Mercredi 25 octobre 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous entamons notre réunion par l'examen du rapport sur la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises, présentée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin.

M. Christian Klinger, rapporteur. - Mes chers collègues, nous prenons peu à peu la mesure du déclin progressif de notre secteur agricole. Je ne voudrais pas dresser un tableau apocalyptique de la situation, mais entre les conditions de travail pas toujours enviables des agriculteurs, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants et la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous, mais dont, paradoxalement, nous importons les produits, c'est l'ensemble de la philosophie de notre politique agricole qui doit être repensée. Face à ce diagnostic très largement partagé, la réaction du Gouvernement se fait encore attendre, même si on nous annonce un futur projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.

Cette situation est d'autant plus inquiétante qu'elle contribue à stigmatiser un secteur déjà durement pénalisé par son manque d'attractivité. En moins de soixante-dix ans, le nombre d'exploitants agricoles a été divisé par cinq, passant de 2,5 millions en 1955 à 496 000 en 2020. On estime par ailleurs qu'environ 43 % des travailleurs du secteur agricole pourraient partir à la retraite d'ici à 2033.

Le sujet du renouvellement générationnel est donc majeur, alors que plus de la moitié des candidats à l'installation ne sont plus issus du milieu agricole et, donc, du modèle d'exploitation familial traditionnel. Dans leur majorité, ces nouveaux entrants ne disposent pas d'un capital foncier agricole. Ce constat doit nous amener à faire évoluer notre politique agricole pour tenir compte de ces transformations, parmi lesquelles la question du foncier occupe une place centrale.

Les politiques publiques doivent ainsi préserver une agriculture de proximité pour que cohabitent plusieurs modèles agricoles, tout en permettant l'accès au secteur agricole de ceux qui ne disposent pas d'un capital foncier, pourtant indispensable. Les leviers à activer pour atteindre ces deux objectifs sont multiples. Les personnes que j'ai entendues dans le cadre de mes travaux ont effectivement souligné qu'une politique agricole en faveur de l'installation et de la transmission devait s'intéresser à tous les freins, qu'il s'agisse du coût des investissements, du droit du travail, de la concurrence ou encore de l'accompagnement des cédants. Au final, le but doit bien être de rétablir la souveraineté alimentaire française... Un horizon lointain !

La présente proposition de loi de notre collègue Vanina Paoli-Gagin s'inscrit dans ce contexte. Elle ne prétend pas résoudre l'ensemble des difficultés que je viens de soulever - qui le pourrait, d'ailleurs ? - mais elle s'attache à une modalité précise de soutien à l'installation et à la transmission des exploitations agricoles, celle du portage collectif du foncier.

Le dispositif proposé vise ainsi à créer une nouvelle voie de financement et d'accès au foncier agricole, à travers des groupements fonciers agricoles d'épargnants (GFAE), dont les parts de capital social seraient ouvertes à la souscription du public.

Cette initiative repose également sur l'idée que l'abondance d'épargne privée des Français - l'auteur parle d'environ 1 700 milliards d'euros - devrait pouvoir être mobilisée au profit de formes d'investissement « éthiques », au service des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire et d'un « retour à la terre ». Je crois que nous pouvons tous ici partager cet objectif.

J'ai pour ma part considéré que la création d'un nouveau véhicule d'investissement, les groupements fonciers agricoles d'épargnants, était une solution parmi d'autres pour renforcer nos outils d'aide à l'installation et à la transmission. Ce véhicule, innovant, peut répondre à la situation de certains exploitants agricoles, selon leurs besoins, leurs secteurs d'activité, mais aussi le coût du foncier dans leur territoire.

J'ai donc abordé la création des GFAE comme une piste de réflexion intéressante, mais sans doute modeste. Avant de vous présenter plus en détail les dispositions de la proposition de loi, il me faut toutefois rappeler un point, s'agissant d'un produit financier. Les risques que tout épargnant peut être amené à prendre dans le cadre de ses investissements doivent être bien compris, admis et établis : un investissement non risqué, même quand le projet est jugé « éthique », cela n'existe pas. Il faut garder cet élément à l'esprit, car le dispositif proposé transforme la nature même des groupements fonciers agricoles.

L'article 1er du texte procède donc à la création de groupements fonciers agricoles d'épargnants, c'est-à-dire des groupements fonciers agricoles (GFA) dont les parts du capital social pourraient faire l'objet d'une offre au public. Le régime juridique des GFAE s'inspire de celui des groupements forestiers d'investissement (GFI) - avec, notamment, un strict encadrement des offres au public. Toutefois, et je souligne la sagesse de l'auteur sur cet aspect primordial, les règles de fonctionnement des GFA, très protectrices des associés personnes physiques et des exploitants agricoles, seraient conservées.

Les GFAE constitueraient ainsi un nouveau véhicule d'investissement relevant de la catégorie des fonds d'investissement alternatifs (FIA). Les sociétés de gestion et les distributeurs de ce produit seraient assujettis à la supervision de l'Autorité des marchés financiers (AMF), tout comme les offres au public. Les GFAE seraient par définition des produits peu liquides - le foncier agricole est donné en bail à long terme - et aux perspectives de rendement faibles - sauf à consentir une hausse de loyers pour les exploitants agricoles preneurs de baux, ce qui n'est pas souhaitable.

Parmi les neuf amendements que je vous propose, l'amendement COM-3 vise à préciser la composition de l'actif des GFAE, en prévoyant que ceux-ci puissent accepter des liquidités, en plus des immeubles à destination agricole. Cette disposition donnerait un peu plus de souplesse aux sociétés de gestion.

Par ailleurs, outre les caractéristiques de ce véhicule d'investissement, j'insiste sur le changement de nature entre le GFA « local » et le GFAE. C'est pourquoi il me semble important de trouver une qualification plus adaptée : je vous propose quatre amendements en ce sens - les amendements COM-1, COM-4, COM-6 et COM-7 requalifient les GFAE de groupements fonciers agricoles d'investissement, ou GFAI.

L'article 2 de la proposition de loi vise par ailleurs à adapter les prérogatives des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les Safer, à ce nouveau groupement. Ces structures, qui ont fêté cette année leurs 63 ans, ont vu leurs compétences s'élargir, avec l'objectif, notamment, de leur permettre de préempter davantage le foncier rural agricole. L'article 2 élargit donc le droit de préemption des Safer, le cas échéant à la totalité des parts des nouveaux GFAE. Sur cet article, je propose également à la commission un amendement COM-5 tendant à ramener de trois ans à deux ans le délai dont disposeraient les GFAE pour mobiliser les apports en numéraire au profit d'investissements à destination agricole.

Je serai bien plus bref sur les trois derniers articles.

L'article 3 porte des mesures de coordination au sein du code monétaire et financier. Il vise également à appliquer aux GFAE les modalités de répartition des droits de vote propres aux GFA. Ces règles sont en effet plus favorables aux associés personnes physiques, avec un droit de vote « double ».

L'article 4 a pour objet d'étendre aux parts de GFAE deux dispositifs fiscaux favorables déjà existants pour les parts de GFA : les donataires de parts de GFAE bénéficieraient d'une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) et les détenteurs de ces parts d'une exonération totale ou partielle d'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il s'agit là, à mon sens, d'un simple alignement du régime fiscal des GFAE sur celui des GFA. De tels avantages fiscaux seraient également de nature à inciter davantage d'épargnants à souscrire à ce produit, en compensation de rendements limités.

J'espère, mes chers collègues, que vous soutiendrez la démarche de ce texte : proposer une nouvelle voie d'accès au foncier agricole. Je précise que, conformément à nos usages, les amendements que je vous soumets ont été déposés en accord avec notre collègue et auteur de la proposition de loi.

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - Vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette initiative parlementaire du groupe Les Indépendants - République et territoires découle de plusieurs constats : d'une part, il est impératif, dans le contexte géopolitique que nous connaissons, de restaurer une certaine autonomie en matière alimentaire ; d'autre part, une part croissante des élèves de lycée agricole ne sont pas des enfants d'agriculteurs, d'éleveurs ou de viticulteurs et, en conséquence, ne pourront bénéficier d'une transmission familiale de foncier. S'ajoutent à cela la baisse du nombre d'agriculteurs, le vieillissement de cette population et l'extension de la taille des exploitations.

Nous avons donc souhaité proposer un levier d'action supplémentaire, correspondant davantage, me semble-t-il, à l'esprit des jeunes générations, qui sont plus tournées vers une économie de l'usage. Il s'agit de leur permettre de s'installer, y compris s'ils ne disposent pas des moyens financiers pour investir dans le foncier.

Il y a encore de l'argent disponible dans notre pays ! Il se trouve non pas dans les caisses d'un État surendetté, mais dans la sur-épargne des Français, constituée notamment pendant la période de pandémie. Ce nouveau type de GFA a pour ambition de drainer une part de cette épargne, estimée à 300 milliards d'euros.

L'idée a circulé dans le cadre des concertations conduites par le ministre de l'agriculture sur le pacte et la loi d'orientation et d'avenir agricoles. Nous avions opté pour le vocable « épargnants », pour mettre en avant la logique collective du GFAE, appuyé sur la sur-épargne des Français, mais le terme « investissement » retenu par le rapporteur est sans doute plus adapté à la nature du produit.

Je tiens d'ailleurs à le remercier pour le travail constructif et bienveillant qu'il a mené dans un délai très contraint. Comme indiqué, j'accepte bien volontiers tous les amendements proposés.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je voudrais remercier à la fois l'auteur de la proposition de loi et le rapporteur pour son travail de qualité dans un laps de temps très réduit.

Au travers de cette proposition de loi, on cherche à répondre à plusieurs problématiques : améliorer l'offre et l'autonomie alimentaires de la ferme France et traiter les difficultés importantes en matière d'accès et de maîtrise du foncier - en agriculture comme dans le domaine de l'urbanisme, qui tient le foncier tient l'avenir. Les outils permettant au monde agricole de continuer à maîtriser le foncier présentent un intérêt certain, surtout s'ils permettent de mieux mobiliser l'épargne au bénéfice de l'outil de production.

Je salue donc ce travail collégial, qui s'inscrit parfaitement dans cette logique, et pourra trouver une application quelle que soit la taille de l'exploitation..

Mme Isabelle Briquet. - Tout en remerciant l'auteur et le rapporteur du texte pour le travail réalisé, j'exprimerai un sentiment quelque peu différent. Si l'on peut partager l'idée d'une continuité du foncier agricole, notamment en raison de la baisse du nombre d'exploitants, du vieillissement des agriculteurs et de l'accroissement de la taille des exploitations, la méthode proposée dans ce texte ne nous semble pas la plus opportune, non plus, d'ailleurs, que les amendements du rapporteur.

En s'adressant avant tout aux personnes qui recherchent des investissements défiscalisés, on fait un pas de plus vers la financiarisation du foncier agricole, sans résoudre les problèmes d'installation et en laissant de côté le seul levier permettant de répondre globalement à l'enjeu : la régulation foncière. En outre, ce texte repose à nouveau sur une baisse de recettes fiscales. On ne peut continuer à renoncer à des recettes quand les finances publiques sont dans le rouge ! Enfin, le prochain projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles devrait permettre d'aborder plus exhaustivement ce sujet.

Pour toutes ces raisons, le groupe SER votera contre la proposition de loi.

Mme Nathalie Goulet. - J'ajouterai deux questions aux remerciements que j'adresse au rapporteur pour son travail.

Avons-nous prévu un contrôle particulier pour les investissements étrangers ? La financiarisation serait effectivement contreproductive si elle conduisait à voir apparaître des investisseurs chinois ou d'autres nationalités.

Par ailleurs, au moment où le poids des sociétés d'aménagement foncier et d''établissement rural (Safer) est renforcé, ne serait-il pas opportun de mettre en place des déclarations d'intérêts pour les personnes qui dirigent ces structures, comme cela avait été suggéré voilà quelques années ?

M. Marc Laménie. - Je remercie l'auteur et le rapporteur de la proposition de loi. En quoi consisteraient les contrôles de l'AMF dans le cadre de ce nouvel outil ? Par ailleurs, j'appuie la remarque de Nathalie Goulet concernant les Safer, dont le rôle est très important dans les choix d'installation. Comment s'inscriraient-elles précisément dans le dispositif ?

M. Arnaud Bazin. - Voilà peu, la presse se faisait l'écho d'investissements étrangers massifs dans des terres agricoles qui, ensuite, étaient confiées, non pas à des exploitants agricoles, mais à de grandes sociétés de travaux agricoles. Dans la lignée de la question de Nathalie Goulet, j'aimerais savoir si un mécanisme est prévu pour que les investissements de nos épargnants bénéficient bien à d'authentiques exploitants agricoles ? J'ajoute que je partage la préoccupation exprimée sur la nécessité de faire infuser une culture déontologique dans les Safer.

M. Éric Bocquet. - Je salue l'initiative de notre collègue Vanina Paoli-Gagin, la maîtrise du foncier agricole soulevant une véritable question. Je m'inquiète néanmoins du changement de dénomination proposé par le rapporteur. Passer d'« épargnants » à « investissement » n'est pas anodin, d'autant que le contexte actuel est marqué par un fort mouvement de financiarisation des terres agricoles en France. Ce mot est donc préoccupant : je ne dis pas qu'il faut l'interdire ; je m'interroge sur la nécessité d'une plus forte régulation. Le jeu de la financiarisation fait exploser le prix des terres à l'hectare, ce qui complique encore l'installation des jeunes agriculteurs. L'idée me semble donc bonne, mais il manque d'après moi quelques garde-fous pour rendre le texte conforme à l'objectif.

Mme Ghislaine Senée. - Mon intervention sera dans la même veine. Parler de GFAI, c'est mettre des mots justes sur la réalité : il s'agit bien d'investissements ! Il existe déjà des GFA citoyens ou solidaires, permettant aux épargnants de participer à l'acquisition de foncier et à l'installation de nouveaux exploitants. Nous exprimons donc de très fortes craintes face à ce projet. Si de tels groupements devaient se mettre en place, il faudrait au moins prévoir quelques conditionnalités, par exemple en matière de nombre d'emplois ou de pratiques agricoles vertueuses.

S'agissant des Safer, nous souhaiterions qu'elles puissent jouer un rôle plus important dans les mouvements fonciers.

Compte tenu des risques de financiarisation, nous ne voterons pas cette proposition de loi.

M. Michel Canévet. - Je voudrais, moi aussi, remercier très vivement l'auteur de la proposition de loi pour avoir mis en avant un problème particulièrement aigu. Nous sommes tous attachés à ce que l'activité agricole prospère dans notre pays. Compte tenu de la réduction importante du nombre d'agriculteurs, il est urgent d'apporter des solutions.

Cela a été mentionné, le niveau d'épargne est élevé et il convient, autant que faire se peut, d'orienter cette épargne vers le système productif existant. Nous pourrions d'ailleurs avoir une approche identique pour le secteur maritime, confronté à la question du renouvellement des flottes de navires de pêche...

Dans le secteur agricole, notamment l'élevage, nous observons une capitalisation croissante, ce qui oblige à trouver des formules de financement pour garantir la transmission des exploitations. D'où cette question : les bâtiments d'élevage sont-ils couverts par le dispositif ?

M. Christian Bilhac. - Je remercie à mon tour l'auteur et le rapporteur de la proposition de loi.

J'observe que nous avons déjà un outil avec le GFA et je ne vois pas bien pourquoi un épargnant, devant les offres multiples et variées qui lui sont proposées, irait investir dans des secteurs ne rapportant rien, si ce n'est pour un motif de défiscalisation.

Les problèmes de transmission d'exploitation sont, d'après moi, liés à la question du revenu. S'il n'y a plus d'agriculteurs, c'est parce que leurs revenus sont insuffisants pour vivre, c'est parce que, malgré les lois récemment votées, des milliers d'entre eux vendent à perte tous les jours, dans l'indifférence générale !

M. Grégory Blanc. - Il me semble que le problème rencontré par l'agriculture française tient moins à la capitalisation qu'à la trésorerie. Notre modèle, on le sait, repose sur la concentration des capitaux jusqu'au départ à la retraite et, en même temps, l'enjeu au moment de l'installation est de réduire le risque et faciliter l'accès aux prêts. Peut-être existe-t-il à cet endroit une tension... Une réflexion a-t-elle été menée pour savoir comment mobiliser l'épargne en faveur d'un renforcement de la trésorerie des agriculteurs ?

M. Victorin Lurel. - Les marins-pêcheurs ne possèdent pas la mer et, pourtant, travaillent avec elle... Il en va différemment dans le domaine agricole, où l'on veut être propriétaire, ce qui représente un coût important dans le bilan de l'exploitation.

S'agissant de la proposition avancée, je suis quelque peu sceptique sur la rentabilité de ces groupements. Compte tenu des rendements à attendre, qui aurait intérêt à investir ?

On cherche une voie pour pouvoir mettre à disposition du foncier, soit par la vente, soit par la location. On va donc créer un GPA en utilisant des fonds d'épargnants, puis on va louer le terrain à l'agriculteur, en lui proposant probablement de prendre des parts, et peut-être de devenir propriétaire à l'issue de ce bail à long terme, avec, qui plus est, un loyer encadré. La seule motivation pour participer à une telle opération ne peut être que la défiscalisation !

Enfin, le droit de préemption de la Safer serait a priori préservé dans le cadre du GFAE. Quelle est l'utilité de ce nouveau produit si la Safer continue de pouvoir en préempter les parts, comme pour les GFA ? Je ne vois donc pas non plus la plus-value par rapport aux instruments existants.

M. Christian Klinger, rapporteur. - S'agissant de la régulation foncière, il s'agit d'une problématique bien plus large, qui excède le périmètre de la proposition de loi.

L'outil envisagé n'a en effet pas vocation à répondre à toutes les problématiques : il est complémentaire des dispositifs déjà existants pour soutenir les candidats à l'installation.

Dans le cadre du pacte et de la loi d'orientation et d'avenir agricoles, qui viendront certainement en débat en début d'année prochaine, un module consacré à l'installation et à la transmission a déjà permis d'aborder le sujet que nous examinons aujourd'hui. D'autres outils ont été évoqués, tels que les diagnostics de transmission ou la refonte des aides à l'installation.

Par ailleurs, on ne peut pas parler véritablement de pertes de recettes fiscales, puisqu'il s'agit d'un nouveau dispositif. Il n'y a donc pas de pertes, mais une absence de perception de recettes potentielles.

Concernant le contrôle des investissements étrangers, je devrais pouvoir rassurer sur le sujet. Le GFAI serait considéré comme un fonds d'investissement alternatif et, à ce titre, pourrait être commercialisé auprès de toute personne domiciliée dans l'Union européenne, sans condition de nationalité. La commercialisation des parts ne pourrait avoir lieu qu'en France pour les clients non professionnels et dans l'Union européenne pour les clients professionnels. Pour les personnes morales, seules seraient autorisées à souscrire aux parts du GFAI les Safer, les sociétés civiles agréées par le ministère de l'agriculture et le ministère chargé des comptes publics, les entreprises d'assurance, les coopératives agricoles et les sociétés d'intérêt collectif agricole.

Il a été question de la déontologie des Safer. Effectivement, en tant que suppléant d'une d'entre elles, je peux attester qu'il s'agit d'un cercle un peu fermé. Aucun système de déclaration d'intérêts n'est prévu. Cela étant, quand une vente est proposée à l'un des membres, la personne en question ne participe pas aux délibérations.

Le GFAE, je le redis, est calqué sur les groupements forestiers d'investissement, qui existent déjà et ont fait leurs preuves. Cela explique, aussi, le changement de dénomination proposé et le remplacement du terme « épargnants » par « investissement ». Ce changement a le mérite d'attirer l'attention de l'épargnant sur le fait que l'investissement est peu liquide et a une rentabilité faible. Tous les épargnants ne recherchent d'ailleurs pas systématiquement les rentabilités les plus élevées, ils peuvent vouloir consacrer une partie de leur portefeuille à des investissements éthiques ou à des produits de la finance solidaire.

Je veux aussi vous rassurer en indiquant que le fonctionnement du GFAI est parfaitement identique à celui du GFA. L'épargnant achète des parts, ensuite gérées par le fonds de gestion. Les biens agricoles font toujours l'objet d'un bail à long terme entre l'agriculteur exploitant et le groupement. Ce bail est, au minimum, de 18 ans et, souvent, de 25 ans. , Dans le cadre de la réglementation des baux ruraux, le prix du fermage est établi en fonction d'un barème établi par le préfet du département.

Je le redis, nous parlons ici d'un outil complémentaire aux aides existantes, visant à améliorer l'accès au foncier, surtout pour les personnes souhaitant s'installer en dehors de tout cadre familial. Le terme « financiarisation » m'apparaît excessif, d'autant qu'on pourrait tout à fait l'utiliser pour les GFA. L'ouverture des GFA aux épargnants permettra peut-être même de protéger certaines exploitations de l'appétit de grandes sociétés ou d'investisseurs étrangers...

Dans le cadre de mes travaux, j'ai été interpellé par l'audition des représentants des Jeunes agriculteurs, durant laquelle ils nous ont expliqué que l'accession à la propriété n'était plus un objectif prioritaire pour les jeunes agriculteurs, qu'ils soient issus d'une famille d'exploitants agricoles ou non. Ils veulent pouvoir exploiter un terrain pour faire le métier qu'ils aiment, et ce durant une période de temps donné, qui ne recouvrira pas forcément toute leur carrière. Un changement s'opère ; peut-être devons-nous aussi changer notre propre vision.

Je confirme qu'un bâtiment d'élevage peut entrer dans le dispositif du GFAE.

Pourquoi investir alors que cela ne rapporte pas ? Chacun est libre d'investir son épargne où il veut, et on peut considérer cet outil comme un dispositif d'épargne solidaire et éthique, au bénéfice de la souveraineté alimentaire française. Effectivement, il ne réglera pas le problème des revenus des agriculteurs, mais un GFA « classique » ne le règle pas non plus.

Je ne pense pas en revanche que les épargnants disposés à mettre de l'argent dans la trésorerie d'une entreprise soient très nombreux.

Je reconnais à nouveau que les perspectives de rendement de ce produit sont faibles, mais c'est le propre des investissements sur les terres agricoles, et que l'opération est peu liquide. Sur le modèle des GFA, la compensation de ces deux risques prend la forme d'exonérations partielles ou totales de droits de mutation à titre gratuit et d'impôt sur la fortune immobilière.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose un périmètre indicatif de la proposition de loi.

Ce périmètre comprend les dispositions relatives au régime juridique et fiscal des groupements fonciers agricoles d'épargnants ; les dispositions relatives au rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) dans les groupements fonciers agricoles et les groupements fonciers agricoles d'épargnants ; les dispositions relatives aux modalités de calcul des droits de vote des associés aux groupements fonciers agricoles d'épargnants ; les dispositions relatives aux groupements fonciers agricoles  et les dispositions relatives aux véhicules d'investissement et aux véhicules financiers destinés à faciliter la transmission des exploitations agricoles françaises.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Christian Klinger, rapporteur. - L'amendement COM-1 concerne le changement de la dénomination des groupements fonciers agricoles d'épargnants en groupements fonciers agricoles d'investissement.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'amendement de précision rédactionnelle COM-2 est adopté.

M. Christian Klinger, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à préciser la composition de l'actif des GFAE, en leur permettant d'accepter des liquidités.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement de coordination COM-4 est adopté.

M. Christian Klinger, rapporteur. - L'amendement COM-5 tend à réduire de trois ans à deux ans la période au terme de laquelle les apports en numéraire devront avoir été utilisés pour des investissements à destination agricole.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'amendement de coordination COM-6 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement de coordination COM-7 est adopté.

M. Christian Klinger, rapporteur. - L'amendement COM-8 complète l'article 4 en gageant la perte de recettes publiques pour l'État qui résulterait des exonérations de DMTG et d'IFI.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

M. Christian Klinger, rapporteur. -L'amendement COM-9 vise à supprimer l'article 5, correspond au gage financier de la proposition de loi, compte tenu de l'adoption de l'amendement COM-8.

L'amendement COM-9 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

M. KLINGER, rapporteur

1

Adopté

M. KLINGER, rapporteur

2

Adopté

M. KLINGER, rapporteur

3

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. KLINGER, rapporteur

4

Adopté

M. KLINGER, rapporteur

5

Adopté

Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

M. KLINGER, rapporteur

6

Adopté

Article 4

Auteur

Sort de l'amendement

M. KLINGER, rapporteur

7

Adopté

M. KLINGER, rapporteur

8

Adopté

Article 5

Auteur

Sort de l'amendement

M. KLINGER, rapporteur

9

Adopté

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport spécial

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Depuis l'an dernier, cette mission ouvre uniquement des crédits de paiement, qui s'élèveront en 2024 à 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard d'euros pour le programme 362 « Écologie », 66 millions d'euros pour le programme 363 « Compétitivité » et 179 millions d'euros pour le programme 364 « Cohésion ».

Les principales dépenses devraient concerner, sur le programme 362, la rénovation thermique des bâtiments publics de l'État et des opérateurs à hauteur de 374 millions d'euros, d'une part, des collectivités territoriales à hauteur de 296 millions d'euros, d'autre part, ainsi que le soutien aux transports en commun et au vélo pour un montant de 247 millions d'euros. Le programme 364 financera, pour 179 millions d'euros, des actions pluriannuelles s'inscrivant dans plusieurs programmes d'aménagement du territoire.

Dans les années à venir, la consommation de crédits devrait encore diminuer, puisque le même montant de crédits, soit 1,4 milliard d'euros, est prévu sur les années 2025 et suivantes.

Ce sont là les chiffres figurant dans le projet de loi de finances, c'est-à-dire ceux qui sont soumis à l'autorisation parlementaire.

Mais, je dois le dire, la réalité est malheureusement un peu différente. En effet, si 42,5 milliards d'euros d'autorisations de crédits ont été consommés en 2021 et 2022, le montant des crédits de paiement utilisés jusqu'à présent est de 33,4 milliards d'euros seulement. Il faudra donc beaucoup plus de crédits dans les années à venir que ceux qui sont inscrits dans les textes.

La technique utilisée par le Gouvernement nous est désormais bien connue : il s'agit des fameux reports de crédits.

Ainsi, de nouveaux engagements sont encore pris en 2023, et probablement encore en 2024, grâce aux reports d'autorisations d'engagement non consommées les années précédentes, alors que les dernières autorisations d'engagement ouvertes en loi de finances remontent à 2022.

Quant aux crédits de paiement - ceux qui ont été ouverts par la loi de finances initiale pour 2023 -, d'un montant de 4,4 milliards d'euros, ils ont été complétés par des reports de 6 milliards d'euros de crédits ouverts les années précédentes, et non encore consommés. Le montant total des crédits disponibles en 2023 a ainsi été égal à 2,4 fois le montant soumis à l'autorisation parlementaire.

Il ressort d'ailleurs des documents budgétaires qu'il resterait encore, à la fin de 2023, 7,3 milliards d'euros d'engagements non couverts par des paiements. Seul le report de crédits autorisés plusieurs années auparavant permettra d'y faire face.

Nous avons souvent regretté l'utilisation massive de cette procédure. Il serait préférable d'annuler les crédits non nécessaires en loi de finances de fin de gestion, voire plus tard en loi de règlement, et d'ouvrir en loi de finances initiale les crédits nécessaires, aussi bien en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement.

Au lieu de cela, les documents budgétaires, lorsqu'ils décrivent les différents dispositifs financés par le plan de relance, sont parsemés de mentions sibyllines telles que « En 2024, aucune ouverture de crédits de paiement n'est prévue sur ce dispositif. Les versements intermédiaires seront assurés par des reports de crédits de 2023 sur 2024. »

Disons-le, au-delà du budget officiel présenté dans le projet de loi de finances, il y a quelque part un budget « masqué », permettant aux gestionnaires de programme et au Gouvernement de gérer les crédits avec une grande liberté, souvent plusieurs années après l'autorisation parlementaire, et avec un suivi très insuffisant.

Car ce n'est pas seulement le principe d'annualité budgétaire qui est contourné, c'est aussi celui de spécialité. Alors que les crédits sont normalement ouverts en loi de finances pour une politique publique donnée, les programmes ont été définis de manière tellement large qu'ils permettent des réallocations de crédits sur lesquelles l'information est extrêmement parcellaire.

À titre d'exemple, le programme 363 continuera à financer en 2024 aussi bien l'acquisition d'hélicoptères par la gendarmerie nationale qu'un projet de portail public de facturation piloté par la direction générale des finances publiques. Le premier dispositif a été lancé dès l'été 2020, avant même la création de la mission « Plan de relance », puis lui a été rattaché. Le portail de facturation, quant à lui, fait partie des nombreux dispositifs qui auraient dû être imputés sur les dépenses ordinaires des ministères, et non sur le plan de relance.

On le voit bien, et certains rapporteurs spéciaux le constateront certainement, un grand nombre de dispositifs du plan de relance présentés comme temporaires sont devenus pérennes et ont désormais rejoint les crédits des missions dites « ordinaires ». C'est le cas, notamment, de la rénovation énergétique des bâtiments publics ou des logements privés - politique essentielle, et de long terme, qui, bien sûr, ne présentait absolument pas le caractère temporaire d'un plan de relance.

Au total, l'évaluation d'un tel dispositif est particulièrement difficile. Les rapports du comité de suivi du plan de relance constatent, certes, l'amélioration de la situation économique par rapport à la période de la crise sanitaire, mais ils restent très prudents sur le rôle spécifique du plan de relance.

La Cour des comptes constate par ailleurs une accumulation des plans d'urgence ou de transformation de l'économie depuis trois ans, ce qui, selon elle, ne permet pas de déterminer l'apport spécifique de chacun d'entre eux.

Enfin, le financement du plan de relance doit être assuré en partie par l'Union européenne. Cette question dépasse le cadre strict de la mission « Plan de relance », car il s'agit d'une recette versée au budget général dans la catégorie des recettes non fiscales. Elle est toutefois importante. Les subventions européennes sont soumises à la mise en place d'un dispositif lourd de cibles et de jalons. Toutefois, si le versement au titre de 2023 n'a pas encore eu lieu, c'est d'abord parce que la demande a été déposée à la fin du mois de juillet seulement, après une révision du dossier soumis à la Commission européenne qui tendait à intégrer le nouvel instrument REPowerEU, introduit après l'invasion de l'Ukraine. Le Gouvernement allègue de manière répétée que les versements européens ne viendront qu'après l'adoption de la loi de programmation des finances publiques... Cela reste à démontrer !

En outre, et surtout, le plan de relance européen devait être financé par de nouvelles ressources propres, dont la taxe carbone aux frontières, ainsi que par des emprunts. Or le niveau incertain de ces ressources et la hausse des taux d'intérêt risquent de remettre en cause ce schéma de financement, ce qui pourrait finir par peser sur les États membres.

Nous avons déjà dénoncé, l'an passé, le manque de lisibilité des crédits, la confusion entre les véhicules budgétaires et, en définitive, l'utilisation de cette mission comme un support de financement bien pratique pour des mesures plus hétéroclites les unes que les autres. Nous avions d'ailleurs réduit les crédits d'un montant de 1 milliard d'euros, réduction portant sur des crédits n'ayant plus vocation à être utilisés.

Le constat que je fais cette année est encore plus sévère : contournement massif de l'autorisation parlementaire, absence de transparence sur la dépense, évaluation impossible. Pour un budget qui, d'après les ministres, devait être géré « à l'euro près », ce sont des milliards d'euros de dépenses qui ne sont pas documentées, ou de manière très évasive. J'imagine la réaction d'une chambre régionale des comptes si une collectivité locale venait à présenter un tel budget...

Pour moi, le Gouvernement va trop loin. Je vous propose donc, mes chers collègues, de rejeter les crédits de la mission « Plan de relance ». Les crédits en caisse sont tellement importants que cela n'empêchera aucunement l'administration de faire face aux engagements déjà pris.

M. Claude Raynal, président. - Je n'avais pas connaissance de cette conclusion, qui, néanmoins, ne me surprend pas. Tout en partageant l'ensemble des éléments développés par le rapporteur spécial, ma vision sera un peu plus positive. J'estime en effet qu'il faut se replacer dans le contexte de la pandémie de covid-19, qui impliquait d'agir vite. Dans le cadre d'une procédure de toute évidence d'exception, des crédits massifs ont été ouverts, avec des affectations peu précises, et nous sommes aujourd'hui dans la continuité de ce plan, sortant du cadre ordinaire des pratiques en matière de finances publiques. Il faut donc garder en tête le contexte particulier.

En revanche, le rapporteur spécial a bien fait d'insister sur ce point, il est impossible de réaliser un suivi de cette opération. Il est clair que l'injection de crédits dans l'économie a des effets bénéfiques, mais mesurer la réalité de ces effets point par point devient extrêmement compliqué, d'autant que les crises se sont succédé. Quel élément est lié à la période du covid-19 ? Quel autre à l'augmentation du coût de l'énergie ? Le suivi est extrêmement complexe, et nous restons dubitatifs face aux échanges auxquels nous assistons dans le cadre du comité de suivi.

Dans mon analyse globale, j'aurai donc une approche plus compréhensive, tout en partageant les mêmes constats.

Mme Nathalie Goulet. - Si nous pouvons comprendre la nécessité de faire preuve de souplesse et de rapidité la première année de la crise sanitaire, des questions se posent davantage aujourd'hui. Par ailleurs, je suis frappée par l'éclectisme des mesures relevant de la mission « Plan de relance ». Dans l'Orne, cette mission a ainsi financé la protection de chauves-souris, pour plus de 250 000 euros ! Je ne suis pas sûre que cela entre dans les priorités du plan de relance. Même s'il existe d'autres investissements intéressants, un contrôle plus thématique et plus ferme de ces fonds serait bienvenu.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La pérennisation de ce dispositif dérogatoire n'est-elle pas de nature à compromettre la sincérité des comptes, ce qui pourrait avoir des conséquences constitutionnelles ? Si l'état de crise est une notion compréhensible, l'état de crise permanente l'est beaucoup moins.

M. Jean-François Husson, rapporteur spécial. - Une crise est survenue. Des principes dérogatoires ont été instaurés pour y faire face, assortis de moyens importants. Nous les avons votés, en 2021 et 2022. Cependant, nous demander de les voter de nouveau pour 2024 relève d'une forme d'abus. Je rappelle les bonnes règles d'utilisation de l'argent public. Nous ne pouvons pas continuer de déroger ainsi au droit ordinaire. L'exemple de Mme Goulet est parlant à cet égard. Il faut rester sérieux. Si nous dressions la liste des dépenses curieuses effectuées au titre du plan de relance dans chaque département, la presse et les courants populistes en feraient leurs choux gras. Le Gouvernement doit se ressaisir et améliorer la tenue de ces comptes.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Plan de relance ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport spécial

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». - L'examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s'inscrit cette année, peut-être encore davantage que les années précédentes, dans une actualité particulièrement forte, à plusieurs égards.

Tout d'abord, la mission sera marquée en 2024, comme elle l'est déjà en 2023, par la force de la pression migratoire, en France comme en Europe. Pour ce qui concerne l'asile, qui structure l'essentiel des dépenses de la mission, le Gouvernement s'attend à recevoir 160 000 demandes d'asile en France en 2024, soit environ 20 % de plus qu'en 2019, année qui porte pourtant le record historique de près de 1 330 demandes. Ensuite, la mission est également marquée par la poursuite de l'accueil en France des personnes déplacées d'Ukraine du fait du conflit avec la Russie. Environ 80 000 personnes bénéficient ainsi de la protection temporaire de la France aujourd'hui, qui leur ouvre droit à l'octroi de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) ainsi qu'à un hébergement, en principe.

Enfin, l'étude des crédits de la mission s'effectue peu de temps avant l'examen par le Sénat du projet de loi sur l'immigration. Il n'est pas toujours aisé de faire la part des choses entre ce qui concerne les débats sur ce projet de loi et le présent examen des crédits de la mission. J'ai néanmoins tâché d'examiner ces crédits pour 2024 pour ce qu'ils sont en l'état, sans chercher à jeter un pont entre les deux textes. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pas cherché non plus à lier les deux.

Venons-en à l'examen des crédits de la mission pour 2024. D'un point de vue général, les données brutes sont les suivantes : les crédits de paiement sont en hausse d'un peu plus de 7 %, soit près de 150 millions d'euros supplémentaires, et s'établissent à 2,16 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement sont quant à elles en baisse de 34 %, soit d'un peu plus de 900 millions d'euros, pour s'établir à 1,76 milliard d'euros. Cette baisse des autorisations d'engagement doit néanmoins être nuancée d'emblée. En effet, l'année 2023 avait notamment été marquée par un renouvellement des conventions pluriannuelles dans le domaine du logement des demandeurs d'asile, renouvellement qui avait conduit à l'ouverture ponctuelle d'un nombre important d'autorisations d'engagement. Cela explique une partie importante de la baisse apparente des autorisations d'engagement en 2024 sur ces deux postes.

Les crédits prévus pour la mission en 2024 présentent quelques petites améliorations, mais aussi et surtout de sérieux défauts. J'ai identifié trois améliorations.

Tout d'abord, des efforts supplémentaires sont proposés pour les crédits dédiés aux centres et locaux de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière, et plus particulièrement ceux qui présentent une menace. Les dépenses d'investissement concernées sont ainsi en hausse de 63 millions d'euros en crédits de paiement et de 103 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette hausse budgétaire vise à étendre le parc des centres de rétention administrative (CRA) d'un peu moins de 1 900 places aujourd'hui à 3 000 places à l'horizon 2027, comme l'a prévu la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Elle tend également à financer les travaux permettant la sécurisation de ces CRA.

Ensuite, les dépenses d'éloignement des migrants en situation irrégulière et de lutte contre l'immigration clandestine sont un peu renforcées, à hauteur de 20 millions d'euros. Cette hausse vise en particulier à financer l'achat de matériels de lutte contre l'immigration clandestine : drones, intercepteurs nautiques, moyens de projection et moyens aériens.

Enfin, les crédits en faveur de l'intégration des étrangers primo-arrivants, qu'ils soient réfugiés ou détenteurs d'une carte de séjour de longue durée, sont en hausse. C'est, sur le principe, une bonne nouvelle, car l'intégration doit être une priorité centrale dans notre politique d'immigration. Cette hausse, d'environ 36 millions d'euros, a vocation à financer des dépenses en faveur de l'apprentissage de la langue française, de l'accès aux droits et de l'accompagnement vers l'emploi.

Venons-en maintenant aux écueils du présent budget, qui sont sérieux et nombreux.

Le premier travers des crédits de la mission, c'est qu'ils ne sont tout simplement pas complets. En effet, comme l'année dernière, le budget prévu n'intègre pas les dépenses liées à l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine et bénéficiant de la protection temporaire en France. Que les dépenses en question aient été financées en cours d'année en 2022 était inévitable, puisque l'invasion russe a eu lieu en février 2022. Le fait que les crédits nécessaires en 2023 n'aient ensuite pas été intégrés dans le projet de loi de finances pour 2023 était déjà beaucoup plus contestable. Mon prédécesseur, Sébastien Meurant, l'avait souligné et la Cour des comptes a considéré que « le défaut de sincérité budgétaire était établi à cet égard ». Dans ces conditions, il est d'autant plus surprenant que le budget 2024 fasse de même. L'année prochaine, c'est encore par abondement en gestion que le financement nécessaire devra s'opérer. Or la non-budgétisation de ces crédits pose d'autant plus problème que leurs poids par rapport au total des crédits de la mission est significatif. En 2023, ces dépenses sont en effet estimées à environ 350 millions d'euros. Une telle situation est donc de nature à limiter le caractère éclairé du vote du Parlement sur la mission.

Le deuxième écueil de ce budget concerne la dotation au titre de l'ADA. Son montant avait déjà été fortement diminué l'année dernière, de 36 %. Pour 2024, son montant serait en baisse de 21 millions d'euros, pour s'établir à 294 millions d'euros. Sur le principe, cela pourrait être une bonne nouvelle. En effet, la baisse du budget de l'ADA est fondée sur la réduction des délais de traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La réduction de ces délais a pour effet l'octroi de l'allocation sur une moins longue période à chaque demandeur, ce qui réduit le coût global de l'ADA.

Concrètement, il est vrai que, hors bénéficiaire de la protection temporaire, le raccourcissement de ces délais a permis de maîtriser le coût de l'ADA, qui a été exécuté à moins de 280 millions d'euros en 2022. Néanmoins, la prévision pour 2024 paraît trop optimiste. En effet, comme je le disais, le nombre de demandes d'asile devrait atteindre 160 000 en 2024, soit un niveau historique, ce qui augmentera le nombre de bénéficiaires de l'ADA, et donc son coût global. En outre, les résultats à atteindre en matière de délais de traitement des demandes pour respecter l'enveloppe budgétaire sont difficilement atteignables. Il est prévu que l'Ofpra divise par deux ses délais entre début 2023 et 2024, passant de 121 jours à 60 jours. Une telle accélération n'a jamais été réalisée. L'Ofpra a même estimé lors de son audition qu'elle paraissait très optimiste. Elle paraît d'autant moins réaliste dans un contexte de niveau record du nombre de demandes d'asile. Enfin, la CNDA ne semble pas pouvoir accélérer significativement ses propres délais. Je considère donc que la dotation prévue pour l'ADA en 2024 est vraisemblablement sous-estimée.

Le troisième écueil du budget concerne les résultats obtenus sur la base des crédits demandés chaque année. Je prendrai trois exemples parmi beaucoup d'autres : la lutte contre l'immigration irrégulière, l'hébergement des demandeurs d'asile et l'apprentissage du français par les signataires du contrat d'intégration républicaine.

Concernant la lutte contre l'immigration irrégulière, certes, les crédits augmentent un peu. Il n'en demeure pas moins qu'ils ne représentent qu'un dixième des crédits de la mission en 2024. Surtout, les résultats obtenus sont très insatisfaisants. Pour donner un seul chiffre, le nombre de retours forcés exécutés de personnes en situation irrégulière n'a été que de 11 410 en 2022, soit un niveau inférieur au nombre constaté en 2019, ce alors même que la pression migratoire est plus forte. Ce nombre de retours forcés exécutés a même été plus faible en 2022 que sur chacune des années de la décennie 2010.

Concernant l'hébergement des demandeurs d'asile, des efforts significatifs ont été fournis au cours des dernières années pour étendre le nombre de places disponibles, pour un coût budgétaire d'ailleurs élevé. Le parc atteindrait ainsi 122 582 places, dont 1 500 places créées en 2024. Pourtant, cette extension continue du parc ne permet pas une prise en charge efficiente des demandeurs d'asile. En effet, la part de ces derniers qui sont hébergés à titre gratuit, ce qui constitue le principe, demeure faible aujourd'hui. Elle serait de moins de 60 % en 2023, contre un objectif fixé dans le projet de loi de finances pour 2023 à 70 %. En outre, la part des places occupées par des personnes qui ne devraient pas - ou plus - y séjourner, qui était de 16 % en 2021, a atteint 22 % en 2022.

Enfin, concernant l'apprentissage du français dans le cadre de l'intégration, seules 67 % des personnes atteignent le niveau A1 visé, qui correspond pourtant seulement au niveau d'utilisateur élémentaire, le plus faible du cadre européen de référence des niveaux de langue. Concernant les cours de formation civique, les auditions ont été l'occasion de constater qu'il n'était pas rare qu'ils soient délivrés à des étrangers qui ne maîtrisent pas encore le français.

Enfin, le quatrième et dernier écueil du budget pour 2024, et sans doute le plus grave, est structurel. Comme les années précédentes, les équilibres entre les différents types de dépenses ne sont pas bons. Alors que les dépenses liées à l'asile représentent deux tiers des crédits, les dépenses d'intégration n'en représentent qu'environ un cinquième et la lutte contre l'immigration irrégulière un dixième. Or, si la mise en oeuvre du droit d'asile est une obligation, une politique d'immigration réussie doit garantir à la fois le renvoi des étrangers en situation irrégulière et l'intégration effective des personnes autorisées à rester en France. C'est une question de bon sens, qui joue également sur l'acceptabilité sociale de l'immigration. En ne garantissant pas cet équilibre, le budget de la mission rate finalement sa cible, et ce d'année en année.

En conclusion, si les crédits de la mission présentent quelques améliorations par rapport à l'année dernière, leurs défauts sont trop nombreux et trop sérieux. En n'intégrant pas les dépenses liées à la protection temporaire des personnes déplacées d'Ukraine, le budget proposé manque de sincérité et ne permet pas un vote éclairé du Parlement. En prévoyant une baisse trop optimiste de la dotation au titre de l'ADA dans un contexte de forte hausse des demandes d'asile, le budget proposé souffre d'un manque de réalisme. Au vu des mauvais résultats obtenus depuis plusieurs années dans différents domaines, le budget proposé peine à convaincre. Enfin, en échouant à garantir un équilibre entre les dépenses d'asile, d'intégration et de lutte contre l'immigration irrégulière, le budget proposé paraît déséquilibré.

En toute logique, je suis donc défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour cette mission, comme pour la précédente, on constate des défauts dans la gestion budgétaire par l'État. Au cours de vos auditions, avez-vous pu obtenir des éléments tangibles concernant l'objectif de réduction des délais d'instruction des demandes d'asile affiché par le Gouvernement, ou s'agit-il d'une simple déclaration d'intention, vouée à ne pas se concrétiser ?

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Les auditions des représentants de l'Ofpra et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ont montré que l'objectif de 60 jours fixé pour les délais d'instruction des demandes d'asile n'était pas réaliste. La réduction des délais observée dernièrement a d'ailleurs largement tenu aux effets de la crise sanitaire et à la mobilisation d'importants renforts en ressources humaines au sein de l'Ofpra en 2020 pour réduire le stock de demandes en attente de traitement. Mais l'équilibre actuel est fragile : compte tenu du nombre de demandes d'asile annoncé, l'Ofpra craint même de ne pas pouvoir maintenir les délais actuels, qui sont déjà deux fois supérieurs à l'objectif qui lui est assigné. Du côté de la CNDA, aucune amélioration des délais de traitement des dossiers n'a été annoncée.

Il paraît donc très improbable que la réduction des délais d'examen des demandes d'asile se concrétise.

Mme Nathalie Goulet. - Est-il possible de mieux contrôler les budgets des plus de 1 000 associations mobilisées sur l'aide aux migrants et pourrions-nous avoir des précisions à ce sujet ? Au total, l'enveloppe qui leur est allouée s'élève à environ 1 milliard d'euros, ce qui est considérable. Certaines d'entre elles reçoivent 100 millions d'euros de subventions. Il faudrait à mon sens accueillir moins, et mieux. L'absence d'intégration au budget de l'accueil des Ukrainiens en France pose par ailleurs problème.

Mme Christine Lavarde. - Nous suivrons la position du rapporteur spécial concernant le rejet des crédits de la mission. Le ministère de l'intérieur assure-t-il un suivi régulier des conventions pluriannuelles d'objectifs passées avec ces associations, ou celles-ci sont-elles simplement revues tous les trois ans ?

M. Rémi Féraud. - Nous voterons probablement contre les crédits de cette mission. Il faut faire le lien entre ces derniers et le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, au moins sur certains points. Si le budget alloué à l'ADA diminuait parce que le Gouvernement entendait leur donner l'autorisation de travailler, cela pourrait nous convenir, mais je ne crois pas que ce soit ce qui est prévu.

Le défaut de sincérité budgétaire que vous soulignez est-il une véritable insincérité budgétaire, au sens juridique du terme ? Comment peut-on le qualifier, sachant que le nombre de demandeurs d'asile venus d'Ukraine ne risque pas de diminuer ?

Ne faudrait-il pas prévoir un budget plus important pour l'apprentissage de la langue française, au-delà des seuls primo-arrivants ? Cibler cette action et concentrer les crédits d'intégration sur ces derniers représente en effet un risque.

M. Thomas Dossus. - L'augmentation du nombre de places en rétention administrative est liée aux lois précédentes qui ont allongé les durées potentielles de rétention, sans améliorer pour autant l'exécution des mesures d'éloignement. Moins d'une mesure d'éloignement sur deux est en effet exécutée pour les personnes en rétention. Si cette tendance se poursuit, alors que de nouvelles places sont ouvertes, nous risquons la fuite en avant budgétaire.

Plusieurs alertes sur les conditions de rétention du nouveau modèle de CRA expérimenté à Lyon ont été émises par ailleurs par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), par plusieurs avocats ainsi que par la bâtonnière du barreau de Lyon.

M. Pascal Savoldelli. - Cette mission ne traite qu'une partie des crédits dévolus à la politique d'intégration et à l'immigration. Il faut en respecter le périmètre. Je ne suis pas convaincu par ailleurs que l'absence d'intégration dans le budget de l'accueil temporaire en France des réfugiés en provenance d'Ukraine suffise à caractériser son insincérité.

En outre, il faut savoir distinguer le débat budgétaire du débat politique, le fléchage des crédits et la politique d'immigration et d'intégration, qu'il n'est pas prévu de modifier.

Nous avons toujours eu un esprit de responsabilité. Nous voterons contre les crédits de la mission, mais tout le monde comprendra que ces comptes sont pluriels, et non homogènes, et que notre vote ne devra pas être confondu avec celui de nos collègues.

M. Christian Bilhac. - L'intégration est un ensemble de droits et de devoirs. Ces derniers ne doivent pas être oubliés. Par ailleurs, la question du retour des étrangers en situation irrégulière dans leurs pays d'origine est une question politique et non budgétaire. Avez-vous pu chiffrer les moyens d'une politique efficace à cet égard ? Quels seraient les besoins de la mission sur ce plan ?

M. Jean-François Rapin. - Le périmètre de la mission « Immigration, asile et intégration » ne comprend pas la mobilisation des forces de police, des forces militaires du réseau Sentinelle, ou encore des forces de l'air et des frontières. Pour m'être retrouvé hier soir à la frontière entre Vintimille et Menton, j'ai pu constater un déploiement de forces considérable du côté italien comme du côté français, pour sécuriser le passage contre les entrées frauduleuses, mais également pour protéger les migrants. Or cet élément n'est pas compris dans la mission, alors qu'il représente une somme considérable.

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Le budget de la mission s'élève à environ 2 milliards d'euros, quand le Gouvernement chiffre le coût de l'immigration à 8 milliards d'euros. Les crédits alloués aux associations relèvent bien de la mission. En revanche, celle-ci ne comprend pas les aspects liés à la scolarisation ou encore aux forces de police par exemple. Les ressources humaines sont en outre traitées à part, à l'exception de celles qui relèvent de l'Ofii et de l'Ofpra.

Les associations jouent un rôle majeur, et certaines d'entre elles disposent de subventions considérables, notamment pour l'hébergement. J'ai interrogé la direction générale des étrangers en France sur plusieurs points. L'actualité nous invite en effet à étudier le rôle de ces associations, particulièrement celui de la Cimade. Cette dernière a reçu seulement un peu plus de 2 millions d'euros par an en 2021 et 2022 via la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » pour l'exercice de ses missions. Toutefois, les auditions que j'ai menées ont montré que le nombre des expulsions et des contestations d'expulsions, pouvait servir ses intérêts, ce qui n'est pas sans poser de problème et nous ne pouvons cautionner cela.

Le terme d'insincérité a été employé par la Cour des comptes concernant l'absence d'intégration dans le budget de la mission de l'accueil en France des réfugiés ukrainiens. Nous pouvons l'employer sans que ce soit abusif. C'est un élément d'insincérité, ce qui ne signifie pas que tout le budget de la mission le soit. On relève dans tous les cas des écueils graves dans le budget, et notamment celui-là.

La partie du budget consacrée à l'intégration est en augmentation cette année. Nos auditions ont néanmoins montré que nous avions du mal à progresser dans ce domaine, en particulier s'agissant de l'apprentissage de la langue française. Certaines formations, notamment celles qui ont trait à l'enseignement civique, sont parfois dispensées en langue française alors même que les personnes à qui elles s'adressent ne la maîtrisent pas. Il serait intéressant d'exiger, pour certains titres de séjour, que l'apprentissage de la langue commence d'ailleurs dans les pays d'origine des demandeurs, avant même leur arrivée sur le sol français.

Le besoin de places supplémentaires dans les centres de rétention administrative est réel et ne s'explique pas uniquement par le faible taux d'exécution des mesures d'éloignement. Le Gouvernement annonce une augmentation du nombre de places d'ici à 2027, pour atteindre 3 000 à cet horizon. Or, en réponse à mes demandes de précision, il a été souligné que les moyens financiers auront été engagés à cet horizon pour financer ces places ; il n'est en revanche pas certain que les places soient réellement créées et disponibles à cette échéance. La nuance est de taille.

La question relative aux moyens nécessaires pour augmenter le nombre de retours dans les pays d'origine sera largement traitée au cours de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Un départ effectif des étrangers en situation irrégulière est effectivement difficile à réaliser. Ainsi, si 40 % des demandes d'asile obtiennent une réponse favorable, la prudence est de mise concernant le retour effectif dans leur pays des 60 % restants. C'est la raison pour laquelle il est envisagé d'étendre les cas d'instruction des dossiers de demande d'asile avant l'entrée des personnes concernées sur le territoire national, à la frontière.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Remboursements et dégrèvements » - Examen du rapport spécial

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements ». - Les réponses apportées par Bercy à nos questions se sont avérées meilleures que les années précédentes.

La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application de dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la présente mission sont évaluatifs, soit non soumis à un plafond de dépense pour le Gouvernement.

Par ailleurs, cette mission est la première en volume de crédits, tous budgets confondus. Ses crédits s'élèvent à plus de 140 milliards d'euros et ont augmenté de 117 % en vingt ans, soit une hausse de 76 milliards d'euros. Cette hausse résulte de deux phénomènes : la hausse des recettes fiscales brutes de l'État, qui engendre donc celle des remboursements et dégrèvements, mais aussi les modifications des politiques fiscales qui, au gré de la multiplication des exonérations, contribuent à la perte de recettes fiscales.

Cette mission se compose de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux. Concernant les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, les dépenses sont évaluées, dans le projet de loi de finances pour 2024, à 135,9 milliards d'euros, soit une hausse notable de 8,9 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

Cette hausse marque une rupture, après une baisse survenue entre 2020 et 2021 et une stagnation en 2022 et 2023. Elle résulte de plusieurs phénomènes parfois complexes, et je n'aborderai dans ma présentation que les évolutions les plus significatives.

Premièrement, les restitutions liées à la mécanique de l'impôt enregistrent une augmentation importante, de près de 8 milliards d'euros, par rapport à la loi de finances pour 2023, après une hausse de 6,6 milliards d'euros entre 2022 et 2023 sous l'effet, essentiellement, de la hausse des restitutions de TVA, qui devraient atteindre plus de 79 milliards d'euros en 2024. Sur la période 2014-2024, les remboursements de TVA ont augmenté de 66,6 %, soit un montant de 31,7 milliards d'euros. Le contexte inflationniste, en augmentant le volume de TVA, explique cette augmentation des remboursements. De surcroit, dans un contexte d'incertitude économique, les entreprises ont tendance à opter pour le remboursement plutôt que pour l'imputation du crédit TVA sur les années suivantes. Cependant, ce niveau historiquement haut pose également la question du niveau de fraude puisque les remboursements de TVA augmentent plus rapidement que la TVA collectée.

Certes, des avancées sont constatées concernant la lutte contre la fraude, mais il est nécessaire d'aller plus loin, la TVA étant un impôt de plus en plus partagé qui finance largement les collectivités territoriales. En effet, en 2024, ces dernières devraient percevoir près de 55 milliards d'euros de TVA. Ce montant devrait encore augmenter du fait de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), commencée en 2021 pour la part régionale et poursuivie de manière étalée entre 2023 et 2027 pour les parts départementales et communales, une suppression à laquelle je m'étais fermement opposé, considérant qu'elle entraînerait un risque pour l'autonomie fiscale des collectivités. Ce partage de la TVA entre le budget de l'État et les collectivités, dont le taux de dépendance à cet impôt augmente, rend donc indispensable une gestion optimisée de sa collecte afin de sécuriser à la fois les ressources de l'État et celles des collectivités.

Deuxièmement, en 2024, le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés est évalué à 11,3 milliards d'euros, soit une baisse de 3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances pour 2023, qui résulte d'une prévision d'accélération du bénéfice fiscal en 2023. Une hausse de 14 % de ce dernier est en effet attendue, contre 2 % en 2022.

Toutefois, dans un contexte inflationniste demeurant important en 2023, la prudence est de mise à l'égard de ces prévisions. L'année dernière, j'avais déjà alerté la commission sur le fait que le niveau des remboursements d'impôts sur les sociétés en 2023 pourrait s'avérer supérieur aux prévisions, et l'exécution à date tend à me donner raison. Or, au premier trimestre 2023, le chiffre d'affaires des 585 000 très petites entreprises et petites et moyennes entreprises (TPE-PME) françaises n'a enregistré qu'une augmentation de 3 % par rapport au premier trimestre 2022. Leur trésorerie se dégrade, ainsi que leur marge nette.

De surcroît, les défaillances d'entreprises ont poursuivi en août leur mouvement de hausse et avoisinent, toutes catégories confondues, leur niveau de 2019, antérieur à la pandémie de covid-19, selon les chiffres publiés en septembre par la Banque de France. Il se pourrait donc qu'en 2024 l'exécution soit supérieure à cette prévision, qui me semble sous-estimée.

Troisièmement, les dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État enregistrent une hausse de 1,8 milliard d'euros sous l'effet de la hausse des remboursements liés à des contentieux de série. Ces derniers sont pourtant en baisse, en nombre et en montant, mais les crédits ouverts à ce titre augmentent par rapport à l'année précédente en raison du report en 2024 de 1 milliard d'euros dans l'attente d'une décision de justice. Je tiens cependant à souligner que ce montant de crédit demeure très inférieur aux montants totaux des droits en raison des moyens de traitement limités au sein des services de la direction générale des finances publiques (DGFiP) qui accordent la priorité, dès lors, aux remboursements des contentieux les plus importants afin de limiter les intérêts moratoires. Aussi, je plaide pour un renforcement des moyens de la DGFiP afin d'accroître significativement la capacité de traitement de tous les contentieux, sans se focaliser sur ceux dont l'ampleur financière est la plus conséquente. Cela renvoie au principe constitutionnel de l'égalité devant l'impôt.

Enfin, à l'inverse, les remboursements liés à des politiques publiques enregistrent une baisse de l'ordre de 800 millions d'euros qui s'explique par une montée en puissance du crédit d'impôt contemporain beaucoup plus lente que prévu. En revanche, le crédit d'impôt recherche (CIR), auquel nous prêtons une grande attention, continue à croître pour atteindre 7,6 milliards d'euros en 2024. Malgré cette hausse continue, les dernières évaluations portant sur l'impact du CIR en matière d'investissement, d'emploi et d'attractivité des entreprises innovantes datent de 2021 et s'appuient sur des données remontant jusqu'à 2018. Or, depuis 2018, la dépense fiscale afférente au CIR a augmenté de 1,8 milliard d'euros. Il me paraît donc nécessaire de mener une nouvelle évaluation qui viserait à mesurer l'impact du dispositif en établissant notamment une différenciation par type d'entreprise et par activité à partir des données les plus récentes. Cette évaluation pourrait ensuite servir de base pour repenser globalement le financement de la recherche en France.

Concernant les remboursements et dégrèvements d'impôts locaux, les crédits évalués pour 2024 s'élèvent à 4,3 milliards d'euros, soit une baisse de 6,45 % par rapport à la loi de finances pour 2023. Cette diminution poursuit la tendance entamée depuis 2021 en raison de la suppression de la taxe d'habitation, de la réforme des impôts de production et de la suppression de la CVAE sur une période étalée entre 2024 et 2027.

J'aimerais m'attarder sur deux points.

Premièrement, les remboursements et dégrèvements d'impôts économiques s'élèveront en 2024 à 1,6 milliard d'euros, soit 19 % de moins que dans la loi de finances pour 2023. Cette baisse s'explique par la suppression partielle en 2023, puis totale en 2027, de la CVAE, compensée par une fraction de TVA. Cependant, je m'interroge sur les baisses de ressources des collectivités une fois l'inflation revenue à la normale. Je crains que cela n'engendre une diminution de la dynamique de la TVA affectée aux collectivités en remplacement de la CVAE. C'est une question à poser. La dynamique de cet impôt n'est pas une donnée économique fondée, mais plutôt une tendance conjoncturelle.

De manière plus générale, chaque suppression d'impôt est désormais compensée par des fractions de TVA versées aux collectivités. Dans ce contexte, après la suppression de la CVAE, la TVA pèsera pour 40 % dans les recettes des départements et 18 % dans celles du bloc communal. Cette pratique pose, d'une part, la question de l'autonomie fiscale des collectivités et, d'autre part, celle de la pérennité de ce système de financement. En effet, le Gouvernement ne peut pas continuer à diminuer ses propres ressources et à exposer les collectivités à des retournements de conjoncture ou simplement à un retour d'inflation à 2 %, ce qui signifierait pour elles une baisse de ressources. Ce transfert d'imposition sur la consommation génère un risque majeur, inquiétant, de volatilité des recettes.

Deuxièmement, les remboursements et dégrèvements de taxe foncière augmentent chaque année. Entre 2018 et 2024, ils ont enregistré une hausse de 707 millions d'euros, soit près de 66 %. Cette hausse s'explique par l'augmentation des montants de taxes foncières au fil du temps en raison de la hausse des taux appliqués par des collectivités d'une part, et de la revalorisation des valeurs locatives cadastrales d'autre part, dans la mesure où les dispositifs de dégrèvements et d'exonérations sont relativement stables ces dernières années. Cette tendance est révélatrice de la perte d'autonomie fiscale des collectivités que j'évoquais précédemment. Ces dernières utilisent donc leur dernier levier fiscal, ce qui a pour conséquence une hausse des taxes annexes à la taxe foncière comme la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom), qui a bondi en 2023 dans certaines communes. Je n'ai pas apprécié à ce propos l'impasse faite par le Président de la République sur ce sujet.

Il me paraît donc nécessaire d'avoir une réflexion plus profonde sur le financement des collectivités et leur levier d'action sur leurs ressources.

En conséquence, je vous invite à voter favorablement les crédits de la mission. Ce rapport est un diagnostic. J'ai soulevé des questions, sans affirmer mon point de vue politique personnel.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La présentation qui a été faite, notamment sur la place de plus en plus importante accordée à la TVA dans le financement des collectivités locales et sur leur perte d'autonomie, me semble pertinente. Je salue le travail qui a été conduit.

M. Thierry Cozic. - Les évolutions constatées sur le programme 200 « Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État » sont principalement liées à la dynamique de la TVA. Le programme 201 « Remboursements et dégrèvements d'impôts locaux » enregistre, pour sa part, une baisse de 6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, qui traduit la mise à mal de l'autonomie fiscale des collectivités, marquée notamment par la suppression progressive de la taxe d'habitation et de la CVAE.

Cette mission illustre clairement les errements de la politique budgétaire du Gouvernement à travers quatre points : la lutte asymétrique contre la fraude fiscale, le maintien du désarmement fiscal, la remise en cause de l'autonomie fiscale des collectivités et le maintien de niches fiscales, coûteuses pour le budget de l'État, et dont l'utilité peut parfois être contestée. C'est pourquoi le groupe SER votera contre les crédits de cette mission.

M. Marc Laménie. - Le budget de cette mission est énorme, à 140 milliards d'euros, en hausse de 6,5 % par rapport à l'an passé. Le problème de l'autonomie financière et fiscale des collectivités a été bien mis en lumière par le rapporteur.

La progression forte, de 15,5 % entre 2023 et 2024, de la restitution de la TVA s'explique par une dynamique particulière.

À combien les effectifs dédiés à cette mission au sein de la DGFiP s'élèvent-ils ? Connaît-on par ailleurs l'importance de la fraude ?

M. Stéphane Sautarel. - Nous pouvons nous interroger sur l'efficacité de la dépense fiscale. Nous serons amenés à faire des propositions sur ce sujet.

L'autonomie financière et fiscale des collectivités territoriales ne cesse de se détériorer. Le rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques locales, rendu public le 24 octobre, fait état d'une situation dégradée. Les perspectives pour l'année 2023 sont mauvaises. Au vu de la réduction de l'assiette territoriale et des impôts économiques, des questions se posent sur la refonte de la fiscalité locale, notamment pour les départements. Un réexamen serait ici bienvenu. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen du projet de loi de finances.

Mme Nathalie Goulet. - Gérald Darmanin, alors ministre du budget, avait annoncé la mise en place d'un logiciel de détection précoce des fraudes à la TVA. Des progrès ont-ils été réalisés sur ce sujet ?

M. Claude Raynal, président. - Je constate que le montant de cette mission équivaut à peu près à ce qui manque au budget de l'État.

Mme Nathalie Goulet. - Notre groupe s'était opposé à la suppression de la CVAE.

M. Claude Raynal, président. - Il n'a pas été le seul !

M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial. - Le président a raison de souligner qu'il s'agit du premier budget de l'État.

Il est indispensable que la DGFiP fasse preuve de vigilance pour l'ensemble des dossiers s'agissant de la fraude fiscale. C'est pourquoi je propose de ne pas dissocier grands et petits contentieux. Cela soulève toutefois la question des effectifs consacrés à ce sujet.

L'analyse de données mettant en oeuvre des techniques statistiques ou d'apprentissage automatique pour lutter contre les fraudes à la TVA est désormais effective et devrait être plus opérationnelle pour détecter les fraudeurs. Dans ce cadre, les travaux de data mining ont permis d'identifier, au 31 décembre 2022, plus de 24 800 entreprises présentant des risques en matière de remboursements de crédits de TVA. Toutefois, cela ne signifie pas qu'elles sont coupables de fraude. Il y a néanmoins une plus grande efficacité sur ce point.

Deux éléments sont marquants. Premièrement la poursuite du partage de la TVA notamment avec les collectivités territoriales qui est un aspect sur lequel nous devons rester vigilants dans la mesure où les fluctuations de l'inflation auront des répercussions terribles sur leurs ressources.

Par ailleurs, les évolutions de la répartition entre les taxes et les impôts m'interpellent : les premières se démultiplient tandis que les seconds s'affaiblissent.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».

- Présidence de M. Jean-Baptiste Blanc, vice-président -

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Investir pour la France de 2030 » - Examen du rapport spécial

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 » représenteront 7,7 milliards d'euros en 2024, soit un peu plus de 2 % des crédits budgétaires inscrits dans le projet de loi de finances (PLF). Ils permettent d'abonder deux véhicules d'investissement de long terme : d'une part, le troisième volet du programme d'investissement d'avenir (PIA 3) ; d'autre part, le plan France 2030, qui intègre depuis 2021 les actions du PIA 4.

Rappelons, en préambule, que ces crédits font l'objet d'une gestion particulière dérogatoire au cadre de droit commun du budget général, qui réduit la marge de manoeuvre dont nous disposons. Après avoir rappelé le cadre général dans lequel s'inscrivent les crédits de cette mission et présenté les crédits ouverts au titre du PIA 3, je laisserai mon corapporteur présenter les crédits ouverts au titre du plan France 2030 et les principales observations que nous formulons afin de perfectionner la mise en oeuvre du plan.

L'idée de créer un véhicule d'investissement stratégique en dehors du cadre budgétaire classique remonte au rapport dit « Juppé-Rocard » de novembre 2009, commandé à un moment où la crise économique et financière faisait craindre de voir les contraintes budgétaires de court terme entraver notre capacité à engager des investissements de long terme.

Conçu comme un palliatif à la « tyrannie du court terme », le premier PIA a été lancé en 2010 pour un montant total de 35 milliards d'euros d'investissements. Il visait à sanctuariser une partie des crédits budgétaires, afin de s'assurer qu'ils soient dirigés vers des investissements pluriannuels de long terme ayant pour double objectif de redresser la croissance de l'économie française et d'accélérer sa transition vers des modes de production plus durables.

Ce premier PIA a été suivi en 2014 puis en 2017 par deux nouveaux volets d'investissements ; financés respectivement à hauteur de 12 milliards d'euros et de 10 milliards d'euros. Ces nouvelles générations d'investissements se sont appuyées sur les mêmes principes que le PIA 1 - en les ajustant - et ont poursuivi ses objectifs de décarbonation et de modernisation du tissu économique français.

Le plan France 2030 s'inscrit dans la droite ligne de cette dynamique et réutilise la plupart des mécanismes créés pour les différents volets du PIA. Dès l'origine, le Gouvernement puis le législateur ont voulu « sanctuariser » les dépenses des investissements d'avenir. À cet effet, ils ont imaginé un dispositif destiné à ce que les urgences du moment ne viennent pas éroder le montant des dépenses publiques dédiées aux investissements pour le futur.

Pour s'extraire du cadre budgétaire commun et de son principe d'annualité qui passe par le vote des crédits du budget général par le Parlement, les concepteurs du PIA ont ainsi proposé de mettre en place un régime de délégation des crédits à des opérateurs publics, dont les quatre principaux sont l'Agence nationale de la recherche (ANR), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et enfin la Banque publique d'investissement (BPI).

Par conséquent, les dépenses inscrites au budget de l'État dans le cadre de cette mission ne sont pas des crédits ayant vocation à être directement versés aux porteurs de projets soutenus par les programmes d'investissement. Elles ont vocation à alimenter le compte des opérateurs publics, interlocuteurs directs des porteurs de projets et gestionnaires du décaissement progressif des aides financées par les programmes d'investissements.

Les conséquences de ce circuit budgétaire spécifique sont multiples. En particulier, il a pour effet de limiter la marge de manoeuvre sur ces crédits, y compris du Parlement, étant donné qu'ils sont versés aux opérateurs et correspondent au financement de projets sur lesquels l'État s'est déjà engagé depuis longtemps, parfois depuis plusieurs années.

Ce cadre budgétaire particulier est justifié par la volonté de préserver les investissements publics face au risque bien documenté de la « préférence pour le court terme ». Il suppose en contrepartie une vigilance particulière de notre part sur le fait que les dépenses financées par le plan correspondent bien à des dépenses de long terme qui justifient le recours à cet instrument extrabudgétaire.

Pour ce qui est du projet de budget pour 2024, je ferai un point sur le déploiement du PIA 3, lancé en 2017 pour un budget total de 10 milliards d'euros. Ledit PIA 3 est financé par trois programmes de la mission qui se différencient selon le niveau de maturité des innovations concernées. Les crédits demandés sur ces trois programmes s'élèvent à 357 millions d'euros, soit un montant stable par rapport à 2023.

Sur les 10 milliards d'euros annoncés en 2017, les crédits de paiement ouverts sur le budget de l'État auront couvert 8,2 milliards d'euros à la fin de l'année 2023. Les paiements rattachés au plan devraient s'échelonner pendant environ dix ans après son lancement, soit jusqu'en 2027, afin de tenir compte des échéanciers de décaissement négociés avec les lauréats.

M. Laurent Somon, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Après ce rappel du cadre extrabudgétaire des crédits de cette mission, je me concentrerai, dans un premier temps, sur le plan France 2030 et les crédits de la mission qui lui sont associés. Dans un second temps, je présenterai les pistes identifiées pour améliorer la souplesse et l'efficacité de notre dispositif d'investissements stratégiques.

En premier lieu, le périmètre du plan a été constitué par deux vagues d'investissements successives qui se sont suivies à un rythme très élevé.

La première correspond au lancement par la loi de finances initiale pour 2021, en parallèle du plan de relance, d'une quatrième génération du programme d'investissements d'avenir, le PIA 4. Cette vague d'investissements s'est traduite par le financement de 20 milliards d'euros d'investissements stratégiques, dont 16,5 milliards d'euros ouverts et consommés dès 2021.

À peine un an après la création du PIA 4, et dans un contexte marqué par la période électorale, la loi de finances initiale pour 2022 a de nouveau abondé la mission à hauteur de 34 milliards d'euros. Ce ré-abondement, qui porte le montant total des investissements à 54 milliards d'euros, est intervenu dans le contexte de l'intégration du PIA 4 à un nouveau projet désormais exclusivement mis en avant par la communication du Gouvernement, à savoir le plan France 2030.

Ce plan, dévoilé en octobre 2021 par le Président de la République, s'inscrit dans le prolongement de la démarche des générations successives du PIA. Il conserve notamment l'objectif de transformer l'appareil productif par l'innovation, ainsi que la volonté d'accélérer la transition écologique, en adoptant comme contraintes explicites le fléchage de 50 % des investissements vers des projets de décarbonation et l'absence de financements de préjudices importants à l'environnement.

Au niveau sectoriel, le plan s'articule autour de dix objectifs concrets, dont la production en France d'ici à 2030 de 2 millions de véhicules électriques et hybrides, du premier avion bas-carbone ou encore celle de 20 bio-médicaments.

Sur le plan structurel, France 2030 est construit autour de sept leviers permettant d'atteindre les objectifs fixés, parmi lesquels figurent notamment la sécurisation de l'accès aux matières premières, la souveraineté numérique ou encore les formations aux métiers de demain. Afin d'atteindre ces objectifs très ambitieux, le plan France 2030, qui intègre les financements du PIA 4, continue à s'appuyer sur les quatre opérateurs historiques des PIA précités.

Sur le plan budgétaire, le plan France 2030 s'appuie en revanche sur une maquette budgétaire renouvelée, appuyée sur deux programmes seulement. Le programme 424, d'une part, représente 80 % des investissements et correspond au volet dirigé du plan, c'est-à-dire à toutes les actions sectorielles financées par celui-ci. Le programme 425, d'autre part, équivaut à 20 % des investissements du plan et correspond au volet structurel, c'est-à-dire à toutes les actions transversales financées par le plan.

L'année 2024 permettra une montée en charge du plan France 2030, notamment du point de vue des demandes de décaissement adressées aux opérateurs ayant contractualisé avec les porteurs de projet depuis le lancement du plan.

Par conséquent, les crédits demandés sont en hausse de 28 % sur un an et atteignent 7,3 milliards d'euros. D'après les informations communiquées par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), ce niveau élevé de crédits de paiement devrait être maintenu dans les deux prochaines années.

Sur une enveloppe budgétaire de 51 milliards d'euros, les crédits restant à ouvrir sont estimés à 38 milliards d'euros à la fin de l'année 2023. Les ouvertures de crédits de paiement pour 2024, qui représentent 15 % de l'enveloppe budgétaire globale, devraient ramener le montant restant à ouvrir à 22 milliards d'euros pour les années à venir.

L'importance des montants en jeu et les règles de gestion extrabudgétaire doivent nous amener à être particulièrement attentifs aux critères de sélection des projets utilisés par l'exécutif et aux modalités de gestion des enveloppes d'investissements.

En premier lieu, nous soulignons le risque inhérent à ce type d'exercice, à savoir celui de ne pas suffisamment cibler les bénéficiaires des aides. En effet, le plan couvre dix-sept secteurs différents, ce qui recouvre une large partie du spectre de l'économie nationale.

Ce risque de dispersion thématique s'accompagne d'un risque de dispersion opérationnelle lorsque le nombre de projets aidés est trop élevé et ne permet pas aux bénéficiaires d'effectuer leur transformation grâce à l'aide obtenue. À ce titre, le fait que les aides d'un montant inférieur à 1 million d'euros représentent plus de la moitié des lauréats pour seulement 8 % des aides en valeur illustre ce risque de « saupoudrage » de l'aide publique.

En second lieu, si le lancement du plan France 2030 a permis de renforcer les instruments d'évaluation du SGPI, il nous est apparu que ces derniers ne sont pas suffisamment mis à profit en raison d'une articulation insuffisante entre l'évaluation et la prise de décision. Sur ce point, l'adoption d'une démarche annuelle de revue de portefeuille afin de décider des réallocations en fonction du résultat des évaluations permettrait d'adopter une démarche vertueuse visant à renforcer l'utilité de l'évaluation.

En conclusion, et au bénéfice de ces observations, nous vous proposons d'adopter, sans modification, les crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour la qualité de ce rapport. À l'issue de l'examen de plusieurs missions, nous constatons une réelle difficulté à disposer d'un suivi de qualité et d'une évaluation précise des dépenses de l'État, ce qui contraste avec les discours des membres du Gouvernement. Je n'ose expliquer cette dégradation de la qualité du suivi et de l'évaluation par la profusion de crédits, mais ces défaillances ne manqueront pas d'être rappelées à l'occasion du débat en séance.

Il est pourtant question d'une mission d'importance, destinée à transformer notre appareil productif relativement rapidement. Si l'on prend au mot le Gouvernement sur la bonne et juste dépense, efficace et « à l'euro près », force est de constater que l'objectif demeure loin d'être atteint. Quoi qu'il en soit, je partage les conclusions des rapporteurs quant à leur proposition d'adopter les crédits de cette mission.

M. Thierry Cozic. - Au vu des sommes importantes qui sont en jeu, il est difficile pour notre groupe de ne pas exprimer un sentiment amer puisque l'exécutif poursuit sa politique consistant à dessaisir le Parlement des affaires qu'il est en droit de connaître et d'apprécier.

Sans remettre en cause l'intérêt stratégique de la mission, et malgré une amélioration de la gestion des crédits, l'information apportée au Parlement reste bien lacunaire. Additionnés, les crédits du PIA 4 et de France 2030 s'élèvent à 54 milliards d'euros, incluant pas moins de 34 milliards d'euros votés à la hussarde, à la faveur d'un simple amendement gouvernemental dans le cadre de la loi de finances pour 2022.

Au-delà de cet amendement, la Cour des comptes a relevé, dans son rapport d'avril 2023, qu'aucun des documents proposés au Parlement ne présente une analyse consolidée et transversale des investissements effectivement réalisés et en cours, ni leurs conséquences pour l'économie.

Compte tenu des retards pris sur les PIA successifs, le Gouvernement avait certes choisi, en ce qui concerne les programmes 424 et 425, de ne pas identifier précisément les secteurs appuyés en matière d'investissements et de transition. Pour autant, l'efficacité des décaissements et des investissements ne doit pas aboutir à une dilution de l'autorisation parlementaire et à une sous-information chronique du Parlement quant au choix des investissements et à l'affectation des crédits.

Comme chaque année, notre groupe votera ces crédits, mais continuera à plaider en faveur d'une plus grande transparence des investissements programmés et réalisés.

Mme Christine Lavarde. - Dans le cadre de ce programme extrabudgétaire, est-il possible, malgré tout, d'estimer les coûts de gestion de l'ensemble des dispositifs visés ? Dans la pratique, des opérateurs sont conduits à distribuer des crédits qui se chiffrent en milliards d'euros, un rôle assez éloigné de leur vocation initiale si l'on pense à l'ANR ou à l'Ademe.

Mme Nathalie Goulet. - Je tiens à exprimer une inquiétude similaire à celle de M. Cozic quant au dessaisissement du Parlement, l'ensemble de ces crédits échappant complètement au contrôle et à l'évaluation.

M. Laurent Somon, rapporteur spécial. - Nous avons dressé un constat similaire quant à la difficulté d'analyser les crédits affectés en regard des différents objectifs assignés aux bénéficiaires. Le processus de remontée d'information entre le Gouvernement, les opérateurs et les bénéficiaires finaux se révèle en effet extrêmement complexe et rend l'information au Parlement malaisée.

Le SGPI semble enclin à nous fournir davantage de précisions dans les documents futurs, afin de pouvoir assurer un suivi et une évaluation de l'efficience des crédits affectés, par bénéficiaire et par objectif.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial. - Les frais de gestion s'élèvent à environ 1 milliard d'euros pour les quatre opérateurs, soit moins de 2 %. Le SGPI a mené un travail de réévaluation de chacune des conventions passées avec ceux-ci, afin d'optimiser ces frais de gestion lors de chacune des étapes, qu'il s'agisse de la création du cahier des charges ou du suivi. Nous avons appris que les frais de gestion les plus élevés étaient ceux de la Caisse des dépôts et consignations.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - La mission « Conseil et contrôle de l'État » rassemble les crédits des juridictions administratives et financières, ainsi que ceux du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 prévoit une hausse de 8 % des crédits de la mission, plus modérée que l'an passé, qui les porterait à 883,5 millions d'euros.

Cette progression des crédits à hauteur de 66 millions d'euros par rapport à 2023, est en partie liée à un effet de périmètre sur le programme 165 consacré aux crédits alloués aux juridictions administratives. En effet, le projet de loi de finances prévoit, à partir du 1er janvier 2024, le rattachement à ce programme de la commission du contentieux du stationnement payant (CCSP), juridiction administrative spécialisée mise en place en 2018. Précédemment, le tribunal judiciaire intervenait pour les forfaits post-stationnement.

Les magistrats administratifs mis à disposition de la CCSP entraient déjà dans le champ de ce programme, à la différence des agents de greffe et des dépenses de fonctionnement de la CCSP, qui relevaient, pour leur part, du budget de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Le rattachement de la CCSP, qui porte sur 143 emplois et 11,4 millions d'euros, implique aussi le transfert progressif de la gestion de la commission au Conseil d'État, en lieu et place du ministère de l'intérieur et des outre-mer. J'estime que ce rattachement est bienvenu en termes de simplification : toutes les juridictions administratives ont vocation à être placées dans le giron budgétaire du Conseil d'État.

J'attire toutefois votre attention sur les défis en termes de maîtrise des entrées contentieuses et des stocks de cette commission. Les entrées sont en effet passées de 61 327 en 2018 à 163 464 en 2022, tandis que les délais de jugement sont de l'ordre de deux ans. De surcroît, la CCSP présente un stock qui s'élevait au 31 décembre 2022 à 183 429 dossiers : des postes de magistrats et d'agents de greffe supplémentaires devront inévitablement être ouverts sur les prochains exercices afin de maintenir des délais raisonnables de jugement.

Cela m'amène à évoquer la place prépondérante des magistrats au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La hausse des dépenses s'explique également par le choix qui a été fait de rémunérer correctement les magistrats administratifs et financiers, en leur assurant un traitement qui tend vers celui des administrateurs de l'État. Gage de qualité de notre État de droit, la rémunération décente de nos magistrats est aussi un facteur d'attractivité de ce métier par rapport à d'autres emplois dans la fonction publique.

En outre, je rappelle qu'au regard du poids des dépenses de personnel au sein de la mission - quasiment 80 % des crédits demandés - le volume du budget de la mission est très sensible aux moindres variations des dépenses de personnel.

Au-delà du relèvement du point d'indice de la fonction publique de 1,5 % au 1er juillet dernier, un alignement indiciaire sur la grille des administrateurs de l'État a été effectué pour les magistrats administratifs et financiers. Il vient compléter les revalorisations indemnitaires instaurées en 2022.

Un décret du 21 juin 2023 a procédé à cette revalorisation pour les magistrats financiers à partir de juillet 2023. Cette revalorisation représente un coût de 1,7 million d'euros en année pleine. Pour les magistrats administratifs, le coût s'élèvera en 2024 à 2,4 millions d'euros, en année pleine également.

La hausse des dépenses de personnel pour le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » s'explique également par le relèvement de 41 équivalents temps plein (ETP) du schéma d'emplois pour l'année 2024, dont 40 seront utilisés pour les tribunaux administratifs, et l'ETP restant pour la création d'un emploi de membre du Conseil d'État. 

Enfin, ma préoccupation porte sur les crédits du Cese, plus particulièrement ceux qui sont alloués à la participation citoyenne que j'avais contrôlés en juin dernier.

La documentation budgétaire ne mentionne aucunement l'enveloppe dédiée à la participation citoyenne. La justification au premier euro est muette sur le sujet. Seul un indicateur relate le pourcentage des travaux associant les citoyens, mais sans détailler les méthodes de calcul. Cette situation n'est donc pas satisfaisante.

Il ressort des échanges avec le Cese que le montant de cette enveloppe est maintenu à 4,2 millions d'euros. Or, faute de convention citoyenne annoncée par le Président de la République en 2024, cette assemblée ne justifie pas de besoins à la hauteur de l'enveloppe.

Les seuls travaux d'ampleur annoncés, si l'on peut dire, sont l'organisation des États généraux de l'information (EGI) à la demande de l'État, avec des estimations divergentes : la direction du budget chiffre le coût de l'événement à 0,35 million d'euros, tandis que le Cese avance un coût compris entre 0,7 million d'euros et 1 million d'euros. Au regard du coût de la convention citoyenne sur la fin de vie, les estimations de Bercy me semblent plus vraisemblables.

En ce qui concerne les autres dispositifs participatifs, les dépenses annuelles n'ont jamais dépassé 0,5 million d'euros depuis la réforme du Cese opérée par la loi organique du 15 janvier 2021.

Il ressort de ces éléments chiffrés que les dépenses du Cese en matière de participation citoyenne sont pour 2024 de l'ordre de 1,5 million d'euros, en se basant sur l'hypothèse maximaliste d'évaluation des coûts des EGI par le Cese.

La progression des crédits des juridictions, mineure à l'échelle du budget de l'État, n'est, quant à elle, pas à déplorer. Elle vise en effet à s'assurer que les magistrats soient présents en nombre suffisant pour faire face à une pression contentieuse continue, à leur garantir une leur juste rémunération et à poursuivre des travaux immobiliers d'ampleur, afin de garantir une meilleure accessibilité des locaux pour les justiciables. Au contraire, il m'apparaît essentiel majeur de donner à des institutions essentielles à notre démocratie les moyens d'accomplir leurs missions.

Le maintien de l'enveloppe de 4,2 millions d'euros dédiée à la participation citoyenne est en revanche difficilement justifiable en l'état. Je vous propose donc un amendement tendant à minorer les crédits du programme 126, c'est-à-dire le budget du Cese, de 2,5 millions d'euros, par souci de sincérisation de la budgétisation initiale, ce qui laisse une enveloppe de 1,7 million d'euros pour les activités de participation citoyenne au cours de l'année 2024.

Celle-ci pourrait évidemment tout à fait être revue à la hausse par un décret d'avance ou un projet de loi de finances rectificative, au cas où le Président de la République viendrait à annoncer la tenue d'une nouvelle convention citoyenne.

En conclusion, je vous invite donc à adopter les crédits de la mission ainsi amendés.

M. Marc Laménie. - Je souhaiterais savoir comment se répartissent les effectifs des juridictions financières et des juridictions administratives entre Paris et les territoires.

Mme Isabelle Briquet. - La progression des crédits et le renforcement des effectifs des juridictions administratives sont source de satisfaction dans un contexte de hausse continue du contentieux. De la même manière, la revalorisation indiciaire des magistrats administratifs et financiers est à saluer.

En revanche, une attention particulière doit être accordée aux délais de jugement, qui ont de nouveau tendance à repartir à la hausse après une période de baisse. La situation la plus préoccupante est celle de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), avec en particulier des délais de procédure accélérée dépassant les cinq mois, pour un objectif de quelques semaines. L'augmentation des moyens paraît indispensable afin d'apporter une réponse aux justiciables dans des délais raisonnables.

S'agissant du Cese, veillons à ce que la participation citoyenne puisse s'exercer dans des conditions correctes. Existe-t-il véritablement une surestimation des crédits alloués, ou la progression budgétaire peut-elle s'expliquer par des actions spécifiques ?

M. Didier Rambaud. - Ancien rapporteur spécial de cette mission de 2017 à 2020, je suis particulièrement intéressé par ses évolutions. Je déplore également l'allongement des délais de jugement, avec un nombre considérable d'affaires en attente dans les tribunaux administratifs. Il convient donc d'ajuster les effectifs en conséquence.

Existe-t-il, par ailleurs, des projets de construction de nouveaux tribunaux administratifs ?

Pour ce qui concerne le Cese, l'état de notre démocratie doit nous inciter à engager une réflexion sur les moyens d'encourager la participation citoyenne. Je serai, pour ma part, plus prudent quant à la perspective de réduire les crédits correspondants.

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - S'agissant de la répartition territoriale des magistrats, pour les juridictions financières, 60 % des effectifs sont à Paris pour 40 % dans les CRTC. Pour les juridictions administratives, les effectifs de magistrats se répartissent comme suit : 128 membres du Conseil d'État, 288 magistrats en cours administratives d'appel et 903 magistrats dans les tribunaux administratifs. Pour connaître la répartition territoriale plus précise, le site de chaque juridiction détaille les magistrats qui y sont affectés.

La revalorisation des salaires des magistrats était à la fois nécessaire et juste ; elle permet de garantir l'attractivité de ces postes auprès des hauts fonctionnaires.

S'agissant de la CNDA, le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, prévoit une territorialisation de la Cour. Des chambres territoriales pourraient être créées à Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux, Nancy ou, le cas échéant, Toulouse, où la Cour pourrait, le cas échéant, utiliser les salles d'audiences des cours administratives d'appel. Je compte d'ailleurs effectuer un contrôle budgétaire sur la CNDA au prochain semestre, afin d'évaluer les effets de cette réforme sur les délais de jugement.

Concernant le Cese, nous avions eu un débat l'année dernière sur l'ampleur des crédits accordés à cette institution, et notamment ceux dédiés à la participation citoyenne. Il était ressorti de nos débats le caractère quasi évaluatif des crédits relatifs au coût de la convention citoyenne sur la fin de vie. Cette année, le président de la République n'a annoncé aucun thème de convention citoyenne, dont l'organisation pourrait être confiée au Cese. Dans ce contexte, je vous propose de minorer les crédits de l'enveloppe de la participation citoyenne de 2,5 millions d'euros, même si, je le concède, rapportée au budget de l'État, une telle économie de 2,5 millions d'euros peut paraître assez anecdotique.

En termes de projets immobiliers, 30 millions d'euros en crédits de paiement sont programmés, notamment pour continuer les travaux de relogement de la CNDA et du tribunal administratif de Montreuil, mais aussi celui de Guyane.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie le rapporteur pour son rapport qui dresse un constat objectif des rôles et missions des organes de conseil et de contrôle de l'État. Je tiens à souligner les innovations de la Cour des comptes afin de mieux communiquer sur ses travaux et d'associer davantage les citoyens aux décisions politiques et à leur compréhension.

Sur le Cese, je souscris à la volonté de maîtriser les dépenses exprimée par le rapporteur - d'autant que la réalité des dépenses liées à la participation citoyenne manque de clarté pour l'année à venir -, mais je suis également attentif au respect de la liberté de chacune des assemblées. Par conséquent, à ce stade, je ne souhaite pas que le Cese, assemblée consultative, soit privé d'une telle part de ses moyens.

En revanche, nous devons être attentifs à l'exécution de ce budget pour l'année 2024. Si l'enveloppe de 4,2 millions d'euros n'est pas entièrement exécutée, cette sous-consommation devra être prise en compte lors de l'exercice suivant. Même si je m'associe à ce devoir de vigilance, les relations entre les différentes assemblées doivent être préservées.

M. Christian Bilhac, rapporteur spécial. - Cette solution me semble équilibrée. Dans ces conditions, je retire mon amendement FINC.1.

Article 35

L'amendement FINC.1 est retiré.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La réunion est close à 12 h 05.