Jeudi 28 juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Politique régionale - Proposition de résolution européenne (PPRE) invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord - Rapport d'information et proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre commission a été saisie d'une proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par notre collègue Pierre Laurent et des membres du groupe CRCE, le 31 mai dernier, concernant le processus de paix en Irlande du Nord, à l'occasion du 25ème anniversaire de l'accord du Vendredi Saint.
Cette PPRE nous donne l'occasion de revenir sur les enjeux liés au statut spécifique de l'Irlande, dans le cadre de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, et plus largement sur la mise en oeuvre de l'accord de retrait et du protocole sur l'Irlande et l'Irlande du nord - dit protocole nord-irlandais. Notre commission, par le biais notamment du groupe qu'elle a créé avec la commission des affaires étrangères et dont je salue les membres, suit de près ces sujets depuis le référendum britannique approuvant le Brexit. Une délégation de ce groupe s'est d'ailleurs rendue, en octobre dernier, à Dublin et Londres, alors que le Royaume-Uni était en pleine crise politique, à la veille de la démission de Liz Truss. Notre commission a également entendu, en avril dernier, l'ambassadrice de France au Royaume-Uni, quelques semaines après la conclusion de l'accord de Windsor qui amende et complète le protocole nord-irlandais. Demain d'ailleurs, nous poursuivrons ces travaux en auditionnant la Cour des comptes sur son rapport fort intéressant concernant la mise en oeuvre du Brexit en France.
Dès à présent, nous allons entendre le rapport de nos collègues Colette Mélot et Didier Marie, tous deux membres du groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique, sur la proposition de résolution qui nous est soumise, et je les en remercie.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Comme l'a indiqué le président Jean-François Rapin, la présente proposition de résolution européenne s'intéresse à la situation de crise politique en Irlande du Nord, qui pourrait fragiliser le processus de paix, reposant sur l'accord du Vendredi Saint signé il y a 25 ans, en avril 1998, au terme de trois décennies de violence entre catholiques et protestants. En effet, depuis les élections législatives de mai 2022 - qui ont placé le Sinn Fein en première place en voix et en sièges, pour la première fois depuis la création de l'Irlande du Nord -, le Democratic Unionist Party (DUP) bloque la formation d'un nouveau gouvernement. Contrairement aux dispositions de l'accord de paix - prévoyant un partage du pouvoir entre unionistes et nationalistes -, le DUP refuse de participer aux institutions aux côtés du Sinn Fein.
La raison est similaire à celle qui avait conduit le premier ministre DUP, Paul Givan, à démissionner en février 2022, déclenchant alors ces élections : une opposition au protocole nord-irlandais, tel que conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.
Il faut rappeler que le Brexit a ravivé les tensions en Irlande du Nord - tensions qui persistent toutefois depuis la signature de l'accord du Vendredi Saint, comme a pu nous le rappeler M. Aurélien Antoine, professeur de droit et spécialiste de l'Irlande du Nord. Le Brexit n'a été qu'un catalyseur des difficultés politiques latentes en Irlande du Nord. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a ainsi fait ressurgir - au moment des négociations - la crainte d'une frontière terrestre entre les deux Irlande mais également celle - avec la mise en oeuvre du protocole nord-irlandais - d'un éloignement entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni.
Quelques mots de rappel sur le protocole nord-irlandais qui a été annexé à l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, conclu en octobre 2019. Ce protocole maintient, de fait, l'Irlande du nord dans le marché unique européen, en créant une frontière invisible en mer entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Cette solution a été trouvée pour préserver à la fois l'accord de paix en évitant l'instauration d'une frontière terrestre entre les deux Irlande, mais aussi pour protéger l'intégrité du marché unique européen. En contrepartie, le protocole avait prévu l'instauration de contrôles douaniers aux points d'entrée du territoire (essentiellement les ports en mers d'Irlande ainsi que les aéroports) sur les produits exportés depuis le Royaume-Uni vers l'Irlande du Nord pour vérifier leur conformité aux normes européennes.
Cette solution a été jugée intolérable par le DUP, qui y voit une atteinte à l'appartenance de l'Irlande du Nord au Royaume-Uni. La mise en oeuvre de ce protocole fut ainsi source de vives tensions entre Londres et Bruxelles pendant de nombreux mois. De fait, diverses difficultés ont été constatées sur le terrain : retards de livraison, pénuries de produits entrainées par ces nouveaux contrôles, mais également par l'impréparation et la mauvaise volonté des autorités britanniques. En réponse, la Commission européenne avait proposé, en octobre 2021, d'assouplir les conditions de mise en oeuvre du protocole. Malgré ces propositions, le climat de confiance dans les négociations avait été altéré par la décision de Boris Johnson prise en juin 2022 de déposer un projet de loi prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.
Il a fallu attendre l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Rishi Sunak, pour entrevoir la possibilité d'une issue. Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février dernier, la conclusion d'un accord additionnel - dit cadre de Windsor - qui complète et amende les dispositions du protocole nord-irlandais. Cet accord - jugé comme relativement équilibré par les interlocuteurs que nous avons pu auditionner (SGAE, Ministère, professeur de droit) - prévoit des assouplissements dans la mise en oeuvre du protocole en faveur des Britanniques, assorties toutefois de garde-fous au bénéfice de l'Union européenne.
Parmi les concessions faites au Royaume-Uni, figure la création d'une « voie verte » pour les marchandises provenant de Grande Bretagne et entrant en Irlande du Nord mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne : ces biens voient leurs contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires drastiquement diminués. En contrepartie, l'Union européenne a obtenu des procédures renforcées de surveillance du marché et des biens - avec la construction par le Royaume-Uni d'installations sanitaires et phytosanitaires, l'accès aux données douanières britanniques, et l'étiquetage approprié des marchandises (« non destiné à l'UE ») - ainsi que la possibilité de suspendre les facilités consenties en termes d'allègements des contrôles en cas de manquements aux nouvelles dispositions.
Autre assouplissement en faveur des Britanniques : la création d'un mécanisme dit « frein de Stormont », qui permettra au Parlement nord-irlandais - par le biais de 30 de ses membres - de demander au gouvernement britannique de mettre un terme à l'application en Irlande du Nord de nouvelles dispositions du droit de l'Union, qui modifieraient ou remplaceraient des dispositions existantes. La mise en oeuvre de ce dispositif est toutefois assortie d'un certain nombre de conditions : il concernera uniquement des dispositions de l'UE listées dans le protocole et il devra être démontré que ces dispositions en question ont une incidence significative et durable sur la vie quotidienne des communautés d'Irlande du Nord, ce mécanisme ne pouvant être déclenché que dans les circonstances les plus exceptionnelles et en dernier recours.
M. Didier Marie, rapporteur. - Malgré l'adoption de ce cadre de Windsor et les assouplissements qu'il contient, le blocage politique en Irlande du Nord persiste. Le 22 mars dernier, les huit députés du Democratic Unionist Party ont ainsi voté contre le frein de Stormont, soumis par le Premier ministre au Parlement britannique - qui l'a pour sa part largement approuvé par ailleurs.
Alors que la société civile et les milieux économiques nord-irlandais sont également favorables à ce nouveau cadre, le DUP s'y oppose et semble s'enfermer dans une position dogmatique. Il ressort de nos auditions que le Democratic Unionist Party fait aujourd'hui figure d'un parti divisé - au sein d'une mouvance unioniste elle-même divisée - et bousculé car - au-delà de la question du protocole - il craint pour l'avenir de l'Irlande du Nord.
Les élections législatives qui ont eu lieu en mai 2022 ont conduit à une défaite du DUP, bien que le partage des sièges entre unionistes et nationalistes au sein de l'assemblée nord-irlandaise reste relativement équilibré. Cette perte de vitesse du DUP a été confirmée par les récentes élections locales de mai dernier qui ont permis au Sinn Féin de confirmer sa position de premier parti (30,9 % des voix et gain de 39 sièges dans les conseils locaux), sans toutefois provoquer d'effondrement des unionistes. Un des faits notables de ces élections est également l'ascension d'un parti non confessionnel - l'Alliance - qui semble bénéficier des voix d'électeurs unionistes modérés, exaspérés par l'attitude dogmatique du DUP.
Le DUP semble ainsi fragilisé, d'autant que le dernier recensement en Irlande du Nord, paru le 22 septembre 2022, fait état, pour la première fois depuis la partition de l'Irlande, d'un nombre de Nord-Irlandais se disant catholiques (45,7 %) supérieur à celui de ceux se disant protestants (43,5 %).
Toutefois, selon un sondage publié le 3 décembre 2022 par l'Irish Times, l'un des plus grands quotidiens irlandais, une forte majorité des Irlandais du Nord resterait en faveur du maintien dans le Royaume-Uni (50 % contre 27 %) alors que, par ailleurs, en République d'Irlande, une grande majorité des électeurs soutiendrait l'unification (66 % contre 16 %), tandis qu'une forte proportion, avoisinant les 50 % sur certains sujets (comme la modification du drapeau ou de l'hymne national), serait réticente à l'idée de toute concession aux Unionistes pour y parvenir.
La question de la réunification n'est donc pas encore à l'ordre du jour : mais elle progresse à bas bruit sur la scène politique irlandaise, et pourrait monter en puissance si le Sinn Fein remportait les élections législatives dans la partie sud de l'île, prévues au deuxième trimestre 2024. Toutefois, il semblerait que, malgré ces victoires, le Sinn Fein ne semble pas en capacité, à court terme, de devenir majoritaire en Irlande du Nord.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Face à cette situation de blocage politique et à l'intransigeance du DUP, que pouvons-nous faire ? La proposition de résolution européenne, déposée par nos collègues du groupe CRCE, invite le Gouvernement - sur le modèle de la résolution adoptée par le Sénat américain en mai dernier - à agir pour appuyer la relance du processus de paix et exiger la restauration du système de pouvoir partagé.
Si notre attachement à l'Accord du Vendredi Saint et au cadre de Windsor ne fait aucun doute, nous pensons toutefois qu'il faut demeurer prudent sur l'action du Sénat et celle du Gouvernement, en la matière.
Bien que nos relations soient excellentes avec l'Irlande - dont nous sommes effectivement le plus « proche voisin dans l'UE » depuis la sortie du Royaume-Uni et avec lequel nous avons signé un plan d'action pour 2021-2025 -, il nous semble délicat d'interférer dans cette crise politique dont la solution relève, à notre sens, des affaires intérieures du Royaume-Uni, pouvant éventuellement être aidé en cela par l'Irlande.
En tout cas, la France ne peut - nous semble-t-il - se placer sur le même plan que les États-Unis dont la relation historique avec l'Irlande et le rôle clé de modérateur dans les accords de paix peuvent justifier une implication particulièrement forte. La récente visite du Président Joe Biden en Irlande a prouvé le lien particulier unissant les deux nations.
Le risque d'une telle résolution de la part du Sénat français serait de voir notre position instrumentalisée dans des jeux de politiques internes que nous ne maîtrisons pas : notre assemblée risquerait d'être accusée d'ingérence dans les affaires intérieures du Royaume-Uni, avec lequel tant la France que l'Union européenne sont entrées en phase d'apaisement, laissant entrevoir de nouvelles coopérations. Le récent sommet franco-britannique de mars dernier en est la preuve. De même, au niveau européen, les relations reprennent avec le Royaume-Uni et la confiance se rétablit progressivement : il serait dommage de la rompre.
Pour l'ensemble de ces raisons, il me semble difficile de soutenir la présente proposition de résolution européenne.
M. Didier Marie, rapporteur. - Pour ma part, j'estime cependant que cette prudence ne doit pas nous conduire à rester silencieux : cette situation de blocage est préoccupante pour le processus de paix, vital pour l'île d'Irlande et essentiel pour l'Union européenne tout entière. Cette proposition de résolution doit ainsi trouver le moyen de réaffirmer - sans ingérence aucune dans les affaires intérieures de nos voisins - notre attachement au respect de l'accord de paix et du cadre de Windsor. Sur ce dernier point, l'Union européenne - unie dans les négociations - ne veut et ne doit pas entrer dans une nouvelle discussion du protocole nord-irlandais, en raison des oppositions internes britanniques dont l'Union n'est pas responsable et qui devront être réglées par le Royaume-Uni.
Pour ces raisons - outre des amendements de forme -, je vous propose, en mon nom, les modifications suivantes à la présente PPRE :
- à l'alinéa 7 : le déplacement, dans les visas, de la référence à la résolution du Sénat américain ;
- à l'alinéa 8, le renforcement des dispositions concernant les liens unissant la France à l'Irlande. À noter que, depuis le Brexit, les échanges de biens entre nos deux pays sont en hausse : ils ont ainsi augmenté de 25 % entre 2021 et 2022. Par ailleurs, le nombre de liaisons entre les ports irlandais et français a quadruplé depuis 2019, passant de 12 traversées à près de 50 par semaine ;
- à l'alinéa 9, une nouvelle rédaction du paragraphe pour souligner le soutien apporté au processus de paix par la France et l'Union européenne, qui n'ont cependant pas eu le même rôle modérateur que les États-Unis ;
- aux alinéas 10 et 11, une nouvelle rédaction des deux paragraphes ;
- par ailleurs, la suppression de l'alinéa 14 de la PPRE initiale concernant les projets de loi britanniques, qui me semble dépasser le champ de la résolution, consacrée à l'Irlande du Nord ;
- à l'alinéa 12, la suppression de la mention « en violation des accords de paix », appréciation diplomatiquement sensible ;
Enfin, conformément aux motivations énoncées précédemment, je vous propose une nouvelle rédaction des trois derniers alinéas de la PPRE, comme suit:
- à l'alinéa 16, la proposition de résolution indiquerait ainsi que « considérant que la France, qui est désormais le plus proche voisin de l'Irlande dans l'Union européenne, doit, au sein de celle-ci et avec l'ensemble des États membres, accorder une attention particulière à la situation sur l'île d'Irlande ».
- à l'alinéa 17, le Sénat « invite le Gouvernement et l'Union européenne à maintenir leur vigilance quant au plein respect de l'accord du Vendredi Saint et du cadre de Windsor » ;
- à l'alinéa 18, il « appelle le Gouvernement et l'Union européenne à soutenir les efforts du Royaume-Uni et de l'Irlande, à qui il appartient de trouver les moyens de débloquer la situation politique en Irlande du Nord afin d'assurer une paix durable sur l'île d'Irlande ».
Ces amendements me semblent ainsi refléter un équilibre, entre la volonté de montrer un attachement à une paix durable en Irlande, et le souci de ne pas laisser croire à une ingérence de notre part dans les affaires intérieures d'États voisins. L'exercice n'était pas aisé.
Toutefois, pour certains analystes, un des espoirs de cette sortie de crise serait que le DUP - au vu de la succession de ses revers électoraux - revoie finalement sa position et accepte finalement de siéger avec le Sinn Fein. C'est donc une affaire à suivre dans les semaines et mois qui viennent.
M. Jean-François Rapin, président. - Je salue la manière dont nos deux rapporteurs se sont efforcés de trouver un modus vivendi et je vous propose d'entamer le débat.
M. Pierre Laurent. - Merci pour les propos qui viennent d'être tenus et pour le travail de qualité qui a été effectué. J'indique d'emblée que je suis d'accord avec les amendements présentés par Didier Marie. J'entends également les appels à la modération pour éviter ce qui pourrait apparaître comme une ingérence dans les affaires intérieures du Royaume-Uni. Afin de prévenir ce risque, un certain nombre de modifications sont proposées et la rédaction du texte a été améliorée. Je souligne qu'il serait dommage qu'au nom de cette prudence, nous renoncions à nous prononcer de manière consensuelle sur le sujet que nous traitons.
La situation en Irlande et en Irlande du Nord a été un point sensible des négociations post-Brexit et je fais observer que Michel Barnier, en tant que négociateur de la Commission européenne, tout en faisant preuve, en général, d'une grande prudence, a néanmoins été très ferme concernant les relations impliquant le Royaume-Uni, l'Irlande et l'Irlande du Nord. Sans cette fermeté, nous aurions pu nous retrouver dans une situation extrêmement conflictuelle dans la région. Je rappelle que l'Irlande reste potentiellement l'un des trois foyers de tension dans l'Union européenne avec Chypre et les Balkans : aucun n'est totalement éteint et il est donc extrêmement important de faire progresser ainsi que de soutenir le processus de paix dans ces régions, surtout compte tenu de la montée des conflits en Europe et ailleurs.
Nous devons d'autant plus maintenir notre vigilance que nous sommes à nouveau entrés dans une période de tension. On peut discuter de l'imputation de la responsabilité de cette situation à tel ou tel mais on doit constater que l'Irlande du Nord ne dispose plus, de fait, d'autorité gouvernementale en raison du refus du DUP d'assumer l'application des accords de paix dans le cadre des nouveaux rapports de force politiques issus des élections. Je pense par conséquent qu'il est a minima de notre devoir de formuler un message appelant simplement à respecter pleinement les accords de paix, sans franchir aucune ligne rouge.
J'ajoute que les Irlandais du Sud ou du Nord - qui ont largement rejeté le Brexit lors du référendum - affirment leur très grand attachement à l'Union européenne. Nous devons donc adresser aux uns et aux autres des signaux puissants de solidarité. La France, qui est maintenant leur premier voisin de l'Union européenne, ne doit pas donner l'impression de les laisser se débrouiller avec la montée des tensions : cela reviendrait à faire preuve d'ingratitude envers des populations qui ne cessent d'affirmer leur volonté de participer à l'Union européenne. J'estime d'ailleurs que les évolutions politiques et électorales irlandaises tiennent non seulement à des spécificités historiques, nationales ou sociales mais aussi, en grande partie, à l'évolution des relations avec l'Union européenne.
Enfin, tout en mentionnant que je ne serai plus sénateur à partir du mois de septembre, je suggère à notre commission d'aller sur place en Irlande ainsi qu'en Irlande du Nord pour rencontrer les acteurs politiques : cela nous aiderait probablement à mesurer les évolutions en cours.
Je répète donc que nous devons essayer, dans les limites soulignées par les rapporteurs, de porter ce témoignage de solidarité. L'objectif de cette proposition de résolution n'était pas de lui donner une dimension partisane mais d'envoyer un message consensuel et j'espère que nous serons nombreux à en soutenir le texte modifié par les amendements présentés par Didier Marie.
M. Pascal Allizard.- Je voudrais intervenir au nom du groupe Les Républicains sur ce sujet grave, sensible et dont nous avons tous compris l'importance. Quand on se souvient de la violence qui a endeuillé cette île pendant de si longues décennies, on ne peut que partager la légitime inquiétude exprimée par chacun de nos collègues sur ces tensions qui se ravivent.
Toutefois, le texte qui nous est soumis soulève deux principaux problèmes. Le premier tient à la tonalité d'ensemble de cette proposition de résolution. Certes, ce texte réaffirme le soutien de la France à l'application intégrale des accords du Vendredi Saint et entend ainsi contribuer à réenclencher une dynamique de paix et de réconciliation : à l'évidence, personne ici ne peut s'opposer à cette intention de principe. Pourtant, il nous semble que cette résolution est principalement irriguée par un parti pris fortement marqué en défaveur des mouvements unionistes et du Gouvernement britannique. S'agissant d'un texte qui appelle à la sauvegarde de la concorde civile en Irlande du Nord, il nous semble probablement contre-productif de distribuer assez ouvertement les bons et les mauvais points - si vous me permettez de m'exprimer ainsi. Comme l'ont souligné à juste titre les intervenants, chacun peut avoir son opinion sur l'histoire de ce conflit, les responsabilités historiques des uns et des autres ainsi que les responsabilités dans sa potentielle résurgence. Ce dernier phénomène suscite une inquiétude partagée mais je ne pense pas que cette proposition de résolution soit la méthode la plus opportune pour contribuer à l'apaisement des tensions. Ceci dit, je tiens à saluer le travail réalisé par nos rapporteurs avec des propositions qui permettent de ramener subtilement le texte à un équilibre plus conforme aux objectifs qu'il énonce. Reste néanmoins l'exposé des motifs qui, lui aussi, véhicule une argumentation qui nous parait orientée. Par définition, cet exposé des motifs n'est pas modifié par le travail des rapporteurs. Formellement, nous n'avons pas - me semble-t-il - à nous prononcer aujourd'hui sur sa teneur mais il restera attaché au texte et en éclairera les motivations.
Le second problème que nous soulevons concerne l'opportunité de cette résolution. Les propositions de nos rapporteurs, aussi judicieuses soient-elles, ne permettront probablement pas de contourner le fait que l'adoption de ce texte, quelle que soit sa rédaction, serait considérée - telle est en tous cas notre opinion - par nos amis britanniques comme une ingérence claire dans leurs affaires intérieures. C'est là notre principale préoccupation car nous ne traitons pas ici du Brexit à proprement parler ni de la frontière douanière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, ce qui intéresserait directement la France. Nous traitons en revanche ouvertement des affaires politiques de la province d'Irlande du Nord, et donc d'affaires intérieures britanniques. Symétriquement, je ne pense pas que nous verrions d'un très bon oeil nos collègues de Westminster adopter un texte d'une nature similaire concernant la France.
Le Royaume-Uni est un pays ami et allié : c'est un grand pays doté d'un État de droit et d'une démocratie d'une extraordinaire robustesse. Rien ne s'oppose à ce que la France, à travers notre assemblée, lui envoie des messages de sympathie dans d'éventuels moments de difficultés mais je crois que rien ne justifie non plus que le Parlement français formule de manière officielle des commentaires ou des appréciations sur la gestion de ses affaires intérieures, et a fortiori quand elles sont d'une telle sensibilité. C'est pourquoi le groupe Les Républicains votera contre l'adoption de cette résolution, même utilement amendée par nos rapporteurs.
M. André Gattolin.- Pour ma part, je n'ai jamais été opposé au droit d'ingérence entre pays de l'Union européenne et autres structures européennes. Les démocraties que nous sommes ont le droit de juger le fonctionnement démocratique des autres pays et telle est la tâche que j'accomplis en tant que membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il m'a été reproché, il y a quelques années, d'avoir critiqué les décisions de la cour constitutionnelle espagnole que j'estimais un peu honteuses à l'égard du mouvement indépendantiste catalan, sans pour autant soutenir l'indépendantisme. Je pense qu'une des difficultés fondamentales de l'Union européenne est que l'unité de valeur sur laquelle nous avons construit cette architecture est à la fois l'État-nation et l'État membre. De ce point de vue, heureusement que l'adhésion de la Tchécoslovaquie est intervenue postérieurement à sa séparation en deux États distincts. Je pense que le statisme des relations entre nos pays ne rend pas bien compte de l'évolution des peuples et des territoires dans toute leur diversité : il convient de mieux prendre conscience du fait que l'Europe n'est pas uniquement constituée d'États membres avec des populations homogènes.
De ce point de vue, je reconnais que cette proposition de résolution soulève une difficulté car l'Union européenne s'est structurée autour d'un droit principalement commercial mais n'a pas institué de normes sur l'État de droit. Je pense néanmoins qu'il ne faut pas s'interdire, à un moment donné, de nous intéresser à la situation irlandaise, de même que je ne serais pas du tout gêné qu'un pays tiers évoque les relations de la Corse à la France, par exemple. Ce sont des questions que l'on se pose au Conseil de l'Europe alors qu'on ne les aborde pas dans le cadre de l'Union européenne. Pour ces raisons, et compte tenu des améliorations qui ont été proposées au texte par le rapporteur, je voterai celui-ci.
M. Didier Marie, rapporteur. - J'entends bien les remarques formulées par Pascal Allizard, au nom du groupe Les Républicains, sur le risque d'ingérence qu'il signale et sur la façon dont les Britanniques ainsi que le Gouvernement pourraient interpréter notre résolution. J'y répondrais par deux observations.
D'une part, les amendements que je propose nuancent très fortement le texte de la proposition de résolution initiale. En témoignent les deux derniers alinéas du texte qui vous est soumis : le premier « invite le Gouvernement et l'Union européenne à maintenir leur vigilance quant au plein respect de l'accord du Vendredi Saint et du cadre de Windsor ». Le second « appelle le Gouvernement et l'Union européenne à soutenir les efforts du Royaume-Uni et de l'Irlande, à qui il appartient de trouver les moyens de débloquer la situation politique en Irlande du Nord, afin d'assurer une paix durable sur l'île d'Irlande». Ainsi le Sénat ne s'immiscerait pas dans les affaires irlandaises : le texte se limite à souhaiter le respect des accords et souligne qu'il appartient au Royaume-Uni ainsi qu'à l'Irlande de trouver une solution.
D'autre part, je souligne que l'Union européenne reste concernée par ce qui se passe à la frontière entre le Royaume-Uni, dont fait partie l'Irlande du Nord, et la République d'Irlande : en effet, il s'agit bien de la relation entre un pays tiers et l'Union européenne. J'ajoute que si l'accord de Windsor n'est pas respecté et si le DUP continue d'ériger des blocages, une nouvelle crise risque de se déclencher. Il faut rappeler que le Gouvernement britannique, sous le gouvernement de Boris Johnson, a utilisé le protocole nord-irlandais pour faire pression sur l'Union européenne et tenter de trouver des arrangements quant à la mise en oeuvre du Brexit. Le nouveau Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a souhaité rétablir des relations plus équilibrées entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, mais rien ne nous dit, au regard de la volatilité de la situation politique britannique, qu'un nouveau Premier ministre ne réutiliserait pas la question nord-irlandaise comme moyen de pression sur l'Union européenne. C'est la raison pour laquelle l'Union européenne et la France, solidaire des 26 autres pays, peuvent se permettre de faire un commentaire sans s'ingérer dans les affaires du Royaume-Uni.
Par ailleurs, pour répondre à Pierre Laurent, je précise que la proposition de résolution amendée rétablit plusieurs éléments. Outre le fait qu'il s'agit d'une affaire britannique et irlandaise, la France ne peut se placer sur le même plan que les États-Unis : en effet, les États-Unis ont été les parrains et les garants de l'accord du Vendredi Saint dont le diplomate américain George J. Mitchell a coordonné les négociations. Le président Joe Biden s'est récemment déplacé en Irlande sans aller à Londres, ce qui en dit long sur l'attachement qu'il porte à la situation irlandaise. De plus, tout le monde sait que tant le Congrès que différents partis politiques américains ainsi que des groupes divers et variés interviennent, y compris matériellement et financièrement, auprès des partis irlandais et de la société civile irlandaise.
Enfin, cette résolution, tout en évitant l'ingérence et en replaçant le rôle de la France au niveau qui doit être le sien de solidarité avec les autres pays européens, rappelle son attachement au processus de paix. De façon générale, l'Union européenne souhaite la paix partout et en particulier dans les trois foyers de tensions évoqués par Pierre Laurent. De plus, la situation que nous évoquons est très particulière car elle a historiquement soulevé de nombreuses difficultés dans les relations entre le Royaume-Uni et l'Irlande, mais aussi avec des ricochets avec les pays les plus proches, dont la France fait aujourd'hui partie.
Au final, j'ai essayé avec ma collègue rapporteure de trouver un chemin pour permettre que ce texte puisse être approuvé. Je le voterai mais j'entends les réserves qui sont émises par les uns et les autres.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Je rappelle avant tout notre soutien à l'Union européenne à qui il appartient, avec le Royaume-Uni, de s'emparer des difficultés dont nous débattons, comme cela a été mentionné dans la PPRE. Le sujet est extrêmement délicat et, alors que nos relations avec le Royaume-Uni se sont apaisées, le moment n'est pas du tout propice à exprimer des divergences avec ce grand pays ami. J'appelle donc à la plus grande prudence et à la solidarité avec l'Union européenne pour faire avancer la situation.
Je me félicite d'avoir pu travailler sur ce sujet avec Didier Marie sur cette PPRE mais je ne la voterai pas.
M. Pierre Laurent. - Jusqu'à preuve du contraire, la France a toujours apporté son appui officiel aux accords de paix et, à ma connaissance, cette position n'a jamais changé. Certains d'entre nous souhaitent peut-être que celle-ci évolue en fonction des nouvelles orientations exprimées par le Gouvernement britannique, mais la position de la France et de l'Union européenne a toujours été de soutenir l'application des accords de paix et le Sénat américain s'est récemment prononcé dans le même sens. Aucune inflexion n'est proposée à cette position prise historiquement depuis la signature des accords de paix par la France et l'Union européenne.
M. Pascal Allizard.- Je voudrais redire très clairement que nous ne sommes absolument pas dans un déni de réalité des tensions et des difficultés. Et c'est justement en ayant pleinement conscience de celles-ci que nous ne jugeons pas opportun aujourd'hui de voter ce texte, tout en exprimant beaucoup de respect à l'égard du travail accompli.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose de voter d'abord sur le paquet d'amendements proposé par Didier Marie et qui modifie substantiellement le texte.
La commission adopte les modifications de rédaction proposées par le rapporteur..
M. Jean-François Rapin, président. - Nous passons maintenant au vote sur le texte dans son entier.
La commission rejette la proposition de résolution européenne et autorise la publication du rapport.
La réunion est close à 15 h 05.
Jeudi 29 juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Rapport de la Cour des Comptes sur la mise en oeuvre du Brexit en France - Audition de M. Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, président de la formation interchambres de la Cour des Comptes relative à la préparation et la mise en oeuvre du Brexit en France, Mme Françoise Bouygard, conseillère maître, présidente de section à la première chambre de la Cour des comptes et contre-rapporteure, et M. Denis Tersen, conseiller maître à la première chambre de la Cour des Comptes et rapporteur général
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui les magistrats de la Cour des comptes qui ont participé à l'élaboration du rapport relatif à la mise en oeuvre du Brexit en France, publié le 14 juin dernier et que je remercie pour leur présence.
Nous avons lu avec grande attention votre rapport et pris connaissance de vos constats et recommandations sur des sujets qui nous mobilisent depuis sept ans maintenant.
Dès le référendum britannique approuvant le Brexit, notre commission, avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a mis en place un groupe de suivi, dont je salue les membres ici présents.
Ce groupe s'est attaché à suivre les enjeux liés à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne et ses conséquences, notamment pour notre pays.
Une délégation du groupe de suivi s'était d'ailleurs rendue dès le 6 janvier 2021 à Calais et à Boulogne-sur-Mer pour constater sur le terrain les conséquences du rétablissement d'une frontière extérieure de l'Union européenne (UE) avec le Royaume-Uni.
Nous nous étions alors rendus sur le site d'Eurotunnel, ainsi qu'au port de Calais et avions rencontré des représentants de la filière pêche à Boulogne-sur-Mer.
J'avais, quelques semaines plus tard, déposé, avec mon collègue Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, une proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement de la Commission européenne qui visait alors à instaurer une réserve d'ajustement au Brexit.
Nous avions ainsi proposé d'apporter un certain nombre de modifications au fonctionnement de cette réserve, afin qu'elle permette une plus juste compensation des conséquences négatives du retrait du Royaume-Uni sur l'économie des États membres, et notamment de la France.
Nous avions été entendus, puisque le Gouvernement français a réussi, dans les négociations, à obtenir une augmentation de l'enveloppe pour notre pays et un assouplissement des conditions d'exécution. Nous nous sommes rapidement inquiétés du déploiement effectif de cette enveloppe budgétaire obtenue de haute lutte, sur laquelle l'État a tenu à garder la main.
La région Hauts-de-France, dont je suis élu, m'a alerté de plus en plus fortement sur les difficultés de mise en oeuvre de cette réserve. C'est pourquoi j'ai lu avec attention et stupeur votre rapport, qui indique que la France n'envisage d'utiliser que 31,5 % de l'enveloppe de 736 millions d'euros qui lui a été allouée.
Vous pointez des défaillances dans l'organisation et le portage interministériel. Qu'en est-il ? Comment expliquer une telle sous-utilisation des crédits ? Quels seront les entreprises et les secteurs qui pourront finalement bénéficier de cette réserve qui, je le rappelle, fonctionne par un système de remboursement ex post des dépenses engagées qui y sont éligibles ?
Toujours sur la question financière, j'aimerais revenir sur la situation des pêcheurs. Selon le Comité scientifique technique et économique des pêches (CSTEP), les pertes directes liées aux réductions de quotas de pêche du fait de la sortie du Royaume-Uni représentaient 3 millions d'euros en 2021 et devraient augmenter, pour atteindre 6,2 millions d'euros en 2025.
Comme vous le mentionnez dans votre rapport, la direction générale des affaires maritimes et des pêches a ainsi constaté que les navires dépendant à 50 % des eaux britanniques subissaient en moyenne une perte de 30 % de leur chiffre d'affaires par rapport à 2019.
Vous relevez néanmoins dans l'annexe 2 au rapport que l'indemnisation des pertes de chiffre d'affaires des entreprises de pêche affectées par le Brexit a été très peu sollicitée, puisque seules douze entreprises de pêche ont été indemnisées pour 580 000 euros et quatre entreprises de mareyage pour 240 000 euros, alors qu'un budget de 20 millions d'euros était prévu.
Comment expliquer ce décalage ? Est-il dû aux défaillances de la gestion de la réserve d'ajustement du Brexit ? À qui les imputer ?
S'agissant de la question plus générale du rétablissement de la frontière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, vous indiquez dans votre rapport que celle-ci s'est faite sans difficulté majeure et dans les temps, notamment grâce aux reports successifs de l'accord et à la crise sanitaire qui a induit une diminution des échanges. Vous pointez néanmoins des progrès à effectuer, s'agissant notamment du système d'information « Brexit ». Pourriez-vous nous en dire plus ?
Notamment, je souhaitais vous interroger sur le poste de contrôle frontalier (PCF) de Boulogne-sur-Mer. La Commission européenne a autorisé ce poste, à titre dérogatoire et expérimental, à réaliser des contrôles sans être situé à un point de passage frontalier de l'Union européenne. Dans votre rapport, vous relevez les difficultés récurrentes rencontrées par ce poste et préconisez un audit complet afin d'y remédier. Pensez-vous que ces difficultés puissent à terme conduire la Commission à remettre en cause cette expérimentation, et quelles seraient les conséquences d'une telle décision ?
Je vous remercie par avance pour les réponses que vous apporterez à mes questions. J'en aurai certainement d'autres, mais je laisserai naturellement mes collègues intervenir après votre présentation.
M. Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître, président de la formation interchambres de la Cour des Comptes. - Merci pour votre accueil. La formation interchambres chargée de ce travail regroupe trois chambres différentes, la première chambre, dont nous faisons partie, mais aussi la chambre en charge des questions de sécurité et la chambre en charge des questions d'agriculture et de pêche, ce qui permet d'avoir une vue d'ensemble.
Nous avons engagé cette enquête mi-2022, un peu plus de deux ans après la sortie effective du Royaume-Uni, le 31 janvier 2020, et un peu plus d'un an après l'entrée en vigueur de l'accord de commerce et de coopération au 1er janvier 2021.
Nous nous sommes focalisés sur quelques questions. Il le fallait sur un tel sujet, sauf à se perdre dans l'ensemble des politiques communautaires.
Nous nous sommes concentrés sur l'organisation des administrations face au rétablissement de la frontière, les effets du Brexit sur les entreprises et les citoyens et l'accompagnement de l'État ainsi que sur les conditions d'application des accords et les risques de divergence réglementaire.
Nous n'avons pas abordé le processus de négociation communautaire. Nous ne qualifions pas les décisions britanniques. Pour nous, c'est une donnée. Nous avons constaté, à Douvres par exemple, des difficultés qui ne relèvent pas en premier lieu des autorités françaises, mais nous ne faisons que les constater.
Nous n'entrons pas non plus dans le détail des questions bilatérales de police, d'immigration, de justice, de défense, de politique de pêche, notamment de négociations sur les licences de pêche.
En 2019, le Royaume-Uni est un partenaire économique majeur. C'est notre premier excédent bilatéral - presque 13 milliards d'euros, avec des secteurs très forts. C'est un très grand marché pour notre pays : le Royaume-Uni représente alors le sixième client de la France et le huitième fournisseur, avec 35 milliards d'euros d'exportations de biens. C'est également un partenaire essentiel en matière de services : il s'agit de notre deuxième marché à l'exportation et à l'importation. Plus important encore peut-être, notre relation avec le Royaume-Uni est une réalité pour beaucoup d'entreprises françaises. Un peu plus de 30 000 entreprises françaises exportaient avant le Brexit, dont beaucoup de PME - près de 80 % de moins de 50 salariés -, avec environ 100 000 importateurs, parfois pour des montants relativement peu importants. C'est une réalité du tissu économique français.
Le premier thème que nous avons étudié, dans ce rapport, est le rétablissement de la frontière, qui implique des transformations sont à poursuivre. Cette frontière remet en cause les libertés fondamentales du marché unique que sont la libre circulation des biens, des personnes, des services, des capitaux. Tout cela a des conséquences majeures sur toute une série de secteurs.
In fine, ce rétablissement de la frontière s'est fait sans difficulté majeure, en janvier 2021. C'était un véritable défi organisationnel. L'organisation interministérielle s'est révélée réactive. Le Secrétariat général des affaires européennes, la direction de l'Union européenne du Quai d'Orsay, la représentation permanente de la France à Bruxelles, la direction du Trésor ont été parmi les administrations les plus impliquées. Bien entendu, les administrations de la frontière et les opérateurs d'infrastructures se sont coordonnés pour arriver à ce résultat.
Des circonstances particulières ont facilité cette mise en oeuvre dans de bonnes conditions, comme les reports successifs liés aux rebondissements de cette négociation, que nous avons tous suivis. Tout ceci a duré un peu plus de quatre ans. La crise sanitaire a eu aussi des effets réducteurs sur les volumes d'échanges ce qui, au moment où l'on procédait au rétablissement de la frontière, a facilité les choses.
La première administration concernée est la douane. Elle a mis en place un nouveau dispositif appelé « frontière intelligente », qui repose sur l'anticipation, l'identification et l'automatisation des contrôles. Un nouveau système d'information appelé « SI Brexit » a été mis en oeuvre, avec l'aide du cabinet de conseil Capgemini. La gestion de ce système a ensuite été internalisée au sein de la direction des douanes et rendue opérationnelle dès 2021. Nous avons réalisé un audit de ce système d'information et n'avons pas relevé de critiques importantes sur son caractère opérationnel.
Il reste quelques progrès à accomplir en matière d'échanges d'informations avec d'autres services de la frontière, comme les services vétérinaires, à propos desquels nous émettons une recommandation. Des améliorations sur un point assez technique, l'appariement des données, nous paraissent également possibles. La douane est prête à considérer cette évolution. Elle a bénéficié, pour arriver à ce résultat, d'un net renforcement de ses moyens : 700 créations d'emplois jusqu'en 2021, et un peu plus de 100 emplois dégagés par redéploiement dans la période la plus récente (2022-2023).
La douane est évidemment en première ligne en matière de flux de marchandises, et on constate un retour progressif à une situation proche de la normale - même si des comportements de surstockage, fin 2020, ont réduit les flux de marchandises début 2021.
Le point important est que la place de la France a été préservée comme point d'entrée de tous ces flux. La carte des ports les plus concernés - figurant page 57 du rapport - rappelle cette réalité.
La deuxième administration de la frontière la plus concernée est le ministère de l'agriculture et son service d'inspection vétérinaire et phytosanitaire. C'est un service qui a complètement changé de dimension. Il y avait un peu moins de 100 postes budgétaires avant 2019. Il a fallu recruter près de 400 personnes mi-2022, avec des difficultés liées à la technicité de ces métiers et aux localisations, tout cela pour arriver à un niveau de contrôles sanitaires à peu près stabilisé désormais.
De notre point de vue, cette organisation doit être améliorée, notamment pour mieux tenir compte de la réalité des flux à contrôler. Cinq postes de contrôle frontaliers ont été créés, ce qui porte leur nombre de trois à huit, avec une compétence vétérinaire et phytosanitaire. Les plages horaires sont très larges. Certains postes sont surdimensionnés au regard de la réalité des flux à contrôler. C'est la raison pour laquelle nous recommandons un réexamen de l'organisation de ces temps de travail voire, dans un ou deux cas, un questionnement sur l'existence même de certains de ces postes de contrôle vétérinaire et phytosanitaire.
Vous l'avez signalé, Monsieur le Président, nous avons pointé à Boulogne-sur-mer des questions d'organisation. Nous y reviendrons tout à l'heure.
S'agissant des passagers, il faut avoir à l'esprit que les flux ne sont pas revenus au niveau de l'avant-Brexit. Le point bas s'est situé en 2021. En 2022, la reprise n'est que partielle. On peut l'illustrer aux points de passage frontaliers des Hauts-de-France : en 2021, les flux de passagers représentaient un tiers de la situation de 2019, soit 7,4 millions comparés à 21,5 millions. Dans le tunnel sous la Manche, le nombre de passagers circulant en 2022 représente 75 % de celui de 2019.
On voit donc que le Brexit a un effet significatif sur les mouvements de personnes Cela concerne évidemment la police aux frontières, dont nous préconisons une meilleure adaptation aux flux de passagers. Les temps de contrôle, de fait, ont été doublés, puisque le Royaume-Uni est désormais un pays tiers. Des moyens ont été mis en face : 260 créations d'emplois aux points de passage frontaliers ont été obtenues.
La réalité des recrutements fut néanmoins inférieure à ce nombre, compte tenu des priorités du ministère de l'intérieur. 141 recrutements avaient été effectués à l'été 2022. Il faut noter un recours nouveau aux contractuels sur le premier niveau de contrôle, avec des assistants de contrôles aux frontières.
Nous avons constaté que certains pics de fréquentation méritaient d'être mieux anticipés. Côté anglais, on a enregistré au moment des vacances scolaires des congestions très importantes mais, côté français, nous n'avons pas non plus été totalement exemplaires : lors des vacances scolaires en juillet 2022, ou lors d'incidents techniques, comme en août 2022, on a pu constater des difficultés ponctuelles.
À noter un sujet particulier, qui n'est pas considérable en masse financière mais qui, du point de vue du droit, pose question : il s'agit des droits de chancellerie. Au-delà d'une certaine durée de séjour, désormais, les citoyens britanniques sont redevables de droits, mais notre organisation est totalement inadaptée pour les percevoir. Cette collecte est ainsi rendue totalement confidentielle. Il faut s'organiser pour percevoir ces droits, qui sont désormais institués par la législation.
Le deuxième sujet sur lequel nous nous sommes penchés concerne plus précisément les conséquences du Brexit sur les entreprises et les citoyens.. Pour les entreprises, le rétablissement de la frontière a engendré des coûts et des délais. Un accord de libre-échange ne signifie pas l'absence de formalités, même s'il ne prévoit ni droit de douane ni quota. On assiste à un retour des procédures administratives dans les deux sens, à l'exportation comme l'importation, avec la nécessité de passer, par exemple, par un représentant des douanes agréé.
Nous avons rencontré des entreprises de tailles diverses. Ce sont les PME qui ne travaillaient pas avant avec des pays tiers qui sont les plus affectées. Pour certaines PME, ces surcoûts peuvent atteindre 10 % du chiffre d'affaires. Le secteur de la pêche, que vous avez évoqué, a subi des pertes très importantes. Les mareyeurs sont également très concernés, de même que les navires.
Tout cela joue sur le commerce extérieur : on ne rétablit pas une frontière, on ne rend pas les mouvements de biens ou de services plus difficiles sans conséquence. Nous constatons que, sur 2021 et 2022, les exportations françaises au Royaume-Uni ont diminué.
La relation commerciale avec le Royaume-Uni est en retrait, alors que la relation commerciale de la France avec l'Union européenne a poursuivi sa progression. On peut l'illustrer : d'après les données transmises par la direction des douanes, les exportations françaises, hors énergie, vers le Royaume-Uni sont en diminution de 2,4 % en 2022 par rapport à 2019, là où les exportations françaises vers les autres pays européens connaissent une évolution positive, voire très positive.
En matière de services, on a constaté que le nombre de touristes britanniques était moindre que celui des touristes en provenance d'autres pays voisins. Ceci nous amène à poser la question de l'accompagnement par les pouvoirs publics. Toute une série d'initiatives administratives ont été prises. Parmi elles, la réserve d'ajustement du Brexit, qui n'a cependant pas été utilisée à la hauteur des attentes.
Comme vous l'avez rappelé, une négociation a eu lieu pour obtenir un retour satisfaisant sur cette enveloppe, pour la France, avec 736 millions d'euros sur 2,5 milliards d'euros, mais l'organisation interministérielle a été longue à se mettre en place et les décaissements encore plus. En conséquence, sur les 736 millions d'euros obtenus, seuls 232 millions d'euros seraient effectivement consommés. Ce chiffre a été notifié à la Commission au printemps. Vous vous êtes inquiété pour le secteur de la pêche, Monsieur le Président, mais la prévision pour ce secteur est de dépenser ce qui était prévu dans l'enveloppe initiale.
En revanche, les entreprises pour lesquelles on envisageait de financer 400 millions d'euros de dépenses, n'ont pu bénéficier de la réserve, car les dépenses engagées étaient souvent antérieures à la période d'éligibilité prévue par le règlement communautaire. . La réserve n'a donc été que très peu utilisée. 70 % de cette enveloppe, soit 500 millions d'euros, vont être redéployés vers le programme européen « RePowerEU » que l'UE a récemment mis en place en réponse à la crise énergétique.
Il faut noter que ces sous-exécutions ne sont pas propres à la France. On les constate dans toute une série d'autres pays. En tout cas, en France, cette réserve, sur laquelle beaucoup d'espoirs étaient fondés, n'a pas été utilisée à la hauteur de ce qui était prévu.
À l'inverse, on note l'effet positif du Brexit sur le secteur financier, avec la fin du passeport européen pour la City. Il y a donc eu une vraie stratégie d'ensemble pour renforcer l'attractivité de la place financière de Paris. Christian Noyer, ancien gouverneur de la Banque de France, et les régulateurs ont pris des dispositions en ce sens, sans d'ailleurs remettre en cause la réalité des contrôles. Le but était de faciliter les contacts auprès des investisseurs. Les agences d'attractivité ont aussi joué leur rôle. Le cadre juridique a été adapté pour être plus favorables aux investisseurs, en particulier avec le régime des impatriés. À noter, même si cela s'est joué par tirage au sort, que l'Autorité bancaire européenne (ABE) a été installée à Paris.
Les effets du Brexit sur le secteur financier constituent un renforcement limité à l'échelle d'une économie, mais représentent un atout réel pour la place financière. L'estimation était de l'ordre de 3 000 emplois supplémentaires l'été dernier, selon une évaluation du Trésor qui a été revue à la hausse à hauteur de 5 500 par une étude d'Ernst & Young publiée il y a quelques jours, l'évaluation étant difficile parce que ces emplois sont mobiles. La France a été l'une des grands bénéficiaires de ces relocalisations d'emplois financiers - et peut être la première au sein de l'Union européenne.
Pour les autres investissements hors secteur financier, des projets ont vu le jour, directement liés au Brexit. Sur les 600 projets venant du Royaume-Uni et recensés par Business France entre 2017 et 2021, 240 avaient le Brexit comme motivation principale.
S'agissant des citoyens, nous avons constaté que des facilités d'organisation avaient été mises en place des deux côtés de la Manche pour les résidents, avec le Settled Status pour le Royaume-Uni et des titres de séjour « accord de retrait » pour les résidents britanniques en France. Les rapporteurs sont allés à Eymet en Dordogne pour constater une certaine stabilité de la population britannique en France.
En revanche, nous avons constaté des difficultés pour que ce que nous appelons « les nouveaux venus au Royaume-Uni ». Le Brexit a eu des effets parfois spectaculaires sur les voyages scolaires et les étudiants, les jeunes professionnels avec des visas à points, les volontaires internationaux en entreprise (VIE), dispositif qui marchait si bien à Londres depuis sa création début 2000 (8000 jeunes en ont bénéficié). Ce dispositif devient maintenant presque confidentiel. Ces difficultés dans les échanges ont été un des points du sommet franco-britannique du 10 mars 2023. Il y a effectivement matière à essayer d'améliorer les choses dans la relation bilatérale.
Tout cela nous conduit au troisième thème du rapport, concernant l'avenir. La mise en oeuvre du Brexit est inachevée, et il faut rester vigilant, en particulier sur les dynamiques des divergences réglementaires.
Trois dynamiques sont en jeu. Premièrement, il y a encore des étapes à franchir dans la mise en oeuvre du Brexit. Ainsi, les formalités britanniques à la frontière pour les marchandises ne sont pas encore complètement stabilisées. Un nouveau dispositif est en cours de déploiement. Ce ne sera effectif, selon nos dernières informations, que d'ici fin 2023, voire début 2024. En tout cas, l'équivalent de la frontière intelligente française de 2021 ne sera complètement déployé côté britannique que fin 2023 au mieux.
Des régimes transitoires ont été organisés par l'accord de commerce et de coopération en matière de pêche - avec une date importante au 30 juin 2026- et de marché européen de l'énergie. Des clauses de rendez-vous ont été prévues pour une évaluation conjointe cinq ans après, avec des sujets spécifiques - je pense à l'équivalence temporaire des chambres de compensation britanniques dans l'Union européenne, qui vaut jusqu'au 30 juin 2025. Ce sont des sujets très importants en matière financière, en particulier pour les produits dérivés. La Commission européenne souhaiterait relocaliser ces chambres de compensation sur le territoire européen.
Finalement, les dispositions additionnelles à l'accord de commerce et de coopération ont été fort peu nombreuses. Un élément nouveau, en février 2023, avec le cadre de Windsor, a conduit à une certaine détente concernant les difficultés liées à la frontière nord-irlandaise. Des progrès ont été réalisés d'un commun d'accord, sans revenir sur l'essentiel des dispositions. Des facilités ont été mises en place, ce qui débloque un certain nombre de choses. Ainsi, aujourd'hui même est signé à Bruxelles un Memorandum of understanding sur les questions de régulation financière. Il s'agit d'un forum de discussions, mais c'est important, puisqu'il atteste de possibilités nouvelles de coopérations.
Deuxième dynamique à prendre en compte : les évolutions de la réglementation européenne qui imposent des décisions et des traitements rapides. Le nouveau dispositif informatique de contrôle aux frontières Schengen (Entry-Exit System (EES)) est en voie d'achèvement. Le calendrier de mise en oeuvre est en cours de révision : nous attendions une décision du Conseil « Justice et affaires intérieures » en juin, qui a été reportée à septembre 2023. Le déploiement du système, initialement prévu pour 2023, devrait se faire courant de l'année 2024. En tout cas, les contrôles supplémentaires liés aux données biométriques sont susceptibles d'entraîner des risques d'augmentation de l'attente si les questions d'organisation ne sont pas traitées suffisamment en amont, d'où notre recommandation de finaliser des accords avec les opérateurs, en France et sur les postes comme Saint-Pancras. Il faut des négociations avec le Royaume-Uni sur certains de ces postes frontaliers particuliers.
En matière douanière, le système de contrôle des importations va connaître une évolution, avec des effets sur les déclarations d'importations au 1er mars 2024. Ces évolutions ne constituent pas des points bloquants, mais supposent des négociations et des discussions avec les Britanniques.
Enfin, nous appelons l'attention sur les questions d'évolution réglementaire. Les Britanniques assument l'ambition de divergence réglementaire, qui sont en train de se traduire dans leur droit. Un projet de loi britannique prévoit des clauses d'extinction automatique des dispositions juridiques européennes contenues dans leur législation. L'accord de commerce et de coopération avec l'Union européenne comprend une série de dispositions pour préserver des conditions de concurrence équitables sur le thème du level playing field, mais il faut rester très vigilant, car les initiatives britanniques sont là : création de ports francs, modification du dispositif des subventions, nouvelles règles de marchés publics, évolution de la réglementation du secteur financier. La City ne manque pas d'idées sur un certain nombre de réglementations touchant aux contraintes de bilan, par exemple, sur SolvencyII....
Le gouvernement britannique s'emploie aussi à soutenir des secteurs prioritaires : les technologies émergentes, les techniques génomiques, et le traitement des données, ce qui peut affecter la protection des données personnelles.
L'administration et les différents ministères français suivent ces sujets, mais nous recommandons de garder une vue d'ensemble et d'être en capacité de déterminer de vraies priorités, ce que les Britanniques savent faire. Ils savent aussi aller vite, leurs procédures juridiques leur permettant d'adopter des lois plus vite qu'en France si besoin. Il faut donc rester vigilant et mieux identifier les effets de moyen terme du Brexit sur les principales politiques publiques pour en déduire des priorités d'action de la France dans les instances de décision à Bruxelles, ou dans un cadre bilatéral.
Nous formulons, dans le rapport, neuf recommandations, qui concernent pour l'essentiel le rétablissement de la frontière et portent sur des points de gestion.
Pour la douane, nous préconisons de déployer des indicateurs de suivi de l'ensemble des contrôles menés à la frontière franco-britannique et de leurs résultats. Des progrès peuvent être réalisés en la matière. Il manque une vue d'ensemble des contrôles. Nous avons suggéré le regroupement des déclarations douanières au sein d'une « enveloppe logistique » dans le système d'information Brexit de la Douane, ainsi que la mise à disposition des données du système d'information Brexit aux services vétérinaires.
S'agissant de ces derniers, nous préconisons l'adaptation des plages horaires des postes de contrôle frontalier à la réalité du trafic et, s'il est nécessaire d'aller jusque-là, de poser à nouveau la question de l'agrément pour les postes les moins sollicités ou d'envisager l'audit de celui Boulogne-sur-mer.
En matière de police aux frontières, la question des pics de flux de passagers nous a conduits à formuler une recommandation visant à mettre en place un dispositif permettant de les anticiper. Une autre recommandation figurant dans notre rapport concerne l'amélioration de la collecte des droits de chancellerie, avec la nécessité de déployer des terminaux de paiement .Ce déploiement est en d'ailleurs en cours
Nous recommandons, par ailleurs, de conclure des accords - d'ici fin 2023 - avec les gestionnaires de fonds d'infrastructures - les discussions sont en cours-, en vue du déploiement du nouveau système informatique Schengen.
Enfin, nous recommandons de procéder à une revue interministérielle des dynamiques de divergence réglementaire pour mieux déterminer les priorités d'action de la France.
Voilà l'essentiel du travail qui a été fait pour lequel je remercie encore les équipes, dont font partie Denis Tersen, rapporteur important de cette enquête, et Françoise Bouygard, qui a coordonné l'ensemble en tant que contre-rapporteure.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour votre présentation synthétique et objective, qui pointe plusieurs sujets qui ont fait l'objet d'inquiétudes dans cette commission.
Vous avez dit que le Brexit n'était pas fini. Nous le constatons dans un certain nombre de cas, comme celui de la pêche pour laquelle s'annonce la renégociation de l'accord en 2026, qui est aujourd'hui un vrai sujet d'inquiétude pour l'économie de trois régions au moins - la Bretagne, la Normandie et les Hauts-de-France.
Par ailleurs, les 500 millions d'euros de la réserve d'ajustement au Brexit - qui ne seront pas consommés à ce titre - vont être transférés sur un autre programme européen hors contrôle parlementaire, sans avis des territoires les plus concernés - même si le Secrétariat général des affaires européennes nous fait savoir qu'une discussion est entamée avec les régions. Les dossiers ayant été tellement difficiles et compliqués à monter pour obtenir 200 millions d'euros, cela ne va-t-il pas être la même chose pour les 570 millions d'euros à venir, les délais restant contraints ?
On a perdu beaucoup de temps en négociations avec l'Union européenne pour obtenir cette enveloppe de 736 millions d'euros, alors que d'autres États membres, pendant la négociation, commençaient à mettre en place le dispositif. Nous avons tardé en demeurant dans le flou.
Je remarque qu'une partie de la réserve d'ajustement au Brexit aurait pu financer les surcoûts générés par le Brexit pour les entreprises privées. Cela n'a pas été fait à cause de la complexité des dossiers. Il aurait été sans doute plus intéressant, sur le modèle des fonds européens, d'attribuer une délégation plus franche aux régions, avec une gestion de proximité plus importante. On aurait alors constaté certainement une utilisation des crédits plus effective.
Je m'inquiète aussi du contrôle a posteriori qui intervient aujourd'hui : si les fonds de la réserve n'ont pas été utilisés à bon escient ou reconnus comme tels, l'État membre est censé les rembourser, ainsi que les régions et les attributaires.
Je tiens à ce que notre commission reste très attentive à ce qui va se passer avec ces 500 millions de la réserve d'ajustement au Brexit qui seront redéployés.
S'agissant du système d'entrée et de sortie (EES), comment expliquer ce retard de mise en oeuvre? Cela fait deux fois que le calendrier est modifié. S'agit-il de problèmes informatiques, de mise en place ou de négociations ?
M. Jean-Pierre Laboureix. - C'est une structure européenne qui porte ce projet. Elle est installée à Strasbourg, même si des équipes peuvent être dans plusieurs autres pays. Cette structure, qui coordonne la préparation technique du système, pèse le plus en matière de calendrier.
Il avait été recommandé un décalage du projet, de mémoire au tout début de l'année 2023 ou à la fin de l'année 2022, avec une perspective de mise en oeuvre à l'automne 2023 conduisant à une prise de décision du Conseil « Justice et affaires intérieures » en juin.
Comme vous le savez, ce Conseil avait un ordre du jour extrêmement chargé, en particulier à propos de questions d'immigration. De fait, la décision a été repoussée au Conseil qui se réunira au mois de septembre.
Nous ne sommes pas allés jusqu'à expertiser l'état des travaux au sein de la structure européenne qui prépare la mise au point technique. Nous avons cru comprendre que les choses sont très avancées. C'est un projet engagé depuis le milieu des années 2010, les toutes premières décisions remontant à 2015. On s'approche donc vraiment de la phase de mise au point finale et de déploiement.
La réunion du Conseil « Justice et affaires intérieures » de septembre déterminera à quel moment ce système informatique pourra être déployé dans les États Schengen. Cela suppose une décision coordonnée.
Je n'ai pas d'informations plus précises mais, dans les auditions auxquelles nous avons procédé, on ne parle pas de 2025, 2026 ou 2027. Dans l'hypothèse la plus rapide, le déploiement aurait lieu d'ici la fin de 2023. Sinon, ce serait courant 2024.
J'ai cru comprendre que, côté français, il existait une attention particulière liée aux jeux Olympiques de l'été 2024. La question est de savoir si le déploiement d'un nouveau dispositif juste avant les jeux Olympiques est opportun, mais ce n'est est pas un sujet que la Cour des comptes a approfondi.
M. Jean-François Rapin, président. - Vous émettez l'hypothèse que les structures de contrôle vétérinaire sont aujourd'hui surdimensionnées par rapport à la réalité du trafic. Les élus avaient à l'époque insisté pour que ces structures puissent parer à toute éventualité, parce qu'on ne savait pas ce qui allait se passer en termes de contrôles : ces structures devaient être prêtes à réaliser des contrôles 24 heures sur 24 pour ne surtout bloquer la place de Boulogne-sur-mer, notamment en termes de transit du poisson. Je rappelle que cette plateforme, en matière de traitement du poisson, est plus importante que Rungis. Aujourd'hui s'il y a des réajustements à réaliser au regard de votre rapport, ils peuvent être compris.
M. Pierre Louault. - Concernant la sous-utilisation de la réserve d'ajustement au Brexit, la France ne souffre-t-elle pas d'une surrèglementation, comme toujours pour l'utilisation de fonds européens ?. On n'applique pas seulement des règles européennes : on en ajoute tellement que les personnes concernées renoncent purement et simplement !
J'ai eu l'occasion de superviser l'utilisation de fonds européens. Je puis vous dire que l'administration locale en rajoute en permanence et ne connaît pas assez les règles d'utilisation, si bien que les dossiers sont souvent refusés sans raison valable. Je crains que ce soit une des raisons essentielles qui explique que les entreprises ne demandent pas à bénéficier de ces fonds.
M. Jean-Pierre Laboureix. - Concernant la réserve d'ajustement du Brexit, la Première ministre, dans sa réponse qui figure sur le site de la Cour des comptes, fait valoir des contraintes de calendrier. Pour bénéficier de la réserve, il fallait que les entreprises puissent justifier de dépenses engagées pendant la période de référence prévue par le règlement européen qui débute au 1er janvier 2020, alors que certaines entreprises avaient engagé des dépenses dès 2016.
Cela dit, comme vous l'avez évoqué, l'administration a mis du temps à s'accorder - sans citer telle ou telle direction ou services.
Je pense qu'il y a sans doute un défaut d'organisation administrative française pour mettre en oeuvre un règlement comportant des contraintes fortes et spécifiques, tout ceci pouvant expliquer une partie de cette sous-utilisation. Une des difficultés vient sans doute du fait que l'administration n'a pas su se coordonner suffisamment vite, de notre point de vue.
Mme Françoise Bouygard, conseillère maître, présidente de section à la première chambre de la Cour des comptes et contre-rapporteure. - La réponse de la Première ministre suggère une crainte des administrations de ne pas être en capacité de rendre compte a posteriori du bon usage de ces fonds.
Pour avoir été, dans une vie professionnelle antérieure, gestionnaire du Fonds social européen (FSE), je peux attester que, longtemps, la France n'a pas été suffisamment performante pour rendre compte du bon usage des crédits européens. On en est aujourd'hui à la phase numéro 2, où on a peut-être intériorisé cette crainte de façon excessive.
Un autre point est plus troublant dans la réponse de la Première ministre : « La charge que représente la constitution d'un dossier est finalement désincitative pour nombre d'entreprises, et même, parfois, insurmontable lorsque les dépenses liées au Brexit se mêlent aux dépenses consenties pour faire face à la pandémie de Covid-19 ». On attendait de la part des acteurs français qu'ils aident les entreprises dans ces démarches. Or la Première ministre fait le constat de la difficulté, sans prendre en compte le fait que les entreprises, notamment les PME exportant seulement vers le Royaume-Uni, n'ont pas été suffisamment aidées dans leurs démarches.
M. Pierre Louault. - Votre exemple du FSE est typique. Des mesures de simplification ont remis les choses en ordre, et on a pu en avoir un usage rapide, alors qu'au départ, on en renvoyait une partie des fonds à Bruxelles. J'ai connu cette période.
Mme Françoise Bouygard. - La complexité n'était pas seulement due à l'organisation française, mais aussi au règlement lui-même. On peut regretter le fait de ne pas avoir vu que le règlement de la réserve d'ajustement au Brexit était trop complexe avant qu'il ne soit finalisé.
M. Jean-Pierre Laboureix. - Une prochaine publication de la Cour des comptes portera sur le budget de l'État et le budget européen, avec une série de développements sur la mise en oeuvre des programmes européens, et notamment la place de ceux qui sont dans la main de la Commission et qui prennent de plus en plus de place, avec des critères spécifiques. Nous avons effectivement, avec le plan de relance européen, un autre dispositif de suivi, avec de nombreux jalons. C'est une autre logique que les fonds structurels « classiques » qui sera analysée dans un rapport qui va être publié très prochainement.
M. Jean-François Rapin, président. - L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) a dû créer une organisation propre pour traiter cette question. Je ne sais si elle était armée pour ce genre de missions, alors que les régions étaient sans doute plus à mêmes d'intervenir, au plus près des entreprises et des territoires. Cette ré-organisation de l'ANCT n'a pas été évaluée dans votre rapport, mais elle n'est pas sans coûts !
M. Jean-Pierre Laboureix. - La Première ministre rappelle dans sa réponse que 21 emplois ont été affectés pour la gestion de la réserve, qui ont sans doute souffert d'un défaut de coordination.
Mme Amel Gacquerre. - Merci pour votre représentation extrêmement claire. En tant qu'élus dans le Pas-de-Calais, nous avons vécu de plein fouet la sortie du Brexit, avec toutes les craintes que nous avons pu exprimer.
Vous avez évoqué l'ajustement nécessaire des diverses organisations pour pouvoir mettre en place le Brexit. Nous n'avons pas évoqué l'impact en matière de recrutement et de main-d'oeuvre, pour nos entreprises. Le Brexit a-t-il eu un impact particulier à cet égard sur nos entreprises ?
Vous avez également évoqué son impact en matière de commerce extérieur pour notre pays. Certains pays en ont-ils tiré un bénéfice ?
M. Jean-Pierre Laboureix. - Nous n'avons pas de réponse globale, mais il existe quelques chiffres macroéconomiques. Une autorité indépendante britannique dénommée Office of budget responsability (OBR) a estimé que l'effet en termes d'échanges extérieurs serait de l'ordre de - 15 % sur l'économie britannique. Il s'agit potentiellement d'effets très importants.
Sur 2021 et 2022, nous n'avons pas voulu généraliser trop vite, mais nous constatons que cela a eu un effet certain sur nos exportations. Nos exportateurs se redéploient-ils vers d'autres destinations ? Pour dire les choses simplement, les petites entreprises n'exportent plus vers le Royaume-Uni. Se sont-elles redéployées vers d'autres destinations ? Il faudra y être attentif car ces effets ne sont visibles qu'à plus long terme.
À cela s'ajoutent des facteurs macroéconomiques, des cycles distincts entre pays, des effets de change qui peuvent être importants, des perturbations sur le marché de l'énergie, qui compliquent l'analyse des chiffres du commerce extérieur. On ne peut pas en tirer des conclusions de façon affirmative, mais cela va bien dans le sens d'un effet négatif sur les entreprises françaises : on ne rétablit pas des frontières sans effet sur les échanges et les entreprises.
M. Jean-François Rapin, président. - Il existait une certaine appétence des étudiants français pour aller au Royaume-Uni et, inversement, de ceux du Royaume-Uni pour venir en France. Alors qu'il existait des dispositifs accessibles, et facilitant les échanges - je pense à Erasmus -, ils semblent aujourd'hui à l'arrêt
Quelles sont vos pistes pour retrouver cette appétence et cette facilité dans les échanges interuniversitaires et permettre à nos étudiants de continuer à aller travailler au Royaume-Uni ? La place financière de Londres, qu'on disait morte avant le Brexit, est restée très active.
M. Jean-Pierre Laboureix. - Fixer un programme d'action serait aller au-delà de ce que nous pouvons faire.
Comme je l'ai dit, on a estimé que ce sujet était suffisamment sérieux pour l'inscrire à l'ordre du jour du sommet bilatéral du 10 mars dernier, alors qu'il n'y en avait pas eu depuis cinq ans. Les deux gouvernements se sont accordés pour mettre en place un dispositif permettant de mieux comprendre ce qui se passe et voir quelles conséquences en tirer. C'est donc une approche bilatérale que nous privilégions sur ces sujets.
S'agissant des programmes Erasmus et de l'ouverture aux citoyens britanniques, je n'ai pas le dernier état d'information sur ces éventuelles initiatives au niveau européen. Je ne saurais répondre précisément.
M. Denis Tersen, conseiller maître à la première chambre de la Cour des Comptes et rapporteur général. - Ceci résulte en grande partie de la volonté des Britanniques de montrer qu'il y a eu un avant et un après-Brexit, avec des décisions qui peuvent paraître absurdes, par exemple concernant le statut des jeunes filles au pair.
Aujourd'hui, un Européen, un Français ou une Française ne peuvent aller au Royaume-Uni avec ce statut, alors que c'est autorisé à un Coréen ou à un ressortissant de San Marin. Ce sont les Britanniques qui fixent la liste des pays. Ils se sont punis eux-mêmes, mais ils ont voulu, d'une certaine façon, marquer le fait que les Européens devaient être mis à l'écart.
Il en va de même des VIE. La situation est entre les mains britanniques.
Concernant Erasmus, ce sont les Britanniques qui ont souhaité sortir du programme. Ce sont des gestes de rupture plus symboliques que réels - même si cela touche les jeunes, et à tous les niveaux.
Dorénavant, il faut un passeport pour les voyages scolaires ou pour le tourisme de mémoire.
M. Jean-François Rapin, président. - Alors que l'Union européenne a affiché une certaine souplesse...
M. Denis Tersen. - De fait, il existe des dispositifs européens. Tout ceci pose en effet une question de réciprocité. C'est pourquoi le sommet franco-britannique était important.
M. Jean-François Rapin, président. - Vous nous avez dit que le Brexit n'était pas fini : je suppose qu'il y aura donc d'autres rapports de la Cour des comptes sur le sujet et de nouveaux points d'actualité à prévoir.
Merci pour ce travail. Sachez qu'il nous est très précieux, notamment dans nos régions.
La réunion est close à 10 heures.