre potentiel de production. Les investissements se poursuivront donc dans l'hydraulique, mais nous ne considérons pas l'augmentation du potentiel de production de cette énergie comme un acquis. Ces investissements ont avant tout vocation à sauver l'hydraulique existant.
La politique doit en effet tenir compte des enseignements de la science, de la technique et de la physique : tenir pour acquise une augmentation de la production d'énergie hydraulique à hauteur de 7 GW reviendrait à faire fi du dérèglement climatique et nous exposerait au risque de nous retrouver dans une impasse.
Par ailleurs, concernant les chiffres qui peuvent circuler, au sujet de la filière photovoltaïque, je n'ai aucune difficulté à introduire dans la loi le principe selon lequel un dépassement des objectifs durant les deux premières années pourrait amener à réviser ceux-ci à la hausse, par « effet de cliquet ».
J'aimerais également doubler, voire tripler, la production de la filière, mais je tiens avant toute chose à atteindre les objectifs globaux et m'assurer d'un équilibrage d'ensemble lorsque l'un des secteurs avance plus vite que les autres, en procédant à des réajustements le cas échéant. Ce pilotage en continu méritera un rapport annuel au Parlement - ou une audition - afin de battre la mesure et de maintenir l'équilibre entre la baisse de la consommation d'énergie d'un côté et la hausse de la production de l'autre côté.
Pour ce qui concerne le biogaz, j'aimerais moi aussi que nous allions plus vite, mais nous sommes confrontés à deux limites : d'une part, la quantité de biomasse disponible ; d'autre part, nos capacités à transformer celle-ci en biogaz. C'est d'autant plus vrai qu'il faut également produire des biocarburants à partir de cette biomasse.
Enfin, la production d'énergie nucléaire devra atteindre 360 TWh à l'horizon 2030 - en y intégrant 10 TWh du réacteur de Flamanville - grâce à de meilleures performances. De plus, nous soutiendrons les investissements d'EDF dans le changement de puissance des réacteurs de 900 MW, qui pourraient dégager 5 % de production supplémentaire et nous permettre d'atteindre le seuil de 400 TWh.
Je pense ainsi retenir l'objectif de 360 TWh dans la PPE, avec une opportunité de produire 40 TWh supplémentaires qui représente aussi une protection par rapport à d'éventuels risques. Le plus grand danger reste celui d'un défaut générique sur les constructions du même type. Même si nous sommes ici majoritairement en faveur de l'énergie nucléaire, il convient d'identifier et d'anticiper ce risque, parmi d'autres.
J'ajoute que les nouvelles connexions de réacteurs nucléaires sont prévues après 2035, ce qui explique qu'elles n'apparaissent pas dans la programmation. Le scénario retenu est celui de six nouveaux réacteurs, auxquels s'ajoutent huit réacteurs à l'étude. Un débat pourra avoir lieu à ce sujet, étant donné que le temps de détermination des objectifs est plus long pour l'énergie nucléaire : il est plus proche de quinze ans, là où les objectifs de l'éolien peuvent être programmés sur deux à trois ans.
S'agissant de la neutralité technologique, elle est parfaite dans la réforme du marché de l'électricité et l'initiative RefuelEU Aviation mais imparfaite sur la directive EnR 3. Cependant, un acte délégué européen permet à la France de bénéficier d'un système spécifique : lorsque 90 % de l'électricité est d'origine décarbonée, il est possible de ne pas décompter l'hydrogène de la même manière. Nous pouvons donc produire de l'hydrogène bas-carbone issu de l'énergie nucléaire, plus aisément d'ailleurs que d'autres pays européens disposant d'énergie nucléaire.
Dans le cadre de l'Alliance européenne du nucléaire, nous prévoyons de constituer une plateforme pour porter les positions que nous souhaitons voir endossées par la Commission européenne pour la prochaine mandature, dont la neutralité carbone parfaite et le financement du nucléaire, nouveau ou existant. La France est en capacité de trouver des modes de financement du nucléaire, à la différence de certains pays qui ne pourront pas se passer d'aides européennes. Je rappelle que nous ne percevons que peu d'aides au titre des EnR et aucune aide pour l'énergie nucléaire, tandis que les pays d'Europe de l'Est reçoivent un soutien pour les premières, mais pas pour la seconde, ce qui suscite leur incompréhension.
Nous mettrons également sur la table les sujets de la résilience de notre système et de la détermination du baseload : il est en effet possible que l'énergie nucléaire soit moins compétitive à un moment donné, lorsque les EnR produiront toutes beaucoup, avant d'être de nouveau très demandée.
Par ailleurs, le projet de loi qui portera sur la programmation et la régulation énergétiques intégrera bien la partie relative à la protection du consommateur. Une transcription législative nationale est nécessaire. Sur d'autres sujets, comme les aides d'État, l'enjeu est plutôt d'interpréter les textes européens.
Monsieur le sénateur Fabien Gay, nous sommes complètement d'accord, tant sur le haut niveau de sûreté et de sécurité que sur le haut niveau de statut des salariés, le texte allant justement dans ce sens. J'entends par ailleurs votre remarque sur les agents de la dosimétrie et de la DEND puisqu'il s'agit de deux équipes ne pouvant se réclamer de l'équipe globale et bénéficier du dispositif général.
En outre, j'accueille avec bienveillance vos propos sur la réforme de l'Arenh. Le prix de 70 euros a été déterminé en lien avec EDF, sur la base de trajectoires d'investissements comprises entre 20 milliards et 25 milliards d'euros. Je vous laisserai auditionner à nouveau le PDG d'EDF. S'il est possible de plaider en faveur d'un prix plus élevé, je rappelle qu'il entraînerait une hausse des tarifs pour les Français.
M. Fabien Gay. - J'ai une autre proposition : sortons du marché !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Sortir ou rester dans le marché ne modifiera ni le coût des investissements ni le coût de production : une sortie du marché pourrait même les faire augmenter.
Pour répondre à une autre question, le système des 110 euros s'apparente à un prélèvement quasi-fiscal qui revient aux consommateurs sans passer par la case « fournisseurs ».
Concernant les mécanismes CP 1 et CP 2, l'écart devra en effet revenir aux consommateurs. Un amendement n'allant pas dans ce sens a été déposé sur le CP 1. Nous avons été saisis d'une demande d'étude et de consultation des fournisseurs, mais j'estime qu'un retour aux consommateurs s'impose, ce qui semble être aussi l'avis des fournisseurs.
Pour ce qui concerne la facture d'électricité, il sera plus aisé de contenir les prix si EDF produit suffisamment pour l'ensemble du marché français, ce qui reste notre objectif. L'an passé, les prix se sont envolés car nous avons dû importer de l'électricité, ce qui nous rappelle l'importance de la France dans l'équilibre du marché européen.
- Présidence de M. Daniel Gremillet, vice-président
M. Guislain Cambier. - La loi « Aper » de 2023 soulève des questions de méthode : sa traduction locale, ainsi que les consignes des services préfectoraux, semblent en effet assez différents de ce que vous avez annoncé, notamment au sujet de l'existence d'une date couperet. La loi laisse aux communes jusqu'au 5 décembre 2023 pour définir les zones d'accélération.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Ce n'est pas ce que j'ai indiqué dans le courrier adressé à l'ensemble des maires.
M. Guislain Cambier. - Cela démontre bien l'existence d'un hiatus.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Permettez-moi de m'en étonner : j'ai échangé avec les préfets de région la semaine dernière à ce sujet, à l'occasion d'une conférence. Tous y étaient représentés.
M. Guislain Cambier. - Je vous invite à vérifier ou diffuser l'information dans ce cas. Malgré ces délais très brefs, les territoires se saisissent du dossier et font preuve de volontarisme. Il subsiste cependant des imprécisions bloquantes, dont l'absence de définition d'un projet à RIIPM par exemple.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Cela n'a aucun rapport avec la planification.
M. Guislain Cambier. - Des facilités administratives et financières sont mentionnées, mais, si l'on souhaite que les incitations soient positives, encore faut-il les définir. Par ailleurs, des cas particuliers tels que les parcs naturels régionaux nécessitent une adaptation du schéma de déploiement.
Comment peut-on parvenir à tenir les délais en intégrant à la réflexion des communes une consultation du public et sans disposer des objectifs régionalisés qui seront ensuite communiqués aux territoires par le biais des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) ? Pour prendre l'exemple de la région Hauts-de-France, cela signifie que les objectifs ne seront connus qu'en 2024 : il n'est donc pas possible de demander des actions dès 2023.
Comment comptez-vous motiver les plus allants ? À quelles sanctions ceux qui laisseraient passer la date butoir s'exposent-ils ?
M. Daniel Fargeot. - Vous avez annoncé le lancement de la location de véhicules électriques à 100 euros : pouvez-vous nous présenter les contours de ce dispositif de leasing social ?
M. Henri Cabanel. - Avez-vous évalué l'effet de la loi « Autoconsommation » de 2017 sur l'autoconsommation d'électricité ? Seriez-vous favorable, à l'instar de ce qu'a décidé l'Espagne, à une réduction de la TVA pour l'installation de panneaux d'autoconsommation, ainsi qu'à l'élargissement du prêt à taux zéro (PTZ) pour ces investissements ? Cela aurait un effet direct sur le pouvoir d'achat pour lequel tout votre Gouvernement, me semble-t-il, se bat.
S'agissant de l'éolien en mer, le projet pilote Eolmed est mené dans ma région Occitanie, au large de Port-la-Nouvelle, par une entreprise locale lauréate d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI). Ce projet rencontre des difficultés majeures : outre les 27 mois qui ont été nécessaires pour obtenir la notification des aides de l'État devant la Commission européenne, la pandémie, la guerre en Ukraine et l'inflation ont entraîné une augmentation du coût de projet, passé de 212 millions à 328 millions d'euros.
Or l'éolien n'a pas bénéficié, à la différence des autres EnR, des mesures d'urgence prises en juillet 2022 pour réactualiser le prix d'achat de l'électricité. Depuis, l'entreprise vous sollicite, mais ne peut que constater le silence aussi assourdissant qu'inquiétant du Gouvernement. Si rien n'est fait, l'équilibre financier du projet sera rompu, avec les conséquences que vous pouvez imaginer. Pouvez-vous remédier à cette inégalité de traitement et revoir l'indexation du tarif d'achat pour l'éolien en mer ?
M. Philippe Grosvalet. - Les acteurs des territoires n'ont fort heureusement pas attendu l'État pour se mobiliser en faveur de la transition énergétique. J'en veux pour preuve l'accueil par le département de Loire-Atlantique du premier parc éolien offshore en France, qui s'est conjugué avec l'accompagnement d'une filière industrielle.
General Electric (GE) a ainsi implanté une usine de fabrication de générateurs, et même les Chantiers de l'Atlantique - plus connus pour la construction de paquebots que certains voudraient voir disparaître - produisent des sous-stations pour les parcs éoliens. Ces industriels, acteurs de notre souveraineté, ont besoin de pouvoir se projeter sur le long terme : quelle est votre feuille de route pour les conforter et rassurer, par là même, les milliers de salariés qu'ils emploient ?
Mme Viviane Artigalas. - La planification écologique et énergétique du Gouvernement repose aussi sur la forte mobilisation des acteurs publics et privés, en premier lieu celle des collectivités territoriales. Les régions, départements, intercommunalités et communes assument en effet l'essentiel de l'investissement public, leurs besoins ayant été estimés à plus de 6,5 milliards d'euros supplémentaires par an d'ici à 2030, dans les seuls secteurs du bâtiment, de l'énergie et des transports.
Malgré des soutiens de l'État en hausse, la question posée est celle de savoir si cette équation financière est tenable pour les collectivités. Alors que la transition écologique entre dans une phase de territorialisation, comment l'accélération de leur action climatique s'intègre-t-elle dans la vision qu'a le Gouvernement de leurs finances à moyen terme ?
M. Daniel Salmon. - J'en reviens à l'hydrolien, énergie prédictible dont le potentiel est estimé entre 3 et 5 GW en France. Or nous n'avançons pas, comme le prouve l'absence de tarif de rachat pour l'hydrolienne Sabella dans la région Bretagne.
Par ailleurs, peut-on connaître la date de démarrage de l'EPR de Flamanville, ainsi que le prix du MWh pour une tête de série qui n'en est pas vraiment une ?
Dans le même ordre d'idées, vous avez mentionné un surcoût de 15 % à 20 % pour les nouvelles installations nucléaires : je suppose qu'il s'agit d'une simple estimation, tant les mauvaises surprises sont fréquentes dans ce secteur.
Quant aux EnR, la CRE évoque 13,7 milliards d'euros de recettes en 2023 : confirmez-vous ce chiffre ? Quoi qu'il en soit, cette industrie mature, qui fonctionne sans combustible, prouve tout son intérêt.
M. Bernard Buis. - La relance du nucléaire est désormais actée, comme en témoigne la hausse d'environ 1,5 milliard d'euros des crédits pour cette énergie inscrite dans le PLF pour 2024. Pourriez-vous néanmoins préciser la part qui sera consacrée au financement des SMR ?
Par ailleurs, vous avez souligné, à l'occasion d'un colloque, que la sobriété devait devenir une habitude. Si nos concitoyens semblent concernés par ce sujet, comme l'illustrent les comportements observés l'hiver dernier, les entreprises ont également une responsabilité en la matière.
Que compte faire le Gouvernement s'agissant de l'encadrement de l'éclairage des bureaux et des vitrines, afin d'encourager davantage cette sobriété énergétique ?
M. Daniel Gremillet. - Je m'associe à la question de M. Salmon sur le tarif de rachat : le département des Vosges compte lui aussi une hydrolienne qui en est dépourvue. Une communauté d'agglomération a pallié cette absence, alors que l'équipement est de fabrication 100 % française.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je rappelle que le calendrier de planification écologique a été défini par les députés et par les sénateurs, non pas par le Gouvernement. Vous pourrez rappeler aux maires et aux présidents d'intercommunalités que la date fixée pour identifier les zones d'accélération est fixée au 31 décembre 2023, et qu'il ne s'agit pas d'une date couperet.
Une boîte à outils est d'ores et déjà à leur disposition : les référents préfectoraux ont tous été nommés, le portail cartographique est consultable depuis juin et régulièrement amélioré, sans oublier des documents qui permettent aux élus de gagner du temps. S'y ajoutent les fiches de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui synthétisent tous les éléments utiles sur l'éolien terrestre, le photovoltaïque sur toiture ou encore la géothermie. Les élus, qui ne sont pas nécessairement experts sur ces sujets, peuvent ainsi accéder aux notions de coût et de durée de projets et s'en servir pour prendre leurs décisions.
De surcroît, j'annoncerai, à l'occasion du salon des maires, le lancement d'outils complémentaires. Nous mettrons également en oeuvre un accompagnement différencié des collectivités, en fonction de l'état d'avancement de leurs projets : les situations sont très hétérogènes et du temps sera accordé si nécessaire. Enfin, il n'y aura pas d'« effet cliquet » si aucune zone d'accélération n'est définie, puisque la loi antérieure s'appliquera.
Concernant les Sraddet, les échanges de mes équipes avec la région Hauts-de-France peuvent servir de modèle. L'objectif consiste à avancer au moyen d'échanges informels avec chacune des régions au sujet des objectifs liés à leurs Sraddet - avec des rythmes de révision qui peuvent varier -, en parallèle de la LPEC, qui sera la loi de production énergétique annoncée.
Cette méthode permet de mettre en évidence les écarts éventuels, en comparant les objectifs des Sraddet à l'horizon 2030 et la réalisation de ces objectifs en 2023, puis en évaluant les conséquences de la révision des objectifs nationaux sur les Sraddet de chacune des régions. En l'espèce, la région Hauts-de-France a atteint ses objectifs en matière d'éolien à environ 200 %. À l'inverse, d'autres régions n'ont pas du tout fait cela.
L'idée consiste bien à mettre en regard le potentiel de chaque région, les objectifs des Sraddet - qui résultent du choix, politique, d'un mix énergétique - et les projections pour 2030, avant d'échanger et d'indiquer, le cas échéant, si l'accent a été trop mis sur telle ou telle énergie. Les acteurs régionaux pourront ainsi continuer à agir en disposant d'un aperçu des orientations nationales et des éventuels écarts avec les leurs.
Si l'on était dans un travail séquentiel, et non en parallèle, le travail de mise à jour des Sraddet courrait jusqu'en 2026.
Le leasing social permet d'avoir accès à un véhicule électrique pour un tarif mensuel qui peut être inférieur à 100 euros, assurance non comprise - sauf assurance décès, invalidité et perte d'emploi. Environ 20 000 véhicules électriques seront disponibles en 2024, un volume susceptible d'évoluer en fonction du nombre de petites cylindrées électriques qui seront produites en France et en Europe. Certains véhicules, dont la Zoé et la Twingo, arrivent en effet en fin de production, tandis que la production de la C3, par exemple, va démarrer.
Appelé à monter en puissance, ce dispositif permettra de tester l'appétence des Français pour les véhicules électriques : à ce stade, environ 30 000 véhicules ont été achetés en recourant au bonus écologique. Peut-être que le leasing social séduira davantage, mais nous n'en sommes pas certains dans la mesure où nombre de Français sont attachés au fait d'être propriétaire de leur véhicule.
S'y ajoutera une révision des barèmes du bonus écologique et de la prime à la conversion, mon objectif restant de rapprocher le plus possible les prix des petites cylindrées électriques et thermiques. Nous continuerons dans le même temps à déployer des bornes de recharge, tout en augmentant le crédit d'impôt pour l'installation de celles-ci et en finançant, via les C2E, leur installation dans les copropriétés.
J'en viens à l'autoconsommation : je compte lancer une mission dédiée à ce sujet, car les données internationales montrent qu'elle s'est développée à toute vitesse. L'autoconsommation collective semble jouer un rôle plus important que celle individuelle. Et la France ne compte pas de panneaux photovoltaïques thermiques, ce qui paraît étrange dans la mesure où il devrait s'agir d'une solution permettant de répondre à une série d'usages, du moins dans le sud de la France. Le quatrième sujet a trait à la contribution au réseau, puisque certains peuvent bénéficier d'installations sans assumer le coût du réseau, ce qui conduira à s'interroger sur une forme de péréquation. Plus largement, nous devrons continuer à nous poser la question de l'adéquation entre l'offre et la demande de production, dans la journée et dans l'année, afin de nous assurer de la sécurité de notre approvisionnement en électricité.
Nous partageons votre préoccupation à propos de l'éolien en mer, Monsieur le Sénateur Henri Cabanel : le dossier occitan est en cours d'examen.
M. Henri Cabanel. - Il faut agir vite !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - J'en ai bien pris note. Par ailleurs, la filière industrielle offshore est remarquable et nous permet d'être exportateurs de sous-stations, même si nous ne sommes pas particulièrement en avance en Europe avec seulement deux parcs éoliens connectés.
Il existe à l'heure actuelle une problématique au niveau des carnets de commandes, qui vont traverser un trou d'air de deux années avant de se remplir de nouveau. De plus, des acteurs internationaux s'intéressent à ce marché et pourraient reproduire les mêmes comportements que ceux observés en matière de photovoltaïque, ce que nous ne souhaitons pas.
Nous avons alerté la Commission européenne qui a lancé un grand plan sur l'éolien. L'enjeu consiste à donner le plus de visibilité possible à ces acteurs et à accorder la priorité à des achats en France et en Europe, celle-ci étant d'ailleurs inscrite dans le pacte éolien et dans le pacte solaire.
Si je partage la remarque de monsieur le sénateur Daniel Salmon sur le fait que les énergies renouvelables sont compétitives et ne consomment pas de combustible, nous restons en revanche dépendants sur les composants : il y a là un véritable enjeu de souveraineté.
Madame la Sénatrice Viviane Artigalas, le financement par les collectivités territoriales de leur propre transition énergétique a vocation à être traité dans le cadre des conférences des parties (COP) régionales. Nous faisons cependant le pari qu'une partie des investissements des collectivités locales seront réorientés vers la transition écologique et énergétique et que tous les acteurs y sont prêts : certains projets, qui présenteront un moindre intérêt dans le cadre de cette nouvelle vision, pourraient être abandonnés au profit d'autres.
Par ailleurs, des chantiers tels que celui de la rénovation des passoires thermiques permettent de réaliser des économies à terme, d'où l'adoption du tiers financement et la nécessité de continuer à développer des systèmes qui permettent de valoriser les économies et de procéder aux investissements en amont.
Mme Viviane Artigalas. - En raison de la hausse du coût des prêts et du prix des matériaux, le reste à charge augmente.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - C'est bien pour cette raison que nous devons aller vers davantage de sobriété. Pour ne donner qu'un chiffre, seuls 6 % des bâtiments font l'objet d'une gestion technique, ce qui laisse une grande marge d'amélioration.
Concernant les hydroliennes en mer, nous avons un projet incluant un tarif de rachat, FloWatt, et en étudions un second, mais n'avons pas de dossier en cours pour des hydroliennes à l'intérieur des terres.
J'en viens à l'EPR de Flamanville, qui doit démarrer en 2024 avec un rehaussement du coût du MWh de l'ordre de 3 euros. Je confirme, en outre, le chiffre de 13,7 milliards d'euros pour les recettes des EnR.
Pour terminer, Monsieur le Sénateur Bernard Buis, les SMR bénéficieront d'un financement de 200 millions d'euros : il recouvre la poursuite du projet Jules Horowitz, qui est indispensable, non seulement pour la relance de l'énergie nucléaire mais aussi pour la recherche en santé ; le recrutement de 126 ETP pour le CEA ; le financement de nouvelles infrastructures de recherche afin d'anticiper les besoins expérimentaux des technologies portées par des start-up lauréates de l'appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », dans le cadre de France 2030. Parmi une quinzaine de projets, deux ont déjà été retenus.
M. Bernard Buis. - Peut-on avoir des précisions sur les projets subventionnés ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Le projet Nuward d'EDF est déjà soutenu, mais ne correspond pas à une innovation technologique de transformation. Les deux lauréats sélectionnés sont les projets Newcleo et Naarea, qui portent sur des technologies innovantes soutenues mais moins matures, notamment sur la réutilisation du combustible, tandis que nous continuerons l'examen de la quinzaine d'autres projets. L'objectif consiste à disposer d'un portefeuille de projets innovants visant à alimenter notre connaissance : s'ils n'iront pas tous à leur terme, ils contribueront à l'excellence de la filière nucléaire française.
La sobriété énergétique reste, je le répète, le levier le plus pertinent, avec un retour sur investissement rapide et des bénéfices induits, qu'il s'agisse d'une meilleure qualité de l'air, de l'amélioration du confort de vie ou encore de la restauration de la biodiversité grâce à la diminution de la pollution lumineuse.
Cela dit, vous avez raison de pointer la responsabilité des entreprises, que je considère être des acteurs majeurs de la sobriété. Toutes les entreprises du CAC 40 ont bâti un plan dédié et nous avons demandé à celles du SBF 120 de faire de même. Au-delà de l'effet de masse, ces entreprises ont en effet un devoir d'exemplarité à l'égard de leurs salariés.
Pour vous répondre au sujet de l'éclairage, nous travaillons, en lien avec la secrétaire d'État chargée de la biodiversité Sarah El Haïry, sur des projets d'arrêtés visant à interdire l'éclairage des bureaux et des vitrines une heure après le départ des salariés et une heure avant la reprise du travail. Nous entendons également confier un pouvoir de police direct aux maires au moyen d'amendes administratives, ce qui permettra des sanctions aussi rapides que celles punissant les infractions de stationnement.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie, Madame la Ministre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25.