Mardi 13 juin 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Projet de loi relatif à l'industrie verte - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Notre commission a demandé à être saisie pour avis et a reçu une délégation au fond de la commission des affaires économiques sur les articles 15 à 19 du projet de loi relatif à l'industrie verte.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je commencerai par une première remarque d'ensemble : les cinq articles délégués ont souvent un lien assez ténu avec l'industrie verte dont nous avons compris, lors de l'audition de MM. les ministres Bruno Le Maire et Roland Lescure, qu'elle ne comporterait que cinq champs - ceux des panneaux photovoltaïques, des éoliennes, des batteries électriques, de l'hydrogène vert et des pompes à chaleur -, ce qui pose question. Ce cadre étant posé, j'en viens à la présentation des cinq articles.

L'article 15 s'inscrit dans la continuité de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite Pacte. Il vise à diversifier le contenu des produits proposés dans les portefeuilles d'assurance vie, en rendant obligatoire la présentation à l'épargnant des différents labels qui pourraient être reconnus par l'État au titre du financement de la transition écologique et énergétique ou de l'investissement socialement responsable (ISR).

Derrière cet article se pose la question des labels qui permettent de classer les actifs comme étant verts. Aujourd'hui, ISR et Greenfin sont les deux labels les plus répandus, sachant que le premier a fait l'objet d'un certain nombre de critiques. En décembre 2020, un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) concluait qu'à moins d'une évolution, le label ISR s'exposerait à « une perte inéluctable de crédibilité et de pertinence ». De plus, selon un article du Monde datant de mai 2022, 80 % des fonds labellisés ISR ont au moins une entreprise en portefeuille en lien avec le secteur des énergies fossiles, ce qui correspond à la proportion observée dans les autres fonds.

Le Gouvernement a annoncé qu'il allait produire un nouveau label, a priori centré sur la transition et l'industrie verte, mais dont nous ignorons encore les tenants et aboutissants. Afin d'éviter un trop grand greenwashing, je souhaiterais que les labels, avant d'être proposés dans les contrats d'assurance vie en unités de compte, reçoivent un avis de l'Autorité des marchés financiers (AMF), sachant que cette dernière a récemment conduit des travaux sur la finance verte. Je proposerai un amendement en ce sens.

L'article 16 vise à créer un plan d'épargne avenir climat (PEAC), dont nous n'avons découvert la description précise que jeudi dernier. Ce dispositif sera destiné aux mineurs, qui devront y souscrire avant leur 18e anniversaire. Les fonds seront bloqués jusqu'à l'âge de 18 ans mais, si le produit est ouvert pour un mineur âgé de plus de 13 ans, alors la durée de blocage sera de cinq ans. Il devra être liquidé au plus tard au 25e anniversaire. En outre, le plafond maximum de l'encours serait de 22 950 euros. Cette somme pourra être bonifiée grâce aux intérêts versés.

Par ailleurs, un abondement de l'État est prévu en cas de souscription du plan l'année de naissance de l'enfant ; je vous propose de supprimer cette disposition. En effet, le plan a un caractère risqué, l'État n'apportant pas de garantie pour les fonds placés, avec un risque de perte en capital en cas de dépréciation des actifs. La philosophie est donc différente de celle d'un livret jeune ou d'un livret A. Il ne s'agit pas d'un plan qui s'adresse à l'ensemble de la population, mais à des personnes pouvant investir de manière risquée une partie de leur capital. Or l'abondement ne sera pas un motif de souscription pour cette catégorie d'épargnants, qui seront plus intéressés par une rentabilité potentiellement meilleure que celle du livret A. Il ne s'agit donc pas forcément d'un produit « grand public », comme l'a pourtant défendu le Gouvernement, qui estime que jusqu'à un milliard d'euros pourrait être versé chaque année sur ce plan, ce qui semble très ambitieux.

À la naissance de leurs enfants, les ménages aisés choisissent très peu l'assurance vie et seuls 5 % des mineurs sont titulaires d'un contrat. Il s'agit donc de proposer un dispositif pouvant ressembler à une assurance vie dans son mode de gestion, puisqu'il faudra déterminer le profil de son épargne - prudente, équilibrée ou risquée - et que la question de la liquidité se posera. Dans le cas du PEAC, dont la durée est finie, la composition de l'actif et l'allocation des versements évolueront au cours de la vie du contrat pour être progressivement « dérisqués », à mesure qu'on approche de la date de fin du contrat. Je note d'ailleurs qu'une telle stratégie, sur un nouveau produit, pourrait entraîner des frais de gestion importants. Nous n'avons pas réussi à obtenir davantage d'informations sur ce point.

Je vous propose de réécrire l'article pour préciser les modalités de fonctionnement du plan, qui ressembleront à celles des plans d'épargne retraite (PER), avec une gestion pilotée à horizon. De plus, je vous propose de supprimer l'abondement et de préciser la date d'entrée en vigueur du produit, qui devra intervenir avant le 1er juillet 2024. Par ailleurs, il faut souligner le manque à gagner associé au dispositif pour les finances publiques : il ne sera pas gratuit puisque, au moment de la liquidation, le titulaire du contrat ne paiera ni prélèvements sociaux ni impôt sur le revenu. La fiscalité aura donc un coût différé compris entre 10 et 17 millions d'euros selon les estimations du Gouvernement.

J'ajoute que les actifs devront être verts et essentiellement fléchés vers la transition écologique et vers les petites et moyennes entreprises (PME). C'est un point que nous pourrons peut-être préciser. Le soutien aux PME est au coeur de la philosophie du projet de loi, qui se ressent plus encore dans les articles suivants.

Les articles 17 à 19 visent à réorienter l'épargne des Français vers des actifs moins liquides.

L'article 17 prévoit de modifier certaines normes régissant les contrats d'assurance vie et les PER. Par rapport à la loi Pacte, la nouveauté consiste d'abord à proposer obligatoirement une gestion pilotée des contrats d'assurance vie, ce qui est déjà le cas par défaut pour les PER. Les allocations associées pourraient comprendre une part minimale d'unités de compte investies dans des actifs non cotés en bourse ou des titres éligibles au plan d'épargne en actions-PME (PEA-PME), qui incluent des titres d'entreprises dont la capitalisation boursière n'excède pas 1 milliard d'euros.

Sur le fond, je ne suis pas opposée à l'idée qu'il faille tenter d'inciter les Français à choisir des actifs moins liquides et moins faciles à gérer. En revanche, quand, dans le cadre de la part minimale, les gestionnaires devront choisir entre des titres non cotés et cotés des entreprises dont la capitalisation n'excède pas un milliard d'euros, ils s'orienteront naturellement vers ces derniers, qui ont une valeur liquidative plus simple à déterminer.

Je propose donc un amendement visant à établir, à l'intérieur de cette part minimale, une sous-part dédiée aux actifs non cotés, qui devra être fixée par voie réglementaire, ce qui permettra une certaine souplesse.

J'ai mentionné à plusieurs reprises le problème de la liquidité des titres non cotés. Il s'agit d'un sujet que j'ai bien identifié, mais pour lequel je n'ai pas encore trouvé de réponse pertinente. Un amendement a été déposé sur cette question, pour lequel j'émettrai un avis défavorable à ce stade, l'écriture méritant d'être précisée. Il nous reste donc une semaine pour trouver une solution avant la séance.

Par ailleurs, je vous proposerai un amendement sur l'article 17 pour renforcer le devoir de conseil tout au long de la durée du contrat, en reprenant plusieurs dispositions de la proposition de loi de MM. Husson et de Montgolfier. Je vous propose notamment de reprendre la définition dans la loi du mandat d'arbitrage ainsi que la mise en place d'un observatoire de suivi de la performance et des frais des produits d'épargne. Le plan d'épargne avenir climat sera compris dans ces produits.

L'article 17 s'intéresse aussi aux fonds européens d'investissement à long terme (Eltif - European Long Term Investment Funds). Ces fonds, créés par un règlement européen de 2015, visent à mobiliser le financement de long terme en faveur de la croissance durable et de la compétitivité.

Aujourd'hui, ces fonds sont proposés dans seulement quatre pays européens : le Luxembourg en compte 53, la France 21, l'Italie 13 et l'Espagne 2. Cependant, les non-résidents peuvent souscrire à ces fonds et les Allemands en sont les deuxièmes investisseurs.

L'encours des fonds Eltif s'élevait à 11,8 milliards d'euros à la fin de l'année 2022. Au regard de l'épargne européenne et pour un dispositif mis en place en 2015, ce chiffre montre que le dispositif n'a pas fonctionné. Les autorités européennes ont fait ce constat et ont révisé le règlement au mois de mars, pour assouplir les règles de fonctionnement de ces fonds. Ces « Eltif 2.0 » entreront en vigueur le 10 janvier 2024.

Ainsi, dans l'article 19, le Gouvernement demande à pouvoir légiférer par ordonnance pour adapter le cadre français à cette révision de manière réactive et ne pas risquer de voir les Eltif se domicilier au Luxembourg, plus avancé dans ce travail d'adaptation. Il s'agit donc d'un sujet de concurrence plus que de financement de l'industrie verte. Je suis néanmoins favorable à cette habilitation, mais il faudrait en préciser le contenu et en limiter la durée. En effet, ce dernier explique qu'il nous faut être réactifs, mais demande douze mois pour légiférer. Je propose une durée de six mois à partir de la promulgation de la loi.

J'en viens à l'article 18, qui vise à soutenir le développement des Eltif et la place des entreprises non cotées dans les plans d'épargne en actions (PEA). Aujourd'hui, le capital investissement a une rentabilité beaucoup plus importante que les actifs plus classiques. Ainsi, sur la période 2007-2021, son rendement était de 12,2 %, quand celui du CAC était de 5,1 % et celui de l'immobilier de 6,2 %. Je reste donc convaincue qu'un investisseur avisé ayant un peu de moyens devrait se tourner de façon naturelle vers ces produits plus risqués, moins liquides mais à la meilleure espérance de rendement.

L'article vise d'abord à permettre aux fonds communs de placement à risque (FCPR) et aux organismes de placement collectif immobilier (OPCI), s'ils sont labellisés « Eltif », de bénéficier des dispositions des fonds professionnels spécialisés (FPS), dont les modalités de gestion sont plus souples. Un investisseur individuel peut souscrire directement des FCPR et des OPCI, alors que seuls les professionnels peuvent le faire avec les FPS.

Enfin, cet article vise à élargir les titres éligibles au PEA pour favoriser le financement d'actifs non cotés. L'amendement que je vous propose sécurise l'éligibilité de ces titres et des Eltif au PEA ainsi qu'au PEA-PME. Je reprends également sur ce point une disposition de la proposition de loi de MM. Husson et de Montgolfier.

M. Claude Raynal, président. - Si je comprends bien, une première mesure s'adresse aux enfants, ne concerne que les parents qui ont des moyens financiers suffisants et propose d'investir une somme qu'on pourra perdre, pour ne flécher que moins d'1 milliard d'euros vers la transition écologique. Ensuite, les unités de compte dans les assurances vie concernent aussi les « ménages les plus avertis ». Enfin, on pousse à investir dans des actifs non cotés, qui sont par nature risqués...

Je ne suis cependant pas opposé au principe qui consiste à trouver de l'argent privé, alors que l'argent public ne suffit pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie Mme Lavarde, qui a travaillé dans un délai très court sur un texte compliqué. Comme elle, je ne suis pas sûr que le Gouvernement ait intégré le temps nécessaire à la réorientation de l'épargne privée et au financement de la transition écologique.

Je partage aussi sa préoccupation quant aux labels de finance verte.

S'agissant de l'article 16, j'ai des doutes en ce qui concerne l'atterrissage du PEAC, produit que je trouve par ailleurs inégalitaire. Les objectifs du Gouvernement sont contradictoires, il nous dit qu'il veut créer un produit grand public mais trouver les financements nécessaires supposera de toucher les 20 % d'épargnants qui constituent 80 % de l'épargne. Les parents peuvent être avertis, mais il faut garantir un minimum de sécurité, car si, au moment de la liquidation, on ne récupère que la moitié de l'épargne placée, l'opération sera contreproductive. Il me semble à cet égard important, comme le propose le rapporteur, de prévoir une désensibilisation au risque, au fur et à mesure que le produit s'approche de son terme.

Le Gouvernement a puisé certaines des dispositions initiales qu'il propose dans le rapport que nous avons produit avec Albéric de Montgolfier, s'agissant par exemple du devoir de conseil tout au long de l'exécution du contrat, et d'autres dispositions sont introduites par les amendements proposés. Cela n'empêche pas qu'il faut considérer la globalité de nos propositions d'un peu plus près et continuer à travailler sur la réduction des frais, notamment dans le domaine de l'assurance vie. Nous avons observé en 2022 une diminution de la collecte nette sur ce produit et les fonds euros sont particulièrement affectés. Nos propositions ne présentent pas de risques systémiques. La hausse du taux du livret A, avec une rémunération plus élevée de l'épargne règlementée, a conduit les épargnants à se reporter vers ces produits. Les assureurs vie ont donc mis en place des dispositifs attractifs en termes de réductions et de primes pour pallier la moindre collecte, ce qui les met d'ailleurs en contradiction avec la ligne rouge qu'ils ne voulaient pas franchir avec les propositions que nous avions formulées. Nous devons donc continuer à faire avancer la réflexion.

Le texte n'est sûrement pas à la hauteur et nous verrons comment nous pourrons entériner certaines mesures. Mais il faut aussi se laisser du temps, pour qu'un nombre de plus en plus important de Français s'approprie les enjeux liés à l'orientation de leur épargne et au financement d'une économie prenant mieux en compte les problématiques environnementales et la gestion des ressources. Il est préférable de procéder ainsi plutôt que par le seul prélèvement d'impôts ou de taxes.

M. Marc Laménie. - J'étais loin de me douter que l'encours de l'épargne des ménages s'élevait à 5 786 milliards d'euros.

Je m'interroge sur le rôle de l'AMF : dans quels domaines intervient-elle en la matière ?

M. Pascal Savoldelli. - Votre présentation était intéressante et pédagogique, mais je ne suis pas convaincu par le texte, qui ne me semble pas très sérieux en matière de financement. On parle de créer un plan d'épargne avenir climat, en 2020, seuls 2 700 foyers fiscaux comptant un enfant à charge ont souscrit un PER au nom de leur enfant. Il faut donc prendre la mesure de nos ressources. Ce texte compte sur l'épargne privée pour réindustrialiser le pays et réussir la transition écologique des appareils productifs, en intégrant un soupçon d'idéologie, comme dans le cas des PEAC. Nous ne sommes pas du tout au niveau et nous manquons d'ambition en matière de financement.

M. Gérard Longuet. - Je remercie notre rapporteur, qui a fourni des efforts considérables pour nous expliquer ce texte et dont il convient de soutenir les amendements. Cependant, la seule présentation de la partie du texte relevant de la commission des finances ne nous permet pas de restituer l'effort d'ensemble mené par le Gouvernement. La décarbonation des process industriels est une nécessité, mais elle est horriblement coûteuse à mettre en oeuvre. Cependant, elle est simple à identifier puisqu'elle ne concerne qu'un petit nombre de grands secteurs : ceux de la sidérurgie, des cimenteries, du plastique et des engrais, qui sont les principaux émetteurs de CO2.

Les paramètres politiques qui doivent permettre de définir la pertinence de chaque filière apparaissent moins clairement. À titre d'exemple, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) doit être renégocié et le président d'EDF souhaiterait l'augmenter sensiblement. Si cette augmentation a lieu, fabriquer de l'hydrogène n'aura plus du tout le même coût. Il sera encore moins facile d'en produire sans électricité. Or l'offre est entravée. L'énergie renouvelable est bienvenue, mais reste intermittente et imprévisible. S'agissant du nucléaire, nous ignorons quand les équipements existants retrouveront leur capacité et les équipements à venir ne seront pas en service avant dix ans.

Comment le ministre assumera-t-il le risque politique lié aux start-up et aux jeunes entreprises ? Si des décisions politiques européennes ou françaises compromettaient telle ou telle filière de décarbonation, les entreprises non cotées vers lesquelles le Gouvernement entend orienter l'épargne privée changeraient de valeur dans des conditions spectaculaires. L'électricité pourrait être abondante et bon marché, mais ce n'est pas le cas le plus probable.

Le deuxième problème est plus technique. Nous évoquons les actions, mais quid des obligations ? De plus en plus de sociétés non cotées émettent du papier obligataire. D'un autre côté, la « start-up Nation » fait rêver, de petits investissements pouvant être multipliés par quarante. Cependant, quand on demande au grand public d'investir, les gens n'ont pas envie de prendre de risques, leurs moyens étant limités.

Enfin, je m'interroge sur la déontologie des fonds et des labels.

M. Victorin Lurel. - Nous n'avons pas de vision globale de ce que cherche à faire le Gouvernement, et il faudrait lire tout le texte pour en comprendre l'économie et la philosophie.

Nous parlons d'« industrie verte », mais je ne vois pas où se loge le vert, et j'ai l'impression qu'au nom de la décarbonation - que nous soutenons - nous allons continuer à pratiquer productivisme et extractivisme.

Le problème du coût de l'électricité est essentiel pour bien choisir et développer les filières de décarbonation.

Nous avons évoqué les unités de compte des contrats d'assurance vie, mais il existe d'autres types de contrats. Certes, le financement des PME passe par des actions ou des obligations, mais ces investissements sont risqués, surtout quand il s'agit de sociétés non cotées. Est-il envisagé, pour financer la transition, d'avoir recours à d'autres types de produits, comme les contrats en euros ? Faire appel au double financement public et privé est une bonne chose, mais un risque important pèse sur l'épargnant.

M. Jérôme Bascher. - Ce sujet ne mérite pas une loi. Manque-t-on de financements verts ? La réponse est non. J'ai rendu un rapport d'information l'an dernier, dans lequel j'explique que nous débordons de financements verts. En revanche, nous manquons de projets verts et d'un certificateur vert. Nous manquons tellement de projets que l'Union européenne (UE) a choisi hier d'élargir ses critères en la matière. Tout le monde veut pouvoir investir dans des projets verts, mais à condition qu'ils rapportent autant que les autres. Comment faire en sorte que l'industrie verte soit financée et soit aussi rentable que les autres industries ? Je n'ai pas l'impression que le texte réponde à cette question.

M. Vincent Segouin. - Il semble intéressant d'investir de l'épargne dans l'industrie plutôt que dans la dette du pays. Cependant, les valeurs non cotées soulèvent un vrai enjeu de liquidité.

S'agissant du PEAC, certaines des entreprises cotées et non cotées péricliteront sur la durée. Je m'interroge sur le rendement de ce produit et me demande si les cinq ans de souscription seront suffisants pour obtenir un rendement intéressant tout en désensibilisant progressivement le portefeuille au risque. Enfin, l'exonération d'impôt sur le revenu s'appliquera-t-elle-même en cas de déblocage anticipé des sommes ?

M. Daniel Breuiller. - Je me pose une question : qu'est-ce qui est vert dans ce texte ? La réindustrialisation du pays représente un enjeu écologique majeur puisqu'il s'agit de réduire les importations. Par ailleurs, les articles délégués n'évoquent que le sujet de la décarbonation, mais la question est plus large. Une industrie verte devrait aussi être caractérisée par son économie de ressources - en eau ou en matériaux -, mais aussi par son utilité, car il ne s'agit pas de créer des produits qui ne servent à rien pour les vendre à des gens qui n'en ont pas besoin. Il nous faut mener cette réflexion et travailler collectivement à une définition plus élaborée de l'industrie verte.

J'en viens aux financements verts. Nous avons besoin d'une certification. De nombreux épargnants aimeraient que leur argent serve de façon efficace les projets de transition écologique. Cependant, quand j'ai discuté avec mon conseiller, il m'a présenté un investissement dans Orpea comme étant social... De la même manière, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) n'est pas très vert et fait l'objet de nombreuses critiques. Il nous faut définir ce que sont vraiment les fonds verts et offrir une garantie à ceux qui souhaitent accompagner la transition. Le rendement sera forcément inférieur à celui des autres produits parce que, pour augmenter la rentabilité des portefeuilles, on y place des produits liés au pétrole.

Mme Isabelle Briquet. - Le Gouvernement poursuit la démarche qu'il a engagée, qui consiste à réduire autant que possible le taux de prélèvements obligatoires et le niveau des dépenses publiques.

Les besoins de financement en matière de transition écologique sont très importants. France Stratégie le rappelait dans une note de novembre 2022, il nous faut, selon les estimations, dégager entre 22 et 100 milliards d'euros. Même aux États-Unis, un financement annuel public de 40 milliards de dollars est prévu pendant dix ans. Nous sommes loin du compte.

Le texte est flou, les financements sont faibles - le montant attendu s'élevant à 5 milliards d'euros dans le meilleur des cas - et les investissements proposés sont risqués pour nombre d'épargnants.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne l'AMF, elle joue un rôle général en matière de protection des épargnants. Elle jouera ainsi un rôle dans le cadre du PEAC, qui prendra deux formes. Il pourra s'agir d'un contrat de capitalisation, qui sera soumis à la directive sur la distribution d'assurances (DDA) et dont l'application sera contrôlée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Il pourra aussi s'agir d'un compte titre, qui sera soumis à la directive concernant les marchés d'instruments financiers (MIF) et surveillé par l'AMF. De plus, nous souhaitons qu'un rôle de validation des labels lui soit confié, dans le cadre de l'article 15.

Monsieur Savoldelli, je n'ai pas mentionné qu'à l'article 16 la volonté du Gouvernement était d'initier les jeunes à l'économie, notamment à l'économie risquée des PME, vous savez que c'est un sujet que je porte depuis longtemps

Monsieur Longuet, l'étude d'impact est sibylline. Il s'agit d'un sujet majeur pour notre pays, mais les effets économiques estimés par le Gouvernement se limitent à un point, qui ne se trouve pas dans le texte : le crédit d'impôt « investissement industries vertes », qui sera à l'ordre du jour du projet de loi de finances (PLF) pour 2024. Le Gouvernement estime qu'il permettra de générer 23 milliards d'euros d'investissements et de créer 40 000 emplois directs d'ici à 2030.

La question de la déontologie des fonds et des labels a été évoquée lors des auditions et nous en avons discuté. Je ne connais pas le nouveau catalogue qui sera proposé par le Gouvernement. La taxonomie européenne constitue un référentiel simple, connu de tous. Cependant, vue depuis la France, elle est incomplète s'agissant de certains actifs dont nous pensons qu'ils participent à la décarbonation de l'industrie, notamment dans le cas du nucléaire. Pourtant, seul le nucléaire de quatrième génération rentre dans la taxonomie. Que faire alors de tous les investissements qui pourraient prolonger la durée de vie des centrales existantes et ainsi continuer à décarboner notre source d'énergie ? Ils ne rentrent pas dans la taxonomie européenne, mais il serait légitime de les intégrer dans les actifs éligibles au fléchage de l'épargne. Nous pourrons en discuter quand le Gouvernement aura rendu sa copie.

S'agissant des fonds en euros, aucune disposition ne figure dans le texte, l'idée étant de toucher les investissements un peu plus risqués.

Que fait le texte pour favoriser le vert ? J'évoquais les FCPR et les OCPI, dont les règles de gestion pourront être assouplies s'ils obtiennent la qualification Eltif, qui vise des financements de long terme qui pourraient être utilisés pour la transition. Par ailleurs, dans le cadre du PEAC, les actifs devront être affectés à l'acquisition de titres contribuant au financement de l'économie productive et de la transition écologique. Cependant, je le disais en introduction, il y a peu de lien direct entre le texte et l'industrie verte. On cherche ici à maintenir la compétitivité de la place financière de Paris grâce aux Eltif et à financer globalement les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) plutôt que les sociétés cotées. En aidant ces entreprises, on espère que certaines contribueront à la décarbonation de l'économie et à l'industrie verte.

Monsieur Segouin, je l'ai dit, je n'ai pas encore réussi à répondre à la question de la valeur liquidative du non-coté. Nous avons encore une semaine pour trouver une réponse.

Quant à l'exonération fiscale, elle s'applique dès que les conditions sont respectées. Elle s'appliquera donc aussi pour les sorties anticipées autorisées dans des cas de force majeure comme le décès d'un parent.

Dans le cas idéal prévu par le Gouvernement, le livret est souscrit à la naissance de l'enfant et, pendant 15 ans, l'argent peut être placé de manière risquée. Ensuite, plus on s'approche de la date de dénouement, plus le portefeuille doit être réalloué pour choisir des actifs plus faciles à liquider, des titres plus sûrs avec une rentabilité plus faible, qui permettront de maintenir l'encours de l'épargnant.

Je partage les interrogations de Daniel Breuiller. J'ajouterai qu'un OPCI peut être considéré comme faisant du « vert » s'il investit dans la réglementation environnementale 2020 (RE2020). La RE2020 est une obligation réglementaire qui impose de construire de façon écologique. Cependant, pour décarboner l'économie du parc, il faudrait que les OPCI s'engagent à se saisir de patrimoine en mauvais état pour faire en sorte qu'il se rapproche des normes de la RE2020. Mais les labels existants ou la taxinomie européenne ne prévoient pas forcément ces cas : si votre portefeuille ne contient que des biens en mauvais état, vous ne pouvez pas entrer dans ces dispositifs.

Mme Briquet a raison, les produits évoqués ici sont risqués et le ministre ne s'en cache pas. Le PEAC ne s'adresse pas à tout le monde. L'objectif est de capter l'épargne des plus aisés qui n'ont pas tendance à faire des investissements risqués.

M. Claude Raynal, président. - Au titre de l'article 45 de la Constitution, le rapporteur vous propose de considérer que le périmètre comprend, pour les dispositions relevant du titre III du projet de loi, les mesures relatives à la composition des unités de compte dans les contrats d'assurance vie ainsi qu'au référencement des fonds labellisés transition énergétique ou écologique ou investissement socialement responsable dans les produits d'épargne et les produits financiers ; les mesures visant à développer ou à transformer des produits d'épargne ou des produits financiers afin d'orienter leurs encours vers la transition écologique ou l'économie productive ; les mesures relatives au développement des fonds européens d'investissement de long terme et des fonds d'investissement alternatif et les mesures visant à orienter les financements privés vers la transition écologique et l'épargne productive.

En revanche, ce périmètre ne comprend pas les mesures fiscales sans lien avec une disposition du texte ou avec le financement de l'industrie verte et de la transition écologique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je précise que tous les amendements portant sur des dispositifs fiscaux tels que les suramortissements pour les flottes de véhicules ou visant à déterminer la chronologie des financements publics n'entrent pas dans le champ du projet de loi.

M. Pascal Savoldelli. - Je ne déposerai donc pas mon amendement visant à créer un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) vert.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Comme il s'agit de flécher des fonds, il peut être examiné comme un complément de financement. Plusieurs amendements similaires ont été déposés et ils participent à la philosophie du texte : chercher l'argent privé pour pallier l'absence de subventions publiques. Certes, mon avis sera défavorable, mais ils pourront être débattus.

Le périmètre est adopté.

EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 15 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je demande à M. Segouin de retirer l'amendement COM-107 rectifié, car il relève plus du PLF.

M. Vincent Segouin. - Je le retire.

L'amendement COM-107 rectifié est retiré.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer l'amendement COM-108 rectifié irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-130 rectifié pourrait être censuré par le Conseil constitutionnel pour incompétence négative. Il vise à créer un dispositif de suramortissement pour le recyclage des déchets, mais sans aucune précision sur ses modalités. Mon avis est donc défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-130 rectifié.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer l'amendement COM-142 rectifié bis irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-158 a trait à un taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation énergétique réalisés en groupement momentané d'entreprises.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer l'amendement COM-158 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-232 concerne le rétablissement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Même si je comprends la philosophie des signataires, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-232.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-233 rectifié vise à modifier les taux du crédit d'impôt recherche (CIR). La rédaction de l'amendement me pose problème parce que les « dépenses de recherche relatives à l'environnement » est une formule floue. Il faudrait le retravailler. Je demande le retrait ; à défaut, j'y serai défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-233 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Avis défavorable à l'amendement COM-234 rectifié, qui prévoit d'introduire une contribution sur tous les contrats d'assurance vie dont l'encours excède 50 000 euros.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-234 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-21 rectifié vise à exonérer de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) les activités de production et de valorisation de combustibles solides de récupération, un sujet qui relève plus du PLF et contre lequel la commission s'est déjà prononcée. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-21 rectifié.

Article 15 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-200 concerne spécifiquement les entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS), qui sont hors du périmètre du texte.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer l'amendement COM-200 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-84 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-116 rectifié vise à créer un label au titre du développement de l'énergie nucléaire. Je ne suis pas convaincue que cela soit nécessaire. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-116 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je vous propose de rectifier mon amendement COM-369 en supprimant le terme « conforme ». Il s'agira donc d'un avis simple de l'Autorité des marchés financiers sur les labels créés par l'État pour le financement de la transition écologique ou l'investissement socialement responsable.

L'amendement COM-369, ainsi modifié, est adopté.

L'amendement de correction rédactionnelle COM-370 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 15 ainsi modifié.

Après l'article 15 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je demande le retrait de l'amendement COM-132 rectifié, car Bpifrance agit déjà beaucoup pour les acteurs économiques dans le domaine de l'industrie verte. Elle a notamment créé un plan d'accompagnement en faveur de la décarbonation de l'industrie doté de 2,3 milliards d'euros en prêts directs et garanties et de 490 millions en fonds propres. Cet amendement pose de plus le risque d'exclure les entreprises qui ont besoin de financements pour leur transition, au profit des entreprises déjà « vertes ». C'est pourquoi je demande le retrait.

M. Stéphane Sautarel. - Je le retire.

L'amendement COM-132 rectifié est retiré.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer l'amendement COM-144 rectifié bis irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'avis est défavorable sur l'amendement COM-156, je partage le fond mais il nous faut en retravailler la rédaction pour la séance.

La commission propose à la commission des affaires économiques de ne pas adopter l'amendement COM-156.

Article 16 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Les amendements identiques COM-36 et COM-201 suppriment l'article 16. Malgré les réserves que j'ai émises, le plan d'épargne avenir climat peut présenter un intérêt. Nous verrons si ce nouveau plan sera à la hauteur des espérances du Gouvernement.

La commission émet un avis défavorable aux amendements identiques COM-36 et COM-201.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-371 rectifié propose une nouvelle rédaction de l'article 16, qui ne mentionne plus notamment l'abondement de l'État et qui prévoit des modalités de gestion s'inspirant de celles prévues pour le plan épargne retraite.

L'amendement COM-371 rectifié est adopté. En conséquence, les amendements COM-344, COM-58 rectifié, COM-202 rectifié, COM-37, COM-203, COM-159 et COM-204 deviennent sans objet.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 16 ainsi modifié.

Après l'article 16 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-59 vise lui aussi à créer un ISF vert. J'y suis donc défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-59.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-87 vise à conditionner les financements publics des entreprises à la mise en place d'un plan de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Aujourd'hui, un grand nombre de dispositifs européens existent : Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), devoir de vigilance... Il convient donc de ne pas en créer de nouveaux pour ne pas lester notre compétitivité. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-87.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer les amendements COM-162 et COM-163 irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 17 (délégué)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression COM-205.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-350 concerne la valeur liquidative. Sa rédaction ne permettrait pas une application pleinement efficace. Il convient de retravailler collectivement cet amendement d'ici à la semaine prochaine. Retrait ou, à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

M. Didier Rambaud. - Je le retire.

L'amendement COM-350 est retiré.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-372 rectifié reprend les articles 2 et 4 de la proposition de loi relative à la protection des épargnants déposée par nos collègues Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, en ajoutant la prise en compte des préférences des épargnants en matière de durabilité.

L'amendement COM-372 rectifié est adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-85 rectifié vise à rendre obligatoire le fléchage vers des actifs non côté dans les contrats d'assurance vie en unités de compte. Le texte actuel est plus équilibré en ce qu'il mentionne un fléchage facultatif. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-85 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Retrait ou avis défavorable à l'amendement COM-89 rectifié.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-89 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Avis favorable à l'amendement COM-93 rectifié bis dans la mesure où il est identique à mon amendement COM-373 rectifié.

La commission émet un avis favorable à l'amendement COM-93 rectifié bis.

L'amendement COM-373 rectifié est adopté.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Retrait ou, à défaut, avis défavorable aux amendements COM-94 rectifié, COM-95 rectifié et COM-96 rectifié.

La commission émet un avis défavorable aux amendements COM-94 rectifié, COM-95 rectifié et COM-96 rectifié.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 17 ainsi modifié.

Après l'article 17 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-97 rectifié vise à prévoir qu'une part minimale de l'actif des sociétés de capital-risque contribue au financement de la transition écologique. Offrir cette opportunité permet de compléter les outils proposés. Avis favorable.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'amendement COM-97 rectifié portant article additionnel.

Article 18 (délégué)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression COM-206.

Les amendements de précision rédactionnelle COM-374 et COM-375 sont adoptés.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-376 vise à assouplir les critères d'éligibilité des instruments financiers au PEA et au PEA-PME.

L'amendement COM-376 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 18 ainsi modifié.

Après l'article 18 (délégué)

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-231 vise à créer de nouvelles obligations pour les entreprises. Voyons les résultats des dispositifs existants avant d'en créer de nouveaux. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-231.

Article 19 (délégué)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression COM-198.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-377 vise à réduire de douze à six mois le délai d'habilitation demandé par le Gouvernement pour légiférer par ordonnance.

L'amendement COM-377 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 19 ainsi modifié.

Après l'article 19 (délégué)

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-40 rectifié ter.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Retrait ou, à défaut, avis défavorable à l'amendement COM-86, car les dépenses ne sont pas bien ciblées.

La commission propose à la commission des affaires économiques de ne pas adopter l'amendement COM-86.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Les amendements identiques COM-23 rectifié, COM-47 rectifié et COM-88 sont irrecevables en application de l'article 45.

M. Stéphane Sautarel. - Je retire mon amendement COM-23 rectifié.

L'amendement COM-23 rectifié est retiré.

La commission propose à la commission des affaires économiques de déclarer les amendements COM-47 rectifié et COM-88 irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-131 rectifié s'inscrit dans le périmètre du texte dans la mesure où il vise à créer un crédit d'impôt en faveur des entreprises qui investissent dans les industries vertes, mais il relève plus du projet de loi de finances pour 2024.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-131 rectifié.

Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Même argumentaire pour l'amendement COM-268 rectifié qui vise les entreprises appartenant au secteur des énergies renouvelables.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-268 rectifié.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-301.

Les avis sur les amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

TABLEAU DES AVIS

Article additionnel avant Article 15

Auteur

Avis de la commission

M. SEGOUIN

COM-107 rect.

Retiré

M. SEGOUIN

COM-108 rect.

Article 45C

M. PELLEVAT

COM-130 rect.

Défavorable

Mme CANAYER

COM-142 rect.bis

Article 45C

M. CANÉVET

COM-158

Article 45C

Mme BRIQUET

COM-232

Défavorable

Mme BRIQUET

COM-233

Défavorable

Mme BRIQUET

COM-234 rect.

Défavorable

M. PELLEVAT

COM-21 rect.

Défavorable

Article 15

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

COM-200

Article 45C

Mme PAOLI-GAGIN

COM-84 rect.

Défavorable

Mme MULLER-BRONN

COM-116 rect.

Défavorable

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-369

Adopté avec rectification

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-370

Adopté

Article additionnel après Article 15

Auteur

Avis de la commission

M. SAUTAREL

COM-132 rect.

Retiré

M. TABAROT

COM-144 rect. bis

Article 45C

M. CANÉVET

COM-156

Défavorable

Article 16

Auteur

Avis de la commission

M. BREUILLER

COM-36

Défavorable

Mme BRIQUET

COM-201

Défavorable

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-371 rect.

Adopté

M. RAMBAUD

COM-344

Tombé

M. BREUILLER

COM-58 rect.

Tombé

Mme BRIQUET

COM-202 rect.

Tombé

M. BREUILLER

COM-37

Tombé

Mme BRIQUET

COM-203

Tombé

M. CANÉVET

COM-159

Tombé

Mme BRIQUET

COM-204

Tombé

Article additionnel après Article 16

Auteur

Avis de la commission

M. BREUILLER

COM-59

Défavorable

M. BREUILLER

COM-87

Défavorable

Mme DEVÉSA

COM-162

Article 45C

Mme DEVÉSA

COM-163

Article 45C

Article 17

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

COM-205

Défavorable

M. RAMBAUD

COM-350

Retiré

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-372 rect.

Adopté

Mme PAOLI-GAGIN

COM-85 rect.

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

COM-89 rect.

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

COM-93 rect. bis

Favorable

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-373 rect.

Adopté

Mme PAOLI-GAGIN

COM-94 rect.

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

COM-95 rect.

Défavorable

Mme PAOLI-GAGIN

COM-96 rect.

Défavorable

Article additionnel après Article 17

Auteur

Avis de la commission

Mme PAOLI-GAGIN

COM-97 rect.

Favorable

Article 18

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

COM-206

Défavorable

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-374

Adopté

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-375

Adopté

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-376

Adopté

Article additionnel après Article 18

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

COM-231

Défavorable

Article 19

Auteur

Avis de la commission

Mme BRIQUET

COM-198

Défavorable

Mme LAVARDE, rapporteur pour avis

COM-377

Adopté

Article additionnel après Article 19

Auteur

Avis de la commission

M. KERN

COM-40 rect. ter

Défavorable

M. BREUILLER

COM-86

Défavorable

M. SAUTAREL

COM-23 rect.

Retiré

M. de NICOLAY

COM-47 rect.

Article 45C

M. BREUILLER

COM-88

Article 45C

M. PELLEVAT

COM-131 rect.

Défavorable

Mme Nathalie DELATTRE

COM-268 rect.

Défavorable

M. CORBISEZ

COM-301

Défavorable

Projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Notre commission examine maintenant le rapport pour avis de M. Dominique de Legge sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - On peut avoir trois lectures de ce projet de loi de programmation militaire.

La première, optimiste, consiste à insister sur la hausse du budget : 400 milliards d'euros sur sept ans pour couvrir la période 2024-2030, à comparer aux 295 milliards d'euros pour les sept années de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Le budget des armées passerait, entre 2018 et 2030, de 34 milliards à près de 70 milliards, soit un doublement en douze ans. Sur le plan capacitaire, la programmation reste fidèle à certains fondamentaux de la politique de défense française : la dissuasion nucléaire et le groupe aéronaval. Ainsi, 5 milliards d'euros seraient notamment consacrés aux travaux de construction du porte-avions de nouvelle génération (PA-ng), qui doit succéder au Charles de Gaulle à compter de 2038.

On peut également souligner l'effort consenti en faveur de notre présence outre-mer, identifiée comme l'une des principales priorités de la programmation, avec 13 milliards d'euros fléchés sur ladite période, répondant ainsi entre autres à la recommandation du rapport que j'avais consacré à ce sujet l'an passé.

Une autre lecture possible est plus pessimiste. On constate en effet une augmentation de la dépense, qui s'accompagne de la diminution des livraisons des armements avec un report de 2030 à 2035 des objectifs capacitaires quantitatifs par rapport à « l'Ambition 2030 », qui avait été posée au moment de l'élaboration de l'actuelle loi de programmation. Ainsi le nombre de Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace à l'horizon 2030 passe de 185 à 137. Le constat est le même s'agissant du programme Scorpion, relatif au renouvellement des blindés de l'armée de Terre : le nombre de Jaguar passe de 300 à 238, le nombre de Griffon de 1 818 à 1 437, le nombre de Serval de 978 à 745. L'ambition de rénovation des chars Leclerc passe de 200 à 160. Les bâtiments de la marine ne sont pas épargnés : le nombre de frégates de défense et d'intervention passe ainsi de 5 à 3, et celui des nouveaux patrouilleurs hauturiers de 10 à 7. Et ce, dans un contexte d'augmentation de la menace illustrée entre autres par la guerre en Ukraine...

Enfin, nous pouvons avoir une lecture nuancée. Sur les 100 milliards supplémentaires par rapport à la précédente LPM, 30 milliards a minima seraient absorbés par l'inflation et 9 milliards étaient déjà prévus au titre des marches initialement « crantées » dans la loi de programmation actuelle. L'effort n'en reste pas moins important.

Mon premier élément d'analyse concerne le contexte budgétaire général, qui laisse peu de marges de manoeuvre.

Notons tout d'abord que notre souveraineté et indépendance ne s'apprécient pas seulement à l'aune de la quantité et de la qualité de nos forces armées, mais également d'un contexte géopolitique avec ses menaces et d'une situation économique qui sont le résultat des politiques conduites depuis plusieurs décennies. Nous en mesurons aujourd'hui les effets et conséquences. Laissant le soin à nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d'aborder les questions stratégiques de nos alliances et des rapports de force sur le plan international, je me bornerai à évoquer le volet économique et financier, même si les deux sujets sont bien souvent liés. J'en veux pour preuve les importants retards pris pour la conduite de programmes d'armement en coopération, imputables notamment à des cultures stratégiques distinctes.

Quelle est la souveraineté d'un pays qui consacre plus d'argent à la charge de sa dette qu'à sa défense ? Quelle est l'indépendance d'un pays dont le déficit commercial est plus de trois fois supérieur au montant qu'il consacre à sa défense et dont une partie est liée à ses approvisionnements alimentaires et en énergie quand ce ne sont pas les matières premières indispensables à notre industrie de défense ? Quelle crédibilité accorder à une loi de programmation militaire quand nous assistons à la multiplication des textes programmatiques comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), la loi de programmation pour la recherche, le projet de loi de programmation du ministère de la justice, sans compter l'affirmation d'ambitions dans la transformation écologique et l'éducation nationale. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a bien montré à quel point la conciliation entre la multiplication des lois de programmations sectorielles dépensières et l'atteinte des objectifs affichés de redressement des comptes publics était une gageure. Les respecter impliquerait en effet de concentrer et surtout d'intensifier la recherche d'économies sur un périmètre de dépenses de plus en plus réduit. Lorsque tout devient prioritaire il est urgent de faire des choix.

Mon deuxième angle d'analyse est une question : quelle crédibilité accorder à ce budget ?

Le besoin de financement est estimé à 413,3 milliards d'euros, dont 400 au titre des crédits budgétaires. Si l'actuelle LPM a jusqu'ici pleinement été respectée sur le plan budgétaire, la crédibilité de l'actuelle programmation est rendue plus incertaine compte tenu du contexte de finances publiques dégradé que j'ai rappelé, et d'une charge de la dette qui passerait de 40,5 à 57,5 milliards d'euros entre 2019 et 2025.

S'agissant des 400 milliards d'euros, il est à noter que la progression des crédits sur les années 2024 et 2025 est conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques. En revanche, l'effort supplémentaire est renvoyé à après 2027 ce qui, au regard du calendrier électoral et au débat qui ne manquera pas de s'ouvrir à cette occasion, paraît peu respectueux des échéances démocratiques.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un nouveau tableau de la progression des crédits qui, tout en étant conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques, intègre les éléments de la nouvelle LPM à partir de 2026, date de fin de l'actuelle loi de programmation.

S'agissant des 13,3 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, 5,9 milliards sont documentés et réalistes - cessions et recettes en remboursement des prestations du service de santé des armées (SSA) - ; 6,2 milliards sont aléatoires puisque sont anticipés des coûts moindres et des « marges frictionnelles », c'est-à-dire des retards de livraison et donc de paiement.

L'expérience prouve que les programmes prennent plus souvent du retard que de l'avance et il est rare que les coûts des équipements diminuent au fil du temps. Aussi, afficher en début de LPM comme un moyen de financement des besoins un décalage des livraisons semble en contradiction avec l'ambition capacitaire annoncée, le respect même du calendrier des livraisons et contraire aux principes de l'« économie de guerre » développés par le Président de la République.

Enfin, 1,2 milliard d'euros correspondant à des besoins liés au recomplètement de matériels fournis à l'Ukraine devrait être apporté en gestion par la solidarité interministérielle. Dans la mesure où ces besoins sont d'ores et déjà clairement identifiés, il n'y a pas de raison de ne pas les intégrer à la programmation des crédits.

À l'Assemblée nationale, un amendement a été adopté pour sécuriser ces recettes aléatoires, en prévoyant qu'en cas de non-réalisation elles soient garanties par abondement de crédits. Il nous semble, dans un souci de transparence, impératif de considérer que ces 7,4 milliards font partie intégrante du besoin de financement en crédits budgétaires. Il convient au contraire de les intégrer d'emblée à la trajectoire au risque d'entacher d'insincérité la prochaine loi de programmation des finances publiques. J'ajoute que la clause de revoyure prévue à l'article 7 permettra, le cas échéant, d'ajuster les prévisions actuelles, mais il est vrai que nous avons été échaudés par le fait que le Parlement n'ait pas été associé à l'actualisation de la LPM en cours.

Un troisième élément d'analyse est la question de l'inflation, estimée à 30 milliards d'euros sur l'ensemble de la période. Cette évaluation a été faite en considérant trois types de dépenses L'inflation sur les carburants opérationnels, qui représenterait 2 milliards d'euros, fait l'objet, comme dans l'actuelle LPM, d'un traitement particulier avec le dispositif de garantie prévu par l'article 5. Les dépenses courantes ont été calculées sur l'indice des prix à la consommation et ne sont assorties d'aucune garantie. Enfin, l'inflation d'éléments constitutifs de l'activité militaire proprement dite - les composants des munitions, les matières premières liées à l'industrie - devrait représenter à elle seule 26 milliards d'euros. En revanche, l'affectation annuelle de ces 30 milliards n'est détaillée ni dans le rapport annexé ni dans les réponses au questionnaire que nous avons adressé au ministère. Dans ces conditions, la capacité du Parlement à prendre la mesure réelle de ces évolutions paraît insuffisante. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement sur ce point.

Le Gouvernement invoque « le choix de la cohérence » pour justifier sa révision à la baisse de la programmation des équipements et expliquer que l'acquisition de matériels et d'équipements est bien sûr nécessaire, mais n'a pas de sens si nous n'avons pas les moyens de les entretenir et de les utiliser. C'est la raison pour laquelle les crédits nécessaires au maintien en condition opérationnelle (MCO) sont augmentés de 14 milliards d'euros, ceux à l'acquisition de munitions d'environ 7 milliards, ceux des infrastructures de 4 milliards, tout comme ceux des services de soutien. J'accorderai pour ma part une vigilance tout particulière au renforcement du service de santé des armées.

La programmation prévoit également une augmentation nette des effectifs de 6 300 équivalents temps plein (ETP) pour le ministère des armées, devant permettre d'atteindre en 2030 la cible initialement visée pour 2025, soit 275 000 ETP. Cependant, la révision à la baisse des augmentations d'effectifs visées par la précédente LPM pour les deux prochaines années atteste de la forte tension qui pèse actuellement sur les ressources humaines, laquelle est d'ailleurs particulièrement prégnante s'agissant du SSA qui connait les mêmes difficultés rencontrées tant par la médecine de ville que la médecine hospitalière, qu'elle soit privée ou publique. Cette situation met en avant la nécessité de rendre plus attractive la carrière et de fidéliser les personnels, sans que ces objectifs n'aient trouvé à ce stade une traduction budgétaire précise.

Le choix est aussi fait de renforcer le cyber, avec 4 milliards d'euros fléchés sur la période, et les moyens du renseignement, avec 5 milliards d'euros. Ces deux domaines représenteraient à eux seuls 27 % de l'augmentation nette des emplois du ministère.

Cette correction est sans doute bienvenue, mais ne saurait épuiser le sujet du niveau minimum d'équipements et prouve que la précédente LPM n'avait pas suffisamment intégré ces éléments relatifs au développement de nouveaux champs de conflictualité.

Le Président de la République a utilisé la formule d'« économie de guerre » le 13 juin 2022. Le ministre des armées en a donné la traduction : « produire plus, plus vite et moins cher. »

Nous pouvons légitimement nous demander si cette LPM, à l'exception des articles 23 et 24, qui adaptent le régime des réquisitions et de la constitution de stocks, répond à cette définition. Je me bornerai, à cet égard, à proposer des amendements de clarification rédactionnelle et relatifs à l'information du Parlement. Cette LPM, en renvoyant à 2035 les objectifs de 2030, consacre le principe de produire, sinon moins, pas plus, moins vite et plus cher en raison de l'inflation et en ne permettant pas à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) par un effet masse et de montée en puissance d'entrer dans une logique de coût marginal.

Cela me paraît d'autant plus regrettable que l'élément nouveau intervenu depuis la dernière LPM est bien sûr le conflit ukrainien, qui nous enseigne deux choses. Un conflit sur le sol européen est toujours possible. La guerre de demain mobilisera sans doute des moyens cyber et de haute technologie, mais, en l'espèce, nous sommes plutôt sur un conflit « traditionnel », qui met en présence deux puissances qui ont autant recours à la masse qu'à la haute technologie De ce point de vue, le décalage de nos livraisons de matériels blindés n'est pas une bonne nouvelle.

Au sujet de la BITD et de « l'économie de guerre », le Gouvernement justifie le report de la montée des crédits de paiement à 2028 au motif que l'industrie serait dans l'incapacité d'augmenter ses capacités de production et qu'il n'est pas nécessaire en conséquence de disposer de crédits de paiement supplémentaires avant cette date.

Cette assertion vient en contradiction avec les principes de l'économie de guerre affichés, mais aussi des dires des industriels, qui affirment avoir seulement besoin d'une visibilité accrue sur le rythme des commandes pour augmenter leurs capacités de production et être au rendez-vous initial de 2030. Et, curieusement, le coût de l'atteinte des cibles d'équipement de l'Ambition 2030 sur les principaux segments capacitaires ayant fait l'objet d'un décalage peut être estimé à environ 7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, soit l'équivalent de l'estimation du coût des reports de charges et des « marges frictionnelles ».

En proposant une réécriture de la courbe des crédits à partir de 2026 pour les raisons exposées préalablement, nous invitons le Gouvernement, sur les deux années à venir, à négocier avec les industriels la concrétisation de la volonté présidentielle et la BITD à se mettre en capacité de produire « plus, plus vite et moins cher ». De son côté, le ministère devra sans doute réfléchir à des cahiers des charges qui sauront conjuguer un niveau de technologie « raisonnable » avec une conception des matériels plus facile à produire et donc à exporter.

Mon dernier angle d'analyse concerne les opérations extérieures (Opex) et l'Ukraine.

Les crédits provisionnés pour les Opex, qui avaient très sensiblement augmenté lors de la dernière LPM pour s'approcher de la réalité du surcoût lié à ces opérations enregistrent une baisse sensible, passant de 1,2 milliard d'euros à 700 millions. Notre retrait des théâtres africains peut justifier cette évolution. Notre soutien à l'Ukraine fait l'objet d'une disposition spécifique à l'article 3. Nous considérons qu'elle est bienvenue, mais mérite d'être précisée. C'est le sens de la réécriture que nous proposons.

Dans le même ordre d'esprit, échaudés par le fait que le recomplètement des Rafale prélevés sur le parc de l'armée de l'Air et de l'Espace pour être vendus à la Grèce et à la Croatie ait dû être financé sous enveloppe LPM, nous proposons de faire en sorte que si de nouvelles ventes de cette nature devaient être effectuées aux cours de la prochaine programmation, les recomplètements qui en découleraient ne viennent pas entraver les possibilités d'atteindre les objectifs fixés.

En conclusion, je déplore que nous soyons invités à examiner ce texte dans le cadre de la procédure accélérée, d'autant plus que l'actuelle LPM court jusqu'en 2025.

Cela étant, d'un strict point de vue financier et budgétaire, il apparaît que la dérive de nos dépenses publiques et de nos déficits nous contraint à limiter nos ambitions. Pour autant, l'affirmation de celles-ci dans la présente LPM, sauf à considérer qu'il s'agit d'un affichage, doit avoir une traduction budgétaire fiable et sincère au regard des finances publiques et assortie de garanties pour nos militaires, qui risquent leur vie, et notre industrie de défense qui, outre sa participation à notre économie, contribue à notre crédibilité.

Aussi, sous réserve de l'adoption des amendements de clarification et de sincérisation que je vous soumets, je vous propose de donner un avis favorable à ce projet de loi de programmation militaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. le rapporteur a réalisé un examen critique en replaçant ce projet de loi dans le contexte actuel, aussi bien le contexte géopolitique, avec le retour de la guerre sur le sol européen, que le contexte budgétaire national, marqué par la multiplication des lois de programmation, faisant perdre du crédit à celles-ci. D'une manière générale, on a tendance à se donner bonne conscience en adoptant plusieurs textes pour montrer qu'on soutient les efforts qui doivent être réalisés au regard du contexte, mais ne perdons pas de vue la réalité des déficits publics et de la dérive de la dépense publique. Un ancien secrétaire d'État à la défense nous avait expliqué quand il était député que notre pays est fragilisé si nous consacrons moins de 3 % du PIB à la défense nationale. Les manques d'effectifs et de matériels constituent une véritable préoccupation au regard de nos capacités d'intervention.

Je souscris aux amendements proposés par le rapporteur. Il importe de concilier la réalité des chiffres avec la volonté de corriger la trajectoire actuelle, pour permettre à notre industrie de produire mieux et plus vite - ce sera difficile de produire moins cher. Cet objectif me semble à la portée de notre ambition politique et de nos capacités financières.

Je remercie le rapporteur d'avoir trouvé un juste équilibre en corrigeant la trajectoire, dans un contexte de menaces et d'instabilité en Europe et dans le monde qui rend les questions de défense incontournables dans l'opinion publique. Comme lui, j'estime qu'il n'était pas indispensable de recourir à la procédure accélérée pour les raisons qu'il a évoquées

M. Claude Raynal, président. - Je suis moi aussi sensible à la question de la multiplication des lois de programmation sectorielles, car cela est de nature à diminuer nos marges de manoeuvre au titre de la politique budgétaire de l'État. On peut penser que cette LPM sera probablement correctement exécutée, à l'instar de la précédente, mais d'autres seront peut-être à l'avenir remises en cause, car on ne peut à la fois multiplier les projets et les lois de programmation et baisser la dépense publique.

M. Jean-Claude Requier. - Je remercie le rapporteur pour son exposé. Je m'interroge sur le montant de ce projet de loi de programmation : pourquoi cette somme considérable de 413 milliards d'euros, à une époque de raréfaction de l'argent public. Qui va payer ?

Pour autant, je suis favorable à cette LPM. Pendant longtemps, des économies ont été faites au détriment de la défense nationale, mais la guerre est aujourd'hui à nos frontières.

Je m'interroge sur le coût du nouveau porte-avions. Par ailleurs, est-il prévu de doter la France d'un plus grand nombre de drones, car on voit qu'ils jouent un rôle crucial dans les opérations militaires en Ukraine ?

M. Rémi Féraud. - La précédente LPM prévoyait déjà de reporter l'effort sur la fin de la programmation, et ce projet de nouvelle LPM reproduit cette méthode.... Le ministre avait annoncé un budget de 413 milliards d'euros, mais, dans la mesure où les deux LPM se chevauchent, quelle sera l'augmentation budgétaire réelle ?

Le président Raynal a souligné la multiplication des lois de programmation, mais s'il est un domaine dans lequel elles se justifient, c'est bien le domaine militaire. Quid de l'inscription de cette LPM dans le projet de loi de programmation des finances publiques ?

Mme Christine Lavarde. - J'ai tout particulièrement apprécié le propos introductif du rapporteur structuré autour de trois visions. La réalité se situera certainement entre ces trois cas de figure.

Je souhaiterais avoir des précisions sur les 13 milliards d'euros qui doivent être financés autrement que par des crédits budgétaires. Vous auriez eu l'assurance que 5,9 milliards d'euros devraient provenir de la vente d'une partie du patrimoine immobilier de l'armée. Connaissez-vous la valeur du patrimoine que le ministère pourrait céder ? Comment pourrons-nous financer les prochaines LPM ? Je pense notamment aux 6,2 milliards d'ajustements de dépenses liés à l'anticipation de reports de charges sur l'année n+1. À terme, le glissement des paiements sera tel que, sur les 413 milliards d'euros, 6,2 milliards ne pourraient être utilisés dans la période courante.

M. Christian Bilhac. - Merci au rapporteur pour toutes ces informations et cette présentation détaillée. Il est difficile de s'opposer à une LPM, car le domaine militaire exige une programmation à long terme, eu égard au temps nécessaire pour fabriquer les sous-marins, les navires, les avions, etc.

Je me réjouis de l'augmentation des crédits destinés aux territoires et départements d'outre-mer, car ils contribuent à faire en sorte que la France reste une puissance majeure. La France jouit de la deuxième plus grande surface maritime au monde et nous avons la chance d'être déjà dotés des multiples « porte-avions » que sont nos territoires ultra-marins. En cas de conflit majeur, un porte-avions a une espérance de vie de vingt minutes. Dès lors, faut-il investir dans un nouveau porte-avions ?

Nous souhaitons tous l'indépendance stratégique de la France. Mais quelle est notre indépendance réelle ? De quelle indépendance jouissons-nous en matière d'acier, de blindage, de composants électroniques, de matériaux nécessaires à la fabrication de l'armement ?

M. Didier Rambaud. - Je partage votre scepticisme concernant la multiplication des lois de programmation, réclamées autant par les ministres que par les parlementaires. Je pense que de tels textes ne devraient porter que sur les questions régaliennes.

L'avis du Haut Conseil des finances publiques indique que l'écart entre les besoins programmés et les crédits identifiés devrait être comblé par des ressources complémentaires. Parmi ces dernières sont mentionnées les recettes de cessions immobilières. Ces cessions immobilières sont-elles encore possibles ? À quoi la cession de matériels renvoie-t-elle ? À quoi correspondent les recettes du service de santé des armées ?

M. Claude Raynal, président. - Ces ressources complémentaires sont estimées à 13 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.

M. Stéphane Sautarel. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour son esprit d'ouverture, sa précision et la clarté de son rapport.

Quel rôle jouera l'inflation, qui absorbe jusqu'à 30 milliards d'euros sur la période ? Que devient la comparaison avec les LPM précédentes une fois cette inflation prise en compte ?

De plus, cette LMP insiste sur les équipements lourds, mais qu'en est-il des drones ? Ces derniers jouent désormais un rôle majeur dans les stratégies militaires des États et posent également la question de notre souveraineté industrielle, en ce qu'ils soulèvent des interrogations sur l'utilisation des informations qu'ils enregistrent. 

M. Jean-Baptiste Blanc. - Je salue la qualité du travail du rapporteur et je rejoins M. Sautarel sur la question des drones. La France semble afficher un retard dans ce domaine, peut-on le rattraper ?

Par ailleurs, je suis souvent interrogé par des élus locaux au sujet des effectifs. Mon département accueille la base aérienne de Saint-Christol. Les maires locaux n'ont aucune information concrète sur les effectifs et les objectifs.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Monsieur Husson, je puis vous préciser que nous consacrons aujourd'hui 1,9 % de notre PIB à la défense nationale. L'objectif est d'atteindre les 2 %, mais cet indicateur n'est pas, en lui-même, porteur de sens, puisque l'effort d'une Nation pour se défendre doit être rapporté à la menace davantage qu'à son PIB. Par exemple, ce rapport au PIB est de 2,3 % au Royaume-Uni, et il augmente plus vite en Allemagne et en Pologne qu'en France.

Vous êtes plusieurs à regretter la multiplication des lois de programmation et M. Rambaud propose de les restreindre aux seules questions régaliennes. Mais, plus encore, c'est la part de l'investissement qui justifie une loi de programmation. La construction d'un parc de Rafale ou d'un porte-avions prend plusieurs années. Je n'ai pas le sentiment que la part de l'investissement soit aussi importante dans les autres lois de programmation que nous votons dans d'autres domaines.

Monsieur Requier, le prix d'un porte-avions s'élève à environ 10 milliards d'euros, sans même y inclure les coûts liés aux travaux nécessaires à l'aménagement de la rade par exemple. La LPM prévoit 5 milliards au titre de ce programme pour la période 2024-2030.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les drones. Mes collègues de la commission des affaires étrangères, la défense et des forces armées seraient plus à même de vous répondre sur ce sujet. Il est cependant certain que le futur porte-avions accueillera des drones. Cependant, les drones ne pourront remplacer nos Rafale, compte tenu de leur capacité d'emport limitée. Je pense notamment à l'arme nucléaire. Nous aurons donc encore besoin à l'avenir de gros-porteurs. Pour autant, le rapport annexé souligne la nécessité de faire un effort, en collaboration avec les industriels français, pour produire un drone français. Je ne puis que déplorer que la France ait pris du retard dans ce domaine, qui n'est pas nouveau.

Madame Lavarde, monsieur Féraud, vous souhaitiez des clarifications sur les ressources supplémentaires et le financement de cette LPM. Il apparaîtrait que les besoins de crédits pour maintenir les ambitions capacitaires initiales seraient de 430 milliards d'euros. La proposition du Gouvernement n'est donc pas suffisante, mais parie sur les retards des programmes. Poser ce principe d'emblée, alors même que l'ambition politique affichée consiste à produire plus et plus vite, me semble malsain. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous propose de réintégrer les 7,4 milliards dans la LPM.

Comment se décomposent les 13 milliards d'euros de ressources complémentaires ?

Les recettes quasi certaines représentent 5,9 milliards d'euros. : 2 à 3 milliards proviennent de la cession de fréquences et de la vente d'immobilier prévue sur la période, soit annuellement des sommes similaires à celles qui sont perçues depuis quelques années ; 3 milliards proviennent du SSA. Ces recettes s'expliquent par le fait qu'une grande partie de la patientèle des hôpitaux militaires est constituée de civils ; les actes médicaux qu'ils reçoivent font donc l'objet de remboursements de la part de la sécurité sociale.

Au titre du solde, 6 milliards de recettes sont aléatoires : ils sont liés à l'anticipation des retards des programmes. Je vous propose de les inscrire dans la trajectoire budgétaire, ne serait-ce que pour prendre date pour la prochaine loi de programmation des finances publiques. Enfin, 1,2 milliard d'euros est lié à l'effort fourni en faveur de l'Ukraine, et notamment la livraison d'équipements ou de munitions. Ils doivent faire l'objet d'un remboursement au ministère de la défense sous forme de solidarité interministérielle. Ce besoin de financement, bien qu'il ne soit pas formellement inclus dans la LPM, est nécessaire et reconnu par le Gouvernement. Je trouve donc plus sécurisant pour les militaires qu'il soit mentionné clairement.

Pour vous répondre, monsieur Bilhac, je tiens à préciser que les pistes d'atterrissage dont nous disposons dans nos territoires d'outre-mer ne sont pas toujours adaptées à l'activité militaire. Surtout, un porte-avions est entouré de nombreuses protections, telles que des sous-marins, et permet de charger de nombreuses munitions, des armes nucléaires parfois, qui le rendent très dissuasif. Nous avons donc fait le choix de lancer un nouveau projet de porte-avions pour remplacer notre porte-avions actuel.

Monsieur Sautarel, M. Lecornu évalue à 30 milliards d'euros les conséquences de l'inflation au cours de la période, a minima, reconnaît-il. En revanche, nous avons officiellement une clause de garantie pour les carburants opérationnels. Le Gouvernement a eu l'honnêteté de calculer l'impact de l'inflation sur plusieurs matières premières nécessaires à l'activité de défense, estimé à 26 milliards d'euros. Je n'ai pas obtenu de réponse lorsque j'ai cherché à savoir si les efforts seraient concentrés sur les trois premières années de la période, dans un scénario de réduction de l'inflation au cours des trois années suivantes. Je pense qu'il s'agit là d'une vision très optimiste.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-96 est un amendement rédactionnel qui consiste à rappeler que l'effort de défense n'a réellement débuté qu'en 2018 et de préciser que le Parlement joue un rôle crucial dans le vote des crédits chaque année.

L'amendement COM-96 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-97 est un amendement rédactionnel, dans le souci d'alléger le style du rapport annexé, que le Gouvernement semble avoir confondu avec un support de communication politique.

L'amendement COM-97 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Même sujet s'agissant de l'amendement COM-98. Je propose de supprimer une phrase qui ne sert absolument à rien.

L'amendement COM-98 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-99 permet de rappeler notamment que, en période de guerre, il est possible de faire un effort sur les normes, dès lors qu'elles ne mettent pas en danger la vie des militaires et de la population. Malgré tout, lorsqu'on appelle de ses voeux une économie de guerre, il faut parfois accélérer les projets.

L'amendement COM-99 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-100 précise qu'une coordination est nécessaire entre nos forces de souveraineté outre-mer et l'Agence française du développement (AFD), comme je l'avais recommandé dans mon rapport sur le sujet.

L'amendement COM-100 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Il apparaît nécessaire de préciser dans le rapport annexé que les programmes d'armement réalisés en coopération ne devront être engagés qu'avec des pays ayant vocation à acquérir les capacités qui en sont issues. Tel est l'objet de l'amendement COM-101.

L'amendement COM-101 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-102 vise à mentionner l'objectif fixé au SSA de se préparer à un conflit de haute intensité.

L'amendement COM-102 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-103 rappelle la nécessité pour le SSA de pouvoir fidéliser ses personnels.

L'amendement COM-103 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-104 indique que des travaux seront lancés en vue du remplacement de l'hôpital militaire Laveran, qui est dans un état épouvantable. Ce projet est en principe acté, mais il ne me paraît pas inutile de le mentionner explicitement au titre de la programmation militaire.

L'amendement COM-104 est adopté.

Article 3

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-105 est l'amendement le plus sensible et le plus structurant. Si le besoin de financement des armées s'élève à 413,3 milliards d'euros, son financement doit être sûr, pérenne et intégré aux futures lois de programmation des finances publiques. Je propose donc de retenir le besoin de financement à hauteur de 407,4 milliards d'euros, sachant que la somme manquante correspond aux recettes extrabudgétaires du SSA et qu'elle est aussi liée aux ventes de matériel et d'immobilier auxquelles nous devrions procéder.

Par ailleurs, je propose de maintenir l'augmentation prévue pour 2024 et 2025 à hauteur de 3 milliards d'euros et ce, pour deux raisons. D'abord, la programmation actuelle devait se poursuivre jusqu'en 2025. De plus, ces éléments financiers sont intégrés dans le dernier projet de loi de programmation des finances publiques dans sa version adoptée par notre commission et par le Sénat. Il est important de respecter nos votes et notre programmation.

En revanche, je suggère de ne pas attendre 2028 pour opérer la montée en puissance et d'entamer une progression à partir de 2026. La raison de ce choix est d'abord d'ordre politique : il n'est pas raisonnable de voter une LPM et de reporter l'effort à la période qui viendra après l'élection présidentielle. De plus, l'échéance fixée à 2026 nous donne deux ans pour mettre la pression sur l'industrie de défense, afin qu'elle se mette en situation de produire davantage et à moindre coût.

L'amendement COM-105 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-250 a pour objet de préciser le dispositif, prévu par le texte, de financement par ressources complémentaires des recomplètements rendus nécessaires par des livraisons de matériels au titre du soutien à l'Ukraine au regard des ambitions capacitaires posées dans la LPM.

Le sous-amendement COM-250 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Dans la même logique de préservation des ambitions capacités de la LPM, le sous-amendement COM-251 vise à prévoir un dispositif de garantie supplémentaire en cas de prélèvement d'équipements sur les parcs des armées au titre du soutien à l'export, comme ce fut le cas dans le cadre de la vente de 24 Rafale à la Grèce et la Croatie sous l'actuelle programmation. Les recomplètements qui s'imposeraient pour préserver le format des armées devraient être financés par ressources supplémentaires et non sous l'enveloppe LPM, qui n'a pas prévu de telles opérations.

L'amendement COM-251 est adopté.

Article 8

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-108 concerne le rapport qui doit être remis par le Gouvernement au Parlement chaque année, pour lui permettre d'apprécier l'exécution de la LPM. Je propose d'ajouter dans la liste des éléments devant être fournis des précisions sur les ressources exceptionnelles notamment.

L'amendement COM-108 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-109 vise à intégrer à ce même rapport des précisions sur le suivi de l'impact de l'inflation.

L'amendement COM-109 est adopté.

Article 24

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'article 24 traite de la possibilité pour le Gouvernement de procéder à des réquisitions ou de demander aux entreprises de faire des stocks. L'amendement COM-110 vise à préciser que ces stocks se font de façon proportionnelle à la capacité de l'entreprise à produire et à stocker. On ne peut demander aux entreprises d'engager des dépenses importantes pour satisfaire des stocks qui seraient sans commune mesure avec leur activité habituelle.

L'amendement COM-110 est adopté.

Après l'article 25

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-112 a également trait à l'information du Gouvernement. Compte tenu des enjeux soulevés par les dispositifs institués en matière d'économie de défense, je propose qu'un rapport dédié à leur mise en oeuvre soit également remis au Parlement.

L'amendement COM-112 est adopté.

M. Claude Raynal, président. - Les amendements adoptés seront présentés par notre rapporteur à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour être, le cas échéant, intégrés dans son texte. Si certains devaient ne pas être retenus, je vous propose d'autoriser Dominique de Legge à les redéposer en vue de la séance publique.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 18 h 35.

Les avis sur les amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

TABLEAU DES AVIS

Article 2

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-96

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-97

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-98

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-99

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-100

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-101

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-102

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-103

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-104

Adopté

Article 3

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-105

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-250

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-251

Adopté

Article 8

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-108

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-109

Adopté

Article 24

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-110

Adopté

Article additionnel après Article 25

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-112

Adopté

Mercredi 14 juin 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 45.

Proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales - Examen des amendements au texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à développer l'attractivité culturelle, touristique et économique des territoires via l'ouverture du mécénat culturel aux sociétés publiques locales.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

M. Michel Canévet, rapporteur. - Notre commission a arrêté la semaine dernière le périmètre indicatif de la proposition de loi. Ce périmètre comprend les dispositions relatives, d'une part, au régime fiscal des dons versés aux sociétés publiques locales (SPL) à vocation culturelle et patrimoniale et, d'autre part, à l'organisation des sociétés publiques locales à vocation culturelle et patrimoniale en vue de percevoir ces dons.

L'amendement n°  1 va bien au-delà ce périmètre en visant toutes les sociétés dont l'État ou les collectivités sont actionnaires. Il est donc irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Le but de cet amendement était de renforcer la participation des citoyens à la vie culturelle, en leur permettant de contribuer au dynamisme des acteurs locaux et à la préservation du patrimoine que les SPL font vivre, mais je comprends techniquement l'objection formulée.

M. Michel Canévet, rapporteur. - Je soutiens l'idée sur le fond, mais l'amendement dépasse le champ de cette proposition de loi. Il vise aussi les sociétés par actions simplifiée (SAS) par exemple, et non simplement les SPL. Vous pourriez éventuellement le réécrire pour ne viser explicitement que les SPL, mais cela poserait un problème d'équité vis-à-vis des SAS. L'idée a peut-être vocation à être examinée lors du projet de loi de finances.

L'amendement n°  1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Michel Canévet, rapporteur. - L'amendement n°  2 vise à intégrer l'art numérique dans le champ des dons éligibles au régime fiscal du mécénat d'entreprise

L'article 238 bis du code général des impôts permet de déduire les dons à des organismes publics ou privés dont la gestion est désintéressée et qui ont notamment pour activité principale la présentation au public d'oeuvres audiovisuelles ou l'organisation d'expositions d'art contemporain. Aux termes du bulletin officiel des finances publiques du 10 mai 2015, visant les conditions d'application des articles 200 et 238 bis du code général des impôts, l'organisation d'expositions d'art contemporain consiste en la diffusion au public d'une ou plusieurs oeuvres, d'artistes-auteurs vivants ou décédés depuis moins de 70 ans bénéficiant de la protection prévue au sein du code de la propriété intellectuelle, quel que soit le support de ces oeuvres.

Dans ces conditions, l'art numérique apparaît couvert par le droit existant. Le Gouvernement pourra sans doute le confirmer en séance. Je sollicite donc le retrait de l'amendement, à défaut ce sera un avis défavorable.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  2 et, à défaut, y sera défavorable.

Fonds Marianne - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous poursuivons ce matin les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds.

Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête. Nous entendons donc ce matin Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, en sa qualité d'ancienne ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022.

Comme vous le savez, madame la ministre, nous avons entendu ces dernières semaines de nombreux acteurs administratifs et associatifs, ainsi que votre ancien directeur de cabinet, afin de comprendre la manière dont le Fonds Marianne a été créé, la procédure ayant conduit à la sélection des projets et les conditions de suivi de leur mise en oeuvre, ainsi que les résultats obtenus.

Au regard des responsabilités qui étaient les vôtres au moment de la création et du lancement du Fonds Marianne, votre audition est particulièrement attendue pour éclaircir l'ensemble de ces points.

Avant de vous céder la parole, si vous le souhaitez, pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Schiappa prête serment.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je serai brève, mais je veux d'abord vous remercier de cette audition devant cette commission d'enquête.

Je vais tâcher humblement, et dans la limite des éléments dont je dispose, de vous aider à établir une chronologie, mais aussi la matérialité des faits vus de ma fenêtre, c'est-à-dire la fenêtre de la ministre.

Je suis heureuse de pouvoir répondre pour la première fois à un certain nombre de questions particulières, en dehors du bruit, des commentaires ou des supputations qui ont pu être émis en dehors de cette commission, et de pouvoir être aussi factuelle que possible. Je vais tâcher de vous aider en cela. Je n'aurais sans doute pas réponse à tout. Je ne suis pas omnisciente sur ce sujet, ni sur les autres d'ailleurs, mais les enseignements et la matérialité de certains faits, eu égard au rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), vous aideront en cela, j'imagine.

Je veux vous dire d'ores ores déjà, monsieur le président et monsieur le rapporteur, que vous m'avez écrit hier soir pour me demander d'avoir accès aux archives des mails échangés entre mon cabinet et moi-même. Bien évidemment, je donne mon accord pour que vous puissiez avoir accès à ces archives. Une réponse écrite qui va vous parvenir aujourd'hui vous permettra d'avoir accès à l'ensemble de ces messages.

Je veux très brièvement rappeler le rôle de chacun, de manière habituelle, dans un fonctionnement ministériel. Le ministre impulse des politiques publiques, représente également ces politiques publiques, en est comptable devant le Parlement - je suis devant vous aujourd'hui pour cela -, mais aussi devant les citoyens, soit de manière directe, soit de manière indirecte, par l'intermédiaire des médias.

C'est le rôle du ministre. Le rôle de l'administration, c'est la mise en oeuvre de ces politiques publiques impulsées par le ministre - la mise en oeuvre et le suivi. Le ministre, en cela, s'appuie sur la confiance qu'il a dans les collaborateurs, ceux qu'il a choisis ou ceux qu'il a trouvés en arrivant, et s'appuie sur la sincérité des déclarations des rapports, mais aussi des comptes faits par les partenaires et par les associations.

Je voudrais brièvement rappeler que le contexte, dans lequel a été créé le Fonds Marianne, c'est celui que certains experts, dont Gilles Kepel notamment, appellent le « djihadisme d'atmosphère ». Cela veut dire que des terroristes, désormais, ne se radicalisent plus en allant comme précédemment dans certains kebabs ou certaines mosquées qui étaient radicalisées, qui étaient des lieux d'endoctrinement, mais se radicalisent sur Internet, en consultant des sites, des plateformes ou des réseaux sociaux.

Dans ce contexte, les spécialistes recommandent de lutter contre ce « terreau du terrorisme » en allant là où ces discours se portent, c'est-à-dire en ligne, sur les réseaux sociaux. Il est donc décidé, à l'occasion du Conseil de défense, de faire appel notamment à des acteurs de la société civile pour soutenir le discours républicain, comme cela se fait dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni. Le Fonds Marianne s'inscrit dans cette action globale.

Ce n'est pas, je tiens à le dire, l'entièreté de la politique publique menée pour lutter contre la radicalisation. Je veux le rappeler, il y a une politique plus globale. Je ne vous en fais pas la liste exhaustive, mais je veux simplement mentionner l'unité de contre-discours républicain (UCDR), dont on parlera peut-être, la lutte contre la haine en ligne, l'ouverture de Pharos 24 heures sur 24 et les dispositions législatives que vous connaissez parfaitement, en tant que parlementaires, pour les avoir nourries, ou en tout cas avoir pris part au débat.

Je veux dire aussi - mais j'imagine que nous y reviendrons - que le budget du Fonds Marianne est une ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), donc du ministère de l'intérieur. Je sais que vous le savez, mais je tiens à être factuelle dans ce bref propos liminaire : ce n'est à aucun moment une « cagnotte ». Je l'ai entendu ici et là : l'État, bien évidemment, ne lance pas de « cagnotte » au profit des familles de victimes du terrorisme. Il n'y a pas de cagnotte, pas de collecte de fonds. C'est une ligne budgétaire du ministère de l'intérieur et, plus précisément, du FIPD.

Je veux dire également que des questions aujourd'hui très légitimes se posent, et j'avais appelé de mes voeux, dans le respect de la séparation des pouvoirs, l'ouverture de cette commission d'enquête. Je la salue et je m'en réjouis, parce qu'elle permet justement, par des auditions longues, précises, par des témoignages, parfois par la mise en lumière de contradictions, de révéler un certain nombre de dysfonctionnements. Le rapport de l'IGA, d'ailleurs, commandé à la demande du Gouvernement et réalisé au ministère de l'intérieur, met en lumière des dysfonctionnements qui sont avérés, documentés - et nous allons, je pense, y revenir.

Je profite de ce propos liminaire pour dire qu'il y a aussi et surtout, dans leur grande majorité, des associations qui mènent un travail remarquable pour défendre la laïcité, pour lutter contre l'islamisme, la radicalisation ou les discours dits séparatistes de manière globale. Aujourd'hui, beaucoup des acteurs du Fonds Marianne, qui sont des associations que vous avez pu auditionner et dont vous avez pu constater le sérieux pour la grande majorité d'entre elles, sont brocardées, insultées et, pour certaines même, menacées de mort, comme beaucoup d'acteurs qui s'engagent contre la radicalisation, contre l'islamisme.

Je veux dire ici mon soutien à ces associations et à ces personnalités qui s'engagent, et également aux agents du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), passés et actuels qui, dans leur immense majorité, mènent au ministère de l'intérieur un travail difficile avec beaucoup de sérieux.

Pour conclure, je voudrais dire que votre retour d'expérience et les recommandations que, j'imagine, vous formulerez à l'issue de cette commission d'enquête, seront bien évidemment particulièrement intéressants pour chacun en tant que citoyen, mais aussi pour moi, en tant que secrétaire d'État qui, à ce jour, suis chargée de la vie associative. Ce que vous direz sur la manière dont on doit ou on ne doit pas attribuer des subventions, jusqu'où on doit aller dans le contrôle de l'attribution des subventions, sera extrêmement intéressant pour moi en tant que membre du Gouvernement, mais aussi, je pense, pour tous les décideurs publics, parce que les enseignements qui seront tirés à l'issue de cette commission d'enquête poseront les questions que je pose et auxquelles je n'ai pas forcément la réponse. Un décideur public, un responsable politique, un maire par exemple, peut-il faire confiance à son administration ou à des associations sans craindre d'être blâmé lorsqu'il y a des dysfonctionnements internes dans ces associations ? Est-ce qu'un responsable politique est fondé à passer des commandes à son administration ?

Plus important encore, demain, comment poursuivre cette nécessaire politique publique de lutte contre la radicalisation et contre le terreau du terrorisme sans que la peur d'être amalgamé à ce dossier désormais dit du Fonds Marianne puisse exister ?

Je veux dire pour conclure que cette politique publique, en ce qui concerne le Gouvernement, puisque je suis auditionnée à ce titre, se poursuit. Je n'en suis plus en charge depuis plus d'un an. J'ai toute confiance dans ma successeure, mais aussi dans l'administration telle qu'elle est constituée actuellement et dans l'ensemble des parties prenantes pour continuer à mener ce combat, qui est un combat essentiel, nécessaire à notre pays, et qui est un maillon essentiel de la chaîne de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme qui doit absolument perdurer.

Je suis à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Vous avez évoqué dans votre propos introductif un terme qui n'a jamais été utilisé, en tous les cas dans notre commission, le terme de « cagnotte ». Je pense qu'il n'a pas sa raison d'être, qu'il n'y ait aucune ambiguïté.

Vous avez donné quelques explications sur le fonctionnement du Fonds. Je voudrais dire quelques mots à l'attention de celles et ceux qui nous écoutent.

Vous l'avez dit, il y a aujourd'hui trois procédures sur le dossier du Fonds Marianne, des travaux de l'Inspection générale de l'administration, qui a déjà rendu un premier rapport, une information judiciaire par le Parquet national financier (PNF) et notre commission d'enquête, dont je rappelle qu'elle est la forme la plus élaborée du contrôle de l'action du Gouvernement ouverte au Parlement et à chacune de ses assemblées.

Pour être parfaitement clair et que chacun se rappelle le principe de la séparation des pouvoirs, sous l'autorité du président de la commission des finances, nous avons saisi le garde des sceaux pour nous assurer de la compatibilité des différentes démarches, raison pour laquelle notre mission se poursuit.

On connaît le contexte dans lequel le Fonds Marianne a été créé. C'est peut-être un point de détail, mais pas nécessairement : qu'est-ce qui a présidé au choix du Fonds Marianne ? Qui l'a défini ? Comment avez-vous procédé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, pour être très claire vis-à-vis de votre propos introductif, je n'ai à aucun moment remis en cause l'existence de la commission d'enquête. Ce n'est pas à moi que cela s'adressait ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je l'ai effectivement dit pour celles et ceux qui nous écoutent. Tout le monde n'a pas le même niveau d'information.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très bien ! Je vous remercie.

Sur le Fonds Marianne, je vous l'ai dit, en Conseil de défense, une décision est prise de mobiliser les acteurs de ce qu'on appelle alors le contre-discours républicain. Je comprends que cette appellation porte à différentes appréciations, mais c'est en tout cas l'appellation qui lui est donnée à ce moment-là pour porter un discours de défense des valeurs de la République en ligne.

Cette décision est prise. Un certain nombre d'acteurs de la société civile sont mobilisés pour mettre en oeuvre cette décision. Mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, que vous avez auditionné, m'informe du fait que nous avons obtenu un arbitrage favorable de Matignon pour reporter des crédits non utilisés du FIPDR de l'année précédente, donc la ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Il m'envoie un message pour me dire que nous bénéficions de 2,5 millions d'euros de reports de crédits.

Comme nous avons à la fois une demande de mobiliser les acteurs de la société civile pour porter ce discours et cette ligne budgétaire dont nous bénéficions, nous décidons, pour plus de lisibilité, de mettre en oeuvre une appellation de « Fonds Marianne » qui regroupe, sous le biais d'un appel à projets (AAP), ces acteurs de la société civile que le ministère viendrait soutenir dans la rédaction de discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le nom de Marianne fait donc simplement écho au symbole de la République.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le nom de Marianne - je n'apprends rien à personne - représente l'allégorie de la République. Il y a, au Sénat, une exposition sur les figures de Marianne. C'est une figure qu'on utilise traditionnellement au ministère de l'intérieur. J'ai lancé plusieurs projets qui ont le nom de Marianne, comme les « 109 Mariannes » ou les « Mariannes de la République ». Le nom est couramment usité. C'était un nom par ailleurs important pour le CIPDR, qui avait un moment le projet de lancer sur les réseaux sociaux un compte marianne.gouv. Finalement, c'est le nom de republique.gouv qui a été retenu. Dans mes souvenirs, il y a un consensus sur le fait que, quand on parle de Marianne, chacun comprend qu'il s'agit de la République et de défendre ses valeurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez indiqué à deux reprises avoir fait le choix d'un appel à projets pour ouvrir au partenariat avec les réseaux associatifs. Pourquoi avoir eu recours à un appel à projets, sachant que vous avez déjà des acteurs implantés qui ont un savoir-faire ? Comment vous êtes-vous tenue informée du processus, et à quelles étapes êtes-vous intervenue pour obtenir des retours d'informations ou valider des décisions ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur le choix de l'appel à projets, il y a un échange entre mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, et moi-même sur la manière de financer et de soutenir financièrement au mieux les acteurs de la société civile. M. le préfet Jallet me propose de passer par un appel à projets en me disant - je suis tout à fait consciente que cela peut aujourd'hui paraître paradoxal à la lumière des événements - que ce sera plus transparent et plus équitable que les subventions de gré à gré, ce qui était le cas jusqu'à présent, me semble-t-il, du CIPDR en direction des associations.

Nous avons alors le sentiment que l'appel à projets répond à cette demande d'une part, d'autre part qu'il permettra de faire émerger de nouveaux acteurs qui ne sont pas forcément encore identifiés dans la sphère du CIPDR. Nous prenons donc ensemble - et je l'assume - la décision de passer par un appel à projets.

Un comité de sélection est ensuite mis en place avec des membres de l'administration et des membres de mon cabinet. Je n'interviens pas personnellement. Je ne suis pas dans le comité de sélection eu égard - ce que je rappelais dans mon propos introductif - au rôle de chacun. Il n'est pas du rôle du ministre de faire de l'ingénierie et d'« ouvrir le capot » pour regarder l'ensemble des dossiers.

Je ne suis pas dans le comité de sélection. En revanche, je suis bien sûr tenue informée régulièrement par mon cabinet des discussions qui peuvent exister autour de l'attribution des subventions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir mais, à ma connaissance, vous deviez faire partie du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en ai pas le souvenir. Je n'ai pas de trace du fait que je doive en faire partie. En tout cas, je n'en fais pas partie.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est une observation que je porte à la connaissance de chacun. Je relève, dans l'explication que vous venez de donner, que vous dites avoir suivi les conseils du préfet Jallet, votre directeur de cabinet à l'époque, l'appel à projets étant considéré comme une procédure plus transparente et plus équitable. Je mesure que vous utilisez à dessein ces mots, qui sont exactement ceux de l'Inspection générale de l'administration pour dénoncer le fait que la procédure n'était ni transparente ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne sais pas si c'est une manière pour vous de répondre et de dire qu'il y a eu erreur sur toute la ligne ou si vous voulez aller un peu plus loin sur le sujet, mais démarrer vos propos en expliquant que ce qui devait être plus juste, plus transparent et plus équitable ne l'est pas, de votre propre aveu, est une déclaration me semble-t-il importante.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Tout d'abord, je n'ai pas d'appréciation à porter sur le rapport de l'IGA. C'est un rapport qui a été mené avec le plus grand sérieux par une inspection qui est réputée pour son professionnalisme, qui a eu accès à des informations auxquelles je n'ai pas accès puisque, une fois encore, je ne suis pas omnisciente dans ce dossier. J'étais ministre dans un temps limité. Je n'ai pas interrogé les différents acteurs. C'est l'IGA qui a réalisé ce travail, mais je n'ai aucune raison de contester ses conclusions.

Je n'ai aucun aveu à faire, pour reprendre votre terme, monsieur le rapporteur, dans la mesure où je n'ai pas pris part à ce comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. En audition, il nous a été indiqué qu'à votre arrivée en poste, le 6 juillet 2020, le processus de décision - du moins pour l'attribution de certaines subventions du FIPD - était passé du secrétariat général du CIPDR au cabinet, au motif que le périmètre du secrétariat d'État correspondait à celui du CIPDR, ce qui voulait dire que la signature - le pouvoir de décision - sortaient des mains de l'administration pour passer aux mains exclusives du pouvoir politique.

Comment expliquez-vous ce changement ? Quelles en sont les motivations et qui participait concrètement, autour de vous, avec vous, au processus de décision ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dirais pas que les décisions étaient remises exclusivement entre les mains du pouvoir politique, et je ne dirais pas non plus, si vous me le permettez, que c'est parce que le périmètre du ministère cadrait avec le périmètre du CIPDR. Le périmètre du ministère délégué était bien plus large que celui du CIPDR, avec notamment la question de l'intégration des étrangers, de l'accélération des délais pour les cartes d'identité et beaucoup d'autres missions, en dehors du CIPDR.

En revanche, ce qui est juste, c'est que, avec la création d'un ministère délégué à la citoyenneté, pour la première fois, un ministre a autorité sur le CIPDR qui, auparavant était interministériel et n'avait donc pas, me semble-t-il, de ministre de tutelle. C'est le cas pour la première fois, me semble-t-il, dans un décret d'attribution. C'est pour cette raison que les validations sont remontées au niveau du cabinet, mais cela ne veut pas dire que le CIPDR est dépossédé de son pouvoir. Les éléments le démontrent.

Des nouvelles priorités politiques sont fixées à cet égard, dont beaucoup sont concentrées au CIPDR : la lutte contre les dérives sectaires, la montée en puissance d'intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG), qui sont gérés par le CIPDR, la question de la lutte contre le cyber-islamisme, qui nous préoccupe aujourd'hui. Il y a un processus qui est défini par le directeur de cabinet. L'administration instruit et propose, et l'autorité ministérielle valide ce qui a été instruit et proposé par l'administration. À mon humble avis, c'est un procédé classique, il y a des réunions qui existent avec le secrétaire général et des réunions hebdomadaires entre le secrétaire général du CIPDR, équivalent d'un directeur d'administration, et le directeur de cabinet. À ma connaissance, ce procédé est d'ailleurs maintenu par ma successeure, Mme Backès, qui s'exprimera sur ce sujet tout à l'heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre propos confirme donc mon observation. Vous l'avez dit, le pouvoir politique, c'est-à-dire le ministre et son directeur de cabinet, ont le pouvoir de décider et de signer. L'administration, vous l'avez dit d'ailleurs dans votre propos introductif, met en oeuvre, mais le périmètre étant conforme à celui de votre ministère et non plus sous un cadre interministériel, cela vous donne les pleins pouvoirs de décision. Cela paraît, de ce côté-là, indiscutable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ni le ministre ni le cabinet ne signent d'attribution de subventions, puisque c'est la question qui nous préoccupe aujourd'hui. À aucun moment le ministre ni le cabinet ne mettent en paiement des crédits ou ne signent des chèques. C'est la prérogative de l'administration, et à aucun moment nous n'avons la volonté ni même le pouvoir matériel de le faire. Je suis donc claire sur ce sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir, parce qu'il y a manifestement des zones de conflit entre les auditions et les déclarations des uns et des autres.

À ce stade, une dernière question : vous avez annoncé, le 31 mars 2021, la suppression de l'Observatoire de la laïcité, soit quelques jours avant l'annonce, le 20 avril, de la création du Fonds Marianne. À l'époque, le Gouvernement avait fait l'objet de critiques, parfois assez vives, considérant qu'il était porteur d'une vision très centralisée de la laïcité et, je cite « évitant d'avoir une pluralité de voix à l'intérieur de l'espace public ».

Le Fonds Marianne s'inscrivait-il dans cette logique visant à avoir un message plutôt unique, voire unitaire et donc cohérent sur la laïcité, notamment, en prévoyant de contractualiser avec des associations s'inscrivant dans cette cohérence de la parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - S'agissant de l'Observatoire de la laïcité, l'annonce a été faite par M. le Premier ministre de l'époque, Jean Castex, auprès de qui l'Observatoire de la laïcité était rattaché. C'est une organisation qui dépendait de Matignon, qui a produit de nombreux rapports et qui a fait un travail d'observation de la laïcité et de contribution au débat public. C'est un apport important qui, je crois, n'a pas été contesté ou remis en cause, en tout cas dans la qualité des rapports et du travail mené par cette organisation plurielle, pour reprendre votre expression.

C'est donc le Premier ministre qui annonce le fait que le Gouvernement met fin à l'Observatoire de la laïcité, non pas sur une question de désaccord de ligne mais, à ma connaissance, parce que nous entendons passer à un autre mode d'action. Vous aviez un observatoire qui observait, produisait des rapports ou des recommandations, et nous avons souhaité, avec M. le Premier ministre de l'époque, créer non seulement un Comité interministériel à la laïcité qui soit chargé de la réflexion et de l'impulsion d'actions concrètes et de politiques publiques portées par le Gouvernement sur la question de la laïcité, mais aussi un bureau de la laïcité. Il n'y en avait pas précédemment au ministère de l'intérieur. Il y avait un bureau des cultes, mais pas de bureau de la laïcité.

Nous l'avons donc créé afin de faire en sorte de passer, si vous me permettez l'expression, de l'observation à l'action en la matière, et à la possibilité de coordonner les actions menées en matière de laïcité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous choisissez donc, dans l'esprit des travaux de l'Observatoire, de passer à l'action, fort de la volonté d'agir au regard des événements consécutifs à l'assassinat de Samuel Paty.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je crois qu'aucun acteur membre de l'ancien Observatoire de la laïcité souhaiterait ne pas agir face au terrorisme. Je n'ai jamais dit cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne vous méprenez pas : je n'ai pas du tout mis en doute...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne comprends peut-être pas votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites : « On observe, on agit. Il est mis fin à l'Observatoire ». Je veux juste m'assurer - c'était le sens de ma question - que la volonté d'agir s'inscrit dans le droit fil des travaux de l'Observatoire et du nouveau contexte.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, étant sous serment, je ne peux pas me prononcer sur l'intégralité des rapports émis pendant des années par l'Observatoire de la laïcité, ne les ayant pas sous les yeux avec moi - si c'est bien la question, mais je ne suis pas sûre de l'avoir comprise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il n'y a pas de chausse-trappe.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est donc ma réponse.

M. Claude Raynal, président. - De toute façon, madame la ministre, nous allons revenir sur l'ensemble des sujets que nous avons évoqués, mais un peu plus dans le détail, pour valider ou non les positions que vous avez exprimées.

Je vais changer de registre, et on va en venir directement sur le dossier sans doute le plus compliqué, qui a donné lieu d'ailleurs à un rapport spécifique de l'inspection générale de l'administration, mettant en lumière un certain nombre de difficultés, dans des termes que je qualifierais d'extrêmement durs.

Le premier point concerne les contacts avec M. Mohamed Sifaoui avant mars 2021, avant votre entrée en fonction, puis après celle-ci. Dans quel contexte vous êtes-vous connus et quels ont été vos échanges, s'il y en a eu ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur la question de l'Union fédérative des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), le rapport de l'IGA, qui est dur mais factuel, est me semble-t-il documenté.

M. Claude Raynal, président. - Je vous interromps, si vous le voulez bien : on reviendra sur l'association après. On a bien compris que l'association arrivait dans un deuxième temps, très proche d'ailleurs de la réponse au Fonds Marianne. Dans un premier temps, où avez-vous rencontré M. Sifaoui ? Quel était l'état de vos relations ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question va me permettre, je l'espère, de clarifier un certain nombre de choses. J'ai eu l'occasion de le dire, mais je le redis sous serment et dans ce contexte, face à cette commission : je ne suis pas une amie de M. Sifaoui.

Je le dis parce que, dans un premier temps, c'est ce qui a été rapporté. Je le démens. Il est difficile de démontrer qu'on n'est pas ami avec quelqu'un. M. Sifaoui lui--même s'est exprimé sur BFMTV et a dit également : « je ne suis pas un ami de Mme Schiappa ».

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, le terme « ami » est un mot-valise : ami politique, ami sur un objectif qui est la laïcité...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais donc éliminer une par une toutes ces hypothèses, si vous me le permettez. Je ne suis pas une amie de M. Sifaoui. Je n'ai aucune relation personnelle avec M. Sifaoui, d'aucune sorte, et je n'en ai jamais eu. Je ne suis pas, avec M. Sifaoui, membre des mêmes organisations. Nous ne nous retrouvons pas dans telle ou telle association ou organisation, en dehors de mon action ministérielle.

Je n'ai l'occasion de rencontrer M. Sifaoui dans aucun lieu privé, ni chez lui ni chez moi ni dans une activité sportive, et je peux vous faire l'intégralité de la liste.

Je ne connais pas sa vie personnelle ni sa famille, il ne connaît pas la mienne, bref, nous ne sommes pas amis. Nous ne sommes pas d'anciens associés. Nous n'avons pas d'intérêts communs et nous ne sommes ensemble, à ma connaissance, membre d'aucune organisation, puisque c'est ce que sous-entendent certaines formulations - pas les vôtres, monsieur le président.

M. Sifaoui, je le vois à plusieurs reprises, et pas en tête-à-tête. Je tiens à le dire ici, parce que l'un des témoignages qui a été apporté devant votre commission a affirmé que j'aurais reçu personnellement en tête-à-tête M. Sifaoui au mois de mars, et que ce serait à cette occasion que je lui aurais annoncé qu'il aurait une subvention ou qu'il serait éligible au Fonds Marianne. C'est faux, je tiens à le dire ici sous serment.

C'est faux et c'est documenté par l'ensemble de mon agenda et des échanges de messages avec mon cabinet. J'ai un message d'un de mes conseillers, daté environ du 20 avril, peu ou prou, qui m'interpelle en me disant que je n'ai pas rencontré M. Sifaoui. De mémoire, dans son mail, il dit : « vous devriez recevoir M. Sifaoui ».

J'ai participé à des événements ministériels auquel M. Sifaoui était présent. J'ai fait notamment - je l'ai lu dans la presse ou dans un rapport, parce que je n'en avais pas le souvenir - un déplacement dans le Tarn où, à ma connaissance, M. Sifaoui avait été convié par le Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) pour délivrer une formation à cette occasion. Je n'ai pas convié moi-même M. Sifaoui à venir. J'étais présente et il était présent.

Il a également participé à une visioconférence avec d'autres experts, que je peux citer si vous le souhaitez, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi séparatisme, puisqu'il était un interlocuteur du CIPDR.

M. Sifaoui était en lien avec le CIPDR longtemps avant ma propre nomination. Il y a des comptes rendus qui sont dans les dossiers qui montrent qu'il est reçu et qu'il a des entretiens avec le CIPDR, ce qui n'est pas anormal puisque c'est à ce moment un acteur reconnu de l'écosystème de la lutte contre l'islamisme qui a publié des ouvrages sur le sujet. Il fait des interventions et fait donc partie des acteurs consultés par le CIPDR, mais je tiens à être claire et formelle sur le fait que nous ne sommes pas amis. Nous n'avons pas de relations personnelles et nous n'avons pas, à ma connaissance, d'intérêts communs ou d'appartenance commune à telle ou telle organisation. J'espère avoir été claire.

M. Claude Raynal, président. - La réponse est claire en tout cas. Dans le rapport de l'IGA - puisque, vous le savez, nous n'avons pu entendre sous serment M. Sifaoui, nous avons malheureusement décalé son audition à demain -, il est indiqué que M. Sifaoui a affirmé qu'il y a eu six réunions entre lui et votre cabinet en mars et avril 2021 et qu'il y a eu un échange avec vous durant deux de ces réunions. Votre directeur de cabinet a dit que vous êtes en fait venue le saluer « cursivement ». Vous nous direz quels ont pu être les échanges que vous avez eus à ce moment-là avec M. Sifaoui, si vous le voulez bien et si vous vous en souvenez avec précision et, le cas échéant, si cela est vrai. Je parle des six rencontres. Ce n'est pas une rencontre, ce n'est pas deux rencontres, ce sont six rencontres.

Quelles étaient donc les réunions en question et sur quoi portaient les discussions ? C'est un point extrêmement important, vous le comprenez. Je le remets dans la chronologie des faits. Nous sommes là avant même l'appel à projets du Fonds Marianne.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je ne sais pas si les six rencontres ont lieu avec mon cabinet ou l'administration. J'ai lu le chiffre de six rencontres. Un journal a d'ailleurs fait un raccourci en disant qu'il s'agissait de six rencontres avec moi. J'espère qu'il est clair aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Dans ces discussions, je ne sais pas ce qui se dit entre mon cabinet et M. Sifaoui. Je ne peux qu'imaginer qu'ils parlent de lutte contre l'islamiste, contre le cyber-islamisme, que M. Sifaoui, peut-être, fait part des projets qui sont les siens.

En ce qui concerne les fois où je l'ai salué, peut-être suis-je allée le saluer et que je ne m'en souviens pas - on parle de faits d'il y a quasiment deux ans. M. le préfet Jallet dit, et je n'ai pas de raison de ne pas le croire, que je suis venue saluer M. Sifaoui lors d'un rendez-vous du 22 avril, si ma mémoire est bonne. C'est tout à fait probable. Cela m'arrive fréquemment de venir saluer par courtoisie les gens qui sont reçus par les membres de mon cabinet. Je n'ai pas souvenir de ce que j'ai pu lui dire au moment de le saluer mais, si c'est la question, je ne lui ai pas dit que j'allais lui attribuer une subvention ou lui faire attribuer une subvention. Je ne le fais jamais. C'est donc très clair.

M. Claude Raynal, président. - Ni même l'encourager à déposer un dossier dans le cas du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très honnêtement, ce n'est pas impossible. J'encourage les gens à déposer des dossiers. Je le fais tout le temps. Je suis aujourd'hui chargée de l'économie sociale et solidaire. Dans les dernières semaines, j'ai reçu des gens qui m'ont dit qu'ils souhaitaient pouvoir être subventionnés, et je leur ai dit : « je vous encourage vivement à déposer un dossier auprès de l'administration pour que l'administration l'instruise ». Encourager quelqu'un à déposer un dossier, cela ne veut pas dire qu'on va le soutenir. C'est une formule générale, qui signifie que le dossier sera renvoyé à l'administration et étudié. C'est en tout cas comme cela que je conçois les choses.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous dites donc qu'il y a peut-être eu six réunions avec votre cabinet. Vous ne savez pas. Vous nous dites : « Je ne sais pas ce qui s'est dit entre mon cabinet et M. Sifaoui ». La question du Fonds Marianne est maintenant sur la table depuis quelques mois. Vous n'avez pas interrogé votre directeur de cabinet entre-temps pour préparer cette audition ?

Ce que je veux dire c'est qu'il est difficile d'imaginer qu'un ministre et son cabinet ne fonctionnent pas en totale confiance et que toutes les informations ne sont pas transmises.. On connaît bien les structures des cabinets, on connaît bien leur manière de travailler. Je ne peux pas imaginer un directeur de cabinet ou un conseiller spécial chargé de ces questions avancer, dans le cadre de six réunions, si elles ont eu lieu - pour l'instant, on n'a pas de confirmation de votre part - sans vous faire un reporting, une note ou tenir un propos oral.

Je rappelle qu'on est sur un sujet sur lequel votre communication, la communication du ministère, a été extrêmement forte. C'est un sujet qui est encore dans tous les esprits aujourd'hui. Samedi, par exemple, je vais à Toulouse pour l'inauguration d'une rue Samuel Paty. Il est dans tous les esprits.

Vous êtes sur un sujet qui est sensible, vous êtes sur une position politique affichée et vous ne suivriez pas les discussions entre votre cabinet et M. Sifaoui ? J'ai un peu de mal à le croire. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sauf erreur de ma part, il me semble que ce n'est pas le préfet Jallet, mon directeur de cabinet à ce moment-là, qui reçoit M. Sifaoui. Je pense - mais c'est à vérifier, sauf élément contraire - qu'il est reçu par l'administration et des membres de mon cabinet, et notamment, je vous le disais, dans le cadre de la préparation de la loi dite séparatisme, pour conforter les principes de la République.

M. Claude Raynal, président. - On est en avril 2021. On est déjà bien après la réflexion préalable à la loi, me semble-t-il.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me parlez d'avril 2021 ? Mais les six rencontres n'ont pas lieu en avril 2021.

M. Claude Raynal, président. - L'IGA parle de mars et avril 2021. On n'est pas sur la préparation de la loi confortant le respect des principes de la République. C'est avant qu'il y a eu des visioconférences avec différents experts.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument. C'est ce que je mentionnais dans mon propos.

Vous l'avez très justement dit, il y a une relation de confiance entre un ministre et son cabinet. En tout cas - peut-être est-ce une erreur -, mais c'est comme cela que je fonctionne. Je ne vais pas, par exemple, regarder les agendas des membres de mon cabinet, et je ne leur demande pas quotidiennement qui ils ont reçu ou avec qui ils ont échangé. Il y a des réunions thématiques globales, et c'est à cette occasion que les membres du cabinet font état des personnes qu'ils ont vues.

En revanche, ce que je peux vous dire matériellement, puisque j'en ai la trace, ce que j'ai retrouvé dans mes mails auxquels vous aurez accès, c'est que des membres de mon cabinet reçoivent M. Sifaoui lorsqu'il présente un projet. Il dit qu'il a un projet de contre-discours sur le cyber-islamisme, et c'est à cette occasion que mon cabinet m'adresse un mail - c'est la seule trace écrite que j'ai relative à un rendez-vous entre des membres de mon cabinet et M. Sifaoui. Dans ce mail, ils m'expliquent le projet.

C'est d'ailleurs à ce mail que je réponds, puisqu'ils me détaillent les montants du projet - pardon pour la familiarité, mais c'est un échange qui avait vocation, à ce moment-là, à être personnel : « 300 K€ d'argent de l'État pour ce projet, cela me paraît énormissime ». C'est ma réponse, et je me réjouis aujourd'hui de l'avoir faite par écrit, parce que cela démontre bien que j'ai trouvé que ce projet était trop coûteux. On me demande mon premier avis. Mon conseiller, dans une discussion informelle, me parle d'un projet. Ma première réponse et mon impulsion sont de dire : « c'est trop cher ». S'ensuivent ensuite des échanges par écrit, qui sont documentés, que l'IGA a eus et que vous aurez également ou que vous avez peut-être déjà, dans lesquels on discute de ce projet, des membres de mon cabinet soutenant le projet et le détaillant, le directeur de cabinet rappelant qu'il y a une procédure, rappelant par écrit ses étapes et invitant à ne pas débattre de cette sorte, mais à intégrer ce projet dans le cadre du comité de sélection ou, en tout cas de la procédure qui existe. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Claude Raynal, président. - Partiellement. La question est quand même très simple, quand il y a une position d'un cabinet, notamment écrite, elle engage son ministre. On est bien d'accord ? Il y a une responsabilité conjointe, ce qui me permet d'ailleurs de vous dire toute de suite, madame la ministre, que ni dans votre propos introductif ni à quelque moment que ce soit jusqu'à présent vous n'avez mis en cause, en jeu ou même en discussion votre propre responsabilité. Pour l'instant, vous dites : « c'est l'administration, c'est le cabinet ».

Non, madame : quand le cabinet prend une position, elle est supposée être la position de la ministre ou du ministre. De manière générale, c'est comme cela que les choses se font - et heureusement parce que sinon, quelle serait la qualité d'une intervention du cabinet s'il ne portait pas la voix du ministre ? Il me paraît très important de revenir là-dessus.

On a plusieurs échanges sur plusieurs associations mais, entre le 9 et le 13 avril, votre conseiller spécial interroge le CIPDR sur la bonne réception de la demande de M. Sifaoui. M. Sifaoui a indiqué, sur Twitter - encore une fois, je le prends avec précaution : « Je n'ai pas pris cette initiative spontanément. J'y ai été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Mme Schiappa et par elle-même », à l'occasion sans doute de ce petit contact cursif. « Je suis donc quelque peu scandalisé en constatant qu'elle participe gentiment au lynchage. Ce sont les membres du cabinet de Marlène Schiappa qui ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». Une chose est d'avoir un contact, une autre est d'encourager. Je reprends les termes : « les membres du cabinet ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne ». On a des échanges de votre cabinet avec le secrétariat général pour avoir des informations, savoir si le dossier de candidature est bien arrivé, si on peut l'intégrer. Ces échanges vont très loin.

Le directeur de cabinet de Mme Backès nous a fait une démonstration que je trouve assez juste et assez classique : un cabinet reçoit souvent des demandes, est sollicité. C'est évident. Lorsqu'il est sollicité, la tradition, la méthode, l'organisation veulent que le cabinet ou le ministre transmette pour analyse à son administration le dossier présenté et se garde bien, jusqu'à ce que le dossier fasse l'objet d'un rapport par l'administration, d'intervenir sur le sujet.

Là, on est sur quelque chose de très différent. Il y aurait eu une sollicitation. Vous ne pouvez pas nous répondre : « je ne sais pas ce que le cabinet a fait, s'il a appelé M. Sifaoui, s'il ne l'a pas appelé, si c'est M. Sifaoui, de sa propre autorité, qui est venu ». Ce n'est pas ce que nous disent les auditions ou l'IGA. M. Gravel nous dit qu'il a reçu un coup de fil de M. Sifaoui. On n'est pas du tout dans la transmission par le cabinet à l'administration, mais bien sur quelque chose de totalement différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, en ce qui concerne ma responsabilité, je ne me défausse pas, je ne me dérobe pas, je suis là devant vous et j'entends endosser ma responsabilité, toute ma responsabilité, mais rien que ma responsabilité. Que le ministre soit comptable, rende des comptes et soit responsable devant le Parlement de l'action menée non seulement par lui-même mais aussi par son cabinet et son administration est politiquement normal, et c'est pourquoi je suis là autant que de besoin, maintenant et dans l'avenir, si vous avez besoin de compléments d'informations. J'ai toujours, en toutes circonstances, pris mes responsabilités. J'ai énormément de défauts, mais certainement pas celui de me dérober !

Je suis là et je vous réponds dans toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité.

M. Claude Raynal, président. - Cela me paraît clair, de même que l'on parle bien de responsabilité et pas de culpabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je l'espère bien. Je ne l'ai pas entendu. Je parle de responsabilité. À ma connaissance, je ne suis accusée de rien. Je suis là pour vous aider à établir des faits, la matérialité des faits, en dehors des commentaires des uns et des autres, et la chronologie des faits.

D'ailleurs, je n'ai pas non plus à préjuger de la culpabilité de quelque acteur que ce soit, puisqu'il y a une instruction judiciaire en cours qui les concerne et qui ne me concerne pas.

M. Claude Raynal, président. - Et qui ne nous concerne pas non plus !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien évidemment. Tout cela pour dire que mon cabinet a fait confiance à un acteur qui, à ce moment-là, est un acteur reconnu de ce sujet, M. Sifaoui, qui est déjà soutenu par le CIPDR. Il y a des rencontres avec l'administration qui sont documentées. Un site de M. Sifaoui, Islamoscope, est référencé comme partenaire du CIPDR. Il y a une réelle antériorité.

Je réponds pour ce que j'ai fait, je n'ai pas connaissance d'autres échanges personnels, mais vous-même et la justice le direz peut-être. Je suis formelle, je vous le dis sous serment : je n'ai à aucun moment demandé ou passé commande pour que M. Sifaoui soit priorisé ou mis au-dessus de la pile. Je n'avais aucune raison de le faire, et je ne l'ai pas fait.

D'ailleurs, le rapport de l'IGA est très clair sur ma responsabilité dans le cadre du processus de sélection, puisqu'il établit qu'après avoir impulsé cette politique publique, « la ministre s'est effacée du processus de sélection ». C'est la conclusion écrite du rapport de l'IGA.

M. Claude Raynal, président. - Excusez-moi de vous reprendre. Le rapport ne dit pas cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il y a cette phrase stricto sensu dans le rapport.

M. Claude Raynal, président. - Absolument pas ! La phrase est : « l'ensemble des témoignages recueillis indique au demeurant que la ministre déléguée s'est effacée du processus ». Surtout, l'Inspection générale de l'administration a pour rôle de contrôler l'administration. Elle n'est pas là pour porter un jugement de responsabilités politiques, en aucune façon. Elle ne l'a jamais fait.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me demandez ma parole. Je vous donne ma parole, et sous serment : je vous dis que je n'ai à aucun moment priorisé moi-même ni demandé de prioriser le dossier de M. Sifaoui. J'ajoute que je n'avais aucune raison de demander à prioriser le dossier de M. Sifaoui et que je ne l'ai pas fait.

Au demeurant, ce dossier était soutenu par l'administration, par le CIPDR, puisque manifestement il a été donné un avis favorable, de manière unanime, au fait de pouvoir financer ce dossier par l'ensemble des membres du comité de sélection, c'est-à-dire tant les membres du cabinet que les membres de l'administration. C'est en tout cas les éléments dont je dispose.

M. Claude Raynal, président. - En même temps, vous savez comment les choses se passent : lorsqu'un cabinet demande à l'administration de regarder de près un dossier, la réinterroge pour savoir s'il a bien été déposé, participe à des discussions sur le montant alloué, l'administration a quand même du mal à s'opposer - quoi qu'en pense M. Gravel qui, par ailleurs, a dit plutôt du bien de M. Sifaoui lors de son audition. Quand un cabinet parle à son administration, il représente toujours le ou la ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais rester sur la chronologie des faits parce que j'ai toujours, à ce stade, quelques difficultés à m'y retrouver. Vous avez parlé de matérialité et de chronologie. Je suis assez basique, parce que le calendrier est ce qu'il est. Vous avez tout à l'heure évoqué un mail du 20 avril. Je vais me permettre de vous corriger : ce qui nous a été transmis, c'est un mail du 6 avril et non pas du 20, adressé à votre cabinet, qui indiquait le montant de 300 000 euros, qualifié d'énormissime.

Mais le 9 avril, trois jours après, l'USEPPM envoie tout de même une demande de subvention de 635 000 euros, qui sera réduite à 300 000 euros le 13 avril 2021, lors du comité de programmation du FIPDR. Je rappelle qu'à ce stade, le Fonds Marianne n'est pas créé.

Est-ce qu'on doit en déduire que la décision d'octroyer les 300 000 euros à l'USEPPM a finalement été non seulement envisagée mais actée par vos équipes et votre cabinet, en amont même du comité de programmation, dont je rappelle qu'il s'est tenu le 13 avril, et donc avant même le dépôt officiel de la demande de subvention ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je tiens à vous dire que mon point de vue sur ce montant n'a changé à aucun moment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas la question. La question, maintenant, c'est la procédure, les montants et la séquence dans laquelle la subvention est déjà pré-accordée.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais c'est le regard qu'on porte sur un montant qui procède d'un arbitrage ou d'un non-arbitrage. Mon point de vue, je l'ai donné à mon cabinet par écrit, et j'ai dit que, pour moi, 300 000 euros, c'était une somme énorme, de surcroît si l'État était le seul financeur. C'est pourquoi, à ma connaissance, rétrospectivement, quand je recoupe aujourd'hui les éléments, il aurait été demandé à M. Sifaoui de trouver des cofinancements, d'après ce que j'ai compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends. Je vous demande simplement de confirmer le séquençage entre le 6 et le 13 avril. Est-ce qu'il est conforme ou est-ce que je commets une erreur ? Est-ce que c'est la manière de procéder ? Est-ce que c'était finalement une subvention fléchée, avant même le Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne peux pas vous dire ce qui a procédé au changement de montant dans la demande. Pardon si je comprends mal la question.

M. Claude Raynal, président. - C'est une question importante. Selon nous, elle démontre que le cabinet vous a questionné sur un montant de subvention à cette association, l'USEPPM, avant même que tout dossier soit déposé au CIPDR. Il n'y a pas de dossier déposé, et votre cabinet vous interroge sur un montant de 300 000 euros qui pourrait être affecté à l'USEPPM, ce à quoi vous répondez : « C'est énormissime ».

Mais la demande réelle arrive après, ce qui tend tout simplement à dire qu'il y a eu une décision préalable de votre cabinet de soutenir cette association avant même de recevoir quelque dossier que ce soit, d'où d'ailleurs la demande qui est faite au CIPDR par le cabinet : « est-ce que vous avez reçu le dossier ? » parce qu'ils ont déjà une position préétablie pour 300 000 euros, en accord avec vous, sous la réserve que vous dites : « c'est énormissime ». Ils vous répondent que, politiquement, c'est jouable, que cela a du sens, etc.

Ce qui ne va pas et qui fait dire à l'IGA que ce n'est ni transparent ni équitable, c'est que des associations ont finalement fait l'objet d'arbitrages par votre cabinet, préalablement à toute demande et à tout dépôt de dossier. C'est votre mail même, que vous nous avez transmis pour exprimer votre position, qui dit que vous avez été questionnée par votre cabinet sur 300 000 euros avant même tout dossier.

Cela veut dire tout simplement que, dès le départ, cette procédure fait qu'il y a plusieurs types d'associations et qu'il y a des associations dont le sort est réglé en amont du lancement même du fonds. En tout cas, pour celle-là, les faits sont établis.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que vous contestez ces faits ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est à vérifier, mais il me semble que le mail de mon conseiller ne fait pas référence au Fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le sujet !

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Ne mélangez pas. Je vous ai donné une matérialité, une séquence. Je vous demande si vous contestez les éléments que je vous ai présentés. La question est claire : si des versements ont été fléchés par avance, vous le dites et cela clarifie les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je suis comme vous : matérialité et chronologie. Matériellement, je n'ai pas de faits qui viennent dire que le cabinet donne un ordre de versement de cette subvention.

M. Claude Raynal, président. - Il ne s'agit pas de versement d'une subvention. D'abord, le versement c'est le CIPDR, c'est l'administration qui verse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas de cela dont il s'agit, mais d'un préfléchage sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient la proposition du CIPDR au moment du comité. C'est tout simple.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je regarde ce dont je dispose comme faits pour ces discussions, qui ont eu lieu il y a deux ans, et je me fie à ce dont je dispose. Manifestement les membres de mon cabinet, tout comme le CIPDR, étaient en soutien de l'initiative portée par M. Sifaoui. Leur mail démontre qu'ils ont un enthousiasme vis-à-vis de son projet. Je n'ai pas d'éléments qui vise à dire que le cabinet aurait à ce moment-là arbitré ou décidé quelque chose avant le comité de sélection, et je tiens à rappeler par quelle porte d'entrée arrive M. Sifaoui : c'est par le SGCIPDR, avec lequel il travaillait ou entretenait des relations précédemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous venez de nous dire que l'un et l'autre, le cabinet et le CIPDR, travaillaient avec enthousiasme et que vous validez finalement leur enthousiasme dans un même enthousiasme - j'interprète.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, je n'ai pas d'élément matériel qui démontre cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je note que vous n'avez pas contesté la matérialité des séquences, ce qui est pour moi un élément de réponse qui nous permettra ensuite, madame la ministre, de rendre nos conclusions.

Je ne tire pas d'enseignement particulier. J'avais simplement besoin de vérifier le déroulement et la chronologie des faits. Si vous me le permettez, je voudrais savoir pour quelle raison, au final, il a été décidé d'attribuer ces 300 000 euros à l'USEPPM. Pourquoi, ensuite, a-t-elle déposé une demande de projet à 355 000 euros dans le cadre du Fonds Marianne ? Les 55 000 euros supplémentaires s'expliquent-ils par une idée géniale des porteurs de projet ? Y a-t-il eu un échange avec le CIPDR, votre cabinet, voire vous-même, au cours d'échanges dits cursifs ? J'ai simplement besoin de savoir quel est le rôle que chacun a pu tenir.

Nous devons faire la lumière, au titre de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement et de la dépense publique, qui plus est avec des associations. Comme l'a dit un de nos collègues, parfois, dans nos collectivités pour 1 000 euros, il faut montrer patte blanche et avoir un dossier très carré.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je souscris parfaitement à vos propos. Je me permets simplement de dire que je n'ai dans mes réponses ni confirmé ni infirmé cette chronologie. Je ne connais pas les échanges qui ont pu avoir lieu sur ce sujet. Tout ce que je sais matériellement, c'est que le comité de sélection est unanime sur le soutien qu'il faut apporter à M. Sifaoui. Je ne me mêle pas du montant, à part cette remarque, en amont, où je dis que je trouve que c'est énorme. Le comité de sélection propose un montant, se met d'accord sur un bénéficiaire, qui est l'association dans laquelle est M. Sifaoui, et se met d'accord sur ce montant. Je ne biffe pas ce montant ni dans un sens ni dans l'autre. Je ne donne pas d'avis sur ce montant in fine.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous n'en donnez pas, mais vous ne l'invalidez pas, contrairement à d'autres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non. Dans la liste finale qu'on me présente, il y a des noms et des montants, et je n'ai pas de modification à apporter.

Pourquoi est-ce que je ne le fais pas ? Ce n'est pas un désintérêt de ma part. Je reviens à ce que je disais : on peut le déplorer, on peut estimer que j'aurais dû le faire mais, en tout cas, je ne me suis pas mêlée d'ingénierie. Je ne suis pas directeur d'administration, préfète ou chargée de mission. Il ne me revient pas l'attribution, dossier par dossier, de chaque subvention. On n'a pas sollicité d'arbitrage in fine, puisqu'il y avait un consensus. Cela a donc été engagé de la sorte sur ce dossier-là.

M. Claude Raynal, président. - On va y revenir, madame la ministre, mais en réalité, la chronologie, c'est vous qui la donnez. Elle n'est donc pas fausse par nature. Vous nous avez transmis un mail du 6 avril, antérieur au dépôt du dossier, qui est le 9 avril. Le 6 avril, votre cabinet arbitre donc sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient le montant qui est présenté au comité qui suit. C'est la chronologie que vous avez donnée. La date de votre mail est juste. À partir de là, tout le reste est imbriqué.

M. Roger Karoutchi. - Certains ici ont une expérience ministérielle et savent très bien qu'on ne demande pas aux membres de son cabinet de faire rapport sur tout. On ne vérifie pas leurs agendas - et heureusement ! - ni qui ils reçoivent - et heureusement ! On aurait des problèmes en sens inverse.

Mais dans cette affaire qui est aujourd'hui l'objet de la commission d'enquête, il y a un élément un peu curieux. Vous dites vous-même- et je veux bien vous croire - qu'il y avait un comité pour sélectionner les projets. Vous n'avez pas à intervenir sur le montant des subventions. Vous n'avez pas d'ailleurs à faire le choix, c'est au comité de sélection de le faire.

Dans ces conditions, pourquoi votre cabinet vous interpelle-t-il sur la somme qui serait attribuée à M. Sifaoui avant le comité de programmation ? Vous répondez vous-même, c'est très bien de l'avoir fait : « La somme me paraît énormissime ». Cela semble indiquer, madame la ministre, qu'en réalité, il est probable que votre directeur de cabinet a peut-être fait une présélection avant le comité, qu'on vous a soumis quelques idées ou, en tout cas, quelques montants, et que vous avez réagi au moins sur le plus important, celui de M. Sifaoui.

D'ailleurs, vous dites vous-même que lorsque l'association de M. Sifaoui a demandé 635 000 euros, votre cabinet lui a proposé de trouver des financements complémentaires ailleurs, ce qui revient à dire qu'avant même que le comité de programmation se réunisse et décide, le projet de M. Sifaoui avait été plus ou moins validé par votre cabinet. On avait compris que cela coûterait plus cher que 300 000 euros et on lui avait proposé de trouver des financements privés parallèles.

On a un peu le sentiment qu'en réalité, sans que vous soyez forcément vous-même totalement impliquée, le cabinet avait pris le pas sur l'administration pour décider.

M. Vincent Éblé. - Je voudrais vous interroger sur le subventionnement d'une association dont il n'a pas encore été beaucoup fait état dans nos discussions d'aujourd'hui, qui est l'association Reconstruire le commun.

Comme vous le savez sans doute, cette association a été constituée seulement quelques semaines avant de bénéficier des subventions d'État, ce qui est une chose qui, personnellement, m'a beaucoup surpris car j'ai présidé une collectivité importante durant onze années, le conseil départemental de Seine-et-Marne. Jamais, en onze années, nous n'avons subventionné une association qui venait d'être constituée, tout simplement parce que, dans les conditions que nous émettons pour subventionner une association, fût-ce de quelques centaines d'euros - a fortiori pour plus de 300 000 euros -, nous demandons à disposer au moins des comptes d'un exercice annuel entier de l'association. On ne subventionne donc qu'à partir d'une année complète d'existence. C'est une précaution qui me paraît normale.

Je voudrais vous demander si vous aviez connaissance, lorsque vous avez validé l'ensemble des subventions accordées dans le cadre de cet appel à projets, du fait que cette association était de création récente ou si vous l'ignoriez.

Est-ce que ce conditionnement qui, semble-t-il, n'existe pas, a fait l'objet de discussions avec vos collaborateurs au sein du cabinet, avec les administrations en question ? Si c'est le cas, est-ce qu'il a été sciemment décidé que ce n'était pas grave de subventionner une association aussi récente ? L'évolution assez rapide des questions auxquelles le Fonds Marianne est destiné à répondre pouvait-elle justifier de retenir une jeune association ou bien tout cela est-il hors de votre visibilité de ministre, hors des radars ?

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, vous gardez en mémoire cette deuxième question. Le sujet sur Reconstruire le commun sera abordé un peu plus tard.

M. Victorin Lurel. - J'avais l'intention d'interroger la ministre sur l'USEPPM, qui est une union de sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. L'Observatoire de la laïcité a été dissous, et vous avez créé le Fonds Marianne pour lutter contre le séparatisme et développer un contre-discours républicain.

J'aimerais savoir quelle est votre vision de ce contre-discours républicain. Qu'est-ce qu'on reprochait à l'Observatoire de la laïcité pour passer à une préparation militaire et peut-être paramilitaire ?

C'est bien le nom de l'association ? C'est une vieille association endormie, qui s'est réveillée et qui reçoit des subventions. Quelle était votre vision de ce discours contre-républicain ? Quels étaient les liens avec certains essayistes ? Quelle était votre inspiration et quelle était la teneur de ce discours ? Avez-vous également des liens avec le Printemps républicain ?

M. Vincent Segouin. -M. Gravel a déclaré qu'il a appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du Fonds Marianne lors d'un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui : « il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre ». Nous sommes en mars 2021. Qu'en est-il ? Est-ce vrai ?

M. Daniel Breuiller. - Pour mettre en place ce contre-discours républicain, avez-vous demandé à votre cabinet et à l'administration de chercher des acteurs ou des associations dont l'action était déjà visible et réputée ? Vous dites : « je n'avais aucune raison d'appuyer M. Sifaoui ». Aviez-vous des raisons inverses de ne pas l'appuyer, et comment se fait-il que l'administration semble dialoguer avec un acteur avant de dialoguer avec une association ? Il me semblait qu'on allait chercher dans les associations déjà engagées dans cette action plutôt que de cibler des acteurs. Vouliez-vous qu'il y ait des acteurs ou vouliez-vous qu'on aille chercher l'ensemble des associations qui intervenaient dans le champ de la défense des valeurs de la République ?

M. Christian Bilhac. - Il y a quelques années, j'étais dans l'Association des maires de France (AMF), et nous avions créé un groupe de travail qui avait produit un vade-mecum sur la laïcité. À cette occasion, nous avions auditionné beaucoup des acteurs de terrain que vous avez cités, qui font un travail remarquable dans la défense de la laïcité et des valeurs de la République.

Il s'agit pour beaucoup d'entre eux de clubs sportifs qui travaillent auprès des jeunes, essentiellement de football ou de boxe. Quelle dotation ont obtenu ces clubs qui sont déjà impliqués, qui travaillent déjà dans les quartiers, qui ont une existence reconnue ? Je n'ai pas souvenance, par contre, d'avoir auditionné l'USEPPM comme acteur de terrain. Comment expliquer ces 300 000 euros ?

Pour conclure, je voudrais quand même dire que je crois que ce Fonds Marianne était une très bonne idée au départ, parce que nous avons besoin de défendre la République et ses valeurs. Je ne serais pas heureux si, à la fin de cette procédure, on jetait - si je peux me permettre cette expression un peu populaire - « le bébé avec l'eau du bain » et qu'on fasse ainsi plaisir aux salafistes de toutes les tendanceset à ceux qui les soutiennent !

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce commentaire.

M. Gérard Longuet. - Je ferai exactement les mêmes observations que mon prédécesseur. Madame la ministre, vous avez été en charge d'une responsabilité extraordinairement lourde et nouvelle, celle d'aider à bâtir un discours pour défendre la laïcité républicaine vis-à-vis de populations qui, à l'égard de la religion, n'ont pas le même historique que la plupart de nos compatriotes.

Avez-vous rédigé un document de base, une charte portant sur la volonté politique et la définition de votre projet politique ? Vous êtes complètement dans votre responsabilité, vous êtes en charge d'un sujet majeur, votre équipe va le mettre en oeuvre, mobiliser un Fonds préexistant mais qui a un objectif très différent, la lutte contre la délinquance. Christian Bilhac a tout à fait raison : la délinquance dans les quartiers, l'association sportive, le foot, la boxe, c'est très bien, mais là, on parle de quelque chose de très différent : c'est un message avec un corps de doctrine. Ce qu'on reprochait justement à l'Observatoire de la laïcité, c'est de ne pas avoir de corps de doctrine, de limites et de règles de comportement.

Avez-vous eu l'occasion, le temps et la possibilité de bâtir ce corps de doctrine avant de recruter des porte-parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je reviens très brièvement sur votre dernier propos conclusif, monsieur le président, indiquant que, dans la chronologie, le cabinet avait arbitré les montants par mail, etc. Au risque de me répéter, je n'ai pas, dans les échanges de mails, d'arbitrage du cabinet. Je tiens à le dire pour ne pas qu'il soit retenu que j'aurai implicitement validé cela. Dans les échanges de mails, il y a des discussions. On peut voir les positions et les points de vue des uns et des autres, mais il n'y a pas d'arbitrage écrit, en tout cas matériellement, je me permets de le dire.

Monsieur le ministre Karoutchi, pour répondre à vos différentes questions, vous faites référence aux échanges de mails que j'ai eus avec mon cabinet, en observant qu'ils sont antérieurs au Fonds Marianne. C'est tout à fait juste, et c'est d'ailleurs pour cette raison que, dans ces échanges, ne figure pas de mention du Fonds Marianne à ce moment-là. Je ne dis pas que cela ne veut pas dire que les échanges ne sont pas intéressants au regard de l'instruction qui est en train d'être menée, mais on n'est pas en train d'arbitrer des subventions du Fonds Marianne. On a simplement ce compte rendu thématique d'un membre de mon cabinet sur un rendez-vous. J'ai moi-même souhaité porter ce mail à la connaissance de la commission d'enquête et le donner spontanément, parce que j'ai trouvé qu'il éclairait justement ce débat.

D'ailleurs, dans ces messages, on voit que les membres du cabinet se répondent et me répondent. Le directeur de cabinet met fin à l'échange par la nature de sa réponse, puisqu'il rappelle que, pour toute attribution de subventions, il y a une procédure. L'échange s'arrête là et est reporté aux procédures afférentes.

Il propose d'ailleurs à ce moment-là un process pour ce qui n'est pas encore le Fonds Marianne, mais qui est l'activité de « contre-discours républicain ». C'est un long mail - je pense que chacun l'a -, dans lequel il rappelle le process qu'il propose, avec une validation ministérielle in fine, mais une sélection et une instruction des dossiers par l'administration. C'est cette procédure qu'il vient détailler.

Cela me semble important parce qu'on parlait de la chaîne de hiérarchie et des responsabilités de chacun. Le directeur de cabinet, le préfet Jallet, est parfaitement dans son rôle en disant, à peu de choses près : « il y a une procédure, donc on n'en discute pas comme cela, par message ». C'est le sous-entendu de son mail quand il renvoie au comité de sélection.

Monsieur le sénateur Lurel vous avez parlé de discours contre-républicain. Il n'y a pas de discours contre-républicain - ou c'est un lapsus. Je tiens à être claire sur ce sujet et j'admets, parce que je l'ai entendu dans certains débats, que cette appellation n'est peut-être pas la plus limpide qui soit. D'ailleurs, on peut politiquement - mais c'est un autre sujet - s'interroger sur le nom qu'on donne à ce discours. Que mettons-nous dedans ? Nous y mettons le fait de répondre à tout discours dit séparatiste qui peut exister, et donc essentiellement à ce qu'on appelle le « terreau du terrorisme », aux discours de radicalisation et d'islamisme et, plus largement, qui peuvent attenter aux institutions et à la République. L'idée est d'aider les jeunes, notamment sur les réseaux sociaux, à se faire leur propre avis, à exercer leur libre arbitre et à entendre différentes positions sur ce sujet.

Je souhaite répondre à votre question sur le Printemps républicain. Je vous remercie de la poser, parce que cela va me permettre de clarifier un certain nombre de choses.

Tout d'abord, je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas membre du Printemps républicain. Je tiens à le dire ici, parce que, dans les sous-entendus qui ont été faits, non pas dans cette commission d'enquête mais dans les commentaires, on entend un peu tout et n'importe quoi. On m'attribue à tort des amis et des appartenances. Je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas plus amie avec M. Sifaoui que membre du Printemps républicain. Vous avez des images, des reportages, des photos du lancement du Printemps républicain : je n'y figure pas, et pour cause : je n'en suis pas membre. Je pourrais, ce n'est pas interdit, mais il s'avère que je ne le suis pas.

Il s'avère également que le Printemps républicain n'a pas été associé à la constitution du Fonds Marianne. À aucun moment, je ne vais voir le Printemps républicain dans le cadre du Fonds Marianne. D'ailleurs, eux-mêmes ont souhaité faire un communiqué pour dire qu'ils n'avaient été associés d'aucune manière...

M. Claude Raynal, président. - Votre position est claire, madame la ministre, et nous avons encore énormément de questions à vous poser.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous voulez que je sois brève, monsieur le président : je ne suis pas membre du Printemps républicain, c'est ma réponse.

Monsieur le sénateur Segouin, je n'ai pas annoncé à M. Sifaoui en rendez-vous qu'il aurait une subvention. J'ai dit tout à l'heure que c'était faux. Je pense que M. le préfet Gravel a dû mal comprendre ou qu'il y a une incompréhension dans la manière dont les choses se sont dites entre M. Sifaoui et M. le préfet Gravel, mais je suis formelle et les éléments matériels - agenda, messages, etc. - le démontrent. Je n'ai pas reçu M. Sifaoui dans mon bureau en mars pour lui annoncer une subvention. Je le démens et les faits démontrent que ce n'est pas possible.

Monsieur le sénateur Breuiller, je vais me répéter rapidement : je n'avais pas de raisons de soutenir M. Sifaoui et son projet. Je n'avais pas non plus de raisons de m'y opposer à ce moment-là, eu égard à ce qu'on en connaissait. Je me permets de le répéter parce que je vous ai entendu, en tant que membre ès qualités de la commission d'enquête, dire sur Public Sénat que j'étais amie avec M. Sifaoui et que c'était la République des copains. Je ne suis pas la copine de M. Sifaoui !

Monsieur le sénateur Bilhac, vous avez absolument raison sur le rôle fondamental joué par les clubs sportifs. C'est pour cela que certaines activités sportives sont d'ailleurs financées par le FIPDR au titre notamment de la prévention de la radicalisation de la délinquance. Je tiens à souligner que le Fonds Marianne a vocation à soutenir du discours en ligne sur les réseaux sociaux. On y reviendra parce que c'est important pour un des autres sujets que nous allons aborder je pense tout à l'heure : le but du Fonds Marianne n'est pas de financer des activités sportives. Ces activités sont déjà financées par ailleurs sur d'autres lignes budgétaires. Ce n'est pas son objet.

J'ai souri quand vous avez dit qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, parce que c'est ce que je répète depuis des semaines. Je crois aussi que cette politique publique de lutte contre le cyber-islamisme est fondamentale. Il ne faut pas la cesser.

Pour conclure, monsieur le sénateur Longuet, la question de la doctrine est fondamentale, je vous rejoins complètement. D'ailleurs, nous avons initié un travail de doctrine confié au secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Il y a deux sujets que je souhaite distinguer ici, qui sont la laïcité et le Fonds Marianne. Le Fonds Marianne n'est pas là pour alimenter des débats de ligne autour des questions de laïcité. Il est mis en place pour porter un discours républicain et définir ce qui nous rassemble, face notamment à des discours de radicalisation. Il y a donc une doctrine sur le cyber-islamisme qui est réalisée par les services du ministère de l'intérieur en charge de cela et une doctrine Fonds Marianne, qui donne lieu à l'appel à projets réalisé par le SGCIPDR, et j'imagine que les travaux sont dans les archives qui sont à disposition.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La transition est toute trouvée. Vous venez de parler d'appel à projets : je vais y revenir.

16 avril 2021, un mail de votre directeur de cabinet au secrétaire général du CIPDR indique que la durée de l'appel à projets doit être raccourcie et avancée. Finalement, l'appel à projets devra se tenir en trois semaines. Le préfet Gravel nous a dit qu'il était plus habituel de prévoir trois mois. Il doit avoir lieu en trois semaines, entre le 20 avril et le 10 mai, alors qu'il était initialement prévu qu'il se déroule entre le 1er mai et le 30 juin, ce qui était déjà plus court que le délai habituel.

L'appel à projets a donc été lancé quatre jours après le mail du 16 avril. Avez-vous été de près ou de loin partie prenante dans cette décision ? Quelles raisons expliquent cette accélération du calendrier ? Est-ce que vous pensez aujourd'hui, avec le recul dont vous disposez que, finalement, c'était un délai suffisant permettant de bien conduire cet appel à projets, choix original dont vous avez explicité l'orientation ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Sur la question du calendrier dans le cadre de l'appel à projets, je ne me suis pas personnellement mêlée de la mise en oeuvre et de l'ingénierie des dispositifs. Ce que je sais en revanche, c'est qu'il n'y a aucune alerte qui me remonte de la part de l'administration quant à ces délais. J'ai regardé et je n'ai pas une note ou une alerte écrite ou matérielle de l'administration disant que ce délai n'est pas tenable. Ils ne préconisent pas un autre délai en indiquant qu'ils ne sauraient pas faire dans ce délai.

Le délai de trois semaines pour recueillir les candidatures peut paraître contraint. Il est serré, mais il nous apparaissait adapté au regard de la mobilisation qui était organisée depuis des mois, puisque je rappelle - et c'est documenté - que cela fait plusieurs mois à ce moment-là que j'ai impulsé cette demande de création du Fonds Marianne. Il y a des réflexions qui étaient en cours. On en a parlé depuis plusieurs mois, et le SGCIPDR pouvait aussi s'appuyer sur l'ensemble des travaux et des entretiens menés avec les experts depuis l'automne.

J'ajoute que, dans un contexte de diminution des effectifs dans l'administration centrale au ministère de l'intérieur, on a réussi à mobiliser dix-sept recrutements supplémentaires pour le SGCIPDR au 20 avril. Cela donne à penser qu'il y a des moyens humains suffisants dans l'administration à ce moment-là pour tenir les délais.

J'ajoute, pour conclure, que les délais courts n'ont pas semblé poser de difficultés particulières, dans la mesure où il y a eu 71 dossiers qui ont été présentés dans ce délai pour candidater à cet appel à projets. Cela ne les a pas empêchés de candidater.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous voulez mon avis - mais ce n'est qu'un avis -, 71 dossiers pour un appel à projets national, c'est-à-dire moins d'un par département, sachant que vous avez déjà des opérateurs, est une réussite en demi-teinte.

En fait, ce qui continue de m'étonner, c'est que vous n'êtes jamais à l'origine de la décision. Vous l'apprenez. C'est votre administration. Le cabinet ne vous alerte pas, vous dites : « Je n'ai pas de notes ». À vous écouter, ces délais très resserrés ne nuisent pas à la qualité de la sélection, non plus qu'aux procédures à respecter pour avoir à la fois une transparence et des grilles d'analyses, pour ensuite pouvoir, en toute connaissance de cause, avec un jury le plus averti possible, procéder à une sélection.

Néanmoins - le président Raynal l'a rappelé - il y a quand même dans les acteurs qui travaillaient jusqu'à maintenant en bonne intelligence avec le Gouvernement et dans le cadre du FIPD certains qui vont forcément être intéressés et candidater. C'est leur liberté. Il y aura plus ou moins de fléchage. Cette accélération aurait même permis d'avoir une meilleure qualité de réponse et d'être plus performant, avec une méthodologie bien cadrée. C'est ce que vous pensez aujourd'hui ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est que mon humble avis...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous étiez ministre, quand même ! Vous l'êtes toujours, mais plus dans la même responsabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais cela ne m'empêche pas d'avoir un humble avis, que je partage avec vous aujourd'hui. C'est mon troisième ministère, la septième année que j'exerce des responsabilités ministérielles. J'ai été adjointe au maire précédemment. J'ai aussi participé à de nombreux appels à projets et j'en ai impulsé : 71 réponses pour un sujet de niche - pardonnez-moi l'expression -, c'est important.

Il ne s'agit pas là d'un appel à projets auquel le tout-venant peut répondre. Il s'agit d'un appel à projets qui s'adresse à des experts de la lutte contre la radicalisation, spécifiquement sur les réseaux sociaux ou en ligne. 71 structures qui sont touchées et qui répondent, je trouve que c'est un nombre important. Je ne vous dis pas que tout a été bien fait, parce qu'il est documenté aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Bien sûr, les choses auraient pu être faites différemment, mieux faites et, je le disais tout à l'heure, vos retours d'expérience nous dirons dans quel sens, à l'avenir, nous pourrons mieux ficeler cette procédure.

Je veux dire également que la façon dont vous présentez les choses, monsieur le rapporteur, laisse à penser que je subirais les faits. Je rappelle là encore le rôle de chacun. Le ministre suit bien sûr les commandes politiques et les dossiers qu'il a impulsés auprès de l'administration, mais il n'est pas, là encore, dans la mise en oeuvre au jour le jour ou dans l'ingénierie. Ce que veut savoir le ministre, c'est si les sujets avancent, débouchent, sont pris en main, traités, et pas nécessairement quelle est la date de rendu de la première étape des porteurs de projets. C'est en tout cas ma manière de faire. Elle n'est peut-être pas bonne, mais c'est la manière dont je suis les choses à ce moment-là.

M. Claude Raynal, président. - Madame, vous dîtes qu'ayant eu 71 réponses, cela montre que le temps a été suffisant. Quand on regarde plus en détail - et votre directeur de cabinet a d'ailleurs déjà donné un petit éclairage - on voit que 54 dossiers sur 71 ne sont pas retenus. Pour l'essentiel, ce sont des projets qui sont tout simplement hors sujet. Il s'agit de mise en ligne, de contre-discours sur les réseaux sociaux, et on vous répond assez traditionnellement sur des actions du FIPD.

Au moins une cinquantaine de dossiers passent donc à la trappe. D'autres auraient peut-être pu être retenus, et sur les dix-sept, il n'y en a que cinq, en dehors des deux gros dont on parle pour l'essentiel, qui sont nouveaux. Le reste, ce sont des associations qui ont l'habitude de travailler avec le CIPDR, qui ont le temps de répondre et qui ont aussi un contact permanent avec lui. Ils ajustent donc leurs propositions dans le domaine demandé.

Sans doute que ce domaine n'est pas facile, mais la raison, c'est aussi que le délai est tellement court que n'y répondent que ceux qui sont déjà connus du CIPDR et quelques toutes petites associations, qui proposent de tous petits projets. Finalement, deux gros projets arrivent sur le bureau, mais pas de manière identique aux autres. On n'y revient pas, mais on le réaffirme, l'un arrive par votre cabinet et l'autre plutôt par le CIPDR lui-même, qui a eu ce contact avec une association et souhaite la pousser ou l'aider.

Vous ne pouvez pas dire qu'il y a eu 71 réponses et que c'est très bon. Non : il y a eu beaucoup de réponses hors-jeu.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Raison pour laquelle je parlais d'un bilan en demi-teinte. Je ne crois pas avoir indiqué que je penserais ou pourrais croire que vous subissiez les faits. Je pense au contraire que votre parcours, vous venez de le rappeler, et votre expérience ministérielle démontrent que vous avez une capacité à faire face à beaucoup de responsabilités, et je dirais même à toutes les situations. Vous êtes aujourd'hui dans un temps où vous répondez à un questionnement, sous serment - vous l'avez dit à de multiples reprises d'ailleurs. On a à coeur de vouloir faire la lumière, comprendre, et on va s'en tenir à cela si vous le voulez bien.

Est-ce que vous aviez déjà rencontré certains des lauréats avant même la création du Fonds Marianne ? Est-ce que vous aviez eu des échanges avec certains - pour M. Sifaoui, vous l'avez dit - et avec Reconstruire le commun ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - À ma connaissance, je n'ai pas reçu les responsables de l'association Reconstruire le commun. Pour être tout à fait honnête avec vous, je n'ai pas en tête la totalité des noms ou des visages des gens qui ont pris part à ce projet, puisque j'ai cru comprendre qu'il y avait des porteurs de projets et des prestataires ou des bénévoles au sein du projet qui étaient intervenus.

Tout ce que je peux dire, c'est que je n'ai pas de relations antérieures ou personnelles avec elles ou eux, mais je ne peux pas vous certifier ne les avoir jamais croisés dans quelque endroit que ce soit ni même reçus sous d'autres casquettes. En tout cas, je n'ai pas le souvenir de les avoir reçus, mais cela ne veut pas dire que ce soit impossible.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le président Raynal vient de l'évoquer, Reconstruire le commun fait partie des associations qui ont reçu de fortes dotations. C'est une association qui était de création récente, puisqu'elle a été créée en toute fin d'année 2020 et que le premier versement de 39 000 euros, que j'appellerai d'appui à la création, a été versé au tout début de l'année 2021. On a parlé de l'USEPPM pour le manque d'expérience. Finalement, des sommes importantes dans les deux cas : l'USEPPM avec un petit budget, convenons-en, de 50 000 euros, Reconstruire le commun, une association toute nouvelle, portée sur les fonts baptismaux avec le soutien de l'État, à hauteur de 39 000 euros, à qui vous avez attribué des montants importants de subventions. Cela n'a pas provoqué d'alerte particulière au sein de votre équipe ? On ne va pas revenir sur votre message indiquant que le soutien de 300 000 euros était énormissime mais ils obtiendront tout de même davantage. Comment expliquez-vous la subvention à l'association Reconstruire le commun ?

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous en même temps répondre à la question posée préalablement par M. Éblé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Oui, bien sûr. Je vais peut-être commencer par vous répondre, monsieur le sénateur Éblé. Le projet du Fonds Marianne, c'est aussi - et c'est pourquoi nous faisons cet appel à projets, au-delà de la volonté d'être transparents à ce moment-là -de faire émerger de nouveaux acteurs et tâcher de ne pas travailler qu'avec celles et ceux qui sont connus du CIPDR. Le but, c'est de toucher la jeunesse sur les réseaux sociaux et donc de pouvoir aussi soutenir des acteurs émergents, puisqu'il y a un caractère un peu innovant ou expérimental à ce « contre-discours » républicain - j'y mets des guillemets.

Je n'ai pas souvenir d'avoir été informée ou alertée sur les 39 000 euros que demande Reconstruire le commun. Il y a un montant de subventions qui, je le comprends, est lié au besoin de recrutement ou de formation aux médias, en tout cas c'est ce que je recoupe aujourd'hui dans les documents, mais je ne prends pas part et je n'ai pas d'alerte sur le montant de la subvention pour Reconstruire le commun.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je voudrais simplement dire, puisque vous avez évoqué les moyens dont vous disposiez et les renforts en personnel, pour que nos collègues et celles et ceux qui suivent cette audition soient parfaitement informés, qu'à ma connaissance, l'instruction des dossiers était sous la responsabilité d'une seule personne. Cette situation interroge sur la solidité de la méthode et sa transparence. C'est peut-être d'ailleurs ce qui a amené l'IGA à considérer que l'appel à projets n'avait été ni transparent ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je veux simplement porter à votre connaissance le fait que j'ai appris que les dossiers du Fonds Marianne étaient gérés par une personne qui, je crois, exerce comme chargée de mission au CIPDR, à la lecture du rapport de l'IGA et des auditions qui ont été menées dans cette commission d'enquête. Nous avions obtenu les arbitrages politiques nécessaires avec mon cabinet pour considérablement renforcer le CIPDR en moyens humains, et notamment cette action de contre-discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je rappelle aussi qu'après les événements très graves qui sont à l'origine de la création du Fonds Marianne, le Gouvernement avait mis en place une communication puissante, notamment par vous-même, pour expliquer qu'il allait agir et monter au combat. Je ne peux pas vous laisser dire de manière placide que vous le découvrez après. Je pense qu'un ou une ministre, lorsqu'il ou elle est en action, décide d'un plan d'action et de combats pour lutter contre les séparatismes, notamment sur les réseaux sociaux, et s'assure de la mise en oeuvre.

Quand vous faites une annonce sur une telle politique, avec une telle ambition, il ne s'agit pas que cela se dégonfle ensuite comme un ballon de baudruche. Je pense que cela n'a jamais été, j'imagine, dans la tête de personne. Il y a une distorsion assez importante entre les moyens consacrés à l'examen des candidatures, sur un temps très court, resserré, avec une mise en action hyperrapide. C'est le constat factuel que je dresse à cet instant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, c'est votre appréciation. Elle est parfaitement légitime.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elle est même exacte !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne la trouve pas exacte, monsieur le rapporteur, avec tout le respect que j'ai pour vous personnellement, et pour la commission plus généralement. C'est mon avis, et c'est pourquoi je me permets de vous répondre. Le Fonds Marianne, c'est une petite partie des politiques publiques qui sont menées par le Gouvernement en général, et par votre serviteure en particulier, sur la question de la lutte contre le terreau du terrorisme.

J'ai évoqué très rapidement quelques exemples dans mon propos liminaire et je ne vais pas, par respect pour le temps qui nous est imparti, dérouler la totalité de la politique publique, mais vous savez que, par exemple, l'action de renfort de Pharos est absolument fondamentale. Pharos n'est pas ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à ce moment-là. Nous obtenons des arbitrages nécessaires au plus haut niveau pour faire ouvrir Pharos 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour qu'il ait des pouvoirs importants. Nous mobilisons les plateformes, les réseaux sociaux. Nous réactivons une initiative qui avait été lancée par M. le ministre Bernard Cazeneuve, à l'époque, pour avoir une instance de dialogue avec les plateformes et les réseaux sociaux pour notamment pouvoir communiquer des informations aux enquêtes, quand il y a des contenus d'incitation au terrorisme.

Il y a également eu un projet de loi, je ne l'apprends pas aux parlementaires, puisque vous avez pris part à ces débats, notamment sur la clause portée par M. le ministre de la justice et M. le ministre de l'intérieur sur le fait qu'il est désormais pénalement répréhensible de communiquer en ligne des informations personnelles concernant une personne eu égard à une menace islamiste sous-jacente.

J'arrête là ma liste, mais en fait, la communication, que je porte avec force et que je tâcherai de continuer à porter avec force, ne porte pas que sur le Fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous êtes devant une commission d'enquête portant sur le Fonds Marianne. Je vais vous faire une dernière réponse : la personne-ressource que j'évoquais était également membre du comité de sélection. Je rappelle que, dans ce comité de sélection, il y avait également trois membres de votre cabinet. J'ai une vraie difficulté : avec trois membres de votre cabinet au sein du comité de sélection, vous ne pouviez pas ignorer la difficulté pour une seule personne à instruire l'ensemble des dossiers. Vous le saviez en temps réel.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne le savais pas. D'ailleurs, le rapport de l'IGA le documente. La chargée de mission- d'après ce que dit le rapport, car je n'en avais pas connaissance -, semble avoir demandé un renfort, renfort qui avait été refusé par sa hiérarchie au niveau administratif. C'est dans cette situation que l'IGA évoque un manque de discernement de la part de la personne qui a refusé les moyens, mais à aucun moment le manque de moyens ne remonte jusqu'à moi ni - je ne crois pas - jusqu'à mon cabinet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est assez extraordinaire ce que vous dites ! Vous êtes en train de nous dire qu'avec trois membres de votre cabinet, vous n'êtes au courant de rien sur une séquence de trois semaines d'un Fonds Marianne dont vous déclarez l'urgence à agir ! Je tire simplement un enseignement de la réalité de faits et d'actes qui sont rapportés par des voies diverses au cours des auditions. C'est tout, je propose qu'on poursuive.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si vous me le permettez, je voudrais juste dire que le ministre échange avec le directeur d'administration et, encore aujourd'hui, dans des dossiers dont j'ai la responsabilité, je ne demande pas au directeur de l'administration quel est le nom des personnes qui sont en train d'instruire tel ou tel dossier au sein de l'administration. Ce n'est pas le rôle du ministre.

M. Claude Raynal, président. - Nous partageons votre réponse, mais ce n'est pas la question. La question est de dire que, dans le comité de sélection, il y avait trois membres de votre cabinet qui étaient informés, ne fût-ce que par la chargée de mission en question qui avait une difficulté à gérer le nombre de dossiers, etc.

Cela aurait pu remonter. C'est toujours cette fameuse relation cabinet-ministre qui est un peu un trou noir malgré tout - mais on entend votre réponse.

Il nous avait été dit que vous deviez initialement participer au comité de sélection du 21 mai du Fonds Marianne, peut-être pour l'ouvrir, peut-être pour y être présente tout au long de la réunion. En tout cas, cela ne se fait pas. Quelles en sont les raisons ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, je n'en ai pas souvenir. Cela me paraît orthogonal que le ministre soit lui-même dans le comité de sélection. Je n'ai pas le souvenir que cela m'ait été proposé je ne peux donc pas vous répondre. Je n'en ai pas de souvenir, et je n'ai pas d'éléments qui viennent corroborer cela.

M. Claude Raynal, président. - À l'époque, dans les documents qui nous ont été envoyés, notamment par le CIPDR, il était précisé que vous deviez ouvrir a minima le comité de sélection et, ensuite, était prévu un point presse, ce qui ne paraît pas illogique, dans la mesure où il s'agit de la traduction de la politique vous aviez initiée. Vous n'avez pas le souvenir d'un point de presse qui aurait été annulé à ce moment ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pas du tout.

M. Claude Raynal, président. - Dont acte. Vous l'avez dit, le Fonds Marianne est un élément parmi bien d'autres choses plus importantes oserais-je dire - Pharos, etc. - de ce plan général voulu ensuite par le Président de la République et le Gouvernement, qui n'appelle pas de commentaires particuliers tant nous sommes dans une période particulière.

Est-ce que, d'une façon ou d'une autre, cela a été l'objet de discussions avec votre ministre de tutelle, M. Gérald Darmanin ? Si oui, sur quoi ces discussions ont-elles porté ? Est-ce qu'il a été informé ensuite rapidement des difficultés qui sont apparues ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Traditionnellement, il y a des points de rencontre entre mon directeur de cabinet et le directeur de cabinet de mon ministre de tutelle. C'est à cette occasion qu'ils échangent sur des comptes rendus, des demandes ou des feedbacks d'activités, si j'ose dire, menées par mon cabinet.

M. Claude Raynal, président. - Très bien. Le point qui chagrine tout le monde en réalité, y compris l'IGA, c'est qu'il n'y a eu aucune grille de notation pour la sélection des projets. En réalité, on a pratiqué comme s'il s'agissait de financements à la main du politique et non pas d'un appel à projets.

Vous avez dans cette assistance, vous le savez, beaucoup d'anciens maires, d'anciens présidents de département, de collectivités. Lorsqu'une municipalité lance un appel à projets, elle est tenue par des règles. Les appels à projet débouchent notamment sur plusieurs points qui sont assez clairs, d'abord un comité qui doit être assez ouvert. Souvent on recommande d'ailleurs que le maire ne le préside pas. C'est une prudence. Ensuite, il y a forcément une grille de notation qui donne lieu à une communication et, généralement, à un retour vers les associations ou les entreprises lorsqu'elles ne sont pas sélectionnées.

Dans ce cas précis, le point qui est extraordinaire c'est qu'il n'y a à rien. On a redemandé plusieurs fois, nous pensions que ce n'était pas possible : on ne distribue pas de l'argent public sans faire un petit rapport, sans un écrit. Il n'y a pas même un rapport sur les décisions du comité de sélection : il y a juste une liste d'associations avec le montant retenu. En plus, nous le savons, ce montant a même pu être modifié après le comité de sélection - nous y reviendrons.

L'IGA a dit que ce processus n'est pas transparent. La transparence, cela se traduit a minima par un compte rendu qui précise les éléments qui justifient un traitement différencié entre les porteurs de projets. On met en place une grille de notation et on explique. Généralement, l'instruction administrative précède la phase de décision. Avant la question : « est-ce que vous pouvez ? », on demande : « est-ce que vous êtes en situation de mener à bien le projet ? ». Ce sont toutes les règles administratives, comme notamment la question de Vincent Éblé sur l'ancienneté de l'association. Toutes ces questions sont généralement dans une première partie. Si on franchit ce premier cap, ce n'est qu'ensuite que l'on est partie prenante de l'appel à projets.

Dans ce cas précis, ce n'est pas du tout le cas. Vous pouvez dire, en commentant le rapport de l'IGA- au-delà du fait que vous prenez la précaution de dire que vous ne le commentez pas, précaution purement oratoire, que « le rapport de l'IGA dit que je n'ai rien à me reprocher ».

Pourtant, vous avez un comité de sélection dans lequel il y a la moitié des membres qui sont de votre cabinet, qui participent à une sélection qui ne donne lieu à aucun document de restitution, à aucun élément d'appréciation du choix des associations, et même pas non plus à une analyse préalable permettant de dire : « est-ce que telle ou telle association est en mesure de répondre ? ».

On a bien compris que le premier projet, l'USEPPM, était un projet entre guillemets « Sifaoui », abrité par l'USEPPM. En réalité, il fallait que ce soit une association qui réponde et pas une personne physique, et donc l'USEPPM apparaît tout d'un coup dans le paysage. Mais on ne met pas en cause l'USEPPM, on ne regarde pas ses statuts, on ne regarde pas ses fonds et ses capacités à faire. On ne regarde rien et on fait quand même.

Même sujet pour Reconstruire le commun où, en réalité, on est sur une association qui vient de démarrer, qui n'a aucun passé et qui, pour ces raisons, n'aurait jamais pu trouver ailleurs plus de 300 000 euros de subventions. Cela n'existe nulle part, et c'est bien le sujet.

Est-ce que vous considérez, en voyant le résultat de tout cela, que cette absence d'outil objectif d'appréciation est normale ? Est-ce que vous trouvez normal qu'il n'y ait aucun compte rendu de réalisé ni même un relevé de décisions argumenté ? Rien du tout ! Est-ce que cela vous paraît de bonne pratique et est-ce habituel dans les administrations que vous connaissez ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - J'identifie quatre questions au moins, voire cinq, et je vais essayer d'être concise.

Tout d'abord, bien sûr, je souscris à ce que vous dîtes sur la constitution des attributions de subventions dans les collectivités. J'ai eu l'honneur d'être maire adjointe auprès de Jean-Claude Boulard, sénateur-maire du Mans, pendant quelques années. J'avais moi-même à attribuer des subventions et j'ai moi-même créé un comité d'attribution des subventions très large justement pour balayer les subventions. Il n'avait pas de pouvoir de décision, mais un pouvoir de consultation et les dossiers étaient ensuite transmis à l'administration sous ma présidence.

Je veux dire cependant qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de règles écrites sur la composition des comités de sélection d'appels à projets. À ce moment-là, de mon point de vue, nous sommes en toute bonne foi dans le respect des règles de financement et des règles écrites, applicables dans ce cas.

Les membres de mon cabinet qui sont membres du comité de sélection sont, pour deux d'entre eux, d'anciens membres du CIPDR. Ils y ont travaillé, ils sont experts reconnus de ces questions, et c'est pourquoi il ne me semble pas incohérent à ce moment-là, de bonne foi, que ces conseillers capés sur le sujet, qui connaissent l'écosystème, participent et travaillent avec ce comité. L'AAP a pour nous un cadre d'éligibilité. C'est le cadre et les conditions de l'AAP qui est publié, qui est à la disposition de chacun. Il ne prévoit effectivement pas, vous avez tout à fait raison, de notification de refus. En revanche, chaque projet a fait l'objet d'une fiche d'évaluation que vous avez eue, qui synthétise, me semble-t-il, le dossier.

Bien évidemment, en retour d'expérience a posteriori et eu égard à tous les éléments dont nous disposons aujourd'hui, il y a des règles, même si ce ne sont pas des règles de droit, qui sont des usages ou des bonnes pratiques qu'il pourrait être utile de clarifier. C'est pourquoi je vous disais dans mon propos liminaire que je suis très demandeuse des retours d'expérience et des préconisations que fera votre commission d'enquête, étant aujourd'hui chargé de la vie associative, concernant l'encadrement des liens entre l'administration, l'État et les associations. Si nous pouvons clarifier les règles d'organisation des comités de sélection afin d'aller vers plus de transparence et ne pas être dans des règles d'usage mais des dispositions réglementaires, je pense que ce serait tout à fait précieux. C'est en tout cas mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez parlé de fiche d'évaluation. Tout ce qu'on a eu, ce sont des fiches de description de projets. On peut imaginer, mais nous n'en avons pas connaissance, qu'il a eu de la part du CIPDR, un exposé sur chaque cas. Cela a dû être fait, sinon c'est qu'on a tiré au sort ! Il y a forcément eu quelque chose de cette nature, mais j'insiste sur ce point : des fonds d'État, c'est autre chose que des fonds associatifs municipaux. Les fonds associatifs municipaux, cela peut se régler assez vite : si cela crée des histoires et des scandales, le maire a quelques difficultés à être réélu.

Il y a donc des précautions qui sont souvent prises dans les collectivités sur tous ces aspects pour être bien au clair, parce qu'il n'y a rien de pire - les maires le savent - qu'une association sportive qui dit : « Celle-là a eu 50 000 euros. Pourquoi je n'ai eu que 10 000 euros ? ». On ne s'embarrasse pas avec cela : plus on est transparent sur ces sujets, mieux c'est, surtout quand il s'agit de fonds publics !

Autres questions : certaines associations ont eu une subvention inférieure à leur demande. Par exemple, des associations qui ont demandé 130 000 euros n'ont obtenu que 70 000 euros, alors que l'année précédente, elles avaient obtenu 140 000 euros. Comme il n'y a aucun compte rendu de quoi que ce soit, on met tout en doute ou en question, vous le comprenez. Comment expliquez-vous ce point ?

Dans le cas précis, il s'agit d'une association, et les seuls commentaires que nous avons pu avoir pour justifier ces baisses de subventions, c'est que ces associations qui ont eu moins étaient souvent considérées comme un peu « gentillettes », ayant une vision de la laïcité douce, travaillant plus sur l'esprit de fraternité que sur un discours plus offensif, tel que vous l'avez poussé en tant que politique gouvernementale. Ce qui chagrine souvent, pour ces associations, c'est le fait qu'elles étaient considérées comme n'étant pas tout à fait dans la vision gouvernementale. Il y a même une fiche qui le dit de manière explicite.

Rien n'a été répondu à ces associations. Après tout, une position politique de cette nature peut tout à fait s'exprimer. Une ligne politique a été clairement affichée par le Gouvernement. Ne plus être dans la ligne que vous souhaitez pousser au travers de l'appel à projets peut s'entendre, mais comme ce n'est pas dit, on ne sait pas si c'est le fait du prince ou autre chose. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas d'éléments à partager sur ce sujet. Je n'ai pas fait partie de ces discussions. Je ne trouve pas que ce soit négatif de soutenir une association qui défend les principes de fraternité. Cela fait partie des valeurs de la République, de la trilogie républicaine. Je n'ai en tout cas formulé aucune demande en ce sens, et je n'ai pas connaissance d'échanges qui peuvent exister visant à baisser une demande pour ces raisons.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous l'apprenons donc ! Cela a pu être le cas.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduite à exclure un certain nombre d'associations lors de la sélection des projets ? On l'a dit, certaines étaient totalement hors-jeu, et ne répondaient pas au sujet. Pour d'autres, c'est un peu plus délicat. Vous m'avez répondu - et je peux m'en tenir à cela - mais est-ce que, finalement, le fait de ne pas être dans la ligne gouvernementale telle qu'elle est définie publiquement fait que certaines associations, même si elles travaillent sur la laïcité, ne correspondent pas à l'esprit du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais vous donner mon point de vue à cet égard, mais il ne signifie rien au regard des discussions d'arbitrage puisque, une fois encore, je n'ai pas participé au comité de sélection.

Je veux distinguer l'action politique du Gouvernement et la ligne de politique publique mise en oeuvre. Il est tout à fait permis à des associations d'être en désaccord avec la politique gouvernementale. D'ailleurs, dans les ministères dont j'ai eu la charge, j'en ai financé et j'en finance encore. Ce n'est en aucun cas un motif de diminution des demandes de subventions par rapport à ces associations.

En termes de politique publique, et donc non politicienne, il y a effectivement une volonté de travailler à la lutte contre la radicalisation et à défendre les valeurs de la République. Encore une fois, je n'ai pas participé aux discussions, mais je dis cela pour vous éclairer. Je vous donne un exemple : une association qui dirait que l'État français est un État raciste structurellement, je considère qu'il serait difficile de lui confier l'action de porter un discours républicain en ligne, qui vise à défendre les institutions et la République. C'est un avis politique personnel que je vous donne aujourd'hui pour éclairer les discussions, mais cela ne veut pas dire que ce soit cela qui ait été discuté.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous dites n'est pas scandaleux, mais tout ceci aurait mérité une précision, un éclairage, et d'être écrit dans un rapport. Ce n'est pas le cas, tout peut donc être interrogé.

Je voudrais revenir sur un sujet que vous connaissez, dont vous avez été informée, et qu'a notamment cité votre directeur de cabinet, à savoir la suppression d'une subvention à l'association SOS Racime, qui n'avait alors pas été citée en audition mais qui a été citée depuis par la presse. Il y a là plusieurs aspects qui sont étonnants et quelquefois un peu choquants.

Le premier, c'est que, le 21 mai a lieu le comité de sélection. Le 27 mai, il y a un mail d'un membre de votre cabinet au préfet Gravel qui dit : « j'ai soumis à la ministre votre note. On fait le point demain ». La note en question est celle du comité de sélection intervenu quelques jours avant. Juste après, vous prenez la décision, selon votre directeur de cabinet, de supprimer une ligne budgétaire du comité de sélection, concernant SOS Racisme - à hauteur de 100 000 euros. On a parlé des problématiques intervenues avant le comité de sélection, de celles posées par le comité de sélection, j'ajoute qu'il y a encore des difficultés après ce comité. Comme il n'y a toujours pas de compte rendu, on se demande si le comité de sélection sélectionne. On ne sait plus vraiment, puisqu'à la sortie, vous validez.

En fait, quand vous validez le résultat du comité de sélection, vous influencez le résultat, et votre directeur de cabinet indique que c'est suite à des questions personnelles passées entre vous et l'association en question - ce n'est peut-être pas exactement son expression, mais c'est l'esprit. Est-ce que vous pouvez nous dire comment les choses se passent dans cette affaire-là ? Est-ce que votre directeur de cabinet a raison de présenter les choses ainsi ? Est-ce que vous dites que ce n'est pas le cas ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le président, je vous remercie de me poser la question et de me permettre d'apporter des éléments de d'éclairage. Je veux être très claire : je n'ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. Je ne dis pas que c'est ce que vous avez dit, mais j'ai vu des réponses qui ont été apportées en ce sens, indiquant que mes décisions auraient mis en péril l'équilibre financier d'une association. Je rappelle qu'on est sur un appel à projets, qu'on ne parle pas de financement ni de fonctionnement pour les associations. Je n'enlève donc pas à SOS Racisme l'argent dont il bénéficierait chaque année.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'en attribuez pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous refusez d'en attribuer.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais y revenir.

M. Claude Raynal, président. - En droit, vous avez raison. C'est un peu subtil comme réponse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que le droit l'emporte, d'une part et, d'autre part, au-delà du droit...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Mais la réalité est aussi là : vous n'attribuez pas les 100 000 euros à une association qui avait été sélectionnée sur son projet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ne pas attribuer n'est pas la même chose que de supprimer. Je vais vous répondre en essayant d'être la plus factuelle possible, dans la mesure où, à titre personnel, je n'avais aucun souvenir du fait qu'il y ait eu des discussions sur SOS Racisme dans le cadre du Fonds Marianne.

Maintenant qu'on a rappelé ce sujet à mon attention, j'ai souvenir qu'il y a eu des échanges sur cette association. Je me base sur les faits et sur les échanges écrits que j'ai pu trouver pour rétablir une chronologie. Ce que je comprends aujourd'hui, c'est qu'il y a une liste établie par le comité de sélection du Fonds Marianne, avec des dossiers qui font l'unanimité du comité de sélection et certains qui sont entre guillemets « en liste complémentaire », c'est-à-dire pour débat.

Je comprends de ce qu'on me dit aujourd'hui que SOS Racisme fait partie de cette liste complémentaire, qu'il n'y a pas consensus au sein du comité de sélection mais qu'il y a divergence, certains considérant qu'il ne faut pas attribuer cette subvention et d'autres considérant au contraire qu'il faut l'attribuer.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le compte rendu que nous avons du préfet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je comprends bien que ce n'est pas la même chose, mais c'est la version que j'ai aujourd'hui et que je partage avec vous.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous avez, madame, vous le savez ! Vous n'oubliez pas tout de votre vie, quand même !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'oublie pas tout de ma vie, mais en deux ans, j'ai eu à présider un certain nombre de réunions, à rendre un certain nombre d'arbitrages et, surtout, je ne peux pas me souvenir de réunions auxquelles je n'ai pas participé. L'IGA, vous-même ou peut-être même la justice établiront ce qu'il en est.

M. Claude Raynal, président. - Je ne suis pas sûr qu'on soit sur une question de justice dans ce cas précis.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais peu importe. J'essaie de partager avec vous les éléments que je recoupe. Le point m'est remonté par mon conseiller spécial, par un mail - c'est établi, je l'ai. Si vous ne l'avez pas, on peut vous la passer. Il me fait une note en disant : « voilà ce sur quoi nous sommes d'accord », et signale le dossier de SOS Racisme qui, manifestement, ne trouve pas de consensus. Il me demande de trancher, de rendre un arbitrage, de donner un avis favorable ou défavorable au projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'ils sont en liste complémentaire avant la réunion du comité de sélection. À la sortie du comité de sélection, ils sont sélectionnés.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne sais pas, mais je vous crois volontiers.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je le dis, parce que, d'après les éléments qui nous ont été transmis, vous faites partie du comité de sélection, je vous le rappelle. Vous vous êtes fait représenter pour des raisons qui vous sont propres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en fais pas partie. Comme vous le disiez, le droit est important, la réalité aussi, et je ne suis pas dans le comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je n'ai pas dit que vous y aviez siégé : je dis simplement qu'il était prévu que vous soyez membre du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - En tout cas, on me demande un arbitrage. On me demande un avis pour trancher un sujet qui, manifestement, d'après ce que j'en comprends en tout cas, ne fait pas consensus. Je donne cet avis, et il me semble que le ministre est fondé à donner un avis, favorable ou défavorable quand son administration ou son cabinet le lui demande.

Je ne rends pas mon avis tout de suite. Au regard de ce dont je dispose, je demande une note sur le projet, ce qui démontre bien que je ne rends pas un avis sur une personne. J'y reviendrai. Je demande une note sur le projet pour qu'on puisse voir de quoi il s'agit.

SOS Racisme, qui est par ailleurs une association tout à fait respectable, partenaire de l'État et de différents ministères aujourd'hui encore, propose une action en deux temps, l'une sur les réseaux sociaux, qui correspond à l'objet du Fonds Marianne, l'autre qui concerne, me semble-t-il, des activités sportives ou physiques dans certains quartiers. Or, cette proposition d'action qui vise 40 quartiers de reconquête républicaine (QRR) et non le champ national, contrairement à ce qui est demandé dans l'appel à projets, est une action qui est déjà menée et financée par des fonds du FIPD, par une autre organisation, qui s'appelle Raid' Aventure, qui fait exactement ce travail de cohésion, de prévention dans les QRR, par le biais d'activités sportives.

J'imagine donc que c'est cela qui m'amène, à ce moment-là, à considérer que l'activité ne concerne pas, pour une part importante, les réseaux sociaux et, de surcroît, est déjà couverte par une autre association. J'émets manifestement - même si je n'en ai pas le souvenir - un avis défavorable en disant que ce n'est pas, pour moi, un projet à retenir. C'est un avis que j'émets. Ensuite, le comité de sélection fait une liste, d'après les éléments dont je dispose, dans laquelle ne figure pas SOS Racisme.

Je veux répondre à un élément qui est fondamental sur ce sujet sur ce qu'a dit M. le préfet Jallet, qui est un homme en qui j'ai toute confiance, qui a été mon directeur de cabinet, à qui je referai confiance à l'avenir si j'étais amenée à devoir le faire, et qui est un grand préfet.

Mon ancien directeur de cabinet fait état de relations personnelles, et de désaccords personnels que j'aurai avec M. le président de SOS Racisme. On me prête beaucoup de relations personnelles, mais je n'ai pas de relations personnelles ni de désaccord personnel ancien ou récent avec M. le président de SOS Racisme, même si nous avons des désaccords !

M. Claude Raynal, président. - Reconnaissez qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Vous nous racontez votre vision des choses. On vous entend, mais celle que l'on a n'est pas la même.

Vous dites : « Le préfet Jallet, j'ai parfaitement confiance en lui, mais il a dit des choses qui sont fausses ». Globalement, c'est ce que vous dites.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dis pas que ce sont des choses fausses, je dis que c'est de l'interprétation.

M. Claude Raynal, président. - Non, ce n'est pas une interprétation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elles sont donc inexactes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que c'est une interprétation de sa part, ou une incompréhension peut-être de ma part. Ce sont peut-être des choses que j'ai exprimées auprès de mon directeur de cabinet qui l'amènent à penser que j'ai une antériorité personnelle avec le président de SOS Racisme. Ce n'est pas le cas.

M. Claude Raynal, président. - La question est quand même beaucoup plus simple. Il y a un comité de sélection. À l'entrée du comité de sélection, il y a des dossiers qui ne posent pas de problème, et il y a une liste complémentaire. À la sortie du comité de sélection, il n'y a plus de liste complémentaire, c'est terminé. Il y a un choix qui a été fait par le comité de sélection. À ce moment-là - et on peut l'imaginer -, le préfet Jallet aurait dit : « attention, je fais une réserve sur un des dossiers du comité de sélection retenus parce que je souhaite le soumettre à la ministre ».

Effectivement, la remarque qui est faite est une remarque de nature personnelle et pas une remarque de nature professionnelle. Vous dites que le préfet Jallet a une mauvaise compréhension du sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est peut-être de ma faute : j'ai pu être maladroite dans mon expression, c'est tout à fait possible.

M. Claude Raynal, président. - Enfin, tout de même...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vous ai rappelé les montants. Le 26 mai, une note de la chargée de mission est envoyée au cabinet - vous n'êtes pas très éloignée -, qui indique que le projet pour SOS Racisme est d'accorder 100 000 euros. Je rappelle que la demande initiale était de 140 000 euros. Le 1er juin, un membre de votre cabinet adresse un mail indiquant que, lors d'une réunion tenue le même jour, il a été décidé de retirer à SOS Racisme ces 100 000 euros et de verser - 100 000 euros moins 80 000 euros, on ne sait pas pourquoi - 20 000 euros au profit d'une autre association. Les faits, la matérialité des faits, c'est cela et uniquement cela.

M. Claude Raynal, président. - Vous voyez bien que cela met en difficulté votre position lorsque vous dites : « j'ai laissé travailler le comité de sélection ». C'est vrai dans une certaine mesure, à part qu'il y a eu des choses qui ont été faites en amont, on l'a dit, des choses qui sont faites pendant le comité de sélection sur certaines associations qui sont jugées trop faibles, en tout cas ne répondant pas à l'exigence gouvernementale. Je vous ai dit que ce point-là pouvait être entendu.

Ensuite, après le comité de sélection, alors que la liste est établie, on vient retirer un montant de subvention à une association. Cela vient contredire d'une certaine façon l'idée que le comité de sélection sélectionne - ce qu'on pouvait entendre, parce que vous étiez déjà représentée par votre cabinet dans le comité de sélection - et que vous validez. Eh bien, non ! Vous n'avez pas validé l'avis du comité de sélection. Vous avez dit, sur une association : « cela ne me convient pas ».

Est-ce que le préfet Jallet s'est trompé dans son interprétation ou est-ce qu'il faut retenir votre interprétation ? D'une certaine façon, n'étant pas là, ce n'est pas nous qui pouvons le dire, mais on note quelque chose de différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très claire, je ne dis pas que je n'ai pas donné d'avis sur SOS Racisme. J'ai manifestement donné un avis négatif sur le projet de SOS Racisme, avis qu'on m'a demandé. Là où je dis qu'il y a une différence d'interprétation, c'est sur les motifs.

M. Claude Raynal, président. - Logiquement, comme le comité de sélection avait déjà eu lieu et que vous vous rangiez à l'avis du comité de sélection, vous n'aviez pas à donner un avis sur les associations déjà sélectionnées.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On me demande mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites : « ce n'est pas mon rôle » !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne m'immisce pas dans le comité de sélection. On vient requérir un arbitrage ministériel sur un sujet en particulier, et sur un seul. Je le répète, je ne prends pas part au comité de sélection, à aucun moment. Je n'y siège pas, et je ne donne pas de consignes.

La preuve en est, c'est que la question me remonte pour avis. Si j'avais donné des consignes, chacun aurait mes consignes en tête. Là, on me demande un arbitrage, favorable ou défavorable. Je donne un avis, et c'est à l'issue de cet avis que la décision est prise.

Cela se passe toujours ainsi : après la réunion du comité de sélection, il y a une liste et, dans cette liste, ne figure pas l'association SOS Racisme après étude du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous avez bien compris, nous avons donné la matérialité des faits, leur déroulement. Vous vous tenez à l'écart, mais vous gardez un regard et même une capacité de décider. Les choses sont finalement plus claires comme cela. C'est une manière de reconnaître que vous avez un pouvoir de décision, et tout en vous tenant à l'écart, vous êtes présente pour décider.

Vous avouez avoir un rôle et une capacité à décider et à trancher, mais c'est mieux de le dire que de tournicoter autour d'une décision en expliquant que vous y êtes, mais pas tout à fait. C'est logique, cela relève de votre responsabilité. Le comité de sélection comprend la moitié des membres de votre cabinet. On pourrait vous reprocher l'inverse si vous n'interveniez pas sur ce sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, et ce sont deux choses différentes. Ce n'est pas que je tourne autour, c'est que je tiens à être précise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on l'est aussi !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai jamais dit que vous ne l'étiez pas. Je ne le dis pas par opposition à vous. Je ne me le permettrai pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Moi, je le dis !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vos questions sont précises, en effet. Je tâche de l'être aussi, sur la base des faits dont j'ai souvenir, ou pour lesquels je dispose d'éléments matériels. Je ne suis pas dans le comité de sélection, mais quand on demande un avis au ministre, le ministre le donne.

Là encore, s'il eut fallu procéder autrement et que, dans les recommandations ou préconisations que vous ferez, vous considérez que le ministre ne doit pas rendre un avis ou un arbitrage lorsque cela lui est demandé sur des subventions, c'est tout à fait entendable.

Mais à ce stade, je ne vais pas au comité de sélection. On me remonte les choses et on me demande un avis. Je demande qu'on regarde le projet, et je donne un avis. Ensuite, le comité établit une liste finale, et je rappelle que seul le CIPDR est fondé à mettre les crédits en paiement ou à attribuer in fine les subventions, ce qu'il fait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le CIPDR est dans le périmètre de votre ministère. Vous avez la signature. C'est donc le ministre ou la ministre qui décide.

Je veux revenir sur les dossiers de demandes de subventions qui ont été déposés préalablement à l'appel à projets. Certains ont été validés lors du comité de programmation du 13 avril. Ensuite, certains d'entre eux ont été basculés dans le Fonds Marianne, dont je rappelle qu'il est mis en place officiellement le 20 avril. Au final, est-ce que ce n'est pas d'une certaine manière contraire à l'esprit qui préside à la création du Fonds Marianne, dont l'objectif est de faire émerger de nouveaux projets pour lutter contre toutes les formes de séparatismes, notamment par la voie digitale et numérique ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vous prie de m'excuser, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas le sens de votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez des dossiers qui sont validés dans le comité de programmation du 13 avril. Cela veut dire que c'était plutôt du gré à gré. C'est ce que vous avez expliqué. Le 20 avril, vous lancez le Fonds Marianne et, par une analyse très aboutie, certains des dossiers qui avaient été retenus dans le comité de programmation du 13 avril basculent ensuite dans le Fonds Marianne.

L'esprit du Fonds Marianne est de faire autrement, d'identifier des acteurs associatifs sur des actions nouvelles. C'est la raison pour laquelle je vous disais que le bilan est en demi-teinte. On a l'impression qu'il y a du rattrapage.

Cela manque de lisibilité et de force dans le projet, me semble-t-il, non ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question est de savoir si je trouve que cela manque de lisibilité dans le process, c'est cela ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si cela ne nuit pas à la lisibilité et au respect de l'esprit...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne suis pas présente aux réunions qui décident de passer telle association d'un financement habituel à un appel à projets ou qui leur proposent de le faire.

Néanmoins, aujourd'hui, je ne suis pas choquée par le fait qu'on ait des acteurs avec lesquels on travaille habituellement et qu'on flèche sur l'appel à projets, si c'est la question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. Je vous ai sentie parfois beaucoup plus motivée et convaincue.

Je pense qu'il y a un problème de ligne directrice. Vous avez un sujet avec le secteur associatif, qui n'est pas forcément facile à mettre en action. On a compris la complexité du label de l'État, qui a des difficultés à communiquer et à pénétrer ces milieux, qui ne sont pas conformes à l'esprit des valeurs de la République mais, entre tout cela, pour moi, on sent du cafouillage, du mélange des genres.

J'essaye de suivre votre parcours, mais je vous avoue que j'ai parfois du mal, entre vous, le cabinet, le CIPDR, les anciens fonctionnaires qui sont entrés dans votre cabinet, le processus se déroulant avec le Fonds Marianne, officiellement annoncé le 20 avril, terminé le 10 mai. Le comité de sélection sélectionne, la ministre qui dit de se tenir à l'écart mais qui rend des décisions pour revenir sur au moins une décision du comité de sélection.

Je voudrais juste savoir si c'est une procédure habituelle ou si c'était un cas unique par rapport à votre expérience.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je trouve que chacun est en réalité dans son rôle. Le ministre impulse la politique publique, la représente, la défend, en est le garant, en rend compte - ce que je fais aujourd'hui devant vous et que je fais à d'autres occasions.

L'administration met ensuite en oeuvre, suit, administre. Le fait qu'il y ait des membres de cabinets qui soient antérieurement membres de l'administration, c'est très classique. Il y a aujourd'hui dans l'administration beaucoup d'anciens membres de cabinets. Ce sont des trajectoires de carrière classiques.

M. Claude Raynal, président. - Quelle est votre implication dans le suivi de la réalisation des projets par les différentes associations ? Est-ce que vous avez rencontré certaines d'entre elles pour vous tenir informée ou pas du tout ? Est-ce que vous considérez que c'était à l'administration de suivre et non à vous ? Avez-vous revu M. Sifaoui dans la phase discutée aujourd'hui sur la réalisation ? Est-ce que vous avez eu des remontées des difficultés rencontrées avec certaines associations durant la période où vous étiez au ministère ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai aucune remontée de difficultés d'associations d'aucune sorte jusqu'à l'article du journal Marianne. Avant cela, pendant toute la durée où je suis ministre, c'est-à-dire jusqu'en mai 2022, à aucun moment on ne fait état de difficultés rencontrées avec les associations.

Le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations. Il y a un contrôle qui est manifestement effectué. C'est ce qu'établissent les différentes déclarations des uns et des autres, mais ce n'est pas le ministre qui procède à ce contrôle, et il ne m'est fait aucune remontée d'aucune difficulté de mise en oeuvre avec ces associations.

M. Claude Raynal, président. - Oui, en droit, ce que vous dites est possible, et si vous le dites sous serment, c'est vrai. Mais ce qui est étonnant, là où on a du mal, c'est que ce n'est pas une opération comme les autres. C'est bien pour cela d'ailleurs qu'il y a un débat national là-dessus, c'est bien pour cela qu'il y a des gens qui s'intéressent à ce sujet, qui s'interrogent.

Lorsque vous subventionnez par exemple des associations dans le cadre du Fonds de prévention de la délinquance, il n'y a pas derrière de connotation, il n'y a pas de sujet. Sur le Fonds Marianne, pour dire les choses autrement, vous aviez déjà des dépenses qui concernaient le sujet. Vous auriez pu dire : « j'augmente les budgets. J'ai demandé à mon administration de mettre plus d'argent sur ces moyens liés à la réponse sur les réseaux sociaux ». Vous auriez pu présenter les choses de cette façon et c'était un des éléments de votre plan. Cela n'aurait soulevé aucune question.

Mais vous allez sur les plateaux télé, vous faites des interviews sur le Fonds Marianne. Vous faites le lien entre ce qui s'est passé en octobre 2020 et le Fonds Marianne. Du coup, vous connotez votre action. Cela devient une action qui, socialement, a du sens, qui répond à des angoisses des Français. Quand même, ce qui s'est passé n'est pas rien ! Vous faites une réponse politique, argumentée, en mettant en place ce Fonds Marianne.

Ne vous étonnez pas après que tout le monde s'intéresse à ce qu'est devenu le Fonds Marianne, parce que ce n'est pas une subvention du FIPDR. C'est une subvention fléchée qui est présentée comme la création d'un fonds, et qui est liée à une histoire. Vous avez fait naître une idée, un concept, une réponse politique et, derrière, vous nous dites : « je ne la suis pas ». C'est ce que vous venez de nous répondre. C'est grave ! Vous nous dites : « c'est l'administration ». L'administration est chargée de regarder que, financièrement les choses se passent bien. Ce n'est pas votre problème, mais le contenu, les éléments, savoir si cela sert à quelque chose, c'est vous ! Vous l'avez dit vous-même : vous portez les politiques publiques.

Si on regarde ce que vous avez porté comme politique publique à ce moment-là, pas pour des questions de montant mais pour des questions de contenus, c'est le Fonds Marianne qui est votre action symbolique. Il n'y a rien de pire que le symbole. Quand on est sur des actions symboliques, il faut qu'elles marchent « du feu de Dieu ». Il faut que cela fonctionne de A à Z et que vous ayez un regard attentif.

Vous avez devant vous des gens qui ont été élus locaux. Ils savent que le sujet sur lequel ils sont pris, ce n'est pas le sujet qui fait la moitié de leur budget. C'est quelquefois une bricole. On va dire : « pourquoi vous avez financé tel truc, avec telle association ? Dites-nous à quoi cela sert ». C'est toujours sur les détails. Là, vous nous faites une réponse technique et, j'oserais dire, madame la ministre, qui manque un peu de coeur. Vous n'avez pas suivi cette affaire, et c'est presque pire que cela quand on va vers la suite.

Au moment de la transmission à votre successeur, personne n'est au courant du sujet ! Fabuleux ! Il n'est même pas dans le « dossier ministre », nous a-t-on dit. Du début à la fin, on a l'impression que c'est lancé et, une fois que c'est lancé, tout le reste ne vous concerne pas. J'aimerais que vous répondiez à cela. C'est extrêmement dérangeant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. -Je vais tâcher de vous répondre et de changer votre impression, même si c'est par nature subjectif. L'impression que vous avez du coeur que j'y mets, ou de la tonalité que j'utilise pour vous répondre est, par nature, la vôtre et parfaitement légitime.

Je veux commencer par dire que je ne me suis à aucun moment étonnée qu'on s'intéresse à l'utilisation des crédits du Fonds Marianne. Non seulement je ne m'en suis pas étonnée ou offusquée mais, plus que cela, dès le premier contact avec un journaliste d'investigation du journal Marianne sur ce sujet, - je ne suis plus membre du Gouvernement, quand je lui réponds -, et je lui dis qu'à ma connaissance, ce sont des demandes d'information légitimes, et que le ministère est fondé à lui apporter les réponses.

D'ailleurs, à ce moment-là, je le dis pour répondre à votre interpellation, la journaliste nous dit qu'elle veut la liste des bénéficiaires du Fonds Marianne, et je lui réponds qu'il faut que le ministère la lui donne parce que, à mon sens, ce n'est pas confidentiel. C'est le fait qu'il y ait un délai pour répondre qui amène à dire qu'il y a une opacité.

Je ne suis non seulement pas choquée qu'on s'intéresse à l'organisation du Fonds Marianne, mais j'en suis demandeuse. Je suis choquée quand je vois à quel point des missions qui ont été confiées, des attentes fortes qui ont été portées en toute confiance vis-à-vis de certains partenaires n'ont en réalité pas donné lieu à des actions concrètes derrière, tel que l'établit le rapport de l'IGA.

Bien sûr, cela me choque. Bien sûr, je me sens flouée quand je découvre cela dans la presse d'investigation, à un moment où je ne suis plus membre du Gouvernement !

Ne pas faire les contrôles, ne signifie pas - pardon si je me suis mal exprimée - que je ne me sois pas intéressée à cette politique publique. Pour répondre le plus factuellement, rationnellement et matériellement possible aux questions qui me sont posées depuis ce matin sur ce sujet, j'essaie de vous apporter des éléments matériels. Non, je n'ai pas suivi l'utilisation des crédits ni contrôlé les associations, puisque ce n'était pas le rôle du ministre. Cela ne veut pas dire que je m'en désintéresse.

Il est vrai et juste de dire que j'ai beaucoup communiqué sur le Fonds Marianne. Je ne pense pas faux de dire que je communique beaucoup sur toutes les politiques publiques que je porte. On peut trouver que c'est bien ou que c'est mal, mais c'est ainsi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment expliquez-vous, madame la ministre, l'absence de communication, ou quasiment, une fois faite l'annonce de la création du Fonds Marianne ?

M. Claude Raynal, président. - Jusqu'à votre départ...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La mise en oeuvre, les choix... Le projet avance et le Gouvernement, par ce choix de lien avec le monde associatif, affirme une volonté et la traduit concrètement.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je voudrais poursuivre les réponses à monsieur le président, si vous me le permettez, parce qu'il y a deux sujets sur lesquels je souhaite pouvoir apporter des réponses.

Vous me dites qu'on aurait par ailleurs pu renforcer les moyens en termes de réponse à l'attentat terrible qui s'est produit en octobre 2020. Je veux dire que les moyens ont été renforcés. J'évoquais les moyens humains de Pharos, les moyens humains de l'UCDR...

M. Claude Raynal, président. - Je ne crois pas avoir dit cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il me semble, sauf si j'ai mal compris, que vous avez dit qu'en réponse, je créais le Fonds Marianne alors que j'aurais pu augmenter les moyens.

M. Claude Raynal, président. - Vous auriez pu le faire de manière plus discrète, si je puis dire, et simplement dire, en termes d'interviews ou de communication : « il y a des fonds qui sont déjà dédiés à ces opérations, on va les pousser, les augmenter, et en rester là », sans créer même le nom de Marianne. À ce moment-là, c'était une opération plus discrète, et je pense que cela aurait sans doute été une meilleure solution.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Cela se défend parfaitement, j'entends bien.

M. Claude Raynal, président. - Je sais d'ailleurs qu'a été débattue au sein du Gouvernement et dans vos services la question de savoir s'il fallait simplement pousser le curseur ou créer une image.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Dès l'instant où on crée une image, comment la fait-on vivre ? Elle est lourde, cette image. C'est l'événement de référence qui est lourd. C'est pour cela que je reviens sur cette question qui peut paraître morale, d'une certaine façon.

Quand je lis aujourd'hui que la famille Paty refuse de lier son nom au Fonds Marianne du fait des discussions en cours, cela me fait mal. Cela veut dire qu'à un moment donné, il y a eu un abandon du lien relationnel - et c'est majeur dans la vie !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, la décision de lancer une action de contre-discours fait écho à l'attentat de 2020 mais n'en procède pas. Je serai très brève là-dessus : le terroriste Anzorov, qui a commis le terrible attentat contre le professeur Samuel Paty, se serait radicalisé en ligne, selon les enquêteurs, en consultant des réseaux sociaux. C'est pourquoi cela a fait écho à cette action, illustrant dramatiquement les alertes que les services portent et la nécessité d'accélérer et d'avancer sur ce sujet.

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais dans vos interviews, vous avez fait directement le lien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, parce que c'est mis en regard, et c'est hélas l'illustration de ce que Gilles Kepel appelle le « djihadisme d'atmosphère », qui vient, de façon terrible et dramatique, d'être illustré. Le discours des Mureaux du Président de la République précède cela. C'est donc un sujet qui est déjà identifié pour nous, et des travaux sont lancés sur ce sujet à ce moment-là.

En ce qui concerne le « dossier ministre », vous avez parfaitement raison : le Fonds Marianne, d'après les éléments que j'ai, n'y figure pas. Je tiens à dire que ce n'est pas le ministre qui fait le « dossier ministre » pour le nouveau ministre qui arrive. C'est important...

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais cela montre quelque chose de l'importance des choses, et l'importance des choses, vous l'avez dit, c'est vous qui l'impulsez, c'est votre responsabilité politique d'impulser des sujets.

Il y a des sujets qui vous tiennent à coeur. Ce n'est pas la première fois que vous intervenez sur la laïcité, cela fait des années. Il n'y a pas de doute sur votre crédibilité sur ce point, mais on crée le Fonds Marianne, et il n'y a pas de suivi. Vous nous dites que, pendant la période où vous êtes ministre, vous n'en parlez pas, vous ne vous en occupez pas.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si, madame la ministre.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas dit : « je ne m'occupe pas du Fonds Marianne ».

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez suivi de loin parce que vous laissez faire l'administration.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si je peux répondre...

M. Claude Raynal, président. - Vous avez répondu cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Mais il y a d'autres interpellations auxquelles je n'ai pas eu l'occasion de répondre. Je peux rester très longtemps si vous le voulez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je veux bien, mais on ne peut pas avoir trop de longueurs. L'audition touche à sa fin, soyez respectueuse du temps de réponse...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je conçois que ce ne soit pas la réponse que vous attendiez mais, dans l'interpellation qui m'est faite...

M. Claude Raynal, président. - On n'attend rien, madame le ministre. On vous écoute avec intérêt.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Comme je vous l'ai dit, je prends toute ma responsabilité, et rien que ma responsabilité. Quand ma successeure est nommée, je ne suis plus au Gouvernement. J'ai d'autres activités ailleurs. Je ne suis plus fondée à donner des consignes à l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On va faire la synthèse des questions parce que, quand je vous ai posé une question, vous êtes revenue sur la question précédente. On va éviter les longueurs. Il y a eu une annonce forte, puissante en matière de communication, et après plus rien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On ne peut pas dire qu'il n'y avait plus rien. Il y a matérialité dans les échanges de mails entre mon cabinet et moi-même et des notes dans lesquelles nous voulons relancer le Fonds Marianne. Il y a une note suite à ma demande et après discussion avec le cabinet et l'administration sur ce sujet. L'un de mes conseillers prépare un futur appel à projets sur le Fonds Marianne pour l'année qui suit. Nous entendons donc poursuivre cette politique publique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord mais vous conviendrez - et vous ne m'avez pas démenti - qu'il n'y a pas de communication particulière après le lancement. Il y a l'annonce du Fonds Marianne, il y a la sélection, le projet vit sa vie. Il n'y a plus de communication. Il ne bénéficie plus du même portage ni surtout du même écho médiatique, puisque l'annonce du Fonds Marianne aux médias, vous l'avez d'ailleurs expliqué, est une ambition politique, un combat que vous menez contre les discours séparatistes, en lien avec le numérique et le secteur associatif.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très rapide dans ma réponse, monsieur le rapporteur, en deux points...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez déjà été !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais essayer d'être encore plus rapide. Tout d'abord, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de communication qu'il n'y a pas de suivi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne me désintéresse pas du sujet. Il y a des points d'étape que je demande. Je ne suis pas les subventions, mais je suis le dossier du Fonds Marianne. Première chose.

Deuxième chose : je ne l'apprends à personne, quand un ministre fait des annonces qui sont susceptibles de générer des dépêches et des reprises, cela intéresse les différents médias, mais quand on veut communiquer sur des bilans, c'est jugé beaucoup moins intéressant, et c'est plus difficile de surcroît quand les porteurs de projets ne souhaitent pas apparaître pour des raisons de sécurité, parce que certains d'entre eux disent qu'ils sont menacés.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela ne nous a pas échappé, mais entre certains et rien du tout... Le fait est qu'il n'y ait même pas de bilan sur un sujet comme celui-ci.

Je m'inscris parfaitement dans les propos de Claude Raynal sur la gravité de l'acte et la solennité de la République, incarnée notamment lors de la réunion à La Sorbonne pour manifester l'unité républicaine. Après le Fonds Marianne, tout cela a perdu beaucoup de consistance. C'est tout.

On arrive à la fin. Vous venez d'évoquer les conditions dans lesquelles l'appel à projets s'était organisé et déroulé, les sélections, les validations. De quelle manière procéderiez-vous si vous deviez à nouveau mener un appel à projet ? Peut-être donnera-t-on des orientations mais, à ce stade, étant toujours en responsabilité du monde associatif, quel est votre regard ? Qu'avez-vous à nous dire à cet instant ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, vous l'avez dit, il est effectivement nécessaire de rappeler le contexte, et vous l'avez fait. Je n'y reviens pas.

Il y a évidemment des choses qu'on aurait pu faire différemment, alors qu'on en arrive aujourd'hui à missionner l'IGA et que vous avez vous-mêmes lancé une commission d'enquête en vous saisissant des prérogatives de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement parfaitement légitimement et utilement. C'est donc qu'il y a eu des dysfonctionnements dans l'organisation ou la gestion du Fonds Marianne.

Je veux être à ce stade prudente pour ne pas émettre des sentiments ou des impressions, mais je pense qu'il est effectivement nécessaire d'avoir, peut-être par écrit, un certain nombre de règles sur la manière dont les subventions peuvent être attribuées. Il existe déjà des écrits, mais peut-être est-il nécessaire de les préciser, notamment quant à l'organisation des comités de sélection, à l'organisation du suivi et aux mesures qu'il est possible de mettre en place par l'administration en matière de contrôle vis-à-vis des organisations qui sont subventionnées.

Ceci étant, avec ma casquette actuelle de secrétaire d'État chargée de la vie associative, et si je m'extrais du sujet du Fonds Marianne, je dirais que c'est une ligne de crête, parce que la question de la liberté associative me semble fondamentale.

Une des associations que vous avez auditionnées, qui a mis en place des vidéos contestables, contestées et que je conteste moi-même, s'en prend à des responsables politiques - Mme la maire de Paris, mais pas uniquement : le porte-parole du Gouvernement, le ministre de l'intérieur, moi-même, le Président de la République, etc.. Elle invoque, me semble-t-il, cette liberté associative dans les contenus. Il y a là une ligne rouge parce qu'on est sur des contenus politiciens, mais où doit-on placer cette limite ?

L'administration et même le ministre sont-ils fondés à aller dans le contrôle des productions d'une association ? C'est une vraie question, ce n'est pas une question rhétorique. C'est pour cela que je suis sincèrement très preneuse des retours, préconisations et instructions que vous donnerez à l'issue de cette commission.

M. Jean-Michel Arnaud. - Vous avez indiqué, en cours d'audition aujourd'hui, sur la demande de l'USEPPM : « je n'ai passé aucune commande de faire passer le dossier ».

Vous avez ensuite indiqué, lors d'un communiqué de presse, le 7 avril 2023, que sur toutes les candidatures reçues dans le cadre de l'appel à projets du Fonds Marianne, dix-sept ont été retenues par un comité de sélection, dont « le choix s'est fait via l'administration » - je vous cite - « à la manoeuvre dans le respect de toutes les procédures ».

Enfin, cela a été rappelé par le président, le préfet Jallet a confirmé « un arbitrage défavorable de la ministre concernant l'association SOS Racisme ».

Je comprends la difficulté du sujet et vos explications. Ceci étant dit, les faits sont là, et il y a des contradictions majeures dont notre commission a révélé les circonstances.

S'il y a une un point sur lequel j'attends des mots de votre part, c'est sur le fait d'assumer votre responsabilité. Il y a eu manifestement des difficultés de gestion dans ce dossier, des imprécisions dans la méthodologie et des implications à divers degrés, y compris politiques. Il serait bon que ce soit dit clairement, ne serait-ce que par respect pour la famille de Samuel Paty et pour la cause que nous défendons tous ici, qui est la défense des valeurs de la République, quel que soit le banc où nous siégeons.

M. Daniel Breuiller. -L'assassinat de Samuel Paty nous a tous bouleversés, parce que la République et ses valeurs sont notre bien commun. J'ai entendu vos propos sur la différence entre le rôle d'un ministre et le rôle d'un cabinet ou d'une administration, et je les comprends.

Je ne comprends toutefois pas qu'un ministre ne cherche pas à entraîner la totalité de la société française dans un combat aussi symbolique. Il y a une incohérence dans le fait que vous décidiez de ne pas attribuer de subvention à SOS Racisme et validiez des associations dont la fragilité est avérée, voire qui sont créées pour cela.

Pour le coup, c'est le rôle d'une ministre, je pense, que d'entraîner tout le monde, et je ne comprends pas ce choix.

M. Thierry Cozic. - Depuis le début de l'audition, vous avez fait état du fait que vous n'avez pas ou peu participé au processus de sélection des associations. Par contre, j'ai noté dans vos réponses un certain nombre de contradictions. Lorsque vous dites que 300 000 euros, c'est trop - et je crois que vous l'avez écrit -, c'est que, factuellement, vous participez à la décision. Idem pour l'arbitrage sur la subvention de 100 000 euros pour SOS Racisme.

Dans la sélection des associations, la transparence et la délibération sont des piliers, me semble-t-il, au coeur de votre fonction, à la fois en tant que membre du Gouvernement luttant contre la défiance institutionnelle et en tant qu'ancienne ministre déléguée à la citoyenneté.

Cependant, et ce sera peut-être une forme de conclusion, comment pouvez-vous ne pas vous interroger et être alertée par l'absence de critères explicites de sélection des associations par votre cabinet ? J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, on est dans un processus qui s'apparente à une véritable chimère. J'aurais souhaité avoir votre sentiment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaite vous faire deux ou trois observations qui se traduisent en questions.

Un certain nombre de questions, me semble-t-il, même après votre audition, restent en suspens. Vous êtes à l'initiative, dans les conditions qu'on a évoquées, de la création de ce Fonds. Vous avez été responsable de la mise en oeuvre des projets. Est-ce que, à ce stade, vous pensez que le projet devenu Fonds Marianne a rempli pleinement ses objectifs ? Est-ce que vous pensez qu'il a été à la hauteur des ambitions fortes affichées et affirmées par le Gouvernement, je le rappelle, dans un contexte inédit et particulièrement grave ?

Est-ce que vous considérez que les procédures ont bien été respectées, qu'elles sont en tous points conformes à une gestion saine et rigoureuse des fonds publics ?

Est-ce que vous pensez que le Fonds Marianne a bien été utile dans l'expérience nouvelle de liens portés par les associations, soutenues par le Gouvernement, pour lutter contre les discours séparatistes ?

Permettez-moi, madame la ministre, une question plus personnelle, parce que j'ai le sentiment, au long de cette audition, que vous vous êtes mise en quelque sorte en porte-à-faux par rapport au projet du Fonds Marianne. Vous avez passé beaucoup de temps, à travers de nombreuses réponses, à expliquer que vous vous étiez tenue à distance. Avant la création du Fonds, vous n'avez pas d'amis - j'ai compris que c'était une réponse à la presse, pour le dire simplement. Au moment de la création du Fonds, vous le validez, puis vous vous tenez à nouveau à distance. Vous ne vous y intéressez pas.

Vous reconnaissez qu'il y a quand même eu une intervention défavorable vis-à-vis de SOS Racisme. Ensuite, il y a plus de communication. Est-ce que je me trompe ? Aurais-je mal compris ?

M. Claude Raynal, président. - Si l'on reprend les choses, on voit que nos travaux ont montré qu'il y avait eu des contacts, en amont de la création du fonds, avec différents acteurs. L'appel à projets n'a pas consisté à susciter des candidatures mais, en amont, à préparer certaines candidatures. C'est d'ailleurs ce qui rend la notion d'inéquitable tout à fait juste dans l'appréciation de l'IGA.

Des associations ont donc été sélectionnées, quelquefois avant l'ouverture de l'appel à projets, sans prendre de précautions minimales, qu'on demande toujours à une association, et encore plus quand il s'agit d'une subvention de nature exceptionnelle. Une somme de 300 000 euros à 350 000 euros, c'est exceptionnel dans ce milieu, et cela suppose des garanties.

Les procédures de sélection ont été à géométrie variable, c'est le moins qu'on puisse dire - c'est une manière délicate de dire les choses -, en fonction des acteurs. L'IGA dit des choses tout à fait claires.

Des décisions ont été prises ou modifiées en aval du comité de sélection, y compris directement par vous, madame la ministre, sous réserve de vos appréciations bien entendu. Cela nous a été confirmé par votre directeur de cabinet, nous l'avons dit.

Un appel à projets s'est fait sans grille d'analyse, sans objectivation des candidatures. Est-ce que vous ne pensez pas que la politique de lutte contre les discours séparatistes méritait un peu mieux ?

Ne pensez-vous pas qu'une action qui entendait répondre à un assassinat horrible perpétré en octobre 2020 méritait une mise en oeuvre, une attention, un suivi précis, sérieux, continu ?

Au-delà des responsabilités d'un secrétaire général, qui sont pointées par l'IGA, et d'un cabinet, continuez-vous vraiment à rejeter toute responsabilité dans ce fiasco ? Il a fallu que je vous interroge sur ce point précis pour que vous reconnaissiez un bout de responsabilité.

Je parle de fiasco parce qu'il concerne l'action de deux associations qui ont été encouragées, montées spécifiquement pour cela, alors que d'autres travaillaient déjà avec le secrétariat général. Tout ce qui a été tenté en termes « innovants » s'est un peu cassé la figure. C'est dû à la vitesse, sans doute, à l'impréparation, sûrement, à la volonté de communiquer rapidement. C'est presque une maladie gouvernementale. Je ne parle pas de ce Gouvernement, mais de manière générale : un événement, une réponse, une communication, c'est vieux comme la politique. C'est ancien comme méthode de faire, mais est-ce aujourd'hui pertinent ?

Ces nouveaux acteurs n'ont pas été encadrés et sont aujourd'hui finalement mis en cause par ceux-là mêmes qui les ont créés, d'une certaine façon. C'est quand même dur ! Un article 40 pour l'une, une demande de remboursement pour la deuxième. Sur quelle base ? On ne sait pas trop. C'est quand même le signe d'une grande difficulté.

Je l'ai dit, vous auriez pu vous contenter d'amener les associations déjà connues sur le terrain à s'intéresser à votre projet et à le développer. Je pense que le résultat aurait sans doute été meilleur.

J'en reviens à votre propos introductif. Vous avez dit : « je salue le travail de la majorité des associations, qui font un bon boulot et qui travaillent bien dans ce domaine ». Je partage votre avis. Nous en avons croisé quelques-unes. Elles nous ont toutes envoyé leur production, de manière à ce qu'on puisse regarder concrètement les choses. Il y a des productions et des projets associatifs tout à fait intéressants mais, en pratiquant ainsi, par cet appel à projets mal géré, mal suivi, et à cause de lui, j'ai l'impression que vous avez surtout fragilisé cette chaîne d'acteurs qui travaillent à dénoncer des discours séparatistes depuis des années, en le faisant souvent sous l'angle de l'explication, du travail consciencieux sur le terrain, en faisant avancer des idées, en luttant contre les discours séparatistes, ce qu'elles font fort bien.

Est-ce que vous avez conscience que cette opération de Fonds Marianne fragilise terriblement cette chaîne de compétences associative, qui a mis du temps à se mettre en place et qui est une base extrêmement forte ?

Comme notre collègue le disait, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Vous avez repris cette expression, je la reprends à mon compte également mais, malheureusement, le mal est fait, même si on espère que, le temps passant, on puisse remonter les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, pour vous répondre globalement, je redis ce que j'ai dit depuis le début sur ce sujet : je prends absolument toute la responsabilité qui est la mienne, c'est-à-dire la responsabilité politique. Je ne m'en suis jamais dédouanée. J'ai toujours assumé les décisions, les lignes politiques, les commandes politiques passées. Je l'ai dit à de nombreuses reprises.

Pour citer les grands auteurs, « un chef, c'est fait pour cheffer ». J'endosse donc la responsabilité de mes décisions, mais aussi celle de mon directeur de cabinet, qui a délégation de ma signature, avec qui j'ai travaillé en parfaite symbiose et en confiance dans les décisions qu'il a pu prendre en mon nom. Il y était fondé.

J'ai dit aussi que je prenais toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité. Je ne crois pas, je le redis rapidement, qu'on puisse imputer à un dirigeant public ou un responsable politique la malversation interne d'une structure à laquelle il fait confiance, quand il n'a pas de raison à ce moment-là de ne pas le faire.

Je répète que, sur l'attribution des subventions, je n'avais pas d'implication personnelle et que je n'ai pas soutenu de dossiers en particulier. Je le redis très clairement. Je n'ai pas pris de décision de soutien à un dossier pour quelques raisons personnelles que ce soit. J'ai en revanche rendu un avis quand on est venu le solliciter.

Sur la question du suivi, il y a des communications qui sont adressées, des bilans en conseil des ministres, notamment en février dernier. Il y a un suivi étroit de ce dossier. Ne pas aller dans l'ingénierie du suivi des subventions et ne pas contrôler personnellement le travail mené par les associations ne signifie pas qu'il n'y ait pas de suivi du projet.

Tous les mois, j'ai rendu compte de la lutte contre le séparatisme et vous avez eu, monsieur le président, la gentillesse de le rappeler : c'est un sujet qui me tient à coeur de longue date, avant même d'être chargée de la question de la citoyenneté. C'est un sujet qui, pour moi, est intrinsèquement lié à la question de la liberté des femmes et de la protection des femmes. On voit trop souvent, dans trop d'actualité dans le monde, à quel point les femmes sont les premières victimes de cette idéologie séparatiste et islamiste qui menace encore notre sol à l'heure où nous sommes en train de parler.

Il a été fait mention - et j'en avais fait moi-même mention - de l'attentat odieux commis contre le professeur Samuel Paty. J'en garderai toute ma vie le souvenir. C'est moi qui ai ouvert la Cellule interministérielle de crise (CIC). Je suis allée avec le Président de la République et le ministre de l'intérieur sur place. Tous ceux qui ont été en responsabilité, quel que soit leur degré de responsabilité au moment d'attentats terroristes, n'oublieront jamais ce qu'ils ont vu, senti et entendu sur place, quand ils s'y sont rendus. Bien évidemment, et comme chacun ici, je trouve que c'est une lutte prioritaire et qui doit continuer à être menée.

Dans les réponses que j'ai pu apporter, j'ai insisté sur le rôle que j'avais ou que je n'avais pas, parce que ce sont des réponses aux questions, mais aussi parce que j'ai pu être mise en cause à tort, par voie de presse, à propos de faits que vous n'avez pas rapporté ici. Je distingue bien sûr les deux. Je n'ai pas voulu répondre à la presse par l'intermédiaire de la commission, mais j'ai voulu être factuelle et claire pour vous donner tous les éléments sur ces sujets.

Je veux redire, parce qu'on est passé rapidement sur ce sujet, que je n'ai pas non plus financé de contenu politique en période électorale - la question n'a pas été posée ici -, contrairement à ce qui a été écrit dans la presse à un moment. Il est aujourd'hui démontré que c'est faux, et d'autres articles sont venus l'infirmer. Je le dis après avoir été successivement accusée d'un peu tout et son contraire dans la presse, y compris de délits, et alors qu'il est démontré semaine après semaine que ce n'est pas du tout la question qui est posée. Ce n'est pas la même chose de se demander si un appel à projets est assez long et assez bien ficelé ou s'il y a délit. Ce sont des choses différentes.

Il a été indiqué qu'il restait des questions en suspens. C'est juste. Je suis moi-même très preneuse des réponses à ces questions. Je ne suis pas omnisciente. Il y a votre commission d'enquête. Il y a un deuxième rapport de l'IGA qui doit être rendu. Il y a une instruction du PNF ouverte sur une association en particulier.

Eu égard à la séparation des pouvoirs, je ne suis pas fondée à commenter cette instruction, qui relève exclusivement de la justice pour une affaire en cours, mais je veux dire, et ce sera ma conclusion, qu'il y a eu cinq mois de travail pour aboutir au Fonds Marianne, que l'impulsion politique qui est donnée est par nature contestable. Nous sommes en démocratie. Elle peut l'être, elle l'est et a parfaitement le droit de l'être. La méthode, au-delà de l'impulsion, peut parfaitement être remise en cause, améliorée et clarifiée. Elle le sera, je n'en doute pas.

Personnellement, quelles que soient les responsabilités que j'ai ou que j'aurai ou non à occuper dans l'avenir, je mettrai en oeuvre les recommandations qui seront indiquées en matière de liens sur la question des subventions.

En conclusion, je veux très simplement redire - d'autres l'ont dit et je l'avais fait également précédemment - le soutien que j'apporte à toutes les personnes qui sont aujourd'hui des combattantes et des combattants de la lutte contre l'islamisme radical en France et dans le monde. Toute personne qui prend la parole publiquement pour contredire et pourfendre l'idéologie de l'islamisme le fait au péril de sa vie, et on voit bien aujourd'hui à quel point des lauréats du Fonds Marianne, qui ont mené une action remarquable et avaient parfois une antériorité d'actions bénévoles pendant des années pour apporter un discours face à la radicalisation des jeunes le font sous le coup de menaces pour eux et pour leurs proches, d'insultes permanentes, de cyberharcèlement. Je tiens ici à leur apporter très clairement et très fermement mon soutien le plus absolu et le plus inconditionnel.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre.

La réunion est close à 13 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Fonds Marianne - Audition de Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté

M Claude Raynal, président. - Madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous poursuivons cet après-midi les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds.

Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives d'une commission d'enquête.

Nous entendons aujourd'hui Mme Sonia Backès, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargée de la citoyenneté.

Nous savons, madame la ministre, que vous avez pris vos fonctions bien après le lancement du Fonds Marianne et la sélection des projets mais, alors que ceux-ci étaient encore soumis à un suivi par votre administration, vous avez été témoin d'un certain nombre d'alertes, qui ont conduit entre autres à la création de notre commission d'enquête.

Par ailleurs vous avez autorité sur le Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) et avez aujourd'hui la responsabilité sur l'attribution des crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR). Nous sommes donc particulièrement intéressés par le fait de comprendre le suivi que vous faites de ce sujet et les enseignements que vous tirez de l'épisode qui nous occupe aujourd'hui.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, si vous le souhaitez bien sûr, madame la ministre, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Backès prête serment.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. -Je vous remercie de m'auditionner aujourd'hui.

J'ai pris mes fonctions le 4 juillet dernier, mais je vais vous donner, en propos introductif, quelques éléments de contexte, vu de mon prisme, de l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui.

Lorsque je suis nommée, le 4 juillet, je dispose de ce qu'on appelle les « dossiers ministre », qui comprennent un certain nombre d'éléments, remis par chaque direction pour être portés à la connaissance des membres du Gouvernement. Concernant le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), il n'est pas question du Fonds Marianne. C'est un sujet que je ne connais absolument pas puisque, vous le savez peut-être, je viens de Nouvelle-Calédonie et qu'en Nouvelle-Calédonie, il n'y a pas de sujet de radicalisation. Ce sujet m'était donc complètement inconnu avant mon arrivée.

Je prends connaissance pour la première fois du sujet dans le courant du mois de septembre, lorsque mon conseiller en communication me transmet un article du magazine Marianne, qui date du 30 juin, soit avant ma nomination, faisant état d'une question sur la liste des lauréats qui n'aurait pas été rendue publique. Je demande à ce moment-là, via mon mon directeur de cabinet, des éléments au secrétaire général du CIPDR, qui nous transmet une première note, que nous estimons incomplète, et qui est complétée par une seconde note du 12 octobre nous expliquant, d'une part, la raison pour laquelle la liste de lauréats n'est pas rendue publique - j'y reviendrai sans doute - et, d'autre part, nous faisant un point sur l'ensemble des lauréats pour faire l'état des lieux.

Cette note, globalement très positive, fait état d'une bonne exécution des différentes subventions. Il y a, à ce moment-là, une simple observation, qui fait une ligne, indiquant qu'il pourrait y avoir un sujet de contenus sur l'une des associations, sur laquelle j'imagine qu'on reviendra également, Reconstruire le commun.

Je demande plus d'informations au secrétaire général du CIPDR, qui nous indique qu'il avait effectivement vu des contenus à caractère politique, qu'il avait convoqué les responsables de l'association, qui avaient dit que cela ne se reproduirait plus. L'affaire était donc close.

À ce moment-là, il n'y a pas de d'alerte. Ce sont simplement des questions ou des observations. Au mois de décembre, suite aux questions insistantes d'un certain nombre de journalistes sur la liste des lauréats et du fait qu'elle n'est pas rendue publique, nous décidons de la montrer à un certain nombre de médias - en l'occurrence France 2, Marianne et Mediapart -en échange d'un engagement de ne pas la diffuser pour maintenir la sécurité des lauréats qui, on le sait, quand il s'agit d'islam radical, sont très vite en situation de risque.

Au mois de décembre, nous montrons cette liste aux différents médias et n'avons plus de nouvelles sur le sujet jusqu'au 22 mars, date à laquelle mon cabinet a un échange avec France 2, qui dit, de mémoire : « attention, on a vu un problème avec une association, l'Union fédérative des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) » qui, visiblement, n'a pas dépensé correctement la subvention.

Cette alerte est en fait suivie, dès le lendemain, d'un mail des nouveaux dirigeants de l'USEPPM, qui dit : « attention, on a constaté un problème dans la manière dont cette subvention était dépensée ». Cette alerte nous inquiète fortement et déclenche ma demande, d'une part, de saisie de l'IGA, le lendemain et, d'autre part, une demande adressée au préfet Gravel de saisir la procureure de la République de Paris sur le fondement de l'article 40 à propos de cette association.

Le préfet Gravel le fait le 31 mars. À la suite de cela, on commence à comprendre qu'il y aurait, là encore sur la base d'un certain nombre d'informations des journalistes, des problèmes de contenus qu'on avait commencé à identifier dans le cadre des premiers questionnements. Je demande donc le 31 mars au secrétaire général du CIPDR de faire un travail de fond sur toutes les associations et tous les contenus pour regarder l'étendue de la problématique et savoir si, effectivement, les associations lauréates ont bien dépensé les subventions comme prévu.

On se rend compte très rapidement, le 12 avril, qu'il y a un problème de contenu avec l'association Reconstruire le commun. J'étends donc la mission de l'IGA à l'ensemble des associations, et je décide de faire moi-même un article 40 sur cette nouvelle association.

Je passe ensuite sur le fait que le parquet national financier (PNF) ouvre une information judiciaire le 4 mai et sur la suite, que vous connaissez bien évidemment.

Je voudrais simplement, avant de répondre à vos questions, vous dire que la politique publique en matière de lutte contre l'islam radical est absolument essentielle dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui est aujourd'hui menée par le Gouvernement. Les renseignements que nous avons démontrent que le communautarisme et le séparatisme alimentent la radicalisation qui, elle-même, alimente le terrorisme.

Auparavant, les prêches les plus violents et les plus dangereux étaient faits dans les mosquées. Ils sont aujourd'hui faits sur les réseaux sociaux, et on a besoin de cette politique publique bien évidemment menée en partie par les services du Gouvernement, mais on sait très bien que les codes de ceux qui sont sur les réseaux sociaux, les méthodes, les réseaux eux-mêmes sont plus accessibles par un certain nombre de personnes de la société civile, qui sont mieux à même de répondre, d'où l'intérêt de la politique publique au sens large qui est menée.

On y reviendra bien évidemment, mais il y a dans ce dossier, de manière maintenant très claire, après le rapport qui a été remis par l'IGA, des erreurs qui ont été commises, des fautes, des manquements sur lesquels on va revenir. Je pense qu'il ne faut pas, selon l'expression que vous avez utilisée ce matin, « jeter le bébé avec l'eau du bain ». Il y a, dans les associations qui ont été lauréates comme dans d'autres, qui travaillent dans le cadre du FIPD ou de partenariats avec le Gouvernement, des associations qui font un travail extraordinaire et qui, en outre, depuis la publication de la liste par un organe de presse, sont réellement en insécurité et menacées.

Ils nous ont répondu récemment, suite à un certain nombre de sollicitations, qu'ils ne voulaient plus y aller parce qu'ils sont en danger. Je voudrais simplement attirer votre attention pour que, dans les messages que nous passons collectivement sur ce sujet, on continue de soutenir ceux qui mènent ce travail de contre-discours républicain et de lutte contre l'islam radical.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre. Comme vous le savez, notre commission n'a pas du tout pour objet de remettre en cause une politique publique, que ce soit celle-ci ou toute autre d'ailleurs. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle est de voir si elle est exécutée dans les meilleures conditions possibles et de nous assurer du respect des règles fixées par ailleurs.

J'avais quelques questions d'ordre général, mais vous nous avez déjà répondu, ainsi d'ailleurs que votre directeur de cabinet, que je salue, qui est à vos côtés. Élue de Nouvelle-Calédonie et ayant à l'époque assez peu de liens avec la métropole, sinon des liaisons indirectes, le fonds Marianne vous était inconnu, ce dont nous nous sommes étonnés lorsque cela nous a été dit par votre directeur de cabinet et désormais par vous-même.

On peut en effet s'étonner qu'il ne figure pas dans la continuité de l'action de l'État. C'est un point à mon avis tout à fait essentiel.

Avez-vous eu des discussions ou des contacts avec votre collègue Marlène Schiappa à ce sujet au moment où vous arrivez ? Elle aurait pu éventuellement, sans vous transmettre un dossier, évoquer ce sujet, ou depuis qu'un certain nombre de difficultés sont apparues. Est-ce qu'il y a eu un échange sur cette question ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Non, absolument pas de discussions, sur ce sujet avant que l'affaire n'éclate. Nous avons eu une discussion sur le sujet dans laquelle je lui ai indiqué qu'il était bon d'attendre d'une part les résultats de l'IGA, puisque c'était avant le résultat de sa mission, d'autre part de la commission d'enquête et, pour finir, de la justice, avant de nous exprimer publiquement sur le sujet.

M. Claude Raynal, président. - Votre directeur de cabinet nous a apporté une réponse assez claire sur le rôle du cabinet et sur la procédure, sur laquelle il a pris position sur le fait qu'il n'était pas anormal que le cabinet soit dans le système de décision en matière d'attribution de Fonds et, plus exactement, de validation des sujets, pour employer un terme plus précis.

On voit bien que, dans cette affaire - peut-être parce que c'était aussi le démarrage -, le CIPDR avait finalement un fonctionnement un peu autonome. Lorsque le poste de ministre délégué est créé, on revient dans un cadre un peu plus traditionnel, et un nouveau système de validation est mis en place. Vous l'avez poursuivi. Est-ce que vous pouvez nous dire si vous en tirez quelques conclusions sur la manière d'établir cette relation entre l'administration, le cabinet vous-même ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Le processus tel qu'il est construit, c'est-à-dire l'administration qui instruit et propose et le politique qui valide, me paraît parfaitement conforme. Je suis accessoirement présidente de collectivité locale, et c'est ainsi que cela se passe dans les collectivités locales. Cela ne me paraît pas dissonant ou dysfonctionnant. La question est ensuite de savoir quels sont les contrôles a priori et a posteriori qui sont effectués.

Ce qu'on voit dans le rapport de la mission de l'IGA, c'est qu'on a peut-être manqué de contrôles, notamment a priori, au moins pour une association, et que les contrôles a posteriori montrent un certain nombre de dysfonctionnements. Je pense que c'est là-dessus que nous allons travailler.

M. Claude Raynal, président. - A priori, durant l'opération, et a posteriori. Ce sont à peu près toutes les étapes qui sont signalées dans le rapport de l'IGA, si on le décode bien. En tout cas, c'est un sujet prégnant que la question de savoir comment on doit fonctionner.

Un exemple a été donné à juste titre par votre directeur de cabinet. Lorsqu'on reçoit un dossier, quels que soient les rôles et les responsabilités que l'on a, qu'elles soient municipales, départementales, régionales ou ministérielles, c'est pareil : on reçoit des dossiers en direct et la règle qui doit effectivement s'appliquer est une règle de transmission à l'administration sans élément d'appréciation particulier, la laisser travailler et voir après comment avancer. Ces pratiques-là paraissent de bon sens et, de plus, mettent chacun devant ses responsabilités. Peut-être faut-il aller plus loin dans la formalisation de quelque chose dans ce domaine, car un certain flou peut parfois sortir de positions particulières.

Le 10 octobre 2022, le préfet Gravel vous fait parvenir une note dans laquelle il explique les raisons pour lesquelles la liste de lauréats n'a pas été rendue publique et pour lesquelles une démarche a été engagée pour ne pas les mentionner dans le jaune budgétaire sur le soutien de l'État aux associations. Cela répond à une demande de la presse pour obtenir la liste des lauréats. Pouvez-vous nous rappeler ce contexte et nous dire comment cette demande de note est formulée. À quoi répond-elle ? Est-ce une demande de votre part ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Nous sommes sollicités à ce moment par des médias qui nous demandent la liste en décembre. On voit simplement à ce moment-là l'article du 30 juin qui dit que la liste est tenue confidentielle, et cela a l'air de poser problème. C'est à ce moment-là que je demande des informations et que le préfet Gravel nous indique que, pour des raisons de sécurité, et dans un cadre effectivement bien défini, la liste des lauréats est gardée confidentielle. Je pense que c'est finalement ce qui aurait dû être fait. Elle a finalement été rendue publique. Aujourd'hui, un certain nombre de lauréats nous font part de menaces à leur encontre, et je pense que, dans la mesure où ils sont directement en charge de répondre à des discours qui amènent à une forme de séparatisme, ils sont en danger. La volonté du Gouvernement, qui était je crois partagée à l'époque, était de garder cette liste confidentielle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai pris des notes sur la chronologie que vous avez évoquée dans votre propos introductif, mais n'étant pas encore un parfait pratiquant de la sténo, il doit me manquer quelques petits éléments.

Vous l'avez dit au début de votre propos introductif, peu de temps après votre nomination, en octobre, vous avez reçu une note où était mentionnée la bonne exécution des subventions, à part une association, que vous avez citée, Reconstruire le commun, pour laquelle des questions étaient soulevées sur le ou les contenus. Assez rapidement, le secrétaire général du CIPDR est intervenu et la situation a été réglée.

J'essaie de garder la tête froide par rapport à ce qui nous a été dit ce matin. Cela veut dire que lorsque vous passez cette commande, on vous produit une note. Je pense que c'est le cabinet...

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est le SGCIPDR...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - ... Qui passe au cabinet, qui passe au ministre, le tout dans un temps très court.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Oui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'en conclus une première chose, c'est que les rouages sont parfaitement huilés. Votre arrivée n'a rien changé. C'était la pratique hier, c'est la pratique aujourd'hui et, dans un ministère, ce sera la même pratique demain.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Vous voulez parler de la transmission du SGPDR au cabinet puis au ministère ? Je suppose. En tout cas, depuis que je suis là, il n'y a pas d'absence de fluidité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous n'avez donc pas donné de consignes particulières remettant en cause le fonctionnement passé ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - S'agissant du fait de demander une note et qu'elle soit transmise, non. Je ne vois pas pourquoi j'en aurais donné.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais vous dire tout de suite pourquoi je m'interroge : ce matin, votre prédécesseure a expliqué en permanence qu'elle n'avait pas connaissance des éléments, que c'était le CIPDR, le secrétaire général, le cabinet, mais qu'elle n'était pas là, même si des membres du cabinet venaient du CIPDR.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je comprends le sens de votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est pour garder le parallélisme des formes. Cela me paraît assez cohérent, d'autant que vous l'avez dit à plusieurs reprises dans votre court propos introductif. Les choses sont donc assez objectives.

Deuxièmement, je voulais parler de la subvention la plus importante concernant l'USEPPM. Effectivement, cette association qui avait bénéficié d'une subvention importante, ne répondait pas, depuis quelque temps déjà, aux sollicitations de l'administration. Historiquement, lorsque les subventions ont été accordées, il devait y avoir un point au bout de six mois. De novembre 2022 à février 2023, il y a eu des relances et pas de réponse. Vous avez bien à nouveau été avertie de la situation. Est-ce que vous savez à quel moment et par qui ? Je pense que c'est là aussi par le CIPDR.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je comprends mieux le sens de votre question et tiens à préciser que je ne suis évidemment pas informée de tout ce qui se passe à l'intérieur du SGCIPDR. Ce n'est absolument pas mon rôle. Je pense que ce serait un problème si c'était le cas. Je n'ai pas toute la partie administrative du suivi. En revanche, je suis informée de ce que fait mon cabinet, qui a des réunions régulières avec le secrétariat général du CIPDR, d'une part pour transmettre l'impulsion politique que je souhaite transmettre et, d'autre part, pour recueillir de la part du SGCIPDR d'éventuelles problématiques qui se poseraient ou les avancées des dossiers qui leur ont été confiés.

J'ai effectivement, courant mars je pense - je n'ai pas la date exacte - une remontée par le SGCIPDR et mon cabinet du fait qu'on a un souci de transmission de documents par l'USEPPM, ce qui amène la suite, c'est-à-dire la mission qui est confiée à l'IGA et l'article 40. Ils ne transmettent effectivement pas les documents et on n'a aucune réponse de leur part.

Le 23 mars, je ne sais si vous l'aviez noté, les nouveaux responsables de l'association nous disent qu'il y a visiblement un problème.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous êtes donc plutôt alertée, avec plusieurs avertissements, en mars 2023, puisque la situation a perduré, malgré des relances.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Très clairement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Parfait. Cela correspond. J'avais noté le 22. Il me semblait que c'était 48 heures après, mais on ne va pas chipoter à un jour près.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est cela. En fait, on a la presse le 22, l'USEPPM le 23, et l'IGA le 24.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Finalement, pour les deux associations, Reconstruire le commun et l'USEPPM, vous avez eu des alertes, mais pas au même moment. Est-ce que c'était à chaque fois avant des annonces faites par la presse ou après ? Est-ce que des éléments avaient été communiqués ? Vous n'en aviez pas forcément connaissance, mais est-ce qu'ils étaient déjà dans le circuit ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Les deux, en fait. C'est-à-dire qu'il y a deux situations différentes. Pour l'USEPPM, l'alerte principale vient du mail qu'on reçoit des nouveaux dirigeants de l'association qui, clairement, nous inquiète. Au-delà de la question de la presse, c'est ce qui génère la grosse alerte.

Pour Reconstruire le commun, c'était au départ juste un questionnement qui, en plus, avait été balayé, réglé. C'était un questionnement dans la note du mois d'octobre, il y avait un problème de contenu. Je crois que c'était un contenu politique contre Éric Zemmour. On a convoqué l'association pour lui dire qu'elle n'avait pas à avoir de contenu politique, et les choses ont été recadrées.

La vraie problématique vient de questions de la presse, qui ne cite pas d'association, mais qui nous dit simplement : « on a commencé à regarder sur la base de la liste que vous nous avez montrée, et il semble qu'il y ait des problèmes de contenu ». Cela génère, le 31 mars, une demande de ma part au SGCIPDR, via mon cabinet, pour décortiquer tous les contenus. Ils ont regardé des heures et des heures de contenus pour nous faire une note qui amène à la grosse alerte sur la deuxième association, Reconstruire le commun, avec des contenus d'ordre politique qui vont bien au-delà de ce qui avait été observé au mois d'octobre. C'est donc la presse en partie et le travail de contrôle d'autre part qui nous alertent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. Je peux donc en conclure, là encore, que l'information est fluide. L'alerte remonte vers vous normalement, sans obstacle et, de la même manière, vous prenez des décisions, vous donnez des directives et elles sont mises en oeuvre sous votre autorité par le cabinet et par le CIPDR.

Pour moi, cela paraît parfaitement clair, simple et, je le redis, beaucoup plus limpide que ce que nous avons entendu ce matin.

M. Claude Raynal, président. - Sur ce point, on a une difficulté de présentation de ce qui a été fait par le secrétariat général par rapport à ces contenus. On a deux versions, si je puis dire. Si vous en avez une à privilégier, cela nous serait utile.

Le préfet Gravel nous a indiqué ici qu'il avait fait des diligences dès qu'il avait vu les contenus un peu particuliers, sans exagérer les choses non plus, mettant en cause des personnalités politiques. On peut se demander, si on veut défendre les valeurs républicaines, s'il est bon de démarrer par une agression tous azimuts envers les élus de toutes tendances. Je n'en suis pas tout à fait sûr, mais je pense que vous partagez à peu près cette idée.

Le préfet Gravel nous a dit : « j'ai reçu l'association, je lui ai indiqué que ce n'était pas admissible, etc. ». Lorsque nous l'avons reçu, la présidente de l'association ne s'en souvient pas. En tout cas, cela ne l'a pas marquée, sinon je pense qu'elle s'en souviendrait. Elle dit simplement : « j'ai eu une remarque par rapport au fait qu'on a fait référence au Président de la République, à Emmanuel Macron, dans une des séquences », ce qui est la réalité. Il y a donc eu une mise en cause plutôt sur ce sujet-là.

D'autre part, lorsqu'il y a ce type de problème dans une association, on pourrait s'attendre à ce que l'administration fasse un écrit. On peut oralement dire qu'il y a un souci. Deux versions sur les contenus sont mises en avant. L'un n'interdit pas l'autre. On peut parler d'une question sur le Président de la République et puis d'autre chose, mais l'association nous dit : « on nous a dit en gros de ne plus faire cela », et c'est tout.

Il n'y a surtout pas eu un seul écrit. Généralement, quand il y a un problème avec quelqu'un avec qui on travaille, cela peut prendre une forme écrite. Cela reste dans le dossier. Est-ce qu'il y avait là-dessus, dans les notes que vous avez eues, des éléments particuliers sur ce sujet, ce qui nous permettrait de choisir une des deux versions ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Malheureusement, je ne vais pas pouvoir vous aider parce que cela s'est passé avant que j'arrive. Je n'ai absolument aucun élément, si ce n'est ceux qui sont arrivés après. Je ne vais donc pas pouvoir trancher. Je ne sais pas quelle est la version qu'il vous faudra garder. J'en suis navrée.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que vous avez pour habitude et pour pratique d'entretenir avec les partenaires associatifs qui interviennent sur le contre-discours des relations de suivi régulier qui vous permettent d'apprécier la qualité du travail fourni, voire de le réorienter ? Quelle est la pratique, sous votre autorité en tout cas ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Non, je ne le fais pas, parce que je considère que ce n'est pas mon rôle. Ce n'est pas le rôle du ministre. Le rôle du ministre est d'impulser une politique, d'initier et de faire le point de manière régulière avec l'administration qui est en charge du suivi pour savoir si les choses sont faites correctement, dans le cadre des objectifs politiques qui ont été fixés.

Je vais vous donner un exemple d'une politique publique que je porte, qui est la lutte contre les dérives sectaires, que l'on a également confiée au SGCIPDR, en particulier dans le cadre de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). On a de la même manière confié au SGCIPDR une politique publique à mettre en oeuvre, et on fait un point, via mon cabinet, de manière régulière pour savoir comment les choses avancent. C'est le SGCIPDR qui fait lui-même le point avec les associations.

Il nous arrive bien évidemment de recevoir des associations dans le cadre des politiques publiques que l'on mène, non pas pour faire le point sur leurs actions, mais pour voir quels sont les points qui avancent, qu'on souhaite faire avancer, comment elles le voient et comment elles sentent la situation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc, globalement comme vous l'avez dit - mais je veux m'en assurer -, vous avez des notes qui sont demandées ou envoyées à intervalles réguliers, qui vous font un état de la situation. Vous avez eu à un moment une alerte. C'est l'administration, le CIPDR, qui reçoit des consignes de la part du ministre ou du cabinet pour veiller à rectifier ce qui, éventuellement, ne fonctionne pas....

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Soit des notes, soit des réunions pour faire le point régulièrement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous embrassez une nouvelle responsabilité ministérielle, vous l'avez dit, sur un sujet qui vous est étranger. Je rappelle qu'il a été mis en oeuvre dans un temps très court, avec une procédure assez lâche, c'est-à-dire avec peu de rigueur en termes de méthode, d'exécution du contenu, de notation et de transmission de l'information à celles des associations qui avaient candidaté. Est-ce que vous avez, par rapport à cet état de fait, une remarque ou des souhaits à exprimer pour l'avenir ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Avant les alertes, je n'ai eu aucune connaissance de la manière dont cet appel à projets a été lancé. Bien évidemment, depuis, j'ai lu avec attention le rapport de l'IGA, qui démontre clairement qu'il y a eu des erreurs, voire peut-être des fautes, en tout cas un certain nombre de dysfonctionnements majeurs qui doivent nous amener à faire évoluer les méthodes.

Pour ce qui concerne les autres appels à projets, on a lancé avec le CIPDR deux appels à projets en matière de lutte contre les dérives sectaires. L'ensemble des contrôles a été effectué a priori et a posteriori. Le reste est en cours.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans un délai aussi court, avec des contrôles aussi rapides ou succincts ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - La situation est complètement différente pour les appels à projets. Je ne porte pas de jugement sur ce qui s'est passé avant. La situation et le choc qu'a connu la France suite à l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine ont sans doute amené à des décisions différentes par rapport à la question de la lutte contre les dérives sectaires, qui est une politique publique de long terme, qui ne pose sans doute pas les mêmes urgences. Je ne porte donc aucun jugement sur la manière dont les choses se sont passées.

Un certain nombre de conclusions sont à tirer et des adaptations sont absolument indispensables suite, d'une part, à ce premier rapport de l'IGA, mais le deuxième rapport et les conclusions de votre commission nous donneront un cadre qui nous permettra de faire mieux les prochaines fois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends ce que vous venez de nous communiquer. Ceci étant, je ne crois pas qu'il y ait un rapport aussi différent que celui que vous évoquez au regard de la gravité de l'événement qui a donné lieu à la création du fonds, puisqu'on observe que, d'après les premiers éléments apportés en audition par l'administration, normalement, il faut deux à trois mois.

Et puis, il y a une accélération soudaine à propos de laquelle on n'arrive pas complètement à comprendre qui décide, ne décide pas, regarde, ne regarde pas. C'est la raison pour laquelle je voulais avoir cet élément.

Vous avez évoqué le mail du 24 mars et le projet de signalement au sujet des associations du Fonds Marianne. La décision de faire le signalement, c'est vous qui la proposez, qui la prenez ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est moi qui la prends et c'est mon cabinet qui la met en oeuvre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On a d'ailleurs une procédure de contrôle en cours. Vous avez évoqué l'autre association, Reconstruire le commun, qui a donné lieu à une demande de remboursement. Cela nous a été confirmé lors de l'audition des membres de l'association. Cela a été fait au début du mois de mai. Est-ce que vous avez participé à la décision ? Dans quel sens ? J'imagine que si vous avez participé, c'est certainement pour confirmer. N'avez-vous pas le sentiment que cette décision est un peu tardive ? Je veux dire par là qu'il s'avère qu'elle intervient consécutivement à de nouvelles révélations par la presse. Peut-on en conclure qu'il y a un lien de cause à effet ou absolument pas, et que vous avez des éléments à nous communiquer ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - On ne peut effectivement pas dire qu'il n'y a pas de lien de cause à effet. La presse s'est clairement intéressée au sujet. Il n'y a pas que la presse. Je l'ai dit pour l'USEPPM.

Pour la question des contenus, on a demandé le 31 mars à regarder l'ensemble des contenus de l'ensemble des associations, et c'est sur la base de ce travail, qui n'est pas celui exclusif fait par la presse, que nous avons effectivement été alertés sur un certain nombre de contenus qui n'avaient rien à faire dans l'objectif qui était fixé initialement.

J'ai pris la décision. Elle a été mise en oeuvre compte tenu des éléments qui nous ont été transmis par le secrétariat général du CIPDR, sur la base du visionnage de plusieurs heures de contenus extrêmement lourds, qui ont donné lieu à une identification précise de tous les contenus qui posaient problème, de manière qu'on puisse avoir l'ampleur de la problématique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous considérez qu'il y a eu des subventions trop importantes versées et qu'au regard de ce qui a été versé, il est logique de prétendre à un remboursement.

L'IGA, dans son rapport, préconise ou recommande trois choses : émettre un titre exécutoire d'un peu plus de 127 000 euros, prendre acte des manquements aux obligations statutaires qui ont été relevés par la mission et, enfin, compléter la saisine du procureur de la République. Est-ce que vous confirmez aujourd'hui vouloir la mise en application des trois recommandations du rapport de l'IGA ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Oui. La première est déjà en cours de mise en oeuvre, puisque la procédure contradictoire a été initiée par le secrétariat général du CIPDR. Les poursuites disciplinaires seront mises en oeuvre, mais nous attendons le deuxième rapport de manière à avoir une vision globale de la situation. Le complément et l'article 40 relèvent de l'IGA, puisque ce sont eux qui ont la connaissance et la vision globale du sujet.

M. Claude Raynal, président. - On va aller assez vite, puisque votre relation au projet est relativement limitée dans le temps pour aller sur les prospectives et les recommandations.

Il n'est pas simple de savoir, quand on confie une fonction à des associations tout en leur laissant le soin de mettre les choses en oeuvre, jusqu'où on va dans le dispositif.

En ce qui vous concerne, c'est plutôt une réflexion prospective que je vous demande. Vous l'avez d'ailleurs dit : c'est une politique publique, et il y a des chances qu'elle se poursuive - en tout cas, on espère que cela pourra être fait.

On a souvent, et c'est un vrai problème, monté de faux projets. Je fais simple : on associe à des montants de subventions d'autres subventions ou des fonds privés dont on n'a d'ailleurs aucune trace. Non seulement on a sans doute des réponses négatives, mais on n'est même pas sûr qu'il y ait eu des questions. Les fonds demandés ont-ils été vraiment sollicités ? On n'en sait rien. Pourquoi cela a-t-il été monté ainsi ? Après le Fonds Marianne, il y avait l'idée qu'un relais pouvait se faire par d'autres financements que ceux de l'État.

Dans la réalité, en particulier dans les deux gros projets initiés à ce moment-là, il y avait des co-financements. Bien sûr, une des fautes est de ne pas avoir vérifié avant de démarrer le projet qu'il y avait au moins eu des demandes dans ce sens. On ne peut pas toujours tout obtenir avant de démarrer, mais il aurait au moins fallu que les demandes de financement soient formulées. Ce n'était pas le cas.

De manière générale, l'État est non seulement le premier financeur mais, en fait, le financeur unique dans beaucoup de projets de cette nature. On peut le comprendre, parce que le sujet n'appelle pas des soutiens privés massifs. Dès cet instant, quel est le lien qui doit s'établir avec l'association ? Quel est le niveau de contrôle qui est possible et acceptable ? Quelle est la zone où l'association est libre d'avancer ? Comment les choses peuvent-elles s'articuler ?

Dans nos auditions, cela a été évidemment formulé de manière un peu abrupte, les associations disant : « on n'est pas sous-traitants du CIPDR ». D'accord, mais leurs projets sont financés intégralement ! Comment voyez-vous, dans le cas d'un financement public, les limites du contrôle car il faut bien laisser une part de liberté à l'association, tout en ayant un contrôle suffisamment approfondi pour ne pas risquer d'être amené soit à demander des remboursements, soit à utiliser l'article 40, ce qui n'est pas très heureux lorsqu'on a lancé un projet ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je vais vous répondre tout simplement avec la réussite des quinze autres associations. En fait, cette politique publique est capable d'être menée à bien de manière tout à fait correcte. On a fixé un grand objectif, qui était celui de lutter contre les discours de l'islam radical, à destination principalement des jeunes de douze à vingt-cinq ans. Ce grand objectif, les associations le connaissaient évidemment et avaient obligation de produire des contenus et du contre-discours à destination de ce public.

La plupart des associations lauréates du Fonds Marianne ou qui travaillent aujourd'hui avec l'État, notamment dans le cadre du FIPD, savent très bien ce qu'elles peuvent et doivent faire, tout en n'étant pas des salariées du Gouvernement. C'est toute la difficulté de l'exercice qui, finalement, n'en est pas réellement une quand on voit la production d'un certain nombre d'associations et la réussite de cette mission.

Doit-il et peut-il y avoir d'autres financeurs ? Je ne le crois pas. Cette politique publique, malheureusement, ne peut et ne doit être menée que par l'État. Par contre, les services de l'État, tels qu'ils sont construits, ne peuvent, seuls, assumer cette mission de contre-discours parce que les moyens et les publics ont évidemment changé, évolué, et que la société civile et un certain nombre de structures associatives le font mieux.

Je pense donc qu'on doit pouvoir continuer, tout en assurant des contrôles a priori plus importants que ce qui a été fait et en assurant un contrôle au fur et à mesure et a posteriori. Je crois profondément qu'on peut mener cette politique publique sous cette forme, en associant la société civile et en vérifiant évidemment de manière continue s'il n'y a pas de dérives en matière de contenus, comme on l'a vu pour une association, et si l'association met bien en oeuvre ce pour quoi elle a été subventionnée.

Je n'y vois pas de difficultés majeures. Il y a eu là, on le voit, bien des erreurs et des dysfonctionnements, mais je ne crois pas que ce soit la politique publique dans son ensemble et le fait de s'appuyer sur le tissu associatif qui soient à revoir.

M. Claude Raynal, président. - Vous parlez de la réussite des quinze autres projets. Il faut peut-être nuancer les choses, dans la mesure où dix des projets sont en réalité des projets d'associations avec lesquelles le CIPDR travaille depuis cinq ans. Après cinq ans de travail avec une administration de l'État, la pratique et le discours se sont affinés, et ces associations sont à même de réussir ou, en tout cas, présentent des éléments de travail convenables avec le CIPDR.

Il se trouve néanmoins que la question se pose lorsqu'il s'agit à la fois de nouveaux projets et de nouvelles structures. C'est là que les choses pèchent pour beaucoup : quand on travaille avec de nouveaux acteurs, qui plus est portés par des associations soit naissantes, soit très faibles. La question de la relation doit être extrêmement travaillée.

En tout cas, si on doit tirer une leçon de cette expérience, me semble-t-il, c'est de dire que, lorsqu'on a un nouvel acteur, il faut l'accompagner - pour utiliser un vocabulaire moderne. C'est pour cela qu'il faut relativiser la réussite globale.

D'autre part, les autres associations, pour l'essentiel, travaillaient sur la notion de la fraternité au sens large : comment positiver un discours face au discours islamiste ? Comment arriver à ce que des populations n'acceptent pas ces discours et comprennent qu'il y a un intérêt à la vie et au fonctionnement de la République ? C'est plus un travail de terrain que sur les réseaux sociaux.

Le travail sur les réseaux sociaux est beaucoup plus complexe. Il faut continuer ces politiques mais une des faiblesses du système est qu'il faut savoir les évaluer. La question de l'évaluation est primordiale. Comment fait-on ? Sur le terrain, les associations ont des personnels, des actions. On peut aller voir ce que font les associations sur le terrain et on a des comptes rendus. Quand on est sur les réseaux sociaux et qu'on a 50 tweets et 200 vues, on sait qu'on a tout loupé ! Même si on a un million de tweets et des millions de vues, on n'est pas sûr qu'ils proviennent de ceux que l'on souhaite atteindre.

Au-delà de l'objectif, qui peut avoir du sens - on n'est pas là pour commenter une politique publique, on peut le faire ailleurs -, il faut se donner les moyens d'en mesurer les impacts. On ne peut se contenter d'un nombre de vues.

De manière encore plus directe, ne vaut-il pas mieux très peu de visioconférences ou de vidéos, mais très regardées par les « bons clients », si j'ose dire, c'est-à-dire par les cibles que l'on souhaite toucher ? Encore faut-il avoir un outil de mesure. On a vu que ce n'est pas si facile. Lancer des politiques sans outil d'évaluation présente beaucoup de faiblesses. Partagez-vous ce point de vue ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - C'est effectivement beaucoup plus compliqué à évaluer qu'un certain nombre d'autres politiques publiques. Le choix du Gouvernement est d'aller dans plusieurs sens. Vous connaissez l'existence de la plateforme Pharos, vous savez ce qui est fait dans les quartiers de reconquête républicaine. On essaye d'aller dans plusieurs directions, mais prenons par exemple la question de la laïcité. Les messages envoyés par un certain nombre de réseaux qui portent la voix de l'islam radical véhiculent l'idée que l'État est islamophobe et que la loi sur la laïcité est donc islamophobe. Ce sont les messages qui sont passés.

Comment fait-on pour répondre à cela ? Il faut qu'on arrive à produire des contenus qui arrivent à faire passer des messages qu'on n'arrive plus à faire passer à un certain nombre de jeunes qui n'écoutent ni leurs enseignants ni tout ce qui relève de l'État. C'est là qu'il faut employer des codes différents. Ce n'est pas juste un film avec « République française » écrit dessus, parce que personne ne va le regarder, en tout cas pas ceux qui pourraient être concernés.

M. Claude Raynal, président. - Encore moins si c'est marqué « ministère de l'intérieur » !

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - En tout cas, on ne va pas toucher ceux qui sont susceptibles d'être atteints par ces messages. Il nous faut donc vraiment nous réinventer.

Je voudrais revenir sur votre intervention initiale et la question des nouvelles associations. Oui, il faut les accompagner, mais sans les écarter. Je pense qu'on a besoin d'innovation, de créativité et de ces nouveaux acteurs qui ont une vision différente des jeunes publics et sont peut-être capables d'adapter les contenus à ces jeunes publics.

M. Claude Raynal, président. - De manière générale, et toujours pour en tirer des leçons pour la suite, parce que c'est ce que nous souhaitons faire à la fin de notre rapport, ne faudrait-il pas mieux préciser les conditions dans lesquelles les associations doivent mener les projets ? Est-ce que les clauses de convention d'attribution doivent être revues pour exclure certaines pratiques ?

Ce qu'on a vu, de manière générale, c'est que c'était extrêmement léger. Je simplifie : on a des associations qui ne sont pas bâties pour obtenir des subventions importantes, qui n'en ont jamais eu. On a un système de contrôle défaillant, un système de mesure de résultats inexistant et, à la sortie, cela produit évidemment ce que cela produit.

D'ailleurs, pour les deux associations, il s'agit de problématiques très différentes. Je ne les mets pas du tout sur le même plan. Du coup, on dit qu'on va demander un remboursement. Sur quelle base ? Si c'est sur la base de la convention signée, la demande étant faible, arriver à justifier d'un remboursement sur quelque chose qui n'est pas demandé est un peu léger. Est-ce que vous avez déjà un peu travaillé sur cette question si d'autres appels à projets, par extraordinaire, devaient arriver ?

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - On a évidemment des axes d'amélioration. Mieux on encadre les objectifs fixés aux associations lauréates et mieux le contrôle en cours et a posteriori peut se faire. Plus on est précis dans les objectifs qui sont fixés et mieux on arrivera par la suite à les contrôler. Je crois que, de toute façon, cette opération va nous amener, avec les rapports de la mission de l'IGA, à faire évoluer les procédures.

M. Claude Raynal, président. - S'agissant des comités de sélection, j'avais noté, dès ma première conférence de presse sur le sujet, leur caractère endogène, ce qui m'avait beaucoup gêné, trois membres du cabinet et trois membres de l'administration, alors même que deux membres du cabinet sont issus de l'administration concernée... Cela donne l'impression d'un entre-soi.

Quand on fait un appel à projets, peut-être n'est-il pas mauvais d'avoir à ses côtés une ou deux personnes avec des compétences différentes, qui ne sont pas liées à l'action menée, mais plus à l'utilisation des réseaux sociaux, etc. Le CIPDR nous a d'ailleurs dit qu'une des deux personnes était qualifiée, mais lorsqu'on sait que des associations proposent quinze minutes sur YouTube ou autres pour attirer les quinze à vingt-deux ans, on est très loin de la pratique des jeunes. S'ils en voient quinze secondes avant de refermer la boîte, c'est magnifique ! Un peu de vision sur la façon dont les jeunes voient les choses aujourd'hui et sur leurs pratiques n'aurait pas été inutile.

Partagez-vous cette idée sur le caractère endogène et sur le fait qu'on peut peut-être ouvrir les choses, ou est-ce que cela vous paraît tout à fait normal ? J'ai l'impression que j'oriente un peu la réponse...

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Légèrement !

Monsieur le président, vous sous-estimez les jeunes en pensant qu'ils vont regarder ne serait-ce que 15 secondes !

Mon sentiment est qu'il ne faut pas non plus exclure le politique. Je pense que, dans l'instruction, dans les propositions, les éléments de prise de décision doivent remonter aux politiques dans le processus de validation en matière de nouveautés et de propositions. Les éléments concrets doivent donc être validés par le politique, qui a un rôle à jouer à la fin du processus de validation.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes ici devant des élus. On a tendance à penser que le politique a un rôle de manière générale ! On ne méconnaît donc pas ce point mais, pour autant, lorsqu'on recherche de l'innovation, il n'est pas mauvais de s'entourer de compétences diversifiées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est certainement consubstantiel à la rapidité du dépôt de candidature, le délai était de vingt jours. Certains ont dû penser qu'il fallait aller vite. Le président Raynal a parlé d'entre soi. Deux ou trois membres qui étaient au cabinet, venaient du CIPDR. Comprenez qu'en termes d'ouverture, c'est relativement limité.

Je nous invite à regarder l'appel à projets pour le Fonds Marianne publié le 20 avril 2021 sur le site du secrétariat général du CIPDR, qui est toujours en ligne. Par rapport aux éléments qu'on évoque aujourd'hui, il y a quand même un certain nombre de trous ou de manques.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez raison de manière générale : vous dites que, lorsqu'on veut chercher des systèmes innovants, il ne faut pas s'interdire des créations. On peut imaginer qu'il faut presque accepter que des acteurs nouveaux, sans passé, sans histoire associative, puissent répondre. C'est ce que vous avez dit tout à l'heure, et c'est sans doute vrai mais, dans ces cas très précis, le suivi doit être extrêmement précis, sinon on en arrive à de l'expérimental pur. Il en faut un peu, mais il ne faut pas qu'à la sortie cela tourne à une dérive. Je pense qu'on est d'accord sur ce point.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Je partage votre avis, monsieur le président.

M. Claude Raynal, président. - On ne peut dire : « Je vous laisse 300 000 euros, débrouillez-vous, et on se revoit à la fin pour voir si tout va bien ». C'était une phase un peu expérimentale. C'est un peu léger et, en tout cas, ces deux associations l'ont bien démontré.

Cela me permet de vous donner la parole pour une conclusion. Au regard des événements, quelles sont les évolutions que vous envisagez d'ores et déjà de prendre en compte, rapport de l'IGA ou pas ? Vous êtes suffisamment bien entourée et vous avez suffisamment de gens autour de vous pour voir comment mieux cadrer les choses. Il ne faudrait pas qu'on recommence au coup suivant, si je puis dire, et qu'on poursuive dans le même type d'errements.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Effectivement, cette affaire nous amènera de toute façon à un certain nombre d'évolutions dans la manière dont sont accordées les subventions, avec la question des contrôles a priori qui, sans doute, ont été insuffisants dans l'affaire dont on parle, mais aussi dans la manière dont on accompagne au fur et à mesure les associations pour voir si, dans le cadre du grand objectif de politique publique, les choses vont dans le bon sens, sans être dans un contrôle trop proche, où les associations deviendraient des prestataires purs et simples du Gouvernement. Il y a effectivement des moyens à mettre en place pour assurer ce contrôle a priori, en cours, et a posteriori. Cela fait partie du travail que nous devons mener.

Au-delà, je tiens à ce que cette politique publique qui est menée puisse continuer et qu'elle ne soit pas entachée par les erreurs qui sont constatées ni par les fautes, qui seront sans doute sanctionnées dans les prochaines semaines. Je le répète, cette politique publique est absolument essentielle. On le voit sur la question de la laïcité à l'école, pour ne prendre que cet exemple, où on a des réseaux extrêmement puissants qui touchent nos jeunes. Si on n'est pas en capacité d'avoir ce qu'on appelle - c'est peut-être maladroit - du contre-discours républicain, on ne sera pas en capacité de lutter. C'est bien ces messages qui génèrent la radicalisation et, derrière, malheureusement, le terrorisme.

Je pense donc vraiment que cette politique publique doit être continuée. Oui, il y a eu visiblement des erreurs, et elles ne doivent pas emmener l'ensemble de la politique publique.

Pour finir, le secrétariat général du CIPDR est une organisation qui a grossi avec le temps en fonction des problématiques. J'ai missionné, le 3 février dernier, totalement en décalage et sans aucun lien avec la question du Fonds Marianne, qui est arrivée après, l'IGA pour me faire des propositions en matière de réorganisation du secrétariat général du CIPDR, qui a grossi, avec de nouvelles missions comme la question des mineurs retour de zones, etc.

On a besoin de cette réorganisation. Je crois que, dans ce cadre qui, encore une fois, n'est pas forcément en lien avec la question du Fonds Marianne, les travaux de l'IGA sur cette réorganisation, sur les questions particulières du Fonds Marianne et les résultats de votre commission d'enquête nous amèneront à avoir des procédures plus solides à l'avenir pour continuer cette politique publique.

M. Claude Raynal, président. - Quelques collègues souhaitent vous interroger.

M. Jérôme Bascher. - Ma question est liée à une vieille pratique administrative qui était la mienne : il me semblait que, lorsqu'on écrivait une note au ministre, bien avant que le mail et WhatsApp soient autant répandus, on le faisait sous couvert du directeur de cabinet et du directeur d'administration centrale, histoire de faire valider un certain nombre d'éléments.

Est-ce qu'aujourd'hui cette pratique est encore la même ? C'est une chose que j'aimerais savoir.

M. Daniel Breuiller. - Je comprends et partage par ailleurs votre souhait que la politique publique perdure. Avez-vous aujourd'hui une stratégie suffisamment pensée pour la mettre en oeuvre ? Par exemple, des universitaires ont-ils travaillé à vos côtés pour se demander comment pénétrer les réseaux sociaux ? Est-ce que vous pensez qu'il faut une diversité d'intervenants et d'associations ou plutôt des personnes très homogènes ?

C'est pour moi une grande interrogation, parce que les valeurs de la République sont un bien commun, et je me suis interrogé sur le fait qu'on choisisse ou qu'on ne choisisse pas. Est-ce qu'il y a un vivier ? Est-ce que, pour vous, par exemple, la diversité des formes et des méthodes d'intervention sur le Net est un sujet que vous retenez ou qui est étudié ? Est-ce qu'il y a des changements de ce point de vue en termes de stratégie pour pénétrer dans les réseaux sociaux ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Madame la ministre, j'ai participé ce matin à l'audition de Mme Schiappa, et je sens deux ambiances de travail différentes. Je crois comprendre que vous avez remis un peu d'ordre ou, dans tous les cas, que vous avez la volonté de remettre de l'ordre dans les pratiques au sein de votre ministère. Vous nous avez donné quelques indices. Je crois, par bienveillance à l'égard du Parlement, que vous attendez également les recommandations de notre commission d'enquête pour examiner tout cela et faire un cocktail qui soit un peu plus agréable au vu de l'enjeu qui est le nôtre, à savoir répondre aux menaces de déstabilisation de notre modèle républicain.

Je pense qu'il serait utile que, dans l'interministérialité, votre style, plus en phase avec les objectifs d'intérêt supérieur de défense des idéaux républicains, soit mieux coordonné, au moins pour tirer enseignement des dysfonctionnements - c'est le mot le plus doux que je puisse utiliser - constatés durant la période précédente.

Je m'associe donc à la question de Jérôme Bascher sur l'organisation interne pour éviter, demain, de se retrouver dans cette situation. Je tiens à redire ici que le sujet qui nous a amenés à nous retrouver au sein de cette commission d'enquête est un sujet sérieux. C'est la déstabilisation du pacte républicain, avec l'assassinat d'un professeur de la République. Je pense que la rigueur que vous nous avez présentée aujourd'hui et le requestionnement des pratiques sont le moins que l'on doive à la mémoire de Samuel Paty et de toutes celles et ceux qui, avec vous, avec nous tous, concourent au respect des valeurs républicaines et à notre modèle d'intégration, qui exclut par définition toutes les logiques de cessation, de sécession et de séparation républicaine !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais inscrire une partie de mon propos dans la continuité des interventions de Jérôme Bascher et de Jean-Michel Arnaud.

J'ai parfois senti, dans l'audition de ce matin, une forme d'irritation lorsque nous avons cherché à replacer le temps des procédures et des validations.

J'entends ce que deux de nos collègues viennent de demander, ce qui, à mon avis, va obtenir une réponse positive de votre part, madame la ministre, sur ce que j'appelle une méthode de travail, une démarche rigoureuse, qui est une garantie de bonne administration et de sécurité juridique des actes et des décisions politiques, puis administratives.

Deuxième élément : vous avez parlé du Fonds Marianne, mais vous avez aussi employé le mot « d'affaire du Fonds Marianne ». Vous avez évoqué le fait que, peut-être, des fautes seront certainement sanctionnées dans les prochaines semaines. Vous avez également dit : « oui, il y a eu des erreurs, mais il ne faut pas tout jeter ». Ce ne sont pas tout à fait les mots que vous avez utilisés. On a en moins d'une heure, alors que vous avez pris le relais du dossier, de la part du Gouvernement, dans la continuité républicaine, des réponses qui me paraissent plus en rapport avec les éléments de notre questionnement et ceux qui sont aujourd'hui mis sur la place publique.

Cela n'a pas du tout été le cas ce matin. Il s'agit juste de poser les éléments objectifs. Il faut comprendre que les élus que nous sommes, en charge d'apprécier les faits et de contrôler l'action du Gouvernement dans ce domaine - et ce n'est pas facile -, essaient de toujours garder cette ligne.

Je poserai une dernière question. L'ambition initiale de l'État, dans un contexte atroce, à la suite d'un événement qui a glacé la France et donné un sursaut d'unité républicaine, était de mener le combat contre les discours séparatistes ou l'islamisme radical par tous les moyens. L'État n'est pas parvenu à les combattre comme il le souhaiterait par le seul système institutionnel.

On a le sentiment - et j'ai besoin de savoir si vous partagez mon avis en tout ou partie - que cette grande ambition s'est amenuisée, avec un fort manque de rigueur et sans qu'on ait une grande visibilité de l'action ni du bilan. Je comprends que le Gouvernement essaie de protéger les associations et celles et ceux qui les animent, mais on investit quand même un tout petit peu plus de deux millions d'euros en attribuant à quatre associations près de 1,4 million d'euros. D'autres ont moins, mais travaillent également, et un certain nombre - pour ne pas dire un grand nombre - sont des partenaires habituels de l'État.

Que fait-on du Fonds Marianne, une fois qu'on aura mis au clair ce qui a dysfonctionné ? Quels enseignements en tire-t-on en termes d'ambition ? Est-on au rendez-vous ? En est-on un peu, beaucoup ou très éloigné ? Il est évidemment important qu'on contrôle la bonne utilisation des sommes, la bonne organisation de la sélection et des choix, mais le Fonds Marianne impose une éthique dans les comportements et de la droiture au regard de la mémoire de la victime, et nous oblige encore plus.

Mme Sonia Backès, secrétaire d'État. - Tout d'abord, les pratiques anciennes sont toujours d'actualité. Je ne sais pas si c'est de nature à vous rassurer ou à vous inquiéter. Vous avez parlé de validation de subventions : je ne valide pas les subventions. Je n'en ai pas la liste. C'est mon cabinet qui le fait, dans le cadre de l'impulsion qui est la mienne, de manière plus globale, en matière de politique publique.

Quelle politique publique mène-t-on ? En répondant à cette question, je vais répondre à l'ensemble des questions qui ont été posées en disant que cette politique est menée par l'ensemble du Gouvernement. Il n'y a pas des ministres qui le font et d'autres qui ne le font pas. C'est bien une politique publique, qui est initiée par le Président de la République, qui est menée par l'ensemble du Gouvernement et que je mène à mon niveau avec beaucoup d'humilité. On a en effet parfois le sentiment de vider l'océan avec une petite cuillère quand on s'attaque à ce sujet.

Ceux qui sont ou qui ont été élus locaux le savent : un travail extraordinaire est fait dans les préfectures, notamment avec les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR), qui visent petit à petit à déstructurer les réseaux qui, une fois coupés, se remettent en place aussi vite qu'on les a cassés. On a, avec la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), des outils nouveaux, objectivement assez extraordinaires, notamment les outils financiers, pour enlever les moyens à ceux qui s'en prennent à la République et aux enfants de la République en particulier.

Cette politique est menée sur le plan large. J'ai parlé de Pharos, qui s'attaque à la haine en ligne, qui est un sujet énorme. Sur les réseaux sociaux, on travaille pour construire notre politique, évidemment avec des universitaires, que reçoit le SGCIPDR. J'ai moi-même eu l'occasion d'en recevoir. On travaille également sur ces sujets avec l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur (IHEMI). On travaille notamment sur du « pre-bunking » pour que, lorsque quelqu'un va chercher par exemple sur les réseaux sociaux ce qu'est l'abaya, le premier contenu qui est trouvé soit plutôt produit par nous pour alerter sur les risques de séparatisme et de radicalisation. C'est un exemple qui est porté par un certain nombre d'universitaires.

On travaille sur ce sujet dans plein de directions, là aussi avec beaucoup d'humilité. Certaines choses fonctionnent, d'autres fonctionnent moins bien, en fonction des publics. Vous parliez de la difficulté de mesurer l'impact d'une vidéo qui a un million de vues, qui ne s'adresserait pas au bon public : c'est évidemment extrêmement difficile, mais je pense que ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il faut abandonner.

Je pense qu'il faut continuer dans toutes les directions dont j'ai donné quelques exemples. Au final, on se rend compte que cela amène quand même des résultats. Je l'ai dit, malheureusement, les prêches les plus dangereux ne sont plus dans les mosquées, alors qu'ils l'étaient auparavant. On a malgré tout évolué. On n'a plus aujourd'hui de prêche extrêmement violents ou dangereux dans les mosquées ou les librairies. Cela a été transposé, mais cela ne disparaît pas.

Tout le travail qu'on est en train de mener sur la question des financements de ces réseaux est absolument essentiel et, petit à petit, on déstructure ce qu'on a en face de nous. C'est une politique publique difficile, et je pense qu'on a besoin, sur ces sujets, du soutien de tous, du travail des services de renseignement, des préfectures et de l'ensemble des acteurs.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre.

La réunion est close à 18 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 15 juin 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Fonds Marianne - Audition de M. Mohamed Sifaoui, directeur des opérations de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM)

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le Directeur, Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne et la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons ce matin Monsieur Mohamed Sifaoui en tant que directeur des opérations de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM) à l'époque des faits. Nous avions souhaité vous entendre, il y a une quinzaine de jours, mais vous n'aviez pu, pour des raisons de santé, venir devant notre commission. Mardi dernier, une perquisition à votre domicile le matin vous a empêché de répondre à notre convocation. Nous sommes donc heureux de pouvoir enfin vous entendre.

Notre commission d'enquête ne doit pas interférer avec la procédure judiciaire en cours. Nous ne sommes pas là pour qualifier des faits en référence à des éventuelles infractions pénales, ce qui relèverait de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire. Notre commission d'enquête a pour seul objet de se pencher sur la préparation, la mise en oeuvre et le contrôle du Fonds Marianne, et d'en évaluer les résultats, comme cela est naturel s'agissant d'une politique publique mise en oeuvre après un évènement particulièrement dramatique que chacun d'entre nous garde en mémoire.

À cet égard, nous aimerions savoir comment vous avez été amené à présenter un dossier en réponse au Fonds Marianne. Le préfet Gravel nous a indiqué lors de son audition que vous représentiez une « caution scientifique évidente ». Vous pourrez nous indiquer si ce qualificatif vous semble adéquat et nous expliquer plus précisément la manière dont vous avez ensuite été impliqué en termes de mise en oeuvre, ainsi que les résultats que vous estimez avoir obtenus.

Je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment, à dire toute la vérité et rien que la vérité. Levez la main droite et dites « je le jure ».

M. Mohamed Sifaoui. - Je le jure.

M. Claude Raynal, président. -Je vous laisse, si vous le souhaitez, la parole pour un propos introductif.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je vais être assez bref pour expurger surtout un certain nombre de points qui me tiennent à coeur, et que vous avez commencé, d'une certaine façon, à rappeler. Je ne suis dupe de rien, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Sans préambule, car votre temps est précieux, je vais entrer dans le vif du sujet. Je vais parler en toute transparence pour vous donner les éléments afin que vous puissiez vous approcher de la vérité, au plus près, mais je vais parler en toute transparence pour dire aussi des choses qui me déplaisent, que j'ai entendues et que je ne peux laisser passer. Je vais probablement - je ne l'espère pas - alimenter la polémique à travers ce que je vais vous dire. J'aurais préféré franchement ne pas m'exprimer ainsi, mais, malheureusement comme souvent dans ce type d'affaires, l'indécence l'emporte sur la raison et sur la retenue.

Je le dis, Mesdames et Messieurs, devant vous tous, sous serment, et devant l'opinion publique : non, non, non et non ! Le sujet qui intéresse votre commission d'enquête n'est pas l'expression de la « République des copains », pour reprendre le propos scandaleux, car insultant et diffamatoire, utilisé par l'un de vos collègues sur une chaîne de télévision, en l'occurrence Public Sénat. Je parle de vous, Monsieur le Sénateur Daniel Breuiller. Il n'y a pas eu de copinage dans cette affaire, et je vous prie, Monsieur le Président, de rappeler à vos collègues la décence qu'exige cette affaire, ne serait-ce que pour la mémoire de la victime que vous avez citée. Le premier copinage qui devrait d'ailleurs être dénoncé est celui qui lie votre courant politique, celui des écologistes, à l'islamisme, et ce dans plusieurs villes de France. Voilà l'intitulé d'une vraie commission d'enquête, permettez-moi l'expression, qui « aurait de la gueule ». Ainsi, je ne puis tolérer, et je pense qu'aucun démocrate ne peut le tolérer, que l'on puisse, lorsqu'on est sénateur, élu et de surcroît membre d'une commission d'enquête, tenir dans la presse des propos accusatoires avant même la fin des travaux de cette même commission d'enquête. Je peux donc vous dire mon indignation, car ce type de procédé qui se substitue à la justice n'honore ni son auteur ni l'exercice démocratique. Je ne fais aucun amalgame parce que je sais que la majorité des sénateurs et des parlementaires ont eu une attitude de dignité. Je ferme cette première parenthèse.

Depuis plus de deux mois, j'assiste impuissant à ce piétinement d'une sacro-sainte valeur, la présomption d'innocence. Alors que nous sommes aujourd'hui, d'un point de vue pénal, au stade de l'ouverture d'une information judiciaire, certains jugent utile d'ériger déjà des bûchers. Je vous rappelle que seule la justice accuse, vous l'avez dit, Monsieur le Président. Votre rôle ici, vous le connaissez parfaitement, j'en suis conscient, et il ne consiste donc pas à accuser.

Avant de répondre à vos questions, Mesdames et Messieurs les sénateurs, avant de livrer ma vérité en toute transparence, je souhaiterais quand même remettre les enjeux au centre du village, sans me dérober et sans éviter aucune question. Je suis sous serment - je l'ai rappelé et vous le savez. Il y a eu sans doute des erreurs partagées dans cette affaire, et je vous ferai part au fur et à mesure des griefs que j'ai moi-même contre les uns et les autres, les politiques, l'administration. Mais contrairement à d'autres, je ne suis pas venu ici pour défendre une carrière, faire de la communication ou me justifier comme se justifierait un coupable parce que je ne suis coupable de rien d'un point de vue pénal. Le fond, et le plus grave à mes yeux, est ce que je vais vous dire.

Aujourd'hui, et j'ai des griefs contre elle, on s'attaque à une ministre de la République. En vérité, on s'attaque à un gouvernement au mépris de la vérité parfois. Non, je le dis, Marlène Schiappa n'est pas mon amie, elle ne l'a pas été hier et elle le sera encore moins demain. Mais non, Marlène Schiappa n'est coupable ni de détournement d'argent ni d'un quelconque copinage, je le précise. Je vous dirai de quoi elle est responsable à mes yeux, politiquement parlant. On s'attaque à l'honneur d'un préfet, Christian Gravel, mais en vérité, on est en train de s'attaquer à l'honneur de toute une administration. Je ne suis pas un haut fonctionnaire - je suis un citoyen engagé -, mais je suis scandalisé par la manière par laquelle, au-delà des erreurs qu'il est légitime de rechercher, on cherche à jeter le bébé avec l'eau du bain. Christian Gravel, que je connais depuis au moins une quinzaine d'années, est un républicain de conviction et un homme de grande valeur. Il n'est coupable d'aucun détournement de fonds et n'a exprimé à aucun moment une volonté quelconque que j'aurais pu percevoir de détournement de fonds. On pourra discuter plus tard de ce qui peut être objet de débats. On s'attaque enfin à un homme, ma personne. On s'attaque à mon honneur et à ma réputation - je l'avoue, ce n'est pas nouveau, surtout depuis que le populisme et une certaine presse qui s'est mise au service de ce populisme sont devenus à la mode. Mais au-delà de ma personne, on s'attaque surtout à un courant de pensée, celui qui croit à la République et à la laïcité, qui n'a pas peur d'exprimer clairement ses positions contre l'Islam politique. Donc c'est un processus de délégitimation. Mais soyez conscients, au-delà de tout, qu'il s'agit de s'attaquer à une action, une impérieuse nécessité, me semble-t-il, qui nous enjoint de lutter contre l'Islam politique, véritable fléau qui ne cesse de gangréner nos sociétés. Et quand je vois certaines lâchetés, je comprends tous les jours pourquoi cet islamisme continue de gangréner cette société. Ce fléau trouve aujourd'hui des relais, quoi qu'on puisse en dire, et des complices, y compris au sein d'une partie de la sphère politique, de la société civile, et parfois malheureusement au sein des systèmes médiatiques sclérosés globalement médiocres, qui alimentent le populisme, lequel s'est mis lui-même au niveau des réseaux sociaux.

Avec fermeté donc, je tiens à démentir catégoriquement toutes les accusations graves et mensongères, les approximations et les contre-vérités qui ont été relayées et qui ont suscité la naissance de votre commission, mais aussi malheureusement, d'un pathétique rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) instruit exclusivement à charge, avec des approximations, des insinuations graves et des mensonges. J'espère que mon intervention permettra de mettre un bémol, un peu de nuance, à cette folie quasi généralisée qui entoure cette histoire, où des accusations tranchées sont proférées dans un esprit le plus souvent de règlement de comptes et de vendetta idéologique.

Pour finir, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, permettez--moi de parler un peu à la première personne. N'y voyez là aucune forme de prétention ou d'arrogance, mais la nécessité de vous dire clairement qui je suis, quelles sont mes valeurs et quels sont mes principes. Je suis un farouche opposant à tous les extrémismes, les islamistes bien sûr, mais aussi tous les tenants de toutes les formes de populisme. C'est ce qui a structuré mon long parcours de journaliste engagé, c'est ce qui a nourri mon expression. C'est la raison pour laquelle mes détracteurs se ramassent aujourd'hui à la pelle. C'est la raison pour laquelle aussi, depuis une trentaine d'années, Mesdames et Messieurs, je n'ai pas eu le droit à une vie normale. La mienne a été jonchée de cadavres, elle a été jonchée de sang. La mienne a été alimentée de menaces de mort. Ma vie n'est pas celle à laquelle aspire n'importe quel père de famille. Mes enfants, contrairement aux vôtres, n'ont pas grandi dans un contexte normal. Ils ont grandi avec des policiers, postés parfois 24 heures sur 24 devant leur domicile comme s'il s'agissait d'une ambassade, presque comme une citadelle assiégée, avec un père obligé d'être accompagné lui-même de gardes du corps depuis 2003, lors de ses moindres déplacements. Ceux qui m'aiment sont obligés de supporter la vie qui est la mienne, car dans la France d'aujourd'hui, on ne peut plus s'exprimer librement, malheureusement, surtout lorsqu'on s'attaque aux extrémistes, et singulièrement lorsqu'on vise l'Islam politique.

Je n'ai pas construit ma vie autour des questions matérielles, je vous le dis, mais j'ai consacré celle-ci à défendre des valeurs universelles et humanistes. Je n'ai pas bâti mes relations à travers une logique de copinage intéressé. Ceux qui défendent la République, ceux qui défendent la laïcité et ceux qui rejettent sincèrement l'islamisme sont tous mes copains, pour reprendre l'expression de votre collègue. Et vous comprendrez, Mesdames et Messieurs, que certains ne peuvent pas être mes copains, lorsqu'ils ne défendent pas ces valeurs. Lorsque l'année dernière, on m'a proposé pour une décoration, je l'ai refusée même s'il paraît qu'on ne refuse pas une décoration. Je l'ai refusée parce que je n'attends ni récompense, ni honneur, ni argent, ni aucun privilège. En revanche, j'exige du respect, -j'exige du respect M. Breuiller - un respect similaire à celui que je vous témoigne à tous en votre qualité d'élus, en votre qualité de femmes et d'hommes, un respect similaire à celui que j'ai toujours témoigné pour cette République que vous incarnez et que je n'aurai de cesse de défendre.

M. Claude Raynal, président. -Merci, Monsieur Sifaoui. Comme vous le voyez, je vous ai laissé un certain temps d'intervention.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie, Monsieur le Président - on va vous accuser d'être dans un copinage...

M. Claude Raynal, président. -Si je l'ai fait, c'est surtout parce que jusqu'à présent, vous n'aviez pas eu l'occasion de vous exprimer publiquement sur des sujets où effectivement vous avez été mis en cause dès le départ. Je voudrais tout de même vous dire que quelques propos ne peuvent pas fonctionner. L'un de ces propos ne doit pas se traiter ici - il a l'intérêt d'être dit publiquement, et c'est votre ressenti concernant les propos de l'un des collègues de cette mission - mais je pense que les choses peuvent se traiter autrement. Vous avez utilisé le terme « on s'attaque ». Or, cette commission d'enquête ne s'attaque à personne, ni à un ministre, encore moins à un gouvernement. Elle établit les faits, elle pose des questions, elle écoute les réponses, elle en tire des conclusions. Tout cela n'est pas « s'attaquer ».

Bien entendu, je ne crois pas que vous ayez pu entendre qui que ce soit parler de détournement d'argent pour Madame la Ministre, de copinage de manière générale, sauf une citation que vous avez faite. Ce n'est pas notre sujet ici. De la même façon, on ne s'est pas attaqués au préfet Gravel. Je respecte, et tous les membres de cette commission respectent les préfets de la République. Nous avons simplement posé des questions sur des points de procédure, des méthodes administratives, des façons de faire et des résultats. Nous sommes dans notre rôle, et cela n'enlève rien aux qualités propres de la personne. Nous avons toujours considéré qu'il peut y avoir dans une vie de qualité des moments où il peut y avoir des erreurs. Nous avons même fait un texte de loi sur la prise en compte du « droit à l'erreur ». Nul homme n'est parfait et il peut y avoir, à un moment ou à un autre dans une carrière, des difficultés particulières. Nous les avons pointées, nous les pointerons dans notre rapport, et c'est tout. C'est notre rôle. Il revient ensuite à l'administration de dire ce qu'elle a à dire, avec le rapport de l'IGA, et nous verrons les prises de décision personnelles. En aucune façon, nous ne sommes dans un système d'attaque de qui que ce soit. Dans notre audition, nous ne nous attaquerons pas à vous non plus. Nous demanderons à établir des faits, nous questionnerons et vous répondrez aussi précisément que vous le voudrez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je partage la totalité des propos du Président, Claude Raynal, et souhaite simplement faire deux remarques comme je l'ai fait hier à l'issue du propos introductif de la ministre Madame Schiappa. Il ne faut pas confondre les temps, les lieux et les procédures. Nous sommes ici dans une commission d'enquête parlementaire, en l'occurrence sénatoriale. Il existe deux autres procédures, l'une devant le parquet national financier et l'autre devant l'IGA. Je ne porte pas de jugement. J'entends ce que vous ressentez, mais je pense que c'est auprès de ces instances que vous avez à exprimer votre sentiment. Nous sommes ici dans un temps de contrôle parlementaire le plus abouti de l'action du gouvernement et de la dépense publique, sur un sujet éminemment important. Je ne mélange pas les genres. Nous avons tous des parcours différents, faits de hauts et de bas, et nous devons ici, à cet instant, nous extraire de cette condition pour établir, analyser, comprendre et tenter de bien identifier la réalité des faits et de faire émerger la vérité afin de tirer les enseignements que, dans le cadre de cette commission d'enquête, en tant que sénateurs, nous souhaitons livrer dans un rapport qui sera rendu public. Je pense enfin que nous sommes tous animés de la volonté de faire reculer les discours séparatistes.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons démarrer par l'origine du Fonds Marianne. Vous l'avez dit, vous avez des relations anciennes avec le préfet Gravel. Vous a-t-on associé d'une façon ou d'une autre aux travaux préparatoires en vous consultant sur certains aspects de sa création ? Nous savons que vous avez participé en tant qu'expert aux réflexions sur la loi. Cela a-t-il été plus loin ensuite sur la création du Fonds Marianne ?

M. Mohamed Sifaoui. - Avant de répondre, juste un point pour que mon propos soit très clair : j'ai utilisé le « on » impersonnel, je ne visais aucunement votre commission d'enquête, mais, même si la plupart d'entre vous n'en ont pas besoin, je répondais à l'ambiance toxique générale qui entoure cette affaire afin aussi que vous y soyez vigilants.

Le contexte qui m'a amené à rencontrer le cabinet de Madame la Ministre Marlène Schiappa est le suivant. D'abord, depuis les attentats du 11 septembre 2001, j'ai été sollicité régulièrement par plusieurs institutions et j'ai toujours répondu favorablement et bénévolement. Je tiens à préciser à ce titre que tout au long de ma carrière, je n'ai jamais bénéficié d'un seul centime de fonds publics, ni sollicité ni agi dans une logique de rémunération, et ce jusqu'à l'année qui intéresse le sujet que vous traitez. Je ne vais pas vous faire le long parcours de consultations diverses et variées ; que ce soit sous le regretté Jacques Chirac, sous l'ancien Président Nicolas Sarkozy, sous le Président François Hollande et évidemment sous l'actuelle présidence d'Emmanuel Macron, j'ai été reçu à maintes reprises par plusieurs institutions régaliennes qui s'intéressent à la thématique qui est la mienne, et qui est celle de beaucoup d'autres personnes qui travaillent sur ces thématiques - je ne suis pas la seule personne à avoir été consultée.

À partir des années 2015-2016, la pression terroriste s'étant accentuée, la manifestation de la menace intérieure - le terrorisme domestique - s'est révélée avec acuité, illustrant ce que je présageais au début des années 2000, mais qui était totalement inaudible à cette époque, à savoir que cette évolution allait donner lieu incontestablement à des actions terroristes perpétrées par des citoyens français contre d'autres citoyens français, chose qui était totalement inaudible au début des années 2000. On me prenait pour un cinglé quand je disais qu'il y allait avoir des attentats, des décapitations, et des gens qui allaient tirer à la kalachnikov dans les rues de Paris ; je l'ai dit, je l'ai écrit et je l'ai annoncé en m'appuyant sur des faits objectifs.

À partir de 2015, je me suis dit que la société en avait pris conscience, mais surtout les décideurs politiques qui, souvent, face à ce sujet de l'Islam politique, ont fait preuve sinon de calcul, de méconnaissance, voire parfois clairement de lâcheté politique. En 2015-2016, la situation malheureuse a permis à tout un chacun de prendre conscience du danger terroriste, mais la question idéologique de l'Islam politique n'était pas du tout traitée. Je me suis donc attelé, à partir de 2016, à travailler inlassablement sur la question idéologique, substrat des actions terroristes que nous subissions, et qui n'était pas véritablement prise en compte en tant que telle. Autant la menace terroriste avait suscité la naissance d'une doctrine d'État qui s'est manifestée par des actions policières de renseignement et de justice où la société civile n'avait pas grand-chose à faire sinon à essayer d'alerter sur des comportements suspects, notamment parmi la jeunesse, ce que l'on appellera après les « signaux faibles », autant la question idéologique n'était pas du tout traitée. Or, j'ai toujours pensé qu'il fallait imaginer deux choses. D'abord ériger une vraie doctrine anti-islamiste, c'est-à-dire assumer un combat idéologique contre l'Islam politique et surtout mettre en place des mécanismes de prévention de la radicalisation et des mécanismes de contre-narration, notamment sur les réseaux sociaux, d'autant plus que les mouvements toxiques et extrémistes ont tous déployé une propagande extraordinaire depuis la naissance des réseaux sociaux et ont pris de court et de vitesse les États. La France évidemment était de ce point de vue très en retard.

À partir de l'année, je dirais, 2019, - je ne citerai pas de noms, d'autant plus que chaque nom qui sort est soumis au lynchage médiatique et populiste de certains courants politiques que j'ai cités tout à l'heure - j'ai été reçu à plusieurs reprises par un certain nombre de hauts responsables, avec d'autres personnes, que ce soit avec eux ou séparément, dans plusieurs ministères, cabinets, par plusieurs conseillers, personnalités et ministres. La question était la suivante : « que doit-on faire à votre avis pour faire face à cette pression islamiste qui se manifeste de différentes façons ? ». C'est la question, me semble-t-il, posée à tous ceux qui travaillent sur le sujet et qui ont été reçus.

À partir de l'été 2020, après la nomination de Madame Marlène Schiappa comme ministre déléguée à la citoyenneté, j'apprends qu'un de ses conseillers, que je vais appeler « conseiller 1 », est intéressé par un échange intellectuel avec moi. J'entre en contact avec ce conseiller 1 à partir du mois de septembre, d'abord par texto, ensuite téléphoniquement. Nous nous rencontrons ensuite physiquement, nous échangeons et nous faisons le constat que nous défendions les mêmes valeurs et d'une nécessité d'agir. Surtout, j'ai compris qu'il y avait une traduction politique à partir de 2020, un vrai changement de doctrine qui allait dans le sens que j'avais toujours défendu, à savoir que l'État allait enfin affronter l'Islam politique, l'idéologie islamiste, et mettre les moyens politiques pour répondre à la propagande islamiste de plus en plus pressante contre la France, la République, les institutions, les élus, les universitaires, les journalistes, etc. Évidemment, quand je vois cette réorientation de la politique étatique, c'est une chose que j'ai toujours défendue, et je décide de la soutenir, d'abord intellectuellement en tant que personne engagée. J'exprime ce soutien de différentes façons, sur les réseaux sociaux, dans mes publications, mes émissions de télévision, etc.

À partir de la rentrée 2020, le Président de la République va tenir un discours important, le discours des Mureaux contre le séparatisme islamiste, et les choses vont s'accélérer. Quelques jours plus tard a lieu l'assassinat du professeur du collège de Conflans-Sainte-Honorine, suscitant évidemment une émotion légitime. À ce moment, la volonté politique déjà affichée s'accentue. Les pouvoirs publics sont interpellés pour agir plus vite. Concours de circonstances, au moment où la politique gouvernementale entend concrétiser sa volonté de répondre à la propagande islamiste sur Internet, on découvre deux choses. On découvre d'abord que le crime terroriste qui a coûté la vie à ce professeur était lié de façon directe et matérialisée à la propagande islamiste sur les réseaux sociaux. En onze jours, ce professeur a été diabolisé ; en onze jours on a utilisé le discours victimaire, et en onze jours seulement quelqu'un qui n'était pas du tout en contact avec les personnes qui diabolisaient la victime allait passer à l'acte. On connaît la suite. Le constat que j'avais personnellement porté, et que je n'étais pas le seul à porter, se matérialisait par un fait dramatique. Deuxième évènement de hasard, le 2 ou le 3 octobre, au moment du discours des Mureaux, Christian Gravel est nommé au comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR).

À partir de là, j'ai trois types de rencontre. J'ai eu des rencontres au ministère de l'Intérieur, notamment au département de Madame Schiappa, et au CIPDR avec Christian Gravel. J'ai eu des rencontres régulières à la demande - j'insiste, à la demande - du cabinet de Madame Schiappa. Je n'ai jamais sollicité un rendez-vous pour aller faire des offres de services. Il y a différents conseillers, celui que j'ai appelé conseiller 1, avec lequel j'ai une relation très cordiale aujourd'hui, car il n'a jamais agi d'une façon qui pourrait me laisser penser qu'il y avait quelque chose de malsain, le conseiller 4 que j'avais rencontré quelques mois plus tôt au CIPDR avant même l'arrivée de Christian Gravel, car j'étais aussi en contact avec le prédécesseur de Christian Gravel, et le conseiller 3 et le conseiller 2, soit les quatre conseillers avec lesquels je vais être en contact de façon régulière en septembre, octobre, novembre, décembre, janvier, février, mars et jusqu'au mois d'avril. Tout ce processus se passe sur deux sujets, à savoir d'abord des consultations pour alimenter la ministre dans le cadre de tout ce qui allait être la future loi séparatismes, etc. afin qu'elle comprenne quels étaient les enjeux, et ensuite une demande de leur part pour que je traduise les idées et les pistes que j'offrais pour qu'ils s'en emparent et qu'ils en fassent ce qu'ils veulent. À aucun moment je me dis que je vais proposer un projet pour moi. Tout cela se fait gracieusement à ce stade.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons essayer de préciser les choses. Vous vous êtes peu exprimé oralement, mais vous avez twitté. Dans un tweet, vous rappelez que vous n'avez pas pris cette initiative spontanément, mais que vous y avez été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Madame Schiappa et par elle-même.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous le redis sous serment aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous développer ce point ?

M. Mohamed Sifaoui. - Excusez-moi, je rigole car je suis quelqu'un d'assez jovial. J'ai dit que Madame Schiappa n'était pas mon amie, qu'elle ne l'a jamais été et qu'elle le sera encore moins demain. Je dis cela, car je n'aime pas et je ne respecte pas les gens qui n'ont pas de courage. Madame Schiappa est innocente, mais son attitude est curieuse. Elle a une attitude de quelqu'un qui est coupable. Mais elle n'est coupable de rien, et je vous le redis devant vous !

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le sujet, et d'ailleurs nous ne parlons pas de culpabilité.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, mais elle a une attitude de coupable, c'est moi qui le dis. Si j'étais un observateur extérieur, je me dirais que Madame Schiappa a quelque chose à se reprocher. Et c'est bizarre, car elle n'a rien à se rapprocher.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas à vous de le dire.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous donne mon sentiment.

M. Claude Raynal, président. - Revenons-en aux faits. Vous dites avoir été encouragé notamment par Madame Schiappa. Le confirmez-vous et, le cas échéant, comment cela s'est-il traduit ?

M. Mohamed Sifaoui. - Cela s'est traduit par des rencontres en fin de réunion avec son cabinet, et je vais citer deux rencontres notamment. À l'issue d'une réunion portant sur le projet que j'ai proposé, quand la ministre sort pour vous saluer et pour vous dire « je compte sur vous » ; est-ce que c'est encourager à mettre en application un projet ou pas ? Ou encore quand les conseillers de la ministre me disent qu'elle apprécie énormément le projet que je leur ai présenté, qu'elle croit en ce projet, qu'elle s'en inspire énormément et qu'elle m'encourage à le présenter et à le défendre, et qu'ils disent qu'il sera regardé avec bienveillance ? Ou troisièmement, enfin à l'issue d'une rencontre que je devais avoir en tête à tête avec elle le 22 avril 2021, mais qui a finalement été annulée en raison d'un agenda compliqué, et qu'elle arrive en fin de rendez-vous avec son directeur de cabinet Sébastien Jallet, me salue et me dit encore une fois qu'elle compte sur moi et m'encourage vivement à mettre en application mon projet le plus rapidement possible.

Je mets toutefois un bémol : il est vrai qu'à aucun moment, ni Madame Schiappa, ni son cabinet n'ont pris un engagement financier à mon égard. Il y a eu trois étapes, à savoir un processus de réflexion qui a abouti au projet, une présentation du projet par moi-même - que j'ai fini par décider, car je me suis dit que si j'ai toujours défendu cette idée, pourquoi ne pas l'appliquer - et la troisième étape, une validation politique du cabinet de Madame Schiappa. Il restait une dernière étape, la validation administrative et financière du projet. Concernant le projet - j'ai entendu une histoire de 300 000 euros, cela ne va pas résister à un examen froid, distancié et documenté de la chronologie que je vais vous citer dans le détail. On n'a jamais parlé de 300 000 euros !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les déclarations que vous faites sur les discussions ou les rencontres avec Madame Schiappa confirment semble-t-il les déclarations de la ministre hier, qui explique que c'est plutôt entre deux portes, assez furtif, et que ce n'est pas un entretien d'une heure ou deux heures durant lequel le projet serait discuté en tête à tête avec des conseillers. Concernant vos propos selon lesquels, à partir du 2 ou 3 octobre 2020, quand Monsieur Gravel est nommé secrétaire général du CIPDR, il y a de manière suivie un certain nombre d'échanges et de rencontres avec les autorités politiques et administratives : pouvez-vous nous communiquer aujourd'hui ou très rapidement des éléments tangibles qui confirment vos déclarations, comme une chronologie des dates et des e-mails de confirmation de ces rencontres ? À l'heure actuelle, je prends note de vos déclarations sur vos contacts réguliers avec des autorités administratives et politiques, mais il nous faut des éléments tangibles, que vous pouvez nous faire suivre tout de suite ou à l'issue de l'audition.

M. Mohamed Sifaoui. - Désolé de ne pas pouvoir vous les communiquer aujourd'hui, et pour tout vous dire, j'avais préparé toute une documentation avec laquelle je devais venir, mais j'ai reçu une visite très courtoise du juge d'instruction, de la représentante du parquet et de policiers qui ont saisi et mis sous scellé tous les documents concernant cette affaire que j'avais préparés. Il faut que je puisse recollecter l'ensemble des éléments et des traces numériques, puis je vous communiquerai les dates dès que possible par un envoi mail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Lors de son audition, le préfet Gravel nous a rapporté qu'il avait appris que l'USEPPM, dans laquelle vous avez un rôle et une fonction, pourrait bénéficier d'un soutien via le Fonds Marianne, à l'issue de l'appel téléphonique que vous avez eu avec lui quand vous sortiez du cabinet de la ministre. Vous lui aviez parlé du Fonds Marianne en lui faisant comprendre qu'à la fois par votre statut, votre implication et votre investissement, vous aviez toute votre place pour ce fonds. Tout cela se passe en amont de la mise en place du Fonds Marianne qui n'interviendra qu'en avril. Est-ce bien la réunion que vous avez évoquée ? Avez-vous la date précise ? Avez-vous contacté le préfet Gravel à ce sujet et vous a-t-il signifié un quelconque engagement certain ou au contraire très évasif ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce que vous a dit le préfet Gravel est vrai, mais je mettrais un bémol et quelques nuances de précision. La question m'a été posée par les inspecteurs de l'IGA, et honnêtement j'avais oublié cet épisode. C'est en recherchant, dans ma mémoire, et en essayant de remettre la chronologie, que je me suis souvenu de la chose : la réunion au cabinet de Madame Schiappa à la fin de laquelle elle vient me saluer ne se fait pas entre deux portes, mais dure le temps d'un échange de dix à quinze minutes. Les membres du cabinet et Madame Schiappa me disent qu'un fonds, sans parler du Fonds Marianne, un fonds important dédié au contre-discours sera prochainement mis en place et qu'ils attendent les derniers arbitrages.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon votre mémoire, c'est à quelle date ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 24 mars 2021, très précisément. Je n'ai pas réagi sur le coup, mais je sens une détermination chez les politiques. Je compte sur vous pour prendre de la hauteur par rapport à cette affaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On essaie de s'y employer.

M. Mohamed Sifaoui. - Je suis sûr que vous y arriverez, je vois que vous vous donnez beaucoup de mal, je suis certain que vous y arriverez. Je ne me réjouis pas de toucher de l'argent, ce serait ridicule, je me réjouis que l'État ait enfin compris qu'il fallait dégager le nerf de la guerre pour pouvoir répondre aux islamistes. Je vous rappelle que l'Islam politique n'est pas généré par des gens éparpillés ici et là. Ce ne sont pas des individus, des jeunes de quartiers populaires. Il y a des États derrière. Ceux qui financent le discours islamiste toxique, c'est le Qatar, ce sont parfois des alliés de la France, c'est la Turquie qui est membre de l'OTAN.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'allons pas faire ici d'histoire de l'islam politique.

M. Mohamed Sifaoui. - Certes, mais le contexte est important à comprendre.

M. Claude Raynal, président. - Croyez qu'ici, nous le connaissons.

M. Mohamed Sifaoui. - Je me dis simplement qu'un fonds dédié au contre-discours est une décision politique importante. Sur ce, j'appelle alors Christian Gravel pour lui dire, croyant qu'il était au courant, que la mobilisation de ce fonds est une très bonne nouvelle, mais il me répond qu'il n'est pas au courant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez donc les mêmes propos que les déclarations du préfet Gravel qui n'ont pas complètement été confirmées par la ministre.

M. Mohamed Sifaoui. - Je pense que la ministre a des problèmes de mémoire, ce qui peut arriver.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avant le 24 mars, vous avez eu un certain nombre de contacts et d'échanges pour nourrir le débat et les projets que vous devez avoir en tête. En effet, vous allez très rapidement déposer un projet ambitieux porté par une association dont vous faites partie, ce qui signifie que vous devinez que les éléments constitutifs de votre réflexion et de votre projet vont devenir tangibles à travers un projet, C'est bien ça ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est bien ça.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ça, c'est le point de départ, la réunion du 24 mars. Une autre réunion se tient le 6 avril en votre présence et en présence du préfet Gravel et d'un conseiller chargé des relations avec les élus et les collectivités. Quels étaient l'objet et le contenu de cette réunion ? Des éléments nouveaux, plus précis sur le Fonds Marianne, sur un appel à projets sont-ils abordés à ce moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Lors de la réunion du 6 avril, on ne parle pas de fonds, on ne parle que du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - De quel projet ? Vous évoquez le 24 mars l'arrivée possible d'un fonds, sans plus. Je pense donc que le 6 avril, vous allez un peu plus loin, raison pour laquelle je vous demande quel est le contenu de cette réunion et si on vous donne un peu plus d'éléments.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, absolument pas. Le 6 avril, on ne parle que du projet que je dois incarner à ce moment-là. Il y avait besoin d'affiner un certain nombre d'éléments, mais je ne leur présente aucun chiffrage. Jusqu'au 24 mars, je ne propose aucun chiffrage. Avec Cyril Karunagaran, on va chiffrer le projet entre le 24 mars et le 6 avril.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'avais bien compris. Je vous demandais donc quel était le contenu de la réunion du 6 avril et si vous avez alors une première approche systématique, stratégique, documentée, avec un projet de financement, une ébauche d'enveloppe.

M. Mohamed Sifaoui. - Le 6 avril, la réunion porte sur le projet en lui-même, sa stratégie. Le jour de l'ouverture de votre commission d'enquête, j'ai vu qu'avait fuité un des documents du dossier, à savoir la fameuse fiche synthétique. Or la subvention n'a pas été donnée par rapport à cette fiche synthétique. C'est faux. Si ceux qui avaient commenté cette fiche synthétique avaient fait preuve d'un minimum de professionnalisme, ils auraient simplement du aller voir la constitution du dossier le jour de l'appel à projets, dans lequel figuraient deux documents, à savoir une fiche détaillée et une fiche synthétique du projet. La fiche synthétique devait faire un feuillet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce vous qui venez avec ces éléments qui font l'objet de la discussion ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, moi je viens avec un projet d'une dizaine de pages ainsi qu'un bloc-notes dans lequel j'avais noté toutes les idées. Je présente le projet dans le détail, et cela prend à peu près une heure. Sur le chiffrage, je dis dès le départ qu'il n'y a absolument aucun intérêt à financer un projet qui ne soit pas pluriannuel et dont on n'est pas sûr de la pérennité. Par conséquent, entre le 24 mars et le 6 avril, nous avons travaillé avec Cyril Karunagaran sur le chiffrage d'un projet pluriannuel.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas tout à fait ce qu'il nous a dit.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien, mais c'est ce que je vous dis, et je suis responsable de mon propos. Dans ce genre d'auditions, les gens peuvent être imprécis. Nous avons travaillé sur un chiffrage pluriannuel et nous avons établi ensemble le bilan prévisionnel sur trois ans. Le chiffrage complet sur trois ans montrait que le projet allait coûter 1,5 million d'euros. Pourquoi une telle somme, qui peut faire hurler ? En effet, la riposte sur Internet nécessite la mobilisation de moyens humains séniors, des personnes confirmées. Par conséquent il faut des salaires, ce qui représente des coûts. Nous avions ainsi imaginé une petite armada de personnes capables de répondre sur Internet, raison pour laquelle sur trois ans, il était question d'une première année à 635 000 euros et de deux années à 850 000 euros.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous venez donc avec votre projet le 6 avril et vous vous quittez, je pense, en bons termes. J'imagine qu'on vous dit quelque chose à ce moment.

M. Mohamed Sifaoui. - On me dit que le projet est en train d'être étudié très sérieusement.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le mot projet ne peut pas être utilisé dans tous les sens. Vous sortez, vous vous quittez en bons termes et on vous dit que votre dossier va être étudié pour voir comment il s'inscrit dans la durée ?

M. Mohamed Sifaoui. - On me dit que mon projet va être étudié.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le lendemain est évoquée l'idée d'un appel à projets à l'initiative du gouvernement et sur lequel le gouvernement réfléchit. Je conclus de ce que vous venez de dire que le 6 avril, veille du 7 avril où sera évoquée l'idée d'un appel à projets, vous n'avez eu aucune information d'une possible démarche du gouvernement de lancer un appel à projets sur cette thématique.

M. Mohamed Sifaoui. - Absolument pas. Je n'ai aucune information laissant croire que le Gouvernement allait faire un appel à projets. À ce stade, le 6 avril, je parle au nom d'une association qui porte un projet validé politiquement, et qui est en train de discuter avec les pouvoirs publics quant à sa réalisation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'imagine que le projet a fait l'objet d'un débat avec les membres de l'association et d'un compte-rendu de validation de ce projet qui sera peut-être soutenu par le gouvernement.

M. Mohamed Sifaoui. - J'ai tenu au courant les différents membres de l'association.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec ou sans formalisme ?

M. Mohamed Sifaoui. - Avec un formalisme. Lors d'un conseil d'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec un compte-rendu de conseil d'administration ? Vous êtes sûr ?

M. Mohamed Sifaoui. - Me semble-t-il, oui. Cyril Karunagaran vous le dira mieux que moi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cyril Karunagaran nous a dit qu'il avait travaillé 24 heures sur 24 du 7 au 9 avril.

M. Mohamed Sifaoui. - Du 7 au 9, c'est autre chose. Nous avons parlé du projet à partir du mois de janvier. Le 6 avril, je termine ce rendez-vous et le 7 avril, je reçois un e-mail du conseiller 3 qui m'envoie une série de documents en me disant de les remplir et de les transmettre au CIPDR, et que nous avons 48 heures pour le faire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - À plusieurs reprises, il a été évoqué que vous étiez formateur au sein de l'unité de contre-discours républicain. Par qui avez-vous été sollicité pour réaliser ces formations et à partir de quand les avez-vous dispensées ? Étiez-vous d'ailleurs rémunéré, soit personnellement, soit au titre d'une structure d'entreprise ou associative ? Jusqu'à quand avez-vous dispensé ces formations et avez-vous eu d'autres actions avec le CIPDR, ayant éventuellement donné lieu à des rémunérations ?

M. Mohamed Sifaoui. - Revenons en octobre 2020. Lorsque Monsieur Gravel est nommé au CIPDR, j'étais déjà en contact avec son prédécesseur et j'avais aussi quelques contacts au sein du CIPDR. Monsieur Gravel m'appelle, avec d'autres, et nous propose de constituer un comité scientifique. Première étape. Il me dit qu'il a besoin du soutien de tout le monde, car il est chargé de mettre en place très vite une unité de contre-discours républicain, mais qu'il n'a pas de moyens humains suffisants qui maîtrisent la matière. Lors de discussions, soit en groupe avec les autres personnes sollicitées, soit en bilatéral, il m'a demandé s'il pouvait compter sur mon aide, ce dont je l'ai assuré. Entre le lendemain de sa nomination et novembre, j'ai agi de façon bénévole auprès du CIPDR au quotidien. Le 24 ou le 25 octobre, il m'appelle pour me dire que la ministre déléguée à la citoyenneté et lui-même souhaitaient que je prenne part à un déplacement officiel dans le Tarn, à Albi, pour participer à un séminaire. Le 26 octobre, nous nous sommes ainsi rendus, Madame Schiappa, Christian Gravel et moi-même, à Albi pour assurer cette journée de séminaires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez voyagé ensemble ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, j'ai mes contraintes donc je voyage dans des conditions qui sont gérées par le ministère de l'Intérieur. Nous avons tous les trois participé à cette journée de séminaire, puis Madame Schiappa a poursuivi sa visite ministérielle et nous sommes rentrés. J'ai continué mes relations avec le CIPDR, nous avons entamé un début d'échange intellectuel et ces sollicitations étaient quotidiennes - je ne m'en plains pas, j'y étais totalement disposé. Vers la mi-novembre, Christian Gravel m'a fait savoir qu'il était gêné par le fait de me solliciter au quotidien, qu'il comptait sur mon implication, que je serai de toute façon rémunéré et qu'il avait eu l'accord de la ministre. Cela a fait l'objet d'un devis et d'une facture en bonne et due forme. Toutes les institutions régaliennes, à commencer par la Présidence de la République, le cabinet du ministre de l'intérieur, le cabinet de madame Schiappa, savaient que j'étais totalement impliqué, que je formais les équipes de l'UCDR. Le devis a été établi fin novembre 2020.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela a été fait en nom propre au nom d'une association ou d'une entreprise ?

M. Mohamed Sifaoui. - Au nom d'une entreprise.

M. Claude Raynal, président. - Cela couvrait quelle période ?

M. Mohamed Sifaoui. - Il s'agissait d'un forfait payable en une fois sur la durée d'une année initialement, mais que j'ai fait durer jusqu'à janvier 2023.

M. Claude Raynal, président. - C'est un forfait qui a été payé plusieurs fois, puisque c'était une action à venir ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est un forfait qui a été payé en une fois, mais plusieurs mois plus tard - vous savez comment ça se passe.

M. Claude Raynal, président. - Non je ne sais pas. Dites-moi.

M. Mohamed Sifaoui. - Généralement, quand vous délivrez une facture à l'administration en novembre ou décembre, vous êtes payé quatre à cinq mois plus tard, de mémoire.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous sommes preneurs de ce document, si vous le voulez bien.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous verrez avec la police judiciaire, tout est à son niveau.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 24 mars, la réunion se tient en votre présence, celle de membres du cabinet et celle du préfet Gravel ou le préfet Gravel n'est-il pas présent ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 24 mars, le préfet Gravel n'y était pas, il y était le 6 avril. Sinon je ne l'aurais pas appelé au moment de sortir du cabinet !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quand avez-vous discuté pour la première fois avec le secrétaire général du CIPDR du projet de l'USEPPM ?

M. Mohamed Sifaoui. - Le 9 avril, Cyril Karunagaran envoie le projet chiffré au CIPDR à la demande du cabinet. À partir de là, pour une question d'organisation, Cyril Karunagaran devait être l'interlocuteur du CIPDR, car il est très à l'aise sur les questions administratives. Moi, je ne suis pas très attiré par ça.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il ne nous a pas vraiment dit qu'il était parfaitement à l'aise sur les sujets administratifs et financiers, mais comme vous formez un binôme assez proche, je voulais juste vous dire qu'il n'y a pas de sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Pardon, je n'ai pas compris votre remarque.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous l'avez comprise, et je vais la reformuler de la même manière.

M. Mohamed Sifaoui. - Pourquoi m'attribuez-vous des choses ? Quand je vous dis que je ne l'ai pas comprise, je suis honnête.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je reste cordial et courtois. Par honnêteté, parce que je n'aime pas les chausse-trappes, et je préfère que s'il y a un point de désaccord, on l'identifie. Madame la ministre m'a fait hier répéter deux fois la même question, et même la deuxième fois elle m'expliquait qu'elle ne comprenait pas. Or en général on me dit plutôt que je suis assez direct. Je vous dis que le président nous a déclaré ne pas être habitué à porter des dossiers de ce type.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous ai dit qu'il était à l'aise sur les questions administratives, je ne vous ai pas dit qu'il était spécialiste de la question des subventions. C'est vrai qu'il n'avait jamais demandé de subvention, mais il est à plus à l'aise que moi sur les tableaux Excel, et pour faire des bilans prévisionnels. Nous ne disons pas des choses contradictoires ; c'est peut-être votre lecture qui amène à voir des choses contradictoires.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On essaye de faire la lumière. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers l'USEPPM pour porter le projet de Fonds Marianne, car il ne s'agissait pas vraiment l'objet de cette association ? Quel était le lien et quels étaient alors les objectifs portés par cette association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Lorsque la discussion a lieu au cabinet, j'en informe Cyril Karunagaran très rapidement, je crois même dès décembre, mais dans mon esprit il n'est pas acté que l'USEPPM portera le projet. Je laisse le choix aux membres du cabinet auxquels je dis que je suis en contact avec quatre ou cinq associations, dont l'USEPPM dans sa dénomination complète, l'Union des fédérations des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire. Cela fait sourire tout le monde. Il me demande ce que c'est que ça. J'explique qu'il s'agit d'une vieille association de 1885 reconnue d'utilité publique, de laquelle je fais partie. Tout le monde s'est arrêté sur cette reconnaissance d'utilité publique. J'explique que depuis 2016-2017, l'association s'est réorientée sur les questions de prévention à la radicalisation.

J'ai entendu des commentaires comme quoi ce ne serait pas l'objet. Lorsque cette association est née à la fin du dix-neuvième siècle, que ses statuts sont réactualisés début du vingtième siècle et qu'elle est reconnue d'utilité publique en 1922, on est dans un contexte historique que d'aucun connaît : il est question d'armer la jeunesse. C'est une association qui préparait les enfants des petits bourgeois à aller à la guerre. Or je pense que s'il fallait dire aujourd'hui qu'il faut réarmer la société intellectuellement, et réarmer la jeunesse pour qu'elle fasse barrage intellectuellement et qu'elle devienne hermétique à la propagande islamiste, ce n'est pas contradictoire. On peut avoir une discussion, mais cette discussion, on l'aura devant les tribunaux. C'est un débat juridique sur la loi de 1901 sur les associations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En 2016-17, vous réorientez l'association. Vous modifiez l'objet de l'association. Des comptes-rendus attestent-ils de la modification de l'objet de l'association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Oui, des comptes rendus et des assemblées générales ont abordé le sujet. Lorsque Cyril Karunagaran a pris la présidence en 2016-2017, il a traité le sujet. Je reprends une expression exacte utilisée par des avocats : c'est ouvrir une « usine à gaz » que de refaire les statuts d'une association qui est déjà reconnue d'utilité publique, car ils ont expliqué que cela engendre la perte de la reconnaissance d'utilité publique et que cela est très compliqué. Je ne suis pas là spécialiste des questions administratives sur les associations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les documents dont nous disposons, il est indiqué que vous êtes salarié de l'USEPPM dans le cadre de la réalisation du projet du Fonds Marianne. Y a-t-il une compatibilité juridique entre cette situation de salarié et les statuts de l'association, puisque vous avez également indiqué au secrétaire général du CIPDR que vous alliez démissionner du conseil d'administration ? L'avez-vous fait et, le cas échéant, de quelle manière et à quelle date cela s'est-il matérialisé ?

M. Mohamed Sifaoui. - Entre l'année 2020 et le début de l'année 2021, j'étais trésorier. J'ai démissionné du poste de trésorier en février, je crois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc à partir du moment où vous êtes trésorier, vous devenez salarié ?

M. Mohamed Sifaoui. - Absolument pas, je n'ai jamais été salarié de l'USEPPM. Jusqu'au 24 mai 2021, pour le compte du projet ILaïc, je n'avais jamais été salarié ni ne me suis fait rembourser sur des frais que j'ai engagés pour le compte de l'USEPPM. La question de la rémunération est liée au fait que je devais m'impliquer complètement dans le projet et que je devais laisser un certain nombre d'activités.

Le côté ridicule de l'affaire : quelques mois auparavant par ailleurs, j'avais lancé un projet personnel à haut potentiel financier, qui n'avait besoin du soutien de personne, avec un partenaire suffisamment solide. Or, je l'ai mis entre parenthèses pour aller signer un pathétique contrat à 4 422 euros bruts, pour toucher au final autour de 3 200 euros nets imposables. Au vu de mon expérience de 35 ans et de mon âge de 56 ans, je ne trouve pas scandaleux d'être rémunéré à cette hauteur.

Sur la compatibilité entre la rémunération et mon statut d'administrateur, les journalistes mal informés, qui croient avoir une meilleure connaissance que des avocats spécialistes en droit du travail, auraient dû consulter un spécialiste du droit du travail qui aurait expliqué que la rémunération d'un administrateur est possible lorsqu'il s'agit de rémunérer une mission spécifique et non pas sa fonction d'administrateur, ce qui était mon cas. Il n'y avait donc aucune contradiction. J'avais demandé à Cyril Karunagaran si je devais totalement démissionner de l'association et il m'a répondu que non. Par conséquent, je suis resté administrateur et j'ai accepté de remplir ma fonction dans le cadre d'un contrat de travail signé en bonne et due forme.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La liste des administrateurs fournie dans le dossier du projet ne correspondait pas à la liste des administrateurs enregistrée en préfecture. Aviez-vous connaissance des divergences ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, je n'étais pas au courant, je ne l'ai appris que récemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quand avez-vous évoqué pour la première fois l'USEPPM aux autorités auxquelles vous aviez affaire, à savoir soit le cabinet de la ministre, soit le secrétariat général ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'avais jamais évoqué le nom de l'association à Christian Gravel. J'ai évoqué le nom de l'association avec le cabinet à deux reprises je crois, une fois début mars dans une rencontre informelle, et je l'avais dit à l'un des conseillers, mais surtout lors de la réunion du 6 avril. Christian Gravel a découvert l'existence de l'USEPPM au moment de l'envoi du dossier de candidature le 9 avril en fin d'après-midi. Lorsque le conseiller 3 m'a envoyé le mail avec les documents à renseigner, il m'a dit que nous avions deux jours, jusqu'au vendredi en fin après-midi, pour les renvoyer.

M. Claude Raynal, président. - On vous encourage à présenter un dossier, vous proposez un dossier et à un moment donné, vous avez une discussion sur l'association et vous dites avoir proposé trois ou quatre structures associatives pouvant potentiellement porter le projet. Cela signifie que le cabinet vous a dit que vous ne pouviez pas prendre l'action en votre nom personnel, mais qu'il voulait travailler avec vous et que l'association, quelles que soient ses éventuelles compétences, servirait à porter l'action. L'appel à candidature est un appel vers des structures. Ce sont des associations qui répondent. C'est donc pour cela que vous répondez à l'USEPPM, nous sommes d'accord ?

M. Mohamed Sifaoui. - Nous sommes absolument d'accord avec la précision selon laquelle, sur les quatre associations que je cite, trois étaient totalement connues du cabinet.

M. Claude Raynal, président. - Et donc refusées ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, pas refusées.

M. Claude Raynal, président. - Ils ont choisi la seule qu'ils ne connaissaient pas ?

M. Mohamed Sifaoui. - D'une certaine façon... C'est pour cela que je me sens aujourd'hui trahi par les mensonges, par les approximations et par la politique de l'amnésie qui est menée dans ce dossier. Encore une fois, je rappelle que je n'ai pas sollicité de subvention - on m'a sollicité - et que je les ai laissé choisir l'association dans une logique de coopération. On est censé être dans le même bateau. Avec qui voulez-vous que je travaille, et j'ai dit « je connais untel, untel et untel », et voilà, ça s'est passé comme ça. Tout autre récit est mensonger.

M. Claude Raynal, président. - Y-en-a-t-il d'autres ? Non, la question qui était posée est « pourquoi cette association ? », et vous donnez la réponse.

M. Mohamed Sifaoui. - Je pense que c'est de bonne foi ; il ne faut pas voir du mal partout. Je ne parle pas de vous Monsieur le président ! Il faut accepter que ce soit retransmis en direct. Vous savez que les gens qui regardent n'ont pas tous votre intelligence, pardon. Il ne faut pas que les gens voient du mal partout.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est plus de la connaissance.

M. Claude Raynal, président. - Restons sur les faits.

M. Mohamed Sifaoui. - Ce qui les intéresse à ce moment-là, c'est la reconnaissance d'utilité publique.

M. Claude Raynal, président. - Voilà, et cela a donc été le seul critère permettant de choisir cette association, ce qui a d'ailleurs été dit par l'un des deux préfets. Cependant, en réalité, l'appel à projets porte sur des structures et dans ce cas particulier, le cabinet souhaite travailler avec vous. N'ayant pas de structure, vous proposez plusieurs structures qui peuvent accueillir cette action et le ministère en choisit une.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est ça.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord. D'ailleurs, le préfet Gravel a déclaré que la subvention versée à cette association « payait de l'intelligence ». C'est une expression très favorable à votre endroit.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne pense pas qu'il l'ait dit dans cet esprit. Il a dit que ces salaires « payent une oeuvre de l'esprit ». Que ce soit dans une association ou une autre, on produit de l'intellect.

M. Claude Raynal, président. - Je continue, le préfet Gravel a dit que cette subvention « payait d'abord de la production intellectuelle ». Or, une des questions était de savoir si cette subvention avait constitué un levier de financement pour un travail de consultant. Cette question s'était en effet posée, car nous n'avions pas d'abord l'information que vous venez de nous donner, que par ailleurs, les activités que vous meniez sur demande quotidienne du CIPDR étaient elles-mêmes déjà rémunérées par un contrat de consultant.

M. Mohamed Sifaoui. - Le contrat en question prévoit un travail de consultant, un travail de formation et un travail de proposition de contenu, ce qui a duré entre octobre et mars. Nous nous sommes ensuite attelés uniquement à la partie formation.

M. Claude Raynal, président. - Peu importe, vous nous dites que jusqu'en janvier 2023, vous aviez un contrat de consultant, que ce soit de la formation ou autre chose. On a pu imaginer que le contrat que vous aviez passé avec l'association couvrait cette activité de consultant, mais vous avez dit, préalablement à la question, que non, cette activité de consultant était financée par un contrat propre jusqu'en janvier 2023. Cela amène une nouvelle question : dans ce nouveau contrat avec l'association, vous avez une rémunération qualifiée de rémunération à temps plein, mais vous avez un contrat de consultant sur la même période. Avez-vous le don d'ubiquité, la capacité à faire plusieurs choses à la fois ? Vous avez à la fois un travail permanent avec l'association et en même temps un contrat de consultant portant sur certains aspects liés au CIPDR. Pouvez-vous nous expliquer la juxtaposition de ces deux contrats ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ceux qui ont travaillé avec moi à différentes époques vont bien comprendre ce que je vais dire. J'ai une capacité de travail qui est bien supérieure à la normale, par passion, par intérêt intellectuel pour la matière. À une époque, je réalisais des reportages et j'écrivais des articles tout en rédigeant mes livres le soir. Je suis donc quelqu'un qui travaille énormément. Je ne veux pas ouvrir une autre polémique politique, je n'ai jamais cru que des gens de mon profil puissent se suffire des 35 heures, donc je ne travaille pas 35 heures, je ne travaille même pas 40 heures, je travaille beaucoup plus - mes week-ends sont très rares.

M. Claude Raynal, président. - Je vous rassure, nous aussi.

M. Mohamed Sifaoui. - Cela rassure surtout ceux qui vous ont élu.

M. Claude Raynal, président. - J'espère bien, mais restons sur la question. Sous l'angle de l'administration, vous avez deux contrats en même temps, financés par le même organisme, le CIPDR, qui ne nous a d'ailleurs pas parlé du contrat de consultant. Cela pose question sur le fait de mettre en place un contrat avec une association comprenant un salarié à temps plein et, en même temps, un contrat dont on ne connait pas la rémunération.

M. Mohamed Sifaoui. - Si cela vous intéresse, 39 500 euros hors taxes sur 26 mois, de novembre 2020 à janvier 2023. Cela fait 30 mois quasiment.

M. Claude Raynal, président. - C'est une information nouvelle, qui ne pose pas problème par rapport à vous ; c'est un constat. Une même structure vous finance en parallèle sur deux montants différents pour des actions supplémentaires alors que vous avez d'un côté un contrat à temps plein. Nous avions au départ interrogé ce contrat en nous demandant s'il ne couvrait pas une activité de consultant. Nous sentions que cette activité existait, et vous nous l'avez confirmé, mais elle a été traitée en dehors du Fonds Marianne d'après ce que vous nous dites.

Le sujet qui pose une difficulté, non pas par rapport à l'association en tant que telle mais par rapport à la manoeuvre de l'administration, a trait au fait qu'il y a eu des négociations préalables, qu'il y a peu d'acteurs en capacité de faire sur cette politique, que vous êtes sollicité et que vous déposez un dossier avant même que le Fonds Marianne soit créé. Ce sont les faits. De ce point de vue, le sujet porte plutôt sur la manière dont l'administration fait les choses. D'autre part, le comité de programmation arrive quant à lui le 13 avril, avant même la question du Fonds Marianne. Le dossier est donc déposé en amont et sera fléché sur le Fonds Marianne après coup. Qui a répondu à l'appel à projets ? Au niveau intellectuel, il n'y a pas de doutes que c'est vous. C'est vous qui avez conçu le projet, mais d'autres personnes ont-elles pris part à la rédaction du projet, à sa conception intellectuelle ? Cyril Karunagaran a-t-il été associé ou était-il plutôt purement sur la partie chiffrée ?

M. Mohamed Sifaoui. - Il a participé, et pas que lui. Nous avons eu deux rédacteurs et le rédacteur 1 a également participé. Je ne dirai pas non plus les noms. Nous avons conçu ensemble, à trois, ce projet. Le rédacteur 1, qui est l'une des personnes avec qui j'ai pensé intellectuellement le projet, et qui va nous rejoindre quelques mois plus tard, comme salarié, je l'ai associé à la réflexion. Nous avons conçu le projet à trois, dans une logique de ping-pong.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Peut-être même à quatre puisqu'il semble y avoir un rédacteur 2 ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non, le rédacteur 2 est venu après, il n'a pas travaillé sur le projet directement, tel qu'il a été présenté en avril.

M. Claude Raynal, président. - Quelles sont les pièces ? Que comprend le dossier ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je peux vous retrouver l'e-mail exact, mais outre le cerfa, il y a, de mémoire, trois ou quatre documents qui sont demandés.

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes sur un montant de 635 000 euros ?

M. Mohamed Sifaoui. - Nous sommes sur une demande de subvention à financer à 100 % pour une première année à 635 000 euros.

M. Claude Raynal, président. - Ce dossier arrive directement chez le préfet Gravel par e-mail. Comment se déroule le débat après la réception du dossier de 1,5 million d'euros avec une première année à 635 000 euros ? On vous demande de revoir le dossier, le montant ?

M. Mohamed Sifaoui. - Dès le moment où, le 9 avril, Cyril Karunagaran envoie au CIPDR cette demande de subvention telle que validée politiquement par le cabinet de Madame Schiappa, je laisse Cyril Karunagaran traiter avec ses interlocuteurs au CIPDR. Nous n'allons plus avoir aucune nouvelle et j'apprends par voie de presse, à travers une interview de la ministre, qu'un appel à projets appelé Fonds Marianne est mis en place autour du 20-21 avril.

Quatre ou cinq jours plus tard, Cyril Karunagaran me dit qu'il a reçu une communication du CIPDR l'invitant à reformuler la candidature du 9 avril en répondant à l'appel à projets dénommé Fonds Marianne. Pour moi, je ne trouve rien à redire. Il s'agit d'une question d'habillage administratif. Rien ne me choque à ce stade, mais j'aurais dû, peut-être, être un peu plus vigilant. J'estime avoir été piégé et instrumentalisé. J'espère qu'ils l'ont fait inconsciemment et involontairement, mais j'ai été instrumentalisé et j'ai été trahi et je pèse mes mots.

Je vais vous expliquer pourquoi. Lorsque nous discutons au sein du cabinet, je dis trois choses, à savoir premièrement que je n'accepterai jamais de m'engager dans une opération ponctuelle d'une année et qu'il faut donc que l'action soit pluriannuelle, deuxièmement je ne vais pas aller en quête de subvention, je ne sais pas le faire, et l'association qui a été désignée pour porter le projet ne sait pas le faire non plus et n'a pas l'habitude de le faire, donc que je sollicite une subvention à 100 %, et troisièmement qu'il faudra prendre en compte le fait que les salaires coûtent cher en France et que tout le projet repose sur du potentiel humain, raison pour laquelle il faudra suivre au niveau financier. Là, je vous demande de m'écouter attentivement.

Première étape, Cyril Karunagaran reçoit cet e-mail lui demandant de reformuler sa demande de subvention dans le cadre de l'appel à projets du Fonds Marianne. Il candidate pour le compte de l'USEPPM dans le cadre du Fonds Marianne quelques jours plus tard, avec un cerfa de 1,550 million d'euros sur trois ans. Durant la préparation de ce cerfa, des échanges ont lieu, notamment par e-mail, et il lui est dit que seuls 60 % de la première année seront financés. Cyril Karunagaran rédige donc un deuxième cerfa qu'il envoie en mai et, à partir du 22 ou du 23, j'apprends d'abord par mes sources personnelles d'abord que la candidature allait très probablement être retenue, puis quatre ou cinq jours plus tard par Cyril Karunagaran qu'il a reçu un mail lui disant que le projet avait toutes ses chances d'être retenu.

Nous nous sommes mis immédiatement au travail, car je suis en confiance. On m'apprend finalement que la subvention sera d'un montant de 355 000 euros pour l'année 2021, que l'administration ne peut pas financer à plus de 60 % et qu'il nous appartient d'aller chercher des subventions ailleurs. J'ai fait contre mauvaise fortune bon coeur. J'avais commencé à m'engager auprès des gens et à élaborer le projet. Or progressivement, le projet se dénaturait par son soutien financer et se vidait de sa substance de fait. Nous en arrivons à des allers et retours incessants, après même la notification, entre Cyril Karunagaran et l'administration qui lui demande quelques dernières modifications avant la signature de la convention fin juillet 2021, près de trois mois après la notification.

M. Claude Raynal, président. - C'est donc dans ces discussions, auxquelles vous dites que vous ne participez pas, que l'on passe d'un montant de 635 000 euros à un montant de 300 000 euros d'abord. Nous sommes d'accord ?

M. Mohamed Sifaoui. - Quel montant de 300 000 ?

M. Claude Raynal, président. - Il y a eu à un moment donné un fléchage de 300 000 euros, d'après le premier comité du 13 avril. Vous n'êtes donc pas informé de cela.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne suis pas informé.

M. Claude Raynal, président. - Et vous n'avez pas ensuite participé à une discussion quelconque entre ce moment-là, le mois d'avril, et le comité de sélection qui affiche un montant de 355 000 euros. Il y a eu une remontée.

M. Mohamed Sifaoui. - Il n'y a eu aucune discussion entre le moment où Cyril Karunagaran envoie la première demande de subvention et le jour où j'apprends qu'on va avoir la subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Là-dessus, vous êtes parfaitement sur la même posture ou explication que la ministre : vous êtes concerné par le projet, mais finalement vous vous tenez à distance.

M. Mohamed Sifaoui. - Non, monsieur le rapporteur, je ne peux pas vous laisser dire cela. Ça, c'est une accusation à charge. Je ne vous permets pas. Vous allez tout de suite retirer ce que vous venez de dire. Il n'y a aucune posture chez moi, je ne suis pas un homme politique. Je n'ai rien de comparable avec Madame Schiappa, c'est clair ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne retire rien, de la même manière que j'ai fait une observation hier à madame la ministre sur le fait que sur la question de l'équité et de la transparence elle a utilisé les mêmes mots que l'IGA.

M. Mohamed Sifaoui. - Pardonnez-moi, c'est ridicule car il y a des insinuations derrière. On se serait concertés ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pas du tout, n'interprétez pas.

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'interprète pas, mais vous interprétez des choses totalement fausses. Je ne suis dans aucune posture. Je vous réponds avec sincérité, honnêteté et transparence. Arrêtez de me lancer à la figure des choses comme cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne vous lance rien à la figure, j'ai le droit de formuler et de reformuler comme je l'ai fait tout à l'heure pour être sûr d'avoir bien compris. Vous avez été convié à une réunion avec le directeur de cabinet de madame Schiappa et le secrétaire général du CIPDR le 22 avril 2021. Pouvez-vous nous décrire le déroulement de cette réunion et est-ce qu'à ce moment, le montant de la subvention a été évoqué clairement ?

M. Mohamed Sifaoui. - Non monsieur le rapporteur.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc finalement une seconde demande de 355 000 euros est adressée. Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui ont conduit l'USEPPM à déposer un deuxième dossier avec un montant rehaussé de subvention ? Même si pour les 300 000, si j'interprète, vous en avez entendu parler par les médias : si la demande initiale était de 635 000, vous n'aviez jamais eu connaissance de cette proposition à 300 000.

M. Mohamed Sifaoui. - D'abord, votre lecture est fausse, car je ne dirige pas un cabinet et que Cyril Karunagaran n'est pas sous mes ordres administrativement. C'est plutôt le contraire. Je ne peux pas vous laisser dire ce que vous avez dit.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi, Monsieur le directeur, vous n'êtes pas là pour m'accuser, nous sommes là pour avoir des échanges apaisés et sereins.

M. Mohamed Sifaoui. - Monsieur le rapporteur, vous faites un raccourci.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Non, je pose des questions.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous faites un raccourci malheureux et vous me comparez à madame Schiappa alors que je n'ai absolument rien de comparable ni sur le fond ni sur la forme, c'est clair ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous devez garder vos nerfs et votre maîtrise. Nous essayons de le faire.

M. Mohamed Sifaoui. - Je n'aime pas vos provocations et je vous le dis. Je suis quelqu'un d'assez entier. Je respecte les institutions et je respecte les gens qui me respectent. Dès le moment où on ne me respecte plus, je vais aller sur un autre ton, je vous le dis tout de suite.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne déviez pas, nous allons rester sur les faits mais je n'ai jamais changé de trajectoire et j'essaie au long des auditions d'être assez constant. Certains disent même qu'ils apprécient cette forme de sérénité.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors, gardons la sérénité, c'est pour l'honneur de l'institution que vous représentez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est pour l'honneur de tout le monde.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est pour l'honneur de l'institution. L'institution est au-dessus de vous, donc c'est pour l'honneur de l'institution.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il vous plaît, il n'y a pas d'accusation à porter.

M Claude Raynal, président. - Revenons sur cette réunion du 22 avril. Y étiez-vous ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce n'était pas une réunion, mais une invitation pour être reçu par Madame Schiappa initialement, et cette dernière a été retenue en dernière minute par un évènement important avec le Président de la République ou le Premier ministre, je ne me rappelle plus. Par conséquent, j'ai été informé par le cabinet que je serai reçu par le directeur de cabinet. Pendant une heure, nous avons discuté du projet avec le directeur de cabinet. Ce que ce dernier vous a dit est vrai : à aucun moment, il n'y a eu d'engagement financier, ni de sa part, ni de la part de la ministre, ni de la part du cabinet. Nous avons affiné le projet, il voulait se tenir au courant pour le compte de la ministre des détails du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Qui a pris la décision de modifier le montant du dépôt du dossier à hauteur de 355 000 euros ? Cyril Karunagaran ?

M. Mohamed Sifaoui. - Quand je vous dis, ce n'est pas pour me dérober ; je vous raconte des faits. C'est ce que je suis en train de faire, en étant le plus détaillé possible, et je pense que ça vous embête car l'heure du déjeuner est proche. On va parler calmement. Ne venez pas me piquer au vif et me demander de garder mes nerfs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne pique personne au vif.

M. Mohamed Sifaoui. - Encore une fois, dès le moment où on rentre dans une traduction administrative et financière d'un projet que j'ai porté intellectuellement, je remets l'ensemble des éléments que nous avions préparés ensemble à Cyril Karunagaran, qui va se charger de la traduction administrative de ce projet, en sa qualité de président de l'association. Il va mener les discussions avec l'administration pour mettre en application ce projet d'un point de vue administratif et financier. À partir de là, ce n'est pas pour me dérober, ce n'était pas mon rôle de rester en contact avec l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai bien compris. J'ai juste besoin de comprendre la chronologie des faits et les différentes séquences.

M. Mohamed Sifaoui. - C'est heureux que vous ayez enfin compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il vous plaît, n'ayons pas de remarque désobligeante, cela ne sert à rien, ce n'est jamais bon pour la sérénité des débats.

M. Mohamed Sifaoui. - Gardez vos nerfs, Monsieur le rapporteur, allons sur le fond.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En général, je reste sur le fond. Des éléments complémentaires ont été déposés sur le projet. Ces éléments vous ont-ils été demandés et, le cas échéant, à quel moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Tout peut être vérifié car tout est documenté, à savoir des échanges ininterrompus entre les services de Monsieur Gravel et Cyril Karunagaran. Il était en contact avec l'administration. L'administration a demandé à plusieurs reprises à Cyril Karunagaran d'ajuster le projet, d'où plusieurs versions de cerfa et plusieurs e-mails qui demandent d'actualiser le dossier. On lui a demandé d'actualiser le 10 mai 2021. Par la suite, il reçoit un autre e-mail. Visiblement, la personne chargée de l'examen du dossier lui dit « je me permets de vous écrire en raison d'un problème dans la subvention. Visiblement le budget du projet indique toutes les ressources et non uniquement celles des actions ». Nous sommes le 25 juin, un mois après la notification. Un mois même après la notification, l'administration se serait aperçue qu'il y aurait des erreurs. Je sais qui était en contact, et c'est documenté.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Venons-en au temps de la réalisation du projet. J'ai bien compris le rôle que vous aviez porté dans ce projet, qui était d'en être la tête pensante avec la vision stratégique et l'architecture de ce projet, ce qui j'imagine vous a pris beaucoup de temps, sachant sauf erreur de ma part que votre contrat de travail prévoyait un travail à mi-temps, c'est bien cela ?

M. Mohamed Sifaoui. - À plein temps, ce que j'ai déjà dit. 35 heures avec un taux horaire de 29 euros l'heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Oui, j'ai bien compris que vous aviez une capacité de travail très supérieure à la normale, et je l'apprécie.

M. Mohamed Sifaoui. - Vous appréciez ou non, ce n'est pas le sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'apprécie votre déclaration. Je ne porte pas de qualification sur vos capacités, quelles qu'elles soient ; je ne me permettrais pas. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur les réalisations de votre association, l'USEPPM, qui ont été financées avec les crédits du Fonds Marianne ? Considérez-vous qu'elles sont en tout point conformes à ce que vous imaginiez à l'échelle de l'enveloppe qui vous a été attribuée ? Avez-vous rencontré des difficultés ou des obstacles particuliers qui vous ont amené à réduire l'ambition, revoir les moyens ? Pouvez-vous nous en dire plus par rapport à tout le travail que vous avez fourni en contrepartie de la subvention accordée ?

M. Mohamed Sifaoui. - À partir du moment où nous avons signé la convention et reçu les fonds fin juillet, à hauteur de 266 250 euros, et non pas 355 000 euros, très vite nous nous sommes mis au travail. J'étais évidemment conscience qu'étant donné que tout avait été budgété sur 635 000 euros, il fallait tout diviser par trois, et notamment le nombre de postes à créer. J'ambitionnais de compter sur au moins six personnes la première année, et il fallait de fait diviser par trois, c'est-à-dire arriver à peu près à trois personnes - pas à deux, car il y avait un taux incompressible, sous peine de ne rien pouvoir réaliser, surtout que nous devions initialement investir l'ensemble des réseaux sociaux. Il était question de lancer des comptes Internet assez rapidement et d'être dans une production de qualité afin de légitimer l'identité que nous comptions créer, en l'occurrence ce collectif ILaïc.

La première difficulté que j'ai rencontrée, c'est que j'ai très vite compris, et davantage entre octobre et novembre, que je m'étais engagé dans un projet mort-né pour la simple raison qu'il n'était plus pérennisable. J'ai en effet compris à travers une discussion avec Christian Gravel qu'il n'irait pas vers un financement de l'année 2, pour des raisons que j'ignore, avant même le bilan. Nous venions à peine de commencer. Nous avons eu un échange assez vif, malgré la sympathie que l'on a, mais très franc.

On a eu donc un échange assez vif sur le fait qu'avec les moyens qui m'étaient donnés et qui étaient très éloignés du projet qui avait été politiquement validé par le cabinet, je ne pouvais pas en l'état mettre en application le projet. Quand je vous dis « j'ai le projet d'acheter dix voitures, et j'aimerais que vous les financiez », vous pouvez me dire que « oui, j'accepte que vous achetiez dix voitures ». La validation politique était très éloignée de la traduction administrative et financière du projet. Nous sommes partis d'une volonté politique qui allait mobiliser des moyens à finalement une absence de volonté politique. Dès le moment où la communication a été faite avec tambours et trompettes, il n'y avait plus rien. Dès le moment où la ministre a capitalisé politiquement à travers sa communication totalement hallucinante - car il était d'abord prévu de ne pas faire de la publicité sur le sujet, déjà pour la sécurité des personnes concernées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Sur ce point, elle a tenu parole par la suite et n'a jamais communiqué.

M. Mohamed Sifaoui. - Certaines institutions travaillent efficacement dans la discrétion et n'ont pas besoin de claironner sur tous les toits pour rappeler ce qu'elles font. Les gens qui commencent à claironner sur ce qu'ils font sont en général ceux qui en font le moins.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons bien compris le sujet. Vous et d'autres ont tenu des discours convergents.

M. Mohamed Sifaoui. - Je comprends donc en octobre que le projet sera difficilement réalisable, mais je fais malgré tous les efforts pour monter quelque chose de crédible. J'attire votre attention sur un élément essentiel, car c'est l'une des critiques formulées par les médias, et probablement par vous-mêmes, ainsi que par le pathétique rapport de l'IGA: existe-t-il un contrat ou une convention qui donne un chiffre ? Si nous avions fait 1 000 productions au lieu de 500, cela aurait-il été suffisant ? Cela revient à nous annoncer le financement d'une armée pour combattre celle de Poutine alors que finalement, seule une petite milice est financée et il nous est demandé pourquoi nous n'avons pas battu l'armée de Poutine. C'est quand même surréaliste. Vous avez des islamistes qui ont dix ans d'avance sur vous, vous donnez trois francs six sous à une association, et vous vous demandez pourquoi les résultats ne sont pas suffisants.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le président de l'association, Cyril Karunagaran, dans son audition, a déclaré qu'aucune demande complémentaire de subvention à l'endroit notamment des deux régions n'avait été adressée pour participer au cofinancement de votre projet. Cela peut s'entendre. Avez-vous une explication sur le fait de ne pas même avoir adressé ces deux demandes de subvention ? Pourquoi y avoir renoncé très en amont ?

M. Mohamed Sifaoui. - J'espère que vous accepterez d'entendre ce que j'ai à vous dire, sous serment. D'abord j'ai adressé une demande de manière informelle, et même plusieurs demandes à des régions que je ne citerai pas, car cela est resté au stade de l'informel, et je vais vous dire les réponses.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment se matérialise l'informel ?

M. Mohamed Sifaoui. - Par des rencontres, des réunions que j'ai sollicitées. Or on m'a répondu clairement, et mon interlocuteur a fait cette boutade volontairement: « je ferai en sorte que cette région ne finance pas le « fonds Marlène » ». En effet, elle avait fait une communication tellement personnelle- je vous rappelle le contexte, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous êtes des élus, vous connaissez le cynisme politique mieux que moi et vous l'exercez certainement mieux que moi...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Monsieur Sifaoui, vous devriez retirer ce propos.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien, quand vous retirerez ce que vous avez dit. Je vous dis ce qui m'a été dit et qui intègre une logique de cynisme politique. À la veille de l'élection présidentielle, certaines régions qui avaient des divergences politiques avec Marlène Schiappa et son camp n'étaient pas promptes à soutenir un projet qui est devenu le « projet Marlène Schiappa ». Des gens de votre camp politique, je vous le dis. Ce qui est légitime, ce qui est compréhensible !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous le voulez bien, nous allons rester sur le sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Pourquoi cela vous gêne-t-il de parler de cela ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rien ne me gêne.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors, laissez-moi continuer.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Non, nous allons poursuivre, car nous avons encore un certain nombre de questions.

M. Mohamed Sifaoui. - Les gens voient qu'un certain nombre de questions vous gênent, c'est très bien.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les Français qui s'y intéressent porteront le jugement qu'ils souhaiteront, ce qui compte, c'est que la démocratie puisse s'exercer sereinement dans le respect des débats, des personnes et du sujet.

M. Mohamed Sifaoui. - Amen.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dire « amen » ne vous apporte rien et n'apporte rien de constructif au débat, permettez-moi de vous le dire. Quel regard portez-vous sur la demande, à la suite du rapport de l'IGA, de rembourser une partie des sommes versées, car elles ne correspondraient pas à la convention qui a été l'objet de la subvention fléchée au bénéfice de votre association ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je conseillerais d'abord au rédacteur de ce rapport de corriger quelques petites erreurs, qui ne sont pas si petites que ça, car on ne peut pas faire un rapport sur un tel sujet en se trompant sur la date d'un assassinat terroriste. L'enseignant de Conflans-Sainte-Honorine n'a pas été tué à la date qui figure dans le rapport. Ce n'est pas à mes yeux un détail, car cela montre la précipitation, la légèreté et le manque de rigueur avec lesquels ce rapport a été écrit. L'IGA est dans une attitude d'autolégitimation de l'administration en essayant de trouver des lampistes...

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Sifaoui, nous ne sommes pas ici pour porter un jugement sur l'IGA.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne parle pas de jugement, je vous parle d'un rapport qui est dans un processus d'autolégitimation pour trouver des lampistes, en l'occurrence, Cyril Karunagaran, moi-même et accessoirement Monsieur Gravel.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez le droit d'avoir tous les avis que vous souhaitez sur le rapport...

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous parle des erreurs factuelles. Cela ne vous intéresse pas monsieur le président ?

M. Claude Raynal, président. - Non, pas vraiment.

M. Mohamed Sifaoui. - Alors ne parlez pas du rapport qui mentionne des erreurs en m'interrogeant sur chaque page.

M. Claude Raynal, président. - La question n'est pas celle-là. Que vous ayez des commentaires à faire sur un rapport où vous êtes cité, c'est la moindre des choses, cela s'entend. Que vous ayez une réponse à faire à l'IGA, vous leur donnerez, vous leur enverrez.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne le ferai pas monsieur le président.

M. Claude Raynal, président. - Vous en avez la liberté. Il n'y a aucun problème là-dessus. Nous, on vous dit l'IGA demande à l'administration de demander un remboursement d'à peu près la moitié des montants qui vous ont été alloués. Avez-vous un commentaire à faire sur ce point ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je conteste d'abord le fond et la forme de certaines des accusations qui sont mentionnées. Je prendrais l'une d'elle, qui montre encore la légèreté et la médiocrité du texte. On prétend que l'USEPPM aurait loué un bureau sans l'utiliser. Manque de chance, c'est la chose qui ne fallait pas écrire. Dans ma triste vie, je suis toujours accompagné par deux fonctionnaires de police au moins. J'appelle donc officiellement votre commission d'enquête à se rapprocher du service de protection du ministère de l'Intérieur et à lui demander de vous fournir un document qui pourrait attester que chaque matin, au sortir de mon domicile, mes officiers de sécurité m'accompagnaient au bureau qui a été loué pour le compte de la réalisation du projet ILaïc.

M. Claude Raynal, président. - Vous apportez donc ici une réponse sur une dépense d'environ, de mémoire, 18 000 euros.

M. Mohamed Sifaoui. - Je suis sous serment. Deuxièmement, chose gravissime, on va jusqu'à vous expliquer, et expliquer à l'opinion publique, car c'est public, que Cyril Karunagaran et peut-être accessoirement moi-même, aurions fait de l'abus de faiblesse sur deux membres de l'association qui auraient signé des documents qu'ils n'auraient peut-être pas signés s'ils étaient en pleine possession de leurs moyens, tout cela parce que j'ai dit en audition en étant totalement transparent comme je le suis avec vous, que nos deux amis ont, pour le premier, eu un Covid long avec effectivement des difficultés de santé, et pour le second, eu un problème de santé.

Or, ils ont oublié que ces deux personnes sont deux gendarmes à la retraite. L'un a des activités associatives très régulières, il est médecin du GIGN, et le second est aujourd'hui employé dans une grande entreprise où il gère la sécurité. Comment peut-on raconter qu'il y avait deux « vieillards grabataires » à côté de nous, dont nous aurions abusé de la faiblesse ? C'est de la diffamation que je condamne.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur Sifaoui, cela nous éloigne de la demande de remboursement.

M. Mohamed Sifaoui. - Pas du tout, nous sommes dans le sujet, car ce rapport est truffé de mensonges et de contre-vérités. J'irai porter ce combat devant les tribunaux et je vais aider Cyril Karunagaran à démontrer que le rapport de l'IGA est inepte. Le remboursement relèvera donc d'une décision de justice le cas échéant.

M. Claude Raynal, président. - En mars 2022, un avenant vous est envoyé pour proroger du 28 février 2022 au 31 mai 2022 la période autour de laquelle pourra être réalisé le projet ILaïc, qui a pris du retard au démarrage. Cela vous a-t-il permis de terminer certains projets et, le cas échéant, lesquels ? L'IGA n'a pas trouvé trace de cet avenant. A-t-il bien été pris ?

M. Mohamed Sifaoui. - C'est effectivement une difficulté dont j'ai eu connaissance je crois à la rentrée 2022, c'est-à-dire vers août-septembre 2022, d'abord de la part de Cyril Karunagaran, puis de celle de Christian Gravel. Ce dernier m'a fait savoir qu'un avenant devait être signé entre l'association et ses services et que manifestement, Cyril Karunagaran ne l'avait pas envoyé. J'ai demandé à Cyril Karunagaran ce qu'il en était et il m'a dit qu'il l'avait envoyé, mais visiblement, l'administration n'en avait pas trouvé trace. Ils sont restés dans ce dialogue jusqu'à fin 2022, quand Cyril Karunagaran a envoyé en recommandé un avenant signé par ses soins. Or il n'a jamais reçu la partie contresignée. Voilà ce que je sais de cet aspect de la difficulté.

Parmi les autres difficultés que nous avons rencontrées, j'ai été obligé de baisser nos productions à partir de janvier-février pour une raison double. Nous savions d'abord que l'association ne pouvait pas reconduire les CDD des deux rédacteurs par faute de moyens. En outre, nous étions rentrés dans une période de campagne électorale et par conséquent, il devenait très difficile de traiter la plupart des sujets qui étaient les nôtres, ces derniers étant préemptés par deux chapelles idéologiques extrémistes, à savoir l'extrême droite et l'extrême gauche. Je ne vais pas vous citer les candidats. Nous sommes entrés dans cette contradiction et Christian Gravel m'a appelé pour me dire de faire très attention à ne pas publier de tweet qui pourrait polluer la précampagne ou la campagne électorale. Je m'y suis engagé. Après, sans me parler de l'association en question, il m'a dit qu'il avait des difficultés avec une association, et qu'il voulait attirer notre attention car il savait que nous étions plutôt susceptibles de contredire, pour utiliser un euphémisme, un certain nombre de candidats qui portaient des valeurs qui étaient bien éloignées de celles que nous défendons.

M. Claude Raynal, président. - Pas de traces de l'avenant signé, vous confirmez la position de l'IGA sur ce point. D'après les échanges de courriels et téléphoniques qui nous ont été transmis, l'association semble avoir été très peu réactive aux demandes du secrétaire général, au point même de cesser de répondre aux sollicitations entre novembre 2022 et février 2023. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Mohamed Sifaoui. - Ce n'était pas moi qui n'étais pas joignable - on ne vous pas dit à un moment que je n'étais pas joignable - mais j'ai appris que Cyril Karunagaran, pendant une période, était difficilement joignable. Je lui ai demandé pour quelles raisons il n'arrivait pas à se rendre disponible et il m'a fait savoir qu'il avait des problèmes personnels d'état de santé liés à des proches, et qu'il allait très vite faire diligence pour répondre aux sollicitations.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez dit que vous saviez dès le mois d'octobre que le projet était « fichu », car il n'y avait plus de notion de continuité dans le temps. Vous avez également dit que vous aviez réduit les charges de manière significative, en tout cas vous ne vous êtes pas engagé sur du long terme, ce que l'on peut comprendre. Pour autant, vous n'avez pas réduit toutes les charges et la réalité des charges recouvre en réalité deux salaires principaux, quelques salaires complémentaires et très peu de frais annexes. Vous avez donc réduit les charges, mais pas sur vos deux principaux salaires, qui étaient quand même le point majeur du système. Pouvez-vous nous expliquer cela ?

M. Mohamed Sifaoui. - L'ensemble de nos salaires représentait effectivement me semble-t-il 80 % de la subvention.

M. Claude Raynal, président. - Un peu moins.

M. Mohamed Sifaoui. - Très bien. Cette dépense s'élevait à environ 140 000 euros pour l'ensemble des quatre salaires, avec un delta de prestataires extérieurs de l'ordre de 40 000 euros je crois. Nous sommes substantiellement loin des chiffres avancés par certains médias qui, n'étant pas de grands professionnels de l'investigation, ont mélangé les rémunérations établies sur les fonds propres de l'association et les salaires imputables sur le Fonds Marianne.

Sur le Fonds Marianne, le salaire imputable qui m'a été versé personnellement est de l'ordre de 43 000 euros sur douze mois, dûment déclarés auprès de l'administration fiscale, et celui de Cyril Karunagaran était de l'ordre je crois de 30 000 euros imputable sur le Fonds Marianne, pour un total de 77 000 euros au total imputables sur le Fonds Marianne. Réduire nos salaires revenait à mettre fin à nos contrats de travail et, par conséquent, passer en qualité de bénévole. Or je ne suis pas rentier, car je n'ai pas centré ma vie sur la chose matérielle, et je suis un père de famille avec des enfants à élever, il me faut gagner ma vie à une hauteur me permettant de faire face au quotidien, mais pas pour un enrichissement personnel. Cela n'a jamais été ma quête d'existence.

Il nous fallait donc un salaire, et je n'ai pas à rougir de ce salaire. Je le dis devant vous ce salaire est conforme à un contrat de travail et lié à un travail qui a été fourni. Or ce travail n'a été apprécié que sur sa partie publiable et visible. Comme si lorsque l'on se réveille le matin et que l'on fait une revue de presse pour le projet, cela n'aurait pas été du travail. Comme si, lorsque l'on reçoit un appel téléphonique à 22 heures pour corriger...

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord avec vous qu'il y a toujours une partie de travail masquée, comme un professeur qui corrige des copies. Mais lorsque l'on voit le rapport de l'IGA... Et lorsque nous-mêmes regardons le nombre de vidéos ou de tweets, cela nous paraît faible. Par ailleurs, vous nous dites que vous savez que ce projet n'ira pas très loin, et cela se traduit en quelque sorte. Vous dites également, ce qui nous a été confirmé, que vous avez été mis en garde sur tel ou tel sujet ou sur telle ou telle façon de traiter les sujets dans le cadre de la campagne électorale qui allait arriver. Au final, cela donne une production extrêmement faible. Des gens plus qualifiés que moi le dirons, certes.

Il semblerait aussi, nous avons également des confirmations sur ce point, que si au départ, les relations étaient tout à fait classiques avec l'équipe que vous avez recrutée (de l'ordre de deux postes et demi), avec une orientation fixée par vous-même, ensuite, assez tôt, vers le mois d'octobre, où il y a eu un flou sur le projet et la continuité de l'opération, il n'y a plus eu du son ni d'image. Que s'est-il passé à ce moment ?

M. Mohamed Sifaoui. - Je tiens d'abord à rendre hommage aux deux rédacteurs qui ont travaillé avec nous et qui ont fait preuve de sérieux et d'une grande qualité professionnelle. J'espère qu'ils ne seront jamais mêlés à cette affaire ni de près ni de loin, parce qu'ils n'ont absolument rien à se reprocher. J'assume seul, sur le plan éditorial, la responsabilité, les critiques et les mécontentements des uns et des autres, les considérations subjectives et les accusations mensongères...

M. Claude Raynal, président. - Je comprends, mais revenons au sujet. Ici, nous ne répondons pas à la presse.

M. Mohamed Sifaoui. - Certes, mais les gens jouent leur honneur, leur tranquillité et leur avenir. Ce n'est pas quelque-chose de livrer les gens aux chiens. Il y a certains journalistes irresponsables qui s'inscrivent dans une sorte de vendetta idéologique, et qui sont capables de tout et n'importe quoi. Sur ces deux rédacteurs, amis, participant activement, je n'ai pas eu de désaccord majeur avec eux.

Il m'est arrivé de devoir, et je n'aime pas ce mot, « censurer » des productions, pas pour le plaisir de censurer ou d'attenter à la liberté d'expression, mais pour être conforme à un cahier des charges et faire preuve de responsabilité. La difficulté à laquelle j'ai été confrontée, c'est que nous sommes sur des thématiques investies par un certain nombre d'acteurs politiques. Je me suis permis personnellement de répondre, avec le compte de l'association, à des inepties de certains acteurs avant décembre, et donc avant l'entrée en précampagne. Si demain ils voient leur nom - Sandrine Rousseau, Éric Zemmour - ce n'est pas l'association, c'est moi qui ai répondu. J'ai fait le choix de répondre à des inepties, l'un pour des propos racistes et xénophobes, et l'autre pour le soutien au voile islamiste. Or, à partir de décembre-janvier, cela n'était plus possible et cela devenait de plus en plus compliqué de répondre sur le ton juste et de ne pas s'exposer à des poursuites éventuelles.

J'ai voulu incarner le projet pour pouvoir identifier le collectif. Pour les gens, y compris qui nous considéraient de leur bord idéologique, on était un collectif anonyme. Même des amis n'étaient pas au courant que j'étais à la tête de ce projet. Il m'a été demandé de rester très discret et on m'a empêché de l'incarner. Je devais par ailleurs faire en sorte qu'il y ait un porte-parole de ce projet, une figure médiatique, et j'avais en tête la personne qui devait jouer ce rôle, mais cela m'a été refusé.

On vous demande de vous lancer dans un projet, on vous le valide et ensuite, on vous dépouille au fur et à mesure de l'avancement. Évidemment, la production ne peut pas suivre. Je ne me lancerais jamais dans un projet qui consiste à faire deux, trois, dix tweets par jours - cela n'a pas de sens. Tweeter de façon frénétique, tous les spécialistes vous le diront, cela n'a pas de sens, quand on est dans un compte institutionnel. J'ai tweeté à une époque énormément, mais c'était sur mon compte personnel. Sur un compte institutionnel, on tweete forcément différemment. On part donc d'une feuille blanche ; tout était à créer. Il fallait créer un compte sur chaque réseau social avec une matière assez originale pour attirer l'attention.

Aujourd'hui, bien sûr que je ne suis pas content du résultat - vous voulez que je vous dise que je suis satisfait de moi ? Je ne suis pas content de moi. Je regrette profondément et je ne ferai plus jamais confiance aux institutions qui m'engageraient à m'investir dans un travail. Jamais plus je ne suivrai les demandes d'un responsable politique. Jamais plus personne ne m'auditionnera, sauf dans un cadre comme celui-ci où je suis contraint. Plus jamais je n'échangerai sur mes thématiques avec aucun responsable politique, car j'ai perdu totalement confiance dans l'action publique, où je vois les lâchetés se manifester par la suite. Il aurait fallu que chacun assume ses responsabilités. Chacun a sa petite part de responsabilité. Je l'ai dit au début de mon intervention, il n'y a pas de malversation financière dans cette affaire, il n'y avait pas de volonté de malversation financière.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas cette commission d'enquête qui décidera s'il y a eu d'éventuelles malversations financières, et vous le savez. Nous essayons de comprendre et vous nous avez donné des éléments d'explication, votre vérité, sur le fonctionnement du projet. Pourquoi a-t-il démarré en retard ? Nous le savons, il a démarré en retard pour beaucoup d'associations, et pas que la vôtre. Pourquoi s'est-il arrêté tôt ? En tout cas, il a été empêché tôt, ou mis en difficulté tôt. Au final, quelle est le résultat ? Vous dites que vous n'êtes pas satisfait. C'est que ce que nous venions chercher, votre explication dans cette affaire, et en tout état de cause, la reconnaissance de responsabilité est toujours compliquée à venir.

M. Mohamed Sifaoui. - Je ne suis pas responsable politique, et je ne suis pas dans l'administration. À mon modeste niveau, j'assume l'ensemble de mes responsabilités et la première erreur que j'ai faite est d'avoir fait confiance à Madame Schiappa et à ses équipes et d'avoir foncé. J'ai des défauts comme tout le monde, mais j'ai comme qualité peut-être la sincérité et la naïveté parfois des gens engagés. Je suis quelqu'un d'engagé monsieur le président. Les gens engagés ont parfois la naïveté de croire que les autres sont aussi engagés qu'eux. Et quand vous êtes face au cynisme, vous oubliez parfois que vous pouvez être manipulé et utilisé par le pouvoir politique. Cela a été mon cas et par prolongement, j'ai entraîné dans l'USEPPM, Cyril Karunagaran, et d'autres personnes.

M. Claude Raynal, président. - Merci, Monsieur Sifaoui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Merci, Monsieur Sifaoui. Je me dois de vous dire à titre personnel que j'ai relevé un certain nombre de contradictions entre les déclarations des uns et des autres lors des auditions. Je l'ai parfois mentionné et en général, je fais les choses à visage découvert, en toute franchise, mais sans aucune pensée accusatrice. Le Président, moi-même et les membres de la commission des finances qui ont assisté à l'ensemble ou à certaines des auditions ont pu apprécier jusqu'à maintenant la tenue des travaux. Certes, les uns et les autres peuvent avoir une expression plus affirmée. Vous n'avez pas ici, en face de vous, et à vos côtés, de personnes qui ont voulu d'une manière ou d'une autre manifester du cynisme. Nous essayons d'établir la réalité des faits et d'en tirer les enseignements pour la clarté des débats publics.

M. Mohamed Sifaoui. - Je vous remercie Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur. J'entends vos propos, je vous remercie pour la qualité de l'échange. Je vous ai répondu franchement, j'ai dit les choses telles que je les pensais et le cynisme visait notamment ceux qui, utilisant cette commission d'enquête, veulent « se faire les dents », politiquement parlant, sur des personnes qui sont par ailleurs traînées dans la boue avant même que la justice s'exprime. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique ou des élus se substituent au pouvoir judiciaire. Je vous remercie.

La réunion est close 11 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.