Mercredi 31 mai 2023
- Présidence de M. Jérôme Bascher, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de Mme Dominique Faure, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales
M. Jérôme Bascher, président de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Notre mission d'information, constituée le 1er mars 2023 à l'initiative du groupe RDSE du Sénat, rendra son rapport le 13 juin 2023. Avant d'en remettre les conclusions, nous avons souhaité, Madame la ministre, vous auditionner.
Nous avions commencé nos travaux en invitant la Délégation aux collectivités locales du Sénat, à laquelle cette audition est une nouvelle fois ouverte. Nos travaux ont ainsi vocation, au-delà de cette mission d'information, à s'inscrire dans le temps long.
Pour rappel, notre mission d'information poursuit un triple objectif :
- apprécier si l'impact des décisions de l'Etat sur les finances locales est suffisamment bien évalué en amont, le cas échéant en concertation avec les élus locaux ;
- établir un diagnostic et porter une analyse objective de la situation ;
- formuler une dizaine de recommandations.
Mme Guylène Pantel, rapporteure de la mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales. - Madame la ministre, cette mission d'information, créée dans le cadre du droit de tirage du groupe RDSE du Sénat, est née d'un constat : de nombreuses décisions unilatérales de l'Etat augmentent les charges des collectivités ou en diminuent les ressources.
Les normes règlementaires imposent aux collectivités locales des contraintes de plus en plus abondantes, au risque de submerger les élus. On relève ainsi une progression inquiétante des codes qui régissent l'activité des collectivités. Le Code général des collectivités territoriales a notamment triplé de volume entre 2002 et 2023 - ce sujet ayant fait l'objet d'un récent rapport des sénateurs Françoise Gatel et Rémy Pointereau sur l' « addiction aux normes ».
Cette inflation normative a des répercussions financières directes ou indirectes sur la conduite des politiques publiques locales. En particulier, elle entraine la modification, le report voire l'abandon des projets portés par les collectivités. Or ces délais sont coûteux, à plus forte raison en période d'inflation : « le temps, c'est de l'argent ! ».
Selon le rapport d'activité du CNEN, les normes règlementaires ont représenté, en 2022, un coût net de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités. Cette situation peut être difficilement soutenable financièrement, notamment pour les plus petites communes aux ressources limitées.
Les élus que nous avons auditionnés nous ont fournis de nombreux exemples concrets de contraintes qu'ils subissent, en lien avec le ZAN notamment.
Ils ont également évoqué l'impact de ces contraintes règlementaires en termes de ressources humaines. D'une part, certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la règlementation. D'autre part, de nombreux élus font face à des difficultés de recrutement dans certains secteurs où les normes sont jugées trop complexes.
C'est pourquoi nous devrons être attentifs au suivi de la charte d'engagements signée par le Sénat et le Gouvernement le 16 mars 2023, dont l'objectif est de lutter contre les conséquences de l'inflation normative.
Au-delà de l'impact des normes règlementaires, les élus ont également évoqué l'incidence des décisions budgétaires de l'Etat, prises dans le cadre des diverses lois de finances et concernant à la fois les ressources et les charges des collectivités.
Concernant les ressources, les élus se perdent dans le maquis des règles applicables. Entre 2010 et 2023, plus de 70 décisions ont été prises concernant la fiscalité locale. L'usage des dotations d'investissement est également de plus en plus contraint, avec des critères locaux fixés par les préfets s'ajoutant souvent aux critères nationaux. Les modalités de répartition de la DGF reposent quant à elles sur de trop nombreux critères mal compris des élus locaux.
Au niveau des charges, le coût de la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires s'est élevé, en 2023, pour les seules communes et leurs groupements, à 1,5 milliard d'euros. Le coût de la revalorisation du RSA s'est quant à lui élevé, pour les départements, à 240 millions d'euros. A cela s'ajoute la volonté de l'Etat d'encadrer les dépenses de fonctionnement des collectivités depuis les contrats de Cahors.
Ces difficultés sont accentuées par l'explosion des dépenses de matières premières. Tous les ingrédients sont ainsi réunis pour décourager les élus, privés de leur pouvoir d'agir.
Face à cette situation préoccupante, notre mission d'information envisage plusieurs recommandations.
La première piste serait d'opérer une fusion entre le CFL et le CNEN - les présidents de ces deux instances ayant appelé à la mise en place, par ce biais, d'un « défenseur des libertés locales ». Cette idée nous parait intéressante car cette nouvelle autorité pourrait améliorer le dialogue entre l'Etat et les collectivités et mieux évaluer l'impact des décisions de l'Etat sur l'équilibre des finances locales, en travaillant en étroite concertation avec le Sénat. Naturellement, cette nouvelle instance devrait être dotée de moyens humains et financiers renforcés.
La seconde piste serait de mettre en place, à titre expérimental dans certains départements, des conférences de dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, placées sous l'égide des préfets ou des sous-préfets. Ces instances seraient notamment compétentes pour donner un avis sur les cas complexes d'interprétation des normes génératrices de coûts pour les collectivités territoriales. Pour donner toute leur efficacité à ces conférences de dialogue, il conviendrait également de donner aux préfets autorité sur l'ensemble des services de l'Etat et de renforcer leur rôle en matière de conseil et d'ingénierie auprès des petites communes.
La troisième piste serait de simplifier la procédure relative au droit de dérogation reconnu aux préfets - la Première ministre ayant récemment pris des positions sur ce sujet.
La quatrième piste serait de prévoir que les décisions de l'Etat impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux et non en cours d'exercice. Il s'agirait ainsi de permettre aux collectivités, de petite taille notamment, d'anticiper les réformes de l'Etat dans leur préparation budgétaire.
Enfin, la cinquième piste serait, en application du principe « qui décide paie », de prévoir un réexamen régulier des droits à compensation, pour tenir compte de l'augmentation des charges liées aux nouvelles compétences confiées par l'Etat aux collectivités - les charges liées à la gestion des collèges et lycées demeurant, par exemple, compensées au coût historique.
En somme, un dialogue responsable entre l'Etat et les collectivités devrait permettre de distinguer les dépenses strictement nécessaires des dépenses d'opportunité. Cette distinction apparait aujourd'hui d'autant plus importante que, dans certains cas, les collectivités font face une augmentation exogène de leurs charges, liées par exemple à la gestion du RSA.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Cette mission d'information participe pleinement du rôle de contrôle et d'évaluation du Sénat, sur un sujet particulièrement transversal. Je suis donc très heureuse de répondre à vos questions.
S'agissant d'évaluer l'impact de l'inflation des normes règlementaires sur les collectivités et plus particulièrement sur les plus petites d'entre elles et celles situées en milieu rural, dont les ressources techniques, financières et juridiques sont extrêmement limitées, je souhaiterais tout d'abord saluer la qualité du rapport des sénateurs Françoise Gatel et Rémy Pointereau. Face à une « addiction aux normes », ce rapport invite à oser une « thérapie de choc ». Il pointe notamment que le Code général des collectivités territoriales (CGCT) a triplé de volume en 20 ans, ce qui illustre l'importance de nous interroger collectivement, parlementaires et membres du Gouvernement, sur la nécessité de moins et mieux légiférer.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'inflation constatée des normes. Tout d'abord, les collectivités territoriales ont vu leur champ d'action s'élargir au fil des années - le CGCT s'étant ainsi étoffé progressivement des nouvelles compétences transférées de l'Etat vers les collectivités territoriales. De multiples lois et règlements ont par ailleurs créé de nouveaux dispositifs et de nouvelles procédures à respecter, autour de l'intercommunalité, de la création des communes nouvelles, du respect de la parité, etc. Enfin, il est de plus en plus difficile d'interpréter les textes, ce qui et nécessite parfois leur précision par la loi et le règlement.
Pour ce qui est des décisions budgétaires de l'Etat pesant sur les dépenses des collectivités, dans un contexte de crise énergétique et d'inflation, je citerai un second chiffre du rapport des sénateurs Françoise Gatel et Rémy Pointereau. Au cours du précédent quinquennat, le coût de ces décisions pour les collectivités a été estimé à environ 2 milliards d'euros. Ce chiffre est similaire à celui du dernier rapport d'activité du CNEN, faisant état d'un coût de 2,5 milliards d'euros sur la seule année 2022. Je tiens toutefois à rappeler que, si les décisions prises par l'Etat peuvent avoir des conséquences sur les dépenses des collectivités, l'Etat verse par ailleurs chaque année aux collectivités territoriales près de 55 milliards d'euros. Ces dotations représentent une part importante des budgets de fonctionnement des collectivités et permettent aussi de financer des projets d'investissement tels que la construction d'écoles, de routes ou d'équipements sportifs. Sans ce soutien financier, de nombreuses communes ne pourraient tout simplement pas assurer leurs missions de service public.
L'Etat est de surcroît un partenaire important des collectivités territoriales dans de nombreux domaines tels que la sécurité, la culture ou encore l'enseignement. L'Etat travaille ainsi en étroite collaboration avec les élus locaux pour assurer la qualité des services publics offerts aux citoyens.
L'Etat a ainsi un rôle à jouer en tant que financeur et partenaire des collectivités territoriales. Dernièrement, l'Etat a par ailleurs pleinement joué son rôle de soutien aux collectivités les plus en difficultés, pour les aider à faire face aux dépenses induites par la crise sanitaire et l'inflation. Il conviendrait donc ne pas opposer l'Etat aux collectivités territoriales sans rappeler les liens qui unissent.
L'évaluation des normes en amont de leur adoption, dans une logique préventive et non uniquement curative, renvoie quant à elle à la question de la qualité et de la sincérité des études d'impacts des projets de loi, ainsi qu'à celle de la démonstration de la nécessité des nouvelles normes. Trop souvent, nous sommes encore tentés collectivement de répondre à une difficulté par l'édiction d'une nouvelle norme.
Au cours des 10 dernières années, des actions ont déjà entreprises pour limiter l'inflation normative et simplifier la vie des collectivités territoriales, parmi lesquelles : le déploiement d'un volet « collectivités » dans le programme de simplification 2012-2017 (s'inscrivant dans le cadre du « choc de simplification » souhaité par le Président de la République de l'époque), la signature en 2016 d'une charte de partenariat entre le Sénat et le CNEN (visant à renforcer la coordination de leurs actions respectives au bénéfice de la simplification normative), ou encore l'instauration en 2017, par circulaire du Premier ministre, de la règle du « deux pour un » (prévoyant que la création de toute nouvelle norme règlementaire soit compensée par la suppression ou, à minima, la simplification de deux normes de même niveau).
Le récent rapport de la Cour des comptes consacré au bilan des 40 dernières années de décentralisation a par ailleurs confirmé un besoin de clarification de la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi qu'entre les différents échelons de collectivités territoriales.
Pour préparer l'avenir, vous avez déjà eu l'occasion d'auditionner les présidents de deux instances jouant un rôle déterminant en matière d'évaluation et de contrôle des normes applicables aux collectivités, à savoir le CNEN et le CFL.
J'identifierai pour ma part quatre sujets majeurs :
- la qualité du dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales (en faveur de laquelle votre proposition serait de mettre en place des conférences de dialogue) ;
- le besoin d'une plus grande visibilité sur les travaux gouvernementaux concernant les collectivités et les textes en gestation (besoin auquel a vocation à répondre l'agenda territorial mentionné dans la charte signée le 16 mars 2023 entre le Sénat et le Gouvernement et officiellement lancé par la Première ministre le 12 avril 2023) ;
- les modalités de compensation des transferts de compétences (sujet politiquement sensible et techniquement et juridiquement complexe - le Sénat s'étant déjà exprimé lors de l'examen de plusieurs propositions de loi, contre l'avis du Gouvernement, en faveur d'une revalorisation au-delà du coût historique) ;
- le rôle des préfets dans l'application des normes et la gestion de leur impact sur les collectivités (ce sujet renvoyant au pouvoir de dérogation des préfets et à leur rôle d'appui en ingénierie auprès des petites collectivités, ainsi qu'au programme « France Ruralités » devant être annoncé par la Première ministre avant la fin du mois de juin 2023).
M. Rémy Pointereau. - Avec ma collègue présidente de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, nous avons effectivement publié un rapport intitulé « Face à l'addiction aux normes, osons une thérapie de choc ». Le 16 mars 2023, les états généraux de la simplification ont ensuite abouti à la signature, par le Sénat et le Gouvernement, d'une charte d'engagements en faveur de la simplification des normes applicables aux collectivités locales.
Nous espérons que la signature de cette charte nous obligera à limiter l'inflation normative - la consultation menée par le Sénat auprès des élus locaux en 2023 ayant mis en évidence que cette inflation complexifiait beaucoup et retardait la réalisation des projets locaux, avec un impact sur la croissance attendue et le coût de ces derniers.
Il a par ailleurs été rappelé qu'en 2022, les normes réglementaires avaient représenté un coût de 2,5 milliards d'euros pour les collectivités. A cet égard, conformément à la charte d'engagements signée, le Sénat exercera une fonction de veille et d'alerte.
Pour passer de la parole aux actes, il nous faudra mieux gérer le flux des normes nouvelles, mais aussi le stock de celles déjà édictées, devant aujourd'hui excéder les 500 000 normes - la France continuant de légiférer trois fois plus que l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Italie.
Se posera également la question de la sincérité des études d'impacts des projets de loi, souvent réalisées en urgence, avec des délais de saisine du CNEN extrêmement courts et des moyens dédiés au CNEN parfois insuffisants.
En parallèle, alors qu'un ministre de la simplification a déjà pu exister au sein de précédents gouvernements, une compétence en matière de simplification des normes pourrait être ajoutée, Madame la ministre, à votre portefeuille.
Mme Françoise Gatel. -Il est satisfaisant que cette mission d'information puisse travailler en bonne intelligence avec la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.
Madame la ministre, vous avez rappelé, à juste titre, que l'Etat était un partenaire des collectivités. Je demeure pour ma part convaincue que l'Etat et les collectivités constituent les deux piliers de l'action publique. L'Etat est dans son rôle régalien lorsqu'il définit un niveau d'exigence pour l'éducation des enfants ou le soin. Cependant, il appartient ensuite aux collectivités de mettre en oeuvre et d'exécuter, au nom de l'Etat, un certain nombre de prestations. L'aide apportée par l'Etat aux collectivités est donc un minimum.
On observe par ailleurs que le poids des normes finit par contrarier l'intention souvent vertueuse du législateur ou de l'Etat, avec des projets ou actions finissant par ne jamais voir le jour, au nom d'un principe de précaution.
Le Sénat demeure quant à lui très attaché au principe du « qui décide paie ». Nous avons besoin d'un Etat fort et puissant, qui puisse travailler en binôme avec les collectivités. Lorsque l'Etat décide d'imposer des normes ou des obligations, il ne saurait se contenter de demander aux collectivités d'exécuter sa commande, sans que celles-ci aient été associées. Dans cette optique, une clause de revoyure des transferts de compétences nécessiterait d'être introduite.
La gestion du RSA, par exemple, a été transférée aux départements, avec une enveloppe financière associée. Cependant, l'Etat n'a ensuite cessé de rajouter des obligations et des normes renchérissant le coût de cette gestion, sans revalorisation de l'enveloppe correspondante, si bien que certains départements demandent aujourd'hui la renationalisation du RSA.
En cohérence avec la charte d'engagements signée, il conviendrait par ailleurs de veiller à ce que chaque loi fasse l'objet d'une étude d'option, c'est-à-dire d'une évaluation préalable de sa nécessité au regard de l'arsenal législatif déjà existant. À cet égard, le fait que les études d'impacts soient aujourd'hui réalisées par les ministères en charge de défendre les projets de loi soulève une problématique de méthode.
Enfin, le pouvoir dérogatoire des préfets nécessiterait de pouvoir être davantage mobilisé, pour assurer une proportionnalité des normes, au regard des réalités locales. En parallèle, une réflexion nécessiterait également d'être menée sur les normes imposées par les fédérations sportives - ces dernières ne rendant compte à personne.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Bien que n'étant membre du Gouvernement que depuis juillet 2022, je partage le diagnostic ainsi fait et suis prête à poursuivre les travaux entamés pour diminuer le poids des normes. Au sein du Gouvernement, la consigne est aujourd'hui de porter le moins possible de textes de loi et, le cas échéant, de les prévoir le plus court possible. Cependant, il nous faut aussi répondre à des propositions de loi portées par les parlementaires. Nous avons donc une responsabilité partagée.
Du reste, je prends l'engagement de limiter le recours aux saisines en urgence du CNEN. En 2022, 17 % des textes examinés par le CNEN l'ont été en urgence (contre 13 % en 2021) et 6 % l'ont été en extrême urgence (contre 2 % en 2022). Face à cette inflation, il nous faut être vigilants ensemble.
L'enjeu serait également de faire en sorte que les études d'impacts puissent être réalisées dans de bonnes conditions, en profondeur et en prenant le temps nécessaire - le fait que l'administration y travaille avec le ministre porteur du texte ne soulevant pas, à mon sens, un risque de partialité.
Il convient par ailleurs de rappeler que la DGCL, en sa qualité de secrétaire du CNEN, analyse également les fiches d'impacts transmises par les ministères. La trame actuelle des études d'impacts demande bien aux ministères, d'une part, d'avoir consulté l'ensemble des parties prenantes et, d'autre part, d'avoir étudié les autres options possibles que celle du recours à la norme. Le Secrétariat général du Gouvernement est ensuite représenté au sein du CNEN et prend en compte les remarques des membres élus du CNEN sur la qualité des études d'impacts.
Une modification de la trame des études d'impacts ne me semblerait donc pas pertinente. Je souhaiterais plutôt faire appel à une responsabilité collective des acteurs concernés.
M. François Bonhomme. - Le sujet de la simplification nous occupe de manière récurrente, sans que nous parvenions à l'épuiser. Chaque fois, de nouvelles mesures sont mêmes prises qui complexifient encore les choses. Je ne suis donc pas certain que la création d'un ministère ou d'un secrétariat d'Etat en charge de la simplification soit la solution. Je ne suis pas certain non plus que la création d'une nouvelle autorité indépendante, sous la forme d'un défenseur des droits des collectivités, résolve le problème. Pour rompre avec une forme de démangeaison règlementaire, l'enjeu serait davantage de faire preuve, comme dans d'autres domaines, de sobriété.
Cela étant, il y a moins de 10 ans, une ordonnance a été prise portant sur l'agenda d'accessibilité programmée (Ad'AP), c'est-à-dire sur la mise en accessibilité des ERP. Sans être contestable sur le fond, cette mesure, n'ayant jamais été discutée, a coûté plusieurs milliards d'euros aux collectivités locales. L'évaluation initiale du coût de cette mesure était de l'ordre de 11 milliards d'euros. Dispose-t-on aujourd'hui d'une évaluation plus fine ?
M. Stéphane Sautarel. - Le sentiment est effectivement que, bien souvent, plus on parle de la simplification, plus on complexifie. Dans ce contexte, une réflexion nécessiterait d'être menée sur le rapport entre décentralisation et déconcentration, car l'Etat semble bien souvent reprendre par le contrôle et la norme ce qu'il a perdu en matière de compétences.
Les déclinaisons de la loi Climat et Résilience mettent par ailleurs en évidence les carences des études d'impacts. Face à la complexité croissante des politiques publiques et à leurs interactions parfois paradoxales ou paralysantes, il est souvent nécessaire de relégiférer pour corriger des textes récents. Il conviendrait de nous interroger sur la gestion, y compris en termes de gouvernance, de cette complexité.
Le pouvoir de dérogation des préfets est quant à lui un enjeu majeur. Selon la personnalité des préfets, l'une des principales limites à l'usage de ce pouvoir est aujourd'hui la responsabilité exercée vis-à-vis des conséquences potentielles de telle ou telle dérogation.
Pour ce qui est des compensations, je souhaiterais rappeler que les dotations aux collectivités ne constituent pas un don mais un dû. Elles correspondent à des transferts financiers, découlant de choix fiscaux faits par l'Etat. Elles ont donc vocation à être dynamiques. Nous avons déjà eu ce débat autour de l'indexation de la DGF sur l'inflation. Elles ont également vocation à être réexaminées en fonction de l'évolution des compétences des collectivités.
Enfin, au sujet de l'impact des normes sur le coût des projets locaux, j'insisterai sur les coûts indirects induits par les délais d'instruction de certaines procédures.
M. Jérôme Bascher. - L'inflation ne faisant que renchérir le coût de ces délais.
Mme Corinne Feret. - Un filet de sécurité pour faire face à la hausse des prix de l'énergie a été adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023. Cependant, les élus du Comité des finances locales ont émis un avis défavorable à l'unanimité concernant le projet de décret d'application de cette mesure. Ce décret serait plus restrictif que ce que prévoit la loi. En conséquence, l'enveloppe dédiée à cette mesure, de près d'1,5 milliard d'euros, pourrait ne pas être utilisée dans sa globalité. Seuls les hôtels de département ou de région pourraient, par exemple, bénéficier de ce filet de sécurité, alors que ces bâtiments ne figurent pas parmi les plus consommateurs d'énergie - les collectivités ayant davantage vus leurs budgets exploser du fait de l'augmentation de leurs charges liées aux bâtiments énergivores que constituent les collèges et lycées. La parole des élus du Comité des finances locales, remontant du terrain, nécessiterait d'être prise en compte. L'enjeu serait ainsi de mettre un peu de cohérence dans les décisions prises, notamment par le Gouvernement.
M. Jérôme Bascher. - Autour du ZAN, je crois savoir que le Sénat a également repéré des décrets d'application plus restrictifs que la loi. Cela crée un sentiment de défiance inutile entre le Parlement, les élus locaux et l'instance étatique.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - La mise en place de conférences de dialogue entre l'Etat et les collectivités a été proposée à trois occasions, dans le rapport de Françoise Gatel, dans la loi 3DS et dans le rapport sur la simplification des normes adopté en janvier 2023. Je proposerai donc que nous puissions expérimenter la mise en place de telles conférences, à l'échelle départementale voire infra-départementale, auprès de préfets ou sous-préfets volontaires. Ces conférences pourraient avoir pour objectifs d'évoquer des difficultés d'application des normes auxquelles les acteurs locaux sont confrontés, de recueillir des propositions de modifications législatives et règlementaires et de proposer des mesures concrètes de simplification. Les travaux menés au sein de ces conférences nécessiteraient toutefois de l'être en bonne coordination avec ceux conduits au sein des Conférences territoriales de l'action publique (CTAP), mises en place au niveau régional par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) adoptée en 2014.
En revanche, avant d'envisager la création d'une nouvelle instance sous la forme d'un défenseur des libertés locales, j'estime qu'il conviendrait d'abord de se saisir pleinement des missions exercées respectivement par le CFL (en matière de répartition de la DGF et du produit des amendes de police notamment) et le CNEN. De surcroît, la mission de défenseur constitutionnel des libertés locales est déjà exercée par le Sénat, en sa qualité de représentant des collectivités territoriales. Le Sénat veille ainsi au quotidien au respect des principes de libre administration et d'autonomie financière et fiscale des collectivités. A mon sens, ce rôle a vocation à être exercé par le Parlement et non par une nouvelle autorité administrative indépendante.
Au cours des visites de terrain que j'ai effectuées depuis juillet 2022, j'ai par ailleurs pu observer si les préfets se saisissaient ou non de leur pouvoir de dérogation. Le décret de 2020 relatif à ce droit de dérogation prévoit que celui-ci puisse s'exercer dans sept matières. Or plus de trois-quarts des arrêtés ainsi pris interviennent dans une seule de ces matières, à savoir les subventions et concours financiers. J'inciterai donc les préfets à faire davantage usage de ce droit, en cohérence avec la volonté exprimée par le Président de la République et la Première ministre.
Pour simplifier la procédure de dérogation, plusieurs pistes sont actuellement à l'étude, parmi lesquelles : la suppression de la saisine préalable obligatoire du préfet de région par le préfet de département et la suppression de la saisine obligatoire de l'administration centrale lorsque la matière ne semble pas la justifier.
Nous encourageons également les préfets à faire connaitre les normes qui devraient, selon eux, faire l'objet, à l'initiative du Gouvernement, d'un aménagement législatif ou règlementaire. Ce sujet est en lien avec celui des Conférences de dialogue que vous appelez de vos voeux.
Au sujet de la compensation des transferts de compétences, vous proposez l'instauration d'une clause de revoyure par rapport au coût historique. La constitution précise toutefois que tout transfert de compétence entre l'Etat et les collectivités territoriales doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles consacrées à l'exercice de la compétence transférée. Ce principe ne prévoit pas de réévaluation dans le temps au regard de l'évolution du coût d'exercice de la compétence transférée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est également constante sur ce point. Les compensations sont ensuite libres d'emploi et l'Etat n'a pas vocation à en contrôler l'utilisation. Aucune compensation glissante, fondée sur l'actualisation annuelle des dépenses engagées par les collectivités, ne saurait donc être envisagée.
Le principe du « qui décide paie » a ainsi bien vocation à s'appliquer. Lorsqu'une compétence a été transférée, elle est à la main des élus locaux, qui doivent assumer le coût financier de leurs décisions. Les collectivités peuvent ainsi librement décider d'augmenter ou de diminuer les montants consacrés aux compétences transférées, indépendamment des ressources transférées par l'Etat.
De surcroît, certaines ressources transférées pour assurer la compensation des compétences sont dynamiques, parfois au-delà de l'inflation. Tel est le cas notamment de la TSCA, pour le financement des SDIS, dont le produit affecté aux départements est passé de 0,843 à 1,238 milliard d'euros - la répartition de cette compensation demeurant faiblement révélatrice des charges réellement supportées par les départements, ayant été déterminée, lors du transfert de la compétence, en fonction du nombre de véhicules terrestres enregistrés dans chaque département.
Je tiens par ailleurs à rappeler que l'Etat est parfois revenu sur le principe de la compensation au coût historique, pour le financement du RSA notamment, avec une péréquation mise en place par la loi de finances pour 2020, reposant sur le transfert aux départements de la totalité des frais de gestion perçus par l'Etat au titre de la TFPB (pour un montant d'1 milliard d'euros), le relèvement du taux plafond des DMTO (pour un montant de 2 milliards d'euros) et le Fonds de solidarité en faveur des départements.
Pour soutenir la mise en accessibilité des ERP des collectivités territoriales, le Gouvernement s'est récemment engagé à mettre en place un fonds de 150 millions d'euros par an sur la période 2024-2029.
Le filet de sécurité face à la hausse des prix de l'énergie devrait quant à lui être plus large que ce que prévoyait initialement la loi, puisqu'il devrait couvrir également les dépenses de transports ferroviaires des régions. Les critères d'éligibilité à ce dispositif ont par ailleurs été fixés par la loi et non par décret.
M. Cédric Vial. - La question des marchés publics nécessiterait également d'être abordée. Cette procédure a normalement vocation à permettre aux collectivités de réduire leurs coûts. Cependant, on constate que cette procédure entraine aujourd'hui des surcoûts. Systématiquement, les entreprises qui répondent à des marchés publics intègrent dans leurs tarifs un surcoût de l'ordre de 15 %, correspondant à une anticipation de la complexité et de la rigidité des procédures. On observe par ailleurs que certaines entreprises se spécialisent dans la réponse aux marchés publics, sans être nécessairement les moins-disantes. Les collectivités, quant à elles, sont amenées à solliciter des assistances pour rédiger leurs cahiers des charges, à faire face à une rigidité du système en cours d'exécution et, in fine, à prendre des risques importants de contentieux.
Ces procédures nécessiteraient de faire l'objet de moins de règles à priori et de davantage de contrôles à posteriori.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le plan France Ruralités est appelé à succéder à l'Agenda rural. L'IGEDD a examiné les 181 mesures de ce dernier, en s'interrogeant parfois sur leur efficacité. Les enseignements de cette évaluation ont-ils été tirés ? Par ailleurs, le plan France Ruralités sera-t-il assorti d'indicateurs de performance et d'objectifs à atteindre ? Fera-t-il ensuite l'objet d'une évaluation à posteriori ?
J'ajouterai que la Délégation aux collectivités territoriales, prenant appui sur la Division de la législation comparée, suit régulièrement l'évolution du modèle de simplification administrative mis en oeuvre par les Pays-Bas.
M. André Reichardt. - Des réflexions ont-elles été engagées par le Gouvernement sur le pouvoir règlementaire local et la mise en place d'un projet de loi de finances dédié aux collectivités locales ?
M. François Bonhomme. - Une enveloppe d'1,5 milliard d'euros sur 5 ans a, me semble-t-il, été annoncée par le Gouvernement pour la mise en accessibilité des ERP. Le coût réel de l'ordonnance de 2015 relative à l'Ad'AP, estimé initialement à 11 milliards d'euros, a-t-il quant à lui été évalué rétrospectivement, le cas échéant par la DGCL ?
Vous avez par ailleurs indiqué que les transferts de compétences avaient, ces dernières années, généré des transferts financiers. Or, à ma connaissance, dans le cadre de la loi NOTRe d'août 2015, des transferts n'ont été opérés qu'entre collectivités locales, avec simplement une clarification vis-à-vis de la GEMAPI. Une précision juridique nécessiterait d'être apportée sur ce point.
Mme Dominique Faure, ministre déléguée. - Pour préparer le plan France Ruralités, nous nous sommes attachés, de juillet à décembre 2022, à analyser l'efficacité de l'Agenda rural dans les territoires. Nous avons pour cela animé des groupes de travail et nous sommes appuyés sur le rapport d'évaluation que vous avez cité. Fort de ces enseignements, le plan France Ruralités sera simple et lisible, avec des indicateurs, des objectifs à atteindre et des mesures d'efficacité. Ce plan, devant être annoncé par la Première ministre avant la fin du mois de juin 2023, constituera un ensemble de politiques publiques, avec un socle législatif dont la présentation devrait intervenir à la mi-octobre 2023.
Je n'ai par ailleurs pas connaissance de réflexions conduites pour aboutir à un projet de loi de finances dissocié pour les collectivités locales - les travaux sur le projet de loi de finances pour 2024 venant de débuter.
Au sujet du pouvoir règlementaire local, le Président de la République a saisi le Président du Sénat, la Présidente de l'Assemblée nationale, ainsi qu'un certain nombre d'acteurs. Il a également sollicité les élus locaux. En fonction du résultat de ces travaux, des propositions pourraient être faites, plutôt à l'horizon 2024.
Il n'existe pas d'évaluation du coût de l'Ad'AP. Nous étudierons néanmoins la question. Cela étant, nous avons alerté le Président de la République sur le fait que le décalage de la date butoir pour la mise en accessibilité des bâtiments publics avait eu pour conséquence de ralentir un certain nombre d'investissements. C'est pour cela que le Président de la République a décidé de mobiliser 150 millions d'euros par an pour accompagner cet effort - le montant plus large que vous avez évoqué ayant potentiellement vocation à accompagner aussi d'autres acteurs (acteurs privés, commerces, etc.).
J'ai par ailleurs noté votre demande de précision juridique.
Les marchés publics, enfin, demeurent effectivement très rigides. Cependant, à cet égard, nous sommes contraints par le droit européen. Dans le champ expérimental, vis-à-vis par exemple des éclairages publics à reconnaissance de forme, il est ainsi impossible d'aller au-delà de 150 000 euros. Je m'engage néanmoins à examiner plus généralement ce sujet des marchés publics.
Je demeurerai également à disposition, avec mon cabinet et la DGCL, pour répondre à vos éventuelles questions complémentaires.
M. Jérôme Bascher. - Merci, Madame la ministre, pour l'honnêteté et la clarté de vos réponses.
La réunion est close à 17 h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.