- Mardi 27 juin 2023
- Mercredi 28 juin 2023
- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale - Examen du rapport
- Projet de loi pour le plein emploi - Examen du rapport et du texte de la commission
- Fin de vie - Examen du rapport d'information
- Audition commune sur la prise en charge de la douleur
- Projet de loi pour le plein emploi - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
Mardi 27 juin 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 00.
Projet de loi pour le plein emploi - Audition de M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées
Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, vous êtes au coeur de plusieurs sujets d'actualité relatifs à la petite enfance, sujet auquel notre commission a elle-même consacré divers travaux - encore récemment le bilan de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) qu'ont mené Olivier Henno et Annie Le Houerou. Ainsi, au début de ce mois, vous avez pris connaissance des conclusions de la concertation menée dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR) sur le service public de la petite enfance.
De plus, le projet de loi pour le plein emploi contient un article 10 relatif à la gouvernance en matière d'accueil du jeune enfant. Notre commission devrait l'examiner dès demain, mercredi 28 juin, avant son passage en séance prévu du lundi 10 au jeudi 13 juillet, en clôture de la session extraordinaire.
Il était donc important de vous entendre sur cette actualité immédiate et plus largement sur votre stratégie en matière de petite enfance - sujet de préoccupation majeur pour les familles et secteur qui, comme nous le savons, fait face à d'importantes pénuries de main d'oeuvre.
Monsieur le ministre, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif.
M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées. - Je suis heureux de vous présenter, après mon collègue Olivier Dussopt, le projet de loi relatif au plein emploi. Je concentrerai bien sûr mon propos sur les dispositions relatives au service public de la petite enfance, mais aussi sur celles venant traduire les annonces récentes de la conférence nationale du handicap.
Un aparté tout d'abord pour vous dire que je suis honoré de réaliser à nouveau cet exercice avant les élections de septembre. J'en profite pour saluer la présidente Catherine Deroche, avec qui j'ai toujours eu plaisir à échanger et à travailler, en confiance et en bonne intelligence. Nul doute que les habitants et élus de Maine-et-Loire sont reconnaissants de votre action. C'est justement dans le Maine-et-Loire, à Angers, que la Première ministre a présenté, le 1er juin dernier, les contours du service public de la petite enfance. Et c'est encore à Angers qu'avait lieu l'assemblée générale de l'Union nationale des associations familiales (UNAF), le 17 juin - une terre donc accueillante pour la petite enfance et les familles. Là-bas, comme ailleurs sur le territoire, je suis convaincu que de très nombreux parents, professionnels et élus attendaient depuis longtemps qu'un engagement puissant soit pris en faveur de l'accueil du jeune enfant.
Chacun a conscience des difficultés auxquelles de trop nombreuses familles sont confrontées au quotidien, avec 200 000 places d'accueil qui manquent et des taux de couverture des besoins variant de 1 à 10 selon les départements. Pour les parents, l'accueil de leur jeune enfant est souvent un parcours du combattant. Dans l'enquête « Parents », réalisée par Ipsos en avril 2023 pour le ministère que je dirige, 61 % d'entre eux déclaraient que la recherche d'un mode d'accueil avait constitué une source de stress importante, voire très importante pour 28 % d'entre eux.
Au-delà de ces problèmes concrets du quotidien, l'action en faveur de l'accueil du jeune enfant est au carrefour de quatre grands défis de société, qu'il nous faut relever collectivement.
Le premier défi, c'est la société du plein emploi, et c'est à ce titre que la mesure relative au service public de la petite enfance a toute sa place dans ce texte. Depuis 2017, le Président de la République met toute son énergie à faire reculer le chômage de masse auquel nous nous étions habitués, avec des résultats plus que probants. Pour autant, notre effort ne doit pas être relâché, le contenu de ce texte est là pour l'intensifier. C'est le cas des dispositions relatives à la petite enfance, à double titre : d'abord parce qu'on estime que plus de 150 000 personnes sont empêchées de prendre ou reprendre un emploi faute de mode d'accueil pour leur enfant, et qu'il faut aider ces personnes ; ensuite parce que la petite enfance est un secteur dynamique, et qui va le rester. On y compte aujourd'hui environ 600 000 professionnels, et les défis sont nombreux : environ 10 000 professionnels font défaut au sein des crèches, et 120 000 assistants maternels pourraient cesser leur activité d'ici 2030, s'ajoutant aux 40 000 qui l'ont déjà fait entre 2017 et 2021. Nous avons besoin de ces professionnels, besoin d'en attirer de nouveaux, de les fidéliser. Je m'y attache depuis le premier jour de mon action, et je suis convaincu que porter, comme nous le faisons, l'attention politique et médiatique sur ces questions, contribuera à rendre ces métiers attractifs.
Le deuxième défi, c'est l'égalité entre les femmes et les hommes. Grande cause du premier quinquennat, cette bataille continue à nous mobiliser. Or, ce sont souvent les mères qui souffrent des limites de notre politique d'accueil de la petite enfance, en particulier les mères isolées. Nous leur devons d'agir résolument.
Le troisième défi, c'est la lutte contre les inégalités de destin. C'est un volet sur lequel d'importantes avancées ont été réalisées ces dernières années, avec la stratégie de lutte contre la pauvreté, avec aussi la démarche des 1 000 premiers jours. De nombreuses inégalités, pourtant, subsistent. Celle de l'accès à des temps de socialisation et d'éveil précoce par exemple - alors que c'est un enjeu majeur pour le développement global de l'enfant, seuls 5 % des enfants défavorisés bénéficient d'une place en crèche contre 20 % des classes favorisées. Les chiffres sont encore plus parlants pour le recours à une assistante maternelle.
Le quatrième défi, c'est celui de la natalité, les conditions d'accueil du jeune enfant sont un frein majeur, les parents nous le disent. Comme ministre des familles, je veux organiser un écosystème favorable à la réalisation du désir d'enfant.
Pour répondre à ces défis, nous avons l'ambition de construire un service public de la petite enfance qui assure un développement suffisant de places d'accueil pour apporter une solution adaptée à chaque famille, et qui garantisse une haute qualité d'accueil à tous les enfants.
À ce titre, je présenterai dans les tous prochains jours un plan d'urgence pour la qualité d'accueil, faisant suite aux recommandations du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) que j'avais commandé dès mon arrivée, en réaction à certains drames dans des établissements. Je présenterai à ce titre des réponses à la pénurie de professionnels, travaillées en partant des recommandations du comité de filière « petite enfance ».
Car disposer de professionnels qualifiés en nombre suffisant est une condition indispensable au rétablissement de la plus haute qualité d'accueil possible et des meilleures conditions de travail souhaitables. Nous devons sortir du cercle vicieux sous-effectif/surcharge professionnelle/détérioration de la qualité d'accueil/arrêts ou départs, dans laquelle nous nous trouvons.
Je présenterai également une proposition de réforme de l'inspection de contrôle. Sur ce point comme sur d'autres, un temps de concertation avec les départements, nécessaire, a déjà commencé et devra se poursuivre durant l'été.
Voilà, à grands traits, les enjeux qui ont guidé la réflexion du Gouvernement dans la préparation des mesures que contient ce projet de loi.
Nous nous sommes aussi appuyés sur les travaux d'Élisabeth Laithier, présidente du comité de filière, à qui j'avais confié le pilotage local du CNR petite enfance, qui a été l'occasion de mettre au coeur des discussions les parents et les professionnels eux-mêmes, leurs attentes et leurs besoins.
Ce projet de loi est le fruit de ces travaux, qui ont étroitement associé les collectivités locales et leurs représentants. Le résultat, c'est une réforme pragmatique, qui repose sur une approche partenariale, un renforcement des responsabilités de chacun et une meilleure articulation entre les échelons de compétences, lesquelles resteront nécessairement partagées.
Ce qui vous est proposé, c'est donc de créer un véritable espace de dialogue et de co-construction, indispensable si nous voulons répondre aux attentes des parents et des professionnels.
J'ai noté, dans des amendements déposés au nom de la commission, des interrogations sur la place des communes et la possibilité donnée à la caisse d'allocations familiales (Caf) d'agir en dernier ressort. Il ne s'agit en aucun cas d'une reprise en main par l'État. Cette réponse, adaptée, mesurée, est cohérente avec les enjeux posés et elle ne sera mobilisée que de manière concertée avec les acteurs, en cas de difficultés et sur demande du comité départemental des services aux familles, au sein duquel siègent des représentants de l'ensemble des collectivités.
Ce n'est pas un droit opposable que nous vous proposons de construire. Cette option a été à l'étude. Elle ne recueillait pas l'assentiment des collectivités et n'aurait surtout pas permis de répondre aux besoins des familles. Nous avons choisi de clarifier les compétences et d'identifier un chef de file, la commune ou le bloc communal, et nous avons refusé de confier de nouvelles responsabilités sans moyens additionnels.
Nous renforçons les moyens pour la petite enfance : l'État y consacrera plus d'1,5 milliard d'euros annuels supplémentaires à horizon 2027, soit 5,7 milliards d'euros de financement supplémentaire sur cinq ans pour soutenir les efforts des autorités organisatrices dans le développement de nouvelles places. Ces moyens figureront dans la prochaine convention d'objectifs et de gestion (Cog) entre l'État et la Cnaf, qui sera présentée dans les tous prochains jours. Ils permettront d'assurer aux familles qu'une réponse sera apportée à leur besoin d'accueil partout sur le territoire. C'est ma seule boussole : lever les freins très concrets et très opérationnels, apporter aux acteurs de terrain, à commencer par les communes, les soutiens dont ils ont besoin.
Encore une fois, pour apporter cette réponse, il y aura bien un chef de file, mais qui ne sera pas responsable unique, bien au contraire. Cette réforme responsabilise chaque acteur, car tout ne relève pas de la compétence des communes. Le dispositif que nous vous proposons s'appuie sur cette logique. En cas de non-atteinte des objectifs fixés, dans un premier temps le comité départemental pourra saisir le préfet, de façon non-automatique, et jamais par surprise puisque les communes y siègent. La phase de contradictoire permettra ensuite de regarder toutes les raisons pour lesquelles les objectifs n'auraient pas été atteints, et toutes bien sûr ne relèvent pas de la compétence directe des communes, que nous aiderons dans leur rôle. Ce n'est qu'après, et avec avis obligatoire du comité départemental, que le préfet pourrait d'abord préciser les démarches à mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs, dans un délai fixé ; et ce n'est qu'ensuite, que le préfet pourrait, sans obligation et avec avis obligatoire du comité départemental, mandater la Caf pour agir en dernier ressort.
Je crois sincèrement à cette approche partenariale, collectivement responsabilisante. Pour avoir été directeur de cabinet en mairie, je sais qu'aucun maire ne souhaite être seul sur cette politique, avoir à définir seul une trajectoire, à financer seul des actions. C'est bien pourquoi nous prévoyons la définition d'une stratégie nationale de la politique d'accueil du jeune enfant, elle dira les besoins en professionnels et donnera une vision globale des enjeux ; nous prévoyons aussi des moyens inédits, qui comprennent notamment un soutien en ingénierie de projet et des aides à l'investissement mais aussi au fonctionnement massivement renforcées, en réponse aux demandes de longue date par les édiles ; et nous proposons une coordination à chaque niveau.
Il faudra bien sûr qu'un dialogue constant soit maintenu avec les collectivités locales. Leur voix a toujours été prépondérante. Je rappelle qu'Élisabeth Laithier, qui a piloté le CNR, est une ancienne maire adjointe à Nancy en charge de la petite enfance, experte référente petite enfance à l'Association des maires de France (AMF). Cette parole continuera à être centrale. Elle pourra également être recueillie dans le cadre de l'élaboration de la stratégie nationale, proposée par le projet de loi. Il en va de même pour les départements et pour les régions, dont j'ai pris l'attache et avec qui je travaille pour construire une trajectoire précise de résorption de la pénurie de professionnels.
Je tiens aussi à vous parler des mesures de ce texte qui viennent traduire les annonces de la conférence nationale du handicap (CNH). L'enjeu du plein emploi est la raison d'être de ce texte, et une préoccupation centrale en matière de petite enfance - et cet objectif guide également les mesures du champ du handicap. Nous voulons mieux reconnaître la qualité de travailleur handicapé et ses spécificités. À cette fin, nous voulons supprimer l'orientation en milieu ordinaire, qui devient de droit, mesure d'inclusivité sociale et professionnelle hautement symbolique. Il s'agit également de simplifier l'accès aux droits en évitant de devoir solliciter les services de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) en cas de souhait de l'intéressé d'évoluer en milieu ordinaire. Ensuite, nous transférons à l'État la gestion de l'emploi accompagné afin de renforcer l'insertion dans l'emploi en milieu ordinaire, de même que nous introduisons dans le droit commun le contrat à durée déterminée (CDD) « tremplin » et l'entreprise adaptée de travail temporaire, des dispositifs qui sont actuellement expérimentés.
Enfin, un effort conséquent est mené pour reconnaître aux travailleurs en établissement et service d'aide par le travail (ESAT) des droits individuels et collectifs leur conférant un statut de quasi-salarié ou d'assimilé salarié, et pour rendre applicables aux établissements certaines obligations prévues par le code du travail. Ces nouveaux droits vont couvrir un large champ : l'inscription de droits collectifs fondamentaux reconnus par le droit du travail, comme celui d'adhérer à un syndicat et de faire grève, les droits d'alerte et de retrait, dans le code de l'action sociale et des familles ; la prise en charge des frais de transports domicile-travail ; l'extension du bénéfice des titres-restaurant et des chèques vacances ; ou encore la couverture obligatoire par une complémentaire santé. J'ai eu l'occasion d'évoquer ces mesures, lorsque j'ai été auditionné par votre groupe d'études sur le handicap, et je me réjouis de les trouver dans ce projet de loi.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Comme vous l'avez sans doute constaté à la lecture des amendements déposés sur le projet de loi que nous examinerons demain, nous avons des réserves sur l'opportunité d'instituer dans la loi une « stratégie nationale » élaborée par le Gouvernement. Ne considérez-vous pas que le Gouvernement peut déjà fixer des orientations et que cette stratégie contraindrait les collectivités, alors que vous proposez de renforcer leurs prérogatives ?
Cette stratégie ne mettra-t-elle pas sous contrainte la Cog conclue avec la Cnaf, qui devra respecter des orientations préalablement définies par le Gouvernement ? L'intérêt de la Cog est aussi d'associer les partenaires sociaux qui siègent à la Cnaf : il serait dommageable de réduire leur rôle - qu'en pensez-vous ?
Le projet de loi oblige les communes de plus de 3 500 habitants à élaborer un schéma pluriannuel sur l'offre d'accueil du jeune enfant. Cette obligation est-elle bien nécessaire pour toutes ces communes, alors que certaines ont peu de personnes concernées sur leur territoire et une offre très faible ? Pour accompagner ces communes, vous prévoyez l'aide des Caf et des effectifs supplémentaires : quels moyens techniques et humains seront-ils prévus pour assister les communes et quels services les Caf pourront-elles rendre ? Quelles données des Caf les communes pourront-elles utiliser pour recenser les offres et les besoins et informer les familles ? Je rappelle que 85 % des communes ont déjà mis en place un relais petite enfance. C'est un sujet auquel les maires sont très sensibles.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Aujourd'hui, la Cog est le seul document opposable en matière d'accueil du jeune enfant, elle ne porte que sur l'accueil collectif et lie l'État et la Cnaf. Avec ce projet de loi, nous voulons travailler, en concertation avec les collectivités territoriales, à une stratégie globale et coconstruite, qui couvre aussi l'accueil individuel, sachant que les assistantes maternelles représentent 60 % de l'offre - leur évolution démographique ne joue pas en notre faveur, nous travaillons avec la filière petite enfance à un plan d'urgence pour soutenir les assistantes maternelles, que nous présenterons à la rentrée.
Vous rappelez à raison que 85 % des communes ont déjà pris la compétence petite enfance en mettant en place des relais. Nous voulons aller plus loin et nous nous sommes concertés avec les élus locaux, pour voir comment améliorer l'offre de garde d'enfants, qui est un outil prisé des maires pour redynamiser leur territoire. Notre objectif n'est pas de créer une obligation nouvelle pour les communes de plus de 3 500 habitants, mais de voir avec elles comment proposer aux familles une offre d'accueil qui permette d'attirer de nouvelles familles. Nous prévoyons des moyens nouveaux d'ingénierie dans les Caf dédiés au soutien des communes - en tout une centaine d'emplois en équivalent temps plein (ETP), soit un poste par département, ce sera dans la négociation de la Cog.
Mme Brigitte Micouleau. - Vous pouvez avoir confiance dans les maires, ils sont déjà largement investis dans la petite enfance. Cependant, ils s'inquiètent pour les financements : quels moyens se verront-ils allouer - en particulier pour le fonctionnement ?
M. Olivier Henno. - La question de la garde des enfants est décisive pour le retour à l'emploi, aussi bien que pour la démographie et l'égalité homme-femme, c'est dire l'étendue des enjeux. Que pensez-vous du financement des crèches, qui fait intervenir la prestation de service unique (PSU) et la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) - estimez-vous qu'il faudrait le réformer ?
Vous voulez, ensuite, généraliser les relais petite enfance pour les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que compléter leurs missions en permettant aux relais d'accompagner les parents employeurs dans leurs démarches administratives ? La fédération des particuliers employeurs n'y est pas favorable : comment voyez-vous cette nouvelle compétence, est-ce une subrogation des relais dans le droit des particuliers employeurs ?
Enfin, avec Annie Le Houérou, nous avons constaté que la PreParE devait être réformée, parce qu'elle n'est pas efficace ; cela n'a pas été fait lors du précédent quinquennat, avez-vous des projets en la matière ? Nous demandons un congé parental plus court et mieux rémunéré, qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Mouiller. - Vous évoquez la réforme des ESAT et la volonté d'y étendre le droit commun, cela renvoie à la question des droits et des devoirs en milieu protégé. Il faut compter aussi avec le modèle économique des ESAT, sachant qu'un établissement sur trois n'est pas à l'équilibre, et que leurs difficultés financières vont être accentuées par leurs obligations nouvelles en matière de transport ou de chèques-déjeuners ; cette extension n'intervient-elle pas un peu tôt par rapport à la transformation des ESAT ? Qu'en pensez-vous ?
Dès lors que le bloc communal est en première ligne pour évaluer les besoins en matière de petite enfance, quelles relations établir avec la MDPH pour évaluer ceux des enfants en situation de handicap ? Quel partage d'information ?
Plus généralement, puisqu'on parle de former les professionnels de la petite enfance à l'accueil des enfants en situation de handicap, quelle est la stratégie de déploiement des outils spécialisés, comme les unités mobiles des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ?
Je sais bien que ces éléments ne figurent pas dans ce projet de loi, mais la notion même de stratégie pour la petite enfance touche à ces questions, il faut donc en traiter - ce qui ne paraît pas le cas de votre réforme...
Mme Élisabeth Doineau. - Je trouve très bien de lancer une stratégie nationale de la petite enfance, elle concerne toutes les familles. Ce qui est en place ne fonctionne pas bien, ne serait-ce que pour établir le diagnostic des besoins sur les territoires, entre les données recueillies par les communes et celles collectées par la commission départementale d'accueil des jeunes enfants, sans compter les difficultés de créer les places d'accueil. Vous répondez par de nouvelles ambitions, avec une stratégie nationale et une nouvelle gouvernance ; mais le problème principal demeure, qui est celui des moyens : si les communes ne répondent pas suffisamment aux besoins, c'est d'abord par manque de moyens pour assurer le fonctionnement des structures d'accueil, et il y a aussi le problème de l'attractivité des métiers de la petite enfance. Des crèches ferment, faute de personnel : c'est arrivé à Montrouge, 50 places de crèche ont été fermées faute de personnel, et le cas n'est pas unique. Que pourra le préfet, s'il n'y a pas de professionnels pour garder les enfants ? Le mécanisme de financement des crèches a fait qu'on a privilégié les micro-crèches, elles ne sont pas à l'équilibre et la Caf, pas plus que les communes, ne veulent combler les déficits : il faut régler ce problème avant de lancer de nouvelles places dans les crèches, ou bien elles fermeront rapidement, en particulier en milieu rural. De nouveaux modes de garde se développent, en particulier par les assistantes maternelles, nous l'avons accepté localement en desserrant certaines normes, par exemple pour des partages de garde - il faut aller aussi dans ce sens, tout en conservant un niveau de contrôle suffisant par la protection maternelle et infantile (PMI), qui doit continuer à contrôler la qualité de l'accueil.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Nous avons construit ce texte en concertation avec les communes et les associations d'élus, il conforte la compétence des communes en matière de petite enfance. Nous entendons le message pour le financement, et d'abord pour le fonctionnement, nous cherchons à augmenter les moyens pour de nouvelles places tout en maintenant celles qui sont déjà là, c'est bien notre démarche.
Sur le financement des crèches, nous allons mettre en place une mission dédiée aux micro-crèches. L'Igas a pointé les limites du système de financement des crèches, nous travaillons à une réforme pour rééquilibrer la partie forfaitaire et la partie horaire, car les parents demandent de la souplesse dans les horaires d'accueil, il faut en tenir compte dans le financement des structures pour les conforter.
L'extension des relais petite enfance répond à une demande des associations de familles, j'entends que les particuliers employeurs ne sont pas favorables à l'intermédiation administrative, mais il y a une demande de simplification et de médiation dans les démarches administratives. Nous répondons aussi aux demandes des comités de filières, pour des animateurs plus nombreux et mieux formés.
Des réflexions sont en cours sur les améliorations à apporter à la PreParE, je suis favorable à un congé plus court, davantage partagé et mieux indemnisé, qui donne aux parents un choix véritable d'accompagner leur enfant la première année.
Sur la petite enfance et le handicap, mon objectif est de continuer la politique de repérage précoce et d'accompagnement. Nous avons mis en place un bonus handicap dans les crèches, il faut donner les moyens de former les professionnels. Vous avez raison de souligner qu'il y a un sujet de partage d'information et de coordination sur la prescription de l'accompagnement de l'enfant.
La réforme des ESAT vise à les faire évoluer vers des activités plus connectées au marché. Nous avons prévu de continuer à soutenir les ESAT à se transformer et à se moderniser, vous soulignez à raison que les nouveaux droits ont un coût. En matière de licenciement, nous avons décidé de maintenir la protection des travailleurs, mais la question de l'application des règles de licenciement se posera lorsque toutes les règles du dialogue social s'appliqueront au secteur.
Nous renforçons les moyens pour la petite enfance, avec 6 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2027. Je présenterai cette semaine un plan d'urgence qualité avec des mesures pour l'attractivité des métiers de la petite enfance, avec des revalorisations salariales qui devront être négociées dans les différentes branches. Ce plan est le résultat d'un travail que je mène depuis 9 mois en ayant mis tous les acteurs autour de la table, privés, publics, associatifs, il comprend des mesures sur les salaires, la formation, les parcours professionnels, la qualité de vie au travail - nous mettons en place un observatoire sur le sujet -, les questions de reconnaissance. Nous continuerons d'investir sur la communication pour mieux orienter les jeunes sur ces métiers de la petite enfance, des métiers qui ont du sens et qui peuvent attirer. J'ai annoncé un fonds d'innovation pour la petite enfance, afin de répondre au besoin d'innovation des territoires, avec des dispositifs d'adaptation de l'offre qui permettent de mieux coller aux besoins des territoires.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Vos réponses ne me semblent pas à la hauteur du problème : quand la crise est systémique, il faut y répondre de manière systémique, ou bien on ne la résout pas. Vous parlez d'attractivité des métiers, mais vous ne dites rien de leur pénibilité, des ergonomes ont largement documenté les difficultés - elles comptent dans le fait que 10 % des berceaux sont fermés, et que, selon la Cnaf, 48 % des crèches connaissent une pénurie de personnel. Vous parlez de 200 000 emplois nouveaux, mais sans considérer les raisons pour lesquelles le plan précédent n'a été réalisé qu'à moitié - en réalité, il faut revaloriser bien davantage les métiers de la petite enfance, pour répondre à la crise des vocations.
Vous dites vos réticences sur le droit opposable pour les préfets, mais il peut être placé dans les mains des familles, comme cela se fait en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suède - le Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) estime même que c'est ce droit opposable qui a permis à l'Allemagne de nous doubler, alors que nous étions devant elle depuis longtemps en matière de garde d'enfants. Autre mesure nécessaire, il faut mieux rémunérer le congé parental, en le faisant passer du forfait à un taux de remplacement, c'est devenu urgent. Ce sont bien toutes ces mesures qu'il faut prendre simultanément, pour répondre à la crise systémique à laquelle nous faisons face.
L'article 10, cependant, représente une avancée, car le diagnostic n'est pas réalisé dans l'état actuel, du fait que la gouvernance est trop dispersée.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il est certain que des mesures sont attendues et nécessaires sur la formation, sur la reconnaissance des métiers, sur les salaires et les conditions de travail dans les métiers de la petite enfance. Le Gouvernement veut confier aux communes de 3 500 habitants le rôle d'autorité organisatrice de l'accueil du jeune enfant, les maires sont déjà souvent à l'avant-garde, ils cherchent des solutions - en particulier les maires ruraux car ils savent l'importance que la garde d'enfants a dans la vie au village, les enfants vont à l'école dans le village où ils ont été gardés. Et c'est pourquoi il faut aider ces maires ruraux, trouver des moyens pour le fonctionnement des crèches.
Sur le fond, nous ne sommes pas opposés à ce transfert de compétences, à condition que l'État ne se désengage pas, comme cela s'est passé dans d'autres domaines, laissant des factures lourdes à payer pour les communes et le département.
Ensuite, l'article 9 prévoit que France travail et Cap emploi pourront proposer une orientation en service protégé, sans passer par une évaluation faite par l'équipe pluridisciplinaire de la MDPH : si l'objectif de réduire les délais est justifié, ce raccourci ne fait-il pas risquer une perte de chance pour les personnes concernées ? Et nous sommes inquiets pour l'avenir des personnels des MDPH, qui sont ainsi mis de côté alors qu'ils remplissent leurs missions dans des conditions difficiles depuis des années.
Mme Émilienne Poumirol. - Je précise que Michèle Meunier, qui n'a pas pu être présente, partage mes questions. Le manque de garde d'enfant est un frein à l'emploi, le logement et la mobilité aussi. Aussi la présence d'un seul article dans ce texte est-elle une réponse un peu courte, il faudrait en réalité un projet de loi entièrement consacré à la petite enfance, abordant tous les aspects de formation, de salaire, d'attractivité, de gouvernance. La Première ministre parle d'un service public de la petite enfance, nous sommes plutôt face à une garantie d'accueil, assurée par une stratégie nationale élaborée par le seul ministre, loin de la co-construction... Va-t-on vers un service de garderie pour permettre le plein emploi ? Il semble, en effet, que tout soit fait pour qu'il y ait un service de garderie, quelle que soit sa qualité... Je vous avais interrogé sur le terrible rapport de l'Igas, qui constatait un manque criant de projet éducatif dans bien des crèches. Les communes ont l'expérience de la garde d'enfant et des crèches, mais il faut leur donner des moyens : quel peut être le service public si l'on n'a pas les agents pour fonctionner ?
Ensuite, vous parlez de sanction, puisque le comité départemental pourra saisir le préfet, et celui-ci pourra alors confier le service à la Caf. Mais concrètement, comment la Caf pourrait-elle organiser le fonctionnement des crèches et des modes d'accueil des jeunes enfants ?
Mme Annie Le Houerou. - Une remarque sur le relais petite enfance : il faut effectivement clarifier son rôle de médiation entre les parents employeurs et les assistantes maternelles agréées.
Quelle sera la représentation des personnes handicapées dans les comités France Travail, à leurs différents échelons territoriaux ? Le texte n'est pas clair à ce sujet. La MDPH restera fondée à prendre des décisions d'orientation des personnes handicapées, sur proposition de France Travail : n'est-ce pas alourdir le circuit de décision ?
Comment, ensuite, les ESAT pourront-il faire face aux nouveaux droits de leurs salariés en matière de mutuelle, d'aide au transport, de titres-restaurant ?
Enfin, quel accompagnement des personnes handicapées dans l'emploi ordinaire ? Je ne vois rien dans ce texte sur ce sujet pourtant décisif.
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - La notion de service public de la petite enfance relève bien d'une vision systémique, même si j'avance avec pragmatisme, j'entends construire ce service public brique par brique, plutôt qu'attendre que tous les éléments en soient assurés pour commencer. Nous voulons répondre aux besoins, mais nous n'avons pas choisi la voie du droit opposable parce que ce serait brutal - je vous signale que ce droit opposable n'est pas effectif en Allemagne, il n'est pas réalisé parce qu'il manque du personnel. Nous avons donc choisi d'en passer par la co-construction de ce service public.
La question de l'attractivité des métiers est majeure, c'est la première des urgences, et c'est la raison d'être du plan d'urgence que je présenterai cette semaine, qui agit sur l'ensemble des leviers, salariaux et professionnels. Nous pensons aussi aux assistantes maternelles, j'annoncerai également un plan à la rentrée.
En matière de financement, notre objectif est bien de financer les places créées de manière pérenne, via la branche famille, pour soutenir les collectivités territoriales. L'objectif de la stratégie nationale n'est pas de prescrire des places en crèches, il appartiendra au maire de définir la réponse aux besoins du territoire. Il est de bonne gestion d'avoir une offre diversifiée, notre rôle est d'assurer le financement, c'est l'objectif de la réforme du complément de mode de garde que vous avez votée en loi de financement l'an dernier et qui sera mise en oeuvre en 2025 - mais l'offre doit être variée.
Il n'y a pas véritablement de sanction, le nouveau mécanisme - que j'ai appelé « la corde de rappel » - aidera plutôt à comprendre pourquoi les collectivités ne parviennent pas à remplir leurs objectifs, et avant d'en arriver à une substitution par la Caf, qui restera facultative, il se sera écoulé bien du temps. Notre idée est d'accompagner les maires à trouver les moyens de remplir leurs objectifs. C'est particulièrement vrai pour les communes rurales, nous avons beaucoup travaillé avec elles, c'est une garantie de la qualité de ce texte. Nous n'abordons ici que la gouvernance du service public de la petite enfance, mais bien d'autres sujets lui sont liés, en particulier l'aspect éducatif, lequel fait l'objet de nombreuses mesures dans le cadre des 1 000 premiers jours.
Je vous rejoins pour dire qu'il faut penser à la participation des personnes en situation de handicap aux différentes instances de France Travail, il faut définir les bons outils pour les inclure. Une réflexion est en cours sur ce sujet, je suis favorable à une participation directe des personnes en situation de handicap et pas seulement de leurs représentants ; nous y prêterons attention.
L'État aura la compétence de l'emploi accompagné et continuera de recourir aux outils en place. L'article 8 change les choses en posant le principe que l'accompagnement en emploi ordinaire est le droit commun : c'est bien France Travail qui, en première intention, accompagne vers l'emploi. Il n'y a pas de doublon avec la MDPH.
M. Daniel Chasseing. - Merci pour ce programme renforçant la prise en charge de la petite enfance, c'est une partie de l'accompagnement nécessaire au retour à l'emploi - il faut aussi agir pour le logement et la mobilité.
Une question sur le manque d'accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) dans les écoles pour assurer l'accueil d'enfants handicapés et sur le manque de places en institut médico-éducatif (IME) : comment en tenez-vous compte ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat. - L'Union nationale des associations familiales (Unaf) s'inquiète que la commune soit désignée comme autorité organisatrice sans avoir l'obligation de développer ni financer l'accueil, donc sans garantie pour les familles. L'Unaf demande en conséquence une compétence obligatoire et assortie de moyens suffisants : qu'en pensez-vous ? Et que se passera-t-il pour les communes qui ont déjà transféré leur compétence petite enfance aux communautés de communes ou d'agglomération ?
Mme Nadia Sollogoub. - Les appels à projets n'ont de cesse d'appeler à l'innovation, on s'y habitue plus ou moins mais lorsque j'ai vu que même en matière de petite enfance, vous annonciez un fonds « innovation », j'avoue avoir pensé : « Encore ! ». Monsieur le ministre, il faut aussi subventionner les modèles éprouvés... parce que cela fait longtemps qu'on garde les enfants : pourquoi pas un fonds « petite enfance », plutôt que d'innovation ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Les maires passent leur temps à innover et à chercher des solutions nouvelles pour répondre à des questions anciennes...
Mme Nadia Sollogoub. - C'est vrai, on a les solutions depuis longtemps mais on les tourne dans tous les sens pour qu'elles soient « innovantes »...
Mme Frédérique Puissat. - L'Unaf a salué dans ce texte l'objectif du plein emploi, tout en soulignant qu'il ajoutait peu puisque les maires organisent déjà les schémas de petite enfance, à la différence près qu'aujourd'hui les Caf accompagnent et que demain, elles pourraient prescrire davantage, à la demande du préfet. Dans ces conditions, quelle sera l'articulation avec les conventions territoriales globales (CTG), qui intègrent déjà les schémas petite enfance ?
Je vous signale une difficulté technique, d'ordre réglementaire, sur le délai maximal de suspension des agréments des assistantes maternelles : il est de quatre mois, c'est trop court en cas de procédure administrative plus longue. Dans le cadre de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, nous avons avec Bernard Bonne , tenté de changer les choses pour les assistants familiaux, sans succès. Peut-être y parviendrez-vous ?
M. Jean-Christophe Combe, ministre. - Je ne saurai vous répondre dans l'immédiat sur ce dernier point, je le ferai par écrit.
L'Unaf estime que l'article 10 n'est pas suffisamment contraignant pour les communes, mais je n'ai pas voulu aller plus loin dans la contrainte parce que j'ai pensé que vous ne me suivriez pas, mais aussi parce que j'ai construit ce texte avec les communes - et je vois aux amendements que l'AMF a fait passer, que les communes estiment la « corde de rappel » déjà trop contraignante, ce qui me surprend au regard des échanges que nous avons eus. Nous avons examiné la relation entre les communes et les Caf, nous sommes allés aussi loin que possible en pleine concertation, je vois que l'AMF trouve que nous sommes allés trop loin, alors que sans cette « corde de rappel », qui n'est pas une sanction, ce texte aurait moins de poids, nous en débattrons en séance plénière.
Le fonds « innovation » est doté de 10 millions d'euros, à rapporter aux 6 milliards d'euros supplémentaires, c'est dire que nous augmentons surtout les moyens de l'existant - mais que nous voulons aussi aider la créativité du territoire ; vous citiez des assouplissements dans l'organisation du travail des assistantes maternelles, c'est utile.
La conférence nationale du handicap a pris des engagements importants pour l'inclusion scolaire des enfants en situation de handicap, en direction de l'Éducation nationale pour un meilleur accompagnement médico-social à l'école mais aussi pour le renforcement des structures spécialisées qui pourront intervenir davantage dans les écoles - quelque 50 000 solutions supplémentaires ont été annoncées, dont la moitié pour les enfants, c'est un sujet majeur pour le Gouvernement.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci pour toutes ces informations, Monsieur le ministre.
La réunion est close à 17 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 28 juin 2023
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous commençons nos travaux par l'examen du rapport de notre collègue Marie-Pierre Richer sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement Brigitte Micouleau, à qui ce sujet tient particulièrement à coeur et qui a été à mes côtés durant toutes les auditions.
La présente proposition de loi vise à renforcer la protection des familles d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap ou victimes d'un accident d'une particulière gravité. Au grand soulagement des associations qui espèrent une entrée en vigueur rapide de ses dispositions, le Gouvernement a finalement décidé d'inscrire ce texte, adopté par l'Assemblée nationale en mars dernier, à l'ordre du jour des travaux du Sénat.
Comme vous le verrez, la proposition de loi porte diverses mesures dont le point commun est d'aider les parents dans des situations complexes et douloureuses. Elle intervient à la suite de plusieurs lois que nous avons récemment adoptées afin d'améliorer le régime du congé de présence parentale (CPP) et de l'allocation journalière de présence parentale (AJPP), dispositifs qui permettent aux parents d'interrompre leur activité professionnelle et de bénéficier d'une compensation de la perte de revenus qui en découle afin d'accompagner un enfant dont l'état de santé justifie leur présence et leurs soins. Il peut s'agir d'une maladie, d'un handicap ou d'un accident particulièrement grave.
L'article 1er vise à offrir une protection contre le licenciement aux salariés en congé de présence parentale. Le dispositif initial se bornait à reprendre des dispositions déjà satisfaites par le droit commun. Il proscrivait la prise en compte de l'état de santé d'un enfant pour prononcer le licenciement d'un salarié, charge à celui-ci de contester ex post, devant le juge, son licenciement.
Le dispositif retenu par la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale va au-delà, en offrant une protection ex ante aux salariés en congé de présence parentale. Ceux-ci ne pourront désormais plus faire l'objet d'un licenciement du fait même de leur statut, hors cas de faute grave et de force majeure. Cette protection est, jusque dans sa rédaction, calquée sur celle qui prévaut pour les femmes enceintes.
Les salariés dont l'enfant souffre d'une maladie ou d'un handicap grave ont un besoin accru de stabilité dans tous les pans de leur vie, en premier lieu dans leur vie professionnelle. Pourtant, comme l'ont révélé les auditions, des discriminations et des intimidations qui, fussent-elles rares, n'en sont pas moins inacceptables, restent à déplorer, justifiant ainsi l'intervention du législateur.
Afin de conférer sa pleine portée au dispositif, je présenterai un amendement rendant applicable la protection contre le licenciement à toute la durée du congé de présence parentale, y compris lors des éventuelles périodes de reprise du contrat de travail, afin d'accorder une protection identique à tous les parents en congé de présence parentale, quels que soient leurs choix professionnels.
L'article 1er bis, introduit en séance par l'Assemblée nationale, vise à allonger la durée minimale de deux types de congés pour événements familiaux.
Il porte premièrement de deux à cinq jours ouvrables la durée du congé pour annonce de la survenue d'un handicap ou d'une pathologie grave chez l'enfant. Cette mesure, plébiscitée par les associations, laissera davantage de temps aux familles pour assimiler la nouvelle, mais aussi pour faire face aux multiples démarches qui s'imposent après l'annonce.
Cet article étend deuxièmement la durée du congé pour le décès d'un enfant de cinq à douze jours ouvrables dans le cas général, sans toutefois modifier le congé spécifique pour la perte d'un enfant de moins de 25 ans, qui resterait fixé à sept jours ouvrés. Sans modification, le texte créerait donc un régime plus favorable pour la perte d'un enfant de plus de 25 ans, allant ainsi à l'encontre de la position de notre commission, qui avait, en 2020, entendu conférer deux jours de congé supplémentaires en cas de décès d'un enfant de moins de 25 ans.
Par mesure d'humanité et de cohérence, je vous inviterai à adopter un amendement visant à répercuter la hausse votée à l'Assemblée nationale et fixer désormais à quatorze jours ouvrables la durée du congé en cas de décès d'un enfant de moins de 25 ans.
L'article 2 simplifie et rend plus flexible le recours au télétravail pour les salariés aidants. Il fait obligation aux entreprises de motiver leur refus de leur accorder du télétravail et de mentionner explicitement leurs modalités d'accès au télétravail dans les accords collectifs dédiés.
Il convient certes de noter que cet article ne saurait concerner tous les publics : d'une part, deux tiers des postes ne sont pas télétravaillables, et, d'autre part, l'état de santé de certains enfants est incompatible avec l'exercice de toute activité professionnelle par leurs parents, y compris en télétravail.
Cet article procède toutefois d'une logique vertueuse. Il repose sur la confiance dans le dialogue social pour fixer les dispositions adaptées afin d'offrir davantage de flexibilité aux salariés aidants qui le souhaiteraient. C'est pourquoi je vous inviterai à l'adopter.
Les articles suivants concernent tous les bénéficiaires de l'AJPP, qui, comme je l'ai indiqué, a fait l'objet de plusieurs lois récentes. Initialement accordés pour une durée maximale de 310 jours dans une période de trois ans, l'AJPP et le congé de présence parentale peuvent désormais être renouvelés une fois à titre exceptionnel, et donc portés à 620 jours, en vertu de la loi du 15 novembre 2021. Il convient, pour ce faire, qu'un nouveau certificat médical atteste le caractère indispensable de la poursuite des soins contraignants et d'une présence soutenue.
Ce renouvellement de l'AJPP est toutefois soumis à l'accord explicite du service du contrôle médical de l'assurance maladie, en dérogation au principe appliqué à une première demande, selon lequel le silence gardé pendant deux mois vaut acceptation. Ce n'est pas là que du droit administratif : de cette inversion de logique résultent des délais d'instruction des demandes trop longs qui placent les familles dans des situations délicates.
L'article 3 entend supprimer ce caractère explicite. Il permet en outre aux caisses d'allocations familiales (CAF) d'accorder une avance sur prestation afin d'éviter toute rupture de ressources pour les parents éligibles à l'AJPP. Dans une optique de simplification du recours à la prestation, je vous propose d'adopter cet article qui lève quelques complexités administratives.
L'article 4 apporte également un ajustement à une réforme récemment votée. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022 a revalorisé le montant de l'AJPP, ainsi que celui de l'allocation journalière du proche aidant (AJPA), calculée selon les mêmes modalités. Le montant de ces deux allocations est porté à 1 373 euros par mois pour 22 jours d'allocation.
La LFSS a toutefois prévu, avec une date d'entrée en vigueur différée au 1er janvier 2024, un mécanisme d'écrêtement pour éviter de potentiels effets d'aubaine. Le montant de ces deux allocations versées aux non-salariés des professions agricoles et à leurs conjoints collaborateurs ne peut excéder les revenus journaliers tirés de leur activité professionnelle. Cette modulation du montant s'applique aussi aux bénéficiaires d'une allocation chômage.
Il ressort toutefois des auditions qu'aucun élément ne peut étayer la création d'un potentiel effet d'aubaine lors de la revalorisation de l'allocation. De plus, la mise en oeuvre de ce mécanisme d'écrêtement aurait été particulièrement complexe et aurait mobilisé des moyens disproportionnés pour la branche famille. Pour ces raisons, je vous propose d'adopter cet article, qui supprime ce mécanisme d'écrêtement.
L'article 4 bis prévoit qu'un bailleur ne peut plus donner congé à un locataire bénéficiaire de l'AJPP, dont les ressources sont inférieures à un plafond, lors du renouvellement du bail, à moins qu'il ne lui soit proposé un logement correspondant à ses besoins et à proximité géographique. Ces dispositions sont analogues à la protection dont bénéficient les personnes âgées de plus de 65 ans aux revenus modestes.
Les associations entendues en audition ont mentionné des difficultés dans l'accès au logement des bénéficiaires de l'AJPP et jugent prioritaire de garantir la situation de ceux qui disposent déjà d'un logement. Je vous propose de soutenir cette disposition en considérant que cette protection, qui limite certes le droit de propriété des bailleurs, ne pourrait courir au-delà de la durée maximale de bénéfice de la prestation, soit six années. Pour information, je précise que la durée moyenne de la prestation est de huit mois.
Enfin l'article 5, que je vous propose d'adopter, permet aux CAF de mettre en oeuvre des innovations, à titre expérimental, dans le service de l'AJPP afin de mieux accompagner ses allocataires et de les prémunir de difficultés financières.
Ce texte contient des avancées très attendues pour les familles confrontées à la maladie ou au handicap graves de leur enfant. Il offrira un parcours simplifié aux 11 000 allocataires de l'AJPP, protégera davantage les parents concernés de certains risques socioprofessionnels et permettra une meilleure adaptation du monde du travail aux caractéristiques de ces salariés.
Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi ainsi amendée.
Il me revient enfin, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.
Je considère que celui-ci comprend des dispositions relatives au régime du congé de présence parentale et aux conditions de travail des salariés aidants, ainsi qu'aux conditions d'octroi, de détermination et de versement de l'allocation journalière de présence parentale et du complément mensuel pour frais.
En revanche, je considère que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux autres prestations familiales ou sociales ou à la politique nationale de prévention et de prise en charge des maladies graves chez les enfants ou d'accompagnement des enfants en situation de handicap.
M. Philippe Mouiller. - Je remercie Marie-Pierre Richer pour ce travail et pour la défense et les explications apportées pour certaines dispositions, qui, de prime abord, pourraient paraître curieuses - je pense à l'article 4 bis concernant le logement des bénéficiaires de l'AJPP.
Malgré un sentiment très favorable sur cette proposition de loi, je regrette que, depuis quelques années, nous traitions du sujet des aidants à coups d'amendements et de propositions de loi. J'estime que nous manquons de vision globale, et qu'un grand texte intégrant l'ensemble des aspects relatifs aux proches aidants contribuerait à une meilleure reconnaissance de ces derniers et nous permettrait d'adopter des dispositifs cohérents.
Mme Annie Le Houerou. - Je remercie également la rapporteure.
Je souscris aux propos de notre collègue Philippe Mouiller : tout en me félicitant de la création d'un véritable statut du parent aidant, je regrette que le soutien ne soit apporté aux familles que par toutes petites touches.
L'Assemblée nationale a introduit, à l'article 1er, une disposition qui vise à rassurer les employeurs, en leur permettant de licencier un parent aidant en cas de faute grave. J'estime que la version initiale, que nous proposerons de rétablir, était plus ambitieuse.
Nous avons également déposé des amendements tendant à augmenter le nombre de jours de congé suivant l'annonce de la survenue d'une maladie grave ou d'un handicap et visant à faciliter le télétravail.
Nous aurions souhaité que le versement de l'allocation de l'AJPP soit automatisé, mais l'amendement que nous avons déposé en ce sens a été déclaré irrecevable.
En dépit de ces quelques propositions, nous estimons que cette proposition de loi va dans le bon sens, et nous la voterons.
Mme Frédérique Puissat. - Je remercie à mon tour la rapporteure.
Je regrette qu'aucune consultation des organisations syndicales et patronales n'ait été menée en amont de cette proposition de loi. Le Gouvernement ne manque pourtant jamais de souligner toute l'importance qu'il accorde à la concertation avec les partenaires sociaux. Il me semble qu'en la matière un accord national aurait été le bienvenu.
M. Alain Milon. - Je remercie la rapporteure pour cet excellent texte.
Il nous faudra veiller à l'application des dispositions proposées et à l'adéquation entre les recettes et les dépenses de la branche famille, de sorte que la mise en oeuvre de ces dispositions soit effectivement possible.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Je félicite à mon tour la rapporteure.
Nous voterons également cette proposition de loi, tout en regrettant qu'elle n'aille pas plus loin et que les dispositions positives qu'elle introduit ne s'inscrivent pas dans une grande loi relative à l'autonomie.
Combien de temps l'expérimentation qui vise à adapter le nombre de bénéficiaires et le montant du complément mensuel pour frais versé dans le cadre de l'AJPP durera-t-elle ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Cet empilement de lois en silo est effectivement regrettable pour les familles comme pour les employeurs.
Les associations et l'Assemblée nationale souhaitaient que nous votions ce texte conforme, quitte à revenir sur la disposition relative au congé pour décès d'un enfant dans un second temps. J'ai indiqué aux associations que le Sénat ne travaillait pas ainsi, et que nous ne pouvions pas ne pas modifier une disposition discriminante pour les parents dont l'enfant décède avant 25 ans. La commission mixte paritaire (CMP) étant prévue le 6 juillet si le texte était, comme je l'espère, adopté par le Sénat avec modification, nous serons en mesure d'adopter cette proposition de loi rapidement, comme les familles le souhaitent.
Par ailleurs, les dispositions de cette proposition de loi ne s'appliquent qu'aux salariés du privé. Il faudra donc que le Gouvernement dépose un amendement visant à étendre ces dispositions aux fonctionnaires et aux militaires pour couvrir le mien, sans quoi un tel amendement déposé au nom de la commission serait susceptible d'être déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le cabinet de la Première ministre nous a indiqué qu'un tel amendement serait bien déposé.
Le député Paul Christophe, qui est l'auteur de cette proposition de loi, convient lui-même que ce sujet aurait mérité une loi globale.
L'article qui concerne le congé après décès aurait pu être déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution puisque le texte initial avait bien pour objet de renforcer la protection des familles d'enfants malades, ce qui n'a pas de lien avec le deuil parental. L'amendement relatif au congé après décès a toutefois été adopté par l'Assemblée nationale. Il nous faut donc amender le texte pour éviter la discrimination introduite par cette rédaction malheureuse.
J'ai dit la semaine dernière au secrétaire d'État chargé de la mer, Hervé Berville, au sujet de la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche que nous ferons des votes conformes quand on nous présentera des textes bien ficelés.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Votre amendement relatif au versement automatique de l'AJPP a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, Mme Le Houerou, car ce dispositif supposait une avance de trésorerie.
Par ailleurs, l'expérimentation que vous évoquez durera trois ans, Mme Apourceau-Poly. Dix CAF, dont au moins une en outre-mer, seront concernées.
M. René-Paul Savary. - Quel est le coût estimatif des mesures proposées pour la sécurité sociale et pour les employeurs ?
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Comme vous le savez, s'agissant d'une proposition de loi, aucune étude d'impact n'a été réalisée. Le coût des mesures n'a donc pas été évalué.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La commission a tout de même sollicité des contributions écrites des organisations patronales, qui ont exprimé une forme d'agacement face à ces charges nouvelles qu'on leur impose sans les avoir consultées.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Nous avons effectivement demandé une contribution écrite aux organisations représentatives, notamment au Mouvement des entreprises de France (Medef). Si les organisations patronales ne font pas de ces dispositions qui touchent à l'humain un casus belli, elles attirent notre attention sur l'accumulation de dispositions qui finissent par peser sur leurs charges.
Mme Véronique Guillotin. - Ces avancées vont dans le bon sens, mais il reste des trous dans la raquette. J'ai, par exemple, en tête le témoignage d'une femme isolée dont le fils de 17 ans, qui a eu un accident très grave, est hospitalisé à 120 kilomètres de chez elle. Elle peine à lui rendre visite, elle a perdu son emploi et elle est en train de perdre son logement. En l'espace d'un mois et demi, sa vie a été détruite. J'insiste donc sur la nécessité d'une grande loi qui prenne en compte toutes les dimensions de ces situations.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - Le député Paul Christophe est conscient de ces problèmes et reconnaît qu'il faudrait une grande loi.
Les associations nous ont beaucoup alertés sur les modalités de renouvellement de l'AJPP. En l'état actuel du droit, si la réponse médicale tarde, la prestation devient caduque.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à rétablir l'article 1er dans sa rédaction initiale. Contrairement à ce que son objet laisse entendre, l'adoption de cet amendement aurait pour effet de vider le dispositif de sa substance.
En effet, la rédaction initiale de l'article 1er permettait à un salarié déjà licencié de faire annuler en justice ce licenciement dès lors que celui-ci était en lien avec l'état de santé de son enfant. C'est une protection ex post, alors que dans sa rédaction actuelle, l'article 1er permet, au contraire, une véritable protection contre le licenciement ex ante, du fait même de son statut.
Je demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, l'avis serait défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-10 vise à rendre effective la protection contre le licenciement pour les parents en congé de présence parentale.
Dans la rédaction actuelle du texte, la protection contre le licenciement s'applique uniquement lors des jours durant lesquels le congé de présence parentale est sollicité, sans concerner les périodes éventuelles de reprise du travail entre deux prises de congés.
En protégeant contre le licenciement les salariés en congé de présence parentale, y compris lors des éventuelles périodes de reprise du contrat de travail entre deux périodes de congé auprès de l'enfant, cet amendement tend à corriger cette incohérence et à accorder un niveau de protection identique aux parents en congé de présence parentale, quels que soient leurs choix professionnels. Il est donc proposé d'harmoniser la rédaction de la protection contre le licenciement des salariés en congé de présence parentale avec celle des salariées en congé de maternité.
L'amendement COM-10 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-11 vise à étendre de sept jours ouvrés à quatorze jours ouvrables la durée minimale du congé pour événement familial en cas de décès d'un enfant ou d'une personne à charge de moins de 25 ans, ou d'un enfant lui-même parent.
Par cet amendement, je vous propose de tirer les conséquences du choix de l'Assemblée nationale d'allonger le congé pour décès d'un enfant de plus de 25 ans, et de répercuter ce relèvement sur le congé consécutif au décès d'un enfant de moins de 25 ans, en maintenant les deux jours de congé supplémentaires souhaités par le Sénat.
L'amendement COM-11 est adopté.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à porter à dix jours le congé pour annonce de la survenue d'un handicap ou d'une maladie grave chez l'enfant. Le texte se propose déjà de porter ce congé à cinq jours, soit une semaine pleine, contre deux jours actuellement.
Évaluons d'abord les conséquences du passage de deux à cinq jours, avant de décider, le cas échéant, de porter cette durée à dix jours, d'autant qu'aucune des associations que nous avons entendues n'a formulé de demande en ce sens. L'avis est donc défavorable.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à faire financer par l'employeur le coût du matériel nécessaire au télétravail pour les parents d'enfants atteints d'une maladie ou d'un handicap grave.
Cet amendement est déjà satisfait. En effet, l'employeur a une obligation générale de prise en charge des frais professionnels du salarié liés aux besoins de l'activité professionnelle, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation. J'en demande donc le retrait. À défaut, l'avis serait défavorable.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-4 tend à faire obligation à l'employeur d'informer le salarié dont l'enfant est atteint d'un handicap ou d'une maladie grave de la possibilité de télétravailler.
La rédaction de cet amendement laisse planer un risque juridique, car elle ne précise pas que cette obligation ne vaut que dans les cas où le télétravail est matériellement possible, ce qui concerne moins du tiers des emplois. Par conséquent, j'émets un avis défavorable à cet amendement.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 2 est adopté sans modification.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-5 prévoit la possibilité de déroger à la présomption de démission en cas d'abandon de poste d'un salarié dont l'enfant est atteint d'une maladie ou d'un handicap graves.
Malgré leur douleur et la gravité des événements, la très grande majorité des parents confrontés à la maladie ou au handicap de leur enfant préviennent leur employeur, et arrêtent le travail en attendant d'avoir accès au CPP en utilisant des congés - notamment le congé pour l'annonce de la survenue d'une maladie grave ou d'un handicap chez l'enfant. Les cas d'abandon de poste sont, en pratique, très rares.
La portée de cet amendement me semble donc, dans les faits, extrêmement réduite. Par conséquent, il ne semble pas utile de complexifier le droit en prévoyant une telle dérogation. J'émets un avis défavorable à cet amendement.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 est adopté sans modification.
Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure. - L'amendement COM-6 tend à élargir les conditions dans lesquelles un délai de grâce peut être accordé par le juge au débiteur d'un crédit dans le cas où le débiteur ou son enfant est atteint d'une maladie ou d'un handicap grave.
Il a donc trait au droit des obligations régi par le code de la consommation et, en cela, ne présente pas de lien avec le texte déposé. Je vous propose donc de le déclarer irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-6 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 4
L'amendement rédactionnel COM-12 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 4 bis (nouveau)
L'article 4 bis est adopté sans modification.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
Article 6 (supprimé)
L'article 6 demeure supprimé.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale - Examen du rapport
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport de Mme la rapporteure générale sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Mes chers collègues, nous nous livrons à un exercice nouveau, inspiré d'une proposition de loi organique déposée par mon prédécesseur Jean-Marie Vanlerenberghe, qui nous amène à débattre, au printemps, dans le cadre d'un projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) - celui-ci correspond à ce qu'était la première partie des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) -, de l'année n, avant de débattre, à l'automne, de l'année n+2.
Désormais, le rapport de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) ne sera plus publié à l'automne, mais au moment du dépôt du Placss.
Ce projet de loi comporte un certain nombre d'annexes - en cette première année, celles-ci sont incomplètes -, qui contiennent de nombreuses informations sur l'efficacité et l'efficience des mesures prises dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS).
La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes 2022 de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la branche famille. En effet, une augmentation de la proportion de paiements erronés a été constatée. Au bout de 24 mois, les erreurs à la hausse ou à la baisse représentent 7,6 % du montant total des prestations, soit 5,8 milliards d'euros, contre une proportion de 5,5 % pour les prestations versées en 2019.
Par ailleurs, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de l'activité de recouvrement pour l'exercice 2021, qui fait l'objet de la première partie de la LFSS pour 2023. En effet, un produit de 5 milliards d'euros, résultant des cotisations dues par les travailleurs indépendants, aurait dû être imputé sur les comptes, non pas de 2021, mais de 2020, comme le Sénat l'avait souhaité.
Comme le Sénat, le Conseil constitutionnel a du reste considéré que le « vrai » déficit est le déficit corrigé. Le tableau patrimonial qu'il est prévu d'annexer à la loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss) et qui correspond à l'ancienne annexe A des PLFSS comprend, pour comparaison, une colonne relative à l'exercice 2021, avec les déficits non corrigés.
Les quelques explications que la direction de la sécurité sociale nous a fournies n'ont pas suffi à nous convaincre du bien-fondé de cette démarche.
La Cour des comptes considère comme nous qu'il serait opportun d'avancer (selon elle, de quinze jours) la date de production des comptes et de réunir la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) la première quinzaine de mai - cette année, cette réunion a eu lieu fin mai.
La Cour des comptes doit en effet disposer de suffisamment de temps pour certifier les comptes et élaborer les avis relatifs aux tableaux d'équilibre et patrimonial du Placss qui figurent dans le Ralfss.
La direction de la sécurité sociale (DSS) estime qu'une anticipation du calendrier pourrait l'amener à inscrire dans les comptes des montants évaluatifs, ce qui poserait d'autres difficultés. Il faudrait donc que la Cour des comptes et la DSS fixent une date qui convienne à tous.
Cette année, le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie a publié son avis sur le respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), non pas le 1er juin, mais le 7 juin, soit le lendemain de l'examen du Placss à l'Assemblée nationale.
Pour cette première mouture du Placss, il est donc clair qu'il manque de l'huile dans les rouages et qu'il y a des marges de progression.
Par ailleurs, les annexes ne sont parfois pas conformes à la loi organique. Les indicateurs des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) s'arrêtent le plus souvent, non pas en 2022 comme cela devrait être le cas, mais en 2020 ou en 2021.
De plus, l'annexe relative aux niches sociales ne comprend pas l'« évaluation de l'efficacité » prévue par la loi organique d'un tiers des niches, de sorte que chacune fasse l'objet d'une évaluation tous les trois ans.
La première recommandation du Ralfss est de « rétablir la production des éléments d'information, à joindre en annexe au Placss, détaillant, expliquant et comparant selon les exercices les tableaux d'équilibre et le tableau de situation patrimoniale ».
Ces informations, qui constituaient la première partie de l'annexe 4 aux PLFSS antérieurs à la réforme organique, figurent en 2023 dans le rapport de la CCSS, mais rien ne garantit que ce sera toujours le cas. Par ailleurs, la CCSS peut se réunir après le dépôt du Placss, comme cela a été le cas en 2023. En tout état de cause, il serait paradoxal que l'instauration du Placss se traduise par une perte d'information du Parlement.
Si les administrations de sécurité sociale (Asso), qui incluent la sécurité sociale, mais aussi l'assurance chômage et les hôpitaux, présentent un excédent de 9,6 milliards d'euros, soit 0,4 point de PIB, les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss) et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) sont très déficitaires, puisque leur déficit consolidé s'établit à 19,6 milliards d'euros, contre 1,7 milliard d'euros en 2019.
L'excédent de 9,6 milliards d'euros s'explique par les bons résultats de l'Unédic (+ 4,3 milliards d'euros), de l'Agirc-Arrco (+ 5,2 milliards d'euros) et de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (+ 19 milliards d'euros).
Il nous faut retrouver la maîtrise des dépenses de santé. Le constat n'est pas nouveau, mais la quasi-totalité de l'augmentation du déficit de la sécurité sociale provient de l'assurance maladie.
De 2011 à 2019, l'Ondam a été respecté, mais il ne l'a plus été depuis 2020 du fait de la crise sanitaire et des mesures prises pour compenser l'inflation. Il convient donc, dans le cas du seuil d'alerte, de supprimer la distinction entre dépenses covid et hors covid, pour que le Parlement puisse débattre.
Les mesures prises en conséquence de l'inflation, notamment le point d'indice et la couverture des charges non salariales liées à l'inflation, mais aussi la « mission Braun » sur les urgences, représentent un coût total de 3 milliards d'euros en 2022. Ce ne sont pas de simples dépassements de dépenses prévisionnelles, mais des mesures nouvelles, qu'il aurait été de bonne pratique d'inscrire dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
J'en viens à la clause de sauvegarde des médicaments, mécanisme de régulation de dernier ressort instauré par la LFSS de 1999 qui visait à inciter les entreprises pharmaceutiques à ne pas dépasser un certain seuil compatible avec l'Ondam.
Depuis 2015, le dispositif a toujours été déclenché, sauf en 2020, et son rendement est en forte hausse. Il s'agit d'un impôt de plus en plus lourd, imprévisible et qui frappe de manière indiscriminée. Il convient que le Gouvernement fiabilise les prévisions dès le prochain PLFSS, car, entre celles-ci et la réalité, le décalage est effarant.
La mission interministérielle sur la régulation des dépenses de produits de santé devra s'interroger sur la pertinence de ce dispositif, car depuis son instauration en 1999, les choses ont évolué.
Par ailleurs, s'il était nécessaire d'instaurer une garantie de financement des hôpitaux durant la crise sanitaire du fait des nombreuses déprogrammations, il convient désormais de préciser les modalités de sortie de ce dispositif.
Je rappelle que celui-ci a été mis en place par ordonnance en 2020, avant d'être reconduit, en 2022, par une loi, puis par un arrêté ministériel, sans base légale.
En 2022, alors que l'activité hospitalière était inférieure de 4 % au niveau de 2019, notamment du fait de difficultés de recrutement, le coût de la garantie de financement des hôpitaux s'est établi à 2,7 milliards d'euros, contre 1,9 milliard d'euros en 2021 et 2,5 milliards d'euros en 2020. La garantie ne prend pas en compte les changements de périmètres d'activités intervenus depuis 2019, ce qui peut avoir un effet désincitatif pour les projets d'établissement.
Fin avril 2023, dans le cadre de la généralisation de l'intermédiation des pensions alimentaires, rendue systématique par l'article 100 de la LFSS pour 2022, plus de 133 869 pensions avaient été avancées ou intermédiées par l'Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Il convient d'être vigilant sur la mise en oeuvre de la réforme, d'assurer la bonne information des parents et de veiller au respect par les avocats de leur obligation de transmission des dossiers à l'Aripa. Il faut aussi que l'Aripa parvienne, malgré la gestion d'un fort afflux de dossiers, à améliorer le taux de recouvrement des impayés.
J'en viens à la cinquième branche. L'article 44 de la LFSS pour 2022 prévoit, dans les deux ans suivant la publication du décret fixant le cahier des charges, le regroupement des services d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad), des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) et des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) au sein des services autonomie à domicile (SAD), dans une logique de simplification et de « guichet unique » pour l'usager. Or le cahier des charges n'a toujours pas été publié.
Par ailleurs, l'instauration d'un tarif plancher aura un effet à la hausse sur le reste à charge des usagers. Il convient donc de s'assurer que la réforme ne restreigne pas l'accès aux prestations.
En matière de lutte contre la fraude sociale, je rappelle qu'en 2020 la Cour des comptes n'avait pas réussi à évaluer le montant de la fraude aux prestations.
En s'appuyant sur des extrapolations, la Cour des comptes estime dans son rapport que la fraude aux prestations s'établirait entre 6 et 8 milliards d'euros, dont environ 4 milliards d'euros pour l'assurance maladie, les fraudes commises par les professionnels de santé emportant des montants beaucoup plus importants que celles commises par les usagers, et 3 milliards d'euros pour les allocations familiales - principalement au titre du revenu de solidarité active (RSA), de la prime d'activité et des aides au logement.
La fraude aux cotisations s'élèverait à 8 milliards d'euros, principalement imputables au travail dissimulé.
Comme Jean-Marie Vanlerenberghe l'avait démontré dès 2019, la fraude aux faux numéros de sécurité sociale est un enjeu relativement mineur. Entre 2019 et 2022, le nombre de cartes Vitale « surnuméraires », qui étaient majoritairement des cartes perdues non désactivées, serait passé de 600 000 à environ 3 000.
Le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le Gouvernement le 30 mai dernier comporte plusieurs mesures qui ont d'ores et déjà été votées, telles que l'obligation de verser sur un compte domicilié en zone Sepa les prestations sociales soumises à condition de résidence en France, qui sera effective au 1er juillet 2023, ou l'allongement de 6 à 9 mois de la durée de résidence en France pour percevoir l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui sera effectif au 1er septembre prochain.
Par ailleurs, le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) a exprimé de très fortes réserves concernant l'hypothèse évoquée par le Gouvernement d'une fusion de la carte nationale d'identité (CNI) et de la carte Vitale. Il faudra veiller à ne pas se détourner des principaux enjeux.
En matière de lutte contre la fraude, j'estime qu'il convient déjà de s'assurer que les dispositions législatives existantes sont effectivement appliquées, et je rappelle que l'augmentation du nombre de contrôles suppose le renforcement des moyens humains et l'amélioration des systèmes d'information.
Si ce Placss est une photographie, comme le ministre Gabriel Attal l'a indiqué devant notre commission, j'estime que celle-ci reste floue. Je vous proposerai d'ailleurs tout à l'heure d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
M. Bernard Jomier. - Je remercie la rapporteure générale.
Entre 2014 et 2018, le recul du passif net de la sécurité sociale a été constant. Le résultat excédentaire des administrations de sécurité sociale est de ce point de vue un trompe-l'oeil. En dépit des déclarations du Gouvernement, la sécurité sociale est délibérément maintenue en déficit constant, et ce sans que les résultats soient à la hauteur, en particulier pour la branche maladie à laquelle est imputable une grande partie du déficit. C'est donc la marque d'un double échec.
En dépit de l'affirmation de M. Attal selon laquelle ce texte ne serait que la photographie d'un compte administratif à l'instant t, le fait que la Cour des comptes n'ait pas certifié les comptes de la branche famille suffirait à nous conduire à voter contre ce Placss.
Mais allons plus loin. Le Gouvernement, qui prévoit d'augmenter l'Ondam de 2,9 % par an, se félicite qu'une telle modération n'ait été observée depuis plusieurs années.
La Cour des comptes a raison toutefois de douter du résultat en la matière. Elle rappelle notamment que de nouvelles aides financières sont prévues pour les soignants. Elle juge en outre les hypothèses d'évolution économique avancées par le Gouvernement optimistes et peu réalistes.
Dans l'ensemble, le Placss qui nous est présenté témoigne d'une gestion de la sécurité sociale assez désespérante de continuité. Le Gouvernement la maintient en déficit, en refusant de se pencher sur la question des recettes. La question des exonérations ne fait pas l'objet d'une véritable évaluation. Il en résulte un système de santé à l'efficacité dégradée, qui ne rend plus les services qu'il rendait auparavant, sans un réel retour à l'équilibre des comptes en perspective.
Ces différents éléments nous conduiront à rejeter ce texte.
Par ailleurs, la rapporteure générale semble considérer que l'arrêté ministériel ayant pour objet de prolonger la garantie de financement, qui a pris fin le 31 décembre dernier, ne dispose pas de base légale. Or je n'ai pas la même lecture de ce dispositif.
Enfin, pourquoi choisir de présenter une motion tendant à opposer la question préalable ? Pourquoi refuser de débattre du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, donc de la gestion de la sécurité sociale par le Gouvernement ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - Il y aura une discussion générale néanmoins.
Mme Laurence Cohen. - Comme l'ensemble des membres de mon groupe, je ne suis pas gênée par les motions tendant à opposer la question préalable. Lorsque le texte qui nous est présenté est aux antipodes de nos propres propositions, il est difficile de continuer à essayer de le modifier.
La logique gouvernementale semble effectivement consister à perpétuer la situation actuelle, quoi que l'on puisse observer par ailleurs. Les exonérations de cotisations se poursuivent, sous prétexte qu'elles seraient compensées presque en totalité, sans qu'aucune analyse approfondie ne soit menée sur le sujet. Or, les compensations étant effectuées par l'État, cet argent manquera pour améliorer les services publics.
Le Placss que nous examinons, présenté comme innovant par le Gouvernement, n'est en réalité qu'une compilation des PLFSS précédents, dont il reprend la logique.
Gabriel Attal a mentionné dans une intervention récente la grande reconnaissance qu'il avait à l'égard des personnels de la sécurité sociale. Or nous avons appris le lendemain dans la presse que le Gouvernement avait l'intention de supprimer 1 720 postes au sein de l'assurance maladie d'ici à 2027. Cherchez l'erreur !
La Cour des comptes a par ailleurs refusé de certifier la branche famille en raison de l'augmentation importante des paiements erronés. Or plusieurs syndicats estiment que cette augmentation est liée à la suppression de 809 contrats à durée indéterminée (CDI) entre 2018 et 2022. Si cette dernière n'explique pas tout, il est certain que l'on ne peut pas constamment demander aux services de l'État de faire davantage, et mieux, tout en leur supprimant des postes.
Je rappelle ensuite que le fait de voter l'Ondam a des conséquences concrètes. Cela revient en effet à réduire les moyens de l'hôpital. Ainsi, en 2022, 80 services d'urgences ont été contraints de fermer la nuit, 131 établissements ont été concernés par des fermetures de lits, 30 % des patients atteints d'une maladie chronique ont été contraints de reporter leurs soins et des milliers de soignants ont démissionné de l'hôpital. Or cette tendance va se poursuivre, puisque vous continuerez à voter des textes qui auront de telles conséquences. La motion tendant à opposer la question préalable présentée par Mme la rapporteure générale pourra nous faire éviter ce scénario, mais elle ne s'appuie pas sur les mêmes arguments que ceux que je développe.
Il est par ailleurs à noter que l'augmentation des salaires survenue dans la fonction publique a entraîné une hausse des cotisations engrangées par la sécurité sociale, à hauteur de 1,1 milliard d'euros. Les augmentations de salaire que les membres de mon groupe et moi-même demandons régulièrement sont donc bonnes non seulement pour les salariés, mais aussi pour les comptes de la sécurité sociale.
Enfin, nous avons la chance d'avoir créé au Sénat une commission d'enquête sur la question importante de la pénurie de médicaments, dont le rapport sera intéressant à consulter. Le recours à la clause de sauvegarde a effectivement augmenté de manière exponentielle, mais cela tient aussi à la forte hausse du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique. Il faut toutefois faire une différence à cet égard entre les petites et moyennes entreprises (PME) et les « Big Pharma ».
Mme Raymonde Poncet Monge. - Le déficit prévisionnel de la sécurité sociale me paraît désormais construit. Nous savons, dès le départ, qu'il surviendra. Or un gouvernement qui laisse ainsi un déficit se produire afin d'alimenter ensuite un discours visant à soutenir des réformes plus ou moins brutales n'est pas sincère dans sa démarche.
Entre 2001 et 2019, l'Ondam des soins de ville a été respecté au détriment de l'Ondam des établissements de santé. De manière générale, il faudrait toujours distinguer entre les différents Ondam, pour identifier les principales dépenses au sein de l'enveloppe globale.
À quoi cela sert-il cependant de rétablir le seuil d'alerte quand le taux d'évolution de l'Ondam est prévu à 2,9 % de 2023 à 2026, pour une inflation attendue à 2,8 %, et sachant que compte tenu de la politique de santé, qui n'amorce toujours pas son virage vers la prévention, la dépense évolue à 4 % en volume - en raison du vieillissement de la population, de l'innovation médicale, et de la part croissante occupée par les maladies chroniques ?
Les comptes de la sécurité sociale seront donc en déficit. Il faudrait à cet égard maintenir un seuil d'alerte permanent. Par ailleurs, les lois de financement rectificatives ne sont pas faites uniquement pour faire passer des réformes structurelles impopulaires.
À quoi les excédents construits de l'Unédic, chiffrés à 6 milliards d'euros, serviront-ils ?
S'agissant du paiement à bon droit de la branche famille, les données disponibles distinguent-elles les indus et les rappels, sachant que la distinction entre ces deux notions n'est pas claire pour tous, et que la mise en oeuvre de la solidarité à la source permettra de repérer des indus et rappels non identifiés actuellement ?
Enfin, si l'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence en France requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa vient durcir effectivement les conditions de la loi, il n'entre nullement dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale. C'est une mesure de stigmatisation.
M. René-Paul Savary. - Il s'agit bel et bien d'une mesure de lutte contre la fraude sociale. Plus on reste en France, moins cette prestation peut être détournée.
Je reviens sur le déficit organisé de la sécurité sociale, qui pèsera de plus en plus dans les comptes publics. Il faut amortir la dette sociale de dizaines de milliards d'euros, ce qui sera d'autant plus difficile que les taux d'intérêt ont fortement augmenté, jusqu'à atteindre 3 %. Or creuser ce déficit revient à consacrer moins de moyens aux soins apportés aux malades.
La clause de sauvegarde, qui visait initialement à éviter une hausse trop importante des dépenses de médicaments, est devenue un véritable impôt sur le médicament. Il ne faut pas s'étonner, dès lors, que des pénuries surviennent, puisqu'il devient plus rentable pour les laboratoires de vendre à l'étranger plutôt qu'en France. Ainsi détourné par Bercy, ce mécanisme, utile en soi, constitue en outre un vecteur contre l'innovation. Il faut faire preuve de vigilance dans ce domaine, pour ne pas aller à l'encontre de ce que l'on souhaite.
Une fiabilisation des données nominatives sera par ailleurs nécessaire pour garantir l'efficacité du dispositif de solidarité à la source et limiter le risque d'erreur.
Enfin, en réponse à Laurence Cohen, une augmentation des salaires entraîne également, à long terme, une augmentation du nombre de prestations et une hausse du niveau des retraites, donc des dépenses supplémentaires dès le moyen terme. Il faut considérer la situation dans sa globalité.
M. Daniel Chasseing. - Il serait bon d'assister davantage les personnes responsables de l'autonomie à domicile, qui s'inquiètent dans certains départements de l'unification annoncée des Ssiad et Spasad au sein des SAD. Aucune aide ne leur est effet apportée pour la réalisation de cette fusion.
Une amélioration de la lutte contre la fraude sociale, évaluée entre 10 milliards et 16 milliards d'euros, serait de nature à de renforcer l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Entre 2014 et 2018, on a observé un sous-financement dans les hôpitaux. Les salaires des soignants n'ont pas été augmentés, hormis un rattrapage de 300 euros par mois accordé aux aides-soignants. Il serait bon d'y remédier, pour valoriser leur travail.
Comme l'a souligné René-Paul Savary, l'équilibre des comptes de la sécurité sociale est lié à l'équilibre des retraites. L'allongement de la durée de cotisation jusqu'à 43 ans inscrit dans la réforme Touraine de 2014 pourra jouer un rôle dans ce domaine. Toutefois, l'équilibre de la sécurité sociale tient aussi à une augmentation du nombre de cotisants. Pour y parvenir, il faut des entreprises compétitives à l'échelon européen. Or, depuis 2020, la part des entreprises dans le PIB est passée de 18 % à 12 %, alors qu'elle s'élève à 25 % en Allemagne.
Entre 2012 et 2018, le taux d'évolution de l'Ondam était inférieur à 2 %. Il s'élève actuellement à 2,9 %, ce qui demeure insuffisant, mais n'en constitue pas moins un progrès.
Rappelons enfin que la crise du covid-19 a entraîné de lourds déficits dans les comptes de la sécurité sociale, et qu'une telle pandémie était impossible à prévoir.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - L'information est primordiale lorsqu'il est question des comptes de la sécurité sociale. Or nous avons l'impression que le Gouvernement communique à ce sujet avec parcimonie et réticence, alors même que le Parlement doit avoir la possibilité d'entrer dans les détails de ces comptes pour pouvoir remplir sa mission.
À l'avenir, il pourrait être intéressant, à partir des différents manques qui ont été relevés dans le cadre du rapport, de se focaliser au sein de la commission des affaires sociales sur des sujets précis au cours de l'année.
J'en viens à la fraude sociale. Comme l'a souligné la Cour des comptes, la Cnam a évalué la fraude pour seulement 29 % de ses dépenses. Il faut mettre la Cnam au défi de nous fournir enfin, pour la fin de l'année, une estimation dans ce domaine et une projection des moyens qui seront mis en oeuvre pour effectuer ce contrôle et récupérer l'argent ainsi indûment versé.
Je voudrais également qu'un compte précis des variations d'effectifs de la sécurité sociale nous soit fourni. Il est question en effet de diminuer les effectifs de l'assurance maladie, tout en augmentant le nombre et la fréquence des contrôles. Cette donnée est donc essentielle, d'autant que l'on demande à ces personnels de s'investir pour pouvoir mieux financer par la suite les différentes branches de la sécurité sociale. Au total, la fraude sociale est estimée à environ 15 milliards d'euros, soit un montant substantiel qui permettrait, s'il était recouvré, de financer une partie de la cinquième branche.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - La garantie de financement pour les hôpitaux a été reconduite, pour le premier semestre 2022, par la loi, puis, pour le second semestre 2022, par un arrêté ministériel sans base légale.
Par la suite, considérant que la base légale était trop fragile pour une dérogation importante et prolongée aux règles de financement, le Sénat, à l'initiative de notre commission, a sécurisé juridiquement le dispositif pour l'année 2022 en prévoyant une prolongation expresse, par un amendement de Mme Corinne Imbert, rapporteure pour l'assurance maladie, au PLFSS pour 2023. Malgré un avis défavorable à cette initiative, le Gouvernement l'a prolongée avec un nouveau dispositif de sécurisation des ressources modulé à l'activité pour l'année 2023.
La prolongation de la garantie de financement s'est donc faite au jour le jour, sans réelle anticipation. Le Sénat avait proposé de revenir à des bases juridiquement plus solides, mais la tournure des événements a fait que le Gouvernement a procédé autrement.
J'en viens à la question de Bernard Jomier relative aux raisons du dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable. Il ne me semble pas que nous disposions d'éléments suffisamment exhaustifs. Quand le Gouvernement nous présentera des annexes et un projet de loi solide, nous pourrons discuter. Il n'en va pas ainsi à ce stade, c'est la raison du dépôt de la motion.
Madame Cohen, il est difficile de comprendre l'évolution des ressources humaines de la sécurité sociale dans le temps. On nous annonce en effet le recrutement de 1 000 personnes supplémentaires, mais il faut que nous sachions précisément à quelles caisses ces personnels supplémentaires seront attribués.
Concernant l'Ondam, il est vrai que nos votes ont des conséquences sur le terrain. Nous devons nous donner les moyens de produire un rapport détaillé sur le sujet, par exemple par le biais de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss). Les dispositions mises en oeuvre ont parfois été peu ou mal corrigées, il conviendrait de s'assurer qu'elles correspondent bien aux besoins des territoires.
Nous serons attentifs par ailleurs aux conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, dont le rapport sera examiné le 4 juillet. Il faut différencier à cet égard les petites et les grandes entreprises, mais également celles qui font de l'innovation et celles qui n'en font pas, ou encore celles qui ont des initiatives vertueuses sur un plan environnemental et celles qui n'en ont pas.
Madame Poncet Monge, la protection sociale en France doit être maintenue, voire améliorée. C'est notre bien le plus précieux. Or, pour y parvenir, il faut éviter les déficits, d'autant que les taux d'intérêt augmentent.
Il est effectivement souhaitable par ailleurs de respecter la distinction entre l'Ondam des soins de ville et l'Ondam des établissements de santé.
Concernant le seuil d'alerte, il faudrait le rendre à nouveau effectif, pour que le Parlement et, par son intermédiaire, les citoyens, disposent d'une information précise.
Nous verrons si des ambitions particulières sont formulées pour l'utilisation des excédents de l'Unédic.
La page 113 du rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) relatif à la branche famille, faisant partie (comme les autres Repss) de l'annexe 1 au Placss, comporte un tableau montrant la différence entre les taux d'indus et les taux de rappels, les premiers étant les plus importants.
L'allongement de six à neuf mois de la durée de résidence requise pour pouvoir prétendre à l'Aspa a l'avantage d'éviter d'encourager les personnes bénéficiant de ce dispositif à partir vivre à l'étranger.
Concernant la clause de sauvegarde et la solidarité à la source, nous attendons les conclusions de la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments pour voir quelles améliorations pourraient être mises en oeuvre. La fiabilisation des données est effectivement essentielle pour garantir l'efficacité du dispositif de la solidarité à la source.
Pour bien discerner les enjeux relatifs à l'équilibre des comptes de la sécurité sociale, il est important d'avoir une vue d'ensemble des recettes et dépenses.
En réponse à Daniel Chasseing, les professionnels de l'aide à domicile sont effectivement inquiets du regroupement annoncé entre les services existants. Ce guichet unique permettra néanmoins aux usagers de mieux s'y retrouver. Il faudrait toutefois signaler à Jean-Christophe Combe qu'un accompagnement des personnels du secteur serait bienvenu.
La branche retraite a une incidence sur l'équilibre des comptes de la sécurité sociale. Cependant, ce sont d'abord les mesures sociales de la réforme des retraites qui s'appliqueront. Les mesures d'âge n'entraîneront pas de recettes supplémentaires dans l'immédiat.
Favoriser l'économie pour augmenter le nombre de cotisants est par ailleurs effectivement souhaitable. C'est la direction prise par le Gouvernement. Il faudrait profiter néanmoins de la relance économique pour dire aux entreprises qu'elles ont un rôle à jouer dans tous les défis que nous avons à relever : défi environnemental, défi de la protection sociale, bien-être au travail, etc.
Je remercie enfin Jean-Marie Vanlerenberghe, car c'est en partie à lui que nous devons ce « printemps de l'évaluation » des comptes de la sécurité sociale. Il a toujours su nous indiquer la bonne voie à suivre.
Le Gouvernement ne parvient pas, dans cet exercice nouveau, à nous fournir tous les éléments nécessaires pour mesurer l'efficacité des politiques publiques en matière de solidarité. J'espère que nous disposerons d'une carte plus détaillée l'année prochaine.
EXAMEN DES ARTICLES
Motion
La motion n° 1 est adoptée.
La commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
En conséquence, l'ensemble des amendements devient sans objet.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Mme Catherine Deroche, présidente. - La motion tendant à opposer la question préalable sera présentée au nom de la commission des affaires sociales en séance publique le lundi 3 juillet prochain. Elle sera précédée d'une discussion générale. Son adoption par le Sénat équivaudrait à un rejet conforme, donc définitif, du projet de loi par le Parlement.
Projet de loi pour le plein emploi - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le Sénat a été saisi en première lecture, avant l'Assemblée nationale, du projet de loi pour le plein emploi. Le texte sera examiné en séance publique à partir du lundi 10 juillet 2023. Compte tenu du nombre d'amendements déposés sur ce texte, nous examinerons les articles ce soir vers 18 heures.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Le projet de loi pour le plein emploi traduit la volonté du Gouvernement d'atteindre le plein emploi par la transformation du service public de l'emploi, sous la bannière « France Travail », et le renforcement de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Pour engager cette réforme, des travaux de préfiguration et de concertation ont été conduits sous la responsabilité du haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, M. Thibaut Guilluy, et des expérimentations sont en cours dans plusieurs départements et régions.
Ce projet de réforme découle de deux principaux constats, largement partagés.
D'une part, les personnes sans emploi sont très inégalement accompagnées pour leur insertion professionnelle. Pour ce qui concerne les allocataires du RSA, 60 % des bénéficiaires soumis aux droits et devoirs ne disposent pas de contrat d'accompagnement et seulement 41 % d'entre eux sont inscrits à Pôle emploi. Or, plus le taux de chômage se réduit, plus les personnes sans emploi en sont éloignées et nécessitent un accompagnement intensif, en adéquation avec les besoins des entreprises.
D'autre part, le suivi et l'accompagnement des personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles sont trop éclatés et insuffisamment coordonnés. Si de nombreuses initiatives sont prises dans les territoires, les acteurs du service public de l'emploi et de l'insertion ne parviennent que partiellement à articuler leurs actions.
Ainsi, les parcours d'insertion sont souvent discontinus : certaines personnes ne sont pas suivies, d'autres sont accompagnées par plusieurs référents ou orientées vers un accompagnement qui n'est pas adapté à leur situation. Ces difficultés sont source de décrochage pour les demandeurs d'emploi et d'inefficience des moyens consacrés à la politique de l'emploi. Elles ne permettent pas d'assurer un suivi satisfaisant de l'engagement des bénéficiaires dans une logique de « droits et devoirs ».
Le projet de loi entend résoudre ces difficultés en offrant un cadre rénové pour la politique de l'emploi et de l'insertion, consistant à fédérer les acteurs au sein d'un réseau France Travail, à harmoniser et à renforcer l'accompagnement de l'ensemble des personnes sans emploi, et à lever l'un des principaux freins à l'emploi, la garde d'enfant, en améliorant la gouvernance de la politique d'accueil du jeune enfant.
Je partage les objectifs de cette réforme. La mobilisation de l'État, des collectivités et des opérateurs doit être renforcée et coordonnée pour inciter à l'emploi, en fonction de la situation des personnes et des besoins des employeurs.
Toutefois, j'ai entendu de nombreuses inquiétudes sur les modalités proposées pour atteindre ces objectifs. La coordination des acteurs et l'harmonisation des pratiques ne sauraient se transformer en un cadre contraignant et uniforme que l'État imposerait aux collectivités et aux acteurs locaux. Chaque acteur doit pouvoir préserver ses prérogatives, mettre son expertise au service de l'accompagnement et développer des solutions adaptées aux besoins des territoires et des bassins d'emploi.
Inscrire dans la loi un parcours unique d'accompagnement intensif est nécessaire, mais pas suffisant. Les moyens financiers pour le mettre en oeuvre devront suivre. Or le texte est muet sur ce point. De plus, les outils opérationnels devront être co-construits par l'ensemble des acteurs de terrain, pour être réellement appropriés et utilisés.
Je vous proposerai donc de modifier le texte pour poser ces conditions.
Concernant la gouvernance, l'article 4 crée le réseau France Travail qui fédérera les acteurs de l'emploi et de l'insertion. Le réseau devra orienter et accompagner les personnes à la recherche d'un emploi ou rencontrant des difficultés sociales et professionnelles. Il me paraît nécessaire d'ajouter à ces missions celle de répondre aux besoins des employeurs en matière de recrutement, de mise en relation entre les offres et les demandes d'emploi et d'information sur la situation du marché du travail. Je vous proposerai aussi de préciser que les missions du réseau seront mises en oeuvre en lien avec le service public de l'éducation, qui joue un rôle essentiel dans la formation et l'insertion professionnelle des jeunes.
J'insiste sur un point : les services de santé au travail sont essentiels pour faciliter les recrutements et l'insertion professionnelle. Leurs difficultés seront à prendre en compte si l'on souhaite lever l'ensemble des freins à l'emploi.
Ce réseau, principalement composé de l'État, des collectivités territoriales et des opérateurs - Pôle emploi, missions locales, Cap emploi - serait piloté par des « comités France Travail » à tous les échelons : national, régional, départemental et local.
À l'échelon national, le comité France Travail prendra des orientations stratégiques et définira des outils communs pour l'accompagnement des demandeurs d'emploi : socle commun de services pour les personnes et les employeurs, référentiels pour l'accompagnement, indicateurs de suivi. Cet échelon stratégique réunira tous les acteurs du service public de l'emploi et donnera voix délibérative à l'État, aux collectivités territoriales et aux partenaires sociaux.
Il me paraît nécessaire de renforcer les prérogatives de ce comité national pour s'assurer que cette gouvernance tripartite puisse délibérer sur l'ensemble des aspects de la politique de l'emploi. Afin de donner de la visibilité aux acteurs, je vous proposerai ainsi que le comité national puisse identifier les besoins de financement dans un cadre pluriannuel.
Je proposerai également que ce comité élabore l'ensemble des référentiels à mettre en place par les acteurs : critères d'orientation, méthodologies communes, indicateurs, modalités de partage d'information et d'interopérabilité des systèmes d'information. Ces outils doivent être construits collectivement, puis approuvés par le ministre pour être appliqués. Il ne me paraît pas souhaitable que certains d'entre eux soient uniquement fixés par arrêté ministériel, comme le propose actuellement le texte.
L'article 4 prévoit que les représentants nationaux des membres du réseau France Travail signeront une charte d'engagements pour préciser le cadre de coopération des acteurs, prévoir des modalités renforcées de coopération et les conditions dans lesquelles les acteurs rendront compte de leurs actions. En outre, pour que les comités territoriaux France Travail soient coprésidés, aux côtés du préfet, par le président de l'exécutif local concerné, il faudra que la collectivité qu'il représente ait signé cette charte.
Je vous proposerai de supprimer cette charte d'engagements, qui n'est ni utile ni souhaitable. D'une part, le texte prévoit déjà que les acteurs devront conduire des actions coordonnées et complémentaires grâce à des outils définis de manière concertée par les comités de pilotage. D'autre part, il n'est pas souhaitable qu'une collectivité soit tenue de signer cette charte pour que le président de son exécutif puisse coprésider un comité territorial France Travail. Les collectivités territoriales disposent de compétences propres en matière d'emploi et d'insertion au titre desquelles elles ont vocation, dans tous les cas, à prendre part aux instances de gouvernance.
L'article 5 prévoit de transformer Pôle emploi en opérateur France Travail et de compléter ses missions. Le choix de donner le même nom au réseau et à l'opérateur suscite inquiétudes et incompréhensions. Il me semble être source de confusion, pour les acteurs du service public de l'emploi et pour les usagers. Il laisse entendre qu'une hiérarchie pourrait s'installer entre les différents acteurs du réseau. Le projet de loi ne prévoit pas de modifier le nom des missions locales ou des Cap emploi. Même si Pôle emploi joue un rôle clé au sein du service public de l'emploi, il ne me semble donc pas souhaitable qu'il prenne le nom de « France Travail », lequel doit être réservé au seul réseau qui fédérera les acteurs. Je vous proposerai donc que Pôle emploi conserve sa dénomination.
Les missions de Pôle emploi sont renforcées, afin qu'il conçoive et mette à disposition du réseau des outils partagés, notamment pour assurer l'interopérabilité des systèmes d'information. Ces missions me paraissent utiles et acceptables dans la mesure où les instances de gouvernance, par les amendements que je vous propose, construiront les référentiels et les cahiers des charges que l'opérateur devra suivre. Ses missions pour l'accompagnement des demandeurs d'emploi en situation de handicap sont également renforcées pour faciliter leur insertion professionnelle.
J'en viens aux dispositions qui concernent l'accompagnement des demandeurs d'emploi et des bénéficiaires du RSA.
Afin que toutes les personnes sans emploi puissent entrer dans un parcours d'accompagnement et d'insertion professionnelle, l'article 1er prévoit que seront automatiquement inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi les personnes en recherche d'emploi, les bénéficiaires du RSA et les personnes qui sollicitent l'accompagnement des missions locales ou des Cap emploi.
Cette inscription doit permettre d'assurer l'orientation, par Pôle emploi, les départements et les missions locales, de la personne sans emploi vers l'organisme le plus adapté à sa situation, afin qu'un accompagnement professionnel ou social lui soit proposé à l'issue d'un diagnostic conduit entre la personne et l'organisme référent. Si la situation de la personne évolue, elle pourra faire l'objet d'une réorientation vers un organisme plus adapté. Je vous propose d'approuver ces dispositions, qui permettront un meilleur suivi de toutes les personnes sans emploi en vue de leur accompagnement social et professionnel.
Le texte vise par ailleurs à poser le cadre commun d'un accompagnement plus intensif des demandeurs d'emploi, avec l'objectif affiché que les personnes éloignées de l'emploi, notamment les bénéficiaires du RSA, s'engagent sur une durée hebdomadaire de quinze à vingt heures d'activités accompagnées, sur le modèle du contrat d'engagement jeune (CEJ).
Dans cette perspective, l'article 2 tend à unifier les droits et devoirs de toutes les personnes inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi au sein d'un nouveau contrat d'engagement. Ce dernier concernera, avec des adaptations, aussi bien les personnes en recherche d'emploi que les bénéficiaires du RSA et les jeunes suivis par les missions locales.
Comme l'actuel projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE), le contrat d'engagement préciserait tant les engagements de l'organisme référent que ceux du demandeur d'emploi. En cas de recherche d'une activité salariée, il définirait les éléments constitutifs de l'offre raisonnable d'emploi que le demandeur d'emploi est tenu d'accepter. De plus, il contiendrait un plan d'action précisant les objectifs d'insertion sociale ou professionnelle et, le cas échéant, le niveau d'intensité de l'accompagnement requis. Ce plan d'action comporterait également des actions de formation, d'accompagnement et d'appui.
Ce contrat d'engagement unifié peut offrir un cadre rendant plus effectifs les engagements des demandeurs d'emploi. En revanche, l'article 2 ne traduit pas l'objectif, pourtant essentiel, de garantir un accompagnement plus intensif et de mobiliser les personnes éloignées de l'emploi pendant une durée hebdomadaire prédéfinie. Je vous proposerai donc de modifier le texte afin que le contrat d'engagement précise la durée hebdomadaire d'activité qu'il sera demandé au demandeur d'emploi d'accomplir. Cette durée devrait être d'au moins quinze heures.
Cette notion d'activité doit être envisagée de manière large et comprendre toutes les actions concourant à l'insertion du demandeur d'emploi, en fonction de sa situation et de ses besoins. Cette obligation concernera non seulement les bénéficiaires du RSA, mais potentiellement tous les demandeurs d'emploi nécessitant un accompagnement, notamment les chômeurs de longue durée.
Concernant plus particulièrement les bénéficiaires du RSA, l'article 3 modifie le régime des sanctions applicable, en introduisant une sanction de suspension du versement de l'allocation, dite « suspension-remobilisation ». Dans ce cadre, dès que le bénéficiaire se conformera de nouveau à ses obligations, les sommes retenues pendant la durée de la sanction lui seront versées au terme de la suspension.
Ce mécanisme peut être vertueux, en permettant la remobilisation rapide d'allocataires du RSA qui seraient découragés. En revanche, le principe du versement rétroactif de l'allocation risque, s'il n'est pas encadré, de le priver d'efficacité. Je vous proposerai donc de limiter les sommes pouvant être versées rétroactivement à trois mois de RSA.
En matière de sanction des bénéficiaires du RSA, je considère que le président du conseil départemental est toujours compétent pour prendre la décision. Aussi, je vous présenterai un amendement supprimant le mécanisme qui permettrait à Pôle emploi de prononcer lui-même une suspension concernant un bénéficiaire du RSA dont il est l'organisme référent, si le président du conseil départemental ne s'est pas prononcé dans un délai déterminé.
Le projet de loi contient également des mesures qui viennent pérenniser certaines actions du plan d'investissement dans les compétences (PIC) qui, après prorogation, se termine à la fin de l'année. Ainsi, l'article 6 crée une nouvelle catégorie d'organismes chargés de la mission de repérer et d'accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi, que les acteurs institutionnels de l'insertion professionnelle et sociale peinent à atteindre. Cette catégorie pérennisera donc les nombreux dispositifs - porte-à-porte, maraudes numériques, etc. - financés lors de l'appel à projets « 100 % inclusion » du PIC.
L'article 7 modifie les objectifs de l'État dans le domaine de la formation des demandeurs d'emploi. Concernant les marchés nationaux de formation, l'État devra engager une concertation avec les régions, et pourra également mettre en place de tels marchés pour l'achat de formations ouvertes et à distance (Foad). Concernant la mise en oeuvre d'un programme national par convention avec les régions, cet article dispose que l'offre de formation est recentrée sur les besoins de qualification des entreprises qui rencontrent des difficultés de recrutement.
Afin de s'assurer que cette offre supplémentaire proposée par l'État répond effectivement aux besoins territoriaux des entreprises, je propose que son développement se fonde sur les constats formulés dans le cadre des comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop). De même, l'achat à l'échelle nationale de formations à distance risque de négliger les spécificités des demandeurs d'emploi de chaque territoire, et de créer des doublons préjudiciables. Je vous proposerai donc de le supprimer, considérant que des achats engagés dans le cadre du conventionnement entre l'État et les régions seraient plus adaptés.
Le projet de loi contient également des mesures en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap, dont plusieurs traduisent des engagements formulés lors de la dernière conférence nationale du handicap. Il s'agit de mesures attendues et soutenues par les organisations représentatives.
Ainsi, l'article 8 permettra de faciliter les démarches des travailleurs en situation de handicap en étendant à toutes les catégories de bénéficiaires de l'obligation d'emploi les droits associés à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Cet article pérennise également deux expérimentations visant à faciliter le passage de l'entreprise adaptée au milieu ordinaire : celles du contrat à durée déterminée (CDD) « tremplin » et de l'entreprise adaptée de travail temporaire. Il tend par ailleurs à consolider le dispositif d'emploi accompagné. Augmenter la durée des immersions professionnelles dans l'entreprise ordinaire pour les travailleurs en situation de handicap ne relève pas de la loi, mais serait également un levier de nature à favoriser leur insertion dans l'emploi.
Afin de fluidifier le parcours des travailleurs en situation de handicap, l'article 9 prévoit que, dans le cadre d'une convention, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) pourra se prononcer directement sur les orientations vers le milieu protégé sur la base des propositions formulées par Pôle emploi ou les Cap emploi, sans passer par l'évaluation de l'équipe pluridisciplinaire de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH).
Cet article fait par ailleurs évoluer les droits des travailleurs en établissement et service d'aide par le travail (ESAT) dans le sens d'une convergence avec les droits des salariés. Il prévoit l'application directe à ces travailleurs de certaines dispositions du code du travail en matière de droits collectifs et de prise en charge par l'employeur des frais de transport, des titres-restaurant et des chèques-vacances. Il rend par ailleurs obligatoire la couverture des personnes handicapées accueillies en ESAT par un contrat collectif de complémentaire santé.
Il s'agit de mesures d'équité en faveur des 120 000 travailleurs accueillis en ESAT, qui doivent également permettre à la France de se rapprocher des stipulations de la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Toutefois, on peut s'interroger sur la capacité des ESAT à prendre en charge ces mesures, alors que ces structures sont déjà fragiles et qu'une réflexion est en cours sur l'augmentation de la rémunération des travailleurs qu'elles accueillent. Il est donc nécessaire que l'État apporte un accompagnement adéquat à ces structures.
Enfin, l'article 10 prévoit de modifier la gouvernance de la politique d'accueil du jeune enfant. Si les difficultés de garde d'enfant constituent l'un des principaux freins à l'emploi, on peut s'interroger sur le choix du Gouvernement d'inscrire ces dispositions dans ce texte, alors que de nombreux autres freins - logement, mobilité, éducation et formation - sont également à lever.
Après l'édiction de l'ordonnance du 19 mai 2021 sur les services aux familles, qui a dépossédé le Parlement de ce sujet, nous devons nous prononcer sur des ajustements en matière de gouvernance de la politique d'accueil du jeune enfant. Or les réformes annoncées par le Gouvernement se traduiront davantage par des moyens supplémentaires et des actions coordonnées, qui sont attendus dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (Cog) entre l'État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Cet article 10 propose que la politique d'accueil du jeune enfant soit conduite dans le cadre d'une stratégie nationale arrêtée par le ministre de la famille. Il fait des communes les autorités organisatrices de l'accueil du jeune enfant. Elles devront recenser les besoins et les offres d'accueil, informer les familles et planifier le développement de l'offre sur le territoire. Les communes de plus de 3 500 habitants devront élaborer un schéma pluriannuel et celles d'au moins 10 000 habitants mettre en place un relais petite enfance.
La stratégie nationale devra être prise en compte par l'État, les collectivités territoriales et les caisses d'allocations familiales (Caf) ainsi que par les schémas départementaux des services aux familles. Je considère que le Gouvernement n'a pas besoin de cet outil pour prendre des orientations stratégiques. Des objectifs de développement de l'offre d'accueil sont déjà fixés dans la Cog État-Cnaf. Surtout, il est contradictoire de vouloir confier aux communes davantage de prérogatives et d'encadrer l'action des collectivités territoriales par une stratégie prise par arrêté ministériel. Je vous proposerai donc de supprimer cette disposition.
Je vous proposerai, en revanche, d'approuver les dispositions faisant des communes les autorités organisatrices de l'accueil du jeune enfant, en complément des prérogatives des départements, qui sont inchangées. Elles viennent en réalité consacrer des compétences que les communes assurent déjà largement, 85 % des communes de plus de 10 000 habitants disposant aujourd'hui d'un relais petite enfance. Il me semble toutefois que, en cohérence avec les prochaines élections municipales, ces dispositions devraient entrer en vigueur en septembre 2026 plutôt qu'en septembre 2025.
Je vous inviterai à supprimer la procédure selon laquelle le préfet pourra, en cas de manquement d'une commune, demander à la Caf d'élaborer à sa place son schéma communal et de mettre en place un projet de création de relais petite enfance. Il n'est pas souhaitable de confier aux communes de nouvelles compétences en les assortissant d'une forme de contrôle renforcé de l'État. Nous pouvons faire confiance aux communes pour répondre aux fortes attentes des familles, dès lors qu'elles ont la capacité de le faire.
Sous ces réserves, je vous propose d'adopter ce projet de loi : il répond à des constats et à des préoccupations que nous partageons, même si des inconnues demeurent quant aux moyens mis en oeuvre et à leur financement.
Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la procédure d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi, à l'orientation des demandeurs d'emploi, à l'accompagnement, aux droits et aux obligations des demandeurs d'emploi, au régime des sanctions applicable en cas de manquement à leurs obligations des bénéficiaires du RSA, à la gouvernance et à la coordination des acteurs de l'emploi et de l'insertion, aux actions de repérage et d'accompagnement des personnes éloignées de l'emploi, au conventionnement entre l'État et les régions en matière de formation des demandeurs d'emploi et à la répartition des compétences en matière d'achat de formations, aux modalités du recours à la préparation opérationnelle à l'emploi individuelle, à l'orientation et l'insertion professionnelle des travailleurs en situation de handicap, à l'extension des droits attachés à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, à l'organisation du dispositif d'emploi accompagné, à la pérennisation d'expérimentations concernant les entreprises adaptées, aux droits des travailleurs accueillis en Ésat, à la gouvernance et à l'organisation de la politique d'accueil du jeune enfant.
En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables des amendements relatifs au contrat de travail, à la rémunération, aux congés payés, à la durée du travail et aux jours de repos des salariés, à la négociation collective et à la représentation des salariés, aux règles d'ouverture des droits à l'indemnisation du chômage et au financement de l'assurance chômage, aux conditions d'attribution et aux règles de calcul et de versement des aides et prestations sociales, au droit à la formation professionnelle, au financement et à la gouvernance de la formation professionnelle et de l'apprentissage, à l'agrément, au contrôle, au fonctionnement et au financement des modes d'accueil du jeune enfant, au statut et à la rémunération des professionnels de la petite enfance.
Mme Frédérique Puissat. - Je remercie Mme le rapporteur pour ces explications et pour l'ensemble du travail effectué. Ce texte couvre un vaste périmètre et la sémantique est parfois complexe. La simplification qu'elle propose d'apporter nous permettra d'y voir plus clair. Je suis également rassurée du fait que le travail qu'a mené Thibaut Guilluy a été plutôt bien accueilli sur le terrain.
Je m'inquiète, en revanche, des insuffisances du
texte sur un certain nombre de points. Une fois encore - nous l'avons vu
lors de l'examen du texte sur l'assurance
chômage -, je constate
le grand écart entre les discours du Gouvernement et les mesures qui
sont réellement inscrites dans le projet de loi. Alors que le
Président de la République et le ministre du travail, du plein
emploi et de l'insertion avaient évoqué une durée
hebdomadaire d'activité du demandeur d'emploi d'au moins quinze heures,
cette disposition ne figure nullement dans le texte initial. La communication
n'est certes pas l'alpha et l'oméga du travail législatif, mais
quand on parle de ce projet de loi, on ne parle que de cette mesure, ce qui est
assez paradoxal ! Je remercie donc vivement Mme le rapporteur de
l'amendement qu'elle a déposé à l'article 2.
Souvenez-vous du principe contra-cyclique pour l'indemnisation des
chômeurs : nous avions vécu une situation identique.
Nos départements ont une certaine expérience en matière de RSA. Les parcours sont différents et évoluent au fil du temps. Par ailleurs, les choses bougent en Europe, et il faut en tenir compte. Je ne voudrais pas citer uniquement l'Italie, au risque de ne pas plaire à tout le monde.
Mme Laurence Rossignol. - En effet, l'extrême droite ne plaît pas à tout le monde.
Mme Frédérique Puissat. - Les comptes de la sécurité sociale sont tout de même bouleversés. Ne faut-il pas réformer davantage le RSA ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je remercie Pascale Gruny. Comme je l'ai dit à M. Dussopt, nous nous interrogeons sur la temporalité de ce texte. Non seulement des expérimentations viennent à peine de débuter dans dix-huit départements et trois régions, mais nous n'aurons que quatre jours, avant la date indépassable du 13 juillet au soir, pour examiner ce projet de loi en séance publique, dont le périmètre est très large.
Après les textes sur la diminution des droits au chômage et l'allongement du temps de travail des seniors, nous examinons ce que notre groupe considère comme le troisième volet d'un triptyque ou d'une trilogie d'attaque sociale. Ce projet de loi stigmatise les jeunes et les chômeurs de longue durée, en actionnant le seul levier de la sanction, dont on sait qu'il n'est pas efficace. Le texte est muet sur les augmentations de salaire, sur l'amélioration de la qualité de vie au travail, sur l'inadéquation des formations avec les besoins des entreprises ou encore sur l'attractivité réelle des métiers.
Étonnamment, le seul frein à l'emploi qui est abordé est le problème de l'accès à la petite enfance. Pas de grande nouveauté en la matière : ce sont déjà les communes et les intercommunalités qui, dans la plupart des cas, organisent la petite enfance. Sans agents et sans moyens, où est passé ce grand service public annoncé ? Nous avons le sentiment qu'il s'agit simplement de trouver des modes de garde pour que les mamans puissent reprendre le travail le plus tôt possible.
D'autres freins importants - le logement, la mobilité, la santé au travail, la formation - sont également absents du texte. En définitive, ce projet de loi comporte deux volets : la stigmatisation des demandeurs d'emploi qui, à la limite, font exprès de rester au chômage et une recentralisation. Nous savons pourtant le rôle majeur que jouent les collectivités territoriales et l'importance de la proximité dans l'accompagnement. Nombre de décisions seront prises par arrêté ministériel ou par décret. Cela ne nous rassure pas quant aux véritables intentions du Gouvernement.
Enfin, je regrette que l'outre-mer ne fasse l'objet, au titre V, que d'une habilitation à légiférer par ordonnance. Quand on sait les problèmes de chômage qui se posent dans les outre-mer, en particulier chez les jeunes, on ne peut que s'étonner de l'absence de mesures spécifiques. Manifestement, le Gouvernement n'a pas retenu la leçon des dernières élections présidentielle et législatives au cours desquelles les populistes avaient obtenu de très bons résultats. Il ne s'attaque pas véritablement aux problèmes outre-mer et cela m'inquiète.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) ne votera pas ce texte et proposera de nombreux amendements de suppression d'articles.
Mme Corinne Féret. - Je remercie à mon tour Mme le rapporteur. Nombre de dispositions du texte dépendront de décrets d'application et nous nous inquiétons de leur contenu.
Si nous partageons tous la volonté de viser le plein emploi, nous avons cependant une grande différence d'appréciation : le plein emploi oui, mais pas à n'importe quel prix ! Ce n'est pas en traversant la rue ou en faisant le tour du Vieux-Port qu'on l'atteindra !
Les hommes et les femmes qui sont en recherche d'emploi le sont, pour certains d'entre eux, depuis fort longtemps. Il ne suffit pas de dire que tel emploi est disponible à tel endroit. Nous avons affaire à des individus, à des êtres humains. On ne les gère pas avec des équations ou les nouvelles méthodes d'intelligence artificielle.
Ce texte vise à renforcer l'accompagnement de ceux qui en auraient besoin et à faire évoluer le service public de l'emploi. Sur les questions de gouvernance, nous pourrions nous retrouver sur plusieurs points. J'ai souvenir des propos de René-Paul Savary lors de l'audition du ministre : c'est une véritable recentralisation que propose ce texte et nous y sommes opposés. Nous relaierons ainsi en particulier les propositions d'amendements de Régions de France, notamment ceux qui visent à supprimer l'obligation d'une charte d'engagements. Nous pourrions nous retrouver également sur des amendements relatifs aux missions locales, qui s'inquiètent de leur perte d'autonomie.
En revanche, vous imaginez bien que nous ne nous sommes pas du tout favorables au titre Ier et aux articles relatifs au RSA. L'inscription dans la loi de l'obligation d'une activité hebdomadaire ou encore la sanction de « suspension-remobilisation » d'une allocation qui, je le rappelle, s'élève à 600 euros par mois, sont des mesures totalement inacceptables. Elles le seront encore plus si elles sont renforcées par une absence de rétroactivité, passé un certain délai. Le RSA est une allocation différentielle.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Ce n'est pas un revenu universel.
Mme Corinne Féret. - C'est non pas une aide à vivre, mais une aide à survivre.
Nous aurons un beau débat en séance. Comme Émilienne Poumirol, je regrette que le calendrier soit aussi serré. L'enjeu est très important pour nos concitoyens qui sont en recherche d'emploi, pour l'activité économique de notre pays, pour le service public de l'emploi et pour les collectivités, qui ne doivent pas voir leurs compétences remises en cause.
Mme Annie Le Houerou. - Je remercie Mme le rapporteur pour son rapport et souhaite souligner l'ambition de ce texte en matière d'accompagnement et d'inclusion des personnes en situation de handicap.
Pour autant, faire entrer l'accès à l'emploi de ces personnes dans le droit commun n'est une bonne chose que si l'accompagnement est adapté. Or nous savons que le temps dédié par les conseillers Pôle emploi aux demandeurs d'emploi n'est pas à la hauteur. Par ailleurs, le texte ne contient pas de dispositions concrètes en matière de moyens financiers, ce qui nous inquiète.
Les personnes en situation de handicap représentent 21 % des allocataires du RSA. La responsabilité de leur accès à l'emploi incombe d'abord et avant tout au service public de l'emploi. Elle ne doit pas reposer sur les allocataires eux-mêmes, qui seraient sanctionnés d'une suspension en cas de non-respect de leurs engagements. Par ailleurs, le projet de loi n'est pas très explicite sur la présence des personnes en situation de handicap ou de leurs représentants dans les instances de gouvernance. Nous proposerons des amendements en ce sens.
Enfin, l'accès au milieu ordinaire des personnes en situation de handicap suppose un accompagnement financier des entreprises en général et des ESAT en particulier. Les nouveaux droits accordés aux travailleurs des ESAT - nous nous en félicitons - représentent des coûts supplémentaires, de l'ordre de 36 millions d'euros, qu'il faudra bien compenser. À défaut, la prise en charge et l'accompagnement des personnes en situation de handicap dans ces établissements adaptés ne sauraient être effectifs.
M. Philippe Mouiller. - Bravo à notre rapporteur Pascale Gruny pour le travail réalisé sur ce texte. Faire la synthèse des grandes orientations tracées par le Gouvernement tout en respectant les territoires est un exercice difficile. À cet égard, les amendements proposés visent à la fois à minimiser l'impact d'une certaine volonté de centralisation et à redonner un rôle concret aux collectivités territoriales.
Mme le rapporteur, puisqu'elle est la contrepartie d'un engagement du demandeur d'emploi, pourriez-vous préciser la notion d'activité ?
Concernant le handicap, le texte va dans le bon sens. Le débat portera essentiellement sur les moyens. Toutefois, il me semble que, de nouveau, le sujet n'a pas été pris dans sa globalité. Deux freins fondamentaux ne sont pas traités, à commencer par le fonctionnement de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) : dès lors qu'un travailleur handicapé bénéficiant de l'« AAH-2 » dépasse dix-sept heures trente de temps de travail par semaine, il perd la totalité de son allocation...
Mme Émilienne Poumirol. - Exactement !
M. Philippe Mouiller. - S'il existe un moyen de dissuader les gens d'aller travailler, c'est bien celui-là ! Il faut donc régler cette situation.
Par ailleurs, plus le taux de travailleurs handicapés en emploi augmente, plus les recettes de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) diminuent. Or, l'Agefiph se voit confier de nouvelles mesures d'accompagnement et de financement en relais de Cap emploi. Cela doit nous conduire à nous interroger.
Il faudra enfin, à l'avenir, mieux définir les missions des ESAT. On fait en sorte que les travailleurs les plus aptes à travailler en milieu ordinaire puissent le faire - tant mieux ! - et, en même temps, on demande aux ESAT d'être plus rentables...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je partage les objectifs sous-tendus dans ce projet de loi et la plupart des remarques de Mme le rapporteur, notamment sur l'appellation France Travail. Par souci de coordination, tous les organismes doivent pouvoir faire référence au réseau France Travail, mais ils doivent aussi conserver leurs missions et leur appellation.
Sur l'article 10, la Cog entre l'État et la Cnaf me paraît suffisamment précise et engageante. Je partage également vos propos sur les moyens financiers : c'est là où le bât blesse. Les 2,3 milliards d'euros évoqués par Thibaut Guilluy sont insuffisants si nous voulons aller au bout de la réforme, qui me paraît assez ambitieuse.
J'exprimerai un bémol au sujet de votre position sur l'article 4. Selon vous il n'y aurait pas de raison d'obliger les collectivités à signer une charte pour pouvoir coprésider le comité France Travail. J'ai déjà signé une telle charte au nom de ma collectivité dans le cadre d'un service public de l'emploi. Cela me semble nécessaire, à condition que la charte soit véritablement négociée et fixe des objectifs territoriaux adéquats.
Le RSA n'est pas un revenu universel. D'une certaine façon, je le déplore, mais ce n'est pas le sujet. Son versement est la contrepartie d'un engagement et les sanctions se justifient en cas de manquement. Le véritable problème réside dans la nature des activités. Trouvera-t-on dans tous les territoires les activités nécessaires pour répondre aux besoins des personnes allocataires du RSA ?
Mme Poumirol évoquait l'inadéquation entre les postes à pourvoir et les profils. C'est tout l'enjeu et tout ne peut se régler par voie législative. L'attractivité des métiers dépend aussi des branches et des entreprises, au travers des conditions de travail et de rémunération. Les collectivités doivent également rendre leur territoire attractif, en matière de logement ou de mobilité notamment.
M. Daniel Chasseing. - Je remercie et félicite Mme le rapporteur pour les améliorations qu'elle propose d'apporter au texte grâce à sa fine connaissance de l'entreprise et de l'organisation du travail.
L'entreprise est une aventure humaine et sociale. Les chefs d'entreprise doivent être mobilisés pour la formation et l'apprentissage, mais aussi pour essayer de remettre les bénéficiaires du RSA sur la voie du travail. Nous pensons qu'une personne en âge de travailler ne peut se réaliser sur un plan personnel et familial que si elle retrouve du travail.
Concernant la suspension-remobilisation, je partage la position de Mme le rapporteur : nous devons rechercher non pas la stigmatisation des personnes, mais la valorisation du travail. Bien sûr, il y aura des échecs et il n'est pas question de sanctionner les personnes qui auront fait des efforts. Mais 60 % des personnes au RSA le sont depuis plus de deux ans et 40 % depuis plus de cinq ans. Faut-il donc ne rien changer ? Dans la mesure où l'on n'a pas remis une partie des deux millions de ses bénéficiaires au travail, le RSA est quelque part un échec.
Il faut renforcer Pôle emploi sur le volet découverte de l'entreprise - c'est aussi une forme d'activité - et en matière de formation. Globalement, ce texte va dans le bon sens. Mme le rapporteur, ne faudrait-il pas augmenter les moyens humains et financiers de Pôle emploi pour permettre un meilleur accompagner personnalisé à la reprise d'un emploi ? La proposition de loi déposée en 2021 par Claude Malhuret, qui prévoit, dès lors qu'une formation a été dispensée, de maintenir le RSA pendant neuf mois, n'est-elle pas une solution ?
M. René-Paul Savary. - J'ai dit beaucoup de mal de ce projet de loi. Même si Mme le rapporteur l'a adouci, je persiste à penser que tout cela est bien illusoire. Nous ne touchons pas au coeur du problème. Ce n'est pas parce que 100 % des personnes signent un contrat que ce dernier sera appliqué. En effet, pour l'appliquer, il faut des moyens et du personnel. J'ai tenté de mettre en oeuvre des contrats de ce type dans mon département ; il aurait fallu que j'embauche cent personnes...
Il est illusoire de laisser penser qu'inscrire 100 % des personnes à Pôle emploi permettra d'atteindre le plein emploi. Certes, elles seront toutes inscrites, mais ensuite regroupées dans différentes catégories : recherche d'emploi, insertion sociale, etc.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - C'est déjà le cas.
M. René-Paul Savary. - Je vous suggère d'élargir le périmètre de la loi et de l'étendre au financement des collectivités territoriales. Sans moyens, nous nous berçons d'illusions. Je suggère aussi de modifier l'intitulé du projet de loi en « projet de loi pour la pleine inscription à l'emploi ». Cela me semble plus réaliste !
Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Je m'inquiète des conditions dans lesquelles s'effectueront les changements d'orientation vers le milieu protégé. Même si la MDPH manque de moyens pour aller vite et répondre à toutes les demandes, il me paraît difficile et inquiétant de court-circuiter l'évaluation par un médecin de la capacité des personnes handicapées à réaliser tel ou tel travail, d'autant que la situation de ces personnes évolue.
Mme Catherine Procaccia. - J'approuve totalement la position consistant à ne pas modifier le nom de Pôle emploi. A-t-on mesuré le coût, ne serait-ce que du changement des enseignes de plus de 800 agences ou encore des papiers à en-tête ? J'ai été rapporteur de la loi à l'origine de Pôle emploi. Non seulement ce changement de nom a été très coûteux, mais il a pris deux ou trois ans et les gens n'y comprenaient plus rien ! J'approuve donc la proposition de Mme le rapporteur, pour des raisons à la fois concrètes, matérielles et historiques.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Je remercie Mme le rapporteur. Il est tout de même très anormal que nous devions adopter un tel projet de loi à marche forcée. Cette réforme importante suit un fil rouge : elle vient après les réformes de l'assurance chômage et des retraites. Les auditions ont été tellement cadencées que nous n'avons pu poser aucune question...
On fait passer la loi avant le résultat des expérimentations. Cela se comprend bien : les expérimentations bénéficient de moyens très importants au service de l'accompagnement personnalisé ou intensif. Elles ne portent que sur une population restreinte, dans certains quartiers seulement, et reposent sur une base volontaire. Leurs résultats seront donc biaisés. Lorsque l'on prendra conscience des moyens nécessaires pour les élargir à l'ensemble de la population visée et de leurs effets sur la file d'attente des chômeurs, les points de vue changeront. Personnellement, je trouve cette réforme anachronique : elle a vingt ans de retard sur celles de Reagan, de Thatcher ou de Hartz, qui ont produit des travailleurs pauvres, même en Allemagne, et débouché sur des radiations.
Je n'ai pas votre conception du RSA : il s'agit pour moi d'un revenu minimum à garantir, au nom d'une protection sociale humaniste. Je remarque que le projet de loi ne comporte aucune disposition sur le travail. S'il fallait vraiment changer le nom de Pôle emploi, il faudrait à la limite le changer en France emploi. Il n'y a rien dans ce texte sur l'attractivité des métiers. On cherche à contraindre les plus acculés à occuper les emplois vacants. Cela n'est pas bon pour la productivité de la France. Si de bons emplois ne trouvent pas preneur, ce n'est pas faute de bonne volonté, mais pour des raisons de formation et d'attractivité.
Je note une méconnaissance totale du public bénéficiaire du RSA. J'étais hier à la présentation par le Secours catholique de son rapport sur la pauvreté et le non-recours. Franchement, vouloir faire signer à des bénéficiaires du RSA des contrats d'engagement sur des activités qui ne sont pas négociées est absurde. Les activités concernées ne sont pas celles qui sont déjà exercées dans le monde associatif ou en tant qu'aidants.
Sur le plan financier enfin, je ne comprends pas que le principe de quinze heures d'activité, qui nécessitera des moyens considérables, ne soit pas irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution et que, à l'inverse, ma proposition consistant à fixer un simple ratio entre le nombre de bénéficiaires du RSA accompagnés et le nombre de conseillers Pôle emploi soit considérée comme irrecevable. Il y a là deux poids, deux mesures.
En tout état de cause, nous prendrons le temps nécessaire au débat.
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Sans surprise, notre groupe s'oppose catégoriquement à ce projet de loi, comme il s'est opposé à la réforme de l'assurance chômage et à la réforme des retraites. Nous interviendrons en séance et je serai donc brève.
Nous avons eu l'occasion de participer à quelques auditions et d'interroger les ministres. Ce projet de loi, qui généralise l'accompagnement intensif vers un retour à l'emploi, prévoit des mesures contraignantes sans prendre en compte les freins sociaux et les qualifications des personnes. Je préfère le dire clairement : je souhaite que tout le monde travaille. Je considère, comme Daniel Chasseing, que le travail contribue à la dignité de la personne et qu'il est la condition d'une vie normale.
En l'espèce, on nous propose de faire travailler les gens pour 600 euros par mois sans tenir compte de leur qualification ni de leur parcours personnel. En France, il y a un code du travail : en contrepartie de son travail, on doit être payé correctement. Je refuse que l'on exploite les gens.
Cette loi se fera sur le dos des assurés sociaux qui financent l'Unédic et que le Gouvernement prévoit de ponctionner au travers des cotisations sociales, tout en favorisant le développement d'organismes de formation privés au sein de France Travail.
À l'article 10, trop d'incertitudes subsistent sur les communes et sur le financement pérenne. J'ai entendu le ministre accepter de s'engager pour quelques années, mais indiquer qu'il ne pouvait s'engager à vie. Demain, des compétences pourraient donc être transférées aux communes sans être financées. Si ce projet n'évolue pas dans le sens que nous souhaitons, nous voterons contre.
Mme Laurence Rossignol. - J'observe que 25 % des allocataires du RSA sont des mères monoparentales. Quel sera l'impact de cette réforme sur ces femmes, qui ont des contraintes particulières en matière de garde d'enfants ou de transports ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Si le contrat d'engagement comporte bien des droits et des devoirs, l'accompagnement des personnes éloignées de l'emploi sera toujours personnalisé et adapté aux situations particulières. Il tiendra compte notamment des difficultés de garde ou de mobilité.
J'espère vraiment que nous pourrons dégager des moyens supplémentaires pour augmenter le nombre d'accompagnateurs. Les familles monoparentales posent de véritables questions : le seul fait de passer un entretien suppose une certaine souplesse du mode de garde.
Les contrats d'engagement, qui existent déjà sous différentes formes seront unifiés et généralisés. Nous partageons, me semble-t-il, l'objectif de ramener davantage de personnes vers l'emploi tout en tenant compte des contraintes et des capacités de chacun. Je le dis souvent : certaines personnes ne pourront jamais occuper un emploi, même adapté, ou n'iront jamais au-delà des chantiers d'insertion.
Effectivement, ce projet de loi n'est pas un projet de loi Travail, lequel devrait venir en discussion, dit-on, en 2024. Dans ce cadre, il faudra penser aux ruptures de parcours professionnels, qui peuvent décourager.
Je rappelle que les sanctions existent déjà. L'apport du projet de loi est de prévoir que la somme suspendue sera rendue lorsque la personne remplira à nouveau ses engagements. N'est-ce pas préférable à une suppression totale ?
Je précise que les quinze heures exigées ne sont pas quinze heures de travail. Il ne s'agit absolument pas, comme j'ai pu l'entendre, de mettre un balai dans les mains des bénéficiaires du RSA. Pour certaines personnes, l'activité en question pourrait même être de prendre en charge leur propre santé. Cela peut être du bénévolat ou de la formation. L'objectif est de recréer du lien social.
Dans mon département, où se tient une expérimentation, on a commencé par trente-cinq heures d'activité. Les gens ont pensé, comme vous, qu'il s'agirait de trente-cinq heures de travail payées 600 euros. Cela n'a pas été le cas et heureusement ! Les activités visées peuvent être de l'immersion, une formation ou encore la participation aux vendanges. Dans l'Aisne par exemple, le bénéfice du RSA est maintenu le temps du travail saisonnier. Ne pensez surtout pas qu'il s'agit d'esclavage ! Je suis convaincue que l'insertion par l'activité aide de nombreuses personnes à retrouver le chemin de l'emploi.
Je partage les inquiétudes sur les ESAT. Conserver les personnes les plus productives n'est pas l'objet de ces établissements, qu'il faudra absolument accompagner.
Concernant l'AAH-2, le Gouvernement doit prendre des dispositions pour remédier au problème soulevé par Philippe Mouiller.
Madame Poncet Monge, vous vous étonnez de la recevabilité de la mesure des quinze heures. Cette dernière n'induit pas nécessairement des conseillers et des moyens supplémentaires. Nous espérons que, dans le cadre du contrat d'engagement, les rendez-vous avec les accompagnateurs seront plus réguliers et n'auront pas lieu seulement tous les deux ans. Dans les missions locales, certaines activités sont mises en place pour l'ensemble des jeunes.
Je vous rejoins sur la question des moyens. À défaut, cette loi sera sans effet. Il faut plus d'accompagnement et cela peut passer, madame Poncet Monge, par le ratio que vous proposez. Certaines personnes doivent être prises par la main. Elles ont frappé aux portes, se sentent « nulles » ou humiliées, souvent. Il leur faudra beaucoup plus que quelques heures d'activité pour les ramener vers l'emploi. Forcer les gens à trouver un travail en faisant le tour du Vieux-Port n'est pas une solution : ils vont y aller, puis vont abandonner au bout de quelques jours. Je partage ainsi nombre des questionnements que vous avez exprimés.
Enfin, je signale à Mme Delmont-Koropoulis que la décision d'orientation en ESAT relèvera toujours de la CDAPH compte bien des médecins parmi ses membres.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous rappelle que nous examinerons les articles ce soir.
Fin de vie - Examen du rapport d'information
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous allons entendre à présent la communication de Corinne Imbert, Christine Bonfanti-Dossat et Michelle Meunier, à l'issue des travaux de la mission d'information qu'elles ont conduite sur la fin de vie. Ces travaux font suite au rapport d'information sur les soins palliatifs que nos collègues avaient rédigé en septembre dernier. Toutefois, si nos trois collègues ont de nouveau conduit de nombreux travaux, elles ne sont pas parvenues à une conclusion commune sur un point essentiel, la possibilité d'introduire dans notre droit l'aide active à mourir, comme le Gouvernement l'envisagerait dans son projet de loi annoncé pour la fin de l'été. Le rapport écrit rendra compte des positions de chacune.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Je voudrais dire tout le plaisir que j'ai eu à travailler de nouveau avec Christine Bonfanti-Dossat et Michelle Meunier, avec une pensée particulière pour Michelle, qui ne se représentera pas aux prochaines élections. C'est une voix qui manquera dans notre commission.
Les conclusions de la mission que nous vous présentons s'avancent sous le signe de l'embarras. Non pas tellement que nos conclusions divergent en partie - c'était un risque à courir et le désaccord est le principe même de notre activité -, non plus qu'en raison de la délicatesse du sujet, la mort. Qui peut prétendre la connaître assez pour s'avancer confiant ?
Non, l'embarras principal tient en ceci que nous sentons, si ce n'est un pistolet sur la tempe ou une grande seringue dans la veine, du moins une grande poussée dans le dos. Après avoir dit son souhait de se rapprocher du modèle belge d'euthanasie, appelé au lancement d'une convention citoyenne puis délégué à Agnès Firmin Le Bodo et Olivier Véran l'organisation de groupes de travail associant les parlementaires, le Président de la République a annoncé, le 3 avril dernier, un projet de loi sur l'aide active à mourir avant la fin de l'été. Ce projet de loi serait issu d'une « oeuvre de coconstruction », « en lien avec les parlementaires désignés par le président du Sénat et la présidente de l'Assemblée nationale qui, avec leur conférence des présidents, auront à faire ce travail transpartisan » ainsi qu'« en lien avec toutes les parties prenantes ».
Ce sentiment désagréable pour la représentation nationale d'être contournée ou « cornérisée » se double, en outre, de celui d'être forcée de prendre, dans un paquet qui en compte pourtant beaucoup, la carte que souhaite le prestidigitateur afin de poursuivre son tour. Relisez, mes chers collègues, l'intervention d'Agnès Firmin Le Bodo devant notre commission et celle du chef de l'État du 3 avril dernier et demandez-vous à quel problème précis le Gouvernement souhaite apporter une réponse. Qu'est-ce qui motive au juste, pour l'exécutif, l'introduction dans notre droit de l'aide active à mourir ?
À bout de perplexité, il faut se résoudre à répondre ceci : l'avis 139 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et le rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Le Gouvernement peut ainsi compter à la fois sur l'autorité morale du comité et sur la légitimité populaire de la convention. La nature faisant drôlement bien les choses, elles convergent.
Nous laisserons chacun examiner pour lui-même à quel point l'homme a travaillé cette nature-là. Observons simplement que la position du CCNE a, sur ce sujet, davantage évolué en 20 ans que le serment d'Hippocrate en 2 500 ans et que le Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a organisé la Convention citoyenne, a pris officiellement position pour l'euthanasie trois semaines après qu'elle eut achevé ses travaux, comme il l'avait déjà fait en 2018, par la bouche cette fois-ci de la représentante de la Mutualité française, dont l'ancien président n'est autre que... l'actuel président du conseil, lui-même friand de tribunes un peu trop explicites sur le sujet.
Dans son courrier adressé au président du Cese demandant l'organisation de la Convention citoyenne, la Première ministre avait pourtant rappelé « les principes d'équilibre et de neutralité indispensables à l'expression de sa méthode ».
Observons encore que la question posée à la Convention n'appelait à l'évidence qu'une seule réponse : le cadre juridique actuel est-il adapté à toutes les situations de fin de vie ? Allons bon : que la loi aligne sous la même toise une variété de situations singulières, tel est son objet même.
Voici prévenus, mes chers collègues, les fâcheux qui se risqueraient à troubler cette belle unanimité. Nous avions, pour notre part, de quoi poursuivre une réflexion entamée en 2021 avec notre mission sur les soins palliatifs. Nous appelions alors, vous vous en souvenez, à développer l'offre et à transformer la culture soignante dans notre pays. Faut-il aller plus loin ? Telle est à présent la question. Je crois pouvoir dire en notre nom à toutes les trois que nous l'avons abordée avec une certaine liberté, sans bien sûr nous abstraire - pas plus que quiconque - de notre expérience personnelle de la fin de vie, mais en restant ouvertes aux opinions contraires et, parfois, en acceptant de changer d'avis.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Avant de partager avec vous notre cheminement de pensée, il nous semble important de souligner que les précautions oratoires d'usage consistant à rappeler que la fin de vie est un sujet intime sur lequel on ne peut se prononcer que pour soi-même, perdront en pertinence à mesure que nous progressons vers la discussion législative. Car, si le législateur ne prétend pas transcender les points de vue individuels pour organiser la vie collective, alors qui le fera ? Ni le médecin, ni le philosophe, ni le spécialiste d'éthique, ni le militant associatif. N'en déplaise aux modernisateurs pressés, c'est à nous, chers collègues, que la Constitution confie le soin de voter la loi, laquelle s'applique à tous.
Le point de départ de la réflexion est donc difficile à trouver. Disons qu'avant d'être une demande de l'Élysée - il faut apparemment entendre le chef de l'État et son entourage immédiat... -, le débat de l'aide active à mourir reflète une demande sociale. Si l'exécutif se dispense de trop l'évoquer, c'est qu'elle présente au moins deux visages assez différents l'un de l'autre : celui d'une demande d'apaisement de certaines souffrances irréductibles en fin de vie et celui d'une demande d'autodétermination en toutes circonstances.
Nous comprenons que la solution de l'aide active à mourir séduise. Il se peut même qu'elle nous ait par moment convaincues au cours de nos auditions. Les problèmes posés par sa mise en oeuvre nous semblent toutefois insolubles.
Le CCNE a raison de dire qu'il existe des situations limites qui n'entrent pas dans les cases dessinées par la loi Claeys-Leonetti. Il est des personnes atteintes d'affections incurables qui souhaitent mourir précocement. L'exemple le plus connu est celui de la maladie de Charcot, dont les personnes atteintes savent dès le diagnostic qu'elles sont condamnées. Nos échanges avec des spécialistes et la littérature sur la question montrent toutefois que les souhaits de mort provoquée sont rarissimes chez ces personnes, infiniment plus que ceux des bien-portants à qui la question est posée par voie de sondage et qui se projettent à leur place. Dans leur écrasante majorité des cas, ces patients souhaitent vivre, voire sont heureux d'être en vie.
Admettons cependant qu'on autorise, pour le petit nombre qui le souhaite vraiment, une forme d'aide active à mourir. Quels contours lui donner ?
Nous pensons d'abord que le fait générateur est impossible à délimiter précisément. Le CCNE propose de l'envisager dans le même cas de figure que celui de la sédation profonde et continue de la loi de 2016, mais pour les patients dont le pronostic vital est engagé à moyen terme. Or personne ne sait définir ce dernier : s'agit-il de quelques mois, d'un an, ou davantage ? D'ici là, la recherche pourrait progresser et l'espoir renaître.
Les plus prudents sont tentés de restreindre la procédure aux personnes atteintes d'une affection particulièrement grave et incurable, voire d'en exclure les maladies psychiques. De très bons arguments soutiendront encore une exclusion des mineurs, ainsi qu'une barrière tenant à distance d'une telle procédure les personnes non pas malades, mais éprouvant seulement des souffrances qu'elles jugent insupportables et, à plus forte raison, les personnes atteintes de déclin cognitif ou encore totalement dépourvues de symptômes, mais simplement fatiguées de vivre. De telles restrictions semblent au programme des travaux du Gouvernement.
Nous observons cependant que, partout où la chose existe, une pression forte existe pour élargir progressivement les critères. Le phénomène est assurément complexe, et dépend des configurations institutionnelles propres à chaque État, mais il est incontestable. Il procède de différentes logiques.
Le législateur s'en charge parfois de lui-même. Le législateur belge a ouvert en 2014, au nom du principe d'égalité, l'euthanasie aux mineurs, en excluant toutefois qu'ils puissent ne présenter que des souffrances psychiques. Le législateur canadien y réfléchit. Le législateur néerlandais a déjà repoussé deux fois l'extension du dispositif aux personnes âgées non malades, mais estimant leur vie terminée. Il s'agit, en quelque sorte, d'une interruption volontaire de vieillesse.
Les sociétés savantes concourent à ces réflexions. Aux Pays-Bas, au Canada et en Suisse, des médecins plaident, par la voix des institutions dont ils sont membres, pour l'extension du dispositif aux mineurs et aux personnes atteintes de maladies psychiques.
Le phénomène le plus inquiétant de notre point de vue est l'extension des critères poussée par le dialogue entre le législateur et le juge des droits fondamentaux, qui s'apparente d'ailleurs plutôt à une injonction du second faite au premier. Au Canada, en Autriche, en Italie ou en Allemagne, c'est en effet la Cour constitutionnelle qui a obligé le législateur à introduire l'aide active à mourir, au nom d'une conception toujours plus subjective de la dignité ou de l'autodétermination, laquelle commanderait de donner aux gens la possibilité de choisir les conditions de leur mort.
Cette jurisprudence fait écho à celle de la Cour européenne des droits de l'homme qui, en octobre 2022, a estimé que « la dépénalisation de l'euthanasie vise à donner à une personne le libre choix d'éviter ce qui constituerait, à ses yeux, une fin de vie indigne et pénible ». Cette décision, Agnès Firmin Le Bodo l'a prise en exemple devant notre commission il y a trois semaines pour vanter l'évolution en cours de la société et des juges européens vers une interprétation plus individualiste des droits fondamentaux.
Comment ne pas voir, pourtant, que cet argument pulvérise l'échafaudage de précautions dont elle prétend entourer le dispositif en cours d'élaboration ? En effet, si l'aide à mourir doit être vue comme un droit fondé sur le respect de la dignité et que celle-ci s'apprécie par chacun, alors comment la réserver à ceux qui remplissent des critères définis objectivement ?
Certes, les juges insistent tous sur la nécessité de protéger les plus vulnérables, mais cette louable intention ne peut aller plus loin que l'exigence de garanties procédurales dans l'expression de volontés libres. Celles-ci sont d'une grande importance, mais la place manque ici pour les examiner dans le détail. Retenez que, chez nos voisins, plus les garanties sont fortes en termes de délais à respecter, de pluralité d'avis médicaux, d'exigences d'offre de solutions alternatives, plus elles se heurtent aux moyens humains disponibles dans des circonstances difficiles, et donc moins elles sont respectées.
À cette première difficulté s'ajoute l'observation que les mécanismes de contrôle sont très délicats à mettre en place. Le système belge, qu'Olivier Véran juge « hyper cadré », ne l'est pas. La commission de contrôle, dont les membres sont souvent des militants de l'euthanasie, reconnaît elle-même n'avoir pas les moyens de vérifier ce que contiennent les dossiers qui lui sont transmis, ni pouvoir estimer la part des euthanasies clandestines, sans doute assez nombreuses. En vingt ans et près de 30 000 dossiers, un seul a été transmis à la justice pour méconnaissance des dispositions légales.
Quant au système de contrôle néerlandais, le professeur Theo Boer, ancien membre d'une commission de contrôle régionale que nous avons auditionné, le juge « le plus complet au monde ». Il est toutefois incapable d'enrayer l'admission au dispositif, à législation constante, de personnes atteintes de maladies chroniques, de personnes handicapées, souffrant de problèmes psychiatriques, d'autisme, d'acouphènes, atteints de démence ou encore de jeunes enfants. À l'échelle nationale, 4,5 % des décès se font désormais par euthanasie aux Pays-Bas, mais cette proportion atteint 10 % voire 20 % dans certains quartiers, l'euthanasie donnant à la mort une forme de prévisibilité, et donc au mourant un sentiment de contrôle.
Il est loisible à chacun de penser que nous pourrons, en France, encadrer solidement le dispositif. Nous ne voyons pas comment.
La définition des critères matériels d'accès au dispositif étant périlleuse, examinons les modalités de réalisation de l'acte lui-même. Il n'est pour ce faire nul besoin de disposer d'un lexique spécifique, moins encore de néologismes, d'euphémismes ou de périphrases.
En apparence, deux grandes modalités s'opposent : la mort donnée par un tiers, médecin ou infirmier, reçoit couramment le nom d'euthanasie ; dans le cas du suicide assisté, le médecin se contente de prescrire un produit létal qu'il revient à la personne de s'administrer. Le second maintient les soignants à l'écart de l'acte lui-même et convient davantage à la revendication d'autonomie individuelle. C'est pourquoi les pays culturellement plus libéraux, tels les États-Unis ou la Suisse, l'ont privilégié. L'euthanasie, qui n'enthousiasme pas les médecins, semble toutefois impliquer moins hypocritement la puissance publique dans l'accompagnement du patient. En outre, elle inclut de façon plus équitable les personnes qui ne sont plus en capacité d'accomplir l'acte létal. Ce dernier constat rend par ailleurs fragile la conciliation de la préférence exprimée par la ministre pour le suicide assisté et son souci d'offrir cette possibilité aux personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique (SLA), qui ne peuvent accomplir le geste dans l'ultime phase de la maladie.
La pertinence de la distinction entre euthanasie et suicide assisté est toutefois amoindrie par l'analyse comparée des pratiques et des statistiques chez nos voisins. Il est fréquent que les deux soient autorisés. C'est le cas au Canada, aux Pays-Bas et en Belgique, où l'euthanasie est très largement majoritaire. Si la part des morts assistées dans le total des décès varie, de 0,5 % en Oregon à 5 % au Québec, elle progresse de toute façon partout à un rythme qui laisse penser que, dans une certaine mesure, l'offre, quelle que soit sa forme, crée sa propre demande.
Ce qui nuance surtout la pertinence de la distinction entre suicide assisté et euthanasie, c'est que ces deux notions ont en commun l'intention de faire mourir, et le résultat obtenu en conséquence. Cela suffit à les distinguer de la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès de la loi de 2016, qui n'est envisageable que lorsque la mort est déjà en route et vise alors à assurer le confort du patient sur le trajet, si l'on peut dire.
Loin de nous l'idée d'amener le débat sur le terrain dogmatique, qui n'est plus foulé par grand-monde. L'euthanasie étant dans l'air du temps depuis assez longtemps maintenant, l'interdit du meurtre ne doit plus passer aux yeux de beaucoup comme fondateur de la civilisation, comme ce pouvait naguère être une évidence pour l'anthropologie ou la psychanalyse aussi bien que pour la théologie. Créer une nouvelle hypothèse de meurtre autorisé, voilà pourtant un objet de réflexion que l'on aurait tort de juger anecdotique ou superficiel.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Passons plutôt à la seconde conclusion de nos travaux : non seulement l'introduction d'une aide active à mourir dans notre droit est très délicate, mais elle nous semble extrêmement inopportune dans la France de 2023, car ses effets collatéraux raisonnablement prévisibles pour la société tout entière éclipseraient les gains de liberté et d'apaisement apportés au petit nombre qui aspire réellement à pouvoir en disposer.
De quel type de progrès s'agit-il au juste ? Le terme invite à considérer son contexte socio-historique, ce que l'on fait trop peu. Or la demande d'aide active à mourir se date assez bien : au tournant des années 1980. C'est l'époque de la création, et de l'association pour le droit à mourir dans la dignité, et du mouvement palliatif. La raison en est simple : l'allongement de l'espérance de vie et les progrès de la réanimation ont abouti à surmédicaliser la mort. Ce bouleversement culturel intervient en outre sur une génération qui expérimente, pour être arrivée adulte après les guerres mondiales et de décolonisation, un confort psychologique inédit, et qui est parvenue, grâce aux lois Neuwirth et Veil, à une certaine maîtrise de la vie à son commencement. Comment lui reprocher alors de vouloir conserver le contrôle de son achèvement, en le retirant aux médecins ?
Il faut cependant observer que le contexte a depuis lors beaucoup changé. D'abord, la médecine a fait de grands progrès, par exemple dans le traitement de certaines maladies. Les leucémies malignes, dont on mourrait avec certitude il y a trente ans, ont désormais un pronostic favorable, et qui pourrait dire ce qu'accomplira demain la médecine personnalisée ? La médecine palliative aussi est un bouleversement depuis les années 1990-2000, de sorte que c'est essentiellement par défaut d'une bonne couverture sur le territoire que l'on meurt encore trop mal dans notre pays.
Par ailleurs, depuis vingt ans, la médecine paternaliste a considérablement reculé grâce aux lois relatives aux droits des patients. Nous l'avons constaté, ces trois dernières années, sur la trentaine de contentieux enregistrés par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), aucun n'a été déclenché par une obstination déraisonnable ; tous, au contraire, découlent du refus, de la part de la famille, de la limitation des traitements.
Nous ne voulons évidemment pas dire par là que la situation actuelle est optimale, puisque nous avons consacré presque 200 pages, il y a un an et demi, à proposer des moyens de l'améliorer. Nous disons plutôt qu'un décalage s'est créé entre le problème et la solution dont nous parlons.
Ensuite, que penser du signal que le législateur enverrait a priori aux personnes qui remplissent les critères, surtout si certains patients sont explicitement visés à longueur de discours ? De la compassion pour l'expression subjective d'une souffrance, ne risque-t-on pas de glisser vers l'expression d'un jugement de valeur sur certaines conditions de vie ? Il nous semble qu'un tel saut serait très dangereux. Comme l'exprimait Emmanuel Hirsch dans la presse récemment, « comprendrait-on encore demain la volonté de vivre sa vie, y compris en des circonstances considérées par certains « indignes d'être vécues » ?
Mais il y a plus. En pleine crise du système de santé, et après que le système de prise en charge du grand âge a traversé, ces deux dernières années, l'épidémie de covid et le scandale des mauvais traitements en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), et alors que nous sommes entrés, depuis 2015 selon l'Insee, dans ce que d'aucuns appellent le « départ groupé » des baby-boomers, comment faut-il comprendre l'empressement du chef de l'État à introduire l'aide active à mourir, plutôt qu'à présenter la loi grand âge et autonomie promise depuis cinq ans ?
Entendons-nous bien : il est évident que les soins palliatifs et l'aide active à mourir sont complémentaires du point de vue du patient et des soignants, qui apprécient à chaque instant les différentes solutions d'apaisement envisageables. Mais ce n'est pas forcément le cas pour le décideur ou le gestionnaire, ou encore pour toute approche fondée sur une analyse d'économie de la santé qui, dans un monde de ressources rares, est naturellement guidée par la bonne gestion.
Au Canada, les organes d'évaluation du Parlement ont déjà réalisé des évaluations chiffrées des économies à escompter d'une extension des critères d'admission à l'euthanasie. À bon entendeur, chers collègues...
Cessons de nous dissimuler la vraie question que pose ce débat : en période de contraintes, que promettons-nous aux plus fragiles, dont le nombre augmente ? Theo Boer, pourtant favorable au suicide assisté, formule le problème ainsi : « la légalisation de l'euthanasie part de la crainte d'innombrables personnes pour une mort terrible. Mais de plus en plus, les gens ont aussi peur d'une vie terrible ».
À ceux que cet argument n'inquiète pas au motif que l'aide active à mourir ne s'adresse qu'à ceux qui en font librement la demande, il faut rappeler la phrase de Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
C'est un résidu tenace de ce que le libéralisme politique offre de plus naïf en fait de conception de l'homme ou de la société qui fait croire en effet que l'aide active à mourir est nécessairement un progrès de la liberté individuelle, dont l'exercice n'enlève rien aux autres. Et, en tout état de cause, la vérité de cette proposition reste affaire d'échelle : pour une personne entourée, en pleine possession de ce qui lui reste de courage et demandant à mourir ainsi, combien de personnes le feront à bout de solitude, résignées à partir puisque rien ne les retient, voire encouragées à faire un dernier acte d'altruisme dans un système de soins exsangue et déficitaire, ainsi que le permettent la loi et la sécurité sociale ? Quand le champ des communs se réduit et que les garanties de la solidarité s'érodent, qui peut sérieusement croire que les heureux de ce monde seront les premiers à vouloir le quitter ?
En outre, nul n'ignore plus, depuis nos débats sur les retraites, que les pauvres et leurs enfants vivent moins longtemps sans incapacité que les autres. Une loi autorisant la mort assistée, dans sa majestueuse égalité, leur permettra de faire comme les riches, et l'écart sera sauf, d'autant plus si leurs relations garantissent à ces derniers un accès prioritaire à des soins palliatifs.
Ne parlons pas même de l'aspect mercantile de la chose, évident en Suisse, ainsi qu'au Canada, où se louent des espaces funéraires proposant des offres « tout compris ». Pourrons-nous en rester préservés ? Dans une tribune récente, l'ancien président de la Mutualité n'avançait-il pas que « si une réforme allait dans ce sens, alors je suis sûr que des mutuelles se feraient encore pionnières en créant les lieux et les conditions permettant d'exercer cette liberté » ?
Allons plus loin encore. En pleine transition énergétique suscitant une forme d'angoisse de l'avenir, dans un espace européen dont le déclin démographique et économique est sérieusement amorcé, alors que le niveau d'endettement public condamne notre puissance d'action collective, que dit de nous-mêmes cette volonté de créer un service public de la mort douce, la seule qui semble ferme dans la politique sanitaire et sociale du Gouvernement ?
Ce vertige nihiliste ne nous est certes pas propre. Ces trois dernières années, les États-Unis, le Canada, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas ont été rejoints ou le seront très prochainement par l'Autriche, l'Espagne, le Portugal, l'Allemagne, l'Italie, et peut-être le Danemark.
Mais, sous ce rapport, la France ferait sans doute bien de maintenir son isolement. Il faut n'avoir aucune culture historique pour soutenir que, sur ces sujets, la majorité a forcément raison. Rétrospectivement, la France s'honore d'être restée à distance des législations eugénistes conçues aux États-Unis, qui passaient dans le monde développé de la première moitié du XXe siècle pour le fruit de la science la plus avancée et de la doctrine sociale la plus progressiste.
Ainsi s'éclaire en partie la stratégie retenue par le chef de l'État et une partie du Gouvernement, et qui suscite à présent les intéressantes réticences d'une autre partie: faute de projet collectif, promettre un nouveau droit subjectif, et noyer les problèmes de mise en oeuvre qu'il pose dans une comitologie elle-même couverte par une position de principe arrêtée par des instances dont la légitimité semble plus difficile à contester.
Mes chers collègues, en conclusion de la réflexion conduite pendant ces six derniers mois, nous n'avons pas de proposition d'encadrement de l'aide active à mourir à vous faire qui comporterait moins d'inconvénients que d'avantages.
Il nous semble qu'à rebours de cette conception des choses le « modèle français de fin de vie » que nous appelons également de nos voeux ne peut être que l'accompagnement solidaire, fondé sur une éthique du soin.
Un tel modèle doit être facteur de solidarité à l'égard des plus vulnérables, accompagnés jusqu'au bout selon leurs choix, partout sur le territoire ; facteur de revalorisation du rôle des soignants, majoritairement hostiles à la réalisation d'un acte d'aide à mourir, et en quête de sens dans leur métier ; et facteur d'espoir pour chacun dans la vie collective, porteuse de sollicitude.
Il repose essentiellement sur deux piliers : la préservation du trésor national que constitue la loi Claeys-Leonetti, dont nous souhaitons une application effective, et l'application des recommandations de notre précédent rapport sur les soins palliatifs.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. -Vous l'avez entendu, ma position diverge de celle de mes deux collègues sur l'essentiel.
Je les rejoins largement sur la critique de la méthode du Gouvernement, qui est peu lisible et qui vise très manifestement à ouvrir le plus en amont possible les modalités d'élaboration du texte, ce qui peut donner le sentiment de vouloir contourner le Parlement.
Je les rejoins encore, bien sûr, dans leur appel à guider l'action publique en la matière d'une éthique de la sollicitude qui exige de développer les soins palliatifs et de donner aux professionnels les moyens de prendre soin des patients.
Je les rejoins naturellement dans leur appel renouvelé à mettre en application les préconisations que nous avions formulées unanimement en septembre 2021 pour mieux appliquer la loi Claeys-Leonetti et développer une culture soignante plus attentive à la fin de vie.
Je diverge toutefois sur l'appréciation de l'aide active à mourir, en quoi je vois un complément nécessaire à une offre de soins palliatifs bien développée, pour la raison, extrêmement simple, et qui n'est contestée par personne : la loi de 2016 ne peut apporter de solutions à de trop nombreux cas de souffrance sans issue.
Les critères d'accès au dispositif me semblent pouvoir être définis de manière suffisamment précise, comme ils l'ont été dans bientôt tous les pays voisins de La France, pour ne parler que de l'Europe de l'Ouest. Ce n'est pas à moi de les arrêter définitivement ce matin, mais la proposition de loi de 2021 de ma collègue Marie-Pierre de La Gontrie peut fournir une base de travail. Elle visait la personne en phase avancée ou terminale d'une maladie grave et incurable infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable ou la plaçant dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité. Je concède que sur certains points, tels que l'inclusion des mineurs ou des souffrances psychiques, nos auditions ont pu me conduire à me poser de nouvelles questions, mais je maintiens la position que j'ai prise alors.
Une approche collégiale de l'ensemble de l'équipe soignante, médicale, paramédicale et des personnels au chevet du patient pourrait permettre de produire des avis au cas par cas sur la demande formulée par le malade. L'acte pourrait être, au choix du patient, un suicide assisté ou une euthanasie pratiquée par des médecins en toute sécurité.
Je suis défavorable à la mention d'une clause de conscience spécifique pour le personnel médical, dès lors qu'il existe une clause de conscience générale de médecins. Mettre en place une clause spécifique à l'instar de ce qui a été fait pour l' interruption volontaire de grossesse (IVG) ferait de l'aide à mourir un acte à part, alors qu'il convient à mon sens plutôt de considérer l'aide active à mourir comme un acte de soin à part entière, intégré en tout cas dans le continuum d'accompagnement proposé par les équipes de soin.
Le contrôle des pratiques est une vraie question, que notre déplacement en Belgique n'a pas permis de traiter définitivement. Je crois toutefois qu'il est possible de construire un système fiable, sans doute un peu plus équilibré et transparent que le modèle belge, et qui soit protecteur pour les médecins autant que pour les patients eux-mêmes. Par ailleurs, la proportion de morts par aide active à mourir n'est pas élevée partout - ce n'est ainsi pas le cas en Oregon -, ce qui prouve que les craintes d'emballement incontrôlé exprimées par mes collègues ne sont pas fondées.
Je note en outre que tous les exemples n'ont pas été analysés avec la même attention, faute de temps, et que dans cette matière, finalement assez récente, les progrès se font progressivement par l'observation des autres systèmes. En Espagne, où l'euthanasie est légale depuis 2021, la chose est parfaitement compatible avec le droit à la vie et à l'intégrité physique, et les premiers chiffres ne montrent pas de dérive particulière.
Je ne crois pas, pour ma part, que ces pratiques nous fassent franchir un saut anthropologique dangereux. Si l'on veut dire par là que l'homme prend un risque à transgresser une forme de loi de nature, alors il y a beau temps que la transgression a été faite, et c'est précisément le rôle de la réflexion bioéthique que d'assurer son encadrement et son acceptation.
Je vois plutôt dans ces débats le signe que notre société est suffisamment mature pour prendre sur elle une nouvelle hypothèse de transgression de l'interdit, admise déjà dans de nombreux domaines, pensons notamment au droit de la guerre ou à la légitime défense. Y parvenir dans des conditions de débat apaisées et démocratiques me semble au contraire une preuve rassurante de l'évolution de notre humanité.
Je ne crois pas, enfin, qu'une telle évolution législative soit un dangereux signal envoyé à certains malades ou aux personnes vulnérables en général. D'une part, je crois en la collégialité des équipes soignantes et des familles pour accéder avec discernement aux demandes des patients. D'autre part, je ne dissocie pas cette nouvelle possibilité d'un soutien renforcé à l'accompagnement en soins palliatifs.
Bref, il me semble que l'appel au statu quo serait à juste titre interprété par l'opinion publique comme le maintien de positions conservatrices, en décalage avec les attentes de la société. Celles-ci sont en effet assez constantes depuis la fin des années 1980, au point qu'il est douteux qu'une organisation différente de la convention citoyenne aurait donné des résultats très éloignés de ce que disent absolument tous les sondages, avec de larges majorités, depuis maintenant trente ans.
Accorder le droit de choisir les circonstances de leur mort aux personnes atteintes d'une maladie incurable, voilà une preuve de solidarité envers ceux qui souffrent. Autoriser l'aide active à mourir dans des conditions strictes, voilà un combat pour plus de liberté et plus de dignité.
M. Alain Milon. - Je remercie les trois rapporteures pour la mesure avec laquelle chacune a présenté ses convictions.
Je m'interroge sur les intentions du Président de la République à l'égard de ce projet de loi. S'agit-il de détourner l'attention de l'opinion d'autres problèmes rencontrés par la société française, qui seraient tus ou abordés plus tard ?
Je me demande également pourquoi l'avis de 186 citoyens tirés au sort s'imposerait à 67 millions de citoyens. Cette question est d'autant plus importante que ces 186 citoyens semblent avoir plus de poids que le Parlement, pourtant représentant de la société française.
De plus, pourquoi la loi Claeys-Leonetti de 2016 n'est-elle pas appliquée sur le territoire national ? Si tel était le cas, sans doute serait-il inutile d'élaborer un projet de loi sur l'aide active à mourir et le suicide assisté.
Enfin, si l'aide active à mourir ou le suicide assisté avaient été autorisés dans les années 1960 et 1970, ils auraient été appliqués pour tous les patients souffrant d'une maladie alors considérée incurable, comme le cancer. Je pense en particulier au cancer du sein. Il y a trente ou quarante ans, celui-ci avait un pronostic défavorable et évoluait vers des formes incurables, douloureuses. Si nous avions appliqué la loi, aurions-nous trouvé les traitements nécessaires qui, désormais, permettent de guérir les personnes qui en sont atteintes ? En somme, quelle est l'utilité de ce projet de loi ? Appliquer la loi déjà existante, soutenir et financer la recherche me semblent constituer une meilleure solution. Allouons nos moyens non pas à l'aide à mourir, mais à la recherche pour atténuer la souffrance et mieux vivre.
M. Daniel Chasseing. - Merci aux trois rapporteures.
Les auditions menées sur le sujet montrent que, dans les Ehpad et les services de soins palliatifs, aussi bien les anesthésistes, les médecins que les infirmiers sont majoritairement contre l'euthanasie.
Aux Pays-Bas, on constate actuellement une pression pour élargir les critères d'éligibilité au dispositif de fin de vie. Au début de l'année 2002, l'euthanasie a été pratiquée sur environ 2 000 personnes, dont 90 % étaient atteintes de cancers en phase terminale. Aujourd'hui, 7 000 personnes y ont recours chaque année. Comme vous l'avez mentionné, le professeur Theo Boer se dit incapable de freiner l'élargissement de cette pratique aux maladies chroniques ou psychiatriques.
En France, on avance souvent l'exemple des patients atteints de la maladie de Charcot, mais Mme la rapporteure a bien indiqué que rares sont ceux qui souhaitent mourir. La plupart d'entre eux désirent vivre et trouver un traitement. Telles sont également les conclusions que tire Mme Agnès Buzyn au sujet des patients atteints de leucémie : aucune des 350 personnes qu'elle a suivies n'a demandé à mourir.
En somme, notre position n'est pas conservatrice. Comme l'a indiqué Mme Imbert, il convient surtout d'augmenter l'offre de soins palliatifs. La loi Claeys-Leonetti a marqué un progrès. Les équipes de soins palliatifs accompagnent les patients et leur famille, ce qui est le souhait principal des malades et de leurs proches. Il faut en effet lancer le plan Grand Âge, mais surtout renforcer les soins palliatifs, alors même que certains départements n'ont pas de services identifiés, mais seulement quelques lits de soins palliatifs.
M. Bernard Bonne. - Je souhaite également remercier les rapporteures dont les appréciations de ce projet de loi, bien qu'elles divergent, sont très intéressantes.
Je rejoins parfaitement les propos de M. Milon. Moi aussi, je m'étonne de la volonté particulière affichée par le chef de l'État au sujet de cette loi, alors même que des personnes âgées décèdent dans une indignité totale dans des Ehpad et des maisons de retraite, par manque de moyens.
Je refuse aussi que l'on utilise ce texte pour tracer une ligne de démarcation entre conservateurs et progressistes. Refuser cette aide à mourir n'est pas un signe de conservatisme, tout comme le soutien au suicide assisté n'est pas un gage de progressisme.
Au-delà des personnes atteintes de maladies auparavant incurables citées par M. Milon, je pense aux jeunes enfants, chez qui on a progressivement éradiqué les handicaps lourds liés à des accouchements délicats. Je souhaite aussi insister sur le cas des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de maladies cognitives. Lorsque ces personnes laissent des directives anticipées en faveur d'une aide à mourir, à quel moment va-t-on décider de mettre celles-ci en application ? Cette question est centrale puisque ces personnes peuvent encore vivre dix ou quinze ans après la perte de leur capacité décisionnelle.
Il faudra également échanger avec le Conseil national de l'ordre des médecins, puisque les professionnels de santé sont soumis au serment d'Hippocrate. Comment un médecin pourrait-il à l'avenir donner la mort dans n'importe quelle condition ? Nous, médecins, avons tous, à un moment ou l'autre de notre carrière, accompagné le décès, en application de la loi Claeys-Leonetti ; mais je pense qu'il nous est impossible d'envisager de donner le médicament qui entraînera la mort.
Mme Émilienne Poumirol. - Je trouve significatif que les quatre derniers interlocuteurs soient des médecins, ce qui illustre bien notre difficulté personnelle sur ce sujet. En effet, nous prêtons serment, nous sommes formés à soulager et à soigner, et non pas à faire mourir. Malgré tout, cette problématique surgit souvent dans la pratique du médecin. La loi Claeys-Leonetti a certes permis des avancées, mais elle ne s'applique que lors des deux ou trois derniers jours de vie du patient, lorsque le processus terminal est enclenché. Cette phase n'est ni douloureuse ni indigne pour le patient.
Je vous rejoins sur le manque de moyens choquant des Ehpad. Cela dit, il convient d'insister, comme l'a fait Mme Meunier, sur la notion d'équipe. Dans les services délicats, les décisions sont prises par des équipes pluridisciplinaires de soignants et d'infirmiers, ce qui permet d'éviter le risque d'aller trop loin, trop vite, et de répartir la charge de la décision. Le fait de confier la décision de recourir à l'euthanasie à une équipe pluridisciplinaire qui connaît bien le patient, qui connaît ses positions sur l'aide à mourir, me paraît être une garantie suffisante pour proposer l'aide active à mourir ou le suicide assisté.
Les 186 membres du conseil citoyen ne furent pas les seuls à s'exprimer en faveur de ces solutions. Des parlementaires, des sondages, l'opinion publique les ont rejoints. Une majorité de la population exprime le souhait de ne pas mourir dans l'indignité et la souffrance, un souhait qu'il me paraît falloir respecter.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Le débat aura lieu à l'automne, lors de l'examen du texte de loi.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain va redéposer la proposition de loi de Marie-Pierre de La Gontrie sans attendre le travail du Gouvernement.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - A priori, le travail sur l'article 1er se concentre sur le fait d'inscrire dans la loi l'aide active à mourir, sans même en avoir arbitré les modalités. La communication du Gouvernement porte sur la création d'un nouveau droit. Je précise que nous ne travaillons pas en coconstruction avec le Gouvernement.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Devant Line Renaud et Jean-Luc Romero-Michel, le Président de la République s'est montré favorable à la notion de suicide assisté, mais l'a ensuite rejetée lors de sa rencontre avec le pape François. Sa position est donc floue.
Considérant que l'application de la loi Claeys-Leonetti et le développement des soins palliatifs font consensus, nous devons nous prononcer sur les conclusions du rapport telles qu'exprimées par Corinne Imbert et Christine Bonfanti-Dossat. Le cas échéant, la position de Michelle Meunier y figurerait comme telle.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je souhaite de nouveau remercier mes collègues, avec qui j'ai eu plaisir à travailler. J'ai une pensée particulière pour Michelle Meunier, qui ne sera plus parmi nous en septembre, car elle ne souhaite pas renouveler son mandat.
La réunion est close à 12 h 45.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition commune sur la prise en charge de la douleur
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition commune sur la prise en charge de la douleur.
Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.
La prévention de la douleur est une préoccupation majeure des patients, qu'il s'agisse de douleurs chroniques, de douleurs provoquées par une maladie ou de douleurs causées par une intervention chirurgicale ou un traitement. Nous avons pu voir, par ailleurs, lors de nos travaux sur la question de la fin de vie, combien la question des soins palliatifs et de leur répartition sur le territoire restait prégnante.
Il nous a donc semblé nécessaire de faire un point sur l'ensemble de ce sujet, aussi bien sur les progrès récents ou à attendre en matière de traitement de la douleur que d'attente des patients et de leur famille en la matière.
Pour nous éclairer, nous recevons trois spécialistes :
- le Dr Valérie Ertel-Pau, adjointe au chef du service des bonnes pratiques à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute Autorité de santé (HAS) ;
- le Pr Valeria Martinez, présidente de la Société française d'étude et de traitement de la douleur ;
- et le Dr Marc Lévêque, neurochirurgien et spécialiste de la douleur.
Mesdames, Monsieur, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif. Les commissaires qui le souhaiteront vous interrogeront par la suite.
Madame Ertel-Pau, peut-être pourriez-vous commencer ?
Dr Valérie Ertel-Pau, adjointe au chef du service des bonnes pratiques à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins de la Haute Autorité de santé. - En France, la douleur constitue l'une des premières causes de consultation en médecine générale et en service d'accueil des urgences. Il existe plusieurs types de douleur : aiguë, subaiguë, chronique.
Les travaux de la Haute Autorité de santé publiés en février 2023 s'intéressent au parcours de santé de la personne ayant une douleur chronique. La douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste ou se reproduit pendant plus de trois mois. En 2004, une étude a évalué la prévalence des douleurs chroniques d'intensité modérée à sévère chez les adultes de 18 ans et plus à environ 20 %, soit 12 millions de personnes.
Si les trois plans nationaux de lutte contre la douleur de 1998 à 2010 ont permis de progresser sur la prise en charge de la douleur, notamment par la création de 250 structures douleur chronique, la prise en charge de la douleur chronique et la formation des professionnels de santé restent à améliorer, d'autant que plus la prise en charge de ces patients est tardive, plus leur situation sera complexe et les possibilités d'amélioration limitées.
Les personnes présentant des douleurs chroniques sont orientées tardivement vers les structures spécialisées, après une errance diagnostique et thérapeutique de cinq ans en moyenne. En outre, le délai d'attente pour les structures douleur chronique, variable d'une région à l'autre, s'élève à environ 8 mois. Une fois l'évaluation réalisée par ces structures, et quand une prise en charge est initiée, les relais avec les professionnels de ville font parfois défaut. Enfin, des inégalités territoriales d'accès aux soins spécialisés persistent, notamment pour l'accès aux différentes techniques disponibles pour la prise en charge de ces patients.
Dans ce contexte, à la demande du ministère, la Haute Autorité de santé a travaillé sur la définition d'un parcours de santé des patients douloureux chroniques qui réponde à des standards de qualité conformes aux recommandations internationales, selon un modèle biopsychosocial, avec une prise en charge par une équipe pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle.
La Haute Autorité de santé a défini un parcours gradué en trois niveaux, en réponse à la complexité du profil du patient :
Le niveau 1 repose sur le premier recours, notamment les médecins traitants, l'équipe de soins primaires, les médecins spécialistes de ville. L'équipe de soins primaires idéale est pluridisciplinaire : médecin traitant, infirmier, kinésithérapeute, pharmacien, psychologue. Le niveau 2 est constitué par les structures douleur chronique et les services hospitaliers de spécialité. Au niveau 3, se trouvent les centres d'évaluation et de traitement de la douleur.
Ce parcours s'appuie sur les structures douleur chronique, mais aussi sur l'exercice coordonné des soins de ville (communautés professionnelles territoriales de santé, maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé et équipes de soins primaires), les nouvelles technologies et le numérique en santé (télésanté), ainsi que sur les nouveaux métiers (infirmiers de pratique avancée, infirmiers à compétences élargies telles que définies dans des protocoles de coopération).
Autre innovation, ce parcours envisage la mise en place de services proposés par la structure douleur chronique de proximité à destination des professionnels de ville, notamment les médecins traitants. Ces services comprendraient une hotline destinée aux médecins traitants, leur offrant notamment un accès à des téléexpertises et des outils de partage des informations. La structure douleur chronique pourrait aussi délivrer des formations à destination des médecins traitants de ville qui se déclarent un peu démunis du point de vue de leur formation initiale et continue.
En complément de ces guides, la HAS a produit des outils pour ces professionnels de soins primaires. Pas moins de 12 millions de personnes sont concernées, mais toutes ne peuvent pas accéder à une structure douleur chronique, d'autant que leur état ne le nécessite pas forcément. Il faut donc outiller les professionnels de santé de niveau 1. Pour ce faire, nous avons établi une grille de première évaluation d'un patient douloureux chronique, un auto-questionnaire pour le patient et un formulaire d'adressage pour aider à recueillir les éléments importants à transmettre aux structures spécialisées.
Toujours en partenariat avec les médecins généralistes et les membres de la Société française d'étude et de traitement de la douleur, nous déclinerons ce parcours dans des fiches pour des populations spécifiques : les enfants et adolescents, la cancérologie, les personnes vulnérables. Dans un second temps, nous déclinerons ce parcours par type de douleur chronique, notamment les douleurs neuropathiques. Ces thématiques seront définies par les professionnels de terrain.
Pr Valeria Martinez, présidente de la Société française d'étude et de traitement de la douleur. - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre engagement et le suivi de ce dossier. La publication des recommandations de la HAS sur le parcours de soins des patients douloureux chroniques en début d'année constitue une vraie opportunité de s'interroger sur la problématique de ces patients en France.
Ces recommandations, élaborées en partenariat avec le collège des médecins généralistes, ont contribué à mettre l'accent sur trois points importants : le renforcement de l'articulation ville-hôpital en positionnant le médecin généraliste comme un acteur principal de la coordination des soins, l'outillage du premier recours pour la prévention, l'évaluation et la prise en charge de la douleur chronique, et le développement de l'usage de la télésanté dans le parcours de soins.
La mise en oeuvre de ce parcours appelle des moyens financiers et humains. Elle nécessite une formation initiale et continue en douleur de qualité pour tous les soignants. Elle exige aussi de consolider le monde de la douleur, en particulier les structures de la douleur dont il faut reconnaître et valoriser l'expertise.
La douleur chronique affecte 12 millions de nos concitoyens et peut toucher n'importe qui, à n'importe quel âge de la vie. La douleur chronique affecte non seulement la santé physique, mais aussi le bien-être émotionnel, les relations interpersonnelles, la capacité à travailler. Elle peut entraîner une détresse psychologique, une dépression, une anxiété, une diminution de la qualité de vie globale. La douleur chronique représente une véritable maladie. Elle s'installe de façon insidieuse. Elle débute souvent par une douleur aiguë à la suite d'un traumatisme de la vie, d'une maladie ou d'une vulnérabilité physique ou psychique mal prise en charge et elle prend de plus en plus de place, se répercutant sur le sommeil, l'humeur, la vie professionnelle et familiale. Elle pèse énormément sur la société entière. Depuis 2019, la douleur chronique est d'ailleurs classée comme une maladie à part entière par l'Organisation mondiale de la santé.
La douleur chronique est une maladie à part entière au même titre que la dépression ou les maladies cardiovasculaires. Elle entraîne d'importants coûts économiques pour la société, notamment en termes de dépenses liées aux consultations médicales, aux traitements, aux arrêts de travail. La douleur chronique peut également être coûteuse en raison de l'errance médicale et des effets néfastes des traitements inappropriés. En effet, la douleur chronique en tant que maladie est encore largement sous-diagnostiquée et insuffisamment prise en charge par notre système de santé. Il est essentiel de prendre en compte l'impact sociétal de la douleur chronique lors de l'élaboration de politiques de santé.
Depuis plusieurs années, la Société française d'étude et de traitement de la douleur (SFETD) porte auprès des pouvoirs publics la problématique de la douleur chronique et de son impact sociétal. Nous sommes force de proposition, avec un programme « Douleur » reposant sur trois axes : formation, parcours de soins et publics vulnérables, que nous déclinons à travers dix propositions élaborées avec plusieurs autres sociétés savantes et associations de patients.
Le 3 avril dernier, lors de la clôture de la convention citoyenne sur la fin de vie, le Président de la République a annoncé le plan décennal national de prise en charge de la douleur et des soins palliatifs. La SFETD a appris cette nouvelle avec une grande satisfaction après plus de dix ans d'attente, depuis le quatrième plan douleur qui n'a jamais vu le jour. Nous nous réjouissons de constater que la douleur retrouve enfin sa place dans l'agenda politique, mais après la première vague de joie suscitée par l'annonce de ce plan décennal, il est naturel de se poser des questions sur le périmètre d'action de ce plan et sur la façon dont il se déclinera en solutions concrètes pour nos concitoyens souffrant de douleurs chroniques tout au long de leur existence.
Douleur chronique et soins palliatifs ne sont pas tout à fait la même chose. La douleur chronique constitue une entité distincte qui mérite d'être considérée indépendamment, sans distinction d'âge ou de situation de la personne. Elle ne peut être réduite à un simple symptôme et doit être appréhendée dans sa globalité. Maladie chronique à part entière, elle nécessite une prise en charge complète incluant la prévention, l'accompagnement et le soulagement tout au long de la vie. La SFETD s'engage à apporter son expertise et à collaborer activement avec les décideurs politiques et les acteurs de santé pour garantir que la prise en charge de la douleur dans le plan décennal réponde au mieux aux besoins de nos concitoyens.
Le plan décennal proposé par le gouvernement est structuré autour de trois axes : les soins palliatifs, la gestion de la douleur et la fin de vie. Bien entendu, ce plan offre une opportunité de développer des synergies avec les soins palliatifs. Nous identifions plusieurs points communs dans la prise en charge de la douleur où les patients en difficulté pourraient bénéficier de nos expertises.
En termes d'actions prioritaires, il convient tout d'abord de répondre au besoin urgent d'accès à certaines thérapeutiques par des actions dont les résultats pourront être mesurés rapidement. Il s'agirait par exemple de développer les techniques de neuromodulation qui consistent à diminuer ou interrompre le message douloureux ou d'analgésie intrathécale. Encore très peu accessible dans notre pays, cette méthode consiste à administrer les médicaments auprès de la moelle avec un petit cathéter et interrompre ainsi le message douloureux. Elle est indiquée dans certaines douleurs réfractaires, notamment en cancérologie. Or une personne atteinte de ces douleurs a aujourd'hui une chance sur dix de bénéficier de cette technique, voire moins dans certaines régions.
Cet exemple illustre les efforts à fournir au cours des prochaines années. Outre le manque de médecins formés à ces techniques, le manque de connaissances sur ces techniques et leur utilité, le besoin d'organiser des réseaux pour l'adressage et le suivi des patients, il faut aussi valoriser financièrement l'acte et le suivi de ces patients.
Une autre piste pourrait consister à développer des actions sur le dépistage des patients à risque en douleur chronique. Notre ministre de la santé entend faire de la prévention un pilier de la politique de santé. Le traitement du cancer s'est considérablement amélioré et le taux de guérison et de rémission pour de nombreux types de cancer est important. Cependant, certains traitements comme la chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie peuvent laisser des séquelles douloureuses, notamment en lésant de petites fibres nerveuses, causant des douleurs neuropathiques. Ces douleurs sont les plus intenses et les plus difficiles à traiter. Elles compromettent considérablement la qualité de vie des patients pour tout le reste de leur vie, même si le cancer n'est plus d'actualité.
Il reste beaucoup à faire en termes de dépistage, de prise en charge rapide et d'accès aux soins appropriés pour ces patients sur l'ensemble du territoire français. Trop de patients sont encore en errance diagnostique et thérapeutique pour des douleurs déclenchées par des soins. Cette réalité doit être entendue et adressée de manière efficace. La prévention de la douleur coûte beaucoup moins cher que la prise en charge des douleurs chroniques.
La formation des médecins de demain constitue un sujet essentiel. La Société française d'étude et de traitement de la douleur plaide en faveur de la reconnaissance de la douleur et des soins palliatifs comme une spécialité médicale à part entière. Les résultats de notre enquête démographique réalisée l'an dernier mettent en évidence une pénurie imminente de médecins spécialisés dans la prise en charge de la douleur : un quart des effectifs va partir à la retraite d'ici cinq ans et il n'est pas certain qu'ils seront tous remplacés par de nouveaux praticiens formés. Actuellement, les structures de prise en charge de la douleur ne peuvent couvrir que 1,5 % de la population souffrant de douleurs chroniques alors que près de 5 % de cette population représentent des cas complexes qui pourraient bénéficier de l'expertise et des techniques spécifiques offertes par ces unités spécialisées.
Ces constats mettent en évidence l'urgence de prendre des mesures concrètes pour former, rendre attractives et pérenniser les structures douleur. Le problème est identique dans les soins palliatifs où le nombre de médecins est insuffisant pour répondre aux besoins croissants. Face à cette problématique commune, il est nécessaire de réfléchir à l'opportunité d'en faire des spécialités à part entière dans le cadre de ce plan décennal. Une telle initiative permettrait d'agir sur le long terme, garantir une amélioration durable de la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs en France pour les générations futures. Elle résoudrait les problèmes de régulation de flux, d'attractivité et de pérennisation des structures spécialisées. Ne pas prendre le temps de réfléchir à cette question de la spécialisation de la médecine de la douleur et des soins palliatifs à l'occasion de ce plan décennal constituerait une erreur. Parallèlement à la formation des médecins, il faudrait aussi assurer la reconnaissance en pratiques avancées des infirmières ressources douleur qui nous accompagnent tous les jours.
Dr Marc Lévêque, neurochirurgien et spécialiste de la douleur. - Formé au Canada et en Belgique, j'exerce la neurochirurgie et l'algologie libérale à Marseille après avoir été praticien à la Pitié-Salpêtrière et à la Timone. Pour nous, médecins de la douleur, le fait que la commission des affaires sociales se saisisse de ce sujet de la douleur chronique constitue un grand soulagement. La douleur chronique représente un drame individuel et un fléau national. Un adulte sur cinq est touché et la prise en charge reste insuffisante.
Sartre disait que la douleur est le vide ; elle se rappelle à nous à chaque instant. La douleur est épuisante. Elle constitue une torture qui nous isole et cet isolement contribue à la chronicisation. Le conjoint finit par se lasser, voire se « casser ». La douleur chronique plonge le patient dans une grande spirale biopsychosociale. Sur le plan économique, 80 millions de journées de travail s'en trouvent affectées, soit un préjudice de 1,2 milliard d'euros par an. Les médicaments, en particulier antalgiques, participent de cet absentéisme. Lorsque vous ne pouvez plus conduire votre véhicule, vous ne pouvez plus vous rendre au travail. Aujourd'hui, les morphiniques et les psychotropes sont prescrits en première ligne parce que, bien souvent, les médecins généralistes sont démunis face à des patients douloureux chroniques qui ne trouvent pas de débouchés dans les centres de la douleur chronique. Sursaturés, ces centres ne peuvent en effet accueillir que 3 % des patients douloureux chroniques.
Or l'inefficacité de ces médicaments est de plus en plus documentée. Le NNT correspond au nombre de patients nécessaires pour qu'un seul soit soulagé de 30 à 50 %. Pour les principales classes médicamenteuses utilisées dans la douleur neuropathique, il faut 5 à 8 patients, voire plus pour qu'un seul patient soit soulagé. Un article du New England sur la Prégabaline, un antiépileptique extrêmement prescrit dans la douleur neuropathique, montre que cette molécule ne présente pas de différence par rapport à un placebo dans la sciatique chronique ou la sciatique aiguë, en dehors des effets indésirables. Le recours systématique à l'antalgie chimique résulte d'un manque de formation. Près de 30 à 40 heures sont allouées à la douleur chronique dans notre cursus alors qu'elle représente la première raison de consultation chez le médecin traitant. Souvent, la douleur chronique est considérée comme un continuum de la douleur aiguë alors qu'elle ne correspond pas du tout à la même physiopathologie et n'appelle pas les mêmes traitements.
Selon le Livre blanc publié par la SFETD en 2017, 70 % des patients ne sont pas satisfaits de leur prise en charge. Cette prescription médicamenteuse forte intervient en outre dans un contexte de malaise social, de précarité, de problèmes familiaux, de difficultés au travail, et même de vide existentiel qui se traduisent dans le corps par des lombalgies, des céphalées de tension et d'autres douleurs dites fonctionnelles. Les Etats-Unis en sont la tragique illustration. La crise des opioïdes a fait 500 000 morts, dont Michael Jackson et Prince. Elle a débuté dans les Etats les plus affectés par la crise économique. Un article montre la superposition du vote Trump et les morts par opioïdes prescrits, soulignant le lien entre souffrance et déclassement social. Dans mon dernier ouvrage, j'ai intitulé un chapitre « Lunettes roses pour gilets jaunes », pour décrire les risques d'une médicalisation de la précarité et du déclassement notamment par la prescription des morphiniques et des psychotropes.
Quand vous n'avez pas accès à une offre compétente et dimensionnée de médecine de la douleur, le danger consiste à confondre douleur physique et détresse psychologique et à réduire la prise en charge au médicament, réponse la plus facile et la plus fréquente. Il existe 21 000 officines, mais moins de 300 centres de la douleur chronique, qui représentent pourtant les seules portes d'entrée aux alternatives non médicamenteuses. La neuromodulation qui constitue une véritable révolution dans la prise en charge de la douleur n'est accessible que via les centres de la douleur.
Pour le médecin généraliste en première ligne, le réflexe le plus facile dans une consultation à 26,5 euros est de prescrire le Tramadol, éventuellement une radio qui fera très souvent apparaître une anomalie alimentant la machine à examens cliniques alors que s'il avait le temps de questionner son patient sur son moral, son travail, sa famille, il s'apercevrait qu'il n'a pas mal au dos, mais qu'il en a « plein le dos ». Pour le patient aussi, cette prescription est une réponse magique qui ne questionne pas son mode de vie. A cela s'ajoutent la sédentarité, le surpoids, la solitude pourvoyeuse de dépression et de souffrance, et la sénescence. Ainsi, à partir de 70 ans, un patient sur deux souffre de douleurs chroniques.
La SFETD représente en grande majorité les psychologues, les médecins et les infirmiers du secteur public. Nous avons, en algologie, une vision très hospitalo-centrée. Cette offre anémique résulte avant tout de la sous-valorisation de cette activité qui va conduire à l'extinction de cette médecine avant même qu'elle se soit développée et qu'elle puisse voler au secours de la médecine de la douleur publique. Ces consultations sont longues, complexes. Or elles sont valorisées 23 euros en secteur 2, 30 euros en secteur 1, sachant que nous n'avons pas le droit à la consultation à 45 euros comme les chirurgiens et anesthésistes.
Les actes eux-mêmes sont dévalorisés. La stimulation médullaire constitue l'une des techniques les plus efficaces aujourd'hui contre la douleur chronique. Elle soulage un patient sur deux. Elle est cotée 168 euros pour deux heures d'intervention. Nous reversons 6 % à la clinique. Il faut payer l'aide opératoire et les assurances font partie des plus chères aujourd'hui. En comparaison, une chirurgie de la cataracte qui dure moins de dix minutes est cotée 270 euros pour le chirurgien et 110 euros pour l'anesthésiste. Ainsi, nos concitoyens ont un moindre accès à ces techniques innovantes. La France se situe en dessous de la moyenne européenne pondérée en la matière. En Belgique, 119 patients sur un million ont accès à la stimulation médullaire, contre 39 patients sur un million en France.
Il existe aussi un risque de désengagement de ces techniques innovantes par les industriels alors que leurs cibles potentielles sont nombreuses (surface de la peau, nerfs, ganglion dorsal, moelle épinière, etc.) avec la stimulation médullaire, la stimulation profonde qui reste du domaine de la recherche clinique, la stimulation corticale et la stimulation magnétique transcrânienne, une technique qui présente très peu d'effets indésirables et se révèle très efficace en cas d'échec médicamenteux.
L'analgésie intrathécale constitue également une technique très efficace qui permet de réduire par 300 la dose de morphine et offre au patient en fin de vie l'opportunité de conserver des relations dans ses derniers jours. Le remplissage des pompes est valorisé à 28 euros, contre 88 euros pour la programmation d'une pompe à morphine externe, ce qui démontre bien les aberrations de notre système actuel, sans parler des actes qui ne sont absolument pas valorisés comme la TENS, l'hypnose ou la neuro-stimulation magnétique transcrânienne (rTMS). Pour cette technique, qui permet de soulager un patient sur deux, également utilisée dans la dépression, il n'existe même pas d'acte. Nous effectuons des codages par assimilation et mes confrères se retrouvent dans l'illégalité. Pourtant, ces techniques sont reconnues. Elles sont même prônées par les sociétés savantes. Faute de codage, ces techniques ne reposent pas sur un modèle économique. Les centres publics et privés rechignent donc à faire l'acquisition de ces matériels coûteux (entre 100 et 200 000 euros) alors même qu'ils sont dénués d'effets indésirables, contrairement aux médicaments.
Les douleurs neuropathiques se matérialisent par des brûlures ou des décharges électriques liées à l'altération du système nerveux. Ces douleurs sont extrêmement difficiles à traiter avec les médicaments. Des patchs de lidocaïne sont proposés, mais l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ne couvre qu'une petite partie des cas. La TENS est réservée aux médecins diplômés de la douleur ou travaillant dans une structure douleur. Il est beaucoup plus facile de prescrire de la morphine que de la TENS qui ne présente aucun risque, en dehors parfois d'une allergie cutanée. En deuxième ligne, pour ces douleurs neuropathiques focales, les patchs de piment ne sont possibles qu'en hôpital de jour (HDJ), parfois avec des acrobaties de tarification. Quant aux injections de toxine botulique dans les zones concernées par les douleurs, l'AMM ne couvre que la migraine quand bien même elles sont recommandées par les sociétés savantes pour les douleurs neuropathiques. Pour la rTMS, il n'existe pas de facturation, alors qu'elle ne présente aucun effet indésirable ni aucun risque, sauf une épilepsie dans un cas pour mille. La pénétration de la stimulation médullaire dans notre pays est trois à quatre fois inférieure à celle de pays limitrophes. Il reste donc, en bonne place, le Tramadol dont nous connaissons de plus en plus les problèmes de mésusage, et les opioïdes prescrits très facilement en attendant d'obtenir une place dans les centres de la douleur chronique. Enfin, la Prégabaline n'est pas plus efficace qu'un placebo et présente, elle aussi, de plus en plus de problèmes de mésusage.
En définitive, si nous voulons attirer des jeunes et faire en sorte que les médecins de la douleur restent à leur poste, il faut revaloriser les actes, revoir cette prise en charge non médicamenteuse aujourd'hui dans le flou et évaluer les résultats grâce à des outils numériques plus performants. Des soins rapides et adaptés pour les patients douloureux chroniques constituent le meilleur garant d'une reprise d'activité professionnelle, avec des bénéfices qui peuvent couvrir les coûts liés à l'augmentation des honoraires.
Je conclurai avec le SMS envoyé par une collègue voilà une dizaine de jours, qui s'apprête comme d'autres à mettre la clé sous la porte. Quand un anesthésiste s'intéresse à la douleur chronique, il voit ses revenus divisés par deux ou trois par rapport à l'anesthésie traditionnelle en salle d'opération. Le système actuel n'est pas du tout incitatif. Pour autant, ce métier me comble. Il est extrêmement gratifiant. Nous nous orientons vers la médecine pour soulager la souffrance. Malheureusement, la spécialité de l'algologie libérale va mourir avant même d'être née, les valorisations n'étant pas du tout à la hauteur.
M. Laurent Burgoa. - Merci, Mesdames, Messieurs, pour vos propos. Quelle place le cannabis médical pourrait-il prendre dans la prise en charge de la douleur ? L'Agence nationale de sécurité du médicament expérimente actuellement le cannabis à usage médical dont les cinq indications thérapeutiques visent à soulager certains patients de diverses douleurs. Cette solution thérapeutique, en cas de généralisation, apporterait une nouvelle offre de prise en charge. Pour autant, si cette généralisation est en bonne voie, les conditions de sa mise en oeuvre qui devrait intervenir au printemps 2024 sont particulièrement floues pour de nombreux acteurs, notamment les laboratoires qui effectuent ces recherches, puisque les administrations ne communiquent pas leurs intentions sur ce sujet.
Mme Chantal Deseyne. - Merci pour vos exposés. La douleur est une notion très subjective. Généralement, un médecin vous demande d'apprécier votre douleur sur une échelle. En tant que médecins, avez-vous des outils pour apprécier le degré de douleur ? J'ai bien entendu l'importance du contexte social, économique, des modes de vie. Je souhaitais également vous interroger sur le cannabis thérapeutique dont nous parlons beaucoup actuellement.
Pr Valeria Martinez. - Une expérimentation a effectivement démarré en mars 2021 sur le cannabis ; 60 structures douleur y participent dans l'une des cinq indications, les douleurs neuropathiques. L'expérimentation visait 3 000 patients ; 2 600 patients avaient été inclus et 1 900 y participent toujours, dont 900 avec des douleurs neuropathiques. Cette expérimentation examine la faisabilité, la prescription et la délivrance. Elle ne comprend pas de contrôle placebo. Or la science nécessite des preuves factuelles de l'efficacité. Il manque donc encore des données. Cette situation, soulignée par l'Académie nationale de médecine, nous met un peu mal à l'aise.
Selon les premiers résultats de cette expérimentation, 40 % des patients semblent soulagés. Il faut cependant rester très prudents, compte tenu de l'absence de contrôle placebo. Je pense que le problème du cannabis dépasse la problématique médicale. Les patients ont des attentes fortes. Toutes les études précédentes montrent qu'un patient sur 11 ou 12 est soulagé, un ratio très faible par rapport aux techniques de neuromodulation qui soulagent un patient sur deux ou aux traitements médicamenteux qui en soulagent un sur sept.
Dr Marc Lévêque - Je crains que la demande de cannabis thérapeutique sème le trouble dans la douleur chronique. La douleur ne se prouve pas, elle s'éprouve. Quand le cannabis thérapeutique rejoindra les armoires à pharmacie, comme la morphine, avec son potentiel addictif qu'il ne faut pas négliger, il pourrait troubler chez le praticien. La demande est-elle justifiée ? La douleur est-elle sincère ? En outre, l'effet est discutable aujourd'hui, car le NNT est de 13. Des méta-analyses montrent même l'absence de différence par rapport au placebo. J'ai coutume de comparer le cannabis thérapeutique au vin, deux drogues d'origine végétale. Il constitue un petit antalgique, un petit hypnotique et un petit anxiolytique.
Pr Valeria Martinez - Les médecins et même les patients font parfois la confusion entre douleur aiguë et douleur chronique. La douleur aiguë est un symptôme, une alarme signalant que quelque chose ne va pas. Avec le traitement, elle disparaît. C'est ainsi que les médecins sont formés et que la population entend la douleur.
La douleur chronique constitue une alarme qui reste allumée. Parfois on la guérit, mais parfois on n'en trouve pas les raisons. L'alarme persiste, entraînant peu à peu des troubles du sommeil, de l'humeur, un arrêt du travail, etc. Dans ce cas, le patient ne peut pas attendre un soulagement total, mais un accompagnement, une diminution du retentissement de cette douleur. Tout le monde peut traiter la douleur aiguë. La douleur chronique nécessite une expertise, beaucoup de temps et des techniques sophistiquées.
Dr Valérie Ertel-Pau. - Il existe des questionnaires spécifiques, en fonction des typologies de douleur chronique, dont le plus connu est le DN4 pour la douleur neuropathique.
Pr Valeria Martinez. - En consultation, on ne mesure pas seulement la douleur, mais aussi son retentissement. Des questionnaires peuvent évoquer l'anxiété, la dépression, le catastrophisme, etc. L'impact de ces douleurs fait partie de l'évaluation, de même que l'écoute bienveillante du médecin.
Mme Annick Jacquemet. - Merci pour vos exposés. Je souhaitais vous interroger sur la fin de vie. Pensez-vous que la sédation profonde et continue est adaptée pour soulager la douleur dans toutes les situations ? Travaillez-vous avec les équipes de soins palliatifs sur des techniques qui pourraient aider ces personnes atteintes de maladies incurables, qui éprouvent parfois des difficultés à être soulagées de leur douleur ? Quelle est votre approche de cette période ?
Mme Florence Lassarade. - La migraine concerne une personne sur cinq. Le migraineux a de nombreuses astuces pour éviter de déclencher la migraine ; il apprend à connaître sa maladie. L'électrostimulation fonctionne-t-elle ? Pourrions-nous envisager des appareils portatifs en autoconsommation chez le patient ? Enfin, vous êtes-vous intéressés à la douleur chronique de l'enfant, notamment pour les maladies rhumatismales ?
Mme Émilienne Poumirol. - Je voudrais insister sur la formation des médecins. Vous dites avec raison qu'un médecin généraliste, avec une consultation passée très récemment à 26,5 euros, n'a pas le temps de réaliser ce questionnaire. Avec la pénurie de médecins, les patients à prendre en charge sont de plus en plus nombreux. Les centres de douleur chronique sont en nombre très réduit. Comment mieux intégrer ces données dans le cursus universitaire normal pour que les médecins généralistes qui sont en première ligne puissent plus facilement orienter les patients ?
Mme Catherine Deroche , présidente. - Vous êtes-vous intéressés aux douleurs de covid long ?
Dans l'un de vos articles, vous évoquez les traitements du tremblement essentiel ou de la maladie de Parkinson avec des appareils portatifs qui diminuent considérablement les tremblements. Or les pouvoirs publics éprouvent des difficultés à intégrer dans la cotation des actes des techniques nouvelles. Cette difficulté existe tant pour les médicaments que pour les dispositifs innovants. Il est important de se pencher sur le sujet. Derrière leur coût, ces techniques présentent des résultats considérables, ne serait-ce que d'un point de vue financier. Le coût social des douleurs chroniques est particulièrement élevé et les conséquences d'un traitement médicamenteux au long cours sont très importantes. Nous devons vraiment insister sur le sujet dans les prochains mois pour pousser une modernisation des nomenclatures. Nous constatons la même inertie dans l'accompagnement des tests pour le traitement des cancers.
Pr Valeria Martinez. - La fin de vie ne constitue pas le quotidien des structures de la douleur. Sur les 277 structures en place, la moitié s'occupe des douleurs de cancer et des douleurs chroniques. L'expertise de la SFETD peut cependant aider à apporter des solutions dans ces douleurs réfractaires, notamment l'accès aux techniques comme l'analgésie intrathécale, qui permettraient de réduire la demande de sédation profonde. D'autres techniques ont été recommandées en 2013 par les sociétés savantes. La neurolyse de certains ganglions permet d'endormir les nerfs dans certaines régions et de diminuer les douleurs. Dans notre rapport, nous posons cette question : les patients en fin de vie se sont-ils vu proposer ces techniques ?
Mme Annick Jacquemet. - Ces techniques existent. Les patients y ont-ils accès ? Les structures de soins palliatifs les mettent-elles en oeuvre ?
Pr Valeria Martinez. - Il faut de l'organisation. Actuellement, 150 000 patients meurent d'un cancer tous les ans. Parmi eux, 4 500 patients sont atteints de douleurs réfractaires et pourraient bénéficier de ces techniques. Or 300 pompes intrathécales sont posées, soit un patient sur dix. Les techniques ne sont pas assez connues, les médecins sont insuffisamment formés. Aujourd'hui, 30 médecins posent ces pompes en France. Il faut former les médecins, suivre les patients et valoriser le suivi de ces pompes. Pour l'instant, les patients doivent revenir à l'hôpital pour remplir ces pompes alors que nous pourrions organiser le remplissage à domicile.
Dr Valérie Ertel-Pau. - Toutes les techniques évoquées sont recommandées dans les travaux de la HAS sur cette question. En 2018 et 2020, nous avons travaillé sur l'antalgie des douleurs rebelles dans ces indications. La question concerne avant tout l'accès et la mise en oeuvre.
Dr Marc Lévêque. - Les douleurs cancéreuses ne sont pas suffisamment bien prises en charge. Les patients n'ont pas accès à toutes les techniques. L'accès à la pompe à morphine est 50 fois plus élevé du côté d'Angers qu'à la Pitié-Salpêtrière où une à deux pompes sont posées par an par exemple. L'inégalité géographique est très importante et s'y ajoute la répartition des lits de soins palliatifs, elle aussi inégale. N'étant pas en mesure d'offrir un soulagement efficace de la douleur, la solution de facilité consisterait à mettre fin à la vie alors que nous pourrions mettre fin aux souffrances.
Dr Valérie Ertel-Pau. - La Haute Autorité de santé a émis des recommandations sur la douleur dans le cadre des symptômes prolongés de la covid-19 et un parcours sera défini par la suite. Sur la pédiatrie, nous allons décliner notre parcours douleur chronique chez l'enfant et l'adolescent.
Pr Valeria Martinez. - Très peu de centres s'occupent de douleur chez l'enfant. Seuls 15 centres sont spécialisés en France, et il n'en existe pas dans toutes les régions. Les pédiatres ont récemment lancé un cri d'alarme. Le post-Covid a entraîné beaucoup de souffrance psychique dans les familles. Les enfants qui ne vont pas bien ont mal. Les listes d'attente des enfants dans les centres de la douleur sont passées de quelques semaines jusqu'à six mois en Ile-de-France.
Dr Marc Lévêque. - La neuromodulation peut aider sur la migraine. Un bandeau de neuromodulation est commercialisé. L'espoir vient surtout de la médication et des anticorps anti-CGRP, mais là encore avec un problème d'accès. Ces thérapies sont seulement accessibles sur réserve hospitalière.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup pour toutes les pistes que vous avez dégagées lors de cette audition. Ce sujet touche beaucoup de nos concitoyens et a des impacts considérables que nous avons un peu tendance à négliger.Merci à tous pour ces échanges.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 17 h 40, est reprise à 17 h 45.
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
Projet de loi pour le plein emploi - Suite de l'examen du rapport et du texte de la commission
Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons l'examen du projet de loi pour le plein emploi avec l'examen des articles du texte.
EXAMEN DES ARTICLES
Avant l'article 1er
Les amendements COM-110 rect. et COM-121 ne sont pas adoptés.
Article 1er
Les amendements COM-122 et COM-254 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-181 est adopté.
L'amendement COM-253 devient sans objet.
Les amendements COM-255, COM-19 et COM-256 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-182, COM-183 et COM-73 rect. bis sont adoptés.
Les amendements COM-1 rect. et COM-176 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-184 est adopté.
L'amendement COM-76 n'est pas adopté.
Les amendements COM-185 et COM-186 sont adoptés.
Les amendements COM-20 rect. bis, COM-26 rect. et COM-77 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-187 et COM-188 sont adoptés.
Les amendements COM-78 et COM-177 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-190, COM-189 et COM-191 sont adoptés.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 2
Les amendements COM-123, COM-257 et COM-93 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-192 rect. est adopté.
Les amendements COM-21, COM-112, COM-249, COM-22, COM-27 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-193 est adopté.
Les amendements COM-23 et COM-28 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-194, COM-195 et COM-196 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-35 rect. devient sans objet.
Les amendements COM-197 et COM-198 sont adoptés.
L'amendement COM-79 rect. n'est pas adopté.
Les amendements COM-199 et COM-70 rect. bis sont adoptés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 2
L'amendement COM-268 n'est pas adopté.
Article 3
Les amendements COM-118, COM-258, COM-265 et COM-266 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-200 est adopté.
L'amendement COM-124 n'est pas adopté.
Les amendements COM-201, COM-202, COM-203, COM-204, COM-205 et COM-206 sont adoptés.
L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 3
Les amendements COM-271 rect., COM-243 rect. bis et COM-94sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 4
Les amendements COM-119 et COM-259 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-207, COM-208, COM-89 rect. bis et COM-209 sont adoptés.
Les amendements COM-80 et COM-81 rect. ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-210, COM-212, COM-211 COM-213 et COM-180 sont adoptés.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je vous propose l'amendement COM-214, qui vise à supprimer la charte d'engagements. Son adoption ferait tomber les amendements COM-61 rect., COM-126, COM-2 rect., COM-82 rect. COM-113 rect. bis, COM-250 rect., COM-260, COM-111 rect. et COM-125, COM-100 rect., COM-7 rect., COM-85 rect., COM-114 rect bis, COM-251 rect., COM-99 rect. et COM-133.
Mme Émilienne Poumirol, sénatrice. - Madame le rapporteur, les modalités de fonctionnement de cette réunion nous interrogent. Nous avons déposé un certain nombre d'amendements de suppression et nous comprenons que vous ne vous attardiez pas sur eux. Ici, l'adoption de votre amendement en ferait tomber seize, mais je tiens à souligner que nous sommes en accord avec certaines de vos propositions sur la gouvernance ou le rôle du président du conseil départemental, par exemple.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Votre position sera mentionnée dans le compte rendu de la réunion.
L'amendement COM-214 est adopté.
Les amendements COM-61 rect., COM-126, COM-2 rect., COM-82 rect., COM-113 rect. bis COM-250 rect., COM-260, COM-111 rect. et COM-125 deviennent sans objet.
Les amendements COM-215, COM-217 et COM-216 sont adoptés.
Les amendements COM-83 rect., COM-29 rect. et COM-65 rect. ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-218 est adopté.
Les amendements COM-24 rect., COM-154, COM-96, COM-261, COM-127 et COM-3. ne sont pas adoptés.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - J'émets un avis défavorable sur l'amendement COM-128, qui tend à préciser la composition des comités départementaux France Travail. En effet, je ne souhaite pas que cette composition soit figée dans la loi, mais qu'elle soit précisée par décret, en laissant des marges de manoeuvre à chaque comité. Dans le cas contraire, nous risquerions d'omettre certains acteurs qui y auraient leur place.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Cet amendement, suggéré par Régions des France, propose de s'appuyer sur la composition du Crefop. Il n'y a donc pas de risque que soient oubliées des parties prenantes.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Le Crefop est un organisme de niveau régional. Or, je considère toujours que plus on descend au niveau local, mieux c'est, et surtout pour les personnes les plus éloignées de l'emploi.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Le projet de loi positionne France Travail à la fois en tant qu'opérateur et chef de file du réseau. Selon nous, l'opérateur ne doit pas participer à la gouvernance. Nous proposons donc ici de clarifier le rôle de chacun.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je vous rejoins sur le fait que Pôle emploi ne doit pas être au sommet du réseau, mais rester au même niveau des missions locales et de Cap emploi. Pour autant, cet amendement n'ajoute rien au texte et y introduit de la confusion.
L'amendement COM-128 n'est pas adopté.
Les amendements COM-98 et COM-219 sont adoptés.
Les amendements COM-59, COM-129, COM-84, COM-4, COM-130 et COM-60 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-100 rect. devient sans objet.
Les amendements COM-131 rect., COM-132 et COM-6 ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-7 rect. COM-85 rect., COM-114 rect. bis, COM-251 rect., COM-99 rect. et COM-133 deviennent sans objet.
Les amendements COM-8 rect., COM-263 et COM-134 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-62 rect. devient sans objet.
Les amendements COM-135 COM-9, COM-86 rect., COM-155, COM-66 rect., COM-177 et COM-87 rect ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-220 est adopté.
Les amendements COM-10 rect. et COM-136 ne sont pas adoptés.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'amendement de suppression COM-137 n'est pas adopté.
L'amendement COM-221 est adopté.
L'amendement COM-139 n'est pas adopté.
Les amendements COM-222, COM-90 rectifié bis et COM-223 sont adoptés.
L'amendement COM-178 n'est pas adopté.
Les amendements COM-224, COM-225 et COM-226 sont adoptés.
Les amendements COM-138 et COM-11 rectifié ne sont pas adoptés.
L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 6
Les amendements de suppression COM-88 rectifié et COM-120 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-140 n'est pas adopté.
L'amendement COM-227 est adopté.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 7
L'amendement de suppression COM-157 n'est pas adopté.
Les amendements COM-141 et COM-12 rectifié ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-229, COM-228 et COM-230 sont adoptés, de même que les amendements COM-13 rectifié et COM-142.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 7
Les amendements COM-16 rectifié, COM-145, COM-17 rectifié, COM-146, COM-31 rectifié ter, COM-32 rectifié ter et COM-95 rectifié quater sont déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Article 8
Les amendements COM-72 rectifié bis COM-71 rectifié bis et COM-231 sont adoptés.
Les amendements COM-25 rectifié bis et COM-148 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-232 est adopté.
Les amendements COM-30 rectifié et COM-67 rectifié bis ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-233 et COM-234 sont adoptés.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 8
L'amendement COM-68 rectifié est adopté et devient article additionnel.
L'amendement COM-69 rectifié n'est pas adopté.
Article 9
L'amendement COM-235 est adopté.
L'amendement COM-149 rectifié n'est pas adopté.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Après l'article 9
Les amendements COM-115 rectifié bis et COM-252 rectifié ne sont pas adoptés.
Article 10
L'amendement de suppression COM-150 n'est pas adopté.
L'amendement COM-236 est adopté.
Les amendements COM-101 rectifié, COM-151, COM-63 rectifié, COM-103 rectifié et COM-245 rectifié bis deviennent sans objet.
L'amendement COM-238 est adopté.
L'amendement COM-104 rectifié devient sans objet.
Les amendements COM-240 rectifié ter, COM-64 rectifié, COM-102 rectifié, COM-244 rectifié bis, COM-38 rectifié et COM-158 rectifié ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-156 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Les amendements COM-74 rectifié bis, COM-116 rectifié et COM-39 rectifié ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-237 est adopté.
Les amendements COM-105 rectifié, COM-106 rectifié, COM-41 rectifié, COM-160 rectifié, COM-159 rectifié, COM-40 rectifié, COM-36 rectifié et COM-161 rectifié ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-109 rectifié et COM-248 rectifié bis sont déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-108 rectifié n'est pas adopté.
L'amendement COM-239 est adopté.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Les amendements COM-242 rectifié bis et COM-270 rectifié visent à inclure un maire d'une commune peu dense ou très peu dense au sein de chaque comité départemental des services aux familles. Considérant que le bloc communal est déjà représenté au sein des comités départementaux des services aux familles, j'émets un avis défavorable.
M. Laurent Burgoa. - Au-delà de la seule représentation du bloc communal au sein de ces comités, mon amendement visait à y faire représenter spécifiquement les maires de communes rurales. L'accueil du jeune enfant est au coeur des problématiques rencontrées par les ménages ruraux : il me semble normal que les maires de communes peu denses ou très peu denses, ou leurs représentants, puissent figurer dans ces comités.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Il y aurait alors un difficile enjeu de sélection des maires concernés.
Les amendements COM-242 rectifié bis et COM-270 rectifié ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-34 rectifié, COM-170 rectifié, COM-52 rectifié, COM-42 rectifié, COM-43 rectifié, COM-44 rectifié, COM-162 rectifié, COM-45 rectifié, COM-163 rectifié, COM-46 rectifié et COM-164 rectifié sont déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Les amendements COM-47 rectifié et COM-165 rectifié ne sont pas adoptés.
Les amendements COM-50 rectifié, COM-168 rectifié, COM-53 rectifié, COM-171 rectifié, COM-54 rectifié, COM-172 rectifié, COM-55 rectifié, COM-173 rectifié, COM-56 rectifié, COM-174 rectifié, COM-58 rectifié et COM-241 rectifié bis sont déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Article 11
L'amendement COM-153 rectifié n'est pas adopté.
L'article 11 est adopté sans modification.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
TABLEAU DES SORTS
La réunion est close à 18 h 40.