Mardi 11 juillet 2023
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -
La réunion est ouverte à 17 h 05.
Examen du rapport d'information
M. Rémy Pointereau, président. - Au terme de nos travaux, qui ont duré cinq mois, nous sommes réunis pour l'examen du rapport de notre mission d'information sur la gestion durable de l'eau.
Je tiens tout d'abord à remercier le rapporteur pour la qualité de son investissement sur ce thème important. Mes remerciements vont aussi également aux nombreux collègues qui, malgré un agenda chargé, ont participé activement aux auditions et, pour certains, aux déplacements.
Avec 66 auditions, dont 22 réunions plénières et 44 menées par le rapporteur, ainsi que quatre déplacements, nous pouvons dire que notre mission n'a pas chômé depuis le mois de février. Nous voulions rencontrer, dans toute leur variété, les acteurs du monde de l'eau, mais aussi les experts, notamment les universitaires et les chercheurs relevant de différents établissements publics comme l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou Météo-France. Nous avons également voulu rencontrer les représentants des différents échelons de collectivités territoriales, car la politique de l'eau est fortement territorialisée.
Nous avons enfin souhaité effectuer des déplacements sur le terrain, en particulier dans le Cher, en Gironde, ainsi que dans les Deux-Sèvres, à Mauzé-sur-le-Mignon, seule réserve en fonctionnement dans le cadre du projet désormais fameux des retenues de substitution - au nombre de 16 actuellement, contre 19 initialement.
L'eau a brutalement surgi comme un sujet d'une brûlante actualité à l'aune de la sécheresse record de l'été 2022, laquelle a été suivie d'une sécheresse hivernale assez inhabituelle, qui explique la situation tendue dans laquelle nous nous trouvons encore, même si le tableau est un peu moins apocalyptique qu'en juillet dernier. Plusieurs orages sont en effet survenus, malheureusement cette eau ruisselle et ne pénètre plus les sols. Il est regrettable à ce titre de constater que nous n'avons plus de politique de gestion quantitative de l'eau depuis l'arrêt des grands projets de barrage en 1999.
Un point positif doit cependant être tiré de l'expérience récente : nous avons pris conscience du fait que l'eau était un bien précieux et qu'il fallait redoubler d'efforts pour bien la gérer.
Nos travaux ont pu s'appuyer sur une multitude de rapports existants et d'initiatives prises depuis quelques mois. Nous pouvons citer le rapport d'information de la délégation à la prospective du Sénat, adopté à l'automne dernier, intitulé Éviter la panne sèche - Huit questions sur l'avenir de l'eau, mais aussi l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) d'avril dernier, ainsi que le chapitre du rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes consacré à la gestion quantitative de l'eau, ou encore le rapport commun de plusieurs inspections ministérielles intitulé Retour d'expérience sur la gestion de l'eau lors de la sécheresse 2022, qui a été suivi d'une actualisation du guide ministériel de gestion des sécheresses.
L'actualité a aussi été marquée par des événements comme la manifestation violente du 25 mars dernier à Sainte-Soline, ou par la présentation par le Président de la République le 30 mars dernier, à Savines-le-Lac, du plan Eau qui décline 53 mesures, destinées à réorienter la politique publique de l'eau vers plus de sobriété et plus d'efficacité.
Pour faire oeuvre utile, nous avons voulu explorer le sujet dans toute sa complexité. Le premier élément, ce sont les données et les connaissances. Nous savons que le changement climatique bouleverse le cycle de l'eau. La zone de convergence intertropicale se déplace. Le sud de l'Europe va devenir plus aride. Nous sommes donc pleinement concernés. Même si nous aurons probablement les mêmes volumes de précipitation - de l'ordre de 900 millimètres par an en moyenne -, ceux-ci seront répartis différemment dans l'année. La hausse des températures augmentera aussi l'évapotranspiration.
L'étude Explore 2070 montre que les débits des fleuves vont baisser, les débits d'étiage se creuser et le remplissage des nappes sera plus lent. Nous devrons faire face à des sécheresses prolongées ainsi qu'à des sécheresses éclair. La déclinaison territoriale de ces phénomènes n'est pas connue avec précision et nous attendons les résultats de l'étude Explore2 pour y voir plus clair. À ce stade, nous devons simplement avoir conscience du fait que la disponibilité de l'eau sera moins forte et que nous devons nous y préparer.
Le deuxième élément, c'est l'organisation de la politique de l'eau, qui fait intervenir une multitude d'acteurs : les agences de l'eau, qui en sont le bras armé financier, les comités de bassin, mais aussi, à l'échelon local, les collectivités territoriales qui sont maîtres d'ouvrage des réseaux d'eau potable et des réseaux d'assainissement. Ces dernières gèrent aussi parfois des barrages, et, depuis l'attribution de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) aux intercommunalités, doivent entretenir les digues et aménager les zones d'expansion de crues, en passant par les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) ou les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Épage). Les actions de tous ces intervenants s'inscrivent dans une programmation pluriannuelle, impliquant des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) et des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) dont on espère qu'ils résultent d'un large consensus à l'échelle des bassins et des sous-bassins.
Le troisième élément de notre constat est le besoin de trouver un équilibre entre les différents usages de l'eau et la préservation des milieux naturels. Qu'il s'agisse de la continuité écologique, des volumes prélevables ou de la qualité de l'eau, à chaque fois, on s'interroge sur l'endroit où il faut placer le curseur.
L'agriculture est souvent pointée du doigt. Les plantes consomment de l'eau, certes, mais elles servent à nous nourrir et à capter du CO2. Nous devons aider nos agriculteurs à mieux gérer l'eau et faire évoluer leurs pratiques, et non les laisser dans une impasse. C'est dans ce contexte que s'inscrit le débat sur les réserves de substitution.
Le projet de rapport d'information de notre mission rejette l'idée d'une condamnation de principe des réserves de substitution, ce dont je me réjouis. Elles sont décriées alors qu'elles réduisent les pompages estivaux en les remplaçant par des pompages hivernaux. L'exemple de la Vendée est à cet égard éclairant. Il convient certes d'aller vers le multi-usage et de contrôler étroitement leur bon fonctionnement, mais on ne peut pas d'emblée les éliminer de la panoplie des solutions en les diabolisant dans l'opinion publique.
Si j'ai quelques réserves sur certaines propositions du rapport d'information, je constate que celui-ci est globalement équilibré. Or l'équilibre est la condition d'une politique de l'eau efficace et acceptée.
Les 53 recommandations de notre rapport d'information font écho aux 53 mesures du plan Eau. Nous convergeons avec le plan du Gouvernement sur plusieurs aspects : la réutilisation des eaux usées traitées, la nécessité de donner davantage de moyens financiers aux agences de l'eau, l'impératif de continuer à lutter pour la qualité de l'eau ou encore la sécurisation des réseaux d'eau potable par une meilleure interconnexion.
Nos propositions comportent aussi des mesures nouvelles sur la prise en compte de l'eau par les documents d'urbanisme, la solidarité interbassins et vis-à-vis des outre-mer ou encore en matière d'assainissement. Nous espérons qu'elles seront suivies d'effet. Nous avons en tout cas le devoir d'y veiller, car l'eau doit bénéficier d'un soutien politique fort dans la durée, qui pourrait se concrétiser par des modifications de dispositions législatives ou réglementaires.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous avons su trouver un terrain d'entente pour travailler sur le sujet de la gestion de l'eau, en privilégiant l'écoute et le respect mutuel, ce que je tenais à souligner.
La gestion durable de l'eau pour nos usages, nos territoires et notre environnement est un enjeu majeur, non seulement pour l'économie ou l'environnement, mais aussi et surtout pour nos vies quotidiennes et notre avenir. C'est pourquoi ce thème a été choisi par mon groupe pour faire l'objet d'une mission d'information dans le cadre du droit de tirage.
En tant que rapporteur, j'ai souhaité entendre un maximum d'interlocuteurs pour aborder la question de l'eau sous tous ses aspects et être capable de faire des propositions fondées sur un diagnostic complet et précis. Le document qui résulte de ce travail fournit un ensemble d'informations tout à fait utiles.
Au terme de ces travaux, je voudrais partager avec vous quelques constats.
Le premier constat est le suivant : les collectivités territoriales, en particulier le bloc communal, ont bien assumé leur rôle en matière d'adduction d'eau potable et d'assainissement. L'eau coule dans nos robinets, et ce à un prix relativement modeste par rapport aux autres pays européens : 4,30 euros pour 1 000 litres, soit une facture annuelle d'un peu plus de 500 euros par foyer, incluant l'assainissement collectif. Malgré tout, nous pouvons nourrir quelques inquiétudes.
Tout d'abord, les services d'eau sont très disparates selon les territoires : certains sont très performants, d'autres moins. Les prix de l'eau varient du simple au double. Ensuite, l'état des réseaux est perfectible. Si le taux de fuite moyen n'est que de 20 %, meilleur que chez plusieurs de nos voisins européens, comme l'Italie, qui ont des réseaux plus fuyards, il pourrait être bien inférieur. Certains réseaux ont des taux de fuite de 40 % voire 50 %. Par ailleurs, le renouvellement de nos infrastructures est très lent, le taux de renouvellement étant situé autour de 0,6 à 0,7 par an, ce qui suppose que nos réseaux soient capables de tenir 150 ans, ce qui est impossible. Il faut donc créer les conditions de leur rénovation.
En matière d'assainissement, nous avons enregistré des progrès considérables, au prix d'importants investissements. Cependant, nous pouvons douter de la capacité de certaines stations, encore fragiles, à faire face à de nouvelles mises aux normes pour répondre aux exigences de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires (DERU). L'assainissement individuel, qui concerne encore 20 % des habitations et donc une part importante des zones rurales, est peu contrôlé et sa mise aux normes prend du retard.
L'intercommunalisation de la compétence eau et assainissement continue à faire débat sur les territoires. Certains craignent les mariages inégaux, dans lesquels des collectivités vertueuses dans leur gestion de l'eau devraient prendre en charge les dépenses de celles qui l'ont moins été et qui ont tardé à investir pour maintenir leurs réseaux en bon état. Nous avons entendu des arguments dans les deux sens et la mission ne s'est pas prononcée sur le sujet, mais nous voyons bien que l'intercommunalisation de l'eau et de l'assainissement va dans le sens de l'histoire.
Une attention particulière doit par ailleurs être portée à la distribution de l'eau potable et l'assainissement dans les outre-mer. Nos auditions ont été significatives à cet égard. Des tours d'eau existent toujours en Guadeloupe ou à Mayotte. L'assainissement est encore défaillant dans trop de territoires ultramarins. Un effort de solidarité nationale doit être mené rapidement dans ces territoires, nous y reviendrons dans nos recommandations.
Enfin, lorsqu'on parle du rôle des collectivités territoriales et en particulier du bloc communal, la question de la Gemapi se pose forcément. La taxe additionnelle à la taxe foncière fléchée sur la Gemapi commence à être mobilisée, mais s'avère souvent insuffisante pour faire face au coût des travaux, particulièrement élevé, et permet tout juste de payer des études. OEuvrer pour une organisation plus efficace de la Gemapi fera partie de nos recommandations.
Le deuxième constat de notre mission est celui de la montée des enjeux quantitatifs, dont la prise de conscience est brutale à l'occasion des sécheresses, comme celle de l'été 2022. Plus on a de sécheresses, plus l'eau ruisselle et moins elle pénètre les sols.
Pourtant, nous ne devrions pas manquer d'eau. Avec 900 millimètres de pluie par an, la France est un pays bien arrosé. Sur les 500 milliards de mètres cubes qui tombent par an, 200 milliards, soit 40 %, sont des pluies utiles qui vont dans les nappes et les cours d'eau. Sur ce total, nous ne prélevons qu'un peu plus de 30 milliards de mètres cubes pour l'ensemble de nos activités : à peine 5 milliards pour l'eau potable et 3,5 milliards pour les besoins agricoles.
Or, la pluie est irrégulière alors que nos besoins sont plus élevés durant la période sèche. La nature du sol et du sous-sol ne permet pas toujours de retenir l'eau. Certains territoires dépourvus de nappes profondes sont aujourd'hui tout juste à l'équilibre. Ces phénomènes se renforceront malheureusement à l'avenir.
Le changement climatique n'arrangera pas cette situation. Nous recevrons vraisemblablement les mêmes quantités d'eau de pluie, mais de manière moins utilisable : la variabilité saisonnière devrait augmenter moyennant une hausse de 15 % des pluies durant l'hiver et une baisse de 10 % des pluies durant l'été. Les débits moyens des cours d'eau diminueront de 10 % à 40 %, et la vitesse de recharge des nappes diminuera de 10 % à 25 %. Les sols seront donc moins humides, ce qui réduira l'infiltration ou encore la capacité des plantes à capter l'eau naturellement. Enfin, la hausse des températures entraînera davantage d'évapotranspiration, ce qui augmentera les besoins en eau des plantes.
Certains territoires comme l'ouest du bassin méditerranéen sont déjà affectés par des sécheresses chroniques, mais c'est tout l'Hexagone qui est exposé à la banalisation de phénomènes considérés jusqu'ici comme extrêmes : sécheresses hivernales, sécheresses éclair, sécheresses prolongées. En 2022, la quasi-totalité des départements étaient couverts par des arrêtés sécheresse.
Le troisième constat est celui de la nécessité de maintenir la garde haute sur les questions de la qualité des eaux. Il ne s'agit pas seulement de répondre aux exigences de la directive-cadre sur l'eau (DCE), ce que nous ne parvenons toujours pas à faire dans certains territoires, mais tout simplement de protéger à long terme la santé de la population en protégeant la santé de notre environnement. Des décisions doivent être prises rapidement à cet égard.
L'eau que nous consommons satisfait des normes de qualité élevées, qu'il s'agisse de l'élimination des matières organiques, de teneur en nitrates ou en résidus de pesticides. Les limites sont fixées à des seuils très bas et sont rarement dépassées. Notre eau fait l'objet de contrôles sanitaires réguliers.
La qualité de l'eau dans les milieux s'est améliorée grâce aux mises aux normes des stations d'épuration. Les pollutions industrielles sont également mieux contrôlées qu'il y a quelques décennies.
Toutefois, la bataille de la qualité de l'eau est encore loin d'être gagnée. La production de produits chimiques a été multipliée par 50 depuis 1950 et devrait tripler encore d'ici à 2050. La persistance de résidus de pesticides sous forme de métabolites suscite des inquiétudes. L'effet sur la santé à long terme des polluants industriels persistants comme les substances per- et polyfluoroalkylées désignés par l'acronyme PFAS pourrait s'avérer délétère. Les microplastiques, résidus de médicaments ou de produits cosmétiques se disséminent dans l'eau et peuvent même atteindre les nappes phréatiques, lorsque le sol ne joue plus correctement son rôle de filtration. Or les coûts de dépollution sont très élevés. La bonne stratégie est donc celle de la prévention : ne polluons pas pour ne pas avoir à traiter ensuite.
Le quatrième constat est celui du risque de multiplication des conflits de l'eau, notamment autour des enjeux agricoles. L'eau est en effet un bien commun dont l'utilisation par les uns réduit les possibilités d'utilisation par les autres. Lorsque l'on capte trop d'eau en amont, on en prive ceux qui sont situés en aval du cours d'eau. La solidarité amont-aval est parfois difficile à construire dans les faits.
Les utilisations anthropiques de l'eau peuvent dégrader les services rendus par la nature. C'est pourquoi le code de l'environnement comporte un certain nombre d'exigences pour préserver les milieux en bon état en limitant notre capacité à mobiliser l'eau pour satisfaire nos besoins. La loi impose ainsi de maintenir des débits réservés dans les cours d'eau, de restaurer la continuité écologique pour permettre la circulation et la reproduction des espèces aquatiques. Des débats peuvent survenir à cet égard. L'art de la nuance est donc un enjeu majeur de la politique de l'eau, compte tenu des différences qui se présentent entre les territoires et les nappes.
Le problème est que les données sur lesquelles nous nous appuyons pour définir les bonnes pratiques font encore l'objet de débats et de controverses scientifiques. La modélisation du fonctionnement de la nature et les dynamiques hydroclimatiques sont complexes à appréhender. La construction de bases de données et la consolidation de nos connaissances sont donc des enjeux majeurs.
Certaines données scientifiques manquent ou coûtent trop cher à collecter. De plus, les effets du changement climatique sont difficiles à calculer. La décision publique s'appuie donc sur un socle mouvant et friable. Une application rigoureuse du principe de précaution conduirait à réduire drastiquement nos possibilités de prélever l'eau dans les milieux.
Le secteur agricole est alors aux premières loges des conflits sur l'eau. Rappelons que l'irrigation ne concerne que 6,8 % de la surface agricole utilisée (SAU). Toutefois, elle est indispensable au maintien de certaines cultures. Elle s'est améliorée techniquement et on consomme aujourd'hui moins d'eau par hectare qu'il y a deux ou trois décennies. Cette orientation doit être confortée, et nous devons accompagner l'évolution des modèles en ce sens. Le problème est que l'eau agricole est surtout mobilisée dans des secteurs où l'on en manque. Elle est appelée pendant la période sèche et peut représenter 80 % de la consommation totale d'eau en été.
Les agriculteurs plaident donc en faveur d'une solution en apparence simple et efficace : la création de retenues d'eau. Ces dernières sont de deux types : les retenues collinaires, qui se remplissent par les eaux de ruissellement, et les retenues de substitution qui fonctionnent par pompage dans les rivières ou les nappes : on prélève l'hiver pour utiliser l'eau l'été, afin de ne pas avoir à pomper à cette période. C'est ce dernier modèle qui est appliqué dans les Deux-Sèvres.
Cependant, les retenues de substitution provoquent parfois de vifs débats. Notre visite de terrain a été éclairante à cet égard. Les arguments en leur défaveur sont connus : eutrophisation de l'eau stockée en raison de sa non-circulation, évaporation - même si les vrais chiffres sont certainement moins élevés que les 40 % avancés dans certains écrits, d'où la nécessité de consolider les connaissances sur ce sujet -, coût élevé des aménagements mobilisant d'importantes aides publiques. Sur ce dernier point, l'exemple de Sainte-Soline est parlant : si le prélèvement effectué s'avère globalement vertueux, le coût de l'installation est élevé.
Il ne faut pas enfermer l'agriculture dans un modèle obsolète, mais l'accompagner vers des modèles permettant de développer des stratégies pertinentes. La question se pose donc de savoir comment réorienter les cultures en ce sens.
Lors de notre visite à Mauzé-sur-le-Mignon, nous avons entendu ces différents arguments, mais nous avons aussi noté que les porteurs du projet s'étaient engagés à des changements de pratiques. Nous avons également constaté que ce projet avait manqué d'un pilotage public affirmé.
Le Varenne agricole de l'eau, achevé début 2022, avait saisi à bras-le-corps le sujet de l'eau en agriculture. Encourageant la résilience, la couverture économique des risques et l'adaptation des pratiques, il envisageait aussi la création de nouvelles retenues d'eau dans le cadre de projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), c'est-à-dire en renvoyant les décisions à des négociations locales. Or celles-ci se révèlent difficiles et les projets avancent parfois lentement.
Après les constats viennent les propositions. Nous en avons 53, en parallèle des mesures du plan Eau du Gouvernement. Je vais vous les présenter par blocs logiques, en vous indiquant les axes qui ont guidé notre réflexion.
Le premier axe est celui de la gouvernance. Une bonne politique de l'eau passe par une bonne organisation. Depuis la loi de 1964, renforcée par celles de 1992 et 2006, notre architecture institutionnelle est assez robuste. Nous sommes organisés par bassin hydrographique, avec des agences de l'eau et des comités de bassin. Nous disposons d'une planification à travers les Sdage. Personne n'entend remettre en cause les agences de l'eau et l'organisation par bassin.
Toutefois, il faut rendre la machine plus efficace et davantage ramifier la politique de l'eau à l'échelle des sous-bassins. C'est pourquoi nous proposons de généraliser les commissions locales de l'eau (CLE) dans chaque sous-bassin, et d'encourager des SAGE partout et non seulement sur 55 % du territoire français, en commençant par des SAGE simplifiés.
Une bonne gouvernance passe aussi par la recherche de convergences entre acteurs. Les comités de bassin ont déjà une composition très large, qui associe tous les interlocuteurs. Les CLE ont vocation à reproduire cette diversité à l'échelon local. Pour favoriser les convergences, nous suggérons de donner aux comités de bassin un rôle de médiation en cas de conflit, moyennant une possibilité de remonter à l'échelle du Comité national de l'eau (CNE), dont le rôle pourrait en outre être accru en matière d'expertise.
Pour faire évoluer la pratique des PTGE, il faudrait inventer à l'échelle des bassins et sous-bassins des contrats d'engagement réciproques. Le but du jeu est d'emmener tous les acteurs vers des politiques de sobriété. Ce sont ces contrats qui permettront de mettre en place les modalités de financement, chacun devant prendre sa part et se responsabiliser.
Les documents d'urbanisme devraient aussi mieux prendre en compte l'enjeu de l'eau. Nous suggérons donc de renforcer le volet « eau » des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et des schémas de cohérence territoriale (SCoT) et proposons que les comités de bassin et les CLE soient systématiquement sollicités pour donner leur avis sur ces documents. Nous suggérons également d'inscrire une meilleure gestion de l'eau pluviale dans les plans locaux d'urbanisme (PLU).
La bonne gouvernance suppose aussi des capacités d'action. L'ingénierie territoriale est donc indispensable et nous proposons, d'une part, de permettre aux départements de mettre à disposition cette ingénierie et, d'autre part, que l'État crée une mission d'appui pour les outre-mer.
J'ajoute qu'il faudrait mettre à jour les schémas départementaux d'interconnexion pour sécuriser les approvisionnements en eau potable, et obliger les maîtres d'ouvrage publics à connaître leur patrimoine en les engageant, sous cinq ans, dans un diagnostic stratégique de connaissance et d'analyse financière adossé à un programme pluriannuel d'investissement (PPI). Ce point est essentiel : chaque maîtrise d'ouvrage doit avoir une bonne connaissance de son patrimoine et de son modèle économique. Il faudrait aussi lutter contre les fuites en fixant un taux de rendement cible de 85 %. Techniquement, le maximum est de 90 % à 92 %. Il fautr aller vers ce maximum. L'idée est également de voir comment nous pourrions regrouper les petites unités d'assainissement pour faire face aux nouvelles mises aux normes.
Pour prendre les bonnes décisions, il faut ensuite s'appuyer sur des données et des analyses robustes. Nous avons huit recommandations allant dans ce sens, du renforcement de la surveillance des cours d'eau et des aquifères au comptage en temps réel des consommations d'eau, en passant par l'élargissement du spectre des contrôles sanitaires et l'amélioration des projections d'évolution de la ressource au niveau global, mais également en déclinant ces projections par bassin et sous-bassin. Il convient aussi de mieux associer le grand public en informant chaque foyer de l'impact de ses consommations, au même titre que l'énergie.
Concernant les solutions techniques à nos problèmes d'eau, nous pensons utile d'encourager la réutilisation des eaux usées traitées, qui pourrait mobiliser 500 millions de mètres cubes supplémentaires. Mais n'en attendons pas trop : cette solution est essentiellement pertinente en fin de bassin, dans les zones littorales. En tout état de cause, il convient de faciliter les projets en sortant de la logique d'expérimentation, en levant les blocages liés à des craintes sanitaires infondées et en mettant à disposition les moyens financiers adaptés.
Nous devons garder à l'esprit que la politique de l'eau est intimement liée à celle de l'énergie. Nous estimons que les barrages hydroélectriques ont encore un potentiel de développement ; mais encore faudrait-il renoncer à la remise en concurrence des concessions, qui pourrait désorganiser toute l'hydroélectricité de France. Nous devons aussi développer les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) et le photovoltaïque flottant, dans les limites réglementaires existantes.
Concernant les retenues à usage agricole, nous formulons huit recommandations. Il faut garantir des procédures claires s'inscrivant dans des délais d'autorisation et de déclaration raisonnables et maîtrisés. Nous proposons de fonder les autorisations de réalisation de retenues non seulement sur des données rétrospectives, mais aussi sur des projections hydroclimatiques, et de renforcer la connaissance de leurs effets, en particulier en matière d'évaporation. Par ailleurs, les retenues pourraient être conditionnées à des contrats d'engagements réciproques, portant notamment sur des changements de pratiques orientés vers davantage de sobriété, afin de préserver la ressource en eau sur les plans quantitatif et qualitatif ; une évaluation externe régulière assurerait un suivi du fonctionnement et des effets des retenues une fois bâties. Il faut aussi privilégier un portage public des projets de retenues, par des collectivités ou des syndicats mixtes, dans une optique de multi-usages, prenant en compte le soutien d'étiage, l'approvisionnement en eau potable, l'irrigation agricole ou les loisirs. Nous recommandons également de généraliser la gestion collective des autorisations de prélèvement d'eau agricole à travers des organismes uniques de gestion collective, un grand nombre d'entre eux ayant fait leurs preuves : nous devons veiller à la distribution équitable des droits d'eau entre les exploitations du territoire. Enfin, nous devons permettre l'installation de micro-retenues de sécurisation dans les exploitations agricoles destinées à une irrigation de résilience, selon des modalités définies par un dialogue ouvert dans chaque comité de bassin.
En dernier lieu, réarmer la politique de l'eau passe nécessairement par la mobilisation de moyens supplémentaires. Le plan Eau prévoit de relever les recettes des agences de l'eau de 475 millions d'euros par an. Cette hausse des financements sera couplée avec la mise en place d'incitations financières à la performance dans le cadre de la réforme des redevances, et avec une incitation à la préservation de la qualité de l'eau par un l'élargissement des redevances à des pollutions aujourd'hui exonérées, comme les médicaments ou produits cosmétiques. Les assiettes de ces redevances ne doivent pas uniquement concerner les usagers individuels, mais doivent être élargies. Nous avons tous conscience que, compte tenu des enjeux, les 475 millions d'euros annuels ne seront peut-être pas suffisants.
Notre rapport exprime aussi plusieurs préoccupations complémentaires concernant le financement de l'eau.
Il faudrait définir un modèle économique pour l'indemnisation des exploitants hydroélectriques qui participent au soutien d'étiage. Des modèles existent, mais il faut les revisiter et les conforter.
Il faut davantage de solidarité, avec l'outre-mer, mais aussi entre les bassins.
La facture d'eau doit cesser d'être le principal financeur de la biodiversité, comme nous l'avons toujours dit au Sénat. Nous devons payer l'eau, mais il faut que la biodiversité trouve ses propres moyens de financement.
Nous devons aussi trouver les moyens de financer la compétence Gemapi à la bonne échelle. Les EPTB pourraient utilement assumer la Gemapi lorsque les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne le peuvent pas. Ce point est particulièrement sensible, mais il faudrait aller vers cette direction.
Les Aqua Prêts devraient être davantage sollicités par les maîtres d'ouvrage publics pour accéder à des financements dont la maturité est très longue ; nous avons l'avantage d'avoir des prêts qui peuvent durer jusqu'à soixante ans, ce qui peut être pertinent pour la rénovation des réseaux.
Enfin, les particuliers devraient recevoir des signaux-prix traduisant les priorités de la politique publique de l'eau : il faut encourager la sobriété par une tarification progressive, et encourager la récupération d'eau de pluie par le rétablissement du crédit d'impôt, souvent couplé avec d'autres aides locales, pour les récupérateurs de toiture. Nous pouvons envisager d'aller plus loin sur ce sujet : Florence Blatrix Contat fera une proposition en ce sens. En outre, les plus fragiles pourraient être protégés par une tarification sociale de l'eau mieux ciblée.
Pour conclure, notre rapport ne verse ni dans le défaitisme ni dans le catastrophisme. Nous avons les armes pour faire face au changement climatique ; encore faut-il fonder notre gestion de l'eau sur des connaissances scientifiques solides et débattre à la bonne échelle des actions à mettre en oeuvre pour que celles-ci soient socialement acceptables.
En serons-nous capables ? Les phases de crise constituent des révélateurs. Les quelques années qui viennent seront à cet égard décisives. En agissant sans attendre, la « guerre de l'eau » pourrait ne pas avoir lieu.
M. Thierry Cozic. - Je remercie le rapporteur de la qualité des échanges que nous avons pu avoir avec l'intégralité de nos interlocuteurs. Le rapport me semble équilibré, fait de compromis et d'arbitrages. Nous sommes tous d'accord pour constater que la ressource en eau est une ressource rare, un bien commun, et qu'il est plus que temps que chacun en prenne conscience.
Sans entrer dans leur détail, les recommandations me semblent fortes ; elles engagent l'ensemble des acteurs de la politique de l'eau, que ce soit l'État, les collectivités, les syndicats, le monde agricole ou les usagers. Les deux termes employés par le Président de la République, « sobriété » et « efficacité », ont nourri le débat.
Je concentrerai mon propos sur les questions de gouvernance. La recommandation n° 10 vise à assurer la sécurisation juridique des possibilités laissées aux départements de piloter les politiques locales de l'eau. Il s'agit d'une recommandation forte, car si les départements ne pilotent pas la politique de l'eau, un certain nombre de difficultés risquent de se poser dans les territoires.
Toutefois, même si je comprends l'idée de ne pas bouleverser la gouvernance actuelle de la politique de l'eau et de renforcer les SAGE, je me demande si notre ambition en matière de gouvernance ne pourrait pas être encore plus forte : à plusieurs reprises, lors des auditions, l'idée d'instituer un ministre de l'eau de plein exercice de l'eau a été exprimée. Cette idée m'est chère : si l'on veut parler d'une seule voix, il faut qu'un seul pilote donne l'impulsion et indique le cap. Cette réflexion ne pourrait-elle pas figurer dans les recommandations, afin de conférer au rapport un rôle plus moteur ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Je remercie également le rapporteur de l'organisation des travaux de cette mission d'information et de ses recommandations. Nous l'avons tous indiqué lors des auditions, préserver la quantité et la qualité de l'eau disponible sont des enjeux essentiels. Dans le contexte de raréfaction de la ressource qui semble s'installer durablement, nous avons tous insisté sur la dimension indispensable du partage de l'eau. Je salue la qualité des recommandations, qui visent à rendre plus efficiente l'articulation des politiques de l'eau grâce à une évolution de la gouvernance.
Bien entendu, l'objectif de sobriété visé dans la première recommandation est lui aussi très important, mais pour le renforcer, et dans le sens des recommandations nos 19 et 49, j'aurais souhaité proposer la systématisation à terme des compteurs individuels, et associer les collectivités dans le développement de la télérelève. Si l'on doit suivre sa propre consommation, comme avec le compteur Linky, il faut avoir les outils pour le faire.
Autre élément qui peut améliorer la sobriété, la réutilisation des eaux de pluie et des eaux grises. Beaucoup de départements ou de particuliers demandent comment réutiliser ces eaux de pluie, pour les toilettes des collèges par exemple. Lever les freins réglementaires et financiers à la mise en place d'installations dans ces bâtiments me semble primordial.
La recommandation n° 34 vise à fixer un taux de rendement cible des réseaux de distribution autour de 85 %. C'est important, mais il ne doit s'agir que d'un objectif d'étape, puisqu'à terme il faudrait viser des taux compris entre 92 % et 95 %. Les collectivités doivent être fortement accompagnées par les agences de l'eau pour rénover leur réseau : elles n'y arriveront pas seules. Alors que le taux de renouvellement de l'eau potable est de 0,6 % ou de 0,7 %, un immense chantier est devant nous. Il faut un véritable plan Marshall de l'eau.
De nombreuses auditions ont démontré que la protection des aires de captage contre les pollutions constitue un objectif à atteindre, et que les traitements contre les polluants ne doivent intervenir qu'en deuxième intention. Je souhaite renforcer la protection des périmètres de captage proposée par la recommandation n° 53, en la traduisant par des évolutions réglementaires comme législatives.
M. Ludovic Haye. - Je m'associe également aux remerciements : j'ai rarement vu une mission d'information aussi riche. Le résultat me semble à la hauteur de la qualité des débats : le terrain et les élus locaux attendent des propositions du Gouvernement, mais aussi, venant du Sénat, des compléments proposant une bonne granularité territoriale.
Comment anticiper cette « guerre de l'eau » ? Même si les nouvelles sur l'état des nappes phréatiques sont plus positives que l'an dernier, les tensions locales restent fortes. J'ai tenté la semaine dernière de faire s'entendre des agriculteurs qui commencent à poser des cadenas sur des buses ou à faire disparaître du matériel dans les champs. J'espère que l'on n'en arrivera pas à une guerre de l'eau, mais sans parler de « terrorisme », il faut voir comment sécuriser le circuit de l'eau : certains réservoirs sont aujourd'hui très facilement accessibles. Un agriculteur pourrait se venger en diffusant des produits dans des réserves auxquelles il n'a pas accès, ou poser des freins ou des obstacles dans un cours d'eau passant sur sa parcelle. Comment assurer la sécurité de l'eau, du réservoir jusqu'à son utilisation, pour éviter que chacun ne puisse faire n'importe quoi ?
Sur le plan sanitaire, il est beaucoup question en ce moment de moustiques et de dengue. Faut-il prendre cela en considération dans la volonté de créer des zones humides ?
Mme Évelyne Perrot. - Je remercie le rapporteur de son travail. La recommandation n° 10, qui vise à sécuriser les possibilités laissées aux départements de piloter les politiques locales de l'eau, est en place chez moi depuis 80 ans ! C'est positif pour les communes et les propriétaires privés. Le syndicat réalise tous les travaux de comptage et de prélèvement, ainsi que tous les contrôles sanitaires. Il est en train de distribuer à l'ensemble des propriétaires des compteurs d'eau intelligents : le mien a été posé la semaine dernière. Lorsqu'un syndicat contrôle la totalité des réserves en eau, c'est très appréciable pour les communes, qui n'ont pas à se préoccuper d'éventuelles réparations.
En revanche, l'eau utilisée par les agriculteurs pour arroser des céréales utilisées dans les méthaniseurs posera problème. Les gens ne comprennent pas que l'on arrose en plein jour, en pleine chaleur, des petits maïs réservés à cet usage.
M. Alain Cadec. - Je remercie le président et le rapporteur, qui a mené un long travail en recevant quasiment tous les acteurs de l'eau. Je partage évidemment l'essentiel des remarques. Ce matin, j'ai reçu des agriculteurs qui pratiquent la méthanisation. Le maïs consomme moins d'eau que le blé ou l'orge ; cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faut faire que du maïs pour de la méthanisation...
M. Jean Bacci. - Je remercie le rapporteur de la qualité de ce rapport, qui va jusqu'au bout de la question. J'ai remarqué toutefois une opposition entre l'ambition de conserver des zones humides et le fait de dire qu'il ne faut pas stocker l'eau lors de gros orages, lorsque l'eau ruisselle. Stocker cette eau, c'est multiplier les bassins d'orages et améliorer les zones humides. Il faut l'envisager : nous aurons peut-être autant d'eau à l'avenir, mais dans des conditions différentes, avec davantage de gros orages et de grosses quantités d'eau à retenir.
Mme Sylviane Noël. - Je félicite à mon tour le rapporteur de ce travail remarquable. Je ne vois rien dans le rapport sur la gestion des eaux fluviales. La question est-elle abordée ? Je souhaiterais en outre davantage de précisions sur la recommandation n° 34, avec une redevance « très dissuasive » pour les réseaux les plus fuyards. À qui cette redevance serait-elle appliquée ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La redevance est prélevée sur l'ensemble du réseau. Le but est d'envoyer des signaux, tant aux systèmes les plus fuyards qu'aux plus vertueux. La redevance sera différenciée en fonction de la performance des réseaux : plus on est performant, moins elle sera forte, moins on est performant, plus elle sera forte. Il faudra bien sûr des gradations équilibrées.
Je suis personnellement assez favorable à l'approche interministérielle souhaitée par Thierry Cozic, que plusieurs responsables des politiques de l'eau préconisaient, à défaut d'un ministère dédié. Au Sénat, lors des débats sur la gestion du risque incendie, certains ont déjà proposé de travailler à une approche interministérielle ne dépendant pas uniquement du ministère de l'intérieur.
Nous ne sommes pas allés jusqu'à formuler la recommandation de créer un ministère de l'eau dans le rapport pour des raisons d'acceptabilité politique, même si la création d'un ministère consacré à l'eau et à la gestion du risque me semble souhaitable.
Mme Évelyne Perrot. - Ces risques concerneraient-ils les réservoirs d'eau en forêt ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La transversalité du sujet de la gestion de la ressource mériterait une approche interministérielle. Je ne sais pas si l'on peut aujourd'hui trancher le débat, mais je suis personnellement assez favorable à une telle approche.
Madame Blatrix Contat, je suis favorable à la systématisation des compteurs intelligents individuels, mais comment les imposer dans l'habitat collectif ? Pour respecter la tarification différenciée prévue par le plan Eau, il faudrait développer des compteurs individuels et communicants dans l'habitat collectif. Faut-il aller plus loin que ce que le rapport comporte, c'est-à-dire une incitation à développer des compteurs individuels dans l'habitat collectif ? Je suis prêt à vous suivre, mais cela implique une politique plus coercitive au niveau des syndics comme des syndicats des eaux, et il faudrait trouver un modus vivendi : soit les syndicats assurent la montée en puissance des coûts, soit des formes de cofinancements avec les syndics sont trouvées. Je n'ai pas la solution. Des syndicats des eaux hésitent en effet à se lancer dans cette démarche.
Pour développer la réutilisation des eaux de pluie, un projet de décret a été mis en consultation et devrait être publié très prochainement. Il concernera en particulier la question des sanitaires.
Vous souhaitez aller plus loin sur l'objectif de la protection des aires de captage, mais le rapport indique déjà qu'il faut aller plus loin. L'ensemble des aires de captage représentent actuellement 3 % de la SAU. Si l'on veut les protéger, il faut alors améliorer les paiements pour services environnementaux (PSE). Nous pouvons peut-être proposer d'aller plus loin dans la définition de l'objectif de protection des aires de captage. À terme, 100 % des aires de captage devront être protégées.
Sur la « guerre de l'eau » et la médiation, nous avons conscience du risque que Ludovic Haye soulève. Nous proposons d'inscrire des profils de médiateurs à l'intérieur des comités de bassin, plutôt qu'avec le préfet coordonnateur de l'État, les événements de Sainte-Soline ayant montré que l'État n'est plus en situation de médiation. À un deuxième niveau, il faudrait un médiateur national institué lors de grands conflits, pour permettre les conditions d'un arbitrage équilibré : c'est la voie que nous ouvrons en identifiant le Conseil national de l'eau comme interlocuteur pertinent.
Monsieur Haye, vous avez raison au sujet de la sécurisation des circuits d'eau. Les organismes uniques de gestion collective (OUGC) doivent monter en puissance, car ce sont eux qui seront en première ligne. Nous préconisons de développer les OUGC sur l'ensemble du territoire, car cela nous semble propice à responsabiliser les irrigants de manière collective. Au-delà des OUGC, la question a été posée de la politique environnementale, de la police environnementale et de la police de l'eau.
Il convient d'inscrire une gestion stratégique des eaux pluviales dans les SCoT, les PLU et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Il faut une véritable gestion pour permettre l'infiltration de l'eau dans les sols. L'approche me semble partagée.
Mme Florence Blatrix Contat. - La police de l'eau fait son travail, mais d'après nos remontées, les plaintes seraient ensuite souvent classées sans suite, et il n'y aurait pas d'instruction. La police de l'eau a des moyens, mais il faut davantage d'instructions.
M. Rémy Pointereau, président. - L'institutionnalisation de l'eau dans un ministère me semble difficile : les mêmes demandes pourraient ensuite être faites au sujet du nucléaire ou de l'air. Il me semble que la question de l'eau est transversale, entre l'environnement et l'agriculture. Un ministère spécifique de l'eau ne me paraît pas la meilleure solution.
M. Alain Cadec. - Les ministres et les secrétaires d'État sont déjà assez nombreux.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous pourrions indiquer que nous souhaitons renforcer la place du Conseil national de l'eau. Nous avions réfléchi à la possibilité d'instituer une agence de régulation de l'eau, homologue de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). En Italie, une telle agence existe pour réguler l'accès à l'eau au niveau national. De grands opérateurs se positionnent, il peut y avoir des conflits, les solidarités doivent parfois être harmonisées : pour ces raisons, une régulation du marché peut être envisagée. Mais en France, notre système fait intervenir les comités de bassin, les agences de l'eau qui jouent un premier rôle de régulation. Nous avons donc écarté cette piste.
Mme Évelyne Perrot. - Un syndicat départemental, c'est déjà bien !
M. Thierry Cozic. - Nous pourrions être plus ambitieux dans le rapport, et imaginer comment la question pourrait se poser demain pour être plus efficace. Il y a urgence, mais j'ai le sentiment que la question est diluée dans différents ministères. Lorsqu'on parle de « guerre de l'eau », il faut un décideur qui donne une orientation unique, afin que les décisions liées à l'eau ruissellent. Ma proposition n'est pas un totem, mais s'il y a une « guerre de l'eau », il faut un chef de guerre.
Mme Évelyne Perrot. - Est-ce que le comité de bassin ne remplit pas ce rôle ?
M. Rémy Pointereau, président. - Nous avons fait un travail équilibré, dans un respect mutuel : la sagesse sénatoriale a encore agi. Nous avons de nombreux points de convergence sur de nombreux sujets, comme le financement de l'eau, le partage de l'eau ou le renforcement du rôle des départements. Les recommandations portent aussi en partie sur le principe de précaution pour les eaux usées. Il faut cadrer les choses pour que les agences régionales de santé (ARS) ne sortent pas le parapluie en permanence, et interdisent la réutilisation des eaux de pluie, même pour arroser des plantes ! Il faut sécuriser tout cela.
Évidemment, nous sommes favorables au renforcement de la police de l'eau prévu par la recommandation n° 5, mais il faut aussi davantage de prévention. Sur le terrain, lorsqu'on arrive le revolver dans la poche pour dresser un procès-verbal à un agriculteur ou à un maire en tort, cela passe mal. Il faut d'abord insister sur la prévention.
La recommandation n° 27 porte sur les autorisations renforçant la connaissance des retenues en matière d'évaporation. J'ai proposé de favoriser le photovoltaïque sur les retenues. Il y a beaucoup de « fake news » sur l'évaporation. Or, le taux réel est bien souvent autour de 5 %. Favoriser le photovoltaïque flottant permettrait de limiter encore davantage l'évaporation dans les retenues. Mes collègues du groupe LR et moi-même avons quelques réticences à propos de quelques mesures. Confier aux comités de bassin une mission de médiation dans les conflits de l'eau, nous y sommes favorables, mais quant à permettre au CNE de devenir une autorité administrative indépendante, nous n'y étions pas favorables.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous avons écarté cette hypothèse du rapport.
M. Rémy Pointereau, président. - La recommandation n° 52 prévoit de renforcer l'application du principe pollueur-payeur en augmentant les tarifs de redevances pour les rejets industriels et en instaurant une redevance pour les polluants aujourd'hui exonérés. Par principe, je ne suis pas favorable à la création de taxes : il y a déjà des taxes sur les produits phytosanitaires et sur les pollutions diffuses. Je suppose que vous parlez des médicaments, des produits de beauté, des cosmétiques. Pourquoi pas, mais il faut rester mesuré.
Mme Évelyne Perrot. - Qu'entend-on par « produits cosmétiques » ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il s'agit des substances contenues dans les produits mis en vente.
M. Rémy Pointereau, président. - Une autre recommandation à propos de laquelle mes collègues du groupe LR sont circonspects, c'est celle qui porte sur les chèques eau automatiquement distribués. Si c'est automatique, il n'y a plus de règles. Chez le pharmacien, quand on ne paye pas les médicaments, on a l'impression qu'ils sont gratuits. Le terme « automatiquement » nous gêne un peu.
Sinon, le rapport fait consensus. Le président du comité de bassin Loire-Bretagne, Thierry Burlot, a joué avec son équipe un rôle de médiateur à Sainte-Soline, en faisant un très gros travail. Pour cette raison, nous avons considéré que le comité de bassin est capable d'exercer une telle mission. À Bourges, j'étais présent lors de la dernière réunion du comité de bassin : ses 150 membres ont voté à l'unanimité moins une abstention une motion pour retravailler sur la question des réserves de substitution. Le département des Deux-Sèvres était dans la sinistrose : tout le monde était fâché, la préfète faisait elle-même l'objet de menaces. Notre passage dans les Deux-Sèvres nous a laissé une terrible impression. Le travail du comité de bassin m'a semblé positif : il y a la volonté de se remettre autour de la table, et nous avons bien fait d'indiquer, à la recommandation n° 4, qu'il est nécessaire de lui confier un rôle de médiation.
Le groupe LR votera ce rapport, en ajoutant une contribution pour les quelques points évoqués.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pourrait-on s'accorder sur un objectif cible de protection des aires d'alimentation de captage ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Tous bords confondus, ce sont les collectivités qui nous le demandent : il faudrait que d'ici à dix ans toutes les aires de captage soient protégées. Pourquoi ne pas inscrire dans le rapport un objectif à dix ans ? Là où il n'y a pas de pollution, la situation n'est pas urgente. Les collectivités nous demandent d'adopter le principe de protection des aires de captage, en fonction des besoins, dans une temporalité qui le permet, par exemple dix ans.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La recommandation n° 53 serait ainsi formulée : « Afin de parvenir en dix ans à la protection de la totalité des périmètres de captage, augmenter la part des aides PAC et des agences de l'eau en faveur des paiements pour services environnementaux. »
M. Rémy Pointereau, président. - Et concernant le rôle de prévention et de pédagogie de la police de l'eau ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous allons ajouter cet élément de bon sens dans le rapport.
Mme Évelyne Perrot. - Je suis assez opposée à la pose des panneaux photovoltaïques sur toutes les retenues. Un agriculteur que j'ai rencontré la semaine dernière m'a dit : « qui n'a jamais remonté la manivelle d'un puits ne peut pas connaître la valeur de l'eau. »
M. Hervé Gillé, rapporteur. - C'est une belle citation. Pour répondre à votre crainte, la règlementation actuelle limite la surface des retenues pouvant être couverte, et en tout état de cause, cela doit rester une initiative volontaire du maître d'ouvrage.
Je vous propose comme titre pour notre rapport : « Pour une politique de l'eau ambitieuse, responsable et durable ».
Pour finir, je tenais à excuser notre collègue Daniel Breuiller, qui, pour des raisons de santé, n'a pas pu assister à cette dernière réunion, mais qui a beaucoup travaillé lors de cette mission d'information et m'a indiqué, en me donnant délégation de vote, qu'il voterait le rapport, ce dont je le remercie.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vais donc mettre aux voix le rapport présenté par le rapporteur de notre mission.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
L'annexion de contributions au rapport d'information est acceptée.
Le titre du rapport d'information est adopté.
La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information, et en autorise la publication.
La réunion est close à 18 h 35.