Mardi 23 mai 2023
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Foncier agricole dans les outre-mer - Étude sur les aspects notariaux et juridiques
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Dans le cadre de son étude sur le foncier agricole dans les outre-mer, dont les deux rapporteurs sont Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi, la délégation sénatoriale aux outre-mer organise cet après-midi un focus sur les aspects notariaux et juridiques de cette question.
Nous allons entendre en premier les représentants des Chambres des notaires et, vers 17 heures, nous accueillerons des avocats du Conseil national des barreaux (CNB).
Pour la première séquence, je remercie de leur participation en visioconférence :
- Maître Sylvie Pons-Servel, notaire à Saint-Denis de La Réunion, présidente de la Chambre interdépartementale des notaires de La Réunion et Mayotte ;
- Maître Éric Hoarau, notaire à Saint-Louis de La Réunion ;
- Maître Emmanuel de Survilliers, notaire au Lamentin, en Martinique.
Mesdames, Messieurs, vous aurez la parole pour vos propos liminaires afin de présenter vos observations, préalablement aux échanges avec nos collègues. L'ordre d'intervention sera inversé pour respecter les contraintes d'agenda de M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers collègues, chers Maîtres, je vous remercie d'avoir répondu à notre sollicitation.
La nécessité de produire localement est devenue impérative au lendemain de la crise du Covid et en plein déroulement du conflit en Ukraine. Importer depuis des zones géographiques éloignées s'avère pénalisant pour les outre-mer.
Notre étude porte sur la raréfaction des terres agricoles. Vos avis sur la question sont importants puisque des aspects juridiques ont surgi lors de nos auditions. Nous souhaitons savoir si les propositions recueillies, notamment lors de notre visite en Martinique, sont juridiquement pertinentes.
Nous sommes confrontés à une problématique d'installation des jeunes agriculteurs alors même que leurs aînés sont réticents à céder leur place. Les retraites insuffisantes et la valorisation réduite des propriétés rendent la transmission difficile.
À cet égard, nous souhaiterions savoir s'il existe un équivalent du fonds de commerce en matière agricole qui pourrait être valorisé et transmis aux jeunes générations d'agriculteurs.
Quelques années après la mise en place de la loi Letchimy concernant les sorties d'indivision et après l'établissement de la commission de l'urgence foncière (CUF), cette dernière sera remplacée, à Mayotte, par un groupement d'intérêt public (GIP). Maître Pons-Servel, pouvons-nous faire un point sur ces dispositifs ?
Pouvez-vous nous faire un retour sur les travaux menés avec le Conseil supérieur du notariat le 10 janvier dernier puisque le foncier agricole pourrait être également concerné ?
Mme Sylvie Pons-Servel, notaire à Saint-Denis de La Réunion. - La problématique est différente selon les zones géographiques. La CUF de Mayotte s'intéresse au statut de l'occupant en particulier. Souvent, celui-ci exploite depuis des années des terres, sans pour autant pouvoir les transmettre à d'éventuels héritiers, en l'absence d'un titre de propriété en bonne et due forme. La situation est similaire à La Réunion et conjuguée à une absence de reconnaissance des bâtiments construits sur les terrains agricoles.
Il est essentiel de protéger les parcelles agricoles d'un éventuel morcellement. Elles devraient constituer la propriété des personnes qui les exploitent, parfois depuis des dizaines d'années, afin d'éviter leur dégradation et leur transformation en friches.
M. Éric Hoarau, notaire à Saint-Louis de La Réunion. - J'ajoute qu'à Mafate et dans les Hauts, où de nombreuses personnes occupent des terrains sans être titrées, les parcelles sont protégées par le label Espaces naturels sensibles (ENS) et par le règlement d'urbanisme du SCoT de l'île. Celui-ci, par le biais de l'Office national des forêts (ONF), empêche l'exploitation desdits terrains.
Il est impossible de faire reconnaître un quelconque droit de propriété sur ces terres, sauf à travers des conventions d'occupation précaire. Cette solution empêche la transmission des terrains et des exploitations, leur augmentation ou, tout simplement, leur préservation.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - J'en déduis que la protection des espaces naturels prévaut sur celle des terres agricoles. Le retour à l'agriculture des terrains en friche est rare et difficile. Nous l'avons constaté lors de notre visite en Martinique où, plutôt que de remettre en agriculture des terres en friches, il est envisagé de demander à de grandes exploitations de céder une partie de leurs terres pour faciliter l'installation de jeunes agriculteurs. Cette solution nous interpelle.
10 000 hectares sont actuellement en friche à la Martinique. Selon certaines sources, pour atteindre l'autonomie alimentaire, la transformation de seulement 1 000 hectares en terres agricoles suffirait.
Les friches prévalent-elles donc sur les terres agricoles ?
M. Emmanuel de Survilliers, notaire au Lamentin, Martinique. - Comparativement à la situation du début du siècle dernier, les zones agricoles ont diminué au profit de zones dites « naturelles », donc inexploitées. Comme Mme Vivette Lopez, nous nous interrogeons sur l'éventuelle conversion de ces friches en agricoles.
La commission départementale de l'aménagement foncier (CDAF), à laquelle j'ai eu l'occasion de siéger, avait constaté que le code rural empêchait les agriculteurs de déboiser et réinvestir des zones qui étaient exploitées quelques dizaines d'années auparavant.
M. Stéphane Artano, président. - Mes Sylvie Pons-Servel, Éric Hoarau et Emmanuel de Survilliers, vous êtes invités à donner votre avis sur les points du questionnaire qui vous semblent essentiels.
Nous vous remercions par ailleurs de nous transmettre par écrit toute note ou réponse que vous souhaitez partager avec nous et qui n'aura pas été abordée lors de la présente audition.
Mme Sylvie Pons-Servel. - J'aborderai uniquement la situation à Mayotte. La commission d'urgence foncière (CUF) a pour mission le titrement de toutes les personnes, quel que soit le terrain qu'elles occupent, en reconnaissant l'occupation desdits terrains. Les intéressés peuvent ainsi bénéficier de la prescription trentenaire.
Cette problématique est gérée par l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM), l'équivalent de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) réunionnaise, qui vise à valoriser les terres agricoles et à les redistribuer. Malheureusement, celles-ci appartiennent à des personnes privées qui, souvent, ne les exploitent pas elles-mêmes et souhaitent diviser ces biens pour les transmettre. L'EPFAM leur refuse cette possibilité. Si elle décide de préempter, le prix est extrêmement faible et ne correspond pas à celui pratiqué habituellement dans les transactions entre Mahorais.
L'attribution de titres aboutit à une situation complexe. D'une part, il existe une volonté de développer lesdites terres agricoles, d'autre part, les personnes qui en sont propriétaires ne peuvent plus les valoriser, que ce soit en les transmettant librement ou en les partageant entre leurs enfants.
M. Éric Hoarau. - À La Réunion, dans l'ordre des règles juridiques, la protection exercée sur les espaces naturels prévaut et empêche toute intervention sur les terres agricoles des Hauts. Elles ne peuvent pas être transmises entre particuliers. La politique publique d'urbanisme mise en place en décembre 2020 les protège, instaurant ainsi un conflit entre l'intérêt public et l'intérêt privé.
Les particuliers en ont déduit qu'ils ne pouvaient plus partager les terres agricoles. Or, cela est possible, mais l'opération est soumise au contrôle du morcellement des terres effectué par la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et l'ONF, ainsi qu'au droit de préemption exercé par la Safer.
Les particuliers essaient naturellement de contourner ces règles que nous veillons, dans le cadre de notre mission, à faire respecter.
L'absence de titres de propriété constitue un problème récurrent, aggravé par la multiplication des indivisions et par l'obsolescence du cadastre. Une loi datant de 2018 permettait de valider des prescriptions trentenaires à l'issue de cinq ans, mais l'État n'a pas soutenu cette protection. Beaucoup de notaires refusent de valider lesdites prescriptions.
Actuellement, il est interdit de prescrire un terrain agricole puisqu'il faut l'avoir habité de manière non équivoque pendant trente ans. Or, s'agissant de parcelles agricoles - et par conséquent, non bâties - cela est impossible. Clarifier cet aspect juridique permettrait d'aboutir à la résolution du désordre foncier évoqué dans le questionnaire.
Mme Sylvie Pons-Servel. - Des travaux ont en effet été menés et ont abouti à des propositions de loi dans ce sens.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Quelles améliorations de la loi Letchimy suggérez-vous afin de renforcer son efficacité ?
Mme Sylvie Pons-Servel. - Nous avons organisé un groupe de travail avec des notaires des outre-mer, des universitaires et des représentants du centre de recherches, d'information et de documentation Notariales de Paris (CRIDON). Le Conseil supérieur du notariat (CSN) a ensuite soumis les propositions des modifications qui en ont résulté.
M. Victorin Lurel. - Pouvez-vous m'indiquer si le mécanisme de cantonnement est bien compris dans la loi Letchimy ? L'article 750 du code général des impôts (CGI) est-il bien pris en compte ? Les droits de partage à hauteur de 2,5 % de la valeur du bien sont-ils appliqués ou les transactions en sont-elles exonérées ? Certains notaires nous ont fourni des informations contradictoires à ce sujet. Qu'est-ce qui entrave l'application de la loi Letchimy ?
Mme Sylvie Pons-Servel. - Les causes en sont multiples. La procédure impose un délai d'attente de dix ans. Par ailleurs, son déroulement est compliqué, puisqu'elle exige l'envoi de nombreuses notifications, non seulement aux opposants, mais également à tous les autres héritiers ou indivisaires. C'est pourquoi nous avons soumis des propositions en vue de sa simplification.
M. Emmanuel de Survilliers. - La loi Letchimy prévoit l'exonération des droits de partage pendant dix ans, ce qui permet d'alléger la fiscalité. À la suite du colloque du 10 janvier 2023 organisé sous l'égide du CSN, des préconisations ont été formulées afin d'améliorer les points de blocage évoqués par Me Sylvie Pons-Servel.
Pour information, nous avons demandé un cantonnement qui faciliterait les partages. Malheureusement, il me semble qu'il n'a pas été retenu. Un réel problème d'impécuniosité et d'équilibre existe dans le partage des terres. Parfois, certains membres des familles concernées souhaitent abandonner leurs parts ce qui, sur le plan fiscal, représente une donation.
La Martinique possède un système automatique de mise à bail forcée pour les propriétaires qui ne libéreraient pas leur terrain de manière spontanée et conventionnelle. Tous les terrains en friche ont été recensés, dans le but probable d'y obliger les propriétaires de terrains libres et non occupés. Toutefois, selon mes informations, cette pratique n'a pas encore été mise en oeuvre puisque les propriétaires préfèrent signer une convention lorsqu'ils sont sollicités. La Safer de la Martinique pourrait vous fournir de plus amples informations sur le sujet.
Les travaux visant la résolution des difficultés liées aux successions et aux titrements, dont certains concernent des titres très anciens dont les droits de succession n'ont pas été réglés à temps, seront peut-être traités par le GIP en cours d'établissement à la Martinique. Cet organisme pourra aider les notaires et les professionnels et, surtout, accompagner ceux de nos concitoyens qui n'arrivent pas à régler et à réunir les pièces nécessaires pour clarifier leurs successions. Nous espérons que dans les dix - quinze années à venir ces affaires auront été résolues.
Toutefois, cela ne représente qu'une facette de la problématique. De nombreuses terres en friche possèdent un titre de propriété. D'autres terrains risquent d'être mis à bail forcé, en dehors de l'établissement de tout droit de propriété.
M. Dominique Théophile. - Pouvez-vous repréciser les possibilités de contournement du droit de préemption de la Safer ?
M. Emmanuel de Survilliers. - Pour information, deux types de contrôles existent actuellement : l'un qui vise les ventes de terres agricoles, est effectué par la Safer, et l'autre qui porte sur le morcellement agricole, est opéré par la Commission départementale de l'aménagement foncier.
Je précise que le droit de préemption de la Safer peut être supplanté par des droits légaux qui lui sont supérieurs, par exemple à l'occasion de ventes entre parents. L'instance intervient lors de ventes de terrains dont l'utilisation agricole initiale a été abandonnée pour diverses raisons. Ainsi, elle est souvent sollicitée pour bloquer des transactions sur des petits terrains, bâtis depuis plusieurs années, alors que ce n'est pas son rôle.
J'ignore s'il existe des moyens de contournement puisque toute vente éligible au droit de préemption doit être soumise à la Safer. Je laisserai donc mes confrères en parler.
M. Éric Hoarau. - Certaines personnes choisissent de soumettre leurs terrains à bail pour trois ans. Ces baux seront enregistrés auprès de la Chambre d'agriculture qui autorise les locataires à exploiter les terres, les exonérant ainsi du droit de préemption de la Safer.
Cela représente une voie de contournement possible.
M. Emmanuel de Survilliers. - En effet, c'est un procédé tout à fait légal. La Safer est censée contrôler la réalité de l'exploitation. Toutefois, en l'absence de contrôle ou d'exploitation réelle, cela constitue une situation de contournement de la loi.
M. Stéphane Artano. - Nous reviendrons sur ce point, car des collègues souhaitent aborder à nouveau la question de l'indivision.
Mme Victoire Jasmin. - Avez-vous connaissance de cas où des terres incultes ont été récupérées au profit de jeunes agriculteurs ? Quels sont les éventuels freins à cette procédure ?
Des réserves foncières sont annoncées officiellement mais, en réalité, ces réserves n'existent pas. Beaucoup de personnes ont recours à des procédures en justice car des terres considérées comme agricoles en réalité ne le sont pas toujours.
Avez-vous connaissance de ce type de situation et quels sont les freins et les leviers possibles ?
Mme Sylvie Pons-Servel. - Votre question concerne-t-elle bien les cas de préemption ?
Mme Victoire Jasmin. - Ma question concerne à la fois les terres incultes et les terres agricoles qui ne sont pas utilisées.
Mme Sylvie Pons-Servel. - Je ne puis vous fournir de réponse concernant les terres incultes, car je n'ai pas rencontré ce type de situation. En revanche, je sais que l'Établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte (EPFAM) réalise beaucoup de préemptions afin de'installer des agriculteurs sur des terrains. Peu sont pleinement exploités sur l'île, aussi l'EPFAM cherche-t-il à en récupérer. J'ignore si ces exploitations sont pérennes et parviennent à avoir un véritable rendement.
M. Victorin Lurel. - La loi Letchimy autorise, il me semble, la vente si plus de la moitié des indivisaires sont d'accord (50,1 %). Or, en cas d'existence de conjoint successible en communauté de biens, ce seuil est toujours atteint lorsque ledit conjoint opte pour le quart en pleine propriété, conformément à l'article 767 du code civil. Il peut ainsi imposer la vente du ou des biens aux autres héritiers. Les héritiers qui ne sont pas à l'initiative de la vente, mais souhaitent acheter le bien indivis, ne bénéficient pas pour autant d'une priorité, faute de droit de préemption. Pourtant, ce dernier a été conçu précisément pour protéger les droits des indivisaires, en atténuant les risques de spéculation.
Peut-on éviter ce risque en prévoyant un droit de priorité et de substitution au profit des coindivisaires ?
M. Emmanuel de Survilliers. - Votre remarque concerne les cas où les deux époux auraient acheté dans le régime de la communauté des biens. Le conjoint survivant, qui possède déjà la moitié du bien, bénéficiera également du supplément dans le cadre de la succession. Il détiendra ainsi plus de la majorité du bien en question.
Je pense que la loi Letchimy vise des successions anciennes, ouvertes depuis plus de dix ans, et non pas des successions qui interviennent à la suite du décès d'un premier époux. Elle s'adresse au cas d'indivisions entre les héritiers de la première, voire de la deuxième génération.
Si c'est ce type d'occurrence que vous avez à l'esprit, il est légitime qu'une personne déjà propriétaire de la moitié du bien concerné puisse en disposer librement sans être entravée par l'opposition d'un autre héritier qui déciderait de faire échec à la vente. J'estime que le cas pratique que vous avez évoqué n'est pas représentatif d'une majorité de dossiers de succession.
Je ne suis pas un fervent partisan de la loi Letchimy, mais j'estime que nous devons la défendre en dépit de ses quelques imperfections. La règle de la majorité est plus souple que la règle de l'unanimité. Dans ce contexte, l'indivisaire récalcitrant peut toujours opter pour un achat pour lequel il a un droit de priorité face à un tiers.
M. Victorin Lurel. - Imaginons que l'héritier majoritaire souhaite vendre à un tiers et que les coindivisaires veuillent faire jouer leur droit de préemption dans le délai imparti. En tant que notaire, vous ne connaissez pas la répartition de la vente entre coindivisaires. J'estime que les dispositions de la loi Letchimy peuvent être améliorées afin d'éviter de faire appel à plusieurs textes de loi différents, alors qu'ils concernent, selon vos estimations, des situations minoritaires. Le cas évoqué peut se reproduire et est représentatif d'un certain nombre de successions.
M. Emmanuel de Survilliers. - Je pense, en effet, que le dispositif pourrait être amélioré. Pour autant, la loi Letchimy répond à l'immense majorité des situations d'indivision puisque, lorsque les discussions contradictoires entre divers héritiers aboutissent à un statu quo, c'est la majorité qui emporte la décision de la vente.
M. Victorin Lurel. - Dix ans après le décès du propriétaire, les coindivisaires sont-ils exonérés des droits de succession ? Si tel est le cas, il est dans leur intérêt d'attendre et de ne pas liquider l'indivision tout de suite.
Je souligne que le mécanisme d'indivision a permis de sauver partiellement le foncier guadeloupéen, vendu souvent au prix fort à des citoyens étrangers résidant dans l'Hexagone (Russes, Suisses, etc.). Si les terres n'étaient pas sous le régime de l'indivision, nous aurions perdu un pan entier du patrimoine foncier de l'île.
Ni les collectivités, ni les autorités, ni la chambre de notaires n'ont les moyens de s'opposer à la liberté des transactions. C'est pourquoi nous demandons à bénéficier d'un droit de regard sur la protection du patrimoine foncier. Comment pourrions-nous l'exercer dans le contexte de l'économie libérale, tout en respectant la liberté des transactions ? En proposant des amendements au texte de la loi afin que celui-ci soit exécutable, exécutoire, efficace et efficient. Je vous informe, par ailleurs, que diverses propositions d'amélioration ont d'ores et déjà été rédigées.
M. Emmanuel de Survilliers. - Je précise que l'exonération des 2,5 % de droits que vous mentionnez est immédiate, il n'est pas nécessaire d'attendre dix ans. La loi stipule qu'elle est valable pour une durée de dix ans, dès l'ouverture du partage ou de la succession. La prorogation de ce système a été votée jusqu'en 2028. Il bénéficie uniquement aux indivisaires initiaux. Tout acquéreur externe à la famille qui souhaiterait acheter le bien payera des taxes au taux habituel. Je rappelle qu'une partie importante desdites taxes revient au territoire ou à la collectivité.
Néanmoins, vous avez raison : l'indivision a permis de maintenir un certain statu quo. Malheureusement, les indivisaires se retrouvent piégés dans cette situation d'indivision.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Vos confrères auraient-ils d'autres précisions à apporter sur le sujet ?
Mme Sylvie Pons-Servel. - Non, je valide entièrement les propos de Me Emmanuel de Survilliers.
M. Éric Hoarau. - Je valide également les propos de mon confrère. La commission sur l'indivision qui s'est réunie en janvier a travaillé sur le sujet et des améliorations au texte de loi ont été proposées.
Monsieur le président, avez-vous l'intention de proposer un nouveau droit de préemption pour les indivisaires minoritaires face au conjoint majoritaire ?
Si c'était le cas, j'estime que cela alourdirait les dispositions de la loi Letchimy.
M. Victorin Lurel. - Je souligne que, actuellement, la loi n'interdit pas aux co-indivisaires qui le souhaitent de se coaliser pour acheter ensemble. En revanche, je ne suis pas sûr que ce soit possible dans le cadre de la loi Letchimy. Nous aimerions donc étendre cette possibilité aux ventes effectuées sous le régime de ladite loi.
Des difficultés pratiques sont liées à la répartition du produit de la vente.
M. Édouard Balladur a supprimé l'ordonnance de 1945 qui posait les principes de la fixation des prix. La liberté des prix est désormais la règle.
Toutefois, dans le cadre des baux ruraux, le préfet peut fixer par arrêté le prix de valorisation de l'hectare sur la base du rendement des récoltes cultivées sur les terres concernées. Malheureusement, dans les faits, personne ne respecte les prix fixés par ces arrêtés préfectoraux. Cela est peut-être le cas lorsque la Safer se prévaut de son droit de préemption et impose un prix.
La loi Sapin II a statué qu'il n'est plus possible de régler en liquide des montants supérieurs à 1 000 euros. Cela a eu pour conséquence de favoriser des transactions illicites, avec des échanges de liquidités non enregistrés. Il en a résulté une concentration de biens dans les mains de quelques personnes et une accentuation des inégalités, puisque seuls les acheteurs disposant de moyens peuvent acquérir des terrains. Je déborde du cadre de l'audition pour vous sensibiliser sur ce sujet, car il s'agit d'un phénomène très répandu dans les îles, auquel personne ne s'est encore intéressé.
M. Emmanuel de Survilliers. - Je rappelle que le prix du bail comprend le prix de location de la terre ainsi que l'éventuel prix de vente du terrain.
Les arrêtés préfectoraux sont anciens et n'ont pas été actualisés. Les coûts et volumes des denrées cultivés sur les terres n'ont pas été révisés au fil du temps. De surcroît, ces tarifs fixés il y a bien longtemps sont connus par tous les particuliers.
Les prix des terres agricoles sont vérifiés par la Safer. À la Martinique, ils varient entre 5 000 et 7 000 euros l'hectare. Si un prix est jugé trop élevé, la Safer préempte pour le rétablir et fait une contre-proposition.
Un supplément de loyer est prévu lorsque des bâtiments sont mis en location sur les terres concernées par le bail. De même, lors d'une vente, le prix du bâti vient se rajouter au prix du terrain agricole. Les deux montants sont indiqués séparément afin de permettre à la Safer de décider si elle doit ou non intervenir pour préempter.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Nous vous remercions, Maître, pour ces renseignements. Nous aimerions recevoir votre contribution écrite en réponse au questionnaire que nous vous avons adressé au sujet du fonds agricole. Nous devons conclure nos échanges puisqu'une seconde audition est programmée en séance.
Nous vous remercions pour votre participation et pour les éventuelles propositions que vous nous adresserez.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie également pour vos éclairages et vos contributions.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous propose de poursuivre nos travaux sur le foncier agricole dans les outre-mer avec un second focus juridique en compagnie des représentants du Conseil national des barreaux (CNB).
Pour cette séquence, je remercie pour leur participation :
- Me Nathalie Jay, ancien bâtonnier de Saint-Pierre de La Réunion et vice-présidente de la commission Prospective et innovation du Conseil national des barreaux (CNB) ;
- Me Yannick Louis-Hodebar, membre de la commission Affaires européennes et internationales et de la commission Règles et usages du CNB.
Mesdames, dans un premier temps, vous aurez la parole pour votre propos liminaire afin de présenter vos observations sur la base du questionnaire qui vous a été adressé pour préparer cet échange.
Dans un second temps, et puisque le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi, n'a pas pu assister à l'intégralité de nos auditions, notre rapporteur Vivette Lopez seule, ainsi que nos collègues vous poseront des questions et demanderont des précisions complémentaires, le cas échéant. Nous sommes également preneurs de toutes contributions écrites que vous jugerez utiles et nécessaires, si nous ne parvenons pas à couvrir en séance tous les aspects de la question.
Mme Nathalie Jay, vice-présidente de la commission Prospective et innovation du CNB. - Je précise ne pas être spécialiste de la question qui vous intéresse. J'ai consulté des confrères, mais je n'ai malheureusement pas obtenu beaucoup de retours puisque nous sommes en période de congés scolaires. J'espère, néanmoins, pouvoir vous adresser rapidement ma contribution écrite.
Les avis recueillis divergent selon la nature des clients que mes confrères ont l'habitude de représenter.
Ainsi, les défenseurs des constructeurs ou des installateurs d'antennes téléphoniques considèrent que la protection du foncier a été beaucoup trop renforcée. À La Réunion, en revanche, des agriculteurs considèrent que ladite protection n'est pas assez étendue. Une autorisation peut être interprétée et aboutir à la construction d'un immeuble sur des terres agricoles.
L'enjeu est donc d'assurer la protection des terres agricoles des DOM dans un contexte de pression urbanistique élevée.
Les dispositifs de protection en vigueur sur le territoire réunionnais sont la préemption de la Safer et l'avis de la CDPENAF. Les réponses de mes confrères soulignent le manque de cohérence des politiques existantes.
Des rejets ou annulations des préemptions de la Safer ont été enregistrés. Le droit de préemption aurait été mal exercé, au profit de certains particuliers. Des critères auraient également été utilisés à tort ou déformés. De l'avis général, les contrôles en vigueur ne sont pas considérés comme étant impartiaux.
À La Réunion, le dispositif CDPENAF est imposé et non facultatif. Nous nous interrogeons sur la justification de ce système dérogatoire instauré pour les DOM et aimerions être traités sur un pied d'égalité avec l'Hexagone. Les réponses recueillies mettent en évidence à nouveau des contrôles trop lourds ou mal exercés, ainsi que des suspicions de favoritisme.
Le dispositif se voit aussi reproché son intransigeance qui empiète sur le pouvoir des maires. Je pense que cela traduit un conflit insidieux entre urbanisme et protection du foncier agricole. Je rappelle, néanmoins, qu'il s'agit d'un sujet dont je ne suis pas spécialiste.
Je puis vous confirmer que la loi Letchimy est effectivement utilisée à La Réunion, où nous rencontrons des cas de successions relativement anciennes qui remontent parfois sur quatre ou cinq générations. Les partages n'ont pas été réglés pour de multiples raisons telles des difficultés financières empêchant le règlement des frais de succession, une méconnaissance des démarches administratives, une absence de cadastre. Très souvent, il faut remonter sur trois générations afin de retrouver tous les indivisaires concernés, obtenir leur accord, gérer des questions d'occupation sans titre, des préemptions acquisitives qui auraient été réalisées, etc. Ladite loi peut aider à résoudre une partie de ces situations très complexes.
Le dispositif n'est pas toujours utilisé, car les avocats, tout comme les magistrats, n'en sont pas familiers. Nous estimons qu'il faut néanmoins le prolonger et, surtout, le préciser et l'encadrer davantage.
Je n'ai pas reçu de réponses au sujet de la primauté de l'environnement sur l'agriculture, mais notre ressenti est que la réalité prouve plutôt le contraire. L'urbanisme exerce une forte pression sur le milieu naturel, qui ne semble pas particulièrement protégé.
La loi 2006-11 d'orientation agricole est bien appliquée à La Réunion, à la différence des autres DOM qui ont un statut dérogatoire. Toutefois, je ne peux affirmer avec certitude qu'elle incite à la transmission de fonds agricoles sur le modèle des fonds de commerce au profit des jeunes et en vue de faciliter leur installation.
Mme Yannick Louis-Hodebar, membre de la commission Affaires européennes et internationales et de la commission Règles et usages du CNB. - Je souligne que les problématiques relevées dans les DOM sont très variées et illustrent des spécificités locales.
La Guadeloupe possède beaucoup de terrains non cultivés puisque sur les 64 000 hectares de surface agricole seulement 31 000 hectares sont utilisés. Les exploitations sont généralement constituées de petites parcelles dont les produits sont destinés à l'exportation.
Comme l'a indiqué Me Jay, les principaux contentieux sont liés aux partages successoraux. L'absence de titres constitue également une difficulté majeure. Après l'abolition de l'esclavage, les anciens esclaves ont occupé en tant que colons les terrains qu'ils exploitaient pour les propriétaires de droit. Ces derniers s'en sont progressivement désintéressés. Parfois, leurs héritiers découvrent d'anciens titres de propriété. Lorsqu'ils souhaitent entrer en possession des terres visées, ils déclenchent des conflits avec les descendants des colons établis sur ces terrains qu'ils exploitent depuis plusieurs générations. La justice leur donne souvent gain de cause en leur qualité d'exploitants. Les contentieux traitent également beaucoup de cas de fraude et de recels d'héritage.
La loi Letchimy a été salutaire pour beaucoup de successions non liquidées depuis plusieurs générations. Elle n'est toutefois pas connue du grand public, car beaucoup de notaires ne souhaitent pas se plier à ses exigences. En effet, ses dispositions alourdissent leurs missions, notamment par des recherches complexes d'héritiers qui, bien souvent, n'habitent pas le territoire. Je pense que les notaires devraient se déplacer sur le terrain pour expliquer aux citoyens le contenu de la loi et les sensibiliser à ses avantages.
La plupart des concitoyens que j'ai interrogés semblent satisfaits de l'avis conforme dérogatoire de la CDPENAF. Les départements et les communes peuvent s'en prévaloir pour refuser le déclassement de terres agricoles en l'absence d'une raison légitime et endiguer ainsi la spéculation immobilière.
Par ailleurs, il existe une politique de titrement aux Antilles. Elle permet aux personnes occupant des parcelles depuis longtemps d'obtenir des titres de propriété. Malheureusement, la loi Letchimy arrive à son terme, puisque ses effets ont seulement été prévus pour une période de dix ans. Je précise que la procédure de succession revient souvent très cher aux héritiers car ils habitent loin des terrains concernés. En sus du géomètre, ils doivent faire appel aux services d'un notaire ainsi que d'un généalogiste, chargé de retrouver tous les héritiers possibles.
La construction d'habitations sur les terres agricoles par leurs exploitants contribue au déclassement des terrains. En principe, les exploitations agricoles ne possèdent que des bâtis rudimentaires (hangars). Progressivement, certains agriculteurs y construisent leur habitation principale, car vivre sur leurs terres leur permet de surveiller leurs récoltes et leur bétail. Je n'ai connaissance d'aucune destruction demandée par un maire d'une quelconque de ces maisons, bien que leur construction soit illégale. Je redoute que certaines de ces constructions donnent lieu à des abus. Pour en être certain, il faudrait étudier les dossiers au cas par cas.
Je vous confirme aussi que, actuellement, la protection des espaces naturels prévaut sur celle des terres agricoles. Cette préoccupation pour l'environnement est assez récente, car, malheureusement, par le passé, sa protection n'était pas prioritaire face à la protection de l'agriculture.
Les Safer font face actuellement à des difficultés financières, qui ne sont pas propres aux outre-mer et affectent également les organismes de la métropole. De ce fait, ils ne peuvent pas toujours payer les parcelles qu'ils préemptent. Malgré ces contraintes, leur mission est importante, ne serait-ce que pour inventorier des terres en friche, destinées à être allouées à de jeunes agriculteurs qui souhaitent s'établir, et pour renforcer le respect des lois.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Pour résumer vos propos, Maître : l'environnement prend donc le pas sur les terres agricoles.
Mme Yannick Louis-Hodebar. - En effet. Le scandale de la chlordécone a beaucoup marqué les esprits. Aujourd'hui, nous faisons bien plus attention aux règles de l'écologie, nous essayons de préserver l'eau, etc. Tous les territoires ultramarins subissent depuis des années les conséquences du réchauffement climatique. Nous sommes donc réticents à produire au détriment de l'environnement.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Lors de notre déplacement en Martinique nous avons compris que l'ONF jouait un rôle très important, non seulement dans le contrôle de l'utilisation des pesticides, mais également dans la gestion foncière. Il applique par exemple des taxes élevées qui empêchent les acquéreurs d'acheter des terrains en friche pour les rendre cultivables. Cette protection est peut-être excessive.
Mme Yannick Louis-Hodebar. - Cela est, en effet, excessif. Néanmoins, le rôle de l'ONF est particulièrement important en Guyane où il empêche l'exploitation des forêts.
Bien que les Antilles soient des territoires économiquement faibles, nous avons conscience de l'importance de l'environnement et n'accueillons pas à bras ouverts le développement qu'apportent les investisseurs étrangers. Pour mémoire, la chlordécone évoquée précédemment était un pesticide interdit aux États-Unis qui a été utilisé à grande échelle dans nos îles. 90 % des terres en Guadeloupe et Martinique ont été polluées pour les générations à venir.
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Pensez-vous qu'un dispositif de fonds agricole, sur le modèle du fonds de commerce pourrait être institué pour faciliter la transmission des exploitations ? Plus généralement, comment pensez-vous qu'il faudrait procéder pour faciliter et accompagner l'installation des jeunes agriculteurs ?
Mme Yannick Louis-Hodebar. - S'il n'existe pas déjà, ce dispositif représenterait une initiative louable. Dans le cadre du partage successoral, des mesures devraient être instaurées afin d'encourager la préférence agricole pour celui qui exploite déjà les terres.
Mme Nathalie Jay. - Toute mesure d'encouragement est la bienvenue. Je pense surtout à des mesures fiscales qui faciliteraient la succession. Le régime de l'attribution préférentielle mentionnée par ma consoeur s'applique déjà dans le cas des transmissions.
Je précise que nous ne connaissons pas de polémique environnementale à La Réunion où la préservation à tout prix des sites naturels n'est pas une priorité. En revanche, comme évoqué précédemment, nous sommes confrontés à une problématique d'urbanisme sur les terres agricoles.
Les avis recueillis sont très partagés sur le sujet des constructions érigées par les exploitants sur les terres qu'ils cultivent. Certes, cela leur permet de surveiller leurs champs et leur bétail. Les communes ont toléré cette pratique par le passé, même pour des constructions sans permis, mais nous constatons actuellement moins de souplesse. Beaucoup de constructions ont été détruites récemment à la suite de constats d'abus (multiples constructions à vocation locative). De surcroît, des manifestations d'agriculteurs ont eu lieu dernièrement pour protester contre les constructions d'immeubles sur des terres agricoles. L'arbitrage sera difficile à effectuer, car la question est complexe dans un contexte de pression urbaine extrêmement forte à La Réunion.
Mme Victoire Jasmin. - Avez-vous déjà rencontré des cas où des personnes installées sur des groupements fonciers agricoles (GFA) ne souhaitaient pas partir, même après avoir atteint l'âge de la retraite ou même lorsque leurs enfants souhaitent garder et poursuivre l'exploitation foncière, malgré le fait qu'ils ne soient pas eux-mêmes agriculteurs ?
Par ailleurs, avez-vous constaté des cas où l'installation d'éoliennes s'effectue sur du foncier agricole en dépit du fait que des agriculteurs souhaitent continuer l'exploitation des terres agricoles concernées ?
Mme Yannick Louis-Hodebar. - Les éoliennes sont, bien entendu, utiles et constituent une énergie propre, renouvelable, mais elles détruisent le paysage. Pour autant, il faut parvenir à prendre une décision, en essayant de trouver un équilibre.
Je précise que je n'ai pas connaissance de contentieux à ce sujet.
Pour répondre à votre première question, nous avons pu constater, en effet, que beaucoup d'exploitants sont réticents à laisser la place à leurs enfants.
M. Stéphane Artano, président. - Savez-vous si la disparité de traitement de la CDPENAF entre les DOM et l'Hexagone a fait l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant une quelconque juridiction administrative ?
Mme Yannick Louis-Hodebar. - Je rappelle que la CDPENAF n'est pas le seul dispositif dérogatoire entre les outre-mer et le territoire national. Les agriculteurs rencontrés m'ont exprimé leur satisfaction au sujet de ce dispositif d'avis conforme, indiquant qu'ils éprouvaient de la méfiance à l'égard de leurs élus. L'urbanisation à outrance évoquée par Nathalie Jay a été accentuée par le tourisme. Certains maires peu scrupuleux pourraient déclasser des terres en vue de la promotion immobilière, alors que la Chambre de l'agriculture s'emploie à les protéger.
Mme Nathalie Jay. - Je rejoins Me Yannick Louis-Hodebar concernant le bien-fondé des mesures dérogatoires puisque la CDENAF protège les terres agricoles.
La Réunion n'est pas concernée par l'implantation d'éoliennes. En revanche, nous avons un problème d'installation de panneaux solaires et d'antennes téléphoniques. Les propriétaires agricoles reçoivent de la part des opérateurs un loyer pendant quinze ans en contrepartie de leur accord pour l'implantation des antennes. Une loi dérogatoire expérimentale qui date de décembre 2022 exonère cette implantation de l'avis conforme de la CDPENAF. Des contentieux existent déjà à la suite d'avis négatifs, ainsi que des recours ayant pour but d'écarter lesdites antennes construites sur des terres agricoles.
Par ailleurs, la pratique d'installation de panneaux solaires dans les champs a été abandonnée en faveur de leur installation sur les toits ou sur des parkings. J'ignore si d'autres types de constructions sont également utilisés.
Mon expertise dans le domaine des GFA est très réduite et je n'ai jamais été amenée à travailler avec ces structures.
Mme Yannick Louis-Hodebar. - Je souhaite ajouter que le recours est impossible contre un avis conforme, qu'il soit favorable ou défavorable, mais, en revanche, la dérogation accordée peut faire l'objet d'un recours devant un tribunal administratif.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour vos éclairages fort utiles et je renouvelle mon invitation à nous adresser par écrit tous avis pour compléter les travaux de nos rapporteurs.
Jeudi 25 mai 2023
Parentalité dans les outre-mer - Audition d'Unicef France
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Bonjour à tous et à toutes, cher Président, chers collègues, Mesdames, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par nos deux délégations : la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.
Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique nos collègues Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin.
Nous entendons tout d'abord ce matin des représentants d'Unicef France, Mmes Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer, et Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer.
Bienvenue à vous.
Nos attentes s'articulent autour de deux axes :
- premièrement connaître les actions menées par l'Unicef dans les territoires d'outre-mer et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;
- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de l'Unicef afin d'améliorer la situation des enfants et familles d'outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.
Je laisse sans plus tarder la parole à Mmes Jodie Soret et Mathilde Detrez. Vous pouvez organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.
Mme Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer d'Unicef France. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames les rapporteures, bonjour à toutes et tous.
Merci de nous recevoir aujourd'hui pour parler de ce sujet très important que nous abordons plus généralement sous l'angle des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. Il a fallu un peu de temps à l'Unicef pour aborder ce sujet. Longtemps, il est vrai que nos recommandations en matière de plaidoyer se sont concentrées sur l'Hexagone. Ensuite, nous nous sommes progressivement aperçus - notamment à l'occasion d'un état des lieux, ou plutôt d'une analyse de la situation des droits de l'enfant en France - qu'un certain nombre d'indicateurs concernant les territoires ultramarins étaient particulièrement alarmants. Ils venaient objectiver une situation que nous avions pu pressentir d'une autre manière.
Commençons par contextualiser notre action. Unicef France représente l'Unicef. Nous sommes porteurs d'un mandat pour représenter l'agence des Nations unies pour l'enfance sur l'ensemble du territoire français. Nous sommes un comité national dont les principales missions sont le plaidoyer, la communication, la sensibilisation et la collecte. Cette dernière a longtemps été l'arête dorsale de notre action en France, notamment de manière à financer des programmes dans les pays en développement. Les choses ont ensuite beaucoup évolué, puisque le service plaidoyer compte aujourd'hui quinze personnes, nous permettant de couvrir un certain nombre de sujets, parmi lesquels figure la protection au sens large. Nous y incluons notamment les questions de pauvreté, les enjeux de santé mentale des enfants, de protection de l'enfance, incluant également la prise en charge des mineurs en situation de migration. Nous travaillons également sur les questions d'éducation des enfants, et notamment la question de l'accès à l'éducation. Je me permets de préciser ces thématiques, puisque ce sont notamment celles que nous avons commencé à approfondir dans notre travail sur les différents territoires ultramarins.
L'Unicef a pour rôle de formuler des recommandations en direction des pouvoirs publics pour améliorer l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire. Pour ce faire, nous contribuons fortement aux travaux menés par le Comité des droits de l'enfant de Genève dans le cadre de l'examen de la mise en oeuvre de la Convention des droits de l'enfant en France qu'il mène tous les cinq à six ans. Nous attendons notamment des recommandations pour le mois de juin de la part de ce comité. Dans ce cadre, nous avons beaucoup porté le sujet des territoires ultramarins. Il est fort probable que des recommandations émises par le Comité des droits de l'enfant à l'endroit de la France seront diffusées à partir du mois de juin.
Unicef France a souhaité renforcer son action sur l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous avions déjà entamé un travail, notamment en Guyane, sur l'accès à l'éducation. En 2020, nous avions en effet publié une étude sur le sujet sur ce territoire, comprenant 37 recommandations articulées autour de trois thèmes : favoriser l'accès à l'éducation des enfants éloignés de l'école ; contribuer au renforcement des conditions de réussite éducative des enfants ; et renforcer la connaissance et la capacité des acteurs à respecter et promouvoir les droits de l'enfant en Guyane. Depuis la publication de ce rapport, nous comptons un salarié implanté sur ce territoire. Il travaille sur la réalisation de ces différentes recommandations. Nous pourrons y revenir par la suite, lorsque nous parlerons d'éducation.
Entre 2020 et 2021, nous avons également mené un travail plus global sur l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire français. À ce moment-là, nous nous sommes aperçus que nous manquions de données s'agissant de l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous insistons sur ces derniers car les éléments que nous y trouvons sont très inégaux. Par exemple, nous manquons cruellement de données sur la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, alors que nous en trouvons davantage concernant la Guadeloupe. Je précise que nous sommes évidemment très exigeants s'agissant des données, qui nous semblent être la base de bonnes politiques publiques. Il est certain qu'une de nos recommandations visera à renforcer le travail autour des données, notamment concernant les enfants.
Cet état des lieux, qui vous sera plus amplement présenté par Mathilde Detrez, est en cours. Nous nous présentons ainsi devant vous avec une certaine humilité, puisque nous sommes nous aussi en train de réaliser ce travail pour mieux comprendre la situation et proposer les solutions les plus adaptées. Il sera publié le 20 novembre prochain, à l'occasion de la journée des droits de l'enfant. Unicef France a ici pour objectif de remettre la focale sur l'égalité entre les territoires, et la nécessité de mettre en place une action renforcée pour s'assurer de l'effectivité des droits des enfants en outre-mer.
Nous nous nourrissons pour l'heure des données et des recherches disponibles, mais nous souhaitons également associer des acteurs concernés dans les territoires. Nous menons ainsi un certain nombre d'auditions pour essayer de comprendre un peu plus finement les réalités, et surtout pour éviter les amalgames entre des territoires parfois désignés comme « outre-mer » en général. Une réflexion sur ce sujet est nécessaire, pas uniquement de notre part.
Pour l'instant, et même plus globalement, nous ne prétendons ni à l'exhaustivité, ni à la perfection. Nous souhaitons simplement disposer d'un état des lieux de départ sur la question de l'effectivité des droits des enfants pour co-construire des solutions.
Les réflexions que nous comptons partager aujourd'hui reflètent les premiers travaux que nous avons pu engager, et certaines des contributions aux politiques publiques que nous avons proposées. En parallèle, nous avons en effet souhaité commencer à formuler des propositions, notamment dans le cadre des Assises de la santé de l'enfant. Nous identifions des besoins spécifiques sur les enjeux de santé, également dans le cadre de la préparation du pacte des solidarités. Vous le disiez, la précarité est particulièrement prégnante dans les outre-mer.
Mme Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France. - Nous sommes en train d'établir un état des lieux de la situation des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. J'essaierai de dérouler de manière synthétique nos premiers constats et recommandations, en tentant de laisser de la place aux questions et aux échanges, qui nous semblent tout aussi importants.
Nous avons engagé des travaux sur la thématique de la pauvreté, notamment. Nous nous sommes aperçus que la connaissance et l'analyse de la situation des enfants étaient essentielles pour objectiver leurs besoins et pour développer des politiques publiques adaptées. Nous, comme d'autres, nous confrontons à un double obstacle correspondant au manque de données sur la pauvreté multidimensionnelle des enfants en général, mais plus particulièrement dans les territoires d'outre-mer. S'y ajoute un manque de données pour les territoires ultramarins, relativement prégnant. À titre d'exemple, je peux citer le seuil de pauvreté, dont le calcul était jusque récemment différent en outre-mer et en métropole, ce qui compliquait évidemment l'analyse de la pauvreté multidimensionnelle. Pour cette raison, nous recommandons la réalisation d'un état des lieux sur cette pauvreté multidimensionnelle chez les enfants vivant dans les collectivités territoriales d'outre-mer.
Nous considérons également que le pacte des solidarités en cours, pour lequel l'Unicef mène un travail conséquent, constitue un levier. Il a vocation à être décliné localement dans le cadre d'une contractualisation entre l'État et les collectivités. Il prévoit une adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté à certains territoires, dont les territoires ultramarins. Là aussi, nous avons formulé des recommandations que nous pourrons vous transmettre. Nous recommandons de s'assurer de la mise en oeuvre effective des mesures du Pacte des solidarités dans les territoires ultramarins en les adaptant au contexte tout en visant les mêmes résultats. Des adaptations sont en effet nécessaires, mais elles ne sont acceptables que si l'ambition des mesures n'est pas revue à la baisse pour ces territoires.
Nous nous sommes également rendu compte que la barrière de la langue constituait un obstacle dans certains territoires dits d'outre-mer, notamment dans l'accès aux services publics et aux droits. Pour cette raison, nous recommandons - notamment dans le cadre du Pacte des solidarités - de développer une stratégie d'interprétariat pour favoriser l'accès aux services publics et aux droits des familles.
Je me permets d'émettre une petite précision par rapport au logement, puisqu'il me semble essentiel d'évoquer ce sujet dans les territoires d'outre-mer. Selon le rapport d'information sénatorial du 1er juillet 2021, l'habitat indigne concerne près de 110 000 logements, soit 13 % du parc des 900 000 logements des DROM. Les difficultés d'accès au logement en outre-mer sont fortement accentuées par l'existence d'un système dérogatoire au droit commun. Certains droits sont minorés, voire inappliqués. À titre d'exemple, le droit au logement opposable n'est pas forcément en vigueur, et certains droits sociaux ne sont pas alignés avec le droit commun. C'est le cas du revenu de solidarité active (RSA) ou des allocations logement. Ainsi, une distinction nette est opérée entre les collectivités territoriales d'outre-mer et l'Hexagone. On le retrouve également dans les textes applicables.
Nous pouvons évoquer la circulaire du 26 août 2021 relative à l'anticipation des opérations d'évacuation des campements illicites, et l'instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, censées réduire le nombre des bidonvilles dans les cinq ans à venir. Elles ne s'appliquent pas dans les territoires d'outre-mer.
Face à l'ampleur de la dégradation de l'habitat et à l'augmentation des logements insalubres, le législateur a introduit des dispositions spécifiques censées faciliter la résorption de l'habitat indigne. C'est le cas de la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, votée en 2018. Elle consacre une profonde réforme sur le logement social et l'habitat informel en Guyane et à Mayotte. L'application de cette loi présente des conséquences concrètes pour ces territoires. Au cours de l'opération « Wuambushu » à Mayotte, initiée le 22 mai dernier, visant à réduire l'habitat insalubre et à expulser les migrants en situation irrégulière, l'application de la loi ELAN a affecté la scolarisation et l'hébergement des enfants.
Sur la thématique de la pauvreté, nous recommandons un renforcement du repérage et de l'orientation des familles sans domicile vers le droit commun, en développant et en pérennisant les dispositifs visant à aller vers ces familles. Nous insistons également sur le fait de garantir un accueil inconditionnel des enfants et des familles en hébergement respectueux de leurs droits, en développant des solutions adaptées aux familles. Ce n'est pas toujours le cas. Nous recommandons en outre, en général, de favoriser l'accès au logement et de produire massivement une offre de logements sociaux adaptée aux familles. Un travail est déjà en cours en la matière, il doit être renforcé. Enfin, nous recommandons une intégration des territoires d'outre-mer dans le programme national de résorption des bidonvilles et la circulaire de 2018.
Ensuite, l'Unicef travaille par thématique. Si nous en venons à la protection des enfants, j'aimerais vous parler du sujet de la migration. Certaines dérogations législatives sont propres à certains territoires ultramarins, faisant état d'un non-accès systémique aux droits de l'enfant. Ce constat, que nous faisons sur plusieurs territoires, est particulièrement exacerbé à Mayotte. Le droit des personnes étrangères y est dérogatoire dans de nombreux domaines : santé, liberté de circulation pour les mineurs, contrôle d'identité, accès à la nationalité ou à un titre de séjour... Le régime dérogatoire plonge souvent des milliers de familles et d'enfants dans une situation particulièrement vulnérable. Il a des conséquences directes sur la parentalité au sein même des familles. Je pourrais développer ce sujet de la liberté de circulation, mais également les conséquences de la réforme de l'accès à la nationalité ou encore l'enfermement des enfants, qui est particulièrement prégnant à Mayotte. Plus de 2 900 enfants y ont été enfermés l'année dernière. L'Unicef porte le combat de la fin de l'enfermement des mineurs sur l'ensemble du territoire et dans tous les locaux de rétention. Dans ce cadre, nous recommandons une application du droit commun prévu par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) pour toutes les mesures dérogatoires qui entraînent des conséquences négatives sur la réalisation des droits de l'enfant. À nos yeux, c'est bien le prisme des droits de l'enfant qui doit être privilégié.
Vous nous avez interrogées sur les grossesses précoces, enjeu sur certains territoires, et particulièrement en Guyane et à Mayotte. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, parce que je sais que le réseau périnatal de Guyane a aussi été auditionné. Nous échangeons souvent avec ses membres. Nous constatons les mêmes freins, à savoir des carences généralisées en termes d'infrastructures, et particulièrement en santé mentale. Sachez que le taux de suicide est huit fois plus élevé en Guyane, selon Santé publique France. Ce constat n'est évidemment pas sans conséquence sur l'effectivité des droits de l'enfant. Les enfants amérindiens sont particulièrement touchés.
Le réseau périnatal nous a aussi fait part d'une prévention parfois inadaptée, plutôt calquée sur le modèle hexagonal, qui ne s'applique pas nécessairement aux réalités de la Guyane. De plus, le cas des grossesses précoces entraîne une non-scolarisation, voire une déscolarisation pendant la grossesse, qu'il s'agit d'identifier pour pallier ce manque d'accès à l'éducation.
À ce titre, nous recommandons vivement de renforcer l'accompagnement des adolescentes enceintes à travers l'augmentation des moyens alloués au dispositif, via le réseau périnatal de Guyane, avec la création de postes référents. Ceux-ci ne doivent pas être créés uniquement sur le littoral, mais aussi dans les communes plus isolées de Guyane. Nous estimons aussi qu'il serait judicieux de proposer la création de nouveaux postes d'accompagnement à la parentalité, pour accompagner les mères et les couples jusqu'aux trois ans de l'enfant, à son entrée dans la scolarité, et pas uniquement à sa naissance.
Nous souhaitons également développer les permanences de sages-femmes en milieu scolaire, dispositif existant en Guyane, qui mériterait d'être déployé ailleurs. Nous aimerions en outre que le territoire soit doté de foyers parentaux afin de pallier l'isolement des adolescentes et de prévoir un accompagnement global, qu'il soit matériel, psychologique ou pédagogique. Sur l'ensemble du territoire, nous recommandons également de privilégier et de renforcer les actions de sensibilisation avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment dans les établissements scolaires. C'est bien là que se joue la sensibilisation. Pour ce faire, nous recommandons le développement de plans de formation adaptés aux réalités des territoires, aux professionnels de santé, mais également aux professionnels de l'Éducation nationale. Ils doivent faire état des réalités sociales, culturelles et historiques dans ces territoires ultramarins.
Mme Jodie Soret. - J'aimerais désormais ajouter quelques mots concernant l'éducation, sujet sur lequel nous travaillons depuis un certain temps déjà, notamment dans l'Hexagone. Nous avons publié un rapport sur la situation de l'éducation en Guyane, dans lequel nous estimions à 10 000 le nombre d'enfants n'ayant pas accès à l'éducation. Nous avions repris des chiffres de la Cour des comptes, même si ces estimations sont toujours assez difficiles à établir. Des travaux plus récents estiment à 9 500 le nombre d'enfants, à Mayotte, qui n'auraient pas accès à l'éducation. Nous travaillons fortement sur ce sujet et devrions renforcer notre action sur ce territoire dans les mois à venir.
Parmi les freins que nous avons identifiés à Mayotte, là où nous avons travaillé jusqu'ici, je peux citer une absence de repérage et d'identification des enfants non scolarisés. Le code de l'éducation impose aux municipalités de dresser la liste de tous les enfants soumis à l'obligation scolaire, mais cette disposition n'est pas toujours - voire très peu - appliquée sur les territoires. Sont ainsi laissés dans l'invisibilité un certain nombre d'enfants non scolarisés. L'absence de recensement empêche le repérage des enfants, et donc leur accompagnement. Dans certains quartiers informels, il est notamment très difficile de savoir si l'ensemble des jeunes sont scolarisés ou non, ce qui complique la collecte de données de qualité. S'y ajoutent des difficultés d'inscription à l'école, parfois liées à des pratiques illégales de la part de certaines municipalités. Nous l'avons noté en Guyane et à Mayotte, à l'encontre d'enfants étrangers se trouvant, de fait, privés de scolarisation. La Défenseure des droits a rendu un certain nombre de recommandations à ce sujet.
À Mayotte, nous avons aussi relevé des dispositifs censés pallier le manque de places dans les établissements scolaires. Le rectorat y a décidé la mise en oeuvre d'un dispositif dérogatoire de classes itinérantes. Plusieurs associations ainsi que la Défenseure des droits ont relevé que les enfants de nationalité française seraient ainsi scolarisés de préférence dans des écoles de la commune, et que les enfants étrangers sont généralement accueillis une matinée par semaine dans le cadre de ce dispositif de classe itinérante. Nous y voyons une différence de traitement qui retient notre attention. La justice, saisie de ce dispositif par le biais des associations, a considéré que cette solution ne saurait être regardée comme un palliatif à une scolarisation effective, ce qui renforce la nécessité de mener un vrai travail pour que l'ensemble des enfants ait accès à ce droit à l'éducation.
Enfin, les conditions de logement, de transport, voire de restauration peuvent rendre difficile l'accès et le maintien à l'école. J'insiste notamment sur l'enjeu des transports scolaires ou le manque de places en internat, qui a conduit à mettre en place le dispositif de « familles hébergeantes » en Guyane. Ce dispositif ad hoc répond certes à un besoin, mais ne nous semble pas nécessairement aller dans le sens de la meilleure protection des enfants. Il nous paraît parfois opaque.
Ainsi, nous recommandons de poursuivre et de pérenniser le travail engagé autour de l'identification des enfants éloignés de l'école en l'incluant dans une démarche nationale. L'enjeu du non-accès à l'éducation n'est pas seulement un problème de territoire ultramarin. Il existe aussi des enfants, dans l'Hexagone, qui ne sont pas scolarisés. Ainsi, l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative, qui a été relancé en Guyane, doit pouvoir s'inscrire dans un contexte un peu plus global, afin d'harmoniser les méthodologies. Aussi, nous poussons à la mise en place d'un observatoire national de la non-scolarisation pour que soient menées des réflexions au niveau national sur ce sujet.
Nous nous intéressons également beaucoup au développement de la médiation scolaire. Ce dispositif a été mis en place par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Il se concentre aujourd'hui majoritairement sur l'Hexagone. Il nous apparaît intéressant de l'élargir aux territoires ultramarins, en l'adaptant, évidemment. Nous savons que certaines initiatives ressemblant à la médiation scolaire existent déjà, mais elles n'entrent pas dans ce cadre de gestion par la Dihal.
Ancrer les dispositifs ad hoc applicables dans certains territoires d'outre-mer dans le droit commun semble par ailleurs essentiel. Un droit local peut être très intéressant, mais il est nécessaire de s'assurer qu'il s'applique pour le mieux et vise une meilleure réalisation des droits de l'enfant, pour une meilleure adaptation. Nous faisons notre possible pour éviter des dispositifs qui consisteraient à moins bien appliquer les droits de l'enfant.
Mme Mathilde Detrez. - Nous allons terminer notre propos avec les sujets de santé.
Les constats que je vais dresser sont certainement partagés. Le rapport de l'Igas sur la santé des enfants affirme, en 2021, que les indicateurs de santé ainsi que les déterminants de santé des enfants sont plus défavorables dans les territoires d'outre-mer que dans l'Hexagone. La pauvreté monétaire et multidimensionnelle qui frappe certains des territoires ultramarins n'est pas sans conséquence sur le parcours de santé des enfants, qui représentent tout de même une part importante de la population, surtout dans certains territoires. À titre d'exemple, la mortalité infantile est deux à trois fois plus élevée dans les DROM que dans l'Hexagone. De fait, la santé des enfants est particulièrement dégradée sur certains territoires, qui souffrent de carence dans l'offre de soins et les infrastructures de santé en général, mais également dans l'offre de soins hospitalière en pédopsychiatrie, qui ne fait pas exception à ces carences. La prise en charge des enfants en santé mentale est aussi un enjeu fondamental. Il s'agit de l'une des priorités d'Unicef France, surtout dans ces territoires où l'accès aux soins dits « essentiels » - qui ne comprennent pas forcément les soins en santé mentale de prime abord -, est semé d'embûches.
Nous recommandons de développer et de renforcer les dispositifs mobiles d'accès aux soins existants, qui font leurs preuves sur certains territoires, mais aussi la prévention en médiation de santé. Pour ce faire, doivent être associés l'ensemble des acteurs concernés afin d'entamer une réelle démarche d'« aller vers », qui fonctionne et a fait ses preuves. Elle doit être renforcée. Il est essentiel d'aller vers les enfants éloignés en leur proposant des infrastructures adaptées à leur prise en charge.
Nous souhaitons également porter à votre connaissance les freins en matière de soins et de protection maladie dans certains territoires ultramarins. Nous recommandons vivement de mettre en place l'Aide médicale d'état (AME) et la complémentaire santé solidaire à Mayotte, sans aucune distinction. Nous souhaitons aussi que soit permise l'affiliation à la Sécurité sociale de tous les enfants, peu importe la situation administrative de leurs parents ou la situation d'isolement. Ce n'est pas encore le cas sur l'ensemble du territoire français.
Permettez-moi d'évoquer rapidement la procédure d'évacuation sanitaire. Je ne sais pas si vous la connaissez. Elle est plutôt opaque en fonction des territoires. Elle existe surtout de Mayotte vers La Réunion, mais également de la Guyane vers l'Hexagone. Nous aimerions qu'un travail de fond soit mené. Il est déjà effectué par certaines associations sur place, notamment la Cimade à La Réunion. Nous souhaitons oeuvrer pour la modification de cette procédure, afin de permettre aux parents d'accompagner leur enfant jusqu'à son retour lorsqu'il bénéficie d'une évacuation sanitaire d'un territoire ultramarin à un autre, ou d'un territoire ultramarin à l'Hexagone, en respect du principe de non-séparation des familles, et sans distinction en fonction de la situation administrative des parents. Parfois, des enfants sont évacués à La Réunion, par exemple, et les difficultés liées à la délivrance de passeports provisoires ou de laissez-passer empêchent les parents de les accompagner. Ces jeunes restent sur un territoire qu'ils ne connaissent pas parfois pendant des mois, voire des années. En découle une rupture dans le droit au respect de la vie privée et familiale relativement conséquente. Des réflexions sont en cours s'agissant de cette procédure.
Enfin, nous souhaitons recommander l'amélioration de l'offre de soins en santé mentale des enfants, et permettre un suivi efficient. Celui-ci passerait par le renforcement des structures adaptées, mais également par une valorisation des actions de prévention du suicide - nous parlions plus tôt des jeunes amérindiens en Guyane. Doit également être généralisé le suivi en santé mentale des enfants concernés par la destruction de leurs habitats à Mayotte, notamment dans le cadre de la loi ELAN.
Mme Jodie Soret. - Nous avons tenté de balayer un certain nombre de recommandations, bien que le sujet soit très vaste. Vous aurez noté que notre prisme concerne avant tout les droits de l'enfant et notre interprétation de la Convention des droits de l'enfant, basée sur les recommandations du Comité des droits de l'enfant.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour cette présentation exhaustive, qui démontre l'engagement de l'Unicef sur nos territoires ultramarins.
Vous avez pointé différentes problématiques qui soulèvent deux questions.
D'abord, vous avez évoqué le changement du calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020. Pourquoi a-t-il été opéré à ce moment-là ? Quelles en ont été les conséquences ?
Par ailleurs, vous avez soulevé des disparités entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Pourrez-vous nous envoyer les différences observées sur les allocations diverses et variées, en particulier pour justifier votre constat sur le droit opposable au logement qui ne serait pas une réalité sur certains territoires ?
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je m'orienterai quant à moi sur un sujet pratico-pratique. Je sais que l'Unicef est en partenariat avec de nombreuses collectivités, dont celle d'Issy-les-Moulineaux que je connais très bien. La ville est signataire de la charte « Ville amie des enfants ». Beaucoup de collectivités ultramarines en sont-elles signataires ? Elle permet notamment aux collectivités, au travers des conseils municipaux de jeunes ou de conseils de jeunesse, de commencer à sensibiliser ces populations sur certains sujets. Je crois beaucoup au maillage territorial de votre action.
Vous indiquiez notamment que vous comptiez un salarié en Guyane, territoire que vous investissez fortement. Envisagez-vous des liens avec les collectivités supports ? J'imagine que l'Unicef seule ne pourra pas porter ces sujets, au-delà de votre travail de plaidoyer et de vos recommandations. Nous sommes en outre intéressés par la manière dont des politiques nationales permettraient des projections d'acteurs tels que l'Unicef dans les territoires ultramarins. Quelles seraient les mesures qui permettraient de favoriser votre implantation au travers de partenariats, ou en direct ?
Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions et pour l'exhaustivité de votre présentation. Nous voyons à quel point l'Unicef est engagée en matière de droits de l'enfant, mais aussi et surtout en matière d'effectivité de ces droits, notion qui me paraît presque plus importante encore. On peut avoir des droits, mais si l'on ne peut pas les exercer, leur importance devient très relative.
Si j'ai bien compris, le service Plaidoyer constitue aussi un lien avec les acteurs sur place. Quel est votre regard sur les différents acteurs en fonction des territoires ultramarins ? Des coordinations doivent-elles, selon vous, être améliorées ? Des manques sont-ils constatés ? Sur certains territoires, un acteur prend-il plus de place en la matière ?
Parmi vos recommandations, je suis particulièrement sensible à la création d'un observatoire de la non-scolarisation. Les chiffres que vous nous avez rappelés peuvent être sous-estimés. Ils sont inquiétants, tant en Guyane qu'à Mayotte. Les recommandations émises le sont pour l'avenir. Pour autant, que faisons-nous de ces enfants qui ne sont pas scolarisés à l'heure actuelle ? Ils sont 9 000 ou 10 000, avec toutes les conséquences que nous pouvons supposer pour leur avenir. J'imagine que cette question est assez compliquée, mais pouvez-vous nous faire part de votre regard sur le sujet ?
Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions complémentaires et exhaustives. J'ai toutefois deux questions à vous poser. Vous avez dressé un constat des carences et inégalités d'application de certains dispositifs de droit commun entre l'Hexagone et nos différents territoires. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?
S'agissant de l'accès aux soins et de la qualité des soins, des difficultés se font jour un peu partout en France pour trouver des médecins. Il existe des déserts médicaux sur certains territoires. La prise en charge des enfants et de leur santé mentale constitue un vrai sujet sur nos territoires, car nous manquons de pédopsychiatres.
Vous avez évoqué les évacuations sanitaires. Elles se font généralement vers l'Hexagone. Il est nécessaire de maîtriser les dispositifs sur les territoires eux-mêmes et de trouver des alternatives. Avez-vous des préconisations à émettre en la matière pour éviter l'isolement des enfants, réel sujet ? Nous parlions de santé mentale, mais nous pouvons également mentionner les cancers des enfants. Leurs soins sont quasiment exclusivement effectués dans l'Hexagone.
M. Thani Mohamed Soilihi. - J'aurai deux questions à vous poser, mais j'aimerais débuter mon propos par quelques observations et mises au point. Le système de rotation qui fait que nous sommes obligés, à Mayotte, d'utiliser la même salle de classe pour une classe le matin et une autre l'après-midi, est valable pour tout le monde et n'est pas réservé aux élèves étrangers. D'ailleurs, le taux d'échec scolaire qui s'élève à 75 % est le même pour tous, sans distinction entre les élèves mahorais et étrangers.
Par ailleurs, nous avons mené des travaux, au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer, pour une procédure rapide de destruction des bidonvilles à Mayotte et en Guyane. Cette procédure est conforme. Je suis très admiratif de votre engagement, mais parfois, lorsque l'on vous écoute, on a le sentiment que l'on n'est pas en France. À Mayotte, c'est la loi française qui est appliquée. Le dispositif de la loi ELAN a franchi le seuil de constitutionnalité. D'ailleurs, récemment, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été soumise au Conseil d'État, qui a refusé de la déférer, estimant que le dispositif de la loi ELAN était constitutionnel, compte tenu de ce qu'il se passait à Mayotte et en Guyane.
Enfin, il est hors de question de revenir sur la disposition adaptant le droit de la nationalité à Mayotte. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État se sont prononcés. La condition supplémentaire d'un séjour de trois mois de l'un des parents pour que l'enfant né sur le sol mahorais puisse acquérir la nationalité française est qualifiée par certains de « gnognote » sur le territoire. Je rappelle que récemment, une proposition de loi du groupe Les Républicains (LR) proposait de supprimer le droit du sol à Mayotte. Ainsi, je peux entendre que vous demandiez un assouplissement, mais aujourd'hui, les droits sont préservés, tant bien que mal, compte tenu de la situation à Mayotte.
Pour cette raison, j'ai deux questions à vous poser. D'abord, que pensez-vous de la nécessité d'appliquer la circulaire Taubira à Mayotte ? Beaucoup de ces enfants sont abandonnés. La circulaire permet de répartir certains d'entre eux dans d'autres départements pour s'en occuper. Les collectivités de Mayotte ne peuvent pas le faire. Elles sont asphyxiées et manquent de moyens. Quel est votre avis sur le sujet ? Jean-Luc Mélenchon l'a proposé. Tous les élus mahorais seraient d'accord pour mettre cette disposition en oeuvre. Le territoire ne tient pas ; 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Chaque année, avant la rentrée scolaire, vous voyez arriver des dizaines de kwassas-kwassas scolaires remplis d'enfants cherchant à accéder à l'éducation et à la nationalité française, en plus des kwassas-kwassas sanitaires.
Ensuite, l'Unicef agit partout dans le monde. Menez-vous des actions, aux Comores notamment, pour aider à la fixation de ces populations chez elles, dans les trois îles ? Ce serait la seule solution viable. Mayotte, à elle seule, ne peut accueillir toute la misère de l'océan Indien.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup au Sénateur de Mayotte, qui connaît bien évidemment son territoire.
Je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour répondre. Au regard du temps contraint dont nous disposons, n'hésitez pas à compléter vos réponses, qui peuvent être complexes et longues, par écrit à l'issue de cette audition.
Mme Jodie Soret. - Compte tenu du peu de temps qu'il nous reste, je serai rapide.
Nous vous enverrons la raison du changement de calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020, car je ne pense pas que nous serons en mesure de vous en fournir des explications tout de suite. Si nous la trouvons, nous vous la transmettrons. Elle figurera, je suppose, dans l'état des lieux que nous publierons en novembre.
Nous pourrons également vous communiquer des éléments sur les différences observées entre la métropole et les territoires ultramarins.
En effet, nous disposons d'un réseau des « Villes amies des enfants ». À chaque nouvelle édition, qui correspond à un nouveau mandat, nous travaillons avec la volonté d'accompagner toujours plus de villes vers une effectivité du droit de l'enfant sur leur territoire. Des villes de La Réunion en sont membres. En même temps que nous progressons en matière de plaidoyer sur les territoires ultramarins, nous cherchons à travailler davantage avec les collectivités, localement. Notre action se concentre pour l'heure essentiellement sur La Réunion, mais nous voulons le faire davantage lors du prochain mandat.
Nous travaillons également sur un dispositif d'écoles amies des droits de l'enfant, visant notamment à proposer une école par les droits, pour les droits de l'enfant. Je pourrai vous communiquer des éléments sur ce point. Certaines de ces écoles et de ces méthodologies pourraient également concerner les territoires ultramarins, notamment la Guyane.
Un comité local est également implanté à La Réunion. C'est une façon de renforcer progressivement notre action.
Ensuite, il nous sera difficile de parler de la coordination entre les différents acteurs, en dehors de la Guyane qui concentre la plupart de nos travaux. Nous voyons que la collectivité territoriale et le rectorat travaillent bien ensemble. C'est une très bonne nouvelle, qui a notamment permis de relancer l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative évoqué plus tôt. Nous espérons que cette dynamique va se poursuivre, notamment sur les autres sujets qui restent problématiques. Je pense notamment aux questions de transports. Ceux-ci coûtent cher et ne sont pas toujours pratiques. Lorsqu'un enfant doit faire trois heures de pirogue pour aller à l'école, il lui est plus compliqué d'être assidu. Nous savons par ailleurs qu'un travail est réalisé pour renforcer les propositions en termes d'internat, puisqu'il en manque sur les territoires. Le dispositif des familles hébergeantes ne nous semble pas satisfaisant en l'état. Nous savons qu'une certaine attention est portée sur le sujet, mais les droits de l'enfant ne sont pas toujours, selon nous, placés au centre de ces politiques publiques. Parfois, il faudrait peut-être renforcer la question des droits de l'enfant et adapter certaines politiques pour s'assurer de leur effectivité. C'est l'une des réponses que nous pouvons apporter s'agissant de Mayotte. J'entends bien les difficultés vécues sur place, mais nous avons entre autres pour rôle de proposer des recommandations qui feraient en sorte d'assurer le plus possible l'effectivité des droits des enfants. Ensuite, nous ne sommes pas en position de législateur. Nous ne pouvons qu'observer la situation et identifier son impact sur les droits des enfants. C'est pour cette raison que nous nous permettons d'émettre des recommandations.
S'agissant de l'Observatoire de la non-scolarisation, nous tenons des discussions au niveau national avec les ministères. Elles avancent bien. Nous pourrons vous en dire davantage. Nous espérons notamment que ce dispositif pourra figurer dans le Pacte des solidarités ou dans le Comité interministériel piloté par la secrétaire d'État Charlotte Caubel. Nous continuons à pousser ce dispositif, qui nous semble devoir être regardé à l'échelle de la France entière. Si possible, il faudrait également harmoniser les méthodologies.
Mme Mathilde Detrez. - Je me permets de répondre à Monsieur le Sénateur Thani Mohamed Soilihi. Nous pourrons prendre un autre temps pour évoquer toutes ces questions qui demandent beaucoup de réflexions, mais je suis ouverte à évoquer, avec vous, la réforme de la nationalité.
Vous avez raison, le dispositif des classes itinérantes ne prévoit pas spécifiquement la scolarisation des enfants étrangers, et heureusement. Nous avons simplement étudié les décisions de justice prises en ce sens et les recommandations de la Défenseure des droits, qui font état, dans l'effectivité des droits, d'un manque d'égalité entre les enfants de nationalité française et ceux qui seraient considérés comme étrangers. Bien évidemment, nous savons que ce dispositif, qui peut permettre de répondre à certains besoins, vaut pour tout le monde, et que la non-scolarisation concerne tous les enfants sur le territoire mahorais.
L'accès à la nationalité demanderait des réflexions plus approfondies. Je me permets de reprendre votre terme. Vous dites que la réforme est de la « gnognote » pour certains, mais ses conséquences sur la réalisation des droits de l'enfant sont dramatiques. Je ne vous apprends rien en soulignant que la composition des familles, à Mayotte, comprend parfois plusieurs statuts avec des enfants de nationalité française et d'autres ne l'ayant pas. Après cette réforme, des milliers d'enfants se sont retrouvés, du jour au lendemain, sans possibilité d'obtenir la nationalité, alors qu'ils pensaient depuis leur naissance qu'ils deviendraient français. Ils ont été scolarisés dans le système de droit commun français. Cela a de fait des conséquences sur leurs possibilités de poursuite d'études, par exemple, mais aussi sur leur intégration au sein de la République Française.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Les dispositions sont appliquées depuis 2018. Il est ainsi impossible qu'elles puissent toucher des personnes en voie de scolarisation.
Mme Mathilde Detrez. - Une rétroactivité de la loi est prévue.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Elle ne l'est que jusqu'en 2013. Les élèves de 18 ans et plus ne sont pas touchés par cette réforme.
Mme Mathilde Detrez. - Un principe de rétroactivité de la loi s'applique pour les enfants venant d'avoir 18 ans.
M. Thani Mohamed Soilihi. - On ne peut pas remonter plus loin que 2013, il y a dix ans.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Il y a a priori un point de désaccord important. J'entends vos propos. Une discussion est nécessaire. Le sénateur vit à Mayotte et représente ce territoire.
Mme Mathilde Detrez. - J'ai été juriste en accès aux droits à Mayotte. J'ai accompagné des jeunes dans l'accès à leur nationalité ces deux dernières années. Nous pourrons en rediscuter.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - J'entends deux visions et deux positions extrêmement différentes. Ce point mérite des discussions plus longues et des précisions. Nous le ferons dans les échanges que nous pourrons avoir ensemble ultérieurement.
Mme Mathilde Detrez. - Je vous rejoins sur la circulaire Taubira, réflexion intéressante et pertinente, mais qui ne s'applique pas à Mayotte. C'est une conséquence du système dérogatoire. Vous le savez, lors de l'obtention d'un titre de séjour à Mayotte, celui-ci est territorialisé. Il ne permet pas de se déplacer librement sur l'ensemble du territoire français. Les personnes doivent solliciter un visa. Le constat est le même pour les documents de circulation pour étrangers mineurs. L'enfant doit être né sur le territoire.
Si on permet aux personnes disposant d'un titre de séjour ou aux enfants disposant d'un document de circulation de circuler librement, la circulaire Taubira pourra s'appliquer. Ce levier, qui pourrait être intéressant et pertinent, demande des réflexions.
Mme Jodie Soret. - Enfin, un bureau de l'Unicef installé aux Comores y mène un certain nombre d'actions. Je pourrai vous envoyer des éléments sur son programme. Des actions de développement, comme nous en menons dans tous les autres pays et territoires, y sont réalisées. Nous sommes régulièrement en contact avec les acteurs qui y sont présents. Nous pourrons en rediscuter ultérieurement.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour votre engagement sur les territoires ultramarins. Nous attendons vos éléments complémentaires avec impatience.
Parentalité dans les outre-mer - Audition de la Croix-Rouge française
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames, je suis accompagnée du président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano. Nous poursuivons nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer avec une audition de la Croix-Rouge française.
Nous accueillons Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française, accompagnée d'Anne Skrobot, directrice adjointe de la direction nationale outre-mer et d'Alizée Bombardier, responsable relations institutionnelles, communication et développement de projets.
Bienvenue à vous. La Croix-Rouge française est la seule association qui dispose d'une couverture nationale complète, dans l'Hexagone et dans chaque territoire ultramarin, avec 3 700 volontaires engagés dans les douze délégations territoriales ultramarines. Elle a donc une vision transversale des difficultés rencontrées par les publics qu'elle accompagne et des caractéristiques propres à chaque territoire.
Nos attentes s'articulent autour de deux axes :
- premièrement, connaître les actions menées par la Croix-Rouge française dans les territoires ultramarins et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;
- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de la Croix-Rouge française afin d'améliorer la situation des familles d'outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et d'outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.
Je laisse sans plus tarder la parole à Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. Nous tiendrons ensuite un temps d'échange.
Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. - Bonjour à toutes et à tous, merci de nous accueillir aujourd'hui pour présenter la thématique de la parentalité en outre-mer, importante pour la Croix-Rouge française. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter notre structure et les dispositifs d'aide à la parentalité que nous avons installés sur les territoires, avant d'en venir aux constats que nous en avons tirés.
La Croix-Rouge française est la seule association nationale présente dans les trois océans, en outre-mer, ce qui nous donne une visibilité sur des territoires et une connaissance particulière de ce qui s'y passe, sur un certain nombre de sujets. Nous sommes un auxiliaire des pouvoirs publics reconnu et un acteur de confiance. Nous comptons douze délégations territoriales, cinquante-et-un établissements, des directions territoriales et plus de 3 700 bénévoles. Nous disposons par ailleurs de trois plateformes d'intervention régionale en outre-mer. Elles interviennent dans les zones et bassins régionaux en matière de sensibilisation et de gestion des risques et catastrophes naturelles.
La Croix-Rouge française a identifié quatre thématiques de travail prioritaires en outre-mer :
- la prévention et la gestion des crises auxquelles nous sommes soumis, qu'elles soient sociales ou climatiques ;
- l'enjeu majeur du bien vieillir ;
- la lutte contre les violences intrafamiliales qui, la crise sanitaire nous l'a montré, sont très présentes et concernent l'ensemble des territoires ultramarins ;
- la jeunesse.
La Croix-Rouge française en outre-mer est une association généraliste. Nous couvrons un spectre très important qui commence par la prise en charge de la petite enfance avec des crèches, des dispositifs d'aide à la parentalité auprès des familles, des maisons d'enfants à caractère social en matière de protection de l'enfance... Nous disposons également des seuls dispositifs de prévention spécialisée que nous retrouvons à Mayotte, à Saint-Barthélemy et en Nouvelle-Calédonie. Nous allons ensuite jusqu'à l'accompagnement des personnes âgées avec des Ehpad, des résidences autonomes ou des services de soins à domicile.
Permettez-moi à présent de vous exposer nos dispositifs par territoire relatifs à l'accompagnement des enfants et des familles. Je rappelle qu'à la Croix-Rouge française, l'accompagnement est basé sur le volontariat des familles. Cette donnée est essentielle. Nous ciblons les parents vulnérables. Nous reviendrons sur ces vulnérabilités, majeures en ce qui concerne les familles. C'est une porte d'entrée. On n'arrive pas à l'aide à la parentalité tout de suite, il est nécessaire de prendre en charge les autres difficultés rencontrées par les parents. Cette approche nous apparaît essentielle.
En Martinique, nous proposons plusieurs dispositifs, à commencer par des lieux de soutien à la parentalité à Saint-Pierre, à Fort-de-France et à Sainte-Luce, et des espaces de rencontre parent-enfant. Nous organisons également des stages de rappel à la responsabilité parentale lorsque des parents ont été auteurs de certains gestes. Nous travaillons sur la récidive vis-à-vis de ces comportements. Nous disposons également d'appartements thérapeutiques où nous accompagnons des enfants atteints de pathologies assez lourdes, telles que des cancers. Nous accompagnons les familles dans ce cadre.
Je profite de ce point pour présenter rapidement l'« option Croix-Rouge », dispositif national porté par la Croix-Rouge française au sein de tous les territoires, dont les outre-mer. Dans ce cadre, nous intervenons au sein des écoles, collèges, lycées, universités. Nos bénévoles y travaillent avec les équipes éducatives sur une thématique définie par ces dernières. Dans l'un des collèges de Fort-de-France, il a été décidé de travailler avec un Ehpad sur le lien intergénérationnel, au sein d'un jardin intergénérationnel. Il répond par exemple à la question suivante : « comment retrouver la culture de certains légumes que certains enfants ont aujourd'hui oubliés ? ». Ce dispositif est très intéressant et fortement soutenu. Nous en sommes très fiers. C'est aussi un moyen de travailler sur de nombreux sujets avec les jeunes.
À Saint-Martin, nous disposons d'une crèche Pomme d'Happy, qui a la particularité d'accueillir une douzaine d'enfants en situation de handicap. Au sein de ces dispositifs, nous travaillons évidemment avec les familles. Nous y proposons également un espace santé jeunes, qui travaille sur la santé sexuelle et les addictions auprès de ces publics. Dans ce cadre, des ateliers sont organisés dans les établissements scolaires, avec les équipes éducatives. Sont mises en place des activités sur ces questions, avec les familles.
À Saint-Barthélemy, nous avons signé cette année une convention avec la collectivité pour mettre en place un dispositif mobile de prévention spécialisée. J'y reviendrai plus tard, la Croix-Rouge se caractérise par le développement de dispositifs d'« aller vers ». Nous allons en effet vers les publics que nous accompagnons. Ce dispositif en est un exemple. Nous proposons en outre du soutien scolaire, et l'« option Croix-Rouge », avec d'autres dispositifs de Vestiboutiques. Nos dispositifs sont surtout des lieux de rencontre. Nous sommes là pour réinstaurer un lien social. On parle beaucoup d'isolement. La crise sanitaire nous a montré à quel point nos populations étaient isolées. Se rendre à la Vestiboutique pour prendre un café ou pour acheter un vêtement permet d'aborder de nombreux sujets autour de la personne accompagnée.
En Guyane, nous proposons un espace parent-enfant, à Cayenne. Il est ouvert aux enfants âgés de moins de 18 mois et aux familles en situation de grande précarité. Ces ateliers, qui se réunissent une fois par semaine, répondent à un vrai besoin de ces familles. Ce dispositif vise à les aider à envisager un avenir meilleur. Ce sont les bénévoles de la Croix-Rouge française qui le portent. Il vise à accompagner les parents dans leur rôle de père ou de mère, à leur faire retrouver le plaisir d'échanger, parce que ces familles souffrent parfois d'une rupture de lien. Nous distribuons aussi du lait médicalisé d'urgence à la demande des professionnels de santé qui nous envoient les familles concernées.
À La Réunion, nous disposons d'une Maison d'enfants à caractère social (MECS) à laquelle s'ajoute un dispositif mobile de médiation sociale de rue, toujours dans un objectif d'« aller vers ». L'aide à la parentalité est intrinsèque à ce dispositif. Nous accueillons des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Au sein de ce dispositif, nous menons un travail important avec les familles, à la fois à l'occasion de visites organisées, et d'ateliers.
À Mayotte, nous disposons depuis l'année dernière d'une maison des familles à Passamaïnty. Nous voyons chaque jour à quel point elle est indispensable. Les familles viennent y rencontrer nos équipes à l'occasion d'ateliers avec les enfants, pour des jeux. C'est également l'occasion d'aborder un ensemble de difficultés qu'elles peuvent rencontrer. Nous constatons, tant à travers ce dispositif qu'en général, que pour travailler avec les enfants et familles, il faut travailler sur les autres difficultés rencontrées, dont la précarité alimentaire, ou l'illectronisme. À l'école, au collège, au lycée, tout est aujourd'hui envoyé par Internet. Les difficultés de lecture peuvent mettre les familles dans l'embarras. Nous travaillons avec elles pour leur permettre de retrouver leur place de parents, avant de travailler sur la parentalité en tant que telle. À la Croix-Rouge, en tant qu'acteur généraliste, nous avons la chance de proposer l'ensemble des dispositifs nécessaires. Nous disposons en outre d'un service de lutte contre la malnutrition infantile. Nous intervenons sur ces sujets à l'intérieur des villages et quartiers. Par ailleurs, nous avons conclu un partenariat avec l'ONG Bibliothèques sans frontières qui propose un dispositif de bibliothèque numérique, l'Ideas Box, qui nous permet de travailler sur la lecture, le numérique... C'est également un dispositif mobile d'« aller vers » que nous apportons dans les quartiers, les villages, là où la population a besoin de nous.
En Nouvelle-Calédonie, nous disposons de deux crèches à Nouméa, la Maison du Petit Enfant et les Cerisiers bleus. Il n'y a que très peu de crèches sur ce territoire. Elles sont en partie concentrées autour de Nouméa. Elles sont, pour la plupart, privées. La Croix-Rouge a l'avantage de pouvoir proposer différents tarifs. Peu de crèches peuvent le faire. Nous proposons quatre tarifs pour les familles. Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie n'est pas soumise au même système que le reste du territoire. Ce dispositif permet de prendre en charge des familles qui seraient en situation de vulnérabilité. Au sein de ces crèches, nous travaillons sur des ateliers avec les familles. Par ailleurs, la Maison de la famille nous permet d'organiser des ateliers autour de l'aide à la parentalité. En outre, nous constatons au travers de ce dispositif à quel point les familles des jeunes que nous aidons sont éloignées de l'accompagnement, en partie parce qu'elles rencontrent d'autres difficultés, d'ordre alimentaire par exemple, ou des addictions les empêchant d'assumer leur rôle de parents. En Nouvelle-Calédonie, nous travaillons également beaucoup, tant dans les établissements scolaires que dans des dispositifs d'« aller vers », sur la lutte contre différents types d'addictions.
Notre constat général sur les structures familiales n'est pas limitatif, et s'appuie sur les observations des salariés et bénévoles dans le cadre de leur accompagnement. D'abord, les territoires sont concernés par une grande part de familles monoparentales. Si les pères peuvent être présents, ils ne reconnaissent souvent pas l'enfant. On constate également des situations de couple hors habitation conjugale, c'est-à-dire que beaucoup de familles, notamment en Martinique, mais pas seulement, ne vivent pas ensemble. Le père n'est pas présent au sein du foyer. Dans la quasi-totalité des cas de séparation, l'enfant vit avec sa mère. Très peu de familles ont recours à la justice pour organiser la garde de l'enfant. Nous constatons également que la présence du père est très forte car, même sans reconnaissance, il décide du rythme des visites ou des sorties. La mère conserve les rôles éducatif et économique.
Le modèle de famille élargie est également un sujet, en particulier en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, bien qu'il tende à évoluer. Au sein d'une famille, plusieurs générations peuvent vivre dans une seule et même habitation. C'était le cas en Martinique, mais ce modèle tend à se déliter, en lien avec le départ des jeunes de ces territoires.
Nous constatons également une influence du cercle familial élargi, très prégnante sur l'éducation. L'appartenance sociale reste un facteur déterminant.
En Martinique, plus de la moitié des structures familiales avec enfants sont monoparentales. On peut ici distinguer les couples séparés des couples hors cohabitation conjugale.
Nous observons que le sujet de la parentalité est traité en outre-mer, sous la forme de grands colloques et de grandes conférences. Ce n'est pas, à notre sens, la bonne manière de l'aborder au regard des familles que nous accompagnons. On retrouve dans ces événements des intervenants très intéressants qui connaissent le sujet, mais ils ne connaissent pas nécessairement les publics que nous souhaitons toucher.
Il est par ailleurs nécessaire d'éviter de stigmatiser nos familles, qui peuvent ressentir une forme de jugement, puisque la parentalité est personnelle. Elle relève d'une histoire. On constate en effet une méfiance importante sur les nouvelles pratiques éducatives. Je le disais en introduction, nous observons encore trop souvent des violences éducatives ordinaires au coeur de l'éducation des familles. Cette remise en cause est difficile, raison pour laquelle nous abordons le sujet différemment. Nous y reviendrons.
Le dispositif d'aide à la parentalité doit, à notre sens, être transversal à tous les dispositifs que la Croix-Rouge française porte par ailleurs. La première porte d'entrée peut être celle de la précarité alimentaire. Lorsque la famille vient nous rencontrer pour bénéficier d'aide alimentaire, on peut souvent discuter d'autres sujets. Celui des enfants arrive plus tard. Même lorsque nous disposons de dispositifs tels que les lieux de ressource à la parentalité en Martinique, nous ne traitons pas le sujet en tête-à-tête avec la famille d'emblée, pour ne pas la stigmatiser et la mettre en difficulté. Nous commençons par des ateliers collectifs au sein desquels elles vont parler de leurs difficultés. La question de l'enfant et de l'éducation arrivera plus tard. C'est ainsi que nous abordons le sujet. Les dispositifs doivent être transversaux. Avant de traiter la question de la parentalité, nous devons agir sur l'ensemble des vulnérabilités rencontrées par les familles.
Malheureusement, celles que nous accompagnons rencontrent des difficultés alimentaires, la crise l'a montré. C'est le premier sujet. On ne peut pas travailler avec un parent qui n'a pas mangé, qui n'a pas réglé ses factures et qui n'est pas en mesure de le faire. Il n'est pas disponible pour l'éducation. Pour cette raison, nous travaillons sur l'ensemble de ces vulnérabilités.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces explications. Je laisse sans tarder la parole aux rapporteurs et aux sénateurs qui voudraient vous interroger en tant qu'organisation présente dans tous les territoires ultramarins.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Merci Madame. Félicitations pour votre implantation sur l'ensemble des outre-mer. Vous êtes un acteur majeur et rayonnez sur tout le territoire. S'agissant de votre approche transversale de la parentalité, à laquelle je souscris, nous voyons bien que le déploiement de la Croix-Rouge française est différent sur tous les territoires. Est-ce lié à l'histoire de votre implantation sur ces territoires, à des constats que vous y avez opérés, aux moyens financiers dont vous disposez ? Est-ce lié à des choix politiques d'orientation de la Croix-Rouge ? Si vous parlez d'approche transversale, affichez-vous une volonté de la mettre en oeuvre sur l'ensemble des territoires, ou plaidez-vous pour une approche territorialisée ?
Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de vous remercier et de saluer votre action au quotidien et votre présence sur tous les territoires, ainsi que votre connaissance et votre expertise en la matière. Nous mesurons à quel point la Croix-Rouge française est un acteur majeur, de confiance, dont la mission se base non pas sur la parentalité, mais sur une prévention et une gestion des risques et des conflits. Vous vous investissez, nous le voyons au travers des différents dispositifs et outils présentés ce matin. Vous êtes présents et vous vous adaptez aux territoires.
Ainsi, comment mettez-vous en place les différents outils et dispositifs ? Sur certains territoires, vous installez une crèche. Sur d'autres, vous organisez des distributions de lait médicalisé. Les acteurs locaux vous sollicitent-ils en fonction de leurs besoins ? Est-ce les collectivités territoriales, les élus locaux, qui font appel à vous ? Comment l'expliquez-vous ? Mon collègue Stéphane Artano évoquait l'histoire, les moyens financiers. Une approche plus particulière entre-t-elle en jeu ?
Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour votre présence et pour l'exhaustivité des travaux que vous menez sur l'ensemble des territoires.
Le territoire manque de crèches. Nous avons constaté des carences à certains endroits, à l'occasion de nos déplacements. Quels sont les critères permettant de bénéficier de tarifs différenciés ? Dépendent-ils d'une éventuelle activité professionnelle des parents ?
Par ailleurs, vous avez évoqué la prévention en matière d'alimentation, par exemple. Adaptez-vous votre façon de l'appréhender à chaque territoire selon vos constats ?
Enfin, comment les relations avec les collectivités locales se traduisent-elles ? Vous sollicitent-elles, ou êtes-vous à l'origine de la démarche ? Qu'en est-il du choix des familles et de l'implication des autres acteurs, tels que la Caf, la PMI, les acteurs départementaux ? Comment travaillez-vous avec ces différents partenaires ?
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je me joins aux louanges de mes collègues concernant l'action de la Croix-Rouge dans nos territoires. Elle fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de professionnalisme. C'est une association moins militante que certaines, qui se contente de faire le travail pour lequel elle s'est engagée. Elle aide beaucoup ces territoires. Néanmoins, n'avez-vous pas l'impression que la non-application de l'Aide médicale d'État (AME) à Mayotte y limite encore davantage l'accès aux soins ? Tous les rapports la préconisent, pourtant on craint un appel d'air. Je dis souvent que celui-ci est derrière nous. Nous l'avons dépassé. Dans la pratique, qu'en pensez-vous ? Cette non-application grève les crédits de l'hôpital et des dispensaires, pourtant déjà minces, et freine encore plus l'accès aux soins.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - En Guyane et à Mayotte, nous sommes confrontés au défi de l'immigration clandestine. Malheureusement, les femmes et les enfants subissent souvent les pires atrocités sur les routes migratoires. Ces enfants reçoivent un accompagnement, notamment lorsqu'ils sont en parcours de scolarisation, mais ce n'est pas suffisant. Cette situation contribue fortement à l'échec scolaire. La Croix-Rouge a-t-elle des préconisations à émettre afin d'aider ces parents étrangers ?
Par ailleurs, je constate, d'après votre exposé, que la Guyane n'est pas dotée de crèche Croix-Rouge, de Maison des familles ou de prévention des addictions. Ainsi, à quand un rééquilibrage de nos territoires ?
M. Marc Laménie. - Merci pour ce travail collectif que je partage avec mes collègues des deux délégations aujourd'hui réunies. Je ne me suis jamais rendu en territoire ultramarin. Je voyage grâce à mes collègues, qui connaissent bien le terrain. C'est important.
La Croix-Rouge française est une grande institution. Vous avez cité le nombre de bénévoles. Quel est-il dans les outre-mer, avec les salariés présents sur le terrain ?
Ensuite, si le volet humain prime, tout est financier. J'interviens ainsi sous ma casquette de membre de la commission des finances. L'État reste le premier partenaire financier des collectivités territoriales et des grandes associations et structures. Il y a la Mission outre-mer, et le volet Éducation nationale. Des actions sont mises en place. Vous avez évoqué les crèches et la petite enfance, ainsi que le partage de générations. Certains collègues ont mentionné le volet des collectivités territoriales. Quelle est leur action en outre-mer ? L'action de l'État y est-elle suffisante ? De quels moyens auriez-vous besoin pour améliorer les choses ? S'agissant des crèches et de la petite enfance, les caisses d'allocations familiales interviennent également. C'est un autre budget, relevant de la loi de financement de la Sécurité sociale. Que vous manque-t-il ? À coup sûr, vous travaillez avec d'autres associations, d'autres structures, d'autres partenaires institutionnels, des assistantes sociales... C'est une grande chaîne. Puisque nous sommes législateurs, nous nous intéressons ici au budget de l'État. Que faudrait-il faire, selon vous ?
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous laisse vous organiser pour répondre à ces questions, nombreuses. Vous pouvez les regrouper pour faciliter votre intervention.
Mme Gaëlle Nerbard. - Je vais regrouper certaines réponses, certaines questions étant proches.
Moi aussi, j'ai une petite frustration. Je ne vous ai pas présenté l'ensemble de nos activités. J'ai rapidement cité nos interventions sur les territoires et nos champs d'intervention. Derrière ceux-ci, nos dispositifs sur les territoires ne se résument pas à ceux de l'aide à la parentalité. Je peux citer l'accompagnement des personnes âgées, les Samu sociaux en matière de lutte contre l'exclusion, les centres de santé en Guyane... Je n'ai pas pu tout vous présenter, mais je pourrai vous transmettre des éléments sur le sujet.
Monsieur le Président, vous me demandiez à quoi était due l'implantation dans les territoires. Je rappelle que la Croix-Rouge française ne fait pas de politique, bien que nous soyons un outil indispensable de politique sociale. Nous sommes un opérateur. Quel est notre mode de financement ? Sur tous les territoires, à l'exception du Pacifique Sud, nous répondons à des appels à projets portés par la Caf, les collectivités, l'État, l'ARS... Dans ce cadre, les dispositifs sont créés à cet instant. Nous avons ouvert des crèches à Saint-Martin ou en Nouvelle-Calédonie grâce à des opportunités qui restent corrélées à notre capacité de réponse à l'instant t.
Force est de constater que la clé du sujet est d'intervenir le plus tôt possible, dès l'enfance, dès la petite enfance. Les enfants ne sont pas seuls, ils sont entourés d'une famille. Nous pensons qu'il est prioritaire, pour la Croix-Rouge, de développer des dispositifs particuliers, reconnus, tels que les lieux de parentalité ressources, les maisons famille, la prévention spécialisée... Notre rôle d'opérateur essentiel reconnu est aussi d'alerter les pouvoirs publics, mais nous ne pouvons pas prendre l'initiative de créer in situ une crèche si elle ne vient pas des partenaires responsables institutionnels. Nous sommes là pour leur apporter une réponse. Nous souhaitons nous développer sur ces sujets, et en déployer davantage en Guyane, et pourquoi pas à Saint-Pierre-et-Miquelon. N'en doutez pas, Madame la Sénatrice. Nous pouvons solliciter les pouvoirs publics, mais pour ce faire, les financements sont indispensables. J'y reviendrai.
Les implantations sont liées à l'histoire et aux moyens humains. La Croix-Rouge en outre-mer, c'est 800 salariés et plus de 3 000 bénévoles. Je tiens à les saluer et à leur rendre hommage. Ils réalisent un travail formidable. Ils sont engagés. Notre force est d'être neutres. Nous ne regardons pas leur couleur, leur origine. Nous prenons en charge des hommes, des femmes, des enfants, vulnérables parce qu'en difficulté. Nous les accompagnons. Voilà pourquoi la Croix-Rouge existe. Sa force tient de notre universalité et de notre neutralité.
Comment mettre en place des outils ? Comment sommes-nous sollicités par les acteurs locaux ? Vous avez raison, les collectivités, les Caf ou l'État peuvent nous solliciter, connaissant notre expérience sur le sujet. À Saint-Martin, la PMI nous demande par exemple d'ouvrir d'autres crèches. Nous aussi, nous pouvons émettre des propositions. Je peux évoquer avec vous la nécessité, pour nous, d'accompagner les jeunes mères. On a parlé de familles monoparentales. Il s'agit surtout de jeunes femmes. Le service militaire adapté (SMA) a été interpellé par le fait que les volontaires accompagnées dans ce cadre abandonnent leur formation, parce que ces jeunes filles ont des enfants. C'est pourquoi des projets de crèches sont envisagés dans le cadre de la plupart des SMA. La Croix-Rouge va les accompagner, notamment en Martinique. J'ai souhaité soulever cet exemple car l'insertion professionnelle des femmes participe aussi au fait qu'elles pourront, demain, se concentrer sur l'éducation de leurs enfants.
S'agissant des crèches et des tarifs différenciés, le cas est particulier en Nouvelle-Calédonie, où la Prestation de service unique (PSU) n'existe pas. Nouméa compte quatre crèches associatives, dont deux sont gérées par la Croix-Rouge, et une par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Nouméa. Nous concernant, avec les partenaires qui nous financent, à savoir la Caisse de sécurité sociale de Nouvelle-Calédonie, l'État et le CCAS de Nouméa, nous pouvons proposer ces tarifs différenciés. La demande est grande. Nous aimerions faire plus, et mieux, mais nous ne disposons pas des financements idoines.
Sur le reste du territoire, les crèches sont financées par la Caf. Elles ont à acheter des produits, à financer du personnel. Les salaires sont plus importants, en raison notamment d'une prime en partie intégrée pour la Croix-Rouge. Ces coûts supplémentaires ne sont pas forcément intégrés dans la PSU. Monsieur le Sénateur, vous me demandiez comment vous pouviez agir. Vous, parlementaires, pourriez questionner cette question de la PSU dans les outre-mer, et prendre en compte ses spécificités. Les opérateurs comme nous voyons bien à quel point la situation peut être difficile, au regard du coût de fonctionnement d'une crèche et des produits que nous devons acquérir.
Madame la sénatrice Marie-Laure Phinéra-Horth, vous m'interrogiez sur l'accompagnement des parents étrangers en Guyane. Je n'ai pas présenté nos dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'asile sur ce territoire, ni en Guadeloupe et en Martinique. À Mayotte, nous ne sommes pas agréés pour accompagner les demandeurs d'asile. Nous ne sommes pas agréés mais nous accueillons toutes les personnes vulnérables, sans prendre en considération leur statut.
Nous proposons des dispositifs de lutte contre l'illettrisme. La force de la Croix-Rouge réside aussi dans ses bénévoles qui assurent un accompagnement scolaire, luttent contre l'illettrisme, dispensent des formations en langue étrangère... Ce travail est fait au sein de dispositifs. Les bénévoles vont organiser des temps d'échange avec les personnes en situation irrégulière. Dans les Vestiboutiques, portées par des bénévoles, nous proposons de la seconde main, mais aussi des dons de boutiques à des tarifs très accessibles. Ils sont implantés sur la majorité des territoires. L'accompagnement est également opéré au travers de centres de santé, sans différenciation de public.
En Guyane, nous avons la charge de la seule plateforme d'aide alimentaire du territoire, qui ne dispose pas de banque alimentaire, comme à Mayotte. La Croix-Rouge joue ce rôle. Cette porte d'entrée est très importante pour travailler avec les familles.
Ensuite, vous avez raison, l'Aide médicale d'État n'est pas appliquée à Mayotte. La Croix-Rouge française est neutre. C'est un sujet politique. Nous identifions un sujet de convergence des droits en général à Mayotte. Il doit être traité. Pour autant, la Croix-Rouge, dans ce qu'elle apporte, est financée pour tous les types de publics. Nous n'opérons pas de différenciation, mais je comprends l'importance de ce sujet.
Monsieur le sénateur Marc Laménie, vous m'interrogez sur les moyens financiers nécessaires pour améliorer la situation. J'ai parlé de la PSU outre-mer. Le travail que vous réalisez est très important pour souligner l'importance d'engager un chantier sur la parentalité en outre-mer. Il est essentiel de cartographier les besoins. Nous sommes présents sur tous les territoires mais le sujet n'est pas le même en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou en Martinique. La place du père et la question de la cohabitation conjugale - très prégnantes aux Antilles, et notamment en Martinique - doivent être prises en compte.
En tant qu'opérateur de terrain, nous constatons que nous avons une multitude de partenaires, mais aussi de financeurs. Vous avez évoqué la Caf, l'État, les collectivités, les CCAS, la CGSS... Qui est chef de file de l'aide à la parentalité dans les territoires ? Il faudrait peut-être repérer, sur le territoire, les chefs de file qui permettraient de rassembler les différents financements. Nous, opérateur, répondons à un acteur qui lance un projet, puis à un autre acteur... La Croix-Rouge est une association très généraliste. Nous souhaitons financer des postes. Je vous invite, lorsque vous êtes de passage dans nos territoires, à rendre visite à nos équipes pour voir à quel point elles réalisent un travail transversal. La porte d'entrée n'est pas nécessairement la parentalité, mais plutôt le besoin de s'habiller, de manger, d'ouvrir des droits à la Sécurité sociale, de trouver un emploi. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, nous ne pouvons pas travailler. Les parents ne sont alors ni disposés à en parler, ni disponibles pour le faire.
Les associations comme la nôtre demandent chaque année des financements pour les différents dispositifs. Imaginez la situation d'instabilité juridique et financière dans laquelle nous nous trouvons. Les dispositifs sont là et ne vont pas disparaître, mais la demande de subvention doit être réitérée chaque année. C'est un temps qui ne peut pas être passé sur le terrain par les équipes.
Nous proposons des contrats pluriannuels d'objectif et de moyens (COM) pour les opérateurs comme les nôtres. C'est le cas sur certains territoires, mais pas partout. Par ailleurs, nous préconisons la création d'un guichet unique. Il faut rendre visible l'accompagnement des familles. En introduction, je parlais de tabous, de stigmatisation. La question doit être accompagnée par des messages au plus près, au plus tôt. Nous sommes favorables à un traitement des stéréotypes de genre ou de l'égalité dès le collège, par exemple. Cette question doit être traitée dans les établissements scolaires. Nous le faisons.
Permettez-moi ainsi de résumer nos recommandations : cartographier les besoins en matière de dispositifs ; définir un chef de file en matière d'aide à la parentalité ; déployer un plan spécifique d'aide à la parentalité avec des moyens dédiés et par territoire. S'agissant de la stratégie pour voter le précédent outil plan sur le territoire, nous avons pu constater des avantages. Des dispositifs ont été financés sur certains territoires grâce au plan pauvreté. Ce type d'outil devrait éventuellement être envisagé. La notion de parentalité doit entrer au collège. Les moyens financiers doivent être renforcés, notamment pour nous permettre d'avoir des ETP. Ce n'est pas simple. Parfois, l'État finance, mais pas la Caf. Il nous revient d'aller chercher et de proposer des dispositifs. Nous avons besoin de co-construction, avec des partenaires comme les nôtres. Il est également nécessaire d'améliorer l'accès au soutien psychologique pour les parents. On ne peut pas travailler à leurs côtés s'ils rencontrent des difficultés. Les rendez-vous en centres médico-psychologiques (CMP) demandent six à neuf mois d'attente sur certains territoires. Comment se concentrer sur l'aide à la parentalité si la personne n'est pas accompagnée ? Nous recommandons également un renforcement des structures d'accompagnement et d'accès au droit, et une poursuite de l'effort en matière d'agrandissement du parc immobilier social en construisant des ensembles à taille humaine et en favorisant la mixité sociale. Nous savons le faire. Nous disposons de tiers lieux. Nous souhaitons également travailler davantage sur l'attractivité des services pour les personnes éloignées de l'emploi, dans une démarche active d'insertion, pour permettre aux femmes d'accéder à l'emploi. Enfin, nous proposons un travail sur l'octroi de mer. En effet, les dons et produits de première nécessité pour les enfants en bas âge y sont soumis.
Pour nous, l'aide à la parentalité est un sujet, mais il est primordial de travailler sur l'ensemble des vulnérabilités avant de poser la question de l'éducation. Je vous invite à visiter nos territoires et les dispositifs portés par nos salariés et bénévoles, dont je salue le travail formidable.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour toutes les réponses apportées aujourd'hui. N'hésitez pas à nous envoyer des compléments qui alimenteront notre réflexion. Merci de votre disponibilité.
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Foncier agricole dans les outre-mer - Audition de M. Maurice Gironcel, président de l'association Interco' Outre-mer
M. Stéphane Artano, Président. - Monsieur le président, mesdames, messieurs, chers collègues, dans le cadre de notre étude sur le foncier agricole dans les outre-mer, dont les deux rapporteurs sont nos collègues Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi, la Délégation sénatoriale aux outre-mer reçoit ce matin le président d'Interco' Outre-mer, M. Maurice Gironcel, qui est accompagné de Mme Lyliane Piquion Salomé, vice-présidente, de M. Gilles Leperlier, directeur de cabinet, de M. Philippe Schmit, expert-président d'Urba Demain, et de Mme Caroline Cunisse, juriste et ancienne collaboratrice d'Interco' Outre-mer.
Merci à tous pour votre présence et votre disponibilité.
Monsieur le président, vous êtes venu me présenter en février dernier votre rapport sur l'enjeu foncier outre-mer. J'avais été très frappé par la convergence de nos analyses, en particulier sur le fait que la question foncière est absolument centrale pour l'avenir de nos territoires ultramarins. Dans votre rapport, vous présentez une plateforme d'une quarantaine de propositions qui témoigne de l'ampleur de vos réflexions dans ce domaine.
Au coeur de celles-ci, nous retrouverons la question du « désordre foncier » et du règlement du problème majeur des indivisions. La loi Letchimy de 2018 qui a représenté un progrès, salué encore récemment lors d'un colloque organisé par le Conseil supérieur du notariat dont nous avons entendu mardi plusieurs représentants, doit, semble-t-il, être encore perfectionnée. Nous serons très attentifs à vos suggestions sur ce sujet qui requiert une forte et urgente mobilisation.
Comme vous le savez, notre délégation s'est depuis longtemps saisie de ce sujet et a réalisé trois rapports conduits par notre collègue Thani Mohamed Soilihi, portant respectivement sur le domaine foncier de l'État, la sécurisation des droits fonciers et les conflits d'usage dans les outre-mer.
Il restait à étudier le foncier agricole, c'est donc en cours.
Comme vous, nous nous interrogeons sur les instruments de protection et de reconquête des terres à mobiliser. Le grignotage des surfaces agricoles utiles est un phénomène qui non seulement progresse mais s'accélère dangereusement, à l'exception de la Guyane, laquelle a aussi d'immenses défis à relever.
Par ailleurs, cette étude nous amène à questionner l'objectif gouvernemental d'autonomie alimentaire d'ici 2030 pour les outre-mer.
Nous nous félicitons donc de l'échange de cette matinée. Nos rapporteurs vous ont adressé une trame de questions sur laquelle vous pourrez axer votre propos liminaire, vous ou les personnes qui vous accompagnent. Puis, je donnerai la parole à nos deux rapporteurs et à nos collègues qui souhaiteraient intervenir.
Monsieur le président, vous avez la parole.
M. Maurice Gironcel, président de l'association Interco' Outre-mer. - Merci mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs de nous recevoir, merci monsieur le président.
Nous nous sommes en effet rencontrés en février 2023, et nous avons abordé les enjeux fonciers dans nos pays d'outre-mer. Pour ce sujet très important, nous avons travaillé avec M. Philippe Schmit et avec l'ensemble des intercommunalités. Mme Lyliane Piquion Salomé, pour la Guadeloupe, aura également l'occasion d'intervenir sur le problème du foncier agricole et les difficultés rencontrées, illustrées par un exemple concret.
Le document présenté concerne l'enjeu foncier. Nous avons auditionné les DROM, à savoir Mayotte, La Réunion, la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, et avons rédigé 44 propositions. Nous avons également abordé le problème de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), sur laquelle nous reviendrons.
Je tiens dans un premier temps à vous remercier pour votre invitation à participer à cette audition, et féliciter la délégation sénatoriale d'avoir engagé ce travail sur le foncier agricole.
Comme vous le savez, Interco' Outre-mer est une association créée en 2001, et dont je suis l'un des membres fondateurs. Elle s'appelait alors la Conférence des présidents et vice-présidents des intercommunalités d'outre-mer. Le sujet abordé est pour moi très important, avec notamment la défense de nos pays d'outre-mer à travers le foncier.
Nous avons élaboré ce plan de mobilisation afin d'aboutir à ce recueil de propositions, d'observations et d'alertes sur la question foncière.
Ce recueil est le fruit d'un travail concerté des intercommunalités d'outre-mer et de leurs communes. Nous avons pour cela organisé des réunions dans les cinq pays d'outre-mer, et le rapport traduit la préoccupation politique que suscitent les enjeux fonciers.
Pour la grande majorité d'entre eux, ces enjeux présentent de nombreuses similitudes dans les territoires, mais avec des niveaux contrastés dans la déclinaison opérationnelle. Nous devrons ainsi faire en sorte que tous les territoires soient gagnants, et étudier la situation territoire par territoire. Il existe un front commun, mais également des spécificités : Mayotte n'est pas la Guyane, même si les deux sont touchés par le même problème d'immigration.
Nous devons avoir à l'esprit que pour tous les élus de France, le foncier constitue la matière première de l'aménagement et du développement de nos territoires. Les transformations environnementales et climatiques en font une matière particulièrement sensible, plus encore à l'heure de l'objectif « zéro artificialisation nette », ou ZAN, complexe à mettre en oeuvre dans les pays d'outre-mer.
Pour l'élu d'outre-mer, il s'agit, plus que dans l'Hexagone, d'un sujet de société, de culture, d'organisation des acteurs publics, d'outils de gouvernance, raisons pour lesquelles toutes nos réflexions ont eu pour fil conducteur la dimension culturelle et historique de la terre, le rôle et la place de l'État dans le pilotage foncier, le désordre foncier, le titrement, la connaissance et la formation, enfin la planification et l'aménagement opérationnel.
Le déroulé de la matinée ne permet pas de détailler la quarantaine de propositions qui découlent du travail de terrain que nous avons mené. Toutefois, je souhaite partager avec vous quelques points de réflexion provenant de nos travaux, et qui me semblent indispensables lorsqu'on aborde le foncier sous l'angle agricole.
Si l'expertise réalisée par notre association n'est pas spécifiquement dédiée au foncier agricole, nous avons ouvert nos réflexions aux enjeux agricoles, et avons pu échanger avec les différents acteurs de nos cinq territoires.
Il faut reconnaître que lorsque le sujet du foncier est évoqué avec les acteurs politiques et administratifs, la problématique agricole n'est pas la première mentionnée, ce qui peut être dommageable, mais c'est la réalité.
Une démarche de conscientisation du sujet agricole doit donc être menée, qui doit venir des collectivités elles-mêmes. Certaines d'entre elles ont d'ores et déjà amorcé ce processus, comme Cap Excellence en Guadeloupe qui s'attache à mener des actions concrètes sur son territoire.
Au-delà des constats, il faut s'interroger sur le modèle agricole que les autorités et collectivités souhaitent mettre en place sur chacun des territoires, en les différenciant.
Le sujet du foncier agricole n'est pas toujours bien appréhendé : les collectivités semblent le maîtriser insuffisamment. Il serait donc judicieux de développer des process de collaboration et de partenariat entre les entités publiques et privées du monde agricole et les collectivités, l'idée étant de privilégier la collaboration et non la norme, ce que nous appelons dans le document « travailler dans la co-construction ».
Il s'agit-là de quelques remarques posées en préambule. Vous nous avez adressé toute une série de questions, et je vais laisser la parole à Mme Caroline Cunisse et M. Philippe Schmit qui ont mené le travail de terrain et d'animation de ce recueil.
M. Stéphane Artano, président. - Je précise que nous vous avons en effet adressé une trame de questions, et nous espérons bénéficier de réponses écrites, ce qui permettra d'aborder ce questionnaire ce matin de manière tout à fait libre selon ce que vous souhaitez partager à ce stade. Il s'agit donc de nous communiquer des messages-clés, notamment ceux que vous avez évoqués dans votre introduction.
Mme Lyliane Piquion Salomé, vice-présidente de l'association Interco' Outre-Mer. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs. Merci de nous accueillir pour parler d'un sujet aussi prégnant que celui du foncier en général.
Personnellement, j'attache une importance particulière au foncier agricole, puisque nous sommes dans une île, la Guadeloupe, où nous parlons beaucoup d'autonomie alimentaire, avec un foncier alimentaire insuffisant, et énormément de friches inexploitées, en raison de conflits liés à notre histoire, à l'esclavage. Nous devons nous appuyer sur le passé pour avancer. La Guadeloupe compte plus de 27 % de chômage, ce qui constitue une vraie préoccupation. Si nous ne dégageons pas un foncier sain en tenant compte de la problématique de la chlordécone, nous n'y arriverons pas.
En Guadeloupe, le rapport d'Interco' Outre-mer, réalisé avec l'appui technique du cabinet Urba Demain, a été très apprécié. Il s'agit d'une base de travail très importante, car rien d'équivalent n'a été réalisé auparavant. L'association Interco' Outre-mer a véritablement pris cette question avec une grande énergie, pour proposer des solutions conçues en co-construction comme l'a précisé le président. Nous espérons que ces solutions seront mises en pratique.
Mon métier de chef d'entreprise m'amène à dire qu'il est nécessaire d'être pragmatique, et que les formalités administratives soient simplifiées. Des demandes existent, des jeunes sont en attente. Je me suis rendue au lycée agricole en incitant les jeunes à se former dans l'objectif de créer des filières agricoles. Nous parlons en effet d'autonomie alimentaire qui dépend d'abord de la diversification par rapport à la filière classique de la canne-banane, et surtout de la transformation pour créer de la valeur ajoutée, donc de la richesse et des emplois.
Ce dossier constitue une référence très forte. Nous devons maintenant arriver à trouver des solutions à travers la co-construction, avec les différents partenaires. Il faut également noter que cette plateforme foncière a été présentée aux élus, mais aussi aux techniciens, qui doivent se rendre plus régulièrement sur le terrain, et aux politiques, qui doivent s'engager dans cette démarche, pour tendre vers l'autonomie alimentaire, quand 80 % de nos produits proviennent de l'Hexagone ou d'ailleurs.
Notre démarche consiste donc à trouver les voies et les moyens pour avancer.
Nous avons évoqué l'histoire et les problèmes d'indivisions, ou de transmissions qui ne se réalisent pas. Je vous fais part d'un exemple concret : je connais une personne qui a acheté 37 hectares de foncier en bonne et due forme, qui a établi un projet très intéressant pour la transformation et la production de plantes aromatiques et médicinales biologiques, lequel a obtenu un prix à l'international. Mais cette entreprise est bloquée en raison d'un conflit, car des occupants répliquent que ce foncier appartenait à leurs ancêtres. Il a été proposé de leur donner gratuitement une partie de ce terrain, de former leurs enfants dans le cadre de l'insertion puis de donner des emplois stables, mais sans résultat.
En demeurant dans cette situation, nous n'arriverons pas à faire émerger de nouveaux métiers, à innover, à bénéficier de produits de qualité à travers la production agricole.
Le problème est réel, et nous avons peu de temps pour réagir.
M. Philippe Schmit, expert-président d'Urba Demain. - Je tenais à souligner que la problématique du foncier agricole n'était pas au coeur de notre sujet. Nous avons toujours abordé le foncier comme une matière, sans présumer de son usage. La dimension agricole du foncier ne vient pas spontanément. Nous avons donc un enjeu culturel, d'éveil de construction des stratégies sur le foncier agricole. La visibilité de l'action publique sur le foncier agricole n'est pas évidente.
Je souhaiterais pointer quelques éléments majeurs que vous avez soulignés dans votre questionnaire, et revenir sur la formulation de la question n° 6, qui parle de « faciliter la construction d'habitats pour les exploitants agricoles dans les outre-mer ». Vous nous invitez ainsi à réfléchir, mais cela induit pour moi également une question : qu'est-ce qu'un exploitant agricole ?
Selon moi, il est très important de définir ce qu'est un exploitant agricole en outre-mer. En reprenant la définition de l'INSEE, il faut remplir des conditions en termes de surface, avec une surface agricole utile (SAU) d'un hectare, mais aussi en termes de production et en nombre d'animaux. En Guadeloupe, un hectare avec quelques boeufs fait donc d'une personne un exploitant agricole, même s'il s'agit d'une agriculture d'autosuffisance familiale. Au sens de la mutualité sociale agricole (MSA), qui va être qualifié d'exploitant agricole ?
Il existe une tension très forte entre la logique agricole et celle de l'urbanisation. Il faudra manier avec beaucoup de prudence l'idée d'encourager la construction agricole sur les terrains au regard des structures des exploitations agricoles qui sont très variables d'un territoire à l'autre. La structuration de l'activité agricole est différente en Martinique et en Guadeloupe. Certains exploitants possèdent 2 000 hectares de bananeraies, avec des filières très structurées, quand d'autres peuvent être reconnus agriculteurs par la MSA, sans pour autant s'insérer dans des filières de développement, en se rapprochant plus d'une logique d'autoconsommation.
Vous souhaitez aider le foncier agricole à travers la loi en permettant l'installation de jeunes exploitants, car le problème du logement et de l'installation pour ces derniers est en effet évident. Mais je vous demande de prendre garde à la fausse bonne idée et au risque de dérapage très important sur cette idée d'encourager la création. Beaucoup de propriétaires de terrains vont refuser, estimant qu'ils ont besoin de ces terrains pour s'y loger. Ce point doit donc être expertisé pour donner une définition très précise de ce qu'est un exploitant agricole.
Mme Caroline Cunisse, juriste et ancienne collaboratrice d'Interco' Outre-mer. - Concernant la CDPENAF, son avis conforme dans les outre-mer est souvent mal perçu par les élus, car il a tendance à figer la situation. Les élus d'Interco' Outre-mer ne demandent pas un avis simple ou un avis conforme, mais une nuance, pour que les collectivités locales bénéficient d'un choix, avec un avis accordé sous réserve, ou le retour à un avis simple avec recours possible, ou encore un avis conforme si tel est le souhait de la collectivité, en instituant le principe d'une pré-CDPENAF, déjà instaurée dans certains territoires. Ce dernier point est vécu comme un encouragement au dialogue, et permet de dépasser l'image de la CDPENAF perçue comme un tribunal.
Par ailleurs, les élus d'Interco' Outre-mer proposent de repenser la composition de la CDPENAF, en y faisant par exemple siéger des représentants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont les stratégies en matière d'aménagement et de développement sont au premier rang des compétences et des responsabilités. Nous pourrions aussi élargir les missions de la CDPENAF en unifiant cette commission avec d'autres instances existantes, telle que la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS) ou la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC), et la transformer en Conférence territoriale de l'aménagement.
Une autre proposition consiste en l'organisation de commissions thématiques au choix des élus locaux pour encourager leur mobilisation et leur participation. Nous pourrions aussi renforcer la connaissance de cette commission par l'ensemble des acteurs. Par exemple en Guyane, la CDPENAF souffre d'un manque évident de notoriété, ce qui a été souligné par les élus. Les élus demandent donc à nuancer l'avis en fonction des territoires.
M. Maurice Gironcel. - Aujourd'hui, il est important de chercher à sortir de ce blocage. Il faut laisser la possibilité d'être un peu plus souple. Or, il n'y a pas de recours possible à une décision de la CDPENAF. J'ai eu l'occasion de discuter à l'époque avec le ministre de l'Agriculture, M. Didier Guillaume, mais aussi avec le Président de la République lors de sa visite à La Réunion, et avec le ministre chargé des Outre-Mer, et ils sont conscients de l'existence d'un problème.
M. Philippe Schmit. - Je souhaite préciser mes propos précédents : si nous partageons l'idée qu'il puisse y avoir des risques de dérive avec l'idée d'un encouragement à pouvoir construire pour s'installer, il faudrait réfléchir à l'idée d'adosser le foncier agricole à ce qui est appelé les obligations réelles environnementales.
Nous devons avoir une sorte d'engagement lié à la propriété même, soit des servitudes inscrites dans les titres de propriété, de telle sorte que la vocation agricole puisse y être assurée sur le très long terme. Pour travailler sur le foncier agricole, nous utilisons les documents d'urbanisme qui fixent la destination des sols, ou nous travaillons à l'échelle du terrain lui-même, et nous pouvons à ce titre inscrire une vocation agricole à travers ces obligations réelles environnementales.
Mme Lyliane Piquion Salomé. - Pour aller dans le même sens que Philippe Schmit, lorsqu'un agriculteur s'installe, il ne peut pas transformer sur place s'il s'agit par exemple d'un foncier « protégé » au titre de la convention de Ramsar qui protège les zones humides. En effet, celle-ci n'autorise la construction d'un bâtiment qu'à la condition que celui-ci soit en lien avec l'agriculture. L'agriculteur est donc confronté à un foncier bloqué, et ne peut donc pas transformer sur le lieu de production.
En appliquant la loi stricto sensu, nous ne tenons pas compte de son esprit, ce qui ne me semble pas normal.
M. Stéphane Artano, président. - Je vais laisser maintenant la parole aux rapporteurs, avant de continuer nos échanges.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci pour vos éclairages qui nous seront très utiles. Votre rapport est excellent, et il est réjouissant de travailler dans des conditions où nous disposons de matière, et où nous cherchons à améliorer la situation.
Vous avez souligné, Madame Lyliane Piquion Salomé, que les indivisions ne se résolvent pas. Lors des travaux menés au sein de cette délégation, nous avons été confrontés à ces problèmes d'indivision. Plusieurs solutions ont été proposées, et la loi Letchimy a elle-même été inspirée par nos travaux.
Les solutions juridiques existent. J'avais ainsi proposé de mettre en place à Mayotte une commission de l'urgence foncière (CUF), en m'inspirant des actions menées avant la départementalisation où il était question de réformer l'état civil. Aujourd'hui, la CUF est installée, et nous nous rendons compte en suivant la progression de ses travaux que des ajustements sont nécessaires, et que de nouveaux textes doivent être votés. Nous avons ainsi intégré un amendement à la loi 3DS.
Ma première question porte sur ce sujet : pensez-vous qu'une telle institution serait nécessaire dans les autres territoires pour s'occuper particulièrement de la problématique de l'indivision ?
Nous avons également préconisé la mise en place d'un tribunal foncier en Polynésie française, qui est désormais en place.
Ma seconde question porte sur la transmission. Nous avons dans le cadre de nos auditions constaté le problème de transmission des exploitations agricoles, en raison de plusieurs facteurs, dont la petitesse des pensions agricoles ou la non-valorisation des fonds agricoles. Les exploitants hésitent ainsi à laisser leur exploitation, ce qui contribue aux indivisions. Des transmissions sont effectuées mais hors du cadre légal, et j'ai été très intéressé par votre proposition n° 11, qui vient répondre à cette problématique.
Il existe également une loi du 5 janvier 2006, qui tend à donner au fonds agricole la même valeur que le fonds de commerce. À votre connaissance, ce texte s'applique-t-il dans les outre-mer ? Si non, une application est-elle souhaitable pour valoriser ces fonds agricoles, et contribuer à faciliter leur transmission aux générations plus jeunes ?
Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Je souhaite revenir sur cette transmission. Certaines personnes, quand elles arrivent à la retraite, ne souhaitent pas transmettre car elles ne sont pas vraiment propriétaires. Elles exploitaient ces terres depuis de nombreuses années, voire depuis plusieurs générations, mais elles n'ont jamais eu de titres de propriété. Je pense qu'il s'agit du premier des problèmes, mais sa résolution ne devrait pas être si compliquée. Elle est néanmoins complexe en raison de l'histoire, et ces personnes devaient sans doute occuper le terrain pour qu'il ne leur soit pas repris.
Nous comprenons que certains seraient prêts à céder leurs terres, à les mettre en location, avec le risque d'être confronté à une personne ne payant plus son loyer et déclarant être chez elle.
J'aurais également souhaité évoquer la question de l'irrigation, car il s'agit d'un important problème, et qu'il est question de projets pharaoniques. Pensez-vous que ce problème devrait être traité au niveau intercommunal ? Quels sont les enjeux financiers et fonciers dans les outre-mer lié à ce problème d'irrigation ?
Mme Lyliane Piquion Salomé. - Je ne sais pas si cette question doit être prise en compte par les communautés d'agglomération, mais le problème de la sécheresse est bien réel, tout comme les autres aléas climatiques comme les cyclones. L'agriculteur ne gagne pas bien sa vie. Comment agir sur les questions d'irrigation ? Peut-être avec des bassins de rétention. Il existe sans doute des alternatives à mettre en place. Le problème de la sécheresse existe partout, mais il est particulier dans nos îles.
M. Philippe Schmit. - Nous n'avons pas d'expertise particulière sur le sujet de l'irrigation et nous ne l'avons pas abordé dans nos travaux. L'échelle communale est-elle la bonne dans ce domaine ? L'eau dépasse les limites communales, et sa gestion relève plus de la géographie physique que de la géographie administrative. Il nous semble néanmoins que la réflexion doit être menée au regard des compétences des collectivités.
Il est possible de rattacher l'irrigation à une compétence eau. Une importante étude à laquelle a participé l'association Interco' Outre-mer, en lien avec Interco de France, portait sur les compétences des collectivités d'outre-mer, leur profil financier, etc. Qui est compétent sur quoi ? L'irrigation peut croiser une compétence eau, une compétence environnementale, une compétence économique.
L'intercommunalité est indispensable en outre-mer, mais il est nécessaire d'être lucide sur ses difficultés. Une proposition sénatoriale de confier des responsabilités nouvelles sur des sujets à haute tension peut être délicate. Aujourd'hui, parler d'irrigation est de plus en plus problématique, comme nous le constatons aujourd'hui dans l'Hexagone avec les bassines.
L'enjeu politique est très important, et il faudrait réfléchir en amont à l'organisation de cette responsabilité, et à la place que doit prendre cette compétence irrigation.
M. Maurice Gironcel. - Je souhaite compléter ces propos sur le problème des compétences en matière d'irrigation. Les intercommunalités possèdent la compétence depuis le 1er janvier 2020 sur l'eau et l'assainissement, mais l'irrigation demeure une compétence du département.
Des projets pharaoniques ont en effet été menés, comme à La Réunion le basculement de l'eau de l'est vers l'ouest, qui a coûté plus d'un milliard d'euros, financés fortement par l'Europe. Aujourd'hui, le problème concerne le prix de l'irrigation : si le coût réel était appliqué, aucun agriculteur ne pourrait irriguer ses terrains. Les subventions sont très importantes. L'agriculteur paie aujourd'hui au mètre cube, mais pas au prix de revient.
Sur l'île de La Réunion, nous travaillons en collaboration entre l'intercommunalité et la région. Par ailleurs, cette dernière a demandé à échéance de janvier 2028 le transfert des compétences agricoles du département vers la région. Cette décision a été actée par les présidences de la région et du département.
Certaines communes, comme Le Tampon, ont mis en place des réseaux d'irrigation, là aussi très subventionnés. Ces réseaux sont alimentés par des retenues collinaires énormes, qui permettent une irrigation par gravité. Cet investissement, très important, a été financé à plus de 80 % par des fonds européens.
Concernant la question sur la valorisation du fonds agricole, nous pensons que cela doit être réalisé, sur le même modèle qu'un fonds de commerce. Un agriculteur exploitant un terrain depuis de nombreuses années dispose d'un fonds, même si le terrain ne lui appartient pas. Une réflexion devrait donc être menée dans ce domaine, puisque nous parlons d'un savoir-faire.
M. Gilles Leperlier, directeur de cabinet de la CINOR. - Merci monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs.
Au regard de nos échanges, je pense que les compétences s'imposeraient à certaines collectivités. L'enjeu du foncier agricole en outre-mer se trouve à la croisée d'autres défis et enjeux qui concernent les pays d'outre-mer. Vous évoquiez l'autonomie alimentaire, mais nous pourrions également aborder l'autonomie énergétique via le défi de la croissance démographique, et, sans les opposer, trouver les moyens de la complémentarité. Les problèmes des uns pourraient constituer une solution pour les autres.
Nous évoquons le cadastre solaire, le mix énergétique, le développement des énergies renouvelables, mais le déploiement de panneaux photovoltaïques demande un foncier très important, et qui cible souvent les terres agricoles.
Il faut effectuer un choix très compliqué. Qui va réaliser ce choix ? Est-ce l'État, qui prioriserait par exemple l'enjeu de l'autonomie alimentaire au détriment de l'autonomie énergétique ? Ou l'agriculteur, qui favoriserait pour un terrain une perspective de revenus photovoltaïques au détriment d'autres productions ?
Comment encourager de nouveaux exploitants agricoles ? Nous avons abordé la question de la propriété, de la transmission, et la possibilité de transformer sur place ou à côté de son exploitation. Cela demande l'arrivée de réseau électrique, l'arrivée de l'eau, et cela pose la question des chemins d'exploitation agricole.
Le dernier défi à la croisée des enjeux du foncier agricole se trouve dans la protection de nos populations. Nous le voyons aujourd'hui sur des terrains en friche, avec une volonté de développer des exploitations, ce qui a des conséquences directes sur le ruissellement, la gestion des eaux pluviales, et sur les populations compte tenu de la géographie particulière de ces territoires.
Nous sommes donc confrontés à des enjeux et des questions de priorité, pour lesquels la responsabilité de la décision n'est pas claire.
Si nous prenons l'exemple d'une exploitation agricole avec une transformation, plusieurs collectivités devront investir pour gérer les réseaux, les eaux pluviales, avec des coûts importants, qui sont aujourd'hui très peu financés. La gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) dans les pays d'outre-mer bénéficie de très peu de cofinancements alors qu'elle soulève une question de sécurité.
Mme Lyliane Piquion Salomé. - Nous pourrions aussi imaginer un nouveau modèle opératoire agricole et économique. La problématique de la chlordécone limite notre champ d'actions, mais il existe des modèles agricoles qui permettent des cultures en hauteur, au-dessus des sols et l'optimisation de l'espace agricole.
M. Maurice Gironcel. - Gilles Leperlier a raison lorsqu'il évoque les défis. L'objectif de nos pays d'outre-mer est d'arriver à l'autonomie énergétique, et à l'autosuffisance alimentaire. Nous ne devons pas opposer l'une à l'autre. Elles doivent être complémentaires.
Un agriculteur qui déciderait de modifier la destination d'une partie de son terrain, en délaissant par exemple la banane pour la vanille, produit à forte valeur ajoutée, pourrait monter une serre et installer dessus des panneaux solaires, en combinant alors les productions alimentaires et énergétiques.
Aujourd'hui, des services de l'État peuvent se contredire l'un l'autre. Pour un agriculteur, passer à une culture sous serre entraîne un investissement beaucoup plus important que pour la canne à sucre. Il s'agit d'un réel défi, mais ces possibilités ne doivent pas être freinées, ne doivent pas être opposées, et les exploitants ne devraient pas avoir à choisir entre l'un ou l'autre.
Par exemple, la commune de Sainte-Suzanne, dont je suis maire, a souhaité devenir une commune à énergie positive à partir des énergies renouvelables, avec le solaire, le biogaz et l'éolien. Nous avons récemment modernisé les éoliennes, avec des appareils qui prennent moins de place au sol et produisent quatre fois plus d'énergie que les précédents. Nous produisons maintenant de l'énergie propre pour 45 000 habitants. Pour ce dossier, nous avons travaillé en bonne intelligence avec la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et avec la direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF). Nous avons ainsi proposé un projet de bergerie : sous les éoliennes, nous allons installer une ferme photovoltaïque, et sous cette ferme, nous allons produire du foin et élever une centaine de moutons. Dans le même temps, quelques emplois de proximité et non délocalisables ont été créés.
M. Stéphane Artano, président. - Comme le temps avance, je vous propose de laisser la parole aux sénatrices et sénateurs.
Mme Victoire Jasmin. - Je vous remercie pour les réponses déjà apportées.
Lors de votre intervention liminaire, vous avez évoqué la loi ZAN et sa complexité. Pourriez-vous nous préciser votre propos ? Par ailleurs, concernant les indivisions, quel est le rôle du notaire ? Peut-il constituer un frein quand des familles souhaiteraient sortir de l'indivision ? Il est également constaté, notamment en Guadeloupe, une carence en personnel dans les bureaux du cadastre.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Monsieur le président, je suis heureuse de retrouver les membres de votre association, que j'ai beaucoup côtoyés dans une autre vie.
J'ai lu avec beaucoup d'attention l'excellent rapport sur l'enjeu foncier, et la proposition n° 19, portant sur les occupations illégales en Guyane et à Mayotte, a retenu mon attention. Vous avez suggéré la mise en place de procédures d'alerte entre tous les acteurs afin d'accélérer l'efficacité. En Guyane, les installations illégales n'ont cessé de prendre de l'ampleur sous la pression migratoire, et les agriculteurs en souffrent. Savez-vous si ces procédures d'alerte ont été mises en place pour une réaction plus rapide des forces de l'ordre ?
M. Georges Patient. - Je souhaiterais connaître votre appréciation sur l'activité des Safer dans les outre-mer. La Guyane et Mayotte étaient les deux seuls DROM à ne pas disposer de Safer. La Guyane possède maintenant la sienne, après quelques difficultés de mise en place. Pensez-vous qu'elle peut avoir sa place dans une Guyane où plus de 90 % du foncier appartiennent encore à l'État ? Ce département est le seul à ne pas connaître de récession en matière de foncier agricole, mais il existe beaucoup de contraintes écologiques. Tout ce foncier est attribué de manière parcimonieuse par l'État, avec comme objectif la préservation de la forêt primaire.
Par ailleurs, comment adapter le financement aux spécificités du foncier ? Comment fonctionnent les Safer dans les autres DROM ?
M. Maurice Gironcel. - Concernant la mise en oeuvre de la loi ZAN, nous pouvons évoquer le cas de Mayotte, avec les problématiques d'occupation illégale, où il est difficile d'imaginer comment réaliser des opérations de logement en appliquant cette loi. Mayotte couvre 374 km2, avec des risques liés au volcan pour l'agrandissement du port.
Sur l'île de La Réunion, vivent 860 000 habitants sur 2 500 km2, mais dont seuls 800 km² sont disponibles. Beaucoup de zones naturelles doivent être protégées, et ne peuvent pas être exploitées. L'objectif n'est pas de bétonner toutes ces zones, mais il n'est pas possible d'appliquer sans réfléchir la loi ZAN.
Je n'ai pas de réponses concernant les occupations illégales à Mayotte et en Guyane. L'État répond-il de manière efficace ? Je ne sais pas. Je me suis rendu à Mayotte, et j'ai eu l'occasion de visiter les bidonvilles qui vont être rasés. Le président du département considère que l'opération de démantèlement de ces bidonvilles est positive, mais qu'elle ne constitue pas la solution. Il y a aujourd'hui plus de 150 000 immigrés à Mayotte, essentiellement des Comoriens, mais aussi des Malgaches et d'autres ressortissants africains.
Concernant la Safer, je laisserai la parole à Philippe Schmit qui a pu visiter les cinq pays d'outre-mer concernés.
Mme Lyliane Piquion Salomé. - La problématique touchant les notaires, notamment en Guadeloupe, est très compliquée. Je connais des cas de successions qui n'ont toujours pas été réglées trente ans après, quand bien même il s'agit d'un partage judiciaire. Il faut donc que l'État intervienne, et je m'apprête à écrire à la Chambre des notaires pour tenter de débloquer cette situation. Il ne s'agit malheureusement pas d'un cas particulier. Généralement, les notaires prennent trop de temps et sont très négligents. Si la succession comporte des liquidités, elles peuvent passer en frais.
Je connais une famille ayant fait appel à cinq notaires différents, sans résultat au bout de trente ans, et l'État doit intervenir pour pallier ces négligences.
Mme Caroline Cunisse. - Nous constatons également un manque de notaires dans certains territoires. À Mayotte par exemple, les notaires de La Réunion doivent intervenir. Les géomètres, les généalogistes et d'autres experts sont également en nombre insuffisant, et les élus demandent un bilan sur la présence de ces professions dans les cinq territoires.
Le cadastre constitue en effet une problématique sur tous les territoires. Les élus demandent une mise à jour rigoureuse, et un important travail sur la qualité des cadastres est à mener.
Il faut noter le manque de connaissance des patrimoines fonciers, des collectivités publiques comme privées, et les élus demandent une photographie complète de ces patrimoines, notamment agricoles
M. Philippe Schmit. - Il est nécessaire d'établir un dialogue plus important, notamment entre collectivités. Certains maires déclarent ne pas maîtriser complètement le domaine foncier de leur commune. Dans un souci de responsabilité et de clarté, il faut pouvoir partager, c'est pourquoi nous appelons dans le rapport à un grand recensement général de la propriété publique et privée dans les territoires.
Il serait également souhaitable que s'instaure une habitude de réunion et de conférence annuelle de tous les acteurs sur le foncier pour discuter, car chacun demeure dans son territoire.
Nous pourrions imaginer dans chacun des territoires une obligation de réunir en conférence tous les acteurs publics et parapublics oeuvrant autour des sujets de la problématique foncière.
J'ai eu récemment l'occasion de découvrir que certaines communes n'ont aucun contact avec leur Safer. Or, ces Safer apportent des possibilités d'ingénierie, d'accompagnement, qui ont une valeur, mais nous avons l'impression que cette valeur est sous-exploitée par manque de dialogue. Nous pourrions réaliser un sondage pour mesurer les échanges réels entre élus et Safer.
Enfin, avec la problématique du foncier agricole, nous nous retrouvons en outre-mer comme en Hexagone avec le sujet premier en filigrane, qui est la valeur de ce foncier, et la plus-value potentiellement réalisée lorsqu'il devient constructible. Aujourd'hui, un propriétaire a surtout intérêt à faire en sorte que son terrain devienne constructible, ou déclassé tel que défini dans les territoires d'outre-mer.
Tant que ce rapport financier n'est pas inversé, et que la valeur environnementale d'un terrain ou la valeur de production agricole est moindre que la valeur constructible, les actions publiques vont à l'encontre de la logique.
Il s'agit d'une question de fond qui se pose notamment aux parlementaires. Tout le modèle économique est questionné. Aujourd'hui, la valeur d'un terrain dépend de ce qu'il est possible d'y construire, et sa valeur sociétale ou sociale n'entre pas assez en compte. Tant que ce problème ne sera pas abordé, nous demeurerons dans une logique de défense du foncier agricole, alors que nous devrions être dans une logique de promotion de ce foncier.
Mme Lyliane Piquion Salomé. - Je suis en accord avec ces derniers propos. Il ne s'agit pas de tenter de concilier les contraires à travers diverses réunions. Il faut que toutes ces réunions soient suivies d'actes pragmatiques, ce qui constitue une réelle problématique. Ce sont les résultats qui m'intéressent. Nous sommes confrontés à trop de chômage, d'avis contraires, et nous devons parler avec un langage franc, tout en agissant.
M. Thani Mohamed-Soilihi, rapporteur. - Ce débat renvoie au principe de la propriété, bien inaliénable et sacré.
M. Philippe Schmit. - Ce débat renvoie en effet à la question de la propriété, et donc à la question de la consistance de la propriété. À titre personnel, je pense qu'un acte de propriété pourrait comporter un chapeau précisant qu'il en va de la responsabilité du propriétaire, dans une logique de copropriétaire, pour les enjeux auxquels il participe au-delà de sa propriété, comme la préservation de la biodiversité, la gestion de l'eau. Au lieu d'avoir une puissance publique qui impose par la règle, l'objectif serait de responsabiliser le propriétaire, comme le permet l'article 14 de la Constitution allemande.
Il faudra beaucoup de courage pour modifier la Constitution française en ce sens.
M. Stéphane Artano, président. - Le Président de la République a évoqué une possible révision constitutionnelle, donc rien ne doit être vu comme impossible.
Je voulais vous remercier. Vous savez que le Sénat est la Chambre des collectivités, et je souhaitais saluer le travail que vous avez réalisé, monsieur le président, avec vos équipes, avec ce rapport, L'Enjeu du foncier en outre-mer, daté de novembre 2022.
J'ai beaucoup apprécié la qualité de l'engagement, et le sérieux et l'exhaustivité de la démarche. Nous parlons beaucoup du foncier agricole, mais je suis tout à fait en phase avec vos propos concernant la responsabilité d'un propriétaire individuel dans une approche collective. Nous devons le plus possible prendre appui sur des visions transversales, et la société nous poussera sans doute toujours plus à ce type d'approche.
Merci encore pour la qualité de cette audition, et soyez libres de nous faire suivre les contributions que vous jugerez nécessaires, et notamment les réponses au questionnaire non abordées lors de cette réunion.