Jeudi 8 juin 2023

- Présidence de M. Mickaël Vallet, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de M. Éric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok SAS

M. Mickaël Vallet, président. - Chers collègues, nous entendons aujourd'hui Éric Garandeau, directeur des relations gouvernementales et des politiques publiques de TikTok pour la France.

Monsieur Garandeau, vous êtes inspecteur des finances. Vous avez notamment été conseiller auprès de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture et de la Communication, de 2002 à 2004, puis conseiller du président Nicolas Sarkozy chargé des dossiers de culture et de communication entre 2007 et 2010. Vous avez présidé le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) de 2011 à 2013.

Vous êtes président de la société Garandeau Consulting, société de conseil en innovation et ingénierie de projets dans le domaine culturel, audiovisuel et de la transformation numérique. Enfin, vous avez été nommé directeur des affaires publiques de TikTok France en septembre 2020.

Comme vous le savez, notre commission d'enquête s'intéresse à TikTok sous plusieurs angles : celui de la protection des données, celui des sujets de désinformation et d'influence, mais aussi les questions relatives aux effets psychologiques et sanitaires éventuels de l'application, notamment chez les enfants. Nos travaux nous ont également donné l'occasion d'aborder les sujets relatifs aux droits d'auteur. Sur l'ensemble de ces thèmes, le rapporteur et les membres de la commission d'enquête qui le souhaiteront auront des questions à vous poser. Toutefois, je vais d'abord vous donner la parole pour un bref propos liminaire si vous le souhaitez, au cours duquel vous pourrez notamment nous préciser vos fonctions au sein de TikTok.

Je rappelle que cette audition est captée et retransmise en direct sur le site du Sénat. Avant de vous laisser la parole, je vais procéder aux formalités d'usage pour les commissions d'enquête. Je dois ainsi vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « je le jure ».

M. Garandeau lève la main droite et dit « Je le jure ».

Vous avez la parole.

M. Eric Garandeau, directeur des affaires publiques de TikTok SAS. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, et messieurs les sénateurs, je commence par me présenter. Je suis directeur des relations institutionnelles et des affaires publiques de TikTok en France. J'ai été recruté le 7 septembre 2020 après plus de 20 ans de carrière au service de la culture, de l'innovation et du numérique. J'ai rejoint TikTok car cette plateforme apporte une nouvelle culture, une nouvelle écriture audiovisuelle et une nouvelle génération de cinéastes avec des codes qui leur sont propres. C'est aussi une nouvelle manière de diffuser et de partager des oeuvres et des moments de vie au profit du plus grand nombre : musique, énergie, vitesse, joies du partage, dialogue des cultures sur la toile du monde. Au fond, TikTok nous renvoie aux années folles, au surréalisme, à l'invention du cinématographe. TikTok est « la minute Lumière » au format vertical.

Je vous remercie de cette opportunité qui nous est donnée d'intervenir devant votre commission. Nous avons mobilisé l'ensemble de nos équipes pour répondre avec la plus grande attention à tous les questionnaires qui nous ont été adressées. Cette audition permet de répondre plus directement à vos attentes et à vos légitimes interrogations.

TikTok a été créé il y a moins de six ans et appartient au groupe ByteDance limited fondée en 2012. Sa direction opérationnelle est partagée entre Singapour où réside notre CEO, et les États-Unis, à Los Angeles, où sont localisées les centres de décision sur les opérations. Enfin, c'est à Dublin, en Europe, que notre entité dénommée Trust and Safety (confiance et sûreté), dotée de 40 000 personnes, assure la sécurité et la protection des utilisateurs et de leurs données, sous le pilotage global d'un directeur de nationalité irlandaise.

Nos priorités n'ont jamais changé. La plus ardente est la sécurité et le bien-être de nos utilisateurs. Notre politique de traitement des données vise aux plus hauts standards de sécurité. Elle est fondée sur un principe clé, celui de la souveraineté numérique, qui passe par la localisation des données au plus près des utilisateurs, avec intervention d'un tiers de confiance et un recours aux technologies de protection les plus avancées. La protection des jeunes utilisateurs âgés de 13 ans et plus est aussi au coeur de nos préoccupations, ce qui passe par des fonctionnalités restreintes, des contenus adaptés, une limitation du temps d'écran. Tout cela est réalisé en étroite collaboration avec le monde académique et les associations spécialisées - je pense notamment à l'association e-enfance.

La deuxième priorité est d'oeuvrer au service de nos utilisateurs et de leur communauté, au plus près. C'est la raison pour laquelle TikTok développe des équipes locales dans les différents pays chargées d'accompagner les créateurs, les institutions, les marques. Marlène Masure pourra cet après-midi vous en dire davantage sur ce sujet. Pour ma part, je suis naturellement chargé de veiller à ce que TikTok respecte pleinement les lois et règlements en vigueur mais aussi l'écosystème propre à la France. Pour que le développement de l'entreprise soit le plus utile possible à la société française dans toutes ses composantes, de l'éducation à la santé publique en passant par l'emploi, le tourisme, le soutien aux petites et moyennes entreprises, la contribution à l'information et au débat public, ainsi qu'au rayonnement international de la France et de ses territoires.

Mesdames et messieurs, je suis à votre disposition.

M. Mickaël Vallet. - Merci monsieur le directeur. Nous commençons par les questions du rapporteur.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Merci monsieur le président, et merci M.  Garandeau d'avoir répondu à notre invitation. Je ne sais pas s'il en est de même pour vous mais nous étions quant à nous impatients et curieux de vous entendre.

Lorsqu'on lit les déclarations des responsables de TikTok - pas seulement en France -, ou qu'on se rend sur les sites de TikTok, il y a un mot qui revient sans cesse, c'est celui de transparence. Je me permets de citer la page d'accueil de votre site français : « Chez TikTok, notre mission est d'inspirer la créativité et d'apporter la joie. Nous sommes passionnés par le fait de gagner la confiance de notre communauté, en construisant celle-ci de manière responsable, équitable et ouverte ». Nous avons interrogé beaucoup de monde pour cette commission d'enquête, que ce soit des régulateurs, des journalistes, des ministres, des commissaires européens et bien d'autres. Le mot qui revient 99 fois sur 100 est celui d'opacité. On peut le résumer par ce passage d'un article du Monde que vous me permettrez de citer, du 16 janvier 2023 : « Le travail de l'équipe dirigeante de TikTok en France consiste en réalité à tenter de nettoyer l'image d'opacité, sans perdre en opacité. C'est ainsi qu'en 2020 l'entreprise a recruté Éric Garandeau, nommé directeur des affaires publiques. L'utile entremetteur joue le monsieur incendie, s'emploie à l'évangélisation des cabinets ministériels et agite ses réseaux en tous sens ». Je ne doute pas que vous ayez aujourd'hui à coeur de démontrer la pertinence de la devise de TikTok sur son site et de faire mentir cet article et l'impression plutôt mitigée qu'il donne de votre entreprise. Vous souhaitez sûrement nous faire ici une démonstration de transparence.

Je voudrais commencer, pour que tout le monde sache de quoi on parle, par l'organigramme de l'organisation de TikTok France. Vous nous l'avez fait parvenir ; il est même assez détaillé. Il manque juste une personne dans cet organigramme : la présidente de TikTok France. Cela nous a un peu surpris. C'est un peu comme si on demandait l'organigramme de Facebook et qu'il n'y avait pas M. Zuckerberg. Nous avons pris d'autres renseignements du côté de Bercy et du côté du tribunal de commerce. Nous nous sommes rendus compte que la présidente de TikTok France, c'est-à-dire celle qui a signé et a déposé les statuts au tribunal de commerce, s'appelle madame Zhao Tian. C'est une Chinoise de Chine, pas une Chinoise de France. Elle a fait ses études à la célèbre Académie diplomatique de Pékin, qui forme les diplomates et tout ce qui est « paradiplomatique. Je trouve un peu dommage de ne pas avoir joint à cet organigramme la personne qui dirige juridiquement TikTok France, Madame Zhao Tian.

M. Eric Garandeau. - Monsieur le rapporteur, vous avez cité Facebook et son président. Le président de TikTok est connu, il s'agit de monsieur Shou Chew. Il est tout à fait connu et il représente régulièrement l'entreprise. S'agissant de TikTok SAS, c'est-à-dire de TikTok France, nous vous avons transmis l'organigramme qui correspond à la réalité de l'activité et de l'organisation de TikTok en France. La plupart des entreprises de la tech, y compris certainement celle que vous citiez, ont des filiales dans tous les pays du monde. Compte tenu d'une croissance très rapide, il est nécessaire de créer des filiales dans le monde entier. Pour des raisons de facilité, la même personne est nommée à la tête d'un grand nombre de filiales. Pour des raisons juridiques, il est nécessaire d'avoir un président dans chaque filiale mais cette personne n'exerce pas de responsabilités opérationnelles, à telle enseigne que je ne l'ai jamais rencontrée. Je crois d'ailleurs qu'elle est de nationalité canadienne et qu'elle opère sur des sujets d'éthique et de déontologie, mais absolument pas en France. Nous ne l'avons jamais rencontrée.

La réalité de l'organisation de l'entreprise - c'est, je pense, cela qui vous intéresse - est que nous sommes organisés en différentes directions. Chaque responsable de pôle (les relations institutionnelles pour ce qui me concerne, la direction des opérations et des contenus pour Marlène Masure) répond à un supérieur hiérarchique qui se trouve à Londres puisque TikTok UK est notre maison mère européenne. De même que je réponds à Theo Bertram, vice-président en charge des affaires publiques au niveau européen, Marlène Masure répond à Rich Waterworth, directeur général en charge des contenus et des opérations pour toute l'Europe. C'est ainsi que nous fonctionnons. Nous avons un troisième pôle : le Global Business Services, qui travaille pour le compte d'une troisième division, également située à Londres, au sein de TikTok UK. La personne que vous citiez n'a absolument aucun rôle opérationnel dans l'entreprise et je ne l'ai jamais rencontrée.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - J'apporte une précision. Vous avez indiqué que Madame Zhao Tian était canadienne. Comme beaucoup de Chinois - et pour des raisons diverses - elle a pris une autre nationalité, en plus de sa nationalité chinoise. C'est toujours plus prudent... Elle est Chinoise, en plus d'avoir la nationalité canadienne.

Lorsque nous vous avons envoyé le questionnaire, nous vous avons demandé un certain nombre de renseignements sur l'actionnariat, question à laquelle nous n'avons pas aujourd'hui de réponse. Ce qui est important pour nous est autant le juridique que l'opérationnel. Nous souhaitions avoir l'ensemble de l'organigramme de TikTok. Il a fallu le chercher ailleurs. Par ailleurs, nous avons été surpris de constater que TikTok France, dont le chiffre d'affaires était de 29 millions d'euros l'an dernier et a dû doubler ou tripler cette année, était une société simplifiée à actionnaire unique. Cela est assez peu fréquent pour une société avec un chiffre d'affaires de ce montant. Juridiquement, Mme Zhao Tian est la seule habilitée à pouvoir prendre toute décision telles que la vente de la société, l'acquisition d'autres sociétés ou encore des décisions de fusion. Elle n'est peut-être pas opérationnelle mais sur le plan du devenir de l'entreprise, elle joue un rôle majeur.

Nous avons invité Mme Zhao Tian, ainsi que trois autres dirigeants de TikTok : M. Shou Chew, M. Zhang Yiming et M. Liang Rubo. Ils ne nous ont pas répondu encore ; je ne sais pas s'ils auront le temps de venir nous voir. Je comprends que Mme Zhao Tian n'ait pas le temps de venir nous voir parce qu'elle fait beaucoup d'autres choses, ce que vous avez reconnu. C'est tout de même un peu dommage qu'elle ne vienne pas visiter la France, alors qu'elle est la présidente directrice générale de TikTok France...Elle est également présidente de TikTok UK. Elle est aussi au board de TikTok Australie. Enfin, elle est également vice-présidente de Toutiao, ce qui pose problème.

Vous essayez désespérément de répondre à l'accusation permanente selon laquelle TikTok est une société chinoise, ou en tout cas une société dont le centre de décision se situe en Chine, sous influence du parti communiste chinois dans ses instances dirigeantes. Comme tous les dirigeants de TikTok en Occident, vous assurez n'avoir rien à voir avec la Chine. Les entités seraient séparées, ByteDance et TikTok étant enregistrés aux îles Caïman. Vous n'auriez rien à voir avec Douyin, nouveau nom de ByteDance Chine. Toutiao est une filiale de Douyin. Vous nous expliquez qu'il n'y a aucun lien entre les TikTok occidentaux et les entités chinoises. Or, la présence de Mme Zhao Tian, vice-présidente de Toutiao, à la tête de TikTok France semble démontrer l'inverse. Elle a d'ailleurs récemment partagé sur son LinkedIn un post indiquant qu'elle était à ce poste depuis 8 ans et trois mois et qu'elle en était très fière. Dans ces conditions, comment peut-on affirmer que TikTok France n'a pas de lien avec ByteDance Chine ?

M. Eric Garandeau. - Monsieur le rapporteur, je pense qu'il est peut-être utile pour l'auditoire de rappeler l'organisation du groupe ByteDance, comme vous l'avez fait rapidement. En matière d'organisation juridique du groupe, il y a bien une séparation totale entre TikTok et d'autres entités opérant en Chine. ByteDance Limited, maison mère immatriculée dans un territoire britannique d'outre-mer, détient à 100 % TikTok limited. TikTok limited a quant à lui des filiales dans les différents territoires, aux États-Unis et en Europe. En Europe se trouvent TikTok UK et TikTok Irlande. TikTok Irlande est l'entité en charge d'opérer la plateforme, d'avoir des relations avec les utilisateurs et les autorités de régulation, pour tout ce qui concerne par exemple l'application du RGPD ou encore du DSA. TikTok UK, outre qu'elle opère la plateforme pour les citoyens britanniques, est aussi notre entité maison mère pour l'Europe, dont TikTok SAS France est aussi la filiale. En termes d'organisation verticale, du haut en bas, de Bytedance limited jusqu'à TikTok SAS, la chaîne est bien entièrement soumise à un droit qui n'est pas chinois, mais qui est conforme aux droits des pays dans lesquels ces entités opèrent. Il n'y a aucun lien avec la Chine. Le lien se fait, comme vous le disiez, au niveau de Douyin, filiale de ByteDance Limited. Les deux sont totalement détachés.

S'agissant de la présidente de TikTok SAS, comme c'est l'usage dans un grand nombre d'entreprises technologiques mondialisées (TikTok est présent dans plus de 80 pays), il est très usuel que des dizaines de filiales soient créées en même temps. Par facilité, c'est la même personne qui est présidente de chaque filiale mais cela n'entraine aucune responsabilité opérationnelle. Comme je vous l'ai indiqué, je n'ai jamais vu cette personne, ni à l'occasion de mon recrutement, ni par la suite. J'ai été recruté par M. Theo Bertram, par Rich Waterworth et par le CEO de TikTok de l'époque, Kevin Mayer. Mme Zhao Tian n'a jamais eu la moindre responsabilité dans TikTok SAS.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je viens pourtant de vous indiquer qu'elle avait tout pouvoir sur l'avenir juridique de TikTok. Elle peut décider demain de vendre la société ou de la dissoudre puisqu'elle en est l'actionnaire unique. Je regrette que vous ne l'ayez jamais vue. Elle a des fonctions juridiquement extrêmement importantes sur le contrôle de la société. Vous m'avez parlé de l'enchainement vertical des sociétés. J'insiste quant à moi sur les relations horizontales. Vous essayez désespérément depuis trois ans - et encore plus depuis les décisions d'interdiction aux États-Unis et en Europe - de réfuter les liens entre les deux entités. Or, Mme Zhao Tian a bien des responsabilités juridiques, aussi bien en Chine qu'en France et dans d'autres pays. Vous comprenez bien que ça pose un problème. Le discours qui consiste à dire qu'il n'y a pas de lien est quand même difficile à tenir.

M. Eric Garandeau. - TikTok SAS est détenue par TikTok UK, qui est lui- même détenu par TikTok limited, détenu par ByteDance limited. M. Shou Chew est le CEO de TikTok. Suivent des chaînes opérationnelles composées des relations publiques, du marketing et des fonctions commerciales. Voilà la chaîne hiérarchique de notre groupe. La fonction de présidente est une fonction purement formelle, elle n'a aucune conséquence opérationnelle.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Mais elle a des conséquences juridiques, nous sommes d'accord ?

M. Eric Garandeau. - Elle n'a pas de conséquences dans la manière dont le groupe est dirigé. Par ailleurs, indépendamment de cette organisation juridique, nous avons évidemment mis en place toute une série de contrôles. Votre préoccupation légitime porte sur la sécurité des données des utilisateurs européens. Sachez que nous avons aussi mis en place de manière technique des systèmes qui permettent d'éviter toute forme d'intrusion et d'ingérence. Cela passe notamment par le projet Clover, que vous connaissez, qui consiste à créer en Europe des centres de données sécurisés par une entité tierce qui ne sera pas TikTok mais une entité européenne, de manière à ce que les données des utilisateurs européens soient pleinement protégées. Il s'agit d'un investissement d'1,2 milliard d'euros par an visant précisément à éviter non seulement toute critique, mais tout risque d'intrusion non désirée. Nous mettons aussi en place des contrôles de sécurité, de manière à ce qu'un nombre limité de personnes ait accès à ces centres de données. Tout accès extérieur doit être minimisé, c'est-à-dire ramené au minimum nécessaire pour assurer le fonctionnement de la plateforme. Nous recourons aussi, comme je le disais dans l'introduction, aux technologies de protection les plus avancés en matière d'encryption, d'anonymisation et de pseudonymisation des données d'agrégation pour éviter tout risque.

Dans l'organisation du groupe, nous n'avons - je le répète - que des entités de droit international, qui ne sont jamais soumises au droit chinois. Notre entité Trust and Safety est dirigée par un Irlandais et comprend 40 000 personnes, réparties aussi dans plusieurs pays, notamment à Singapour et aux États-Unis. Cette entité est en charge de faire respecter les règles communautaires de TikTok, ces règles interdisant toute tentative de désinformation, de manipulation de l'opinion et d'atteinte à l'intégrité d'une élection. Outre l'intervention d'un très grand nombre de modérateurs, des tiers de confiance comme l'AFP agissent également pour prévenir ces risques. Quelle que soit la nationalité des personnes, nous veillons à ce que le système soit suffisamment robuste et sophistiqué pour empêcher toute intrusion, toute ingérence et toute manipulation de l'information.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je crois que nous ne parlons pas exactement la même langue. Je vous parle juridique et vous me répondez opérationnel. Je suis tout à fait prêt à entendre des éléments sur l'opérationnel et c'est ce que nous allons voir tout à l'heure. Mais pour le moment je commence par le juridique et par l'organisation des sociétés TikTok et ByteDance.

Vous nous dites qu'aucune de ces entités n'est jamais soumise au droit chinois. Or, il se trouve que la présidente de TikTok UK comme de TikTok France est Mme Zhao Tian, qui est une ressortissante chinoise. Elle peut donc prendre les décisions juridiques essentielles pour votre société. Depuis les deux lois chinoises de 2017 et 2019, tout citoyen chinois et toute société chinoise sont tenus de collaborer avec les autorités. Cela était déjà le cas dans les faits mais cela est désormais inscrit dans le droit. M. Jack Ma et M. Zhang Yiming pourraient nous parler des désagréables conséquences de ces lois...

En même temps que le gouvernement chinois a fait passer ces deux lois, il a pris également la décision que son droit s'appliquerait de façon extraterritoriale. Cela signifie que tous les Chinois non seulement en Chine, mais même à l'extérieur de la Chine, sont tenus d'en référer au gouvernement chinois. La société TikTok SAS France et la société TikTok UK limited sont dirigées par une présidente chinoise, dont on a rappelé les pouvoirs. Du fait de l'extraterritorialité du droit chinois, elle est obligée - si le gouvernement chinois le décide -, d'obéir aux injonctions gouvernementales. Dans ce contexte, j'ai du mal à comprendre pourquoi vous avez décidé de nommer une présidente chinoise, dont vous dites qu'elle n'a strictement aucun rôle opérationnel. Vous auriez pu aussi bien prendre M. Dupont, cela aurait été moins ennuyeux pour vous...Aujourd'hui, nous nous retrouvons avec cette interrogation légitime.

Il quand même difficile d'expliquer que cette dame, même si vous ne l'avez jamais vuee et qu'elle n'a jamais mis les pieds en France, ne pourrait pas prendre des décisions inspirés ou suggérées - c'est une litote - par le gouvernement chinois.

M. Eric Garandeau. - En termes de droit des sociétés, il y a, comme je l'ai rappelé, un empilement de sociétés : TikTok SAS, TikTok UK, TikTok limited et ByteDance. Le pouvoir descend jusqu'en bas depuis le conseil d'administration de la maison mère ByteDance limited, non soumis au droit chinois. Parmi les membres du conseil d'administration de ByteDance et parmi les apporteurs de capital, se trouvent Bill Ford, qui représente General Atlantic, un fonds d'investissements institutionnel américain, Arthur Dantchik, de Susquehanna, autre fonds d'investissements institutionnel américain, Philippe Laffont, qui est français - c'est intéressant de le mentionner - et qui intervient au nom du fonds d'investissement Coatue Management, Neil Shen, au nom de Sequoia China et enfin Rubo Liang, président de ByteDance. C'est là qu'est le pouvoir de ByteDance.

Ces personnes et ces entités, qui représentent 60% du capital de ByteDance, exercent le véritable pouvoir. Pour être exhaustif, 20% du capital appartient au fondateur, Zhang Yiming, et les 20% restants appartiennent aux salariés du groupe ainsi qu'à des petits actionnaires. Le fait qu'il y ait telle ou telle personne à la tête des filiales est une pratique courante dans la plupart des entreprises multinationales. Pour des raisons de facilité et parce que le droit l'oblige, c'est souvent la même personne qui est à la tête des différentes filiales des pays, sans que cette personne n'ait un rôle opérationnel.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Merci de cette de cette réponse, qui à mon avis ne correspond pas vraiment à la question.

M. Eric Garandeau. Pour répondre aux questions sur la nationalité et sur l'extraterritorialité des lois chinoises, tout ce que nous avons mis en place vise précisément à éviter le moindre risque, quelle que soit la nationalité des personnes et quel que soit le gouvernement. Par l'intégrité et la robustesse de notre système, par l'existence de tiers de confiance assurant la cybersécurité des centres de données, par l'engagement de très grandes équipes de modérateurs des contenus intervenant dans toutes les langues (plus de 70 langues, 600 modérateurs de langue française), nous faisons en sorte qu'il n'y ait pas d'atteinte à l'intégrité de la plateforme. Pour nous, cela est vraiment important et nous sommes une des entreprises, je pense, les plus avancées en la matière.

Investir 1,5 milliard de dollars aux États-Unis pour construire des centres de données sécurisées via Oracle - ces données étant mêmes opérées dans l'entité dédiée US DS, avec l'intervention de 1000 personnes de nationalité américaine - permet d'assurer l'impossibilité pour quiconque, quelle que soit sa nationalité, fût-elle chinoise, de pouvoir porter atteinte à ce dispositif. Nous disposons par ailleurs d'un tiers de confiance supplémentaire qui valide chaque modification du code source. Chaque actualisation du code de TikTok, lorsqu'elle est envoyée dans les magasins d'applications, est vérifiée à la fois par Oracle et par ce deuxième tiers de confiance. Je souligne que les utilisateurs européens bénéficient de ce système, puisque c'est le même code source qui est injecté aux États-Unis et qui permet à tout un chacun de télécharger TikTok dans le monde entier.

Nous sommes en train également d'appliquer cette démarche en Europe, à travers le projet Clover. Nous avons construit un premier data center à Dublin, nous en construisons un deuxième.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous nous l'avez déjà dit et ce n'était pas vraiment ma question.

M. Eric Garandeau. - Je comprends mais j'essaie de répondre à votre légitime interrogation en montrant que la robustesse du système et le fait de passer par des tiers de confiance qui ne sont pas TikTok pourront justement vous apporter des assurances. La construction de centres de données en Europe, sécurisés par un tiers de confiance européen, ainsi que la possibilité d'un audit du dispositif par l'ANSSI sont - je pense - la meilleure façon de répondre à votre légitime préoccupation.

Vous parlez de la Chine mais on peut parler d'autres pays. La Chine n'est pas le seul pays qui peut avoir envie de réaliser des intrusions. Au déclenchement de la guerre en Ukraine, nous avons pris des mesures très fortes, nous avons recruté des modérateurs dans les langues ukrainienne et russe pour pouvoir nous assurer que personne ne porterait atteinte à l'intégrité de la plateforme ou ne diffuserait des fausses informations. Nous avons d'ailleurs été le la première plateforme à interdire l'accès à Sputnik et à Russia Today. Nous avons même labellisé les comptes de médias détenus par des États, qu'ils soient chinois, russes ou de toutes nationalité, pour la bonne information de nos utilisateurs. Nous faisons un travail permanent pour nous améliorer.

M. Mickaël Vallet, président. - Nous aborderons plus tard les questions liées au contrôle de l'information. Monsieur le rapporteur poursuit ses questions sur le domaine juridique.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Si à chaque fois que nous parlons actionnariat juridique, vous nous parlez opérationnel, l'audition risque d'être un peu longue.

Je reviens à ce que vous disiez sur l'actionnariat de ByteDance Caïmans. Les îles Caïmans sont classés deuxième au classement 2021 des paradis fiscaux du réseau international pour la justice. Elles sont l'un des grands paradis fiscaux du monde, abritant de nombreuses sociétés offshore en tant que sociétés écrans. Se déclarer transparent en établissant son siège dans le paradis des sociétés écrans, n'est-ce pas une sorte d'oxymore ?

M. Eric Garandeau. - Il me semble que votre souci, encore une fois légitime, est qu'il n'y ait pas de pression exercée par un État sur TikTok. De ce point de vue, le fait d'être établi ni en Chine, ni d'ailleurs aux États-Unis, est plutôt une sécurité. Les îles Caïmans sont un territoire britannique d'outre-mer soumis au système de Westminster. Je n'ai pas d'autre commentaire à faire.

M. Mickaël Vallet, président. - Il n'y a en tout cas pas de pression fiscale...

M. Eric Garandeau. - Il me semble que vous intéressez aux pressions politiques.

M. Mickaël Vallet, président. - Non, notre commission d'enquête s'intéresse à tous les sujets liés à TikTok, nous sommes multicartes.

M. Eric Garandeau. - S'agissant de la fiscalité, je peux en parler même si je serai un peu limité par le secret fiscal. Mais je serais ravi d'échanger à ce sujet.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous avez d'ailleurs également pris des précautions aux États-Unis puisque TikTok États-Unis est enregistré au Delaware, qui comme chacun sait est à peu près le même paradis fiscal que les îles Caïmans.

Je reviens à l'actionnariat. ByteDance brandit cet actionnariat sur son site, en indiquant tous les grands fonds d'investissements ayant investi des milliards de dollars dans l'entreprise. Vous nous avez cité les membres du board et notamment M. Rubo Liang et M. Neil Shen qui comme Mme Zhao Tian sont chinois. Du fait de l'extraterritorialité, ils risquent un jour ou l'autre d'avoir quelques contacts de la part du gouvernement chinois. Le président de ByteDance est un chinois.

M. Eric Garandeau. - Si vous me le permettez, il est résident singapourien.

M. Claude Malhuret. - Mais il a la nationalité chinoise et est donc sujet au droit chinois. Ce qui m'intéresse dans l'actionnariat, ce n'est pas le pourcentage des parts détenues par chacun des actionnaires, ce sont les droits de vote. Comme disait Staline, « ce qui compte ce n'est pas les votes ; c'est qui compte les votes ». ByteDance est une VIE (Valuable Interest Entity), c'est-à-dire que les droits de vote ne correspondent pas aux parts détenues par les différents actionnaires. Vous avez indiqué que les fondateurs avaient 20% du capital. En France, M. Zhang Yiming est bénéficiaire à 26% ; c'est ce qui est inscrit au tribunal de commerce. Il est le seul à apparaitre auprès du tribunal de commerce car les bénéficiaires ne doivent y être inscrits qu'à partir de 25%. J'imagine, en remontant la chaîne, que si M. Zhang Yiming est bénéficiaire à 26% de TikTok SAS France, il est également actionnaire à 26% de ByteDance Caïmans, mais je peux me tromper. Quelle est la part des fonds d'investissement, des fondateurs et des salariés (éventuellement le nom des salariés car il ne s'agit pas de développeur de base) ? Deuxièmement, quelle est la répartition des droits de vote au sein de ByteDance Caïmans ?

M. Eric Garandeau. - ByteDance est une société non cotée. Cela explique qu'elle ne publie pas toutes les données que publient des sociétés cotées, soumises quant à elles à des obligations de publication plus importantes. Par ailleurs, ce sont des données que je n'ai pas en ma possession. Je ne suis pas sûr qu'on puisse les partager publiquement dans cette audition. Je me permettrais en tout cas de revenir vers vous sur ce sujet sous forme probablement écrite.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Nous vous l'avions déjà demandé dans les questions écrites. Si c'est possible, vous auriez eu le temps de les demander.

Je voulais vous poser quelques questions sur M. Zhang Yiming, le fondateur de ByteDance et de TikTok. À ma connaissance, il est actionnaire à 26% de Bytedance. Je ne connais cependant pas ses droits de vote, ni ceux de M. Rubo Liang. M. Zhang Yiming était l'actionnaire quasi unique de ByteDance Chine. A 36 ans, il a brusquement quitté toutes ses fonctions de direction à ByteDance Chine qui est devenu ensuite Douyin, au moment même où Jack Ma et un certain nombre d'autres prenaient le même type de décisions, visiblement directement inspirées par le gouvernement chinois. En ce qui concerne Zhang Yiming, je n'en sais rien. En janvier 2022, M. Zhang Yiming a cédé toutes ses parts d'un seul coup - 99 % de l'entreprise - à la société XXQT.

Cette entreprise avait été créée 15 jours auparavant et a racheté une entreprise qui vaut aujourd'hui quelques centaines de milliards. Elle est détenue à 50-50 par deux personnes : M. Yin Ping et M. Li Ying. En général, les personnalités de la tech ont une grande visibilité, via leurs sites personnels ou leurs LinkedIn. Ces deux personnes sont pourtant absolument introuvables sur Internet. Tout ce qu'on en sait c'est que M. Li Ying est un cadre local du PC à Xiamen. Or, Xiamen est la ville dans le Fujian dont M. Xi Jinping a été le maire et où il a démarré sa carrière politique dans les années 1988-1990.

Cette société avait un capital, je crois, d'environ 150 000 euros. Elle a racheté une société qui avait un capital se comptant en centaines de millions ou en milliards de de dollars. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas connaissance de ce que vous indiquez. Je n'ai pas à commenter ce qui me semble très loin à la fois de mon rôle de directeur des relations institutionnelles de TikTok France et assez loin de TikTok en réalité. Le fondateur de ByteDance a en effet quitté ses fonctions opérationnelles. Je crois même que nous vous avons transmis le message qu'il avait envoyé à tous les salariés du groupe à cette occasion. Il y indiquait qu'il souhaitait quitter ses fonctions opérationnelles, qui étaient extrêmement prenantes, souhaitant consacrer son temps à réfléchir à la stratégie du groupe. Il est un entrepreneur visionnaire, qui pense au long terme. Il voulait se dégager de la gestion quotidienne de ce groupe. Si vous le souhaitez, nous pourrons vous apporter plus de précisions par écrit.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Cela m'intéresse car M. Zhang Yiming est aujourd'hui actionnaire à 26% apparemment de ByteDance Caïmans. Il a peut-être même la majorité des droits de vote ; je n'en sais rien puisque cette VIE a l'air très difficile à ausculter. C'est la raison pour laquelle j'aimerais connaitre la répartition des droits de vote et la part de M. Zhang Yiming.

M. Zhang Yiming avait eu quelques problèmes avec le Parti communiste chinois lorsqu'il était PDG de ByteDance Chine devenue Douyin. Il était également PDG de Toutiao dont Madame Zhao Tian est vice-présidente. Il a eu le malheur de faire un site parodique, du type Canard enchaîné, ce qui pose assez peu de problèmes en France mais peut évidemment conduire à quelques difficultés en Chine... Il s'est fait taper sur les doigts. Voilà ce qu'il dit dans une autocritique, qui évidemment lui a été dictée, dans le plus pur style maoïste, auquel on est en train de revenir en Chine : «  J'exprime mes plus sincères excuses aux autorités à nos usagers et à mes collègues. Depuis que j'ai reçu hier la note des autorités de régulation, je suis plein de remords et de culpabilité qui m'ont empêché de dormir. Toutiao fermera définitivement son application Neihan Duanzi et tous ses comptes. Notre produit a pris un mauvais chemin et à proposé un contenu incompatible avec les valeurs de base du socialisme. Nous n'avons pas été assez attentifs et n'avons pas assez mis l'accent sur la responsabilité sociale de l'entreprise dans la promotion d'une énergie positive et la compréhension des principes corrects qui doivent guider l'opinion publique. En tant que start-up en développement rapide dans le sillage du 18ème congrès national du parti communiste chinois, nous sommes pleinement conscients que ce développement a été permis par cette ère glorieuse. J'exprime mes remerciements pour cette ère, j'exprime ma gratitude pour cette occasion historique de réformes économiques et d'ouverture et envers ce gouvernement qui a permis le développement de l'industrie technologique ». Il conclut en prenant des engagements : « Premièrement renforcer le travail de construction du parti au sein de l'entreprise, réussir l'éducation de toute notre équipe quant aux quatre consciences, aux valeurs de base du socialisme, aux principes qui guident l'opinion publique, aux lois et règlements pour agir vraiment dans le sens de la responsabilité sociale de l'entreprise. Approfondir la coopération avec les médias officiels, augmenter la diffusion des contenus officiels et s'assurer que la voix des média officiel soit relayée avec force.Renforcer le système de responsabilité de la rédaction en chef. Corriger entièrement les déficiences dans le contrôle des algorithmes et des ordinateurs » Notons cet engagement à renforcer le contrôle des algorithmes et des ordinateurs. «  Enfin, renforcer les opérations et les contrôles humains ».

Monsieur Zhang Yiming est aujourd'hui actionnaire à 26% de ByteDance Caïmans, et il est peut-être décisionnaire en matière de de droits de vote. Avec M. Rubo Linag, ils doivent avoir sans doute la majorité des droits de vote. Ils sont soumis à l'extraterritorialité du droit chinois et ils ont, par cette autocritique de 2018, exprimé leur volonté de se conformer très strictement à la loi chinoise et à ce que leur demanderait le parti communiste chinois. Cela fait un peu tâche dans une société mondiale comme Bytedance, établi aux Caïmans et qui est censé n'avoir aucun rapport avec la Chine.

M. Eric Garandeau. - Il me semble que vous évoquez des faits qui se sont passés en Chine et qui correspondent à l'activité de filiales et même de sous-filiale du groupe ByteDance en Chine. Il me semble que les préoccupations encore une fois légitimes de votre commission portent sur TikTok et sur l'activité de TikTok en France. Du point de vue du droit des sociétés, il me semble avoir démontré que ByteDance étant immatriculée effectivement aux îles Caïmans et étant actionnaire à 100% de TikTok Limited, lui-même immatriculée dans les îles Caïmans, il n'y a juridiquement absolument aucune possibilité d'avoir des pressions ou des demandes d'interventions de la part du gouvernement chinois ou de toute entité chinoise. Il n'y a aucun pourcentage du capital de ByteDance ou de TikTok qui est détenu par une entité émanant de la Chine.

Par ailleurs, nous publions dans un rapport de transparence trimestriel l'ensemble des demandes des autorités administratives de tous les pays du monde qui sont effectués auprès de TikTok. Dès qu'un gouvernement s'adresse à TikTok dans le cadre de procédures administrative et judiciaire, nous publions cette demande. Nous savons ainsi qu'il y a eu 228 demandes effectuées par la France au 1er semestre 2022, 1150 en Allemagne. 0 émane de la Chine pour une raison simple : TikTok n'opère pas en Chine. Cette étanchéité est bien assurée à la fois dans le droit des sociétés et par des outils de transparence. Je ne reviens pas sur tout le dispositif technique que nous avons évoqué avec la création de data centers protégés, avec ces tiers parties, ces systèmes de lutte contre les cyber intrusions. C'est d'ailleurs un Irlandais basé en Irlande qui dirige l'entité Trust and Safety. Même dans le cas d'une demande adressée à une importante personnalité travaillant dans le groupe, ce système de sécurité, avec ses droits d'accès, permet que ce soit impossible.

M. Claude Malhuret. - Vous nous dites depuis le début de cette audition que TikTok n'est pas disponible en Chine continentale, tandis que Douyin n'est pas disponible en dehors de la Chine continentale. Mais vous omettez de dire pourquoi TikTok n'opère pas en Chine continentale. TikTok n'opère pas an Chine continentale parce qu'il y est interdit par le gouvernement, comme les Gafam. Pourquoi ne protestez-vous pas, comme les Gafam, contre cette interdiction d'un gouvernement totalitaire et contre cette censure qui empêche les plateformes qui ne sont pas chinoises d'intervenir en Chine ? Si vous êtes totalement indépendant, cela ne devrait pas vous poser de problème.

M. Eric Garandeau. - TikTok est une application communautaire, c'est-à-dire qu'il ne produit pas de contenu ; ce sont les utilisateurs qui créent des contenus. Vous pouvez constater en vous rendant sur l'application qu'un mot-dièse comme « ouïghours » a été visionné plus de 400 millions de fois. Des vidéos défendant ces communautés sont en accès libre sur l'application TikTok. La liberté d'expression est totale y compris pour critiquer tel ou tel gouvernement.

M. Claude Malhuret. - Sauf en Chine.

M. Eric Garandeau. - TikTok est présent dans un très grand nombre de pays et elle est utilisée par des communautés, y compris les communautés ouïghoures. Je sais que vous êtes très attaché à ce sujet. Elles peuvent s'exprimer librement sur TikTok pour défendre leurs droits. Vous avez auditionné Raphaël Glucksmann qui fait état sur TikTok de tous ses discours très critiques sur le gouvernement chinois. Il fait d'ailleurs de très beaux scores d'audience. Le rôle de TikTok est d'être cet espace de liberté d'expression totale dans le respect évidemment de la tolérance d'autrui, où chacun peut exprimer ses idées sans aucune forme de censure.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous êtes directeur des affaires publiques d'une société dont la maison mère est ByteDance Caïmans, qui publie 400 millions de messages ou de vidéos sur les Ouïgours chinois. Les seuls qui ne peuvent pas voir ces vidéos de soutien, ce sont les Chinois. Par ailleurs, dans le même groupe ByteDance Caïmans se trouve la société Douyin, qui est chinoise et qui bien évidemment est totalement censurée. Trouvez-vous normal d'appartenir à un groupe au sein duquel la société qui permet de s'exprimer librement n'est pas accessible en Chine ? Trouvez-vous normal d'appartenir à un groupe au sein duquel la société Douyin, avec un algorithme qui est resté pratiquement identique à celui de TikTok, est totalement censurée par le gouvernement chinois ? Vous ne protestez pas ?

M. Eric Garandeau. - Je suis fier d'appartenir à une entreprise comme TikTok, qui promeut le dialogue de toutes les cultures, où la liberté d'expression est totale. J'aurais été évidemment très mal à l'aise dans le cas contraire, et je ne serais pas à ce poste. À chaque fois, nous avons défendu la liberté d'expression. TikTok a d'ailleurs publié un engagement en faveur des droits de l'homme. Dans la mesure du possible, à chaque fois qu'il y a une difficulté, nous défendons la liberté d'expression. On peut parler de tout sujet sur TikTok, y compris de la Chine.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - À titre personnel, que pensez-vous de la politique du gouvernement chinois envers les Ouïgours ?

M. Eric Garandeau. - Si vous m'interrogez à titre personnel, je condamne bien entendu toutes les atteintes qu'il peut y avoir aux droits de l'homme, pas seulement en Chine mais dans le monde entier.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Et envers les Tibétains ?

M. Eric Garandeau. - Je les condamne également envers les Tibétains. Comme je vous le disais, il y a hélas des atteintes aux droits de l'homme dans bien d'autres pays. TikTok est cette plateforme où toutes les ONG peuvent s'exprimer en toute liberté. Les comptes de Médecins sans frontières réalisent des vidéos ayant un très beau succès, comme la Croix-Rouge. Ces vidéos permettent d'être les voix de ces peuples qui aspirent à la liberté.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Quelle est votre opinion personnelle sur la censure massive exercée par le gouvernement chinois sur le contenu de Douyin, société de votre groupe ?

M. Eric Garandeau. - Il me semble que je viens avant tout devant votre commission comme directeur des relations institutionnelles de TikTok en France pour ce qui concerne la France. Mais à titre personnel, je considère qu'il faut bien sûr défendre la liberté partout dans le monde. C'est justement l'intérêt de la plateforme TikTok, qui permet ce dialogue des cultures, cette meilleure compréhension qui est si nécessaire aujourd'hui au moment où les tensions grandissent entre les peuples et les continents.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Quelle est la part de TikTok France dans les bénéfices de TikTok Caïmans ?

M. Eric Garandeau. -TikTok n'étant pas une entreprise cotée, il nous semble préférable d'échanger par écrit, ou en tout cas dans un cadre confidentiel, sur ces données économiques ou fiscales.

M. Mickaël Vallet, président. - Je propose de passer aux questions de nos collègues. J'aurai au préalable deux questions courtes. Je ne suis pas spécialiste du positionnement politique des îles Caïmans en faveur du développement du numérique. Je mesure donc mal la raison de la domiciliation de ByteDance aux Caïmans. S'agissant de l'Irlande, pourquoi ce choix ? Nous aurions été ravis en France d'avoir cette équipe de 40 000 personnes.

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas de commentaire particulier à faire, sinon que l'Irlande est choisie comme lieu d'établissement par un grand nombre d'entreprises de technologie. Je souligne qu'il y a un bureau en France, avec plus de 200 salariés aujourd'hui. Il a grandi très vite. Au moment de mes entretiens de recrutement, nous étions quatre puis nous sommes passés à 20 et nous sommes aujourd'hui plus de 200. Il y a un intérêt fort à développer une présence en France.

M. Mickaël Vallet, président. - Peut-être y-t-il aussi des enjeux de fiscalité, sans faire de procès d'intention, et de degré d'exigence de la « CNIL » irlandaise. Chacun pourra se faire son idée.

Vous êtes haut-fonctionnaire. Il est important pour nous de comprendre comment sont utilisées les compétences et les ressources de la fonction publique française par TikTok. À quel moment avez-vous eu votre premier contact avec ByteDance ?

M. Eric Garandeau. - Je suis haut-fonctionnaire en disponibilité. J'ai eu mon premier contact avec ByteDance en mars ou avril 2020, je pense.

M. Mickaël Vallet, président. - Dans vos fonctions antérieures, vous n'avez pas eu l'occasion de traiter avec ByteDance.

M. Eric Garandeau. - Jamais, non.

M. Mickaël Vallet, président. - En tant que directeur des affaires publiques, êtes-vous salarié de TikTok SAS ou en êtes-vous prestataire ? Vous êtes en effet également le patron d'une entreprise de conseil.

M. Eric Garandeau. - Je suis salarié à plein temps de TikTok.

M. Mickaël Vallet, président. - Votre entreprise de conseil n'est pas prestataire de TikTok ?

M. Eric Garandeau. - Absolument pas.

M. Mickaël Vallet, président. - Vous n'êtes pas prestataire non plus pour d'autres entités TikTok dans d'autres pays européens ?

M. Eric Garandeau. - Absolument pas, j'exerce la totalité de mon activité pour TikTok.

Mme Laurence Rossignol. - J'ai quatre questions.

Je connais les règles de TikTok concernant la lutte contre la pornographie et contre les nudes. Je crois savoir que vos outils pour tenir vos engagements sont en plus grande proportion des algorithmes que des ressources humaines. La preuve en est qu'il vous arrive de passer complètement à côté d'un certain nombre de diffusions. Vous avez ainsi eu une affaire il y a quelques mois avec des dick pics, qui se sont propagées sur TikTok pendant plusieurs jours et ce malgré des signalements. Cela a, a minima, révélé que certaines choses pouvaient échapper à vos algorithmes. Je sais que vous avez aussi signé la charte européenne contre le développement de la haine en ligne. Avez-vous l'intention de recruter de nouveaux moyens humains ? Si oui, dans quelle proportion ? Ou comptez-vous continuer à faire confiance aux algorithmes pour lutter contre la haine en ligne ou encore contre l'apologie de la maigreur, les mutilations, etc ?

Ma deuxième question est liée à la première. Quels sont les moyens que vous entendez mettre en place (ou que vous mettez déjà en place) pour lutter contre le grooming pédopornographique ? Cette pratique consiste à utiliser les réseaux sociaux pour entrer en contact avec des mineurs et les attirer sur d'autres sites.

Vous avez été au service de l'État ; vous avez été président du CNC. J'imagine que vous aviez donc une certaine idée des politiques culturelles, de leurs fonctions, et de l'accès à la culture. Considérez-vous aujourd'hui, en tant que chargé des affaires publiques de TikTok, que votre activité est cohérente avec ce que vous avez pu promouvoir par le passé ? Vous êtes directeur des affaires publiques d'une société dont tout le monde connaît la toxicité par la méthode des algorithmes, qui contribuent à enfermer les jeunes dans une consommation d'un volume inégalé de vidéos. Pensez-vous que c'est ainsi que vous contribuez à former des citoyens ? Ou avez-vous renoncé à former des citoyens ?

Enfin, vous nous avez indiqué être en disponibilité de la haute fonction publique. Pourquoi ne démissionnez-vous pas ? Pensez-vous que les fonctions que vous occupez actuellement sont compatibles avec un retour un jour dans la fonction publique, au service de l'État ?

M. Eric Garandeau. - S'agissant des ressources humaines, il est important, compte tenu des flux, de combiner au mieux l'intelligence artificielle (ou machine learning) avec la modération humaine. Les algorithmes réalisent déjà une grosse partie du travail. 97% des contenus qui sont retirés sur TikTok le sont de manière proactive, c'est-à-dire sans aucun signalement. C'est aussi la raison pour laquelle 88% de ces contenus sont retirés avant 24  heures. Cette démarche se perfectionne évidemment avec des ressources d'intelligence artificielle. Récemment, un lanceur d'alerte signalait que c'est la manière dont sont conçus ces algorithmes qui permet de s'assurer que ces contenus seront retirés très rapidement et qu'ils ne reviendront pas sur la plateforme.

Il y a ensuite le travail humain. Quand vous avez une vidéo avec une croix gammée, ce peut être une vidéo du Mémorial de la Shoah, que nous sommes très heureux d'avoir accueilli sur la plateforme pour faire de la pédagogie sur la Shoah et sur la lutte contre le néonazisme. C'est la raison pour laquelle que nous avons des modérateurs humains. Je citais le chiffre de 40 000 personnes, soit l'équivalent de la population de la ville d'Angoulême. C'est massif. Nous en avons à peu près 600 en langue française, qui ne seront chargés que de regarder des contenus en langue française.

Le sujet est plus difficile en matière de harcèlement car nous avons besoin de disposer du contexte. Certaines vidéos qui paraissent anodines sont en réalité des vidéos de harcèlement. C'est la raison pour laquelle nous avons des signaleurs de confiance : e-enfance, StopFisha, Point de contact. Ce sont des organisations spécialisées dans la détection de ces contenus. Nous sommes même en train d'insérer dans TikTok le 30 18, le numéro d'e-enfance, puisque beaucoup de jeunes préfèrent échanger textuellement pour parler de leurs problèmes. L'objectif est de faire de la prévention, ce qui est extrêmement important. Nous disposons d'une chaîne de signalements avec des tiers de confiance qui permet d'être encore plus rapide.

Sur la lutte contre la pédopornographie, nous sommes membres d'un grand nombre d'associations. Nous sommes ainsi membre de WeProtect, qui est la plus grande alliance multisectorielle pour lutter contre l'exploitation sexuelle des enfants en ligne. Je souligne que les mineurs de 13 à 15 ans n'ont pas de messagerie et leur compte est privé par défaut. Ils ne peuvent pas télécharger de vidéos et ne peuvent pas profiter de certaines fonctionnalités comme les duos ou les stitchs. Nous encourageons par ailleurs très fortement au contrôle parental, qui permet de fixer le temps d'écran. Nous savons que c'est un sujet de préoccupation. D'ailleurs, depuis maintenant quelques mois, le temps d'écran est limité à 60 minutes par défaut. Nous veillons aussi à ce que des fonctionnalités soient aussi restreintes pour les mineurs entre 16 et 18 ans. La messagerie sera aussi désactivée par défaut. Même si la messagerie est activée, le jeune ne pourra pas envoyer de pièces jointes puisque cette fonctionnalité n'existe pas sur TikTok. Cela permet d'éviter les chantages aux nudes ou autres.

J'ai souhaité rejoindre TikTok car je suis passionné de culture et de transmission culturelle. Je retrouve chez TikTok une nouvelle génération de créateurs, qui utilisent ces outils très nouveaux et très perfectionnés (filtres, effets en réalité augmentée...). De véritables cinéastes émergent sur la plateforme ; ce n'est pas pour rien d'ailleurs que nous avons organisé une compétition internationale de films TikTok. Le format vertical conduit à une nouvelle écriture, ce qui est intéressant d'un point de vue artistique. Or, on sait que le médium est souvent le message.

Vous parliez de toxicité. Nous avons engagé des travaux importants pour que les algorithmes soient source de découvertes. Nous n'enfermons jamais les gens dans des bulles, ce qui serait très mauvais. L'algorithme vise au contraire à stimuler l'utilisateur, en lui proposant des choses qui ne sont pas forcément dans ses préférences exprimées ou dans son historique de parcours sur l'application. Il y a une fonction de tests de contenus nouveaux. Si vous avez aimé la gastronomie coréenne, vous seront proposés des extraits de séries coréennes. Parfois, les associations sont encore moins évidentes. L'algorithme, avec les informations qu'il a pu générer, teste de nouveaux contenus pour voir si vous allez y adhérer. Nous veillons à ce que n'apparaissent jamais dans le fil « Pour toi » deux vidéos du même créateur ou deux vidéos du même son. Nous veillons aussi à ce que les contenus qui sont autorisés mais dont la consommation excessive peut entraîner des problèmes (régimes amincissants, vidéos de fitness...) ne soient pas fournies en trop grande quantité dans un même flux. Nous veillons à ce que les personnes ayant tendance à aller vers des pratiques un peu extrêmes ne soient pas encouragées à le faire.

Nous proposons même des ressources pour aider ces personnes. Si vous tapez le mot suicide sur TikTok, non seulement l'application ne vous suggérera pas des vidéos de suicide mais elle vous emmènera vers une page pour vous aider à prendre soin de vous et donnera éventuellement l'alerte.

M. Mickaël Vallet, président. - Avez-vous des tiers de confiance qui peuvent évaluer ces bonnes pratiques et publier des rapports sur ces sujets ?

M. Eric Garandeau. - Nous avons de nombreux partenariats. J'ai cité ceux en matière de protection de l'enfance. Mais nous en avons aussi en matière de lutte contre les fausses informations : Génération Numérique, Conspiracy Watch, et d'autres. Nous avons tout un panel d'ONG et d'associations que nous associons à nos travaux. Nous avons même un conseil consultatif européen.

M. Mickaël Vallet, président. - Envisagez-vous la publication par des tiers indépendants de rapports réguliers pour vérifier vos engagements en la matière ? Par exemple, en tant que maire, je peux assurer que les jeux du parc pour enfants sont sécurisés. Cela a néanmoins plus de poids si une société indépendante le certifie.

M. Eric Garandeau. - Vous avez tout à fait raison. Nous souhaitons aussi employer cette logique de tiers de confiance, qu'on utilise pour la sécurisation des centres de données, afin d'auditer nos algorithmes de recommandation, nos algorithmes de modération ou même ce que nous faisons en matière commerciale. Le DSA nous oblige d'ailleurs à le faire. Nous créons des API ; une est déjà développée aux États-Unis. Elles permettent aux chercheurs, aux universités et aux experts extérieurs de pouvoir interroger les algorithmes et tester la plateforme.

M. Mickaël Vallet, président. - Avez-vous des rapports d'évaluation de ce type ?

M. Eric Garandeau. - Nous sommes en train de déployer ces outils. Mais il y a un rapport aux États-Unis, où l'API a déjà été créée. La Georgia Tech University a ainsi publié une étude montrant qu'il n'y a pas de censure ou de propagande de la Chine ou d'autres pays sur TikTok. Cette université est totalement indépendante et travaille même pour le Pentagone. Nous vous enverrons bien entendu ce rapport.

S'agissant de la déontologie, quand j'ai quitté le service public pour créer ma société puis pour rejoindre TikTok, j'ai demandé bien entendu l'avis de la commission de déontologie. J'ai deux avis positifs de cette commission de déontologie, que je peux d'ailleurs vous remettre si vous le souhaitez. Quand j'ai rejoint TikTok, le déontologue de l'inspection des finances m'a conseillé de saisir la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Je l'ai saisie. Elle a estimé que je n'avais pas à la saisir dans ce cas de figure. J'ai fait toutes les démarches pour m'assurer que je ne prenais pas de risques et que je ne faisais pas prendre de risque à mon administration. Je n'ai pas démissionné car la règle est de se mettre en disponibilité avant d'« être » démissionné au bout d'un certain temps. C'est ce qui s'applique à ma connaissance à l'ensemble de mes collègues. Par ailleurs, à chaque fois que l'administration m'a demandé de m'intéresser à un problème public, j'ai tendance spontanément à essayer de répondre favorablement car je suis un passionné de la cause publique. Il me semble que travailler dans une entreprise particulièrement innovante et disruptive est une façon aussi de servir son pays. Ce savoir que j'accumule peut être utile à mon pays. Je pense d'ailleurs que les salariés de TikTok SAS en France - très jeunes pour la plupart - sont convaincus de travailler aussi pour leur pays, via les partenariats avec les musées, avec Pôle emploi...

Mme Catherine Morin-Desailly. - De nombreux anciens hauts-fonctionnaires ont rejoint quantité d'entreprises extra-européennes du domaine du numérique. C'est un vaste sujet !

J'ai deux questions. La première est dans le prolongement des questions de Mme Rossignol concernant les algorithmes. Ceux-ci sont conçus pour enfermer et capter l'attention de nos jeunes, à des âges critiques d'apprentissage et de découverte du monde. Vous savez que d'ici 3 mois le DSA s'appliquera. Pour ma part, ayant été rapporteur de ce projet de règlement pour la commission des affaires européennes, je pense que nous ne sommes pas allés assez loin, notamment concernant le contrôle et l'évaluation des algorithmes. Dans le cas de l'application du DSA et peut-être pour aller plus loin pour rassurer les utilisateurs, la plateforme TikTok est-elle prête à se laisser auditer par des chercheurs indépendants tout type confondu ? Est-elle est prête aussi à rapprocher ses dates d'évaluation ? Comptez-vous recruter davantage de ressources humaines, la modération et la veille étant les sujets les plus importants pour être compatible avec l'exécution de ce règlement ? Opposerez-vous forcément le secret des affaires à ces audits des algorithmes ?

J'insiste sur ces sujets car il y a quelques jours, Elon Musk s'est retiré du code des bonnes pratiques en ligne et a laissé entendre que Twitter n'appliquerait pas forcément le DSA. Il a d'ailleurs été repris sur ce sujet par le commissaire européen Thierry Breton. TikTok s'engage-t-il clairement à entrer pleinement dans l'application du DSA ?

M. Eric Garandeau. - La question est fondamentale et je vous remercie de l'avoir posée. Bien entendu, nous appliquerons le DSA et nous serons au rendez-vous en août prochain. Sur un certain nombre de dispositifs, nous sommes déjà au rendez-vous. Nous avons eu le plaisir d'accueillir l'ARCOM à Dublin dans notre centre de transparence. Elle a pu échanger avec des cadres de très haut niveau de l'entité Trust and Safety. Nous voulons être le plus transparent possible sur les algorithmes de recommandation et de modération. Nous développons les API demandées par le DSA. Nous avons travaillé avec le MédiaLab de Sciences Po en bêta test sur l'API qui concernait les bibliothèques de vidéos commerciales. Cette coopération s'est très bien passée de part et d'autre. Nous travaillons aussi avec Viginum sur les risques d'ingérence. Nous travaillons avec le PEReN à Bercy. Enfin, nous sommes ouverts à travailler avec des universitaires. Il faut juste évidemment que ce soit fait correctement, dans des bonnes conditions de sécurité. Ces ouvertures peuvent en effet susciter des problèmes puisqu'elles peuvent permettre à des personnes malveillantes d'utiliser ces informations. Nous voulons faire un exercice de transparence maximale en direction des chercheurs et des autorités de régulation.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Vous avez parlé des ingérences étrangères. À la différence de Facebook, dont les backdoors ont été révélés par l'affaire Cambridge Analytica, pouvez-vous garantir que TikTok ne dispose d'aucune faille ?

M. Eric Garandeau. - Nous publions dans nos rapports de transparence les tentatives d'intrusion, d'ingérence et les comportements inauthentiques coordonnés. Dès que nous détectons ces tentatives, nous intervenons tout de suite pour retirer ces comptes et nous publions les résultats. En France, tout s'est bien passé lors des dernières élections. Non seulement nous avons fait un très bon travail d'information mais nous n'avons pas repéré de tentatives d'ingérence dans les élections françaises. Au Kenya, nous avons détecté des tentatives, qui ont été déjouées. Nous veillons à mettre en place des équipes de veille renforcée lorsqu'il y a des élections et à communiquer sur les résultats de cette action de veille.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ma dernière question porte sur la sécurisation de nos données. Vous avez parlé de data centers en construction en Europe. Mais il n'y a pas que la question de l'hébergement des données, il y a aussi celles de leur traitement et de l'application des lois extraterritoriales. Ces lois font que nous sommes bien démunis. Vous avez dit que vous disposez des meilleurs outils technologiques pour empêcher ces données de nous échapper. Comment pouvez-vous l'affirmer alors que l'on sait bien que ces données sont tout à fait captables par ces pays étrangers ? Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?

M. Eric Garandeau. - Nous nous plaçons toujours dans le pire des cas, celui où un individu essaierait de pénétrer le système. Pour éviter ce risque, nous travaillons à localiser les centres des données au plus près des pays dans lesquels nous opérons. C'est la raison pour laquelle nous développons ces trois data centers à Dublin et en Norvège. Nous utilisons par ailleurs nos protections internes et un tiers de confiance européen pour effectuer des tests et assurer cette sécurisation. En outre, nous diminuons au maximum les besoins d'accès aux données. Nous sommes une plateforme de communication internationale et il est donc normal que les vidéos circulent. On ne peut donc pas dire qu'il n'y aura pas de circulation de données. Par ailleurs, les data analysts doivent pouvoir analyser l'efficacité des fonctionnalités. Dans ce cas-là cependant, nous anonymisons les données. Pour résumer, nous réduisons le nombre d'accès aux données, notamment des données personnelles, et nous réduisons même le nombre de personnes qui peuvent avoir accès à ces données. Ces engagements nous permettent selon nous d'assurer le meilleur niveau de sécurité possible et peut être de contribuer à l'application du principe de souveraineté numérique européenne, qui vous est cher.

M. Claude Malhuret. - En ce qui concerne les transferts de données, TikTok a répété sans cesse, jusqu'en juin 2022, empêcher tout transfert ou consultation des données des utilisateurs par la Chine. BuzzFeed a ensuite révélé le contenu de 80 enregistrements audio, issus de réunions internes à l'entreprise. On s'est aperçu que des ingénieurs de l'application de partage de vidéos ont eu accès depuis la Chine à pas mal d'informations. Les enregistrements de BuzzFeed prouvaient l'existence d'un administrateur principal «  qui avait accès à tout ». « Tout est vu en Chine », affirme un membre du Trust and Safety Department. Des enregistrements de huit salariés américains montrent qu'ils ont dû se tourner vers leurs collègues chinois pour savoir comment circulaient les données de leurs concitoyens, ils n'avaient pas la permission d'y accéder eux-mêmes. Évidemment, comme d'habitude, TikTok, confrontée à des preuves, a fini par reconnaître la vérité. D'ailleurs en 2021, TikTok avait déjà dû payer 92 millions de dollars à la justice américaine en raison de fuites vers la Chine de données personnelles d'utilisateurs. Le rapport de BuzzFeed ne date pas d'il y a dix ans, il date d'il y a un an. Quelle est la situation aujourd'hui ?

M. Eric Garandeau. - La situation est celle que je viens de décrire. La construction du projet Texas aux États-Unis et la création des data centers et des dispositifs de protection mis en oeuvre en Europe sont destinées à éviter tout accès non autorisé, avec la certification d'une entité européenne dans le cadre du projet Clover. Dans le cadre du projet américain, nous sommes allés encore plus loin puisque c'est le cloud d'Oracle qui gère les données des utilisateurs américains dans une enclave sécurisée - USDS - avec 1000 employés qui y travaillent et un investissement d'1,5 milliard de dollars aux États-Unis. En Europe, nous avons engagé un investissement d'1,2 milliard d'euros, qui sera un investissement annuel, pour assurer la mise en oeuvre de ce de ce dispositif. C'est de cette manière que nous pouvons éviter tout risque d'accès non autorisé.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - C'est un des problèmes avec TikTok, comme avec toutes les plateformes : des engagements sont pris et l'on tarde beaucoup à les voir venir. Le projet Texas a été lancé il y a quatre ans, en 2019. TikTok entre temps n'a pas eu de problème pour se développer à toute vitesse. Combien de temps va-t-il falloir attendre ? De même, le projet Clover pour l'Europe a été annoncé il y a au moins un an ou deux. Vous n'avez pas voulu révéler jusqu'à présent les noms des sociétés avec lesquelles vous comptez travailler. Ce n'est pas vraiment une preuve de transparence évidente. Pouvez-vous nous donner une date à laquelle les projets Texas et Clover seront définitivement mis en place ? À ce rythme, cela peut encore durer cinq ans, avec des engagements permanents auprès de la Commission européenne, de l'ARCOM et des régulateurs. C'est un vrai problème de ne pouvoir obtenir des plateformes autre chose que des engagements non tenus.

Par ailleurs, vous indiquez que tout transfert de données non autorisé sera impossible grâce à ces projets. Je souhaiterais quant à moi que tout transfert de données soit impossible. Si tel était le cas, nous pourrions alors avoir la garantie que vous êtes indépendant de la Chine. Pour le moment, vous comptez encore autoriser des transferts de données vers différents pays et notamment vers la Chine.

M. Eric Garandeau. - Je recevais hier une photographie de Norvège de la part de ma collègue qui visitait le chantier de construction du centre de données de Norvège. Nous étions tous heureux de le voir sortir de terre. Les projets, donc, se réalisent. Il y a d'ailleurs déjà un data center à Dublin, et le deuxième sera bientôt construit. Vous demandez une date. Nous avons annoncé un délai de 15 mois. À l'issue de ce délai, nous reviendrons vers vous et normalement le projet Clover sera réalisé. C'est l'engagement que nous avons formulé devant le ministre en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, il y a quelques mois.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous construisez le centre et nous ne connaissons pas le nom de la société avec qui vous allez travailler.

M. Eric Garandeau. - Il s'agit pour la Norvège de la société Green Mountain. Le nom qui n'est pas communiqué pour l'instant est le nom du tiers de confiance car nous sommes en négociations. Il s'agit d'un projet à 1,2 milliards d'euros annuel et les discussions commerciales se déroulent avec les différentes entreprises. Nous pouvons en tout cas nous engager à revenir vers vous dans quelques mois, dès que cette négociation sera terminée.

Quant à l'accès aux données, TikTok est une plateforme de communication donc les données doivent circuler. Quand on parle de données, il peut s'agir aussi de vidéos ; il ne s'agit pas toujours de données personnelles. Quand une fonctionnalité nouvelle sort, il faut pouvoir analyser sa performance. Cela se fait grâce aux données mais il ne s'agit pas de données personnelles. Parfois il faut aussi corriger des bugs et le règlement de ce problème peut nécessiter l'intervention d'un ingénieur à Londres ou à Singapour. Cet ingénieur peut être n'importe où. Le principal est que le bug soit réglé par la personne qui est autorisée à intervenir.

M. Mickaël Vallet, président. - Sur les données personnelles - autrement que dans les cas que vous avez décrits - pouvez-vous nous assurer qu'il n'y a pas de transferts de données ?

M. Eric Garandeau. - La notion de données personnelles est elle-même une notion complexe. Je préfère donc revenir vers vous par écrit sur ce sujet, si vous me le permettez.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous n'avez pas répondu à ma question. Dans le futur, est-ce tout transfert de données non autorisé ou tout transfert de données tout court qui sera impossible ?

M. Eric Garandeau. - Une donnée peut être une information banale, qui porte sur l'utilisation d'un filtre, d'une fonctionnalité. Ce type de données doit pouvoir circuler d'un lieu à l'autre pour pouvoir être analysé. TikTok est une plateforme qui opère dans tous les pays.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Sauf en Chine, pays où vous transférez ces données.

M. Eric Garandeau. - Sauf en Chine effectivement. Pour savoir combien de fois un filtre a été téléchargé, il s'agit d'une donnée qui n'est pas une donnée personnelle. Il se peut qu'il soit utile de faire circuler cette information pour pouvoir améliorer le produit.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - On a du mal à comprendre...Je poursuis ma question. Vous nous dites que TikTok et Douyin sont désormais complètement séparés. Dans vos réponses écrites, vous précisez que « TikTok n'est pas disponible en Chine continentale tandis que Douyin n'est pas disponible en dehors de la Chine continentale. Aucune donnée personnelle n'est partagée entre ces deux entités ». Vous nous avez répondu sur ce sujet ; à nous d'estimer si votre réponse est satisfaisante. Selon la politique de confidentialité présente sur le site, TikTok transmet des données à des entités en Chine. D'ailleurs, vous avez déclaré à la CNIL transférer des données à une vingtaine d'entités chinoises. Si ce ne sont pas des entités de Douyin, pouvez-vous dire nous que sont ces entités ?

M. Eric Garandeau. - Comme il s'agit d'un fait très précis, je préfère revenir vers vous de manière écrite sur ce sujet.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Le problème est que cette question vous avait été déjà posée dans notre questionnaire écrit. Vous ne nous aviez pas répondu et vous ne répondez pas non plus aujourd'hui. Notre commission d'enquête sera terminée et nous n'aurons pas reçu vos réponses...Confirmez-vous ce que vous avez déclaré, à savoir qu'il y a 20 entités en Chine avec lesquels vous travaillez ?

M. Eric Garandeau. - Je préfère vous répondre par écrit, dans un délai rapide.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous nous avez indiqué que « TikTok a été lancé en Europe en 2018. Les équipes produit et ingénierie situées dans le monde entier, notamment aux États-Unis, en Europe, à Singapour et en Chine, travaillent en continu à son développement et son évolution ». Y a-t-il donc des employés de TikTok en Chine ? Ou bien est-ce des employés d'autres sociétés et notamment de Douyin ?

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas connaissance d'employés de TikTok en Chine. Mais je ne suis que chargé des relations institutionnelles pour la France.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous rencontrez en permanence des ministres, des régulateurs, des commissaires européens. Je suppose que toutes nos questions ont dû largement vous être posées. C'est vous qui parlez d'équipes produits et ingénierie dans des sociétés qui ne sont pas TikTok puisque vous nous dites que TikTok n'est pas en Chine. Nous ne savons pas de quelles sociétés il s'agit ; cela n'est pas très transparent.

M. Eric Garandeau. - Avez-vous des questions plus précises ?

M. Claude Malhuret, rapporteur. - C'est vous qui êtes imprécis dans votre réponse. Je ne peux pas vous en dire plus. Vous indiquez que « les équipes produit et ingénierie situées dans le monde entier, notamment aux États-Unis, en Europe, à Singapour et en Chine, travaillent en continu à son développement et son évolution ». C'est à vous d'être plus précis. Quelles sont ces équipes ?

M. Eric Garandeau. - Nous pourrons revenir vers vous par écrit. En tout cas, comme je vous l'indiquez, ce qui nous semble être le plus important est de vérifier que nos systèmes soient parfaitement étanches et que les accès soient dûment autorisés pour des raisons très précises.

M. Rémi Cardon. - Ma question porte également sur l'actualité, notamment sur la proposition de loi sur les influenceurs. Quand M. Malhuret vous pose des questions sur le juridique, vous répondez opérationnel. Je vous pose quant à moi des questions sur l'opérationnel pour vous amener vers le juridique. Comment allez-vous mettre en place vos équipes pour le contrôle des promotions interdites ? Que pensez-vous de l'idée d'imposer un badge pour distinguer un influenceur à dimension commerciale d'un influenceur tout court ?

Pourquoi avoir autant dépensé de milliards ou de millions de dollars sur la stratégie et le lobbying si vous êtes si serein ? J'ai du mal à comprendre pourquoi autant d'argent est consacré à faire le lobbying de l'application TikTok.

M. André Gattolin. - Je voulais revenir sur plusieurs informations que vous nous avez données jusqu'à présent. Il y a une chose qui m'a beaucoup étonné. Vous avez dit que vous travaillez avec le PEReN, avec Viginum. Or, on les a auditionnés : vous ne travaillez pas avec eux, c'est eux qui vous demandent de coopérer et de donner des informations. Ce n'est pas une coopération je dirais de pair à pair, ce sont des instances, des autorités qui vous demandent des informations et, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils en ont certaines mais qu'ils n'ont pas toutes celles qu'ils ceux qui voudraient. Je tiens à être précis sur plan sémantique.

Un autre aspect que vous avez évoqué, et j'ai été impressionné par le volume, concerne le « trust and safety » en Irlande. Vous parlez de 40 000 personnes. Je suis un peu étonné parce qu'il existe, et vous l'avez dit, un « trust and safety» Amérique, qui était dirigé d'ailleurs par Éric Khan, avant qu'il quitte ses fonctions suite à des auditions, car il ne voulait pas être un « bouc émissaire ». Son unité aux États-Unis comprend 1 400 personnes. Donc il y 1 400 personnes pour faire de la modération aux États-Unis, qui est l'un des premiers marchés de TikTok et il y en aurait 40.000 en Europe ?

M. Eric Garandeau. - Si vous me permettez de corriger tout de suite, c'est 40  000 personnes dans le monde. Je n'ai peut-être pas été assez clair. Il se trouve que le responsable mondial de cette entité est en Irlande.

M. André Gattolin. - C'est un aspect important pour comprendre aussi l'emploi parce qu'on a très peu d'éléments sur le volume d'employés, en dehors de ByteDance proprement dit et Douyin. Quand je vois que la rémunération annuelle de quelqu'un qui travaille au sein du « trust and safety » se situe entre 60 et 65 000 dollars par an, cela représente beaucoup d'argent.

Vous devez avoir une masse salariale un peu chargée mais on reviendra plus tard sur la question des logiques et des équilibres économiques.

Alors évidemment quand on est un groupe il y a des logiques de mutualisation. J'imagine qu'en terme de données et de transfert de données, il y a une mutualisation technologique et je peux comprendre qu'il y ait des échanges, y compris avec la société mère.

Quand on parle de « trust and safety », on parle en fait de modération des contenus, ce qui est certes très important, mais moi ce qui m'intéresse c'est quelle protection et quelle cybersécurité des plateformes. En effet, chaque année, dans tous les pays, les plateformes font l'objet d'attaques et de vol de données.

Quel est le niveau de cybersécurité de TikTok ? Est-ce que vous avez déjà fait l'objet d'attaques, notamment en France ? Quel est le nombre de ces attaques ? Et est-ce qu'on vous a déjà volé des données, même si c'est compliqué de le dire en termes d'image ? On nous en vole dans des grandes bases de données françaises.

Là il ne s'agit pas de savoir si vous transférez volontairement vers l'étranger, vers tel ou tel pays des données, mais quelle est votre capacité de résistance au vol et si c'est quelque chose de massif, hackers russes ou autres et donc est-ce que vous êtes totalement sécurisé ? Pouvez-vous garantir que vos données ne sont pas volées ou en tous les cas qu'elles sont très protégées ? Et surtout est-ce que vous faites concrètement l'objet d'attaques, comme tous les autres groupes et de quelle manière vous coopérez avec l'ANSSI, puisque l'on demande aux grandes entreprises et compris les entreprises privées aujourd'hui de déclarer les attaques qui leurs sont faites ? Est-ce que vous avez procédé à des signalements et à des déclarations ?

Mme Toine Bourrat. - TikTok s'est vu infliger en France par la Commission nationale de l'informatique et des libertés mi- janvier une amende de 5 millions d'euros car les utilisateurs ne peuvent y refuser les cookies, les traceurs informatiques. La plateforme a aussi été condamnée au Royaume-Uni à une amende de plus de 12 millions d'euros début avril pour l'utilisation illégale de données liées aux enfants. Donc je voudrais savoir si ces condamnations ont conduit TikTok a opéré des adaptations, des évolutions pour se mettre en conformité ? De plus, j'imagine qu'avant d'arriver à la condamnation il y a eu des signalements, des alertes, je voulais savoir pourquoi est-ce que TikTok avait tardé à se mettre en conformité ? Combien de temps y-a-t-il eu entre les premières alertes lancées à TikTok et l'amende qui a été infligée ?

M. Eric Garandeau. - Sur les influenceurs, nous avons évidemment participé aux travaux qui ont été conduits au sein du ministère des finances piloté par le ministre lui- même et qui se sont articulés ensuite avec la proposition de loi « Delaporte-Vojetta» suite au rapprochement de plusieurs propositions de loi. On a d'ailleurs salué le caractère très constructif de cette démarche et le résultat final de la loi qui est tout à fait intéressant. On avait déjà mis en oeuvre chez TikTok des dispositifs pour restreindre la publicité sur certains produits. Notre liste de produits interdits de publicité est déjà très importante. Le sujet par exemple de la chirurgie esthétique qui avait été mentionné, y compris par le ministre, fait partie des produits sur lesquels on ne peut pas faire de publicité chez TikTok, comme sur les produits pharmaceutiques, le tabac, l'alcool etc. On veille aussi à ce que les publicités ciblées ne soient pas dirigées vers des publics mineurs. C'est aussi un engagement que nous avons pris avant même le vote de la loi. Nous interdisons aussi les jeux d'argent, les paris sportifs.

Ensuite, sur le signalement des vidéos faisant l'objet d'une promotion, nous avons déjà cette fonctionnalité, et d'ailleurs, même quand un créateur présente un produit de marque dans une vidéo et quand l'algorithme détecte cette vidéo, on lui propose spontanément de signaler que cette vidéo fait l'objet d'une promotion. Ce sont des sujets sur lesquels on est très attentifs et on veillera aussi à travailler en bonne intelligence avec la DGCCRF qui a lancé des programmes de contrôle pour que cette loi soit pleinement appliquée.

Enfin, je n'ai pas bien saisi quand vous parliez de milliards, si cela faisait référence au projet que j'évoquais. Parce que nous ne dépensons pas des milliards en lobbying, mais nous dépensons des milliards en création de centres de données.

M. Mickaël Vallet, président. - La question portait sur le lobbying, par rapport aux chiffres que vous nous avez donnés dans les questionnaires sur vos dépenses de relations publiques.

M. Eric Garandeau. - Nous sommes très loin de ces ordres de grandeur. Je n'ai pas de commentaire particulier à faire si ce n'est que, comme n'importe quelle entreprise, nous avons une direction des relations institutionnelles et que nous faisons ce travail d'aller échanger y compris avec vous ce matin, et aussi dans d'autres commissions. Nous avons toujours répondu présent dès lors qu'il y a eu des demandes d'audition parlementaire sur tous les sujets. Nous sommes dans une démarche de coopération et de transparence, et une partie de ces dépenses sert à préparer au mieux ces interventions.

Sur la question de la cybersécurité, on cherche justement à établir des relations avec l'ANSSI. Nous n'avons pas encore eu de rendez-vous mais nous espèrons en avoir un prochainement pour présenter les projets Clover et pour pouvoir leur indiquer que l'on est disposé à ce que l'ANSSI fasse des tests pour vérifier la robustesse de nos dispositifs. On est vraiment très ouvert à cette discussion et effectivement nous coopérons comme nous devons le faire avec VIGINIUM et le PEReN.

Je pense que ce qui nous manquait jusqu'ici pour pouvoir répondre à toutes les questions, c'était les API, qui permettent d'interroger par exemple nos algorithmes. C'est pourquoi nous sommes en train de développer ces API qui permettront aussi de tester davantage de fonctionnalités ou de naviguer dans davantage de contenus.

Sur le volume des attaques, ce sont des données qu'il vaudrait mieux échanger de manière confidentielle.

M. Mickaël Vallet, président. - En matière de cybersécurité, il y a un principe qui est assez partagé par les plateformes et géants du web, et je pense que l'ANSSI vous le dira, qui consiste à faire circuler l'information sur la question des attaques.

De la même façon que ce n'est pas honteux d'attraper la grippe ou d'avoir un accident de la vie, quand on subit une attaque, il est important de bien partager l'information de manière transversale entre responsables. Ainsi, dans la loi de programmation militaire, il est prévu des obligations pour les éditeurs de logiciels de faire connaître leurs failles de la manière la plus rapide possible. Je le glisse au passage, ne serait-ce qu'en terme de relations publiques, s'il peut avoir des aspects confidentiels, il faut faire connaître les attaques et les failles de sécurité lorsqu'elles ont été constatées et j'espère que vous le faîtes, comme les autres hauts responsables.

M. Eric Garandeau. - Tout à fait, d'ailleurs nous communiquons sur les attaques sur la plateforme, lorsqu'il y a des tentatives coordonnées pour disséminer des contenus visant à une désinformation manifeste notamment à l'occasion d'élections. Par exemple nous avons a communiqué sur ce qui s'est passé en Allemagne où nous avons démantelé 3000 comptes qui diffusaient des fausses informations ou encore au Kenya. Voilà, de ce point de vue-là nous communiquons.

Quant à l'amende de la CNIL, nous avions pris en amont la mesure de cette faille qu'il fallait corriger. S'agissant des cookies, il ne s'agissait pas de l'application TikTok qui est évidemment le principal outil d'accès à TikTok, mais de la « web Apps » c'est-à-dire de la manière d'accéder à TikTok par Internet, qui est moins fréquemment utilisée.

Je pense qu'il a une négligence sur le fait que les utilisateurs de TikTok par le web n'étaient pas forcément informés des cookies qui pouvaient exister sur la plateforme. Ceci a été corrigé. Et c'est ce qui explique que l'amende de la CNIL, si elle est d'un montant important, d'autres plateformes en ont reçu de bien plus importantes, parfois jusqu'à plus de 150 millions d'euros. Nous pensons donc avoir agi avec rapidité. Nous sommes d'ailleurs dans un processus d'amélioration constante, dans tous les domaines y compris celui-là.

De la même façon, nous sommes très vigilants sur l'utilisation des données des enfants. Les publics mineurs doivent être le mieux protégés possible, ne doivent pas être exposés à certaines publicités et ils doivent avoir accès à des contenus adaptés à leur âge.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je voudrais revenir au problème de l'algorithme ou des algorithmes. Nous vous avions posé la question : qui détient la propriété intellectuelle du « haut » des algorithmes au niveau mondial. Vous n'avez pas répondu. Nous vous avons posé la question : y a-t-il un algorithme ou des portions d'algorithmes communs entre TikTok et Douyin. Vous avez répondu de façon particulièrement brève, il n'y a pas d'algorithmes communs, ni de parti d'algorithmes communs entre TikTok et Douyin.

Pourtant, le PDG de TikTok a déclaré dans son audition au Sénat américain que Bytedance avait développé les algorithmes à la fois pour Douyin et TikTok. Et que par conséquent « some of the underlying basic building blocks » sont utilisés par les deux produits. En outre, la Chine, par la voix de son secrétaire d'État au commerce, a récemment affirmé que la Chine refusait la vente de TikTok, au motif qu'elle ne voulait pas perdre ses technologies. Elle a ajouté les technologies algorithmiques utilisées par TikTok, et par Douyin à la liste des technologies non exportable sans l'autorisation du gouvernement chinois, bloquant une éventuelle vente de TikTok à des étrangers.

Comment expliquer cette déclaration si TikTok est Douyin sont totalement séparés et si TikTok est totalement indépendante du gouvernement chinois ?

M. Eric Garandeau. - Les algorithmes sont en effet différenciés entre les deux applications. Et donc ce sont des équipes spécifiques qui développent l'algorithme de recommandation de TikTok. Et, comme indiqué, la chaine capitalistique et juridique qui descend de Bytedance à TikTok doit permettre de faire en sorte qu'il n'y ait pas de pressions qui sont exercées à l'encontre de la plateforme TikTok. Ensuite je pense que ce qui est important, par rapport à vos préoccupations légitimes, c'est que les algorithmes soient auditables, qu'on puisse vérifier qu'il n'y a pas de de biais algorithmique dans le sens de la censure, de la propagande ou de la désinformation. Et de ce point de vue-là, nous développons des API qui vont permettre aux autorités de régulation ou aux chercheurs de la communauté scientifique d'interroger ces algorithmes et de vérifier qu'il n'y a pas de biais qui soient contraires à l'intérêt général.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je vous repose la question : qui détient la propriété intellectuelle du ou des algorithmes au niveau mondial ?

M. Eric Garandeau. - Je me permettrais de revenir vers par écrit sur cette question. En tout cas il semble logique que ce soit Bytedance qui soient propriétaire de ces algorithmes.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ça n'a pas l'air d'être l'avis du gouvernement chinois puisque le gouvernement chinois dit que les technologies algorithmiques utilisées par TikTok et Douyin sont des technologies chinoises, de propriété intellectuelle chinoise et qu'elles sont inexportables sans l'autorisation du gouvernement chinois. Donc il semble bien, et en tout cas c'est l'avis du gouvernement chinois, que la propriété intellectuelle appartient à une société chinoise.

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas de commentaire à faire sur des déclarations de quelque gouvernement que ce soit.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Mais vous, vous pensez que si un jour Zhou Zi Chew et ses associés, pas seulement sous les injonctions du gouvernement américain, veulent revendre TikTok, cela posera des problèmes avec le gouvernement chinois ? En tout cas, dans la situation actuelle TikTok est coincé pour faire certaines opérations et notamment des opérations qui impliqueraient l'utilisation de son algorithme.

M. Eric Garandeau. - Ce que je peux dire, c'est que TikTok et le groupe s'étendent dans une logique de développement et de poursuite sur leur lancée, de continuer à développer des nouveaux produits et des nouvelles fonctionnalités et que tout est mis en oeuvre, tout est fait de telle sorte que ses algorithmes puissent être auditables et que s'il y a des préoccupations légitimes sur le fait qu'ils puissent être biaisés ou manipulés, on puisse apporter toute réponse de nature à vous rassurer. Sur d'autres sujets, nous parlions aussi des bulles d'enfermement algorithmiques, il faut qu'on puisse aussi vous apporter des réponses sur les effets néfastes de ces algorithmes, qu'on puisse apporter des clarifications qui soient de nature à vous rassurer sur le fait qu'ils sont utilisés non pas pour développer de l'addiction ou de la toxicité, mais au contraire pour permettre à nos utilisateurs de s'épanouir, se divertir et s'instruire, et de communiquer les uns avec les autres dans un plein souci de la liberté d'expression.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous me parlez de l'utilisation. Moi je vous parle de la propriété et notamment de la propriété intellectuelle. Les régulateurs et plusieurs de nos interlocuteurs nous ont dit que les API de TikTok aujourd'hui était embryonnaires par rapport aux autres sociétés, par rapport aux autres plateformes, et que les autres plateformes ne sont pas totalement transparente mais qu'elles ont des API qui permettent pas mal d'accès. Vous nous promettez des API qui permettront de vérifier les utilisations, mais moi je vous parle de propriété. Quelle est la part de l'algorithme, quelle est la part de l'ingénierie sur l'algorithme qui est effectuée en Chine ou qui est effectuée ailleurs ? L'algorithme est chinois au départ, l'algorithme est commun entre Douyin et TikTok au départ, puis séparé, mais il semble être majoritairement utilisé par des ingénieurs d'une société chinoise. Vous devez quand même savoir avec quelles sociétés chinoises vous travaillez, puisque vous travaillez avec des entités chinoises, comme vous l'avez dit vous-même.

M. Eric Garandeau. - S'agissant de l'algorithme de recommandation, je sais qu'il y a des équipes d'ingénieurs au Royaume-Uni, aux États-Unis, à Singapour. C'est ce que je pouvais vous dire aujourd'hui. Par ailleurs, je pense qu'il y a beaucoup d'autres entreprises de technologie, beaucoup d'entreprises occidentales qui ont aussi des ingénieurs en Chine et je ne crois pas que ça pose de difficultés. En revanche, nous adressons vos préoccupations sur l'intégrité des systèmes : par le dispositif de sécurisation des données des Européens et par l'audit des algorithmes. Vous dites que les API sont embryonnaires. C'est vrai, nous nous sommes en train de les créer. Nous sommes une société qui n'existaient pas il y a 6 ans et donc nous sommes en train de développer ces API, et ce que je peux vous dire c'est que le responsable de l'entité Trust and Safety est le 1er à dire : il faut que nous soyons le plus ouvert possible et que nos systèmes puissent être audités.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - A la question 8 que nous avions posée portant sur les éventuels systèmes d'information communs entre TikTok et Douyin, vous faites une réponse imprécise, vous répondez sur les données des utilisateurs et vous indiquez que TikTok utilise sa propre plateforme de collaboration professionnelle qui s'appelle Lark, utilisée par tous les employés de ByteDance. Vous utilisez donc un logiciel de messagerie spécifique. Le New York Times a indiqué, le 24 mai dernier, que les messages des employés de TikTok sur la messagerie d'entreprise Lark étaient largement accessibles à des employés en Chine. Notre question reformulée est donc : est-ce que Lark est utilisé en Chine par des employés de Douyin. Quels sont les messages des employés de TikTok qui sont accessibles aux employés de Douyin ? Pourquoi les employés de TikTok et Douyin utilisent la même messagerie semble-t-il sans droit d'accès particulier, sans restriction d'accès particulière, si TikTok et Douyin n'ont rien en commun ?

M. Eric Garandeau. -Lark est une application que vous pouvez télécharger, une messagerie comme il en existe un grand nombre, comme Teams, Zoom ou Slack. C'est un banal outil d'échange. Je ne vois pas de particularités propres à Lark par rapport à d'autres outils bureautiques.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ce qui me pose problème, ce n'est pas l'outil, c'est le fait que les employés de TikTok et Douyin partage allègrement la plateforme Lark. S'il y a aucun rapport entre TikTok et Douyin c'est quand même un peu surprenant !

M. Eric Garandeau. - Moi et mes collègues utilisont Lark pour échanger au sein de TikTok SAS ou pour échanger avec nos collègues de TikTok en Europe mais nous n'avons pas d'autres usages.

M. Mickaël Vallet, présdient. - Je ne sais pas si votre réponse est exhaustive ou s'il y a trois petits points ? Pour échanger avec des collègues de TikTok SAS et de TikTok Europe, point, ou également avec des collègues en Chine ?

M. Eric Garandeau. - Comme les deux entités sont très séparées, nos échanges sont au sein de TikTok. On peut échanger aussi avec l'Amérique latine, avec les États-Unis bien entendu. Les réunions se font au sein de de l'entité TikTok.

M. Mickaël Vallet, président. - Dans votre téléphone, sur votre application Lark, vous n'avez pas de discussion ouverte avec des collègues en Chine ?

M. Eric Garandeau. - Pas de Douyin, en tout cas pas à ma connaissance.

M. Mickaël Vallet, président. - C'est vous qui savez ce qu'il y a dans votre poche ! Donc la réponse est non.

M. Eric Garandeau. - Parfois, on peut échanger avec quelqu'un sans savoir exactement quelle est son entité juridique.

M. Mickaël Vallet, président. - Il n'y a rien de pervers dans ma question. Vous pouvez échanger avec quelqu'un sans savoir qu'en ce moment il est pendant 2 mois à Shanghai. Je n'en suis pas à ce niveau de suspicion. Mais vous n'échangez pas avec des responsables identifiés chinois sur Lark ?

M. Eric Garandeau. - Je ne pense pas. On a pu échanger avec des collègues de Pico, puisque Pico est dans le groupe aussi (elle crée des casques de réalité virtuelle), mais ce n'est pas ce n'est pas Douyin, c'est une autre entité.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Les centres de données dont vous venez de nous parler, est ce qu'ils utiliseront les mêmes logiciels américains qu'actuellement et qui sont immatriculés aux États-Unis, à savoir Google Cloud Amazon web Services et Microsoft Azure ? C'est une question qui à nos yeux est importante, puisqu'elle permet de déterminer la soumission éventuelle au Cloud Act américain.

M. Eric Garandeau. - L'idée c'est précisément d'avoir un système différent entre les États-Unis et l'Europe ; que, en Europe on puisse travailler dans la mesure du possible avec des entreprises européennes. Je ne peux pas divulguer d'autres noms de marques dans une enceinte publique mais je propose de revenir vers vous par écrit dans la mesure où on peut transmettre des informations plus précises sur ce point.

M. Claude Malhuret. - Je vous repose pour la deuxième fois la question : qui détient la propriété intellectuelle du haut des algorithmes de TikTok au niveau mondial ?

M. Eric Garandeau. - Sur cette question, je préfère également revenir par vers vous par écrit. Ce que je peux faire, ici à mon niveau, c'est vous apporter des précisions sur la manière dont ces algorithmes sont utilisés, la manière dont fonctionne notre dispositif de modération, la manière dont nous pouvons, par des API, auditer ces algorithmes. Mais sur la question de la propriété intellectuelle, elle-même, c'est une question trop technique pour vous répondre ici.

M. André Gattolin. - Pour préciser et compléter la question : le Royaume-Uni joue un rôle important dans votre dispositif depuis le Brexit, même si il y a des accords de prolongation du système de la propriété intellectuelle qui était celui de l'Union européenne. On note un dépôt extrêmement massif de nouvelles licences au Royaume-Uni. Est-ce que vous avez protégé, déposé pour le niveau européen ou, en tous les cas, dans le cadre de votre entreprise, la propriété intellectuelle ? Le Royaume-Uni continue à appliquer les règles qui avaient été posées par l'Union européenne et parallèlement on voit un double système se mettre en place. Et le Royaume-Uni, dans le fonctionnement actuel, a des failles.

M. Eric Garandeau. - Je reviendrai vers vous avec plus d'informations sur ce point. Ce que je peux dire en tout cas, c'est que TikTok se développe beaucoup en Europe continentale, c'est-à-dire que nous ouvrons des bureaux régulièrement dans un grand nombre de pays. On a commencé avec l'Allemagne, la France, Bruxelles et maintenant nous ouvrons des bureaux dans d'autres pays de de l'Europe continentale, en Europe du Sud notamment.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - En réponse à la question 35 du deuxième questionnaire envoyé, vous indiquez que l'expression « amélioration de l'expérience utilisateur » ne figure pas dans votre politique de confidentialité. Elle y est pourtant bien présente puisque vous utilisez l'expression « optimiser l'expérience utilisateur » comme intérêt légitime pour partager à des tiers des informations sur les utilisateurs. C'est une expression qui reste très vague. Qu'est-ce qu'elle recouvre concrètement ? Est-ce que l'utilisateur a selon vous conscience qu'il partage ses informations, dans ce but très général ?

M. Eric Garandeau. - A ma connaissance, on ne partage pas de données avec des tiers. Sauf dans le cas des API. Nous sommes en train de les mettre en place en conformité avec le DSA.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je pense que vous utilisez cette phrase à propos des échanges de données avec des sociétés étrangères dans la politique de confidentialité, sans préciser évidemment. Vous dites qu'il y a des sociétés aux États-Unis, en Malaisie, à Singapour, en Chine. Parmi les objectifs, il y a le fait de travailler à optimiser l'expérience utilisateur.

M. Eric Garandeau. - Je propose là aussi de revenir par écrit, c'est un point très technique a, si vous me permettez, monsieur le rapporteur.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Où en est la procédure sur l'enquête réglementaire initiée par la Data Protection Commission (DPC) irlandaise portant sur la conformité de TikTok Ireland avec le RGPD dans le cadre du traitement des données personnelles d'utilisateurs âgés de moins de 18 ans entre le 29 juillet 2020 et le 31 décembre 2020 ? Cela fait plus de deux ans que la procédure est en cours. Je pense qu'elle touche à sa fin. Envisagez-vous une décision définitive avant l'été ?

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas d'information à partager à cet égard.

M. Claude Malhuret, rapporteur. -Vous nous direz lorsque vous aurez la réponse de la DPC.

M. Eric Garandeau. - Oui, bien sûr, je pense que ce sera connu.

M. Claude Malhuret, rapporteur. -TikTok « pousse » les contenus - j'utilise ce terme parce qu'il circule beaucoup - comme par exemple ceux de la chaîne du Festival du livre pour l'aider à gagner en visibilité. Un article est récemment paru dans l'Obs à ce sujet. Pouvez-vous nous dire en deux mots comment est-ce que l'on procède aux « poussettes » ? Combien y a-t-il de « pousseurs », s'il s'agit bien d'interventions humaines, en France et quelle est leur marge de manoeuvre ? À qui réfèrent-ils ?

M. Eric Garandeau. - Je pense que ma collègue Marlène Masure, que vous entendrez cet après-midi, pourra vous répondre plus en détail. Ce que je peux vous dire, c'est que la proportion de vidéos faisant l'objet d'une mise en avant éditoriale est très faible. Nous avons fait un test sur quelques mois et nous étions à 0,0006 %. C'est donc vraiment marginal, mais cela concerne des contenus que vous citiez, comme le livre ou des contenus que l'on met en avant pour des raisons éducatives ou culturelles. Nous avons très à coeur de jouer notre rôle citoyen et de pouvoir mettre en avant des contenus qui intéressent le plus nos communautés. S'agissant du livre, c'est une très belle histoire puisque le mot-dièse « #BookTok » a plus de 151 milliards de vues dans le monde. C'est un phénomène au départ très organique. Une Américaine avait commencé à faire une chronique littéraire sur TikTok, sur un livre portant sur Achille et l'antiquité grecque, et cette vidéo est devenue virale. Depuis lors, nous avons beaucoup d'utilisateurs de tous âges qui font des chroniques littéraires sur TikTok. C'est vrai que nous avons encouragé ce mouvement en France, parce que la lecture de livres est une cause nationale. Nous avions rencontré le ministre de l'Éducation nationale - à l'époque Jean-Michel Blanquer - qui souhaitait que les jeunes, qui vont vers les écrans, puissent aussi revenir vers le livre et la lecture. Cela fait donc partie effectivement des choses que nous avons encouragées. Nous avons même mis en place une interface « Apprendre sur TikTok », qui a déjà 200 millions de vues, alors qu'elle vient à peine d'être lancée, et qui permet de se cultiver sur TikTok, avec des onglets comme « langues étrangères », « histoire », « culture ». Nous pensons que cela correspond à un appétit très fort de nos utilisateurs.

M. Mickaël Vallet, président. - Si vous permettez, je vais faire le candide. Lorsque vous êtes une entreprise locale ou une collectivité, la presse locale vient parfois vous démarcher en vous proposant un partenariat pour un festival ou un salon annuel, c'est-à-dire qu'elle s'engage à réaliser des reportages, sur lesquels vous n'aurez pas la main d'un point de vue rédactionnel, mais qui permettront d'amener de la visibilité à l'événement. Dans le cas d'espèce, j'imagine que vous allez voir le Salon du livre ou que le Salon du livre vient vers vous et s'engage à promouvoir l'application à l'intérieur du Salon du livre ou le mot-dièse « #BookTok », en échange de quoi vous allez pousser le contenu sur le Salon du livre. Ma question est donc simple : quel est l'objet du partenariat ? Il y a bien un moment où le journal qui vient vous voir vous dit : « vous aurez un article par jour »  et vous, vous dites « vous serez poussé à hauteur de tant de vidéos » ou « l'algorithme sera amené à mettre du contenu sur le Salon du livre sur tant de fils ». J'aimerais que vous nous répondiez concrètement.

M. Eric Garandeau. - Ces sujets relèvent de la direction contenus et opérations, donc je pense que Marlène Masure vous répondra cet après-midi.

M. Mickaël Vallet, président. - Vous avez bien quelqu'un de la direction contenus et opérations qui vous accompagne lorsque vous rencontrez les personnes en charge d'un salon ou d'un festival. Il faut bien que vous puissiez leur répondre concrètement. Parce que, que vous puissiez dire autour d'un café que tout le monde adore la littérature, le cinéma, les formats courts et le surréalisme nouvelle version, c'est très aimable, mais il y a un moment où la personne doit rendre compte elle aussi à son conseil d'administration. Il faut qu'elle puisse dire que le partenariat avec TikTok a permis d'accroître la visibilité de tant de pourcents. On a même vu des bandeaux sur une chaîne d'information en continu qui disaient littéralement « cette année, le Salon du livre a eu tant de de visiteurs supplémentaires, grâce à un partenariat avec TikTok ». Tout cela n'a rien de sale. Qu'en tant que responsable des affaires publiques, vous ne sachiez pas ouvrir le capot de l'ordinateur ou de l'algorithme, je l'entends bien, mais pouvez-vous au moins nous indiquer quel est l'objet du partenariat sur le festival du livre de Paris par exemple ?

M. Eric Garandeau. - Oui, on peut prendre cet exemple. Je pense d'ailleurs qu'on a dû vous transmettre le contrat de partenariat avec le Festival du livre de Paris. Les choses étaient assez simples. C'est le Festival du livre qui nous a proposé ce partenariat. Son but était effectivement d'accroître sa communication en direction des jeunes publics. Cela a été plutôt suivi d'effets, puisqu'il a été constaté que près de 45% - je crois - de la fréquentation totale du salon a été le fait de jeunes de moins de 25 ans.

M. Mickaël Vallet, président. - Parce que vous avez bien travaillé. Donc, concrètement, combien de contenus, sur combien de fils, avez-vous poussés ?

M. Eric Garandeau. - Le contenu de ce partenariat, c'était d'avoir un espace au sein du Festival du livre pour pouvoir accueillir des créateurs, favoriser la rencontre avec des auteurs et pouvoir faire des vidéos qui ont ensuite été diffusées sur TikTok. Mais je ne pense pas que l'on rentre dans le degré de détails que vous mentionnez. Simplement, le mot-dièse « #BookTok » est un mot-dièse très populaire, qui peut faire l'objet d'une éditorialisation particulière, sous forme d'une page dédiée à la littérature, et qui va, de temps en temps, mettre en avant des créateurs et des contenus. L'essentiel - c'est là la beauté de la chose - est que ce phénomène est très organique, c'est-à-dire que c'est un écosystème où certains types de contenus sont très demandés. Cela donne donc envie à d'autres créateurs de se lancer également dans ce type de contenus.

M. André Gattolin. - Si, dans le cadre d'un partenariat, vous faites venir des créateurs TikTok in situ et que cela provoque un afflux, cela veut donc dire que les gens sont dans une réactivité quasi-immédiate. Ce n'est pas quelque chose qui est monté en amont sur la plateforme TikTok, c'est la production de contenus qui suscite une réactivité très forte. Dans ce cadre-là, utilisez-vous un algorithme de géolocalisation ? Parce que, si vous habitez à 500 kilomètres de Paris, vous n'allez pas vous déplacer au Salon du Livre uniquement parce qu'un créateur en a fait la promotion sur TikTok...

M. Eric Garandeau. - Une plateforme est aussi le reflet de la société. Je pense qu'il y a un mouvement, peut-être déjà ancien, de retour à la lecture et aux livres.

M. Mickaël Vallet, président. - Si vous dites que le partenariat consiste à pousser les contenus de manière à inciter les gens à venir au Salon du livre, cela n'a rien de sale. Ce que l'on vous demande simplement, c'est si vous êtes en mesure, commercialement, de donner à votre partenaire l'assurance que son événement sera poussé à tel moment et sur telle zone géographique, du fait de la géolocalisation des abonnés. Répondez-nous par oui ou par non.

M. Eric Garandeau. - Ce que je sais à mon niveau, c'est que la géolocalisation est très peu développée sur l'application, mais je préfère que Marlène Masure vous réponde sur ce point cet après-midi.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - TikTok devait remettre en janvier à la commissaire européenne Vera Jourova un rapport sur la désinformation sur sa plateforme. Ce rapport a-t-il été remis ? Mme Jourova a-t-elle rendu un avis sur ce rapport ?

M. Eric Garandeau. - Nous avons adhéré de manière volontaire au code européen de lutte contre la désinformation et nous avons remis notre premier rapport à la Commission européenne. Ce rapport, dans lequel nous avons publié plus de 2500 données, a reçu un accueil satisfaisant. C'est la seule chose que je puisse en dire à ce stade. Nous avons rempli notre obligation et nous continuerons à la remplir.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je reviens sur la question précédente. Vous nous avez indiqué que les vidéos « BookTok » avaient généré 150 milliards de vues. Combien cela représente-t-il par rapport au total de vues sur TikTok dans le monde annuellement ?

M. Eric Garandeau. - La popularité de tel ou tel mot-dièse peut être suivie en temps réel, en tapant le mot-dièse dans la barre de recherche. Le chiffre précis est aujourd'hui de 145 milliards de vues pour les vidéos « BookTok ». Ce qui est intéressant, c'est que le mot-dièse « BookTok » est un mouvement spontané. C'est une utilisatrice qui a créé ce mot-dièse, qui est ensuite devenu viral et peut effectivement faire désormais l'objet d'une plus grande éditorialisation. Ce que la mesure du nombre de vues indique, c'est qu'il y a 145 milliards de visionnages de vidéos portant le mot-dièse « BookTok ». Parfois, évidemment, un utilisateur peut regarder deux fois la même vidéo, mais cela reste un indicateur intéressant de la popularité d'une tendance.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Pour témoigner de la popularité, il faut comparer cet indicateur à l'ensemble. Ma question est simple : combien de vues de vidéos, toutes catégories confondues, sont comptabilisées par an sur TikTok ?

M. Eric Garandeau. - Je ne sais pas si cette donnée est disponible. Mais vous avez raison, l'intérêt d'avoir ces API est aussi de pouvoir faire ce travail de quantification. En tout cas, par rapport aux ordres de grandeur que nous avons en tête, 145 milliards de vues est le signe d'une grande popularité. Par exemple, à titre de comparaison, la récente compétition de films «  TikTok shortfilm » a généré plus de 9 milliards de vues.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - TikTok s'acquitte-t-il de sa contribution au CNC ?

M. Eric Garandeau. - Tout récemment, en avril 2023, nous avons fait notre première déclaration au titre de la taxe sur les services numériques. De ce point de vue, nous sommes bien en règle de nos obligations fiscales. La taxe dont le produit est versée au CNC fait l'objet d'une discussion entre les équipes fiscales de TikTok UK et l'administration fiscale française. Des questions ont été posées sur l'assiette de la taxe. TikTok est en attente de la réponse de l'administration fiscale pour respecter pleinement ses obligations.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Quand TikTok France a-t-il été créé ?

M. Eric Garandeau. - C'était en 2020.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Depuis 3 ans, vous ne payez donc pas la contribution au CNC.

M. Eric Garandeau. - Nous attendons la réponse de l'administration fiscale qui à ma connaissance n'a pas encore été donnée.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - En juillet 2022, TikTok a publié un communiqué expliquant que la société suspendait la mise à jour de sa politique de confidentialité qui lui permettait de se passer du consentement de ses utilisateurs européens pour les exposer à la publicité ciblée. Cette décision, qui intervenait à la veille de l'entrée en vigueur des changements, faisait suite à des discussions ouvertes avec l'autorité irlandaise de protection des données, la DPC. L'ONG Access Now, qui défend les droits des internautes, avait accusé TikTok de violation manifeste du RGPD européen à des fins de publicités ciblées. Depuis juillet dernier, où en êtes-vous de la discussion avec la DPC. Où en êtes-vous du changement de politique de confidentialité ?

M. Eric Garandeau. - ces discussions se poursuivent. Vous comprendrez qu'il m'est difficile d'entrer dans le détail de ces discussions.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Beaucoup de vos discussions se poursuivent longtemps avant de déboucher. Les sociétés d'auteur commencent à être assez irritées - c'est une litote - de ces délais toujours rallongés.

M. Eric Garandeau. - Nous sommes effectivement en discussion avec les sociétés de gestion de droit. TikTok est une entreprise qui n'existait pas il y a six ans, qui entend pleinement respecter le droit d'auteur. Elle respecte d'ailleurs le droit d'auteur.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Il y a une enquête de la DPC sur le traitement des données personnelles des enfants. Avez-vous eu également des nouvelles de cette enquête ?

M. Eric Garandeau. - Ce dossier suit également son cours, je ne peux pas en dire davantage. Vous m'excuserez.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Nous avons parlé tout à l'heure de la modération et de l'algorithme. Comment dans la pratique se répartit la modération entre les modérateurs français, anglophones, chinois ou autres ?

M. Eric Garandeau. - Je peux vous divulguer une information qui n'a pas encore été rendue publique. Nous avons 600 modérateurs en langue française. Au total, nous avons une force Trust and Safety de 40 000 personnes, qui agissent dans plus de 70 langues.

L'essentiel du travail est fait par des algorithmes et donc l'intelligence artificielle. Les modérateurs interviennent dans un deuxième temps pour pouvoir démêler des situations plus complexes. Les infractions à nos règles communautaires sont assez faciles à détecter : la pornographie, la nudité, l'extrémisme dès lors qu'il utilise des symboles manifestes. D'autres infractions sont plus difficiles à détecter et nécessitent un travail de modération humaine. C'est à ce moment-là que les modérateurs interviennent.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous indiquez le chiffre de 600 modérateurs en langue française. Sont-ils tous basés en France ?

M. Eric Garandeau. - Ils sont basés dans plusieurs endroits, certains sont à Dublin, d'autres dans d'autres centres. Nous sommes une plateforme technologique. L'important est qu'ils soient connectés et encadrés, qu'ils puissent avoir des programmes de formation et qu'on puisse aussi veiller à leur bien-être car c'est un travail difficile.

M. André Gattolin. - Vous avez une approche linguistique fondée d'abord sur des algorithmes, donc sur des écritures. Dès lors, l'intervention, par exemple en matière francophone, s'opère sur toute conversation qui se fait en français même si par exemple elle a lieu aux États-Unis. Est-ce bien cela ? Je pose cette question car où peut imaginer une situation où des personnes prévoyant des actions terroriste ou dangereuses opèrent en France, dans leur langue. Auriez-vous le contrôle également là-dessus ?

M. Eric Garandeau. - Bien entendu. Si l'on détecte une autre langue, la vidéo sera visionnée par le modérateur de la langue en question. Les algorithmes sont agnostiques au sens où ils sont entraînés dans plus de 70 langues. La modération humaine interviendra aussi dans la langue appropriée.

M. André Gattolin. - Mais cela peut être compliqué à faire appliquer. Par exemple, comment sera modéré un propos passible de poursuites, proféré en français dans un pays d'Amérique latine où la législation serait moins sévère ? Vous êtes tout de même obligé d'identifier la provenance du message. Sinon, cela peut conduire à censurer quelqu'un au regard d'une langue mais pas au regard du droit propre au pays.

M. Eric Garandeau. - C'est une très bonne question. Nous essayons d'avoir les règles les plus universelles possible. C'est évident pour des sujets comme la pornographie, la nudité, l'extrémisme. Nous opérons par ailleurs dans le respect des lois en vigueur dans chaque pays. Il y a donc effectivement une conciliation à faire. En tout cas, la tendance globale de TikTok est d'avoir l'approche la plus universelle possible et d'appliquer de manière la plus uniforme possible les règles de modération et d'avoir les mêmes règles communautaires pour tout le monde.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je suppose que c'est vous qui êtes chargé des rapports avec l'ARCOM puisque vous êtes chargé des rapports institutionnels et des politiques publiques. L'ARCOM a publié son rapport 2022 et l'a mis à jour en décembre 2022, il y a seulement quelques mois. Je vous lis « les points clés du bilan 2022 » : « Déclarations particulièrement imprécises avec peu d'informations relatives aux services en France et aucun élément tangible permettant une évaluation des moyens mis en place. Pas de réponse aux interrogations spécifiques de l'ARCOM omettant ainsi plusieurs enjeux centraux (étape de l'instruction d'un signalement, fonctionnement des outils de modération, pratique de manipulation identifiée sur le service, etc). Pas d'éléments chiffrés relatifs à la France. Dispositif de signalement accessible mais peu visible. Absence d'informations quant au processus d'évaluation des algorithmes. Aucune information sur les pratiques de manipulation de l'information identifiées sur le service ».

Au chapitre des données chiffrées déclarées : « Nombre de visiteurs uniques par mois du service en France et dans le monde : non déclaré. Chiffre d'affaires du service en France : non déclaré. Effectifs employés aux activités du service en France : non déclarés. Nombre de contenus identifiés comme confortant une fausse information : non déclaré. Parmi ces contenus, nombre détecté automatiquement et à la suite du signalement utilisateurs : non déclarés. Nombre de contenus comportant une fausse information qui ont fait l'objet de mesures : non déclaré. Nombre d'émetteurs de ces contenus identifiés et qui ont fait l'objet d'une mesure : non déclaré. Audience moyenne des contenus identifiés comme comportant une fausse information : non déclaré. Nombre de signalements pour fausses informations par les utilisateurs : non déclarés. Moyens de traitement des signalements : non déclarés. Nombre de recours reçus par l'opérateur à l'issue de la procédure de signalement : non déclaré. Nombre de comptes détectés propageant massivement de fausses informations : non déclaré. Nombre de faux comptes automatisés détecté : non déclaré. Nombre de deepfake sur lesquels des mesures ont été prises : non déclaré.

Vous avez de la chance que l'ARCOM n'ait pas de pouvoir de sanction. Ce constat est véritablement accablant.

M. Eric Garandeau. - Il faut dire qu'il s'agit d'un rapport de fin 2022, qui est intervenu au moment où TikTok était en train de se préparer à la mise en oeuvre du DSA. Or, le DSA prévoit des obligations très précises de transparence et de communication de données. Ce travail évidemment était prioritaire. Par ailleurs, c'était la première fois que nous répondions à ce questionnaire. C'était un premier exercice, sachant que TikTok est une entreprise non cotée et donc que les « données pays » n'étaient pas à cette époque divulguées.

Nous avons depuis répondu au code européen de lutte contre la désinformation. Nous avons rendu publiques 2500 informations. Nous sommes en train de répondre à la deuxième édition de ce rapport de l'ARCOM. Nous aurons un niveau de détail beaucoup plus important. Il est vrai que ce premier rapport a été jugé insatisfaisant par l'ARCOM. Nous avons eu l'occasion de dialoguer avec l'ARCOM à Dublin. Nous avons organisé des échanges à haut niveau, avec nos responsables de l'équipe Trust and Safety pour évoquer la lutte contre la désinformation et contre la haine en ligne, ainsi que la mise en oeuvre du DSA. Nous continuons à intensifier cet effort de transparence, comme nous le montrerons en août prochain au moment où certaines obligations du DSA s'imposeront à nous. Nous sommes dans une démarche d'amélioration permanente de la transparence. Nos rapports de transparence contiennent d'ores et déjà beaucoup de données.

M. Mickaël Vallet, président. - Il y a quelques mois, le ministère de l'Éducation nationale s'est ému du fait que des éléments de langage soient diffusés sur les réseaux sociaux, et notamment sur TikTok, pour défier les règlements intérieurs des établissements scolaires, notamment sur la question des tenues vestimentaires. Cela a amené le ministre à déclarer - dans une formule - que « la République était plus forte que TikTok ». S'en est suivi une rencontre de TikTok France avec la ministre chargée de la jeunesse. Nous savons que la ministre a reçu les représentants de votre entreprise en 2022. Elle a appelé à « une viralité républicaine ». Après trois années de covid, je lui laisse la formule...Quid depuis ? Des décisions ont-elles été prises ? Avez-vous modifié votre modération sur le sujet ? Y-a-t-il eu une modification de l'algorithme ? Quel est votre opinion sur ce type de sujet ?

M. Eric Garandeau. - S'agissant de la diffusion des valeurs républicaines, et de l'engagement de TikTok au service des valeurs de de la République, nous avons engagé une démarche dès 2021. Nous avons organisé des visites en live au musée de l'Armée, au Panthéon. Nous avons accueilli sur notre plateforme un grand nombre d'institutions défendant l'histoire et les valeurs de la République.

M. Mickaël Vallet, président. - Que signifie « nous avons accueilli » ? Des comptes ont été créés ?

M. Eric Garandeau. - Des comptes ont en effet été créés. Nous avons même organisé avec France Télévisions une semaine autour des valeurs de la République, notamment autour des valeurs de liberté et d'égalité. Nous travaillons aussi avec le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) pour réfléchir ensemble à des manières de diffuser ces valeurs sur la plateforme. Le CIPDR, après la réunion qui s'est tenue chez le ministre de l'Éducation nationale, a été choisi pour être un relais de signalements de vidéos encourageant la désobéissance dans les établissements scolaires. Nous avons fait ce travail, d'ailleurs immédiatement, de repérage et de retrait de ces contenus, dès que nous avons eu connaissance de ces difficultés. Nous avons convenu avec le ministre que s'il y avait des informations utiles à nous faire parvenir, cela prendrait la forme d'un signalement via le CIPDR.

M. Mickaël Vallet, président. - Récemment toujours, il y a eu un emballement avec une vidéo d'une chorégraphie dans une église. Selon un livre paru en mars dernier sur TikTok - dont j'espère que vous l'avez lu -, le jeune en homme en question indique avoir vu fleurir en ligne des vidéos sur TikTok où était mentionné le domicile de ses parents. Au moment où le livre a été publié, la journaliste indique que ces vidéos sont toujours en ligne sur TikTok. Elle n'a pas de reçu de réponse de la part de l'entreprise sur ce sujet. Savez-vous si le nécessaire a été fait ?

M. Eric Garandeau. - Je reviendrai vers vous à ce sujet pour vérifier si le travail a été fait. Dès que nous avons des signalements de ce type, nous saisissons bien entendu nos équipes Trust and Safety, qui opèrent la vérification en appliquant à la fois la loi et nos règles communautaires.

M. Mickaël Vallet, président. - Du moment que vous respectez la loi, il n'est pas interdit d'avoir une ligne rédactionnelle.

Vous êtes responsable des affaires publiques. Nous ne vous avons pas entendu sur ce que vous pensez de la décision d'interdiction de TikTok sur les téléphones des fonctionnaires par un certain nombre de gouvernements et d'organisations internationales. À quoi attribuez-vous cette décision et qu'en pensez-vous ?

M. Eric Garandeau. - Ces décisions en cascade ont été prises après la décision de la Commission européenne. Nous avons évidemment immédiatement réagi auprès de la Commission européenne puisque nous ne nous ne comprenions pas les raisons de cette décision. Une discussion est en cours et je ne crois pas que nous ayons reçu depuis les éléments de justification ayant conduit à cette décision. Nous n'avons eu aucune indication sur les motifs qui avaient conduit à cette décision. Nous avons été surpris de cette décision et nous espérons que nous aurons un jour la réponse.

Entre temps, s'agissant de la France, le ministre de la fonction publique a effectivement pris une décision pour que les fonctionnaires n'aient plus accès aux applications récréatives. Nous avons estimé que cette décision était un peu plus fondée dans la mesure où il n'y avait pas de discrimination non justifiée à l'égard de TikTok par rapport à d'autres applications récréatives.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Sur ce sujet, le Premier ministre belge vous a répondu. Alexander De Croo a déclaré s'agissant de l'interdiction en Belgique : « nous ne devons pas être naïfs, TikTok est une entreprise chinoise qui est aujourd'hui obligée de coopérer avec les services de renseignement chinois. C'est la réalité ». On a l'air en Belgique d'avoir une opinion précise sur ce sujet. TikTok a publié un communiqué le 10 mai dernier expliquant que ces interdictions sont « enracinées dans la xénophobie ». Laquelle de ces analyses partagez-vous ? Pensez-vous aussi que l'interdiction des Gafam en Chine relève de la xénophobie ?

M. Eric Garandeau. - Je ne commenterai pas des déclarations d'autorités politiques, a fortiori étrangères. La France a pris cette décision qui semble nous convenir davantage puisqu'il n'y a pas de discrimination de TikTok par rapport aux autres plateformes. Nous sommes une entreprise responsable qui respecte le droit en vigueur et qui met tout en oeuvre pour protéger l'intégrité de ses systèmes d'exploitation. Je le répète, nous réalisons un investissement d'1,2 milliard d'euros en Europe avec des centres de données sécurisés par des tiers, avec des dispositifs de protection parmi les standards de sécurité les plus élevés du monde, afin de nous mettre à l'abri de toute tentative d'ingérence, d'intrusion ou de manipulation. Nous rendons nos algorithmes les plus auditables possible. Nous prenons toutes ces décisions pour lever les suspicions qui, jusqu'à preuve du contraire, ne reposent pas sur la moindre preuve.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ne pensez-vous pas que la meilleure façon de faire serait de couper hermétiquement les contacts ? Quelle que soit la personne qui s'exprime - M. Bertram ou vous-même - on ne nous dit pas si les transferts de données seront interdits. Vous nous dites simplement que les transferts de données non autorisés seront interdits et que les transferts seront minimisés. En clair, ces transferts continueront avec la Chine. Tant que vous n'aurez pas réglé ce problème, vous ne convaincrez personne. Pouvez-vous vous engager à ce qu'il n'y ait plus de transferts de données vers la Chine ? Je comprends parfaitement qu'il soit impossible empêcher les transferts de données dans le monde entier puisque TikTok est une plateforme mondiale qui opère partout sur la planète, sauf en Chine. Qu'est-ce qui vous oblige donc à rester en liaison avec des entités chinoises, notamment via un système de messagerie ? En outre, vous ne nous donnez pas les noms de ces entités chinoises. Dans ces conditions, comment voulez-vous que la suspicion ne continue pas ?

M. Eric Garandeau. - Dans la mesure où existera un système insularisé en Europe, avec des données conservées dans une enclave, avec un tiers de confiance extérieur au groupe ByteDance qui puisse vérifier la justification de chaque accès à chaque donnée, honnêtement je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de plus fort comme garantie donnée. Les données des Européens seront pleinement protégées et je ne connais pas d'autres plateformes ayant pris un engagement similaire à celui que nous avons pris.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Quand vous parlez d'insularité, cela signifie-t-il qu'il n'y aura plus de transferts de données avec la Chine ?

M. Eric Garandeau. - J'ai ajouté que chaque accès de chaque personne à chaque donnée serait tracé et devrait être justifié pour des raisons d'opération du service.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Il y aura donc encore transfert de données avec la Chine.

M. Eric Garandeau. - Je ne peux pas préjuger de l'évolution de la société. Actuellement, cet engagement a été pris et il s'agit d'un engagement très substantiel, y compris dans le volume des investissements qui sont en train d'être réalisés, avec un délai très ambitieux de 15 mois.

M. Mickaël Vallet, président. - Sur cette question, j'aurais voulu vous permettre d'infirmer ou de confirmer des faits sur lesquels vous n'avez pas souhaité réagir. Dans le travail journalistique dont je parlais, des anciens salariés ont été interrogés : « Certains termes reviennent souvent pudiquement dans la bouche des anciens salariés. Le fait que la culture de l'entreprise serait très chinoise » - jusque-là, rien de grave, nous avons bien en France des entreprises très américaines jusqu'à la caricature -. Je continue « la culture de l'entreprise serait très chinoise, comprendre particulièrement énergivore, mais aussi procédurière et secrète. "Je faisais partie d'un comité censé se pencher sur les conditions de travail des salariés, sur leur équilibre vie professionnelle/vie personnelle, raconte un ancien salarié américain. Pour étayer notre travail, nous avons fait passer un questionnaire aux salariés pour comprendre leur état d'esprit. Sauf que nous n'avons pas eu accès aux données brutes. Elles ont été directement pris en charge par nos collègues chinois et nous sont revenues traitées". Tous les salariés le confirment, si TikTok s'étend à travers le monde, le lieu de prise de décision reste bien la Chine. Ils doivent maintenir un équilibre précaire. Au quotidien, ils sont en permanence en contact avec les employés chinois de ByteDance qui joue un rôle clé dans la validation des projets et des procédures. Un système tellement procédurier qu'il a tendance à ralentir les prises de décision, regrettent plusieurs anciens salariés ». Cette citation d'un travail journalistique vous donne l'occasion d'infirmer qu'il n'y pas de lien au quotidien avec des personnes travaillant pour ByteDance en Chine.

Par ailleurs, cette même enquête indique que « certains ont été briefés sur la manière dont ils doivent parler de l'entreprise en public, selon des informations du média spécialisé Gizmodo. Sollicité concernant l'actualité de ce document, TikTok France n'a pas donné de réponse. L'un des principaux commandements promus par le document est de contester les liens qu'entretient TikTok en Europe avec sa maison mère en Chine : minimiser ByteDance, minimiser l'association avec la Chine, minimiser l'Intelligence artificielle font ainsi textuellement partie des éléments à retenir de ce document. Celui-ci propose par ailleurs certains éléments de langage clé en main comme : il y a beaucoup de désinformation autour de TikTok en ce moment, la réalité c'est que TikTok n'est même pas disponible en Chine ». Quel est votre point de vue sur ce sujet, qui relève de votre domaine ?

M. Eric Garandeau. - Monsieur le président, puis-je vous demander à quelle année remonte le premier commentaire que vous avez fait ?

M. Mickaël Vallet, président. - Bien sûr. Vous auriez pu le demander par écrit à la journaliste qui dit vous avoir interrogé et qui n'a pas eu de réponse. Je vous préciserai l'année par écrit.

M. Eric Garandeau. - Personne ne minimise le fait que l'origine de ByteDance est en Chine. Mais ByteDance a ensuite généré TikTok et TikTok s'est développé extrêmement rapidement. Certaines choses dites il y a quelques années, qui paraissent proches mais qui sont en réalité très lointaines dans l'histoire du groupe, ne correspondent absolument pas à la réalité. Notre management est européen ; beaucoup de décisions sont prises au niveau européen. Mon responsable hiérarchique est à Londres. Les responsables du service de Trust and Safety sont quant à eux en Irlande. Le CEO est à Singapour et la directrice générale des opérations est à Los Angeles. La culture d'entreprise, bien que très anglo-saxonne, est très mélangée. Chaque continent apporte sa propre couleur à l'entreprise. Ce n'est pas une entreprise monocolore, mais une entreprise véritablement multiculturelle. Le management est très collaboratif.

M. Mickaël Vallet, président. - Comme c'est évoqué dans la presse, confirmez-vous avoir été recruté par News Républic ?

M. Eric Garandeau. - News Republic a été le premier bureau de représentation de TikTok en France avant la création de la filiale TikTok SAS. Les contrats ont été transférés.

M. Mickaël Vallet, président. - À partir de quand avez-vous travaillé pour News Republic ?

M. Eric Garandeau. - C'était le 7 septembre 2020.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - News Republic existe-t-il toujours ?

M. Eric Garandeau. - Je n'ai pas d'information précise sur ce sujet.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Mme Zhao Tian est toujours présentée comme sa présidente, avec comme directeur monsieur Zhao Liu. J'aurais aimé savoir si c'est le mari de Madame Zhao Tian.

M. Eric Garandeau. - Je ne les connais ni l'un, ni l'autre. Je n'ai jamais rencontré ces personnes.

M. Mickaël Vallet, président. - J'en ai quasiment terminé. Comment fonctionnez-vous en termes de partenariat ? Nouez-vous des partenariats d'influence avec des personnalités identifiées dans le grand public ? Par exemple, sur les questions de livres, êtes-vous engagé dans une relation commerciale avec des journalistes travaillant sur le service public ?

M. Eric Garandeau. - A mon niveau, c'est certain que non. Je ne pense pas non plus que ce soit le cas à la direction des contenus et des opérations. Ma collègue pourra vous en dire plus. Des créateurs ouvrent des comptes sur TikTok pour apporter des contenus. Il peut y avoir éventuellement un accompagnement dans le développement de ces comptes.

M. Mickaël Vallet, président. - Cela n'aurait rien d'infamant. Cette pratique par les journalistes est désignée sous le terme de « ménages ». Un journaliste peut ainsi animer un congrès de chirurgiens-dentistes. TikTok noue-t-il ce genre de partenariat avec des journalistes présents sur TikTok et rémunérés par la plateforme, d'une manière ou d'une autre ?

M. Eric Garandeau. - A mon niveau, nous ne recourons pas à ce type de pratiques. Marlène Masure pourra vous dire la manière dont les créateurs et les « public figures » peuvent être accompagnés.

M. Mickaël Vallet, président. - Vous avez souvent eu l'occasion de préciser que vous étiez une entreprise jeune et que cela pouvait expliquer le fait que vous êtes encore en phase d'apprentissage. Nous sommes quant à nous une commission d'enquête jeune mais qui par définition n'a pas le temps de vieillir. Nous devons rendre nos travaux au bout de six mois. Dès lors, nous vous serons reconnaissants de nous transmettre rapidement l'ensemble des éléments que vous avez suggérés de nous adresser par écrit. Je pense qu'un délai de huit jours nous obligerait. Souhaitez-vous ajouter un élément ?

M. Eric Garandeau. - Je souhaite simplement vous remercier pour votre écoute et pour l'opportunité qui nous a été offerte de pouvoir échanger sur vos sujets de préoccupation légitime. J'espère que nous avons pu apporter déjà suffisamment d'éléments pour rassurer la représentation nationale sur des préoccupations parfaitement légitimes, préoccupations pour lesquelles nous pensons apporter des réponses à la hauteur de ces enjeux.

La réunion est close à 13 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Marlène Masure, directrice générale des opérations France, Benelux et Europe du sud de TikTok SAS

M. Mickaël Vallet, président. - Nous poursuivons nos auditions des représentants de TikTok en entendant cet après-midi Mme Marlène Masure, directrice générale des opérations de TikTok pour la France, le Benelux et l'Europe du sud.

Madame Masure, vous avez débuté votre carrière en 1996 chez PepsiCo en tant que directeur des ventes et du développement, avant de rejoindre en 2002 l'éditeur de jeux vidéo Electronic Arts en qualité de responsable du marketing de la marque jusqu'en 2007. Ensuite, vous avez occupé différents postes au sein de l'équipe marketing de Walt Disney France, avant de devenir vice-présidente marketing et responsable générale de Disney Media sales & partnerships France jusqu'en 2019.

Par la suite, vous avez rejoint le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en qualité de directrice des partenariats et du développement commercial.

Vous avez finalement rejoint TikTok en mars 2022 comme directrice générale des opérations France et Benelux, puis pris la responsabilité de l'Europe du Sud en février 2023.

La plateforme TikTok est très bien implantée en France, avec plus de 22 millions d'utilisateurs actifs mensuels pour les comptes enregistrés en France en avril 2023. Le temps moyen d'utilisation quotidienne de l'application par les 4-18 ans serait d'environ 1 heure 45 minutes. Il s'agit donc d'un phénomène de grande ampleur, qui suscite de notre part de nombreuses interrogations, allant de la question de l'utilisation intensive de l'application par certains jeunes aux sujets relatifs à la protection de la vie privée. Ces interrogations nous conduisent aussi à tenter de mieux comprendre la structure de l'entreprise TikTok, ainsi que son modèle commercial.

Compte tenu de vos responsabilités au sein de la branche française de TikTok, nous avons donc souhaité vous entendre pour approfondir ces sujets, abordés au cours de nos trois mois de travaux.

Je rappelle que cette audition est captée et retransmise en direct sur le site du Sénat.

Avant de vous laisser la parole pour une brève introduction, je vais procéder aux formalités d'usage pour les commissions d'enquête. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marlène Masure prête serment.

Mme Marlène Masure, directrice générale des opérations France, Benelux et Europe du sud de TikTok SAS. - Je vous remercie de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui d'intervenir devant votre commission d'enquête, étant précisé que j'interviens en qualité de directrice générale des opérations pour la France, le Benelux et l'Europe du sud de TikTok.

Avant de rejoindre l'entreprise, j'ai travaillé douze ans chez Disney, dans des fonctions commerciales et marketing et, plus récemment, j'étais en charge de la direction commerciale pour le comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Ce qui m'a conduite chez TikTok, c'est le souhait de retrouver le secteur des médias et du divertissement, et de participer au développement de la plateforme en France.

TikTok est à la pointe de l'innovation et a connu une croissance extrêmement rapide au cours des cinq dernières années. Comme tout changement, cela suscite des interrogations. J'aborde donc cette audition dans un esprit de coopération et de transparence. Cette application de divertissement, qui rassemble effectivement 22 millions d'utilisateurs en France, permet à ces derniers de partager leur quotidien, leur culture, leurs passions et de se connecter entre eux autour de centres d'intérêts communs.

Depuis notre lancement, le sens de la responsabilité nous anime : responsabilité d'offrir le meilleur contenu dans un espace sûr et inclusif. Ce travail continu nous permet de proposer une plateforme créative, contribuant au dynamisme de notre société et servant de tremplin à de nombreux acteurs.

De la confiance envers l'application découlent nos capacités à fidéliser nos utilisateurs. Cela passe par la suppression des contenus contraires à nos valeurs et par la modération des comportements malveillants. La mécanique est la même pour nos annonceurs : la plupart des grandes marques et grandes entreprises sont aujourd'hui présentes sur la plateforme, au travers de comptes organiques ou de campagnes publicitaires.

Les équipes de TikTok en France ont à coeur d'animer toutes les grandes communautés : passionnés de sport, musique, cinéma, lecture, gastronomie, etc. C'est ce qui motive nos choix de nous associer à tel ou tel événement.

Nous créons aussi des programmes sur des sujets divers, comme « Apprendre sur TikTok » que nous avons lancé cette année et dont l'ambition est de faire émerger des contenus éducatifs. Ce programme rassemble aujourd'hui près de 1 milliard de vues en France.

Nous avons par ailleurs à coeur de soutenir toutes les grandes causes. Nous accompagnons l'action de nombreuses associations sur des sujets aussi variés que l'éveil à l'esprit critique, la santé, la lutte contre le harcèlement ou contre les discriminations et le combat pour l'égalité.

On ne compte plus le nombre de créateurs ayant pu développer leur entreprise grâce à TikTok : ils sont plus de 5 millions aux États-Unis, probablement autant en France. La plateforme est également un acteur reconnu de l'orientation professionnelle et de l'élaboration des parcours professionnels. De grandes entreprises, comme Carrefour, Accor, Club Med ou encore la police nationale, l'utilisent comme un outil de marque employeur pour recruter. Les mots-dièse « emploi » et « recrutement » totalisent chacun plus de 500 millions de vues.

J'espère vous avoir apporté un éclairage utile. Les propositions de votre commission d'enquête nous permettront probablement d'aller plus loin. Nous estimons néanmoins que nous ne sommes pas les seuls à devoir porter l'effort, que certains enjeux abordés ici appellent une réflexion collective engageant la responsabilité plus large de l'ensemble des plateformes.

M. Mickaël Vallet, président. - Avant de laisser la parole au rapporteur, je souhaiterais savoir ce que fait M. Éric Garandeau et que vous ne faites pas, et inversement.

Mme Marlène Masure. - Ma mission, en tant que directrice générale des opérations, est de faire grandir l'écosystème sur les marchés dont j'ai la responsabilité. Il s'agit d'accompagner des créateurs, des marques et des personnalités publiques dans leur prise de parole sur la plateforme, de leur faire connaître les bonnes pratiques, par exemple en matière de durée des vidéos, fréquence de publication ou stratégie éditoriale, tout en leur laissant évidemment toute liberté dans la création. Nous sommes une plateforme, et non un éditeur. Mon rôle, et celui de mes équipes, est donc d'accompagner ces grands acteurs à mieux comprendre la plateforme et en avoir le meilleur usage possible. Éric Garandeau travaille, lui, sur les sujets d'affaires publiques.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Connaissez-vous Mme Zhao Tian ?

Mme Marlène Masure. - Je ne la connais pas.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous savez que c'est votre présidente...

Mme Marlène Masure. - Je sais que, sur un plan juridique, c'est la présidente de TikTok, mais je ne l'ai jamais rencontrée.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Savez-vous si elle est déjà venue en France ?

Mme Marlène Masure. - Comme M. le président l'a indiqué en préambule, je n'ai rejoint l'entreprise qu'en mars 2022. Depuis cette date, elle ne nous a pas rendu visite dans nos bureaux parisiens.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - M. Garandeau nous a également indiqué ce matin ne jamais l'avoir rencontrée. Trouvez-vous normal que les deux principaux directeurs de TikTok France n'aient jamais rencontré sa présidente ?

Mme Marlène Masure. - Son rôle, je crois - je ne suis pas experte de ces sujets -, se limite à un rôle de représentante légale et juridique. Mon patron direct, Rich Waterworth, se trouve à Londres ; les directives que je reçois en matière de stratégie sur les opérations viennent de Londres.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Mme Zhao Tian est non seulement présidente de TikTok France et TikTok UK, mais aussi vice-présidente de Toutiao, une des filiales de ByteDance Chine, qui s'appelle désormais Douyin. Les responsables de TikTok ou de ByteDance ont toujours soutenu qu'il n'existait pas de liens entre TikTok et Douyin. Ne trouvez-vous pas que le fait que Mme Zhao Tian soit présidente de plusieurs sociétés TikTok et d'une filiale chinoise de Douyin infirme cette déclaration ?

Mme Marlène Masure. - Vous avez posé la question ce matin à mon collègue. Nous avons donc regardé ce point et, manifestement, l'information selon laquelle Tian Zhao serait présidente ou vice-présidente de Toutiao est incorrecte. Je vous propose de revenir vers vous sur la question, mais, d'après mes informations, elle semble occuper un poste portant sur des sujets d'éthique et de conformité et a probablement endossé une responsabilité à la création de la structure juridique, au moment où les équipes étaient en cours de recrutement. Ce n'est pas forcément une anomalie : dans de nombreuses entreprises internationales opérant en France, le responsable juridique n'est pas nécessairement celui qui gère les opérations.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Si elle n'est plus vice-présidente de Toutiao, il faudrait qu'elle enlève l'information de sa page LinkedIn. Elle a effectivement publié, voilà quelques jours ou quelques semaines, un post dans lequel elle se disait très heureuse d'appartenir à cette société depuis huit ans et trois mois !

Par ailleurs, nous avons invité pour une audition Mme Zhao Tian, M. Shou Zi Chew, président de TikTok, M. Rubo Liang, président de ByteDance Caïmans, et M. Zhang Yiming, fondateur de TikTok et actionnaire de ByteDance Caïmans. Comprenant facilement qu'ils ne puissent pas se déplacer en France, nous avons proposé une audition par vidéo. Savez-vous si cette demande d'audition sera honorée d'une façon ou d'une autre ?

Mme Marlène Masure. - Je n'en sais rien, mais nous pouvons nous assurer que l'information est bien passée aux intéressés et revenir vers vous très vite sur le sujet.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Notre demande a déjà un certain temps et notre commission ne siégera pas indéfiniment...

Les grandes plateformes ont jusqu'au mois d'août pour se mettre en conformité avec le règlement sur les services numériques (DSA). D'après notre enquête, TikTok semble encore loin de l'objectif, par exemple s'agissant de la compatibilité des transferts de données avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) ou du contrôle de l'âge des utilisateurs. Le délai est désormais court. Serez-vous en mesure de vous conformer au DSA à la fin du mois d'août ? Si tel n'est pas le cas, quel délai envisagez-vous ?

Je prends un exemple : alors que le profilage des mineurs à des fins publicitaires sera interdit dans le DSA, TikTok ne met aujourd'hui aucun mécanisme clair en oeuvre dans ce domaine, les signalements en sont encore à un stade très embryonnaire et les solutions qui pourraient exister - par la carte bancaire ou la double anonymisation - ne sont absolument pas utilisées.

Mme Marlène Masure. -Des équipes travaillent depuis plus d'un an sur le sujet du DSA. Nous sommes donc confiants quant à notre capacité à nous conformer à ce règlement au mois d'août. Nous n'avons, à ma connaissance, aucune inquiétude sur la question.

Par ailleurs, nous comptons très peu d'annonceurs ciblant des mineurs - nos revenus publicitaires sont dégagés sur des utilisateurs de 18 ans et plus. Nous respectons donc déjà l'obligation d'absence de publicité sur les mineurs de moins de 15 ans. Nous ne sommes pas plus inquiets sur ce sujet.

La vérification de l'âge des utilisateurs est une autre question. Je crois savoir que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) et l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) travaillent d'arrache-pied sur une solution qui pourrait se révéler utile à toute la profession. Nous aurons le souhait de nous mettre en conformité avec les règles proposées.

M. Mickaël Vallet, président. - C'est à la plateforme de prouver qu'elle respecte le droit en matière d'âge des utilisateurs, pas à l'Arcom ou à la Cnil !

Mme Marlène Masure. - Bien sûr, nous vérifions l'âge des utilisateurs - je peux détailler tout ce que nous faisons en la matière. Mais, dans la mesure où de nouvelles lois sont en préparation pour renforcer le contrôle sur la vérification de l'âge, nous avons, comme je l'ai dit, l'intention de nous y conformer.

La vérification de l'âge des utilisateurs est une problématique importante pour nous : TikTok a été la première plateforme à communiquer sur le nombre de comptes qu'elle avait supprimés car ils étaient suspectés d'être des comptes d'enfants de moins de treize ans ; ce nombre atteint 18 millions sur le dernier trimestre 2022.

Pour effectuer ces vérifications, nous disposons d'outils algorithmiques, nous permettant notamment de lire des informations insérées dans les biographies d'utilisateurs ou des informations arrivant par signalements. Il arrive également que nos modérateurs, qui sont formés sur ces sujets, identifient une personne de moins de treize ans à l'occasion d'une modération. Nous avons une politique très active sur ce sujet, que nous prenons vraiment très au sérieux.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Dans le DSA il est prévu que les très grandes plateformes en ligne fassent la transparence sur leurs algorithmes. Quels sont les moyens prévus pour permettre à la Commission européenne d'accéder aux données de TikTok et d'évaluer le respect des règlements ? Les interfaces de programmation d'application (application programming interfaces ou API) actuellement disponibles sur TikTok à destination des régulateurs et des chercheurs sont notoirement plus réduites que ceux des principales autres plateformes. Qu'est-il prévu pour la mise en conformité de ces API avec la recommandation du DSA ?

Mme Marlène Masure. - Les API qui sont en cours de développement sont à destination de chercheurs, d'universitaires, de scientifiques, d'experts. Elles doivent permettre de mieux comprendre, à la fois, la plateforme et nos pratiques en termes de modération. Celle qui permettra de mieux comprendre la plateforme est en test aux États-Unis et arrivera en Europe dès la fin de l'année. Cet outil a été bêta-testé par le médialab de Science Po.

Les API permettront d'apporter un éclairage supplémentaire sur des questions diverses, qui seront peut-être aussi des sujets de recherche, comme l'impact des campagnes publicitaires. Elles arrivent à une étape assez logique de maturité et de développement de la plateforme, et dont en train d'être mises en place.

M. Claude Malhuret, rapporteur. -M. Éric Garandeau m'a renvoyé vers vous concernant certaines de mes questions. Dans les futurs centres de données, notamment dans le projet Clover, allez-vous utiliser les mêmes logiciels qu'actuellement, des logiciels immatriculés aux États-Unis, à savoir Google Cloud, Amazon Web Services et Microsoft Azure ?

Mme Marlène Masure. - Très probablement, car vous avez résumé toutes les solutions cloud du marché, ou presque. Comme je ne suis absolument pas un expert du cloud, je demanderai aux experts de revenir vers vous précisément sur ce point.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Cela posera problème car, si vous utilisez ces logiciels, vous êtes soumis au Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act (Cloud Act) américain, qui n'est pas jugé compatible par la Commission européenne avec les règlements européens, et notamment avec le RGPD aujourd'hui et le DSA demain. Comment allez-vous régler ce problème ?

Mme Marlène Masure. - Votre question dépasse mes compétences, je ne suis pas une experte technique. Nous avons des gens très compétents en la matière qui pourront vous donner plus de détails. Bien entendu, on ne prendra pas de risque sur le respect ni du RGPD ni du DSA. Tous ces sujets ont forcément été pris en compte, et nous vous apporterons des précisions.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous utilisez un navigateur natif, qui n'est pas un navigateur du commerce. Il permet de surveiller la quasi-totalité de l'activité des utilisateurs : il est donc particulièrement intrusif. Disposez-vous de la liste des données collectées par TikTok lors de la navigation d'un utilisateur ?

Mme Marlène Masure. - Quand vous parlez de navigation, j'imagine que vous pensez à la recherche d'un mot-clé, d'une vidéo ou d'un créateur lorsqu'on est sur l'application.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Oui.

Mme Marlène Masure. - Ce n'est pas l'usage prioritaire de TikTok. Dans 98 % des cas, les utilisateurs vont consommer les vidéos qui leur sont proposées sur la plateforme, puisque la force de TikTok est son algorithme qui trouve des vidéos correspondant aux centres d'intérêt des utilisateurs. C'est le flux de vidéos dans le fil qui s'appelle « Pour toi » qui est la pratique courante sur la plateforme.

On voit émerger une certaine tendance, notamment chez ce qu'on appelle la génération Z, qui consiste à chercher des contenus sur des sujets particuliers. Par exemple, je suis en train de visiter Taormina, j'ai envie de voir quels sont les lieux à ne pas manquer, je vais donc taper Taormina dans mon moteur de recherche et un certain nombre de contenus apparaîtront. La recherche nous donne comme information que cette personne est intéressée par Taormina, ou la Sicile ou le tourisme. S'il se passe quelque chose de formidable en Sicile à ce moment-là, on pourra potentiellement pousser une notification pour qu'elle ne rate pas cet événement. Voilà à quoi sert le moteur de recherche aujourd'hui, mais ce n'est pas du tout la pratique courante des utilisateurs sur TikTok.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Mais cette pratique se développe.

Mme Marlène Masure. - Oui, elle se développe assez naturellement parce qu'on est passé d'une génération qui allait sur Google Search pour chercher une information texte à celle d'aujourd'hui, qui utilise la profondeur du contenu de TikTok pour avoir des informations sur des restaurants, des lieux de visite, etc.

Cette tendance se développe, mais elle ne correspond pas encore complètement à la pratique usuelle des utilisateurs, en tout cas pas de la majorité d'entre eux.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Sur le logiciel de base du navigateur, il est possible d'injecter du code de JavaScript pour obtenir une granularité encore plus fine dans le suivi de l'activité des utilisateurs. Cette injection est-elle actuellement utilisée ? Quelles sont les données recueillies dans ce cadre ?

Mme Marlène Masure. - J'aurai du mal à vous répondre. Aujourd'hui, les données qu'on collecte sur le moteur de recherche sont des données qui nous permettent uniquement de cibler pour, sur le plan éditorial, pousser un contenu particulier. Je vous donne un exemple. Nous avons des fans de jeux vidéo qui cherchent des informations sur le nouveau jeu Zelda. L'information que nous avons, c'est que cette personne est intéressée par les jeux vidéo. Ce n'est pas une obligation, mais si nous sommes partenaires de la Paris Games Week, on donnera l'information sur ce partenariat au groupe d'utilisateurs intéressés par les jeux vidéo.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Pourriez-vous nous informer s'il y a actuellement des codes JavaScript sur le navigateur et quelles sont les données ainsi recueillies ?

Mme Marlène Masure. - En tout cas, personne ne code en France, c'est sûr. Mais je poserai la question, et nous reviendrons vers vous.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - L'association Exodus Privacy, qui est une plateforme d'audit de la vie privée des applications, recense pour TikTok 5 pisteurs et 44 permissions sur les téléphones. Ces chiffres sont considérables, d'autant que certaines permissions sont considérés par l'association comme dangereuses, c'est-à-dire assez intrusives, d'après les niveaux de protection indiqués par Google : accéder à la position exacte au premier plan, afficher les connexions réseau et wifi, se connecter aux appareils bluetooth associés, accéder à la caméra et aux contacts, lire le contenu mémoire de stockage partagée, enregistre des fichiers audio, entre autres. Ces permissions semblent beaucoup trop nombreuses pour les besoins du service. Pouvez-vous nous dire lesquelles sont utiles, et pourquoi celles qui ne le sont pas sont malgré tout demandées ?

De plus, sur les 44 permissions possibles, seules 16 sont mentionnées sur la page relative à la politique de confidentialité du site. Pourquoi n'y figurent-elles pas toutes ?

Dans ce même paragraphe de la politique de confidentialité figure la phrase suivante : « Nous pouvons également vous associer à des renseignements recueillis à partir d'appareils autres que ceux que vous utilisez pour vous connecter à la plateforme. » Pouvez-vous nous expliquer cette phrase ?

Mme Marlène Masure. - Je ne connais pas l'étude que vous évoquez, dont je n'ai ni l'historique ni le contexte. Je ne peux pas en mesurer le niveau de pertinence et de fiabilité. Nous faisons preuve d'une transparence totale sur les données collectées. Vous avez la possibilité, quand vous êtes sur l'application, de télécharger vos données qui sont collectées. La démarche est très simple : en un clic, vous téléchargez un fichier et vous pouvez lire les données qui sont collectées. C'est un premier point de transparence, qui est très important.

Vous avez aussi la possibilité de limiter les données collectées, par exemple en enlevant la personnalisation des publicités - il faut décocher la case. Vous pouvez aussi fixer le niveau de confidentialité de tout ce que vous faites sur la plateforme : décider que vos vidéos ne sont visibles que de vos amis, limiter le nombre de personnes capables de commenter vos vidéos. Vous avez la capacité de contrôler une bonne partie de vos données. Les données qui sont collectées sont celles relatives à votre utilisation de la plateforme et celles que vous donnez lors de l'inscription. Dans les stores, sur Google Play ou Apple Store, vous pouvez voir les données collectées par chaque plateforme. Vous constaterez que TikTok est l'une des plateformes qui collectent le moins de données. Il faut remettre les choses en perspective.

Sur la question des données, nous sommes très confiants : l'utilisateur peut télécharger les données qui sont collectées.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Pouvez-vous me dire ce que signifie la phrase suivante qui figure sur la page relative à votre politique de confidentialité : « Nous pouvons également vous associer à des renseignements recueillis à partir d'appareils autres que ceux que vous utilisez pour vous connecter à la plateforme. » ? Cette formule, comme d'autres sur cette page, est très vague. Les utilisateurs peuvent-ils la comprendre ? Pour ma part, je ne la comprends pas, ce qui me semble insatisfaisant.

Mme Marlène Masure. - Je ne me permettrai pas de faire une interprétation de cette phrase, car j'ai trop de respect pour les gens qui ont écrit cette politique de confidentialité. Permettez-moi de demander aux équipes juridiques de revenir vers vous sur ce sujet. J'ai une petite idée, mais elle est probablement incorrecte et incomplète, je préfère donc demander une réponse étayée aux équipes juridiques.

M. Mickaël Vallet, président. - Je reformule la question : les données collectées, qu'elles soient par la suite désamorçables ou non par l'utilisateur, sont-elles toutes utiles pour vivre une belle expérience utilisateur ?

Mme Marlène Masure. - Je pense que oui, car la mise en place de l'ensemble de ces outils de pilotage et de suivi a nécessité beaucoup de travail. Je ne me suis pas occupé de la création du produit ou de l'algorithme, j'ai donc du mal à répondre précisément à votre question.

Notre enjeu est de continuer à éduquer sur les fonctionnalités qui permettent d'améliorer le contrôle des données qu'on laisse sur la plateforme. Nous sommes une plateforme jeune, nous avons besoin de faire connaître ces possibilités. Nous avons investi deux millions d'euros depuis octobre dernier dans des campagnes d'information sur ces fonctionnalités qui répondent à des enjeux de sécurité et de meilleur contrôle. Il est important d'éduquer car, si l'on a aujourd'hui des années d'expérience digitale et numérique, il faut encore accompagner les utilisateurs, les parents, les plus jeunes pour faire un bon usage de l'ensemble des fonctionnalités.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je prendrai quelques exemples. L'accès aux contacts sur l'appareil n'est pas nécessaire puisque l'application fonctionne correctement si on le désactive. Quelle est donc la finalité de cette permission ? Quelle est la nature des données stockées : numéros de téléphone, mails, toutes les informations disponibles dans les contacts ? Ceux qui ne sont pas inscrits sur TikTok ne sont peut-être pas ravis de communiquer leurs informations par l'intermédiaire d'un utilisateur. Ces informations demeurent-elles en local ou sont-elles transférées sur un serveur à l'étranger ? Sont-elles partagées avec des tiers ? Des croisements de données sont-ils faits ?

Mme Marlène Masure. - Cette possibilité de connecter les contacts n'est qu'une possibilité. À titre personnel, je n'ai pas connecté mes contacts des autres plateformes. Vous avez le choix de le faire ou non. Il y a donc une démarche volontaire qui consiste à accepter de se créer un réseau d'amis plus large en connectant mes applications, mes réseaux... Cela n'est pas imposé, c'est une proposition et chacun est libre de faire ce qu'il veut.

Si j'accepte de connecter les contacts, c'est parce que j'ai envie de voir ce que mes amis postent comme contenu sur la plateforme. La densité de contenu est telle sur la plateforme que vos chances de voir sur le fil « Pour toi » les vidéos de vos amis sont finalement très faibles. Le fait de connecter vos amis vous permet de faire émerger dans le flux de vidéos celles des personnes que vous connaissez. Cela relève d'une logique non pas de collecte de données, mais d'expérience utilisateur.

Concernant les données précises qui sont collectées par TikTok dans le cadre de la connexion des contacts, je ne l'ai pas précisément en tête, mais c'est sans doute très bien expliqué dans notre politique de confidentialité. Je propose de vous envoyer un document écrit sur ce point à la suite de l'audition.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - En matière de collecte de données, il y a la théorie et la pratique. En théorie, vous avez la possibilité de télécharger les données collectées, de décocher... C'est de l'opt-out, si j'ai bien compris.

Mme Marlène Masure. - C'est de l'opt-in. Pour connecter vos contacts, on vous demande si vous voulez le faire. Ce n'est donc pas de l'opt-out.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - S'agissant du téléchargement des données connectées, il me semble qu'en pratique personne, ou presque, ne le fait. Quel est le pourcentage d'utilisateurs qui téléchargent les données collectées sur eux et le pourcentage d'utilisateurs qui décochent ?

Mme Marlène Masure. - Je ne dispose pas de ces informations. Je peux demander s'il est possible de vous les fournir.

Ce qui est important, c'est qu'on est dans un enjeu de communication et de faire savoir. C'est pourquoi on investit très massivement en médias sur le sujet depuis octobre dernier, au sein et en dehors de l'application. Au sein de l'application, grâce à des campagnes avec des créateurs qui expliquent ces fonctionnalités. En dehors de l'application, au travers des campagnes dans la presse quotidienne, les magazines, par affichage, etc. L'enjeu est de mieux faire savoir que ces fonctionnalités existent, car elles constituent un outil important de contrôle.

Pour vous donner une idée de l'importance des fonctionnalités mises à disposition au sein de l'application, prenons par exemple l'outil de gestion du temps mis : les 60 minutes de temps quotidien de consommation pour les moins de 18 ans. Il est proposé de recevoir un message qui invite à taper un code pour rester plus de soixante minutes sur l'application. Ce message est aujourd'hui reçu par les trois quarts des utilisateurs de moins de 18 ans. Depuis la mise en place de cette nouvelle fonctionnalité, en avril 2023, seuls 25 % d'entre eux ont désactivé ce message. Il y a là un enjeu d'éducation car on se rend compte que, lorsque ce type d'outil est mis en place, le message envoyé est très intéressant : « Tu dois savoir gérer ton temps et on met des outils à disposition pour le faire. » On croit à la puissance de ces outils, et notre enjeu est de mieux les faire connaître.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Parmi ces permissions, il y a celle de récupérer l'adresse Media Access Control (MAC), qui identifie l'appareil de façon unique. Quelle est la finalité de cette collecte, qui ne me semble pas nécessaire, mais très intrusive ?

Mme Marlène Masure. - C'est ce qu'on appelle, me semble-t-il, les Device-ID dans notre jargon. C'est un outil nécessaire pour optimiser l'expérience de l'utilisateur. Nous reviendrons vers vous plus précisément sur ce point. C'est aussi un outil important pour le ciblage de nos campagnes publicitaires, parce qu'il est difficile de cibler sans cette donnée.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Une autre collecte me paraît poser problème : l'accès au presse-papier. De très nombreux utilisateurs font des copier-coller pour ne pas répéter leur mot de passe ; ces derniers sont donc dans leur presse-papier. Votre application interroge en permanence le presse-papier : il est ennuyeux d'avoir accès, par ce biais, aux codes des utilisateurs. Quelle est la finalité d'utilisation de l'accès au presse-papier ? Vous paraît-elle indispensable ?

Mme Marlène Masure. - Nous reviendrons vers vous sur ce point. Je ne saurai pas vous répondre.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous avez un accès permanent au calendrier pour le lire et le modifier. Pouvez-vous nous décrire la nature des données du calendrier qui sont utilisées et préciser la finalité de leur collecte ?

Mme Marlène Masure. - Qu'entendez-vous par « calendrier » ?

M. Claude Malhuret, rapporteur. - L'application TikTok a accès au calendrier des utilisateurs, qui comporte les dates, les réunions prévues, leur sujet, etc. Est-il vraiment nécessaire que l'application dispose de cet accès et quelle est la nature des données recueillies ?

Mme Marlène Masure. - Je ne vois absolument pas de lien entre l'application TikTok et un calendrier. Je voudrais m'assurer que cette information est juste, car cela ne correspond pas aux usages de la plateforme.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Votre politique de confidentialité indique que vous utilisez des témoins pour promouvoir la plateforme sur d'autres plateformes et sites web. Il est précisé que « les témoins permettent à la plateforme de fournir certaines caractéristiques et fonctionnalités ». Personne ne comprend ce que cela signifie et cela semble de la pure langue de bois.

Un peu plus loin, il est précisé que « les balises pixels peuvent reconnaître les témoins », mais le lien n'est pas évident à établir avec la phrase précédente. En outre, combien d'utilisateurs consultent selon vous la page sur la politique de confidentialité ?

Mme Marlène Masure. - Je ne peux pas vous le dire car les utilisateurs n'ont pas besoin de se connecter à l'application pour consulter cette page.

Le pixel est un outil que l'on utilise couramment pour analyser l'efficacité des campagnes publicitaires. L'enjeu est important pour les marques qui achètent ces campagnes.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Sur la page de la politique de confidentialité, le dernier paragraphe porte sur les conditions supplémentaires spécifiques à la juridiction. Or celles-ci concernent non pas la France, mais le Canada. Peut-être faudrait-il mettre à jour cette page ?

Mme Marlène Masure. - Peut-être avez-vous téléchargé la version québécoise ? Nous vérifierons.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je ne le crois pas.

Dans la politique de confidentialité, il est inscrit que « les fournisseurs de service, y compris les membres, filiales ou entreprises affiliées de notre groupe d'entreprises peuvent accéder, stocker et traiter autrement les renseignements personnels à l'extérieur du Canada, y compris aux États-Unis, en Malaisie, à Singapour et dans d'autres juridictions étrangères où nos fournisseurs de service sont situés ». Quelles sont ces autres juridictions étrangères ? La Chine figure-t-elle parmi elles ?

Mme Marlène Masure. - Les données personnelles sont stockées aux États-Unis, à Singapour et en Malaisie. Nos employés, déployés à travers le monde, ont parfois besoin d'accéder à certaines données pour leur travail ; ils le font selon des protocoles très sécurisés. À la fin de 2024, les données personnelles seront stockées en Europe.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - TikTok a déclaré à la Cnil qu'une dizaine d'entités chinoises avaient accès aux données. Est-ce toujours le cas ?

Mme Marlène Masure. - Je ne vois pas quelles entités chinoises pourraient être concernées. En effet, TikTok opère comme une entreprise autonome avec des équipes dédiées dans certains pays : nous avons ainsi un CEO (chief executive officer) basé à Singapour, une COO (chief operating officer) basée à Los Angeles et des équipes régionales à Londres. Nous avons environ 120 employés à travers le monde qui exercent des fonctions très diverses. Nous opérons comme une entreprise internationale.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Il me semble que TikTok a reconnu que des ingénieurs chinois travaillaient en Chine sur son algorithme et échangeaient des données transférées.

Mme Marlène Masure. - Nous avons des collaborateurs dans tous les pays du monde, y compris en Chine. Lorsque je travaille avec eux, je ne regarde pas forcément où ils sont basés.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Sur le site de TikTok, il est précisé que l'entreprise fournit à certaines entités du groupe, situées dans des pays sans possibilité de décision d'adéquation, sous des clauses contractuelles standard, un accès aux informations recueillies pour fournir certaines fonctions. Il est très clairement indiqué que « ces entités sont situées au Brésil, en Chine, en Malaisie, aux Philippines, à Singapour et aux États-Unis ». Il existe donc bien des entités en Chine, avec lesquelles vous travaillez.

Mme Marlène Masure. - Nous avons en effet des collaborateurs en Chine, comme la plupart des entreprises internationales. Ces clauses contractuelles standard font référence aux pays avec lesquels le RGPD considère qu'il est nécessaire de passer un accord supplémentaire. Il s'agit donc de ceux que vous avez cités. Nous veillons ainsi à ce que tous les employés de TikTok puissent faire leur travail et rendre la plateforme opérante. La force de TikTok réside dans le lien avec l'utilisateur, qui permet de partager des contenus partout dans le monde. Pour que cette communauté internationale fonctionne, nous avons besoin d'avoir des collaborateurs partout dans le monde.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Cependant, TikTok est interdit en Chine. Je ne vois donc pas l'intérêt que vous avez à travailler avec des ingénieurs chinois, hormis s'ils ont accès, comme nous le pensons, à l'algorithme de Douyin et de TikTok. Quelles sont donc les entreprises chinoises qui travaillent sur l'algorithme de TikTok ?

Mme Marlène Masure. - Je n'ai pas connaissance d'entreprises externes qui travailleraient sur l'algorithme et il me semble que seuls des employés de TikTok travaillent dessus. Je conçois mal que l'on puisse mettre en cause un collaborateur à cause de son origine et de son pays. Nos équipes sont parmi les meilleures du monde et c'est là notre objectif principal. Les entreprises de technologie ont très souvent des collaborateurs en Chine parce qu'il y a un véritable talent en la matière dans ce pays. Il n'y a rien de choquant à ce que notre entreprise collabore avec des ingénieurs d'origine chinoise.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ma question ne procède absolument pas d'un racisme antichinois. Cependant, depuis 2017 et 2019, la loi chinoise impose à tout citoyen, ingénieur ou entreprise de Chine de répondre à l'ensemble des demandes des services de renseignement chinois. Or cette situation ne correspond pas à ce que prévoit le RGPD.

Ces règles ne posent pas de problème en Europe, mais il en va différemment ailleurs : ni le Cloud Act américain ni la loi chinoise ne sont compatibles avec le RGPD. Par conséquent, il faudrait un chiffrement sur l'ensemble du parcours de transfert des données ; or TikTok ne l'opère pas. Dans la mesure où les ingénieurs chinois sont soumis à la loi chinoise, il y a donc un risque.

Mme Marlène Masure. - TikTok s'est fixé un principe de gouvernance selon lequel les grandes décisions sont prises par Chew Shou Zi qui est basé à Singapour et par Vanessa Pappas qui est basée à Los Angeles. Toutes les décisions qui concernent le mode opératoire, la stratégie commerciale ou les contenus sont prises selon un processus similaire à celui qui se pratique dans toute entreprise internationale.

Pour nous conformer au RGPD, nous devons nous assurer que le stockage des données est réalisé dans des pays où les conditions du règlement sont respectées ; nous devons également veiller à ce que les personnes autorisées puissent accéder aux données avec un niveau de sécurité maximal. Voilà pourquoi j'ai mentionné les données cryptées ou la pseudonymisation des données.

La donnée peut être anonymisée et c'est ce que nous faisons : il ne s'agit pas de gérer des données individuelles ou personnelles. Ainsi, lorsque l'on doit intervenir pour déboguer un compte qui n'affiche plus de vues, les données auxquelles on peut accéder pour régler ce problème technique sont anonymes.

En outre, la définition de la donnée peut être très large : une vidéo peut être une donnée. Il faut donc savoir de quelles données on parle.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Le sujet est aussi de quantité. À vous entendre, tout est policé et surveillé, il faut de nombreuses autorisations et très peu de données sont transférées en Chine. Or les experts nous ont dit que les principales fonctions de l'algorithme étaient exploitées, gérées et améliorées en Chine, ce qui suppose bien évidemment un flux de données important. Confirmez-vous qu'une partie importante du fonctionnement, de la gestion et de l'amélioration de l'algorithme se fait en Chine ?

Mme Marlène Masure. - Je suis incapable de vous répondre. Les personnes qui travaillent sur l'algorithme et avec lesquelles je collabore sont aux États-Unis et à Singapour.

En revanche, il me semble que les gens sont nombreux à s'exprimer sur ce sujet sans en connaître la réalité, du moins celle que je constate dans mon travail.

M. Mickaël Vallet, président. - Pour éviter que des gens s'expriment à tort et à travers sans être au fait de la réalité, mieux vaudrait que ceux qui le sont prennent la parole. Vous avez eu l'obligeance - au sens littéral du terme - de venir devant notre commission d'enquête, mais d'autres n'y sont pas obligés, qui pourraient tout de même choisir de venir s'exprimer, d'autant que nous sommes ouverts à la possibilité d'entretiens par visioconférence. Vous éviteriez ainsi que l'on parle pour vous sans savoir. Qui s'occupe de l'algorithme, qui a la main et qui peut nous répondre ? Ne pas nous répondre, c'est donner du crédit aux suspicions qui s'expriment. Je vous invite à informer vos supérieurs que nous sommes preneurs de toute intervention de leur part.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ce qui m'ennuie, c'est que les transferts de données parcimonieux et surveillés que vous décrivez ne semblent pas correspondre à la réalité. Les représentants de TikTok ne cessent de répéter que l'entreprise empêche tout transfert des données personnelles de ses utilisateurs vers la Chine - ce que l'on comprend compte tenu des attaques dont elle a fait l'objet aux États-Unis, y compris de la part de l'ancien président.

Cependant, en 2022, BuzzFeed a révélé le contenu de 80 enregistrements audio, issus de réunions internes, dans lesquels on comprend que des ingénieurs de l'entreprise ont eu accès depuis la Chine à ces informations. De plus, ces enregistrements ont prouvé l'existence d'un administrateur principal en Chine, qui avait « accès à tout ». Un membre du Trust and Safety Department de TikTok affirme même : « Tout est vu en Chine ». Comme d'habitude, une fois confronté à des preuves, TikTok a fini par reconnaître la vérité.

Par ailleurs, en 2021, l'entreprise a payé 92 millions de dollars à la justice américaine parce que des fuites de données personnelles d'utilisateurs vers la Chine avaient eu lieu.

Ainsi, d'un côté vous expliquez que vous vous conformez au RGPD, que le cryptage est régulier, que les autorisations sont parcimonieuses et surveillées et, d'un autre, nous découvrons qu'un salarié a prononcé en réunion les mots : « Tout est vu en Chine ». Vous comprendrez que cela pose problème.

Mme Marlène Masure. - Je ne connais ni ce monsieur ni cette histoire et ne pourrai me prononcer sur ce sujet.

En revanche, je peux confirmer que ce que nous avons dit, Éric Garandeau et moi-même, en matière de respect du RGPD, correspond à la réalité de ce qui se passe dans notre travail.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Cependant, deux enquêtes de la Irish Data Protection Commission (DPC) sont en cours, qui portent spécifiquement sur le transfert de données - des données de mineurs dans l'un des deux cas. Les résultats seront communiqués pendant l'été mais, selon la DPC, ils devraient montrer que les règles du RGPD ne sont pas satisfaites.

Mme Marlène Masure. - Je n'ai pas plus d'informations sur ce projet de décision. Nos équipes travaillent main dans la main avec la DPC sur ce sujet. L'esprit de collaboration, de coopération et de transparence s'applique dans cette enquête

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je reviens à la question des pixels. J'ai déjà dit que votre texte de politique de confidentialité était très vague. Sur cette question particulière, je lis : « les balises pixels peuvent reconnaître les témoins, l'heure et la date à laquelle une page est consultée, une description de la page où la balise pixel est placée et des renseignements similaires provenant de votre ordinateur ou de votre appareil » ; comme d'habitude, c'est vague. Sur chaque point, vous évoquez un ou deux éléments et vous terminez en évoquant « le reste », qui n'est pas détaillé. Quels sont ces « renseignements similaires », fournis par ces pixels que vous placez sur des milliers de sites ?

Mme Marlène Masure. - Le pixel est un outil publicitaire, qui permet aux annonceurs de mesurer l'efficacité de leurs campagnes. Leur utilisation n'est pas spécifique à TikTok et constitue une pratique courante sur le marché publicitaire. Ils permettent de donner des résultats de campagne aux annonceurs en matière de visibilité, de transformation et d'efficacité de l'investissement.

Nous avons à coeur de faire grossir notre écosystème et, pour y parvenir, nous encourageons une meilleure création de contenus. Nous travaillons donc avec les partenaires, les créateurs et les personnalités publiques, pour qu'ils développent le meilleur contenu possible, l'efficacité de la plateforme venant de la qualité de ses contenus.

Le sujet du pixel relève du business to business (B2B). Il ne s'agit pas d'un élément qui nous permet d'améliorer l'expérience sur la plateforme.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous ne répondez pas à ma question : quels « renseignements similaires » sont recueillis par les pixels ?

Mme Marlène Masure. - Nous reviendrons vers vous sur ce point.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Aux États-Unis, le site Consumer Reports a recensé plusieurs dizaines de milliers de sites sur lesquels sont placés ces pixels pour TikTok. Dans le cas des sites commerciaux, il s'agit d'une pratique publicitaire. Cependant, d'autres types de sites, nombreux, utilisent ces pixels. Ainsi, si vous allez sur les sites de l'Église méthodiste unie, de Weight Watchers ou du planning familial, TikTok le sait ; si vous allez sur la page « dysfonction érectile » du site médical WebMD ou sur la page « plan B contraceptif d'urgence » du site Rite Aid, TikTok le sait ; et si vous vous rendez sur le site Recovery Centers of America, qui gère des centres de désintoxication, TikTok le sait aussi. Les métadonnées donnent parfois autant de renseignements que les données.

Ces méthodes sont-elles utilisées en France ? Des sites de cette nature placent-ils des pixels TikTok ? Les utilisateurs peuvent-ils comprendre de quoi il s'agit à la lecture du texte figurant sur votre page relative à la politique de confidentialité ?

Mme Marlène Masure. - Nous reviendrons vers vous de façon précise sur cette question. Cependant, le pixel reste un outil publicitaire. Il s'agit d'abord de la démarche d'un annonceur ou d'une marque, qui décide de placer le pixel en vue de mesurer son efficacité publicitaire. TikTok ne peut pas placer un pixel de façon autoritaire sur un site qui n'est pas le sien. Cette pratique est conforme aux lois en vigueur, au RGPD et à notre politique de confidentialité. Ce pixel est placé dans le cadre d'accords commerciaux et publicitaires.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Combien de temps conservez-vous les renseignements apportés par les pixels ?

Mme Marlène Masure. - Cette question est très réglementée par le RGPD, que nous respectons.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - En décembre 2022, TikTok a été condamné par la Cnil à une amende de 5 millions d'euros. Depuis, la faille incriminée a été supprimée sur le site internet. Cependant, des journalistes nous ont dit que des tests informels permettaient de constater qu'il était toujours plus difficile de refuser que d'accepter les cookies sur l'application mobile ; ce problème est-il résolu ?

Mme Marlène Masure. - L'amende sanctionnait un défaut d'explication d'un cookie et une difficulté à le refuser, constatés pendant la période 2018-2020, au début de l'histoire de TikTok. De plus, il s'agissait de cookies placés sur le site tiktok.com. Or la consommation a lieu sur l'application mobile et pas sur le site. Je ne cherche pas à minimiser ce problème, qui a été résolu.

M. André Gattolin. - Je m'intéresse au monde de l'entreprise et cherche à mieux connaître la vôtre, sur laquelle il est difficile de trouver des données publiques. À titre d'exemple, quand on cherche des informations en matière d'audience, on ne trouve qu'un agrégat de données pour TikTok et Douyin. Ainsi, on ne sait jamais de quoi il est question exactement, y compris quand on fait des recherches sur des sites spécialisés.

S'agissant du nombre d'utilisateurs réguliers, TikTok se classait comme quatrième des réseaux sociaux en début d'année. L'entreprise connaît une croissance exponentielle, le chiffre d'affaires pour l'international étant passé de 350 millions de dollars en 2019 à 2,6 milliards en 2020, à 4,7 milliards en 2021 et à 9,4 milliards en 2022. Il s'agit d'une croissance importante, qui se situe toutefois bien en deçà de ce que connaissent les autres réseaux sociaux et vous êtes parfois loin derrière des réseaux qui réunissent pourtant une moins forte audience.

Le chiffre d'affaires pour l'international correspond-il à la réalité ?

Mme Marlène Masure. - Je peux m'exprimer sur TikTok SAS mais pas sur l'entreprise au niveau mondial.

M. André Gattolin. - J'ai été directeur d'une filiale et j'étais capable de présenter mon groupe à l'international...

Mme Marlène Masure. - Nous sommes une société privée. Nous pouvons communiquer des chiffres mais pas en session publique. Cependant, votre remarque est juste sur la part de revenu publicitaire par rapport à notre audience...

M. André Gattolin. - J'ai parlé de revenus, pas de revenus publicitaires. S'agissant de ces derniers, selon l'agrégat formé par les déclarations d'annonceurs et des centrales d'achat, on estime les recettes de TikTok à 4 milliards de dollars en 2022, soit la moitié de son chiffre d'affaires. J'ai du mal à comprendre comment l'entreprise fonctionne.

Mme Marlène Masure. - Nous sommes encore dans une phase de croissance. Par ailleurs, nous souhaitons préserver l'expérience des utilisateurs. Nos formats publicitaires sont des formats premium. Nous utilisons le format TopView, que les utilisateurs voient tous quand ils ouvrent l'application. Ensuite, des vidéos In-Feed s'intègrent au flux des vidéos que l'utilisateur regarde sur la page « Pour toi ». De façon volontaire, nous ne saturons pas notre audience de formats publicitaires, pour que l'expérience reste la meilleure possible. Notre stratégie consiste à favoriser cette meilleure expérience possible.

M. Mickaël Vallet, président. - Pouvez-vous répondre à la question du chiffre d'affaires en ce qui concerne la France ?

Mme Marlène Masure. - Comme d'autres filiales européennes, la filiale française a pour actionnaire principal TikTok UK. Cette dernière élabore nos stratégies commerciales, marketing, etc. La France opère donc comme un prestataire de service pour TikTok UK et nous sommes rémunérés pour le travail que nous fournissons dans ce cadre. Le chiffre, qui correspond à la valeur de ce que nous créons à l'échelle de la France, est public et nous le déposons au greffe du tribunal de commerce de Paris. En 2021, il s'élevait à quasiment 30 millions d'euros et il sera de l'ordre de 42 millions d'euros en 2022.

M. Mickaël Vallet, président. - Et pour le Benelux ?

Mme Marlène Masure. - Vous me posez une colle. Nous vous le dirons.

M. Mickaël Vallet, président. - Ce n'est pas secret ?

Mme Marlène Masure. - Non, il n'y a rien de secret.

M. Mickaël Vallet, président. - Que recouvre « Europe du sud » dans votre titre ?

Mme Marlène Masure. - Je ne gère pas en direct les revenus publicitaires, je travaille plutôt sur la partie...

M. Mickaël Vallet, président. - Nous ne parlons pas des revenus publicitaires, mais de ce que TikTok UK paye à ses filiales et nous vous interrogeons sur le périmètre de l'Europe du sud.

Mme Marlène Masure. - Je me présente comme couvrant l'Europe du sud pour ne pas avoir à lister une ribambelle de pays. En réalité, les filiales Italie et Espagne sont opérées de façon indépendante et, à ma connaissance, nous fonctionnons selon le même principe d'organisation, TikTok UK étant actionnaire principal.

Nous n'avons pas de bureau au Portugal et en Grèce. Quelques personnes servent ces pays et, dans mes équipes, une personne travaille par exemple sur le Portugal depuis Madrid.

M. André Gattolin. - Plus généralement, je voudrais comprendre le business model d'une entreprise comme TikTok. Je sais à peu près ce que sont les business models d'une entreprise numérique ou d'une plateforme. Je sais que la profitabilité des plateformes est longue à atteindre, comme dans le cas d'Amazon, qui a mis dix à quinze ans à devenir rentable, et dans celui d'Uber, qui ne l'est toujours pas. Sur les réseaux sociaux, ce processus paraît beaucoup plus rapide. Ainsi, Facebook a été créé en 2004 et est devenu rentable en 2009.

Quand je considère les recettes supposées de TikTok et que j'évalue ses dépenses en masse salariale, je me dis que l'entreprise, au niveau international, est très loin d'atteindre la rentabilité. Par ailleurs, vos investissements sont massifs. À titre d'exemple, vous dépensez 1,2 milliard d'euros pour créer un centre de données en Norvège. Vous avez des actionnaires formidables ! Certes, l'entreprise est brillante et la progression de son audience est faramineuse, mais vous vous placez dans une perspective à très long terme en matière de rentabilité.

Par ailleurs, Douyin a intégré un bouton d'achat, qui permet de faire du commerce en direct et de rentabiliser l'entreprise. Vous n'êtes pas dans cette logique. De plus, si vous exploitez vos données, ce qui fait la richesse de vos algorithmes, vous les ne vendez pas, contrairement à d'autres. Enfin, en matière de publicité, vous faites le choix de formats courts et cherchez à ne pas saturer votre public. Je ne comprends pas comment on peut construire la rentabilité et le retour sur investissement avec un tel modèle.

Des tests sont effectués dans certains pays, comme des tests sans musique en Australie ou des tests de boutons d'achat. Par ailleurs, vous fournissez des prestations. Quand on cherche « business model » et « TikTok » sur internet, on tombe sur une littérature interne portant sur la manière d'aider le business model du small business. Vous êtes prescripteurs de rentabilité pour les petites entreprises commerciales mais, s'agissant de votre entreprise, il n'existe presque pas de littérature académique ou universitaire.

Quand on rentre dans une telle entreprise, qui doit très bien payer, on se soucie de savoir quels sont ses objectifs, son projet, ses ressources et son avenir. Que pouvez-vous nous en dire ?

Mme Marlène Masure. - Je me suis posé ces questions en rejoignant TikTok. J'ai souhaité participer à ce projet parce que j'avais le sentiment qu'il s'agissait d'un produit visionnaire. On passait de la période du social graph à celle du content graph et la vision selon laquelle il faut rentrer par le contenu me paraissait très forte. Je serais étonnée que la tendance évolue différemment et se fasse au détriment du succès et de la croissance de TikTok.

Nous avons communiqué certains chiffres pour répondre au questionnaire que vous nous avez envoyé, notamment sur les revenus du « Live Gifting », opéré par des équipes qui travaillent sur le marché français et sont basées à Berlin. Le principe est le suivant : parce que vous êtes séduit par un contenu, vous offrez des cadeaux digitaux. Si une personne fait un voyage dans la savane africaine et vous fait vivre un incroyable moment live, vous pourrez avoir envie de lui offrir un cadeau digital. Il s'agit d'un business model émergent en Europe mais très développé dans d'autres parties du monde. Le Live Gifting correspond à une part substantielle des revenus de TikTok. En termes de chiffre d'affaires pur, nous comptons 62 millions d'euros pour la partie publicitaire et 103 millions d'euros pour le Live Gifting.

Ce succès est contre-intuitif car on pourrait s'interroger sur la générosité des Français et leur volonté de faire des cadeaux, mais le modèle fonctionne. Des créateurs produisent de façon généreuse des contenus formidables et la communauté souhaite soutenir ces talents ou ces moments de partage. Cet axe de revenus émergent est intéressant. Il y a quelques années, nous considérions seulement les revenus publicitaires, et aujourd'hui nous commençons à étudier ces nouveaux modèles.

Vous avez cité le e-commerce, qui est testé dans certaines parties du monde, notamment aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La logique voudrait qu'à un moment, nous amplifiions le déploiement du e-commerce, qui s'entend plutôt comme un service à apporter aux PME, la volonté n'étant pas de devenir Amazon mais plutôt des acteurs de soutien au small and medium business. Vous êtes apiculteur, vous partagez vos contenus, qui ont trait à tout ce que vous faites autour de la récolte du miel toute l'année, et vous créez une communauté ; on pourrait alors vous donner la possibilité de vendre votre miel sur l'application. Nous espérons que cela arrivera un jour en France, car il s'agit d'un service très intéressant pour ces créateurs.

Il existe donc toute une panoplie de possibilités et il nous faut être agiles, ouverts à ce qui se passe parce que les modèles de monétisation évoluent fortement. L'enjeu pour l'entreprise est de choisir les bons modèles, qui fonctionnent parce qu'ils apportent une valeur. On ne force pas les gens à donner des cadeaux digitaux, ils les donnent parce qu'ils sont séduits par le contenu et qu'ils ont envie d'encourager les créateurs.

M. André Gattolin. - Dans la publicité traditionnelle, même ciblée, les capacités sont relativement limitées en dehors de l'extension de l'audience : plus vous insérez de la publicité dans des programmes courts, plus vous avez un risque de baisse d'attention et, donc, de perte de durée d'écoute. Il faut un réglage fin entre la proposition publicitaire et la proposition éditoriale.

J'ignorais l'importance du Live Gifting, qui explique peut-être la place aussi faible de la publicité dans votre chiffre d'affaires. Cela étant, comment monétisez-vous les conseils que vous donnez aux entreprises ? Vous parlez de rémunérer les créateurs de contenus, qui, eux-mêmes, font parfois de la publicité pour des produits ; vous parlez de Live Gifting... Votre société n'est-elle pas, en définitive, une oeuvre de bienfaisance ?

Par ailleurs, côté dépenses, on nous a expliqué ce matin que 40 000 personnes travaillaient à la modération des contenus dans les services de Trust and Safety. C'est beaucoup, et nous parlons d'ingénieurs - pour ce type de postes aux États-Unis, la rémunération atteint 60 000 à 65 000 dollars par an, hors charges. Si on s'amusait à calculer le coût de cet effectif, on dépasserait le chiffre d'affaires !

C'est ce que j'ai du mal à appréhender... Je comprends que vous soyez dans une logique d'investissement. Mais, compte tenu des très fortes particularités du secteur des réseaux sociaux, qui est très mobile et sur lequel on peut être très vite concurrencé, ce qui est votre cas, comment pérennisez-vous votre modèle ? Quelle est la logique ?

Plus marginalement, combien de salariés employez-vous dans le monde ? Compte tenu du niveau technologique et de la modération que vous prétendez faire sur les réseaux, vous devez être un employeur important... Pour nous, tout cela est inconnu, et plus c'est inconnu, plus c'est inquiétant !

Mme Marlène Masure. - S'agissant des contenus publicitaires, les marques ont très bien compris qu'elles devaient respecter les codes et la grammaire de la plateforme pour que leur publicité fonctionne sur TikTok. Elles passent donc souvent par un créateur et se mélangent aux histoires créées. Une vidéo classique dans laquelle une entreprise présente son produit fonctionnera moins bien qu'une vidéo dans laquelle une personne en vante les bénéfices.

S'agissant du business model, nous ne sommes pas complètement dans la philanthropie ! Le Live Gifting, par exemple, repose sur un modèle de rémunération permettant à TikTok de gagner sa vie. S'agissant du programme pour les créateurs, l'enjeu est, dans une phase de croissance, de nous assurer d'avoir les contenus les plus qualitatifs. Nous rémunérons donc des créateurs qui, disposant déjà d'une certaine communauté, vont élaborer des contenus « longs », c'est-à-dire de plus d'une minute, ce genre de contenus plus qualitatifs favorisant l'engagement envers la plateforme. C'est un modèle important pour nous à un moment où nous cherchons à nous développer.

M. André Gattolin. - Aux États-Unis, le groupe ByteDance déploie, à partir de TikTok, le réseau social Lemon8, assez proche dans l'esthétique, mais ne visant pas tout à fait les mêmes publics. Est-ce une entreprise de substitution en cas d'interdiction de TikTok aux États-Unis ou une volonté de décliner plus généralement ce type de nouveaux réseaux sociaux ? Envisagez-vous un développement de Lemon8 en Europe et en France ? De nouveau, de quelle stratégie marketing cela participe-t-il ?

Mme Marlène Masure. - Je n'ai pas de visibilité sur les plans de déploiement de Lemon8. Cette application porte sur des sujets d'art de vivre. Elle ne se limite pas à la vidéo, mais inclut également textes et photos. C'est une autre proposition, mais je ne peux pas vous en dire plus, n'ayant pas eu de présentation en interne.

M. André Gattolin. - J'ai été un peu abasourdi ce matin en entendant les effectifs de TikTok chargés de la modération. Je connaissais le chiffre pour les États-Unis - 1 400 modérateurs -, et je découvre qu'il y en a 40 000 dans le monde !

Vous accompagnez donc la modération automatisée des contenus par intelligence artificielle d'une modération humaine par secteur linguistique. Or nous savons que l'usage de la langue ne s'arrête pas aux frontières nationales et que certains pays sont multilingues : la modération en langue française peut donc être réalisée ailleurs qu'en France.

Combien des 600 modérateurs annoncés en langue française travaillent depuis la France ? Quel est l'impact économique en termes d'emplois de TikTok dans le pays ?

Mme Marlène Masure. - L'effectif de 40 000 personnes évoqué correspond à des équipes dédiées à la sécurité des contenus. Cela va donc au-delà de la seule modération.

Nous disposons à Dublin d'un centre de transparence accessible depuis 2023. Nous pourrons vous y emmener pour échanger avec nos experts sur place autour de nos stratégies de modération. Ces équipes travaillent avec des règles communautaires très précises, mises à jour régulièrement et mises en ligne sur l'application. TikTok comptant 5 000 collaborateurs en Europe, il doit y avoir entre 1 500 et 2 000 personnes à Dublin.

Le sujet de la modération est complexe : l'application des règles communautaires forme la base du processus de modération, puis se pose la question de la lecture « culturelle » de la situation. Un contenu peut effectivement être acceptable dans certains pays, et pas dans d'autres. Un travail est donc mené pour s'assurer que les pratiques culturelles du pays sont bien respectées. Par ailleurs, si nos outils algorithmiques sont très puissants, en particulier pour modérer les contenus visuels, nous avons besoin, sur des sujets comme le harcèlement, du soutien de la modération humaine, d'où le fait que nous ayons des modérateurs dans toutes les langues, y compris en français.

Ces modérateurs ne sont pas situés en France. Il y en a à Amsterdam, Dublin ou encore Lisbonne.

M. André Gattolin. - En tant qu'entreprise fondée sur l'innovation technologique et marketing, et compte tenu de l'importance des questions de propriété intellectuelle dans votre domaine, j'imagine que vous protégez vos procédés. Comment le faites-vous en Europe ? Le droit européen en la matière est assez unificateur, mais les choses ont changé depuis le Brexit - or vous êtes largement implantés à Londres et présents en même temps à Dublin, qui se trouve dans l'Union européenne. Quelle est votre stratégie en la matière ? Qu'en est-il de vos services juridiques, qui doivent être considérables ? Combien de brevets déposez-vous chaque année ?

Mme Marlène Masure. - Je suis incapable de répondre précisément à cette question. Mais nos équipes spécialisées - nous avons une direction juridique à Londres, pilotant toute la stratégie juridique pour la région - pourraient le faire. Je préfère que les experts reviennent vers vous sur ces sujets.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Pouvez-vous leur demander de nous dire également qui possède la propriété intellectuelle de l'algorithme principal de TikTok ? Nous n'en savons rien...

Je voudrais vous interroger sur le « heating ». La page d'accueil du site dit que cette application fonctionne de manière équitable et ouverte. J'imagine qu'un enfant seul dans sa chambre avec la caméra de son téléphone, qui s'imagine pouvoir faire des millions de vues à armes égales avec n'importe qui, se trompe. Je reprends un article de Forbes de janvier dernier qui explique que, pendant des années, TikTok a décrit sa page « For you » comme ordonnée par un algorithme qui prédit vos intérêts en se basant sur l'utilisation que vous faites de l'application. Ce n'est cependant pas toute l'histoire. Un certain nombre d'employés de Tiktok révèlent qu'en plus de l'algorithme, les équipes de TikTok et de ByteDance choisissent des vidéos spécifiques et surchargent leur distribution en utilisant une technique appelée « heating », « pousseurs » en français. Ces employés révèlent que Tiktok recourt à cette technique pour courtiser les influenceurs et les marques et les entraîner dans un partenariat en augmentant le nombre de vues de leurs vidéos. Ceci suggère que le « heating » a bénéficié à un certain nombre d'influenceurs et de marques, ceux avec lesquels Tiktok recherche des relations de business, au détriment de ceux avec lesquels Tiktok n'a pas de relation de ce type. J'aurai trois questions. Ce « heating » correspond, d'après l'article, à des procédures qui sont exposées dans des manuels. Aux États-Unis, ils s'appellent « Mine heating playbook ». Je suppose que vous avez le même en France et cela nous intéresserait d'avoir ce manuel et ses recommandations. Deuxièmement, est-ce que cette pratique est annoncée sur le site ? Troisièmement, comment fait-on pour augmenter les pages vues ?

Mme Marlène Masure. - Le principe sur Tiktok est que, quels que soient nos gestes, que l'on décide d'acheter de la publicité ou autre, le point de départ est d'avoir un bon contenu. Un bon contenu est un contenu qui a des chances de devenir viral s'il est authentique et s'il respecte les codes de la plateforme. C'est le cas pour toutes les marques et pour tous les créateurs. Ce qui perturbe certains créateurs, c'est qu'ils ont beaucoup d'abonnés mais que certaines de leurs vidéos ne marchent pas. C'est parce que ce n'est pas le nombre d'abonnés qui va indiquer à l'algorithme que la vidéo est intéressante. Ce qui va indiquer que la vidéo est intéressante, c'est que, petit à petit, de plus en plus de gens vont voir la vidéo, vont la regarder longtemps, vont l'aimer et la partager. Cela va donner des indices sur le fait que la vidéo est intéressante. Notre stratégie est de nous assurer que les bonnes pratiques pour faire un succès sur TikTok soient connues par toutes les marques et par tous les créateurs. C'est ça le secret, c'est de faire un bon contenu. Un mauvais contenu n'a aucune chance de performer sur la plateforme, quels que soient les moyens que vous allez y mettre, que vous achetiez du media pour le pousser ou qu'il soit mis en avant dans nos newsletters. Cette règle s'applique pour tous. Ce que nous faisons à l'échelle locale, c'est que lorsque nous sommes partenaires d'un événement ou que nous soutenons un programme, nous éditorialisons cet événement. Par exemple, quand nous sommes partenaires du festival de Cannes, nous identifions certains contenus qui nous paraissent être les plus intéressants, car nous voyons qu'ils sont aimés par la communauté, et nous allons les mettre en avant grâce à un petit logo qui s'appelle « officiel ». Ce logo « officiel » va indiquer aux utilisateurs que ce contenu est pertinent si vous cherchez du contenu sur Cannes 2023. Cela va générer un peu plus de vues et cela va créer un effet d'élan pour que cette vidéo ait le plus de succès possible.

M. Mickaël Vallet, président. - Si le contenu est pertinent et choisi par vous, c'est une ligne éditoriale. Cela n'a rien d'illégal, mais c'est du contenu que vous avez choisi de mettre en avant et de pousser.

Mme Marlène Masure. - Exactement. Le fait de mettre ce logo « officiel », c'est parce qu'à Cannes nous nous sommes mis d'accord avec des partenaires qui nous paraissaient intéressants, le festival de Cannes en premier lieu. Il y avait Brut, Télérama et des créateurs dont nous avions la garantie qu'ils allaient faire des contenus de qualité au moment de cet événement.

M. Mickaël Vallet, président. - Qui paye qui ?

Mme Marlène Masure. - Nous ne payons rien du tout. L'intérêt pour ces médias et partenaires, c'est d'être plus visibles sur la plateforme.

M. Mickaël Vallet, président. - Et votre intérêt est d'avoir des contenus dont vous estimez qu'ils rehaussent l'expérience utilisateur ?

Mme Marlène Masure. - Exactement. Pour vous donner le contexte, car nous ne sommes pas très nombreux en France, nous avons mis 2700 vidéos en avant sur les sept derniers mois. Il y a 2,5 millions de vidéos postées chaque jour sur Tiktok. Cela montre le poids réel des vidéos qui sont mises en avant face à la quantité de vidéos qui sont postées.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ce qui me parait pertinent, ce n'est pas le nombre de vidéos, c'est le nombre de vues. Si en promouvant ces 2700 vidéos, vous arrivez à quelques centaines de millions ou des millions de vues, alors que pour les 2,5 autres millions, ce n'est que quelques vues par vidéo, c'est bien le nombre de vues qui compte.

Mme Marlène Masure. - Nous pouvons faire l'exercice, mais nous serons sur une vingtaine de zéros après la virgule. 2700 vidéos par rapport à la quantité de vidéos qui sont produites sur la plateforme, c'est infinitésimal. Cela nous permet juste de nous assurer, au moment d'une mise en avant, que ce soit le festival du livre de Paris, le festival de Cannes, la Paris Games Week ou Roland Garros, que nous facilitons l'expérience d'un utilisateur car il va tout de suite voir les meilleurs contenus émerger. Cela est très tactique et nous parlons de 6 vidéos en général, par opération, qui sont rafraichies une fois par semaine. C'est une quantité très faible et le fait de l'afficher comme « officiel » ne permet pas de garantir que la vidéo va avoir un succès décuplé. Cela veut seulement dire que nous apportons un avis sur le fait que cette vidéo est intéressante.

M. Mickaël Vallet, président. - Cela veut dire que c'est comme dans la presse, lorsqu'on indique « publireportage » ?

Mme Marlène Masure. - Oui.

M. Mickaël Vallet, président. - Pour creuser ce que vient de dire M. le Rapporteur, ce qui serait intéressant de savoir c'est : si vous n'aviez pas poussé cette vidéo, est-ce qu'elle aurait fonctionné ? Ce n'est pas sur le moment que vous y gagnez pour votre modèle économique. Ça vous permet d'améliorer le contenu et de faire en sorte que c'est sur Tiktok que se passent les moments importants de ce type d'événement, souvent mondiaux, qui fidélisent l'abonné et rehaussent la qualité de l'expérience. C'est par la suite, sur les revenus publicitaires, qui ne sont pas nécessairement liés à l'événement, que ça vous rend plus visibles ou prescriptifs.

Mme Marlène Masure. - Oui, l'idée est de permettre aux utilisateurs qui sont intéressés par ce sujet-là de ne pas manquer ce que nous pensons être les 6 meilleures vidéos de l'évènement, sur des dizaines de millions de vidéos. Cela nous permet d'apporter un avis éditorial sur certains contenus et de nous assurer que les meilleurs partenaires qui font les meilleurs efforts voient leurs contenus valorisés, en l'occurrence sur Roland Garros, France Télévisions et Amazon Prime vidéos, et sur Cannes France Télévisions, Brut et d'autres partenaires médias, qui font un travail de très grande qualité sur la plateforme.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Quelle est la part des contenus sur TikTok qui ne résultent pas d'une création, mais qui sont un extrait d'un contenu déjà existant, par exemple des extraits d'émissions, de matchs sportifs, etc. ? Quelle est la proportion du contenu création et du contenu retransmission de contenu déjà existant ? Au-delà de cette question, se pose le problème des droits d'auteur, et je crois que vous avez des problèmes sur ce sujet...

Mme Marlène Masure. - La plateforme TikTok aujourd'hui fonctionne sur un principe de création originale. Ce qui fonctionne sur la plateforme, c'est l'authenticité des contenus. La plupart des grandes marques, des grandes entreprises et des créateurs qui sont sur la plateforme font du contenu original. Si vous êtes sur du contenu reproduit, vous avez beaucoup moins de chances d'émerger. L'intérêt est, entre guillemets, inexistant. Notre travail est d'accompagner tous les ayants droit dans une meilleure valorisation de leurs droits.

Par exemple, quand Canal+ diffuse la finale de la Champions' League, notre rôle est de nous assurer qu'ils vont réussir à faire savoir au plus grand nombre possible qui diffuse cette finale et de créer l'événement avant la diffusion, de montrer des moments phares pendant et de faire vivre l'expérience après. Nous avons de très bonnes relations avec les diffuseurs aujourd'hui, car ils savent très bien nous utiliser. Nous avons des équipes dédiées qui travaillent avec les diffuseurs pour accompagner ces efforts et pour s'assurer que nous arrivons à générer le plus d'audience possible sur les chaines, sur les services de vidéo à la demande, etc.

Sur le sujet des droits d'auteur, nous avons des accords sur la musique depuis 2021 avec la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) notamment, parce que la musique fait partie intégrante de l'expérience TikTok. Les vidéos TikTok se consomment avec le son et donc beaucoup de musique. La musique est très importante et centrale au sein de la plateforme. Les accords avec les sociétés de gestion de droits pour la musique ont été signés très tôt. Sur les autres sociétés d'auteurs, ce que je peux vous dire c'est qu'aujourd'hui, nous avons amorcé des conversations avec certains d'entre eux. La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en fait partie. J'ai pu commencer les discussions avec eux au mois d'avril. Il y a eu deux autres rendez-vous à l'occasion du festival de Cannes. Nous avons fait les suivis pour leur présenter les équipes techniques et les équipes commerciales, pour nous assurer que ces négociations avanceraient rapidement. Aujourd'hui, nous sommes dans les temps de passage assez normaux d'une plateforme. Nous avons été créés il y a cinq ans. Si vous regardez les accords signés par d'autres plateformes, cela a pris un peu plus de cinq ans pour les mettre en place. Nous sommes sur des enjeux technologiques : il s'agit de rapprocher des répertoires d'auteurs avec une plateforme. Cela nécessite des développements technologiques et des API dédiées. La discussion n'est pas simple et prendra probablement un peu de temps pour se mettre d'accord sur la part de ce contenu sur la plateforme.

Bien sûr, notre enjeu est de respecter nos obligations dans le cadre de l'article 17 de la directive 2019/790. Nous ne cherchons pas à nous y soustraire. Nous travaillons d'arrache-pied pour être en conformité.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je suis désolé de vous contredire, mais ce n'est pas du tout ce que nous ont dit les sociétés ou les syndicats en question. La SACD est extrêmement en colère, ou en tout cas l'était devant nous. Leur directeur général nous a fait la déclaration suivante : « les discussions avec les plateformes sont longues et compliquées, mais elles finissent par aboutir. Ce n'est pas du tout le cas de TikTok, dont les méthodes aboutissent aujourd'hui à bloquer toute discussion par le biais d'actions dilatoires. Par exemple, l'exigence de clauses de confidentialité inacceptables et exorbitantes. Un exemple : l'interdiction pour nous de référer de nos discussions au conseil d'administration de la SACD. » Évidemment, si les représentants ne peuvent pas référer au conseil d'administration, nous voyons mal comment cela peut aboutir à un accord. Le résultat est que, depuis que TikTok est installée en France, vous dites que c'était il y a cinq ans, la société n'a pas versé un centime à la SACD. Le directeur général de la SACD a qualifié cette pratique devant nous de « piraterie audiovisuelle » et nous a indiqué qu'une plainte était en préparation. Nous avons également interrogé les dirigeants de la SACEM, qui sont un peu moins remontés mais tout de même en colère, et ceux du syndicat national de l'édition phonographique (SNEP), qui sont eux tout aussi remontés que la SACD et qui nous disent que, par rapport aux autres plateformes, les sommes versées par TikTok sont infimes.

Olivier Nus, qui est PDG d'Universal Music France, déplore que TikTok ne rémunère pas du tout la musique utilisée à la hauteur de ce qu'elle devrait. Frédéric Delacroix, délégué général de l'association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, relève de sérieux problèmes au niveau des droits d'auteur des oeuvres diffusées sur TikTok. Pensez-vous qu'il soit conforme à la déontologie de monter des opérations de communication à grand spectacle, par exemple avec le festival de Cannes, le festival du livre ou les musées nationaux, sans avoir versé, depuis que vous existez, un centime au titre des sommes dues aux auteurs ou aux compositeurs ? Quand comptez-vous mener avec la SACD des négociations sérieuses ? Quand pensez-vous payer vos dettes à ces différentes sociétés ? En tout cas, pour le moment, depuis cinq ans, TikTok se conduit d'une façon qu'on pourrait résumer ainsi : on vit dans l'illégalité pendant des années puis on voit après.

Mme Marlène Masure - Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons aussi des relations avec les ayants droit et ceux qui possèdent cette propriété intellectuelle. Vous avez la possibilité de signaler du contenu qui est votre propriété sur la plateforme ou de remplir un formulaire pour faire retirer du contenu qui vous appartient. C'est un modèle qui fonctionne bien aujourd'hui et avec lequel on opère. Vous avez un certain nombre d'auteurs et de propriétaires de propriété intellectuelle qui nous signalent les contenus et nous retirons les contenus qui sont de la reproduction de contenu.

Deuxièmement, sur la SACD, l'audition a eu lieu avant les discussions extrêmement courtoises et productives que nous avons eues à Cannes avec eux. L'accord de confidentialité est sur le point d'être signé. Nous sommes parfaitement en phase et les premiers rendez-vous techniques vont être calés très prochainement. Pour moi, sur la SACD, c'est réglé, ou c'est en tout cas en cours. Mes premières discussions avec la SACD ont eu lieu en avril. Sur le sujet des sociétés de gestion collective, la réalité est que nous ne voulons pas nous soustraire à nos obligations, mais pour définir un modèle de rémunération - les autres plateformes sont passées par ces modèles-là, donc vous le savez probablement - il faut que nos technologies se parlent. C'est-à-dire qu'entre les 50 ou 60 000 oeuvres protégées par la SACD et la réalité de leur présence sur notre plateforme, il faut être en capacité de le mesurer. Développer ces outils prend du temps. C'est l'objet des discussions que nous avons avec eux aujourd'hui. Cela a également pris des années pour les autres plateformes.

Pour la musique, selon moi la relation avec la SACEM est plutôt bonne. Je me permettrai de creuser pour comprendre quels sont leurs potentiels motifs d'insatisfaction. Pour moi, aux dernières nouvelles, tout allait bien. Ils sont par ailleurs très actifs sur la plateforme et créent du contenu très intéressant. Pour moi, l'accord est conforme à nos obligations. Avec les labels et maisons de disques, nous avons aujourd'hui une collaboration extrêmement positive. Ils savent à quel point TikTok joue un rôle clé dans la carrière des artistes et à quel point ils sont capables de mesurer aujourd'hui le début d'une popularité sur TikTok et la conversion en termes de stream payant ensuite sur d'autres plateformes. Nous avons un écosystème vertueux sur la musique. Nos obligations en termes de rémunération des droits musicaux sont bien en règle.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - L'avenir nous le dira.

Mme Marlène Masure. - Pour l'instant la négociation commerciale n'a pas encore démarré. Ce n'est pas dans une le cadre d'une commission d'enquête que je peux dévoiler l'objet de ces négociations mais j'imagine que vous serez tenus parfaitement au courant de l'évolution de ces discussions avec les sociétés d'auteurs et encore une fois on est dans une démarche volontaire et on ne cherche pas à se soustraire à ces obligations.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je voudrais que nous parlions de l'addiction ou de la dépendance. Je vous cite un article du Monde : « TikTok rendrait-il accro ? Alors que Facebook, Instagram ou YouTube étaient surtout accusés d'enfermer les internautes dans des bulles de filtres, de propager de la désinformation ou de polariser les opinions, l'application chinoise est accusée d'abrutir la jeunesse. « TikTok est du fentanyl numérique qui rend nos enfants dépendants », déclarait en novembre Mike Gallagher, un élu américain républicain. Bernstein Research parle de « crack numérique », qui délivrerait « de l'endorphine à chaque swipe ». L'économiste Olivier Babeau, auteur de La Tyrannie du divertissement, décrit, lui, TikTok comme un « opium mental », dans Le Figaro. ». Je vous passe les déclarations du président de la République que vous que vous connaissez sans doute, et je vous passe également les déclarations des associations familiales et des associations de parents qui nous exposent le nombre de plaintes qu'ils reçoivent d'adhérents ou de non adhérents qui leurs disent que leurs enfants passent leurs nuits sur l'application, etc...

L'algorithme de TikTok est particulièrement addictif. Vous le savez. Cela pose des problèmes majeurs. Les nombreux psychologues que nous avons vus sont à 80%, extrêmement critiques, c'est le moins que l'on puisse dire. Il y a un vrai phénomène d'addiction et d'heures passées sur l'application. Il y a d'autres phénomènes, d'ailleurs comme la dysmorphophobie, la chirurgie esthétique, les filtres etc. Cela représente quand même beaucoup de problèmes. Alors en Chine on résout une partie des problèmes en limitant le temps de connexion à l'application à 40 minutes et en le fermant, de 22h à 6h du matin.

Vous avez trouvé une autre solution. C'est les 60 minutes, au bout desquels on vous explique que vous êtes connectés depuis 60 minutes. C'est à peu près comme si vous mettez sur un paquet de cigarettes : « ne prenez pas la prochaine cigarette ». Évidemment les adolescents savent parfaitement comment faire et j'aimerais d'ailleurs savoir si vous avez mesuré l'efficacité de de cette méthode. Personnellement, je n'y crois pas une seconde. C'est vraiment un problème majeur. Dans le cadre du DSA vous allez avoir à régler ce problème, notamment pour le contrôle de l'âge. Cette situation n'est pas acceptable et cela pour beaucoup de monde. Lorsque vous entendez les déclarations d'un certain nombre de psychologues, beaucoup d'adolescents qui ont des problèmes psychiques au départ voient leur situation terriblement s'aggraver. Heureusement, ce n'est pas 100% des adolescents qui sont concernés mais cela pose un problème sur les plus fragiles et ce problème est loin d'être résolu chez vous.

Mme Marlène Masure. - Le sujet du bien-être numérique est évidemment important pour nous, comme il doit l'être pour toutes les plateformes. C'est un sujet sur lequel on passe du temps. On réfléchit beaucoup à toutes les solutions. Une des solutions, en tous cas à mon niveau, c'est de m'assurer qu'à l'échelle de la France, il y ait création du contenu le plus qualitatif possible pour que l'expérience sur la plate-forme, soit, entre guillemets, la plus génératrices de valeur.

Quand on travaille sur un événement autour du livre, du cinéma ou du sport, comme on le fait en ce moment avec Roland Garros, comme on le fera avec le Tour de France et comme on le fait avec beaucoup d'autres événements sportifs, on s'assure que la qualité des contenus est à la hauteur.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - C'est de la langue de bois, excusez-moi. Enfin, la réalité ce n'est pas la qualité des contenus. Il y a une petite partie d'Alouette et puis le reste c'est du cheval, c'est de la vidéo qui défile, c'est de l'addiction, ce sont des mômes qui ne dorment pas, des troubles du développement cognitif.... ne me dites pas que vous allez régler ça en augmentant la qualité du contenu. Je n'y crois pas une seconde. Pourquoi ne prenez-vous pas l'exemple de la Chine, pour une fois ? Pourquoi ne limitez-vous pas, comme le tabac et l'alcool interdits aux mineurs, l'utilisation de votre plateforme, si ce n'est pour des raisons visant à augmenter le nombre d'utilisateurs et vos recettes ?

Mme Marlène Masure. - Permettez-moi d'être en désaccord avec votre premier point parce que c'est mon travail et c'est important pour moi, d'améliorer la qualité, de continuer à soutenir des moments importants à l'échelle du pays et de nous assurer que la qualité des contenus soit la plus meilleure possible. C'est un premier élément de réponse. Ensuite on a beaucoup de fonctionnalités qui sont à disposition au sein de la plateforme, sur lesquelles on doit faire un meilleur travail de communication et les mettre à disposition. TikTok est la seule plateforme à avoir pris l'initiative des 60 minutes pour les moins de 18 ans. On n'a pas eu beaucoup de félicitations pour ça mais on trouve que c'est une très bonne initiative. Aujourd'hui, trois quarts des moins de 18 ans ont une fonctionnalité de gestion de temps d'écran qui est activée sur leurs plateformes. Ça veut dire que, même si cela ne vous empêche pas de continuer à vivre l'expérience sur la plateforme, c'est en tous cas un message important qui vous fait réfléchir sur le temps que vous êtes prêts à accorder à cette expérience sur la plateforme.

Les fonctionnalités aujourd'hui vous permettent un contrôle de ce temps d'écran. Il existe le mode de connexion famille, sur lequel on veut aussi continuer à plus communiquer parce qu'il est extrêmement puissant. Il permet aux parents d'avoir des tableaux de bord chaque semaine sur le temps d'écran de leurs enfants, de contrôler le temps d'écran par jour. C'est-à-dire que si vous voulez donner plus de temps le mercredi que le mardi vous pouvez le faire. Il permet aussi de vous assurer que vos enfants communiquent uniquement avec leurs amis, etc. Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire par l'intermédiaire des parents et on a besoin de construire cette relation avec les parents aussi pour qu'il soit nos meilleurs alliés. Les outils sont à disposition sur la plateforme. On doit s'assurer qu'il en soit fait un meilleur usage.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous nous avez dit tout à l'heure que les poussées de contenus représentent une goutte d'eau par rapport à l'ensemble des utilisations et là vous nous dites, que vous êtes en train de travailler sur l'amélioration des contenus, pour que les expériences soient plus enrichissante etc. Vous n'allez pas me convaincre.

Deuxièmement vous me parlez du contrôle parental. Si vous mettez cet accent sur le contrôle parental c'est justement parce qu'il y a des problèmes. Ce que je pense, c'est que les applications comme la vôtre, ne devraient pas se fier au contrôle parental pour des milliers de raison mais pour une en particulier, c'est parce que cela introduit une ségrégation sociale évidente. Les parents CSP + sont beaucoup plus contrôleurs des applications de leurs enfants. À commencer d'ailleurs par les responsables des grandes plateformes qui interdisent très souvent à leurs enfants d'utiliser les écrans, mais en tout cas les CSP + sont infiniment plus vigilants que les CSP - et par conséquent vous introduisez ou renforcez une discrimination sociale en faisant cela.

Tant qu'il n'y aura pas une protection « safety by design » de l'application sur le temps d'utilisation ou sur d'autres choses, ce ne sera pas sérieux.

Mme Marlène Masure. - Le « safety by design » commence par les 60 minutes par jour pour tous les mois 18 ans. Vous n'avez pas d'autres plateformes aujourd'hui qui le propose.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous avez mesuré combien s'arrêtent au bout de 60 minutes ?

Mme Marlène Masure. - Ce que je peux vous dire, c'est que trois quarts des moins 18 ans conservent cette fonctionnalité et ne la désactivent pas. C'est significatif.

M. Mickaël Vallet, président. - Ce qui compte c'est le résultat et c'est sur ce point que je voulais vous interroger techniquement. Je pense que vous devez avoir la possibilité de savoir combien s'arrêtent, ne serait-ce que du point de vue de vos annonceurs. C'est fondamental pour vous, comme pour toutes entreprises, et pas uniquement dans le domaine des technologies, de savoir comment se comportent vos consommateurs. Donc j'aimerais savoir, s'il le faut, vous pouvez nous le dire par écrit plus tard, combien s'arrêtent dans le quart d'heure qui suit. Vous savez il y a les 10 commandements depuis 2000 ans et pourtant il y a toujours des gens qui tuent. Ce qui est intéressant c'est de savoir ce que ce que ça produit derrière donc si vous avez cette information, nous sommes preneurs. Cela permettra d'objectiver les choses.

Mme Marlène Masure. - On reviendra vers vous effectivement.

M. Mickaël Vallet, président. - Si un enfant se met à s'enfermer dans sa chambre 12 heures par jour tout un été pour lire tout Proust, à un moment, même sans être psychologue clinicien, on va lui proposer d'aller prendre l'air. Au regard de ce que nous font remonter les psychologues cliniciens ou de ce que peuvent nous raconter des enseignants ou des personnes chargées d'encadrer des enfants dans les collèges dans nos circonscriptions, il y a des familles qui, lorsqu'elles sont invités à venir s'expliquer avec les enseignants sur la difficulté du comportement d'un enfant en classe ou d'un enfant qui ne va pas bien, vous expliquent qu'elles ne peuvent pas supprimer l'application. Ils ne peuvent pas car ils ne savent pas gérer la réaction de l'enfant. C'est ingérable de supprimer les réseaux sociaux en général. Seulement, nous n'y pouvons rien si celui qui est en pleine expansion et qui est sur quasiment tous les téléphones des lycéens ou des collégiens, c'est TikTok.

Nous avons régulièrement des visites au Sénat de scolaires de nos circonscriptions. Depuis trois mois, je pose la question systématiquement : qui n'a pas TikTok ? Celui qui ne l'a pas n'ose même pas lever le doigt. Tout le monde a TikTok mais jusque-là tout va bien. Donc ma question est : une heure je comprends. Mais à partir de combien de temps vous pouvez admettre que ce n'est pas tenable ? Est-ce que 4 heures par jour, c'est tenable ? Est-ce que 3 heures par jour, c'est tenable ? Qu'est-ce qui ne vous donnerait pas le beau rôle de dire : nous on coupe, au bout de tant de temps.

Mme Marlène Masure. - Ce sont des études d'experts, de médecins, de psychiatres qui ont fait cette recommandation de 60 minutes par jour. Quand le mineur va passer cette étape des 60 minutes, à 100 minutes il va recevoir une nouvelle notification qui va lui dire qu'il, faudrait vraiment qu'il aille sur ses outils de de gestion du temps et commencer à contrôler son temps. On a donc cette démarche proactive de renvoyer des messages. On a aussi un système de mise en sourdine des notifications puisque les notifications soit aussi une forme d'appel à aller consommer. On met en sourdine les notifications pour les moins de 15 ans de 21 heures jusqu'à 8 heures je crois le matin.

M. Mickaël Vallet, président. - Cette fonctionnalité est en option ou elle est automatiquement activée ?

Mme Marlène Masure. - Elle est installée par défaut. Pour les 16-17 ans c'est de 22 heures à 8 heures. On a aussi agi sur cette notion de notification pour que la notification ne soit par un appel à venir se reconnecter sur le téléphone. On essaye de rappeler l'existence de ces outils. Je suis assez d'accord avec vous sur le fait qu'on sera plus forts si la démarche vient du mineur que si elle est imposée par les parents, néanmoins les outils de gestion du temps et le mode de connexion familial sont quand même très intuitifs sur la plateforme. On a la conviction que ça ne s'adresse pas simplement aux CSP +. Aujourd'hui, jumeler un appareil c'est comme jumeler un téléphone avec sa voiture. C'est assez simple. Par contre il faut que les gens sachent que ce mode connexion famille existe. C'est aussi pour cela que nous investissons et faisons des campagnes marketing. Au sein de l'application, on a aussi des campagnes avec des créateurs qui vont faire la promotion de ces outils techniques de gestion du temps. Dans le cadre de nos campagnes marketing, nous allons investir en achetant une prestation de service à un créateur pour qu'il explique que ces outils existent.

Après interdire, c'est compliqué parce qu'on est quand même dans un pays de libertés. Si la loi l'impose, bien sûr on s'y conformera mais c'est compliqué en termes de posture. On va être accusés de censure chinoise. Je sais pas comment répondre à cette question, je ne sais pas si on peut interdire réellement ou imposer. Nous sommes dans un rôle d'éducation et d'accompagnement.

M. Mickaël Vallet, président. - Si de vous-même vous décidiez de ne plus émettre, comme l'ORTF à l'époque à partir de 23 heures, personne ne pourra vous le reprocher.

Mme Marlène Masure. - Quelle serait la posture de TikTok vis-à-vis des autres plateformes ?

M. Mickaël Vallet, président. - Je poserais bien la question aux autres plateformes mais c'est vous qui êtes là aujourd'hui. Au regard des éléments que vous pourriez nous apporter par écrit, je vous cite le travail d'une journaliste qui a publié un ouvrage, comme vous le savez, en mars 2023 sur TikTok (page 161) : « Nous avons à ce stade très peu d'informations sur la matière dans le bouleversement que représente TikTok affecte les utilisateurs dans leur image d'eux-mêmes ou leur capacité de concentration pour citer plusieurs points d'interrogation récurrents en ce qui concerne les réseaux sociaux : à la fin de l'année 2021 les « Facebook fails » révélées par Frances Haugenun avaient permis de lever un coin du voile sur l'impact d'Instagram sur les jeunes. L'étude interne réalisée par Facebook, révélées ainsi qu'Instagram avait un impact nocif sur l'image corporelle et bien être des adolescentes. Si des études similaires ont peut-être été menées par TikTok, elles n'ont pas à ce stade étaient révélées. ». Vous venez vous- même de dire que les 60 minutes ne venaient pas de nulle part. Pourrez-vous nous indiquer les études sur lesquelles vous avez fondé votre décision, la bibliographie en quelque sorte ?

Mme Marlène Masure. - Oui, bien sûr, on peut vous donner les éléments.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je voudrais évoquer les défis dangereux. Ils défraient régulièrement la chronique. Sitôt supprimées, de nouvelles vidéos avec de nouveaux défis apparaissent. Vous connaissez sans doute l'histoire de cette fillette en Italie décédée après un « jeu du foulard ». Il y a de nombreuses affaires de ce type, notamment en France. À chaque fois, TikTok assure qu'il fera très attention la prochaine fois...

Je vous cite un article récent, du journal 20 minutes : « Le défi TikTok a dégénéré : le 29 mars dernier à Cergy, plusieurs adolescents ont décidé de sonner aux portes d'inconnus avant de partir en courant, le tout en filmant la scène pour les besoins d'une « sonnerie party », un jeu lancé sur les réseaux sociaux. Mais comme le raconte La Gazette du Val-d'Oise ce mercredi, des habitants n'ont visiblement pas apprécié leur petit manège et le ton est monté. Des jeunes ont alors agressé trois riverains. Deux d'entre eux auraient été victimes de coups de poing. Un troisième, lui, s'est fracturé la cheville. (...) D'après nos confrères, des vidéos retrouvées dans les téléphones des suspects montrent notamment l' agression d'un riverain. Les jeunes, qui auraient reconnu en partie les faits, ont été présentés à un juge des enfants».

Où en êtes-vous s'agissant des défis dangereux ?

Mme Marlène Masure. - Nos équipes de modérations sont mobilisées dès qu'un défi dangereux émerge. Nous avons la chance de travailler avec des associations, qui sont extrêmement utiles pour la prise de conscience de ces types de défis. J'ai évoqué E-enfance. Ce qui fait notre force est notre capacité à réagir très rapidement sur ces sujets. Nous fournissons des ressources pour accompagner les jeunes sur la dangerosité de ces défis.

Le jeu des sonneries est peut-être un peu moins grave que celui du foulard. Sur ce jeu du foulard, nous avons appris. Quand vous tapez sur l'application « jeu du foulard », des informations seront proposées pour expliquer pourquoi c'est un défi dangereux, qui ne doit pas être réalisé. Non seulement il n'y a pas de vidéos avec des jeunes faisant le jeu du foulard, mais des explications sont apportées. Notre but est de fournir ce type de ressources sur chaque type de jeux dangereux identifiés et d'être le plus rapide possible dans la suppression de ces contenus de la plateforme. C'est une obsession de nos équipes de modération pour protéger les mineurs.

M. Claude Malhuret, président. - S'agissant du filtre bold glamour, la présidente d'E-enfance, avec qui vous travaillez, s'interroge dans un article du Figaro sur le fait d'interdire ce filtre aux mineurs, dont on connait toutes les conséquences. Quelle est votre position sur ce sujet ?

Mme Marlène Masure. - Le sujet des filtres est un sujet très intéressant. Au-delà de la question des filtres de beauté, sur lesquels chacun peut avoir un point de vue personnel, l'usage de TikTok n'est pas de recourir aux filtres. Le principe de notre plateforme est l'authenticité, c'est-à-dire de faire des contenus pour relater des histoires authentiques et où l'on se montre sous un jour authentique. S'il s'agit d'une posture ou d'un jeu, le contenu ne pourra pas devenir viral car ce n'est pas ce que les gens attendent. Ces filtres de beauté ne sont probablement pas des sujets de popularité ou de viralité sur la plateforme.

Il faudrait vérifier si ce filtre est toujours sur la plateforme. Pour le supprimer, nous devrions avoir une raison majeure. À titre personnel, je ne suis pas fan de ce filtre mais cela n'engage que moi. Tant qu'il ne crée pas de dégâts ou de dommages et qu'il n'y a pas de plaintes, nous ne prenons pas de décision. Je ne sais pas comment répondre à votre question. La finalité sur TikTok n'est pas le beauty shot. On n'est pas populaire sur TikTok parce qu'on fait des vidéos où l'on est joli.

M. Claude Malhuret, président. - J'ai l'impression que pour vous, « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Les psychologues tout comme les chirurgiens esthétiques nous avertissent d'un problème majeur. Il y a désormais plus de jeunes femmes de 18 à 20 ans que de personnes âgées dans les consultations de chirurgie esthétique. Les psychologues nous disent que dans une époque de construction identitaire comme l'adolescence, ces filtres entrainent des problèmes majeurs de dysmorphophobie, sans compter les problèmes de dépression. C'est un vrai fléau.

J'ai l'impression que vous regardez cela de façon théorique depuis votre bureau de TikTok. En tant que sénateurs, nous sommes très fréquemment interpellés sur ses effets des réseaux sociaux, et tout particulièrement de TikTok. Supposons que ces effets délétères ne concerneraient que 2 à 3 % des utilisateurs. Avec 20 millions d'utilisateurs en France, cela représente des centaines de milliers de personnes ! Je crois que vous ne vous rendez pas compte de l'impact de ces filtres et de ces identifications à des canons de beauté. Mon sentiment est qu'il s'agir d'un vrai fléau, que vous n'avez pas l'air de mesurer. Je suis étonné que le filtre Bold Glamour soit toujours accessible sur l'application.

Mme Marlène Masure. - Permettez-moi de vérifier car je ne suis pas certaine que ce filtre soit toujours disponible. En tout cas, j'insiste sur le fait que sur TikTok on vient pour se divertir et s'amuser. Une vidéo où l'on s'embellit, si elle n'a pas d'histoire, ne sera pas virale. Le filtre est intéressant s'il apporte une expérience. Nous avons ainsi des filtres de quizz, des filtres pour enfiler le casque des Daft Punk...Quand il y a « gamification », ces filtres  ont une efficacité virale. Un filtre qui embellit n'a pas vraiment d'histoire à raconter. Je questionne donc la viralité de ces filtres. Nous ne minimisons cependant pas l'impact de ces filtres.

M. Mickaël Vallet, président. - Le milieu de la mode, il y a une quinzaine d'années, a fini par adopter des codes de bonne conduite, pour ne pas mettre en avant des mannequins dont la maigreur extrême viendrait imprimer des canons de beauté causant des dégâts psychologiques. Vous pourriez adopter une décision volontariste en la matière. Vous estimez que vous ne pouvez pas prendre cette décision seule, au risque de voir partir vos abonnés et les annonceurs sur d'autres plateformes. Vous avez cependant une responsabilité sociale énorme, qui est le pendant de votre succès.

M. Claude Malhuret, président. - NewsGuard, que vous connaissez probablement, note une forte présence de contenus faux sur TikTok. 20 % des vidéos apparaissant dans les résultats de recherches du réseau TikTok sur les principaux sujets d'actualité contiennent de la « mésinformation ». Selon Chine Labbé, l'explication tiendrait à la modération majoritairement faite par IA et à un algorithme qui valoriserait les contenus faisant réagir - et donc davantage les contenus faux. Qu'en pensez-vous ?

S'agissant de la modération des contenus, pourquoi a-t-il fallu attendre les signalements de NewsGuard pour que soient retirés les contenus glorifiant les actes d'exaction du groupe Wagner, qui contrevenaient pourtant clairement aux règles d'utilisation de TikTok ? Cette défaillance s'explique-t-elle par le recours à une modération par IA et non à une modération humaine ?

Mme Marlène Masure. - Je ne connais pas cette étude de NewsGuard et je n'en connais pas la fiabilité. La désinformation fait partie de nos règles communautaires. Nous n'autorisons pas la désinformation sur TikTok. Les équipes de modération suppriment les contenus qui relèvent de la désinformation. Nous travaillons avec des vérificateurs de faits, qui font partie de l'International Fact Checking, dont l'AFP. Nous travaillons main dans la main avec l'AFP notamment pour nous assurer que les contenus sont justes et vrais. Nous supprimons tous les contenus qui sont de l'ordre de la désinformation.

Nous avons pris un certain nombre d'actions au moment de la guerre en Ukraine, permettant de labéliser les comptes de médias contrôlés par des États. 120 médias sont ainsi labélisés, pour permettre aux utilisateurs d'avoir une lecture plus juste des informations. China Daily fait partie de ces comptes. S'agissant de la Russie, TikTok a été la première plateforme à bannir, suite à la demande de l'Union européenne, Sputnik et Russia Today. Nous avons eu l'action la plus rapide parmi toutes les plateformes. Nous montrons notre mobilisation sur le sujet. Nous avons supprimé 41 191 vidéos de fake news, dont 78 % ont été identifiées de manière proactive. Nous avons plus d'une trentaine de vérificateurs de faits. Sur certaines vidéos où nous avons des doutes et où nous n'arrivons pas à un accord avec les vérificateurs de faits, nous faisons apparaitre une mention qui indique « vidéo partageant des faits non confirmés ».

Dans les périodes sensibles, comme les périodes d'élection, nous sommes particulièrement vigilants. Nous avons travaillé avec le Service d'information du Gouvernement (SIG) pour nous assurer que nous fournissions toutes les informations utiles aux utilisateurs, avec un guide électoral. Plus d'1,3 millions de personnes ont utilisé ces ressources, signe qu'elles ont été utiles.

Nous sommes vraiment mobilisés sur ce sujet. Je ne sais pas d'où sortent cette étude et ces statistiques. En tout cas, en termes de procédure et de partenaires, nous sommes plutôt bien équipés.

M. Claude Malhuret, président. - En 2021, le groupement européen des associations de consommateurs a déposé une plainte auprès de la Commission européenne contre TikTok. Elle lui reprochait notamment d'exposer des utilisateurs mineurs à des vidéos sexuellement suggestives dès leur inscription. Savez-vous où en est cette plainte ?

Mme Marlène Masure. - Je ne sais pas où en est cette plainte. Je peux vous dire en revanche que ce type de vidéos est contraire à nos règles communautaires et sont donc modérées. Ces vidéos font partie des premiers contenus qui seront supprimés par l'algorithme puisqu'il identifiera très rapidement que ces contenus sont non conformes.

M. Claude Malhuret, président. - Cela dépend ce qu'on désigne par « sexuellement suggestives ». Je me suis rendu sur l'application pour les besoins de l'enquête. Quand vous « swippez » sur TikTok, ces contenus - selon la définition que je retiens - arrivent extrêmement vite.

Mme Marlène Masure. - Je n'en ai pas eu dans mon flux. Je veux bien vous croire et je vois encourage à les signaler. Vous appuyez sur la vidéo pendant une à deux secondes pour faire un signalement. Il faut alors remplir la case nudité.

M. Claude Malhuret, président. - C'est parfois plus suggestif sexuellement quand ce n'est pas de la nudité totale.

Mme Marlène Masure. - Ce n'est pas non plus acceptable et cela doit être modéré.

M. Claude Malhuret, président. - Vendez-vous vos données ? Si oui, à qui ?

Mme Marlène Masure. - Nous ne vendons pas nos données. Les données sont utilisées uniquement pour nos propres besoins, servir nos campagnes publicitaires ou travailler l'expérience utilisateur.

M. Claude Malhuret, président. - La pratique du shadowbanning est-elle toujours en usage sur TikTok ? Pouvez-vous nous dire son intérêt ?

Mme Marlène Masure. - Qu'entendez-vous par shadowbanning ?

M. Claude Malhuret, président. - Ce terme désigne le fait de ne pas supprimer des vidéos mais de les rendre moins visibles, c'est-à-dire le contraire du heating.

Mme Marlène Masure. - L'algorithme le mettra en place pour des vidéos que l'on considère comme nocives si elles visionnées de façon répétée. Cela concerne les vidéos de régime, de fitness intense, qui si elle sont proposées dans la page pour toi de manière répétée, peuvent être mauvaises pour le bien être de l'utilisateur si elles sont visionnées trop souvent. Je ne sais pas si l'on peut appeler cela du shadowbanning. En tout cas, l'algorithme va traiter ces vidéos de façon différente et les proposer en moins grand nombre et les intercaler avec d'autres vidéos. Le principe de baisser la visibilité vise aussi les contenus plus matures. Ces contenus ne seront ainsi pas visibles dans les flux des mineurs. Des vidéos sont catégorisées et selon le niveau de maturité elles seront moins visibles ou pas visibles selon leur niveau de maturité pour les moins de 18 ans.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - On est bien d'accord que vous avez encore des centaines de milliers voire des millions d'adolescents qui annoncent qu'ils ont trente ans ou quarante ans et qui ont accès à l'ensemble de votre contenu malgré vos précautions, l'algorithme, les interventions humaines... La dernière statistique par âges que j'ai vue indiquait encore 500 000 jeunes de moins de 13 ans. Vous avez encore beaucoup d'utilisateurs mineurs qui ont déclaré un âge supérieur et que vous ne pouvez pas repérer - c'est normal, il n'y a pas encore un contrôle d'âge par double anonymisation ou autre donc vous avez énormément de mineurs qui vous ne repérez pas.

Mme Marlène Masure. - Je n'ai pas de statistiques. On va communiquer des données très précises dans le cadre du DSA sur nos audiences. On sait qu'on a la moitié de notre audience qui a plus de 25 ans, deux tiers qui a entre 18 et 35 ans. De toute façon ce n'est pas dans notre intérêt de ne pas être précis là-dessus car notre modèle publicitaire nécessite d'être plus justes sur notre audience. Ça fait partie du travail de nos modérateurs de nous assurer qu'on a un respect a minima de l'âge des treize ans, ensuite c'est compliqué de dire à un utilisateur : « tu n'as pas 19 ans, tu en as 17 ». Mais peut-être qu'on arrivera avec une réflexion collective à avoir un niveau de contrôle supérieur à celui qu'on a aujourd'hui.

À titre personnel, trouvez-vous normal que les Gafam soient interdits en Chine et TikTok autorisée partout sauf en Chine ?

Mme Marlène Masure. - Franchement je ne suis pas une experte de la Chine donc j'ai beaucoup de mal à répondre à votre question.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je ne suis pas sûr qu'il faille être expert de la Chine pour avoir une opinion sur le fait que les Gafam, comme toutes les plateformes concurrentes de TikTok et TikTok, soient interdites en Chine. Les Gafam protestent contre ça mais TikTok ne proteste pas.

Mme Marlène Masure. - TikTok est interdite dans certains pays, je trouve ça très injuste aussi. Oui dans l'absolu, philosophiquement je suis pour la liberté d'usage, de parole et qu'on offre à tous les utilisateurs du monde entier le même choix. Après il y a probablement des raisons qui me dépassent et je ne suis probablement pas la personne la plus compétente pour répondre à ça.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Donc si vous êtes pour la liberté de parole, vous condamnez la censure lourde du PCC sur Douyin, une société appartenant au même groupe que le vôtre, et sur l'ensemble de l'internet chinois. Puisque vous êtes pour la liberté de parole je suppose que vous le condamnez ?

Mme Marlène Masure. - Je ne suis absolument pas experte du sujet de la Chine.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Je vous demande juste si vous condamnez ou ne condamnez pas.

Mme Marlène Masure. - Je ne connais pas cette censure. J'adore me prononcer sur les sujets que je maîtrise et que je connais, celui-là je ne connais pas. Bien sûr que philosophiquement la censure est une mauvaise chose. Après je ne me permettrais pas d'intervenir sur un sujet que je ne connais pas.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous ne connaissez pas le fait que Douyin est massivement censuré, qu'on ne peut pas trouver une vidéo sur les Ouïghours, sur le Tibet, etc ? Tout le monde le sait et vous mieux que quiconque. Je ne pense pas que vous puissiez vous réfugier derrière l'expression « je ne connais pas la situation en Chine ». Cette situation, vous la connaissez comme tout le monde : Douyin est massivement censuré, je vous demande seulement si vous condamnez ça ou pas mais visiblement vous n'avez pas l'air de le condamner.

Mme Marlène Masure. - Je ne sais pas s'il y a la censure sur Douyin, je n'ai jamais ouvert l'application Douyin.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous lisez les journaux. Vous êtes spécialiste des plateformes.

Mme Marlène Masure. - Je suis une bonne française, je suis comme Saint Thomas : je ne crois que ce que je vois et en l'occurrence l'application Douyin, je ne l'ai jamais ouverte, donc je ne sais pas s'il y a de la censure, je n'en sais rien.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Vous savez que TikTok est interdit en Chine ?

Mme Marlène Masure. - Je sais surtout que TikTok opère dans tous les pays du monde sauf en Chine.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Il n'opère pas en Chine non parce que vous l'avez décidé mais parce qu'il y est interdit. Est-ce que vous trouvez ça normal, est ce que vous le condamnez ? C'est quand même ennuyeux pour une société, cela vous prive de pas mal d'utilisateurs potentiels.

Mme Marlène Masure. - Franchement je n'ai pas le contexte sur cette interdiction.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Ça ne vous gène pas ?

Mme Marlène Masure. - Ce n'est pas que ça ne me gène pas, encore une fois je ne connais pas assez le dossier pour pouvoir me prononcer.

M. Claude Malhuret, rapporteur. - Le dossier des Ouïghours, vous connaissez ? Est-ce que vous condamnez ce que pas mal d'experts appellent le génocide des Ouïghours en Chine, ou en tout cas la politique de répression vis-à-vis des Ouïghours ?

Mme Marlène Masure. - En tant que citoyenne et en tant que personne oui bien sûr.

M. Mickaël Vallet, président. - Pour rester dans le sujet, j'ai posé la question ce matin à M. Garandeau, comme vous êtes tous les deux salariés de TikTok, je voudrais essayer de vérifier auprès de vous une information selon laquelle TikTok France n'a pas donné de réponse à la sollicitation de la journaliste qui a publié un texte que j'ai lu ce matin. Il s'agit de la relation avec la Chine et avec la maison-mère, selon d'anciens salariés : «  Au quotidien, ils sont en permanence en contact avec les employés chinois de ByteDance qui joue un rôle clé dans la validation des projets et des procédures ». Parallèlement, certains salariés ont été briefés sur la manière dont ils doivent parler de l'entreprise en public, selon des informations du média spécialisé Gizmodo. L'un des principaux commandements promus par le document est de contester les liens qu'entretient TikTok en Europe avec sa maison mère en Chine : « minimiser ByteDance, minimiser l'association avec la Chine, minimiser l'Intelligence artificielle » font ainsi textuellement partie des éléments à retenir de ce document. Celui-ci propose par ailleurs certains éléments de langage clé en main comme : il y a beaucoup de désinformation autour de TikTok en ce moment, la réalité c'est que TikTok n'est même pas disponible en Chine ». Vous êtes là depuis environ un an, avez-vous été confrontée à ces éléments de langage, eu en main ou été destinataire d'un document interne qui soit similaire de près ou de loin avec ce dont parle la journaliste.

Mme Marlène Masure. - Non.

M. Mickaël Vallet, président. - Je vous pose la question personnellement, vous ne pouvez pas répondre pour les autres.

J'aurais une remarque sur le temps passé. Vous nous dites qu'il y a 75% des jeunes concernés qui conservent l'alerte. Cela ne nous dit pas combien de personnes s'y conforment dans les minutes qui suivent. De la même façon, sur les infox, ce que je voudrais vous dire, c'est que, que vous ayez supprimé tant de dizaines de milliers de vidéos, que vous puissez démontrer que sur tel ou tel sujet vous avez pris soin d'invisibiliser un mot dièse ou que l'algorithme n'enferme pas les gens sur des sujets précis qui font l'objet de mésinformation, c'est une chose. Mais ce que nous n'avons pas, et il faudrait que vous ayiez une personne tierce extérieure qui puisse vous auditer pour l'objectiver, c'est combien il en reste à la fin. Vous êtes une entreprise jeune. S'il y a trois ans on a pu objectiver qu'il y avait telle proportion de désinformation en ligne - Newsguard, assez reconnue, nous dit qu'il faut 40 minutes en moyenne pour tomber sur une information fausse, une infox ou une mésinformation ; vous pourriez faire une contrexpertise ou demander à un autre de répondre à cela -, ce qui nous manque c'est le résultat à la fin. Dans des politiques publiques, ce qui compte c'est combien on a de cancers, combien de personnes se mettent à fumer, combien arrêtent... : ce sont ces questions de statistiques qui nous intéressent.

Mme Marlène Masure. - Ces éléments sont sans doute disponibles dans nos rapports de transparence, nous allons regarder car dans la mesure où la désinformation fait partie de nos règles communautaires, que nous combattons la désinformation et que donc ces contenus sont modérés par nos algorithmes et par nos modérateurs humains. À travers ces rapports trimestriels nous communiquons l'ensemble des contenus qu'on supprime, et à quelle rapidité : on a donc un certain nombre de données.

M. Mickaël Vallet, président. - Et combien il en reste ? Il n'y a rien d'infâmant à avoir subi une cyberattaque ou à avoir été victime d'un porte dérobée, ce sont des sujets sur lesquels il faut communiquer pour que ça bénéficie aux autres. Il n'est pas possible, avec un milliard et demi d'utilisateurs, que vous n'ayez pas de ces contenus de désinformation. Personne ne vous demanderait le zéro faute, mais de savoir que tout est mis en oeuvre et que vous progressez est un élément essentiel. Est-ce que vous payez des journalistes pour qu'ils fassent des contenus sur TikTok ?

Mme Marlène Masure. - Non, ce n'est pas notre modèle. Une personnalité publique va venir sur la plateforme parce qu'elle a un enjeu de visibilité, pour vendre un livre, faire connaître un spectacle.

M. Mickaël Vallet, président. - Pour répondre à la question posée par un journal la semaine dernière, le Monde ou Mediapart, par exemple, quand un journaliste qui est sur le service public, sur Inter et sur France 5, qui fait par ailleurs de très bonnes émissions, lorsqu'Augustin Trapenard publie autant de vidéos qu'il en publie sur TikTok en expliquant (je suis allé regarder) : « TikTok permet ceci ou cela », ce qu'il en retire c'est la visibilité, c'est un échange de procédés entre la visibilité pour la personne publique et la qualité du contenu pour vous ?

Mme Marlène Masure. - Augustin Trapenard a compris qu'il ne fallait pas opposer les modèles et que grâce à TikTok on pouvait faire lire des jeunes. Donc il est arrivé très naturellement sur la plateforme, et effectivement, parce que c'est un super ambassadeur, qu'il est crédible et qu'il est juste dans ce qu'il fait, qu'on a décidé de le faire parler dans notre campagne de communication sur BookTok. On a donc eu une campagne de marque, et dans le cadre de cette campagne publicitaire, pour le coup, il a été rémunéré. Mais on a choisi Augustin parce qu'il était présent sur la plateforme et qu'il était crédible sur le sujet du livre, donc ensuite il est arrivé dans une campagne marketing, mais ce n'est pas l'inverse qui s'est produit.

M. Mickaël Vallet, président. - Qu'appelez-vous campagne publicitaire ?

Mme Marlène Masure. - On a acheté du média pour un certain montant, on a fait un spot télé dans lequel on explique BookTok.

M. Mickaël Vallet, président. - Là c'est vous qui achetez du temps sur d'autres médias. C'est expliqué dans certains ouvrages sur TikTok : il y a quelques plateformes qui ont regretté après coup...

Mme Marlène Masure. - On achète sur Instagram, sur Youtube, toutes les plateformes.

M. Mickaël Vallet, président. - Donc dans ce cadre-là vous avez fait une campagne pour BookTok et ce journaliste a été payé pour cette campagne. Je comprends qu'il nait pas voulu répondre : même si ce que vous décrivez est dans un cadre précis, je comprends son enthousiasme.

Mme Marlène Masure. - Il faut refaire l'histoire. Augustin Trapenard est arrivé sur la plateforme comme plein d'autres, comme Joël Dickers, Antoine Dupont, plein d'athlètes, Eric et Ramzy : ils y viennent parce qu'on est un média et un outil au service de plein de choses. La grande librairie a son compte sur la plateforme, Libération arrive, le Monde fait un travail formidable sur la plateforme.

M. Mickaël Vallet, président. - Si vous étiez taquine, vous pourriez même parler de certaines institutions parlementaires.

Mme Marlène Masure. - Je n'osais pas vous faire l'affront, mais on a adoré leur contenu.

M. Mickaël Vallet, président. - Mais nous nous ne sommes pas payés pour, c'est la différence.

Mme Marlène Masure. - La trend Wes Anderson était bien trouvée : c'est la tendance du moment.

M. Mickaël Vallet, président. - Il est important pour les gens de savoir, quand il y a la moindre mention « publi-reportage » dans la gazette locale, qui est payé pour dire du bien, qui n'est pas payé pour dire du bien. Monsieur Trapenard n'est pas payé quand il s'enflamme dans ses vidéos TikTok pour Booktok, mais « ça a eu payé »...

Mme Marlène Masure. - C'est une indemnisation sommes toutes modeste dont vous pourrez probablement avoir le montant.

M. Mickaël Vallet, président. - Je ne le demande pas.

Mme Marlène Masure. - Il faut rétablir les faits : il a été choisi car il est crédible, parce que cela fait longtemps qu'il publie des choses de qualité, qu'il a des relations intéressantes avec des créateurs BookTok qui ont d'ailleurs fait sensation au festival du livre de Paris. On a 60 maisons d'édition sur la plateforme, qui aujourd'hui sont crédibles sur le sujet. Augustin a été choisi pour notre campagne de communication car il est crédible sur le sujet. Il ne fait pas des contenus TikTok forcé.

M. André Gattolin. - C'est un sujet qui me préoccupe : la question de cybersécurité externe de l'application et de TikTok. Il y a quelques semaines, Pinduoduo s'est retrouvée avec un Malware qui permettait à certaines personnes d'extraire des données de l'extérieur. Est-ce qu'aujourd'hui TikTok se risquerait à transférer illicitement ses données vers la Chine : les conséquences commerciales seraient lourdes. La question est celle de la vulnérabilité de tous les supports et bases de données aux attaques extérieures. Les données personnelles sont l'or blanc de l'économie actuelle. Quels moyens mettez-vous pour la sécurité ? Êtes-vous victime d'attaques et êtes-vous capables de les contenir, les signalez-vous à l'ANSSI ? Ce n'est pas une honte. Pendant longtemps on craignait le préjudice d'image. Tous les jours en France des données s'envolent. Je crois de bonne foi les dirigeants quand ils disent qu'ils ne transfèrent pas et respectent les règles internationales, mais la question est la capacité à protéger ses données ?

Mme Marlène Masure. - C'est une question technique, je ne suis pas experte, mais j'ai le sentiment qu'avec la mise en place du projet Clover que vous a expliqué Eric Garandeau ce matin, avec la souveraineté numérique, avec un tiers de confiance qui sera annoncé prochainement et va sécuriser tout le stockage de données personnelles en Europe, on va aussi cranter quelquechose en matière de cybersécurité. Ceci concerne toutes les entreprises aujourd'hui, ce serait bien improbable que ce ne soit pas un sujet chez nous également, mais n'étant pas experte je ne me hasarderais pas sur une réponse incomplète.

M. André Gattolin. - Pinduoduo, une grande entreprise très soucieuse de cybersécurité, s'est retrouvée chargée d'un Malware.

M. Mickaël Vallet, président. - Depuis que vous êtes là, vous n'avez pas eu connaissance d'attaque massive ou très préjudiciable qui aurait touché TikTok ?

Mme Marlène Masure. - Depuis mon arrivée chez TikTok je n'en ai jamais entendu parler. Dans la mesure où les API ne sont ouvertes que pour les chercheurs aujourd'hui, vous minimisez les risques : vos risques cybers sont plus importants quand vous avez plus d'API ouvertes.

M. André Gattolin. - À quel niveau se passe la sécurité globale ?

Mme Marlène Masure. - Je vais vérifier cette information. J'ai envie de vous dire à celui de Cormac Keenan en Irlande. Je préfère vérifier.

M. Mickaël Vallet, président. - Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Mme Marlène Masure. - On a assez peu parlé de contenus. Les équipes de TikTok en France sont vraiment mobilisées sur l'accompagnement des marques, sur des secteurs prioritaires que sont la musique, le sport, le divertissement, l'art de vivre, les contenus éducatifs et notre engagement est sincère. Quand on choisit des événements auxquels s'associer, festival du livre de Paris ou festival de Cannes, qu'on soutienne Roland Garros ou le Tour de France, le Major de Counterstrike, ce sont des engagements sincères et portés par une compréhension de notre communauté et de ce qu'elle attend. Vous avez le droit de ne pas me croire mais je voulais quand même vous le dire parce que c'est ce qui anime le travail des équipes, mobilisées à faire croître cet écosystème et cette communauté d'utilisateurs avec des contenus toujours plus qualitatifs, toujours plus engageants, plus pertinents. C'est ce qui nous anime au quotidien.

M. Mickaël Vallet, président. - Merci de nous envoyer les éléments écrits sous 8 jours.

La réunion est close à 17 heures 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.