- Jeudi 1er juin 2023
- Énergie, climat, transports - Réforme du marché européen de l'électricité - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique
- Politique de voisinage - Déplacement en Moldavie d'une délégation de la commission des affaires européennes du 24 au 27 avril 2023 - Communication
- Désignation d'un rapporteur - Proposition de résolution européenne sur la relance du processus de paix en Irlande du Nord
- Institutions européennes - 69e réunion plénière de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) à Stockholm du 14 au 16 mai 2023 - Communication
Jeudi 1er juin 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Énergie, climat, transports - Réforme du marché européen de l'électricité - Rapport d'information, proposition de résolution européenne et avis politique
M. Jean-François Rapin, président. - L'invasion de l'Ukraine a brutalement questionné la façon dont l'Union européenne s'approvisionne en énergie, notamment en gaz. Son impact considérable sur le prix du gaz, mais aussi sur celui de l'électricité, déjà très volatils depuis l'été 2021, a conduit les États membres à prendre des mesures en urgence pour éviter une hausse brutale des factures des consommateurs et contenir l'inflation. Certaines communes ont vu leurs factures d'électricité s'envoler. Mais ces mesures risquent en fait de subventionner les énergies fossiles, à rebours de l'objectif de décarbonation. Au-delà de l'essentielle maîtrise de la demande d'énergie et de la coordination des achats de gaz à l'échelle européenne, c'est une profonde transformation de l'organisation du marché européen de l'électricité qui s'impose : au jour le jour, ce marché permet bien d'équilibrer offre et demande à court terme, mais sa construction ne permet pas répondre aux trois défis du secteur que sont la décarbonation, la sécurité d'approvisionnement et des prix abordables.
C'est pourquoi le Conseil européen a invité la Commission à préparer une réforme structurelle du marché de l'électricité, avec le double objectif d'assurer la souveraineté énergétique européenne et de parvenir à la neutralité climatique. Cette réforme, que la France réclame, mais qui divise les États membres, a été annoncée l'an dernier par la présidente von der Leyen dans son discours sur l'état de l'Union et finalement présentée en mars dernier par la Commission européenne. Je laisse nos rapporteurs nous informer sur son contenu et nous proposer de prendre position sur ce projet important.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Le 30 août dernier, à l'occasion d'un discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie, la Présidente de la Commission européenne déclarait : « La flambée des prix de l'électricité met aujourd'hui en évidence, pour différentes raisons, les limites de notre organisation actuelle du marché de l'électricité. Cette organisation avait été conçue dans des circonstances complètement différentes et à des fins complètement différentes. Elle n'est plus adaptée. C'est la raison pour laquelle nous, la Commission, travaillons actuellement à une intervention d'urgence et à une réforme structurelle du marché de l'électricité. Nous avons besoin d'un nouveau modèle de marché pour l'électricité qui fonctionne réellement et nous ramène à l'équilibre. »
Après avoir mené une consultation publique, qui a recueilli près de 700 réponses, la Commission européenne a finalement publié, le 14 mars dernier, ses propositions pour réviser l'architecture du marché européen de l'électricité. Cette réforme s'inscrit, en effet, dans un contexte géopolitique et économique bouleversé. De nombreux défis se posent aujourd'hui à l'Union européenne qui a engagé avec le Pacte vert d'importants efforts pour assurer sa transition énergétique et climatique.
La crise des prix de l'énergie qu'a connue l'Union européenne à la suite de la reprise économique consécutive à la pandémie de covid-19, et qui s'est aggravée avec la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, est essentiellement une crise qui a désorganisé les sources d'approvisionnement énergétique du continent européen. Elle a révélé la forte dépendance de l'Union européenne au gaz russe ; les difficultés d'approvisionnement, associées aux risques de pénurie, se sont alors traduites par une flambée des prix du gaz et de l'électricité sur les marchés de gros. Cette crise a donc montré les limites du marché de l'électricité et prouvé la nécessité d'en revoir les règles du jeu. À ce titre, le couplage du prix de l'électricité avec celui du gaz a focalisé de nombreuses critiques.
Je rappelle que dès l'automne 2021, la France a défendu une réforme ambitieuse du marché de l'électricité, qui devait notamment conduire à un découplage des prix de l'électricité et du gaz. À l'occasion de différents débats sur les questions énergétiques, le Sénat a aussi plaidé en faveur d'une telle réforme et a invité le Gouvernement à faire pression sur la Commission européenne en ce sens. La position française est néanmoins apparue relativement isolée au début de la crise énergétique, avant d'être partagée par d'autres pays européens, en particulier l'Espagne et la Grèce.
À la demande de certains États membres, la Commission européenne a, d'ailleurs, chargé l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie (Acer) d'évaluer les avantages et les inconvénients du fonctionnement du marché de gros de l'électricité. Dans le rapport qu'elle a remis en avril 2022, l'Acer a conclu que « même si des améliorations sont possibles, la conception actuelle du marché de gros de l'électricité de l'Union européenne mérite d'être conservée et n'est pas à blâmer pour la crise de l'énergie qui frappe l'Europe ». Cette conclusion me semble prêter à discussion.
Or c'est à mes yeux l'hypothèse dans laquelle la proposition de réforme actuelle s'inscrit : garder le cadre actuel en introduisant, pour prétendre en limiter les risques, des outils de marché de long terme. Je veux saluer le travail mené avec mes deux collègues rapporteurs pour multiplier les recommandations dans cette proposition de résolution européenne (PPRE) afin de mieux encadrer la réforme et les outils nouveaux créés, et renforcer les garanties de mise en oeuvre par les États membres dans le respect de la maîtrise de nos choix énergétiques. Je soutiens un grand nombre de ces recommandations. Toutefois, il me paraît dangereux, sans savoir ce que deviendront ces recommandations - 1500 amendements ont d'ores et déjà été déposés au Parlement européen - ni pouvoir évaluer la portée réelle des nouveaux outils de marché créés, de déclarer « accueillir favorablement » la réforme proposée. C'est pourquoi, au terme du travail d'auditions que j'ai mené avec mes deux collègues Daniel Gremillet et Claude Kern, je leur laisse le soin de présenter leur analyse ainsi que la position qu'ils proposeront à notre commission À l'issue de leur présentation, je proposerai des amendements, à titre personnel, au texte qu'ils nous soumettent et auquel je ne peux souscrire en l'état.
M. Claude Kern, rapporteur. - L'organisation actuelle du marché de l'électricité de l'Union, qui a été mise en place dans tous les États membres, a été élaborée progressivement, depuis plus de vingt ans, avec l'adoption successive de différents directives et règlements européens. Force est de reconnaître que ce marché a permis d'assurer la sécurité d'approvisionnement électrique du continent européen et de faire bénéficier les consommateurs européens de prix abordables, jusqu'à la crise des prix de l'énergie qui s'est déclenchée à l'automne 2021, à la sortie de l'épidémie de covid-19.
L'intégration de la France dans un marché européen de l'électricité, qui est de plus en plus interconnecté, lui permet, en effet, d'éviter près de quarante jours de coupure par an, et même davantage en 2022, puisque l'an dernier, pour la première fois, notre pays a importé de larges volumes d'électricité provenant des pays voisins. Les interconnexions électriques entre pays européens nous protègent donc du black-out et nous permettent également de vendre nos excédents de production, même si l'année 2022 a fait exception pour des raisons liées principalement à des opérations de maintenance sur notre parc nucléaire. Ces capacités d'échanges assurent ainsi notre sécurité d'approvisionnement, nous évitant de réaliser des investissements lourds et coûteux pour quelques jours de déficit de production d'électricité par an. En ce sens, comme l'ont relevé les personnes que nous avons auditionnées, le marché européen de l'électricité a fonctionné « correctement » au cours de ces derniers mois et nous a même rendu un « grand service », puisqu'il nous a permis de garantir la résilience de notre système électrique face à une crise énergétique sans précédent en Europe.
La crise des prix de l'énergie ne résulte donc pas d'un dysfonctionnement du marché, même si elle appelle à en améliorer les règles du jeu.
De fait, la formation des prix de gros de l'électricité est déterminée par le coût de production de la dernière centrale appelée, le plus souvent une centrale à gaz ou à charbon en Europe, pour assurer l'équilibrage ; c'est le principe dit « de l'ordre du mérite » ou de la tarification marginale. Cette modalité de fixation des prix expose les prix de gros de l'électricité à être dépendants du cours des combustibles fossiles, en particulier du gaz dont les prix ont atteint des sommets durant l'année 2022. L'électricité n'étant pas stockable, la volatilité des prix de gros se répercute alors sur les agents finaux. Ce mode de tarification explique le prix élevé de l'électricité en France et la volatilité des tarifs proposés aux consommateurs, alors même que les coûts de production électrique y sont très compétitifs en raison d'un mix énergétique largement décarboné. En temps de crise, du fait de l'extrême volatilité des prix de l'énergie, ce modèle de marché présente donc des difficultés majeures.
Pour faire face à ces circonstances exceptionnelles, la Commission européenne a proposé, au cours de l'année 2022, un certain nombre de mesures d'urgence temporaires, qui ont été adoptées par le Conseil de l'Union européenne, et qui ont permis aux États membres de mettre en place des mécanismes d'aide pour alléger la facture d'électricité des consommateurs.
Cette situation de crise inédite dans son ampleur a ainsi conduit à s'interroger sur le modèle actuel du marché de l'électricité, essentiellement basé sur un marché de court terme, ainsi que sur les moyens de parvenir à une meilleure adéquation du niveau des prix de l'électricité avec les coûts réels de production.
Pour y répondre, la Commission européenne propose donc, dans un premier texte, d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité, sans remettre en cause les principes fondamentaux qui régissent son fonctionnement. Elle se focalise sur trois objectifs : mieux protéger les consommateurs ayant été exposés à des prix très élevés ; rendre l'industrie plus compétitive en lui permettant d'avoir accès à un prix de l'énergie plus stable et raisonnable ; et enfin, accélérer le déploiement des énergies renouvelables pour permettre une transition et sortir de la dépendance aux énergies fossiles.
Une deuxième proposition tend à réviser le règlement dit « Remit » concernant les manipulations de marché et le rôle de l'Agence européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie. Je rappelle que le Sénat a adopté, le 22 mai dernier, une résolution européenne portant avis motivé sur la conformité de cette proposition au respect du principe de subsidiarité.
Enfin, ces deux textes s'accompagnent d'une recommandation relative au stockage de l'énergie.
La Commission a pour ambition de faire émerger un signal prix de long terme afin d'atténuer le poids des énergies fossiles, qui devraient encore être utilisées jusqu'en 2050, dans la facture d'électricité des consommateurs et afin d'encourager ces derniers à se tourner vers une production d'énergie qui permet de décarboner les usages et les procédés.
L'ensemble des acteurs de marché ont, en effet, besoin de visibilité et de prévisibilité, dans le cadre de la transition énergétique et climatique, pour investir dans les énergies décarbonées. L'électricité pourrait, en effet, représenter 55 % de notre consommation d'énergie finale en 2050.
L'enjeu est donc de favoriser l'émergence d'un marché de long terme et d'adosser la fourniture d'électricité aux consommateurs sur des contrats dont les prix sont établis à long terme. Il s'agit d'éviter que les prix de détail de l'électricité, comme c'est le cas aujourd'hui, soient déterminés par les marchés de gros de court terme, même si la Commission européenne ne propose pas un découplage des prix du gaz et de l'électricité. La réforme doit ainsi permettre d'exposer les factures des consommateurs aux coûts réels de production de l'électricité, en favorisant les investissements dans de nouvelles capacités de production à long terme, tout en conservant le principe de « merit order ».
La Commission n'a donc pas accédé à la demande de certains États membres de revenir sur le mécanisme actuel de tarification au coût marginal. Elle a ainsi considéré, comme l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, qu'il doit être préservé en tant que socle de l'intégration du système électrique européen, car il permet une allocation optimale des ressources en garantissant que les technologies les moins chères, qui sont aussi les plus propres, soient appelées en premier pour couvrir la demande et assurer ainsi le fonctionnement des interconnexions au moindre coût. Dès lors que cette logique est conservée, il ne faut pas attendre de la réforme un impact sur le marché de court terme et ne pas laisser croire qu'elle préviendra tout risque de répercussion d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité. D'ailleurs, la proposition de règlement prévoit, à ce titre, des mesures pour protéger les consommateurs en cas de crise.
Les objectifs défendus par la France sont, toutefois, largement repris par le texte proposé par la Commission européenne, en particulier concernant le renforcement des signaux de long terme. La France souhaite, en effet, encourager le développement d'outils de couverture des fournisseurs sur les marchés de long terme, ce qui n'a pas été possible dans le cadre réglementaire actuel, en particulier en raison du manque de mesures incitatives destinées à encourager les consommateurs et les fournisseurs à y souscrire. Il s'agit aussi de favoriser les investissements dans des installations de production d'électricité décarbonée qui ont aujourd'hui besoin d'un soutien public pour se développer.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Pour lutter contre la volatilité des prix de l'énergie mise en lumière par la crise, la réforme présentée par la Commission introduit donc des mesures visant à faciliter le déploiement de contrats de long terme stables, à stimuler la liquidité des marchés à terme et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies décarbonées. Sur le plan technologique, la proposition de la Commission européenne telle qu'elle est rédigée est neutre et garantit la souveraineté de chaque État membre dans la définition de son bouquet énergétique, ce dont nous nous félicitons. Nous devons, cependant, rester attentifs à ce que les contrats de long terme puissent effectivement s'appliquer à tous les investissements réalisés dans la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées, renouvelables et nucléaire. L'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, doivent pouvoir bénéficier de la compétitivité de l'électricité décarbonée produite en France.
Trois mécanismes doivent permettre de faire émerger un marché de long terme.
Des mesures sont ainsi introduites pour faciliter les accords d'achat d'électricité (PPA en anglais), qui sont des accords bilatéraux entre deux parties - un producteur et un consommateur -, sur des horizons très longs allant de cinq à vingt ans. Aujourd'hui, ces contrats se développent peu et concernent essentiellement les industries électro-intensives. La Commission souhaite étendre l'éligibilité de ces contrats aux petites et moyennes entreprises en levant un certain nombre de restrictions, afin de faciliter leur développement et de permettre à un plus grand nombre de consommateurs d'avoir accès aux contrats de long terme. Elle propose notamment de rendre obligatoire pour les États membres la mise en place de garanties publiques.
Dans ce cadre, nous préconisons que les PPA puissent être conclus pour la production d'électricité à partir de toutes les sources d'énergies décarbonées ainsi que de l'hydrogène décarboné, et qu'ils ne soient pas réservés aux seules énergies renouvelables.
Il nous semble aussi important que ces contrats puissent bénéficier à l'ensemble des entreprises, et que les avantages économiques qu'ils procurent ne soient pas destinés aux seules industries électro-intensives.
Tout en soutenant leur déploiement et leur utilité, il convient de souligner que ces outils ne suffiront pas, à eux seuls, à assurer une meilleure adéquation des prix de l'électricité avec les coûts réels de production, d'autant plus que la couverture par ce type de contrats ne pourra se réaliser que progressivement.
La Commission propose aussi d'étendre le champ d'application des contrats pour la différence (CfD) bidirectionnels : ces contrats sont aujourd'hui réservés à la production d'énergies renouvelables ; la réforme propose d'en faire bénéficier les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir d'énergies renouvelables et nucléaire. Cette mesure répond à une demande exprimée par la France. Les CfD assurent ainsi au producteur, sur une longue période, une rémunération garantie et, au consommateur, une stabilité des prix. Dans ce mécanisme, le producteur d'électricité doit reverser à l'État le surplus de recettes perçues si le prix de marché est supérieur à un revenu de référence fixé par le contrat, qui doit être ensuite redistribué aux consommateurs, et a contrario, ses revenus sont garantis en cas de baisse des prix sur le marché.
Les CfD pourront permettre d'apporter un soutien public au programme français de construction de nouvelles installations nucléaires ainsi qu'aux opérations de rénovation et de modernisation du parc nucléaire existant, ce dont nous nous félicitons. En ce sens, le texte n'est pas contraire aux options de notre pays en matière énergétique. Il est indispensable que les CfD puissent s'appliquer aux investissements réalisés dans les installations nucléaires existantes. Ce point mérite d'être bien précisé dans le texte pour écarter toute ambiguïté lors de la mise en oeuvre du règlement.
Par ailleurs, les revenus pouvant être générés par les CfD devront être intégralement reversés à tous les consommateurs afin de limiter l'impact du marché de court terme sur leurs factures. Cette disposition rejoint très largement les positions adoptées par le Sénat en faveur de la protection des consommateurs, non seulement les particuliers, mais aussi les entreprises et les collectivités.
Enfin, afin de stimuler les marchés à terme, contrats de plus courte durée - trois à cinq ans - indispensables aux fournisseurs d'énergie pour gérer leur portefeuille de manière optimale et sécurisée, la réforme introduit des « prix de référence ». Issus de « virtual hubs », ou plateformes virtuelles, ces prix de référence établis sur des zones plus larges que celles des États membres permettraient, selon la Commission, de régler le problème de manque de liquidité des marchés. Avant de décider de la création de ces plateformes, il nous apparaît souhaitable de procéder à une évaluation pour en mesurer les bénéfices et les risques. Il serait sans doute plus opportun d'étendre sur une période plus longue les droits aux interconnexions afin de faciliter les couvertures des acteurs de marché sur le long terme.
Le deuxième pilier de mesures proposées vise aussi à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système énergétique. Pour répondre aux besoins en flexibilité du système électrique, un équilibre est à trouver entre des moyens de production d'énergie de « base », fournissant un niveau d'électricité linéaire, et des moyens dits « de pointe », pouvant réagir en quelques minutes pour permettre d'ajuster la production d'électricité d'un pays à sa consommation. Aujourd'hui, ces moyens de pointe sont dominés par le gaz, technologie la plus flexible connue. L'objectif de la Commission est d'encourager d'autres flexibilités, telles que le stockage et l'effacement de consommation ou la demande flexible, pour répondre aux besoins de pointe sans avoir recours aux énergies fossiles. Ces mécanismes de capacité méritent d'être pris en considération dans un contexte de rareté de l'énergie, mais doivent, à notre avis, rester optionnels. L'évaluation des besoins en flexibilité doit être réalisée au niveau des États membres, et selon des modalités qu'il leur revient de définir.
La réforme proposée introduit également la possibilité pour les États membres d'encourager le développement des filières non fossiles à travers des mécanismes de soutien. Par ailleurs, en complément des investissements de réseau, une incitation financière est également proposée pour inciter les gestionnaires de transport et de distribution à se tourner vers des solutions de flexibilité, plutôt que de construire de nouvelles lignes.
S'agissant du troisième pilier, qui concerne la protection des consommateurs, la Commission européenne propose plusieurs séries de mesures pour leur permettre de faire face à la volatilité des prix de l'énergie sur les marchés de gros de court terme.
Tout d'abord, en cas de crise des prix de l'électricité au niveau régional ou à l'échelle de l'Union, le texte prévoit, sous certaines conditions, d'étendre les prix de détail réglementés aux ménages et aux PME, ce qui n'est aujourd'hui possible que pour les consommateurs vulnérables et les microentreprises. C'est à la Commission européenne qu'il reviendrait de décider de qualifier la situation de crise, en se fondant sur des critères de niveau de hausse des prix et de temporalité très restrictifs. Pour nous, cette décision doit être du ressort des États membres et reposer sur des critères plus souples pour permettre l'activation des mécanismes de soutien de façon optimale.
Par ailleurs, la réglementation européenne devrait selon nous permettre, au-delà des crises, de pérenniser et d'assouplir les interventions publiques ciblées dans la fixation des prix, pour l'ensemble des consommateurs, ce qui n'est pas prévu par la proposition de règlement.
Parmi les autres mesures proposées par la Commission, le droit au cumul de contrats auprès de fournisseurs d'énergie différents autorisera les consommateurs à souscrire à un contrat à prix fixe en complément de contrats dynamiques. Ce droit devrait donner aux consommateurs les moyens de se couvrir face aux risques que présentent ces derniers contrats, et leur éviter ainsi une exposition au prix de marché. Pour renforcer cet objectif, nous préconisons de rendre optionnelle la souscription à des contrats à tarification dynamique proposés par les fournisseurs d'électricité. Il nous apparaît nécessaire que le cadre réglementaire assure la meilleure protection possible aux consommateurs lorsqu'ils souscrivent des contrats de fourniture d'électricité.
La Commission propose aussi de protéger les clients vulnérables contre des coupures d'électricité en cas de défaut de paiement. Tout en estimant que le champ d'application de cette mesure doit demeurer une prérogative des États membres, nous préconisons, dans ces cas-là, de privilégier les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.
La Commission européenne a également repris dans son texte une demande forte portée par la France, concernant l'obligation des fournisseurs à se couvrir pour réduire le risque de défaillance, afin d'éviter la faillite de fournisseurs d'énergie qui s'était produite durant la crise. En effet, faute de couverture préalable par des contrats de long terme, les fournisseurs n'avaient pas acheté d'électricité suffisamment en avance et n'ont par conséquent pas pu honorer leurs contrats. Ils seront désormais obligés de souscrire à des contrats de long terme et de prévoir un fournisseur de dernier ressort pour prévenir ce risque.
M. Claude Kern, rapporteur. - Par ailleurs, la Commission européenne prévoit une révision du règlement Remit sur la transparence et l'intégrité du marché de gros de l'énergie afin de l'adapter aux évolutions des instruments financiers que sont les produits énergétiques de gros, d'en améliorer la transparence et de renforcer le rôle de l'Acer pour enquêter sur les abus de marché de nature transfrontalière. L'Agence disposerait ainsi de pouvoirs de coordination et d'enquête élargis, qui lui conféreraient un rôle central dans la régulation de ces marchés, au détriment des régulateurs nationaux. Or, à notre sens, l'Acer doit demeurer une agence de coordination et les autorités de régulation nationales doivent préserver leurs moyens d'action et conserver leur indépendance en matière de surveillance des marchés de gros de l'énergie.
Enfin, la Commission invite les États membres à déployer les outils de stockage de l'énergie existants et à adapter leur réglementation afin de renforcer la flexibilité du système énergétique pour l'adapter aux enjeux de la transition énergétique et climatique. Sur cette question, nous appelons à considérer l'ensemble de la chaîne de valeur des projets de stockage de l'énergie sous toutes ses formes et à intégrer au système énergétique toutes les sources d'énergies décarbonées.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - En conclusion, nous estimons que les mesures proposées par la Commission européenne assurent un équilibre entre les différentes positions des États membres pour permettre une adoption rapide de la réforme, d'ici à la fin de cette année. Après une orientation générale sur ce texte qui est prévue au Conseil du 19 juin et un vote au Parlement européen en juillet, les trilogues pourraient, en effet, débuter à la fin de cet été. Ce calendrier est d'autant plus important que les effets de la réforme ne seront pas nécessairement perceptibles à très court terme.
Cette réforme constitue, à notre avis qui est très largement partagé par les acteurs du marché, une étape importante dans le développement d'un marché de long terme, nécessaire pour stimuler les investissements dans des actifs de production décarbonée, mais elle doit aussi contribuer à garantir une stabilité et une prévisibilité des prix pour les consommateurs, tout en les faisant bénéficier de la compétitivité de notre parc de production. Ses effets économiques et sociaux devront, à notre sens, être nécessairement évalués.
Telles sont les observations que nous souhaitions faire sur ces propositions de règlement et recommandations visant à réformer le marché européen de l'électricité. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne et l'avis politique que nous vous soumettons.
M. Jean-François Rapin, président. - Avant d'engager le débat, je propose à Pierre Laurent de présenter les propositions de modification qu'il a annoncées à titre personnel.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - À l'alinéa 27 qui évoque les origines de la crise des prix de l'énergie, je souhaite faire référence à « l'indisponibilité partielle du parc nucléaire en France ».
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cette précision a une dimension strictement nationale ; il ne me semble donc pas pertinent de l'ajouter dans cette proposition de résolution européenne.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je retire cette proposition de rédaction.
À l'alinéa 34, qui concerne la nécessité de préserver et de renforcer la compétitivité industrielle de l'Union, je propose d'ajouter que nous devons aussi garantir « l'accessibilité » des prix.
À l'alinéa 37, le texte prévoit d'« accueillir favorablement » la proposition de la Commission européenne. C'est un point très important pour moi : cette rédaction me semble prématurée et je propose de lui substituer que le Sénat « note à ce stade » la proposition de la Commission.
À l'alinéa 40, qui fixe trois objectifs à la réforme de l'organisation du marché européen de l'électricité, je propose d'en ajouter un quatrième : « garantir à tous le droit à l'électricité, produit de première nécessité, et l'égalité de traitement dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique ».
À l'alinéa 42, après « Estime essentiel de faire bénéficier l'ensemble des consommateurs, ménages, entreprises et collectivités, de la compétitivité de l'électricité nucléaire décarbonée produite en France », je propose d'ajouter une référence à l'énergie hydraulique qui est aussi une énergie décarbonée. J'ai une proposition de même nature à l'alinéa 83 concernant les CfD.
À l'alinéa 43, qui demande que les factures d'électricité des consommateurs soient « moins » dépendantes des prix de marché de court terme, je propose d'enlever ce « moins » : les factures ne devraient pas être dépendantes des prix de marché de court terme.
À l'alinéa 52, qui souhaite que soit procédé, avant de décider de leur création, à une évaluation de la faisabilité technique des plateformes virtuelles, je crois que, au-delà de la faisabilité, nous devons aussi évaluer la pertinence et les coûts induits de ces plateformes.
À l'alinéa 57, je souhaite écrire que le développement de contrats de long terme basés sur les coûts de production doit permettre de garantir la protection des consommateurs contre la volatilité des prix et concourir à la compétitivité de l'industrie européenne.
À l'alinéa 59, dans le même esprit que ma proposition à l'alinéa 37, je préfère « noter » l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme plutôt que la « soutenir ».
À l'alinéa 69, si je soutiens l'idée que l'organisation des PPA relève de la responsabilité des États membres, je ne souhaite pas « élargir » la liste de leurs bénéficiaires, mais la « contrôler ». Les PPA ne doivent pas servir à capter une partie du marché.
À l'alinéa 72, je souhaite indiquer que l'ensemble des recettes tirées des PPA par les producteurs doit être redistribué au profit des consommateurs, et pas seulement une partie de ces recettes.
Les propositions suivantes concernent la protection des consommateurs.
À l'alinéa 91, je crois que nous devons écrire qu'il est nécessaire « d'autoriser le maintien de tarifs réglementés pour tous les consommateurs si l'État le juge nécessaire ».
À l'alinéa 94, je souhaite que nous préconisions de pérenniser les tarifs réglementés.
Enfin, à l'alinéa 97, qui invite à envisager une extension des mesures de protection des consommateurs aux contrats de fourniture de gaz, je propose d'ajouter que cela passe par la mise en place d'un tarif de référence.
M. Jean-François Rapin, président. - Je propose aux deux autres rapporteurs de donner leur avis sur ces rédactions avant d'engager un débat plus général. Il me semble que ces propositions sont, pour certaines, redondantes quand d'autres modifient substantiellement la proposition de résolution qui nous est soumise.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je voudrais, tout d'abord, saluer l'implication de Pierre Laurent dans ce travail que nous avons mené ensemble.
Nous avons cependant des divergences de fond sur le principe même d'un marché de l'électricité et sur son fonctionnement. Ces divergences expliquent que, contrairement aux précédents travaux que nous avons conduits ensemble, il semble difficile aujourd'hui de parvenir à une position commune sur les propositions qui sont faites par la Commission européenne pour réformer le marché européen de l'électricité.
Dès lors, c'est une réponse d'ensemble que je ferai sur ces propositions de rédaction. Plusieurs de ces propositions reposent sur une appréciation différente de la réforme présentée par la Commission européenne par rapport au texte que Claude Kern et moi-même vous soumettons, notamment sur le soutien que nous apportons au développement d'un marché de long terme : nous estimons, même si nous émettons quelques réserves, qu'un tel marché peut permettre de faciliter les investissements dans les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaire, et de garantir aux consommateurs une meilleure stabilité des prix. D'ailleurs, nous proposons d'aller au-delà du champ des acteurs électro-intensifs pour encourager la signature de contrats de long terme par les particuliers et les PME dès lors qu'ils sont organisés.
Sur l'appréciation générale de la réforme proposée par la Commission européenne, nous ne partageons pas l'esprit de ces amendements et nous souhaitons maintenir « Accueille favorablement la proposition » et « Soutient l'ambition de la Commission européenne de faire émerger un marché de long terme ».
Certes, la Commission européenne ne propose pas une réforme structurelle du marché, mais nous considérons que les réponses qu'elle apporte doivent être soutenues. J'ajoute qu'aucune des personnes que nous avons auditionnées ne s'est prononcée contre la proposition de la Commission européenne de créer un marché à long terme.
Je crois que nous avons trouvé un équilibre et que nous devons nous y tenir. Certes, à l'alinéa 37, nous « accueillons favorablement la proposition de la Commission », mais à l'alinéa 38, nous « déplorons que les dispositions prévues ne permettent pas de prévenir tout risque de répercussion à court terme d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité ». Des contrats à long terme - il en existe déjà qui peuvent aller jusqu'à vingt ans - permettent d'assurer une visibilité pour les acteurs et de financer les investissements qui sont nécessaires.
Nous estimons également que l'enjeu industriel est essentiel pour assurer la compétitivité et la souveraineté économiques européennes. Nous avons aussi prévu de protéger les collectivités territoriales.
C'est pourquoi, même si plusieurs amendements ne remettent pas en cause les observations et recommandations formulées par la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons, je vous propose, mes chers collègues, de ne pas la modifier et de conserver l'équilibre du texte.
M. Claude Kern, rapporteur. - Je vais dans le sens de Daniel Gremillet : le projet que nous vous avons présenté me semble équilibré et je vous propose de l'adopter tel quel.
M. Cyril Pellevat. - Plusieurs pays européens, dont la France, appelaient à une réforme en profondeur du marché, en particulier à un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Nous n'avons malheureusement pas obtenu gain de cause sur ce point, la Commission européenne n'ayant pas retenu cette solution, notamment en raison de l'opposition de plusieurs États membres. C'est assez décevant, mais les propositions de la Commission ont malgré tout le mérite d'apporter des solutions, qui, sans être révolutionnaires, sont tout de même des avancées. Je pense en particulier aux contrats PPA et CfD, dont pourra bénéficier le nucléaire, ce qui est une bonne nouvelle pour notre filière.
Une adoption rapide de cette réforme avant l'hiver 2023 est une nécessité absolue, si nous souhaitons éviter de connaître une crise similaire à celle de l'année passée. De même, en vue de l'arrêt de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) au 31 décembre 2025, autrement dit demain, il est nécessaire de modifier les règles relatives au marché de l'électricité le plus rapidement possible pour donner de la visibilité aux acteurs économiques. De nombreux investissements dépendent en effet de ces règles, RTE estimant par exemple qu'il faudra entre 59 et 80 milliards d'euros d'investissements en France chaque année jusqu'en 2060 pour faire face à la demande croissante d'électricité.
Or on constate actuellement un blocage du texte par certains pays européens, dont l'Allemagne, qui ne semblent pas être en faveur d'une adoption rapide. Un tel calendrier ne permettra pas une entrée en vigueur avant l'arrêt de l'Arenh, puisque, comme cela est souligné dans la PPRE, des mesures de transposition et d'adaptation par les États membres seront requises.
Je souhaiterais donc savoir si vous avez connaissance des raisons conduisant l'Allemagne à retarder l'adoption du texte et de la manière dont la France compte négocier en vue de son adoption la plus rapide possible.
M. Jacques Fernique. - Je voudrais d'abord dire que nous aurions aimé avoir plus de temps pour préparer l'examen de ce texte particulièrement dense et complexe.
L'avis du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) est partagé.
Nous sommes plutôt d'accord sur le volet consacré au financement des investissements nécessaires à la transition énergétique, ce qui est appelé PPA et CfD dans le texte : nous devons soutenir les actifs bas carbone et des contrats de long terme devraient permettre d'augmenter la visibilité en termes de revenus pour les producteurs et - espérons-le - de stabiliser les prix pour les consommateurs. Il faut inciter les banques, et le monde financier en général, à investir dans des actifs bas carbone et des dispositifs adaptés permettraient de stimuler le secteur.
Nous sommes, en revanche, opposés à la volonté, majoritaire ici, de traiter sur le même plan le nucléaire et les énergies renouvelables.
Nous avons aussi eu un débat sur la subsidiarité en ce qui concerne l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (Acer), et nous sommes en désaccord. Il faut une entité centrale européenne publique pour veiller à la bonne articulation du marché de l'énergie à l'échelle du continent. Si chaque autorité nationale agit de son côté, cela ne fonctionne pas bien. Or l'Acer ne dispose pas des moyens ni des pouvoirs adéquats, et les poursuites pour manipulation des prix sur le marché de gros sont donc rares...
M. Didier Marie. -Je regrette également le court délai que nous avons eu pour examiner ce texte, qui compte pas moins de 121 considérants... Je m'en tiendrai donc à un avis global. La crise du prix de l'énergie ne tient pas seulement à la guerre en Ukraine : elle révèle un dysfonctionnement structurel du marché et les limites de nos infrastructures. C'est donc tout le système qui doit être repensé.
Or la proposition de la Commission n'est qu'une adaptation du système actuel de tarification marginale et ne prévoit pas de découplage du prix du gaz et de celui de l'électricité. Cela signifie que nous aurons des améliorations, bien sûr, mais rien ne nous garantit qu'elles permettront de résister à une nouvelle crise. De plus, nous ne savons pas si ces améliorations prendront suffisamment en compte nos besoins pour relever le défi climatique.
Certains points positifs ont été soulignés, tels que le recours aux contrats de long terme pour tenter de stabiliser le marché, ainsi qu'un rôle plus important de la puissance publique. Cependant, j'aurais personnellement souhaité un rôle encore plus fort de la puissance publique afin de mieux coordonner l'ensemble du système, et pas seulement certains aspects en laissant le marché régler le reste.
Il y a également des points positifs en ce qui concerne la transparence, mais il y a des lacunes sur la protection des consommateurs. Bien qu'il y ait une volonté affichée de mieux prendre en compte leur situation et de mieux les protéger, la mise en place de contrats de tarification dynamique peut poser de réelles difficultés pour eux. Il leur sera difficile de s'y retrouver dans la multitude d'offres proposées par les fournisseurs. J'aurais souhaité que des contrats de fourniture à prix fixe soient disponibles, avec interdiction pour les fournisseurs de modifier les conditions ou de les résilier, ainsi que des systèmes visant à lutter contre la précarité énergétique, notamment en utilisant une partie des profits générés grâce aux contrats pour différence.
Il est clair qu'il y a d'importantes améliorations à apporter au texte de la Commission. Les négociations sont en cours et nous ne savons pas à quel niveau ni à quel moment nous aboutirons. À l'heure actuelle, nous nous abstiendrons de prendre position sur la proposition de résolution. Il y a des éléments qui nous conviennent et d'autres qui ne nous conviennent pas. Personnellement, je dois dire qu'il y a plus d'éléments qui ne me conviennent pas que l'inverse. Cependant, puisque le texte va poursuivre son parcours en commission des affaires économiques, nous devons laisser la possibilité à nos collègues de cette commission de prendre le temps d'examiner en détail le texte, d'évaluer les différents alinéas et de proposer un certain nombre d'amendements.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avons évoqué en bureau la question des délais. Nous avions trois rapporteurs, sur un sujet important, et ceux-ci ont procédé à beaucoup d'auditions.
M. André Reichardt. - Je suis très partagé sur cette proposition de résolution. Il s'agit d'un domaine très sensible. J'avais compris que notre Gouvernement souhaitait s'engager résolument et effectivement dans un découplage des prix du gaz et de l'électricité. Or, la proposition de la Commission acte autre chose. Cela me chagrine beaucoup. Si nous adoptions cette proposition de résolution européenne, qui « accueille favorablement » la position de la Commission, nous reviendrions sur ce qui me paraissait fondamental, c'est-à-dire la position de la France, qui devait être portée au plus haut niveau et de manière très forte.
J'ai pris connaissance des propositions d'amendement de Pierre Laurent et je m'étonne que celui-ci n'aille pas encore plus loin. Je rends hommage à sa volonté d'essayer de trouver un accord, car, pour ma part, je préférerais « note, à ce stade » à « accueille favorablement »... Si nous avions pu prendre connaissance de ces amendements plus tôt, notre travail en commission s'en trouverait amélioré, Monsieur le Président.
En tous cas, à ce stade, je répète que je suis réservé, essentiellement parce que nous cautionnons un recul sur l'engagement gouvernemental de forcer la Commission à aller vers un découplage. Puisque ce document sera examiné, je l'espère avec plus de temps, par la commission des affaires économiques, je préfère m'abstenir pour le moment.
M. Jean-François Rapin, président. - La commission des affaires économiques examinera ce texte la semaine prochaine. Nous avons aussi évoqué en réunion de bureau la charge de travail de notre commission, très lourde actuellement.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Merci pour vos commentaires et vos prises de position. Je dois vous dire que pour nous aussi, il n'était pas simple de mener ce travail dans le contexte actuel. Je pense que vous en êtes conscients.
Sur le découplage, je comprends votre position, qui était également celle des trois rapporteurs. La France est seule à demander ce découplage au sein de l'Union européenne. Il y a une situation à court terme et une situation à long terme. Nous savons tous qu'aujourd'hui, la France est piégée par la situation à court terme, car elle n'a pas suffisamment investi dans les capacités de production d'énergie électrique. Nous sommes en train de décarboner progressivement au profit de l'énergie électrique, tout en progressant également dans la rénovation énergétique.
Nous avons besoin de puissance, comme l'a souligné hier le ministre Bruno Le Maire lors de son audition. Il est évident que nous faisons face à un défi important en termes de capacité de fourniture d'énergie électrique à court terme en France, et la seule solution pour y faire face est l'interconnexion européenne, qui est absolument nécessaire pour notre pays. Même si notre proposition met en avant une situation plus favorable, avec les capacités offertes par les énergies renouvelables, celles-ci ne garantissent pas une fourniture constante à tout moment. Nous pouvons proposer diverses mesures, notamment d'effacement, mais il existe un risque de black-out et, pour le réduire, notre pays a besoin de l'aide des autres pays, via l'interconnexion. Toutes les organisations que nous avons auditionnées ont confirmé cela. Même la France a dû recourir à l'interconnexion en remettant en route la centrale de Saint-Avold. Il n'existe pas une seule capacité de fourniture immédiate qui puisse éviter le black-out, à part le gaz.
L'Allemagne est en position de force et continue de construire de nouvelles centrales au gaz. Même elle, pourtant, se trouve parfois dans une situation de fragilité en termes de production énergétique, car les énergies renouvelables ne sont pas suffisantes, le nucléaire n'est pas au rendez-vous et l'hydroélectricité ne peut pas fournir des volumes suffisants. Dans ce contexte, ce sont les centrales au gaz qui assurent le fonctionnement efficient des interconnexions et qui, par conséquent, nous permettent d'éviter le black-out. Le principe de tarification marginale permet ainsi de garantir la sécurité d'approvisionnement en Europe. Je comprends vos préoccupations, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, étant donné que nous sommes complètement isolés et que nous ne pouvons pas, à ce stade, revendiquer que la France conserve la souveraineté énergétique électrique qu'elle a perdue.
M. Claude Kern, rapporteur. - Nous avons bien compris lors de ces auditions que l'année 2022 aurait été catastrophique si nous n'avions pas eu accès à l'interconnexion. Nous aurions passé un hiver vraiment difficile en France. Vous avez notamment parlé du dysfonctionnement structurel, et il est vrai qu'il ne s'agit pas seulement de la crise, mais aussi du fait que, à un moment donné, nous avons dû reporter les maintenances durant la période de la covid. Aujourd'hui, nous regrettons cette décision, car nous aurions sans doute pu les effectuer malgré tout, mais nous ne pouvons pas revenir en arrière. Le résultat est que beaucoup d'unités ne fonctionnent pas correctement - d'où la nécessité de l'interconnexion, dont nous aurons encore besoin dans les années à venir. Nous n'avons pas la capacité de fournir suffisamment d'électricité, surtout pendant la période hivernale.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous avions organisé une table ronde en octobre 2022 avec des membres de la Commission européenne, qui nous expliquaient qu'il y avait un vrai risque de black-out si l'hiver était très froid. Nous en étions tous ressortis très démoralisés...
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Vous avez tous en mémoire les alertes de l'analyse perspective de RTE, qui nous dit que les hivers 2023 et 2024, voire 2025, sont sujets à de grandes incertitudes. Et ce n'est pas en claquant des doigts que nous allons produire davantage d'énergies renouvelables. Le secteur des renouvelables a été critiqué, mais il a généré d'importantes recettes en 2022 en raison de la flambée des prix sur le marché. Nous soutenons donc la redistribution de ces revenus.
J'insiste sur ce point parce que nous savons que les énergies renouvelables, tant que nous n'aurons pas réalisé des progrès plus importants, même à moyen terme, présentent des limites. Hier, lors d'une table ronde sur les énergies et la mobilité, nous avons compris que les batteries offriront demain de réelles capacités de stockage, mais qu'aujourd'hui elles ne sont pas encore suffisamment performantes. Nous faisons donc une distinction entre notre responsabilité à court terme, qui nous expose effectivement à des risques, et le plus long terme, lorsque nous aurons nos premiers nouveaux réacteurs en production, lorsque nous disposerons d'un parc éolien offshore ou terrestre plus important, d'une production solaire accrue, et d'une énergie hydraulique plus conséquente.
M. Pierre Laurent, rapporteur. - Nous avons un débat de fond sur l'organisation du marché, avec des points de vue différents entre les trois rapporteurs. Je pense que ces divergences de points de vue continueront à s'exprimer au sein de la commission des affaires économiques.
Je tiens à réaffirmer que le sujet pour nous n'est pas de sortir complètement des interconnexions, qui semblent nécessaires, mais plutôt de nous demander si nous devons continuer d'accepter les règles du marché actuel. Nous avons effectivement une différence sur ce point.
Dans cette optique, j'ai essayé de faire des propositions prudentes, qui respectent le sens même de la proposition de résolution, tout en reconnaissant ses limites sur le fond. Celle-ci comprend toute une série de recommandations visant à améliorer les outils proposés et, éventuellement, à élargir leur champ d'application, notamment en ce qui concerne les contrats de long terme. De plus, elle met l'accent sur l'importance de conserver une certaine marge de manoeuvre pour les États membres dans la mise en oeuvre du règlement. Ce point est très important, et explique d'ailleurs notre désaccord sur le rôle de l'Acer.
Les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau règlement dans les États membres feront l'objet de nombreux débats. La question du devenir de ce texte à l'issue de son adoption est importante pour de nombreux sujets, à commencer par la protection des consommateurs. Qui décide, en effet, que les consommateurs font face à une situation de crise ? En l'état, le projet de règlement dispose que la Commission européenne définit les situations de crise, selon des critères très restrictifs. Nous recommandons que les États membres aient la main sur ce point.
J'ai proposé d'écrire dans la proposition de résolution que le Sénat « note », plutôt que « accueille favorablement » la proposition de la Commission européenne de réformer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union, car la prudence est de mise. Le compromis européen ayant abouti à ce projet de règlement est en effet instable. Il reste de longs mois de négociation, avant l'accord final prévu à la fin de l'année. Nous devons nous donner la possibilité de faire valoir fermement certaines de nos positions, pour ne pas risquer de nous retrouver face à un projet de règlement qui n'irait pas dans le sens de la France. C'est l'objet de mes propositions de modifications.
De nombreuses questions restent par ailleurs en suspens, notamment concernant le système qui remplacera l'Arenh, ou encore le périmètre d'intervention d'EDF. Il faudra maintenir un haut niveau de vigilance sur ces points.
Les modifications de rédaction proposées par M. Pierre Laurent ne sont pas adoptées.
M. Didier Marie. - L'approche globale qui sous-tend la proposition de résolution nous conduit à nous abstenir sur l'ensemble.
La commission autorise la publication du rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
M. Jean-François Rapin, président. - La proposition de résolution européenne sera examinée par la commission des affaires économiques le 7 juin.
Politique de voisinage - Déplacement en Moldavie d'une délégation de la commission des affaires européennes du 24 au 27 avril 2023 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Les projecteurs de l'actualité sont braqués sur la Moldavie, du fait de la réunion, aujourd'hui même, du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) au château Mimi, à Bulboaca, à 40 kilomètres de Chisinau. C'est un jour idéal pour entendre le compte rendu du récent déplacement en Moldavie d'une délégation de notre commission, du 24 au 27 avril dernier, alors que les préparatifs de cet événement allaient bon train. J'avais en effet souhaité que notre commission manifeste dès que possible sa solidarité envers la Moldavie, désormais candidate à l'entrée dans l'Union européenne, mais qui vit sous la menace de la Russie dont elle n'est séparée que par l'Ukraine et qui s'emploie à la déstabiliser de l'intérieur.
Je remercie donc André Reichardt d'avoir mené, au nom de notre commission, cette délégation, composée aussi de Marta de Cidrac et Gisèle Jourda, chargée de faire le point sur la situation de la Moldavie, souvent méconnue et désormais candidate à l'intégration dans l'Union européenne.
Nous avions certes évoqué ce pays lors de nos débats à l'occasion des récentes réunions du Conseil européen, et, auparavant en commission, lors du bilan du Partenariat oriental que nous avaient présenté André Reichardt et Gisèle Jourda l'an dernier, ainsi que lors d'un bref compte rendu de la mission d'observation électorale effectuée par Jean-Yves Leconte. Nous sommes néanmoins curieux d'en savoir plus. La Moldavie a par ailleurs été mise en lumière pendant la récente réunion à Stockholm de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), et nos délégations à la COSAC ont en outre pu échanger lors d'une réunion bilatérale.
M. André Reichardt. - Des liens anciens, historiques, culturels et humains, se sont noués entre la France et la Moldavie au cours des siècles, particulièrement depuis qu'elle fut l'une des premières républiques soviétiques à proclamer son indépendance, dès 1991. Les liens officiels et visites de haut niveau se sont renforcés depuis l'élection de Maia Sandu à la présidence de la République de Moldavie en novembre 2020 - d'autant que cette dernière est parfaitement francophone. Nous avons rencontré d'ailleurs plusieurs personnalités parlant le français.
Maia Sandu a été reçue par le président du Sénat dès le 4 février 2021, puis à nouveau le 19 mai 2022. En outre, M. Nicu Popescu, vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères et de l'intégration européenne, avait été reçu par le président de la commission des affaires étrangères ainsi que par notre collègue, vice-président de notre commission, Cyril Pellevat, en juin dernier, peu avant la décision du Conseil européen d'accorder à la Moldavie, dans le même mouvement qu'à l'Ukraine, le statut de candidat.
Cette décision a changé la donne et il importait à notre commission d'aller y voir de plus près. C'est ce que nous avons fait avec mes collègues Gisèle Jourda, co-rapporteure sur le Partenariat oriental, et Marta de Cidrac, co-rapporteure sur l'élargissement. Didier Marie n'a pu nous accompagner. Il a toutefois participé il y a deux semaines à une rencontre, ici même, avec la présidente du groupe d'amitié Moldavie-France du parlement moldave, reçue par le groupe d'amitié France-Moldavie du Sénat, que préside notre collègue Véronique Guillotin, membre de notre commission. Une délégation de ce groupe d'amitié s'était d'ailleurs rendue en Moldavie en mai dernier. Cette vitalité des échanges témoigne de la densité des liens entre nos deux pays, à laquelle la diplomatie parlementaire participe pleinement.
Ne nous y trompons pas : c'est un geste politique très fort qui a été adressé à la Moldavie par le Conseil européen en juin dernier, en même temps qu'à l'Ukraine. Comment se préparer à ce défi considérable que constitue l'entrée dans l'Union européenne ? Avant d'apporter des éléments de réponse, je voudrais revenir sur l'autre défi plus immédiat que constitue l'accueil de 47 chefs d'État et de gouvernement pour le sommet de la CPE qui a lieu ce jour. C'est d'abord, à l'évidence, un défi logistique de taille, qui occupait principalement les esprits lors de notre visite : depuis l'organisation d'un véritable pont aérien dans le petit aéroport de Chisinau jusqu'aux efforts nécessaires pour assurer la sécurité d'un tel rassemblement, à 30 kilomètres seulement de la frontière d'un territoire où stationne l'armée russe, la Transnistrie. Lorsque nous y étions, les sherpas et conseillers de la présidente Sandu s'évertuaient à démontrer aux « précurseurs » et diplomates des différents pays concernés que ce défi serait relevé avec succès, avec l'aide et le soutien très actifs de la Roumanie et de l'Ukraine notamment, mais aussi de la France, qui a beaucoup soutenu la Moldavie comme pays hôte de cette importante réunion. Il s'agissait même plus que d'un simple soutien, le président Macron lui-même ayant suggéré que cette réunion se tienne en Moldavie.
Sur le fond, quel est l'enjeu principal de cette réunion ?
Il s'agit bien sûr de montrer un soutien symbolique de 47 États de la grande Europe à une République moldave dont les vulnérabilités se sont considérablement accrues du fait de la guerre en Ukraine : 47 États placés sur un pied d'égalité, qu'ils soient membres de l'Union européenne ou non. C'est important pour un petit pays, d'une population de 2,6 millions de personnes, dont un demi-million environ vivant en Transnistrie.
La France a été le premier pays, après l'Ukraine, que la présidente Sandu a visité après son élection. La France a fondé avec l'Allemagne et la Roumanie une plateforme de soutien tripartite à la Moldavie dès le début de la guerre en Ukraine, afin de soutenir le pays et d'éviter qu'il ne devienne, en dépit de sa neutralité inscrite dans sa Constitution, une victime collatérale de la guerre.
Ainsi, la France co-préside cette plateforme, créée au printemps 2022 pour aider le pays à faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine : migrations, énergie, finances, etc. Les conférences de Berlin, en avril 2022, et de Bucarest, en juillet 2022, ont permis le déblocage de centaines de millions d'euros d'aide à la Moldavie. La troisième conférence ministérielle de la Plateforme de soutien à la Moldavie s'est tenue à Paris le 21 novembre 2022 : 35 États et 15 organisations internationales y ont participé. Une nouvelle enveloppe de 100 millions d'euros a été débloquée en faveur de la Moldavie, dont 10 millions d'euros déployés fin 2022 sous la forme de subventions au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), au Programme alimentaire mondial (PAM) et à l'Unicef. Cette enveloppe devrait être doublée cette année, ce doublement devant faire partie des annonces de ce jour.
Cela devrait aider le pays à faire face aux conséquences de la grave crise énergétique qu'il a connue en raison de la guerre en Ukraine, du fait de sa dépendance à l'approvisionnement en gaz russe. En effet, Gazprom a réduit de 60 % ses livraisons de gaz à la Moldavie et les frappes russes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes ont directement affecté la distribution de gaz par le réseau moldave. La Moldavie a alors dû diversifier en urgence, et à des prix très élevés, ses sources d'approvisionnement en gaz et en électricité, notamment via l'Union européenne. Le raccordement avec le gestionnaire de réseau européen a eu lieu dès le 16 mars 2022, en même temps que pour l'Ukraine. Un accord temporaire a également été trouvé avec les autorités de facto de Transnistrie pour que les volumes de gaz encore livrés par Gazprom soient intégralement transférés à la centrale de Kuchurgan, en Transnistrie, pour produire de l'électricité bon marché.
La Transnistrie est une république autonome autoproclamée. Il existe donc des frontières entre la Transnistrie et le reste de la Moldavie, même si elles sont perméables. Il faut garder cela à l'esprit. En outre, la population moldave est composée entre 40 % et 60 % de personnes qui ont déjà la nationalité roumaine, et sont donc déjà membres de l'Union européenne. Sachant que la Transnistrie et la Gagaouzie représentent chacune 20 % de la population moldave, la question de l'adhésion à l'Union européenne se pose d'une autre façon.
Le sommet de la CPE devrait permettre de faire aboutir des projets concrets, dont certains sont particulièrement importants pour nos interlocuteurs moldaves.
L'intégration de la Moldavie à l'espace d'itinérance européen était une demande formulée en juin dernier par le ministre moldave des affaires étrangères lors de sa venue au Sénat. Je sais, monsieur le président, que vous en aviez saisi par courrier le commissaire européen Thierry Breton. Depuis, les négociations ont bien avancé au sein des instances européennes, notamment à l'initiative de la France, dans le cadre de la CPE, avec la direction générale des réseaux de communication, du contenu et des technologies (DG Connect) et la direction générale du commerce (DG Trade). Il semble d'ailleurs que l'accord sur l'itinérance téléphonique ait été annoncé dès hier soir par les opérateurs.
Il est vrai que l'intégration de la Moldavie à l'espace d'itinérance ne nécessite pas une modification de l'accord d'association de 2014, mais seulement d'une annexe de celui-ci, l'annexe XV relative aux télécommunications. Ainsi la Moldavie pourrait transposer, au titre de l'acquis communautaire, le règlement dit « Roam Like At Home » (RLAH). Toutefois, la Moldavie est encore peu avancée dans la reprise de l'acquis communautaire du fait des carences administratives dont elle souffre encore, notamment sur le plan des capacités et des compétences. Nous avons noté néanmoins au cours de nos entretiens menés sur place - avec le vice-Premier ministre, mais aussi ses hauts fonctionnaires - une forte volonté d'aboutir et une mobilisation sans faille.
Cette réduction des frais d'itinérance, si elle se confirme, constituerait un geste concret d'intégration européenne très apprécié par la population moldave, ne serait-ce que pour des questions de coût.
En matière d'énergie, l'effort prioritaire porte sur les interconnexions. Un projet d'interconnexion avec la Roumanie a été conçu, par la construction d'une nouvelle ligne à très haute tension entre les deux pays, qui pourrait être cofinancée à 50 % par l'Union européenne. Le calendrier de certification renvoie son aboutissement à la présidence espagnole, au second semestre de cette année.
Un accord pourrait aussi être conclu lors du sommet de ce jour de la CPE sur l'inclusion de la Moldavie dans la plateforme européenne commune d'achat de gaz.
D'une manière générale, un effort financier accru sera requis pour intégrer la Moldavie au marché intérieur européen de l'énergie. C'est pourquoi la Plateforme de soutien à la Moldavie coprésidée par la France, la Roumanie et l'Allemagne, doit aussi mobiliser les institutions financières internationales.
Un projet important pour le pays est celui du câble électrique traversant la mer Noire pour relier l'Azerbaïdjan à la Hongrie. Il réclame toutefois un fort investissement, notamment de la Banque mondiale, et sa faisabilité semble encore à l'étude.
De grands investissements internationaux restent nécessaires et attendus. Il est possible de les mobiliser dans le cadre du Partenariat oriental.
Mme Gisèle Jourda. - Fidèle à mon intérêt pour le Partenariat oriental, je me rends régulièrement dans ces pays pour constater les avancées permises par les contrats d'association. C'était encore mon but cette fois en Moldavie. Le devenir de ces contrats est toujours soumis aux alternances politiques, qui causent parfois des régressions.
Les domaines prioritaires tracés par les accords du Partenariat oriental sont au nombre de cinq : la démocratie, les droits de l'homme et la bonne gouvernance ; la politique étrangère et de sécurité commune ; la liberté, la sécurité et la justice ; la coopération économique et sectorielle ; enfin, le commerce et les questions qui lui sont liées.
Nos interlocuteurs moldaves appartenaient à un périmètre relativement restreint : c'étaient surtout des membres du Gouvernement et des parlementaires de la majorité ; or qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. Tous ont exprimé le désir d'entrer très rapidement dans l'Union européenne, avant 2030. Personnellement, j'aurais aimé rencontrer des représentants des collectivités territoriales. Des élections municipales auront lieu cette année ; il ne faut pas non plus oublier l'enjeu des régions de Transnistrie et de Gagaouzie.
Plus positivement, nous avons constaté que nos interlocuteurs estiment avoir progressé grâce aux contrats du Partenariat oriental, ce qui a permis au pays d'obtenir le statut de candidat à l'adhésion à l'UE l'an dernier.
Le travail continue cette année sur plusieurs grands axes du Partenariat.
Pour construire « des économies résilientes, durables et intégrées », un plan économique et d'investissement de 17 milliards d'euros pour l'ensemble de la zone est engagé, mais aussi un soutien aux coopérations dans le domaine de la recherche et de l'innovation.
Pour soutenir « des institutions responsables, l'État de droit et la sécurité », priorité est donnée à la lutte contre la corruption et le crime organisé, et l'on soutient des travaux sur les menaces hybrides, dont le risque cyber et la désinformation. Certains de nos interlocuteurs s'interrogent par ailleurs sur le statut de pays neutre de la Moldavie et aimeraient pouvoir mieux répondre aux menaces liées à la guerre en Ukraine.
Pour encourager la « résilience environnementale et climatique », l'Union soutient notamment la sécurité énergétique. Au titre de la « transformation numérique », elle cherche à réduire les coûts liés à l'itinérance, à développer le réseau internet et les innovations numériques.
Enfin, au service de sociétés « résilientes, justes et inclusives », un soutien est apporté à la société civile et aux projets transfrontaliers en lien avec la jeunesse, les ONG et l'égalité de genre. Sur ce point, force est de constater que nous restons un peu sur notre faim, car nous avons surtout rencontré des officiels, mais presque aucun représentant de la société civile, hormis l'Alliance française et la Chambre de commerce et d'industrie franco-moldave, ainsi qu'un groupe de jeunes étudiants apprenant le français ; tous insistaient sur le lien entre la Moldavie et l'Ukraine dans l'avenir du processus d'adhésion : celui-ci dépendra largement du devenir de la guerre. Nombre de ces jeunes ont des liens familiaux avec l'Ukraine ou la Russie, et reconnaissent que l'adhésion à l'UE, quoiqu'espérée, ne résoudrait pas tous les problèmes.
Mme Marta de Cidrac. - Je me suis concentrée sur le volet « élargissement de l'Union européenne » au cours de ce déplacement, sujet sur lequel je travaille avec Didier Marie. Je partage les points de vue exposés par mes collègues. La Moldavie est un pays auquel nous devons continuer de nous intéresser ; nous n'en sommes qu'au début d'échanges que j'espère fructueux avec nos interlocuteurs moldaves ; j'espère comme Gisèle Jourda que nous pourrons à l'avenir avoir des discussions avec des représentants des collectivités de ce pays.
La décision du Conseil européen de juin dernier sur la candidature de la Moldavie a évidemment changé la donne. À terme, un chemin est à trouver entre le Partenariat oriental, qui demeure, et le processus d'élargissement, qui ne fait que commencer, mais mobilise fortement les autorités moldaves, comme nous l'ont confirmé nos interlocuteurs : les conseillères de la présidente Maïa Sandu, le vice-Premier Ministre Nicu Popescu, les secrétaires d'État comme le représentant de l'UE sur place.
De quoi s'agit-il, au-delà de la symbolique, dans un pays dont 60 % des habitants sont favorables à l'adhésion, et dont près de 40 %, selon les estimations, détiennent déjà un passeport roumain, donc vont et viennent librement dans l'UE, notamment pour travailler, ce qui représente près du quart du PIB de ce pays ?
Je tire de nos nombreux entretiens quatre axes de réflexion et de progrès qui pourraient d'ailleurs valoir tout aussi bien pour d'autres pays candidats : revoir la politique et l'architecture du Partenariat oriental en intégrant des indicateurs clairs et tangibles de résultats en matière de démocratie ; concevoir un processus d'adhésion par étapes, permettant de passer d'une étape à l'autre lorsque des progrès démocratiques suffisants sont réalisés, mais aussi de revenir en arrière si la démocratie régresse, comme c'est le cas depuis 2020 sur initiative française ; établir un calendrier et des étapes raisonnables afin d'éviter une lassitude de la population à l'égard du processus d'élargissement qui pourrait compromettre les réformes démocratiques en cours ; enfin, promouvoir une sensibilisation à la culture démocratique de l'UE, par exemple en invitant les représentants des gouvernements à des réunions de haut niveau et à des groupes de travail du Conseil, afin d'encourager la mise en place d'une administration impartiale.
Le soutien aux capacités administratives est un élément extrêmement important du processus d'acculturation et d'absorption de l'acquis par les pays candidats ; la Moldavie doit à cet égard bénéficier des mêmes possibilités que les pays des Balkans.
Je me réjouis que la France, via le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais aussi le Secrétariat général des affaires européennes, y apporte son concours. Je souhaiterais aussi que le Sénat puisse, éventuellement en partenariat avec d'autres parlements, répondre à la demande du Parlement monocaméral moldave de bénéficier d'une coopération interparlementaire, dans le cadre du programme européen Inter Pares. Il y va non seulement de la défense et de la promotion de la francophonie, dont ce pays est membre à part entière, mais aussi du partage d'une culture de travail parlementaire commune.
En effet l'élargissement de l'Union vise à rassembler les pays d'Europe autour d'un projet politique et économique commun. Même guidés par les valeurs de l'Union - notamment celles inscrites à l'article 2 du traité sur l'Union européenne - et encadrés par des conditions strictes, les élargissements successifs modifient progressivement les contours de l'Union européenne.
Les critères définis en 1993 par le Conseil européen sont essentiels pour tout candidat officiel ou potentiel. Ils comprennent la stabilité d'institutions garantissant la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et le respect des minorités et leur protection ; une économie de marché viable ainsi que la capacité à faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l'intérieur de l'Union ; la capacité du pays candidat à assumer les obligations découlant de son adhésion, notamment en souscrivant aux objectifs de l'Union politique, économique et monétaire et en adoptant les règles, normes et politiques communes qui constituent la législation de l'Union, c'est-à-dire l'acquis communautaire, élargi aujourd'hui aux nouvelles politiques européennes et particulièrement à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Patience et longueur de temps, autrefois requises, ne sont peut-être plus de mise dans le nouveau contexte géopolitique né de la guerre en Ukraine : rappelons que la Moldavie actuelle partage les valeurs que je viens de rappeler.
La nouvelle méthodologie introduite en 2020, à la demande de la France, pour s'appliquer aux Balkans occidentaux, doit permettre de relancer le processus d'adhésion en le rendant plus prévisible, plus crédible, grâce à une hiérarchisation des priorités et une concentration de celles-ci sur les réformes les plus importantes et les plus urgentes, réversible aussi, et plus dynamique par un regroupement des chapitres de négociation ; surtout, il soumet l'élargissement à un pilotage politique plus déterminé, ce qui paraît parfaitement adapté pour un pays comme la Moldavie. Il s'agit d'inscrire l'approche de ce pays dans une dynamique incitative.
Selon la Commission européenne, « le pays dispose d'un socle solide pour se doter d'institutions stables garantissant la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et le respect des minorités et leur protection, ses politiques macroéconomiques sont raisonnablement saines et il a progressé dans le renforcement du secteur financier et de l'environnement des entreprises, mais des réformes économiques essentielles restent à entreprendre, et il a posé des bases solides pour poursuivre l'alignement sur l'acquis de l'UE ». Le constat est encourageant, même s'il faut rester vigilant.
Le statut de pays candidat lui ayant été accordé, il est clair que des réformes décisives sont attendues de la Moldavie dans un certain nombre de domaines clés, notamment ceux de la justice et de l'État de droit. Nos entretiens avec les responsables gouvernementaux nous ont paru indiquer une détermination sans faille de leur part à cet égard.
Elle ne pourra qu'être encouragée par les mesures qui viennent d'être décidées.
D'une part, les sanctions de l'UE à l'égard de certains oligarques, comme Ilan Shor, président du parti éponyme, qui serait actuellement exilé en Israël après avoir fait « évaporer » près d'un milliard d'euros d'argent public et privé, ce qui a provoqué la faillite de plusieurs banques moldaves. Son parti continue toutefois à être représenté au Parlement et à organiser des manifestations antigouvernementales et prorusses moyennant finances.
D'autre part, le Conseil de l'UE a approuvé, mardi 30 mai, une nouvelle aide macrofinancière de l'Union à la Moldavie à hauteur de 145 millions d'euros - 45 millions sous forme de subventions, 100 millions sous forme de prêts. Cette aide complète celle octroyée en avril 2022, d'un montant de 150 millions d'euros, dont les deux premières tranches ont déjà été versées. Pour recevoir l'assistance macroéconomique, la Moldavie doit garantir le respect des normes démocratiques, de l'État de droit et des droits de l'homme. Elle doit aussi faire l'objet d'une appréciation positive par le FMI concernant la mise en oeuvre de réformes structurelles.
Les réserves de certains d'entre nous sont légitimes, mais nous avons constaté une réelle volonté d'évolution de ce pays. À ce titre, même s'il convient de rester très vigilant, nous ne pouvons que saluer et encourager les mesures entreprises par la Moldavie.
M. Didier Marie. - Il est dans l'intérêt de la France de soutenir le processus en cours en Moldavie et son cheminement vers l'Union européenne. Ce pays est dans une situation très sensible. L'ingérence russe est de plus en plus forte, avec une volonté manifeste de déstabiliser le pouvoir. Les oligarques, qui se trouvent en Grande-Bretagne, en Israël ou à Chypre, continuent d'agir en Moldavie, comme en témoignent les achats massifs de voix par un oligarque, lors des dernières élections en Gagaouzie, pour s'assurer une gouvernance locale à sa main. Ce pays est donc instable, soumis à de fortes pressions tant intérieures qu'extérieures ; il mérite tout notre soutien.
La Moldavie est coincée entre la Roumanie et l'Ukraine, tandis que la Transnistrie est occupée par les Russes. Comment cette situation évoluera-t-elle ? Lorsque la Moldavie sera membre de l'Union européenne, cette enclave risque d'être source de problèmes majeurs avec la Russie.
Enfin, dans le nord de la Moldavie, se trouve le plus ancien dépôt de munitions de l'ancien Pacte de Varsovie. Ce dépôt fait l'objet de convoitises de la part des Russes comme des Ukrainiens. Il y a là un sujet potentiellement explosif...
M. Claude Kern. - Je suis allé à plusieurs reprises en Moldavie. Il ne faut pas y aller en février, car, s'il y a du brouillard, les vols sont supprimés : avec Maryvonne Blondin, nous avons ainsi été coincés à Chisinau pendant quelques jours lors d'un déplacement.
L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) suit avec attention la situation en Moldavie. La commission du monitoring publiera prochainement son rapport sur le pays.
Je partage les inquiétudes de Didier Marie sur la situation en Transnistrie. En tant que président de la sous-commission de l'APCE sur les conflits concernant les États membres du Conseil de l'Europe, je suis la situation de près. On s'efforce d'organiser des rencontres entre les Moldaves et les Transnistriens : des accords sont négociés, mais quelques jours avant la table ronde prévue, les uns ou les autres se désistent toujours. Le dernier séminaire devait avoir lieu en avril, mais le vice-Premier ministre moldave Oleg Serebrian m'a informé qu'il n'y participerait pas, car il considérait que le délégué transnistrien était un émissaire direct de Moscou... Je lui ai alors proposé d'organiser une nouvelle réunion à l'automne, en lui demandant de nous fournir les noms des personnes avec lesquelles il était prêt à discuter. Les rapports sont très difficiles ; en fait c'est un faux dialogue, chacun se renvoie la responsabilité de l'échec. On ne parvient pas à faire en sorte que les adversaires se rencontrent.
Mme Marta de Cidrac. - Sur l'élargissement, je pense que nous devons être prudents. Si la volonté de ce pays de rejoindre l'Union européenne, de s'inscrire dans le processus d'adhésion et d'en satisfaire les exigences est réelle, la population moldave a aussi, dans le même temps, des exigences à l'égard de sa classe politique et de la situation générale dans son pays... La Moldavie n'est pas sans rappeler les Balkans occidentaux. Or les événements dans ces pays - à la frontière entre le Kosovo et la Serbie, ou en Bosnie-Herzégovine, à la suite de certaines décisions - doivent nous alerter. En tant que parlementaires français, nous devons avoir un regard d'ensemble sur le contexte entourant le processus d'élargissement de l'Union européenne : les élites politiques et les gouvernements ont certainement la volonté de se conformer aux valeurs de l'Union européenne, mais il faut aussi tenir compte des opinions publiques, des jeunesses de ces pays, etc. La situation est en fait très complexe. Ces pays sont traversés de divisions profondes et l'Union européenne leur a toujours demandé de les régler avant d'aller plus loin dans l'adhésion. N'importons pas un nouveau conflit au sein de l'Europe. Ces pays ont vocation à intégrer l'Union européenne, mais il ne faut pas aller trop vite.
Mme Gisèle Jourda. - Il ne faut pas confondre, en effet, vitesse et précipitation. Tous nos interlocuteurs ont exprimé le désir d'entrer très rapidement dans l'Union européenne, avant 2030. Mais ils semblent considérer que, dès lors qu'ils sont dans la file pour accéder au guichet, ils n'ont pas à faire la queue comme les autres pays candidats ! Ils veulent aller vite, mais de nombreux critères ne sont pas remplis. Lorsque le statut de pays candidat à l'Union européenne a été octroyé à l'Ukraine et à la Moldavie à la suite de l'invasion russe, la Géorgie a été oubliée. Pourtant, c'est le pays du Partenariat oriental le plus avancé en matière de respect des droits de l'homme, de lutte contre la corruption, de réforme de la justice, etc. Nous devons donc soutenir la démarche d'adhésion, tout en restant prudents.
M. Pierre Laurent. - On ne peut pas dissocier l'adhésion de la Moldavie et la question de la Transnistrie. Dès lors que l'Union européenne reconnaît à la Moldavie le statut de candidat, elle ne peut ignorer le conflit en Transnistrie. Il est indispensable de le régler et d'éviter que la situation ne s'envenime.
Les Moldaves qui vivent en France ont des passeports roumains. La Roumanie a mené une politique active pour monnayer ses passeports. D'un autre côté, si ces personnes n'avaient pas ce passeport, elles seraient expulsables : une situation paradoxale pour des ressortissants d'un pays qui a vocation à intégrer l'Europe ! Nous gagnerions plutôt à nous appuyer sur cette jeunesse.
M. Jean-François Rapin, président. - Il suffirait en effet d'une petite étincelle pour mettre le feu en Transnistrie et pour que le conflit ne dégénère. N'oublions pas que 1700 soldats russes sont massés à la frontière. J'ajoute enfin que ce sont les ambassadeurs de Moldavie dans les pays européens qui ont organisé, à distance, la logistique et la sécurité du sommet de la Communauté politique européenne, car l'administration moldave manque de moyens. La France joue un grand rôle pour assurer la surveillance aérienne et les accueils aéroportuaires pour l'événement de ce jour.
Désignation d'un rapporteur - Proposition de résolution européenne sur la relance du processus de paix en Irlande du Nord
La commission désigne MM. Claude Kern et Didier Marie, rapporteurs de la proposition de résolution européenne n° 657 (2022-2023) invitant le Gouvernement à agir au niveau européen et international pour appuyer la relance du processus de paix et de réconciliation entamée par l'accord de paix pour l'Irlande du Nord, déposée par M. Pierre Laurent, Mme Michelle Gréaume, MM. Pierre Ouzoulias, Éric Bocquet, Mme Éliane Assassi et les membres du Groupe CRCE.
Institutions européennes - 69e réunion plénière de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac) à Stockholm du 14 au 16 mai 2023 - Communication
M. Jean-François Rapin, président. - Avec Claude Kern et Didier Marie, nous avons participé à la réunion plénière de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), qui s'est tenue à Stockholm, du 14 au 16 mai.
Organisée par le Parlement suédois, cette 69e session de la Cosac a rassemblé, comme chaque semestre, des membres des Parlements nationaux - six par État membre - et du Parlement européen - six aussi -, ainsi que des parlementaires des pays candidats et associés, comme la Moldavie.
Je commencerai par une remarque sur la forme de ces réunions interparlementaires. Le choix d'un trop grand nombre d'interventions liminaires finit par laisser un temps beaucoup trop limité pour l'expression des parlementaires. Beaucoup de nos collègues s'en sont plaints légitimement. C'est un problème récurrent qu'il faudra bien traiter. Nous avions tenté d'y remédier lors de la présidence française en créant au sein de la Cosac deux groupes de travail pour travailler à effectif plus réduit - une quarantaine de parlementaires - et approfondir un sujet grâce à des réunions régulières durant un semestre. Cela nous avait permis de produire un rapport avec des propositions substantielles ; malheureusement, les présidences suivantes n'ont pas prolongé l'expérience et nous avons renoué avec le fonctionnement antérieur, à savoir la réunion chaque semestre de plus de 200 parlementaires de toute l'Union, réunion préparée par la quarantaine des présidents des commissions des affaires européennes de chaque parlement national lors d'une rencontre en début de semestre. Il me semble que cela nuit à la qualité de nos travaux.
Par ailleurs, je regrette que, à l'exception d'un message vidéo de la Présidente de la Commission européenne, aucun commissaire européen n'ait été présent à cette réunion, ce qui peut s'interpréter comme un manque d'intérêt à l'égard des Parlementaires nationaux.
Sur le fond, la réunion plénière de la Cosac a été dominée par la guerre en Ukraine et ses conséquences pour l'Union européenne.
La présidence suédoise a souhaité également mettre à l'ordre du jour le sujet du marché unique, à l'occasion du 30e anniversaire de son lancement, et la transition écologique.
Notre intervention à trois voix sera articulée en trois parties. Claude Kern vous fera d'abord un résumé des débats des sessions consacrées au bilan de la présidence suédoise et à la guerre en Ukraine. Ensuite, Didier Marie présentera une synthèse des débats consacrés au marché unique et à la transition écologique. Enfin, je vous rendrai brièvement compte de mon intervention sur ce dernier sujet et des entretiens bilatéraux que nous avons eus en marge de la réunion de la Cosac avec les délégations des parlements espagnol, italien, chypriote, ukrainien, moldave et du Sénat roumain.
M. Claude Kern. - La ministre des affaires étrangères suédoise a d'abord présenté les résultats de la présidence suédoise du Conseil de l'Union européenne, pour s'en réjouir naturellement.
Comme vous le savez, l'intervention russe du 24 février 2022 a eu pour effet de modifier radicalement la position de la Suède sur les questions de sécurité. La Suède a présenté sa candidature à l'entrée dans l'Otan, conjointement avec la Finlande, ce qui constitue une rupture avec sa tradition de neutralité. L'entrée de la Suède dans l'Otan se heurte toutefois au veto de la Turquie, qui lui reproche d'accueillir sur son territoire des réfugiés kurdes membres du PKK, considérés par Ankara comme des « terroristes ».
Face à la Russie, l'Union européenne s'est montrée unie et solidaire et apporte un soutien important et continu à l'Ukraine, sur les plans politique, économique, financier, militaire et humanitaire.
Un dixième paquet de sanctions a été adopté et l'Union européenne a brisé un tabou en finançant la livraison d'équipements militaires, grâce à la facilité européenne de paix, et s'est engagée à accélérer la production et la livraison de munitions, dont l'Ukraine a cruellement besoin.
Quelques dissensions sont toutefois apparues récemment entre les États membres, notamment à propos de l'importation de céréales ukrainiennes. On observe aussi que la position de la Hongrie, bien qu'isolée, reste complaisante à l'égard de Moscou.
Lors de la réunion, la présidente de la commission des affaires européennes de la Rada ukrainienne a remercié l'Union européenne pour son soutien et lancé un appel aux États membres pour poursuivre leurs efforts.
Même s'il est difficile de faire une estimation précise, le montant des réparations qu'implique la guerre en Ukraine, notamment pour reconstruire les villes et les infrastructures, a été estimé à ce jour à 400 milliards de dollars par la Banque mondiale : c'est considérable. Uniquement pour le déminage, 38 milliards de dollars seraient nécessaires, a indiqué M. Jean-Erik de Zagon, chef de la représentation de la Banque européenne d'investissement en Ukraine. Une partie des fonds nécessaires pourrait provenir des fonds russes gelés en application des sanctions européennes, mais cela n'est pas simple au plan juridique. Tous s'accordent pour que la priorité aille à la reconstruction des villes, des routes et des écoles, pour faciliter le retour des réfugiés.
Au cours des débats, je suis intervenu pour rappeler les positions adoptées par le Sénat en soutien à l'Ukraine, en particulier les deux résolutions européennes, notamment celle condamnant les déplacements massifs d'enfants ukrainiens en Russie, adoptée à l'initiative de notre collègue André Gattolin.
À l'initiative de la délégation française, un paragraphe a d'ailleurs été inséré, dans la contribution finale de cette réunion de la Cosac, « condamnant la déportation d'enfants ukrainiens par la Fédération de Russie » et « la violation du droit des enfants ukrainiens déportés à préserver leur identité, avec la pratique de l'acceptation forcée de la citoyenneté russe ».
Dans cette contribution, la Cosac a apporté son soutien au respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Ukraine, et au processus d'élargissement en cours pour l'Ukraine, non sans oublier les Balkans occidentaux, la Moldavie et, en perspective, la Géorgie.
M. Didier Marie. - Les deuxième et troisième sessions ont été consacrées au marché unique et à la transition écologique.
S'agissant du marché unique, la représentante de la Commission européenne, Mme Kerstin Jorna, qui est à la tête de la direction générale du marché intérieur, a rappelé que le marché unique constituait un atout particulièrement précieux pour l'Union européenne, ses citoyens et ses entreprises.
Comme nous l'ont montré la crise sanitaire et les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, c'est un atout qu'il faut soigneusement préserver et dont certaines dimensions doivent être approfondies, sans réduire le niveau de sécurité des produits et services pour le consommateur.
Au cours du débat, je suis intervenu pour rappeler les positions du Sénat, encourageant notamment à réévaluer la définition du marché pertinent pour prendre en compte la concurrence à venir, notamment provenant de grands groupes étrangers. J'ai également apporté notre soutien à la mise en place d'un instrument européen d'urgence transversal et d'instruments sectoriels pour permettre d'anticiper et de répondre à de graves pénuries, en particulier dans les secteurs du médicament ou des semi-conducteurs, tout en estimant qu'il faudrait aller plus loin pour répondre aux besoins. L'identification des dépendances stratégiques européennes doit conduire à relocaliser certaines productions sur le territoire européen, et pas uniquement celle des composants nécessaires aux technologies de pointe. C'est déterminant pour rendre effective la nécessaire autonomie stratégique de l'Union européenne.
J'ai également fait part de nos inquiétudes concernant les conséquences potentielles de la loi américaine du 16 août 2022 sur la réduction de l'inflation (l'IRA) sur le tissu économique européen, en particulier le risque, déjà avéré d'ailleurs, que des entreprises quittent l'Union pour s'installer aux États-Unis ou que des investissements destinés au marché intérieur soient détournés vers les États-Unis. Face aux mesures « protectionnistes » américaines, la réponse européenne doit être efficace, coordonnée et à la hauteur.
La réunion de la Cosac a par ailleurs été l'occasion d'un débat sur la transition écologique.
L'ampleur des réglementations prises par l'Union européenne pour s'adapter au changement climatique, dans le cadre du « Pacte vert pour l'Europe », a été soulignée par l'ensemble des intervenants.
Je retiens des débats, la nécessité d'un accompagnement économique et social de ces changements.
À cet égard, à l'initiative de la délégation française, un amendement a été inséré dans la contribution appelant à assortir la transition écologique d'un « accompagnement social et économique adapté ».
Le président de notre commission est également intervenu dans le débat. Je lui laisse d'ailleurs la parole.
M. Jean-François Rapin, président. - Au cours de ce débat, je suis intervenu pour faire part de mes préoccupations concernant l'articulation entre le Pacte vert et la politique agricole commune. J'ai rappelé que la mise en oeuvre du Pacte vert risquerait de se traduire par une diminution drastique de la production agricole européenne, et j'ai souligné toute l'importance de l'agriculture pour garantir la souveraineté et l'indépendance alimentaire de l'Europe, comme le prouve la guerre menée par la Russie en Ukraine.
De manière générale, si la plupart des amendements déposés par la délégation française au projet de contribution ont bien été retenus dans la version finale, je regrette que l'amendement que nous avions déposé avec nos collègues de l'Assemblée nationale, appelant, à la lumière de l'affaire du « Qatargate » à « renforcer les règles d'éthique et de transparence qui régissent les activités des institutions européennes afin de lutter contre les ingérences de toute nature » n'ait pas été retenu par la troïka, sans doute en raison de l'opposition du Parlement européen.
À l'approche des futures élections européennes, et dans un contexte marqué par la montée des populismes et de l'euroscepticisme, il me paraît essentiel de renforcer les règles d'éthique et de transparence au niveau européen. À cet égard, le cadre existant en France, notamment avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique, pourrait servir de source d'inspiration.
En marge de la session, notre délégation a eu plusieurs entretiens bilatéraux avec les délégations des Parlements espagnol, italien, chypriote, ukrainien, moldave et du Sénat roumain.
L'entretien avec la délégation du Parlement espagnol a été particulièrement chaleureux. Il a été surtout consacré aux priorités de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, au deuxième semestre de cette année, qui sera contrainte - comme ce fut le cas de la présidence française - par les élections municipales, régionales et générales en Espagne. Je rappelle que Pedro Sanchez a convoqué des élections législatives anticipées le 23 juillet, ce qui aura sans doute des conséquences sur la Cosac des Présidents prévue quelques jours plus tôt.
Nous devrions d'ailleurs recevoir, les 13 et 14 juin à Paris, une délégation de la commission mixte du Parlement espagnol, conduite par sa présidente, pour échanger sur les priorités de l'Espagne, les questions d'énergie, la politique industrielle et le rôle des Parlements nationaux. Je tiens à souligner le lien privilégié et amical que nous entretenons avec nos homologues espagnols. Ils m'ont ainsi fait l'honneur de me demander d'être orateur principal dans la future Cosac des Présidents.
L'entretien avec la délégation chypriote a également été très chaleureux, nos collègues chypriotes rappelant l'importance historique de la présence française et regrettant la diminution de l'influence française dans leur pays, notamment concernant le délaissement du patrimoine français.
Les résultats du premier tour des élections en Turquie ont été au centre des discussions, les parlementaires chypriotes étant particulièrement inquiets de la politique très agressive de la Turquie en méditerranée orientale. À cet égard, ils ont estimé que ce serait une erreur de croire qu'une éventuelle victoire du candidat de l'opposition kémaliste aurait entraîné un changement. Ils ont rappelé qu'un large consensus en Turquie se dégageait autour de la politique étrangère turque menée par le Président Erdogan, qu'ils ont qualifiée de « politique néo-ottomane avec un syncrétisme entre l'islamisme politique et un ultranationalisme ». Ils ont estimé que l'Union européenne devait se montrer ferme vis-à-vis de la Turquie et ont fait part de leurs fortes attentes à l'égard de la France.
Au cours d'un entretien avec Claude Kern, les parlementaires italiens ont évoqué les questions migratoires et souligné l'importance de soutenir les pays africains pour éviter une nouvelle vague migratoire.
La délégation du Sénat roumain a fait part de ses fortes inquiétudes concernant la situation en Moldavie, au regard des tentatives de déstabilisation de la Russie et du rôle des oligarques pro-russes, tel Ilan Shor, ce qui a été confirmé par Mme Doina Gherman, présidente de la commission des affaires internationales et européennes du Parlement moldave, qui a fait part de ses fortes attentes à l'égard de l'Union européenne, notamment pour réduire la dépendance énergétique de son pays à l'égard de la Russie. Le discours de cette dernière a touché l'assemblée, à tel point qu'un amendement modifiant la communication finale a été adopté.
Enfin, lors de notre entretien, la présidente de la commission des affaires européennes de la Rada ukrainienne a remercié l'Union européenne, et en particulier la France, pour leur soutien dans la durée face à l'agression de la Russie. Elle a appelé les États membres à accélérer les livraisons d'armes, notamment d'avions - les « ailes de la victoire », selon l'expression de M. Rouslan Stefantchouk, président de la Rada, dans son discours devant l'Assemblée nationale française -, de chars et de missiles, et de munitions.
Elle a également appelé à renforcer les sanctions, notamment dans le domaine nucléaire ou à l'égard des sportifs russes dans l'optique des jeux Olympiques de Paris.
Elle a enfin indiqué espérer l'ouverture dès la fin de cette année des négociations d'adhésion de son pays à l'Union européenne. Nous n'avons pas pu entretenir avec elle, mais j'espère que nous trouverons une date pour la rencontrer.
Voilà les principaux enseignements qui me paraissent pouvoir être dégagés de cette Cosac et que je souhaitais porter à votre connaissance. La prochaine étape devrait être la Cosac des Présidents en Espagne le 10 juillet, mais je ne sais pas encore si elle aura lieu ni dans quelles conditions, dans la mesure où des élections législatives auront lieu quelques jours plus tard. Ces élections législatives anticipées font suite à la défaite massive enregistrée par la gauche aux élections régionales. Toutefois, si on regarde les écarts région par région, le résultat est moins net qu'il n'y paraît. Tout dépendra des jeux d'alliances.
M. Didier Marie. - En convoquant ces élections législatives anticipées, le Premier ministre espagnol espère profiter de l'effet de surprise, perturber les rapports entre le Parti populaire et Vox et provoquer une réaction de la gauche, la scission de Podemos ayant fortement contribué à la défaite.
M. Jean-François Rapin, président. - Il espère aussi récupérer les voix du centre. Il n'en demeure pas moins que, si la gauche l'emporte, elle devra composer avec la droite qui gouvernera la majorité des dix-sept régions du pays.
La réunion est close à 11 h 00.