- Lundi 16 octobre 2023
- Mardi 17 octobre 2023
- Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation des rapporteurs spéciaux
- Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial
- Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport spécial
- Contrôle budgétaire - Service militaire volontaire - Communication
- Mercredi 18 octobre 2023
- Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales et la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales - Examen du rapport et du texte de la commission
- Plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés - Communication
- Perspectives de l'économie française et ses conséquences sur les finances publiques - Audition de M. Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, Mme Sandrine Duchêne, directrice des risques, du contrôle permanent et de la conformité au Crédit mutuel alliance fédérale et membre du Haut Conseil des finances publiques, et M. Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
Lundi 16 octobre 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Examen des amendements au texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements de séance sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Nous commençons par l'examen de la motion tendant à opposer la question préalable.
EXAMEN DE LA MOTION
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'émets un avis défavorable à la motion n° 1.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je suis favorable à l'amendement n° 45 rectifié bis sous réserve que son auteur le rectifie pour le rendre identique aux amendements identiques nos 50 rectifié et 54 rectifié, dont la rédaction a été retravaillée. Faisons cause commune !
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 45 rectifié bis, sous réserve de rectification.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
TABLEAU DES AVIS
La réunion est close à 15 h 30.
Mardi 17 octobre 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation des rapporteurs spéciaux
M. Claude Raynal, président. - L'ordre du jour appelle la désignation des rapporteurs spéciaux.
Je vous soumets les candidatures suivantes :
Il en est ainsi décidé.
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sous réserve de sa transmission, et désigne M. Vincent Delahaye rapporteur pour avis.
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Sport, jeunesse et vie associative » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons aujourd'hui le rapport spécial de M. Éric Jeansannetas sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2024.
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». - La mission « Sport, jeunesse et vie associative » voit ses crédits diminuer de 2 % en 2024, pour atteindre 1 794,8 millions d'euros en crédits de paiement (CP). Cette baisse est le résultat de la diminution de 161,1 millions d'euros des crédits du programme 350, qui est consacré pour l'essentiel aux constructions des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Cette division par deux des crédits du programme 350 peut étonner, alors que les jeux approchent, mais elle était en réalité attendue : la livraison des ouvrages olympiques est entrée dans sa phase finale et les travaux ont déjà été payés au cours des années précédentes.
En parallèle, les programmes « Sport » et « Jeunesse et vie associative » enregistrent une progression de leurs crédits de respectivement 8,5 % et 7,7 %, ce qui montre la dynamique de ces politiques.
Les dispositifs de soutien aux associations ne connaissent pas de modifications majeures pour 2024. Le deuxième volet du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) est à nouveau doté de 25 millions d'euros pour 2024 et cette somme devrait être complétée par 17,5 millions d'euros issus du mécanisme de fléchage des comptes inactifs acquis par l'État. Le Gouvernement a néanmoins annoncé que la quote-part de ce mécanisme sera relevée par amendement de 20 % à 40 %, ce qui devrait conduire à augmenter les financements du FDVA de 17 millions à 20 millions d'euros.
Au-delà des moyens supplémentaires, l'enjeu est que les critères de financement du FDVA soient suffisamment lisibles pour les petites associations. Le taux de demandes refusées par méconnaissance de ces critères est encore trop élevé.
Le service civique voit ses crédits maintenus à 518,8 millions d'euros pour la deuxième année de suite. Il est prévu en outre que la trésorerie de l'Agence nationale du service civique, qui se trouve à un niveau élevé, soit mobilisée pour que 150 000 jeunes effectuent un service civique en 2024.
Cependant, rien n'est indiqué sur l'avenir du service civique une fois que la trésorerie de l'agence sera redescendue. Or l'erreur serait que le service civique connaisse un retour en arrière dans son développement. Ce risque est réel, sachant que les regards sont aujourd'hui tournés vers le service national universel. Je tiens à réaffirmer que le service civique est une politique majeure en faveur de la jeunesse, qui ne doit pas tomber dans l'oubli.
Les crédits inscrits pour l'expérimentation du service national universel (SNU) sont en hausse de 14,3 %, pour atteindre 160 millions d'euros.
Une nouveauté de 2024 est que le séjour de cohésion pourra désormais être réalisé sur le temps scolaire. Pour rappel, il s'agit d'un séjour en hébergement collectif de deux semaines. Cette nouvelle organisation doit permettre de faire des économies, en réutilisant les hébergements d'un séjour de cohésion à l'autre et en employant les encadrants sur une plus longue durée. Néanmoins, les difficultés matérielles restent importantes, surtout pour trouver des centres d'accueil. De plus, comme les jeunes partent avec leur classe, on peut se demander si l'objectif de mixité sociale du SNU est toujours rempli.
Enfin, le projet de généralisation du SNU reste encore entouré de zones d'ombre. Même si l'objectif d'extension à l'ensemble d'une classe reste officiellement affirmé, nous n'avons pas de calendrier de déploiement et nous ne savons pas dans quelle mesure le séjour de cohésion sera véritablement obligatoire. En raison de ces incertitudes, j'avais préconisé de surseoir à la généralisation dans un rapport de contrôle adopté en mars par notre commission.
En ce qui concerne le budget du sport, je pense que les jeux Olympiques et Paralympiques sont une occasion de reposer la question de la réforme de la gouvernance du sport.
La Cour des comptes avait en effet rendu un rapport en juillet 2022 qui préconisait une clarification des compétences entre les acteurs du sport et un renforcement de la tutelle de la direction des sports sur l'Agence nationale du sport (ANS).
Des progrès ont été accomplis sur ces sujets en 2023. Le 17 avril 2023 a été signée une convention de collaboration entre la direction des sports, l'ANS et l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep). Il reste cependant à voir si la gouvernance du sport va véritablement évoluer. Le financement de l'ANS peut également faire l'objet d'une réflexion.
Enfin, l'année 2024 sera bien entendu marquée par l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Cet évènement majeur est une chance pour notre pays, mais nous savons tous que l'organisation des jeux a souvent été accompagnée de dépassements significatifs de budget dans les pays hôtes. Nous devons donc être particulièrement vigilants.
La contribution de l'État au financement en 2024 de la Société de livraison des ouvrages olympiques, mieux connue sous le nom de Solidéo, est conforme aux prévisions. D'une manière générale, nous n'observons pas de dérive financière pour les constructions olympiques : la Cour des comptes indique que le budget de la Solidéo n'a progressé que de 1,8 % en euros constants depuis la maquette financière originelle de 2018.
Cependant, des risques pèsent sur le calendrier de livraison des ouvrages olympiques.
L'année dernière, les documents budgétaires indiquaient que « l'essentiel des équipements auront été réceptionnés pour 2023, dont les plus importants : l'Arena Porte de La Chapelle, le Stade de France rénové, le stade Yves-du-Manoir et la marina de Marseille ». Or la livraison de tous ces équipements, à l'exception du stade Yves-du-Manoir, a été repoussée à 2024. Ce n'est pas rassurant. En particulier, les travaux du Grand Palais accusent des retards significatifs. L'administration assure cependant que l'ensemble des ouvrages devraient être livrés avant le début des jeux.
L'enjeu n'est pas seulement de terminer les travaux avant le début des épreuves. Il convient également de s'assurer qu'il y ait un temps suffisant pour la mise à disposition des ouvrages au Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojop), au risque que cela se traduise sinon par des surcoûts pour ce dernier.
Par ailleurs, le budget du Cojop, de 4,38 milliards d'euros, est certes financé à 97,5 % par des fonds privés, mais cela ne signifie pas qu'il n'intéresse pas les finances publiques. En effet, la loi de finances pour 2022 a permis l'octroi d'une garantie de 3 milliards d'euros de l'État au Cojop en cas de défaillance des acteurs privés.
Les recettes du Cojop devraient être conformes aux prévisions. Les recettes de partenariat sont dans l'ensemble assurées et les revenus tirés de la billetterie sont importants. La compatibilité de la politique tarifaire avec la promesse de l'organisation de « jeux populaires » soulève néanmoins des interrogations.
Quant aux dépenses du Cojop, les estimations réalisées ne sont pas invraisemblables, mais elles laissent peu de marges de manoeuvre en cas d'aléa. Or plusieurs secteurs sont identifiés à risques, comme les dépenses liées aux ressources humaines, à l'énergie, à la sécurité et aux transports.
D'ailleurs, je souligne qu'aucun chiffrage global du coût des jeux Olympiques et Paralympiques, au-delà des budgets de la Solidéo et du Cojop, n'a été réalisé. Une recension complète de l'impact sur le budget de l'État des exonérations fiscales consenties aux jeux Olympiques et Paralympiques n'a pas non plus été encore établie.
De même, le coût total de la sécurité des jeux n'est pas connu. Or ce sujet soulève de fortes inquiétudes. Le secteur fait face à une crise importante de recrutement depuis la pandémie de covid-19. Il est donc vraisemblable que l'État soit amené à mobiliser des forces de sécurité intérieure, les réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie, ainsi que des militaires. Ce recours pourrait amener à des coûts supplémentaires pour le Cojop.
Enfin, les coûts globaux relatifs aux transports ne sont pas connus non plus.
Ces incertitudes sont regrettables, alors que nous arrivons dans la dernière ligne droite de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques. J'espère qu'elles seront levées rapidement. Je mènerai des auditions à ce sujet en novembre prochain.
Au regard de tous ces éléments, je souhaite attendre ces auditions et les éventuelles modifications relatives à la mission « Sport, jeunesse et vie associative » avant de me prononcer sur celle-ci. Je vous propose donc de mettre en réserve le vote de ses crédits
M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. - Je suis rapporteur pour avis, au nom de la commission de la culture, sur deux programmes de cette mission : les programmes 219 « Sport », et 350 « jeux Olympiques et Paralympiques ». Les crédits du programme 219 progressent de 60 millions d'euros, soit de 8,5 %, ce qui est positif, et ceux du programme 350 baissent de 161 millions d'euros, ce qui n'est pas surprenant, la réalisation des équipements correspondants ayant été financée principalement en 2022 et 2023.
Nous commençons tout juste nos auditions sur cette mission et la commission de la culture n'a pas encore adopté son avis. Cependant, on peut déjà identifier des points positifs et des points négatifs.
Commençons par les points positifs.
Un nouveau plan en faveur des équipements sportifs est lancé : alors que le premier plan concernait principalement les sports dits urbains, le nouveau plan devrait s'attacher plus particulièrement aux équipements structurants plus traditionnels, comme les piscines, les gymnases ou les pistes d'athlétisme.
Le nombre des conseillers techniques sportifs (CTS), qui constituent la colonne vertébrale de l'encadrement sportif dans notre pays, devrait se stabiliser et un rééquilibrage devrait s'opérer entre les fédérations.
J'ajoute que l'annexe au PLF, le « bleu » budgétaire, évoque la situation des fédérations : les difficultés financières sont finalement assez contenues, puisque 9 fédérations sur 119 connaissent des difficultés de ce type. Des questions sur la gouvernance des fédérations continuent cependant de se poser ; une commission d'enquête de l'Assemblée nationale travaille sur ce sujet.
Enfin, l'engagement pris en ce qui concerne les postes dans les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et aux sports (Drajes) est tenu : 56 postes auront été créés en deux ans, 20 en 2023 et 36 en 2024. C'est important, parce qu'il s'agit de mieux traiter les sujets régaliens, par exemple la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le communautarisme ou les discriminations.
Passons aux points négatifs.
Nous allons continuer d'avoir notre traditionnel débat avec le Gouvernement sur le plafonnement des trois taxes affectées. Il est en particulier regrettable que soit plafonnée la taxe dite Buffet sur la cession des droits de diffusion des manifestations et compétitions sportives ou celle sur les paris sportifs en ligne, dont les recettes augmentent beaucoup ; c'était le cas en 2023 en raison de la coupe du monde de rugby, cela devrait être le cas en 2024 avec les JOP.
Par ailleurs, les annonces relatives aux deux heures de sport dans les collèges restent d'une ambition limitée, puisque peu d'établissements sont effectivement concernés : 700 sur 6 950 en 2023. Il en est de même pour l'activité physique quotidienne dans le primaire : l'application de ce principe est loin d'être satisfaisante.
Je relève enfin une contradiction en ce qui concerne le Pass'Sport : l'enveloppe de crédits diminue nettement - elle passe de 100 millions à 85 millions d'euros -, mais le Gouvernement veut en élargir l'assiette, notamment avec des loisirs sportifs marchands.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - On a vraiment l'impression que le Gouvernement cherche encore « la » formule pour le SNU... C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup de déclarations, mais peu de clarté dans la mise en oeuvre.
En ce qui concerne les jeux Olympiques, il y a des éléments positifs, mais on ne voit pas encore clair sur tout, en particulier au sujet des transports.
Je voudrais revenir sur le plan d'équipements sportifs. On a construit tous azimuts ce qu'on a appelé des « city stades », mais dans une forme de course et de concurrence entre les collectivités, qui voulaient bénéficier du cofinancement de 80 %. Il aurait été plus intéressant de partir des besoins, en particulier en termes de rénovation des équipements structurants ; souvent, ces équipements sont à bout de souffle, alors même que les collectivités ont des difficultés de financement, en particulier dans les zones rurales peu denses. Il faudrait réfléchir à ce sujet en lien avec l'éducation nationale, qui dispose d'équipements sportifs dans ses établissements.
M. Thierry Cozic. Les crédits du SNU augmentent chaque année, mais disposons-nous de données chiffrées sur le nombre de bénéficiaires et sur les évaluations pour les années à venir ? J'ai rencontré par deux fois des jeunes qui participaient à un séjour dans mon département, la Sarthe : ils ont souvent un discours positif sur leur expérience, mais j'ai un peu l'impression que cela ressemble à des séjours en centres de loisirs avec hébergement... Ne serait-il pas plus intéressant et efficace de flécher les crédits sur l'éducation populaire ?
Mme Isabelle Briquet. On constate des décalages dans la réception de certains équipements pour les jeux Olympiques et Paralympiques, alors qu'il ne reste plus que quelques mois. Où en sommes-nous ? Et qu'en est-il de l'organisation des transports durant les jeux ?
M. Christian Bilhac. On peut quand même s'interroger sur le « U » de SNU, quand on voit le nombre de jeunes effectivement concernés par ce dispositif ! Comment le fait de s'occuper de 80 000 jeunes, soit moins de 10 % d'une classe d'âge, peut-il être considéré comme étant « universel » ?
Le SNU a été lancé avec quelques réservistes de l'armée et quelques titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa) pour un coût d'environ 2 000 euros par jeune : si le SNU était vraiment universel, il faudrait multiplier les crédits de la mission ! J'ajoute qu'il s'agit aujourd'hui de volontariat : ce sont donc surtout ceux qui en ont le moins besoin qui en bénéficient... On manque notre cible !
Par ailleurs, avons-nous une estimation des frais d'administration et de structure dans les politiques sportives ? Il ne faudrait pas que, comme on le dit chez moi, la sauce coûte plus cher que le poisson...
M. Thomas Dossus. Si le budget des JOP ne semble pas déraper à ce jour, il existe des inquiétudes sur la livraison de certains équipements et pour certains sujets. Surtout, beaucoup de gens s'inquiètent pour le budget consacré au sport après les JOP : y a-t-il autre chose de prévu que le plan de 5 000 équipements ?
Sur le Pass'Sport, c'est un bon dispositif, mais il faut mieux le faire connaître.
En ce qui concerne le SNU, je me pose les mêmes questions depuis le début, en particulier en termes d'objectifs, qui restent flous. Surtout, on ne comprend toujours pas comment l'universalisation va être financée : comment trouver 2 milliards d'euros, un montant démesuré par rapport à la mission « Sport, jeunesse et vie associative » ? Quand on interroge les volontaires, il est assez logique qu'ils soient satisfaits, mais est-ce révélateur ?
M. Éric Bocquet. - Le taux de recours au Pass'Sport est faible : environ un tiers des familles renoncerait à l'utiliser en raison de difficultés financières. Quelles sont les autres raisons ? Dans ces conditions, pourquoi réduire les crédits du Pass'Sport de 15 millions d'euros ? Je ne pense pas que ce soit la bonne réponse. Comment le Gouvernement entend-il améliorer le taux de recours à ce dispositif ?
M. Grégory Blanc. Je vois au moins deux contradictions au sujet du Pass'Sport : entre la volonté de l'élargir et la baisse des crédits ; entre l'objectif initial et son élargissement à des pratiques comme le fitness.
A-t-on identifié des catégories particulières de personnes qui recourent peu au Pass'Sport ? Je pense par exemple aux enfants placés à l'aide sociale à l'enfance : aujourd'hui, ils pratiquent peu le sport et le Pass'Sport pourrait être un levier intéressant pour les faire pratiquer, d'autant plus que le nombre d'enfants placés explose.
M. Bruno Belin. Les jeux Olympiques et Paralympiques sont une chance extraordinaire pour la France et Paris, mais quel en est le coût global ? Ne pensez-vous pas qu'il y aura des dépassements, en particulier en raison des coûts liés à la sécurité ?
Le Gouvernement a-t-il mis en place des indicateurs pour mesurer les retombées économiques des jeux ?
M. Stéphane Sautarel. Beaucoup de personnes s'interrogent localement sur la gouvernance ou les moyens du FDVA et l'on constate que les plus petites associations en sont souvent écartées.
Par ailleurs, il semble que de nombreux projets d'équipements sportifs portés par les collectivités locales soient décalés et renvoyés à plus tard au moment de leur examen par l'ANS. Qu'en est-il ?
M. Olivier Paccaud. - Il est vrai que l'efficacité et les modalités de fonctionnement du FDVA, l'ancienne réserve parlementaire, posent de nombreuses questions. Chaque département semble avoir son mode de fonctionnement ; je suis sceptique quant à la procédure suivie dans le mien, où ce dispositif est à la main des préfectures : c'est le secrétaire général de la préfecture qui préside la commission d'attribution, alors même qu'il ne reste que quelques années dans le département. En pratique, le soutien à la vie associative pose problème ; c'est en particulier le cas pour les petites associations et la réserve parlementaire était très utile en la matière.
M. Didier Rambaud. - Le taux de non-recours au Pass'Sport est une surprise désagréable : le monde sportif ne connaît pas encore très bien ce dispositif qu'il confond parfois avec les autres outils mis en place par les collectivités.
Le premier plan d'équipements a permis de financer des city stades : certes, ils peuvent fournir une activité aux adolescents, mais leur pertinence en termes de développement de la pratique sportive est faible. Le deuxième plan est plus intéressant de ce point de vue.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. Il me semble qu'on ne devrait pas être aussi affirmatif en ce qui concerne l'absence de dérive financière pour la construction des équipements des JOP, d'autant qu'il y a déjà eu plusieurs révisions : l'augmentation est peut-être de 1,8 % en euros constants, mais elle est déjà de 22 % en euros courants. Il existe des risques en termes d'inflation et de surcoûts sur les équipements encore à livrer. Par ailleurs, les engagements de l'État sont difficiles à évaluer aujourd'hui. Je pense donc qu'il faut être prudent en la matière.
M. Christian Klinger. Au départ, le FDVA bénéficiait principalement aux associations des villes grandes et moyennes. Les choses se sont améliorées, mais il est encore difficile de toucher le monde rural. Dans le même temps, si beaucoup d'associations demandent des subventions, les montants attribués à chacune d'elles ne pourront que diminuer... En tout cas, chacun peut constater que la réserve parlementaire avait des avantages !
M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la construction des ouvrages liés aux JOP, plusieurs livraisons importantes étaient prévues en 2023, mais ont été repoussées au début de 2024. Le Grand Palais constitue la plus grande inquiétude, comme l'indique la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2023, et un rephasage devrait avoir lieu pour les travaux liés à des locaux techniques non indispensables pour les jeux.
Nous n'avons pas d'informations précises sur le coût global des JOP, en particulier en ce qui concerne la sécurité. Vu l'actualité et les difficultés importantes de recrutement dans ce secteur, il est certain que les coûts en la matière seront importants, pas seulement pour le Cojop, mais aussi pour l'État et les collectivités locales.
Pour les transports, le prolongement de la ligne 14 du métro de Paris, qui permettra de relier l'aéroport d'Orly à Saint-Denis devrait être achevé pour les jeux, mais non les nouvelles lignes 15, 16 et 17. L'offre de transports devrait être améliorée de 15 %. Les modalités du forfait « JOP » seront normalement fixées à la fin de l'année.
Je n'ai pas d'élément d'information spécifique sur les jeunes placés à l'aide sociale à l'enfance, mais on peut noter que le taux de recours des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville est encore plus faible que la moyenne nationale : 12 % contre 18,3 %. Le Gouvernement prévoit une baisse des crédits de 15 millions d'euros pour prendre en compte ce taux de recours faible. Une étude a été menée sur ce sujet : un tiers des familles avance avoir des difficultés financières, si bien qu'il serait important, selon cette étude, de recentrer le Pass'Sport sur les familles modestes. Quant aux autres motifs de non-recours : la moitié des familles évoque le fait que leur enfant ne veut pas faire de sport ou n'aime pas les activités proposées, et une famille sur cinq avance des contraintes de temps.
On entend effectivement beaucoup de choses de la part du Gouvernement en ce qui concerne le SNU, et parfois des choses contradictoires... Il est clair que l'extension du dispositif est plus lente que prévu et que la trajectoire d'origine a été surévaluée.
Thierry Cozic faisait un parallèle avec les colonies de vacances. Les colonies apprenantes bénéficient par exemple d'une subvention de 40 millions d'euros dans le projet de loi de finances, qui correspond à un dispositif pérennisé. Certes, le SNU, lui, a un budget de 160 millions d'euros...
En ce qui concerne la généralisation du SNU, nous aurons l'occasion de poser la question à Prisca Thevenot, secrétaire d'État chargée de ce sujet, lors de son audition : de nombreuses incertitudes subsistent, même si le principe de la généralisation a été réaffirmé. La réponse au questionnaire budgétaire que j'ai adressé au Gouvernement évoque deux scénarios : l'obligation du séjour de cohésion ou une montée en puissance sur la base du volontariat. Le Gouvernement devra clarifier sa position.
Le niveau de satisfaction des jeunes qui participent au SNU est correct, mais dans mon rapport d'information que vous avez approuvé en mars dernier, je demandais la tenue d'un débat parlementaire sur ce dispositif.
La Cour des comptes a publié un rapport sur le deuxième volet du FDVA : celui-ci finance principalement de petites associations ; 29 % des associations sont sportives et 19 % culturelles ; 80 % des demandes sont acceptées. Les critères de financement posent encore des difficultés pour nombre d'associations et le fonctionnement du Fonds n'est pas aussi facile et souple que l'était la réserve parlementaire, qui avait aussi l'avantage de la proximité. Dans la Creuse, je sais que le travail des agents de la préfecture est considérable, mais les demandes sont freinées par la lourdeur du dispositif. Il reste donc du travail pour améliorer les choses.
Le financement de l'ANS dépend notamment des recettes de la taxe Buffet, qui dépendront des conclusions de la négociation en cours sur les droits de retransmission télévisuelle de la Ligue 1 de football.
En ce qui concerne les retombées économiques des JOP, un rapport d'information de l'Assemblée nationale les a estimées cet été - c'est une fourchette large... - entre 5 milliards et 10 milliards d'euros pour l'Île-de-France.
M. Claude Raynal, président. - Merci. La commission est-elle d'accord pour réserver son vote sur les crédits de la mission « Sports, jeunesse et vie associative », notamment au regard des auditions qui seront réalisées ?
La commission décide de réserver son vote sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ».
Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » - Examen du rapport spécial
M. Claude Raynal, président. - Je cède désormais la parole à M. Laménie pour le rapport spécial sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - Les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » continuent malheureusement de diminuer, du fait de la démographie du public concerné, et s'élèvent à 1,91 milliard d'euros. La baisse est cependant moins marquée dans le projet de loi de finances pour 2024, puisqu'elle est de 10 millions d'euros.
La retraite du combattant a changé de nom et s'appelle « allocation de reconnaissance du combattant » depuis le 30 juin 2023. Cette nouvelle appellation correspond mieux que le terme de « retraite » à la réalité de cette rente.
La moindre réduction des crédits constatée en 2024 s'explique par une économie exceptionnelle de 45 millions d'euros sur la seule année 2023, en raison d'un changement des modalités de paiement de l'allocation de reconnaissance du combattant. En n'apparaissant pas en 2023, ces 45 millions d'euros avaient conduit à renforcer la diminution des crédits lors de la précédente session budgétaire. Ils figurent a contrario dans le PLF pour 2024 et réduisent d'autant la baisse cette année.
Ainsi, si les crédits affectés aux pensions militaires d'invalidité (PMI) continuent leur baisse, ceux qui sont affectés à l'allocation de reconnaissance du combattant sont exceptionnellement en hausse, à hauteur de 27 millions d'euros. Cela est dû à l'économie ponctuelle réalisée en 2023 et ne constitue pas une remise en cause de la trajectoire structurellement baissière de ces crédits.
Par ailleurs, les crédits consacrés à la majoration des rentes mutualistes des anciens combattants et victimes de guerre, dont le montant est également fonction de la population des anciens combattants, sont en baisse de 7,8 %.
Les effets de la baisse, pour des raisons démographiques, du nombre de bénéficiaires de ces rentes - on le constate bien quand on participe à des assemblées générales d'associations patriotiques et de mémoire - sont particulièrement visibles cette année car ces rentes ne feront l'objet que d'une revalorisation modeste de 0,13 % au 1er janvier 2024.
Cette faible revalorisation, si elle est compensée sur le long terme par des augmentations de point pour l'allocation de reconnaissance du combattant, paraît très préjudiciable pour les pensions militaires d'invalidité, attribuées en fonction d'un degré d'invalidité et qui ne sont pas revalorisées par des augmentations de points de la même manière. Je compte mener en 2024 un contrôle budgétaire afin de faire toute la lumière sur la situation de l'indemnisation des invalides de guerre.
Les crédits du programme 158, « Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale », sont également majoritairement composés de crédits finançant des rentes viagères versées à une population très âgée. Ils suivent aussi une trajectoire baissière, en diminuant de 3,4 millions d'euros.
Les politiques hors rentes viagères financées par la mission sont cependant en hausse.
L'action en faveur des rapatriés, dont les crédits avaient été quadruplés entre 2022 et 2023, à la suite de l'adoption à l'unanimité au Sénat d'un texte sur les harkis, continuent leur progression, pour atteindre 112,2 millions d'euros. Cette augmentation s'explique par une extension du dispositif de réparation en faveur des rapatriés d'Algérie, au titre de l'accueil indigne sur le territoire national dans des camps et hameaux de forestage dont ils ont été victimes. Je précise que cette extension a eu lieu par décret.
Les crédits de la politique de mémoire sont également en très forte progression cette année, augmentant de 87 % pour atteindre 42 millions d'euros. Cela est dû à un programme mémoriel affectant 14 millions d'euros aux commémorations des débarquements de Normandie et de Provence et de la Libération.
Quelque 3 millions d'euros supplémentaires sont également prévus pour l'entretien du patrimoine mémoriel combattant de notre pays.
Les crédits de la mission finançant la Journée défense et citoyenneté (JDC) sont en augmentation de 1,5 million d'euros - je vous renvoie à cet égard à l'enquête réalisée par la Cour des comptes à la demande de la commission des finances sur ce sujet, voilà quelques années -, mais près des trois quarts des financements de cette journée sont extérieurs à la mission et le financement du dispositif paraît globalement en baisse de 14 millions d'euros suite à un changement intervenu dans la comptabilité analytique du ministère des armées, qui a conduit à réévaluer le coût de la JDC à la baisse de 16 millions d'euros.
Enfin, les crédits liés au service militaire volontaire (SMV) sont identiques à ceux de 2023. De la même manière que pour la JDC, la très grande majorité des financements du SMV sont extérieurs à la mission. J'y reviendrai plus en détail dans le cadre du contrôle budgétaire que j'ai réalisé sur ce dispositif et à la suite duquel j'ai décidé de déposer un amendement sur l'indicateur budgétaire y afférent. En effet, l'indicateur actuel est le taux d'intégration des jeunes à l'issue de leur contrat d'engagement. Or une proportion non négligeable d'entre eux - entre 15 % et 20 % - ne vont pas au terme de leur contrat et quittent le SMV sans être intégrés. Ce phénomène d'attrition n'étant pas pris en compte, ces jeunes n'apparaissent pas dans l'indicateur budgétaire retenu. Au travers de mon amendement, je propose donc que la représentation nationale soit informée du taux d'attrition du dispositif, qui ne remet du reste pas en cause les bons résultats du SMV au regard de sa population cible.
J'en viens aux deux opérateurs historiques financés dans le cadre de cette mission. Le premier, l'Institution nationale des invalides (INI) - établissement de santé important de Paris -, continue de mettre en oeuvre son schéma directeur immobilier. Le coût total des travaux s'élève aujourd'hui à 77 millions d'euros.
Le second, l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), qui maille le territoire au service du monde combattant et sur lequel j'avais rédigé un rapport l'année dernière, doit normalement voir ses dépenses couvertes par la programmation budgétaire. Cela devient nécessaire : sa trésorerie non fléchée s'élève à 5,2 millions d'euros, ce qui correspond à un mois de fonctionnement courant, matelas nécessaire en fonction du délai de versement de la subvention pour charges de service public.
Un dernier point mérite une attention particulière : les dépenses fiscales de la mission, qui restent importantes, à hauteur de 615 millions d'euros, soit plus de 30 % des crédits de la mission. Cependant, une extension significative de la principale dépense fiscale de la mission, la demi-part fiscale dont bénéficient les anciens combattants et leurs veuves à partir de 74 ans, avait été adoptée lors de l'examen du PLF pour 2023. Son coût avait été chiffré à 130 millions d'euros. Cependant, au lieu d'augmenter, l'estimation du coût de cette dépense fiscale est en diminution de 25 millions d'euros. Le Gouvernement a annoncé vouloir évaluer cette dépense fiscale. J'estime cette évaluation bienvenue, la population bénéficiant de cette demi-part étant globalement mal connue, comme le montrent ces difficultés de chiffrage.
En conclusion, je vous propose d'adopter les crédits de la mission sans modification.
M, Jean-François Husson, rapporteur général. - Je partage l'avis du rapporteur spécial sur cette mission, dont les crédits connaissent quelques mouvements à la hausse, à la suite notamment de l'adoption d'un régime de reconnaissance des préjudices subis par les harkis, qui paraissait particulièrement bienvenu.
Pour ce qui concerne le renforcement des moyens du patrimoine mémoriel combattant de l'État, l'effort porte-t-il sur les nécropoles ou sur un bâtiment en particulier ?
Mme Isabelle Briquet. - Vous l'avez rappelé, la baisse des crédits de la mission est liée à la diminution du nombre d'ayants droit. Les actions menées en faveur de l'indemnisation des harkis sont à saluer, tout comme l'effort accompli dans le cadre du quatre-vingtième anniversaire de la Libération.
Le renforcement des crédits alloués aux travaux dans les hauts lieux de mémoire est également bienvenu. Dans la Haute-Vienne, le sujet mémoriel est de première importance avec la restauration du village martyr d'Oradour-sur-Glane. Je souhaiterais savoir, compte tenu de l'importance des travaux, si d'autres volets budgétaires pourraient être mobilisés.
Par ailleurs, plusieurs associations d'anciens combattants, dont la Fédération nationale des anciens combattants d'Algérie (Fnaca), m'ont fait part de leur attachement à la commémoration qui a lieu habituellement à Paris. La dernière cérémonie, organisée à la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette, a suscité leur incompréhension et ils souhaitent que cette cérémonie se déroule à nouveau dans la capitale.
M. Christian Bilhac. - Les pensions seront revalorisées au 1er janvier 2024 à hauteur de 0,13 %. J'ai honte. Point final.
Mme Nathalie Goulet. - Je m'interroge, en tant qu'élue de Normandie, sur les crédits consacrés au quatre-vingtième anniversaire du débarquement. Quelles seront les modalités concrètes du versement des crédits consacrés à ces évènements ? Cela sera-t-il uniquement destiné à l'ONaCVG ? Aux préfectures ? Les associations concernées y travaillent déjà...
M. Stéphane Sautarel. - Ma question porte également sur le quatre-vingtième anniversaire de la Libération. On entend parler, pour les célébrations de 2024, de la création d'un groupement d'intérêt public (GIP). Je n'en vois pas vraiment l'intérêt...
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Merci de vos questions, qui nous permettent d'éclairer nos débats, tant en commission qu'en séance publique.
Monsieur le rapporteur général, les lieux de mémoire sont importants, nous avons beaucoup de monuments, de sites, de cimetières, de hauts lieux de mémoire. Cela nécessite un important travail d'entretien du patrimoine mémoriel, dont les nécropoles. L'ONaCVG, qui compte plus de 800 équivalents temps plein (ETP), a justement un personnel spécifiquement chargé des interventions sur les hauts lieux de mémoire. Il y a également des partenariats avec les collectivités territoriales concernées, notamment les communes, et les associations, comme Le Souvenir français, qui a des relais départementaux et des comités locaux, pour entretenir au quotidien les tombes militaires. Ce travail ne cesse jamais.
Toutefois, si les fonds de la politique de mémoire augmentent globalement, je propose de vous répondre de façon plus précise ultérieurement, de façon à affiner mes réponses. Dans le rapport sur l'ONaCVG que j'ai présenté de l'année dernière étaient décrites toutes ses actions pour les nécropoles et les hauts lieux de mémoire, tant en métropole qu'en outre-mer et en Afrique du Nord.
Madame Briquet, votre question sur Oradour-sur-Glane touche également aux hauts lieux de mémoire. Sans entrer dans les détails, sachez que nous avons 10 hauts lieux de mémoire et 289 nécropoles en France. Pour ce qui concerne plus spécifiquement ce village, les opérations prévues consistent principalement en des interventions à caractère local et régional. Je prendrai attache avec vous pour vous répondre de façon plus précise.
La question des cérémonies locales du quatre-vingtième anniversaire dans les hauts lieux de mémoire est en effet très importante. Vous soulevez également la question de l'organisation d'une cérémonie de commémoration à Paris et la demande relative de la Fnaca. À cet égard, début octobre, je me suis rendu ès qualités au bureau national de cette association et la question de la cérémonie de Notre-Dame-de-Lorette m'y a été posée ; beaucoup d'anciens combattants regrettent en effet que la cérémonie n'ait pas eu lieu à Paris en 2023. Cela ne relève pas du Sénat, mais nous pouvons relayer cette question.
Monsieur Bilhac, je partage votre regret. Même si les pensions ont été revalorisées récemment, l'augmentation de janvier 2024 est infime, et c'est d'autant plus gênant qu'il s'agit majoritairement de personnes aux revenus très modestes. Cela étant, un certain nombre d'associations patriotiques et de mémoire mènent des actions sociales. En outre, c'est peu connu, l'ONaCVG a un budget consacré à l'action sociale, afin de venir en aide à ses ressortissants. N'hésitez donc pas à vous faire le relais de cette information, car ce volet de l'ONaCVG mérite d'être mieux connu.
Madame Goulet, je ne saurais vous décrire précisément les modalités de montage des dossiers dans le cadre du GIP du quatre-vingtième anniversaire. Nous avons eu, voilà quelques années, la mission du centenaire 1914-1918, qui avait débouché sur beaucoup d'initiatives dans les territoires, notamment en lien avec l'éducation nationale.
M. Sautarel pose la question de la création d'un GIP pour le quatre-vingtième anniversaire, doté de 14 millions d'euros. C'est effectivement ce que prévoit le projet de loi de finances, mais les documents budgétaires ne contiennent pas plus de détail à ce stade. Nous tâcherons d'en savoir plus.
Monsieur Bilhac, j'ajoute que la période prise en compte pour la revalorisation au 1er janvier 2024 court du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, la revalorisation des pensions ne tiendra ainsi pas encore compte de l'évolution du point d'indice de la fonction publique intervenue le 1er juillet 2023. C'est trop peu.
M. Christian Bilhac. - Oui, c'est honteux !
La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».
Article 38 (Objectifs et indicateurs de
performance)
(État G)
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Comme expliqué précédemment, mon amendement FINC.1 vise à ajouter un indicateur de performance à l'État G.
L'amendement FINC.1 est adopté.
Contrôle budgétaire - Service militaire volontaire - Communication
M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - J'ai réalisé cette année un contrôle budgétaire portant sur le service militaire volontaire (SMV). Il s'agit d'un dispositif social méconnu relevant du ministère des armées et inspiré du service militaire adapté existant en outre-mer. Son principe est le suivant : il s'agit de recruter des jeunes de 18 à 25 ans dans une situation sociale difficile, puis de les soumettre à un régime d'internat et à la discipline militaire, afin de les former et de les réintégrer au marché de l'emploi. Ce dispositif a été créé en 2015 à titre expérimental et a été pérennisé en 2019. Il encadre actuellement un peu plus de 1 000 jeunes par an et l'objectif de recrutement pour 2024 est de 1 500 jeunes. Au total, ce dispositif a coûté 53 millions d'euros en 2022, dont 9 millions d'euros provenant de financements européens.
Plusieurs remarques s'imposent :
- il s'agit d'un dispositif de petite taille, qui concerne chaque année seulement un peu plus de 1 000 bénéficiaires et mobilise 367 agents ;
- ce dispositif est coûteux au regard du nombre de bénéficiaires, puisqu'il coûte entre 38 000 et 44 000 euros par volontaire ;
- ce dispositif présente d'excellents résultats pour la population bénéficiaire, puisque l'on observe un taux d'intégration en fin de SMV de 86 %, sachant que 60 % des jeunes sont non diplômés et que 20 % sont illettrés ;
- enfin, les armées ne tirent aucun bénéfice opérationnel du dispositif et très peu de volontaires - 2 % - rejoignent, en fin de contrat, les corps en uniforme.
Par ailleurs, ce contrôle a mis en lumière plusieurs problématiques auxquelles le SMV est confronté.
D'abord - c'est le principal problème -, malgré la pérennisation du dispositif, il n'existe pas de stratégie de moyen ou long terme ni de programmation. L'état-major du SMV est très demandeur d'une vision politique claire, afin de pouvoir se projeter et anticiper. Ma première recommandation est donc l'établissement d'une stratégie pluriannuelle.
Ensuite, la répartition territoriale du dispositif est très inégale, puisqu'il n'est présent que dans six régions métropolitaines et ses capacités d'accueil se concentrent dans le Nord et dans l'Est. Nous avons d'ailleurs fait une visite très intéressante dans la base aérienne d'Ambérieu-en-Bugey, dans l'Ain, où nous avons rencontré des interlocuteurs passionnés et investis.
Le SMV éprouve également des difficultés à recruter plus de 1 000 volontaires par an. Cela s'explique notamment par le fait que les jeunes recrutés ne sont pas aisément mobiles, faute de permis de conduire ; ainsi, le SMV n'étant pas bien implanté sur le territoire national, nombre de bassins de recrutement ne peuvent être touchés. Cela s'explique aussi par la méconnaissance du dispositif, tant du grand public que des organismes susceptibles d'orienter les jeunes vers le SMV - les missions locales et Pôle emploi, mais également les collectivités -, ce qui est un problème. Je préconise donc une meilleure coordination du dispositif avec ces organismes et une communication institutionnelle du ministère du travail sur le SMV.
Enfin, les capacités d'accueil du SMV arrivent aujourd'hui à saturation et, si un plus grand nombre de volontaires doit être accueilli, de nouveaux centres devront ouvrir ou des centres actuels devront être agrandis.
Toutes ces difficultés sont liées à l'absence de vision politique concernant le SMV et contrarient directement l'ambition ministérielle d'atteindre 1 500 volontaires par an, ambition qui paraît peu réaliste en l'état. J'espère que l'élaboration d'une stratégie pluriannuelle permettra d'apporter une réponse globale à ces problèmes.
Du point de vue budgétaire, le financement du SMV mérite attention car il est éclaté entre quatre sources principales. En 2022, il se décomposait de la manière suivante : un financement via la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » à hauteur d'environ 3,3 millions d'euros, un financement des régions d'environ 3,5 millions d'euros, un financement européen à hauteur d'environ 9 millions d'euros et un financement via la mission « Défense » pour environ 37 millions d'euros.
S'il est possible de retracer le coût du SMV en exécution, il n'est pas possible de l'estimer lors de la période budgétaire. Ainsi, il est presque certain qu'il coûtera plus de 50 millions d'euros en 2024, mais il n'est pas possible d'en savoir plus. Je préconise de remédier à cette situation afin de garantir la bonne information du Parlement lors de l'examen du projet de loi de finances.
Pour les mêmes raisons, j'ai déposé l'amendement que nous venons d'adopter lors de l'examen de la mission budgétaire « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». En effet - je l'indiquais précédemment -, 15 % à 20 % des volontaires ne vont pas au terme de leur contrat de SMV ; or ils ne sont pas pris en compte dans le taux d'intégration, indicateur budgétaire retenu. Ainsi, si le taux de jeunes allant au terme du SMV et intégrés dans l'emploi atteint 86 % en 2022, celui des jeunes recrutés et intégrés in fine n'atteint, lui, plus que 70,5 %. Ce résultat doit être salué mais il est toutefois moins impressionnant. Afficher le taux d'attrition en plus du taux d'intégration permettrait de fournir une information plus complète.
Ma dernière recommandation concerne un autre type de jeunes bénéficiaires du SMV. Je n'ai parlé jusqu'à présent que des volontaires stagiaires, qui constituent le coeur de cible, mais il y a un deuxième type de volontaire : les volontaires experts. Ces derniers, recrutés parmi un public plus diplômé que les volontaires stagiaires, bénéficient d'une formation professionnelle, à l'issue de laquelle ils participent au fonctionnement du SMV, soit comme encadrants, soit dans les services supports, comme les ressources humaines ou la comptabilité. Environ 35 % d'entre eux rejoignent ensuite un corps en uniforme.
Un objectif de 200 recrutements annuels, indépendant de l'objectif de recrutement des volontaires stagiaires, est fixé. Ces volontaires experts offrent deux qualités très utiles pour les armées : ils réduisent la pression en ressources humaines et une proportion non négligeable d'entre eux rejoignent les armées à la suite de leur engagement. Or ils n'apparaissent qu'en arrière-plan du SMV et de la « littérature » qui l'entoure. Ma dernière recommandation est donc d'intégrer ces volontaires experts à la réflexion stratégique qui doit être menée sur le SMV, afin de déterminer la proportion de volontaires experts à recruter et les moyens de favoriser leur intégration aux armées à la fin de leur contrat.
M. Claude Raynal, président. - Merci de votre présentation de ce dispositif, que nous connaissons mal et qui concerne en effet très peu de bénéficiaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce dispositif m'était, à moi aussi, inconnu.
Je souscris à vos recommandations, monsieur le rapporteur spécial, mais j'ai une interrogation. On ne touche que 1 000 jeunes par an, soit une dizaine par département. Bien sûr, point positif, ce dispositif repose sur le volontariat et touche des jeunes en très grande difficulté. Quant aux volontaires experts, ils sont moins de 200 par an. Je peux entendre votre satisfecit quant à leur taux d'intégration dans les forces armées, mais celui-ci n'est que d'environ un tiers. Cela m'évoque le dispositif des emplois francs, qui ne touche que quelques centaines de jeunes par an. Il convient donc de se poser la question de la conduite du dispositif et de son ampleur, pour en garantir l'efficacité.
M. Thierry Cozic. - Je découvre également ce dispositif. Qui en sont les prescripteurs ? Sont-ce les missions locales, avec l'appui de l'armée ? Y a-t-il des jurys de recrutement ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Il s'agit moins d'une question que d'un témoignage. Je rencontre régulièrement les jeunes volontaires du SMV de l'Ain, qui a été évoqué, puisque c'est mon territoire. Ces jeunes sont en grande difficulté et ils ont besoin d'un cadre qui favorise leur insertion. Ce SMV compte finalement peu de jeunes originaires de la région, la plupart d'entre eux sont de Marseille. Ce dispositif est selon moi une véritable réussite et les militaires sont fiers de leur travail auprès des jeunes.
Mme Christine Lavarde. - Ce témoignage est intéressant, car nous sommes étonnés du coût du dispositif par bénéficiaire. Si les volontaires n'étaient pas insérés dans ce programme, quel serait le coût de leur suivi voire, quand il s'agit de jeunes ayant des problèmes judiciaires, de leur placement en détention ? Autrement dit, quel est le coût économisé pour la société ? De telles études ont-elles été menées ? Sinon, le ministère envisage-t-il d'en faire ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Tout le monde veut transposer en métropole le service militaire adapté, c'est une très bonne idée. Les militaires apprécient les vitrines de ce type, mais à condition qu'elles gardent des proportions modestes, car ils estiment, à juste titre, qu'ils n'ont pas vocation à développer trop leurs missions dans le social.
Quant aux missions locales, on imagine qu'elles proposent rarement une formation militaire aux jeunes qu'elles suivent. Par conséquent, qui promeut ce système ? Y a-t-il vraiment une volonté politique d'étendre le dispositif, afin de diminuer le coût par bénéficiaire ?
M. Marc Laménie, rapporteur spécial. - Je ne connaissais pas bien non plus ce dispositif avant ce contrôle. Cela ne relève pas de la même mission que le service national universel (SNU), évoqué précédemment et qui touche plus de jeunes sur une période plus courte. Le SMV est un dispositif très modeste et subsidiaire, mais il présente un bon taux d'intégration professionnelle. Des universitaires ont conduit des études à son sujet et ils sont arrivés à la conclusion qu'il est trois fois plus efficace que l'ancien dispositif de la garantie jeunes. Certes, cela a un coût, mais cela a le mérite d'aider fortement des jeunes en grande difficulté. Il convient en effet de distinguer entre les volontaires stagiaires et les volontaires experts.
Les prescripteurs du SMV sont principalement les missions locales et pôle emploi. Le SMV communique beaucoup auprès de ces acteurs pour qu'ils orientent des jeunes vers lui.
Nous avons organisé une table ronde sur l'intégration professionnelle des jeunes du SMV. Nous avons rencontré des personnes très motivées - militaire ou acteurs de l'insertion professionnelle - et les présentations étaient particulièrement denses.
Ce dispositif, encore méconnu, est là pour aider les jeunes, par exemple pour obtenir le permis de conduire. Il a bien sûr un coût, mais les économies qu'il permet de réaliser par ailleurs doivent aussi être prises en compte, ainsi que son volet social. Une étude a été menée par le cabinet Goodwill à la demande du ministère de la Défense en 2016. Cette dernière est arrivée à la conclusion que le SMV entrainait une économie de 97 000 euros pour l'État par jeune intégré sur la durée d'une vie active de 40 ans.
J'ajoute que des crédits régionaux et européens financent également, pour une part, le SMV.
En conclusion, je veux dire que nous devons réussir à motiver les jeunes pour participer au SMV et que ce dispositif doit être mieux connu.
La commission donne acte de sa communication à M. Marc Laménie et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 17 h 50.
Mercredi 18 octobre 2023
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales et la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport de Vincent Delahaye sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Danemark pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales, ainsi que la ratification de la convention entre la République française et la République hellénique pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscales.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - L'article 53 de la Constitution prévoit que certains accords internationaux, dont les conventions fiscales, sont soumis à l'autorisation du Parlement. Nous n'avons pas la possibilité d'amender ces conventions, notre rôle est de les approuver ou de les rejeter en bloc.
Ce projet de loi comprend deux articles, dont l'un concerne le Danemark, l'autre la Grèce. Ces conventions, négociées par l'exécutif, ont déjà été signées, le 4 février 2022 avec le Danemark et le 11 mai 2022 avec la Grèce. Le Sénat est la première assemblée saisie de ces conventions signées depuis plus d'un an.
Au-delà du règlement de problèmes particuliers sur lesquels je reviendrai, ce texte a pour objet de moderniser ces conventions pour les rendre conformes au modèle de l'OCDE, qui vise à lutter contre l'évitement fiscal et à moderniser le droit fiscal international.
Le Danemark est le seul pays de l'Union européenne avec lequel la France n'a plus de convention fiscale depuis 2009, année où cet État a dénoncé le texte en vigueur de manière unilatérale. Quant à notre convention avec la Grèce, elle date de 1963, de sorte qu'il convient de la renégocier et de l'adapter.
Dans leur version finale, les deux textes que le projet de loi prévoit de faire entrer en vigueur conservent l'économie générale et les principales stipulations du modèle de l'OCDE. Ainsi, ils adoptent une définition modernisée de la notion d'établissement stable, qui permet de lutter plus efficacement contre l'évitement fiscal ; on y trouve également une clause générale anti-abus conforme au modèle de l'OCDE.
L'article 1er vise la taxation des pensions de retraite au Danemark. En effet, le Danemark avait dénoncé en 2009 la convention fiscale de 1957 au motif que les 1 500 Danois pensionnés, installés en France et y payant leurs impôts, avaient bénéficié au Danemark d'un avantage fiscal sur leurs cotisations, sans que ce pays soit rétribué en retour sur les pensions versées.
Le règlement de ce différend concernant l'imposition des pensions privées était un préalable à l'ouverture des négociations et l'un des principaux enjeux de cette adaptation. L'accord conclu en février 2022 repose sur un mécanisme atypique de crédit d'impôt inversé, qui permet de dégager une solution préservant les intérêts du Trésor français tout en rétablissant partiellement le droit du fisc danois d'imposer les pensions privées.
Concrètement, une fois la convention entrée en vigueur, les retraités danois installés en France continueront d'être assujettis à l'impôt français pour l'intégralité des montants de pension privée qu'ils perçoivent. Néanmoins, ils seront également imposables au Danemark à hauteur de la différence entre l'impôt payé en France et l'impôt qu'ils auraient payé au Danemark sur ces revenus.
Dans l'hypothèse où la France appliquerait un taux d'imposition de 20 % contre 30 % au Danemark, une pension de 100 euros versée à un retraité danois sera imposée à hauteur de 20 euros en France et elle sera imposée également au Danemark, de manière résiduelle, à hauteur de 10 euros.
Cette solution est donc sans conséquence sur le montant des recettes fiscales prélevées sur les retraités danois installés en France. En outre, elle est assortie d'une clause du grand-père, de sorte que seuls les nouveaux retraités seront soumis à une imposition complémentaire au Danemark.
Rien ne s'oppose à ce que nous donnions un avis favorable à cette convention.
Quant à l'article 2 du projet de loi, il a donc pour objet de remplacer également la convention franco-grecque qui remonte à 1963 et dont la rédaction complexe a donné lieu à l'émergence de deux types de difficulté.
Premièrement, en 2011, la Grèce a instauré une contribution exceptionnelle de solidarité assise sur les revenus déclarés. Cette contribution n'était pas assimilable à l'impôt sur le revenu grec et n'était donc pas couverte par la convention de 1963. Par conséquent, les Français résidant en Grèce étaient exposés à un risque de double imposition.
Cette situation sera réglée par une nouvelle convention franco-grecque dont le champ d'application mentionne explicitement la contribution exceptionnelle de solidarité. Cette mention vient confirmer l'analyse du Conseil d'État grec qui, dans une décision de 2018, a assimilé la contribution exceptionnelle de solidarité à l'impôt sur le revenu.
Deuxièmement, il convenait de clarifier la répartition des rémunérations publiques. En effet, la convention de 1963 prévoyait une imposition partagée de ces rémunérations entre la France et la Grèce. En application de ce texte, les rémunérations publiques de source française étaient également imposables par la Grèce, sous réserve que celle-ci élimine la double imposition en accordant un crédit d'impôt d'un montant égal à l'impôt perçu par la France. En réalité, ce principe d'une imposition partagée est resté inappliqué jusqu'en 2020. Puis, les autorités grecques se sont saisies de cette possibilité et ont commencé à imposer ces revenus en veillant à déduire l'impôt payé en France de celui réclamé en Grèce. Sur ce fondement, la Grèce a réclamé à certains résidents français, notamment les enseignants du lycée Eugène-Delacroix, des arriérés d'impôt au titre des revenus perçus depuis 2014. Les sommes demandées représentaient plusieurs milliers d'euros par contribuable.
La nouvelle convention simplifie largement les règles d'imposition des rémunérations publiques. Elle prévoit un principe d'imposition exclusive et non plus partagée des rémunérations publiques dans l'État de source. Ainsi, les enseignants français seront imposés en France et non pas en Grèce.
En outre, la convention prévoit dans le protocole annexé une clause rétroactive jusqu'en 2015.
Ce nouveau texte présente le double avantage de moderniser les relations franco-grecques en matière fiscale et de régler les difficultés de double imposition qui ont émergé au cours de ces dernières années. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à sa ratification et, en conséquence, d'adopter le présent projet de loi sans modification.
M. Claude Raynal, président. - L'examen de conventions fiscales intervient de manière régulière dans notre commission. En général, le texte a été négocié en amont entre les deux États. Il s'agit pour le Parlement de les valider et d'en être ainsi informé, si je puis dire. Même si leur sujet peut paraître aride, ces textes portent des enjeux importants pour nos compatriotes et les entreprises concernés à l'étranger.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je soutiens l'avis du rapporteur. Notre commission fait office de boîte aux lettres, pour ainsi dire, dans la mesure où nous ne pouvons pas faire plus que commenter ces textes. Récemment, nous avons approuvé selon les mêmes modalités une convention fiscale entre la France et le Luxembourg, qui a ensuite été suspendue sine die par le ministre qui l'avait défendue, Bruno Le Maire. Elle l'est toujours pour anomalie. Il n'est pas très logique de nous soumettre ainsi des conventions pour que nous les adoptions, avant de les suspendre. Il faudrait voir ce qui justifie cette manière de faire et envisager que le Parlement puisse davantage intervenir.
Mme Nathalie Goulet. - La Grèce s'est-elle enfin dotée d'un cadastre ? Le problème se pose depuis longtemps et dans la mesure où cette convention fiscale porte sur des biens immobiliers, mieux vaudrait que ce cadastre existe.
De manière plus générale, nous sommes un certain nombre à ne pas avoir voté la convention avec le Luxembourg et nous avions manifestement raison. Les sujets dont traite ce type de texte posent de nombreux problèmes. Je suis intervenue, la semaine dernière, lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, pour interroger le ministre sur les conséquences que les conventions fiscales avec les pays du Golfe peuvent avoir sur le Trésor public. Or le ministre a répondu qu'il était incapable de chiffrer le manque à gagner. Il faudrait avoir un débat sur la révision de ces conventions fiscales, dans la lignée de celui qui avait eu lieu à la demande du groupe CRCE, à l'époque. Soyons proactifs plutôt que d'arriver à la fumée des cierges.
Mme Sylvie Vermeillet. - Concernant l'imposition des pensions danoises en France, vous avez raison de dire que cette convention est neutre fiscalement, car la clause du grand-père la rend non rétroactive. Vous avez donné l'exemple chiffré d'un Danois, imposé en France, qui devrait payer une taxation supplémentaire au Danemark. Mais qu'en serait-il dans le cas inverse, si le Danois a payé trop d'impôt en France ? La convention ne resterait sans doute pas neutre. Autrement dit, le taux d'imposition français est-il forcément plus faible que le taux danois ? Et peut-on envisager que la France doive reverser de l'impôt au Danemark ?
M. Thomas Dossus. - Le texte concernera-t-il aussi les retraités français au Danemark ? Si j'ai bien compris, le taux de prélèvement danois est supérieur au taux français, ce qui contredit un certain nombre de propos que l'on entend parfois au sujet de la France, championne des prélèvements obligatoires. Les retraités français au Danemark payent-ils moins ou plus d'impôts que ceux qui sont en France ?
M. Marc Laménie. - Le texte mentionne le nombre de Français installés au Danemark, ainsi que de filiales danoises d'entreprises françaises. Quels sont les chiffres pour la Grèce ?
Le rapporteur a regretté que l'administration fiscale n'ait pas pu produire certains éléments d'information financière relatifs à la recette fiscale. Peut-on remédier à ce manque ?
Enfin, qu'en est-il de la lutte contre la fraude fiscale, dans la nouvelle version de ces conventions ?
M. Jean-François Rapin. - Ce texte devrait régler les problèmes de nombreux expatriés français. En effet, je faisais partie de la délégation qui a accompagné le président Larcher en Grèce, lors de son récent déplacement. Nous avions eu l'occasion de rencontrer les autorités du Lycée français, qui nous ont dit que la mesure mise en place par les Grecs concernait de nombreux enseignants, dont certains se sont retrouvés avec une facture de plus de 40 000 euros d'impôt à payer. Quand le montant de l'impôt dépasse celui du salaire perçu, cela ne va pas sans problème.
Nous n'arrivons pas au moment de la fumée des cierges, comme le dit ma collègue. La diplomatie parlementaire peut jouer un rôle et nous pouvons accélérer les choses en interpellant le Gouvernement sur certains sujets. En l'occurrence, alors que l'on nous disait que le mécanisme mis en place par la Grèce ne pourrait pas être annulé avant cinq ou six ans, le président Larcher a rencontré le Premier ministre grec et insisté pour régler le problème le plus rapidement possible. Le Parlement a donc une influence dans la mise en place de ces dispositions qui règlent les problèmes des ressortissants français à l'étranger.
Mme Florence Blatrix Contat. - Compte tenu de l'intensification des échanges internationaux, ces conventions ont des enjeux à la fois économiques et budgétaires et elles sont alignées sur le modèle de l'OCDE. Nous ne pouvons qu'approuver le principe de ces textes, qui permettent de rétablir une coopération fiscale positive entre les États et de lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales tout en protégeant les contribuables. En effet, dans de nombreux pays avec lesquels nous n'avons pas encore signé de convention, nos concitoyens sont en grande difficulté.
Toutefois, nous pouvons nous interroger quant à la méthodologie, car nous examinons ces conventions les unes après les autres sans qu'il y ait d'approche globale. En outre, nous manquons de visibilité sur les conséquences de ces conventions sur nos recettes fiscales.
Sait-on déjà quelles autres conventions nous aurons bientôt à examiner ?
À combien estime-t-on le nombre de contribuables qui seront sécurisés grâce au texte que nous examinons aujourd'hui ?
M. Raphaël Daubet. - Nous comptons une ressortissante illustre dans le département du Lot en la personne de la reine Margrethe II, propriétaire du château de Cayx.
J'ai cru comprendre que la Grèce souhaitait que la convention soit dans le format antérieur à 2010. Comment expliquer cette singularité ?
M. Éric Bocquet. - Je m'étonne du délai qui a couru avant l'examen de ce texte, car la convention date de février 2022. Nous ne voterons pas ce texte que nous ne pouvons même pas modifier.
Il me semblerait préférable de privilégier une démarche multilatérale plutôt que des conventions bilatérales qui n'ont jusqu'à présent rien réglé en matière d'évasion fiscale. Je reconnais toutefois que le proverbe shakespearien selon lequel « il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark » n'a plus rien d'actuel.
M. Claude Raynal, président. - Le Parlement ne peut pas modifier le texte, mais il peut voter contre, bien évidemment.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Pour ce qui est du délai avant l'examen de ce texte, le Gouvernement a effectivement tardé à nous saisir. Toutefois, je précise que ces conventions ne sont pas en application et qu'il en restera ainsi tant qu'elles n'auront pas été ratifiées. Je considère qu'elles contribueraient à régler les problèmes d'un certain nombre de nos compatriotes, notamment ceux qui résident en Grèce, ce qui justifie de les adopter.
Nathalie Goulet, qui est rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'État », aura sans doute l'occasion de nous faire des propositions sur la possibilité d'un modèle multilatéral plutôt que bilatéral. Des règles spécifiques à certains États doivent être prises en compte, et c'est le cas avec le Danemark. Néanmoins, le modèle de l'OCDE devrait contribuer à lutter contre la fraude fiscale. Je ne crois pas qu'il faille forcément opposer les démarches multilatérale et bilatérale.
Pour ce qui est de la mise en place du cadastre en Grèce, celui-ci est en cours d'élaboration, mais n'est pas encore finalisé.
Les études d'impact restent très imprécises lorsqu'il s'agit de chiffrer l'effet de ces mesures sur le Trésor public, ce qui est pour le moins étonnant. Selon moi, l'impact est négligeable, mais cela reste à confirmer.
Si le montant de l'impôt français dépasse celui de l'impôt danois, il n'y aura pas de reversement. Seul ce qui est en surplus de l'imposition française est reversé au fisc danois.
On recense 150 retraités français au Danemark et un nombre bien plus important de retraités danois en France.
La Grèce compte 194 entreprises, filiales de groupe ou joint-ventures françaises associant des entreprises grecques pour un chiffre d'affaires de 2,5 milliards d'euros et 12 625 employés.
Les enseignants en Grèce peuvent en effet subir des redressements assez forts. La convention, quand elle sera mise en place, permettra de résoudre ce problème.
Je n'ai pas connaissance des futures conventions que nous aurons à examiner. Peut-être que le président de notre commission en sait-il davantage sur ce point ?
Monsieur Daubet, pouvez-vous expliciter votre question ?
M. Raphaël Daubet. - J'ai lu que la convention avec la Grèce répondait aux standards de l'OCDE, mais que la partie grecque avait demandé un format de convention antérieur à 2010 et pas le format le plus récent. Pouvez-vous me confirmer cette information ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela ne s'applique que pour l'article 7 de la convention, qui porte sur le partage des bénéfices.
Enfin, le Danemark et la France font partie des États de l'Union européenne qui battent des records en matière d'imposition, le taux d'impôt sur le revenu pouvant aller de 41 % jusqu'à 60 % du montant du salaire brut au Danemark.
M. Claude Raynal, président. - D'après nos informations, une convention fiscale serait en cours avec la Moldavie.
Les deux articles et le projet de loi sont adoptés sans modification.
Plans de construction de quinze mille places de détention supplémentaires et de vingt centres éducatifs fermés - Communication
M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à la communication de notre collègue Antoine Lefèvre sur les plans de construction de 15 000 places de détention supplémentaires et de 20 centres éducatifs fermés (CEF).
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je commencerai la présentation de mes travaux de contrôle par une citation de Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté : « C'est triste à dire, mais surnage de ces constats le sentiment d'un abandon par l'État des captifs, mais aussi de ses fonctionnaires chargés de les garder ou des équipes qui les soignent, ou les accompagnent. » Ces mots résument un positionnement que j'ai toujours défendu devant vous : la surpopulation carcérale et la dégradation du parc immobilier pénitentiaire conduisent non seulement à des conditions indignes de détention, pour lesquelles la France est régulièrement condamnée, mais également à des conditions de travail très dégradées pour le personnel pénitentiaire.
En réponse à ces difficultés, la France s'est lancée depuis quarante ans dans une course contre le temps : les programmes immobiliers se sont succédé pour tenter de remédier à la surpopulation carcérale et pour proposer des modes de prise en charge plus adaptés aux profils des détenus. Le dernier plan en date, présenté par le Gouvernement le 11 septembre 2018, vise à créer 15 000 places de détention supplémentaires.
On pourrait bien entendu débattre du calendrier : alors que le candidat Macron avait laissé entendre que ces places seraient créées en cinq ans, le président Macron a précisé qu'une première tranche de 7 000 places serait livrée en 2022, suivie d'une seconde de 8 000 places en 2027. Soyons réalistes, aucun gouvernement n'aurait pu livrer 15 000 places en cinq ans compte tenu des difficultés que rencontre ce type de programme de grande ampleur.
Un mois plus tard, le Gouvernement, par l'intermédiaire de la garde des sceaux Nicole Belloubet, présentait un plan de création de 20 centres éducatifs fermés, dits « de deuxième génération ». Destinés à l'accueil de mineurs récidivistes ou réitérants, ces centres sont une alternative aux quartiers pour mineurs en établissement pénitentiaire ; ils offrent un accompagnement éducatif et médico psychologique renforcé et adapté à la personnalité des jeunes qui y sont placés. Les 20 nouveaux CEF devaient être livrés à compter de 2021 et à l'horizon de 2027.
L'année 2022 apparaît donc, pour ces deux programmes immobiliers, comme une année pivot. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité consacrer mes travaux de contrôle budgétaire à un bilan à mi-parcours du plan 15 000 et du plan CEF. Si l'ampleur de ces programmes avait de quoi nous rendre optimistes, leur exécution laisse un goût d'inachevé, avec d'importants écarts calendaires et budgétaires. De fait, la probabilité que 20 CEF et 15 000 places de détention soient créés d'ici à 2027 apparaît très faible.
Toutefois, il ne s'agit pas de distribuer les bons ou les mauvais points, mais de comprendre les raisons de ces écarts et, dans la mesure du possible, de proposer des pistes pour faire en sorte que ces deux plans s'achèvent correctement, sans revenir sur leurs objectifs initiaux. Il serait illusoire de croire que nous pouvons rattraper les dizaines de mois de retard accumulés sur certains projets ou économiser les centaines de millions d'euros de surcoût liés aux évolutions techniques des projets et aux aléas conjoncturels. À défaut de pouvoir faire plus, veillons à faire bien.
Le plan 15 000 comporte 50 opérations réparties en France métropolitaine et en outre-mer. Il doit conduire à la création de 15 856 places nettes exactement, pour un coût initialement estimé à 4,3 milliards d'euros. Quelque 1 700 places environ devraient être créées en maisons d'arrêt, c'est-à-dire dans le type d'établissement qui connaît les niveaux de surpopulation carcérale les plus importants. Le taux d'occupation de certaines maisons d'arrêt dépasse les 200 %, ce qui correspond à trois personnes pour des cellules d'une surface moyenne de 9 mètres carrés, avec un matelas au sol.
Toutefois, car c'était aussi bien là l'objectif du plan 15 000, une part importante des nouvelles places doit être créée dans des structures innovantes et plus adaptées aux profils des détenus, selon leur peine, leur profil et leur projet de réinsertion. Quelque 142 places devaient ainsi être livrées dans deux nouveaux quartiers de semi-liberté, 1 800 places dans 14 structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) et 380 places dans 3 structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l'emploi, dans le cadre du projet dit « InSERRE ». J'ai moi-même eu l'occasion de visiter, au sein du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, le premier quartier de confiance de France, inspiré des modules de respect espagnols.
Le plan de création de 20 CEF de deuxième génération répondait, quant à lui, moins à une situation de saturation des capacités d'accueil - puisque le taux d'occupation moyen est de 60 % à 70 % sur les cinq dernières années - qu'à la volonté de rénover le cadre de cette modalité de prise en charge des mineurs. Le cahier des charges architectural a été entièrement révisé, avec un aménagement des chambres, la création de maisons familiales, davantage d'espaces collectifs et extérieurs, ainsi qu'une localisation plus proche des villes, donc des services publics tels que l'éducation, la santé, la culture ou encore le sport.
Le plan comprend la création de 20 établissements de 12 places, dont 5 relèvent du secteur public et 15 du secteur associatif habilité. L'investissement initial, estimé à 30 millions d'euros, a rapidement été réévalué à 76,5 millions d'euros.
Où en est-on dans la mise en oeuvre du plan 15 000 ? Au 1er juillet 2023, 14 projets et 2 771 places nettes ont été livrés, soit 2,5 fois moins que ce qui était prévu pour 2022. D'ailleurs, le Gouvernement ne parle plus, dans sa communication, de 7 000 places « livrées » en 2022, mais de 7 000 places dont les travaux sont « bien avancés ». J'ajoute que, sur ces 2 771 places, certaines correspondent à des travaux débutés bien avant l'annonce du plan 15 000. Les travaux sur les centres pénitentiaires des Baumettes 2 et de Papéari ont, par exemple, été lancés en 2013, et ceux de la rénovation de la maison d'arrêt de la Santé en 2006.
Premier constat, nous n'avons pas le nombre de places annoncées à mi-parcours. Les données obtenues montrent en outre qu'au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, le calendrier de livraison des projets se décale. Ainsi, le calendrier révisé prévoit la livraison de 19 projets et de près de 9 115 places en 2027, alors qu'il était initialement prévu que 11 opérations s'achèvent en 2027, pour un peu plus de 5 900 places. On observe donc un net report vers 2027, ce qui ne laisse absolument plus aucune marge de manoeuvre pour achever le plan 15 000 dans le délai annoncé. Certains retards s'apparentent à de véritables dérapages : ainsi, la maison d'arrêt de Basse-Terre devrait être livrée avec sept ans de retard. Sur les 36 opérations restantes, 13 sont encore en phase d'études préalables.
En matière budgétaire, des écarts sont également à attendre. En effet, entre le dossier de presse du plan 15 000 et la détermination de l'enveloppe budgétaire votée par le Parlement, on observe une augmentation de près de 800 millions d'euros pour atteindre un budget total initial de 4,3 milliards d'euros. En juin 2022, la direction du budget a révisé cette évaluation à 5,4 milliards d'euros. Les données analysées dans mon rapport montrent que le coût prévisionnel révisé atteignait même 5,55 milliards d'euros en juin 2023. Si l'on suit un rythme de 200 millions d'euros supplémentaires chaque année, la barre des 6 milliards d'euros pourrait être largement dépassée d'ici à 2027. Le plus inquiétant est la révision des coûts des projets qui sont encore en phase d'études préalables. À titre d'exemple, l'estimation du budget alloué au futur centre pénitentiaire de Trélazé, près d'Angers, a été doublée. De fait, avant de créer plus de places d'ici à 2027, nous devons achever ce qui a été annoncé et le faire mieux.
S'agissant des centres éducatifs fermés, les constats sont similaires, même si les enjeux budgétaires sont moindres. Il y a eu une première révision du budget total alloué au projet, particulièrement sous-évalué à l'origine : de 30 millions d'euros, l'enveloppe est ainsi passée à 76,5 millions d'euros. Les données obtenues montrent que le coût prévisionnel du plan serait désormais plutôt de l'ordre de 110 millions d'euros, c'est-à-dire quasiment trois fois plus que le budget initialement prévu.
Pour les délais de livraison, la situation est, si j'ose dire, encore plus préoccupante. Au 1er juillet 2023, seulement 3 CEF sur les 20 prévus ont été livrés, et 3 autres sont en phase de projets.
Deux facteurs structurels et deux aléas conjoncturels expliquent cette situation.
La première difficulté a trait au pilotage du plan 15 000. Le Gouvernement a voulu aller vite et avancer avant d'avoir fiabilisé les cahiers des charges techniques et les coûts. Les opérations sont quant à elles placées sous l'égide de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui doit composer avec les nombreuses modifications des spécifications techniques. La volonté de multiplier les modalités de prise en charge des détenus est louable et essentielle, mais elle se traduit en réalité par une absence de standardisation des constructions, même s'il existe des programmes-cadres. L'évolution constante des caractéristiques techniques des projets est la principale explication aux écarts calendaires et budgétaires constatés dans l'exécution du plan 15 000.
Il en va de même pour les CEF, les surcoûts s'expliquant principalement par la révision des critères de sécurisation des projets. Cela peut s'avérer nécessaire : ainsi, dans un centre que j'ai visité, les boutons de sécurité incendie qui permettent d'ouvrir toutes les portes étaient accessibles à toutes les personnes présentes, tout le temps, sans sécurisation.
À l'inverse, il ne faut pas non plus que l'APIJ, maître d'ouvrage, fasse preuve d'une trop grande rigueur dans ses programmes-cadres. La construction des centres pénitentiaires a parfois conduit à des aberrations, qui ne sont d'ailleurs pas imputables à l'agence et qu'il est impératif de corriger le plus en amont possible, pour éviter des travaux d'aménagement trop lourds et, partant, des coûts encore plus élevés.
J'ai pu en observer quelques exemples lors de mes déplacements aux centres pénitentiaires de Bordeaux-Gradignan et de Mulhouse-Lutterbach : une isolation par l'intérieur et non par l'extérieur, alors que les détenus peuvent se servir de l'isolation intérieure pour des caches de produits illicites ; l'absence de barreaux aux fenêtres des parloirs réservés aux avocats donnant directement sur le toit-terrasse du premier étage ; des châssis de fenêtres pouvant être démontés avec un coupe-ongles ; l'absence de filet de sécurité entre deux étages ou encore des boîtiers de sécurité de commande extérieure qui gèlent sous une certaine température et ne fonctionnent plus en cas de surchauffe. Certes, ces anecdotes peuvent prêter à sourire, mais pour les fenêtres, par exemple, la facture s'élève à 600 000 euros, un an et demi après la livraison du centre pénitentiaire.
Je recommande le modèle mis en place à Bordeaux, où une petite équipe de deux ou trois personnes, appartenant à l'administration pénitentiaire, se rend tous les jours sur le chantier pour observer ses avancées et signaler très en amont les défauts de conception qu'elles repèrent. Cela permet de réagir plus vite, donc de limiter les coûts. Ce modèle doit être reproduit et les professionnels davantage associés aux chantiers. S'il est parfaitement concevable que le maître d'oeuvre ne puisse pas avoir en tête l'ensemble des impératifs du monde pénitentiaire, il est en revanche inconcevable de se priver des connaissances de terrain de l'ensemble des personnels.
La deuxième difficulté structurelle porte sur la mise à disposition du foncier. La recherche de terrains est à la fois longue et complexe. En effet, au-delà de la disponibilité du foncier, il faut tenir compte de sa qualité dans le respect d'un cahier des charges exigeant : surface et topographie du terrain, proximité des réseaux de distribution, accessibilité, absence de surplomb, etc. Il ne s'agit pas, comme cela a pu être le cas, de proposer un terrain à proximité d'une décharge publique.
Pour l'un des projets de structure d'accompagnement vers la sortie, les travaux ont déjà pris trois ans de retard parce que la ville refuse de procéder aux travaux de voirie convenus avec l'administration pénitentiaire avant les élections de 2020. Pas moins de 5 projets de CEF se voient bloqués par manque de terrain disponible dans les villes qui devaient les accueillir.
Aux circonstances politiques et géographiques s'ajoutent les craintes des riverains. En effet, l'on peut nourrir des inquiétudes à l'idée d'avoir une prison à côté de chez soi. Toutefois, l'implantation d'un établissement pénitentiaire représente une population supplémentaire, un renforcement de la sécurité grâce à davantage de patrouilles de police, l'installation des personnels à proximité, l'inscription de leurs enfants à l'école, le développement d'emplois pour leurs conjoints, ainsi que des accords avec les entreprises et les commerces locaux. À titre d'exemple, à Mulhouse-Lutterbach, un contrat a été passé avec un bar-tabac de proximité, qui a désormais un chiffre d'affaires de 200 000 euros à 300 000 euros.
Ainsi, plutôt que de contraindre, il me semble qu'il faut convaincre les élus locaux et les populations locales, en évaluant les gains socioéconomiques des projets.
Quant aux deux aléas conjoncturels que sont l'inflation et la pénurie des matériaux en 2022, ils n'ont fait qu'accentuer les fragilités structurelles du plan 15 000 et du plan CEF. Toutefois, en dépit de mes demandes, je n'ai pas pu évaluer le surcoût lié à l'inflation. Il y a eu des révisions de prix dans les contrats et des indemnisations exceptionnelles octroyées à certains maîtres d'oeuvre. Je crois toutefois qu'il faut nous féliciter que ces deux aléas n'aient pas conduit à revoir à la baisse les ambitions de ces deux programmes immobiliers.
Au total, l'ensemble de ces facteurs tend à montrer qu'il faut mieux anticiper ces plans de grande ampleur. Le prochain ne devrait en effet pas tarder : alors que le plan 15 000 a été conçu pour accueillir une population de 75 000 détenus en 2027, ce niveau est quasiment atteint en 2023. À titre d'exemple, un an et demi après la livraison du centre de Mulhouse-Lutterbach, le taux d'occupation atteint déjà 131 % et il y a même eu un pic à 180 %, ce qui ne fait qu'accélérer la dégradation des bâtiments et nuire aux projets de réinsertion. En tant que parlementaires, nous devons également prendre conscience que la politique publique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière.
Je conclurai comme j'ai commencé, en revenant sur la situation du personnel pénitentiaire, en particulier celle des surveillants. Les taux de vacance sur les postes demeurent élevés, autour de 10 %, tandis que de 20 % à 30 % des places offertes aux concours ne sont pas pourvues.
Je soutiens à cet égard les mesures de valorisation mises en place par le ministère de la justice, telles que l'octroi d'une prime de fidélisation, le passage de la catégorie C à la catégorie B des surveillants, ou encore le recrutement d'agents pénitentiaires sous le statut de contractuels pour soutenir le travail des surveillants. Une telle mesure est de nature à faciliter, au niveau local, le recrutement de profils qui n'auraient sans doute pas passé le concours autrement.
On ne peut pas envisager de continuer à créer des places de prison supplémentaires sans disposer du personnel adéquat et sans remédier au déficit d'attractivité des métiers de la pénitentiaire, qui permettent pourtant de belles progressions de carrière.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Votre rapport mentionne la volonté du ministère de la justice de privilégier l'implantation des centres de détention et des centres éducatifs fermés près des centres urbains. Dans mon département, j'ai visité un CEF que le ministère souhaiterait rapprocher de la ville alors qu'il n'en est éloigné que de quinze à vingt minutes en voiture. Trouvez-vous cela justifié ? Ne faudrait-il pas plutôt améliorer la desserte et prendre en compte des critères plus variés comme la possibilité de réemployer d'anciens bâtiments de qualité, par exemple ? On répondrait ainsi aux besoins d'accessibilité et de maîtrise des coûts.
M. Claude Raynal, président. - À vous entendre, rien ne change, on a toujours ces décalages entre les effets d'annonce et la réalisation. La construction des bâtiments publics, quels qu'ils soient, pose un problème. Il faudrait toujours multiplier le temps et les finances par deux. Le raisonnement est lassant.
Mme Nathalie Goulet. - Qu'en est-il du développement des quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR), annoncés depuis 2018 par le gouvernement d'Édouard Philippe ? Hormis le quartier de la prison des femmes, à Rennes, où se trouvent 29 femmes radicalisées, on a très peu parlé des autres structures, alors que l'actualité nous rappelle tristement qu'elles sont indispensables.
M. Dominique de Legge. - Nous sommes nombreux à dénoncer la tendance de l'État à vouloir se démembrer en créant des agences. L'APIJ en est un exemple, avec un taux de réalisation des objectifs n'atteignant pas 50 %. De quels moyens dispose réellement le ministère de la justice pour faire en sorte que les objectifs assignés à cette agence soient respectés ?
M. Pascal Savoldelli. - Vous concluez en disant que la politique pénitentiaire ne peut pas se résumer à une politique immobilière. La prison de Fresnes se trouve dans mon département et je ne souscris pas à l'avis de la Cour des comptes selon lequel la population carcérale évolue au même rythme que la création de places nettes dans les établissements pénitentiaires. L'approche quantitative est tout à fait inadéquate.
Il faudrait revoir la relation entre l'État et les collectivités territoriales sur cette question. En effet, les établissements carcéraux représentent un enjeu en matière d'immobilier, de foncier et d'urbanisme.
En outre, je veux attirer votre attention sur la standardisation des constructions, dont le rapport défend le principe et à laquelle il me semble que nous devons prendre garde. Par exemple, à la prison de Fresnes, je suis favorable au maintien d'une unité médicale de psychiatrie carcérale, et ce pour la sécurité de tous. Tout ne peut pas être standardisé.
Mme Christine Lavarde. - Il y a une vingtaine d'années, la construction des prisons se faisait dans le cadre de partenariats public-privé (PPP), ce qui devait favoriser une vision de long terme des dépenses d'investissement et de fonctionnement. Le coût unitaire de la place de prison en investissement me semble très élevé. Comment le ministère de la justice peut-il ensuite provisionner le fonctionnement ? Ces centres dégagent-ils des « recettes » grâce au travail des prisonniers ou par des missions d'intérêt général ? On risque de créer des charges considérables pour l'avenir.
M. Emmanuel Capus. - À Angers, nous attendons avec impatience la construction du centre pénitentiaire de Trélazé, même si j'ai bien compris que son coût avait doublé.
Vous indiquez dans votre rapport que le taux d'encellulement individuel est plus élevé dans les établissements pour peines que dans les maisons d'arrêt. Avez-vous le détail de ce qui sera construit ? En effet, la maison d'arrêt d'Angers doit être remplacée par un établissement pour peines. Dans la mesure où le taux d'occupation dans les maisons d'arrêt atteint 200 % d'occupation, dans quelle mesure est-ce raisonnable de les remplacer par des centres pour peines ?
M. Marc Laménie. - Les douze recommandations de ce rapport montrent que le dossier est sensible. On constate une explosion des coûts financiers ainsi qu'un problème d'attractivité et de foncier pour la localisation des centres pénitentiaires. Qu'en est-il des moyens humains et de l'attractivité des métiers de l'administration pénitentiaire, qui sont difficiles ? Comment améliorer la politique de recrutement ?
M. Christian Bilhac. - Merci à notre rapporteur spécial pour ce dossier complet, qui est aussi le dossier des échecs. Rien n'est respecté, ni les coûts ni les délais. C'est à se demander pourquoi le Parlement vote des mesures. Le rapporteur explique qu'on ne peut pas se limiter à une politique immobilière. En effet, l'emprisonnement, c'est l'échec.
Autrefois, la prison avait deux buts, à savoir punir et réinsérer. Désormais, au lieu de punir, elle donne un diplôme et c'est celui de l'école du crime. La surpopulation explique cette évolution. Mieux vaudrait sanctionner préalablement. Par exemple, on parle du refus d'obtempérer en voiture, mais rien n'est dit sur le refus d'obtempérer à mobylette ou à vélo. Si l'on veut que les individus changent, il faut les sanctionner au préalable, sans attendre le quinzième délit pour les envoyer en prison. Pourquoi ne pas développer les sanctions graduées et les travaux d'intérêt général, pour peu qu'ils soient surveillés par le personnel pénitentiaire, car les maires ne sont pas des spécialistes de la délinquance.
Les éducateurs spécialisés me disent qu'en rapprochant les CEF des centres urbains pour que ceux qui s'y trouvent soient plus proches de leur famille, on rapproche aussi les prisonniers de leurs copains de délinquance, ce qui ne favorise pas leur réinsertion.
J'ai connu des centres où il y avait entre 40 et 50 jeunes et autant d'encadrants. Cette force de l'encadrement a disparu. Je m'interroge sur la manière dont on réfléchit, au ministère, sans doute un peu trop loin du terrain.
M. Christopher Szczurek. - Nous sommes d'accord sur le constat : les agents qui constituent le personnel pénitentiaire souffrent en général de leurs difficultés de travail et sont en nombre trop faible. Toutefois, je reste sceptique sur le recrutement d'agents pénitentiaires contractuels. Dans ce type de filière, il ne peut pas y avoir deux niveaux d'agents. Le poste est tellement sensible qu'il faut renforcer la formation des titulaires. En outre, les milieux de sécurité sont assez facilement noyautés par des fondamentalistes.
Mme Marie-Carole Ciuntu. - Dans le Val-de-Marne, nous avons toujours milité pour que la prison de Fresnes ne reste pas dans l'état où elle se trouve. Le fiasco calendaire et financier tient sans doute aux choix initiaux qui ont été faits, donc à la relation instaurée entre l'État et les collectivités locales. Les 47 communes du département ont dit non au lieu choisi pour l'implantation d'un nouveau centre carcéral tout comme la région, le département et la métropole, et les élus ont finalement appris la décision du ministère par voie de presse. Comment s'étonner ensuite que tout prenne du temps ?
En outre, le foncier n'est pas forcément adapté. La garde des sceaux, lorsqu'elle s'était déplacée, au début du projet, a semblé découvrir l'absence de RER dans la ville où le centre de détention devait être construit, alors même que nous avions fait remonter l'information. Plus grave encore, même si l'on ne peut pas contester le phénomène de surpopulation carcérale et que l'on est favorable à la construction de nouveaux centres de détention, on ne peut pas effacer l'aspect environnemental. Or, la plupart du temps, on veut construire des prisons sur des terres agricoles.
À l'évidence, il ne peut y avoir que des résistances et une série d'obstacles à ce type de projet. L'absence de desserte, l'impossibilité de circuler, l'engagement d'un projet sur du foncier inadapté entraînent forcément un dérapage du calendrier et des conditions financières catastrophiques.
Gardons en tête qu'il y a pourtant plus de villes qui veulent des prisons que de prisons dont on envisage la construction. Il y a donc des endroits disponibles. Si nous ne tenons pas compte de cette donnée, le fiasco est annoncé.
M. Laurent Somon. - Lundi dernier, j'ai rencontré le directeur de la maison d'arrêt d'Amiens, qui est en surpopulation, puisque l'on y compte deux fois plus de personnes incarcérées que de places disponibles. Le côté immobilier pose manifestement problème. Le plan prévisionnel d'investissement, même s'il est retardé, est en cours de mise en oeuvre. Qu'en est-il de la gestion des ressources humaines ? Le directeur me précisait, en effet, qu'il existait un problème non seulement de recrutement, mais aussi de formation du personnel, dans la mesure où celle-ci a été réduite en temps.
M. Bruno Belin. - Quelles sont les modalités de prise en charge des places de prison pour les femmes enceintes et pour celles qui ont des enfants de moins de 18 mois ? Le financement est-il assuré par l'État, s'agissant du domaine régalien de la justice, ou cela relève-t-il du département, au titre de la protection de l'enfance ? Faut-il le rappeler, les conseils départementaux sont exsangues.
M. Jean-Marie Mizzon. - La mise en oeuvre de ce programme est un véritable fiasco et je me réjouis, au vu de tels dérapages, que l'État ne s'occupe plus de la construction des collèges et lycées. L'État communique trop et les réalisations dérapent partout. Nous l'avions déjà constaté au sujet de l'emploi des crédits du fonds Marianne, même si le montant était bien évidemment beaucoup plus modeste.
Dans les CEF, qui conjuguent enfermement et enseignement, le personnel relève de l'éducation nationale. Or cette institution a déjà du mal à recruter pour sa mission première. Comment envisage-t-elle l'emploi des enseignants dans les CEF ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Il me semble en effet que les CEF doivent être situés près des centres urbains. S'il s'agit de petites villes, il faut vérifier la présence d'infrastructures sanitaires et d'éducation. Rien ne sert de créer ce genre d'établissement dans de grandes métropoles, mais la proximité minimale d'un certain nombre de services s'impose.
Les quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR) ont bien été mis en place. Quelque 49 millions d'euros ont été programmés depuis 2016. Ils ne sont pas saturés, puisque, au 1er juillet 2023, 37 places sur 60 sont occupées à Paris ; les 30 places disponibles à Marseille sont occupées ; à Lyon, 11 places sur 30 sont occupées et à Lille 13 places sur 30 sont occupées.
Je souscris au questionnement de notre collègue Dominique de Legge sur les agences. Toutefois, l'APIJ a plus de 20 ans d'expérience et a démontré sa capacité à conduire des projets de grande ampleur - la difficulté provient des commandes contradictoires qui lui sont adressées. Elle doit en revanche pouvoir davantage s'appuyer sur l'ensemble des personnels qui gèrent les établissements et une capacité d'audit doit être développée.
La relation de l'État avec les collectivités territoriales pose en effet problème. Certaines villes sont demandeuses de ce type d'établissement, mais l'État les impose à d'autres collectivités. Dans le Val-de-Marne, les problématiques de desserte n'ont pas été suffisamment prises en compte. Ce n'est pas en cabrant les élus que l'on parviendra à mener à bien des projets, mais en engageant un dialogue très en amont. Si l'on veut progresser sur le respect du calendrier, sans doute faudrait-il changer la méthode de concertation et de consultation pour l'implantation des établissements pénitentiaires.
En ce qui concerne la standardisation, je voulais simplement suggérer qu'elle était susceptible de faire gagner du temps dans la conception et la réalisation - c'est du moins ce qu'a montré le plan Chalandon. Néanmoins, les unités psychiatriques sont indispensables dans les établissements, et il faut en tenir compte. La standardisation ne signifie pas la disparition des quartiers adaptés aux profils des détenus.
Dans le plan 15 000, la mise en place des PPP a été complètement abandonnée, car l'on a constaté qu'ils avaient donné lieu à des surcoûts importants et à des difficultés dans la gestion des établissements.
Le plan 15 000 doit conduire à la création de 1 700 places en maisons d'arrêt, 2 500 places en structures d'insertion et 10 000 places en établissements pénitentiaires, qui comprennent au moins deux types de quartiers. Dans l'établissement que j'ai visité, à Mulhouse, on trouve un quartier pour les femmes, un quartier de détention, deux quartiers de maisons d'arrêt, un quartier d'insertion pour les jeunes et un quartier expérimental de confiance.
La prison est faite non seulement pour punir et réinsérer, mais aussi pour protéger les victimes. Pas moins de 40 000 téléphones portables sont saisis chaque année dans les cellules, qui permettent aux prisonniers de continuer de harceler leurs victimes.
J'ai visité le CEF d'Épernay, situé en centre-ville, qui a été réaménagé et qui est géré par le secteur associatif habilité, grâce à un engagement de grande qualité de la part des éducateurs. Une jeune femme a fait une demande pour y séjourner plus longtemps afin de pouvoir terminer son parcours de formation sans être gênée par un environnement familial toxique. Cela témoigne d'une prise en charge importante qui contribue efficacement à la réinsertion de certains jeunes.
Le recours aux contractuels devient une nécessité. Ils ne pourront intervenir qu'en complément et en soutien des surveillants et il faut bien entendu assurer leur formation. Certaines personnes qui travaillent déjà dans le domaine de la sécurité peuvent être intéressées par les métiers de l'administration pénitentiaire. Dans les prochaines années, nous risquons d'être confrontés à de grandes difficultés pour recruter. Les campagnes de communication ne suffiront pas. Le garde des sceaux a octroyé aux surveillants pénitentiaires d'accéder à la catégorie B. Il faut continuer de travailler sur le statut des agents.
Je renvoie à la lecture de mon rapport d'information sur l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP). En effet, celle-ci a été remaniée en deux formations, dont une en stage pratique dans les établissements, pour absorber le volume important de surveillants pénitentiaires à former. Nous avons besoin d'agents en nombre suffisant pour faire fonctionner les nouveaux établissements qui verront le jour.
J'ai visité les établissements dont vous parlez, monsieur Belin. Par définition, la prison est gérée par l'État, qui doit organiser sa relation financière avec les départements pour soulager ces derniers.
Certes, il y a un fiasco ou du moins un dérapage. Plutôt que de communiquer, il faut des résultats. Je souhaite que ce rapport serve à interpeller le garde des sceaux sur ce sujet qu'il connaît bien.
M. Claude Raynal, président. - Nous remercions le rapporteur spécial pour son travail.
La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.
La réunion est close à 10 h 15.
La réunion est ouverte à 11 h heures.
Perspectives de l'économie française et ses conséquences sur les finances publiques - Audition de M. Patrick Artus, conseiller économique de Natixis, Mme Sandrine Duchêne, directrice des risques, du contrôle permanent et de la conformité au Crédit mutuel alliance fédérale et membre du Haut Conseil des finances publiques, et M. Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
M. Claude Raynal, président. - Nous recevons dans le cadre d'une audition commune consacrée aux perspectives économiques de la France et leurs conséquences pour nos finances publiques, M. Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis, M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) et Mme Sandrine Duchêne, membre du Haut conseil des finances publiques et directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux de notre commission relatifs à l'examen du projet de loi de finances pour 2024.
Ce texte est construit sur un ensemble d'hypothèses macroéconomiques formulées par le Gouvernement et sur lesquelles notre commission souhaite bénéficier de vos analyses après avoir entendu, le 27 septembre dernier, M. Pierre Moscovici en sa qualité de Président du Haut Conseil des finances publiques.
Le Gouvernement prévoit une croissance du PIB de 1,4 % en 2024. Cela constitue à ce jour une « hypothèse haute » en comparaison du consensus des économistes et qui, logiquement, avec une inflation estimée à 2,6 %, se retrouve dans des prévisions de recettes qui s'en trouvent également rehaussées. Nous aimerions connaître votre sentiment sur le sujet.
Alors que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé à un nouveau resserrement des conditions du crédit en septembre dernier, les prévisions macroéconomiques pour 2024 paraissent ainsi plutôt optimistes : l'inflation diminuerait, la consommation des ménages repartirait à la hausse, l'investissement des entreprises ne serait que peu affecté par une politique monétaire pourtant très restrictive, après une année de baisse, l'emploi augmenterait et le chômage diminuerait encore. Que pouvez-vous nous dire de tout cela ? Nous nous interrogeons également sur les conséquences économiques que pourraient avoir tant le renchérissement du pétrole à l'oeuvre depuis cet été, que les tensions géopolitiques au Moyen-Orient depuis début octobre.
Mme Sandrine Duchêne, membre du Haut conseil des finances publiques et directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale. - Je vais vous donner la teneur des réflexions du Haut conseil des finances publiques, qui ont motivé notre avis sur le projet de loi de finances pour 2024 et le projet de loi de programmation des finances publiques. En méthode, nous avons procédé comme d'habitude, par l'audition des ministères, de quelques instituts indépendants, ainsi que par questionnaires, et nous nous sommes forgés notre avis. Nous avons ainsi constaté un écart significatif entre la prévision de croissance faite par le Gouvernement, et le consensus : un écart de l'ordre de 0,5 point. L'an passé aussi, le Haut conseil avait alerté sur le caractère optimiste des prévisions gouvernementales, mais la croissance a été finalement proche de ces prévisions. Le Haut Conseil ne parie pas, il ne fait pas de prévision de croissance en propre, son rôle est de constater les écarts au consensus et de qualifier la prévision de croissance et de finances publiques élaborée par le Gouvernement.
Cette perspective rappelée, nous constatons, cette année, que l'hypothèse de croissance du Gouvernement résulte de chiffres relatifs aux différents postes de la demande qui se situent dans les fourchettes hautes des instituts. Il y a un biais optimiste d'année en année, qui fonde l'hypothèse de croissance du Gouvernement et qui se traduit sur les finances publiques - c'est pour vous un point saillant. Ce biais optimiste est-il systématique ? C'est une question que l'on peut se poser s'agissant des prévisions sous-jacentes aux lois de finances.
Sur les trajectoires, le Haut conseil pointe que la prévision de recettes fiscales repose sur une croissance élevée et un contenu en emplois taxables assez riche, pour parvenir donc à des recettes dans le haut de la fourchette. Côté dépenses, le Haut conseil a constaté la suppression de certaines mesures de soutien en matière énergétique, et peu d'économies structurelles qui soient documentées. Le Haut conseil relève donc la fragilité de la trajectoire de désendettement à partir de 2024, mais aussi que la baisse du ratio dette/PIB en 2023 est surtout imputable au surgissement de l'inflation.
À court terme, pour 2024, nous voyons peu d'éléments d'accélération macro-économique en France, en Europe et dans le monde. La croissance mondiale est affectée par le ralentissement en Chine. Nos voisins allemands et italiens, dépendants du commerce international, sont perturbés par le ralentissement chinois ; or l'histoire économique nous montre qu'il est rare que la croissance française soit découplée de la croissance allemande et italienne. Il y a donc peu de facteurs d'accélération du côté du commerce extérieur et de la demande adressée à la France. Ensuite, les prix du pétrole ne connaissent pas de tendance baissière, on observe plutôt un regain d'incertitude - et un regain sur les prix de l'énergie, et il faut compter avec le contexte inflationniste. Troisième point, la politique monétaire, avec ce choc historique qu'a constitué la remontée des taux d'intérêt de 450 points de base en 18 mois, c'est inédit depuis 40 ans - avec des effets sur l'investissement, on en constate déjà un effet de freinage sur l'immobilier. Quel est l'impact de la hausse des taux et où en est-on de cet impact - a-t-il déjà eu lieu, ou le principal est-il encore devant nous ? Quatrième point, l'ajustement des finances publiques, avec une orientation consistant à réduire le déficit, en particulier structurel, ce qui va contre l'impulsion budgétaire de la croissance. Et il faut compter avec le choc immobilier, un élément en soi qui pèse sur la croissance, sachant que les précédents historiques ont montré combien les crises immobilières avaient des effets durables sur la croissance.
Ces éléments montrent qu'il n'y a guère d'ingrédient pour accélérer immédiatement la croissance, en France non plus qu'en Europe. Or dans les prévisions du Gouvernement et d'autres instituts, le facteur d'accélération est le pouvoir d'achat, suite au reflux de l'inflation sous l'effet de la politique monétaire.
Au-delà de ces éléments de cadrage, je voudrais souligner trois enjeux forts, liés aux comportements et qui contiennent une part de mystère, alors qu'ils ont un impact sur la croissance.
Le premier mystère, c'est l'emploi. Depuis la crise sanitaire, il y a un surplomb d'emplois très important en France, un ralentissement de la productivité, plus important que ce que l'on observe dans les autres pays européens. Une partie s'explique de façon très précise, mais une autre partie ne s'explique pas - et la question est de savoir ce que l'on en fait. Il y a les deux faces d'une même pièce : plus l'emploi augmente, plus on a de la croissance à court terme et des facteurs de croissance, mais aussi plus il y a sans doute des effets de long terme sur la productivité, donc de croissance potentielle, on ne peut jamais gagner sur les deux tableaux. Que fait-on de ce dilemme ? Nous avons posé la question au ministère.
Deuxièmement, l'épargne est aussi un mystère. La crise sanitaire a entrainé un surplomb d'épargne très important, qu'on a bien documenté et qui s'explique. Ce qui s'explique moins, c'est pourquoi l'épargne reste à un niveau très élevé encore aujourd'hui en France alors que, par exemple, les consommateurs américains ont déjà dépensé leur surplus accumulé pendant la crise sanitaire. Et des facteurs restent favorables à l'épargne l'an prochain, puisque même si le reflux de l'inflation devrait pousser la consommation à la hausse, l'accélération de la hausse du revenu réel entraînerait plutôt une hausse de l'épargne, le chômage favorise aussi plutôt des comportements de précaution, à quoi s'ajoute le contexte d'incertitude, en particulier sur l'avenir avec la réforme des retraites. Le contexte n'est pas propice à une baisse de l'épargne expliquée par les comportements habituels. Il faut donc faire des choix de modélisation ou de comportement pour établir les prévisions. Ce n'est pas un problème, mais il faut alors les expliciter.
Enfin, le troisième mystère, c'est l'investissement, qui reste toujours à un niveau élevé en brut en France, malgré la hausse des taux. Les banques n'ont pas vu s'effondrer les crédits à l'investissement. Je crois, personnellement, que cela ne peut pas continuer et que les effets du choc vont venir - donc qu'il faut les inscrire dans les prévisions. Même chose pour l'investissement en logement, je pense que les effets de la crise sont encore devant nous.
Dans ce contexte, je crois que ce qui compte, c'est la transparence, la documentation des choix, pour que chacun puisse se forger une opinion sur le caractère plus ou moins optimiste des prévisions.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur Artus, nous ferez-vous passer du mystère, à la lumière ?
M. Patrick Artus, conseiller économique chez Natixis. - Je vais me demander ce qui doit être l'objet de réflexion lorsqu'on fait une prévision économique à l'horizon 2024-2025 et quels sont les points sur lesquels porte l'essentiel de l'incertitude.
Le premier point sur lequel il faut réfléchir, c'est la productivité. Elle a été très sensible à la façon dont les pays ont réagi à la crise sanitaire. Aux États-Unis, il y a eu des licenciements, en Europe, du chômage partiel indemnisé par l'État. Mais il faut regarder la tendance : la productivité du travail en Europe est légèrement décroissante par rapport à son niveau de 2018-2019 ; aux États-Unis, elle reste sur une tendance de croissance d'à peu près 1,5 % par an. Il y a donc une anomalie européenne à partir de 2018 et particulièrement en France, où la productivité du travail a baissé de 6 % depuis le deuxième trimestre 2018. Cette baisse est une très mauvaise nouvelle, parce qu'elle interdit d'augmenter les salaires réels et qu'elle fait subir à l'État des pertes de recettes fiscales. Nous devons donc savoir si l'on peut suivre la thèse du Gouvernement et de la BCE, d'un retour de gain de productivité assez fort dès l'an prochain, ou pas. C'est décisif, parce qu'entre le scénario de ce retour de gain de productivité, et celui d'une stagnation, il y a une différence de 4 points de PIB en 2027, donc de 2 points de déficit public - soit un déficit de 4,8% en 2027.
Quelles explications au ralentissement de la productivité ? D'abord, la baisse du chômage, car on ne peut avoir un retour sur le marché de salariés peu qualifiés et des gains de productivité rapides. Le taux de chômage des qualifiés étant sous les 4 % en France et dès lors qu'il est peu cyclique, la baisse du taux de chômage concerne surtout les peu qualifiés, d'où une perte de productivité globale. Ensuite, l'apprentissage, qu'on estime responsable entre le quart et le tiers de la perte de productivité. Cependant, si les apprentis sont peu productifs au départ, ils le deviennent par la suite. Troisième explication, l'absentéisme, dont le taux a augmenté de 2,5 points entre 2018 et aujourd'hui. Il est à 6,5 %, contre 3,5 % il y a dix ans. C'est un absentéisme qui est surtout le fait des jeunes salariés de 20 à 35 ans et qui est lié, des enquêtes sociologiques le montrent, à une perte du sens du travail et de l'implication dans le travail.
Ces trois causes me semblent structurelles, ce qui rend très optimistes les hypothèses du Gouvernement et de la BCE d'un redressement rapide de la productivité ; je pense qu'il y a, de ce fait, une surestimation d'au moins 3 points de PIB dans les prévisions officielles pour 2027.
Un point sur l'investissement des entreprises. J'utiliserai d'abord une enquête qui interroge les entreprises sur les facteurs limitant la production. Jusqu'en 2017, elles répondent que le principal facteur qui limite la production, c'est l'insuffisance de la demande, soit un régime keynésien normal ; ensuite, et si on exclut 2020 où il n'y avait pas de demande, les entreprises mentionnent en premier les difficultés d'embauche et l'insuffisance des équipements. On est donc passé d'un régime d'insuffisance de la demande à un régime d'excès de demande par rapport à l'offre, puisqu'il manque du travail et du capital matériel. Cela donne l'occasion de discuter du niveau d'investissement des entreprises françaises ; on constate que leur investissement net diminue depuis 2008 - et donc que leur capital augmente peu, ce qui déprime la croissance. Or, les entreprises françaises brillent par leur niveau d'investissement brut, bien au-dessus des autres entreprises européennes. Pourquoi ? Parce qu'il apparait qu'elles investissent beaucoup en logiciels, qui sont ensuite amortis, mais aussi, et c'est alors un biais d'analyse, parce que l'Insee comptabilise ces investissements en logiciels différemment que ses homologues européennes : l'Insee compte en investissement des logiciels développés au sein de l'entreprise, alors que les autres instituts y font entrer seulement les logiciels achetés par l'entreprise, cela expliquerait 2 points d'écart d'investissement. Je crois donc qu'il ne faut pas avoir trop d'illusion sur le fait que les entreprises françaises investissent beaucoup, l'analyse détaillée montre qu'elles investissent en fait moins que les entreprises de la zone euro et beaucoup moins que les entreprises américaines. Cette enquête sur l'équipement des entreprises montre donc qu'en réalité, on n'a pas assez investi dans les entreprises depuis 2017, c'est une cause d'apparition de ce régime d'excès de demande, qui est inflationniste.
La perspective d'inflation, ensuite, est très différente entre la zone euro et les États-Unis. Outre-Atlantique, l'inflation est de 2,2 % si l'on retranche les loyers imputés aux propriétaires de logement - loyers qui sont curieusement inclus dans le calcul de l'inflation - et même à 1,9 % en retranchant tous les loyers. Les Américains sont donc revenus à la normale. Si on fait le même calcul dans la zone euro, l'inflation hors énergie et alimentation est à 6,5 % d'inflation en septembre : l'écart est important. Ceci pour les causes que j'ai dites : la faible productivité, qui implique qu'en l'absence de croissance, on crée quand même des emplois et le chômage diminue, ce qui ne permet pas de guérir les fortes tensions sur le marché du travail -les difficultés d'embauche en zone euro sont au plus haut, alors que ce n'est plus le cas aux États-Unis ; l'excès de demande, qui incite les entreprises à accroître leur marge bénéficiaire pour investir davantage, ce qui expliquerait pour partie la faible réaction de l'investissement à la conjoncture, les entreprises sachant qu'elles doivent investir pour satisfaire la demande. Le Gouvernement et la BCE tablent sur un retour de l'inflation à 2 % fin 2025, je pense que ce sera au moins un point de plus - l'inflation anticipée à 10 ans dans la zone euro, du reste, est à 2,7%, il me semble donc que la BCE entame sa crédibilité avec ses hésitations sur l'inflation.
Je veux souligner, enfin, la question des taux d'intérêt réels, qui sont décisifs pour l'évolution de la dette publique - plutôt que les taux d'intérêt nominaux. On peut les obtenir en soustrayant du taux d'intérêt nominal à 10 ans - qui doit en ce moment être de 3,7 % - le swap d'inflation à 10 ans. Depuis 2015, les taux d'intérêt réels d'emprunt étaient négatifs, ce qui permet de faire ce qu'on veut avec les déficits publics : le simple fait que les taux d'intérêt réels soient inférieurs à la croissance permet de rembourser la dette publique. Or aujourd'hui, les taux d'intérêt réels dans la zone euro sont légèrement supérieurs à 1 %, ce qui est proche du niveau de croissance potentielle de la zone euro. Si je fais l'hypothèse d'une croissance de long terme en France de 1 %, notre déficit primaire - hors intérêt de la dette - qui est de 3 % du PIB et sera probablement plus proche de 2,3 % l'an prochain, doit disparaitre : le besoin de réduction du déficit public cette année serait donc de 3 points de PIB pour stabiliser notre taux d'endettement public. En effet, à partir de maintenant, l'inflation ne fera plus diminuer le taux d'endettement : nous avons donc devant nous un besoin considérable de consolidation budgétaire.
M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE. - Avant tout, une précision : ce que nous disons tous les trois ne tient pas compte de ce qui se passe ces jours-ci, après l'attaque du Hamas sur Israël le 7 octobre.
Mon propos consistera en quatre messages.
Premier message : nous n'anticipons pas une période de récession - à l'exception de l'Allemagne -, mais d'accélération du ralentissement de la croissance. Nous anticipions tous un ralentissement, avec la politique monétaire, les tensions sur le marché immobilier, la persistance de l'inflation ; mais ce ralentissement est plus fort que prévu. Cependant, la France occupe une place particulière puisque là où nos partenaires révisent leurs comptes pour établir l'activité passée - de 2 points de PIB en Grande-Bretagne, d'1,3 point en Espagne, par exemple -, ce qui suggère que le rattrapage a eu lieu et n'adviendra plus, l'Insee n'a révisé nos comptes qu'à la marge. Est-ce à dire que notre institut national est meilleur que ses homologues européens, ou bien que l'ajustement est encore devant nous ? Ce qui, en passant, expliquerait une partie de ce que l'on voit sur la productivité du travail.
Un point de différence avec l'analyse de Patrick Artus : il nous semble, à l'OFCE, que le ralentissement change de nature et que les contraintes d'offre se résorbent tandis que les contraintes de demande reviennent.
Nous démontrons aussi que si la production a retrouvé ses niveaux de 2019 (et de ce point de vue l'Allemagne est en queue de peloton), elle n'atteint cependant pas les niveaux qui auraient été les siens s'il n'y avait pas eu la crise sanitaire - ce calcul se fonde sur des hypothèses, certes, mais le raisonnement tient, et nous y voyons une récession cachée. Cela peut être un élément de croissance demain ; soit on considère que cela est perdu à jamais, soit qu'on va le rattraper, qu'il y a une réserve de croissance - qui est d'ailleurs plus forte en Asie.
Deuxième point, sur les freins à la croissance, et notre analyse diverge encore de celle de Patrick Artus - alors que nous utilisons les mêmes données, c'est intéressant de le relever : en économie, on peut parvenir à des interprétations différentes des mêmes chiffres. Ce que nous voyons, nous, c'est que les problèmes de matériel commencent à se résorber et que c'est plutôt la demande qui redevient un frein à la croissance - tandis que les difficultés de recrutement restent élevées. Et ce frein situé du côté de la demande est plus marqué encore en France, où le moral des entreprises est atone, et où le moral des ménages est déprimé, ce qui rend peu propice qu'ils puisent dans leur épargne pour consommer. Il semble que les carnets de commandes des entreprises se vident et qu'ils ne se renouvellent pas, c'est ce qui nous fait dire que le frein va se situer plus nettement du côté de la demande, donc aussi du pouvoir d'achat.
Deuxième message, l'inflation se diffuse mais ne persiste pas. Elle a commencé dans l'énergie et s'est diffusée dans l'alimentaire, puis désormais dans le sous-jacent, c'est-à-dire les salaires. Cependant, les salaires ne progressent pas comme les prix, il n'y a pas de boucle prix-salaires et nous pensons que cette boucle ne va pas se former parce que les entreprises vont utiliser une partie de leurs marges pour absorber une partie de la hausse des salaires. Nous prévoyons une inflation autour de 3 % l'an prochain avec une convergence des pays développés vers ce taux, mais il faut voir que, si l'on prend pour point de départ 2019, le niveau des prix a moins augmenté en France qu'aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni. Nous constatons que les salaires ont également moins progressé dans notre pays et nous pensons que les salaires, en France, ne vont pas tout à fait rattraper les prix. Si l'évolution des salaires réels est négative, ce n'est pas le cas de celle du pouvoir d'achat. En effet, dans les revenus de ménages, il faut également prendre en compte les revenus du capital, qui progressent fortement. Habituellement, le revenu issu du capital représente 20 % du revenu des ménages, mais ils sont à l'origine de 40 % de la progression. Ce qui a fait augmenter le revenu disponible par unité de consommation, ce sont ces revenus - ce qui peut aussi expliquer pourquoi on a cette surépargne, avec un taux d'épargne passé, au cours de la crise sanitaire, de 15% à 19% des revenus, soit une masse de 220 à 230 milliards d'euros, c'est considérable. Nous prévoyons une très légère baisse du taux d'épargne, mais c'est aussi un pari - si on laissait faire une équation « standard », on aurait plutôt tendance à dire l'inverse. On se demande si la référence est 15 ou 19 % mais on a plutôt l'impression que c'est 15.
Autre élément : y a-t-il eu greedflation ? Autrement dit, l'inflation est-elle due aux comportements de marge des entreprises ? L'inflation des prix de production était très élevée en 2022, un peu moins en 2023. La hausse des prix de production est liée à celles des prix des consommations intermédiaires, de la rémunération des salariés, aux comportements de marge et aux taxes nettes des subventions. Habituellement, ce sont plutôt les consommations intermédiaires qui expliquent ces évolutions, mais au deuxième trimestre 2023 - sur un an en cumulé - ce sont plutôt les marges des entreprises. On peut penser que c'est un effet de rattrapage - c'est le cas en partie - mais on voit qu'elles se restaurent progressivement. Ce phénomène est beaucoup plus marqué dans l'industrie que dans les services - le taux de marge a augmenté de 18,5 points dans l'énergie entre 2018 et 2023, et 10 points dans l'industrie en général.
Sur le policy mix, ensuite, nous pensons que les effets de la hausse rapide et forte des taux d'intérêt vont jouer à plein l'an prochain, mais que les effets de la normalisation budgétaire se feront sentir plus tard. D'après nos calculs, la hausse des taux va amputer la croissance française de près d'un point en 2024, et depuis 2022, elle aura eu le même impact que le choc inflationniste, y compris le bouclier énergétique. Sur la politique budgétaire, les économies budgétaires projetées ne nous paraissent pas de nature à qualifier ce budget d'austérité, puisque le niveau de dépenses publiques revient à un niveau d'avant crise, exprimé en pourcentage du PIB. Le déficit public se maintiendrait ainsi à 4,8 % du PIB. Même si je partage l'analyse de Patrick Artus de l'incidence du taux d'intérêt réel sur l'endettement, nous pensons que l'effet inflationniste a encore un effet, qui, à très court terme, va encore, l'an prochain, jouer dans le sens d'un léger allègement de la dette.
Sur la productivité, les 6 points de baisse depuis 2018 représentent 1,3 million d'emplois « en trop ». Soit les salariés seraient 6 % moins productifs qu'il y a cinq ans - auquel cas il faudrait baisser le salaire réel de 6 %, soit il y a d'autres explications. Les voici : le salarié réel a baissé, c'est-à-dire que la rémunération déflatée par les prix de production est bien plus basse aujourd'hui qu'avant la crise. Ce plus faible coût du travail est à l'origine de 130 000 emplois supplémentaires. Les effets relatifs à la durée du travail représentent quant à eux 160 000 emplois : ils sont liés à l'absence au travail - je préfère ce terme à celui d'absentéisme, qui suppose une intention ; il y a l'apprentissage, qui représente 250 000 emplois ; mais il faut aussi prendre en compte toutes les aides, y compris les prêts garantis par l'État (PGE), qui ont sauvé des entreprises - et donc des emplois - et donné de la liquidité à d'autres entreprises qui n'en avaient pas forcément besoin, un ensemble qui, pour nous, représente 300 000 emplois. Au total, on explique donc 70 % de la baisse de productivité - et il reste donc environ 480 000 emplois qu'on ne s'explique pas. L'analyse montre une forte disparité sectorielle : dans les services, il n'y a quasiment pas de perte de productivité inexpliquée - reste à savoir si le phénomène est structurel, ce que je ne crois pas. Mais la situation est très différente dans l'industrie et la construction, et il faut examiner les choses de plus près pour voir ce qu'il s'y passe. En tout état de cause, nous retrouvons bien les 6 points de productivité dont vient de parler Patrick Artus. Nous pensons qu'il y aura un léger rattrapage - et nos hypothèses sont un peu plus optimistes que celles du Gouvernement - mais on est encore très loin de revenir au niveau antérieur. Cela n'est pas sans incidence sur le chômage, dont nous pensons qu'il va repartir à la hausse, accentuant les problèmes de pouvoir d'achat. Ce qui nous fait dire également que même si ce budget n'est pas d'austérité, il supprime des aides au moment où le marché du travail risque de se retourner, ce qui n'ira pas sans tensions sociales supplémentaires.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous vous invitons à nous expliquer l'inexplicable, et l'on repart avec de nouvelles questions plutôt que des réponses. Ce n'est pas de nature à nous rassurer à une époque où nos concitoyens nous disent - je l'ai beaucoup entendu pendant la campagne pour les sénatoriales de septembre dernier - , que tout est compliqué, de plus en plus compliqué. Tout cela pèse sur la confiance en l'avenir...
Le taux d'épargne reste élevé, vous l'avez dit, mais pensez-vous que ce soit durable ? C'est important de le savoir, parce que la mobilisation de l'épargne aurait un impact sur la consommation dans notre pays.
Sur l'emploi, ensuite, quelles actions pourrions-nous conduire pour améliorer la productivité ? Pensez-vous qu'il faille rehausser le niveau de qualification générale ou, plutôt, agir sur le temps de travail des plus qualifiés ? Quelles seraient les bonnes orientations en la matière, qui profiteraient à la croissance ?
Je ne constate pas d'économies dans le projet de loi de finances pour 2024, mais plutôt une dégradation assumée des comptes publics : pensez-vous que ce soit tenable avec ce niveau de croissance ?
Enfin, les prévisions de croissance sont-elles crédibles, à court et moyen termes ? Dans ces prévisions identifiez-vous ce qui relève de la consommation des ménages, et des administrations publiques ? Et dans l'investissement, entre ce qui relève des entreprises et des administrations publiques ? Enfin, je ne sais pas pour vous, mais je doute que le commerce extérieur devienne un facteur d'amélioration, comme le prévoit le Gouvernement...
Mme Christine Lavarde. - Ce n'est peut-être pas dans vos missions, mais faites-vous ou bien êtes-vous en mesure de faire un contrefactuel de la prévision macroéconomique du Gouvernement ? Il faudrait croiser les hypothèses que vous avez remise en cause, pour voir leur effet cumulé sur les prévisions. Ensuite, quelle vous paraît la meilleure méthode pour aller chercher l'épargne des ménages et l'injecter dans l'économie ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Le taux d'utilisation des capacités de production tourne autour de 80 %, et il serait en léger recul : n'est-ce pas le signe que l'offre, en tout cas dans la zone euro, serait peu adaptée à l'évolution de la demande ? Sur la productivité, vous parlez des effets du volume et de la structure de l'emploi, mais pas du tout des nouvelles technologies : pourquoi ? Je suis étonnée, aussi, que le problème concerne surtout l'industrie, et pas les services. Je m'interroge, également, sur le poids que vous donnez à l'apprentissage. Enfin, toujours sur la productivité, il y avait déjà, en 2019, une part dite inexpliquée : a-t-elle augmenté depuis ?
M. Éric Bocquet. - L'économie n'est pas l'ennemie de l'oxymore puisque vous nous parlez, à propos de la croissance, d'un ralentissement accéléré. Vous nous dites aussi que l'inflation baisse progressivement, mais que les prix vont continuer à augmenter : qu'est-ce à dire ?
Dans les causes de l'inflation, le FMI et la BCE ont pointé l'augmentation des marges des entreprises, vous le dites aussi - j'en prends bonne note. Je crois qu'il faut aussi parler des profits : on parle beaucoup d'absentéisme, alors que si les salariés s'absentent davantage, c'est probablement que le sens du travail a évolué, et l'on passe un peu sous silence le fait que les profits, eux, se portent bien : 160 milliards d'euros en 2021 pour les entreprises du CAC 40, 152 milliards en 2022 et 2023 devrait être un bon cru puisque les profits y auraient progressé de 13, 3% entre avril et juin - la France a d'ailleurs le record européen sur ce point... Ne faut-il pas réfléchir aussi de ce côté-là ?
France Stratégie a publié le rapport du Comité d'évaluation des réformes de la fiscalité du capital ; il n'a décelé aucun effet de l'ISF sur l'activité des entreprises de taille intermédiaire (ETI), ni d'impact du prélèvement fiscal unique (PFU) sur l'investissement et les salaires : qu'en pensez-vous ?
La Fédération bancaire française estimait, en août dernier, que l'épargne des Français s'élevait, tous produits confondus, à 5 956 milliards d'euros : c'est deux fois la dette publique...
Enfin, il semble que même chez les libéraux, on commence à pointer que les baisses d'impôts, que le Gouvernement s'acharne à continuer, ne sont peut-être pas la meilleure idée quand nous emprunterons 285 milliards d'euros l'an prochain : qu'en pensez-vous ?
M. Thierry Cozic. - L'Allemagne connait une récession : qu'est-ce qui l'explique ? Quelle est, ensuite, l'incidence de l'inflation sur les niveaux de revenus et sur le pouvoir d'achat ?
M. Arnaud Bazin. - Je m'interroge sur le rôle de l'éducation dans l'évolution de la productivité. L'éducation de base se dégrade, nous sommes en queue de classement des comparaisons internationales : avez-vous des éléments sur le lien avec la productivité ?
J'ai ensuite une question sur la compétitivité. On annonce des mesures protectionnistes, avec par exemple la prise en compte du cycle de vie globale des produits, y compris le transport, pour favoriser notre industrie automobile par rapport à celle de la Chine : est-ce que cela a un impact sur vos prévisions ?
M. Michel Canévet. - Un mot sur l'évaluation de la réforme de la fiscalité, que cite Éric Bocquet : le rapport dit aussi que la flat tax a motivé la création d'entreprises, ce qui n'a pas été sans effet sur la croissance et l'emploi.
L'épargne augmente, mais de plus en plus de nos concitoyens nous disent avoir du mal à joindre les deux bouts : il faut voir aussi comment elle est répartie. Il faut la mobiliser davantage, en particulier pour le logement : n'y a-t-il pas lieu de relancer la politique du logement, en mobilisant davantage l'épargne ? Les PGE, ensuite, ne vont-ils pas handicaper les entreprises, qui peuvent connaitre des défaillances pour les rembourser ?
On évoque une baisse de l'endettement public, il augmente pourtant en valeur absolue - et que va-t-il se passer pour nos finances publiques, si les taux d'intérêt continuent d'augmenter ?
Enfin, l'augmentation de l'absentéisme n'est-il pas dû pour partie à l'optimisation des droits par une frange de la population ?
Mme Sylvie Vermeillet. - Avec notre niveau d'épargne record et les perspectives que vous présentez, qui sont moins défavorables en France qu'ailleurs, peut-on espérer que les taux d'intérêt pour nos emprunts publics restent raisonnables ?
M. Claude Raynal, président. - Quelles réponses les tableaux que vous nous présentez appellent-ils sur le plan des politiques publiques ? Comment procéder pour améliorer la productivité ? En somme, quelle mesure prendriez-vous si vous étiez ministre de l'économie ?
Ensuite, quel niveau d'inflation viser, à votre avis : en quoi un peu d'inflation améliore-t-elle les choses ?
M. Éric Heyer. - Peut-on faire un contrefactuel ? Oui, c'est déjà le cas sur le site de l'OFCE, avec ce que nous avons appelé Debtwatch, une application où vous entrez vos hypothèses de croissance, d'inflation, de taux d'intérêt, et elle vous calcule votre dette, votre emploi, votre chômage, parmi d'autres indicateurs, ceci à l'horizon d'un siècle, c'est très facile d'utilisation et je vous invite à y recourir.
Je vous confirme que, pour le calcul de la productivité, nous chiffrons l'apprentissage à l'équivalent de 250 000 emplois, car il y a bien une substitution - temporaire, mais effective - des apprentis à l'emploi.
Explique-t-on l'inexplicable ? Par définition, non, mais, par exemple sur la productivité, nous avons des pistes sur ce qui se passe dans l'industrie. De même, ce n'est pas parce qu'une étude ne voit pas l'effet d'une mesure comme l'ISF sur l'emploi, que ces effets n'existent pas, ils peuvent tout à fait exister sans que nos outils les saisissent. Parmi les hypothèses de ce qui se passe pour la productivité dans l'industrie, nous pensons à une sorte de rétention de la main-d'oeuvre : les industriels ont leur carnet de commande plein mais ils rencontrent des difficultés d'approvisionnement, dès lors ils maintiennent les emplois parce que la main d'oeuvre est une denrée rare, au moins temporairement - parce que cela coûte cher - et nous voyons là une réserve de productivité.
L'inflation étant la vitesse des prix, elle peut ralentir, la hausse des prix peut ralentir mais les prix continuer d'augmenter, de même qu'une automobile qui passe de 100 à 50 km/h, continue d'avancer.
Quand on parle d'utiliser davantage l'épargne, l'objectif n'est pas qu'elle retourne à tout prix à la consommation. Quand cela reste sur les comptes en banque, on peut en être déçu : on peut la guider vers le financement des entreprises ou des administrations publiques. Les Français aiment acheter de l'assurance-vie en euros, parce que c'est le placement le moins risqué, et il s'agit en grande majorité de titres de dette publique : ce faisant, ils soutiennent les finances publiques. Le « quoi qu'il en coûte » a entraîné un surplus d'épargne, lequel se traduit par davantage d'assurance-vie en euros, c'est aussi une manne pour l'État qui la récupère - reste à savoir comment l'utiliser au mieux, d'autant qu'il faut en acquitter les taux d'intérêt.
Comment traduire nos analyses en politiques publiques ? La question est vaste, mais s'agissant de la productivité, par exemple, je ne crois pas que le salarié d'aujourd'hui soit 6 % moins productif qu'en 2019, il faut donc faire entrer d'autres facteurs. Le Gouvernement essaie d'enrichir la croissance en emplois, donc de faire baisser la productivité pour continuer à faire baisser le chômage. La question reste de savoir pourquoi il y a encore des difficultés de recrutement : le logement est la bonne façon de répondre à ces questions. À mon sens, la politique du logement est la grande absente de la politique du Gouvernement. Il existe un lien fort entre les problèmes de logement et l'échec scolaire, l'absence au travail, les difficultés d'insertion professionnelle... Résorbez le mal-logement, et vous faites des progrès sur bien des plans. Les problèmes de difficulté de recrutement sont aussi liés aux problèmes de mobilité et, avec les prix du logement aujourd'hui, vous ne bougez plus de chez vous. C'est pourquoi, et pour répondre sommairement à votre question, je crois qu'il faudrait mettre l'accent sur la politique du logement, cela aiderait à résoudre bien des problèmes.
M. Patrick Artus. - Mesure-t-on les effets de l'intelligence artificielle sur la productivité ? Nous disposons d'études locales, à l'échelle de l'entreprise, qui montrent que l'intelligence artificielle se traduit par une réduction de l'emploi peu qualifié et par des gains de productivité, ceci surtout dans les services. Cependant, nous manquons de données à une échelle plus large, qui nous permettent de prendre en compte des phénomènes plus larges - l'introduction d'internet, par exemple, s'est traduite par une création d'emplois peu qualifiés qu'on n'avait pas identifiée initialement. Je dirais donc que nous ne savons pas mesurer, pour le moment, l'incidence de l'intelligence artificielle sur la productivité, à une échelle globale.
Le taux d'épargne est croissant avec le revenu, il est de 2 % pour les 20 % des revenus les plus faibles, et de 28 % pour les 20 % des revenus les plus élevés. Il faut savoir aussi que les personnes âgées épargnent davantage que les jeunes : ce sont les plus de 70 ans qui épargnent le plus et qui, même, prennent le plus de risque avec l'épargne - il n'est donc pas vrai de dire qu'il faut assurer les personnes âgées contre le risque financier, en réalité leur risque de revenu est moindre que celui des jeunes en raison de la retraite et le vieillissement de la population va accroitre la part d'épargne risquée, ce qui est une bonne nouvelle pour l'économie. Dans les débats sur l'épargne, il faut arrêter de penser qu'il faudrait transformer l'épargne en consommation. Nous avons besoin de plus d'épargne, parce que notre déficit extérieur représente 2 points de PIB et parce que la transition énergétique demande au moins 3 à 4 points de PIB en investissement - et donc si l'on n'épargne pas davantage, on aura 5 à 6 points de PIB de déficit extérieur, ce qui mettra le pays en faillite. Il faut donc transformer de la consommation en épargne, ce qui suppose d'arrêter de subventionner la consommation, ce n'est guère sympathique, mais quand on doit transformer le capital brun en capital vert, il n'y a pas d'autre choix que d'épargner, nous sommes dans une économie de reconstruction. Ensuite, il faut savoir qu'il n'y a pas d'épargne non utilisée : l'épargne finance les entreprises privées et les administrations publiques, les Français épargnent 18,2 % de leurs revenus, cette épargne sert directement à notre économie. Il n'y a pas d'épargne qui soit non utilisée.
Sur le logement, je partage l'avis d'Éric Heyer, les statistiques montrent qu'un recrutement sur deux échoue parce que la personne ne peut pas déménager, la question est stratégique. Comment faire ? Il faut peut-être commencer par s'intéresser au prix de l'immobilier dans notre pays, qui est 40 % plus élevé qu'en Allemagne, et à nos comportements - toujours en Allemagne, les actifs sont locataires, ils deviennent propriétaires plutôt à la retraite, et la propriété appartient beaucoup aux assureurs, ce qui donne lieu à une moindre spéculation.
Sur le « bon » objectif d'inflation, les gouverneurs de banques centrales à qui j'ai eu l'occasion d'en parler, m'ont tous dit qu'ils ne « pousseraient » jamais, ô grand jamais, l'inflation à la hausse. Or, la BCE perd une partie de sa crédibilité en tenant une prévision en-deçà de l'inflation anticipée à long terme, qui est de 2,7% et non de 2%, et comme économistes, nous savons que c'est l'anticipation à long terme qui va l'emporter... D'autant que nous avons bien d'autres raisons encore de penser que l'inflation va prospérer, avec les coûts de la transition énergétique, les obstacles au commerce mondial - le FMI recense 2 500 obstacles au commerce mondial, contre 300 il y a dix ans , les tensions sur le marché du travail, le recul de la population active... Je pense que l'inflation sera plutôt de 3 %, et si la BCE persiste à prévoir 2 %, les taux d'intérêt réels seront au-delà de 1 % - les États-Unis sont déjà à 2,2% -, avec des taux nominaux qui continueront à monter, ce qui est une très mauvaise nouvelle, y compris pour l'immobilier puisque le marché immobilier se règle sur les taux nominaux, via la contrainte de revenu pour les acheteurs.
Dans ces conditions, que faire ? Il y a bien sûr le problème de l'éducation et de la formation professionnelle, leur amélioration est indispensable faire repartir la productivité - laquelle ne progressera pas spontanément puisqu'elle décline depuis 2018, qui était une très bonne année de conjoncture, de même que 2019. Je crois qu'ici, l'explication est du côté de l'attitude envers le travail et de la composition de l'emploi, avec beaucoup plus d'emplois non qualifiés que qualifiés. Savez-vous que quatre Français sur cinq parmi les moins qualifiés, ne reçoivent aucune formation professionnelle dans leur vie ? Il faut aussi réformer France Travail, qui s'occupe d'indemnisation plus que de formation professionnelle... Savez-vous, encore, que la formation professionnelle intervient en moyenne après 6 mois de chômage alors que c'est 3 jours au Danemark ? Nous avons des progrès à faire... Je crois aussi que nous devons investir davantage dans les nouvelles technologies et en recherche et développement, notre niveau est sous la moyenne de la zone euro et deux fois moindre qu'aux États-Unis...
Mon programme serait donc une réforme de l'éducation, une réforme de la formation professionnelle - pour viser les peu qualifiés plutôt que, comme aujourd'hui, les personnes qualifiées des grandes entreprises - et une grande politique de redressement de l'investissement en technologie et de la recherche-développement.
Mme Sandrine Duchêne. - La trajectoire de croissance et de finances publiques est-elle crédible ? Elle me parait peu prudente, parce qu'elle factorise mal les incertitudes d'aujourd'hui - géopolitiques, financières -, alors que les périodes de durcissement monétaire sont généralement suivies d'instabilité financière comme on l'a vu aux États-Unis avec la faillite de quelques banques. Il y aurait intérêt à plus de prudence, pour se donner des marges. Les économies budgétaires, ensuite, sont peu ou pas documentées, alors qu'elles sont ambitieuses - il va falloir le faire, c'est un travail ingrat, une revue de dépenses est en cours, je sais d'expérience combien c'est difficile, mais c'est nécessaire.
Quelle est la dynamique sur l'investissement, à court terme ? Je crois que nous sommes à un tournant sur les défaillances d'entreprises, des entreprises qui ont recouru à des PGE sont en difficulté, des entreprises ont été créées mais sans avoir la surface financière suffisante pour passer la crise sanitaire, nous voyons également un mur d'échéances des Urssaf - je crois que nous entrons dans une période de réajustement du tissu productif, au gré du retrait des aides publiques, mais aussi parce que ce tissu ne correspondait peut-être pas bien à la demande. On le voit par exemple avec les agences immobilières, beaucoup se sont créées ces dernières années, le mouvement se retourne.
Je souscris à ce que dit Patrick Artus sur la politique monétaire. Qui plus est, quel degré de répression financière est-on obligé de s'infliger pour parvenir à 2 % d'inflation ? Faut-il vraiment en passer par là ? C'est un débat de politique économique. Pour passer de 3 % à 2 %, combien d'entreprises va-t-on laisser sur le tapis ?
Nous parlons de mobiliser l'épargne pour alimenter la consommation à court terme, c'est un débat. Le surplus d'épargne covid ne concerne guère les ménages modestes, alors que c'est l'épargne de ces ménages contraints qui abonde la reprise de la consommation. Donc le surplomb d'épargne va probablement durer, car ce ne sont pas les ménages qui doivent consommer qui le peuvent. Il y a déjà des recompositions entre les comptes courants, les comptes à terme et l'assurance vie. Cela circule mais il n'y a pas de désépargne. Par ailleurs, on va avoir besoin d'épargne pour financer la transition écologique, car le risque est existentiel. Que les personnes âgées soient prêtes à prendre plus de risques, c'est une bonne chose, il y a des paris à faire sur des technologies qui n'existent pas encore, l'épargne à risque est une opportunité en complément des finances publiques, qui peuvent aussi mieux se mobiliser qu'elles ne le font dans le cadre de subventions. Il vaut alors mieux apporter des garanties que des subventions.
Nous n'avons pas relevé la prévision de croissance potentielle du Gouvernement. Dans cette prévision, il y a un élément fort : l'emploi, avec l'allongement de la durée de vie au travail, la réforme de l'assurance chômage. Cela figure dans la trajectoire des finances publiques, et cela relève le potentiel d'offre dans la trajectoire de moyen terme. C'est un choix historique relativement consensuel, consistant à mobiliser les ressources en main-d'oeuvre et augmenter le taux d'emploi des jeunes, des seniors et des femmes en particulier.
Sur la productivité, je signale aussi que le fait de réintégrer les travailleurs peu qualifiés par des baisses de charges, au prix d'une baisse de la productivité apparente du travail, est un choix politique de longue date, assumé de manière transpartisane. Je crois qu'il faut continuer dans ce sens, parce que notre chômage structurel est encore élevé, par rapport à d'autres pays - ce qui n'empêche pas, bien au contraire, des efforts sur la formation initiale, continue et tout au long de la vie.
Enfin, nous avons à faire davantage d'investissements de transition, et de formation, qui ne sont pas nécessairement liés à la productivité, et nous devrons assumer cet aspect nouveau des choses.
M. Claude Raynal, président - Merci de vous être rendus disponibles.
La réunion est close à 12 h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.