Mercredi 28 juin 2023
- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
M. Rémy Pointereau, président. - Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir bien voulu accepter notre invitation à venir échanger avec les membres de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, qui travaille depuis le mois de février et devrait rendre son rapport le 11 juillet prochain.
Cette mission a été lancée au Sénat en février dernier, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Tous les groupes politiques y sont représentés, afin de garantir une approche transpartisane du sujet, comme nous le faisons habituellement au Sénat.
L'enjeu n'est pas seulement de réfléchir à la gestion des crises, qui sont de plus en plus nombreuses et fréquentes, comme nous l'avons constaté avec la sécheresse de 2022 et de nouveau cette année - en effet, malgré quelques épisodes pluvieux, les nappes phréatiques n'ont toujours pas retrouvé leurs niveaux habituels -, nous nous mobilisons également pour analyser l'architecture générale de la politique de l'eau en France, ses aspects quantitatifs et qualitatifs, les menaces à long terme que fait peser le changement climatique, et envisager des solutions pour éviter d'être pris de court.
Le président de la République a proposé voilà deux mois un Plan eau qui comprend 53 mesures, promeut la sobriété et prévoit des dispositions financières ainsi qu'un renforcement de la gouvernance de l'eau. Ce plan a été globalement bien accueilli par les acteurs et les experts du domaine, même si certains d'entre eux regrettent les faibles moyens alloués. Il reste à passer maintenant à la phase de mise en oeuvre.
Nous avons voulu vous entendre avant de terminer nos travaux, pour échanger sur le Plan eau et sa déclinaison, mais aussi sur l'opportunité de construire de nouvelles retenues à usage agricole ou encore de mieux protéger la ressource des nouveaux polluants.
Je vous propose de vous laisser la parole pour une présentation générale de 10 à 15 minutes, puis viendront les questions des membres de la mission ; mais, avant de vous céder la parole, notre rapporteur va s'exprimer.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre disponibilité et de votre présence à l'issue de nos travaux ; nous vous en savons gré. Nous souhaitions en effet avoir ce temps d'échange avant la remise de notre rapport au cours des prochains jours.
Le Plan eau fixe une feuille de route pour aller vers plus de sobriété et réduire la conflictualité autour de la gestion de l'eau. Nos déplacements sur le terrain nous ont en effet montré que certaines situations méritaient une attention particulière.
Le sujet de la gestion de l'eau était, jusqu'à aujourd'hui, un sujet d'initiés. Depuis quelques mois, cependant, elle jaillit au centre des controverses, renforçant ainsi son ancrage politique. Je m'en réjouis, malgré la crainte de ne pas avoir pris la juste mesure des bouleversements qui nous attendent et au sujet desquels vous êtes régulièrement intervenu. Les conflits liés à l'eau se multiplient, les craintes de pénurie se concrétisent dans certains territoires, avec des mesures de restrictions qui deviennent quasi permanentes, étant donné la sécheresse hivernale que nous avons traversée.
Dès lors, que faire ? Comment agir ? Le rapport Retour d'expérience sur la gestion de l'eau lors de la sécheresse 2022 recommande d'anticiper davantage, de donner aux préfets et services de l'État un cadre d'action plus homogène, tout en permettant une nécessaire différenciation territoriale. Il a mené à la publication d'un nouveau guide, que nous avons étudié avec précision.
Une politique de l'eau durable et résiliente ne se résume pas à la gestion de crise ; les réponses doivent aussi être structurelles. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, des précisions sur les solutions envisagées pour mieux retenir l'eau naturellement dans nos sols et nos sous-sols. Faut-il protéger davantage les zones humides ? Notre rapport formulera sans doute des préconisations, notamment au sujet des documents d'urbanisme. À quelles conditions peut-on retenir l'eau, lorsqu'elle est abondante, pour mieux l'utiliser ? Cette question contient celle des retenues à usage agricole, ainsi que la relance éventuelle d'une politique de retenue multiusage, puisque cette approche est aujourd'hui essentielle. Comment faire face aux polluants nouveaux, ainsi qu'aux polluants anciens mais persistants dans l'environnement ? Doit-on renforcer les normes de rejet, ou prévoir des interdictions, ce qui suppose d'élargir le nombre de zones de captages prioritaires ?
Comment améliorer les services d'eau et d'assainissement ? Les aides financières dont bénéficient les collectivités gestionnaires de services, pour lutter contre les fuites ou mettre aux normes les stations d'épuration, n'ont-elles pas été trop réduites ? Les propositions du Plan eau sont partielles, il nous faut donc chercher des solutions plus complètes.
La question de la tarification sociale de l'eau, qui fut également soulevée par le Plan eau pourrait faire l'objet de travaux confiés au Conseil économique social et environnemental (CESE) et au Parlement. Il serait également utile d'avoir un groupe de travail national, car le sujet est complexe, normatif et législatif.
L'absence de visibilité sur les concessions hydroélectriques peut nuire aussi à la bonne gestion multiusage des retenues, notamment en montagne. La question est centrale pour certains bassins, notamment celui qui me concerne, le bassin Adour Garonne.
Enfin, les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) semblent constituer l'instrument privilégié de concertation sur les territoires. Nous partageons cette vision. Êtes-vous aujourd'hui satisfait de leur avancement ? Lorsque les PTGE ne sont pas bien lancés, qu'ils ne remplissent pas les conditions en amont, ils soulèvent de nombreuses questions. Des retours d'expériences doivent déjà alimenter les réflexions autour du Plan eau.
M. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, compte tenu de vos propos liminaires exhaustifs, je vais me limiter à présenter les origines du Plan eau. Nous passerons ensuite à vos questions dans lesquelles je vois un complément à la présentation du 30 mars dernier.
Avant le Plan eau, des actions avaient déjà été menées : le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique, des assises... Bien qu'elles aient permis à la problématique de l'eau d'entrer dans le débat public, elles n'ont pas été au bout de la logique, en ce qu'elles ont fixé des principes sans en préciser les modalités d'application. Par exemple, nous sommes tombés d'accord sur la nécessité de faire preuve de sobriété, mais, au lieu d'en faire un objectif territorialisé et d'en définir des moyens, nous nous sommes contentés de grandes orientations.
L'année 2022 a joué le rôle de révélateur à bien des égards. Le mois de juillet a marqué un déficit en eau de 88 % et fut donc le plus sec jamais enregistré. Il a surtout accentué des déficits en eau qui existaient déjà, sans être visibles, depuis le début de l'année. De là, une situation unique : des arrêtés dans 93 départements, dont 75 n'autorisaient plus que l'eau potable. Nous avons également des chiffres inhabituels : plus de 700 communes privées d'eau potable, dont un peu moins de 400 ont été ravitaillées par citernes et près de 180 par bouteilles.
À ces éléments s'ajoute la statistique persistante de 44 % des masses d'eau en bon état écologique. De quoi conclure que nous rencontrons des difficultés aussi bien sur la quantité que sur la qualité de notre eau.
Dès la fin de l'été 2022, un travail a été lancé sous l'égide du Comité national de l'eau (CNE), en étroite liaison avec les comités de bassins. Monsieur le président, vous avez affirmé que ce rapport avait reçu un accueil favorable ; cela s'explique par la participation d'une grande partie des parties prenantes à sa rédaction. Mes services et moi-même avons simplement permis de synthétiser les remarques et d'obtenir les arbitrages à l'origine des 53 mesures pour répondre aux différentes problématiques soulevées.
Ces mesures découlaient de quatre grands objectifs :
- exclure toute alternative à l'objectif de sobriété, ce qui suppose l'évolution de certains usages ;
- sortir de la culture de l'abondance et optimiser l'utilisation des eaux par le traitement des eaux usées, des eaux grises et la prévention des fuites afin de ne pas gaspiller la ressource ;
- s'emparer de la question de la qualité de l'eau - il n'est pas normal que tant de secteurs ne disposent d'aucun plan de gestion, notamment quant aux captages - ;
- et sortir de l'infantilisation des agences au travers de « plafonds mordants » pour les dépenses et de plafonds pour les recettes, qui entravent l'action, alors même que nous estimons que ces questions relèvent de compétences locales.
Le 30 mars 2022, un assouplissement des modes de gestion fut décidé, afin que l'intercommunalité ne soit pas le seul échelon de la gestion mais que des réalités topographiques puissent être prises en compte. Cet assouplissement et ces mesures ont constitué le Plan eau.
Je puis désormais répondre directement à vos questions.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous allons approfondir certaines questions soulevées par nos auditions et visites de terrain.
Vous abordiez la question de la sobriété et l'objectif des 10 % d'eau prélevée fixé par le Plan eau. Pouvez-vous nous repréciser vos objectifs concernant le secteur agricole ? Vous ne semblez pas toujours aligné avec le ministre de l'Agriculture sur ces sujets ; une clarification est donc bienvenue.
Nous parlions aussi des zones humides, de la nécessité d'améliorer la qualité des sols et de voir de quelle manière cette perméabilisation des sols peut être rendue durable. Bien sûr, les pratiques auront un rôle à jouer, mais, au-delà, des évolutions seront peut-être à négocier dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Aujourd'hui, des pistes de travail émergent sur l'inscription de la gestion de l'eau et du pluvial dans les documents d'urbanisme, afin de rendre cette gestion plus stratégique, mais elles ne sont pas reprises dans les propositions que vous avez pu faire. Souhaiteriez-vous nous accompagner sur le renforcement que nous proposons au sujet des documents d'urbanisme ?
Vous avez également mis sur la table un autre chantier important : la révision des redevances. Où en sont les travaux sur ce sujet ? Êtes-vous déjà en situation d'arbitrage ? Comment la politique des moyens va-t-elle être mise en oeuvre et selon quel échéancier, par rapport aux nouveaux plans des agences prévus pour 2024 ? Serons-nous en mesure d'accompagner les mesures les plus fortes ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Il n'y a pas d'agriculture sans eau, il faut le dire avec force, et il faut arrêter de penser qu'un usage agricole de l'eau constitue un accaparement. Personne ne conteste le besoin en eau pour boire et personne ne devrait contester non plus le besoin en eau pour se nourrir. L'objectif est bien entendu de développer des usages qui évitent le gaspillage, mais je refuse toute vision simpliste.
Ce que disent les experts, c'est que chaque année, 500 milliards de mètres cubes d'eau tombent sur le territoire français et que cette quantité restera, semble-t-il, constante dans les années à venir. L'évapotranspiration et l'absorption par les plantes nous en laissent aujourd'hui entre 160 milliards et 200 milliards, sur lesquels nous prélevons 33 milliards de mètres cubes et consommons 5 milliards. Mais ce solde de 160 milliards risque de baisser. En raison de l'augmentation moyenne de la température, une partie n'atteindra plus nos cours d'eau, tandis qu'une autre sera absorbée par une végétation plus dense.
La réduction de l'eau prélevable n'est pas soumise à l'alternance politique ou à l'orientation des gouvernements. C'est une réalité à laquelle devront se soumettre tous les acteurs, y compris les agriculteurs. Il n'existe donc aucun modèle qui puisse se passer d'une forme de sobriété à l'hectare, même si la part d'eau réservée à l'agriculture peut faire l'objet de discussions.
La France a de fantastiques réserves. Seuls 8 % de nos espaces agricoles sont irrigués par goutte-à-goutte. Bien entendu, l'augmentation des températures, indépendamment de toute loi, provoquera des évolutions dans les pratiques agricoles. Le président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) m'a ainsi confirmé que, depuis l'été 2022, des milliers d'exploitants avaient déjà modifié leurs pratiques par anticipation des prochaines difficultés. Il est donc nécessaire de trouver des moyens de mieux tenir compte des sols et du climat dans nos modes de culture, mais aussi de faire évoluer nos modèles vers plus de sobriété à l'hectare.
Attention toutefois aux raccourcis. L'accent est souvent mis sur les cultures gourmandes en eau l'été, puisque c'est à ce moment que se produisent les conflits d'usage. Mais les cultures d'été ne sont pas systématiquement les plus consommatrices d'eau ; certaines cultures d'hiver présentent aussi de grands besoins en eau, mais sans engendrer de difficultés puisque les pluies sont alors abondantes. Si les sécheresses hivernales venaient à se multiplier, le regard que l'on porte sur ces cultures pourrait changer. De plus, l'eau ne profite pas seulement à nos cultures, mais aussi à la biodiversité. En arrosant des surfaces en été, vous faites pousser des semences et permettez à la vie abritée par celles-ci de se développer.
Il nous faut donc trouver un moyen de sécuriser notre agriculture, car elle nous nourrit, par une sobriété mais aussi par des investissements, notamment dans le domaine du goutte-à-goutte. C'est pourquoi le Plan eau inclut des dispositifs de soutien à ce type de pratiques.
Vous avez évoqué la question des captages. Tout est lié : si le niveau de nos cours d'eau baisse mais que la quantité de résidus reste constante, les taux de résidu dans l'eau augmenteront, ce qui conduira, à droit constant, à la fermeture de captages. Je ne fais pas là une prédiction, mais je formule une anticipation qui me semble inéluctable. Notre engagement consiste à doter chaque plan de captage d'un plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSE), qui permette au préfet de fixer le taux de résidu jugé « à risque » pour la santé humaine et à partir duquel la captation est suspendue. De là une autre question : comment faire pour ne pas faire dépendre trop de services d'eau d'un seul point de captage ? C'est peut-être une manière moins polémique de poser la question de la gestion par les communes isolées de leurs systèmes d'eau. Que ce soit sur la disponibilité ou sur la qualité de l'eau, avoir trop de services rattachés à un seul point entraîne une fragilité qui contredit tous les dispositifs de sécurisation ou d'interconnexion que nous souhaitons mettre en oeuvre.
Je le répète : tout est lié. Nos nappes phréatiques constituent la meilleure retenue qui soit. La volonté du Sénat de répartir différemment la consommation foncière dans le cadre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN), sans remettre en cause son objectif, contribue à la restauration d'un cycle de l'eau vertueux. Lutter contre l'artificialisation permet de préserver la capacité de nos sols à absorber et à stocker dans nos nappes phréatiques une eau qui nous est nécessaire et qui, ainsi, s'évapore moins que les eaux de surface. Une politique fluviale ambitieuse doit reposer sur une limitation de l'artificialisation, qui accélère les écoulements et bouche les nappes phréatiques.
Certes, ce n'est pas sur l'usage des eaux pluviales que notre pays est aujourd'hui le mieux armé. La culture de l'abondance nous a conduits à écarter le recours à l'eau pluviale dans nombre d'usages domestiques. Or, une optimisation de l'utilisation de nos eaux passe bien entendu par le réemploi des eaux usées. Dans les zones littorales, ce réemploi est très efficace et empêche le rejet en mer des eaux usées ; mais à l'intérieur des terres, ces eaux sont en partie rejetées dans le milieu, car elles servent à d'autres usages tout au long des cours d'eau. Néanmoins, à l'intérieur des terres, l'eau de pluie ou l'eau grise pourraient alimenter des toilettes, par exemple, afin de ne pas gaspiller de l'eau potable. De plus, ces eaux n'auraient pas à être rendues potables, ce qui permettrait une économie d'énergie. Les axes d'amélioration sont donc clairs.
Le Plan eau, qui s'adresse à de nombreux secteurs, fait date par son ampleur et son ambition, mais il ne sera pas le dernier sur la question. Des améliorations devront encore être apportées. La généralisation de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) est récente. Cette prise de compétences par les collectivités devra se poursuivre et s'affiner dans les années à venir.
S'agissant des redevances, le CNE a publié le 5 mai dernier un avis qui propose de faire évoluer les dispositifs existants. La semaine prochaine, j'irai à la rencontre des présidents des comités de bassins pour leur communiquer les évolutions envisagées. Je vous transmettrai donc une contribution écrite après cette rencontre, afin de vous tenir informés. Vous connaissez déjà les grandes lignes de ces conclusions, ainsi que les montants alloués et notre volonté de débattre de cette question dès le projet de loi de finances (PLF) pour 2024.
M. Jean Bacci. - Il n'y a pas de petites économies, tout est bon à prendre. Aujourd'hui, on sait que la forêt joue un rôle fondamental dans la qualité de l'eau, mais aussi que les arbres pompent et font évaporer cette eau. À Grimaud, l'entreprise Home Atmospheric Water a mis en place un procédé qui permet, à partir de l'humidité de l'air, de récupérer de l'eau, dont le caractère potable est actuellement étudié. Cette solution peut aider les communes qui souffrent de pénuries et sont alimentées par des bouteilles d'eau. Elle se présente aujourd'hui sous la forme d'un caisson qui produit 5 000 litres d'eau par jour, une quantité qui peut être augmentée à l'avenir. La société a également une capacité d'embouteillage de 50 000 bouteilles par jour. Je ne sais pas si vous connaissiez cette solution.
Par ailleurs, avec l'énergie renouvelable éolienne ou photovoltaïque, production et consommation ne sont pas toujours concomitantes. Or le Verdon présente une succession de cinq barrages, dont certains sont dotés d'une turbine inverse qui permet de « remonter » l'eau. L'électricité produite mais non consommée pourrait être envoyée au barrage pour remonter de l'eau, afin de lui permettre de produire de l'électricité lorsque celle-ci est nécessaire. Aujourd'hui, ce dispositif est possible techniquement, mais non réglementairement.
M. Christophe Béchu, ministre. - J'ai en effet parcouru des dépliants de sociétés spécialisées dans la production d'eau potable à partir de condensation, selon plusieurs volumes et dans plusieurs pays, notamment en Afrique. Sur ce sujet, j'ai lu, il y a quelques semaines, une étude scientifique qui démontrait qu'une hausse d'un degré de la température augmentait de 7 % la concentration d'eau disponible dans l'air.
Cette solution est néanmoins très énergivore. Elle est intéressante, car elle constituerait une formidable solution d'appoint pour les zones privées d'eau potable en période estivale, mais, hors crise, notre modèle ne peut reposer sur ce dispositif. Je me montre aussi prudent sur les usines de désalinisation de l'eau de mer, dont le coût énergétique est élevé. Ces dernières peuvent aussi, si elles sont mal réglées, amener de l'infiltration d'eau de mer à l'intérieur des terres, avec de la saumure qui contamine une partie des cultures. Par conséquent, dans des zones comme Mayotte, où les surfaces agricoles nécessitant une irrigation sont rares, où 85 % de la consommation d'eau est celle d'eau potable par la population, où la saison des pluies n'a pas lieu et où la population est deux fois supérieure aux capacités des installations actuelles, la question de l'implantation d'usines de désalinisation doit obligatoirement se poser, mais, en France continentale, en revanche, à l'instant présent, cela ressemble à une « fausse bonne idée ». Je crois davantage à des solutions d'innovations techniques.
Dans ce prolongement, j'ai été invité à visiter la société que vous avez mentionnée, à Grimaud, par des sénateurs. M. Chevrollier m'a également suggéré d'étudier la possible réutilisation de l'eau des carrières. J'aime cette approche qui consiste à se demander s'il n'existe pas des gisements, des lieux, des méthodes, auxquels nous ne pensons pas et sur lesquels nous devrions porter notre attention. Même s'ils ne constituent pas une solution miracle, ils nous inscrivent dans une réflexion d'économie. Passer d'une logique de l'abondance à une recherche de solutions de substitution marque une première victoire dans la bataille culturelle qu'il nous faut mener. Je vous remercie donc pour ces témoignages et ces présentations.
Mme Florence Blatrix Contat. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué la notion de sobriété, notamment au sujet de l'agriculture, mais celle-ci va concerner également les particuliers. Pour viser la sobriété, il est nécessaire de bien connaître sa consommation. Or, de nombreuses copropriétés ne sont pas encore équipées de compteurs individuels, car l'assemblée générale des copropriétaires ne s'est pas exprimée en faveur de leur installation. Envisagez-vous de rendre les compteurs individuels obligatoires ? De même, les compteurs dans les territoires ruraux ne sont parfois relevés qu'une fois par an. Envisagez-vous de généraliser la télérelève et, si oui, à quelle échéance ?
Vous avez également évoqué le transfert obligatoire de la compétence « eau », aux intercommunalités. Lors de nos rencontres, les élus nous font part de nombreuses interrogations à ce sujet. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur les options que vous envisagez ?
Vous nous avez expliqué qu'un captage unique est risqué, car il peut faire l'objet de pollution diffuse. Un développement des interconnexions sera nécessaire. L'État va-t-il accompagner les collectivités sur les interconnexions ? Idéalement, 3 % des surfaces agricoles seraient comprises dans une aire de captage, la moins polluée possible. Mon collègue évoquait les deux vagues de désignation de 500 captages prioritaires sur les 35 000 captages français, ce qui est peu. Comment pensez-vous accompagner l'agriculture vers une politique de captage avec un risque de pollution diffuse moindre, voire nul ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je ne souhaitais pas évacuer la question des captages en parlant de leur multiplication, je soulignais juste que le Plan eau permettait de doter chaque captage d'un dispositif fixant un seuil au-delà duquel il est mis à l'arrêt. L'enjeu est bien d'accompagner des évolutions vers une agriculture biologique ou de l'agroécologie sur ces points de captages. Pour ce faire, un financement spécifique complémentaire de plusieurs dizaines de millions d'euros est prévu. Aujourd'hui, la lutte contre les pollutions agricoles représente déjà un peu moins de 10 % des moyens des agences de l'eau, soit 200 millions d'euros sur les 2,5 milliards d'euros que nous dépensons. Néanmoins, notre action doit être globale. Le PGSE établi avec le préfet constitue le plus grand garde-fou, mais doit s'accompagner de politiques intermédiaires qui nous permettent d'évoluer vers de bonnes pratiques, ainsi que du plan Écophyto, qui prévoit une politique nationale de diminution des intrants dont on connaît la nocivité. Sur toutes ces questions, nous présenterons des propositions le 11 juillet prochain, jour du comité Ecophyto sous le patronage de la Première ministre. Pour conclure sur les captages, des moyens budgétaires sont disponibles pour accompagner une réflexion nationale et européenne, et mettre en place un dispositif de suivi.
S'agissant de votre question sur le transfert des compétences « eau » aux intercommunalités, le droit existant le fixe à l'horizon 2026. Le Sénat a relayé l'hostilité à l'égard de ce transfert qui existe dans le pays. Aujourd'hui, la France compte 11 000 services gestionnaires d'eau potable. Plus de la moitié des Français sont déjà couverts par des services intercommunaux, mais la profusion entraîne tout de même des difficultés. Le risque de rupture d'eau potable et le taux de fuites sont corrélés à la taille moyenne du service. Ainsi, parmi les 700 communes privées d'eau potable au cours de l'été 2022, 500 faisaient de la gestion isolée. De même, parmi les 170 communes qui présentent des taux de fuite supérieurs à 50 %, 114 sont en gestion isolée. La raison en est que, lorsqu'une commune gère son eau seule, une partie des travaux est plus complexe à conduire.
L'État aide à réparer les fuites et finance les interconnexions ; il consacre à la lutte contre les fuites 180 millions d'euros par an sur les 475 millions d'euros fléchés par le Plan eau. Mais, de l'octroi de ces fonds doit découler une garantie que les travaux menés seront durables. En effet, souvent, les zones où le prix de l'eau est peu élevé ne réalisent pas les travaux nécessaires, pour ne pas provoquer d'augmentation de ce prix ; cet arbitrage est fait au détriment de la sécurisation de l'eau potable ou de la bonne gestion de cette ressource. En somme, un prix bas de l'eau n'est pas signe de bonne gestion, à la différence d'autres services publics. Certains territoires présentent des topographies particulières ou des densités très faibles qui impliquent des longueurs de tuyaux importantes ; ceux-là ont besoin d'un soutien, d'une solidarité, qui doivent supposer de leur part des garanties de sécurisation de l'eau potable et de lutte contre les fuites. C'est la question des interconnexions.
La proposition de loi sénatoriale visant à permettre une gestion différenciée de la compétence « Eau et Assainissement » est arrivée à l'Assemblée nationale. Elle n'a pu, dans une journée un peu particulière, aller au terme de son examen parce qu'elle avait été placée en sixième position dans la niche. J'ai tenté de la faire remonter dans l'ordre d'examen, car elle comprenait deux mesures importantes. D'abord, elle tenait compte de la position exprimée par tous les départements de France de sécuriser la possibilité de financer les interconnexions et d'accompagner les communes. Nous avons donné notre accord à cette mesure - qui correspond à la mesure 35 des 53 que compte le Plan eau -, mais n'avons pas eu le temps de la faire voter, alors même qu'elle faisait l'unanimité. Ensuite, elle interdisait la gestion en commune isolée, mais réautorisait des « formes syndicales », avec un système similaire à celui qui a été adopté en commission, sur proposition de Dominique Faure, qui était votre interlocuteur principal sur cette proposition de loi. Cette mesure consistait à rendre possible, dans un processus où l'intercommunalisation ne serait pas remise en cause, la rétrocession immédiate de la compétence aux communes, afin qu'elles s'organisent de manière infra-intercommunale. Cette proposition me paraît intéressante en ce qu'elle permet de toucher les deux grands dispositifs et d'éviter d'autoriser de nouveau les syndicats de manière sèche, sans passer par un travail de rationalisation.
Je vous remercie, Madame Blatrix Contat, car votre question sur la télérelève me permet d'aborder une question absente du Plan Eau, alors même que le fait de descendre à l'échelle des individus suppose une forme de responsabilisation. Les chiffres sont éloquents : chaque Français consomme 148 litres d'eau potable par jour. Imaginez que cette quantité soit déposée sous forme de cent bouteilles d'un litre et demi sur votre paillasson. L'une de ces bouteilles porterait une étiquette « Pour boire », quatre « Pour préparer la nourriture »... Chaque bouteille afficherait son utilisation. La vue de 20 bouteilles consacrées à la chasse d'eau provoquerait nécessairement une prise de conscience !
En ce domaine, nous allons lancer dans les prochaines heures une plateforme numérique qui permettra à chacun, en tapant son adresse, de connaître la situation en temps réel concernant les arrêtés, alertes et restrictions décidés dans son secteur. Ce dispositif est crucial, car les restrictions sont parfois décidées alors que les personnes sont parties en vacances et ne s'informent pas sur les actualités de leur lieu de résidence. Je vous rappelle que le maillage n'est pas départemental : un arrêté préfectoral peut interdire certains usages sur un sous-bassin, sans les restreindre à l'échelle du département.
De plus, cette plateforme rappellera les bonnes pratiques, et nous souhaitons qu'elle soit connectée avec l'application de Météo France. L'enjeu serait, à terme, que chacun puisse consulter les prévisions météo et connaître dans le même temps la situation de l'eau dans son secteur, pour appliquer les bonnes pratiques et gestes requis.
En outre, nous n'envisageons pas, à l'heure où je vous parle, de contraindre les collectivités locales, qui sont les services gestionnaires de l'eau, à rendre obligatoires les compteurs uniques. J'en comprends l'intérêt, mais il ne me paraît pas pertinent que l'État se substitue aux collectivités locales pour encourager les bonnes pratiques. Néanmoins, une solution existe. En effet, la possibilité d'une tarification progressive évoquée par le président de la République pousse au fractionnement des compteurs, puisque le prix de l'eau augmenterait au-delà d'une certaine consommation. Ce système serait responsabilisant et inciterait à adopter les bonnes pratiques, sans pour autant modifier la règle. Je suis favorable à la télérelève, je l'ai développée lorsque j'étais président d'une intercommunalité. Elle permet notamment d'alerter les habitants en cas de situation anormale, sans avoir à attendre la relève. Les fuites sont constatées et traitées en temps réel, ce qui évite les factures anormales. La télérelève présente donc un avantage réel dans le suivi.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Une consommation quotidienne de 140 litres d'eau par habitant signifie 3,5 milliards de mètres cubes pompés chaque année en France. En 2022, nous avons réussi à réaliser une économie de 10 % sur la consommation annuelle d'électricité. Avez-vous fixé de tels objectifs de diminution de la consommation d'eau, pour voir si nous allons ou non dans la bonne direction ?
Par ailleurs, dans la mesure où le risque de sécheresse est désormais plus prégnant que celui d'inondation, la GEMAPI a-t-elle un avenir ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous avons souhaité que l'objectif soit décliné par bassin, chaque comité de bassin devant nous indiquer ses perspectives d'économies d'ici à la fin de l'année. Nous prévoyons une mesure spécifique sur les 50 sites les plus consommateurs d'eau au niveau industriel, sur le même modèle que ce qui a été fait pour les gaz à effet de serre. En effet, en prenant les consommateurs les plus visibles et emblématiques, nous constatons un réel effet d'entrainement sur les autres. J'ai été surpris de constater les économies spectaculaires qu'il est possible de faire dans l'industrie dès lors que l'on s'en donne les moyens. Ces trajectoires ont donc vocation à être présentées d'ici la fin de l'année par comités de bassin et expliquent l'importance des financements prévus, les délais envisagés et les perspectives de relèvements et d'évolutions.
En plus de cela, il nous faudra à l'avenir gérer à la fois les sécheresses et les inondations, car même si cela paraît contre-intuitif, dans un contexte de dérèglement climatique emportant une amplification des phénomènes extrêmes, les deux vont de pair. Si le volume des précipitations sur l'année restera le même, celles-ci auront tendance à se concentrer et provoquer des épisodes pluvieux plus violents, à l'origine de difficultés accrues.
On pourrait être tenté, dans ce contexte, de retenir l'eau lors des épisodes pluvieux intenses.
L'année 2022 a été une année singulière, car notre mix énergétique a été doublement pénalisé par le phénomène de corrosion sous contrainte de notre parc nucléaire et la baisse de notre production hydroélectrique du fait de la sécheresse.
À cette heure, 68 % de nos nappes phréatiques sont en dessous des normales de saison. La sécheresse hivernale que nous avons connue est venue accentuer les difficultés de l'été dernier : nous avons eu de la chance d'avoir de la pluie en avril, mai et juin mais de manière très inégalement répartie sur le territoire, et avec moins d'efficacité dans le remplissage des nappes en raison d'une température élevée favorisant l'évapotranspiration et les besoins en eau de la végétation. Si la situation est plutôt bonne en Bretagne et sur une large partie des Pays de la Loire, elle est très inquiétante sur le pourtour méditerranéen et dans la vallée du Rhône, qui concentre une partie de nos capacités hydroélectriques. J'attire votre attention sur le rapport de la Cour des comptes qui a été remis au Sénat sur le coût de l'adaptation au changement climatique des centrales nucléaires, en particulier sur le volet « eau » et sur les évolutions éventuelles entre circuits ouverts et fermés qui permettraient de moins dépendre du niveau moyen des températures pour les rejets.
Du reste, le nucléaire et l'hydroélectrique devront être repensés à l'aune des phénomènes climatiques que nous connaissons. Je rappelle que, sur décision du juge, la centrale hydroélectrique de Berre a dû restreindre sa production pour limiter le relâchement d'eau douce dans un étang d'eau salée. Qui aurait imaginé cela il y a quelques années ? Il y a cinq ans on se demandait comment jeter plus vite dans la mer l'eau douce issue du circuit hydroélectrique, alors même que l'on se situe proche de la plaine du Crau avec des enjeux écologiques importants pour la production agricole de la Camargue...
Il existe à ce jour environ 15 milliards de mètres cubes de retenues. Le débat autour de quelques grands projets ne doit pas nous faire oublier qu'il existe de nombreuses retenues multiusages. Lorsqu'une retenue permet à la fois des usages agricole, touristique et à des fins de biodiversité, elle ne provoque pas de telles polémiques. Une vieille retenue est généralement considérée comme étant une bonne retenue tandis que les retenues récentes suscitent davantage d'émotions. En tout état de cause, les meilleures retenues restent les nappes phréatiques, et la construction de retenues artificielles nouvelles ne doit nullement nous dispenser de tendre vers davantage de sobriété. L'exemple de l'Espagne, qui a tout misé sur les retenues avant de pomper dans les nappes, y compris quaternaires, tout en développant une production maraîchère très consommatrice en eau, doit nous amener à nous interroger.
J'estime qu'il n'existe pas de réponse nationale satisfaisante à la question de la sobriété en eau. Je suis convaincu que les solutions doivent être trouvées territoire par territoire, avec l'appui des scientifiques. S'il est par exemple insensé de pomper dans des nappes phréatiques protégées de l'évaporation, les conséquences du pompage ne seront pas les mêmes si le sous-sol est quartzique et que les nappes sont de ce fait fuyantes et s'évacuent vers la mer.
Le changement climatique, avec une hausse moyenne de 1,7°C par rapport à l'ère préindustrielle, de 4°C d'ici la fin du siècle, nous conduit à faire évoluer les modèles. Nous nous fondons sur le programme de simulation Explore 2070, qui repose sur les seules simulations dont nous disposons, même si celles-ci commencent à dater, tout en travaillant, en parallèle, à l'élaboration d'Explore 2, qui prend en compte des hypothèses de hausses de températures plus élevées. Ce programme devrait être disponible dans un an. Ce nouveau programme nous permettra de réévaluer les projets en cours à l'aune de cette évolution.
En effet, une partie de la polémique dans les Deux-Sèvres tient au fait que les données à l'origine du projet n'avaient pas été actualisées. Or, il s'agit des seules données scientifiques que nous ayons à ce jour. Elles ont été établies entre 2006 et 2011 sur des projections sur l'évolution des températures qui étaient celles de l'époque. Nous faisons évoluer le modèle et il sera « le juge de paix ». Il est nécessaire de trancher en fonction de la réalité des sols et des besoins. D'ailleurs même les retenues collinaires ne sont pas toujours justifiées, bien qu'elles heurtent moins l'esprit que les dispositifs de pompage. Dire que vous retenez de l'eau de pluie ne suffit pas. Tout dépend où elle va et ce qu'elle alimente. Il ne faut parer les retenues ni de tous les maux, ni de toutes les vertus et surtout pas s'en servir pour se dispenser des autres efforts et trajectoires de sobriété.
Mme Sylviane Noël. - La mise en concurrence des barrages hydroélectriques voulue par les instances européennes préoccupe les élus de la montagne qui redoutent un fractionnement du marché et une moindre efficience de ces barrages qui, au-delà de la production d'énergie, jouent un rôle important dans le soutien à l'étiage, l'agriculture, la pêche, les sports en eaux vives ou le refroidissement des centrales. Certains de nos partenaires européens sont parvenus à s'exonérer de cette obligation de mise en concurrence. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Ce sujet relève davantage de la transition énergétique. Le projet Hercule visait pour partie à répondre à cette préoccupation, puisqu'il prévoyait d'isoler, au sein d'une quasi-régie, les activités hydroélectriques d'EDF de manière à respecter le droit européen.
La France est attachée à son modèle hydroélectrique, et nous préparons un plan qui nous permettra, dans l'hypothèse où Bruxelles persisterait dans cette position, à répondre à ces exigences tout en évitant une ouverture à la concurrence que, compte tenu des niveaux d'investissements nécessaires, nous jugeons hasardeuse.
Mme Sylvie Robert. - Je souhaite revenir sur la tarification progressive ou sociale et sur l'installation de compteurs individuels dans les copropriétés. Dans mon territoire, de la métropole de Rennes, cette tarification est appliquée depuis de nombreuses années. Or, je constate qu'en dépit d'une véritable prise de conscience de l'ensemble des acteurs, les résistances sont encore fortes et que l'installation de compteurs individuels dans les copropriétés demeure difficile.
Envisagez-vous de donner la possibilité aux collectivités de rendre l'installation de compteurs individuels obligatoire ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Je salue la politique menée à Rennes pour soutenir l'installation de récupérateurs d'eau de pluie.
Nous savons que l'installation de kits de mousseurs, d'économiseurs d'eau est bien plus efficace que l'installation de compteurs individuels, car nous sommes dépendants, non pas tant d'une quantité d'eau que d'une durée psychologique d'eau qui coule pour effectuer un certain nombre de gestes. C'est pourquoi l'évolution des gestes du quotidien constitue un gisement d'économies.
La question des compteurs a été longuement évoquée dans la préparation du Plan eau. Le Comité national de l'eau a émis un avis défavorable sur l'inclusion de l'installation de compteurs individuels dans le plan, car il a considéré que cela relevait de la libre administration des collectivités territoriales. À ce stade, nous avons considéré la bataille principale n'était pas celle-là, mais je suis très heureux que certaines collectivités aillent plus loin et nous leur en avons donné les moyens. Si une collectivité décide de facturer plus cher le 121e mètre cube d'eau, sachant que la consommation moyenne par foyer est de 120 mètres cubes d'eau, alors les copropriétés ont tout intérêt à avoir autant de compteurs qu'il y a d'appartements. Cela permet de remplir plusieurs objectifs d'un même coup en faisant ainsi davantage contribuer ceux qui ont des jacuzzis ou des piscines.
Mme Kristina Pluchet. - Notre modèle agricole, qui est à mon avis l'un des plus propres au monde, est accusé de tous les maux. Il a notamment fait l'objet d'un certain nombre de rapports à charge récents, parmi lesquels celui de la Cour des comptes.
Ce sont pourtant les agriculteurs qui nous nourrissent, et depuis 2015 ils sont fragilisés par le changement climatique et les excès qu'il emporte régulièrement. J'estime qu'il est temps de cesser de leur appliquer de nouvelles restrictions sans compensation, car celles-ci deviennent difficilement soutenables, y compris pour les agriculteurs biologiques.
M. Christophe Béchu, ministre. - Une partie de notre politique écologique repose sur une forme d'hypocrisie qui consiste à durcir nos règles, tout en continuant à importer des produits qui ne les respectent pas, avec des conséquences en termes de règlementation environnementale ou en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Nous devons systématiser l'instauration de clauses miroirs -- telles que celles qui arrivent pour les émissions de gaz à effet de serre --, que ce soit en matière de gestion de la forêt, de sylviculture au sens large ou de production agricole. Si l'on règlemente la taille de nos élevages en considérant qu'au-delà d'un certain seuil se pose la question du bien-être animal, mais qu'on laisse de la viande arriver du bout du monde sans lui appliquer les mêmes règles, avec l'accélération de la déforestation que cela implique souvent, qui aggrave davantage le réchauffement climatique, on aura un sujet.
J'ajoute que l'élevage peut aussi apporter des solutions à la gestion de l'eau, car contrairement à une terre irriguée, une prairie permet le stockage de l'eau. J'estime donc que l'agriculture fait partie intégrante des solutions à nos difficultés.
M. Rémy Pointereau, président. - L'intégration de l'Office français de la biodiversité (OFB) aux agences de l'eau pose la question du financement de certaines opérations telles que la réparation des canalisations fuyantes. Ne pourrait-on imaginer d'autres modalités de financement pour l'OFB ?
La semaine dernière, mon canton a connu un accident climatique inédit. Il est tombé environ 100 millimètres, soit 1 million de mètres cubes d'eau en une heure, ainsi que de la grêle qui a dévasté les vignes, tandis qu'une tornade emportait tout un village.
Dans la mesure où nous devrons nécessairement nous adapter à ces épisodes à répétition, ne devrions-nous pas étudier la mise en place de bassins d'orage multiusages ? Ces derniers pourraient servir aux services de la ville, à lutter contre les incendies et, éventuellement, à l'irrigation des terres.
Enfin, quelles sont selon vous les mesures qui auraient été oubliées dans les 53 mesures du Plan eau ? Nous pourrions éventuellement les intégrer à notre rapport, que nous déposerons le 11 juillet.
M. Christophe Béchu, ministre. - Sur les bassins d'orage, je n'ai pas la réponse. Quel dimensionnement ? Quelles conséquences ? Quel fonds ? Quelles règles de relâchement ? Les questions sont nombreuses. L'idée me semble toutefois intelligente. Elle mérite d'être creusée.
Je comprends que le principe même du financement de l'OFB par les agences de l'eau ait pu vous heurter parce qu'on dit que « l'eau paie l'eau ». Cela relève du bon sens paysan. Il est un fait cependant : l'eau et la biodiversité sont très étroitement liées. Je n'aurai pas la prétention de dire que j'aurais fait autrement si j'avais été aux responsabilités à l'époque. Une chose est sûre : nous avons devant nous des enjeux de financement pour préserver la biodiversité et je ne proposerai pas, pour ce faire, de nous appuyer à nouveau sur ce circuit. Cependant, l'idée qu'une partie des ressources de l'OFB s'appuie sur l'eau, même si elle se heurte au principe de « l'eau paie l'eau » dit quelque chose de vrai : nous avons besoin, pour notre biodiversité, d'avoir une relation étroite entre les agences et l'OFB. L'OFB a la charge de la vérification du respect des arrêtés et il s'assure du bon écoulement et du suivi. Je n'ai pas remis en cause l'état du droit, mais la stratégie nationale de biodiversité qui vous sera présentée avant la fin de l'année ne puisera pas ses financements dans les agences de l'eau. On n'est pas en train de dire on ajoute des crédits mais on vous ajoutera des obligations.
Vous me demandez quelles sont les mesures qui manqueraient à l'appel. Si j'avais eu la réponse à cette question le 29 mars dernier, j'aurais fait en sorte qu'il ne manque rien le 30, lors de la présentation du plan.
Voilà la seule réponse que je vous ferai. Il arrive parfois que la qualité des comptes rendus des missions du Sénat suscite des polémiques et des prises de conscience. Le Plan eau a été présenté très récemment. Nous avons besoin d'encouragements de la part de ceux qui font preuve de sagesse. Pointons les axes d'amélioration. Il est important que tous les acteurs qui ont travaillé à l'élaboration du Plan eau soient encouragés dans ce travail collectif. La fierté des agences et de ceux qui sont en première ligne m'importe particulièrement.
D'ici à la fin de l'année et à la présentation du projet de loi de finances, mon objectif est de traduire nos engagements en actes. Il est arrivé que des plans soient célébrés au moment de leur lancement et qu'ils ne soient pas suivis d'effets.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Lorsque nous nous sommes rendus dans les Deux-Sèvres à la suite des événements de Sainte-Soline, nous avons été frappés par la détresse de l'ensemble des parties prenantes et par la dureté des relations entre les acteurs, y compris à l'égard des services de l'État. La situation semble sans issue. Peut-être faudrait-il mettre en place une médiation, qui neutraliserait les positions et remettrait un certain nombre d'acteurs autour de la table. Une question de fond se pose et se répète en d'autres lieux. Pour l'heure, nous ne pensons pas que les acteurs en présence soient capables, par eux-mêmes, de renouer le dialogue.
Cela m'amène à un sujet plus large. Nous avons évoqué les concessions d'hydroélectricité et la CRE. Dans certains pays, il existe une autorité de régulation disposant de la compétence eau. Compte tenu des enjeux croissants en la matière, la question d'une telle autorité peut être posée. Ailleurs, il existe aussi des garants de l'eau, dont nous pourrions peut-être nous inspirer pour mettre en place des médiations locales et territoriales. Qu'en pensez-vous ?
M. Christophe Béchu, ministre. - Nous avons inventé, en France, un modèle qui repose sur des « parlements de l'eau » réunissant les représentants de tous les usagers. Au vu des épisodes que nous traversons depuis des décennies, sachons rendre hommage à nos agences de l'eau et à nos comités de bassin.
Notre modèle a pour principe des règles différenciées selon les territoires, ce qui, dans notre pays - vous êtes bien placés pour le savoir -, ne relève pas de l'évidence. Imaginer une commission de régulation de l'eau, ou « CReau », sur le modèle de la CRE, irait en sens inverse, celui d'une plus grande centralisation. Or il existe une différence énorme entre les domaines de l'eau et de l'électricité : en matière énergétique, nous sommes interconnectés. Si la demande dépasse notre niveau de production, le black-out est généralisé. A contrario, certains territoires peuvent connaître une sécheresse durable quand d'autres ne manqueront pas d'eau pendant toute une année.
Nous n'avons nul besoin de créer entre nous une forme d'interdépendance ni un monstre administratif. Nous avons simplement besoin d'édicter des règles de bonne conduite et d'orienter les usages, en tenant compte de la disponibilité de la ressource.
En ce qui concerne Sainte-Soline, je rencontre Thierry Burlot dans quelques jours. J'entends vos remarques, comme j'ai entendu celles du terrain voilà quelques semaines. Dans un premier temps, il fallait éviter la précipitation, ne serait-ce qu'à l'égard de ceux qui ont été blessés dans leur chair. L'été est plus propice à l'apaisement et à la projection vers l'avenir. Nous allons regarder ensemble ce qu'il est possible de faire.
M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous avons fait un bon tour d'horizon des différents sujets.
La réunion est close à 18 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.