- Mardi 24 octobre 2023
- Mercredi 25 octobre 2023
- Mission d'information relative à l'expertise patrimoniale internationale française - Examen du rapport d'information
- Proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive et proposition de loi visant à lutter contre l'écriture inclusive et protéger la langue française - Examen du rapport et du texte de la commission
- Mercredi 25 octobre 2023
Mardi 24 octobre 2023
- Présidence de M. Max Brisson, vice-président -
La réunion est ouverte à 18 h 35.
Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture
M. Max Brisson, président. - Mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre président Laurent Lafon, retenu à l'extérieur du Sénat.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.
Nous nous réjouissons de vous retrouver, madame la ministre, pour évoquer ce « budget de transformation et d'inspiration » - ainsi que vous l'avez présenté devant la presse - et débattre avec vous de l'actualité culturelle.
Nous aimons profiter de ce rendez-vous pour vous rappeler que vous nous trouverez toujours à vos côtés, dans ces temps troublés, pour faire progresser les sujets nous tenant à coeur. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, par le biais, en particulier, de nos nombreux travaux de contrôle.
Revenons-en aux multiples défis qu'il vous appartient de relever dans les mois à venir.
Dans le domaine de la culture, nous nous félicitons que vous ayez choisi de faire du soutien aux artistes et à l'emploi un axe fort de votre politique pour 2024, dans un contexte marqué par les difficultés de recrutement observées dans l'ensemble du secteur culturel depuis la pandémie.
En matière de patrimoine, nous nous réjouissons que vous fassiez de la transition écologique une priorité absolue.
En juin dernier, nous avons adopté le rapport de Sabine Drexler préconisant plusieurs mesures permettant de concilier les impératifs de rénovation énergétique et ceux de protection du patrimoine. Comment avez-vous reçu ce rapport ? Dans quelle mesure vous êtes-vous emparée de certaines de ses recommandations ?
S'agissant du patrimoine religieux, nous nous réjouissons évidemment des annonces du Président de la République : elles se situent dans le droit fil des conclusions du rapport établi par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon ! Mais, vous vous en doutez, nous aimerions en savoir plus sur la manière dont les choses vont s'organiser, que ce soit pour la campagne de protection qui devrait être lancée ou pour une meilleure compréhension des mécanismes de fonctionnement de la collecte nationale et la pérennité de cette opération.
En matière de musées, après une année marquée par l'adoption du cadre législatif pour la restitution des biens spoliés et l'examen de la proposition de loi pour la restitution des restes humains dont nous sommes à l'initiative, derrière Catherine Morin-Desailly, nous constatons que vous prêtez une attention particulière aux questions de provenance. Néanmoins, comment expliquer la stagnation, cette année encore, des crédits destinés à l'enrichissement de nos collections ?
J'en viens maintenant aux industries culturelles, fortement marquées par la pandémie.
Le cinéma, tout d'abord, que l'on donnait pour mort, a retrouvé des couleurs, comme l'avait d'ailleurs prédit l'année dernière notre rapporteur Jérémy Bacchi. Avec Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier, il a conduit une ambitieuse mission d'information sur le secteur. Leurs conclusions ont été adoptées à l'unanimité en mai dernier et nos collègues ont souhaité poursuivre ce travail en déposant, le 27 septembre dernier, une proposition de loi que nous entendons bien inscrire à l'ordre du jour des travaux du Sénat.
Si le cinéma a repris des couleurs, tel n'est pas, hélas, le cas de la presse, avec un modèle économique fragile et des incertitudes sur sa place dans un monde où les fausses informations circulent plus vite que les vraies nouvelles et où l'opinion surpasse la raison.
Le Gouvernement a lancé début octobre les États généraux de l'information, lointains héritiers des États généraux de la presse écrite de 2008, dont nous suivrons les développements avec attention. En l'absence de Michel Laugier, notre collègue Pierre-Antoine Levi vous interrogera sur les problématiques du secteur.
Enfin, les industries culturelles, vaste ensemble où sont regroupés à la fois la Bibliothèque nationale de France (BNF), le jeu vidéo, la musique et l'édition, bénéficient d'un effort important de la part des pouvoirs publics, avec des crédits en hausse de 7,6 % en 2024.
Reste cependant à traiter la question du financement du Centre national de la musique (CNM). En dépit des avancées et des espoirs suscités par les propos du Président de la République le 21 juin dernier, le montant du budget du centre pour 2024 demeure en suspens. On peut déplorer que cette question, identifiée depuis plusieurs années, ne soit toujours pas réglée. En l'absence de notre rapporteur Mikaele Kulimoetoke, c'est notre collègue Martin Lévrier qui vous interrogera sur le sujet.
J'en viens enfin à l'audiovisuel public, dont le budget représente 4 milliards d'euros. Je n'évoquerai pas ici la question de la gouvernance, sujet qui, vous le savez, nous tient particulièrement à coeur. Je m'en tiendrai à celles du mode de financement et de la redéfinition des missions et moyens. Sur tous ces sujets, les solutions provisoires semblent prolongées... Nous avons un peu l'impression de faire du surplace !
Le financement par une fraction de la TVA est reconduit par l'article 31 du projet de loi de finances (PLF). Le Gouvernement a-t-il arrêté un mode de financement pérenne pour la suite ? Une révision de la loi organique relative aux lois de finances est-elle envisagée ? Ces questions vous seront certainement posées par notre rapporteur Cédric Vial.
Nous sommes par ailleurs dans l'attente des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour faire suite aux avenants. Le projet de loi de finances comporte, en la matière, une nouveauté : il prévoit de possibles remboursements, dans l'hypothèse où les sociétés ne rempliraient pas leurs objectifs. Une enveloppe additionnelle de 200 millions d'euros sur trois ans est ainsi conditionnée à la mise en oeuvre des projets de modernisation et de transformation des sociétés. Ce choix inédit interpelle, et vous aurez sans doute à coeur de nous préciser l'objectif de cette disposition.
Madame la ministre, je vous laisse maintenant la parole. Chacun de nos rapporteurs vous interrogera ensuite sur les sujets relevant de sa compétence, puis chaque commissaire pourra bien évidemment vous poser ses questions à l'occasion de cette audition, diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Merci pour cette introduction tonique, monsieur le président ; la joie dans votre voix fait du bien dans la période actuelle.
Permettez-moi tout d'abord de féliciter les sénateurs et sénatrices élus ou réélus. Nous avons très bien travaillé ensemble au cours des derniers mois, je me réjouis de retrouver votre commission et je ne doute pas que nous maintiendrons, dans les mois à venir, la même fluidité dans nos échanges.
Je vous avais présenté pour 2023 un budget en forte hausse : + 7 %. Le budget pour 2024 est tout aussi ambitieux : avec une nouvelle hausse de 6 %, les crédits budgétaires atteignent environ 4,4 milliards d'euros. S'ajoutent à ce montant une somme avoisinant 4 milliards d'euros pour l'audiovisuel public, 804 millions d'euros de taxes et ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique et du théâtre privé, environ 25 millions d'euros du loto du patrimoine, pérennisé pour cinq années supplémentaires, et 1,7 milliard d'euros de mesures fiscales pour la culture, soit un total de 11 milliards d'euros.
Au titre des crédits budgétaires dédiés à la culture au sein des autres ministères, on pourrait ajouter encore 5,3 milliards d'euros, pour atteindre 16 milliards d'euros... et c'est sans compter les crédits du plan d'investissement France 2030.
Notre politique se déploie, et je tiens à saluer leur engagement, grâce au travail de plus de 29 000 agents en administration centrale, en administration déconcentrée, dans les services à compétence nationale et chez nos opérateurs. Le ministère forme 37 000 étudiants dans près de 100 établissements d'enseignement supérieur culturel.
J'ai effectivement qualifié ce budget de « budget de transformation et d'inspiration », car, au-delà de la lutte contre l'inflation, l'objectif est d'accompagner des mutations en profondeur des secteurs de la culture, notamment travailler à la transition écologique, accélérer le chantier « Mieux produire, mieux diffuser », embrasser les nouvelles technologies, renouveler les publics, anticiper la relève des métiers et redynamiser les territoires. En outre, l'année 2024, année olympique, est exceptionnelle à plus d'un titre. Elle verra en particulier l'aboutissement de plusieurs projets importants, tels ceux de la Cité internationale de la langue française, du Grand Palais, qui rouvrira après un immense chantier, et de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ces grands projets ne doivent pas éclipser tout le travail de dentelle que nous réalisons au quotidien au coeur des territoires pour tisser des liens nouveaux entre artistes et habitants.
Le premier domaine que j'aborderai est celui de l'audiovisuel public, pour lequel je m'étais engagée à donner une visibilité à cinq ans, et non trois.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la nouveauté tient dans le fait que nous cumulons une dotation de base pour les entreprises et une enveloppe complémentaire dédiée aux projets de transformation et aux coopérations renforcées, autour de quelques priorités : l'information, la proximité, la place de la culture et de la création, la jeunesse, l'éducation aux médias et un renforcement du déploiement de la stratégie numérique.
Le budget tient donc compte, non seulement de l'inflation et des effets fiscaux dus au changement du mode de financement, mais aussi de nouvelles mesures représentant près de 70 millions d'euros dès l'exercice 2024. Ces enveloppes sont par ailleurs définies sur trois années, avec ce système de conditionnement à la réalisation effective des coopérations et la mise en oeuvre des priorités définies. Cela nous permet de fixer un cap ambitieux de transformation de l'audiovisuel public à l'échéance de 2028.
Je voudrais également insister sur l'enjeu de la transition écologique, ayant mis l'accent, pour le budget 2024, sur les travaux et le soutien à l'innovation en la matière. Dans le cadre du plan d'investissement France 2030, nous déploierons 25 millions d'euros au titre du programme Alternatives vertes. Par ailleurs, nous avons obtenu 40 millions d'euros sur le fonds vert interministériel pour des travaux d'amélioration de la performance énergétique de certains bâtiments appartenant à l'État ou aux collectivités territoriales.
En dehors de l'audiovisuel, ce budget compte 241 millions d'euros de crédits en plus, destinés au renforcement des moyens des structures de la création et à l'accompagnement de leur mutation, au soutien des artistes, à la relève des métiers, aux écoles d'enseignement supérieur, au patrimoine, à la lecture et à l'accès à la culture. Nous renforçons également le soutien au pluralisme de la presse et des radios. Enfin, le ministère se voit accorder des budgets supplémentaires pour ses moyens immobiliers et informatiques.
Par ailleurs, nous avons obtenu 125 nouveaux équivalents temps plein (ETP) pour accompagner un projet comme celui de Villers-Cotterêts, mais aussi nos écoles, le Centre national de la musique ou encore la sécurisation de la chaîne d'acquisition et de recherche de provenance de nos musées, etc. Nous disposons donc de moyens humains renforcés.
S'agissant des écoles de l'enseignement supérieur, elles bénéficieront cette année d'investissements structurants. Nous poursuivrons les travaux de rénovation, par exemple à l'école nationale supérieure d'architecture de Montpellier, mais aurons aussi des moyens supplémentaires à consacrer aux dotations d'investissement courant. Nous apporterons un soutien très renforcé aux écoles nationales supérieures d'architecture, dont les moyens seront rehaussés de 4,8 millions d'euros. Enfin, après un effort supérieur à 2 millions d'euros en 2023, nous allons accroître notre soutien aux écoles supérieures d'art territoriales en matière d'investissement, avec une hausse de 3 millions d'euros.
Je tiens en outre à insister sur l'attention que nous portons à la question du patrimoine, avec, encore une fois, une intensification du programme d'investissements. Ainsi, la progression sera de 55 millions d'euros pour les crédits destinés aux restaurations de sites patrimoniaux majeurs sur le territoire, avec la poursuite de la reconversion de l'abbaye-prison de Clairvaux, le projet du château de Gaillon, le plan concernant les cathédrales, etc. Nous renforçons aussi les moyens consacrés aux restaurations de patrimoine local, via, notamment, le Fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine, qui, pour près de 80 % des chantiers soutenus, intervient dans des communes de moins de 2 000 habitants.
Le Président de la République a par ailleurs annoncé de nouveaux efforts en faveur du patrimoine religieux des communes de moins de 10 000 habitants - 20 000 habitants en outre-mer. Une collecte va être lancée avec la Fondation du patrimoine, pour laquelle une déduction fiscale équivalente à celle qui a prévalu pour la cathédrale Notre-Dame de Paris sera accordée. Nous engageons également une campagne de protection en vue, notamment, d'un éventuel classement de certains édifices cultuels des XIXe et XXe siècles.
Bien que ne pouvant détailler l'ensemble de mes priorités, je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer la lecture - une de mes obsessions. Nous continuons à renforcer notre stratégie en matière de lecture dans les territoires, avec une hausse des crédits de près de 5 millions d'euros en 2024. Il s'agit d'amplifier l'ensemble de nos actions - dispositif Premières pages, le Quart d'heure de lecture, action du Centre national du livre, Goncourt des détenus, etc. - afin que l'on puisse lire partout où c'est possible. Par ailleurs, nous continuons de soutenir nos grands opérateurs dans le domaine de la lecture, à savoir les bibliothèques nationales, la Bibliothèque publique d'information (BPI) et la BNF, d'autant que les récentes violences urbaines ont ciblé une cinquantaine de bibliothèques. Il s'agira donc, pour nous, d'accompagner les reconstructions, mais aussi de travailler à l'extension des horaires d'ouverture ou l'animation de ces lieux.
La culture est traversée de secousses. Elle connaît la crise de l'énergie, le dérèglement climatique, les désordres géopolitiques, les menaces sur la liberté de création, le désengagement de certaines collectivités, les violences urbaines, les bouleversements induits par l'intelligence artificielle et, bien sûr, les risques terroristes qui nous mobilisent tous aujourd'hui. Mais, j'en reste persuadée, c'est elle qui nous rassemble, qui nous offre des émotions uniques et des imaginaires communs, qui nous aide à élargir la vie et à affirmer, encore et encore, notre attachement aux valeurs de la République.
Je termine, comme à mon habitude, avec un poème. Il s'agit, ici, d'un texte écrit par Abdellatif Laâbi, poète marocain, après les attentats de 2015.
« J'atteste qu'il n'y a d'Être humain
« que Celui dont le coeur tremble d'amour
« pour tous ses frères en humanité
« Celui qui désire ardemment
« plus pour eux que pour lui-même
« liberté, paix, dignité
« Celui qui considère que la vie
« est encore plus sacrée
« que ses croyances et ses divinités
« J'atteste qu'il n'y a d'être humain
« que Celui qui combat sans relâche
« la Haine en lui et autour de lui
« Celui qui, dès qu'il ouvre les yeux le matin,
« se pose la question : que vais-je faire aujourd'hui
« pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté
« d'être homme ? »
Sans culture, pas d'humanité, pas de civilisation !
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Merci pour votre présentation très complète et ce très beau poème.
Je souhaite vous interroger sur les suites données au rapport d'information sur le patrimoine et la transition écologique que j'ai remis en juin dernier. Je me félicite que certaines de mes propositions, notamment concernant la formation des diagnostiqueurs aux spécificités du bâti ancien, aient été reprises. Mais je suis très déçue par le fait que rien n'a été fait, pour l'instant, pour permettre l'adaptation du diagnostic de performance énergétique (DPE), pourtant très attendue par les associations de préservation du patrimoine.
Mon rapport aborde également la question du soutien financier et fiscal. Il faudrait pouvoir réorienter ou conditionner les aides pour mieux accompagner les rénovations respectueuses du bâti ancien, lesquelles font souvent appel à des savoir-faire et techniques particulières plus coûteuses.
Seriez-vous par ailleurs favorable, comme je l'ai proposé, à une réforme des dispositifs Denormandie et Malraux, mais aussi à l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique à l'intérieur des bâtis dans le cas où des travaux extérieurs porteraient atteinte aux caractéristiques architecturales ou patrimoniales ?
Que comptez-vous faire pour mieux accompagner les collectivités territoriales dans l'identification de leur bâti ancien ? Les crédits inscrits pour la réalisation d'études ne devraient-ils pas être abondés en ce sens ?
Enfin, la revalorisation accordée à l'archéologie préventive dans le projet de loi de finances de l'an dernier était bienvenue. Mais le compte n'y est toujours pas ! La compensation des frais engagés par les services d'archéologie préventive des collectivités territoriales n'est pas assurée malgré la revalorisation de la valeur par mètre carré intervenue en 2022, alors même que le produit de la taxe d'archéologie préventive, perçue depuis 2016 au profit du budget général de l'État, est en forte croissance et permet à l'État de réaliser un excédent. Que comptez-vous faire pour rééquilibrer ces financements ?
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Nous ne pouvons que nous inquiéter de la situation financière critique de nombreuses écoles d'art territoriales, en dépit d'une nouvelle hausse budgétaire dans ce domaine. Le rapport de Pierre Oudart a été officiellement remis voilà quinze jours. À quoi l'État est-il prêt à s'engager pour l'avenir de ces écoles ?
Par ailleurs, la présence des services publics culturels dans les territoires les plus sensibles m'apparaît comme un enjeu primordial. Au-delà des appels à projets que vous avez lancés dans le cadre de l'Été culturel, que compte faire l'État pour développer ces services publics et accompagner les projets des acteurs associatifs et culturels oeuvrant en ce sens ? Quels projets, par exemple, sont soutenus par le Fonds d'innovation territoriale récemment créé ? Comment celui-ci s'articule-t-il avec les politiques territoriales déjà engagées ?
Sur cette même thématique, nos collègues de la commission des finances ont relevé une utilisation moins intensive du pass Culture par les jeunes ruraux, en particulier les jeunes âgés de 15 à 17 ans du fait de problèmes spécifiques de mobilité. Quelles consignes ont été données face à ce constat ?
Enfin, je souligne l'amélioration que constitue le volet collectif du pass Culture. Il faudra néanmoins veiller à la question de l'égalité d'accès entre les différents établissements et à l'articulation faite avec ce qui existait précédemment dans le champ de l'éducation artistique et culturelle. Cette nouvelle offre doit être lisible, à la fois pour les acteurs culturels, le corps enseignant et les collectivités territoriales. Quelles garanties peuvent être apportées dans ce domaine ?
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. - Je vous remercie également, madame la ministre, pour le choix du poème, qui résonne avec les discussions que nous aurons, notamment demain en commission, sur l'écriture dite inclusive...
J'ai trois questions à vous soumettre concernant le financement de l'audiovisuel public.
Premièrement, alors qu'il a fallu procéder par avenant l'an dernier, nous attendons les nouveaux contrats d'objectifs et de moyens. Dans le cadre du projet de loi de finances, vous vous projetez sur les cinq prochaines années, mais nous n'avons toujours rien vu de ces contrats. Nous allons donc adopter des moyens sans objectifs ni convention. Pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur le sujet ?
Deuxièmement, où en êtes-vous dans la réflexion sur le financement de l'audiovisuel public, suite à la suppression de la redevance ? La compensation provisoire par le biais d'une fraction de la TVA ne peut être pérennisée sans passer par le législateur. Quand pensez-vous pouvoir présenter une solution devant le Parlement ?
Troisièmement, vous attendiez des économies du rapprochement entre France Bleu et France 3. Qu'en est-il ? Enfin, vous souhaitez renforcer la chaîne de télévision France Info. Comment envisagez-vous le développement concomitant des deux chaînes d'information France info et France 24 dans un environnement très concurrentiel ?
M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - À mon tour, madame la ministre, de vous remercier pour votre présentation liminaire et le poème, fort à propos, que vous nous avez lu.
Avec Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier, nous avons rendu public un rapport d'information sur le cinéma au printemps dernier, suivi par le dépôt d'une proposition de loi appelant à l'instauration d'une nouvelle obligation pour les distributeurs en matière d'engagements de diffusion. Quel devrait être le champ de cette obligation ? Êtes-vous prête à faire évoluer la classification Art et Essai ?
À l'initiative de notre collègue Catherine Conconne, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer. Ce texte n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. Pouvez-vous nous donner des éléments de calendrier ?
Enfin, pouvez-vous faire un point sur les négociations autour de la chronologie des médias ?
M. Pierre-Antoine Levi. - Je m'exprime ici au nom de Michel Laugier, notre rapporteur, que je vous prie de bien vouloir excuser. Le soutien à une presse garante de la qualité du débat démocratique constitue un axe fort des travaux de notre commission. Mais les sujets d'inquiétude sont nombreux dans un monde où l'opinion surpasse la raison. Il est donc primordial que notre assemblée se tienne aux côtés d'une presse dont le modèle économique est aujourd'hui bien fragile.
Les aides à la presse sont régulièrement critiquées pour leur opacité et leur complexité. Elles sont concentrées sur la presse papier. Comptez-vous lancer un chantier de réforme ?
Qu'attendez-vous des États généraux de l'information, lancés au début du mois d'octobre ? Quels problèmes avez-vous déjà identifiés ?
En théorie, l'année 2024 sera la dernière année du soutien exceptionnel apporté par l'État à France Messagerie, soutien ponctionné, rappelons-le, sur les crédits destinés à la modernisation de la presse. Comment voyez-vous l'année 2025 ? Ne serait-il pas temps de « renverser la table » pour parvenir à une solution à une seule messagerie, ou bien spécialisant France Messagerie à la seule presse quotidienne régionale ?
M. Martin Lévrier. - Je m'exprime ici au nom de Mikaele Kulimoetoke, notre rapporteur, que je vous prie de bien vouloir excuser. Merci, madame la ministre, pour vos propos liminaires et pour le poème que vous avez choisi.
À la suite du rapport de Julien Bargeton relatif à la stratégie de financement de la filière musicale en France, l'idée d'une taxe sur le streaming pour le financement du CNM s'est imposée dans le débat public. Où en sont vos réflexions sur ce sujet ? Un arbitrage a-t-il été rendu sur cette question ?
Les relations entre les auteurs et les éditeurs sont marquées depuis plusieurs années par une grande méfiance. Les négociations ne semblent pas aboutir. Où en êtes-vous ? Des dispositions de nature législative pourraient-elles s'avérer nécessaires ?
Pourriez-vous faire un point sur les résultats concrets du « plan Bibliothèques », les moyens mis en oeuvre et les perspectives pour les années à venir ?
Pourriez-vous dresser un bilan des mesures spécifiques mises en oeuvre pour soutenir les artistes et les professionnels de la culture pendant la crise sanitaire ?
Les musées et les institutions culturelles ont été confrontés à des défis importants en matière de conservation et de numérisation du patrimoine culturel. Quels investissements ont-ils été réalisés dans ces domaines et quels sont les projets en cours pour préserver et promouvoir notre patrimoine culturel ?
Enfin, comment le ministère encourage-t-il la création artistique innovante et comment favorise-t-il l'émergence de nouveaux talents, en particulier dans le contexte de la révolution numérique ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Madame Drexler, nous rejoignons la grande majorité des constats et des propositions de votre rapport sur le patrimoine et la transition écologique. Ces deux ambitions, transition énergétique et conservation du patrimoine bâti, peuvent être conciliées. Nous avons les ressources, les atouts, et les métiers pour le faire. Ce travail nécessite une grande concertation au niveau local, à l'image de celle qui avait été menée pour le développement de l'énergie photovoltaïque, en lien avec le ministère de la transition écologique, et qui avait abouti à la rédaction d'une circulaire commune et à la définition d'un cadre précis. Le même type de travail a été engagé pour l'élaboration d'un guide à destination des diagnostiqueurs. Une actualisation des textes réglementaires - référentiel de compétences, cycle de formation, etc. - est également en cours. Nous y travaillons avec le ministère de la transition écologique.
Nous soutenons votre initiative pour élargir l'attribution du label de la Fondation du patrimoine aux travaux intérieurs, ce qui ouvrirait la voie à des déductions fiscales ou au versement de subventions pour des travaux de rénovation thermique du bâti ancien. Les évolutions fiscales que vous mentionnez sont également importantes. La liste des travaux éligibles aux aides à la rénovation énergétique pourrait en outre évoluer, pour prendre en compte les travaux respectueux du patrimoine. Nous explorons cette piste, en lien avec Bercy. Soyez assurés de notre détermination sur ces questions, y compris au niveau européen.
Un effort particulier avait bien été fait l'an dernier en direction de l'archéologie préventive. Une soixantaine de collectivités sont habilitées par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur pour réaliser des diagnostics archéologiques. Pour le budget 2024, nous avons accordé la priorité au financement urgent de revalorisations salariales au sein de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Nous restons néanmoins ouverts sur cette question. Nous devons parvenir à objectiver davantage les besoins pour mieux les défendre dans les prochaines discussions budgétaires. Si vous pouvez nous y aider, ce sera très utile.
Une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et de l'inspection générale des finances (IGF) est en cours concernant les dispositifs Malraux et Denormandie, dont la conclusion est attendue pour la fin de l'année.
Les écoles territoriales d'art constituent un chantier prioritaire. Toutefois, n'oublions pas que ces écoles ont été créées par les collectivités et ont fonctionné longtemps en régie municipale avant de devenir des établissements publics de coopération culturelle (EPCC) en 2011 ou 2012. Nous nous efforçons d'accompagner celles d'entre elles qui sont le plus en difficulté. Nous discutons des principales conclusions du rapport Oudart avec les directeurs et présidents de ces établissements. Nous continuerons à nous montrer attentifs, au cas par cas. Aucune mesure générale n'est prévue, chaque école ayant son histoire particulière, ses spécificités, et sa relation avec les collectivités. L'effort supplémentaire que nous avions engagé en 2023 a été maintenu pour 2024. Des aides à l'investissement peuvent aussi intervenir, afin de réduire les coûts de fonctionnement. Nous restons donc mobilisés sur le sujet.
Le bilan du fonds d'innovation territoriale, lancé en 2023, sera établi en début d'année prochaine. Pour qu'un projet soit financé, il doit être porté par au moins une collectivité locale. Les projets soutenus sont choisis avec les élus locaux, et non sur la seule décision des directions régionales des affaires culturelles (Drac). La priorité est accordée aux zones rurales isolées et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, et les projets soutenus doivent être innovants, l'idée étant de toucher des publics que l'on ne parvient pas à atteindre d'habitude.
La question de l'utilisation du pass Culture en zone rurale est effectivement importante. Plusieurs expérimentations sont en cours, notamment dans la région Grand Est, pour améliorer les parcours des jeunes, particulièrement sur le plan des transports. Des consignes ont été données à la société pass Culture pour travailler davantage en ce sens.
L'objectif de la part collective du pass Culture, de 25 euros par élève et par an, est d'amplifier l'éducation artistique au collège et au lycée. Si, en raison de son déploiement, des collectivités décident de retirer des budgets prévus initialement dans ce domaine, ou si cela vient pénaliser des actions existantes, il y a lieu de s'inquiéter. Je veux bien que vous nous communiquiez des exemples, pour que nous puissions y travailler au cas par cas.
Les problèmes techniques qui ont pu se présenter pour l'articulation entre l'application dédiée à la généralisation de l'éducation artistique et culturelle (Adage) du ministère de l'éducation nationale, et le pass Culture, sont désormais résolus. Un regard de l'éducation nationale reste toutefois nécessaire sur les projets proposés, et les artistes amenés à intervenir en milieu scolaire. Cependant, si des compagnies habituées à intervenir dans certains établissements s'en trouvent subitement rejetées, cela pose problème. J'étudierai ce point plus précisément.
À la faveur du prolongement d'un an des contrats d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel public, nous avons pu redéfinir les objectifs, les principales missions de service public et les priorités de ce dernier. Parmi celles-ci, nous avons identifié celles qui nécessitaient une plus grande coopération entre les entreprises de l'audiovisuel public, à commencer par la fiabilité de l'information et l'investissement dans la lutte contre les fausses informations. En matière de stratégie digitale, nous avons constaté qu'il existait dans d'autres pays européens plusieurs plateformes numériques pour l'audio et la vidéo, ce qui n'empêche pas l'interopérabilité. Plusieurs sujets ont donc été étudiés.
Nous proposons une trajectoire pour cinq ans. Il revient évidemment au Parlement d'adopter le budget et de valider ces conventions. Ces discussions auront lieu. Le calendrier des contrats d'objectifs et de moyens sera précisé prochainement.
Je suis favorable par ailleurs à la pérennisation, au-delà des années 2024 et 2025, du fléchage d'une fraction de la TVA vers l'audiovisuel public, ce qui impliquera une modification ciblée de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Il n'y a pas encore d'arbitrage interministériel sur le sujet. Les discussions se poursuivent.
Concernant la réforme de la gouvernance, il m'était apparu qu'il était possible de parvenir plus rapidement aux objectifs souhaités, sans passer par la création d'une holding. Grâce au fléchage d'une enveloppe complémentaire dédiée aux chantiers prioritaires, aux transformations et aux coopérations, nous disposons de trois ans, à partir de 2024, pour accélérer les réformes. J'espère que cette nouvelle méthode portera ses fruits.
Les coopérations entre France 3 et France Bleu ne généreront pas d'économies dans l'immédiat. Leur but premier est de regrouper les forces du réseau de proximité de l'audiovisuel public pour porter un programme ambitieux autour de la vie locale, pour faire vivre une information locale forte et diversifiée et pour renforcer la connaissance de la vie culturelle et des services locaux. Différents rapprochements sont nécessaires pour parvenir à ce résultat, sur lesquels les présidentes de Radio France et de France Télévisions ont eu l'occasion de s'exprimer. Nous leur faisons confiance pour avancer sur cette question, des budgets complémentaires étant réservés à ce chantier.
La question des coopérations entre France Info et France 24 est plus complexe, car ces deux chaînes ne s'adressent pas aux mêmes publics. Des complémentarités existent néanmoins, et des coopérations ont déjà lieu ; nous verrons sur quels segments il sera possible de les renforcer. Pour l'instant, notre objectif est de consolider l'information en général, et France Info en particulier, et d'oeuvrer au rapprochement entre France 3 et France Bleu.
Le rapport de Bruno Lasserre sur le cinéma ouvre des perspectives utiles pour clarifier les engagements de programmation ainsi que le classement Art et Essai , ou encore assouplir les politiques tarifaires. Toutes ces dispositions nécessitent une transposition législative. La proposition de loi mentionnée par M. Bacchi est donc bienvenue, et nous la soutiendrons.
La chronologie des médias reste un sujet de débat complexe. Des avancées ont eu lieu sur la question de l'étanchéité des fenêtres. Les discussions se poursuivent.
Les États généraux de l'information viennent de s'ouvrir, sous l'égide d'un comité de pilotage indépendant, que vous pourrez rencontrer autant que vous le souhaiterez. Plusieurs groupes de travail ont été formés, autour de sujets très vastes. J'attends de cet événement qu'il suscite, au-delà des experts, une mobilisation des citoyens et des jeunes pour créer un débat autour du droit à l'information et de la fiabilité de l'information. Il ne sera donc pas seulement question du modèle économique et de l'avenir de la presse. En effet, l'accès à l'information, dans notre société, passe aussi par le numérique ou par des relais de décryptage comme HugoDécrypte. Nous devons prendre en compte toutes ces modalités. Nous avons aussi tout un chantier d'éducation aux médias à renforcer pour lutter contre la désinformation. J'attends également des propositions à ce sujet. Certaines pourront mener à des évolutions législatives, concernant la lutte contre les ingérences étrangères, par exemple, ou les aides à la presse.
Je m'étais engagée à ouvrir ce dernier chantier. L'enjeu est de garantir le pluralisme de la presse. On ne peut néanmoins être ignorer la presse en ligne. Cela fera partie des travaux à mener.
L'aide de 9 millions d'euros versée à France Messagerie est en réalité une aide destinée aux éditeurs de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale (IPG) visant à alléger le coût des barèmes tarifés par la messagerie des quotidiens. Elle fait partie de l'aide à la distribution globale de 27 millions d'euros qui leur est versée. Sans cette aide, les éditeurs feraient face à des barèmes dont ils ne pourraient s'acquitter, sauf en augmentant fortement le prix de leurs titres. Ponctionnée à l'origine sur le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), cette aide a été reconduite par les lois de finances successives. Pour autant, il n'en a pas résulté un manque de financement de la modernisation, grâce à l'intervention des crédits du plan de relance entre 2020 et 2022.
Une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des finances (IGF) pour réfléchir, au-delà de la situation économique de France Messagerie, à l'avenir de la distribution de la presse au numéro en France : financement, aide à la distribution, péréquation, gouvernance, etc. Ce chantier est considérable. Nous attendons leurs recommandations avant de nous prononcer.
J'en viens au CNM. La concertation que j'ai lancée avec tous les segments de la filière, à la demande du Président de la République à la suite de ses annonces fortes du 21 juin, a pris trois mois. À l'issue de ces échanges, trois hypothèses se sont dégagées. La première consisterait à instaurer une contribution obligatoire des plateformes de streaming, gratuites comme payantes, établie sur la base d'un taux modulé et de seuils variables - de 0,5 % à 1,75 % - selon leurs chiffres d'affaires réalisés en France. Cette contribution obligatoire permettrait de générer, la première année, entre 18 et 20 millions d'euros pour financer le Centre national de la musique, et une somme plus importante les années suivantes. Dans la deuxième hypothèse, nous étendrions la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) pour en faire bénéficier le CNM. Cependant, cela reviendrait à taxer la publicité, alors que certaines plateformes comme Amazon et Apple ne fonctionnent pas avec un modèle publicitaire. À ce stade, cette proposition a peu convaincu nos interlocuteurs. Enfin, la troisième hypothèse serait celle d'une contribution volontaire des plateformes. Certaines ont d'ailleurs proposé d'elles-mêmes d'abonder le budget du CNM, soit oralement, soit par écrit. Nous nous donnons du temps pour poursuivre cette négociation. Nous pourrons également étudier les amendements qui seront présentés au cours de l'examen du PLF pour voir si la solution de la contribution obligatoire n'est pas la meilleure.
Le bilan de l'extension des horaires des bibliothèques est encourageant. Ce changement doit néanmoins être conforté, a fortiori au vu des difficultés que rencontrent certaines collectivités. Cette extension s'élève à 8 h 30 en moyenne, dans plus de 500 collectivités. Toutefois, le risque de recul est réel, du fait de l'importance des factures dont les petites communes ont à s'acquitter. La vigilance est de mise sur ce point. À titre d'exemple, la médiathèque de Rillieux-la-Pape est passée de 25 heures à 38 heures d'ouverture. Une telle extension est déterminante, notamment pour toucher les jeunes, d'autant que les bibliothèques sont de véritables lieux de vie, qui comportent des espaces de jeux vidéo, de musique, et proposent de nombreuses activités et animations. Notre rôle est de les soutenir.
L'encouragement de la création artistique passe par notre soutien aux écoles et à l'enseignement supérieur, et à la nouvelle génération d'artistes, d'architectes et de musiciens qui dessineront le monde de demain. Par ailleurs, le programme Mondes nouveaux, d'une manière inédite, s'est appuyé sur les désirs des artistes et leurs propositions de projets pour mettre des moyens, des équipes de production, des opérateurs comme le Centre des monuments nationaux (CMN) ou des partenaires comme le Conservatoire du littoral à leur service. Au total, 260 projets ont été soutenus dans toute la France, impliquant souvent des artistes peu connus, et dans tous les champs artistiques, non les seuls arts plastiques : compositeurs, danseurs, écrivains, vidéastes, etc. Le programme Mondes nouveaux continuera en 2024.
Le plan Mieux produire, mieux diffuser est en outre essentiel. Seule ne compte pas la création, il faut aussi oeuvrer pour sa diffusion vers le public. Un budget « levier » de 9 millions d'euros est donc prévu dans le budget 2024, pour favoriser les coopérations et les coproductions ainsi que l'organisation de tournées raisonnées.
M. Yan Chantrel. - Quand l'extension du pass Culture aux jeunes Français établis hors de France, décidée en conseil des ministres en février dernier, sera-t-elle effective ? Cette extension concernera-t-elle réellement tous ces jeunes ? Flécher le pass Culture à cette occasion vers notre réseau - Instituts français, Alliances françaises, théâtres, librairies, etc. - pourrait être un moyen de le faire vivre et rayonner.
La décision du Gouvernement de suspendre la délivrance des visas pour la France aux ressortissants nigériens, maliens et burkinabés a de profondes répercussions sur nos relations avec ces pays. Des artistes ne sont plus en mesure d'exercer leurs métiers. Des échanges culturels sont suspendus. Ce genre de mesure ne favorise pas non plus le rayonnement de la francophonie, alors que nous accueillerons le sommet de la francophonie en octobre prochain. Par de telles décisions, vous renforcez les putschistes, car vous privez des personnes qui participent au rayonnement culturel de notre pays de la possibilité de s'y rendre. Ce problème n'est pas réglé, les témoignages sont nombreux. La meilleure chose à faire serait de revenir sur cette décision.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le rôle de notre audiovisuel extérieur est essentiel, dans un monde où les crises et les conflits se multiplient. Que prévoyez-vous dans le cadre du PLF pour France Médias Monde ?
Qu'est devenue la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (Toce), taxe affectée censée compenser la suppression de la publicité après 20 heures et qui est finalement tombée dans l'escarcelle de Bercy ?
Le secteur du spectacle vivant a beaucoup souffert de la crise énergétique. Les aides exceptionnelles débloquées l'année dernière ont d'ailleurs été appréciées. Le plan « Mieux produire, mieux diffuser » tend cependant à revenir à un volume financier dédié à la production similaire à celui de 2019, à volume d'emplois équivalent. Cet objectif nous semble inatteignable compte tenu de l'augmentation constante des charges salariales, du taux de l'inflation et de la crise énergétique. Par ailleurs, comment renforcer la place de la musique dans les établissements publics du spectacle vivant ?
Je vous remercie, madame la ministre, de ne pas avoir suivi la proposition de M. Bargeton de taxer ces structures, financées à 80 % par les collectivités territoriales, pour financer le CNM.
Il existe enfin des inégalités entre les écoles territoriales d'art, comme entre les écoles d'architecture. Les collectivités territoriales voyant leurs ressources fiscales se réduire, ne pourrait-on réfléchir à une dotation globale de fonctionnement spécifique pour les collectivités qui portent un établissement de ce type ?
M. Max Brisson, président. - Je m'associe à cette dernière question.
Mme Sylvie Robert. - Entre une contribution obligatoire des plateformes de streaming au financement du CNM et une contribution volontaire, il y a une décision politique importante à prendre. La première hypothèse représenterait 20 millions d'euros, contre 5 millions d'euros pour la seconde, soit un manque à gagner de 15 millions d'euros. Or les recettes du CNM diminueront en 2024 du fait de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, qui entraînera l'arrêt de certains grands concerts, au Stade de France par exemple. Les pertes potentielles sont estimées à 8 millions d'euros. Il y a là une bataille à mener, c'est une question de justice fiscale. J'espère que, face à la puissance des plateformes, le Gouvernement choisira la contribution obligatoire.
Les États généraux de l'information ont été percutés par une double actualité : ce qui est arrivé à la journaliste d'investigation Ariane Lavrilleux, et la position prise par la France dans le cadre du règlement européen sur la liberté des médias. Le Gouvernement a poussé pour introduire une exception sur l'interdiction de l'utilisation de logiciels espions à l'encontre de journalistes, au nom de la sauvegarde de la sécurité nationale. Il y a là un besoin de cohérence. On ne peut tenir un discours protecteur des médias à l'échelle nationale, dans le cadre des États généraux de l'information, et oeuvrer en sens inverse au niveau européen. Madame la ministre, le Gouvernement entend-il revenir sur sa position d'ici l'adoption finale du texte pour protéger le secret des sources ?
Mme Monique de Marco. - Dans le prolongement de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), vous avez présenté cette année un budget comportant une fraction de TVA destinée à garantir son financement, fraction qui est certes en augmentation. Je vous rappelle néanmoins la décision rendue par le Conseil constitutionnel à ce sujet, à la suite de la loi de finances rectificative de 2022. En outre, deux députés membres de la majorité ont mis en avant le risque de non-conformité avec le traité franco-allemand qui a permis la création d'Arte. Plus globalement, quel est le cap fixé pour le financement de l'audiovisuel public après 2024 ? Vous pourrez consulter la proposition de loi organique que j'ai déposée avec plusieurs de mes collègues pour garantir l'indépendance de l'audiovisuel public français, et nous pourrons en débattre.
Par ailleurs, vous avez annoncé la tenue d'une Olympiade culturelle dotée d'un budget de 4 millions d'euros en 2024, avec pour objectif de poursuivre le dialogue entre le sport et la culture engagé depuis 2022. Or nous vous alertons, depuis janvier 2023, quant aux impacts des jeux Olympiques (JO) sur l'ensemble du tissu culturel français, notamment sur le spectacle vivant, qui dépend fortement de la vie festivalière. Certains projets culturels semblent menacés en 2024, par la mobilisation des forces de l'ordre comme des moyens humains et matériels de l'événementiel. Quels moyens avez-vous budgétisés pour compenser ces pertes ?
Mme Agnès Evren. - Je souhaite revenir sur le financement du CNM dans la mesure où une série d'amendements ont été déposés en vue d'instaurer une taxe sur le streaming. Une telle taxe alourdirait d'abord la fiscalité pesant sur des services qui font d'ores et déjà l'objet d'un taux de TVA de 20 %. Elle pénaliserait, ensuite, les leaders de l'abonnement, c'est-à-dire des acteurs européens dont les marges sont inexistantes. Enfin, son instauration reviendrait à passer sous silence les répercussions sur les acteurs les plus fragiles, sur les ayants droit et sur les consommateurs.
Vous avez confirmé explorer la piste d'une contribution volontaire des plateformes et des ayants droit. Cette solution présenterait le double avantage d'être opérationnelle dès 2024 et de maîtriser la répercussion des efforts consentis sur chaque maillon de la chaîne de valeur. Quel calendrier envisagez-vous afin de parvenir à un accord sur cette contribution volontaire ?
Mme Sonia de La Provôté. - J'appuie les propositions de mes collègues concernant la nécessité d'un schéma de financement complet et pérenne du CNM.
Je suis d'ailleurs plutôt favorable à une taxe proposée par des amendements déposés à l'Assemblée nationale, mais qui n'ont pas été retenus à la suite du recours à l'article 49-3 de la Constitution. Le combat continue, et menons-le ensemble ! Le CNM a fait preuve de son utilité, il s'avère être un outil essentiel pour la filière. La question de son financement, et donc de cette taxe, reste donc d'actualité.
Je souhaite évoquer la crise sans précédent que subissent les scènes de musiques actuelles (Smac) en raison de l'inflation ainsi que de la hausse des cachets des artistes et des coûts de production. Ainsi un grand nombre de ces salles se trouvent-elles dans une situation déficitaire : certains syndicats indiquent que 20 % à 30 % de leurs adhérents sont dans ce cas. Un effort a certes été fourni en leur faveur, mais ces salles doivent arbitrer entre de grosses productions et leur rôle essentiel en matière de soutien à la création.
Envisagez-vous apporter une aide à destination des Smac ? Dans ces moments difficiles, il est nécessaire de conforter leur mission de soutien aux productions fragiles et aux artistes émergents.
Concernant le pass Culture, nous avons déjà interrogé le ministre de l'éducation nationale, qui s'est réjoui de mener avec vous ce chantier. Si le montant alloué au pass est en hausse, la feuille de route de cet outil - au service d'une politique culturelle - manque de lisibilité, notamment sur l'éducation artistique et culturelle (EAC).
L'éditorialisation est certes intéressante, mais la médiation l'est encore davantage. D'une part, on ne comprend pas comment les jeunes utilisent le pass Culture hors milieu scolaire, et, d'autre part, cet outil ne crée pas de diversité dans l'offre culturelle, alors qu'il aurait pu l'accompagner.
Par ailleurs, quid du renforcement des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap) ? Celles-ci sont indispensables pour l'accompagnement des petites communes, en complémentarité avec l'accompagnement du petit patrimoine.
Enfin, votre position a-t-elle évolué quant à l'assistance à maîtrise d'ouvrage auprès des architectes des Bâtiments de France, un besoin exprimé par les collectivités et par les maires ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Je salue l'augmentation des crédits alloués aux études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui traduit un soutien à ce dispositif créé en 2016 et qui bénéficie à quelque 900 communes. Toutefois, ces dernières ont besoin d'être accompagnées par les personnels des Udap, en nombre insuffisant. Pourtant, l'importance des SPR est reconnue dans le cadre des politiques de revitalisation des centres historiques et de réhabilitation des logements, y compris dans les programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain. Il faudrait donc renforcer les effectifs des Udap, les besoins étant estimés entre 100 et 150 agents supplémentaires.
Le DPE n'est toujours pas adapté au bâti ancien. Les associations de sauvegarde du patrimoine que nous avons auditionnées ont indiqué que les fenêtres du XVIIIe siècle ont disparu, que les portes de la même époque sont en voie d'extinction et que les boiseries et lambris sont également menacés. Le Gouvernement doit revoir sa copie sur ce point.
Le fonds incitatif et partenarial connaît lui une hausse. Vous avez dit qu'il bénéficie à de nombreuses communes de moins de 2 000 habitants propriétaires de monuments historiques et dont les ressources sont faibles, mais il s'avère qu'il peut aussi bénéficier à des propriétaires privés de monuments historiques situés dans ces communes. Le soutien qui leur est apporté représenterait ainsi 18 % de la dotation du fonds.
Je ne remets aucunement en cause les besoins de soutien de ces propriétaires privés, mais je m'interroge sur les modalités et critères d'éligibilité à ce fonds, car la taille et les ressources de la commune d'implantation ne semblent pas être un critère pertinent pour évaluer les moyens financiers dont dispose un propriétaire privé. Par ailleurs, vos services ont-ils établi un bilan complet du FIP depuis sa création ?
Enfin, le plan en faveur des petites églises en péril, même s'il ne relève pas directement du budget du ministère de la culture pour 2024, devra être financé pour compenser les crédits d'impôt prévus à hauteur de 75 % pour les donateurs. Pouvez-vous préciser les modalités de ce financement et leurs impacts éventuels sur certaines lignes budgétaires du patrimoine ?
Mme Anne Ventalon. - Je souhaite revenir sur les annonces du Président de la République en faveur du patrimoine religieux et salue à cet égard le lancement de la collecte nationale via la Fondation du patrimoine, ainsi que la défiscalisation qui en découle.
Je m'interroge sur les mesures interministérielles annoncées dans ce domaine. Plus particulièrement, comment la valorisation des initiatives d'usages compatibles avec l'activité cultuelle au sein de ces lieux de culte se traduira-t-elle ?
M. Adel Ziane. - Je commencerai par un satisfecit concernant la hausse importante du budget alloué aux musées. Cependant, vous l'avez évoqué vous-même, il s'agit d'un budget de transformation, dont une part importante est liée à la rénovation du Centre Georges-Pompidou. La crise sanitaire et économique ainsi que la baisse de fréquentation liée au covid-19 ont malmené le modèle économique des musées. Le ministère de la culture avait alors été au rendez-vous avec le plan de relance, mais la question de son soutien se pose à nouveau alors que l'inflation sévit et que la fréquentation n'a pas retrouvé son niveau de 2019, malgré des chiffres encourageants en 2022. La billetterie étant essentielle pour les musées, cette question est déterminante dans le cadre du travail de prospective lié au budget de transformation : quelles sont les projections du ministère sur ces budgets de fonctionnement, une fois cette part allouée au centre Pompidou soustraite ?
Une autre question a trait aux établissements régionaux, alors que les dépenses d'intervention se stabilisent. Il me semble fondamental de garantir un accompagnement des musées par le ministère dans le cadre des contrats de plan État-Région (CPER), dans un contexte de diminution des capacités budgétaires des villes, des intercommunalités, des départements et des régions, comme le montre le rapport de la Cour des comptes publié ce jour. Quel soutien à ces territoires, désireux de développer leurs musées, mais confrontés à de sérieuses difficultés financières pouvez-vous proposez ?
En outre, je veux souligner la faiblesse du budget alloué à l'acquisition et à l'enrichissement des collections, qui restera en deçà du seuil de 10 millions d'euros. Compte tenu de l'état du marché de l'art et du montant faramineux des oeuvres anciennes, je souhaite savoir comment le ministère se positionne par rapport à cet enjeu.
Concernant la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts qui s'apprête à ouvrir ses portes, quel est le budget de fonctionnement attendu, ainsi que la programmation ? Il faudra faire vivre dignement ce site, dont le coût s'élève à 200 millions d'euros.
M. Jacques Grosperrin. - Nous pouvons tout d'abord nous réjouir de l'augmentation du budget du ministère de la culture à hauteur de 6 %, qui lui permet de retrouver une ambition à la hauteur de la place occupée par la culture dans la société française.
Quelque 15 000 communes, dont 55 % comptent moins de 2 000 habitants, comptent un monument historique sur leur sol. Les SPR revêtent une importance sociale, économique et culturelle dont chacun est conscient, aussi la revalorisation de 20 millions d'euros du FIP constitue-t-elle un signal fort.
Toutefois, à l'instar des édifices religieux, de nombreux édifices appartiennent aux collectivités, qui font peser de nombreux frais sur les mairies.
Vous avez évoqué un budget de transformation et d'inspiration : quelles conséquences en tirez-vous quant à la méthode à employer afin que les différents acteurs - ministères, autorités déconcentrées, élus locaux - travaillent de concert pour la maîtrise d'ouvrage, tant sur le plan financier que sur celui de la rénovation du patrimoine bâti, sachant que l'enveloppe risque d'être insuffisante ?
Mme Mathilde Ollivier. - Pour ce qui est du financement du CNM, l'option la plus ambitieuse, celle de la mise en place de la taxe sur le streaming, aurait dû être portée par les groupes de la majorité à l'Assemblée nationale, mais elle n'a finalement pas été retenue par le Gouvernement dans le PLF après l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution.
Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont conduit à écarter cette solution alors que vous avez reconnu que l'option relative aux plateformes vidéo n'est pas véritablement satisfaisante, que l'importance du soutien au CMN n'est plus à démontrer et que l'option de la contribution volontaire sera largement insuffisante ?
Je souscris par ailleurs à l'interrogation de M. Chantrel quant à l'élargissement du pass Culture aux jeunes Français de l'étranger : où en est-il ?
Je partage enfin les inquiétudes exprimées par Mme de Marco au sujet des festivals et concerts dans la perspective des jeux Olympiques. D'habitude hébergés dans les stades et ayant d'importants besoins en termes de sécurité, ces événements sont exposés à des risques de baisse de revenus et à des difficultés d'organisation. Quel soutien prévoyez-vous pour ceux-ci ?
Mme Colombe Brossel. - Le budget alloué à l'EAC enregistre une hausse de 1,5 %, nettement en deçà de l'inflation. Il paraît malaisé d'atteindre les objectifs fixés avec un budget qui sera de fait en régression, alors que nous sommes persuadés que l'EAC constitue l'un des leviers pour créer du commun dans les périodes troublées que nous vivons. Il est impératif d'y consacrer le budget nécessaire.
Pour ce qui concerne le pass Culture, je rappelle d'abord qu'il ne s'agit pas d'une politique publique, mais au mieux d'un outil qui doit se déployer en cohérence avec les autres politiques mises en place.
Quels enseignements tirez-vous du rapport à charge, dirais-je, publié par la Cour des comptes à propos de la mise en oeuvre du pass Culture ? Nous voyons s'exprimer une volonté de renforcer les activités collectives, notamment pour les élèves de cinquième et de sixième, mais, là aussi, cet élargissement pose question compte tenu de la faible progression du budget correspondant.
Enfin, la mise en place de l'application Adage crée une dynamique délétère qui prive des compagnies de théâtre et de spectacle vivant d'interventions qu'elles effectuaient auparavant auprès des élèves, ce qui fragilise le tissu culturel. Ce constat est d'ailleurs partagé par l'ensemble des sénateurs.
M. Jean-Gérard Paumier. - Je tiens à vous alerter, madame la ministre, sur la situation de nombreuses églises qui ne sont ni inscrites ni classées, notamment en milieu rural, et qui nécessitent des travaux urgents et/ou de sécurité. Très attachées à ce patrimoine, les communes éprouvent des difficultés à financer leur entretien. Les Drac, qui peinent déjà à tenir leurs engagements financiers pour les églises classées ou inscrites, ne peuvent pas intervenir. Aussi, je sollicite une intervention de votre part auprès des préfets et des départements. L'échelon départemental semble en effet être le niveau adéquat pour prendre en charge ces travaux. Lorsque j'étais président du département d'Indre-et-Loire, qui possède un patrimoine important, nous avions ainsi, en lien avec le préfet, alloué 200 000 euros à ces travaux urgents, financés à 30 % au travers de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et à 30 % par le département.
La DETR avait produit un effet de levier intéressant en permettant à de petites communes de financer ces travaux urgents, indispensables pour prévenir une dégradation des édifices et des coûts qui s'alourdissent par la suite si la rénovation n'est pas réalisée à temps.
M. Aymeric Durox. - Alors que notre pays s'apprête à accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques, je m'interroge sur l'héritage lié à cet événement. Depuis 2006, il existe un réseau des musées olympiques qui fédère 32 établissements à travers le monde et dont la France ne fait pas partie. Elle compte pourtant des musées dédiés au sport, dont le musée national du sport à Nice et des musées des fédérations, celui du basket par exemple. S'y ajoutent des espaces mémoriaux olympiques installés dans les villes hautes olympiques, à Albertville et Grenoble.
Paris, qui aura accueilli trois fois les JO d'été avec les éditions de 1900, 1924 et bientôt 2024, et vu naître une grande partie du système sportif international, reste dépourvue d'un lieu de valorisation de cet héritage unique.
En 2021, Stéphane Fiévet, alors président de la commission « Histoire » du comité d'organisation des JO de Paris 2024, avait initié un projet de musée olympique dans la gare de Saint-Denis Pleyel, mais l'État comme les collectivités n'ont pas soutenu l'initiative. Le projet n'a pas survécu à la démission de Stéphane Fiévet.
Madame la ministre, la France doit, dans la perspective de sa candidature aux JO d'hiver de 2030, combler son retard et créer un musée olympique qui serait tout à la fois un outil de culture, un lieu de mémoire et une attraction touristique. Un tel espace muséal honorerait la France, berceau de la rénovation de l'olympisme, et repositionnerait notre pays au sein du réseau de la culture olympique.
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Dans le cadre de l'Olympiade culturelle, nous engagerons 4 millions d'euros en 2024 - qui viennent s'ajouter aux 3 millions d'euros déjà alloués en 2023 - pour monter des projets culturels et sportifs sur l'ensemble du territoire. Cette mobilisation inédite des forces vives de la culture et du sport permettra de constituer un héritage important, qui s'appuie déjà sur des spectacles organisés dans des piscines et des gymnases à l'occasion des Journées du patrimoine.
Ces collaborations se poursuivront sur la durée, l'Olympiade culturelle ne se déroulant pas sur quelques mois, mais sur deux ans et demi. La France dispose déjà d'un tissu culturel extrêmement riche et d'un très beau musée à Nice, je ne suis donc pas persuadée qu'il faille créer d'autres établissements.
En revanche, je suis favorable à un resserrement des liens entre la culture et le sport : l'Olympiade culturelle a permis cette collaboration et l'appuiera encore plus dans les prochains mois. Je pense que cette collaboration de long terme entre les deux champs de la culture et du sport, qui partagent de nombreuses valeurs et ambitions, sera un héritage puissant.
Concernant le pass Culture, le rapport de la Cour des comptes n'est pas tant à charge : il revient certes sur les balbutiements de l'outil lors de son lancement par Mme Nyssen, mais souligne sa pertinence en tant que moyen d'accès à la culture, en levant notamment les barrières pour les jeunes. Ces dernières ne sont pas uniquement financières puisqu'il peut s'agir de la connaissance de la librairie du coin ou de l'envie de s'y rendre, sans oublier les dispositifs déployés en termes de médiation, de parcours et de découverte des métiers. Le pass Culture n'est pas à mes yeux un simple outil de consommation de livres ou de places, mais un vecteur d'engagement des jeunes, afin qu'ils deviennent acteurs de notre vie culturelle, en étant, par exemple, reporters dans des festivals.
J'ajoute que 700 actions ont été mises en oeuvre dans le cadre du plan en faveur des métiers d'art, afin que les jeunes les découvrent. Le pass Culture évolue, en se nourrissant des propositions des jeunes eux-mêmes. Nous avons créé un réseau d'ambassadeurs fort de 400 jeunes sur l'ensemble du territoire : ces derniers relaient les actions menées dans le cadre du pass culture, inspirent l'équipe dédiée et contribuent à développer ce dispositif.
Je connais l'engagement de Mme Brossel sur l'enjeu de permettre à chaque jeune d'avoir accès à une expérience d'EAC au cours de sa scolarité. D'ailleurs, malgré les ralentissements entraînés par la crise sanitaire, l'objectif « 100 % EAC à l'école » a été atteint à hauteur de 80 %.
Je précise, en outre, que l'effort de l'État ne se résume pas aux budgets du ministère de la culture dédiés à l'EAC et au pass Culture. Il faut en effet y ajouter les 50 millions d'euros consacrés au pass Culture par le ministère de l'éducation, mais aussi le budget des opérateurs et des structures labellisées par le ministère de la culture, qui mènent des actions tournées vers l'EAC.
Par exemple, le dispositif Démos créé par la Philharmonie de Paris figure au budget de cet établissement et n'apparaît pas dans le budget EAC du ministère. Il en va de même pour l'opération annuelle « C'est mon patrimoine ! », qui permet d'emmener des jeunes notamment issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) à la découverte du patrimoine, ou encore du Musée Mobile (Mumo) du Centre Pompidou, qui fait escale en priorité dans les QPV et les petits villages.
Pour ce qui concerne l'élargissement du pass Culture aux Français de l'étranger, nous travaillons d'arrache-pied à tenir cet engagement, en lien avec le ministère des affaires étrangères. Il est toutefois complexe de mettre en oeuvre cette application dans plusieurs dizaines de pays. Nous nous appuierons sur notre réseau culturel en mobilisant les Instituts français et les Alliances, ainsi que les consulats qui connaissent nos compatriotes vivant dans une situation sociale difficile. Nous tâcherons de mettre au point des propositions impliquant ce réseau, tout comme les librairies francophones, qui jouent un rôle essentiel à l'étranger et que nous soutenons d'ailleurs via le CNL. Nous envisageons dans un premier temps de débloquer le pass Culture dans l'Hexagone lorsque les Français de l'étranger s'y rendent. Plusieurs hypothèses sont envisagées : il pourrait s'agir d'un bon à retirer dans un Institut français ou un consulat, nous continuons à consulter l'ensemble des acteurs afin d'identifier la meilleure solution.
S'agissant des visas, je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle nous aurions suspendu les coopérations. Nous avons été confrontés en août dernier à une situation d'incapacité à travailler avec les pays africains en proie à des troubles, pour des raisons matérielles, mais aussi en raison d'attaques qui ont ciblé les équipes françaises, entraînant une restriction, voire une fermeture de nos services délivrant des visas.
Si vous connaissez des artistes qui seraient encore bloqués en raison d'un problème de visa, n'hésitez pas à m'en faire part directement afin que nous en discutions. Nous avons pu, avec le Quai d'Orsay, trouver des solutions, en délivrant, par exemple, des visas à des basketteuses maliennes qui devaient participer à l'Olympiade culturelle.
Les projets de coopération sont rendus difficiles dans un pays tel que le Niger, dans lequel notre ambassade a fermé. La coopération doit fonctionner dans les deux sens : il est évidemment hors de question de dire que les artistes nigériens ne sont plus les bienvenus en France, terre d'accueil, d'échange et d'ouverture ; mais les artistes français devraient pouvoir se rendre au Niger si une véritable coopération, qui se construit à deux, était de mise. Or, à ce stade, ce n'est pas envisageable au vu des dangers que pourraient encourir des associations culturelles et des artistes qui se rendraient dans des pays dans lesquels la France est directement menacée. L'Institut français de Ouagadougou a été incendié, souvenons-nous-en ! La situation géopolitique est désormais très difficile au Burkina Faso et au Mali, pays avec lesquels nous avons - plus encore qu'avec le Niger - toujours mené des actions de coopération.
Je citerai un dernier exemple pour démontrer que nous continuons à délivrer des visas : nous avons organisé, du 6 au 8 octobre, un grand forum des industries culturelles et créatives africaines à la Gaîté lyrique, au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et au Centre Pompidou, auquel près de 300 artistes venus d'une trentaine de pays ont participé. Cet événement a été l'occasion de porter l'ambition de cette coopération renforcée avec l'Afrique, au coeur de notre politique depuis le discours prononcé par le Président de la République à Ouagadougou. Une ambition que l'on retrouvera d'ailleurs à la Cité internationale de la langue française, qui accueillera en résidence des artistes venant de l'ensemble du monde francophone.
Je le répète, je vous assure qu'il n'existe aucune instruction de suspension ou de refus de visas, mais nous rencontrons simplement des difficultés logistiques face à une situation sécuritaire particulièrement dégradée dans ces pays.
Dans ce contexte, l'audiovisuel extérieur revêt, Madame Morin-Dessailly, une importance absolue. Dans certains pays africains, la milice Wagner et la Russie organisent, financent et mènent une véritable guerre informationnelle. C'est pourquoi nous proposons une hausse de 40 millions d'euros sur cinq ans des crédits alloués à France Médias Monde. Nous devons mieux nous armer face aux campagnes de désinformation et porter la voix de la France, tout en respectant bien sûr l'indépendance des journalistes. Nous continuerons également d'innover en matière numérique, de décliner la stratégie régionalisée et de promouvoir la francophonie dans un monde multilingue.
Je veux vous rassurer sur un point : si la Toce a bien été réinjectée dans le budget général de l'État, l'audiovisuel extérieur bénéficie toujours d'un canal de financement, grâce à la fraction de TVA et au compte de concours financier pour l'audiovisuel public. En tout état de cause, son budget n'est pas en baisse.
En ce qui concerne le spectacle vivant, les structures les plus fragilisées pourront bénéficier de nouvelles aides anti-inflation, 75 millions d'euros étant consacrés, au sein du budget général du ministère de la culture, à la lutte contre l'inflation.
Au-delà, nous souhaitons amorcer une transformation structurelle grâce au plan « Mieux produire et mieux diffuser ». Notre but est, non pas de soutenir moins d'artistes, mais de réduire le rythme des créations. Il s'agit de mieux produire, avec des coproducteurs engagés, et de favoriser des diffusions plus longues. En d'autres termes, nous voulons étaler le même nombre de productions dans la durée, afin de toucher un public plus large et de rationaliser les tournées d'un point de vue écologique.
Nous sommes bien conscients des inégalités qui frappent les écoles d'art et d'architecture. Nous devons concentrer nos efforts sur les écoles les plus fragiles, sans pour autant abandonner les plus dynamiques. Nous avons prévu un phasage en trois ans pour résoudre ces difficultés.
Le calendrier du ministère sera naturellement marqué par celui du Sénat. Pour ma part, j'ai noté la date du 15 novembre ; nous verrons alors si la contribution volontaire atteint des niveaux satisfaisants par rapport à l'objectif qui a été fixé. Le débat reste ouvert à ce stade.
Sylvie Robert a raison : l'année 2024 sera particulière, en raison notamment de la mise à disposition de salles pour les jeux Olympiques. Cela réduira mécaniquement le produit de la taxe billetterie.
En matière de patrimoine, les préfets ont, à l'évidence, un rôle à jouer. J'ai pu le constater dans la Somme, où des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ont été mobilisés à hauteur de 4 millions d'euros en une année seulement pour soutenir près de 100 opérations de restauration d'églises. Avec Gérald Darmanin, nous avons décidé de mobiliser les préfets sur ces crédits, qui peuvent être fléchés également vers des restaurations d'églises non protégées. Naturellement, les églises inscrites ou classées pourront bénéficier des subventions du ministère. Par ailleurs, la collecte nationale de la Fondation du patrimoine est lancée et je vous rappelle que le Loto du patrimoine permet également de soutenir la restauration d'édifices cultuels non protégés.
Je voudrais vous remercier de votre plaidoyer en faveur des Udap, dont le rôle est en effet essentiel. Afin de pourvoir en urgence les postes vacants, nous avons programmé de nouveaux concours. Il est aussi possible, pour épauler nos architectes des Bâtiments de France, de recourir à des architectes contractuels. Parallèlement, nous travaillons au renforcement de l'expertise technique des Udap, au redéploiement d'emplois administratifs vers des emplois scientifiques et techniques ou encore à l'amélioration de la dématérialisation des procédures.
Vous m'avez interrogé sur le FIP. Les propriétaires privés peuvent en bénéficier, mais par propriétaire privé, il ne faut pas entendre nécessairement châtelain richissime ! Le château de Vaux-le-Vicomte, par exemple, a pu bénéficier du FIP. Les critères de sélection sont notamment l'apport du conseil régional - à hauteur de 15 % minimum -, l'intérêt patrimonial du chantier ou encore l'ouverture au public. Il s'agit de s'assurer que le site est bien porteur d'un projet d'attractivité et de développement du territoire.
J'en viens au très beau sujet des usages compatibles. Restaurer les églises au coeur du village ne vise pas seulement à faire tenir les pierres debout, il s'agit aussi de les faire vivre. L'activité cultuelle peut donc être complétée par une activité mixte, lorsque ces activités sont compatibles et qu'elles recueillent l'accord du diocèse. Dans le cadre de sa collecte, la Fondation du patrimoine sera particulièrement attentive à ce critère de sélection. Elle a d'ailleurs lancé un prix, le prix Sésame, qui récompense les initiatives d'usage mixte. Bibliothèque, épicerie solidaire, activités de découverte de métiers d'arts ou encore restauration de vitraux sont autant d'usages nouveaux qui peuvent rendre ces lieux de culte de nouveau attractifs et revitaliser les édifices comme les territoires.
Je précise que 10 % des sommes issues de la collecte seront fléchées vers l'ingénierie, notamment en faveur des plus petites communes, qui connaissent souvent des difficultés pour assurer la maîtrise d'ouvrage.
La Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts a été citée. Je vous invite à la visiter dès son ouverture, prévue le 30 octobre. Vous pourrez y apprécier la qualité de la restauration effectuée, en quatre ans, par le Centre des monuments nationaux. Ce chantier colossal - alors conseillère culture à l'Élysée, j'ai pu voir les lieux, à la fin de 2019, dans un état de délabrement total consécutif à des dizaines d'années d'abandon - a pu être accéléré grâce aux crédits du plan de relance. Nous avons même pu prendre en charge le clos et le couvert d'une partie du château que nous n'avions pas l'intention de restaurer initialement. Cela facilitera l'arrivée de partenaires privés, et notamment l'ouverture d'un hôtel et d'un restaurant à proximité du château.
Le système de péréquation entre les monuments, propre au CMN, permettra de sécuriser financièrement le développement de la Cité internationale de la langue française. Le projet a également bénéficié de l'aide d'autres partenaires, parmi lesquels l'Organisation de la francophonie ou le Québec, dont je salue l'engagement à hauteur de 2 millions d'euros. D'une manière générale, les équipes de Villers-Cotterêts pourront s'appuyer sur les fonctions support et sur la magnifique expertise des agents du CMN.
Enfin, Mme Sylvie Robert a soulevé les questions de la liberté de la presse et de la sécurité des sources. En la matière, nous devons concilier deux exigences constitutionnelles : la préservation de la sécurité nationale d'une part - certains dossiers sont classés secret-défense - et la liberté de la presse, garantie par la loi de 1881, d'autre part.
À cet égard, nous restons particulièrement vigilants. En tant que ministre de la culture, je ne peux que saluer l'engagement des journalistes, parfois au péril de leur vie, pour nous apporter les informations les plus fiables et les plus objectives possible. Les États généraux de l'information permettront de débattre de ces sujets.
M. Adel Ziane. - Qu'en est-il des crédits d'acquisition ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Je vous confirme qu'ils sont stables. Heureusement, nous bénéficions de l'aide de mécènes généreux. Favoriser le mécénat - au travers du dispositif « Trésor national » par exemple - est une autre manière, pour l'État, d'apporter son soutien. Nous avons pu ainsi empêcher le départ à l'étranger du magnifique Caillebotte, La Partie de bateau, actuellement exposé en itinérance au Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Les crédits d'acquisition sont un enjeu important, mais nous avons dû faire des arbitrages et avons privilégié notamment les revalorisations salariales, la lutte contre l'inflation ou encore les travaux pour améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments.
Mme Monique de Marco. - Je voudrais revenir sur le traité franco-allemand et sur la situation d'Arte.
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Vous trouverez à la fin du dossier de presse du ministère le détail, année par année, de la trajectoire financière de l'audiovisuel public, y compris de la chaîne Arte.
J'étais à Hambourg récemment et, avec mon homologue allemande, nous avons réaffirmé nos engagements en faveur d'Arte et de la plateforme européenne multilingue que cette chaîne entend développer.
M. Max Brisson, président. - Je vous remercie, madame la ministre, de vos réponses.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 40.
Mercredi 25 octobre 2023
- Présidence de M. Max Brisson, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Mission d'information relative à l'expertise patrimoniale internationale française - Examen du rapport d'information
M. Max Brisson, président. - Notre ordre du jour appelle tout d'abord l'examen du rapport préparé par nos collègues Catherine Morin-Desailly et Else Joseph consacré à l'expertise patrimoniale internationale française.
Mme Catherine Morin-Desailly, co-rapporteure. - Notre rapport d'information prolonge les travaux conduits par la commission ces dernières années en matière de restitutions des biens culturels. Nos deux collègues, Max Brisson et Pierre Ouzoulias, avaient montré combien notre pays ne peut pas faire l'économie d'un engagement en matière de coopération patrimoniale tant les restitutions n'ont de sens que si elles s'inscrivent dans le cadre de coopérations plus larges.
L'enjeu de l'action à l'international n'est pas seulement de répondre aux sollicitations venues de l'étranger, dans un but, soit économique, soit de solidarité. C'est aussi un enjeu d'influence politique et culturelle, à l'heure d'une montée en puissance des affirmations identitaires sur la scène internationale. Nous avons besoin de défendre et de promouvoir notre vision de la culture, celle de l'universalisme et de son corollaire, le dialogue des cultures.
D'où les questions que nous nous sommes posées : quelle est l'image de l'expertise patrimoniale française à l'étranger ? L'affaire du trafic d'antiquités égyptiennes, dont on a beaucoup parlé depuis 2022, a-t-elle pu entacher durablement sa réputation ? La France est-elle aujourd'hui bien armée pour projeter son expertise à l'international ?
La France dispose d'une expertise d'excellente qualité, qui repose elle-même sur un cadre de formation unique, et ce, sur l'ensemble du champ patrimonial, c'est-à-dire aussi bien en matière d'archéologie, d'architecture, que d'archives, d'artisanat d'art, de musée, de conservation et de valorisation du patrimoine bâti ou de conservation des oeuvres et objets d'art. C'est une vraie chance compte tenu de l'interdisciplinarité croissante des projets menés dans le champ culturel.
Contrairement à beaucoup de pays, la France jouit d'une riche expertise publique grâce aux corps d'État que nous avons mis en place : conservateurs du patrimoine, architectes en chef des monuments historiques, architectes des bâtiments de France, etc.
La reconnaissance de notre expertise à l'étranger est indéniable. La renommée mondiale de certains de nos établissements, mais aussi la première place que nous occupons sur le plan de la fréquentation touristique, n'y sont pas étrangers.
Notre engagement de longue date en matière de coopération patrimoniale - que ce soit avec les missions archéologiques françaises à l'étranger, les coopérations scientifiques entre professionnels des musées, la politique active que nous menons en matière de prêts d'oeuvres, ou encore l'appui qu'apporte notre pays pour la sauvegarde du patrimoine dans les pays frappés par des catastrophes naturelles ou des conflits, je me souviens d'une mission au Mexique sur ce sujet - ont permis d'ancrer solidement notre réputation.
Les succès retentissants que nous avons rencontrés ces dernières années sur le marché naissant, mais en pleine explosion, de l'ingénierie culturelle, avec, en particulier, la coopération mise en place avec les Émirats arabes unis autour du projet du Louvre Abou Dhabi, puis le projet en cours à AlUla avec l'Arabie saoudite, démontrent bien l'attractivité de l'expertise française. Dans les deux cas, ce sont les partenaires étrangers qui sont venus nous chercher, ce qui est d'autant plus remarquable que la péninsule arabique est une aire traditionnellement placée sous influence anglo-saxonne. Sans doute notre capacité à savoir, mieux que nos concurrents, formuler des propositions adaptées aux contextes locaux, constitue-t-elle aussi l'une de nos forces. Quoi qu'il en soit, il s'agit, dans les deux cas, de projets d'importance stratégique majeure pour la France au regard de leurs retombées sur le plan financier et diplomatique, ainsi que pour le rayonnement de notre culture et l'attractivité de notre pays.
Dans ce contexte, on aurait pu craindre que l'affaire du trafic d'antiquités égyptiennes de provenance illicite puisse nous faire beaucoup de tort. Vous vous souvenez sans doute que l'ancien Président du Louvre, Jean-Luc Martinez, avait été mis en cause au printemps 2022, après avoir découvert qu'une stèle portant le nom de Toutankhamon acquise par le Louvre Abou Dhabi en 2016 avait été pillée.
Heureusement, nous avons constaté que cette affaire n'avait pas durablement écorné l'image de la France sur la scène internationale, même si certains concurrents, notamment anglo-saxons, ont essayé de l'instrumentaliser et qu'il en a résulté des frictions assez vives avec l'Égypte - en tant que présidente du groupe d'amitié France-Égypte, j'ai eu à en parler avec les autorités égyptiennes - qui ne sont toujours pas totalement apaisées. Trois éléments ont sans doute joué en notre faveur : d'abord, le rôle joué par la France depuis plusieurs années dans le but d'améliorer la lutte contre le trafic de biens culturels au niveau mondial. Par son ampleur, notre engagement sur ces questions peut difficilement être mis en doute. Ensuite, le caractère international de ce trafic, qui rend délicate la possibilité d'en faire porter la responsabilité à un État en particulier, c'est toute une chaine qui est en cause. Enfin, la réaction immédiate des autorités, comme des musées français, pour tirer toutes les leçons de ce scandale en mettant en place des mesures de sécurisation des acquisitions, dans le but notamment de mieux contrôler la provenance des oeuvres que les musées envisagent d'acquérir. Les recommandations formulées par Marie-Christine Labourdette, Christian Giacomotto et Arnaud Oseredczuk dans le rapport qui leur a été commandé à la suite de cette affaire sont progressivement en train d'être mises en oeuvre par les musées.
Ce rapport souligne que la crédibilité de l'expertise française dépend aussi d'une bonne sécurisation du marché de l'art. Les conservateurs ne sont en effet que le dernier maillon de la chaîne d'acquisition. La responsabilité éthique des professionnels du marché de l'art (les antiquaires, les galeries, les foires, les maisons de vente, les experts) constitue un enjeu très important pour l'image de notre expertise. Nous pensons qu'il serait justifié qu'un travail approfondi soit mené sur ces questions à brève échéance. C'est un sujet que nous n'avons malheureusement pas pu creuser davantage dans le cadre de notre rapport, compte tenu de l'ampleur du sujet que nous avions déjà à traiter. Je rappelle la loi dont j'ai été à l'initiative sur la réforme du Conseil des ventes volontaires, désormais intitulé Conseil des maisons de vente, définitivement adoptée en février 2022 mais qui ne traite qu'une partie des problèmes qui se posent en matière de régulation.
Mme Else Joseph, co-rapporteure. - Nous avons préféré concentrer notre réflexion sur l'enjeu de notre capacité de projection à l'international car nous nous sommes rendu compte que la profonde recomposition géopolitique et géoéconomique à laquelle nous assistons depuis quelques années confère à l'action internationale de la France dans le domaine patrimonial une importance stratégique sans doute jamais atteinte par le passé. C'est vrai d'un point de vue diplomatique, mais aussi économique.
J'en viens au premier enjeu, d'ordre diplomatique. Nous constatons tous, ces dernières années, combien l'influence de la France est, si ce n'est en recul, du moins de plus en plus contestée et fragilisée. C'est particulièrement vrai dans les instances internationales en matière culturelle, à l'instar de l'Unesco, où les pays occidentaux se voient régulièrement reprocher une attitude néocoloniale. Compte tenu du recul de l'usage de la langue française sur la scène internationale, pourquoi ne pas tirer parti de la solide expertise de la France dans le domaine patrimonial pour maintenir notre capacité d'influence ?
L'intérêt du patrimoine en termes diplomatique est double. D'une part, l'expérience montre que des coopérations dans ce domaine restent possibles, même avec des pays avec lesquels les relations politiques seraient tendues ou distendues, parce qu'il s'agit d'un sujet moins sensible. D'autre part, les coopérations patrimoniales sont l'occasion d'instaurer un dialogue, non seulement avec les autorités des pays partenaires, mais également avec la société civile.
L'importance de cet enjeu du point de vue diplomatique emporte deux conséquences.
Premièrement, l'action patrimoniale internationale ne doit plus être considérée comme un enjeu subalterne, ni par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui accorde encore trop la primauté aux éléments du « hard power », ni par le ministère de la culture, focalisé sur les enjeux nationaux de protection et de valorisation du patrimoine. C'est un levier de premier plan à ne pas négliger ou sous-estimer.
Deuxièmement, la France doit parvenir à maintenir un juste équilibre entre les actions de coopération dans le domaine patrimonial et la valorisation de son expertise. Les actions de coopération revêtent une dimension symbolique et politique forte pour les pays partenaires et sont essentielles à notre stratégie d'influence.
L'autre facteur qui plaide pour le renforcement de notre action patrimoniale à l'international est économique. Les questions patrimoniales font l'objet d'un intérêt de plus en plus prononcé de l'ensemble des pays à l'échelle mondiale, d'où une explosion de la demande d'ingénierie de la part des pays émergents - au Proche et au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique en particulier. Ce sont des zones prometteuses pour le déploiement de notre action. De leur côté, nos établissements culturels cherchent les moyens de développer leurs ressources propres dans un contexte de raréfaction des subventions.
La difficulté, c'est qu'il s'agit d'un marché hautement concurrentiel, sur lequel les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Italie ou l'Allemagne sont également bien positionnés. D'autres puissances, comme la Chine, le Japon ou certains pays d'Europe de l'Est, en fonction de leur sphère d'influence, essayent aussi de s'implanter. D'où l'importance de parvenir à promouvoir et valoriser correctement notre expertise pour ne pas laisser passer d'opportunités. D'où notre vigilance, y compris envers des pays amis.
Au regard de ces deux enjeux, diplomatiques et économiques, nous sommes convaincues que la France doit renforcer son action à l'international en matière patrimoniale. Nous constatons cependant que si la France dispose de remarquables atouts à faire valoir, il lui reste des progrès à accomplir pour mieux organiser son offre d'expertise et faciliter son déploiement à l'international.
Il faut reconnaitre que le paysage de l'expertise patrimoniale française est particulièrement dense et complexe. Un grand nombre de protagonistes s'y côtoient puisqu'au-delà des deux ministères concernés au premier chef, interviennent : en tant que pourvoyeurs d'expertise, les opérateurs culturels, les missions archéologiques françaises à l'étranger, et les deux agences dédiées à des projets d'envergure, à savoir l'Agence France-Muséums et l'Agence française pour le développement d'AlUla (Afalula) ; en tant que financeur, l'Agence française de développement (AFD) ; et en tant qu'ensemblier de compétences Expertise France. À quoi s'ajoute l'action internationale menée de manière indépendante par les collectivités territoriales et leurs établissements et le rôle éminent joué par plusieurs bailleurs internationaux, parmi lesquels, en particulier, l'Unesco, l'Union européenne et Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph).
Dans ce contexte, la réussite du déploiement de l'expertise patrimoniale française dépend de la capacité de notre pays à parvenir à répondre de manière commune, coordonnée et stratégique aux besoins exprimés à l'échelle internationale. Malgré la mise en place d'un comité conjoint de pilotage de l'expertise culturelle entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de la culture en 2019 et la création, en 2018 au sein du ministère de la culture, d'une mission en charge de l'expertise culturelle internationale (MECI) rattachée au Secrétariat général, lui-même chargé depuis 2021 de toute la coordination de l'action internationale du ministère, les auditions ont révélé que la coordination sur ce sujet restait encore perfectible. Se pose un problème de lisibilité de notre action, compte tenu des zones d'ombre qui subsistent en matière de répartition des compétences. Nous avons besoin d'une politique cohérente et d'une stratégie plus claire.
Mme Catherine Morin-Desailly, co-rapporteure. - Ces constats nous conduisent à souhaiter, effectivement, la définition d'une stratégie plus claire pour l'ensemble du dispositif, où chacun des acteurs aurait une place mieux identifiée, avec un meilleur suivi de l'action : cela nous paraît même nécessaire pour que la France convertisse ses atouts en une politique d'influence et de rayonnement efficace.
La coordination peut être améliorée à deux niveaux.
D'abord entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de la culture. Leur qualité de tutelle leur confère un rôle déterminant dans la définition commune des priorités géographiques et sectorielles et dans l'information et le contrôle du suivi de ces directives par les opérateurs. Si la mise en place du comité conjoint de pilotage est un pas dans la bonne direction, nous croyons que le pilotage stratégique gagnerait à être conduit directement par les deux ministres - nous avons auditionné Jean-Yves Le Drian à ce sujet -, et plus seulement à l'échelle des directions de l'administration centrale. C'est l'objet de notre première recommandation.
La coordination au sein même du ministère de la culture doit également être améliorée. Nous avons constaté à quel point l'organisation était confuse. Même si le transfert de la responsabilité de la coordination et des équipes en charge de l'action internationale au Secrétariat général se justifie par le caractère transversal des actions culturelles que la France peut mener au niveau international, il est indispensable, dans le cas de l'expertise patrimoniale, que des mécanismes garantissent que la direction générale des patrimoines reste associée à la prise de décision puisque c'est elle qui a la connaissance de l'expertise qui existe au sein de ses établissements et qui gère les liens avec eux. D'où notre deuxième recommandation, qui consiste à instituer un comité de pilotage entre le Secrétariat général et la Direction générale des patrimoines en matière d'expertise patrimoniale.
Au-delà de cet enjeu de coordination, il nous faut aussi gagner en agilité. Les succès rencontrés par l'Aliph - présidée par notre ancienne collègue Bariza Khiari - en termes de rapidité de déploiement démontrent combien l'expertise patrimoniale constitue un domaine dans lequel il convient d'être capable de faire preuve de réactivité et de souplesse. Si nous ne sommes pas favorables à confier au ministère de l'Europe et des affaires étrangères un rôle de chef de file sur les questions d'expertise patrimoniale, car nous pensons que la pleine implication du ministère de la culture au sein du dispositif est indispensable, nous plaidons pour la constitution d'une « task force » commune aux deux ministères autorisée, sur la base des orientations stratégiques définies au plus haut niveau, à apporter une réponse rapide aux demandes présentées à la France par des partenaires étrangers. C'est notre troisième recommandation qui implique, reconnaissons-le, d'étoffer les équipes dédiées de chacune des administrations centrales.
En revanche, après avoir beaucoup réfléchi à ce sujet, nous écartons l'idée d'une agence dédiée à la valorisation du savoir-faire patrimonial français à l'étranger, parfois évoquée pour disposer d'un guichet unique. Sur le plan organisationnel, nous pensons que l'ajout d'un échelon supplémentaire ne ferait qu'aggraver le manque de coordination car les grands établissements culturels continueront à être directement sollicités compte tenu du prestige international dont ils jouissent. Sur le plan budgétaire, nous considérons que l'équilibre financier d'un tel établissement ne serait pas garanti car, reconnaissons-le, les projets de l'ampleur du Louvre Abu Dhabi et d'AlUla ne sont pas si fréquents et leur financement tient grâce au pays d'accueil. Sur le plan stratégique enfin, nous pensons que la création d'une telle structure pourrait brider l'action internationale des établissements culturels, ce qui n'est pas souhaitable.
Autant continuer, par conséquent, à monter des agences dédiées pour chacun des projets de grande envergure. C'est la meilleure garantie d'apporter une réponse adaptée aux demandes du partenaire en rassemblant les compétences qui lui sont nécessaires.
Reste la mise en oeuvre des projets que l'on pourrait qualifier d'intermédiaires, c'est-à-dire ceux qui dépassent le champ de l'expertise patrimoniale stricto sensu parce qu'ils requièrent une assistance à maitrise d'ouvrage ou présentent un enjeu urbanistique ou touristique. Le ministère de la culture, même en s'appuyant sur la MECI, n'a pas la compétence pour gérer de tels projets de son côté. En revanche, ils pourraient être portés par Expertise France - elle travaille déjà sur le nouveau musée d'Abomey, au Bénin, dans le cadre du projet de restitution d'oeuvres - à la condition que le ministère de la culture demeure associé à sa mise en oeuvre et prenne en charge l'organisation du volet patrimonial. C'est la raison pour laquelle nous recommandons qu'une évaluation ex post du projet conduit par Expertise France à Abomey soit réalisée, afin de s'assurer qu'il s'agit bien d'un opérateur pertinent. Il s'agit de notre recommandation n° 4.
Mme Else Joseph, co-rapporteure. - De l'avis de tous nos interlocuteurs, le manque de moyens reste bien souvent le principal frein à davantage d'interventions à l'international dans le domaine patrimonial.
Quels moyens sommes-nous prêts à mettre sur la table au service de cette stratégie d'influence ? C'est un réel enjeu.
Pour notre part, nous sommes d'avis de cibler un certain nombre de priorités budgétaires. Nous avons choisi d'en retenir deux, qui font l'objet de notre recommandation n° 5.
D'abord, les missions archéologiques françaises à l'étranger, parce que la concurrence dans ce domaine est particulièrement féroce et parce nous n'aurions sans doute jamais signé l'accord avec l'Arabie saoudite à AlUla si une mission archéologique française n'était pas arrivé sur place dix ans avant. C'est le signe du caractère stratégique de cet instrument.
L'autre priorité stratégique à nos yeux, c'est la coopération en matière de formation. C'est une attente forte de nos partenaires et nous sommes convaincues que nous avons tout à y gagner, car c'est un moyen de créer un réseau de professionnels proches de la France et sensibles à ses approches, susceptibles à l'avenir de faire appel à ses services lorsqu'ils seront en fonction.
Face à la raréfaction des moyens budgétaires, nous sommes convaincues que la France aurait intérêt à inscrire davantage son action internationale dans le cadre des actions financées par les bailleurs internationaux, comme l'Unesco, l'Union européenne ou l'Aliph. Nous contribuons déjà financièrement au fonctionnement de ces institutions et, même si notre stratégie d'influence pourrait s'en trouver légèrement diluée, nous pouvons espérer de notre participation à leurs missions des retombées à la fois directes et indirectes. D'où notre recommandation n° 6.
Se pose également une problématique de ressources humaines. Nous entendons suffisamment régulièrement le ministère et les opérateurs au sein de cette commission pour savoir combien les effectifs leur font défaut. Tous les opérateurs que nous avons entendus ont reconnu que c'était le principal obstacle pour répondre favorablement aux demandes qui leur étaient adressés. Interrogeons-nous sur le niveau de nos ambitions et, en fonction, accordons, ne serait-ce qu'aux établissements les plus stratégiques, les moyens de développer une action internationale plus forte : c'est notre septième recommandation.
J'en viens à l'enjeu d'organiser un dispositif de prospection efficace pour ne pas passer à côté d'éventuelles opportunités. Ce rôle parait pouvoir le mieux être exercé par les services de coopération et d'action culturelle des ambassades, présents sur le terrain, la plupart des établissements culturels ne disposant pas des ressources humaines pour conduire une mission de veille performante. Quoi qu'il en soit, il nous semble urgent de mettre en place une stratégie de prospection, en définissant les zones stratégiques d'un point de vue géographique et politique, et dans lesquelles nos services devront, non seulement se mettre en alerte, mais aussi se montrer forces de proposition. C'est notre recommandation n° 8.
Même si les établissements culturels manquent de moyens, nous pensons qu'ils pourraient indirectement participer à cette mission de prospection en encourageant leurs agents à participer aux différents réseaux internationaux dans leurs domaines de compétences. Les Français y sont traditionnellement peu présents, cette culture des réseaux étant beaucoup plus anglo-saxonne. Nous croyons qu'il y a pourtant beaucoup à gagner à être mieux identifié à l'échelle internationale et c'est pourquoi nous suggérons, par notre recommandation n° 9, la mise en place de décharges « horaires » ou une meilleure valorisation dans les parcours de carrière des activités au sein des réseaux internationaux.
Notre dernier axe de réflexion concerne les modalités d'amélioration de la promotion de l'expertise française.
Cette promotion bute aujourd'hui sur une connaissance encore trop lacunaire, à la fois des actions menées par les établissements au niveau international, et de l'offre précise d'expertise que les différents établissements ont à proposer au niveau international. Les interlocuteurs privilégiés du ministère de la culture sur ces sujets se limitent encore trop souvent à quelques grands opérateurs nationaux.
Or, l'expertise patrimoniale française n'est pas l'apanage de ces seuls établissements. L'expertise des musées relevant de collectivités territoriales ou la compétence d'entreprises privées contribuent, elles aussi, à la bonne image de la France à l'étranger.
Par ailleurs, notre offre d'expertise ne se limite pas au seul champ des musées et de la restauration du patrimoine. Il pourrait être opportun de susciter des besoins dans d'autres domaines d'expertise, comme par exemple, en matière d'archéologie préventive, qui reste un secteur encore peu développé dans beaucoup de pays émergents.
En 2019, la Cour des comptes avait recommandé la mise en place d'un réseau numérique partagé autour de l'expertise culturelle, ouvert à l'ensemble des opérateurs nationaux et territoriaux, afin de recenser l'offre d'expertise disponible et de partager les bonnes pratiques et les ressources méthodologiques. Cette recommandation n'a jamais été suivie d'effet.
Afin d'avoir une vue plus complète de la diversité de l'action de la France à l'international, mais aussi de se constituer un vivier de professionnels pour répondre le plus efficacement et le plus rapidement possible aux demandes étrangères, nous croyons indispensable que soit réalisé, chaque année, un suivi des demandes, des actions et des offres d'expertise patrimoniale auprès de l'ensemble des établissements nationaux et territoriaux intervenant dans le champ patrimonial. C'est notre recommandation n° 10.
Nous pensons aussi qu'il serait utile de disposer d'une plaquette de présentation de l'éventail des savoir-faire français, qui mettrait en avant certaines de ses réalisations majeures dans les différentes disciplines entrant dans le champ patrimonial, et listerait la manière dont la France peut accompagner les partenaires étrangers dans leurs désirs de réalisation en matière patrimoniale. Ce catalogue, qui fait l'objet de notre recommandation n° 11, et que nous proposons d'intituler « Patrimoine France », avec pour sous-titre « Vous accompagner sur le chemin de vos racines », aurait vocation à être diffusé par tous les acteurs chargés de la promotion de l'expertise française : les ambassades, l'AFD, Expertise France, Business France, Atout France, les instituts français, etc.
Il est temps de saisir toutes les opportunités de valoriser notre expertise à l'étranger. C'est pourquoi nous suggérons, pour finir, d'utiliser la visibilité internationale du chantier de Notre-Dame, hors norme par son ampleur et la diversité des savoir-faire qui y ont collaboré, pour communiquer autour de l'expertise unique au monde qu'y a acquise la France, ou encore, de confier au soin du Mobilier national la décoration d'un certain nombre d'ambassades symboliques ou stratégiques pour promouvoir le savoir-faire français en termes d'artisanat d'art et de design. Même si cette dernière opération nécessiterait sans doute un certain budget, nous sommes convaincues que des mécènes seraient prêts à y concourir.
Au terme de nos travaux, voici les différentes recommandations que nous souhaitions soumettre à votre approbation. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre et répondre à l'ensemble de vos interrogations.
M. Max Brisson, président. - J'ouvre la discussion générale sur les conclusions de cette mission, en donnant la parole prioritairement à un intervenant par groupe.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci Mesdames les rapporteures, pour ce rapport de grande qualité sur une matière complexe et qui n'a pas suffisamment été prise en compte par les gouvernements successifs, alors que la culture n'est pas seulement un supplément d'âme, elle est devenue un outil pour convaincre dans les relations internationales. Jean-Yves Le Drian vous a dit que la culture ne relève pas du pouvoir « doux » mais bien du pouvoir « dur » - chacun est libre de rétablir l'anglais... -, elle devient fondamentale dans la diplomatie d'influence. L'exemple de l'Arabie Saoudite le montre bien, puisque c'est la présence ancienne d'archéologues français, dotés pourtant de petits moyens, qui a ouvert les portes d'instances où l'on négocie aujourd'hui... jusqu'à la vente d'avions Rafale : c'est un raccourci, pour montrer que la stratégie d'influence peut rapporter beaucoup.
La maîtrise du récit national, ensuite, est devenue déterminante pour les États non libéraux. On le voit dans le conflit du Haut-Karabakh, où la fin de la République d'Artsakh et la fuite de 120 000 habitants vont être, malheureusement, suivies par la destruction du patrimoine arménien par les Azéris. L'Unesco n'intervient pas, parce qu'elle est bloquée par des conflits internes, la France est relativement discrète, alors que cette destruction systématique d'une culture est constitutive d'un crime contre l'humanité.
Vos propositions sont justes, et pour avoir participé à plusieurs des auditions, je confirme le manque de coordination et de cohérence des initiatives françaises. Sur le terrain, les ambassades nous disent ne pas comprendre les formes d'intervention des ministères en matière culturelle, ils nous disent manquer d'une sorte de catalogue de ressources qu'ils pourraient mobiliser en matière culturelle - et l'on voit des agents se mobiliser ici et là sans cohérence, pour faire souvent de très bonnes choses mais sans assez de moyens et parfois même sur leur temps libre et sans reconnaissance. Ce n'est pas admissible !
Vos recommandations vont donc dans le bon sens, pour plus de coordination et de cohérence de l'offre française en matière patrimoniale, ceci pour répondre à une demande importante qui nous est adressée et à laquelle nous ne répondons pas suffisamment.
M. Adel Ziane. - Je regrette d'être arrivé trop récemment au Sénat pour avoir pu participer à vos travaux, puisque j'ai passé quatre ans au ministère des affaires étrangères sur la coopération et le développement au Proche-Orient, et douze ans au Louvre à m'occuper de la coopération internationale et en particulier des relations extérieures du Louvre Abu-Dhabi...
Le désir de France sur les questions patrimoniales est très fort, il progresse à mesure que nos pays partenaires veulent davantage valoriser leur patrimoine. Au ministère des affaires étrangères, j'ai assisté à la création d'un service du Patrimoine, qui est devenu le point d'entrée pour les pays partenaires intéressés par la valorisation et la préservation du patrimoine. On a constaté ces dernières années des demandes de plus en plus tournées non pas principalement vers le patrimoine comme héritage, mais, à l'anglo-saxonne, comme levier pour l'activité touristique. De ce fait, les demandes mêlent à la fois des questions culturelles et des enjeux économiques.
Or, dans la compétition internationale exacerbée qui a cours, la France dispose d'un avantage compétitif grâce à notre réseau international puissant, et je vous rejoins pour dire qu'il faut le préserver. C'est ce que j'ai vu en travaillant au Louvre, nous avons des relations de travail continues avec bien des pays du pourtour méditerranéen, du Proche et du Moyen Orient, nous savons construire des relations culturelles avec des pays où la situation est compliquée. Je l'ai vu en Iran, où une exposition organisée par le Louvre à Téhéran avait rencontré un grand succès, ce qui avait été l'occasion de nouer bien des relations, même si le pays s'est refermé après. Les liens culturels sont une ouverture pour les habitants et c'est un vecteur de dialogue là où les liens politiques se sont distendus.
Parmi vos recommandations, je crois que la coordination entre les deux ministères des affaires étrangères et de la culture, est le point décisif. Des pays comme le Japon, l'Allemagne ou l'Italie peuvent répondre très vite à des demandes de pays tiers, nous devons améliorer notre organisation, votre recommandation n° 2 d'un comité de pilotage entre le secrétaire général et la direction du patrimoine est essentielle ; je crois qu'il faut regarder aussi au sein même du ministère de la culture, du côté des relations entre la mission d'expertise culturelle internationale et la direction générale des patrimoines.
Je souscris également au propos de Pierre Ouzoulias : les missions archéologiques établissent des liens sur le temps long, il faut les soutenir davantage.
Votre recommandation n° 7 est également très importante, il faut étoffer les équipes des établissements culturels qu'on estime stratégiques et encourager leurs agents à mieux participer aux réseaux internationaux dans leur domaine de compétence. Ces établissements ont des agents très compétents qui sont décisifs pour répondre à la demande des pays partenaires, mais à condition qu'on leur assure des décharges horaires suffisantes et que cette participation à l'international soit bien valorisée dans leur carrière. Il y a encore trop de freins administratifs et organisationnels, qui rendent difficiles des missions suffisamment longues à l'étranger, cela compromet bien des projets.
Ensuite, si le nombre de nos opérateurs et de nos agences montre bien la richesse de notre expertise, si notre pays peut se féliciter que certaines de ses initiatives comme l'Aliph aient rencontré le succès, il faut voir aussi qu'il nous arrive de perdre de l'expertise quand des personnels de haut niveau, après avoir été formés et avoir commencé leur carrière en France, vont travailler dans des institutions étrangères ou à l'étranger, on l'a vu avec le Louvre Abu Dhabi.
Dernier point, il faut réaffirmer le rôle d'ensemblier des ambassadeurs, de leurs services culturels et des Instituts français. Ce sont les coordinateurs de première ligne qui sont en lien avec les pays et les porteurs de projets.
Mme Sabine Drexler. - Merci pour ce rapport très intéressant. On vient nous chercher, c'est le signe du rayonnement de notre culture et de nos savoir-faire dans le domaine patrimonial. Le marché est très concurrentiel, d'où l'importance de promouvoir plus encore notre expertise pour renforcer son action à l'international. J'ai auditionné l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) dans le cadre de mon rapport budgétaire. Cet institut dispose d'une grande expertise et il est volontaire pour travailler à l'international. À votre avis, ne pourrions-nous pas, au Sénat, contrôler plus régulièrement la manière dont est assurée le suivi des offres d'expertise et la façon dont le Gouvernement se mobilise pour y répondre en interministériel ?
Mme Sonia de La Provôté. - Je félicite nos rapporteures pour la qualité de leur travail, sur un sujet que nous éludons trop de nos interventions, alors que l'enjeu, il est grand temps de s'en rendre compte, a toute son importance pour notre diplomatie. Quand les pays s'intéressent de plus en plus à leur histoire et que les questions identitaires prennent plus de place, l'expertise patrimoniale prend davantage de valeur, parce que c'est un outil d'écriture et de réécriture de l'histoire. Or l'éthique de nos chercheurs et experts, leur rigueur scientifique, sont le gage d'une meilleure interprétation de l'histoire. Je crois que nous devons mettre en avant ces qualités, elles sont essentielles quand on donne des conseils, quand on accompagne la construction du récit national. Et il y a aussi un enjeu plus large : l'approche scientifique facilite les ponts civilisationnels, des convergences qu'on recherche en diplomatie positive. C'est une dimension éthique qui me parait très importante et je vous félicite d'avoir mis en valeur ce rôle éthique de l'expertise.
La veille et la protection des patrimoines dans les zones de conflits est aussi un sujet de préoccupation. On a vu disparaitre des trésors du patrimoine de l'humanité. L'Unesco n'est pas partout un outil adéquat pour leur protection - la France a un rôle à jouer, on l'a vu encore récemment en Syrie.
Quelques questions, qui seront aussi des points d'appui d'une réflexion. D'abord sur la coordination et sur la stratégie : quelles sont nos priorités en matière d'archéologie, en matière d'expertise patrimoniale ? On ne les voit pas, la stratégie n'est pas visible - alors que c'est nécessaire pour coordonner notre action. Ensuite notre réseau d'ambassades : c'est une force, mais ne l'affaiblit-on pas avec la réforme du statut en cours ? Comment préserver tout ce qui fait levier du « soft power » ? Enfin, quelle place pour le mécénat - considérant que l'histoire s'écrit par des professionnels de l'archéologie, de l'histoire, et pas par des mécènes ?
Enfin, je crois que l'expertise patrimoniale française est irremplaçable, elle a toute sa place et que nous ne devons pas céder aux sirènes de l'idéologie anglo-saxonne, qui a tendance à envahir notre débat public.
Mme Monique de Marco. - Je savais le sujet complexe mais je ne me doutais pas qu'il l'était à ce point. Votre rapport le rend plus clair, c'est très précieux. Vous constatez le manque d'agilité de notre dispositif d'ensemble et je vous rejoins parfaitement quand vous repoussez l'idée d'ajouter une strate supplémentaire.
J'aimerais une précision sur la recommandation n° 11 : est-ce que les ambassadeurs ne disposent pas déjà d'un guide des ressources disponibles, puisqu'ils sont la vitrine de notre expertise patrimoniale ? J'avoue que cela me surprend...
Mme Else Joseph, co-rapporteure. - Merci pour vos remarques. Le patrimoine et la culture sont un levier important de l'influence française, c'est un constat prégnant. Il y a un désir de s'adresser à la France pour l'expertise patrimoniale. Nous devrons suivre ce qui advient de nos recommandations, l'enjeu est bien de développer ce qui est un atout culturel pour notre pays.
Mme Catherine Morin-Desailly, co-rapporteure. - Merci pour vos remarques, elles confirment notre diagnostic. Quand nous nous déplaçons à l'étranger, nous voyons combien le désir de France est vivant, on nous sollicite pour des coopérations, pour de la formation - et nous avons un devoir de répondre à cet appel touchant. C'est aussi pourquoi il faut une stratégie, parce que nous parlons bien ici d'un pouvoir « dur » et non pas d'un pouvoir « doux ». Jean-Yves Le Drian a insisté sur ce point, de même qu'il nous a confirmé la coordination insuffisante entre le ministère des affaires étrangères et le ministère de la culture. Il faut s'emparer du sujet, nous le faisons avec nos propositions. L'appellation « Patrimoine France » pourrait être une bannière autour de laquelle rassembler, ou à tout le moins recenser tous ceux qui, dans les deux ministères, contribuent à l'action et à l'expertise patrimoniale, c'est le sens de notre proposition n° 11, un tel répertoire aidera notre action à l'étranger.
Le rôle des ambassades est primordial. La compétence « patrimoine » n'entre pas dans le champ des Instituts français, mais ils pourraient relayer des demandes, sous la responsabilité des ambassadeurs. La diplomatie est un métier, la réforme du statut des ambassadeurs a fait grand bruit à juste titre.
S'agissant de la protection du patrimoine dans les zones de conflits, l'Aliph joue un rôle formidable par sa souplesse et son agilité, notre rapport s'en fait le relais. Le Sénat a débattu de la situation en Arménie, nous nous y sommes déjà rendus et nous savons combien le patrimoine arménien est menacé dans le Haut-Karabakh. Bariza Khiari, vice-présidente de l'Aliph, nous l'a confirmé : les inscriptions chrétiennes sont effacées, trois mille ans d'histoire sont niés - et lorsque nous nous étions rendus sur place avec Bruno Retailleau, nous avions constaté combien l'OEuvre d'Orient jouait un rôle important, en lien avec l'Aliph, ces deux organisations tâchent d'intervenir pour préserver le patrimoine, il faut continuer de les soutenir.
Les démarches identitaires et la recherche des racines historiques, nous les constatons aussi dans les demandes de restitution. À nous de faire évoluer nos modes de coopération - nous avons interrogé le groupe francophone de l'Unesco à ce sujet. On voit qu'il y a un débat et qu'on prête à la France une capacité d'agir, je crois que nous devons réaffirmer ici l'importance des coopérations.
Mme Annick Girardin. - Vous constatez que la France est présente et mal organisée et vous proposez, à raison, d'améliorer la coordination stratégique pour gagner en agilité. C'est pour moi bien triste de constater que tout ce qui avait été mis en place il y a quelques années pour cette coordination semble avoir fait long feu... Parce qu'il faut se rappeler qu'Expertise France a été créé pour regrouper les moyens d'expertise internationale de chaque ministère, pour bâtir une expertise globale. C'est apparemment un échec, puisque les ministères ont reconstitué leurs moyens en propre - c'est bien connu, dans l'administration française, on n'aime pas se faire déposséder d'une compétence... Nous avions l'exemple allemand, où l'équivalent de l'AFD globalise l'action de développement et d'expertise à l'étranger, nous avons maintenu l'AFD comme banque, principalement, en lui accolant Expertise France. On voit que ce n'est pas la même chose et je crois qu'on n'arrivera pas à globaliser tant qu'on ne réformera pas l'AFD.
Il faut voir, aussi, comment l'action de l'Union européenne peut entrer en concurrence avec celle des États. C'est un sujet sur lequel il faut monter au créneau à l'échelon européen. Même chose pour l'articulation entre les agences, qui ont plus de moyens que les ministères, lesquels sont en charge de la stratégie : il faut mieux organiser les choses, bien expliciter la stratégie pour avancer.
En tous les cas bravo pour ce travail, j'espère que nous pourrons continuer sur ces sujets.
Mme Catherine Morin-Desailly, co-rapporteure. - Oui, une réforme de l'AFD est nécessaire. Les agences ont certes des moyens, mais c'est bien nous qui les votons - et nous demandons d'aller plus loin, en instaurant une coordination co-pilotée par les deux ministres. Il faut qu'ils s'emparent davantage du sujet. Hier en audition, la ministre de la culture n'a pas mentionné l'action culturelle extérieure dans sa présentation liminaire, alors qu'elle s'est déjà beaucoup déplacée à l'étranger. Je trouve que c'est symptomatique.
M. Jean-Gérard Paumier. - La restitution des oeuvres d'art sera l'un des grands enjeux du siècle. Au moment où l'influence de la France marque le pas en Afrique, la restitution de biens culturels de notre pays aux pays africains pourrait être une opportunité de regain d'influence. Le Sénat a voté une proposition de loi le 10 juillet 2022 pour demander un cadre et des mécanismes de contrôle pour ces décisions de restitution. Où en est-on, en particulier de la proposition d'un conseil national de réflexion de la circulation et le retour de biens culturels extra-européens ?
M. Max Brisson, président. - Vaste sujet...
Mme Catherine Morin-Desailly, co-rapporteure. - Notre commission s'est emparée du sujet depuis une dizaine d'années et nous avons été à l'initiative de textes, après un long travail d'évaluation. Un texte a été voté avant l'été, sur la restitution des biens spoliés aux Juifs ; un texte est dans la navette, il porte sur la restitution de restes humains, nous en avons été à l'initiative avec Max Brisson et Pierre Ouzoulias ; et un troisième texte, qui ne devrait pas intervenir avant l'année 2024, porte sur la restitution des biens culturels appartenant à nos collections publiques en général. C'est dans le cadre de ce texte que se pose l'enjeu d'un avis d'un conseil scientifique indépendant, permettant d'assurer une réelle transparence sur ce processus. C'était l'objet du conseil national de réflexion que vous évoquez et que nous avions inscrit dans une proposition de loi que nous avions précédemment déposée, mais dont la discussion n'a pas été poursuivie à l'Assemblée natioanle. Ce conseil national est donc en pointillé, nous aurons l'occasion d'en reparler, car nous le gardons à l'esprit.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
Proposition de loi visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive et proposition de loi visant à lutter contre l'écriture inclusive et protéger la langue française - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Max Brisson, président. - Nous examinons le rapport de notre collègue Cédric Vial sur la proposition de loi de Pascale Gruny visant à interdire l'usage de l'écriture inclusive.
À la demande du groupe Les Républicains, nous discutons ce texte conjointement avec celui d'Etienne Blanc visant à lutter contre l'écriture inclusive et protéger la langue française. L'examen du texte de la commission en séance plénière est programmé lundi prochain, le 30 octobre, à 21 h 30.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Nous allons parler de notre langue, de son usage, de sa compréhension et de son évolution. Si j'évoque la langue, c'est que celle-ci ne peut être résumée à sa forme écrite, qui a toujours vocation à pouvoir être exprimée à l'oral. Nous célèbrerons l'an prochain les 30 ans de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon, qui avait trois objectifs : l'enrichissement de notre langue, l'obligation de l'utiliser dans certaines situations et la défense du français comme langue de la République, selon l'article 2 de notre Constitution. La loi Toubon avait été l'occasion d'un débat important et utile dans notre pays, sur le français et sa place dans l'identité française.
Or, la langue française est fragilisée par le triomphe de l'anglais et du franglais, la baisse du niveau des élèves, le recul de l'apprentissage du français dans le monde. La Cité internationale de la langue française, qui sera inaugurée le jour de l'examen de ce texte en séance publique - quelle coïncidence ! - sera-t-elle, demain, le musée d'une langue morte ? L'écriture dite inclusive pose une question supplémentaire : faudra-t-il bientôt considérer la littérature française des siècles passés comme dépassée, car reflet d'une époque intrinsèquement sexiste ?
Il n'y a pas d'académie pour définir ce qu'est l'écriture dite inclusive, mais une série de pratiques. L'analyse de ce qu'on appelle l'écriture « inclusive » comprend plusieurs niveaux. Il y a d'abord la féminisation des noms de métiers et fonctions, acceptée aujourd'hui par tous, y compris, depuis 2019, par l'Académie française. Il y a, ensuite, l'utilisation de termes épicènes, identiques au féminin et au masculin - par exemple « les parlementaires » -, évidemment conformes à la langue française. Il y a la « double flexion », par exemple « les sénatrices et les sénateurs », qui est également assez largement admise et souvent utilisée dans le cadre d'offres d'emploi, par exemple.
Puis il y a l'utilisation du point médian, ou bien de tout autre signe de ponctuation, pour raccourcir la double flexion : on écrira alors « les sénateur.rices » ou bien encore « les sénateur.rice.s » - c'est cet usage qui défraie la chronique et sort de l'usage conforme de la langue française. Enfin, les formes neutres, non binaires - par exemple « iel » -se développent rapidement.
La double flexion et le point médian sont largement répandus, notamment dans la sphère publique : de nombreuses collectivités, des institutions les emploient et ils sont particulièrement utilisés dans le monde universitaire. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), organisme placé auprès du Premier ministre, en recommande l'usage. Alors que le Sénat laisse le choix de féminiser ou non le mot « sénateur », le HCE recommande par exemple d'éviter « Madame le sénateur », ainsi d'ailleurs que « Madame le maire » et de leur préférer « Madame la sénatrice » et « Madame la maire ». Cet organisme a publié un guide pratique qui fait référence dans la sphère publique. Il recommande, et tend donc à diffuser, l'usage du point médian.
À l'université, l'écriture dite inclusive est très couramment répandue. C'est le lieu de toutes les expérimentations, comme le montre ce sujet d'examen en écriture non binaire, donné récemment à l'université Lyon 2 : « Arti est une personne non binaire, en mariage depuis 2018 avec une autre personne non binaire, Maki. Touz* deux sont de nationalité allemande (...). Als* vivent en France (...) Les professionnaels* de santé ont accepté de les prendre en charge médicalement (...) En juillet 2022, lors de la naissance de leur enfant, appelae* Pris (prononcez « prisse »), Maki, qui avait accouché, a été reconnux* à l'état civil comme « mère » (...) ».
Une telle écriture non binaire, au départ réservée à des cercles militants, gagne du terrain, étant désormais très en usage outre-Atlantique, avec l'utilisation du pronom « they » en lieu et place des pronoms genrés. L'écriture dite inclusive me semble poser plusieurs problèmes. D'abord, elle ne répond pas à une demande de la population, ni à une évolution spontanée du langage oral. Sur le site internet du « projet Voltaire », un outil d'entraînement en orthographe, il n'y a d'ailleurs quasiment pas de demandes sur l'écriture dite inclusive. En réalité, cette écriture dite inclusive est recommandée par des militants. Nous en avons rencontré et leur propos est cohérent puisqu'ils considèrent mener un « combat » pour féminiser des termes de notre langue, et rendre ainsi visibles les différents genres. Qui dit « combat », dit « combattants » et « combattus » - ce qui revient à dire que la langue n'est plus neutre, mais qu'elle exprime par elle-même l'opinion du locuteur.
Ensuite, l'écriture dite inclusive menace l'intelligibilité et l'accessibilité des textes. Cette écriture se dit inclusive, mais elle est en réalité plutôt excluante pour la population illettrée ou analphabète, mais aussi pour les « dys », en particulier les dyslexiques, et pour les malvoyants - tous ceux qui ont du mal à lire et dont les difficultés sont renforcées par cette écriture, ce qui pose le problème de l'accessibilité aux informations. Nous ne parlons pas ici de combat idéologique, mais bien de difficultés pratiques, pour des millions de nos compatriotes qui ont déjà du mal avec l'usage de l'écrit.
Or, l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi sont, pour le Conseil constitutionnel, des objectifs de valeur constitutionnelle. Comme exercice, je vous propose de lire les articles 8 et 13 de la Constitution en écriture dite inclusive. L'article 8 : « La.Le Président.e de la République nomme la.le Premier.e ministre. Elle.Il (Iel ?) met fin à ses fonctions sur la présentation par celle.celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition de la.du Premier.e ministre, elle.il (iel ?) nomme les autres membres du Gouvernement... ». L'article 13 : « Les conseiller.e.s d'État, la.le grand.e chancelier.e de la Légion d'honneur, les ambassadeur.rice·s et envoyé.e.s extraordinaires, les conseiller.e.s maître.sse.s à la Cour des comptes, les préfet.e.s, les représentant.e.s de l'État dans les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 et en Nouvelle-Calédonie, les officier.e.s généraux.ales, les recteur.rice.s des académies, les directeur.rice.s des administrations centrales sont nommé.e.s en conseil des ministres. »
Le moins que l'on puisse dire est que le résultat n'est pas très intelligible...
L'exigence d'intelligibilité vaut aussi pour l'accessibilité aux services publics. Or, l'écriture dite inclusive va à l'encontre de toutes les démarches de simplification administrative, notamment la démarche « facile à lire et à comprendre » (FALC), qui vise à favoriser la compréhension des textes par tous.
Nous examinons donc deux propositions de loi bienvenues, déposées respectivement par nos collègues Etienne Blanc et Pascale Gruny. Le texte de Pascale Gruny, qui est celui inscrit à l'ordre du jour, reprend la définition de l'écriture dite inclusive donnée en 2017 par une circulaire du Premier ministre Édouard Philippe : « Les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine ».
Le texte proposé s'inscrit dans un cadre juridique déjà existant, fixé notamment par la loi Toubon qui avait fait l'objet, après son adoption, d'une décision du Conseil constitutionnel. Partout où l'anglais est interdit, selon les modalités validées par le Conseil constitutionnel, l'écriture dite inclusive le sera aussi. Dans certains cas, d'ailleurs, le langage dit inclusif s'éloigne tellement du français qu'on peut se demander s'il s'agit encore de français.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 1994, nous laisse une marge de manoeuvre : « S'agissant du contenu de la langue, il était également loisible [au législateur] de prescrire, ainsi qu'il l'a fait, aux personnes morales de droit public comme aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public l'usage obligatoire d'une terminologie officielle ». Le champ de la loi est donc précis, c'est l'avantage de s'appuyer sur la loi Toubon.
Je vous proposerai trois modifications au texte de cette proposition de loi. D'abord, pour limiter les innovations d'ordre grammatical qui dénaturent la langue et sont inintelligibles - je pense en particulier aux pronoms dits neutres, tels que « iel » (pour « il », « elle », « il ou elle »), ou « celleux » (pour « ceux » ou « celles et ceux »).
Je vous proposerai, ensuite, d'étendre l'interdiction aux publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d'une mission de service public. Ceci car ces publications sont essentielles pour l'information du public et dans les relations entre le service public et ses usagers.
Enfin, je vous proposerai la nullité de plein droit de tout acte juridique non conforme : c'est la sanction que prévoit la proposition de loi d'Étienne Blanc.
Je vous proposerai également, enfin, de modifier l'intitulé du texte, pour mettre l'accent sur la protection de la langue française.
M. Max Brisson, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteur à nous présenter le périmètre du texte de la commission.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Je vous propose le périmètre suivant pour l'application des irrecevabilités prévues par l'article 45 de la Constitution : la définition de l'écriture dite inclusive ; son usage dans les actes juridiques et documents rédigés en français ; les conditions d'application, d'entrée en vigueur et de sanction du dispositif.
M. Yan Chantrel. - Il est consternant de devoir consacrer du temps parlementaire à une querelle aussi picrocholine, alors que nos compatriotes vivent une crise du pouvoir d'achat inédite et que la guerre sévit aux portes de l'Europe. Des sujets bien plus importants, relatifs à l'éducation nationale et à l'enseignement supérieur, mériteraient toute notre attention dans.
Ce texte pose plusieurs problèmes de fond et de forme.
Sur le fond, cette proposition de loi est rétrograde et réactionnaire, elle exprime aussi une position très minoritaire dans notre pays. La féminisation des noms de métiers, - que refuse pour elle-même Mme le sénateur Gruny -, et la visibilisation des femmes dans la langue, sont largement sollicitées par les Françaises et les Français. Tous les travaux scientifiques de psycholinguistes depuis 30 ans démontrent que l'usage du masculin générique n'a rien de neutre et qu'il « active immanquablement » des représentations masculines dans notre cerveau.
En réalité, ce texte s'inscrit dans un courant conservateur venu de loin et qui comprend tous ceux et toutes celles qui ont combattu la féminisation des noms de métiers. C'est l'égalité femmes-hommes qui est la vraie cible de votre texte. Il s'attaque au principe d'égalité, et notamment à la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les hommes et les femmes, qui implique l'obligation de prendre en compte cette égalité dans toutes les politiques publiques et notamment les politiques de communication ou de légistique, c'est-à-dire l'écriture des textes juridiques.
Sur la forme, ensuite, on peut avoir un débat sur l'usage du point médian, mais l'écriture inclusive est définie de façon trop large ici et s'attaque à des pratiques rédactionnelles bien admises. L'ensemble des ponctuations médianes et donc aussi les parenthèses qu'on trouve sur les cartes d'identité - par exemple « né(e) le » - ou les formulaires administratifs comme la feuille d'impôts - « Marié(e)s », ou « Divorcé(e)/séparé(e) », ou encore « Veuf(ve) ». Vous interdisez aussi les doubles flexions, c'est-à-dire la juxtaposition d'une forme masculine et d'une forme féminine, qu'on retrouve par exemple à l'article L2 du code électoral : « Sont électeurs les Françaises et Français âgés de dix-huit ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n'étant dans aucun cas d'incapacité prévu par la loi. ». Dans votre propre texte, vous écrivez, dès la première page : « Sénateurs et Sénatrices » ou encore, à la page 3 : « Mesdames, Messieurs, ». Vous noterez, au passage, que votre texte regorge de termes épicènes : « francophones », « élèves », « jeunes » par exemple.
Autre problème de forme : il n'y a pas lieu de légiférer sur une variante du français. Comme l'a rappelé Jacques Toubon lui-même, le rôle du législateur n'est pas de prescrire ce qui est du bon ou du mauvais français. Ce serait aussi ridicule que de faire une loi pour interdire l'argot, les variantes régionales, ou le verlan dans les textes administratifs.
En réalité, cette proposition de loi fait l'inverse de ce qu'elle préconise, en imposant une norme, alors même qu'aucun texte ni aucune autorité n'oblige à l'usage de l'écriture inclusive.
D'un point de vue juridique, il semblerait que cette proposition soit inconstitutionnelle, en ce qu'elle porte atteinte au principe de libre communication des pensées et des opinions consacré par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui avait déjà valu une censure partielle de la loi Toubon. Elle contrevient aussi aux engagements pris par la France en droit international, en particulier son engagement à assurer l'égalité et la liberté d'expression de chaque personne, comme l'a rappelé le juriste Benjamin Moron-Puech lors des auditions.
Nous voterons donc contre ce texte, car nous nous y opposons tant sur la forme que sur le fond.
M. Max Brisson, président. - En tant qu'élu d'un département disposant d'une langue régionale, je puis vous assurer que cela fait bien longtemps que l'État légifère sur la langue...
Mme Sabine Drexler. - Pour avoir, comme enseignante spécialisée, accompagné en trois décennies des centaines d'élèves en difficulté, je sais combien la langue française peut être difficile à maîtriser à l'écrit. Or, les partisans de l'écriture inclusive, sous couvert d'égalité des genres, ajoutent de la complexité à notre langue, ce qui sera une source supplémentaire d'exclusion scolaire et de stigmatisation, donc un facteur d'exclusion sociale. Mieux vaudrait renforcer les moyens pour donner aux jeunes le goût de la lecture... On ne lutte pas contre les inégalités entre les filles et les garçons avec des points médians. Lutter contre le sexisme et pour l'égalité entre les femmes et les hommes, cela passe par le regard et les actes que la société porte sur ces enjeux, plutôt que par la déconstruction de la langue française. L'académicien Jean-Marie Rouart recommande de ne pas nous servir de la langue française pour des combats qui n'ont rien à voir avec elle.
Nous voterons donc pour cette proposition de loi, telle qu'amendée par notre rapporteur.
Mme Laure Darcos. - Merci pour ce rapport qui n'est pas dénué d'humour, je crois qu'il vaut parfois mieux rire de certaines propositions - et je crois que nous avons raison de débattre de ce sujet, il a son importance.
La langue française évolue, cela fait bien longtemps que des termes féminins sont utilisés dans des environnements tout à fait masculins - on parle ainsi d'une sentinelle, d'une ordonnance... dans l'armée - et la féministe que je suis ne s'offusque pas de la façon dont notre langue fonctionne. Je m'inquiète plutôt que notre langue se complique bien davantage avec cette écriture inclusive, qui en rendrait l'apprentissage bien plus difficile, notamment pour les élèves « dys » et pour les étrangers allophones.
Que vous a dit l'Académie française à ce sujet ? En matière de protection de la langue française, il faudrait d'ailleurs commencer par appliquer le droit actuel.
M. Jean Hingray. - Notre collègue Annick Billon m'a demandé de vous faire part de sa position, avec d'abord cette conviction forte : la condition des femmes n'est pas une histoire de grammaire, elle n'évoluera pas grâce à un point médian - mais grâce à des programmes de lutte contre les violences conjugales, des cours d'éducation à la vie affective et sexuelle adaptés, une prise en charge qualitative de leur santé et surtout grâce à la protection de leurs droits fondamentaux. Notre collègue fait remarquer que l'usage du neutre dans la langue n'est pas un signe d'une plus grande inclusion des femmes, ni d'égalité entre les sexes - en témoignent le chinois et le turc, qui n'accordent pas le verbe au féminin ni au masculin. Or les pays où ces langues sont parlées, la Chine et la Turquie, ne passent pas pour des références en matière de droits des femmes...
J'ajoute, avec Jean Jaurès, que « pour celui qui n'a rien, la patrie est son seul bien » - alors que l'écriture inclusive exclut en réalité de jeunes Français qui rencontrent déjà des difficultés dans l'apprentissage de la langue. Un jeune Français sur neuf est « en difficulté de lecture », dont près de la moitié en situation d'illettrisme.
Alors nous disons non à l'écriture inclusive - le groupe de l'Union centriste votera ce texte.
M. Pierre Ouzoulias. - Sur la forme, je regrette qu'il y ait deux textes venus du même groupe sur le même sujet et avec en partie les mêmes signataires, il aurait fallu commencer par régler le problème en interne...
Je dois vous faire un aveu : en tant que « dys », je ne parviens pas à lire l'écriture inclusive, le résultat en est pour moi tout à fait incompréhensible. Et je ne peux m'empêcher de faire le lien avec les difficultés que les jeunes rencontrent face à l'orthographe : un jeune sur dix arrive en classe de Sixième sans savoir lire ni écrire, n'ajoutons pas de difficulté...
Ensuite, je regrette que ce texte ne résulte pas d'une évaluation précise de l'application de la loi Toubon, qui n'est manifestement pas assez mise en oeuvre. Dans la loi de programmation pour la recherche, nous avions souhaité rendre obligatoire l'usage de la langue française pour la publication des recherches. Il nous a été répondu que c'était peine perdue, tant l'anglais était devenu la langue usuelle, désormais incontournable. Je ne me résous pas, cependant, à voir nos chercheurs publier désormais dans une langue qu'on appelle l'anglais, mais qui n'est en fait qu'un « globish » appauvrissant.
Dans la censure de la loi Toubon, le Conseil constitutionnel dispose que le français est la langue de la République, pas celle de la France, la nuance est de taille. La République a l'obligation d'écrire un français intelligible. Dans le droit actuel, l'exemple que vous donnez d'un concours libellé en écriture inclusive, tombe sous le coup des circulaires que vous avez citées. En réalité, cette proposition de loi porte sur une zone grise qui correspond à la partie censurée de la loi Toubon, cela appelle à une réflexion juridique approfondie.
Pour toutes ces raisons, nous ne participerons pas au vote.
M. Bernard Fialaire. - Je crois qu'on peut défendre la langue française, en tant que langue vivante, qui évolue, sans être pour autant qualifié de « rétrograde » ni de « conservateur ». Pour le sujet d'examen que vous citez, qui n'est effectivement pas conforme aux circulaires, c'est la volonté de respecter la liberté académique qui a retenu le doyen de l'université d'intervenir auprès du professeur à l'origine du libellé - ce professeur est d'ailleurs un militant de cette écriture inclusive. Que l'écriture inclusive fasse l'objet d'études, c'est tout à fait légitime, mais c'est autre chose qu'elle serve dans l'administration, par exemple dans le libellé d'un examen : qu'en pensez-vous ? Peut-on intervenir ? Dans l'exemple cité, il y avait un deuxième sujet, rédigé celui-là en français : n'y a-t-il pas un problème d'égalité, dans le choix même des sujets, selon que l'on comprend ou pas cette écriture inclusive ?
Mme Mathilde Ollivier. - J'exprime moi aussi la consternation de notre groupe devant cette proposition de loi réactionnaire et qui multiplie les approximations. Dans l'exemple que vous donnez du point médian, le double point médian de « les sénateur.rice.s » n'est pas recommandé par le HCE. Dire le contraire, cela induit nos collègues en erreur. Le HCE dit bien que le point médian n'est qu'un élément de l'écriture inclusive, vous faites l'amalgame, alors que la double flexion fait aussi partie de l'écriture inclusive. Vous dites que la place des femmes dans la société n'est pas fonction de la grammaire, c'est pourtant le cas : il est démontré, et les personnes auditionnées nous l'ont dit, que lorsqu'une annonce d'emploi est rédigée en écriture inclusive, davantage de femmes candidatent - et il est établi également que l'usage du masculin générique fait qu'on imagine moins que des femmes soient concernées par ce dont on parle. Ce sont des faits sociaux, vous prétendez en contrer la réalité par l'interdiction de l'écriture inclusive, bon courage...
Enfin, le terme de « combat » se réfère à l'égalité entre les femmes et les hommes, dont j'espère que c'est bien notre objectif à tous dans cette commission - et l'écriture inclusive est un outil pour avancer dans cette voie.
M. Aymeric Durox. - Ce sujet est important et n'a rien d'une lutte picrocholine. L'écriture inclusive a des conséquences importantes, en particulier pour les jeunes. Son usage et sa promotion sont le fait de militants d'extrême-gauche très agressifs dès qu'on touche à leurs lubies, et qu'il nous faut combattre.
Comme ancien professeur, je m'interroge sur l'usage du point médian que l'on constate dans les manuels scolaires : le ministère contrôle-t-il effectivement cet usage et applique-t-il la réglementation en vigueur ? Est-il bien raisonnable de laisser prospérer ce « bégaiement inclusif », comme l'a qualifié Alain Finkielkraut, alors que la moitié des jeunes élèves de Sixième ne savent pas lire le français de manière fluide ? Enfin, est-ce que la recherche scientifique a établi les effets néfastes de cette écriture dans les troubles d'apprentissage ?
M. Jacques Grosperrin. - L'écriture inclusive est un signal politique, militant, qui veut s'imposer par la propagande en instrumentalisant l'orthographe. Dérivée du wokisme, elle en a adopté tous les codes. Elle fait de la langue un outil clivant au service d'une idéologie. Son piège est de forcer les individus à se positionner, dans le camp du « bien » ou dans celui du « mal ».
Comme tous les aspects du wokisme, l'écriture inclusive est pavée de bonnes intentions morales, et de mots prétendument savants que le grand public ne comprend pas mais qui créent des clivages inadmissibles.
La rhétorique de l'écriture inclusive est dangereuse car excluante. Ce n'est pas une théorie de gauche ou progressiste : elle s'en prend directement à l'héritage des Lumières, à l'universalisme et à ce qui fait le commun de la langue française. L'écriture inclusive est source de multiples et nouvelles inégalités, que les linguistes s'accordent à reconnaitre. Elle pose problème à ceux qui ont des difficultés d'apprentissage et à tous les francophones privés de règles et livrés à l'arbitraire. L'exclusion touche tous ceux qui n'ont pas appris cette écriture ... laquelle n'est pas et ne peut pas être enseignée...
Les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots. Elles ne relèvent d'aucune logique étymologique et, sous prétexte de féminisation, entrainent des formes fabriquées au hasard, de façon anarchique, posant des questions considérables d'accords, de découpages, de cohérence, de compréhension. Il faut y ajouter l'exclusion de l'oralité. Qu'est-ce qu'une langue qui ne se parle pas ?
L'exclusion touche aussi tous ceux qui souffrent de cécité, de dyslexie, de dysphasie, de troubles divers. Maitrisée par les seules classes privilégiées, l'écriture inclusive ne se soucie ni d'égalité réelle ni des vrais facteurs d'inégalité.
À l'université, je n'ai fort heureusement pas eu à connaître ce phénomène lorsque j'ai passé ma thèse à Lyon 2. Je trouve grave que la non-utilisation de cette écriture puisse pénaliser des étudiants dont le seul tort serait de s'exprimer dans la langue française.
Il doit être mis un coup d'arrêt à cette déconstruction, car il ne faut pas faire d'accommodement avec ce qui exclut. D'où ces questions simples : quelles garanties d'efficacité dans le texte pour mettre un terme à la diffusion de l'écriture inclusive ? Quelle en sera l'évaluation ?
M. Stéphane Piednoir. - Tout a été dit de manière claire : la déconstruction est en marche, livrée à une poignée de militants. Il faut distinguer la féminisation et le point médian. La féminisation n'est pas toujours possible, notre langue utilise « son altesse » ou « sa majesté », qui sont des titres neutres, ce qui était encore récemment le cas pour les titres de maire ou de sénateur - il y a des cas où l'on ne féminise pas, non plus qu'on ne masculinise. Le point médian me parait résulter d'une paresse intellectuelle, alors que la double flexion est admise : nous n'avons pas attendu les injonctions d'une poignée de militants de l'écriture inclusive pour utiliser le « Mesdames et Messieurs » au début de nos discours... Le dogmatisme de cette poignée de militants est tel, qu'on ne leur oppose pas suffisamment cet argument simple qu'on n'écrit pas les documents administratifs en argot, par exemple.
Chacun est libre de s'exprimer comme il le veut, nous parlons ici d'autre chose, et d'abord de sécuriser l'accès à une information intelligible pour tous. La langue évolue, des ajustements sont acceptés, nous avons affaire à autre chose avec la graphie déconstructrice que ce texte veut à raison écarter des documents administratifs. Comment faire, cependant, pour mieux impliquer l'université ?
Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce sujet est important puisqu'il concerne la langue française, laquelle est inscrite dans la Constitution depuis 1992 comme langue de la République - aussi avons-nous le devoir d'observer ses évolutions et les textes qui s'y réfèrent. Comme professeur d'anglais, je reconnais avoir eu la partie plus facile grâce à l'usage du neutre dans cette langue et je m'interroge sur la complexité introduite par le point médian : ne risque-t-il pas de constituer un obstacle à la compréhension et à la lecture, qui sont déjà difficiles ?
En réalité, je crois que le vrai sujet, c'est la défense du français, menacé par le Gouvernement lui-même lorsqu'il désigne sa plateforme de santé par Health Data Hub, au point qu'une association obtienne en justice de rétablir le français, ou bien encore lorsqu'il regroupe sa politique d'attractivité sous le label « Choose France »... Je crois qu'à la veille des trente ans de la loi Toubon, et au moment où l'on inaugure à Villers-Cotterêt la Cité internationale de la langue française, il serait bon que notre commission conduise un travail de réflexion sur notre langue et les menaces dont elle fait l'objet.
Quels sont les moyens dont nous disposons, ensuite, pour mieux faire appliquer la loi Toubon ? Enfin, faut-il légiférer - une modification des circulaires ne serait-elle pas plus efficace ?
M. Max Brisson, président. - La loi Toubon est cependant bien appliquée au Pays basque et en Alsace, par exemple, contre les langues régionales...
M. Cédric Vial, rapporteur. - Mes collègues Yan Chantrel et Mathilde Ollivier me qualifient allègrement de « rétrograde » et de « réactionnaire ». Je leur réponds que je préfère parler du fond, c'est ce qui m'intéresse dans notre travail de législateur...
Faut-il légiférer ? Je le pense, d'abord parce que nous avons deux décisions de justice qui se contredisent quelque peu - l'une par le tribunal administratif de Grenoble, l'autre par celui de Paris - et je préfère que le législateur fixe la règle, plutôt que le juge.
J'entends que ce texte voudrait interdire la féminisation des termes, c'est tout à fait inexact, et je le dis d'autant plus tranquillement que même l'Académie française - j'assume l'adverbe - autorise cette féminisation. En réalité, ce texte vise à conserver l'intelligibilité de la règle, des textes administratifs. Nous admettons le masculin générique que certains disent « rétrograde » et « réactionnaire » et qu'ils veulent remplacer par le double genre imposé. Nous n'interdisons pas la double flexion, bien au contraire, mais le point médian, c'est tout autre chose. En fait, nous n'avons rien contre l'usage de la parenthèse, dans des cas comme « cher ami(e) » au début d'une lettre, mais nous sommes également pour continuer à accepter que « chers amis » soit générique, donc incluant le masculin et le féminin. En réalité, notre objectif vise l'intelligibilité des documents administratifs, où parce que le langage doit être commun, il faut être exigeant sur la langue.
Je crois aussi que le droit actuel ne suffit pas, parce que s'il définit bien l'écriture dite inclusive - et c'est pourquoi nous avons repris cette définition -, son champ est trop étroit. Nous l'avons élargi à tous les textes officiels, alors que le droit actuel ne vise que les textes publiés au Journal officiel ; les arrêtés préfectoraux, les arrêtés municipaux, les délibérations municipales ne sont pas publiés au JO, par exemple. Enfin, nous prévoyons une sanction claire : la nullité de l'acte, qui est constatée par le juge. Toute personne pourra contester l'acte officiel, il ne s'agit nullement d'instituer une police administrative de la langue, c'est bien le juge qui prononcera la sanction.
La liberté d'opinion est totale, elle s'exprime par la langue, et non pas dans la langue, la nuance est de taille. Le texte s'appuie sur « ce qui reste » de la loi Toubon après sa censure par le Conseil constitutionnel : c'est pourquoi nous pensons qu'il est conforme à la Constitution.
Le principe de neutralité des agents du service public doit aussi être mentionné. Cette neutralité est religieuse et politique. Or, si la langue utilisée manifeste une appartenance politique, comment garantir la neutralité ? C'est aussi pourquoi il faut une loi - des circulaires auraient suffi si toutes les institutions les avaient reprises à leur compte.
Je n'ai pas suffisamment insisté sur le handicap en matière linguistique. C'est un sujet majeur, l'écriture dite inclusive constitue un obstacle fort pour les « dys », elle renforce les difficultés d'accès au texte. Les difficultés sont également accrues dans l'apprentissage du français par les étrangers, aussi bien que par les enfants. Nous parlons là d'un sujet qui touche directement des millions de personnes, ce n'est pas rien.
L'Académie française s'est penchée sur la question, elle a publié une « Lettre ouverte sur l'écriture inclusive », assez courte, j'espère vous inciter à la lire en vous en citant ces phrases : « Une langue procède d'une combinaison séculaire de l'histoire et de la pratique, ce que Lévi-Strauss et Dumézil définissaient comme « un équilibre subtil né de l'usage ». En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l'écriture inclusive violentent les rythmes d'évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l'écologie du verbe. (...) L'écriture inclusive trouble les pratiques d'apprentissage et de transmission de la langue française, déjà complexes, en ouvrant un champ d'incertitude qui crispe le débat sur des incantations graphiques. En focalisant l'attention sur l'obsession du genre, elle restreint le rapport à la langue en inhibant une expression plus ample de la pensée. Bien loin de susciter l'adhésion d'une majorité de contemporains, elle apparaît comme le domaine réservé d'une élite, inconsciente des difficultés rencontrées au quotidien par les pédagogues et les usagers du système scolaire. L'écriture inclusive installe ainsi un débat de l'entre-soi cantonné à un périmètre limité, au préjudice des étrangers désireux d'apprendre notre langue telle qu'elle leur est souvent transmise par de grands textes patrimoniaux. Dans un monde où la francophonie, principalement sur le continent africain, est appelée à un développement exponentiel, ce mode d'écriture dissuasif est susceptible de renforcer l'anglais comme langue véhiculaire. »
Notre proposition de loi concerne-t-elle aussi l'Université ? Oui, puisque le texte se réfère au code de l'éducation, il s'agit donc bien de viser la langue de l'enseignement, des examens et concours, ainsi que des mémoires de thèses. Il va de soi qu'il n'est pas question d'interdire les travaux de recherche sur l'écriture inclusive, nous voulons simplement éviter son usage qui complique encore la tâche des correcteurs...
Pour les manuels scolaires, la liberté d'édition est totale, mais leur usage peut être réglementé dans l'enseignement : libre aux éditeurs de publier des manuels utilisant l'écriture dite inclusive, mais ces manuels ne sauraient, avec notre proposition de loi, être utilisés dans l'enseignement sans contrevenir au droit.
Le HCE contrevient à la circulaire d'Édouard Philippe de 2017 en préconisant l'usage du point médian. Ce n'est pas du tout pareil que la féminisation, que nous acceptons, d'autant que, je le répète, même l'Académie française l'accepte. Ce que nous faisons avec cette proposition de loi, c'est nous protéger de dérives. Veillons à l'accessibilité de notre langue, ouvrons ce débat nécessaire - et exprimons nos différences au moyen de la langue plutôt que dans la langue. (Applaudissements)
M. Cédric Vial, rapporteur. - Avec l'amendement COM-1, je vous propose de modifier la proposition de loi de notre collègue Pascale Gruny sur trois points : en précisant le champ des pratiques interdites, pour y inclure les néologismes sur les mots grammaticaux, c'est-à-dire sur les déterminants, prépositions, pronoms, conjonctions de coordination et de subordination ; en intégrant les publications émanant de personnes publiques ou de personnes privées chargées d'une mission de service public ; en insérant les dispositions de la proposition de loi déposée le 25 janvier 2022 par M. Étienne Blanc et plusieurs de ses collègues, visant à ce que tout acte juridique qui contreviendrait à l'interdiction d'usage de l'écriture dite inclusive soit nul de plein droit.
M. Yan Chantrel. - Vous dites que ce texte n'interdit pas la double flexion, c'est faux. Vous visez « les pratiques rédactionnelles visant à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine » : les doubles flexions en font partie ! En fait, en reprenant la circulaire de 2017, qui est très mal rédigée sur ce point, vous interdisez les doubles flexions, c'est une raison supplémentaire pour voter contre cet amendement.
M. Pierre Ouzoulias. - Dans cet amendement, vous visez les néologismes, mais comme la langue de référence n'est pas définie juridiquement, cela n'a pas de portée, certains des néologismes sont déjà « passés » dans la langue... Dans l'objet de l'amendement, vous visez tous les ouvrages ayant bénéficié de subventions publiques, donc toute la production scientifique aidée par l'Agence nationale de la recherche (ANR) et le CNRS ; or, nombre de ces textes sont déjà publiés en anglais : si l'usage du français était rendu plus compliqué, cela ne renforcerait pas le recours à notre langue...
M. Cédric Vial, rapporteur. - Monsieur Chantrel, je crois que nous n'arriverons pas à nous mettre d'accord. Votre lecture de mon texte n'est pas inclusive, puisque vous omettez de dire que les pratiques visées sont « rédactionnelles et typographiques ».
J'entends vos remarques, Monsieur Ouzoulias. La proposition de loi s'applique aux textes qui doivent être écrits en français, au sens de la loi Toubon. Je suis ouvert à vos propositions, pour préserver les chances du français dans les publications académiques, tout en l'épargnant de l'écriture dite inclusive...
L'amendement COM-1 est adopté.
L'article 1er, ainsi modifié, est adopté.
M. Cédric Vial, rapporteur. - Avec l'amendement COM-2, je vous propose de rédiger ainsi l'intitulé de ce texte : « Proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive ».
L'amendement COM-2 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion est close à 11 h 25.
Mercredi 25 octobre 2023
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 45.
Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, pour nous présenter les crédits budgétaires de son ministère pour 2024.
Nous sommes particulièrement heureux de vous retrouver, Mme la ministre, pour évoquer les défis associés à cette année si particulière qui, selon le dossier de presse de votre ministère, doit ni plus ni moins « marquer un tournant pour la place du sport dans notre pays ».
Les Jeux olympiques et paralympiques, leur organisation, les résultats obtenus par nos équipes de France, les modalités d'accueil des délégations étrangères et des centaines de milliers de touristes sur notre territoire contribueront - on ne peut que l'espérer - au rayonnement sportif, culturel et touristique de notre pays dans une période loin d'être exempte de toute incertitude, pour ne pas dire de menaces.
Mais au-delà de la préparation de ces Jeux, que nous suivons depuis 2022 par le biais d'une mission d'information confiée à Claude Kern et David Assouline, et des moyens exceptionnels destinés au financement de leur réussite, c'est bien la place du sport dans notre pays qui, comme vous, nous préoccupe au plus haut point.
Nous nous félicitons bien entendu de votre volontarisme en ce domaine et des annonces qui se succèdent, et c'est bien normal, au long de ces années pré-olympiques.
La reconduction du Pass'Sport, qui permet d'accompagner le processus de reprise des licences dans les clubs, tout comme la poursuite du plan en faveur du développement des équipements de proximité, qui permet de renforcer la diversité de l'offre sur la période 2024-2026, constituent des annonces que nous accueillons de manière positive.
Mais nous ne pouvons masquer nos inquiétudes, Madame la ministre, dans d'autres domaines qui nous paraissent pourtant conditionner le développement de la pratique du sport dans notre pays.
Je pense en particulier aux opérations relatives aux « 30 minutes d'activité physique quotidienne » dans les écoles, dont la mise en oeuvre est contrastée selon les établissements et que nous entendons bien contrôler l'année prochaine, ainsi qu'à celle intitulée « deux heures de sport supplémentaires pour les collégiens », restée à ce stade confidentielle.
Pour paraphraser la devise olympique, ne convient-il pas d'aller « plus vite, plus haut et plus fort » dans ces domaines, en lien étroit, bien entendu, avec le nouveau ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse, pour donner au sport la place qui devrait être la sienne à l'école ?
Je vous propose, Madame la ministre, dans un propos liminaire, de nous présenter, les principales orientations de votre budget.
Après quoi je céderai la parole à notre rapporteur pour les crédits du sport, Jean-Jacques Lozach, au Président du groupe d'études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs Michel Savin puis à l'ensemble des commissaires, en commençant par un membre de chaque groupe politique.
Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat.
Madame la ministre, je vous laisse la parole.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques. - Je vous remercie, Monsieur le président. Le 8 septembre dernier, une année sportive historique pour notre pays a débuté, avec l'accueil de la Coupe du monde de rugby, qui est un très beau succès même si elle s'est malheureusement achevée plus tôt qu'espéré pour notre XV de France, et qui précède l'accueil des Jeux olympiques et paralympiques. De plus, l'État soutiendra 50 grands événements sportifs internationaux d'ici à 2027.
À travers ces événements et l'orientation de nos politiques publiques, l'horizon est clair. Il a été réaffirmé par le Président de la République : que la France devienne une nation sportive. Cet horizon se rapproche d'ores et déjà, avec ce projet de loi de finances pour 2024, marqué par une progression de 7,3 % des montants alloués aux politiques publiques du sport, qui atteignent ainsi un niveau sans précédent.
Les crédits prévus sur le programme 219 - le programme Sport - ainsi que les plafonds des taxes affectées allouées à l'Agence nationale du sport atteignent un montant de près de 890 millions d'euros, en hausse de 60 millions d'euros. Sur le même périmètre, la hausse depuis 2020 est de plus de 65 %. Aucun gouvernement n'avait auparavant conduit une politique sportive aussi ambitieuse pour notre pays.
Sur le programme 350 - Jeux olympiques et paralympiques - qui porte les subventions allouées d'une part à la SOLIDEO, pour les ouvrages olympiques, et d'autre part au Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (COJOP), les crédits sont conformes à la trajectoire prévue, avec une baisse programmée d'un peu plus de 160 millions d'euros entre 2023 et 2024, en cohérence avec la diminution progressive des besoins sur les chantiers olympiques.
Au-delà des moyens budgétaires, la dimension fiscale de ce PLF apporte d'autres leviers d'attractivité pour le sport, dont certains étaient attendus de longue date : le rétablissement du taux réduit de TVA à 5,5 % sur les activités d'enseignement dans les centres équestres, ce qui est favorable à la pratique sportive féminine ; l'application d'un taux de TVA à 5,5 % sur la billetterie pour les compétitions d'e-sport. Cette billetterie est ainsi alignée sur la billetterie sportive et la billetterie culturelle. Ce PLF prévoit, en outre, l'extension aux fédérations sportives internationales du cadre fiscal déjà mis en place pour les organisations internationales, sur un mode à la fois d'attractivité, mais aussi de proportionnalité.
Pour que la France devienne cette nation sportive à laquelle nous aspirons, il nous faut d'abord, avec l'ensemble des collectivités, nous donner les moyens de construire et de rénover nos équipements sportifs. C'est le sens du nouveau plan « Génération 2024 » annoncé à Orthez le 5 septembre dernier par le Président de la République, qui s'inscrit dans la dynamique du succès du premier plan « 5 000 terrains de proximité », lancé en octobre 2021 et dont le déploiement a été finalisé en 2 ans, avec une année d'avance. Cette dynamique a été construite main dans la main avec les élus locaux et transforme concrètement la vie sportive de nos concitoyens dans les territoires.
Le nouveau plan « Génération 2024 » bénéficie de moyens sans précédent, puisque c'est désormais une enveloppe de 300 millions d'euros qui est consacrée à la rénovation ou à la construction de 5 000 équipements sportifs entre 2024 et 2026. Ce plan sera tourné vers nos clubs, mais aussi vers nos publics scolaires, dans un contexte où le développement du sport à l'école doit être érigé en priorité nationale. C'est la mère des batailles.
D'ici à 2027, c'est plus d'un milliard d'euros que l'État aura mobilisés en faveur des équipements sportifs, en s'appuyant sur l'ANS (Agence Nationale du Sport), auxquels s'ajoutent les crédits DSIL (Dotation de soutien à l'investissement local) et DETR (Dotation d'équipement des territoires ruraux), à hauteur de 250 millions d'euros, mais aussi le Fonds vert, dont 70 millions d'euros ont déjà pu bénéficier au sport avec 280 projets, correspondant à 15 % de l'enveloppe pour la rénovation thermique des bâtiments et des équipements sportifs.
Pour répondre à un besoin régulièrement remonté par les collectivités territoriales, je souhaite souligner l'excellente nouvelle que représente aussi la réintégration dans le champ du Fonds de compensation de la TVA du fameux compte 212 - Agencement et aménagement de terrain, notamment sportif, demande qui a été entendue et pour laquelle je m'étais personnellement mobilisée aux côtés de la Première ministre.
Être une nation sportive, c'est aussi permettre le développement de la pratique, et ce dès le plus jeune âge. C'est la raison pour laquelle l'école figure désormais au centre de nos politiques publiques sportives, avec le déploiement des 30 minutes d'activité physique quotidienne, pour l'ensemble des élèves du primaire. 100 % de nos établissements doivent mettre en oeuvre cette mesure contre environ 85 % aujourd'hui, selon les dernières enquêtes de la Dgesco (Direction générale de l'enseignement scolaire).
L'accélération du déploiement des 2 heures de sport supplémentaires pour les collégiens est également une priorité majeure, à laquelle nous consacrons dans ce budget près de 15 millions d'euros, pour réussir la montée en puissance et passer de 170 à 700 collèges concernés, puis en 2024 à 2 000 collèges. Le Président de la République a annoncé la généralisation du dispositif à l'horizon de 2026.
Le Pass'Sport, initié en 2021, sera étendu, avec l'ambition de réduire les inégalités sociales et financières, qui freinent souvent la pratique sportive. Cette année, nous avons notamment ouvert le dispositif aux associations jeunesse et éducation populaire, à travers tous les territoires de notre pays.
Ce budget traduit d'autres priorités en termes de promotion de la pratique sportive, notamment la pratique sportive étudiante, dotée de plus de 1 million d'euros supplémentaire. Sont également encouragés le sport en entreprise, le sport féminin ainsi que la pratique sportive des personnes en situation de handicap, qui évolue favorablement.
À travers l'organisation des Jeux, la France souhaite que le sport devienne également un moteur pour faire progresser la société sur le plan de l'éducation, mais aussi de l'inclusion sociale et de la santé, tout en continuant à démontrer sa capacité à apporter de vraies réponses aux grands défis contemporains, par exemple à la transition écologique, ou encore la lutte contre toutes les formes de violence et de discrimination.
Sur chacune de ces dimensions, ce projet de loi de finances permet d'accroître la dynamique permise par le sport, avec par exemple 6 millions d'euros supplémentaires pour développer les Maisons Sport-Santé à travers les territoires, qui bénéficient aux personnes en situation de maladie chronique ou de perte d'autonomie. En parallèle, il est prévu de financer un nouvel appel à projets du Fonds interministériel pour l'amélioration des conditions de travail afin de lutter contre la sédentarité en milieu professionnel. Sont en particulier reconduits les moyens supplémentaires déployés en 2023, à hauteur de 10 millions d'euros sur le champ social, tant pour l'insertion par le sport que pour la reconversion des sportifs de haut niveau.
Je pense enfin aux moyens supplémentaires alloués aux services déconcentrés du ministère des Sports afin de renforcer leur action régalienne, avec + 36 ETP en 2024, faisant suite aux + 20 obtenus en 2023, dédiés à la lutte contre le séparatisme et la radicalisation, ainsi qu'au traitement accéléré des dérives en matière de violences à caractère sexiste et sexuelles dans les territoires. Nous stabilisons également le volume des conseillers techniques sportifs dans les fédérations au cours des prochaines années.
Évidemment, cette dynamique en faveur d'une nation sportive ne sera pleinement réussie que si, à l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques, nos sportifs tricolores s'illustrent et ramènent des médailles. C'est cette ambition que nous poursuivons depuis 2019 avec l'Agence nationale du sport, qui s'appuie sur le réseau de l'INSEP (Institut national du sport), des Creps (Centre de ressources d'expertise et de performance sportive), mais aussi sur la stratégie de haute performance « Ambition bleue », ainsi que sur le programme « Gagner en France ». Ces 2 initiatives ont vu leurs crédits augmenter de près de 7 millions d'euros dans ce PLF, avec pour objectif central de de nous inscrire durablement dans le top 5 des nations les plus médaillées.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, nous avons intégré une revalorisation significative des primes aux médaillés, ainsi qu'à l'encadrement. Et pour que l'avantage de jouer à domicile devant les siens fonctionne à plein dans notre pays à l'été 2024, nous avons fait en sorte de consacrer des moyens supplémentaires pour animer au plan local, dans tous les territoires, cette route vers les Jeux, en déployant à cette fin 4 millions d'euros supplémentaires de crédits d'animation territoriale.
Pour parachever sur le plan sociétal la réussite des Jeux, 2024 sera l'année de la Grande Cause Nationale, qui pour la première fois en 40 ans sera dédiée à l'activité physique et sportive et que j'aurai l'honneur de présenter à l'occasion du prochain Salon des maires. Je souhaite que son ancrage territorial soit affirmé dès l'origine. Cette Grande Cause sera dotée de moyens inédits, avec plus de 10 millions d'euros inscrits dans ce budget.
Cette Grande Cause vise plusieurs objectifs : continuer à inscrire au coeur du pacte républicain et des politiques publiques le sport comme un moteur incontournable, rassembler les acteurs de la nation sportive, mais aussi inviter tous les Françaises et les Français à faire plus de sport, autour du marqueur des 30 minutes d'activité physique quotidienne, dans lesquelles chacun pourra se retrouver à son rythme selon ses envies, pour mieux lutter contre la sédentarité et promouvoir des modes de vie plus sains.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les sénateurs, loin d'être une parenthèse, les Jeux sauront au contraire être un levier de transformation durable de la place du sport dans notre société. Nous ferons également en sorte d'étoffer dans les mois à venir nos politiques d'héritage et d'inscrire l'ensemble de notre nation dans un élan non seulement plus sportif, mais également plus solidaire et fraternel à travers le sport.
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis des crédits du sport. -Merci, Madame la Ministre pour cette présentation très détaillée. Nous évoquons aujourd'hui le budget d'une année particulière, en raison de la tenue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. À ce titre, nous restons attentifs aux observations de la Cour des comptes, même s'il ne semble pas y avoir d'alerte particulière à ce stade, étant donné les deux filets de sécurité que constituent d'une part la réserve pour aléa, d'autre part la garantie de l'État.
Nous comprenons que la baisse de 161 millions d'euros du programme 350 est justifiée par le calendrier du règlement financier des chantiers pilotés par la SOLIDEO. L'après 2024 nous inquiète sur le plan budgétaire, au regard de la loi de programmation des finances publiques. Comment atteindre les 170 objectifs stratégiques de l'héritage olympique compte tenu de la trajectoire envisagée ? Faire de la France une nation sportive nécessitera une inflexion de la trajectoire budgétaire telle qu'elle est envisagée aujourd'hui pour l'après 2024.
Pouvez-vous détailler le calendrier budgétaire et les modalités de mise en oeuvre du plan en faveur de l'insertion professionnelle par le sport, ainsi que les crédits affectés dans le cadre du PLF 2024 ? Est-il question d'augmenter le nombre d'éducateurs sportifs ou de former ceux déjà en place pour qu'ils disposent d'une double compétence ? Comment les collectivités locales sont-elles associées au déploiement de ce plan ?
En 2023, votre ministère a bénéficié de 20 ETP supplémentaires, qui seront portés à 36 ETP supplémentaires en 2024, afin de renforcer les draJes (Délégations régionales académique à la jeunesse, à l'engagement et aux sports), pour lutter contre toutes les formes de radicalisation, les violences sexuelles et sexistes, etc. A ce sujet, le Sénat avait adopté en juin dernier une proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport. Pouvons-nous dresser un premier bilan du renforcement des contrôles ? Quel est l'avenir du texte voté au Sénat ?
S'agissant des JOP, la question de la sécurité reste très importante et le récent relèvement du risque terroriste constitue un défi supplémentaire. La Cour des comptes a mis en évidence que les capacités privées ne suffiraient pas à répondre au besoin et que le recours aux forces de sécurité intérieures devrait être renforcé. Le sujet est vaste, car il s'agit non seulement de sécuriser les compétitions, mais également la cérémonie d'ouverture, le parcours de la flamme, les événements organisés en marge, etc. Ce sujet est piloté par le ministère de l'Intérieur, mais pouvez-vous préciser les besoins et nous indiquer quand le dispositif sera définitivement arrêté ?
Enfin, je souhaiterais revenir sur les conditions de l'installation en France d'une trentaine de fédérations internationales reconnues par le CIO, notamment la FIFA, qui seront exonérées d'impôt sur les sociétés, de CFE, de CVAE, de l'impôt sur le revenu pendant au moins 5 ans. Ne croyez-vous pas que nous allons trop loin en ce qui concerne les conditions financières et fiscales d'accueil pour un certain nombre de fédérations sportives internationales, dont certaines n'ont pas fait preuve d'une grande exemplarité ces dernières décennies en matière de transparence ou d'intégrité ?
M. Michel Savin, président du groupe d'études sur les pratiques sportives et les grands événements sportifs. - Je continue de penser qu'il existe un problème concernant les piscines. Dans les années 1960, l'État avait engagé un plan ambitieux pour doubler le nombre de bassins dans l'Hexagone. Or aujourd'hui, 70 % des centres datent d'avant 1995 et près de 600 piscines seraient vétustes. De plus, le Syndicat national de l'éducation physique dénonce des fermetures de piscines, au détriment des élèves et du savoir-nager. Êtes-vous prête à soutenir un véritable « plan Marshall » pour la rénovation et la construction de piscines, à quelle hauteur et avec quels moyens ?
L'islamisme prend une place de plus en plus importante dans le sport en France, qu'il impacte de façon directe et indirecte. 65 000 pratiquants s'entraineraient au sein d'associations sportives communautarisées, mais seulement 5 clubs ont été identifiés comme séparatistes sur les 127 qui ont été recensés. Quelles mesures urgentes comptez-vous mettre en place face à ces clubs qui ne respectent pas la loi sur la laïcité ?
Les 30 minutes d'activité sportive à l'école visent à lutter contre le surpoids et l'obésité, devenus des problèmes de santé publique depuis de nombreuses années. Toutefois, je ne dispose pas des mêmes chiffres que ceux que vous avez évoqués dans votre présentation concernant le nombre d'écoles qui les appliquent. Lorsque nous les interrogeons, très peu de directeurs d'école nous répondent qu'ils mettent en place ce dispositif, ou alors au détriment des autres activités physiques et sportives. Nous constatons que cette politique trouve difficilement sa place dans des programmes scolaires déjà très chargés. Quel est le bilan chiffré de l'élargissement du dispositif et quelles sont les mesures prévues pour le généraliser, sans pour autant remettre en cause les heures d'éducation physique et sportive ?
Chaque année, l'État reverse 100 % des taxes prélevées sur les Jeux du patrimoine au profit de la Fondation du patrimoine. En revanche, la part revenant à l'Agence nationale du sport sur les paris sportifs n'est que de 19 %. Seriez-vous prête à soutenir un amendement du Sénat qui permettrait de porter ce taux à au moins 33 %, pour financer des équipements structurants, dans une logique où le sport finance le sport ? Un effort mériterait d'être réalisé en direction des collectivités, qui attendent beaucoup de la part de l'État sur ce point.
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - Sur les 130 millions d'euros de contraction des crédits figurant dans la loi de programmation entre 2024 et 2025 , 50 millions sont dus à l'effet mécanique des mesures ponctuelles liées aux Jeux olympiques et à la Grande Cause Nationale, qui correspondent à l'exercice 2024 et qui ne se retrouveront pas en 2025. Sur ces 50 millions d'euros, 40 millions d'euros sont liés à des mesures correspondant à des besoins pour 2024 :
- 18,6 millions d'euros de primes pour les médailles ;
- 6,7 millions d'euros pour le dispositif spécifique « Gagner en France », qui vise à améliorer la performance des athlètes à l'été 2024 ;
- 5,4 millions d'euros pour les besoins exceptionnels (logistique, transport, hébergement) à destination des délégations françaises pendant les Jeux ;
- 5,5 millions d'euros pour la billetterie populaire ;
- 4 millions d'euros pour l'animation territoriale des jeux.
Il en va de même pour les 10 millions d'euros dédiés à la Grande Cause Nationale, qui est également limitée à 2024. Au total, ce sont donc 50 millions d'euros qui, de manière mécanique, ne se retrouveront pas en 2025.
Un deuxième effet, à hauteur de 80 millions d'euros, est lié aux crédits de paiement afférents au plan « Génération 2024 » sur les équipements sportifs, qui correspond à un rythme de décaissement qui pourrait être plus long sur ce nouveau plan, puisqu'il prévoit pour 50 % des crédits pluriannuels sur la construction et la rénovation des équipements. Par définition, ces chantiers seront plus longs à mener à bien, avec par conséquent des décaissements plus étalés dans le temps. Il s'agit d'un effet purement comptable : l'enveloppe de 300 millions d'euros est bien gagée sur les 3 années en autorisation d'engagement. Ainsi, l'addition des 50 millions d'euros précédemment évoqués et des 80 millions d'euros du plan équipement donne cet écart de 130 millions d'euros.
À l'inverse, de nombreux éléments de ce budget correspondent à des engagements sur la durée, notamment le plan Génération 2024, mais également les 36 ETP supplémentaires faisant suite aux 20 de l'an dernier dans les services déconcentrés, dont l'impact sera durable. Je pense également à la stabilité des effectifs des conseillers sportifs dans les fédérations, ainsi que la généralisation à horizon 2026 des 2 heures de sport en plus pour les collégiens. Il en est de même pour le Pass'Sport, qui suit une mécanique d'extension des bénéficiaires et des publics éligibles.
Nous souhaitons donc continuer à ancrer la construction de notre nation sportive au-delà des Jeux et de la Grande Cause. De plus, il est possible que la perspective d'accueillir en France les Jeux olympiques d'hiver 2030 nourrisse cette ambition, sans oublier la cinquantaine de GESI (grands événements sportifs internationaux) déjà actés à horizon 2027, qui bénéficieront de subventions de la part du ministère des Sports pour les années à venir.
L'insertion par le sport demeure une thématique prioritaire. Nous nous sommes engagés, avec Olivier Dussopt et Carole Grandjean, à faire passer de 20 000 à 100 000 le nombre de bénéficiaires du dispositif d'insertion par le sport. En juin dernier, nous avons organisé un Grenelle des métiers du sport, à l'occasion duquel nous nous sommes engagés, là encore avec Olivier Dussopt, à remédier au maquis des 1 000 formations diplômantes qui perdent les jeunes lorsqu'ils souhaitent se positionner sur les métiers du sport, ne sachant plus sur quel périmètre le faire. Nous nous sommes donc engagés à simplifier cette architecture et à la rendre beaucoup plus lisible, grâce à l'élaboration d'une plateforme dédiée, sur laquelle nous travaillons actuellement avec le ministère du Travail, qui nous permettra de cartographier les formations diplômantes et les offres d'emploi disponibles dans le secteur. De son côté, le Président de la République a rappelé cet engagement d'atteindre le seuil de 100 000 emplois créés dans ou par le sport d'ici la fin du quinquennat en 2027.
Dans ce cadre, il est prévu de créer 1 000 postes d'éducateurs socio-sportifs dans autant de clubs engagés en faveur de l'insertion et de l'inclusion par le sport , à travers 500 géographies. Nous affinerons les annonces avec la Première ministre à l'occasion du Comité interministériel des villes. Cette démarche s'inscrira plus globalement dans la volonté d'inscrire 10 000 clubs dans une logique d'affirmation de leur rôle social et sociétal. Pour les 1 000 postes d'éducateurs évoqués, une enveloppe de 20 000 euros par emploi pendant 3 ans sera mobilisée, soit un total de l'ordre de 60 000 euros de financements.
Sur le sujet de la sécurité, Gérald Darmanin prévoit d'ores et déjà de mobiliser 45 000 forces de sécurité intérieure pour la cérémonie d'ouverture et 30 000 en moyenne par jour pendant la compétition. En complément de ces forces de sécurité intérieures, nous aurons en moyenne recours à 17 000 agents de sécurité privée au quotidien, avec des pics jusqu'à 22 000. Nous avons besoin de poursuivre notre effort pour former encore plus de personnes à ces métiers de la sécurité privée. Une action est menée en ce sens, sous la houlette du préfet de la région Île-de-France avec Pôle Emploi, ce qui a déjà permis de réaliser 6 000 recrutements et 7 000 entrées en formation, en plus de 1 000 entrées en formation d'étudiants sur le nouveau certificat de qualification professionnelle - le titre de sécurité événementiel, mis en place spécifiquement par l'État.
Nous avançons bien mais il convient d'accélérer sur la question de l'appariement entre les marchés du COJOP attribués à un certain nombre d'entreprises de sécurité privée et ces personnes que nous formons ou recrutons. Il faudra s'assurer que chaque entreprise attributaire des lots de sécurité privée du COJOP dispose bien d'un plan de gestion des effectifs, qui nous permettra d'être totalement au rendez-vous de nos objectifs. Nous avançons de façon unie avec le ministère de l'Intérieur, le ministère du Travail et le COJOP, avec la volonté d'atteindre nos objectifs. La question du recours aux forces armées ne se pose pas pour le moment. Cette question n'est pas taboue, mais au moins jusqu'au début de l'année 2024, notre démarche vise à prioriser tous les efforts que nous avons à fournir sur le champ de la sécurité privée.
S'agissant du dispositif en faveur de la FIFA, j'ai souvent dû me battre pour que le sport ait toute sa place dans les dispositifs des autres ministères. Un dispositif a été mis en place pour les organisations internationales, visant à développer l'attractivité de notre fiscalité et l'influence de la France. Je me félicite que les fédérations sportives internationales puissent émarger à leur tour à ces dispositifs, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, car ils étaient uniquement ouverts à des organisations d'États et non à des fédérations internationales.
Le besoin de concevoir un régime fiscal à la fois attractif et proportionné s'appliquant aux fédérations sportives internationales figurait dans les propositions de parlementaires de tous bords. Ce besoin est identifié de longue date. Il n'est pas possible de plaider pour un renforcement de la diplomatie sportive, sans s'en donner la capacité. Pour autant, ce régime est fortement proportionné : les activités qui pourront bénéficier d'exonérations d'impôt au niveau des structures sont strictement limitées aux seules missions de gouvernance ou de promotion de la pratique du sport. Les activités lucratives et concurrentielles n'entrent donc pas dans le champ de ces exonérations. Je souligne également que cette exonération des structures, dans le champ des missions de gouvernance et de promotion de la pratique du sport, était déjà reconnue par l'administration fiscale. La loi ne vient donc pas accorder un avantage nouveau mais sécuriser une interprétation déjà reconnue par l'administration fiscale.
Dès lors qu'une fédération sportive internationale installerait en France des activités commerciales (par exemple l'organisation d'une compétition ou la cession des droits associés), elle serait soumise à l'impôt commercial, dans les conditions du droit commun. Du côté des salariés, l'exonération d'impôt sur le revenu prévue concerne uniquement ceux qui travaillent dans le champ non marchand de ces fédérations. Une personne qui travaillerait dans le champ concurrentiel serait soumise à l'impôt sur le revenu. De plus, l'exonération est limitée à 5 ans. Au final, ce régime constitue un supplément d'attractivité, que nous assumons, en plus de valider un dispositif qui était déjà largement reconnu par l'administration fiscale et qui est strictement proportionné à l'objectif poursuivi.
Au cours des dernières années, nous n'avons pas pu investir suffisamment dans notre parc de piscines, notamment en raison de l'énorme facture énergétique pour l'entretien du parc existant. Cette augmentation, pour les collectivités et les gestionnaires privés d'infrastructures, a débouché sur la création du Fonds vert. Nous avons la volonté de le consacrer à l'accompagnement d'un certain nombre de travaux de rénovation thermique et énergétique des équipements, objectif auquel nous avons également concouru à travers le plan de sobriété énergétique, qui constitue un vrai succès, du fait de la mobilisation collective des acteurs du sport.
Le plan « Génération 2024 » nous permettra d'en faire encore plus. Auparavant, nous avions un socle de 25 à 30 millions d'euros investis chaque année par l'ANS dans l'ensemble des équipements structurants. Nous préservons ce socle, en y ajoutant une tranche de 150 millions d'euros, pour nous permettre de financer la rénovation ou la construction d'environ 500 équipements structurants, à hauteur d'environ 300 000 euros par projet. Le but est que l'aide puisse générer l'effet de levier attendu pour les collectivités locales. En effet, il est important d'avoir une capacité d'investissement suffisant pour chacun de ces investissements. A la différence du plan 5 000, ce plan ne portera pas uniquement sur la construction de nouveaux équipements, mais il prendra également en compte la dimension innovation.
Vous savez à quel point je suis fermement attachée au respect du principe de laïcité. En ce qui concerne le sport, nous réaffirmons notre attachement le plus absolu à la neutralité totale des équipes de France, en lien avec les éléments de clarification que j'ai apportés au sujet du non-port du voile par nos délégations. J'ai également affirmé que je saluais la décision du Conseil d'État, qui a rappelé l'existence de la liberté de conscience pour les usagers, mais également la faculté de restreindre le port de signes religieux pendant le temps et sur le lieu des compétitions. C'est ce qui est pratiqué dans le football et le basket et ce que chacune de nos fédérations à la possibilité de faire dans l'exercice de son pouvoir réglementaire en cas de besoin, avec notre accompagnement.
Dans le même temps, il convient de rappeler que la liberté de conscience permet de porter le voile dans un cadre d'entraînement ou dans la vie de tous les jours, dès lors que l'on se situe en dehors des compétitions de ces fédérations qui ont choisi de restreindre le port du voile.
Le dernier élément de ce dispositif est lié à la lutte résolue contre toutes les formes de prosélytisme, de dérive séparatiste communautariste, voire de radicalisation dans le sport. Dans le cadre de mon action en la matière, 3 449 contrôles ont été effectués en 2022, dont 27 (soit 0,8 %) ont donné lieu au repérage de signaux faibles de séparatisme. Nous devons poursuivre les efforts pour prévenir la survenance de nouveaux flux, mais il convient de ramener ce phénomène à sa juste proportion.
Dans le même temps, 117 référents prévention de la radicalisation ont été mis en place dans les draJes et SDJES (Service départemental à la jeunesse, à l'engagement et aux sports). 23 référents éthique et intégrité ont également été déployés dans les établissements et 39 dans les fédérations, à qui j'ai demandé de renforcer leurs moyens sur ces sujets. En parallèle, 160 agents de mes services déconcentrés ont été formés au respect du contrat de l'engagement républicain. L'an prochain, 6 000 établissements seront contrôlés.
De la même manière, j'ai engagé 11 fédérations prioritaires dans un processus de conventionnement avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Tout ce dispositif est assis sur des moyens renforcés, avec les + 20 ETP que j'ai évoqués sur 2023 et les + 36 qui sont prévus dans ce budget pour nous permettre d'étoffer et d'accélérer l'action du ministère. Je ne lâcherai rien sur ces sujets, étant trop attachée au vivre-ensemble.
Les 30 minutes d'activité physique quotidienne viennent bien en complément de l'éducation physique et sportive, l'EPS demeurant le socle de l'enseignement du sport dans notre pays. Avec Gabriel Attal, nous avons toutefois conscience du besoin d'aller chercher les 15 à 20 % d'établissements qui n'ont pas encore adopté le dispositif. Pour y parvenir, nous faisons appel aux référents « 30 minutes d'APQ » dans les territoires. Nous avons également mobilisé les recteurs sur cet objectif prioritaire.
De plus, nous avons rappelé l'importance de s'appuyer sur « l'équipe de France » des 30 minutes d'activité, dont plus de 150 membres nous ont donné leur accord pour se rendre dans des établissements scolaires et aider les professeurs des écoles à apprendre les bons gestes aux enfants. D'ici la fin de l'année 2023, nous aurons fini de livrer les kits dans toutes les écoles primaires, qui les doteront de cerceaux, plots et chasubles, qui représentent un petit supplément pour les professeurs des écoles lorsqu'ils mettent en place cette démarche de connexion du corps et de l'esprit, qui est essentielle.
Les taxes affectées constituent un point de vigilance de longue date de la part du Sénat, que je remercie de veiller à ce que le sport dispose des moyens dont il a besoin. À ce propos, je souligne que la progression des crédits budgétaires alloués à mon ministère sur la période 2020-2024 se porte à 350 millions d'euros. Dans le même temps, l'augmentation du rendement des 3 taxes affectées n'a été que de + 67 millions d'euros. La dynamique des crédits budgétaires a ainsi été très supérieure à celle des taxes affectées. Nous n'avons donc pas été pénalisés par l'évolution du rendement de ces taxes et par le mécanisme du plafonnement. J'ai obtenu tous les arbitrages que j'ai sollicités pour ce budget, afin de construire brique par brique notre nation sportive. Je ne me trouve donc nullement dans une situation où je serais contrainte de priver le budget général de certains suppléments de ressources pour financer les politiques de mon ministère.
Lorsque j'ai besoin de fonds supplémentaires, je suis la première à taper du poing sur la table. Pour la suite, la taxe sur les paris sportifs doit permettre de maintenir le principe selon lequel « le sport finance le sport ». Nous avons la capacité d'aller chercher des réserves de crédits supplémentaires pour l'avenir et je n'écarte pas du tout la discussion sur ces enjeux. Sur cet exercice 2024, compte tenu des financements inédits alloués aux Jeux olympiques et paralympiques, nous avons les moyens nécessaires à nos missions.
M. Claude Kern, rapporteur de la mission d'information sur la préparation des JOP de Paris 2024. - Étant donné qu'il s'agit d'une année olympique, une part conséquente du budget sera liée directement ou indirectement aux Jeux olympiques et paralympiques. Ce coup de pouce suffira-t-il à atteindre l'objectif de figurer dans le Top 5 des médailles, assigné par le Président de la République aux athlètes ? Si l'engagement sur ces questions est essentiel pour tenir la promesse du succès de ces Jeux en permettant de faire rayonner la France, la notion d'héritage, en matière d'infrastructure et d'accompagnement à la pratique sportive et d'insertion par le sport, l'est tout autant.
La trajectoire inscrite dans ce PLF laisse apparaître une baisse de 160 millions d'euros dès 2024. La question de ne pas manquer ce rendez-vous d'une grande nation sportive est donc d'actualité. Dans ce budget, la Grande Cause Nationale ne sera dotée que de 10,5 millions d'euros, dont la moitié sera consacrée à des campagnes de communication. Est-ce à dire qu'à « grande cause, petits moyens » ?
Comment comptez-vous dynamiser votre politique et disposer des financements nécessaires ? Personne ne comprendrait que le budget du ministère des Sports puisse baisser à la suite des Jeux olympiques et paralympiques, alors que celui-ci pèse à peine 0,2 % du budget de l'État. Pouvez-vous vous engager et lever les doutes à ce sujet ?
Comment comptez-vous garder un tissu associatif et local solide, élaborer des politiques cohérentes en renforçant la transparence et en garantissant l'équité dans l'accès aux financements ?
Comment trouver un équilibre pour financer à la fois des équipements de proximité, mais également des installations structurantes, attractives et de qualité ? A ce jour, quel est l'état de vos réflexions concernant une balance entre acteurs publics et privés?
Enfin, le volet territorial l'Agence nationale du sport doit être dynamisé à la suite des critiques de la Cour des comptes. Comment comptez-vous aborder cette problématique ?
M. Patrick Kanner. - J'ai entendu vos explications concernant la question de l'amendement abusivement appelé « fifa ». Néanmoins, accorder des exonérations fiscales à la fifa, dont le budget atteint 7 milliards d'euros pour 4 milliards d'excédent, me paraît difficile à expliquer à nos concitoyens. Notre groupe reste donc très réservé sur cet amendement.
Vous avez expliqué la baisse de 127 millions d'euros des crédits du programme sport entre 2024 et 2025 par des raisons mécaniques, mais ne pensez-vous pas que nous aurions dû profiter de cette opportunité budgétaire pour lancer de nouveaux programmes, par exemple un grand « plan Marshall » pour l'éducation sportive dans les universités ? Comptez-vous encore mieux négocier avec Bercy pour développer et profiter de la dynamique enclenchée par les Jeux olympiques et paralympiques, afin de lancer de nouveaux programmes ?
Le Stade de France fera l'objet d'une grande rénovation pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques. Dans ce contexte, deux options stratégiques s'opposent : vendre le stade ou mettre en place un nouveau consortium pour la gestion à partir de l'été 2025. Confirmez-vous que ces deux options sont en concurrence ? Quelle est la priorité du ministère en la matière ?
Le chantier du Village des athlètes, que j'ai visité il y a une semaine, sera manifestement opérationnel lors des Jeux olympiques et paralympiques. En revanche, une centaine de travailleurs sans papiers ont été employés sur les 68 chantiers et des procédures ont été lancées aux Prud'hommes. Avez-vous suivi ce dossier ? Comment expliquer l'emploi hors de tout cadre d'ouvriers sur des chantiers financés de manière publique ?
Enfin, concernant l'objectif des médailles, les résultats des championnats du monde d'athlétisme de Budapest, dans une discipline reine des JO, peuvent nourrir nos inquiétudes, avec une seule médaille d'argent récoltée. Y a-t-il eu une prise de conscience sur ce sujet ?
M. Stéphane Piednoir. - Je partage avec vous l'ambition d'une nation sportive. Même si personne n'a le pouvoir de décréter la réussite de nos sportifs français, nous savons à quel point il s'agit d'un levier puissant pour inciter à la pratique du sport dans notre pays.
Des moyens importants ont été accordés à la Fédération française de rugby depuis plusieurs années. Quel bilan en tirez-vous, au regard du résultat décevant obtenu lors du dernier Mondial ?
Concernant les piscines, les obligations figurant dans les programmes de l'éducation nationale se heurtent à un problème de faisabilité sur le terrain. Un « plan Marshall » a été évoqué pour remédier à l'augmentation des coûts pour les collectivités locales. Des questions d'accès aux créneaux se posent aussi : quelles compensations les collectivités locales peuvent-elles envisager pour organiser des déplacements afin d'avoir accès à des créneaux ? Ce point est notamment important pour la prévention des noyades.
Où en sont les dispositifs visant à une meilleure prise en charge des séances de sport-santé ? Pourrions-nous par exemple envisager l'ouverture à des licences temporaires multisports, comme cela peut se pratiquer dans mon département ?
Enfin, Bruno Le Maire a évoqué un effort national de redressement des finances publiques. Votre ministère est-il concerné à court ou moyen terme par cet effort ? Si tel est le cas, quelles sont les pistes que vous envisageriez ?
M. Bernard Fialaire. - Je me réjouis de vos annonces sur le plan budgétaire pour 2024. Dans cet exercice, je vous souhaite d'être épargnée par ce que vous avez connu avec la Fédération française de football, de rugby, de handball, ainsi qu'avec le CNOSF, qui sont des marqueurs importants en termes de communication dans le sport, alors qu'ils devraient être autre chose.
Concernant le sport scolaire et universitaire, quand serez-vous en mesure de revenir vers nous sur les projets évoqués ? Depuis trois ans, je plaide pour les 30 minutes d'activité physique par jour, mais en interrogeant les écoles de mon territoire, je constate que le dispositif est peu appliqué.
Nous devrions promouvoir de façon plus importante les champions universitaires, qui sont des exemples pour notre jeunesse, bien plus que certains champions très médiatiques, qui abandonnent leurs études et dont les déclarations ne sont pas toujours exemplaires.
Enfin, le sport-santé est l'objet d'annonces mais dans la pratique, la mise en place n'est pas évidente, même pour les praticiens de santé.
M. Jérémy Bacchi. - L'année sportive a été décrétée Grande Cause Nationale par le Président de la République, avec la volonté de créer une grande nation sportive. Je considère qu'il s'agit d'une bonne chose.
Je déplore la faiblesse des crédits en matière de développement de la pratique sportive des étudiants - seulement 1 million d'euros, alors que seuls 30 % des étudiants pratiquent une activité physique dans le cadre de l'université. Dès lors, quel accompagnement envisagez-vous avec ce million d'euros pour massifier la pratique sportive des étudiants ?
Le plan 5 000 terrains de sport vise à répondre au développement des activités physiques et sportives des jeunes, avec une dotation de 300 millions d'euros sur 3 ans. Toutefois, l'ANS estime que 60 % des équipements (soit 180 000 d'entre eux) sont vétustes. Le Fonds vert prévoyant 2 milliards d'euros de crédits pour la rénovation énergétique des bâtiments pourrait-il être mobilisé au moins en partie en faveur de ces objectifs de rénovation ?
Enfin, pensez-vous que les moyens alloués concernant l'héritage des Jeux sont suffisants pour bâtir une grande nation sportive ?
Mme Mathilde Ollivier. - Vous avez répondu sur les exonérations fiscales pour les institutions internationales, mais nous continuons de nous poser des questions à ce sujet.
Quelles sont les perspectives pour le sport amateur, qui reste un ciment du lien social et de sortie de la sédentarité dans les territoires ? Par ailleurs, le souffle budgétaire évoqué pour l'exercice 2024 ne devra pas retomber en 2025. Quelles garanties pouvez-vous apporter sur ce point ?
Le Pass'Sport verra ses crédits baisser par rapport à l'année passée, alors même que l'aide n'est pas suffisante pour permettre aux jeunes d'accéder à ces associations : son montant atteint 50 euros, alors que les licences coûtent plutôt autour de 100 ou 200 euros. Ne pensez-vous pas que ce pass est actuellement inadapté au besoin de nos jeunes adhérents ? Est-il prévu d'augmenter les crédits pour diminuer le reste à charge ?
Je souhaite également poser une question concernant les budgets pour l'égalité femme-homme dans le sport et le financement d'actions, notamment la diffusion de matchs féminins sur les antennes.
Enfin, quelle piste est envisagée pour lutter contre la faiblesse des crédits pour le développement du sport à l'université, qui est essentiel à la construction des étudiants et constitue pour eux une bouffée d'air en dehors de leurs cours ?
M. Aymeric Durox. - Vous annoncez une prime pour les médaillés olympiques et des financements pour des dispositifs comme « Gagner en France », mais comment envisagez-vous concrètement l'accompagnement de nos athlètes sur le moyen et le long terme ? Rappelons-nous du cas symbolique d'Émilie Andéol, médaillée à Rio, qui s'est retrouvée au chômage quelques mois après la compétition et a même déclaré qu'elle avait presque regretté d'avoir été championne olympique.
Le modèle anglais salarie ses athlètes à hauteur de 3 000 euros pendant la durée de l'olympiade, sous condition de performance et de résultat. Cela leur a permis d'obtenir 65 médailles en 2012 et ainsi de devenir la troisième nation la plus performante. Depuis, ce pays récolte plus de 60 médailles à chaque olympiade, bien loin de ce que nous affichons. À ce propos, le Président de la République avait exprimé sa déception à l'issue des Jeux de Tokyo. Comment pouvez-vous faire adopter un véritable contrat sportif de haut niveau, qui permettrait d'obtenir des résultats plus en rapport avec le statut de la France ?
Pour célébrer notre héritage sportif, nous pourrions imaginer la création d'un musée de l'Olympisme à Paris à l'issue des Jeux de 2024. Un projet avait été évoqué à la gare de Saint-Denis Pleyel, mais il n'a finalement pas été retenu. Pour le moment, il n'existe pas vraiment de grand musée du Sport en France, alors qu'une telle initiative pourrait permettre de valoriser notre candidature pour 2030.
Enfin, vous avez fermé cinq clubs identifiés comme séparatistes, mais qu'attendez-vous pour fermer les 122 autres ?
Mme Anne Ventalon. - La Fédération française de natation estime à 5 000 le nombre de ses postes vacants, soit autant de professionnels manquant pour assurer la sécurité des baigneurs, mais également pour l'enseignement de la natation. La pénurie d'aggrave, pendant que le nombre de noyades augmente. De plus, les collectivités rencontrent des problèmes de recrutement et de remplacement sur tous les types de postes liés aux activités aquatiques. Nous l'avons constaté l'été dernier, avec la fermeture de piscines municipales certains jours.
L'été 2024 fait craindre aux collectivités des difficultés encore plus grandes pour la surveillance de la baignade, du fait de la mobilisation des CRS MNS (maître-nageur sauveteur) pour les Jeux olympiques et paralympiques.
Les Etats généraux de l'encadrement et de la surveillance dans la filière aquatique ont été organisés le 10 février dernier et ont permis d'avancer sur la question des évolutions réglementaires, de l'accès aux formations, ou encore du nombre de certifications permettant d'obtenir le titre de MNS. A cette occasion, vous avez annoncé le lancement d'une grande campagne de promotion et de communication, pour encourager les vocations en amont de la saison estivale. Quel bilan pouvez-vous en tirer et quelles mesures concrètes en découlent, pour que les piscines ne restent pas fermées faute de maîtres-nageurs et pour que le savoir-nager soit encouragé ?
M. David Ros. - Je tiens à vous féliciter pour la détermination dont vous avez fait preuve face aux Fédérations françaises de football, de rugby et de patinage. Il est en effet important qu'un message fort soit envoyé de la part des autorités publiques.
Contrairement à mon collègue Stéphane Piednoir, je considère que la Coupe du monde de rugby est un succès populaire, sécuritaire et même sportif, l'équipe de France ayant en effet joué pour gagner. Il serait très prétentieux d'annoncer à l'avance que nous allons gagner toutes les compétitions internationales.
Je ne suis pas sûr que toutes les informations vous soient remontées du terrain concernant l'état des piscines, car j'estime que la situation est en réalité beaucoup plus dramatique que celle que vous décrivez. Par exemple, au sein de mon département, les piscines de Longjumeau et Montlhéry ont été fermées et celle d'Orsay a failli connaître le même sort. Ce n'est pas de 300 000 ou 1 million d'euros dont nous aurions besoin, mais de sommes beaucoup plus conséquentes.
Ne pensez-vous donc pas qu'il faudrait lier la question des taxes et celle du plafonnement, afin d'obtenir des financements supplémentaires ou des fonds d'amorçage, qui pourraient servir pour les piscines, mais également aux Maisons Sport-Santé et à l'université ? Sur le campus de Paris-Saclay, il a fallu se battre pour obtenir une piste d'athlétisme. Or la comparaison avec les campus américains montre que nous sommes très en retard sur ce sujet.
A Roland-Garros, je suis surpris du faible niveau de sécurité par rapport au risque d'attaque par drone.
Enfin, comment est organisé le lien entre la recherche et le sport, pour mettre en place des axes autour du sport-santé, améliorer la motricité et lutter contre le vieillissement ?
Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre. - La mobilisation du ministère des Sports et de l'ANS pour nous permettre d'atteindre l'objectif de figurer parmi le top 5 prend la forme du programme « Ambition bleue », mais également de la démarche spécifique « Gagner en France », par laquelle 30 millions d'euros additionnels sont mobilisés par rapport à nos budgets socles de l'Agence sur la haute performance. A hauteur de 15 millions d'euros, ils nous permettent d'investir sur les questions de sites, d'infrastructures et d'équipement, offrant ainsi à nos athlètes la possibilité de s'entraîner avec les matériels des Jeux.
De plus, 5 millions d'euros sont investis dans une Maison de la performance, qui leur permettra de bien se préparer pendant la période des Jeux. En parallèle, 2 millions d'euros leur donneront accès à une billetterie renforcée, pour éviter qu'ils aient à se soucier sur le plan logistique de la présence de leur entourage durant les sessions. Dans le même temps, nous mobilisons un certain nombre d'éléments pour améliorer leur confort en matière de transport et d'hébergement.
Des budgets d'animation seront également dédiés à des « Week-ends bleus », des séminaires coach, ainsi que des séminaires pour les cellules performance et les Directions techniques nationales. En outre, une application mobile spécifique permettra aux athlètes d'être reliés entre eux, car nous savons à quel point le sentiment d'appartenance à une communauté visant le même objectif est important. En complément, nous avons soigné les budgets relatifs à la communication autour de l'Equipe de France olympique et paralympique unifiée, qui aidera le public à mieux encourager ses champions. Tel est également le sens du Club des supporters, que nous sommes en train de mettre au point.
Jamais une Grande Cause Nationale n'aura été dotée d'autant de moyens sur une année, avec 10 millions d'euros, soit un montant largement supérieur aux précédents exercices. Pour rappel, cette somme vient en complément de l'ensemble des budgets des ministères. Au titre de cette Grande Cause, nous conserverons d'abord un premier pilier consistant à mettre la place du sport au coeur de l'interministérialité, du Pacte républicain et des politiques publiques. Ainsi, tous les crédits que nous mobilisons, à hauteur de 888 millions d'euros dans ce budget, concourront à cette Grande Cause.
En parallèle, les moyens spécifiques de 10 millions d'euros se répartissent entre un pilier consacré à la communication - pour pouvoir mener des campagnes spécifiques de lutte contre la sédentarité, notamment autour des 30 minutes d'activité physiques - et un autre pilier consacré à la labellisation et au financement d'un certain nombre de projets dans les territoires.
La Grande Cause Nationale devra également être tournée vers le vivre-ensemble. C'est cette mobilisation de chacun d'entre nous qui constituera le coeur de cette Grande Cause Nationale.
J'ai le sentiment que la mobilisation au total de plus de 1,2 milliard d'euros sur la période 2017-2027 s'inscrit dans cette logique de « plan Marshall », qui sera doublée d'un travail de rénovation énergétique et thermique des équipements.
Le sport étudiant doit continuer de monter en puissance. C'est le sens de la feuille de route que j'ai signée le 6 avril 2023 avec Sylvie Retailleau, France Université et la Conférence des Grandes écoles. Il s'agit notamment de procéder à un audit des infrastructures sportives universitaires. Celui-ci sera accompagné par le ministère des Sports et l'Agence et sera mené dans les territoires au cours des prochains mois. Nous en rendrons compte devant la représentation nationale.
Une autre dimension de notre politique consiste à travailler sur la mutualisation des ressources et des équipements sportifs, ce que nous faisons avec les gymnases qui bénéficient aux publics scolaires. C'est également le sens de la mise en place des Villages sport, qui sont destinés à faire connaitre l'offre sportive aux étudiants, ainsi que des aménagements que nous promouvons dans les maquettes universitaires pour laisser des crédits ECTS doter les activités sportives.
En parallèle, nous animons le challenge inter-étudiants avec la Fédération française du sport universitaire. Nous améliorons la gouvernance du sport et en particulier des SUAPS (Services universitaires des activités physiques et sportives) au coeur des universités, pour permettre la réalisation de cet agenda sportif, essentiel pour le moral de nos étudiants et leur santé psychologique. Une feuille de route résolue a été établie en la matière, avec un fléchage d'une partie des moyens de la CVEC (Contribution de vie étudiante et de campus) pour ces activités physiques et sportives.
J'ai souscrit à nombre des recommandations formulées dans le rapport de la Cour des comptes. C'est pour cette raison que j'ai mené une action résolue de renforcement de notre gouvernance, à la fois au niveau national entre le ministère des Sports et l'Agence mais également au niveau territorial.
Au plan central, nous avons actualisé la convention d'objectifs et de moyens, mis en place le projet commun des membres de la gouvernance de l'ANS, ainsi qu'un protocole de clarification des rôles et responsabilité entre la Direction des Sports et l'Agence. Une convention a également été signée entre ces deux acteurs et l'INSEP. En parallèle, le décret sur les CREPS précise les compétences et rôles de chacun.
En ce qui concerne la gouvernance territoriale, 17 Conférences régionales du sport ont été mises en place, contre 14 à l'été dernier. Désormais, 15 projets sportifs territoriaux ont été adoptés, contre 2 à la même équipe l'an dernier. De plus, 16 conférences des financeurs ont été installées, contre 2 à l'été dernier. Nous réalisons donc de rapides progrès, même s'il est encore nécessaire que ces Conférences régionales du sport montent en puissance et se mobilisent autour de projets emblématiques, dans une logique de « 1 + 1 = 3 », où les différents niveaux de collectivités, leurs partenaires privés et le mouvement sportif réalisent ensemble des projets qu'il n'aurait pas été possible de lancer si chacun avait oeuvré de son côté.
Concernant le Stade de France, deux modèles restent possibles : le renouvellement de la concession ou une cession. A cet égard, nous avons toujours affirmé que deux principes directeurs nous guideraient : préserver la vocation sportive du stade et préserver les intérêts économiques et financiers de l'État. En cohérence avec ces éléments, le dossier de consultation des entreprises pose un certain nombre de critères, notamment en matière d'avantage économique global pour l'État. Un autre critère est lié à l'amélioration de la qualité d'accueil et à l'attractivité du Stade dans son territoire en Seine-Saint-Denis. L'ensemble de ces critères sera pris en compte au cours de cette nouvelle phase de la procédure. Les offres des candidats qui avaient été admis lors de la première phase seront rendues en janvier prochain, tant la partie liée à la cession que celle liée au renouvellement de la concession. Les discussions se poursuivront ensuite tout au long de l'année prochaine, avec l'objectif d'aboutir d'ici fin 2024 à l'un ou l'autre des modèles, en fonction des offres fermes qui auront été remises par les différents candidats.
S'agissant du travail illégal sur les chantiers, l'Inspection du travail s'est fortement mobilisée. Plus de 900 contrôles ont ainsi déjà été diligentés par les équipes de la DREETS (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) sur les chantiers supervisés par la Solideo. Moins de 1 % de cas avérés de travail illégal y ont été recensés, ce qui est certes trop, mais correspond malgré tout à un niveau de régularité très performant. De plus, l'accidentologie reste très faible, ayant été divisée par 5 par rapport à ce qui est traditionnellement observé sur les chantiers de même envergure, sans aucun accident mortel à ce stade. De son côté, la SOLIDEO mobilise des outils innovants sur l'ensemble des sites, en s'appuyant sur ses partenaires spécialisés en matière de maîtrise d'ouvrage.
Le sujet de l'athlétisme me tient particulièrement à coeur. J'avais eu l'occasion de débriefer aussitôt après les championnats de Budapest avec les équipes de la Fédération, de l'Agence, le directeur de la Haute performance Romain Barras. J'ai également participé à leur séminaire y a quelques jours, pour évoquer les prochaines étapes. Celles-ci les mèneront à la fin de l'année vers un grand rassemblement, puis sur différentes épreuves entre le début d'année et la mi- 2024.
La cellule d'optimisation de la performance a été mobilisée de façon inédite, avec des moyens renforcés en matière de suivi médical, athlétique et de nutrition. Il existe actuellement un consensus sur le fait que nous ne manquons pas de moyens et qu'il est désormais nécessaire d'activer au maximum tous ces leviers, sur une programmation ambitieuse, tout en faisant très attention à la santé des athlètes, pour éviter les cas de blessures. Nous devons également rester optimistes, au vu des performances de Sasha Zhoya, Alice Finot ou de notre relai, qui a été médaillé, ce qui augure de belles opportunités pour les Jeux de Paris. Nous ne deviendrons pas une grande nation de l'athlétisme en un claquement de doigts, mais nous sommes une nation majeure de l'athlétisme européen. Nous devrons donc obtenir notre juste part de médailles à Paris 2024.
En ce qui concerne le rugby, je tiens à saluer le formidable engouement populaire dont la Coupe du monde a fait l'objet. Celle-ci s'achèvera samedi soir, avec la finale entre l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. Des pics d'audience jusqu'à plus de 17 millions de téléspectateurs ont été enregistrés en France. La fréquentation a également explosé sur les plateformes digitales, avec des chiffres jamais observés auparavant. De plus, plusieurs centaines de milliers de spectateurs se sont succédé dans les fan zones mises en place à travers les 9 collectivités hôtes. Dans le même temps, des records ont été battus en matière de merchandising. À ce propos, les maillots de l'équipe de France ont continué à être achetés massivement, même après la défaite des Bleus. Lorsque nous connaissons le potentiel exceptionnel de cette équipe, le fait d'avoir perdu d'un seul point représente un déchirement, mais il faut retenir qu'elle a beaucoup d'avenir. De son côté, le sélectionneur continuera le travail exceptionnel qu'il accomplit depuis 4 ans et la Fédération est déterminée à l'accompagner pour aller chercher une première victoire en Coupe du monde de rugby. Il y aura d'autres épreuves d'ici là, y compris l'épreuve olympique de rugby à 7. Lors de la Coupe internationale de rugby fauteuil, organisée en marge de la Coupe du monde, la France a raté le podium d'un petit point, mais j'espère que cette très belle équipe pourra décrocher une médaille paralympique en 2024.
J'ai diffusé un fascicule à l'été 2023, dans lequel je rends compte de manière très transparente de l'atteinte de nos objectifs. J'y expose également les prochaines étapes de nos politiques sur chacune des thématiques prioritaires. J'ajoute qu'une action spécifique portera sur les Jeux olympiques et paralympiques, avec 13 études d'impact prévues concernant les investissements que nous réalisons depuis plusieurs années, à la fois sur la haute performance, la montée en puissance de la pratique sportive, les retombées économiques des Jeux, ou encore l'accessibilité en matière de pratique pour les personnes en situation de handicap. De plus, un focus spécifique concernera la Seine-Saint-Denis. Nous rendrons des comptes très précis sur ces thématiques, qui permettront de mesurer l'efficacité de l'euro investi.
L'aisance aquatique demeure un sujet prioritaire. Nous ne pouvons pas nous satisfaire des 1 000 noyades par an, qui constituent le premier motif de décès par accident de la vie courante, qui frappe les enfants à hauteur de 25 %. Nous menons une politique résolue en la matière, avec déjà 50 000 attestations délivrées dans le cadre du programme à destination des 4 à 6 ans, ainsi que 72 000 formations pour la tranche des 6-12 ans sur « J'apprends à nager ». Le soutien de l'Agence à ces deux dispositifs représente 4 millions d'euros récurrents et nous sommes résolus à continuer de monter en puissance. Le programme en faveur de l'investissement pour les piscines nous y aidera.
Le 4 juin dernier, j'ai également publié avec le ministère de l'Intérieur un décret permettant d'octroyer la surveillance en autonomie dans toutes nos piscines et lieux de baignade aux titulaires d'un BNSSA (Brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique). Ces ressources viendront en complément de nos maitres-nageurs sauveteurs, qui conservent le monopole des activités encadrées et de l'enseignement de la natation. Dans la perspective de l'été 2024, il sera très important de faire monter en puissance la mobilisation des BNSSA et de poursuivre nos campagnes de promotion du métier de maitre-nageur sauveteur. Cette démarche permettra par ailleurs d'appuyer les travaux conduits par Stanislas Guérini autour de la promotion des métiers de la fonction publique.
Nous avons déjà déployé 573 Maisons Sport-Santé et nous continuons à monter en puissance, avec des moyens supplémentaires consacrés à cette thématique dans le PLF. Concernant le remboursement de la prescription médicale, nous menons actuellement des travaux avec Aurélien Rousseau et Agnès Firmin-Le Bodo, sous l'égide de la Première ministre, pour continuer à oeuvrer à la promotion du sport sur ordonnance, en allant au-delà des dispositifs actuels, notamment pour permettre le remboursement d'un certain nombre d'activités physiques adaptées dans le cadre des parcours relatifs au traitement du cancer. De la même façon, nous poursuivons notre travail sur le bilan médicosocial de la vingtaine d'expérimentations de l'Article 51. Nous ferons en sorte que ces expérimentations puissent passer dans le ressort du droit commun chaque fois qu'elles auront été jugées probantes.
En ce qui concerne le Pass'Sport, nous sommes engagés sur 3 voies. La première concerne l'extension à de nouveaux publics, notamment les étudiants boursiers, mais également un certain nombre de structures. Le deuxième levier concerne l'information et la sensibilisation des bénéficiaires, en veillant à ce qu'ils identifient bien les codes individuels en ligne qu'ils peuvent télécharger en cas de non-réception du code individuel. La troisième voie sur laquelle nous travaillons est liée à la simplification de l'outil « Le Compte Asso », qui permet de demander le remboursement du Pass'Sport, celui-ci étant désormais effectué de manière plus rapide. La question du reste à charge peut certes se poser pour un certain nombre de familles ou de sports, mais des réponses satisfaisantes sont désormais apportées. Nous devrons en revanche assurer une meilleure connaissance et une plus large diffusion de cet outil.
Un plan à plusieurs niveaux a été élaboré au sujet du sport féminin. Celui-ci commence dès les cours de récréation, avec des investissements en faveur des cours d'école actives, pour éliminer les stéréotypes genrés. Tous les pays qui obtiennent de bons résultats en matière de promotion de la pratique sportive féminine ont commencé par cette étape. En parallèle, pour éviter le décrochage des adolescentes, il est prévu de promouvoir les activités ludo-sportives, notamment dans le cadre des associations sportives, mais également des 2 heures supplémentaires pour les collégiens.
Avec Santé publique France, nous travaillons à l'enrichissement de la plateforme « 1 000 premiers jours », pour permettre aux jeunes mamans de ne pas abandonner la pratique d'une activité sportive après l'arrivée d'un enfant et même de se servir du sport pour se réathlétiser. Nous menons également une activité résolue pour périmètre d'attribuer des aides à la parentalité aux jeunes mamans et les encourager, lorsqu'il s'agit de championnes, à ne pas redouter la maternité, grâce à une approche beaucoup plus moderne de la haute performance. Cette philosophie a été placée par Hervé Renard au coeur de l'équipe de France de football féminine.
Concernant la médiatisation, je suis allé chercher des engagements auprès des diffuseurs dans le cadre de la Coupe du monde féminine cet été. Nous poursuivrons dans ce sens, avec la perspective du décret relatif aux échéances d'importance majeure, qui nous permettra d'améliorer la diffusion en clair du sport féminin sur le football, le rugby, le handball, ou encore le Tour de France féminin.
Concernant les financements en faveur des clubs, en complément des 120 millions d'euros mobilisés par l'Agence au service de la Haute performance, 75 millions d'euros vont directement aux 180 000 clubs de notre pays, en plus d'une démarche spécifique pour les clubs dits « inclusifs », que nous souhaitons faire passer de 1 000 à 4 000 à horizon des Jeux.
Il existe un Musée National du Sport qui bénéficie de concours importants du ministère des Sports. Une belle exposition a mis à l'honneur la Coupe du monde de rugby. En 2024, il sera mis aux couleurs de la Grande Cause Nationale et des Jeux olympiques et paralympiques.
Concernant les 5 clubs évoqués, il convient d'utiliser des chiffres récents et non des chiffres dépassés. Notre programme de contrôle porte sur 6 000 établissements. De plus, au sein du FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), le nombre de fiches actives en lien avec le sport est passé de 1 000 en 2019 à 550 en 2021, sur un total d'environ 8 000 fiches. Nous constatons donc un mouvement de régression, avec la volonté farouche de ne laisser aucun cas perdurer lorsqu'une dérive séparatiste est repérée. Nous contrôlons donc le respect du contrat d'engagement républicain, en retirant des subventions, en lien avec les fédérations, et notamment avec le Conseil de la région Île-de-France. De la même façon, nous suspendons les agréments et fermons si nécessaire les établissements concernés.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, Madame la ministre, pour vos réponses précises à nos questions. Nous examinerons prochainement en commission les crédits du sport pour 2024.
Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 35.