- Mardi 30 mai 2023
- Mercredi 31 mai 2023
- Proposition de résolution européenne relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » - Examen du rapport et du texte de la commission
- Proposition de loi visant à maintenir provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs - Désignation d'une rapporteure
- Proposition de résolution européenne sur la réforme du marché européen de l'électricité - Désignation d'un rapporteur
- Audition de M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles
- Projet de loi relatif à l'industrie verte - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie
Mardi 30 mai 2023
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Proposition de loi visant à reconnaître et à soutenir les entrepreneurs français à l'étranger- Examen des amendements de séance
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à reconnaître et à soutenir les entrepreneurs français à l'étranger. Nous commençons par l'examen d'un amendement du rapporteur.
EXAMEN DE L'AMENDEMENT DU RAPPORTEUR
Article 1er
L'amendement de précision rédactionnelle n° 19 est adopté.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Serge Babary, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié bis, qui mentionne le rôle des services économiques des ambassades pour la mission de recensement des entrepreneurs français.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié bis.
M. Serge Babary, rapporteur. - Avis de sagesse sur l'amendement n° 12, qui prévoit la présence des conseillers des Français de l'étranger au sein du comité d'identification chargé du recensement des entrepreneurs français à l'étranger.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 12.
M. Serge Babary, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements nos 5 rectifié et 13.
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 5 rectifié et 13.
M. Serge Babary, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié.
M. Franck Montaugé. - Pourquoi émettez-vous un avis défavorable à l'amendement n° 3 rectifié bis et favorable à l'amendement n° 1 rectifié, alors qu'ils ont tous deux trait au service économique de l'ambassade ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. - L'amendement n° 3 rectifié bis vise en effet à réintroduire le rôle économique des ambassades, mais la rédaction de mon amendement est plus précise en désignant le secrétariat du comité d'identification. Je me suis inspiré du mode de fonctionnement des conseils consulaires.
M. Serge Babary, rapporteur. - L'amendement n° 1 rectifié est plus opérationnel, en vue d'encadrer l'intervention des services de l'ambassade.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :
La réunion est close à 14 h 05.
Mercredi 31 mai 2023
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Proposition de résolution européenne relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons ce matin la proposition de résolution européenne relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Pour ceux d'entre vous qui sont membres de la commission des affaires européennes, cette présentation aura peut-être un peu des allures de redite. Mais je crois important de porter à la connaissance des membres de la commission des affaires économiques le rapport que j'ai présenté la semaine dernière devant la commission des affaires européennes, et ce, à double titre.
D'une part, la proposition de la Commission européenne s'inscrit en cohérence avec la stratégie de l'Union européenne pour les aires protégées, qui pourrait avoir un impact sur le potentiel productif ; et d'autre part, c'est une déclinaison nouvelle de cette question, complémentaire des domaines agricoles ou forestiers dont on a déjà eu l'occasion de parler au sein de la commission. Cela met donc en évidence la dimension systématique de la démarche de la Commission européenne.
J'en viens donc à la pêche. Lors d'une communication du 21 février dernier, la Commission européenne a présenté un plan d'action pour la protection et la restauration des écosystèmes marins en faveur d'une pêche durable et résiliente. Parmi les grands axes de ce plan d'action figurait notamment l'interdiction de la pêche de fond mobile dans les zones Natura 2000 dès 2024, et dans l'ensemble des zones marines protégées existantes ou nouvellement créées à compter de 2030.
Cette proposition a suscité beaucoup d'incompréhension et de craintes dans nos territoires littoraux, et pour cause ! Les arts traînants, c'est-à-dire les engins de pêche tractés par des navires sur le fond marin, sont pratiqués de façon exclusive ou occasionnelle par plus de 40 % des navires français sur la façade atlantique, représentent environ 36 % des quantités pêchées et fournissent les principales ressources capturées pour les pêcheries françaises, comme les merlans, les baudroies, les soles, les langoustines ou encore les coquilles Saint-Jacques.
Dans ce contexte, le secrétaire d'État chargé de la mer, M. Hervé Berville, s'est rendu à Bruxelles pour relayer auprès du commissaire européen à la mer, M. Sinkevièius, les inquiétudes légitimes de nos pêcheurs. Ce dernier a rappelé, lors de leur rencontre, que le plan d'action n'était pas contraignant d'un point de vue juridique et qu'il se contentait de fixer des grandes orientations à l'intention des États membres, ces derniers demeurant libres de les appliquer ou non.
Faut-il dès lors considérer le sujet définitivement clos ? Mon expérience des institutions européennes m'amène à penser que non.
Mes chers collègues, ne soyons pas naïfs : la communication du 21 février dernier constitue ce que nous pouvons appeler un « ballon d'essai », destiné à tester les réactions des États membres, dans la perspective d'une éventuelle proposition législative.
Jusqu'à présent, douze États membres, dont la France, ont fait état d'une franche opposition à l'interdiction des arts traînants dans les zones marines protégées. Je rappelle que dix-huit États membres possèdent des littoraux, si l'on excepte la Slovénie et ses quarante kilomètres de côte. Dès lors, et dans la mesure où le Conseil de l'Union européenne doit adopter, les 26 et 27 juin prochains, des conclusions portant sur le plan d'action de la Commission, il est essentiel que notre assemblée puisse faire valoir sa position auprès du Gouvernement, mais également de la Commission européenne.
Tel est l'objet de la proposition de résolution européenne de notre collègue Michel Canévet. Les travaux menés au cours des dernières semaines m'ont conforté dans l'idée que l'interdiction générale de la pêche de fond dans toutes les zones marines protégées constituait une mesure non seulement inefficace, mais également délétère.
Je regrette, de manière générale, le caractère binaire de l'approche choisie par la Commission, qui consiste à opter pour un bannissement de principe de tous les engins de fond, dans toutes les zones marines protégées et dans un délai extrêmement court, au nom de la préservation des fonds marins et de la biodiversité.
Ne nous laissons pas enfermer dans un faux débat, opposant de manière caricaturale les pêcheurs aux associations de protection de l'environnement. Je vous rappelle que la préservation des ressources halieutiques fait partie depuis très longtemps des objectifs de la politique commune de la pêche, et qu'il est dans l'intérêt même des pêcheries de lutter contre l'épuisement des stocks. Je précise que 65 % des espèces du littoral européen sont exploitées au rendement maximal durable (RMD). Le RMD est le prélèvement compatible avec le renouvellement des stocks de poissons. Pour comprendre, je ferai une comparaison avec un capital qui produit des intérêts : le RMD consiste à ne prélever que les intérêts sans toucher au capital, la ressource halieutique. Dans ce cadre, la pêche elle-même ne réduit pas les stocks de poissons. Par conséquent, la plupart des parties prenantes ne sont pas opposées à l'instauration de restrictions ciblées et ponctuelles touchant les arts traînants, dès lors que ces dernières sont proportionnées et fondées sur le plan scientifique.
Il est donc important d'introduire un peu de nuance et de mesure, pour poser correctement les termes du débat puisque, comme je vous l'ai indiqué, il est possible que dans les années à venir, la pêche de fond fasse l'objet de nouvelles initiatives européennes.
Pourquoi l'approche choisie par la Commission me semble-t-elle inopérante d'une part, et délétère d'autre part ?
Les différents échanges que j'ai pu avoir sur le sujet m'ont permis d'identifier 4 facteurs permettant de réfuter l'efficacité du plan d'action de la Commission.
Tout d'abord, ce plan d'action établit un raccourci trop rapide entre deux constats distincts : le premier est que le niveau de protection des aires marines en Europe demeure très variable et globalement peu élevé ; le second est que certains fonds marins particulièrement vulnérables doivent être protégés, par le biais notamment d'une interdiction totale ou partielle des arts traînants. La Commission tente de faire « d'une pierre deux coups », en préconisant l'interdiction de la pêche de fond mobile comme réponse unique à ces deux problématiques.
Cette approche est séduisante, mais elle repose en réalité sur un postulat erroné, qui consiste à assimiler les fonds marins vulnérables aux aires marines protégées. Les dernières avancées scientifiques permettent de mieux appréhender l'impact des engins de pêche de fond sur les habitats marins et, par conséquent, de cartographier de manière très précise les zones qui mériteraient une protection supplémentaire, en raison de la sensibilité des écosystèmes qu'elles abritent. Or, ces zones ne se situent pas systématiquement dans des aires marines protégées ! L'interdiction de la pêche de fond mobile exposerait donc certains espaces à des restrictions superflues, tout en négligeant de protéger les zones réellement vulnérables situées en dehors des aires marines protégées.
J'en viens à mon second point : l'adoption d'une interdiction générale applicable de manière uniforme s'inscrit à rebours de la logique propre aux aires protégées. Ces dernières constituent un ensemble disparate, recouvrant une grande diversité d'objectifs, certaines ayant vocation à protéger des couloirs migratoires, d'autres certaines espèces d'oiseaux, d'autres encore des fonds marins. Par conséquent, jusqu'à présent, la Commission a toujours prôné une approche adaptée aux enjeux de chaque territoire, et recommandé de prendre des mesures de conservation spécifiques à chaque site. En France, c'est donc en application des directives « Oiseaux » et « Habitats » qu'ont été initiées en janvier 2023 les analyses risque-pêche, afin de définir un niveau de risque pour chaque espèce ou habitat protégé dans chaque site Natura 2000, pour ensuite prendre, à compter de 2026, les mesures de conservation appropriées. Or, j'attire votre attention sur le fait que l'adoption du plan d'action reviendrait à faire table rase de ces analyses risque-pêche (ARP), alors que les parties prenantes y ont déjà consacré un temps, une énergie et des montants considérables.
Troisièmement, l'interdiction de la pêche de fond mobile constitue une solution excessivement simpliste, faisant abstraction de l'impact différencié des arts traînants, en fonction des engins utilisés, de la nature des fonds marins, de la fréquence des passages ou encore du degré de vulnérabilité des habitats. À titre d'exemple, le passage occasionnel d'une drague sur un sol sableux n'aura pas le même impact que le passage régulier d'un chalut de fond sur un sol rocheux. Dès lors, si l'objectif est réellement de préserver les fonds marins vulnérables et la biodiversité, toute une palette de mesures et d'étapes intermédiaires peuvent être envisagées avant d'opter pour une interdiction pure et simple de tous les engins de fond. Je vous rappelle que de nombreux outils peuvent d'ores et déjà être mobilisés à cet effet dans le cadre de ce nous appelons la « boîte à outils » de la politique commune de la pêche (PCP), afin de réduire les captures accidentelles et d'améliorer la sélectivité des engins.
Je regrette dès lors que la Commission centre sa proposition sur la fermeture des zones à la pêche, ce d'autant, et c'est mon quatrième point, que la gestion spatiale des activités de pêche ne constitue pas un instrument sans faille. En réalité, il ne suffit pas d'interdire la pêche pour garantir la restauration des fonds, la dégradation de ces derniers étant un phénomène multifactoriel, associant des perturbations d'origine anthropique - comme l'installation de parcs éoliens - et d'origine naturelle - comme la prolifération d'espèces invasives ou le réchauffement climatique. Je vous signale par ailleurs que les flottes s'adaptent et se déplacent en cas de restrictions spatiales, reportant l'effort de pêche sur les zones non protégées, avec pour corollaire des effets indésirables sur les stocks halieutiques et une augmentation de la consommation de carburant. Lorsque la pêche au bar a été interdite dans la Manche, les navires se sont reportés vers le golfe de Gascogne.
Pour toutes ces raisons, le plan d'action de la Commission me paraît peu efficace du point de vue de la protection de la biodiversité et des fonds marins. Or, et je terminerai là-dessus, sa mise en oeuvre aurait des conséquences socioéconomiques dévastatrices pour les filières halieutiques française et européenne !
En effet, les aires marines protégées représentant 44 % environ de la zone économique exclusive française (ZEE), la « petite pêche » - réalisée par des navires de moins de douze mètres - y réalise plus d'un tiers de son activité. Selon les estimations du Comité national des pêches (CNPMEM), l'interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées entraînerait donc la disparition de près 30 % de la flotte française et de plus de 4 500 emplois directs pour environ 15 000 emplois induits, puisque dans le secteur de la pêche professionnelle, un emploi embarqué génère habituellement 3 à 4 emplois à terre.
En parallèle, cette mesure se traduirait par une baisse substantielle des volumes débarqués et donc inévitablement une hausse des importations, alors que l'Union européenne est déjà le premier importateur mondial de produits de la pêche. La France importe ainsi près de 70 % des produits de la pêche qu'elle consomme. À rebours des objectifs affichés en termes de souveraineté alimentaire, le plan d'action de la Commission contribuerait donc à accroître notre dépendance à l'égard de pays moins-disants sur le plan environnemental - c'est le cas de tous à l'exception, peut-être, de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et des États-Unis -, ce qui est pour le moins paradoxal, sinon contradictoire, voire schizophrène, vous en conviendrez.
Au-delà de ces considérations d'ordre économique, je regrette particulièrement le signal symbolique très négatif envoyé à la filière pêche européenne, dont la compétitivité pâtirait très fortement d'une mise en oeuvre du plan d'action de la Commission, alors même qu'elle figure parmi les plus vertueuses du monde. Notre littoral est l'un des plus réglementés au monde, avec ceux des États-Unis, de l'Australie ou de la Nouvelle-Zélande, à la différence du littoral africain, pillé par certains pays d'Extrême-Orient.
Pour conclure, mes chers collègues, l'idée de bannir les arts traînants des zones marines protégées au nom de la biodiversité et de la protection des fonds marins illustre à merveille l'adage selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions.
C'est pourquoi, comme la semaine dernière, je partage sans réserve la position de Michel Canévet. Je lui ai suggéré cependant quelques amendements rédactionnels, qui ont permis de préciser le propos, à l'aune des informations recueillies au cours de mes auditions. À l'occasion de celles-ci, j'ai pu recroiser le chemin de Mme Claire Nouvian, présidente de l'association Bloom - il faut savoir discuter avec tout le monde, même quand on n'est pas forcément d'accord.
Aujourd'hui, je vous proposerai donc, si cela vous convient, d'adopter l'article sans modification.
L'adoption rapide de ce texte par notre commission nous permettra, avec l'auteur de la proposition de résolution Michel Canévet, et avec le président de la commission des affaires européennes, l'excellent Jean-François Rapin, de nous rendre à Bruxelles le mardi 6 juin pour faire connaître la position du Sénat au commissaire européen à l'environnement, aux océans et à la pêche, au Parlement européen et à la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. Il s'agira, avec cette résolution du Sénat, de peser de tout notre poids en tant que chambre des territoires, pour protéger notre pêche côtière, tout en affirmant notre volonté de préserver la biodiversité, en amont de l'adoption du plan d'action par le Conseil les 26 et 27 juin prochains.
M. Daniel Salmon. - Si 65 % des espèces sont prélevées conformément au RMD, cela signifie donc que 35 % n'y sont pas ! Pour rappel, en 1994, 90 % des espèces étaient au RMD ! Les stocks halieutiques ont diminué drastiquement, la taille des poissons baisse, les populations de mérous, requins, thons, espadons ou cabillauds ont chuté de 90 % depuis 1950. Un tiers des espèces dans l'Atlantique Nord et 85 % de celles de Méditerranée sont victimes de la surpêche. La question de la préservation des stocks et de la surpêche constitue donc un sujet. Nous devons préserver la ressource. Il en va de la survie de la pêche.
Les propositions de la Commission européenne vont selon nous dans le bon sens. Elles étaient attendues par de nombreuses ONG. La Commission ne fait que rappeler aux États que cette interdiction aurait déjà dû être instaurée dans certains sites depuis 1992 et la directive Habitats. Il est désormais temps d'agir. Certes il faut prévoir des mesures d'accompagnement, mais protéger la ressource est essentiel : l'encadrement de la pêche à la coquille Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc s'est avéré très profitable et on y pêche aujourd'hui davantage qu'avant ! Les quotas ne sont pas un mot tabou et sont tout à fait compatibles avec les intérêts économiques. La pêche aux arts traînants est dévastatrice et laboure les fonds marins. Les écosystèmes s'effondrent, entraînant une raréfaction de la ressource.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Je m'étonne que vous n'ayez pas parlé de la stratégie européenne de préservation des mers et océans, qui prévoyait la création d'aires marines protégées. Le problème est que ces dernières n'ont pas toutes le même objectif. Certaines ont néanmoins comme objectif le maintien de la biodiversité des poissons et visent à faciliter leur reproduction. L'exemple américain montre que, quand la pêche est interdite, on observe des effets bénéfiques sur la reproduction des poissons.
Je regrette l'absence de position intermédiaire, entre ceux qui sont favorables au laissez-faire et ceux qui réclament l'interdiction totale de la pêche dans toutes les aires protégées. Une position intermédiaire consisterait à identifier des aires marines ayant vocation à permettre la reconstitution des stocks piscicoles et où la pêche devrait être totalement interdite. L'enjeu est bien, pour certaines espèces, de reconstituer les stocks. Je m'abstiendrai donc sur cette proposition de résolution européenne. La France devrait être plus offensive pour définir une stratégie permettant de mesurer la reconstitution du stock dans chaque aire marine et de développer des aires marines centrées sur la protection des poissons lorsque cela est nécessaire.
M. Franck Montaugé. - Je m'abstiendrai, non pas pour des raisons de fond, mais parce que je ne connais pas suffisamment le sujet. La pêche est un secteur économique important en France. On n'en parle pas assez. Notre commission devrait se saisir davantage de cette question.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je rappelle qu'il existe un groupe d'études sur le sujet au Sénat, rattaché à notre commission.
M. Joël Labbé. - Il importe de faire la distinction entre la pêche industrielle et la pêche côtière artisanale : cette dernière représente 70 % des navires, 52 % des emplois du secteur pour seulement 22 % des captures ; or elle est menacée, alors qu'elle est compatible avec la transition écologique. Nous voterons contre cette proposition de résolution européenne.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Quelle est la part des aires marines protégées dans nos ZEE ? La loi Climat et résilience fixait un objectif de 30 % d'aires terrestres et marines protégées et de 10 % pour les aires sous protection forte.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il est vrai que l'on évoque peu le sujet de la pêche en réunion plénière dans notre commission. Je suis très heureuse que l'examen de ce texte nous en fournisse l'occasion, d'autant plus que l'Union européenne et le Gouvernement subventionnent aujourd'hui la destruction des bateaux de pêche, en particulier dans la petite pêche, ce qui est contraire à nos intérêts économiques et environnementaux. La pêche et l'activité de transformation des produits de la mer créent de nombreux emplois. Cette proposition de résolution européenne me semble bienvenue. Nous devons envisager la question de la pêche de manière globale, avec précaution si l'on ne veut pas détruire notre système et augmenter à l'inverse les importations en provenance de pays qui ne respectent pas nos normes. Nous devons défendre cette activité qui irrigue nos territoires et est cruciale pour notre alimentation.
M. Franck Montaugé. - Que représente la pêche dans notre PIB ?
M. Alain Cadec, rapporteur. - La pêche représente moins de 2 % du PIB de la France, mais la pêche est aussi un facteur important pour l'aménagement du territoire, l'emploi, l'activité et l'attractivité de nos régions littorales.
M. Daniel Salmon a pris pour base l'année 1974, mais, en 1900, l'intégralité des espèces étaient exploitées au RMD. Depuis 1974, la surpêche s'est accrue et la ressource s'est effondrée. Avec la mise en oeuvre de la politique commune de la pêche, on a commencé, petit à petit, à réguler les stocks. L'Union européenne a financé des destructions de bateaux de pêche et la flotte a diminué de moitié.
Le RMD n'a été instauré qu'à partir de 2010. J'étais alors député européen et j'ai présidé ensuite la commission de la pêche du Parlement européen. Aujourd'hui, les stocks ont tendance à se reconstituer. Il n'y a donc plus de surpêche, même si certaines espèces, comme le cabillaud dans la Manche, demeurent menacées. Dans ces cas, la Commission prend des décisions drastiques, réduit les quotas ou interdit la pêche. Dans le golfe de Gascogne, les quotas de pêche de sole ont été réduits de 60 % l'an dernier et, cette année, les poissons sont plus nombreux. La politique commune de la pêche permet de préserver la ressource et de reconstituer les stocks.
Les sites vulnérables ne correspondent pas automatiquement aux aires marines protégées. Ils sont en cours de recensement. Il est justifié d'interdire la pêche de fond dans ces zones. En revanche, interdire cette pêche dans toutes les aires marines protégées n'a guère de sens, c'est se tromper d'échelle. Lorsque l'on aura identifié les zones vulnérables, on pourra y instaurer une protection totale, interdire la pêche, mettre ces zones en jachère et donc faciliter la reproduction des poissons.
M. Montaugé n'est pas originaire d'un département littoral, mais la pêche en rivière est aussi importante. La présence de truites est ainsi un bon indicateur de la qualité des eaux. Beaucoup d'usines de traitement des eaux comportent ainsi un « truitomètre », une sorte d'aquarium contenant des truites ou d'autres poissons très sensibles à la qualité de l'eau. Quand la truite est sur le flanc, ce n'est pas bon signe...
Monsieur Labbé, il existe trois sortes de pêches : la petite pêche côtière, réalisée par des navires de moins de douze mètres, la pêche semi-hauturière, réglementée et réalisée par des chalutiers de douze à vingt-quatre mètres très au large, et la pêche industrielle. Cette dernière n'impacte pas les fonds, car c'est une pêche pélagique, entre deux fonds, de poissons bleus, qui servent pour la plupart à nourrir les poissons d'élevage - une réglementation serait d'ailleurs nécessaire à cet égard, même s'il faut encourager l'aquaculture.
Avec Yannick Jadot, nous avions réussi, lorsque je siégeais au Parlement européen, à faire interdire la pêche électrique et la pêche dans les grands fonds de plus de 400 mètres de profondeur, afin de protéger les coraux d'eau froide.
Les aires marines protégées représentent 44 % environ de la zone économique exclusive française, mais elles ont des finalités très diverses : protection des oiseaux, protection des poissons, etc. La gestion de la ressource en coquilles Saint-Jacques à Saint-Brieuc est exemplaire : leur nombre n'a jamais été aussi élevé et on peut imaginer y pêcher pour une éternité ! Ifremer surveille la situation. La pêche est très encadrée, autorisée un jour par semaine seulement et pendant 45 minutes. Or les pêcheurs vivent bien. Il s'agit d'une aire marine protégée, il serait stupide d'interdire la pêche. Toutefois le parc éolien est installé sur le gisement de coquilles Saint-Jacques.
Si le plan de la Commission était adopté, la flotte de pêche se réduirait encore, alors que le secteur vient de connaître le plan de sortie de flotte post-Brexit, et les importations augmenteraient en conséquence. J'ajoute aussi qu'à partir de 2026, les Britanniques pourront interdire l'accès à leurs eaux ; on doit s'attendre à un report de la pêche vers nos eaux - il faudra se montrer vigilant.
Mme Micheline Jacques. - La pêche est très importante dans les outre-mer. La Guadeloupe et la Martinique se battent pour obtenir la reconnaissance à Bruxelles de la pêche traditionnelle. La ressource halieutique diminue fortement dans la mer des Caraïbes à cause de la pêche de navires étrangers, notamment asiatiques, chinois en particulier. De petits pays leur donnent des droits de pêche et leurs navires-usines écument cette mer qui était pourtant l'une des plus poissonneuses au monde auparavant.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Je ne peux que partager votre inquiétude. Outre les Antilles, ce problème concerne aussi les côtes africaines ou l'océan Indien. Les navires-usines chinois gigantesques sont accompagnés d'une flottille de chalutiers qui les approvisionnent. Ils congèlent le poisson et le ramènent en Chine. Le golfe de Guinée, très poissonneux, voit son stock de poissons se réduire. Le thon est menacé dans l'océan Indien. En dépit d'une interdiction totale de la pêche aux requins, ces derniers font l'objet d'une pêche sauvage, car on prête à leurs ailerons, dans certains pays d'Asie, des vertus aphrodisiaques.
Mme Sophie Primas, présidente. - C'est le cas aussi pour la corne de rhinocéros.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Les filets maillants dérivants ont été interdits pour éviter que des mammifères marins ne se prennent dans leurs mailles. Mais nous devons être vigilants. En ce qui concerne les ports ultramarins, ces derniers peuvent demander à bénéficier du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
M. Daniel Salmon. - Pouvez-vous me confirmer que seulement 0,03 % de la surface maritime métropolitaine bénéficie d'une protection stricte, où la pêche est interdite ?
M. Alain Cadec, rapporteur. - Je le confirme.
M. Daniel Salmon. - C'est trop peu !
M. Alain Cadec, rapporteur. - Le Comité national des pêches et Ifremer mènent une réflexion pour identifier les zones les plus sensibles, où la pêche devrait être interdite.
La commission adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi visant à maintenir provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs - Désignation d'une rapporteure
Mme Sophie Primas, présidente. - Il nous revient de désigner un rapporteur sur la proposition de loi de notre collègue député Thomas Cazenave, qui a pour objet de maintenir le dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle de l'indice des loyers commerciaux et le plafonnement de l'indice de référence des loyers au profit des ménages.
Le texte sera examiné en séance le mercredi 7 juin. Nous l'examinerons en commission le mardi 6 juin prochain. Je propose que nous désignions Mme Viviane Artigalas en tant que rapporteure sur ce texte.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Gouverner c'est prévoir. Il était prévisible que l'inflation aurait des conséquences sur les loyers ! Le pouvoir est dans un état de décomposition avancée. Il semble sans cesse découvrir l'évidence.
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes nombreux à partager votre point de vue...
La commission désigne Mme Viviane Artigalas rapporteure sur la proposition de loi n° 1262 (AN, XVIe lég) maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs, sous réserve de sa transmission.
Proposition de résolution européenne sur la réforme du marché européen de l'électricité - Désignation d'un rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente. - La commission des affaires européennes examinera ce jeudi 1er juin la proposition de résolution européenne de MM. Daniel Gremillet et Claude Kern relative à la réforme du marché européen de l'électricité, qui fait suite aux propositions d'organisation de ce marché présentées le 14 mars dernier par la Commission européenne, pour limiter la hausse des prix de l'électricité et protéger les consommateurs.
À la suite de son adoption par nos collègues de la commission des affaires européennes, cette PPRE sera renvoyée au fond à notre commission des affaires économiques. Aussi, je vous proposerai que nous l'examinions dès la semaine prochaine et que nous désignions par cohérence et dans la continuité de ses travaux M. Daniel Gremillet en tant que rapporteur.
La commission désigne M. Daniel Gremillet rapporteur sur la proposition de résolution européenne présentée par MM. Daniel Gremillet et Claude Kern, au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, relative aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union.
Audition de M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles
Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), de sa venue, qui fait suite à son élection à ces fonctions le 13 avril dernier, pour évoquer les grands enjeux de l'agriculture française et de l'agroalimentaire.
L'actualité agricole, qu'elle soit européenne, législative ou médiatique, est particulièrement riche depuis plusieurs mois. Votre parole de représentant du principal syndicat agricole français est attendue et ne manquera pas d'être commentée.
Les sujets de ce matin sont cruciaux, complexes et sensibles : souveraineté alimentaire, reconquête de nos forces productives et de notre compétitivité, renouvellement des générations, transition écologique, durabilité. Comment relever tous ces défis, parfois urgents ?
Il ne vous aura pas échappé que le Sénat a d'ores et déjà quelques idées en la matière qui, je crois, rencontrent un écho au sein du monde agricole comme dans les médias. Il a en effet adopté la semaine dernière, à une large majorité, la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France déposée par les sénateurs Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou, faisant suite à leur rapport sur la préoccupante perte de compétitivité des filières agricoles françaises. Depuis dix ans, nous avons beaucoup légiféré sur la transition écologique, mais peu sur la compétitivité, alors que l'une ne peut aller sans l'autre.
Cette proposition de loi aborde des thématiques centrales : l'excès de normes et de charges, l'innovation au service de la productivité, l'attractivité du métier d'agriculteur et la nécessaire transition écologique. Certaines mesures ont eu un écho particulier, comme le livret Agri, le diagnostic carbone, l'usage expérimental de drones, le pouvoir du ministre de l'agriculture vis-à-vis des décisions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ou encore les dispositions relatives à l'eau.
Surtout, ce texte a permis au Sénat de se positionner en amont de l'examen du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, qui sera - certainement - présenté à l'automne par le Gouvernement. Quelles sont à cet égard les attentes de vos adhérents ? Quels leviers faut-il actionner pour assurer une meilleure transmission des exploitations agricoles ?
Faut-il rouvrir le vaste débat du foncier agricole, quelques mois après la véritable entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous ? En effet, ses décrets d'applications n'ont été publiés que bien tardivement.
Quels équilibres trouver entre la loi d'orientation et le pacte, certains syndicats agricoles privilégiant la première là où d'autres, dont le vôtre, préféreraient le second ?
Au-delà, la commission souhaiterait vous entendre sur la transition écologique de l'agriculture, ses leviers et ses difficultés. Comment maintenir une production compétitive avec de moins en moins de produits phytopharmaceutiques ? Les trois scénarios présentés par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) pour une agriculture européenne sans pesticides à l'horizon 2050 sont-ils crédibles ? À quelles conditions ?
Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur sans condamner, comme semble y inviter la Cour des comptes, notre tradition pluriséculaire d'élevage ?
Enfin, on ne peut parler d'agriculture sans parler d'Europe. Là encore, l'agenda est chargé, avec la présentation en juillet d'un vaste « Pacte vert » qui aura un impact profond sur l'agriculture et, en premier lieu, les négociations autour du règlement pour un usage durable des pesticides (SUR, Sustainable Use of Pesticides) : la France soutient le projet de la Commission, mais sans souscrire à un certain nombre d'amendements de la rapporteure, notamment sur le relèvement de la cible de réduction des pesticides les plus dangereux d'ici 2030 ou encore sur l'extension des zones de non-traitement (ZNT) à 50 mètres.
Les négociations sont aussi houleuses autour de la directive relative aux émissions industrielles (IED, Industrial Emissions Directive), qui risque d'affecter très durement l'élevage français.
Enfin, nous observons le rejet inédit par la commission de l'agriculture du Parlement européen de la proposition de règlement sur la restauration de la nature, au moment où le Président de la République a invité à une « pause réglementaire » en matière de normes environnementales.
Bien d'autres textes sont en cours d'élaboration, comme l'actualisation de la législation sur le bien-être animal ou encore les négociations autour des nouvelles techniques d'édition génomiques (NGT, New Genomic Techniques).
Quel est l'effet de cet environnement législatif et réglementaire changeant sur notre agriculture ? Quels en sont les opportunités et les risques ? Si l'on veut rester positif, ce pacte vert ne pourrait-il pas être l'occasion pour la France d'obtenir enfin des résultats sur certains dossiers majeurs, à commencer par les fameuses clauses miroirs, âprement défendues sur toutes les travées du Sénat ?
Nous sommes impatients de vous entendre sur ces sujets et sur l'avenir de notre modèle agricole si particulier qu'il convient, à l'heure où l'on redécouvre les vertus de la souveraineté alimentaire, de protéger, voire d'aider à se développer.
M. Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles. - Je remercie votre commission de l'intérêt qu'elle porte à l'agriculture.
Je suis, avant toute chose, un agriculteur seine-et-marnais. En 2002, j'ai repris l'exploitation de mes parents, qui la tenaient eux-mêmes de leurs propres parents, dans le terroir du Multien, au nord de la Brie. Mon exploitation est tournée vers les grandes cultures et les légumes de plein champ, mais aussi, depuis peu, vers l'énergie, via la méthanisation.
Élu par mes pairs il y a un mois, je vais évoquer l'ambition défendue par la FNSEA, corps intermédiaire dont tout le monde a compris l'intérêt ces dernières années dans la construction du dialogue social. La première de ces ambitions est, évidemment, la souveraineté alimentaire. Soyons précis : elle s'entend comme la capacité de la France à assurer demain la fourniture d'une alimentation en quantité et en qualité à nos compatriotes, mais aussi à tenir sa place dans le monde - je pense notamment au monde méditerranéen et au monde africain. Nous avons des atouts à faire valoir : la France est ouverte sur quatre océans et sur le bassin de consommation européen. Par ailleurs, son expertise scientifique est reconnue et on oublie trop souvent, de surcroît, combien nos agriculteurs et agricultrices sont bien formés. Ces conditions de production sont une chance à l'échelle de la planète et nous n'en avons pas assez conscience.
Notre vision de la compétitivité est ouverte : ni autarcie ni repli sur soi. La balance commerciale française des produits agricoles est d'ailleurs en chute libre, vins et spiritueux, produits laitiers et céréales exceptés, alors qu'elle était l'un des rares éléments contributifs : nous perdons des parts de marché.
Derrière le sujet de la souveraineté se profile celui de la compétitivité. Or, depuis vingt ans, la ferme France recule, tant en matière de production que de création de valeur ajoutée ou encore d'échanges, ce qui n'est pas sans poser question quant au positionnement de notre agriculture et à l'intérêt de la Nation pour la production agricole et alimentaire. Il se trouve que le covid et le retour de la guerre en Europe remettent au premier plan l'intérêt de garantir une alimentation de proximité, de qualité et de naturalité, alors que notre agriculture est reconnue comme l'une des plus durables au monde. Cette prise de conscience n'est pas toujours au rendez-vous : soyons un peu cocardiers !
Une dizaine de pays seulement, dans le monde, sont capables de fournir à l'étranger une production agricole excédentaire de façon durable. En matière d'agriculture, la question de l'échelle européenne se pose très naturellement : les blocs mondiaux - États-Unis, Chine - considèrent déjà la question alimentaire comme une arme de soft power. Cette appréciation pourrait d'ailleurs évoluer, ce que montrent les conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de marché, particulièrement des céréales, avec des effets logistiques immédiats et la bataille pour alimenter certains pays africains.
Si, avec la guerre, la question énergétique est très vite apparue dirimante aux Français, le coût de l'alimentation a lui aussi augmenté, de l'ordre de 16 %. Au cours des dix dernières années, avant les lois Égalim, la France a connu une déflation, une destruction de valeur et des pertes d'exploitation insupportables pour les agriculteurs. Désormais, nombre de foyers ne sont plus en mesure de se nourrir de manière équilibrée et plusieurs fois par jour.
À l'échelle de la planète, les sujets de la malnutrition et de la sous-nutrition s'aggravent : 800 millions de personnes étaient concernées, elles sont désormais plus d'un milliard.
Pour ce qui est de la transition, de plus en plus de pays, dont la France, sont touchés par le changement climatique. Ceux d'entre vous qui sont élus dans le Sud de la France, notamment dans les Pyrénées-Orientales, ont pu le constater.
La souveraineté ne va pas sans moyens de production, à commencer par le foncier. Comment préserver les terres agricoles et maintenir l'équilibre entre l'agriculture, les autres activités économiques et l'habitat ? Maire d'une comme rurale de 260 habitants, je suis particulièrement sensible à ces équilibres - et je sais que le zéro artificialisation nette (ZAN) fait l'objet de discussions au Sénat.
Si l'on peut reprocher à l'agriculture ses effets sur la biodiversité, l'artificialisation de sols agricoles cause des disparitions définitives. Nous admettons la nécessité de déployer partout les services publics et tout ce qui est nécessaire à la cité, mais la terre agricole n'est pas une réserve sans fond d'urbanisation. Or, à lire les documents d'urbanisme, tel est trop souvent le cas, dans un contexte où le partage de l'espace est parfois l'objet de crispations sociétales.
L'eau compte aussi parmi les moyens de production ; en la matière, le débat s'est exacerbé, notamment autour des réserves de Poitou-Charentes, que certains appellent « mégabassines ». Quelques chiffres : il pleut 500 milliards de mètres cubes d'eau par an en France, quantité peu modifiée par le changement climatique, avec une légère baisse depuis deux ans. Sur ce total, 200 milliards de mètres cubes sont réellement utilisables, le reste repartant dans le cycle de l'eau. Les prélèvements s'élèvent à 31 milliards de mètres cubes, dont 3,2 milliards pour l'agriculture, contre 4,5 milliards en 2000. L'agriculture a donc réduit sensiblement son impact de 30 % - c'est une bonne chose. Avec un mètre cube d'eau, on produit aujourd'hui 30 % de biomasse supplémentaire. Quant à l'eau effectivement consommée par l'agriculture, elle représente 2,8 milliards de mètres cubes selon le ministère de l'écologie. Ce qui fait débat, c'est la période de prélèvement. Le maïs défraie la chronique, mais il est en réalité une plante intéressante si l'on rapporte la quantité de matière produite au volume d'eau consommé.
L'agriculture a aussi une responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre : 20 % des émissions françaises, la France émettant elle-même 0,9 % du total mondial. Réduire les émissions suppose de produire de la biomasse, produite à partir d'énergie, la photosynthèse, et d'eau, tombée du ciel ou stockée - d'où notre combat en faveur du stockage. Le caractère déraisonnable de ces discussions nous décontenance, s'agissant d'un sujet très ancien : les Grecs et les Romains, déjà, stockaient l'eau...
Nous avons demandé que cette question fasse l'objet d'une réflexion apaisée dans le cadre de la planification écologique. Le stockage pourrait d'ailleurs être partagé, multi-usages, très divers en fonction des territoires - en Poitou-Charentes, où les pentes sont faibles, les problèmes ne se posent pas de la même manière que dans d'autres territoires.
Les hydrogéologues et les météorologues nous disent que les précipitations vont devenir de plus en plus erratiques : l'eau devra être mieux partagée et mieux stockée. Je n'ignore pas que, dans certains territoires, l'accès à l'eau devient difficile ; je pense notamment aux Alpes-Maritimes. Il faut avoir ce débat de façon dépassionnée. À ceux qui ne cessent d'évoquer le modèle productiviste français, je veux rappeler que notre agriculture est plurielle : les modèles diffèrent de beaucoup en fonction des territoires.
Sur les produits phytosanitaires, on prête beaucoup de propos à la FNSEA. Je voudrais être très précis.
Aujourd'hui, on ne sait pas produire en quantité et en qualité sans se passer d'un certain nombre de produits phytosanitaires, qu'ils soient naturels ou de synthèse. Cela veut-il dire qu'il faut renoncer à tendre vers le « zéro phyto » ? La réponse est non. Des efforts ont été faits sur les produits les plus dangereux, classés CMR 1 - 87 % d'entre eux ont disparu -, ainsi que sur les substances de catégorie CMR 2, dont l'utilisation a déjà baissé.
Peut-on aller plus loin ? La réponse est oui ; il y faut une trajectoire et des investissements, qui seuls nous permettront de ne pas nous retrouver dans l'impasse. C'est le refus d'une telle impasse que défend la FNSEA. Vous le savez, les produits phytosanitaires font l'objet d'une homologation européenne et d'autorisations de mise sur le marché nationales. Si un produit pose des problèmes de santé publique, cela vaut en France comme en Allemagne ou en Italie : le retrait de certaines molécules en France et pas ailleurs pose question du point de vue de la compétitivité. Nos concurrents nos plus féroces ne sont pas à l'autre bout de la planète : il s'agit de nos voisins immédiats au sein de l'Union européenne.
J'en viens à la recherche et à l'innovation. Des discussions ont lieu en ce moment même à Bruxelles sur les nouvelles techniques de sélection. Dans un cadre qui doit être clairement défini - il faut un encadrement éthique du brevetage du vivant -, nous devons continuer de pouvoir bénéficier du progrès et des techniques qui nous permettront demain d'accélérer, non pour nous vendre à quelque grande firme, mais pour faire notre travail dans le souci constant de l'équilibre agronomique. Je parle ici de mutagenèse et non de transgenèse - il ne s'agit donc pas d'organismes génétiquement modifiés.
Une ferme, quelle que soit sa taille, quel que soit le territoire, c'est une petite entreprise et c'est un compte de résultat : si elle ne rémunère pas l'agriculteur, elle ne dure pas. Notre mission, en définitive, est de faire en sorte que le revenu des agriculteurs soit maintenu.
Nous avons été agacés d'entendre que les discours sur le faible revenu des agriculteurs relèveraient de la complainte : ce revenu doit être défendu. Les politiques publiques sont importantes, politique agricole commune en tête ; mais ce qui fera que, demain, l'agriculteur pourra vivre de son activité, la développer et investir, c'est d'abord sa capacité à vivre de son produit sur un marché rémunérateur, comme n'importe quelle PME de l'artisanat et du commerce. C'est tout le combat que nous avons mené dans le cadre de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs (Égalim 2).
Les agriculteurs sont actuellement la catégorie socioprofessionnelle qui travaille le plus : 55 heures par semaine en moyenne et même davantage dans l'élevage. Si nous voulons demain attirer des talents, il faut un peu d'attractivité. Comment, dans les conditions actuelles, inciter les jeunes générations à s'engager pour la vie dans l'agriculture, secteur dans lequel la rentabilité des capitaux employés est la plus faible - 1 % à 2 %, contre 6 % dans le commerce et l'artisanat, 10 % dans l'industrie et 20 % dans les services ? Investir des sommes considérables pour s'installer, acheter un cheptel, un hangar, du matériel agricole, une serre, travailler davantage que la moyenne, et ne pas toujours obtenir la pleine reconnaissance de la Nation, cette équation n'est pas tenable. Nous pensons, nous, que ces métiers, qui consistent à nourrir nos compatriotes trois fois par jour, ont du sens. Nous sommes inscrits dans les transitions et nous nous adaptons aux demandes exprimées par le consommateur d'une plus grande proximité et d'une plus grande naturalité.
Je rappelle que les achats se font principalement dans le cadre de la grande distribution ; la période de la crise sanitaire avait permis aux exploitations tournées vers la vente directe de connaître une embellie importante, mais, depuis, les espoirs ont été noyés.
L'agriculture cherche en ce moment 70 000 collaborateurs, qui pourraient être les nouveaux installés de demain. Nous avons du mal à les trouver, bien que nos métiers offrent aujourd'hui un plus grand confort d'exécution, une moindre pénibilité au travail, qu'auparavant - mais il est vrai que cette pénibilité est plutôt supérieure à la moyenne, s'agissant d'une vie passée essentiellement à l'extérieur, dans des conditions parfois rudes.
Il reste en France 420 000 exploitations professionnelles ; 162 000 à 165 000 agriculteurs vont partir à la retraite dans les cinq à sept années à venir. Si l'on veut assurer le renouvellement des générations et le maillage du territoire en exploitations agricoles, nous avons besoin d'attirer les jeunes.
Sur le front des lycées professionnels et de la formation agricole, qui ont repris des couleurs, les nouvelles sont plutôt bonnes. La FNSEA a d'ailleurs publié cette année un rapport d'orientation sur cette question. Un quart seulement des nouveaux exploitants qui vont s'installer dans les dix prochaines années seront issus du monde agricole : pour trois quarts d'entre eux, il s'agira de personnes non issues du milieu agricole (Nima), choisissant ce métier car il est porteur de sens. Nous avons intérêt à aider ces personnes dans la concrétisation de leur projet professionnel. La mission de la FNSEA, redéfinie, consiste d'ailleurs à « s'engager avec les femmes et les hommes qui ont le goût d'entreprendre en agriculture pour des territoires vivants et dynamiques » - l'activité agricole restera toujours une affaire d'hommes et de femmes qui ont le goût d'entreprendre, quelles que soient par ailleurs sa mécanisation et sa modernisation, et le combat de l'installation doit être relevé.
Il nous faut par ailleurs recréer un dialogue avec l'ensemble de la société. À regret, nous constatons qu'il y a encore dix ou vingt ans la plupart de nos compatriotes avaient un lien avec l'agriculture - un cousin, un oncle, un grand-père. Aujourd'hui, la plupart des Français ne savent plus rien de l'agriculture, du rythme des saisons, de l'élevage. Il est indispensable que nous réexpliquions l'intérêt qu'il y a à conserver en France une agriculture de production, ce qui ne veut pas dire productiviste. Les chiffres des importations, en effet, nous alarment : nous importons une part croissante de notre alimentation, 40 % de nos légumes, 60 % de nos fruits, 50 % de nos poulets, 25 % de notre viande bovine, 50 % de notre viande ovine, la liste est longue.
Si l'on veut que nos agriculteurs puissent répondre demain au grand défi de la lutte contre le changement climatique et de la restauration de la biodiversité - car l'agriculture des trente dernières années a sans conteste une responsabilité dans l'atteinte à la biodiversité ; si l'on veut qu'ils continuent à fournir une alimentation de qualité et de proximité à des prix abordables pour le consommateur ; si l'on veut défendre notre modèle social, c'est-à-dire ne pas faire en permanence la courte échelle à des agricultures étrangères dont les conditions de production ne sont pas aux standards français, alors il faut une redéfinition claire du projet politique.
Le temps nous est compté : j'observe que la puissance publique parle beaucoup de réindustrialisation, ce qui signifie que nous nous sommes trompés, collectivement, il y a une trentaine d'années, alors même que la fin d'une forme de multilatéralisme et le retour des tensions aggravent l'effet de cet abandon de pans entiers de notre souveraineté. Nous n'en sommes pas là en agriculture : en la matière, nous avons encore les moyens de notre ambition, qui doit être réaffirmée.
À cet égard, les dispositions défendues par le Sénat dans le cadre de sa proposition de loi nous conviennent. Nous les portons dans le cadre de la préparation du « pacte d'orientation et d'avenir agricoles » avec le ministre de l'agriculture. Sur le portage du foncier, nous sommes prêts à discuter : il y va du renouvellement des générations.
Cela dit, si la loi est parfois nécessaire, veillons à ne pas multiplier les règles : je le dis au législateur, nombre de nos agriculteurs ne s'y retrouvent plus. Un certain nombre de contrôles sont diligentés sur le terrain - c'est tout à fait normal. Or 90 % environ des « précontrôles » organisés par nos fédérations pour accompagner les agriculteurs relèvent des non-respects de la réglementation, le plus souvent des erreurs de bonne foi, qui pourraient faire l'objet d'une verbalisation. Autrement dit, beaucoup d'agriculteurs ne comprennent plus ce qu'on leur demande. Il faut leur indiquer de nouveau où est l'étoile du Berger, quelle trajectoire ils doivent suivre : j'ose à peine utiliser ce mot, mais c'est de simplification que nous avons besoin !
La FNSEA est disponible partout où cette ambition doit être promue. Nous sommes loin de tout bien faire, mais nous prenons très largement nos distances avec ce qui a été notre histoire collective ces soixante-dix dernières années. L'ambition que j'ai évoquée doit parler aux hommes et aux femmes. Le rapport de la Cour des comptes, la semaine dernière, a été une blessure ; hier, la Première ministre, me semble-t-il, a clos le débat. Des efforts sont à consentir, certes, en matière d'émissions de gaz à effet de serre, de préservation de la biodiversité et de réponse aux attentes sociétales, mais la Nation doit envoyer aux agriculteurs des signes de reconnaissance.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci beaucoup, monsieur Rousseau.
Je vais donner la parole à Laurent Duplomb, Jean-Claude Tissot et Françoise Férat, rapporteurs des crédits de la mission budgétaire « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », puis à l'ensemble de mes collègues.
M. Laurent Duplomb. - Je remercie M. Rousseau pour ses propos. Pendant trop d'années, nous avons souffert de l'accumulation de messages discordants. Les événements récents, crise du covid, guerre en Ukraine, nous ont fait redécouvrir certains enjeux stratégiques pour notre pays. L'agriculture française doit nous permettre de recouvrer notre souveraineté et ainsi d'éviter le risque de l'insécurité alimentaire ; il faut, à cet effet, lui donner les moyens de ne pas sombrer en garantissant sa compétitivité. Pendant trop d'années, les ministres comme les défenseurs de l'agriculture française ont manqué d'un cap clair : répondre aux attaques contre l'agriculture était leur occupation quotidienne. Relevons plutôt les défis de la souveraineté et de la compétitivité, et nous redonnerons de la fierté à nos agriculteurs.
M. Jean-Claude Tissot. - Toutes mes félicitations pour votre élection, monsieur le président.
Je souhaite connaître votre position sur la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, qui vient d'être adoptée par le Sénat. Dans mon département, la Loire, je côtoie des agriculteurs - certains sont syndiqués à la FNSEA - dont les exploitations sont de taille « raisonnable », bien souvent inférieure à la moyenne nationale de 70 hectares. Or cette proposition de loi contient majoritairement des dispositions qui ne les concernent pas - je pense à l'augmentation des plafonds de la déduction pour épargne de précaution (DEP), car le texte cible essentiellement les grandes structures. Quel est votre regard sur l'accompagnement des agriculteurs dont les exploitations sont de petite taille, base importante de votre syndicat, qui me semblent peu écoutés ? Voyez le récent décret, en date du 13 mai, portant modification de la définition de l'agriculteur actif, porte ouverte à une financiarisation sans limites de notre agriculture. Vous avez soutenu la rédaction de ce décret : quel message comptez-vous, au travers de ce texte, envoyer à ces agriculteurs-là ?
Je voudrais par ailleurs aborder le sujet de l'agrivoltaïsme. Que pensez-vous de la concurrence déloyale qui pourrait s'installer entre ce type d'installations et le statut du fermage ? Je crains qu'il n'y ait là, pour les agriculteurs, un miroir aux alouettes, qui se fera de surcroît au détriment de la souveraineté alimentaire.
Mme Françoise Férat. - Vous êtes le bienvenu dans mon département, la Marne, monsieur le président.
Vous avez abordé les sujets de l'eau, de la sécheresse et du nécessaire et difficile équilibre à trouver entre les ressources et les besoins. Que pensez-vous des projets de désalinisation de l'eau de mer et de réutilisation des eaux usées ?
La surtransposition est un thème qui revient sans cesse. Dans ce domaine, notre pays se distingue : l'arbitrage politique prend souvent le pas sur le bon sens et sur l'intérêt de notre agriculture. Il se trouve que dans la majorité des États de l'Union européenne la part des normes européennes est inférieure à celle qui est observée en France : -14 % au Danemark, -10 % en Autriche, -39 % en Allemagne, ce dernier pays pratiquant le système de compensation réglementaire dit « one in, one out », qui est discuté, voire discutable. Quel est votre avis sur ce point ?
En ce qui concerne l'enseignement agricole, dont j'ai rapporté le budget pendant seize années, il faut vraiment qu'il colle aux besoins d'aujourd'hui : une montée en compétences est absolument nécessaire pour permettre aux agricultures de mieux aborder leur quotidien complexe et prévenir une détresse toujours plus grande.
M. Arnaud Rousseau. - Monsieur Duplomb, je partage votre sentiment. Si l'on restaure la souveraineté et la compétitivité sans s'assurer d'avoir des agriculteurs et des agricultrices en nombre suffisant pour faire le travail, on n'aura pas gagné la partie : ces objectifs forment un tout. Je tiens, au nom des administrateurs de la FNSEA, à remercier le travail que vous avez fait avec vos collègues, qui a au moins le mérite de poser le débat.
Monsieur Tissot, la FNSEA n'oppose pas les exploitations en fonction de leur taille et de leur type. Dans mon département, la superficie moyenne des exploitations est plus de cinq fois supérieure à ce qu'elle est dans le vôtre, car, de l'un à l'autre, le biotope et la planimétrie diffèrent fortement. Je sais la diversité qui existe au sein même d'un territoire comme le vôtre, et je veille toujours à ce que les problèmes ne soient jamais traités à l'aune de la taille des exploitations, mais bien à l'aune de l'ambition qui est portée.
C'est Bertrand Lapalus, qui vient de votre territoire, qui à la FNSEA est chargé de la définition de l'agriculteur actif : son travail consiste précisément à éviter que demain de simples donneurs d'ordre bénéficient de la politique agricole commune sans être eux-mêmes agriculteurs, comme c'est le cas en Italie. Nous avons y compris porté une condition d'âge, qui n'a pas été retenue au motif de son inconstitutionnalité. Des décisions ont été prises, par exemple, sur l'interdiction du cumul entre aides de la PAC et retraite.
Quelle a été la difficulté ? Elle a tenu essentiellement au calendrier : entre le moment où le prédécesseur de l'actuel ministre de l'agriculture a arrêté les décisions prises dans le cadre du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CSO) et le moment où les décrets d'application ont été publiés, de très nombreux agriculteurs se sont retrouvés coincés. Les problèmes concernaient notamment des agriculteurs qui avaient réalisés des assolements en commun dans le cadre d'une société en participation, ou d'autres qui étaient salariés de leur structure, en viticulture notamment. Nous avons donc demandé au ministère de laisser aux gens le temps de s'adapter pour la première déclaration, dont l'échéance était fixée hier.
Nous continuons à travailler à cette définition de l'agriculteur actif, non pas pour exclure qui que ce soit, mais pour garantir que le capital agricole restera demain un capital patrimonial et non un capital de fonds de pension - nous y avons toujours été extrêmement vigilants.
J'observe au passage que le foncier est en France relativement peu cher comparé aux prix constatés en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne : nous tenons à cette politique d'encadrement.
Pour ce qui concerne le statut du fermage et l'agrivoltaïsme, j'ai rencontré à ce propos le secrétaire général à la planification écologique, M. Pellion. Il m'a confirmé que le Gouvernement anticipait l'installation d'ici 2050 de projets photovoltaïques couvrant 300 000 à 350 000 hectares. Quant à nous, nous nous sommes opposés fermement à un photovoltaïsme au sol détruisant de la valeur ajoutée. En revanche, nous ne sommes pas hostiles au photovoltaïsme, à la condition stricte que les capacités de production agricole ne soient pas significativement réduites.
Nombre de projets exotiques ou peu crédibles ont vu le jour dans un premier temps ; les projets qui émergent désormais sont beaucoup plus robustes et permettent aux agriculteurs de continuer à produire. Y compris en grande culture, il existe aujourd'hui des panneaux qui laissent les engins passer.
Pour ce qui est de la concurrence entre production d'énergie et production agricole, nous sommes favorables aux projets les plus collectifs, seule garantie de rentabilité. Telle est la discussion que nous avons en ce moment avec les énergéticiens : si nous ne sommes pas hostiles au développement des énergies renouvelables, nous refusons d'être la variable d'ajustement. C'est donc à la question de la répartition de la valeur qu'il faut répondre, comme avec la grande distribution. Les compensations qui ont été jusqu'à présent proposées pour les propriétaires et les exploitants sont insuffisantes : si l'on veut éviter des tensions et des contentieux durables et faire en sorte que les projets se concrétisent vite, il faut une concertation équilibrée entre les élus locaux, le monde agricole, les commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), etc.
Quant au statut du fermage, nous souhaitons assurer sa pérennité. Juridiquement, tels que sont construits les baux, des problèmes pourraient se poser ; mais nous sommes en train d'étudier cette question. J'ajoute qu'il est indispensable de réfléchir à la postérité des installations : que se passe-t-il au moment de la restitution des terres, quand les projets arrivent à leur terme ?
Sur les sujets d'eau et de sécheresse, c'est le partage de la ressource qui importe. L'agriculture est souvent pointée du doigt, nous sommes prêts à en discuter, mais il faut aborder la problématique dans son ensemble, notamment en réglant les problèmes d'efficacité des réseaux d'adduction d'eau. Des réserves existent dans votre département, madame Férat - je pense au lac du Der -, qui permettent aux Parisiens de bénéficier d'un flux d'eau permanent, y compris l'été. C'est la planification gaullienne qui y a pourvu ; j'aurais pu évoquer le lac de Serre-Ponçon, sur la Durance, ou le canal de la Neste, dans le Gers : tous les travaux hydrauliques qui permettent aujourd'hui à une agriculture équilibrée de perdurer sont le fruit de choix politiques de long terme.
En matière de réutilisation des eaux usées, la France est très en retard. Israël, pour des raisons géopolitiques évidentes, est en pointe et obtient des résultats très satisfaisants avec des eaux saumâtres, y compris pour produire des fruits dans le Néguev, sous 45 degrés: c'est possible ! Quels sont la volonté politique et le niveau d'investissement ? Je vous renvoie la balle, mesdames, messieurs les sénateurs.
La désalinisation pourrait être utile, mais son coût reste prohibitif. On sait que cela fonctionne, en Israël ou au Maroc. Je pense à la partie méridionale de notre pays : il faudra imaginer des réponses de ce type, sans négliger ni les questions d'équilibre économique ni les problèmes bactériologiques - les essais qui sont menés actuellement ne sont pas complètement concluants s'agissant de garantir au consommateur la plus totale innocuité. Je note d'ailleurs que l'on parle beaucoup de la pollution de l'eau par les produits phytosanitaires ; mais on retrouve de tout dans l'eau aujourd'hui, y compris des matières actives non agricoles - je citerai l'oestrogène. L'agriculture ne saurait se dégager de sa responsabilité, mais il faut une vision globale.
La lutte contre la surtransposition, c'est l'Arlésienne : notre pays a cette capacité à produire de la norme dans des proportions qui ne sont plus tenables. Pour en discuter régulièrement avec les représentants d'autres corps intermédiaires en dehors du monde agricole, je peux vous dire que ce problème va jusqu'à obérer la capacité à entreprendre.
Loin de moi le désir de je ne sais quel libéralisme total : l'agriculture a besoin de règles, d'encadrement, de régulation. En revanche, la surtransposition et l'afflux administratif plongent notre propre administration décentralisée - je pense à nos directions départementales des territoires - dans une certaine schizophrénie difficile à décrypter pour l'agriculteur.
Je vous en donne un exemple qui m'a été récemment rapporté en Côte-d'Or : confrontés à un sujet de tuberculose bovine, les services de l'État, Office français de la biodiversité d'un côté, direction générale de l'alimentation de l'autre, se renvoient la balle et les agriculteurs ne savent pas quoi faire. La plaisanterie dure depuis plus de dix ans...
Pour ce qui est de la surtransposition, si l'on pouvait au moins faire en sorte que les décisions prises s'appliquent à tous de la même façon, cela nous aiderait grandement.
Concernant la détresse des agriculteurs, je vous livre une donnée qui m'a été fournie ce matin même par le président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) : on constate une envolée du nombre d'appels au standard de la MSA depuis la parution du rapport de la Cour des comptes. Un ancien parlementaire, M. Olivier Damaisin, s'est saisi du sujet du mal-être en agriculture, auquel vous avez vous-même travaillé, madame Férat, avec M. Henri Cabanel ; il faut veiller à ce que les agriculteurs comprennent que ce qu'ils font a du sens.
Mme Sophie Primas, présidente. - Je répare un oubli regrettable en saluant M. Clément Faurax, directeur général de la FNSEA, ainsi que Xavier Jamet, responsable des affaires publiques. Je voudrais aussi excuser Henri Cabanel, absent pour cause d'accident de tracteur.
M. Jean-Marc Boyer. - Je vous remercie, monsieur le président, pour ce discours réconfortant qui remet de l'optimisme dans nos débats : voilà qui est bienvenu dans l'actuel climat anxiogène.
La proposition de loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de ZAN, votée par le Sénat, prévoit une garantie rurale d'un hectare par commune. Quelle est votre position sur cette disposition ? Est-il par ailleurs nécessaire de prévoir une exception pour les bâtiments agricoles ?
Le rapport de la Cour des comptes préconise une diminution du nombre de bovins dans les cheptels français ; or il y a en France 17 millions de bovins, soit 0,1 % du total mondial, qui est de 17 milliards. Chaque Français doit-il, sous peine de détruire la planète, se contenter de 500 grammes de viande par semaine ? Que pensez-vous de ces injonctions liberticides ?
Un mot sur l'enseignement agricole : un rapport sénatorial a été fait sur le sujet il y a deux ans. On s'aperçoit que 80 % des élèves de l'enseignement agricole, n'étant pas eux-mêmes d'origine agricole, n'ont pas de véritable projet d'installation en agriculture. Comment faire pour que, demain, les jeunes s'orientent vers l'enseignement agricole, mais aussi soient en mesure de s'installer ?
M. Bernard Buis. - Merci pour vos propos clairs, monsieur le président. Acteur de la concertation sur le pacte et la loi d'orientation et d'avenir agricoles, vous proposez de « défendre la spécificité de l'enseignement agricole dans le cadre de la réforme du lycée professionnel » ? Qu'entendez-vous par là ?
Vous estimez qu'il est nécessaire d'adapter la réglementation afin que les jeunes de moins de 18 ans puissent effectuer davantage de stages de manipulation sur les exploitations agricoles. La réglementation relative à la santé et à la sécurité au travail des travailleurs mineurs est très exigeante ; vous considérez qu'elle pourrait être assouplie en vue de donner un sens à leurs périodes d'alternance et de stage en entreprise. Avez-vous des exemples concrets de ce que pourrait être un tel assouplissement de la réglementation ?
J'ai été par ailleurs alerté par Mme Sandrine Roussin, présidente de la FDSEA de la Drôme, sur le projet de directive sur les émissions industrielles. Quelle est la position de la FNSEA sur ce sujet ? Avez-vous échangé avec les ministères concernés ?
Monsieur le président, vous êtes le bienvenu dans la Drôme, pourquoi pas à l'occasion du salon Tech&Bio qui se tiendra au mois de septembre !
Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je m'associe aux remerciements de mes collègues.
Je souhaite vous interroger tout d'abord sur la prédation du loup, qui cause des dommages considérables à l'élevage : l'espèce prolifère désormais dans 52 départements, causant de nombreux dommages. Nous sommes dans une phase cruciale : un nouveau plan national d'actions sur le loup et les activités d'élevage va s'ouvrir. Échangez-vous à ce sujet avec le Gouvernement ? Force est de reconnaître que le Parlement est complètement écarté de la négociation relative à ce nouveau plan, malgré l'existence au Sénat d'un groupe de travail.
Concernant la sécheresse, ensuite, dans mon département, de nombreuses communes font l'objet d'un arrêté préfectoral qui limite fortement la consommation d'eau. Que pensez-vous d'une éventuelle généralisation des compteurs d'eau intelligents ? La FDSEA des Alpes-Maritimes a émis le souhait que des compteurs séparés soient mis en place, car on y trouve de nombreuses résidences appartenant à des gens extrêmement riches qui se moquent d'économiser l'eau lorsqu'il s'agit de remplir leurs piscines. L'eau étant un bien commun, il est interdit de couper l'alimentation en eau d'une résidence principale ; quid d'un aménagement de la loi Brottes permettant de ne couper l'alimentation que pour certains usages ?
Sur les paiements pour services environnementaux en agriculture, enfin, la FNSEA avait présenté, en 2019, le programme d'accompagnement Epiterre. Quels en sont le bilan et les perspectives ?
Mme Martine Berthet. - J'appuie ce que vient de dire ma collègue sur le sujet du loup : je reçois tous les jours des messages désespérés d'éleveurs. À cette difficulté s'ajoutant les attaques des militants anti-élevage, ils ont l'impression de voir détruire leur métier. Quelles actions comptez-vous mener dans ce contexte ?
Quelles mesures prenez-vous par ailleurs auprès des collégiens pour promouvoir l'attractivité de tous les métiers de l'agriculture ? Je me fais ici le relais de nos arboriculteurs : ceux de mon département, la Savoie, s'inquiètent énormément pour la relève.
M. Joël Labbé. - Une question concernant la viande in vitro : lors d'une audition au Sénat dans le cadre de la mission d'information sur le sujet, le représentant de la FNSEA a déclaré que votre syndicat n'y était pas fermé, précisant que les fermes françaises étaient trop petites pour être compétitives et satisfaire une demande alimentaire bon marché. Je souhaiterais recueillir votre point de vue.
Par ailleurs, madame la présidente, je trouve très intéressant que la FNSEA ait l'occasion de nous présenter ses positions. L'agriculture étant plurielle, vous l'avez rappelé, il serait intéressant également que nous recevions les représentants des autres syndicats.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci de tracer des perspectives, monsieur le président : nous en avons besoin.
Vous n'avez pas beaucoup parlé de la PAC : que pensez-vous du Green Deal et de l'objectif de diminution de la production ?
Vous avez évoqué la fin du multilatéralisme ; dans le monde agricole, nous n'y sommes pas, me semble-t-il.
Concernant le développement des énergies renouvelables, comment faire en sorte que de petites unités de méthanisation adossées aux productions locales, dans des zones intermédiaires à faible potentiel, ne soient pas écartées du dispositif prévu dans le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables ? La question se pose par exemple en Côte-d'Or.
Le revenu des agriculteurs dépend des prix, des aides et des charges. Vous disposez déjà, semble-t-il, d'un premier bilan d'étape sur la contractualisation Égalim 2 : où en sommes-nous ? La première année, nous avions constaté une augmentation de 3,5 % des tarifs...
M. Daniel Gremillet. - Merci pour la qualité de votre intervention, monsieur le président.
Je voudrais dire un mot du rapport de nos concitoyens à la consommation alimentaire, à l'heure où la situation est jugée si critique que voient le jour des initiatives telles que le chèque alimentaire ou le panier anti-inflation, qui reviennent à solliciter le contribuable. Pourtant, en 1980, un tiers du revenu des ménages allait à l'alimentation - et ce chiffre ne prend pas en compte les jardins familiaux ; en 2023, cette part est tombée à 16 %. On marche sur la tête ! Quid de la reconnaissance du métier d'agriculteur ?
Je veux évoquer par ailleurs la lame de fond qui menace de submerger la filière de l'élevage : trop, c'est trop. À cet égard, le rapport de la Cour des comptes est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, en attendant le dossier du bien-être animal... Cela me fait penser au nucléaire : à force de dire que c'est néfaste... Je suis choqué d'entendre des cadres de l'industrie agro-alimentaire me dire qu'ils vont quitter la France pour des pays qui, eux, croient encore à la transformation des produits de l'élevage.
Pour assurer le renouvellement des générations, il faut inventer des contrats prévoyant des périodes de tuilage plus longues : trois ans ne suffisent pas.
Je conclurai en évoquant le dispositif Égalim 2 : nous le disions d'emblée, il ne peut fonctionner en France qu'en période de déflation. En 2022, pour ce qui est du prix du lait, la France était avant-dernière en Europe. Aujourd'hui que le prix baisse chez nos voisins, Égalim pourrait enfin redonner du revenu aux éleveurs français ; mais voilà que le ministre de l'économie demande de renégocier les prix...
Mme Amel Gacquerre. - Comme vous, pour ce qui est des produits phytosanitaires, je dis oui à une réduction de leur usage, mais non à des interdictions sèches, qui créent des situations d'impasse, comme pour la culture betteravière dans le Pas-de-Calais.
Je veux donner l'alerte concernant la situation de la filière de la pomme de terre, point fort traditionnel des Hauts-de-France, qui concentrent deux tiers de la production nationale : affecté par la sécheresse et par la hausse du coût de l'énergie, le rendement national a baissé de 12 % en 2022 par rapport à 2021, aboutissant à la récolte la plus faible de ces 20 dernières années.. Que pouvons-nous attendre du Gouvernement ?
Vous avez évoqué la souveraineté alimentaire. Or, nous le savons, notre agriculture est dépendante de nombreux intrants : entre 40 % et 50 % des intrants agricoles sont importés. Avec Sophie Primas et Franck Montaugé, nous avons coécrit un rapport dans lequel nous recommandons d'élaborer un plan de résilience de la chaîne alimentaire incluant la constitution d'un stock stratégique de denrées agricoles, sur le modèle d'une loi allemande adoptée en 2017 sur la fourniture de denrées alimentaires de base en cas de crise d'approvisionnement. Cette loi donne autorité au gouvernement pour déclarer une crise de l'approvisionnement déclenchant des obligations de stocks et d'information. Que pensez-vous de cette recommandation ?
Vous êtes le bienvenu dans le Pas-de-Calais, monsieur le président !
M. Daniel Salmon. - Je suis quelque peu inquiet : vous avez parlé d'assurer la continuité ; or le bilan n'est pas bon : nous avons perdu en dix ans 100 000 actifs agricoles, 80 % de la masse des insectes et 60 % des oiseaux des champs ; et les pesticides sont très clairement pointés du doigt. Or, vous le savez, la biodiversité est essentielle à la résilience. De quelle continuité parlez-vous ?
Vous avez parlé du foncier agricole : nous devons le préserver. Un jeune sur deux qui se destine à l'agriculture souhaite s'installer en agriculture biologique. Comment accompagner ce mouvement ?
Il est beaucoup question, pour les mettre en doute, d'études émanant d'organismes aussi divers que l'Anses, la Cour des comptes ou l'Inrae. Quelles sont vos relations avec ces organismes ?
M. Christian Redon-Sarrazy. - Le sujet du foncier est central pour le renouvellement des générations. Or, dans les zones intermédiaires, où le revenu par hectare est faible et le nombre d'installations en chute libre, les cédants, souvent démarchés par des opérateurs d'énergie aux pratiques commerciales agressives, se laissent parfois séduire et soustraient ainsi des espaces à l'activité agricole. Quelle est la position de la FNSEA sur ces cessations d'activité et ces repreneurs non agricoles ? Faudrait-il imposer aux propriétaires qui cessent leur activité des contraintes relatives au devenir du foncier agricole ?
M. Denis Bouad. - Vous avez déclaré il y a un mois que, sur 100 euros dépensés pour l'alimentation, 6,90 euros seulement reviennent à l'agriculteur. Où passe la différence ?
M. Fabien Gay. - Nous aurions besoin d'un dialogue démocratique et républicain sur beaucoup de questions. La gestion de l'eau, par exemple, devrait nous occuper beaucoup plus - Dominique Estrosi Sassone elle-même commence, à ce propos, à parler de bien commun. Nous ne sommes plus il y a cinquante ans : en matière d'accès à l'eau, nous allons au-devant de graves problèmes.
À mon tour, monsieur le président, de vous inviter dans mon département, la Seine-Saint-Denis, beau département agricole où l'on trouve de l'apiculture, du maraîchage ou des vignobles - certes, notre vin pique un peu...
Je suis un farouche opposant aux traités de libre-échange : non pas qu'il ne faille pas commercer, mais il n'est pas question de continuer à laisser entrer chez nous le moins-disant social et environnemental, c'est-à-dire, précisément, ce qui ici est interdit.
M. Denormandie, lorsqu'il était ministre, avait commencé un travail sur les clauses miroirs. Je pense, moi, que tout cela ne sert qu'à nous faire avaler les traités de libre-échange. S'il y a des clauses miroirs, il n'y a plus de traités de libre-échange : cela devient du commerce équitable, c'est-à-dire une nouvelle coopération.
M. Olivier Rietmann. - Avec mes collègues de la délégation aux entreprises, je suis en train de faire un rapport sur la simplification des normes applicables aux entreprises ; nous en parlerons quand vous viendrez en Haute-Saône.
Par ailleurs corapporteur de la mission d'information sur les aliments cellulaires, j'ai conduit l'audition simultanée des représentants des trois grandes fédérations agricoles. Le représentant de la Confédération paysanne, au sortir de l'audition, a publié un communiqué de presse déformant les propos du représentant de la FNSEA ; or jamais ce dernier n'a soutenu par quelque moyen que ce soit ce genre d'industrie. Cela dit, la décision de mise sur le marché n'étant pas nationale, mais européenne, si, un jour, l'autorisation devait arriver, l'agriculture devrait s'y adapter.
M. Pierre Cuypers. - Je vous invite, monsieur le président, à demeurer le plus souvent possible dans le département de Seine-et-Marne !
Vous avez peu parlé de souveraineté énergétique. L'agriculture apporte énormément de solutions ; pour autant, on continue d'opposer usages alimentaires et usages non alimentaires. Quelle est sur ce point la position de la FNSEA ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le président, vous avez fort à faire !
M. Arnaud Rousseau. - Pour ce qui est du ZAN, il y a eu débat au sein de la FNSEA, mais la garantie d'un hectare dans les communes rurales est une position d'équilibre qui nous conviendrait. Je précise qu'à nos yeux les bâtiments agricoles, mais aussi tout ce qui relève de la méthanisation agricole, ne devraient pas être compris dans ce total. La méthanisation agricole consomme du foncier, certes modestement ; nous avons une préférence pour le regroupement des projets à l'échelle locale pour éviter de démultiplier cette consommation. Si l'objectif est de passer de 1 000 à 5 000 ou 10 000 unités, les consommations de foncier ad hoc ne sauraient compter dans le calcul du ZAN.
À propos de la Cour des comptes, j'ai répondu : il s'agit d'une institution indépendante. Le Premier président lui-même est venu expliquer son rapport, ce qui témoigne d'une forme de gêne. Le contenu du rapport mérite d'être examiné ; ce qui pose problème, ce sont les deux recommandations de la page 9 : « réduire le cheptel bovin » et « mieux accompagner les éleveurs les plus en difficulté en développant un dispositif d'aides à la reconversion ».
M. Moscovici s'est rapproché de la FNSEA pour nous proposer d'échanger, ce que nous aurions fait bien volontiers avant la publication du rapport. Je ne suis pas certain que tout cela grandisse vraiment l'institution... Vous aurez noté néanmoins qu'à aucun moment la FNSEA n'a attaqué la Cour des comptes sur son utilité. Il me semble que les représentants des institutions ne devraient pas être ceux qui mettent de l'huile sur le feu.
Comment continuer à créer de la valeur ajoutée dans la filière bovine, thématique abordée dans le rapport de la Cour des comptes ? Nous allons faire, avec d'autres, des propositions sur l'engraissement. Il s'agit de donner des perspectives aux jeunes qui souhaitent s'installer, sachant que l'élevage continue d'attirer, davantage que d'autres secteurs.
Nous tenons aux spécificités de l'enseignement agricole, qui est rattaché au ministère de l'agriculture. Qu'il y ait des exploitations au sein même des lycées, c'est intéressant pour les élèves, et cela ne doit pas disparaître. Nous voulons travailler également sur les orientations dans une optique de coconstruction : les professionnels doivent pouvoir dire quelles ambitions ils portent pour l'agriculture de concert avec le corps enseignant.
Concernant la directive européenne IED, je voudrais dire très clairement que l'élevage français n'est pas un élevage industriel au regard de ce qui se pratique sur le reste de la planète. Levons cette incompréhension : nos élevages n'ont rien à voir avec ce que l'on observe en Chine, en Russie, en Argentine - soyons raisonnables.
Ce sujet est toujours en discussion à Bruxelles. Au fil de la négociation, les seuils, qui diffèrent selon que l'on élève des bovins, des porcins ou des volailles, étaient descendus très bas ; notre ambition est qu'ils soient relevés le plus possible, s'agissant d'élevages le plus souvent familiaux. Qu'il y ait un suivi sanitaire et réglementaire pour assurer la traçabilité, c'est normal, et c'est déjà le cas. En revanche, laisser à penser que les élevages français seraient des élevages industriels ne me paraît pas de nature à garantir l'attractivité du secteur pour les nouvelles générations.
La prédation est le sujet qui monte très fortement. Dans certaines régions, comme le Mercantour, il s'agit d'un sujet ancien. Là où quelques départements seulement étaient concernés il y a une dizaine d'années, on assiste à une explosion du front de colonisation. Il est insupportable pour un éleveur de ne pouvoir aller se coucher sans craindre pour le lendemain, étant entendu que les solutions de claustration ou le recours aux chiens de protection sont inadaptés. On est en train de changer de dimension : en Côte-d'Or, dans la Nièvre, en Saône-et-Loire, des loups attaquent des bovins ; un taureau pesant 1,1 tonne a été attaqué dans l'Yonne la semaine dernière ! Or on ne peut imaginer claustrer les bovins tous les soirs, sauf à méconnaître totalement la réalité du métier d'éleveur.
La position de la FNSEA est équilibrée : elle n'est pas une position « zéro loup ». Le plan national fixe un cap à 500 loups, permettant de maintenir la race. Les derniers comptages de l'OFB font état de 971 individus sur le territoire, et nous sommes probablement très au-delà... Cette situation a conduit à des tirs de prélèvement ; je m'en réjouis, mais il faut aller plus loin.
Dès demain auront lieu, dans les Hautes-Alpes, à Chorges, des assises nationales de la prédation. Nous souhaitons que le ministre de l'agriculture et la secrétaire d'État chargée de l'écologie nous expliquent comment ils entendent faire évoluer le plan Loup, qui doit être réécrit. Le préfet coordonnateur, de mon point de vue, ne conduit pas totalement l'ambition qu'il portait. Nous avons besoin non plus d'un plan de gestion, mais d'un plan de régulation - les mots ont un sens -, pour maintenir une population de loups autour de 500 individus en évitant la colonisation.
J'ajoute qu'il existe des financements pour la prévention et d'autres pour l'indemnisation. C'est le budget du second pilier de la politique agricole commune qui finance la prévention : cette enveloppe, qui était initialement de 35 millions d'euros, 60 millions d'euros actuellement, et devrait même atteindre l'année prochaine 100 millions d'euros - la situation est hors de contrôle.
Quant à l'indemnisation légitime, elle n'est évidemment pas à la hauteur : on indemnise par bête tuée, mais les effets induits des attaques, baisse de la prolificité, gestion du troupeau, ne sont pas supportables s'agissant de métiers dans lesquels la rentabilité est plus que modeste.
Il vous appartient, à vous, parlementaires, de dire si oui ou non, en France, un élevage doit être maintenu - il ne s'agit même plus seulement de l'élevage en montagne. J'ai eu un échange vendredi dernier avec le préfet de région de Bourgogne-Franche-Comté : il est très inquiet.
Concernant la sécheresse et les compteurs, nous n'opposons pas les usages. Je suis élu local : il est impensable que les habitants n'aient pas accès à de l'eau potable. Que certains aient des piscines, je suis ravi pour eux... Il nous appartient de gérer la ressource de manière responsable. La gestion de l'eau hivernale, notamment, doit être améliorée - songez aux largages d'eau qui ont eu lieu cet hiver dans les Pyrénées-Orientales.
L'eau agricole destinée à la production alimentaire doit rester prioritaire au même titre que les usages de l'eau visant à maintenir la biodiversité : voilà notre position. Des efforts de sobriété sont à consentir, nous en sommes tout à fait d'accord. Dans les Pyrénées-Orientales, au pic de la sécheresse, les arboriculteurs ont réduit de 75 % leur consommation : les efforts sont massifs, l'objet étant de préserver la vie même des arbres.
Nous sommes très favorables aux paiements pour services environnementaux (PSE) ; les collectivités territoriales peuvent être des appuis intéressants dans le déploiement de ce dispositif. Nous continuons à promouvoir Epiterre, dont Christiane Lambert, ancienne présidente de la FNSEA, est restée la présidente. Dans le même temps, nous distribuons des crédits carbone « de proximité » aux entreprises qui cherchent à décarboner leur activité.
Un mot sur l'attractivité des métiers : des secteurs comme l'arboriculture ou la viticulture, qui ont besoin de main-d'oeuvre, souffrent d'une véritable crise des vocations. Les conditions d'hébergement et de rémunération ont été améliorées, mais la solution, actuellement, vient essentiellement de travailleurs saisonniers étrangers venant d'Europe de l'Est ou du Maroc et embauchés en contrats Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration). Certains producteurs renoncent à développer leur exploitation faute de combattants pour y travailler. Par ailleurs, le monde agricole s'engage dans la promotion des métiers, mais il reste beaucoup à faire.
Monsieur le sénateur Labbé, sur la viande in vitro, je voudrais vous dire très précisément la position de la FNSEA : la FNSEA est totalement et clairement opposée à la production de viande in vitro, pour des raisons qui tiennent à notre identité et à notre culture. Si une ambiguïté subsistait, je vous prie d'entendre qu'elle est totalement levée, comme l'a précisé le conseil d'administration de la FNSEA il y a quelques jours.
J'observe néanmoins qu'en la matière c'est le cadre européen qui prévaut. La question est donc de savoir ce que nous sommes en mesure de faire pour que le développement de ces productions soit sinon empêché, du moins fortement encadré. Surtout, il faut expliquer ce qu'est la réalité des financements - pour la plupart, ils ne sont essentiellement pas européens - et du bilan carbone de cette production, vraisemblablement moins positif qu'il n'y paraît.
C'est donc un non clair, massif et franc que je prononce ; et nous menons un combat pour que les digues ne sautent pas à tous les étages. À Bruxelles, la direction générale du commerce de la Commission européenne est très tournée vers le libre-échange ; nous défendons, face à elle, une nécessaire régulation.
Je vais dire quelques mots de la PAC, bien que ce sujet soit un peu derrière nous.
Certains enjeux du Green Deal sont d'une actualité brûlante : le dérèglement climatique, l'érosion de la biodiversité. Depuis la présentation du pacte, des éléments exogènes, la guerre notamment, ont redistribué les cartes.
Ce que nous n'acceptons pas, nous, c'est la baisse de l'ambition de production : les Européens doivent continuer à se saisir de ce sujet. L'exemple de la question énergétique est de ce point de vue éloquent, la Russie nous ayant tenu rênes courtes. Sans renoncer à nos ambitions environnementales et sociétales, nous devons, malgré la difficulté du défi, continuer à produire l'alimentation que nous consommons.
Le multilatéralisme a un peu vécu malgré tout : la plupart des échanges, désormais, sont bilatéraux.
L'agriculture a des intérêts offensifs - vin, produits laitiers - et des intérêts défensifs - élevage, viande bovine, viande ovine. Il faut faire des choix ! La semaine dernière, en même temps que sortait le rapport de la Cour des comptes, l'Australie a obtenu un quota d'importation de viande en Europe de 24 000 tonnes en franchise de droits de douane. Loin de moi l'idée qu'il faille renoncer au programme national nutrition santé, qui relève du bien public - je n'ignore pas les problèmes d'obésité et de malnutrition. Je dis simplement qu'on ne peut pas, d'un côté, nous expliquer qu'il faudrait réduire la consommation, mieux manger, réduire le nombre de têtes de bétail, et, de l'autre côté, ne rien faire devant l'augmentation continue des importations. Nous consommons, en France, 1,5 million de tonnes de viande bovine, chiffre relativement stable - ce chiffre a tendance à baisser per capita, mais le volume total reste inchangé. Ce qui augmente beaucoup, en revanche, ce sont les importations : nous avons passé le cap des 400 000 tonnes importées, soit 25 % de notre consommation. Et ce chiffre ne cesse d'augmenter.
Je récapitule : expliquer qu'il faudrait réduire la consommation de viande et le cheptel français alors qu'on ne cesse d'importer davantage et que la consommation reste stable, c'est inacceptable. Qu'on ait le courage politique de nous dire que l'élevage français est un secteur d'ajustement ! Cela dit, j'ai entendu la Première ministre s'exprimer hier devant l'Assemblée nationale : je veux croire que cette ligne claire sera tenue, mais il nous faut des gages.
J'en viens aux petites unités de méthanisation : nous nous battons pour des unités de méthanisation agricole. Nous ne sommes pas complètement alignés avec les grands énergéticiens, qui travaillent à des unités de grande taille, car, une fois encore, nous refusons que les terres agricoles soient la variable d'ajustement. Le sujet de fond, c'est la valeur ajoutée.
Dans certains territoires, la méthanisation s'oppose à l'élevage. Nous considérons qu'il y va de projets de territoire : il faut une complémentarité entre les usages. Dans certaines zones d'élevage, nous avons vu des choses se faire, en matière d'ensilage, que nous ne validons pas. Mais il y a des endroits où il ne faut pas s'empêcher de développer la méthanisation agricole. Les aspects réglementaires du dossier méritent néanmoins d'être revus, sachant que la plupart des projets de méthanisation sont aujourd'hui arrêtés faute de viabilité économique.
Sur la relation entre consommation, alimentation et citoyens, notre ambition est claire : trop longtemps, l'alimentation a été considérée comme une commodité, or les Français doivent accepter de payer le juste prix du modèle alimentaire dont ils souhaitent qu'il soit le leur. À cet égard, que l'alimentation ne représente que 13 % du budget des ménages n'est pas tenable, mais qu'elle pèse pour 18 % n'est pas tenable non plus pour le consommateur.
Je me balade toujours avec un faux billet de 100 euros que je mets en regard de la part agricole, 6,90 euros en moyenne ; le reste, ce sont les coûts de la transformation, de la logistique, de notre modèle social et de la distribution. Dans une baguette de pain qui coûte 1,05 euro en moyenne en France, le blé représente 7 centimes.
Un rapport de l'inspection générale des finances, publié il y a un an et demi, a établi que les lois Égalim avaient permis aux exploitations agricoles de retrouver 25 % de marge, la grande distribution conservant sa part du gâteau. Nous avons besoin de tout le monde : 90 % des gens achètent en grande surface. Reste que la guerre des prix n'est pas tenable pour le maillon de la production : je veux que cela soit su. La grande distribution commence à se poser des questions d'approvisionnement, notamment en viande bovine : j'oeuvre pour lui expliquer que la contractualisation pourrait avoir du sens.
Le chèque alimentaire, la FNSEA l'avait demandé. Une enveloppe supplémentaire de 100 millions d'euros a été allouée aux banques alimentaires, mais il s'agit d'une goutte d'eau compte tenu des besoins réels. Le ministre de l'économie, M. Le Maire, y a mis tout son poids politique. Je l'ai moi-même interpellé : si certains acteurs exagèrent, dites-nous qui ils sont, mais arrêtons le cirque qui consiste à dire « ce n'est pas moi, c'est l'autre » ! Pour ce qui nous concerne, notre ambition est de proposer au consommateur une alimentation française de qualité ; c'est pourquoi nous nous battons pour la traçabilité, pour l'étiquetage, pour l'origine.
Je réponds sur la formation : il faut que nous puissions faire faire des choses aux jeunes qui sont accueillis dans nos exploitations. Un jeune alternant de 16 ans, en agriculture, se voit interdire beaucoup de choses - charges lourdes, bruit, travail en hauteur. Son contrat commence d'ailleurs souvent par un contrôle de l'inspection du travail : ce n'est guère incitatif. L'idée est évidemment d'être très précautionneux et d'organiser la montée en compétences, mais pourquoi prendre un stagiaire si c'est pour qu'il nous regarde faire toute la journée ?
Pour ce qui est de la filière pomme de terre, nous sommes très conscients de la situation difficile qu'elle traverse, qui tient à des problèmes de compétitivité. Ce sont les français, quand ils le peuvent, qui produisent, et nos amis belges qui ont les usines de transformation et qui captent la valeur ajoutée : ce n'est pas tenable. Se posent aussi des problèmes de stockage froid en raison du retrait de substances actives. La production de pommes de terre représentait pour la France un avantage compétitif ; cet avantage est en train, une fois de plus d'être perdu.
À propos des betteraves sucrières, je ne rouvrirai pas le chapitre des néonicotinoïdes. La période des pucerons bat son plein ; s'il y a cette année de la jaunisse - nous le saurons dans quelques semaines -, des sites industriels fermeront et nous devrons importer depuis la Pologne ou l'Allemagne.
Je dis un mot du cycle de l'azote : nous sommes dépendants de l'importation d'azote ; d'où notre préoccupation de pouvoir bénéficier de l'azote organique, qui est le fruit de l'élevage. Nous travaillons, avec le Gouvernement, à décarboner la production d'azote, qui représente 20 % des émissions de l'azote, et à améliorer l'épandage, qui concentre les 80 % restants.
Nous sommes favorables à des stocks de sécurité ; une telle mesure n'est pas au goût du jour, pour des raisons essentiellement budgétaires. Certains y voient le retour d'un interventionnisme public de mauvais aloi, mais ce sujet reviendra à un moment ou à un autre dans le débat public.
Je lis, de-ci de-là, qu'il y aurait de notre part une forme de négation de l'impact de l'agriculture telle qu'elle se pratique. Je n'ai jamais tenu ce genre de propos : on n'est jamais plus efficace que quand on est lucide. Ce que je dis, c'est que les transitions sont en cours et que la FNSEA accompagne toutes les mesures qui permettent de restaurer la biodiversité.
Je veux parler des haies : ce qui bloque, c'est la pénalisation pour non-respect de l'obligation de maintien de la haie. Dans certains endroits, il y a de la haie : il faut la conserver. Dans d'autres, il n'y a historiquement pas de haie - c'est notamment le cas de ma région : ni mon père ni moi n'en avons jamais connu. Il serait utile d'y planter des haies, parce que cela a du sens, à divers égards - agronomie, lutte contre l'érosion des sols et de la biodiversité, etc. Mais comment faire quand le premier mètre planté vous « ficelle » pour cinquante ans ? Il doit être autorisé de revenir en arrière... Autrement dit, je plaide pour la clause du grand-père : maintien de l'existant, mais levée du carcan. Cela relève du cadre législatif mais aussi européen.
J'appartiens à une génération qui est consciente des impacts qu'a eus l'agriculture de ces cinquante dernières années. Reste à trouver l'équilibre entre attractivité du métier, diversité et mutation des modèles de production, satisfaction des attentes sociétales, pour peu que les agriculteurs puissent gagner leur vie et continuer à entreprendre de manière responsable.
J'en viens à l'agriculture biologique : je suis intervenu pour dire qu'il fallait venir en aide aux entreprises qui traversaient une passe extrêmement difficile et que le soutien apporté par l'État n'était pas à la hauteur. Je me réjouis que le ministre ait annoncé quelques mesures complémentaires et que l'État ait exprimé sa volonté de respecter ses engagements, à commencer par les 20 % de produits biologiques dans la restauration collective.
Ce qui fera le développement de l'agriculture biologique, c'est le marché ; si c'est pour importer des produits biologiques, cela ne me satisfait pas. La FNSEA est le syndicat qui regroupe le plus de producteurs en agriculture biologique, et je n'oppose pas les systèmes entre eux - j'observe par ailleurs qu'en ce domaine les niveaux de marge, dans la distribution, nous laissent perplexes.
Au moment où je vous parle, l'urgence est à la stabilisation, car on assiste à un mouvement de déconversion, ce qui n'est une bonne nouvelle pour personne. Notre vocation est d'accompagner les gens qui ont le goût et l'énergie d'entreprendre. À cet égard, rien ne sert d'afficher des objectifs intenables : il faut avant tout faire en sorte de ne pas perdre de terrain en agriculture biologique. Ainsi serons-nous capables, lorsque la consommation reprendra - elle a baissé de 8,6 % sur les six derniers mois -, de relancer la dynamique. Mais, aujourd'hui, convertir des exploitations laitières en agriculture biologique alors que le marché est saturé - certains vont jusqu'à acheter du lait biologique pour le revendre en conventionnel -, cela n'a aucun sens. Il ne doit pas y avoir d'idéologie dans ce débat.
Avec l'Anses, nous avons eu assez peu de relations récemment : nous avons plutôt pris nos distances avec elle, sans jamais l'attaquer. De manière générale, nous avons besoin d'un organisme indépendant qui produise de la donnée scientifique, et nous avons besoin d'un pouvoir politique qui assume des décisions politiques. C'est ainsi que le Président de la République a procédé pendant la crise sanitaire, avec d'un côté un conseil scientifique et de l'autre un conseil de défense sanitaire.
Concernant l'avenir des terres et le développement du photovoltaïque, nous n'opposons pas l'installation au sol et l'installation en toiture. Ce que nous refusons, c'est la perte de production agricole : les terres agricoles ne sont pas une manne où puiser pour construire le nouvel eldorado photovoltaïque. La doxa s'apprête à être figée par décret ; nous y serons extrêmement vigilants.
Pour ce qui est des traités de libre-échange, les clauses miroirs sont-elles un miroir aux alouettes ? Nous veillerons à la réalité des contrôles. Aujourd'hui, les moyens mobilisés pour effectuer des contrôles sont extrêmement faibles. Or les non-conformités sont de plus en plus importantes, notamment dans le secteur de la viande bovine. Tout le monde sait que la viande bovine importée l'est majoritairement depuis l'Allemagne ou les Pays-Bas, mais aussi que, pour une part importante, cette viande n'est en réalité pas d'origine allemande ou néerlandaise. Nous avons donc besoin de plus de contrôles pour assurer la réciprocité des exigences sanitaires et éviter de faire la courte échelle, par le biais des importations, à des produits interdits en Europe. D'une manière générale, si l'argent public français pouvait bénéficier à des produits français, cela nous paraîtrait de bon aloi.
Sur la souveraineté énergétique et la concurrence entre usages alimentaires et non alimentaires, on entend beaucoup de choses. La vocation de l'agriculture est de nourrir ! Pour autant, l'agriculture a toujours réservé une part de sa production à l'énergie, abstraction faite de la petite parenthèse de l'ère pétrolière. Aujourd'hui, moins de 5 % des surfaces agricoles sont consacrées à la production d'énergie : ce n'est pas significatif.
L'enjeu va de toute façon vite tomber : l'objectif commun à tous les acteurs de l'agriculture française va devenir la production de biomasse, qui va lui permettre d'être contributrice nette à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nos assolements vont évoluer : nous allons y arriver.
Je dis un mot des biocarburants : les biocarburants de première génération font débat. Je précise néanmoins qu'ils permettent la coproduction de protéines végétales, dont nous avons un impérieux besoin du point de vue de notre souveraineté et qui permettront de réduire notre dépendance au soja, qui correspond parfois à une déforestation importée.
La question est également industrielle : une usine de biocarburants de première génération vaut 150 millions d'euros environ, quand une usine de biocarburants de deuxième génération, dont il n'existe actuellement qu'un pilote regroupant différents acteurs, en vaut environ 1 milliard d'euros. Des objectifs seront bientôt fixés - je pense au carburant durable d'aviation (SAF, sustainable aviation fuel). Ce qui doit nous rassembler, c'est la production de biomasse, tant pour nourrir les Français que pour contribuer à notre indépendance énergétique, sachant que le « one-fits-all », le modèle unique, ne marche pas en agriculture.
Il faut aussi réfléchir à la répartition future de la biomasse : dans les calculs actuels, elle est souvent comptée deux ou trois fois, mais en réalité il va en manquer. Il faudra donc établir une méthode pour la répartir. Le retour d'une volonté publique en faveur du nucléaire ne produira ses fruits que dans quinze ans. Or nous avons des objectifs de décarbonation d'ici 2030 : dans l'intervalle, il faut agir en utilisant tous les moyens dont nous disposons.
Par ailleurs, pour ce qui est des tracteurs agricoles fonctionnant au gazole non routier (GNR), qui bénéficie d'une importante niche fiscale, nous pensons que les discussions avec les constructeurs permettront d'améliorer l'efficacité des engins du point de vue de l'économie circulaire et de l'impact environnemental. La question est la suivante : quelle est la volonté politique ? Ce type d'investissements exige une continuité des politiques publiques : à cette condition, le défi peut être relevé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 18 h 00.
Projet de loi relatif à l'industrie verte - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie
Mme Sophie Primas, présidente. - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi relatif à l'industrie verte, qui sera examiné en séance publique à partir du 20 juin prochain, nous recevons M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie.
L'examen de ce projet de loi a été renvoyé à la commission des affaires économiques, mais 12 articles, sur les 19 que compte le texte, ont été délégués au fond respectivement à la commission du développement durable, des lois et des finances. C'est pourquoi nous avons le plaisir d'accueillir ce soir nos collègues des quatre commissions.
Monsieur Le Maire, vous vous êtes donné comme objectif de remonter la part de l'industrie dans le PIB français de 10 à 15 %. Il s'agit bien entendu de recréer de l'emploi ; mais il s'agit aussi et surtout, de s'assurer que la France conservera, dans les années à venir, des capacités de production autonome, en particulier dans les secteurs critiques qui soutiendront la transition verte et, bien entendu, dans les secteurs stratégiques pour la souveraineté française.
Nous partageons ces objectifs, confer le rapport que nous avons publié avec Amel Gacquerre. Il me semble aussi que la philosophie générale du projet de loi, qui vise à concilier de manière dynamique développement industriel et transition verte, doit être saluée : c'est pour nous une évidence, mais il est indispensable de répéter que la transition écologique ne se fera pas contre nos industriels, mais avec eux et grâce à eux.
Nous partageons donc votre ambition. Mais je dois vous dire que le détail des mesures proposées dans le texte nous laisse, au mieux, sur notre faim. Vous nous promettiez, le 16 mai, « des instruments révolutionnaires » ; nous n'avons trouvé que des mesures techniques et ultra-ciblées, qui ne nous semblent pas cibler particulièrement la décarbonation de l'industrie ni la création d'industries vertes en France. Vous nous expliquerez en quoi il y aurait « rupture » avec des décennies d'industrie carbonée, nous sommes sceptiques.
Avant que mes collègues rapporteurs ne vous interrogent sur les articles qui relèvent de leur périmètre, je vous poserai quelques questions d'ordre général.
Premièrement, vous avez annoncé des mesures fiscales, notamment un crédit d'impôt « investissements industries vertes », mais sa création est renvoyée à la prochaine loi de finances. Or, tous les industriels avec lesquels nous échangeons insistent sur le fait que ce sont ces dispositions fiscales, ainsi que le volet « aides publiques », qui seront le plus incitatives pour eux. Face aux financements massifs consentis par le gouvernement américain dans le cadre de l'Inflation Reduction Act (IRA) et alors qu'il y a urgence à attirer de nouveaux investissements, vous le dites vous-même, pourquoi perdre les six prochains mois ?
Deuxièmement, nous avons besoin de clarifications sur le périmètre des industries qui seront éligibles aux dispositions prévues par le projet de loi. Je pense aux procédures dérogatoires en matière d'urbanisme, pour lesquelles on parle tantôt de « secteurs des technologies favorables au développement durable », tantôt de projets concourant à la « transition écologique »... Quels seront ces secteurs ? Comment seront-ils définis et sur quels critères ?
Il y a une question d'articulation avec le droit européen, puisque le futur règlement « Net zero industry », en cours de négociation, vise, comme votre projet de loi, à faciliter l'implantation d'industries vertes en Europe et à flécher des financements. La place du nucléaire dans ce règlement fait débat. Ce n'est pas une question anodine pour la France, et nous souhaiterions des clarifications sur le traitement de la filière nucléaire dans le projet de loi.
Enfin, au Sénat, chambre des territoires, vous ne pouviez pas ne pas être interrogé sur le fameux article 9, qui réussit l'exploit à faire l'unanimité contre lui, alors que tout le monde s'accorde sur sa finalité, qui est d'accélérer les délais administratifs d'implantations industrielles. Cet article crée une nouvelle procédure d'autorisation d'urbanisme qui permettrait au préfet, pour des projets qualifiés par décret « d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique », de mettre en compatibilité d'office l'ensemble des documents de planification et d'urbanisme concernés, pour permettre la réalisation du projet. À ce stade, aucune concertation avec les élus locaux n'est prévue.
Vous justifiez cette disposition par la nécessité d'aller vite. C'est faire porter aux collectivités et aux élus locaux la responsabilité de longueurs procédurales qui ne sont pas de leur fait mais, nous le savons tous, qui découlent surtout de la surabondance des règles, et de l'incapacité de services déconcentrés de l'État devenus faméliques à traiter et accompagner correctement les projets qui émanent des territoires.
Personnellement, je ne connais pas un seul maire ou un seul président de région qui s'opposerait au développement économique de son territoire. Mais peut-être en connaissez-vous, Monsieur le Ministre, et peut-être pourrez-vous nous expliquer pourquoi, selon vous, seul l'État serait capable de faire vite et bien.
Cette procédure « hyper-dérogatoire » de l'article 9 est d'autant plus inacceptable qu'aucune disposition n'est prévue, parallèlement, pour exempter les collectivités et les régions où seraient implantés ces grands projets industriels du décompte du « zéro artificialisation nette » (ZAN), et ceci contrairement à l'engagement qui avait été pris par votre collègue Christophe Béchu lors de l'examen de la proposition de loi sénatoriale « ZAN » dans notre hémicycle, en mars dernier. Qu'en sera-t-il ? Comment envisagez-vous de traiter ces grands projets, et les projets industriels de manière générale, au regard du « ZAN » ? Les représentants de la commission spéciale « ZAN » ne manqueront pas de vous interroger plus précisément à sujet.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Je suis très heureux de vous présenter pour la première fois ce projet de loi sur l'industrie verte. Il est décisif pour accélérer la réindustrialisation de notre pays et réussir la transition écologique.
Nous avons une dette et nous avons un défi.
Nous avons une dette vis-à-vis de la Nation en matière industrielle, après quatre décennies de délocalisations industrielles au nom du concept fumeux de « l'industrie sans usine » porté par les élites politiques et économiques, à l'unanimité ou presque, pendant des années. Ce concept fumeux s'est traduit par 2,5 millions emplois détruits, 600 usines fermées, et une industrie qui passe de 20 à 10 % du PNB, alors qu'elle est restée à 23 % en Allemagne et à 18 % en Italie. Cette dette industrielle, c'est un drame économique pour notre nation qui a perdu de ses capacités de production, c'est un drame social en particulier pour les ouvriers et leurs familles ; et c'est un drame écologique, parce que tout ce qui n'est plus produit en France dans des conditions environnementales satisfaisantes est importé de pays qui ne respectent pas les mêmes conditions environnementales. Dans le fond, tous les efforts que nous faisons pour réduire nos émissions de CO2 sur le territoire national sont plus qu'effacés par l'importation de CO2 de pays extérieurs à l'Union européenne.
Depuis six ans, avec le Président de la République, nous avons engagé cette reconquête industrielle et nous l'avons fait en prenant toutes les décisions courageuses que d'autres ont refusé de prendre, je pense en particulier aux décisions fiscales qui ne sont pas les plus populaires mais qui sont les plus nécessaires à l'industrie.
L'industrie, c'est du capital, et garder une imposition très lourde sur le capital, c'était ruiner notre industrie. L'industrie, c'est de la compétitivité, et garder des impôts de production sept fois plus élevés que nos voisins allemands, c'était ruiner notre industrie. L'industrie, c'est un ensemble de compétences, et dévaloriser des métiers industriels alors que nous avons besoin de chaudronniers, de soudeurs, de techniciens de maintenance, d'ingénieurs, c'était tuer notre industrie.
En six ans, nous sommes parvenus à renverser la tendance : 300 usines se sont ouvertes, nous avons quasiment rattrapé la moitié du nombre de fermetures, et pour la première fois depuis trente ans, des emplois industriels ont été créés, 90 000 au total. Nous avons même réussi l'exploit de recréer de nouvelles filières industrielles, c'est une première depuis Airbus.
L'usine « gigafactory » de batteries électriques que j'ai inaugurée hier à Douvrin, après quatre années de scepticisme généralisé, va nous permettre de rattraper notre retard par rapport à la Chine en matière de production de batteries électriques - et si l'un d'entre vous doutait de la capacité de la France à gagner cette bataille industrielle, je l'invite à visiter cette usine qui montre que nous avons les technologies, le savoir-faire, l'envie, le financement, les entreprises privées et la vision de long terme qui nous ferons remonter à 15 % la part de l'industrie dans le PNB, ces prochaines années.
Nous avons également un défi, c'est la transition écologique, elle change radicalement la donne de l'économie mondiale.
D'abord parce qu'elle demande une électricité décarbonée massive. C'est la raison pour laquelle le président de la République a présenté un plan en trois axes : sobriété, énergies renouvelables, développement de nouvelles énergies nucléaires. En deuxième lieu, parce que, comme l'a parfaitement indiqué le rapport Pisani-Ferry, nous allons avoir des besoins de financement de l'ordre de 60 à 70 milliards d'euros pour cette décarbonation. Et en troisième lieu, parce que cette transition écologique nous place face à un choix politique, au sens le plus noble du terme. Car pour réduire les émissions de CO2, il y a deux grandes options : la première, c'est la décroissance, c'est-à-dire produire moins et importer plus - cette solution, nous la refusons ; la seconde option, c'est la croissance verte, qui consiste à produire plus, mais à produire mieux, en investissant massivement dans les technologies vertes et dans l'industrie verte. C'est la voie que nous vous proposons avec ce projet de loi sur l'industrie verte.
Qu'est-ce que l'industrie verte ? C'est à la fois la décarbonation des industries existantes, et la production de nouvelles technologies et de nouveaux produits verts - les deux axes sont complémentaires.
Je le dis avec beaucoup de force à tous les ouvriers qui s'inquiètent, à tous les ingénieurs, à toutes les petites et moyennes entreprises (PME) industrielles qui maillent notre territoire, dont vous êtes les représentants : nous ne laisserons pas tomber l'industrie traditionnelle. Notre objectif n'est pas de remplacer une industrie par une autre, mais de décarboner l'industrie existante.
Dans le même temps, nous voulons produire de nouvelles technologies vertes, de nouveaux produits verts. C'est ce que j'appelle les « Big Five », les cinq grandes technologies essentielles à la transition écologique que sont les pompes à chaleur, les panneaux photovoltaïques, les batteries électriques, l'hydrogène vert et les produits éoliens.
Comment y parvenir et comment ce projet de loi va y aider, en réalisant une révolution industrielle verte ? Car je vous répondrai sans attendre, Madame la Présidente, ce texte représente bien une révolution dans la conception des projets, dans leur financement et dans leurs ambitions.
Le premier défi auquel nous sommes confrontés, quand on se place avec pragmatisme du côté de l'investisseur qui cherche à s'agrandir ou à s'implanter en France, c'est de disposer de terrain disponible rapidement pour l'industrie. Une fois qu'un terrain a été identifié, il faut que les procédures aillent plus vite.
Premier élément de révolution : nous proposons de diviser par deux le délai d'instruction des ouvertures ou des agrandissements de sites industriels, pour le faire passer d'un peu plus de dix-huit mois, à neuf mois. Nous assumons cette méthode qui va faire débat, et qui consiste à passer d'une procédure successive à une procédure parallèle. Actuellement, la procédure comprend plusieurs étapes successives, avec des transitions parfois longues qui expliquent qu'on en arrive à dix-huit mois d'instruction. Le dossier est d'abord examiné par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), puis par l'Autorité environnementale, puis vient l'enquête publique, puis le rapport du commissaire enquêteur, puis encore la rédaction de l'arrêté d''autorisation : nous proposons que ces procédures soient menées conjointement. Cela fera gagner un temps considérable, sans rien perdre en consultation publique : cette nouvelle procédure ne doit pas se faire au détriment des exigences environnementales, ni au détriment des exigences de consultation du public, il s'agit seulement de les concentrer en un même temps pour assurer que les délais soient comparables à ceux pratiqués dans tous les autres pays européens, sans quoi nous n'avons aucune chance de gagner la bataille industrielle.
Ensuite, même si les procédures vont vite, il faut que le foncier soit disponible et pour cela, nous proposons de mettre à disposition des sites clés en main qui seront financés par la Banque des territoires. Nous proposons aussi, en cas de liquidation judiciaire, de rehausser la créance environnementale au rang de créance privilégiée, pour que les industriels soient effectivement responsables de la dépollution des sites, au lieu que la tâche incombe, chacun le sait ici, aux collectivités locales et à l'État.
Enfin, nous proposons d'accélérer les projets d'intérêt national majeur - et je vais répondre tout de suite à votre interrogation tout à fait légitime sur cette procédure d'exception, Madame la Présidente. Elle concernera seulement les sites majeurs - comme les gigafactories -, des projets à plusieurs milliards d'euros représentant des milliers d'emplois. L'idée est que l'État puisse prendre la main pour accélérer les procédures, mais je suis ouvert et je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée pour prévoir, par exemple, un avis conforme des élus locaux sur l'accélération des procédures. Nous avons largement consulté les élus à Dunkerque par exemple. Il est tout à fait possible d'amender le texte sur ce point pour s'assurer que rien ne se fera contre les élus locaux, car on ne fait rien dans un territoire contre les élus locaux, c'est une question de démocratie.
Une fois le terrain disponible et les procédures revenues à des délais raisonnables, il faut encore financer le projet - nous allons avoir besoin de capitaux pour des montants extraordinairement élevés. Nous proposons, d'abord, de mobiliser l'épargne privée, via l'assurance-vie, les plans d'épargne retraite, le livret de développement durable et solidaire, mais aussi le plan épargne climat, qui pourrait être ouvert dès la naissance pour tous les jeunes de moins de 18 ans, avec un taux de rémunération supérieur à celui du Livret A et aucune charge sociale ni fiscale, ce qui devrait le rendre très attractif. Au total, avec un plan épargne climat à un milliard d'euros, nous comptons mobiliser 5 milliards d'euros d'épargne privée pour le financement de l'industrie verte. Je remarque au passage que c'est le montant de « l'ISF vert » tel qu'imaginé par Jean Pisani-Ferry. Je préfère pour ma part mobiliser l'épargne plutôt que créer un nouvel impôt.
Pour financer les projets, nous proposons également de mettre en place un crédit d'impôt. Actuellement, il n'y a que des subventions, qui sont déjà elles-mêmes une véritable révolution : il y a six ans encore, il était hors de question d'apporter des aides d'État à un projet industriel. Avec le Président de la République, nous avons obtenu de la Commission européenne une véritable révolution idéologique avec la mise en place des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), où pour la première fois, chaque État européen a la liberté de subventionner un projet industriel pour qu'il s'implante en Europe. On peut le regretter mais c'était nécessaire pour que des projets industriels continuent à s'implanter en Europe - que ce soit dans le secteur des batteries, des semi-conducteurs, des véhicules électriques, ou de l'industrie automobile, tous ces projets auraient été délocalisés en Chine ou aux États-Unis qui proposent, eux, des aides d'État massives aux industriels pour s'implanter sur leur sol.
Mais la Chine et les États-Unis proposent également des crédits d'impôts, ce que nous ne faisons pas - et ce que nous proposons donc de faire, pour quatre des « Big Five » que j'ai cités (tous sauf l'hydrogène vert, car nous y avons déjà consacré 9,2 milliards d'euros du plan France 2030, et aller plus loin aurait un coût trop élevé pour les finances publiques). Nous prévoyons de financer ce crédit d'impôt par la réduction des niches fiscales sur les énergies fossiles, nous proposons par exemple d'alourdir la fiscalité sur les véhicules les plus lourds et nous proposons de mettre fin au plafonnement du malus automobile à 50 % de la valeur du véhicule automobile. Je crois que nous pouvons attendre le projet de loi de finances pour adopter ces mesures, mais que leur discussion dès ce texte sur l'industrie verte sera un signal aux investisseurs de notre capacité à mettre en place un crédit d'impôt l'an prochain.
Enfin, une fois le site trouvé et le projet financé, il faut encore protéger mieux nos investissements industriels. Or, en France comme en Europe, on a trop longtemps hésité à le faire. Nous allons désormais utiliser toutes les normes environnementales pour valoriser, protéger, défendre notre industrie nationale. Nous mettrons ainsi en place le label « triple E » - pour excellence environnementale européenne - qui donnera un bonus à toute entreprise dans l'accès à la commande publique, laquelle représente 150 milliards d'euros. Nous voulons changer la culture des acheteurs, publics et privés, pour que les critères écologiques soient appréciés au même niveau que les critères économiques. C'est une véritable révolution culturelle pour protéger nos entreprises, qui sont les plus vertueuses au monde - la production d'un véhicule électrique en Chine émet 46 % de CO2 que la production d'un même véhicule produit en Europe. Nous avons donc intérêt à utiliser ces normes environnementales pour protéger notre production.
Nous le ferons également pour le bonus électrique : il représente 1,2 milliard d'euros, sous formes d'aides à l'achat de véhicules électriques, dont 40 % bénéficient in fine aux usines chinoises. Les Français n'ont pas vocation à financer le développement des usines chinoises. La mise en place de normes environnementales plus strictes permettra de réserver ce bonus électrique aux seuls véhicules produits sur le sol européen dans les conditions environnementales les plus exigeantes.
Voilà les grands éléments de ce projet de loi. C'est un texte stratégique pour la nation française, il marque un double tournant vers l'industrie et vers la transition écologique. Je souhaite que, quelle que soit notre appartenance politique, nous puissions dégager une majorité sur ce texte au Sénat, et je suis heureux que son examen commence dans votre assemblée.
M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie. - Il ne s'est passé que deux ans depuis la demande d'autorisation de l'usine d'ACC que nous avons inaugurée hier à Douvrin, nous sommes allés très vite : cette vitesse exceptionnelle doit devenir la règle. Nous y sommes parvenus parce qu'il y avait une volonté très forte des élus locaux et nationaux, et parce que nous avons réuni l'ensemble des services administratifs. Le moyen le plus sûr pour parvenir à accélérer l'ensemble des projets reste cependant de modifier les règles en parallélisant les procédures.
On peut aussi citer l'exemple de Solvay à Dombasle-sur-Meurthe, où nous nous sommes rendus le 9 novembre dernier, où l'enjeu était de remplacer une chaudière très émettrice de CO2, pour décarboner le site tout en le préservant : nous avons abouti en dix mois.
Nous voulons aussi plus de circularité industrielle, donc faciliter le recyclage industriel. Il nous faut actuellement au moins un an, dans le cadre de la procédure européenne de déchet, pour pouvoir réutiliser un déchet industriel. En effet, la France a choisi la voie la plus contraignante en la matière, celle de la procédure explicite, avec une déclaration préalable, alors que la plupart des pays européens ont choisi la procédure implicite, dans laquelle un déchet peut être directement réutilisé dès lors qu'un certain nombre de critères sont remplis. Par exemple, l'entreprise L'Étoile, - que le rapporteur Laurent Somon connaît probablement puisqu'elle est une filiale du Relais de son département -, recycle des textiles usagés pour en faire du chiffon : il a fallu un an à cette entreprise pour obtenir l'autorisation d'utiliser des textiles usagés pour en faire du chiffon... Avec ce projet de loi, ce sera implicite et donc automatique, il suffira d'une déclaration de l'entreprise.
En ce qui concerne le financement : j'ai travaillé au Canada dans un grand groupe public qui investissait 300 à 400 milliards de dollars canadiens dans la décarbonation. En France, la Banque publique d'investissement (BPI) ne dispose que de 44 milliards d'euros au total, nous avons donc vraiment besoin de mobiliser l'épargne privée.
M. Laurent Somon, rapporteur - Ce texte propose d'accélérer la réindustrialisation de notre pays en favorisant l'implantation de nouvelles industries, en insérant la planification industrielle dans les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet), et en réduisant les délais d'implantation, avec une procédure de consultation du public dès la recevabilité de la demande d'autorisation environnementale. Il entend faciliter la réhabilitation des friches industrielles - estimées à 87 000 hectares - en améliorant la procédure du tiers demandeur et par la « séniorisation » des dépenses de mise en sécurité environnementale, notamment en vue de la mise à disposition de sites clés en main, où pourront être implantés, en priorité, des projets d'intérêt national. Cette réindustrialisation et la décarbonation nécessitent de la cohérence avec le mix énergétique, mais aussi du foncier disponible, et vous avez souligné que, dans un pays qui n'est guère extensible, c'était un défi considérable. Vous estimez les besoins de l'industrie verte entre 10 000 et 20 000 hectares, le Président de la République a évoqué le chiffre de 20 000 à 30 000 hectares : c'est beaucoup, et il serait intéressant de savoir plus précisément ce qu'il en est. Les délais d'instruction étant particulièrement longs pour les projets industriels, vous répondez par une nouvelle procédure raccourcissant les délais de l'autorisation environnementale : quelle est votre analyse de la responsabilité des collectivités locales dans les délais actuels ?
Les articles 8 et 9 du projet de loi, prévoient d'accélérer les procédures pour les implantations d'installations industrielles « dans les secteurs des technologies favorables au développement durable » et les projets industriels « d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique ». Tout cela est bien sibyllin : quels secteurs visez-vous, plus précisément ? Quelle articulation avec le futur règlement européen « industrie zéro net » ? La présence du nucléaire au sein de ce règlement ne fait pas consensus : est-ce que vous inclurez ce secteur dans l'industrie verte ?
L'article 9 prévoit une procédure « super-accélérée » de modification des documents de planification et d'urbanisme pour les « projets d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique », dont la liste serait fixée par décret. L'ensemble de la procédure serait à la main de l'État, la participation des élus étant réduite à la portion congrue. Comment ces « projets d'intérêt national majeur » seront-ils définis ? Par qui, sur quels critères, avec quelle périodicité ? L'article 1er renforce les compétences économiques de la région en matière de planification industrielle : est-ce cohérent de ne pas consulter les régions sur la liste des projets industriels d'intérêt national majeur ? Avez-vous des exemples concrets de grands projets ? Quelle superficie représentent-ils ? Combien se feraient sur des friches ? Combien en artificialisation nouvelle ?
Nous voulons tous réduire les délais d'implantation des industries, mais faut-il pour autant déposséder les collectivités de leurs compétences ? L'État est-il le seul à savoir aller vite ? Avec la nouvelle procédure, l'État pourrait imposer unilatéralement aux collectivités de modifier les Sraddet et les documents d'urbanisme.
Cela pourrait-il aller jusqu'à modifier la répartition territoriale du « ZAN », jusqu'à mettre les collectivités en contradiction avec les objectifs de réduction de l'artificialisation que la loi leur a fixés ? Nous sommes d'accord pour dire qu'il est urgent de réindustrialiser mais nous voyons, dans nos territoires, des projets industriels retardés ou annulés au motif du « ZAN, » parce que les collectivités sont mises en situation de choisir entre le développement économique et le logement. Nous avons été surpris de ne trouver dans votre texte aucun dispositif d'exemption des projets industriels du décompte du « ZAN », ce que votre collègue Christophe Béchu nous avait pourtant annoncé. Qu'en est-il ? Soutenez-vous l'exemption des projets industriels verts du décompte du « ZAN », au moins à titre transitoire ?
La valorisation des friches est l'une des clés pour détendre la contrainte sur le foncier et éviter les conflits d'usage que le « ZAN » crée dans les territoires. C'est donc une des clés de la réindustrialisation. Selon le préfet Rollon Mouchel-Blaisot, que vous avez chargé d'une mission interministérielle de mobilisation pour le foncier industriel, ce sont environ 8 000 hectares de friches (à ajouter aux implantations en artificialisation nouvelle) qu'il faudrait requalifier pour les seuls besoins industriels, dans les prochaines années. Au-delà des timides mesures de libération du foncier industriel figurant dans le projet de loi, quelles mesures prévoyez-vous pour accompagner les collectivités dans la valorisation de ce foncier souvent pollué, dont la réhabilitation est particulièrement coûteuse ?
M. Didier Mandelli, en remplacement de M. Fabien Genet, rapporteur pour avis pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Fabien Genet, qui n'a pu se libérer pour cette audition, m'a chargé de vous poser trois séries de questions.
La première concerne l'évolution des procédures de consultation dans le cadre de l'autorisation environnementale, que vous proposez à l'article 2. Le point saillant de cette réforme est la conduite conjointe des procédures, qui permet de mener de front la phase d'examen et la phase d'instruction et ainsi d'accélérer la procédure d'autorisation environnementale. Cette conduite conjointe accélérerait la procédure, mais à condition que le projet change peu pendant la phase d'examen. Cependant, qu'en est-il si l'exploitant apporte des modifications qui remettent en cause l'équilibre général du projet ? La conduite conjointe des procédures n'est-elle pas, alors, un facteur d'allongement des délais ? Par ailleurs, au lieu de créer une nouvelle procédure de participation du public, pourquoi ne pas réformer la procédure d'enquête publique actuelle ? Le droit de la participation du public n'est-il pas déjà assez complexe ?
La deuxième série de questions concerne le fait que l'article 2 supprime une disposition introduite par le Sénat, à mon initiative, dans la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite loi « ENR ». Le droit actuel prévoit que, pour les projets d'énergies renouvelables situés dans une zone d'accélération des énergies renouvelables, la phase d'examen du projet est limitée à quatre mois. Cette limite est supprimée alors que la réforme de la phase d'examen et de consultation que vous proposez n'offre pas de garanties équivalentes. Pourquoi avoir supprimé cette disposition ? Votre texte n'est-il pas l'occasion de transposer le délai maximum de 12 mois pour les procédures d'instruction des projets d'énergies renouvelables situés dans les zones d'accélération, prévu par la directive RED III en cours d'adoption au niveau européen ?
Enfin, je souhaite évoquer la problématique de la mise en sécurité et de la réhabilitation des friches industrielles et plus spécialement l'article 6. Vous restreignez le périmètre de la garantie financière que doivent effectuer les exploitants d'installations classées au titre de la protection de l'environnement (ICPE), en raison de l'inefficacité avérée de ce dispositif. Pour assurer, malgré la suppression de cette garantie, la mise en sécurité du site puis sa réhabilitation en cas de défaillance de l'exploitant, vous instaurez une procédure de consignation des sommes nécessaires à la mise en sécurité du site et une nouvelle amende, qui peuvent être ordonnées par le préfet en cas d'exploitation illégale, ainsi qu'une « séniorisation » des créances environnementales en cas de liquidation judiciaire. Dans le cas où l'exploitant n'est pas installé illégalement et n'est pas non plus en liquidation judiciaire, de quels outils disposent les autorités pour contraindre une entreprise à respecter ses obligations de remise en l'état du site ? En supprimant la garantie financière, ne risquez-vous pas de ralentir la réhabilitation des friches industrielles ?
M. Jean-Yves Roux, rapporteur pour avis de la commission des lois. - La commission des lois est saisie des articles 12 et 13 du projet de loi, relatifs au verdissement de la commande publique et je ne vous poserai qu'une question, mais que je vais développer car elle pose une vraie difficulté de terrain, que nous devons prendre en compte.
Au fil des auditions, j'ai été très étonné de voir à quel point les motifs d'exclusion des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession étaient délaissés dans la pratique. Les motifs d'exclusion dits « de plein droit » ne font l'objet que d'une déclaration sur l'honneur, visiblement pas contrôlée. Les motifs d'exclusion dits « à l'appréciation de l'acheteur » ne sont quant à eux jamais utilisés, vraisemblablement par crainte de contentieux. J'en veux pour preuve l'incapacité de la direction des affaires juridiques de votre ministère à fournir la moindre estimation, même très approximative, du nombre d'entreprises concernées par des exclusions de plein droit des procédures de passation des marchés publics. J'en conclus qu'il n'existe aucun suivi, même à l'échelon central, de cet outil qui nous est pourtant présenté comme un puissant moyen de verdissement de la commande publique.
De façon plus problématique encore, l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) nous a affirmé n'avoir jamais fait usage des cas d'exclusion des procédures de passation des marchés publics.
Ce texte nous propose cependant d'ajouter au code de la commande publique deux nouveaux motifs d'exclusion des procédures de passation des marchés publics. Je veux m'assurer que nous ne le ferons pas en vain. Comptez-vous donner des directives afin que les acheteurs publics s'approprient davantage les possibilités qu'offre le code de la commande publique en matière d'exclusion des procédures de passation des marchés publics, notamment celles qui sont « à l'appréciation de l'acheteur » ?
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis de la commission des finances. - J'avoue savourer vos propos sur le bonus écologique, Monsieur le ministre Le Maire, mais c'est toujours un peu dommage d'avoir raison trop tôt - et je vois qu'après m'avoir dit non par trois fois, vous vous apprêtez enfin à me dire oui, on verra ce qu'il en est en séance plénière...
Ce texte est l'occasion pour vous, on le voit aux articles 17 et 18, de reprendre sans le dire des dispositions que le Sénat a adoptées dans sa proposition de loi relative à la protection des épargnants...
J'aurai quelques questions précises sur le plan d'épargne climat : quel montant maximum pourra-t-on verser sur ce livret ? Quelle sera la forme de ce véhicule : un encours géré par la Caisse des dépôts et consignations, un produit assurantiel, ou bien encore un compte titre ? Ce n'est pas le même objet dans les trois cas...
Enfin, vous demandez à légiférer par ordonnance, à l'article 19 : quelles sont vos orientations ? Le texte viserait à renforcer la capacité des gestionnaires de fonds collectifs à proposer et à gérer des fonds d'investissement alternatifs ayant reçu l'autorisation d'utiliser la dénomination « ELTIF » - ou « fonds européen d'investissement à long terme » - en application du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux fonds européens d'investissement à long terme : nous avons besoin de précisions.
M. Bruno Le Maire, ministre. - De combien d'hectares a-t-on besoin pour l'industrie verte ? C'est difficile à évaluer, certains parlent de 20 000 hectares, d'autres de 10 000 hectares, je crois raisonnable de tabler sur 15 000 hectares.
Le nucléaire, lui, a été traité dans le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires qui lui a été récemment consacré, les normes en la matière sont très spécifiques.
S'agissant des projets d'intérêt national majeur, notre objectif est de concentrer la procédure autour du préfet, pour que les élus aient un interlocuteur unique sur le plan local, auprès de qui chacun peut faire valoir ses droits.
Le « ZAN » est un sujet central, je connais les travaux conduits par Valérie Létard et Jean-Baptiste Blanc, nous avons beaucoup discuté à cette occasion. Je souhaite que les projets d'industrie verte soient exemptés du « ZAN », sans quoi les collectivités locales auront le plus grand mal à faire valoir leurs droits en matière de foncier. L'Assemblée nationale, le 19 juin prochain, va examiner la proposition de loi sur le « ZAN ». Je laisse à la sagesse des parlementaires le soin de savoir si l'on exempte uniquement les projets relevant du champ de l'industrie verte, au sens des « Big five » ou bien s'il faut aller plus loin, en incluant tout projet industriel qui favorise la transition écologique. Je ne veux pas préempter le débat, mais l'exonération des cinq secteurs que j'ai énoncés me paraît le minium, sans quoi nous aurons le plus grand mal à développer une industrie verte. La disponibilité du foncier est la base. Je le dis en connaissance de cause, nous avons dû renoncer à des implantations faute de foncier disponible.
Sur la commande publique, je suis tout à fait disposé à plus de transparence sur les nouveaux motifs d'exclusion. Il y aura une commission pour inciter les acheteurs à y avoir recours, il y aura une communication sur le sujet et je souhaite que cet outil soit efficace, merci de me signaler s'il ne l'est pas suffisamment.
Je rends hommage à vos positions sur le bonus écologique, Madame Lavarde. Il y a deux visions politiques différentes, il faut les confronter pour faire des choix politiques dans le sens noble du terme. L'une d'elle ne regarde que la baisse des émissions de CO2 au plan national, avec en ligne de mire le zéro émission nette en 2050 ; si c'est le seul objectif, je reconnais qu'il est plus rapide d'importer des véhicules de Chine, mais alors le bilan climatique est mauvais au plan international, et le bilan économique et social est catastrophique au plan national, car cela ferme la porte à toute réindustrialisation de la France. Ce n'est pas la vision que Roland Lescure et moi avons. Je reconnais que nous en avons débattu au sein même du Gouvernement, nous n'étions d'abord pas majoritaires, puis la sagesse l'a emporté : notre position a rejoint celle de Christine Lavarde, c'est-à-dire la vision qui est la nôtre, de décarboner notre économie tout en la renforçant. Pour cela, il faut que les aides aillent à la production la plus vertueuse sur le plan environnemental, celle qui a lieu en Europe et en France. Une fois ce choix politique énoncé, il y a des obstacles techniques, en particulier dans le droit européen, qui interdit de privilégier les productions industrielles européennes. Je le regrette, puisque les États-Unis et la Chine privilégient, eux, leurs propres productions, via des crédits d'impôts ciblés. Nous avons donc choisi la voie normative, en posant des exigences environnementales suffisamment fortes pour que les aides soient de facto réservées aux véhicules produits en Europe et en France.
Le produit d'épargne verte sera ouvert à tout enfant de moins de 18 ans, sur autorisation parentale. Nous proposons que le montant soit plafonné à 22 950 euros. Il pourra prendre la forme de fonds ou de titres, avec une gestion pilotée, pour permettre un rendement plus élevé que celui du livret A, tout en ayant une sécurité (mais non une garantie) sur le capital versé. Nous proposons que l'épargne soit bloquée jusqu'à la majorité de l'enfant, avec néanmoins des possibilités de sortie en cas d'événements imprévus (notamment en cas de maladie ou de décès). Et nous proposons que cette épargne verte ne fasse l'objet d'aucun prélèvement fiscal ni social. Aucun autre outil ne dispose d'avantages comparables, à l'exception du Livret A.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Le risque existe effectivement que l'industriel doive faire évoluer son projet en cours d'instruction, mais c'est déjà le cas aujourd'hui et cela occasionne des délais. Je crois que la conduite conjointe des procédures améliorera les choses, puisqu'il sera possible de s'adapter plus rapidement. Mais l'essentiel, pour prévenir le risque, est de travailler en amont avec les industriels, en particulier avec les investisseurs étrangers, pour les prévenir au mieux de nos règles et de leur fonctionnement.
Pourquoi ne pas réformer la procédure d'enquête publique dans son ensemble ? Parce que ce serait une réforme bien plus large : elle concernerait aussi l'urbanisme, le logement, ... Nous avons privilégié un ciblage sur le développement de l'industrie, nous espérons être efficace.
Quel sera l'impact de ce texte sur les mesures que vous venez de prendre pour développer les énergies renouvelables ? Il faudra regarder la coordination dans son détail, en tout cas l'objectif n'est certainement pas de contrarier, mais plutôt d'élargir ce que vous avez déjà fait. Nous regarderons les choses dans leur détail lors de l'examen de ce texte.
Mme Sophie Primas, présidente. - Place aux questions de nos collègues, j'invite chacun à la concision : deux minutes maximum pour chacun, c'est la règle dans notre commission des affaires économiques.
M. Olivier Rietmann. - Votre texte prétend vouloir accélérer les délais d'implantation des sites industriels. C'est un peu court. Depuis 2017, certaines entreprises, surtout de taille intermédiaire (ETI) ont eu la chance de bénéficier d'un accompagnement privilégié des services de l'État, en particulier celles qui exportent - cela fait du bien à notre balance commerciale - et des secteurs ont bénéficié de mesures ciblées de simplification des normes et procédures, par exemple le numérique, les énergies renouvelables et le nucléaire. Et les autres, Monsieur le Ministre ? Je pense à l'immense majorité des entreprises dans nos territoires, c'est-à-dire les PME qui n'ont ni les moyens de gérer la complexité, ni la chance de bénéficier d'un accompagnement individuel : votre projet de loi manque sa cible, parce qu'il ne suffit pas de simplifier la construction des usines, il faut viser toute la chaîne de valeur, simplifier la vie de toutes les entreprises, et pas seulement des entreprises industrielles.
Le 15 juin prochain, je présenterai un rapport sur le sujet à la Délégation aux entreprises du Sénat ; le fardeau normatif et réglementaire qui pèse sur les entreprises représenterait 60 milliards d'euros par an, soit 3 % du PIB...
Pour l'heure, savez-vous combien d'entreprises vont bénéficier des articles 2 et 3 de votre projet de loi, et à combien l'administration évalue-t-elle les économies pour ces entreprises ?
M. Hervé Gillé. - La planification territoriale est essentielle. Vous prévoyez une inscription de la planification industrielle dans les Sraddet, mais comment les schémas de cohérence territoriale (SCOT) vont-ils prendre en compte ces nouvelles orientations ? Est-ce que ce sera via le préfet, ou bien y aura-t-il une approche territorialisée ? Les SCOT seront-ils associés à la planification industrielle en région ?
L'implication des régions prévue dans le projet de loi relèvera-t-elle d'un simple exercice de planification, ou recherchez-vous un levier, au niveau régional, pour le développement industriel ? Souhaitez-vous que cette stratégie industrielle soit clairement inscrite dans les contrats de plan interrégionaux État-Régions (CPIER) ?
Ne faut-il pas avancer la modification des Sraddet, prévue dans le projet de loi pour 2025 - et le calendrier du « ZAN » n'offre-t-il pas une occasion de gagner du temps ?
M. Franck Montaugé. - Je ne vois pas clair dans l'articulation entre les cinq secteurs que vous avez identifiés et le champ du règlement européen « industrie zéro net », qui cible huit domaines stratégiques et inclut par exemple les piles à combustibles, le biogaz, le méthane, les électrolyseurs, les technologies de réseau. Nous avons débattu de la place de l'hydrogène dans le mix énergétique, nous savons que nous avons besoin d'un effort particulier pour créer de l'électricité à partir d'hydrogène : il faut créer des sites, mais vous ne l'incluez pas dans ce texte, c'est un manque. Enfin, on peut saluer la mobilisation de l'épargne privée, mais les besoins de financement vont bien au-delà de ce que vous en espérez avec ces nouveaux outils. Et, soit dit en passant, nous sommes toujours en attente d'une stratégie claire et partagée sur l'énergie et le climat.
M. Jean-Claude Tissot. - L'article 5 propose d'accélérer la réhabilitation des friches industrielles, mais je n'ai pas bien compris en quoi. Vous savez que dans un département comme la Loire, cette question est importante, les collectivités se trouvent avec de très grandes surfaces à réhabiliter. Or votre texte paraît se centrer sur les procédures ; quelles sont vos intentions pour accompagner concrètement les collectivités territoriales ?
Comment ce texte prend-t-il en compte la révision de la directive sur les émissions industrielles - dite « directive IED » -, récemment examinée par le Parlement européen, qui élargit son champ aux grandes fermes d'élevage porcin et avicole de plus de 200 unités de gros bétail (UGB) et d'élevages bovins de plus de 300 UGB ? Quelle sera la position française dans la révision de ces directives ? Votre projet de loi n'est-il pas l'occasion de nouvelles mesures sur l'encadrement des émissions industrielles ?
M. Bernard Buis. - Quelle place auront les acteurs territoriaux dans la réindustrialisation ? Le couple maire-préfet en sera-t-il la cheville ouvrière, ou bien le Gouvernement imposera-t-il sa vision, dans une logique de déconcentration, plutôt que de décentralisation ?
Quelle place le projet de loi accorde-t-il à l'économie circulaire, en particulier à la réutilisation des matériaux de production au sein d'une même plateforme industrielle ? La création des 56 sites de France 2030 et la dépollution des friches industrielles font partie de vos objectifs : quels seront les critères de sélection de ces sites et les actions envisagées pour garantir leur succès et leur attractivité pour les investisseurs ?
Mme Cécile Cukierman. - Le calendrier législatif fait que l'Assemblée nationale examinera le texte « ZAN » la semaine même où nous examinerons ce texte sur l'industrie verte. Nous allons donc pouvoir résoudre cette difficulté de tenir ensemble la réindustrialisation de la France, tout en répondant à la crise du logement et en préservant le foncier agricole, tout cela dans une démarche qualifiée d'environnementale...
Vous dites à raison que la requalification des friches industrielles est un défi immense, et que cela prendra du temps. Or les investisseurs n'attendent pas. Cependant, si à un horizon de dix ou vingt ans, la requalification effective de ces friches libèrerait du foncier et assouplirait la pression qu'exerce aujourd'hui le « ZAN », ce qui faciliterait l'implantation d'industries. Cela éviterait aussi de creuser les fractures entre territoires où s'installeraient de nouvelles industries et ceux qui garderaient leurs friches. Votre texte ne relève pas le défi des friches anciennes, alors qu'elles représentent des dizaines de milliers d'hectares : pourquoi ?
M. Bruno Le Maire, ministre. - Notre démarche visant à rendre les procédures conjointes concerne toute l'industrie, et pas seulement l'industrie verte ; nous avons tranché dans ce sens, parce que c'est la compétitivité du site France qui est en jeu, cela concerne environ un millier d'entreprises par an.
L'industrie verte participe au développement des territoires, nous avons l'objectif de faire travailler ensemble l'État et les collectivités territoriales, et en particulier dans le cadre des Sraddet.
Ce texte couvre intégralement le périmètre du règlement « industrie zéro net », mais nous en avons écarté l'hydrogène vert parce qu'il bénéficie déjà de 9,2 milliards d'euros en investissement et qu'il serait excessif, pour les finances publiques, d'y ajouter un crédit d'impôt. Je vous rejoins sur le besoin d'une stratégie d'énergie verte, Monsieur Montaugé : ce texte ne trouvera pas son équilibre - quoiqu'il apporte une révolution pour l'industrie verte - si notre pays ne dispose pas d'une énergie décarbonée en quantité suffisante pour « faire tourner » les usines. Ce qui fait que la voiture électrique produite en France émet moins de CO2 que celle produite en Chine, c'est le fait que notre énergie est moins carbonée, parce que nous ne produisons plus d'électricité à partir du charbon. Encore faut-il que le marché européen nous permette d'accéder, d'ici 2025, à un coût moyen de cette énergie équivalent au coût de production : c'est le combat que nous menons avec Agnès Pannier-Runacher. Nous avançons mais c'est un combat difficile. Je rappelle qu'il nous faudra disposer à terme de 750 térawattheures (TWh) d'énergie pour faire fonctionner une France réindustrialisée, alors que nous avons besoin aujourd'hui de 450 TWh.
Nous voulons accompagner plus efficacement les collectivités territoriales dans la réhabilitation des friches industrielles, en nous appuyant sur la Caisse des dépôts, qui mobilise 1 milliard d'euros. Nous nous appuierons aussi sur le fonds vert, qui a englobé l'ancien fonds friches. Cependant, il faut être lucide, la plupart de ces friches ne seront pas réindustrialisées, parce qu'elles se situent à proximité des centres villes, où les habitants ne veulent pas d'industries.
Je ne connais pas la position française qui a été prise sur la place de l'élevage dans la révision de la directive IED.
L'objectif dans la mise en oeuvre de l'industrie verte, c'est bien de passer par le couple maire-préfet, mais pour les projets d'intérêt national majeur, l'interlocuteur est le ministre de l'économie, voire le Président de la République. Lorsqu'on parle de l'agrandissement du site de STMicroelectronics à Grenoble pour des investissements qui atteignent le milliard d'euros, ou lorsque ProLogium envisage un investissement de 6 milliards d'euros, le maire et le préfet sont impliqués, mais il faut tout le poids du Président de la République pour peser dans la compétition, ouverte à l'échelle mondiale. Cette intervention est complémentaire de celle du maire et du préfet. Je m'implique aussi personnellement dans les décisions les plus importantes, nos résultats sont positifs - 10 000 emplois industriels pour les quatre « gigafactories », cela ne s'était pas vu depuis quatre décennies sur une seule filière.
Sur le « ZAN », je redis qu'il est essentiel que soient exclus les sites industriels verts, mais je m'en remets à la sagesse du Parlement sur le point de savoir s'il faut aller plus loin.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - La Commission européenne a proposé d'élargir la directive IED assez largement aux activités agricoles, la présidence suédoise propose d'inclure les exploitations bovines, porcines et avicoles de plus de 150 UGB. La France a réservé sa position et essaie de parvenir à un compromis moins contraignant pour nos éleveurs. L'accord doit être trouvé avant la fin de l'année.
M. Henri Cabanel. - L'entreprise Genvia, dans l'Hérault, que le Président de la République a visitée, est fer de lance dans la filière de l'hydrogène vert. Vous nous dites que ce type d'installation sera écarté du « ZAN », cela évitera un casse-tête pour les élus locaux. C'est une bonne chose.
Mme Amel Gacquerre. - Élue du Pas-de-Calais, je ne peux que saluer l'inauguration, hier, de l'usine d'ACC, dans un territoire de tradition industrielle qui connait un vrai tournant vers l'économie de demain, ceci grâce à la mobilisation de tous, élus, fonctionnaires et entreprises. Cette usine représente 2 000 emplois et 500 000 voitures équipées de batteries électriques d'ici 2030, répondant au double objectif de ce texte : la création d'emplois et la décarbonation de notre industrie, mais également la défense de notre souveraineté industrielle dans un secteur stratégique, celui de la batterie électrique.
Cette ambition est à saluer, mais des questions demeurent sur l'écosystème industriel et sur la chaîne de valeur. La décarbonation de notre industrie sera fortement consommatrice de métaux critiques dont nous sommes dépendants, ce qui pourrait compromettre l'objectif d'une véritable réindustrialisation verte - chaque voiture électrique nécessitera 10 kilos de lithium en moyenne, par exemple. Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de nos besoins en métaux critiques ? Quelle est sa position sur l'extraction du lithium, métal stratégique pour la décarbonation de notre industrie, sachant que notre pays, selon le Bureau de recherches géologiques et minières, compte une quarantaine de sources de ce minerai ?
M. Serge Babary. - La logistique est indispensable au développement industriel, elle l'accompagne nécessairement et il faut donc la prendre en compte pour limiter les transports à longue distance. Vous annoncez que la simplification sera générale, j'espère qu'elle concernera aussi la logistique. Il y a également des problèmes en aval, en particulier les recours contre les implantations logistiques, qui sont parfois abusifs et portés par des associations qui n'ont aucun lien avec le territoire : peut-on envisager de limiter l'intérêt à agir, qui est au fondement de la capacité à recourir ?
Ensuite, pour le financement, en particulier des PME et TPE, que pensez-vous de la mobilisation des fonds régionaux : n'est-ce pas une ressource à mobiliser ?
Mme Sylviane Noël. - Le label triple E utilisera-t-il des critères de labels existants dans les standards européens, ce qui serait plus facile à intégrer ? Ensuite, des inquiétudes sont apparues sur le crédit d'impôt recherche (CIR), dès lors que le Gouvernement a prévenu qu'il fallait faire des économies. Un coup de rabot sur les dépenses de veille technologique ou l'embauche de jeunes docteurs, en particulier, serait contre-productif, parce qu'il n'y aura pas de réindustrialisation sans innovation. Pouvez-vous nous rassurer sur le CIR ?
Mme Valérie Létard. - Merci au ministre d'avoir porté son attention à l'articulation entre la réindustrialisation et le « ZAN », donc au décompte des espaces concernés dans les SCOT, les PLU, etc. Cependant, ce « non décompte » prend différents noms : on parle parfois de surfaces « exemptées », ou « exclues », ou « comptées à part ». Ce n'est pas tout à fait la même chose ; Christophe Béchu, le ministre de l'écologie, parle pour sa part de « mutualisation », donc d'une répartition entre régions, ce qui reviendrait à dire qu'en plus des 50 % décomptés dans les documents de planification et d'urbanisme, on additionnerait les projets d'intérêt national : quelle est votre position ?
Vous parlez de la coopération avec des régions et intercommunalités pour identifier les sites concernés, c'est une bonne chose, et nous avons la possibilité d'y faire écho dans le texte sur le « ZAN », pour organiser les choses dans la souplesse : il faut s'en servir. Ensuite, quand on parle d'industrie, il ne faut pas oublier le logement des salariés. Je vous invite à évoquer le cas d'Action Logement : que pensez-vous du fait que l'INSEE a classé l'une de ses filiales en administration publique, lui interdisant d'emprunter à plus d'un an ? Quel avenir pour Action logement ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Tout ne sera pas décarboné, il y aura donc de la compensation : que pensez-vous de flécher la compensation en valorisant en priorité les puits de carbone, pour stimuler la transition écologique et l'adaptation des territoires ? Ensuite, quel serait le contour précis du crédit d'impôt sur les investissements étrangers, et son articulation avec la fiscalité dans les autres secteurs ?
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Vous avez omis de signaler, parmi les maux de la désindustrialisation, le fait qu'elle a aussi pesé sur notre capacité à atteindre nos objectifs de Lisbonne sur la recherche, sachant que l'industrie compte pour deux tiers dans l'effort de R&D. Ensuite, si nous saluons les efforts pour drainer de l'épargne vers l'industrie verte, je m'interroge sur les supports et leurs actifs sous-jacents, il faut assurer qu'il y aura aussi des actifs non cotés.
Pensez-vous utile, ensuite, de créer des outils d'investissement dédiés à la consolidation stratégique d'entreprises plus petites, des PME et des ETI, pour créer de nouveaux champions industriels français ?
M. Michel Canévet. - Je salue l'engagement pour la réindustrialisation de notre pays, nous en parlons alors que le groupe Le Duff vient d'annoncer qu'il renonce à implanter une nouvelle usine pour sa marque Bridor, du côté de Rennes, et ses 500 emplois, en raison des recours contre ce projet. Les investissements prévus pour la réindustrialisation iront-ils à l'ensemble du territoire, ou bien viseront-ils en priorité les territoires qui comptent le plus de chômage ? Je m'inquiète, ensuite, de notre dépendance aux matières premières, en particulier aux métaux rares : peut-on aller plus loin sur leur recyclage ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Les crédits d'impôts et les autres avantages fiscaux seront-ils conditionnés par des obligations de rester sur le territoire français ? Nous savons que le fonds vert a compensé la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) aux départements, pour un milliard d'euros ; dans ces conditions, les montants alloués à ce fonds sont-ils vraiment à la hauteur ?
Je me félicite, enfin, que vous parliez du bilan carbone, une notion qui a été introduite au Sénat par notre collègue Daniel Gremillet, avec beaucoup de difficultés. C'est le bon outil pour mesurer ce que nous devons faire en matière écologique.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Je redis que nous soutenons les projets sur l'hydrogène vert, aussi bien les start-up que les PME.
L'accès aux matériaux rares est un point essentiel. Notre stratégie s'appuie sur trois piliers, avec l'objectif stratégique de maîtriser l'intégralité de la filière, et pas uniquement de produire des batteries électriques - vous comprendrez, en visitant l'usine ACC, qu'un tel investissement justifie qu'on maîtrise l'amont et l'aval. Nous recherchons, d'abord, un accès sécurisé aux métaux rares, en particulier au lithium. Le délégué interministériel Philippe Varin a travaillé sur le sujet, son rapport appelle à une diversification des sources d'approvisionnement. Nous en achetons déjà au Canada et à l'Indonésie, nous disposons de mines dans l'Allier, d'autres sont à l'étude en Alsace, il y en a aussi en Suède, au Portugal, exploitées dans des conditions environnementales satisfaisantes. Deuxième pilier : notre stratégie circulaire de recyclage et de réutilisation des matériaux. Orano a un projet avec une entreprise chinoise pour récupérer les matériaux critiques sur les batteries usagées, quelques pays seulement maîtrisent ces technologies, la France en fera partie et nous pourrons mieux recycler. Enfin, troisième pilier, l'innovation vers d'autres batteries, comme celles au lithium solide, qui utilisent moins de matériaux critiques.
Les fonds régionaux, effectivement, peuvent être utilement mobilisés pour l'industrie verte, c'est un axe à développer.
Le label triple E utilisera des critères qui ont cours dans le cadre européen, c'est effectivement plus efficace.
Nous avons écarté toute modification du CIR, car même si nous faisions quelques économies, les désavantages seraient supérieurs aux inconvénients liés à l'instabilité sur cet outil, qui est l'un de nos grands avantages comparatifs pour attirer des investisseurs.
Je suis favorable à ce que les projets d'industrie verte, grands ou petits, soient exclus du calcul du « ZAN », je pense qu'il ne faut même pas les compter à part, ou bien, à force de tout compter à part, on en arrivera à des situations ingérables. Je sais que d'autres prônent un compté à part, la question n'est pas encore arbitrée. Il faut bien voir que la course internationale est très difficile, qu'elle fera quelques gagnants et beaucoup de perdants : je veux que la France fasse partie des gagnants, et je peux vous dire que chaque projet d'investissement sur notre territoire fait l'objet de milliers d'heures de travail de mes équipes techniques.
Sur les puits de carbone, nous sommes tout à fait disposés à voir ce qui peut être fait avec le crédit d'impôt, lequel peut servir, bien entendu, aux investissements français et étrangers.
Sur les actifs sous-jacents au nouveau plan d'épargne climat, le plan d'épargne retraite (PER) montre qu'on peut intervenir avec des actifs non cotés, mais nous regarderons le détail dans l'examen du texte, il faudra en débattre.
La répartition des investissements se décide, en réalité, en fonction de disponibilité du foncier. Le premier bénéficiaire, actuellement, est la région Hauts-de-France, parce qu'elle dispose de foncier, d'un port de premier plan, Dunkerque, ainsi que de la centrale nucléaire de Gravelines, capable de fournir une électricité décarbonée à coût compétitif. Et voir de nouvelles industries s'installer sur ce territoire, ce n'est que justice après tant de désindutrialisation subie.
Oui, il y aura une conditionnalité au crédit d'impôt : les entreprises devront avoir rempli leurs obligations environnementales, notamment en matière de bilan des émissions de gaz à effet de serre - obligation légale que respectent seulement 53 % des entreprises aujourd'hui.
M. Roland Lescure, ministre délégué. - Pour sécuriser l'accès aux matériaux rares, nous avons sélectionné le fonds d'investissement Infravia, qui lance un fonds dédié aux métaux critiques d'un montant cible de 2 milliards d'euros et où l'État investira 500 millions d'euros. Le recyclage, ensuite, est important pour accroître la compétitivité française et faire de l'extraction responsable.
Les recours abusifs sont un sujet délicat, puisque le droit au recours est constitutionnellement protégé, mais nous sommes ouverts aux propositions d'amendements. Nous avons supprimé un degré de juridiction pour les projets d'intérêt national majeur, un peu comme cela a été fait pour les projets d'énergie renouvelable, avec un délai de jugement limité à dix mois : nous sommes ouverts au débat.
M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous trouverons un accord avec Action Logement pour tenir compte de ses réserves et ne pas mettre l'établissement en difficulté, après son classement en administration publique, il y a un recours en justice et il faut tenir compte des délais de justice, mais j'ai rencontré son président deux fois.
J'ai oublié de mentionner que, sur l'ensemble de ce texte, nous avons besoin de dispositions spécifiques pour les outre-mer, qui ont des projets très intéressants et qui doivent faire face à des contraintes bien spécifiques.
Mme Micheline Jacques. - Effectivement, nous avons besoin d'équivalences normatives, pour éviter que du bois du Brésil doive passer par l'Europe... pour parvenir en Guyane !
M. Bruno Le Maire, ministre. - Effectivement, j'ai été saisi de bien des difficultés lors du déplacement que je viens de faire en Guadeloupe et en Martinique.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 45.