- Mercredi 24 mai 2023
- Agriculture et pêche - Avenir de la pêche - Protection de la filière pêche française et mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » - Examen de l'avis politique et du rapport sur la proposition de résolution européenne
- Environnement et développement durable - Normes d'émissions polluantes des véhicules et proposition de règlement établissant les normes Euro 7 - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
- Proposition de résolution européenne n° 627, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Désignation de rapporteures
Mercredi 24 mai 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Agriculture et pêche - Avenir de la pêche - Protection de la filière pêche française et mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action pour le milieu marin » - Examen de l'avis politique et du rapport sur la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons commencer nos travaux en abordant l'avenir de la pêche. Vous vous souvenez sans doute de mon intervention spontanée en commission, le 30 mars dernier, pour soutenir les pêcheurs dont l'inquiétude monte depuis la publication en février d'un plan de la Commission européenne qui risque de mettre en péril leur activité.
Nous avions auditionné le secrétaire d'État chargé de la mer, Hervé Berville, le 2 février dernier. Nous étions déjà préoccupés à cette date par les nombreuses difficultés qu'ils devaient affronter : l'épuisement de la ressource, le Brexit, le covid, les effets de la guerre en Ukraine, notamment sur le prix du carburant...
Nous avions alors interrogé M. le secrétaire d'État sur l'hypothèse, qui commençait à être évoquée, d'une gestion des pêches non plus par espèces, mais par territoires maritimes pour mieux assurer la durabilité des écosystèmes. Mais nous n'avions pas encore connaissance du projet de la Commission publié depuis, qui envisage d'interdire la pêche de fond dans les aires protégées. C'en est trop pour nos pêcheurs et c'est ce qu'a voulu signifier notre collègue Michel Canévet en déposant une proposition de résolution européenne (PPRE), une initiative que je salue.
Nous avons chargé Alain Cadec, grand spécialiste du sujet, de l'expertiser et je le remercie de nous présenter aujourd'hui son rapport sur ce texte.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Avant toute chose, permettez-moi de vous indiquer que, dans le cadre de mes travaux, j'ai également auditionné le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), les organisations non gouvernementales (ONG), notamment Greenpeace et Bloom, l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), ainsi que le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM).
Lors d'une communication du 21 février dernier, la Commission européenne a présenté un plan d'action pour la protection et la restauration des écosystèmes marins en faveur d'une pêche durable et résiliente. Parmi les grands axes de ce plan d'action figurait, notamment, l'interdiction de la pêche de fond mobile dans les zones Natura 2000 dès 2024, et dans l'ensemble des zones marines protégées existantes ou nouvellement créées à compter de 2030. Cette proposition a suscité beaucoup d'incompréhension et de craintes dans nos territoires littoraux, et pour cause ! Les arts traînants, c'est-à-dire les engins de pêche tractés par des navires sur le fond marin, sont pratiqués de façon exclusive ou occasionnelle par plus de 40 % des navires français sur la façade atlantique, ils représentent environ 36 % des quantités pêchées et fournissent les principales ressources capturées pour les pêcheries françaises, comme les merlans, les baudroies, les soles, les langoustines ou encore les coquilles Saint-Jacques.
Dans ce contexte, le secrétaire d'État chargé de la mer, M. Hervé Berville, s'est rendu à Bruxelles pour relayer auprès du commissaire européen à la mer, M. Virginijus Sinkevièius, les inquiétudes légitimes de nos pêcheurs. Ce dernier a rappelé, lors de leur rencontre, que le plan d'action n'était pas contraignant d'un point de vue juridique et se contentait de fixer des grandes orientations à l'intention des États membres, ces derniers demeurant libres de les appliquer ou non. Faut-il dès lors considérer le sujet définitivement clos ? Mon expérience des institutions européennes m'amène à penser que non.
Ne soyons pas naïfs : la communication du 21 février dernier constitue ce que nous pouvons appeler un « ballon d'essai », destiné à tester les réactions des États membres, dans la perspective d'une éventuelle proposition législative.
Jusqu'à présent, douze États membres, dont la France, ont fait état d'une franche opposition à l'interdiction des arts traînants dans les zones marines protégées. Dès lors, et dans la mesure où le Conseil de l'Union européenne doit adopter, les 26 et 27 juin prochains, des conclusions portant sur le plan d'action de la Commission, il est essentiel que notre assemblée puisse faire valoir sa position auprès du Gouvernement, mais également de la Commission européenne.
Tel est l'objet de la proposition de résolution européenne de notre collègue Michel Canévet. Les travaux menés au cours des dernières semaines m'ont conforté dans l'idée que l'interdiction générale de la pêche de fond dans toutes les zones marines protégées constituait une mesure non seulement inefficace, mais également extrêmement délétère.
Je regrette, de manière générale, le caractère extrêmement binaire de l'approche choisie par la Commission, qui consiste à opter pour un bannissement de principe de tous les engins de fond, dans toutes les zones marines protégées et dans un délai extrêmement court, au nom de la préservation des fonds marins et de la biodiversité.
Ne nous laissons pas enfermer dans un faux débat, opposant de manière caricaturale les pêcheurs aux associations de protection de l'environnement. Je vous rappelle que la préservation des ressources halieutiques fait depuis très longtemps partie des objectifs de la politique commune de la pêche, et qu'il est dans l'intérêt même des pêcheries de lutter contre l'épuisement des stocks. Par conséquent, la plupart des parties prenantes ne sont pas opposées à l'instauration de restrictions ciblées et ponctuelles touchant les arts traînants, dès lors que ces dernières sont proportionnées et fondées sur le plan scientifique.
Il est donc important d'introduire un peu de nuance et de mesure pour poser correctement les termes du débat puisque, comme je vous l'ai indiqué, il est possible que, dans les années à venir, la pêche de fond fasse l'objet de nouvelles initiatives européennes.
Pourquoi l'approche choisie par la Commission me semble inopérante, d'une part, et délétère, d'autre part ?
Les différents échanges que j'ai pu avoir sur le sujet m'ont permis d'identifier quatre facteurs permettant de réfuter l'efficacité du plan d'action de la Commission.
Tout d'abord, ce plan d'action établit un raccourci trop rapide entre deux constats distincts : le premier est que le niveau de protection des zones marines en Europe demeure très variable et globalement peu élevé ; le second est que certains fonds marins particulièrement vulnérables doivent être protégés, par le biais notamment d'une interdiction totale ou partielle des arts traînants. La Commission tente de faire « d'une pierre deux coups », en préconisant l'interdiction de la pêche de fond mobile comme réponse unique à deux problématiques différentes.
Cette approche est séduisante, mais elle repose en réalité sur un postulat erroné, à savoir assimiler les fonds marins vulnérables aux aires marines protégées. Les dernières avancées scientifiques permettent de mieux appréhender l'impact des engins de pêche de fond sur les habitats marins, et par conséquent de cartographier de manière très précise les zones qui mériteraient une protection supplémentaire, en raison de la sensibilité des écosystèmes qu'elles abritent. Or ces zones ne se situent pas systématiquement dans des aires marines protégées ! L'interdiction de la pêche de fond mobile exposerait donc certains espaces à des restrictions superflues, tout en négligeant de protéger les zones réellement vulnérables situées en dehors des aires marines protégées.
Ensuite, l'adoption d'une interdiction générale applicable de manière uniforme s'inscrit à rebours de la logique propre aux aires protégées. Ces dernières constituent un ensemble disparate, recouvrant une grande diversité d'objectifs, certaines ayant vocation à protéger des couloirs migratoires, d'autres certaines espèces d'oiseaux, d'autres encore des fonds marins. Par conséquent, jusqu'à présent, la Commission a toujours prôné une approche adaptée aux enjeux de chaque territoire, et recommandé de prendre des mesures de conservation spécifiques à chaque site. En France, c'est donc en application des directives Oiseaux et Habitats qu'ont été initiées en janvier 2023 les analyses risque-pêche (ARP), afin de définir un niveau de risque pour chaque espèce ou habitat protégé dans chaque site Natura 2000, pour ensuite prendre, à compter de 2026, les mesures de conservation appropriées. Or j'attire votre attention sur le fait que l'adoption du plan d'action reviendrait à faire table rase de ces analyses risque-pêche, alors que les parties prenantes y ont déjà consacré un temps, une énergie et des montants considérables.
Par ailleurs, l'interdiction de la pêche de fond mobile constitue une solution excessivement simpliste, faisant abstraction de l'impact différencié des arts traînants en fonction des engins utilisés, de la nature des fonds marins, de la fréquence des passages ou encore du degré de vulnérabilité des habitats. À titre d'exemple, le passage occasionnel d'une drague sur un sol sableux n'aura pas le même impact que le passage régulier d'un chalut de fond sur un sol rocheux. Dès lors, si l'objectif est réellement de préserver les fonds marins vulnérables et la biodiversité, toute une palette de mesures et d'étapes intermédiaires peut être envisagée avant d'opter pour une interdiction pure et simple de tous les engins de fond. Je vous rappelle que de nombreux outils peuvent d'ores et déjà être mobilisés à cet effet dans le cadre de ce nous appelons la « boîte à outils » de la politique commune de la pêche (PCP) afin de réduire les captures accidentelles et d'améliorer la sélectivité des engins.
Je regrette, dès lors, que la Commission centre sa proposition sur la fermeture des zones à la pêche, et ce d'autant que la gestion spatiale des activités de pêche ne constitue pas un instrument sans faille. En réalité, il ne suffit pas d'interdire la pêche pour garantir la restauration des fonds, la dégradation de ces derniers étant un phénomène multifactoriel, associant des sources de perturbation d'origine anthropique - comme l'installation de parcs éoliens - et d'origine naturelle - comme la prolifération d'espèces invasives ou le réchauffement climatique. Je vous signale que les flottes s'adaptent et se déplacent en cas de restrictions spatiales, reportant l'effort de pêche sur les zones non protégées, avec, pour corollaire, des effets indésirables sur les stocks halieutiques et une augmentation de la consommation de carburant. Au cours des deux dernières années, l'interdiction de pêcher le bar dans la Manche a conduit les pêcheurs à aller le pêcher dans le golfe de Gascogne.
Pour toutes ces raisons, le plan d'action de la Commission me paraît peu efficace du point de vue de la protection de la biodiversité et des fonds marins. Or, sa mise en oeuvre aurait des conséquences socioéconomiques dévastatrices pour les filières halieutiques française et européenne.
En effet, les aires marines protégées représentant 44 % environ de la zone économique exclusive (ZEE) française, la « petite pêche » - c'est-à-dire les bateaux de moins de 12 mètres - y réalise plus d'un tiers de son activité. Selon les estimations du CNPMEM, l'interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées entraînerait donc la disparition de près 30 % de la flotte française et de plus de 4 500 emplois directs pour environ 15 000 emplois induits, puisque, dans le secteur de la pêche professionnelle, un emploi embarqué induit habituellement trois à quatre emplois à terre.
En parallèle, cette mesure se traduirait par une baisse substantielle des volumes débarqués et donc inévitablement une hausse des importations, alors que l'Union européenne est déjà le premier importateur mondial de produits de la pêche. En France, nous importons 70 % des produits de la pêche et de l'aquaculture que nous consommons. À rebours des objectifs affichés en termes de souveraineté alimentaire, le plan d'action de la Commission contribuerait donc à accroître notre dépendance à l'égard de pays moins-disants sur le plan environnemental, ce qui est pour le moins paradoxal, vous en conviendrez.
Au-delà de ces considérations d'ordre économique, je regrette particulièrement le signal symbolique très négatif envoyé à la filière pêche européenne, dont la compétitivité pâtirait très fortement d'une mise en oeuvre du plan d'action de la Commission, alors même qu'elle figure parmi les plus vertueuses et les plus réglementées au monde.
Pour conclure, l'idée de bannir les arts traînants des zones marines protégées au nom de la biodiversité et de la protection des fonds marins illustre à merveille l'adage selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Par conséquent, je partage sans réserve la position de Michel Canévet. Je suggère cependant quelques amendements à cette proposition de résolution afin de préciser le propos, à l'aune des informations recueillies au cours de mes auditions. Vous avez pu en prendre connaissance dans le projet qui vous a été adressé lundi dernier, et je ne crois pas utile d'en détailler ici la présentation.
M. Pierre Cuypers. - Quel est l'impact de fond des éoliennes ?
M. Alain Cadec, rapporteur. - Il est en cours d'évaluation, car l'installation du parc offshore est récente. Dans les parcs en cours d'installation en France, la pêche sera en partie interdite alors qu'il s'agit de zones de pêche importantes. Je pense à la baie de Saint-Brieuc, haut lieu de pêche de la coquille Saint-Jacques ! Par ailleurs, l'installation des jackets nécessite des trous profonds de l'ordre de 30 à 40 mètres, ce qui occasionne des vibrations et de la turbidité faisant fuir le poisson et abîmant la biodiversité. L'impact est donc incontestable, mais c'est un choix : on a besoin d'éoliennes, il faut donc en installer, mais pas n'importe où, pas n'importe comment et pas à n'importe quel prix...
M. Jacques Fernique. - Cela n'étonnera personne, je ne suis pas en phase avec cette proposition de résolution.
Il s'agit d'une proposition de résolution (PPRE) sur les mesures préconisées dans le cadre du plan d'action pour le milieu marin. Il est donc clair, dès le titre, que le plan d'action en question n'est pas un règlement d'application directe ni une directive : ce sont des préconisations. La Commission ne fait que rappeler aux États ce qu'ils auraient déjà dû mettre en oeuvre en transposant la directive « Habitats » de 1992. M. Hervé Berville a un moment laissé entendre ou croire que le plan d'action de la Commission s'accompagnerait d'interdictions. Or il ne s'agit que d'invitations et de préconisations. J'en veux pour preuve le mécontentement des ONG environnementales.
Les auteurs de la PPRE et le Gouvernement butent sur le fait que la Commission, pour la première fois, appelle les États à éliminer progressivement d'ici à 2030 le chalutage de fond dans les aires marines protégées. Ce matin, en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, nous avons auditionné M. Olivier Thibault, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l'Office français de la biodiversité (OFB). Les chiffres ne sont pas bons : seules 0,28 % des eaux françaises bénéficient d'une protection forte. C'est ridicule ! Les zones marines protégées permettent de reconstituer les stocks halieutiques, y compris pour les espèces en voie de disparition. Les pêcheurs eux-mêmes en ont besoin. Pourquoi s'y opposer au travers de ce texte ?
M. Alain Cadec, rapporteur. - Pardonnez-moi, c'est à la mise en oeuvre d'une interdiction du chalutage et du dragage à l'ensemble des zones marines protégées que nous nous opposons. Nous préférerions un ciblage plus précis des zones qui nécessitent véritablement d'être protégées. Notre recommandation correspond d'ailleurs à la volonté exprimée par les pêcheurs eux-mêmes.
M. Jacques Fernique. - Quoi qu'il en soit, l'idée de s'opposer à une interdiction des méthodes de pêche industrielle destructrices dans des zones géographiques définies irait à l'encontre de l'intérêt des pêcheurs.
M. Alain Cadec, rapporteur. - La pêche industrielle est essentiellement pélagique, au large, et ne concerne pas du tout les zones marines protégées. Il est uniquement question ici de la « petite pêche ».
M. Jacques Fernique. - C'est pourtant paradoxalement dans les zones hautement protégées que le chalutage est le plus intense. Il faut absolument sortir de cette logique.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Je répète que ces mesures ne sont pas contraignantes aujourd'hui. Comme vous l'avez rappelé, nous discutons d'une simple communication de la Commission européenne sur le chalutage de fond et la pêche à la drague. J'ajoute que, sur les seize États littoraux de l'Union européenne, douze s'y sont opposés dès la première réunion du Conseil.
Cela étant, ce type d'initiative de la Commission est rarement neutre et débouche souvent sur une initiative législative.
Je le redis, l'objectif partagé par les ONG, Greenpeace par exemple, et par les comités des pêches est de bien analyser les fonds marins et de protéger les zones qui sont réellement en danger.
M. Didier Marie. - Je remercie l'auteur de cette proposition de résolution européenne ainsi que le rapporteur, qui sont en phase sur ce sujet très important.
J'observe que cette communication a été utilisée par notre secrétaire d'État chargé de la mer pour alerter les pêcheurs français sur l'imminence des contraintes qui allaient les affecter, alors qu'il ne s'agit que d'une communication qui, en tant que telle, n'a pas d'effets coercitifs.
Cela étant, je souhaite pointer deux difficultés sur le fond.
La première a trait à la faiblesse de la protection des zones maritimes par l'Union européenne, qu'il s'agisse des eaux immédiates ou des eaux plus lointaines, même s'il faut souligner les efforts accomplis en la matière par notre pays, dont le niveau de protection est largement supérieur à celui des autres États européens concernés. Comme quoi, les transpositions de textes européens sont parfois utiles...
Il convient par conséquent de renforcer la protection de ces zones, mais il faut l'envisager de manière différenciée et avec discernement.
Ce plan d'action européen pour le milieu marin n'est pas de nature contraignante et s'apparente plutôt aujourd'hui à une bouteille lancée à la mer, si je puis dire. Pour autant, comme l'a dit le rapporteur, cette communication offre les prémisses de mesures tangibles. D'où l'importance de réagir par l'intermédiaire de cette proposition de résolution européenne, dont je partage les orientations.
Il me semble, enfin, qu'une telle initiative doit s'accompagner d'études d'impact pour évaluer tant les techniques employées et leurs conséquences sur les fonds marins que les flottes concernées.
Je rappelle que de telles dispositions s'appliqueront pour une large part à la pêche artisanale, qui est déjà fortement affectée par les conséquences du Brexit et la hausse des prix de l'énergie. Il ne faudrait pas que, par manque de concertation ou d'évaluation, on provoque un choc supplémentaire pour les quelque 7 000 bateaux de pêche artisanale européens. L'objectif d'un renouvellement des ressources halieutiques doit donc s'accompagner de la nécessité de préserver les emplois du secteur.
M. Jean-François Rapin, président. - J'abonde dans votre sens : pour assister régulièrement à des assemblées générales de pêcheurs, je peux vous garantir que les opérations de débarque pour ce qui concerne la petite pêche artisanale diminuent de manière continue depuis trois décennies. Il serait vraiment dommageable de sanctionner nos pêcheurs aujourd'hui.
M. Alain Cadec, rapporteur. - J'ajoute qu'entre 65 et 68 % des stocks de pêche se trouvent déjà au niveau du rendement maximal durable (RMD), qui est un système de gestion durable des ressources halieutiques permettant d'en préserver la reconstitution. C'est ce qui est fait pour la coquille Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, avec 8 500 tonnes aujourd'hui - on n'en a jamais eu autant.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous informe que nous serons prochainement reçus par le chef de cabinet du commissaire européen aux océans et à la pêche, Virginijus Sinkevièius, pour évoquer ce sujet et en savoir davantage sur les perspectives qui se dessinent pour ce plan d'action pour la protection et la restauration des écosystèmes marins.
M. Alain Cadec, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous propose tout d'abord de modifier le libellé de la PPRE comme suit : « Proposition de résolution européenne relative à la protection de la filière pêche française et aux mesures préconisées dans le cadre du « Plan d'action de l'UE- : Protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente» présenté le 21 février 2023 par la Commission européenne. »
Ensuite, je souhaite ajouter à l'alinéa 35 le considérant suivant : « Considérant que cette mesure réduirait à néant les efforts déployés jusqu'à présent par les pêcheurs, les chercheurs et les représentants de l'État et des collectivités territoriales pour minimiser de manière concertée les incidences de la pêche dans les zones marines protégées, notamment dans le cadre des analyses risque-pêche actuellement en cours d'élaboration ; ».
À l'alinéa 37, je propose d'ajouter les termes : « , qui opère dans de grandes proportions dans les zones marines protégées ; » ainsi que les considérants suivants :
« Considérant ainsi que chaque année, plus de 23 000 tonnes de poissons sont pêchées par la petite pêche française dans les zones marines protégées, soit plus de 38,9 % des volumes débarqués par ces navires, pour un total de 28,7 millions d'euros, soit 32,9 % de la valeur débarquée ;
« Considérant la probabilité que l'incidence du plan d'action de la Commission dépasse largement celle estimée, puisque dans le secteur de la pêche maritime, un emploi embarqué génère habituellement trois à quatre emplois à terre ; ».
De même, à l'alinéa 46, je souhaite ajouter le paragraphe suivant : « Demande par conséquent qu'en priorité, les analyses risque-pêche en cours d'élaboration puissent être menées à terme, cette démarche garantissant que les restrictions éventuelles apportées à la pêche de fond mobile fassent l'objet d'une décision concertée et soient en adéquation avec les objectifs de conservation et les spécificités de chaque site ».
Il en est ainsi décidé.
La commission autorise la publication du rapport sur la proposition de résolution européenne et adopte celle-ci ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
M. Michel Canévet, auteur de la proposition de résolution européenne. - Cette PPRE est importante. Même si la France est le deuxième espace maritime le plus important au monde, nous importons 70 % de notre consommation de produits de la mer, ce qui est paradoxal. Par ailleurs, la pêche est un outil pour l'aménagement du territoire essentiel. Or l'activité halieutique est confrontée à de nombreuses difficultés, notamment la crise énergétique.
Même si la proposition de la Commission n'est pour le moment que suggestive, on peut imaginer l'interprétation qui risque d'en être faite.
Très concrètement, dans la baie de Saint-Brieuc, l'un des principaux sites de production de coquilles Saint-Jacques, celles-ci ne pourraient plus y être pêchées. Il en serait de même dans le parc naturel marin d'Iroise pour la langoustine et la sole.
Oui, nous sommes favorables à des mesures de gestion, et nous en prenons depuis longtemps, mais nous sommes contre des mesures arbitraires. Nous sommes contre la surtransposition.
Environnement et développement durable - Normes d'émissions polluantes des véhicules et proposition de règlement établissant les normes Euro 7 - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
M. Jean-François Rapin, président. - Nous abordons maintenant les normes d'émissions polluantes des véhicules. Il s'agit ici de nous positionner sur une proposition de règlement européen qui vise à durcir ces normes destinées à évaluer la performance environnementale des véhicules en matière de pollution nocive à la santé. Les normes Euro déterminent des seuils maximaux de polluants atmosphériques, et je précise qu'elles ne prennent pas en compte les gaz à effet de serre. Les normes Euro sont un élément déterminant de la classification des véhicules (vignettes Crit'air) sur laquelle repose la mise en oeuvre des restrictions de circulation dans le cadre des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), sujet sur lequel la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable conduit actuellement une mission d'information que lui a confiée le Président du Sénat et dont le rapporteur est Philippe Tabarot.
Dans l'objectif de supprimer la pollution résultant du transport routier, l'objet de cette proposition de règlement est de rabaisser les seuils pour les émissions de polluants déjà régulés, mais aussi d'encadrer les émissions polluantes liées au freinage et à l'abrasion des pneus, et ce y compris pour les véhicules électriques. Comment ces exigences s'articulent-elles avec l'objectif d'une mobilité routière à émission nulle d'ici à 2035 qui a été fixé dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » ?
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Tout d'abord, je rappelle que la publication de ce texte, initialement prévue en octobre 2020, a été reportée à plusieurs reprises. Ce n'est qu'à la fin de l'année dernière qu'elle a eu lieu. Ces changements attestent des difficultés liées à élaboration de ces nouvelles normes européennes, qui représentent un enjeu important pour la filière automobile.
Ensuite, je fais remarquer que la proposition de règlement européen, malgré un premier compromis présenté en mars dernier par la présidence suédoise, n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Conseil « Compétitivité » qui s'est tenu hier et avant-hier à Bruxelles. La présidence suédoise n'a finalement pas prévu d'obtenir un accord général sur ce texte avant la fin du semestre en cours, confirmant de ce fait le travail important qui reste encore à effectuer au niveau des États membres.
La proposition de règlement vise à renforcer les exigences réglementaires relatives aux plafonds d'émissions de polluants atmosphériques applicables, d'une part, aux voitures particulières et véhicules utilitaires légers neufs, et, d'autre part, aux camions et aux bus urbains neufs, vendus dans l'Union européenne. Il s'agit ainsi de remplacer, dans le cadre de ce règlement unique, les normes Euro 6 et Euro VI actuellement en vigueur par de nouvelles normes Euro 7.
La Commission européenne propose ainsi d'harmoniser les seuils d'émissions de polluants dans l'air à l'échappement pour les voitures particulières et les utilitaires légers, à moteur à essence ou diesel. Pour ces véhicules, les limites d'émissions d'oxyde d'azote et de monoxyde prévues par la nouvelle norme Euro 7 seraient toutes alignées sur les valeurs les plus basses imposées par les standards Euro 6, qui actuellement fixent des limites d'émissions différentes selon le carburant utilisé. Par conséquent, la Commission européenne propose d'appliquer un principe de neutralité entre les moteurs à essence et diesel.
En ce qui concerne les véhicules lourds neufs, les normes seraient nettement rendues plus exigeantes par rapport à celles d'Euro VI. Les émissions devraient ainsi être réduites de 56 % à la suite de l'application de la nouvelle norme.
La Commission prévoit aussi de réglementer les émissions de particules polluantes liées aux systèmes de freinage et aux rejets de microplastiques issus de l'abrasion des pneus. Les normes applicables concerneront non seulement les véhicules thermiques, mais également les véhicules électriques.
Les dispositions du texte tendent à élargir l'éventail des conditions d'usage couvertes par les tests d'émissions sur route dans lesquelles les véhicules devront être conformes aux normes Euro 7. Par ailleurs, cette conformité devrait être assurée sur une période plus longue, à savoir 200 000 kilomètres ou dix ans d'utilisation au lieu de 100 000 kilomètres ou cinq ans pour les véhicules légers actuellement. Des exigences similaires seraient également prévues pour les véhicules lourds.
Il s'agit également d'établir des prescriptions en matière de durabilité des batteries des véhicules électriques et hybrides. La performance de la batterie devrait être de 80 % durant cinq ans ou 100 000 kilomètres.
Il est prévu que ces nouvelles règles s'appliquent à partir du 1er juillet 2025 pour les véhicules légers neufs et à compter du 1er juillet 2027 pour les véhicules lourds neufs.
Ce texte doit permettre de répondre à l'objectif zéro émission nette de l'Union européenne, inscrit dans le Pacte vert pour l'Europe. Je rappelle que dans cette perspective l'Union a déjà acté la fin de la mise sur le marché des véhicules légers à moteur thermique neufs à l'horizon de 2050. Le règlement européen correspondant a été publié le 19 avril dernier au Journal officiel de l'Union européenne.
La présentation de cette proposition par la Commission européenne intervient dans le contexte où l'Union européenne a déjà franchi un grand pas dans le sens de l'électrification du parc automobile en Europe. Anticipant cette décision finale, les constructeurs automobiles français et européens se sont déjà engagés dans cette voie en recentrant leurs efforts de recherche et de développement sur les technologies propres.
Par conséquent, est-il pertinent de renforcer des normes antipollution applicables aux véhicules à moteur à combustion, dont la fin de la commercialisation est prévue d'ici une dizaine d'années ?
Il nous semble essentiel de considérer cette nouvelle réglementation Euro 7 proposée par la Commission européenne à l'aune des deux objectifs de décarbonation des chaînes de production d'une part, d'affirmation de la souveraineté industrielle européenne d'autre part.
Enfin, dans la résolution que le Sénat a adoptée le 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », nous avons fait valoir qu'il est nécessaire de stabiliser les normes européennes pour les entreprises, afin qu'elles disposent de perspectives claires, ce qui leur permettrait d'investir en faveur de la transition énergétique et climatique.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - La lutte contre la pollution atmosphérique résultant du trafic routier doit demeurer une priorité des politiques publiques environnementales. À ce titre, le remplacement des véhicules anciens par des véhicules propres fabriqués en Europe est indispensable. Aussi, il est essentiel de disposer d'un tissu industriel européen qui offre une large gamme de véhicules accessibles au plus grand nombre, notamment aux ménages les plus modestes.
Ce secteur est en effet soumis à une forte concurrence internationale. La Chine a une avance de plusieurs années dans la fabrication de véhicules électriques. Leurs tarifs sont plus compétitifs que ceux des constructeurs européens, en particulier pour les véhicules d'entrée de gamme.
Mise en place à partir de 1988 pour les véhicules lourds neufs, puis à partir de 1993 pour les moteurs diesel, la norme Euro a été mise à jour à intervalle régulier. Les seuils d'émissions de polluants atmosphériques fixés sont de plus en plus exigeants pour les constructeurs automobiles. Sont actuellement en vigueur les normes Euro 6d Full pour les véhicules légers neufs et Euro VI pour les camions et les bus urbains neufs.
Cette réglementation impose, à ce jour, des limites d'émissions à l'échappement pour les oxydes d'azote, le monoxyde de carbone, les hydrocarbures et les particules fines. Entre 2000 et 2014, les plafonds d'émissions des véhicules à moteur diesel ont été réduits de 84 % pour les oxydes d'azote et de plus de 96 % pour les particules fines. Quant aux poids lourds, les valeurs limites ont été abaissées de plus de 97 % depuis l'entrée en vigueur de la norme Euro.
À partir de leur adoption au début des années 1990, puis sous l'effet leur renforcement successif, les normes européennes en matière de pollution à l'échappement, notamment les dernières normes Euro 5, Euro 6 et Euro VI, ont permis de réduire considérablement les quantités de polluants émis par le parc automobile.
Cette réglementation a ainsi eu un effet notable sur la qualité de l'air ambiant qui constitue un enjeu majeur pour la santé et l'environnement. Une étude de l'Agence européenne pour l'environnement fait d'ailleurs état d'une réduction du nombre de décès prématurés attribués à l'exposition aux particules fines de 45 % entre 2005 et 2020.
Il reste bien sûr des progrès à réaliser, les populations européennes étant encore exposées à des niveaux de pollution atmosphérique jugés nocifs, notamment au regard des recommandations formulées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Le transport routier est en effet l'une des principales sources de pollution atmosphérique, en particulier dans les espaces urbains.
L'Union européenne s'est également fixé de nouveaux objectifs en matière de réduction des émissions de CO2 pour parvenir à la neutralité carbone à l'horizon de 2050. Ils concernent les véhicules légers et les camions et les bus urbains neufs. La proposition de règlement pour ces derniers véhicules a été présentée le 14 février dernier.
C'est un enjeu majeur pour la filière automobile en Europe, qui a besoin de se préparer à cette nouvelle réglementation dans le cadre de ses politiques de développement et d'investissement. La transformation en profondeur du secteur automobile dans le cadre de la transition climatique contribuera incontestablement à l'amélioration de la qualité de l'air ambiant.
Cette transition technologique est déjà perceptible. Les constructeurs automobiles et leurs clients s'adaptent progressivement à ces évolutions. Même si le nombre de véhicules électriques reste encore limité au sein de l'Union européenne, la vente de véhicules neufs progresse. Leur part de marché est ainsi passée, en quelques années, de 1,3 % en 2018, à plus de 12 % en février 2023. Selon les constructeurs européens, les véhicules électriques devraient représenter 50 % de parts de marché en 2030.
En revanche, le parc automobile français et européen continue de vieillir. L'âge moyen d'une voiture particulière avoisine 12 ans en Europe. Il s'élève à un peu plus de 14 ans pour les camions et presque 13 ans pour les autobus, avec de fortes disparités selon les États membres.
Tel est le contexte dans lequel s'inscrivent les nouvelles exigences proposées par la Commission européenne en matière de limites d'émissions de polluants atmosphériques, dont certaines ne devraient s'appliquer que pour une période transitoire.
Il ne nous semble pas pertinent de renforcer les normes à l'échappement pour les véhicules légers et les bus urbains à moteur thermique neufs, dont la mise sur le marché européen devrait prendre fin respectivement en 2035 et 2030, mais cela dépend des négociations à l'échelon européen.
Les constructeurs automobiles devraient en effet réaliser des investissements importants et coûteux pour des technologies qui ne s'appliqueraient que pour une période très limitée et pour des gains additionnels de baisse des émissions de polluants dans l'air très relatifs. C'est notamment le cas des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers.
Selon les estimations de la Commission, l'entrée en vigueur de la norme Euro 7 aurait pour effet d'augmenter de 90 euros à 150 euros le prix d'un véhicule léger et de 2 700 euros celui d'un véhicule lourd. Or lors des auditions, les constructeurs automobiles ont avancé des montants compris entre 400 euros et 1 500 euros par véhicule léger, avec un effet plus important pour les véhicules d'entrée de gamme. Le montant du surcoût se situe probablement entre les deux estimations, sachant que celle de la Commission européenne serait sous-évaluée, selon les autorités françaises. Il est vrai que la Commission considère que les technologiques nécessaires à l'application des normes Euro 7 sont déjà existantes et rentables, ce que contestent les constructeurs automobiles.
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Cet enjeu tarifaire est encore plus aigu pour les véhicules d'entrée de gamme. L'augmentation de leur prix de vente pourrait être proportionnellement très importante ; or ils répondent aux besoins de la plus grande partie de la population.
En outre, les véhicules haut de gamme disposent souvent de filtres à particules déjà plus performants que la réglementation actuelle. Le surcoût serait, de toute façon, plus absorbable à ce niveau de prix. Le risque est que ces nouvelles exigences freinent le renouvellement du parc automobile européen et contribuent à la poursuite de la tendance à l'allongement de l'âge moyen des véhicules. Par conséquent, il nous paraît préférable d'encourager plutôt l'achat de véhicules neufs de catégorie Euro 6d que de véhicules guère plus performants au regard du taux d'émissions de polluants dans l'air mais sans doute plus coûteux.
Il faut rappeler aussi que les progrès les plus importants en matière de réduction des émissions de polluants ont déjà été réalisés. Selon une récente étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les véhicules thermiques neufs n'émettent quasiment plus de particules à l'échappement. Par ailleurs, l'entrée en vigueur de la dernière étape de la norme Euro 6d pour les voitures et les camionnettes est prévue en 2025.
C'est pourquoi nous considérons qu'il est peu opportun d'imposer aux constructeurs automobiles de nouvelles normes en matière d'émissions de polluants atmosphériques à l'échappement pour les voitures particulières et les camionnettes ainsi que pour les bus urbains, qui nécessiteraient de nouvelles mises au point technologiques, n'ayant vocation à être mis en service que pour une période transitoire.
Nous jugeons qu'il serait plus judicieux de soutenir les investissements orientés vers la réduction des émissions de CO2, les véhicules électriques contribuant aussi à l'amélioration de la qualité de l'air ambiant.
En revanche, la proposition de la Commission européenne de fixer des normes plus strictes pour les poids lourds neufs semble justifiée, compte tenu de la difficulté, pour l'instant, de disposer sur ce segment de véhicules d'une motorisation alternative fiable n'émettant pas de dioxyde de carbone.
De même, il nous paraît important d'établir une réglementation des émissions de particules émises par les systèmes de freinage et par l'usure des pneumatiques pour l'ensemble des véhicules, y compris électriques. Ces émissions représentent désormais plus de la moitié des particules liées au trafic routier. Elles se révèlent plus nocives que celles qui sont émises à l'échappement. Cette réglementation proposée par la Commission européenne constituerait donc une avancée en matière de lutte contre la pollution de l'air ambiant, en particulier dans les zones urbaines.
Par ailleurs, l'extension des modalités de réalisation des tests d'homologation des émissions de polluants atmosphériques, pour vérifier la conformité des véhicules à la norme Euro 7, en conditions de conduite réelles, revient à durcir la réglementation actuelle sans l'afficher expressément. En effet, les tests devraient désormais vérifier que les véhicules ne dépassent pas les plafonds d'émissions imposés dans des conditions de conduite étendues, par exemple en cas de températures très élevées ou en haute altitude. Or la norme Euro 6d couvre déjà 95 % des usages si l'on se réfère à des critères de température, d'altitude, d'accélération, ou de dynamique de conduite des utilisateurs. La norme Euro 7 aurait pour objet les conditions de conduite extrêmes, qui ne sont quasiment jamais rencontrées par les automobilistes. Cela nécessiterait des mises au point techniques, dont le coût se répercuterait sur les tarifs de ventes des véhicules.
Enfin, le calendrier d'entrée en vigueur de ces nouvelles normes semble particulièrement ambitieux, voire irréaliste, sur le plan technique, selon les représentants des constructeurs automobiles que nous avons auditionnés. En effet, compte tenu du délai d'adoption du texte européen, dont le début des trilogues n'est pas attendu avant les premiers mois de l'année 2024, la filière automobile ne disposerait en réalité que d'une année, dans le meilleur des cas, pour se conformer à la nouvelle réglementation, sachant que des actes délégués et d'exécution doivent aussi définir les éléments techniques complémentaires. Le calendrier semble également serré en ce qui concerne les véhicules lourds. Selon les constructeurs, un délai d'au moins trois ans est nécessaire dès lors que les éléments techniques sont définis par la Commission européenne.
En outre, il convient de souligner que tout décalage de l'entrée en vigueur de ces nouvelles règles conduirait à se rapprocher de l'échéance de 2035, ce qui impliquerait de réaliser des investissements coûteux pour une durée de mise en application relativement courte.
Nous considérons qu'il est nécessaire de toute façon d'envisager un report de la date d'entrée en vigueur du règlement, afin de donner le temps aux constructeurs automobiles de développer ces nouvelles technologies et aux services techniques des autorités nationales de procéder aux différentes vérifications et homologations.
Telles sont les observations que nous avons souhaité faire sur cette proposition de règlement visant à renforcer et à étendre les normes antipollution actuellement en vigueur. Elles sont rassemblées dans la proposition de résolution européenne et dans l'avis politique que nous vous soumettons. Nous plaidons en faveur d'un équilibre entre les bénéfices environnementaux attendus et les impacts socio-économiques des dispositions présentées par la Commission européenne.
M. Pierre Cuypers. - J'ai bien compris que seuls les véhicules neufs étaient concernés par ce texte, mais est-ce que les propriétaires de véhicules se verront imposer d'en changer ?
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Non, chacun pourra garder son véhicule jusqu'à ce qu'il ne passe plus le contrôle technique, sauf si les normes antipollution sont durcies.
Le véhicule restera en circulation aussi longtemps que ce dernier respecte les règles en la matière.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - N'oublions pas celles qui sont en vigueur dans les zones à faibles émissions (ZFE).
M. Pierre Cuypers. - De telles règles sont contraignantes pour les véhicules utilitaires ayant un kilométrage peu élevé, alors qu'ils sont indispensables, notamment pour livrer le marché de Rungis.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Il semble incohérent de demander aux constructeurs d'investir davantage dans un temps restreint. La nouvelle norme Euro 7 risque de freiner le renouvellement du parc automobile.
Par ailleurs, le passage au véhicule électrique soulève des difficultés pour les personnes qui vivent dans les territoires ruraux.
M. Jacques Fernique. - La réticence des constructeurs automobiles aux normes environnementales n'est pas nouvelle. Nous entendons à chaque fois les mêmes arguments, qui, parfois, ne sont pas infondés, je vous le concède.
Premièrement, les constructeurs avancent que les exigences de l'Union en matière de pollution atmosphérique rendraient les véhicules trop chers pour les automobilistes ordinaires, alors même qu'ils privilégient la vente de véhicules haut de gamme, moins nombreux et plus chers. J'y vois là un double discours... Du reste, selon la Fédération européenne pour le transport et l'environnement, le surcoût de recettes pour les véhicules particuliers ne dépasserait pas 150 euros par voiture.
Deuxièmement, ils affirment que l'interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique en 2035 rend inutile la mise en place de nouvelles normes en la matière. Pour autant, la durée de vie d'un véhicule particulier est de douze ans à peu près. Ainsi, l'échéance de 2035 ne permettra pas de remplacer les moteurs thermiques du parc automobile avant 2047. Du reste, on voit mal comment notre parc automobile pourra atteindre la neutralité carbone en 2050 !
Le texte présenté par la Commission n'est ni très ambitieux ni strict à l'égard des constructeurs automobiles, mais il est le fruit d'un compromis. Aussi, je ne partage pas l'esprit de cette proposition de résolution européenne.
M. Dominique de Legge, rapporteur. - Pour réussir la transition énergétique, il faut de la stabilité et de la lisibilité.
Il est souhaitable d'appliquer les nouvelles normes applicables à l'usure des freins et aux pneumatiques dès aujourd'hui pour les véhicules qui entreront sur le marché demain - ils seront tous dotés de freins ! -, car elles auront des effets visibles sur la durée.
En revanche, imposer une nouvelle norme sur des véhicules qui ne seront plus en vente à partir de 2035 ne nous semble pas très pertinent d'un point de vue économique.
À force de vouloir des exigences supérieures pour des gains minimes, je crains que nous ne découragions les usagers.
Dans un contexte de baisse du pouvoir d'achat, un surcoût de 150 euros ou 300 euros n'est pas anodin, surtout si le gain environnemental est minime. Autant il faut faire un effort pour les freins, autant il faut en rester à ce qui a été décidé pour le reste.
M. Pierre Cuypers. - Les industriels parlent non pas de la fin du moteur thermique à partir de 2035, mais de la mise au point du moteur thermique avec du carburant décarboné ; soyons prudents dans le choix des termes !
Il y aura toujours un moteur thermique, mais il fonctionnera autrement.
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - La première source de pollution des véhicules résulte des émissions de CO2. Il est prévu de les diminuer de 15 % par rapport au niveau de 2021, de 55 % en 2030 et de 100 % en 2035.
Il y a cependant des exceptions. L'amendement Bugatti : les véhicules commercialisés à moins de 1 000 exemplaires ne seront pas concernés ; l'amendement Ferrari : pour les véhicules commercialisés à moins de 10 000 exemplaires l'interdiction s'appliquera en 2036 ; l'amendement Porsche : l'interdiction ne s'appliquera pas aux véhicules utilisant un e-carburant.
La deuxième est liée aux particules fines engendrées par les plaquettes de frein et l'abrasion des pneus. Cela concerne tous les véhicules. Les pilotes de courses sont les plus concernés par ce problème.
La troisième, c'est l'oxyde d'azote. Il s'agit de passer de 80 grammes au kilomètre à 60 grammes, ce qui suppose de franchir un palier technologique. Certains constructeurs avancent que cette norme augmentera le coût des véhicules bas de gamme et ne permettra pas de renouveler le parc, ce qui témoigne de la guerre commerciale à l'oeuvre.
La commission adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Proposition de résolution européenne n° 627, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Désignation de rapporteures
La commission désigne Mme Gisèle Jourda et Mme Marta de Cidrac rapporteures sur la proposition de résolution européenne n° 627 (2022-2023), déposée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur la gestion des déchets dans les outre-mer.
La réunion est close à 14 h 45.