- Mercredi 24 mai 2023
- Audition de M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation
- Loi de programmation militaire - Groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport d'information
- Loi de programmation militaire - Programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » (action 2 : Coordination de la sécurité et de la défense, SGDSN, Cyberdéfense) - Examen du rapport d'information du groupe de travail
Mercredi 24 mai 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation
M. Christian Cambon, président. - Mes chers Collègues, nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui M. Éric Trappier, Président-Directeur général de Dassault Aviation. Je vous remercie d'avoir accepté cette audition sur le projet de loi de programmation militaire (LPM) que nous examinerons dans trois semaines en commission. Il fait d'ores et déjà l'objet d'un travail approfondi de la part des collègues qui m'assistent dans ma tâche de rapporteur.
Après l'audition de la semaine dernière, qui réunissait les trois groupements représentatifs des industries de défense (GIFAS, GICAT et GICAN), nous avons souhaité vous entendre pour que vous puissiez exprimer votre opinion d'industriel sur ce projet de texte.
En effet, nous avons été sensibles à l'annonce de l'effort de 413 milliards d'euros consentis en faveur de la loi de programmation militaire (LPM), mais de nombreux points nous interrogent, sur lesquels vos éclairages nous seront d'autant plus utiles que nous avons eu par le passé l'occasion d'apprécier votre franchise et le recul stratégique de vos analyses.
Un effort substantiel est donc prévu en matière d'équipements : 268 milliards d'euros sont programmés sur la période 2024-2030, contre 172 milliards d'euros sur la période précédente. Et pourtant, des étalements de programme sont prévus. En particulier - et cela vous concerne directement - il est prévu que la cible de Rafales de l'armée de l'air à l'horizon 2030 passe de 185 à 137 appareils. D'après le ministre, ces étalements visent à privilégier la cohérence sur la masse, c'est-à-dire à consentir une progression moins rapide du nombre de certains équipements au profit d'une amélioration de leur disponibilité. Quelle analyse faites-vous de cette idée ? Et quelles conséquences ces étalements auront-ils sur votre entreprise, et sur nos forces ?
Par ailleurs, l'inflation fait peser une incertitude sur la portée de l'effort consenti. Je rappelle que sur les 413 milliards d'euros, ce sont près de 30 milliards d'euros qui disparaîtraient du fait de l'inflation. Diverses mesures sont envisagées par le ministère des armées pour en limiter les effets, en particulier la hausse du report de charge. Nous regardons avec une certaine méfiance le retour de la fameuse « bosse » que la LPM « Parly » s'était justement efforcée de gommer. Comme industriel, quelle est votre opinion sur cette augmentation attendue du report de charges ? Ce procédé est-il soutenable ?
S'agissant des modalités de financement de certains programmes majeurs, en particulier du porte-avions de nouvelle génération (PANG), nous avons appris que les industriels étaient appelés à financer sur leur trésorerie une partie du coût de leur développement. On entend parler d'un financement à hauteur d'un milliard. Nous souhaiterions savoir si des mécanismes de ce type ont été prévus pour le domaine aérien et, dans l'affirmative, si ceux-ci résultent bien d'un accord « équilibré » avec l'État.
Plus généralement, nous avons interrogé les groupements de la base industrielle et technologique de défense (BITD) la semaine passée sur l'affirmation du ministre que l'étalement des programmes s'expliquait aussi par l'impossibilité, pour notre BITD, de produire à des cadences plus élevées. Qu'en est-il pour Dassault, en particulier dans un contexte de remarquables succès à l'export ? Pourriez-vous produire plus, si l'État vous le demandait pendant la prochaine LPM ? Et cela aurait-il une incidence sur les coûts unitaires des avions ?
Nous nous posons également la question des 13 milliards de recettes extra-budgétaires qui doivent permettre d'équilibrer le financement de la prochaine LPM. On comprend qu'il faudrait ajouter les ventes de fréquences, les recettes du service de santé, les produits de cessions immobilières. Mais le président de la République aurait demandé des efforts aux industriels sur les programmes déjà engagés. Avez-vous déjà consenti des réductions sur les commandes déjà passées ?
Il nous serait enfin utile que vous fassiez un point sur l'état d'avancement du système de combat aérien du futur (SCAF). Notre commission suit attentivement ce programme mené en coopération avec l'Allemagne et l'Espagne. Nous vous avions du reste entendu spécifiquement sur ce sujet dans un moment de blocage. Airbus et Dassault sont parvenus à un accord sur la phase 1B en fin d'année dernière. Vous pourrez nous présenter les avancées de cette phase, les étapes à venir et les éventuels sujets en suspens, je pense par exemple aux questions relatives à l'exportation du futur avion.
Je rappelle d'ailleurs que nous aurons une réunion de la plus haute importance avec nos collègues du Bundestag le 1er juin prochain sur ces sujets.
M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation. - Je voudrais d'abord, puisque j'ai la chance d'être face à une commission qui s'occupe à la fois de défense et d'affaires étrangères - ce n'est pas totalement sans lien - vous donner mon impression générale. Nous sommes sortis du monde bipolaire d'avant la chute du mur, puis du monde unifié dans la paix. On a maintenant un monde qui est loin d'être bipolaire. D'un côté, il y a les Américains avec leurs alliés, dont nous faisons partie. Mais dans le reste du monde, que je sillonne assez souvent, il n'y a pas un bloc russe ou chinois, il y a des gens qui ne veulent ni un alignement sur les Américains, ni un alignement sur les Russes. En réalité, ces gens sont assez nombreux sur terre ! Il y a bien sûr l'Inde, qui cherche à être « non alignée » : c'est le mot le plus adéquat même si ce n'est pas le non-alignement d'il y a 50, 60 ou 70 ans, car ni la guerre ni la période ne sont les mêmes. Il y a par ailleurs une partie des pays d'Asie qui ne veulent pas être instrumentalisés dans un potentiel conflit entre les Américains et la Chine. Ils cherchent des voies intermédiaires. Il y a aussi une grande partie, voire la totalité de l'Amérique du Sud, ce qui est pas rien non plus. Il y a une grande partie de l'Afrique. Certains s'alignent sur les Russes, mais d'autres ne sont pas alignés.
Par ailleurs, j'entends souvent dire que les industriels de l'armement français tirent profit de la guerre en Ukraine. En ce qui me concerne, Dassault n'en tire aucun profit. Seuls les États-Unis d'Amérique le font. Toutes les annonces, tous les contrats relatifs aux avions de combat en témoignent : la Tchécoslovaquie a exprimé très récemment la volonté d'acheter des F-35, tout comme la Suisse, la Finlande. Je ne crois pas que la Pologne ait appelé à acheter des avions européens ; même des avions coréens sont évoqués. Donc ces propos que l'on entend à la radio ou à la télé sont faux. En réalité, ils viennent surtout de certaines organisations non-gouvernementales (ONG). Les choses sont différentes avec la Grèce, mais c'est davantage lié à problématique turque. Heureusement, la Croatie vient vers la France sur ce sujet.
Ces pays qui ne sont pas alignés voient encore dans la France - je dis bien dans la France, pas l'Europe - une position un petit peu modulée par rapport à l'alignement systématique et fort sur les Américains. Ils viennent chercher la capacité opérationnelle, et le Rafale est reconnu pour cela, et des accords stratégiques avec la France, qui offre cette singularité d'être dans le camp occidental mais avec une voix particulière, comme on a pu le voir il y a quelques décennies avec la politique du général de Gaulle. Cela nous favorise, indépendamment de la guerre en Ukraine. C'était déjà vrai avant, d'ailleurs les grands contrats qu'on a pu passer à l'exportation se sont faits avant la guerre en Ukraine, au Moyen-Orient : les contrats avec l'Égypte, le Qatar et le gros contrat avec les Émirats arabes unis relèvent de cette volonté d'être un peu plus indépendant des Américains. Quant à l'Inde et l'Indonésie : le président de la République s'intéresse aussi beaucoup à cette partie du monde, ce qui n'est pas un hasard, ces pays ne voulant pas non plus être instrumentalisés.
Je voulais commencer par ces propos pour rappeler que nous évoluons main dans la main avec le pouvoir exécutif. D'abord parce que, je le rappelle, l'exportation de matériel de guerre est interdite sauf autorisation. C'est bien dans cette logique que nous opérons à l'étranger, sous couvert de l'État.
Pour revenir à la LPM, nos forces sont mises à contribution non pas directement mais en bordure de la guerre en Ukraine. Notre priorité a donc été d'être actifs dans le domaine du soutien opérationnel. La verticalisation du soutien est primordiale : elle se fait sur le Rafale depuis déjà de nombreuses années et porte progressivement ses fruits. Les disponibilités contractuelles ont augmenté. Nous sommes capables de mieux piloter l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. La disponibilité opérationnelle diffère de la disponibilité contractuelle car des avions sont en retrofit, il peut manquer des pièces de rechange, etc. La disponibilité contractuelle est du même ordre de grandeur en France que dans les autres pays du monde où nous opérons : pour un Mirage 2000, par exemple, cette disponibilité contractuelle est de l'ordre de 90 %. Il en est de même pour le Rafale. Les efforts en matière de soutien seront importants pour remonter en puissance mais je ne pense pas que l'on puisse gagner encore beaucoup sur ce poste.
L'entreprise Dassault Aviation est concernée par deux grands volets de la LPM : le Rafale et la surveillance maritime. Dans ce dernier domaine, nous poursuivons la modernisation de l'Atlantique 2. La LPM programme la livraison de trois avions de renseignement et de guerre électronique Archange. La livraison des avions de surveillance maritime, à base de Falcon 2000, y figure également, selon un calendrier à confirmer.
Vous l'avez mentionné, Monsieur le Président, la cible pour les Rafale est fixée à 137. Nous sommes en train de livrer la tranche dite 4T2, qui a été longtemps bloquée. Je tiens à rappeler que ce décalage n'est pas une conséquence de l'export mais le résultat d'une décision exclusivement budgétaire. Ce retard de livraison, décidé par le Gouvernement et accepté par le Parlement, nous conduit à la situation actuelle. Comme 12 avions ont été pris sur le stock français au bénéfice de la Grèce, une commande complémentaire a été effectuée : 12 appareils seront livrés à ce titre, et 28 au titre de la 4T2, soit en tout 40 avions. Un premier avion a été livré, conformément au contrat, en fin d'année dernière. Nous livrerons ensuite 13 avions cette année, puis 13 en 2024, 12 en 2025 et 1 en 2026, ce qui viendra clôturer notre carnet de commande actuel pour la France.
Une nouvelle commande de 42 avions doit intervenir en 2023, soit 30 avions prévus de très longue date et 12 avions pour compenser les appareils d'occasion vendus à la Croatie et pris sur les stocks de l'armée de l'air française. Les échéances de livraison de ces 42 avions sont en cours de discussion. Les appareils arriveront pour l'essentiel à partir de 2029 mais quelques unités pourraient être livrées un peu plus tôt, en 2027 et 2028.
Pour répondre à l'une de vos questions : oui, nous pourrions livrer plus tôt ! Nous avons augmenté la capacité des chaînes de fabrication du Rafale, en passant de moins d'un appareil à trois appareils par mois. Nous aurions préféré qu'un lissage ait lieu lorsque la charge de travail était très basse, il y a deux ou trois ans. Aujourd'hui la charge augmente, d'une part grâce à l'export, et d'autre part, grâce aux commandes françaises à hauteur d'un appareil par mois. Mais nous serions capables d'augmenter la production, à condition de disposer d'un délai. En effet, nos sous-traitants souffrent beaucoup. Il y a des montées en charge dans tous les secteurs de l'industrie. Les petites et moyennes entreprises (PME) ont du mal à recruter. Je rappelle que le Rafale fait vivre plus de 400 entreprises réparties sur tout le territoire français. Ces entreprises sont confrontées à un certain nombre de difficultés, dont l'augmentation du prix de l'énergie. Néanmoins, à condition de le prévoir à l'avance, nous serions capables de monter en charge.
En parallèle de la production, nous travaillons également sur la question du développement. L'État poursuit son effort de modernisation du Rafale. Le Rafale est resté à la pointe des capacités opérationnelles en tirant profit des retours d'expérience des armées françaises et étrangères. Nous modernisons le Rafale par la conception de standards successifs. Le standard 4 est en cours de développement, le standard 5 sera défini pendant la période couverte par cette LPM et il sera compatible avec la composante nucléaire aéroportée qui sera renouvelée. Nous développerons également un avion de patrouille maritime à partir d'un Falcon 10X. Ces deux composantes de production et de développement résument l'implication de Dassault Aviation dans la loi de programmation militaire, auxquelles il faut ajouter un certain nombre d'études en amont.
Vous avez évoqué le programme SCAF pour lequel nous nous trouvons dans la phase 1B qui a démarré en début d'année avec nos partenaires allemands et espagnols, en particulier pour ce qui concerne le pilier 1 « avion ». Nos activités de développement sur ce projet sont concentrées à Saint-Cloud dans notre bureau d'études où nous accueillons des équipes partenaires. Notre travail sur le pilier 1 est réalisé en parallèle avec le pilier 0 du programme SCAF qui recouvre le travail réalisé en commun par les trois pays partenaires pour déterminer les besoins opérationnels après 2040. Notre travail sur les technologies est en adéquation avec les simulations réalisées par les militaires sur leurs besoins opérationnels dans le cadre du pilier 0. Je ne reviens pas sur les autres piliers du programme qui sont pris en charge prioritairement par d'autres acteurs.
Notre objectif est de faire voler un démonstrateur, qui ne pourra être construit qu'après la passation d'un nouveau contrat correspondant à la phase 2. À l'inverse, dans le cas du projet du nEUROn, pour lequel six pays étaient impliqués c'est-à-dire un nombre important de sociétés, un seul contrat couvrait toute l'activité depuis la décision de lancer le projet jusqu'à la campagne d'essais en vol. La renégociation régulière de nouveaux contrats dans le cadre du SCAF nous expose à des discussions fréquentes avec nos partenaires qui eux-mêmes doivent fréquemment négocier avec leur Parlement.
Je suis très confiant sur notre capacité à développer en commun un démonstrateur. Nous ne sommes pas encore entrés dans la phase qui consistera à développer en commun un programme capacitaire et opérationnel. Étant donné la vitesse actuelle de progression du programme, le passage à un programme capacitaire se fera largement après 2040 ce qui justifie l'importance de continuer à moderniser le Rafale pour qu'il continue à être opérationnel entre 2030 et au moins 2050.
Sur l'Europe, nous avons obtenu des commandes de la part de la Commission européenne à travers le Fonds européen de défense (FED). La passation de contrat avec l'Union européenne est particulièrement complexe. Nous avons obtenu des subventions, toutefois l'Union européenne ne couvre pas toutes les dépenses des industriels qui doivent financer une partie des programmes concernés ce qui constitue une asymétrie avec les entreprises de défense américaines qui bénéficie d'une couverture totale de leurs dépenses par l'État fédéral. Par surcroît, les fonds européens bénéficient dans certains cas aux entreprises américaines plutôt qu'aux entreprises européennes ce qui soulève certaines questions sur l'usage de l'argent public en Europe. Nous sommes satisfaits des aides que nous a octroyées le FED et nous soutenons les initiatives européennes lorsqu'elles sont positives.
Sur la taxonomie, je rappelle que si en Europe la stigmatisation des industries de défense a été mise de côté, il n'en reste pas moins qu'à Bruxelles et au Parlement européen en particulier de nombreux discours critiquent l'industrie de défense. Ce type de discours profite aux Américains ou à nos ennemis. Nous devons collectivement défendre l'idée que financer l'industrie de défense européenne est une bonne chose au regard du contexte actuel. Il est préférable que les armes soient dans les mains des démocrates plutôt que dans celles des dictateurs, et nous nous conformons sur ce point au contrôle de l'État sur les partenaires auprès de qui nous exportons des armes.
M. Cédric Perrin. - Vous avez évoqué la question des cadences et des calendriers. Pourriez-vous préciser le calendrier de mise en oeuvre du nouveau standard F5 du Rafale ? Comment se positionne, dans ce dispositif, le drone nEUROn, qui fut une belle opération depuis le début des années 2000 ? Que faut-il penser de l'amendement à la LPM présenté par le ministre des armées à l'Assemblée nationale sur le standard F5 ? Comment sera-t-il financé ?
Pouvez-vous aller au-delà de trois appareils par mois, compte tenu des contraintes en matière de fourniture de matières premières ? Vous avez évoqué la question des ressources humaines mais qu'en est-il de la chaîne des matières premières ? Nous serions intéressés par vos commentaires sur les dispositifs proposés par la LPM en matière de stocks et les sanctions associées.
Malgré le recul sur les Rafale Air, le ministère des armées entend progresser sur la voie d'une économie de guerre. Comment l'entreprise Dassault a-t-elle été associée au dialogue engagé ? Vos relations avec le ministère et la DGA ont-elles changé ? Ce chantier est-il opérant ?
Enfin, avez-vous des commentaires sur le dispositif des réquisitions, et sur le contrôle des coûts, prévu à l'article 25 du projet de LPM, sur lequel les représentants de BITD que nous avons auditionnés la semaine dernière ont exprimé quelques réserves ?
J'ai été moi aussi surpris de la responsabilité que certains voudraient faire porter aux industriels s'agissant des étalements de programme, qui résulteraient de l'incapacité de l'industrie à répondre à la demande. Certains étalements ressemblent à des renoncements. Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je souhaiterais vous interroger sur deux sujets d'avenir, qui sont déjà des sujets d'actualité.
En premier lieu, la décarbonation est davantage mise en avant dans l'aéronautique civile, notamment par Airbus, que dans le domaine militaire. Investissez-vous dans ce domaine, sur une technologie ou sur une autre ? Est-ce une voie d'avenir y compris dans le domaine militaire, par souci d'indépendance énergétique ?
En deuxième lieu, s'agissant de l'intelligence artificielle, pensez-vous que la LPM soit suffisante ? Le développement de capacités respectivement terrestres, maritimes ou aériennes a tendance à occulter les domaines transversaux. Le cyber est bien pris en compte, à hauteur de 4 milliards d'euros, mais ne faudrait-il pas accélérer aussi sur l'intelligence artificielle ? Celle-ci doit-elle être développée au sein de programmes particuliers, comme le SCAF, ou de manière transversale, comme une brique technologique autonome ?
Enfin, le programme Tempest progresse. Est-il en train de prendre de l'avance sur le SCAF ? Tempest associe le Royaume-Uni, l'Italie, mais désormais aussi le Japon, dans le cadre du Global Combat Air Programme (GCAP). Des investissements importants sont réalisés dans ce cadre sur les briques technologiques. Une convergence avec le SCAF est-elle encore possible et souhaitable ?
M. Pascal Allizard - S'agissant du programme SCAF, beaucoup a été dit sur la dimension franco-allemande de ce projet, je pense qu'il faut souligner comme vous l'avez fait la participation de l'Espagne à ce programme.
Pourriez-vous nous faire un point sur la coopération avec ce pays dans le cadre de ce projet et nous rappeler ce qui a été confié à l'industrie espagnole, notamment à Indra Sistemas ?
Ma seconde question porte sur l'article 24 du projet de LPM qui prévoit la possibilité d'imposer à certains industriels la constitution de stocks de matériaux et de composants d'intérêt stratégique ainsi que la priorisation de la livraison de biens et services au bénéfice des armées. La semaine dernière, les représentants des groupements nous ont indiqué ne pas être opposés à ces dispositifs mais souhaiter être associés à leurs modalités de mise en oeuvre. Quel regard portez-vous sur cet article 24 ?
Des études sont actuellement en cours sur un futur avion de patrouille maritime, pourriez-vous nous donner des éléments sur l'état d'avancement de ce projet et sur l'existence de coopérations éventuelles avec des partenaires européens ?
M. Yannick Vaugrenard - À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a déposé un amendement au rapport annexé au projet de LPM précisant que le standard F5 du Rafale, dont il est précisé qu'il sera développé pendant cette programmation, comprendra notamment un drone accompagnateur issu des travaux du démonstrateur nEUROn. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce projet notamment sur le calendrier de conception de ce drone accompagnateur, son architecture et les missions qui pourraient lui être assignées ?
Mme Michelle Gréaume. - Le retrait de service annoncé des Super-Étendard acquis par l'Argentine en 2018, faute d'accès aux pièces de rechange permettant de les faire voler, pose la question de cette exportation, mais c'est ici sur la fourniture des pièces de rechange que je souhaite vous interroger.
Le maintien en vol d'aéronefs dont le retrait été décidé pose un défi logistique. Ces flottes vieillissantes, dont l'entretien programmé coûtera plus cher, dépendront de la disponibilité des pièces de rechange nécessaire. Les choix de la prochaine LPM de rallonger l'usage de certains équipements nous incite à nous demander si l'industriel concerné et en charge de la maintenance verticalisée sera bien en mesure de fournir les pièces de rechange nécessaires ? Des stocks de pièces de rechange doivent-ils être constitués ? À quelle hauteur ? Leur financement est-il bien prévu par la LPM ? Avez-vous en la matière des recommandations à formuler ?
La question de l'économie de guerre posée par la LPM me semble malheureusement éluder la problématique de mise à disposition exceptionnelle des « liasses », c'est-à-dire la documentation technique et certains droits de propriété intellectuelle propres à un aéronef. Nos visites sur place, ces derniers mois, dans les services de soutien nous ont pourtant montré que cette documentation et le temps qu'elle permettrait de gagner pourraient être déterminants. Quelle serait votre position dans ce domaine ?
Je vous pose également la question, préparée par mon collègue Olivier Cigolotti, co-rapporteur avec moi du Programme 178, sur la maintenance verticalisée. Depuis mai 2019, Dassault Aviation assure la maintenance, hors moteur, des Rafale dans le cadre du contrat RAVEL (Rafale verticalisé), et depuis août 2021, Safran est titulaire du marché BOLERO dédié à la maintenance des moteurs de Rafale. La maintenance a progressé au point que les sessions de Rafale à la Grèce n'ont pas eu de répercussions sur la disponibilité de la flotte en 2021. Comment les cessions à la Croatie puis à la Serbie vont-elles influencer les contrats de maintenance ?
Quelles sont les répercussions pour la maintenance verticalisée des choix de cohérence annoncés dans le cadre de la prochaine LPM ? Les flottes vont être réduites par rapport aux objectifs initiaux, pour respecter la cohérence avec d'autres facteurs, et sans doute en premier lieu avec les montants des crédits disponibles. Les flottes diminuent, changeant l'économie de la maintenance, la disponibilité va-t-elle en pâtir ? Comment les contrats de maintenance seront-ils adaptés pour prendre en compte la sur-utilisation et la sur-usure de la flotte réduite au nom de la cohérence ?
Ces facteurs que je viens d'énumérer font-ils craindre une explosion des coûts de maintenance ? Est-ce pour cela que la DGA est désormais annoncée comme devant être partie à la contractualisation de la maintenance verticalisée ? Quelle est l'appréciation de Dassault Aviation en la matière ?
Enfin, ma dernière question concerne le système d'information (SI) Brasidas. Synthèse de tous les SI existants, il serait indispensable à la mise en oeuvre de l'économie de guerre. Son développement et son déploiement sont-ils bien prévus dans la prochaine LPM ? Comment Dassault Aviation évalue l'impact de Brasidas sur la maintenance ?
M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation. - Commençons par le sujet de la mise au standard F5 du Rafale, qui a été l'objet de plusieurs interventions.
Dassault Aviation avait en tête un standard F5 à l'horizon 2032. La tendance va vers un léger décalage à 2035. La modernisation du Rafale sera donc post-LPM dans les deux cas. L'important est de voir qu'il y a une synchronisation entre l'arrivée de nouveaux types d'armements, dans le cadre de la composante nucléaire aéroportée, et le fait que l'avion lui-même doit évoluer avec son temps. Dit autrement, le Rafale devra renforcer son système d'armes en adéquation avec les retours opérationnels.
Le F5 sera la continuation du F4, indépendamment des armes dont je ne parle pas. La priorité dans le développement du F4 c'est le combat collaboratif. Il ne faut pas croire que le combat collaboratif commencera avec le SCAF. Certes, dans le cadre de la coopération future, on continue à développer tous ces concepts avec le Next generation fighter (NGF) en son centre. Toutefois, le combat collaboratif a déjà démarré et tout va être fait au titre du Rafale.
Le F5 sera la poursuite du combat collaboratif. Celui-ci se développe et existe déjà dans le F4, grâce à des architectures de communication définies en prenant en compte les problématiques du cyber. En effet, je vous rappelle que plus on est connecté et plus on est vulnérable. Or, il va falloir être plus connecté et moins vulnérable. C'est ça le grand enjeu des standards à venir.
Cette problématique est prise en compte dans le F4 qui comprendra des architectures résistantes aux cyberattaques. Je ne veux pas rentrer dans les détails, mais le calculateur qui est très proche de la mission sera toujours totalement indépendant, c'est le coeur du coeur. Il y aura aussi un certain nombre de calculateurs périphériques qui permettent au pilote d'avoir un peu plus d'informations, mais qui ne se connectent pas vers le coeur du coeur pour éviter les attaques cyber. Sachant que dans le domaine cyber, tout ceux qui affirment qu'il n'y aura pas de problème et qu'ils savent faire à 100 % sont des menteurs. C'est l'épée et le bouclier en période de guerre. Jamais le bouclier n'est sûr à 100 %. L'épée a toujours un avantage. Les attaquants cyber auront toujours un avantage. Donc il faut prévoir le fait qu'ils puissent entrer dans le système, mais faire en sorte qu'ils ne touchent pas le coeur. Ce concept fait partie des définitions d'architecture système que nous faisons, nous les constructeurs de grandes plateformes. Cela est d'ailleurs aussi le cas pour Naval Group.
Au plus tôt le standard F5 sera spécifié, au mieux on pourra le préparer, en complément de ce qu'on fait déjà dans F4. Si le F5 est prévu pour 2035, ce sera en 2035. Ce n'est pas moi qui décide, c'est l'État.
En ce qui concerne la suite du nEUROn, je rappelle que ce drone a été décidé en 2003. Il a été contractualisé quelques années après. Il a volé dans ses spécifications et même au-delà des performances qu'on nous avait imposées. Le nEUROn s'est fait en coopération et il est rentré dans son budget. De mémoire, je crois que c'est la seule coopération dont on peut dire qu'elle ait fonctionné, au sens à la fois du calendrier et du budget. D'autres coopérations ont sûrement fonctionné pour d'autres raisons, mais pas pour ces raisons-là. Je le dis donc très formellement, on peut réussir des coopérations pourvu que l'on prenne les bonnes règles et pourvu qu'il y ait des bons leaders.
Sur le nEUROn, le but était d'avoir un drone de combat. Je veux juste rappeler qu'il y a plusieurs sortent de drones. Il y a les petits drones, dont on entend beaucoup parler en Ukraine. Il y a les drones de surveillance, comme le Reaper que la France a acheté. Selon mon interprétation, ces drones sont efficaces dans un milieu où l'on contrôle le ciel. Si vous prenez l'engagement américain au-dessus de la Syrie et de l'Irak, les drones Reaper opèrent parce que le ciel est sous la main américaine et des alliés. Il n'y a pas d'ennemis qui tirent sur les drones Reaper. De même, ces systèmes sont efficaces en Afrique parce que leur mission consiste à traquer les terroristes dans leurs véhicules : il n'y a pas de chasseurs de combat qui viennent tirer sur les Reaper.
Or tous les drones de surveillance ont des ailes très longues, ils volent très lentement et sont donc des cibles de choix les premiers jours de la guerre. Rappelez-vous qu'en Géorgie tous les drones ont été abattus le premier jour. Il n'y avait plus de drone géorgien en moins de 24 heures, à cause de la chasse russe.
Ainsi, ces drones de surveillance interviennent efficacement dans un contexte très occidental, où on prend le contrôle du ciel. On l'a vu dans toutes les guerres, que ce soit en Irak en Libye : une fois l'espace aérien sous contrôle, les opérations terrestres débutent et les drones de surveillance interviennent.
L'Eurodrone entre dans cette catégorie. Je vous renvoie vers Airbus pour vous donner des informations sur le sujet. Nous ne sommes qu'un sous- traitant d'Airbus dans ce domaine-là.
Enfin, il y a les drones accompagnateurs ou les drones de combat. Il s'agit de drones qui vont opérer avec l'avion de combat, dans lequel se trouve physiquement un pilote. Là aussi, il peut y avoir une grande diversité de drones.
Il peut y avoir des petits drones accompagnateurs, ce qu'on appelle des remote carrrier en anglais. D'ailleurs, il y a des travaux là-dessus avec le SCAF, qui ont été confiés à Airbus.
Il peut également y avoir le drone de type nEUROn. Il s'agit quasiment d'un avion de combat qui opère en liaison avec le Rafale. En ce qui concerne la suite du nEUROn, notre idée est de poursuivre dans ce domaine des drones de combat. À ce stade, je ne sais rien vous dire de plus parce que c'est l'État qui a la main sur ce sujet. Nous sommes encore dans des phases d'études et rien n'est contractualisé, loin s'en faut.
Au sujet de la cadence de la fabrication du Rafale, je confirme que nous sommes passés à une cadence de 3 avions livrés par mois. S'il fallait passer en cadence de 4 avions, nous serions en mesure de le faire. Par exemple, dans notre usine à Lille qui s'occupe des pièces primaires, il suffit d'accélérer un peu les machines, mettre un peu plus de personnel, faire travailler un peu plus de sous-traitants et nous pouvons augmenter assez facilement les cadences. Le plus compliqué est l'assemblage final, car il faut des surfaces qu'il faut prévoir à l'avance. Mais rien n'est impossible. Nous avons de l'espace à Mérignac et nous savons y augmenter fortement les cadences également.
S'agissant de la matière première, nous arrivons à faire face. Nous disposons de systèmes informatiques, qui ont été développés aussi pour le civil d'ailleurs, qui permettent un approvisionnement organisé. Des commandes de matière première sont faites depuis longtemps. Nous avons des commandes de matières amont et nous avons aussi des stocks de matières premières. Nous ne demandons rien à l'État. Nous le faisons parce que nous savons bien que c'est plus long et plus difficile. Nous le faisons d'autant plus qu'avec l'arrivée de la guerre en Ukraine, les marchés se sont tendus. Nous achetons de la matière première en amont également pour nos sous-traitants, pour qui nous avons mis en place des centrales d'achat. En effet, il ne sert à rien de disposer de la matière première pour nous seuls, Dassault, si nos sous-traitants qui doivent nous livrer des pièces rencontrent des difficultés. Nous nous sommes organisés pour le faire. Si l'État veut nous payer des stocks, il n'y a pas de problème, nous serons d'accord.
Au sujet des sanctions, je sais que c'est le grand mot à la mode, mais je pense qu'il vaut mieux nous aider que de nous infliger des sanctions. Pour nous, la sanction est normale si on ne livre pas à temps. Il y a en effet des pénalités spécifiées dans les contrats, en fonction des retards, qui peuvent être justifiés ou non.
Le concept d'économie de guerre ne s'applique pas à nous. Je le dis très honnêtement, si je dois accélérer je sais accélérer. Toutefois l'État ne souhaite pas accélérer, pour des raisons budgétaires, dans le domaine des avions de combat. Je pense que l'économie de guerre s'applique surtout à des matériels qui ont été catégorisés, en particulier les munitions. C'est vrai que pour fabriquer des munitions, il faut augmenter les cadences terriblement.
En matière de contrôle des coûts, je rappelle nous sommes contrôlés en permanence. Vous avez des contrôles a priori, vous avez des contrôles a posteriori, vous avez des contrôles de tranches, vous avez des contrôles sur le développement... On a des contrôles tous les jours.
Je veux quand même dire que la profitabilité des entreprises américaines est grosso modo de 15 %. Outre-Atlantique, on considère que si vous êtes en dessous de 15 %, vous faites courir un risque à votre entreprise et donc à la défense américaine. Le jour où on aura cette logique en France, je peux vous dire qu'on aura fait des grands progrès. Le but n'est pas d'être à faible profitabilité. Le but est d'être efficace et à bonne profitabilité. Est-ce que l'État est plus efficace que l'industrie pour fabriquer ? Je vous laisse juge. Je pense qu'il est quand même remarquable d'avoir réussi à fabriquer un Rafale entièrement en France, à un prix qui est inférieur à celui d'un F-35 aujourd'hui, et cela alors que le F-35 est produit à quelques milliers d'exemplaires, tandis que le Rafale, qui est une réussite, n'est produit qu'à quelques centaines d'exemplaires avec des passages à cadences inférieures à zéro. Nous avons donc une capacité à produire en France au juste coût.
Abordons les questions de technologie. Au sujet de la décarbonation du secteur aérien civil pour 2050, la réponse reste avant tout dans les fiouls alternatifs. On pourrait croire que l'avion à hydrogène est une solution. Que ceux qui y croient mettent de l'argent dedans, mais ça ne sera pas mon cas.
La question est de savoir s'il faut décarboner le militaire. Si on arrêtait les guerres, on y gagnerait dans ce domaine. Mais malheureusement l'idée est plutôt d'essayer de les éviter. Pour cela, il faut être prêt, en se dotant d'avions de combat qui coûtent cher à développer et à fabriquer. Le but est qu'ils soient efficaces. Le sujet n'est donc pas la décarbonation et l'empreinte de CO2 des avions de combat. Peut-être pourront-ils utiliser du fioul alternatif un jour, dès lors que ça ne dégrade pas leurs performances. En effet, si pour des raisons de décarbonation vous dégradez la performance qui vous a coûté cher, il y a un problème de cohérence.
En ce qui concerne l'intelligence artificielle, nous y travaillons déjà dans le cas du Rafale sans attendre le SCAF, qui est à des horizons bien trop lointains.
Il faut être prudent avec le mot intelligence artificielle. Il ne faut pas la confondre avec les algorithmes. Dans le cas de l'intelligence artificielle, c'est la machine qui apprend, ce sont ce que l'on appelle des machine learning. Je ne pense pas qu'il faut avoir une totale capacité de conduire des opérations de guerre avec l'intelligence artificielle.
Par contre, compte tenu de la densité des données qui arrivent dans les centres de commandement ou même chez le pilote, il faut arriver à faire des tris de données, pour que le pilote reste en capacité d'agir efficacement. En effet, les pilotes sont très capables, mais le cerveau humain atteint des limites à partir d'un moment. Ainsi, l'intelligence artificielle peut être utilisée pour faire le tri.
Troisièmement, l'intelligence artificielle peut être intéressante pour les drones, quand la communication est brouillée ou coupée. Le drone doit alors être capable soit de continuer la mission, si l'homme l'a décidé en amont, soit de revenir à sa base de manière autonome. Nous avons effectué des simulations à Saint-Cloud qui ont été soumises à la direction générale de l'armement (DGA) et aux militaires, pour montrer l'intérêt de l'intelligence artificielle dans ce domaine. Je pense qu'il faut continuer à travailler sur ces algorithmes, mais en étant très prudent sur le fait que ce n'est pas la machine qui décide toute seule. Vous avez le devoir de l'expliquer à nos concitoyens pour qu'il n'y ait pas une peur d'un « Terminator » développé par les industriels.
Sur le SCAF et le Tempest, le jour où la Grande-Bretagne, fidèle alliée de l'Amérique, et le Japon, non moins fidèle allié de l'Amérique, feront un avion de combat concurrent des américains, ce jour-là effectivement je m'inquiéterai. À ce stade, j'ai peut-être tort, il faut être modeste dans ce domaine, mais je ne suis pas inquiet. L'alliance autour du SCAF me paraît beaucoup plus sérieuse que l'alliance autour du Tempest. Des briques existent, mais ces pays feront-ils vraiment un avion de combat concurrent de celui des Américains, concurrent du futur NGF ? Si oui, avec quel budget ? Les Anglais sont meilleurs que nous en communication, cela ne fait aucun doute. S'agissant d'une fusion entre SCAF et Tempest, je rappelle qu'il est déjà difficile de faire le SCAF à trois. Fusionner les deux projets supposerait de se reposer les mêmes questions : qui est leader ? Dans le cas du Tempest ce sont les Anglais, dans le cas du SCAF ce sont les Français. Vous avez d'un côté BAE systems, de l'autre Dassault. Cela me rappelle une époque où on travaillait sur un projet qui s'appelait déjà le SCAF, mais qui était franco-britannique. Des discussions avaient été engagées qui n'étaient pas faciles. À l'époque, je soutenais cette idée, je ne serais donc pas contre travailler avec les Britanniques. Sauf qu'entre temps nous avons fait autre chose. Si nous changeons d'hypothèse tous les 5 ans, nous perdrons 5 ans tous les 5 ans.
J'entends également parler d'une éventuelle participation de la Belgique. Dans ces conditions, je suggère de créer un club F-35 au sein du projet SCAF...
Je pense qu'il faut nous en tenir à ce sur quoi nous nous sommes engagés, ce qui n'est déjà pas facile. Nous devons réaliser la phase 1B à trois. J'espère que nous poursuivrons avec la phase 2, qui permettra de faire voler le futur avion, toujours à trois. Si on veut élargir la coopération, les discussions seront plus longues. Je rappelle que nous, Français, nous ne représentons plus qu'un tiers de ce projet. Je crains qu'aller plus loin ne se traduise par une perte de compétences utiles.
Sur la patrouille maritime (PATMAR), notre projet consiste à dériver un Falcon 10X, en cours de développement, qui a une taille bien plus importante que nos Falcon actuels et une capacité de 7 500 nautiques de range, ce qui satisferait la Marine nationale tant en termes de volume qu'en termes de capacités. Je rappelle que ce sera un avion d'armes : il devra non seulement pouvoir chasser les sous-marins, mais aussi tirer un certain nombre d'armes. Je pense que nous sommes les seuls en Europe à avoir une expérience depuis 1958 dans le domaine de la PATMAR. Malgré leur taille, nos équipes ont été capables de développer des avions comme l'Atlantique 2 et de les moderniser. Nous mettrons ces compétences historiques dans le Falcon 10X. D'autant que nous disposons aussi d'une expérience dans les Falcon de surveillance.
Pour revenir sur les coopérations, je rappelle que l'équipe de Rolls-Royce qui produira le moteur du 10X est exclusivement allemande. En effet, dans le domaine des business jets, le design, la fabrication des moteurs et le bureau d'études de Rolls Royce sont en Allemagne. Avec le 10X, vous avez donc un avion français avec un moteur allemand.
J'en viens aux questions que vous m'avez posées concernant le soutien.
À l'exportation, vous avez cité le cas du Super-Étendard en Argentine, Dassault assure le soutien avec ses sous-traitants. Aujourd'hui encore, des Mirages III volent et ce n'est pas grâce à l'État, c'est parce que nous avons maintenu un flux et organisé la récupération d'avions qui ne volent plus pour être capables de soutenir les quelques Mirage III encore en service. De même, les quelques Mirages F1 encore en activité, au Maroc par exemple, sont soutenus par Dassault, puisque les F1, comme les Mirage III, ne volent plus en France.
Nous soutenons également les Alpha Jet pour la France, mais aussi pour d'autres pays. Cette question du soutien est gérée en bonne intelligence avec l'État et les ateliers de l'État, les ateliers industriels de l'aéronautique (AIA). Nous avons des accords sur la propriété intellectuelle.
S'agissant des contrats verticalisés, il est évidemment que la réduction d'une flotte n'est pas une bonne chose pour le volume. Néanmoins, pour nous qui assurons le soutien des avions français et des avions à l'export, le volume a augmenté. Il n'y a donc aucune conséquence aujourd'hui pour la France, d'autant que celle-ci est prioritaire. Il n'y a par donc aucune inquiétude à avoir sur le contrat RAVEL.
Les performances en termes de disponibilité enregistrées à l'export, par rapport à la France, résultent simplement du fait que nos clients étrangers, sur nos recommandations, acquièrent un stock de rechanges en même temps que les avions. En France, cela est plus difficile car il y a des contraintes budgétaires et donc des choix et des arbitrages. Le volume de ce stock est calculé pour être en mesure d'enregistrer les niveaux de disponibilité supérieurs à 90 % qu'on observe dans tous les pays utilisateurs de Mirage 2000 ou de Rafale.
S'agissant des systèmes d'information utilisés, à l'étranger nous disposons d'un système d'information réalisé par Dassault pour le compte de ses clients, ou nous pouvons nous intégrer aux systèmes d'information déjà existant chez nos clients. En France, pour le Rafale, nous disposons d'un système relié à celui de l'État. Dans le cas du contrat RAVEL, nous échangeons des données avec les opérationnels des armées. Des systèmes d'information communs et des accords sur la propriété des données ont été mis en place. Pour améliorer la fluidité et la sécurité, nous développons des clouds communs. Pour cela, nous utilisons un cloud souverain, c'est-à-dire qui ne dépend pas des Américains. Les clouds de confiance dont on parle parfois utilisent Microsoft ou Google. Il faut développer des clouds souverains en Europe.
M. Jacques Le Nay. - Le projet européen de standardisation du combat aérien collaboratif a été lancé en février dernier par Dassault, qui en est le maître d'oeuvre. Pensez-vous que la présence d'appareils produits aux États-Unis, F-16 et F-35, dans de nombreuses flottes européennes, comme vous l'avez souligné, pourrait entraver ce processus de création d'un standard européen ? Nous étions avec certains collègues en Égypte la semaine passée. Nous avons rencontré votre représentant au Caire qui a évoqué les programmes, notamment de maintenance sur les Mirage. Nos interlocuteurs au ministère de la défense nous ont en outre dit le plus grand bien du Rafale contrairement au F-16.
M. François Bonneau. - Un sujet récurrent mais qui peut prendre une certaine acuité dans le cas de de la prochaine LPM, c'est la taxonomie et l'accès au financement des industries de défense. Pourriez-vous nous indiquer quelle est la situation de Dassault Aviation ?
M. Ludovic Haye. - Vous avez abordé à plusieurs reprises la question de la souveraineté. Vous l'avez également dit, peu de pays peuvent se prévaloir de pouvoir construire un avion de A à Z, à quelques semi-conducteurs près. Or un avion de guerre n'a de sens que s'il est bien équipé. En tant que parlementaire alsacien, je voudrais mentionner l'entreprise Manurhin, leader mondial incontesté de la conception et de la fabrication de machines à produire des munitions. Comment, selon vous, pourrait-on mettre en place des circuits courts de la munition ? En effet, il est toujours regrettable d'acheter des munitions produites à l'étranger par nos propres machines.
M. Ronan Le Gleut. - Le 28 avril dernier à Madrid, la phase 1B du SCAF a été officiellement lancée. Celle-ci avait en réalité démarré plus tôt et il ne s'agissait finalement que d'une opération de communication. On peut d'ailleurs regretter que cette opération de communication n'ait pas vraiment dépassé les frontières de l'Espagne, ce qui interroge sur les prochaines opérations de communication des phases à venir. Vous l'avez dit, il est difficile de faire le SCAF à trois : les piliers sont répartis, effecteur, moteur, capteurs de combat, cohérence globale, furtivité. Tout élargissement reviendrait à réduire la part française. Par ailleurs, les objectifs poursuivis par chacun des pays dans le cadre de cette coopération ne sont pas strictement identiques : pour la France, c'est d'abord la capacité de mener un raid nucléaire ; pour l'Allemagne, c'est la défense aérienne. Ces objectifs peuvent-ils être compatibles ? Comment allez-vous réussir à faire cette synthèse ?
M. Olivier Cadic. - Vous avez indiqué qu'il allait falloir être plus connecté et moins vulnérable. Cet objectif guide nos réflexions et c'est la raison pour laquelle le président Cambon a souhaité que notre commission évalue les efforts dédiés au cyber de manière transversale dans le cadre de la LPM. Le département de la défense américain a lancé une initiative en juillet 2022 pour un cloud de défense, intitulé « zero trust reference architecture » qui prévoit d'associer les grands noms américains comme Microsoft ou Amazon. Pensez-vous que la LPM nous permette de disposer d'un cloud de défense suffisamment sécurisé au regard des investissements que les États-Unis consacrent à cet objectif ?
M. Rachid Temal. - Vous avez commencé votre propos en énumérant des zones dans lesquelles la France pourrait avoir une influence importante. Quelles sont à ce stade vos prévisions de ventes d'avion dans ces pays ? Quelle est votre doctrine sur la question des transferts de technologies ?
Quelle est votre doctrine sur la question d'un contrôle parlementaire sur les ventes d'armes ?
M. Hugues Saury. - Je crains de revenir sur un sujet auquel vous avez indiqué ne pas pouvoir répondre car la réponse est du côté des militaires. La Russie et l'Ukraine n'utilisent des avions et des hélicoptères que pour soutenir les forces terrestres à un niveau tactique, craignant de voler loin derrière les lignes de front. Dans le cas de l'armée de l'air ukrainienne cela s'explique par le manque d'avions de combat, le manque de pilotes expérimentés et le manque de personnel au sol. Pour la Russie, l'explication est moins simple. Elle dispose des compétences et des moyens mais semble incapable de monter une opération aérienne complète. C'est sans doute le résultat d'une tactique utilisée par les forces ukrainiennes depuis le début de l'invasion qui a permis de construire un système de défense échelonné à moyenne et courte portée.
Compte-tenu de ce constat et compte-tenu du temps long nécessaire pour développer un nouvel avion ou un nouveau système de combat, quel est selon vous l'avenir de la chasse telle qu'elle existe aujourd'hui ?
M. Christian Cambon, président. - Que pensez-vous de la décision du Président de la République de former des pilotes ukrainiens ? Est-ce que cela prélude à la livraison d'avions français, tels que des Mirages, vraisemblablement à l'Ukraine ? Je vous interroge sur la dimension technique du sujet naturellement.
M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation. - Sur le combat collaboratif, il convient d'être précis. Il concerne des avions qui mènent un raid et qui sont liés entre eux de manière très étroite : c'est-à-dire que les calculateurs de chaque avion sont en connexion, un avion pouvant tirer l'arme de l'autre et réciproquement. Aujourd'hui ceci ne peut se faire qu'entre Rafales, qu'au sein d'une patrouille de Rafales. Si vous avez dans un dispositif un F-16 ou un F-35, ce n'est pas possible et cela ne le sera pas. Vous avez des liaisons de données, sans entrer trop dans les détails techniques, sur le Rafale, il s'agit de la liaison 16 qui est une liaison validée par les Américains et mise à la disposition de l'OTAN. Cela permet d'échanger des pistes, des informations entre les avions de manière informatisée, selon un standard OTAN. Donc nos avions ont déjà travaillé avec des F-16.
C'est plus difficile avec un F-35, car les Américains, de manière assez surprenante ont fait un standard américain non-OTAN. C'est une situation fermée. Lorsque la question est soulevée, les Américains répondent que pour être interopérables, il faut acheter des F-35. Je caricature, mais c'est en fait à peine une caricature de la situation. On est passé de l'interopérabilité à l'uniformisation en disant que les Alliés doivent acheter des avions américains. Il reste des points moins évidents : comment cela fonctionne entre F-35 et F-22 ? Comment feront les Britanniques pour faire collaborer l'Eurofighter et le F-35 ? Cela passera par des avions relais, ce qui va ajouter du temps de transmission alors que le combat collaboratif se fait dans la micro-seconde, sans transit par des relais ou des satellites, mais par des liaisons très puissantes que nous avons développées dans le cadre du Rafale F4. Nous sommes favorables à la coopération avec les avions américains si nous avons un standard ensemble.
Dans le cadre du SCAF, l'ambition est que les avions européens travaillent entre eux. Mais la majorité des avions européens sont aujourd'hui américains, la problématique se pose donc. Dans ma jeunesse, quand je suis entré chez Dassault, je travaillais à Bruxelles dans des groupes dédiés à l'interopérabilité au sein de l'OTAN pour trouver le moyen d'imposer, aux termes de vraies batailles, qu'être allié signifiait pouvoir être interopérable. Cela se faisait à l'époque. Cela s'est perdu, il faudra y revenir et c'est un des grands enjeux du futur.
C'est pour cela que je suis réticent à l'idée de mettre plus de « pays F-35 » dans le SCAF. Pourquoi devrions-nous faire de la place à des sociétés que j'ai vu agir, derrière leurs gouvernements, pour acheter du F-35 ? Pourquoi sacrifier de l'emploi en France pour aller le localiser dans des pays qui ont fait le choix d'acheter des F-35 ? Pour espérer que cela permette à terme des achats européens ? Seuls ceux qui le disent y croient. Personne n'est dupe du fait que ce n'est pas parce qu'on fait une coopération technologique que demain les pays concernés cesseront d'acheter américain.
Ceci renvoie d'ailleurs à la problématique de la défense européenne qui est un tout autre sujet. On y est tous favorables, la question est de savoir si l'Europe s'organise pour se donner les moyens de faire exister cette Europe de la défense. Cela prend du temps, et dans l'intervalle, il faut tenir.
Le SCAF regroupe trois pays qui n'ont pas acheté de F-35, avec cette exception notable que, depuis le début du projet, l'Allemagne l'a fait, expliquant qu'elle y a été contrainte. Je le rappelle, car dans certains domaines la répétition ne nuit pas : l'Allemagne est obligée par les Américains, pour être capable de tirer un armement nucléaire américain, à la main du président américain, d'acheter des F-35. Ce que je dis là est public, rien de cela n'est secret. Tel n'est pas le concept français. Dans ce contexte, cela ne gêne pas de faire cette coopération, et nous avons déjà parlé des problématiques franco-allemandes. Les Espagnols pour l'instant n'ont pas acheté de F-35, mais je rappelle qu'ils ont des F-18 qu'ils devront remplacer un jour ou l'autre.
Si dans la coopération SCAF de demain, il devait y avoir plus de pays pro F-35 que de pays pro indépendance, cela risque de poser des questions. Mais c'est bien à l'État d'évaluer ces risques, et le Parlement a certainement une opinion sur ces sujets et devra l'exprimer. Pour ma part, je défends simplement le fait que j'ai déjà accepté de me contenter d'un tiers du SCAF, les deux autres tiers ne sont pas en France. Je pense qu'il est intéressant de garder une capacité de développement en France. Vous avez parlé d'exportations. Si l'on prend le cas du Rafale, il y a aujourd'hui quasiment plus d'avions à l'exportation qu'en France, ou pour caricaturer disons que la répartition est moitié en France, moitié à l'exportation. Sur cet équipement, Dassault était responsable à 100 % et l'emploi était localisé en France. Les usines sont localisées en France ; ces contrats font travailler les sites de Seclin, Biarritz, Mérignac, Istres, Argonay. À ces sites de Dassault, il faut ajouter les sites de Safran, Thalès et plus de 400 entreprises.
On peut toujours penser que la perspective d'achats supplémentaires d'avions par des Européens, avec des exportations, car tous les pays européens seraient prêts à exporter, génèrera un volume supplémentaire. Dans cette perspective, le tiers, ou moins du tiers du SCAF rapporterait autant à Dassault Aviation que ses productions actuelles. J'émets sur ce point des réserves.
En conclusion, je ne suis pas pour l'élargissement rapide du SCAF. C'est déjà difficile aujourd'hui, finissons la phase 1B, couronnée d'un contrat avec les membres fondateurs du SCAF. Dans le cas contraire, il faudrait rouvrir le chantier du partage des tâches. Aujourd'hui, les Espagnols prennent bien un tiers de la tâche. Nous avons beaucoup travaillé avec Indra, qui est un peu écrasé par Airbus en Espagne. Cela peut nous arriver aussi en France d'être écrasé par Airbus, mais Dassault sait à peu près se défendre. Ce sont des partenaires fiables. Nous avons fait le drone de combat nEUROn avec eux, ils ont fait leur part. Je suis très content d'avoir les Espagnols et les Allemands comme partenaires, pourvu qu'on se mette d'accord et que les négociations aboutissent. À ce stade, nous n'en sommes plus aux négociations mais bien à la réalisation de la phase 1B. Si on rouvrait trop vite la possibilité de nouvelles coopérations, pour donner du travail aux sociétés belges, je me battrais pour faire valoir mon point de vue, même si bien sûr l'État peut toujours imposer le sien.
Je me suis déjà exprimé sur les aspects cybers. S'agissant du cloud souverain, il sera difficile pour la France de le développer seule. Il y a donc un travail à mener au sein de la Commission européenne pour favoriser une prise de conscience de la nécessité de développer des outils de souveraineté. Je n'entre pas dans le débat sur la question de savoir si l'Europe est ou non souveraine. Il me semble que la France est souveraine, et que nous pouvons développer des outils de souveraineté en Europe. Un de ces outils pourrait être le cloud souverain.
On parle sans cesse des GAFA mais nous avons des capacités en Europe et en France et nous pouvons les utiliser pour sécuriser nos clouds. Chez Dassault Aviation, j'utilise un cloud qui n'est lié en aucune manière à Google ou Amazon, ou tout autre GAFA. Et nous poursuivrons dans cette voie à l'avenir, en hard comme en soft. Dans le domaine du hard, il s'agit d'avoir les mémoires chez moi, pour être sûr qu'elles soient protégées, et dans le domaine du soft, je développerai les logiciels avec quelqu'un de confiance, sans recourir au cloud dit de confiance, mais avec Dassault Systèmes. Nous sommes en train de bâtir ce cloud souverain dans lequel les industriels de défense viennent, tels que Naval Group pour les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE). J'espère que la DGA soutiendra cette initiative. Nous le faisons déjà au titre du contrat verticalisé de MCO RAVEL avec nos armées. Dans ce domaine de la cybersécurité, tout tient à l'architecture. Ne croyons pas qu'en achetant des logiciels de protection on garantisse la sécurité. Cela ne fonctionne pas, pour preuve la disparition de fait des logiciels Norton de nos ordinateurs. Ce qui importe c'est que l'architecture du matériel développé soit native pour contrer ou retarder les attaques, pour pouvoir les détecter et les traiter. Nous investissons ces domaines avec Thalès et Dassault Systèmes.
S'agissant des transferts de technologie dans le cadre des exportations, vous nous connaissez, nous sommes plutôt restrictifs. Nous pouvons mettre des technologies à disposition d'un certain nombre de programmes que ce soit pour les exportations ou pour le SCAF. Mais nous faisons très attention de ne pas brader notre technologie, vous pouvez compter sur nous.
Sur l'utilisation des hélicoptères et de la chasse par la Russie et l'Ukraine, je prends l'exemple de la France que je connais mieux que d'autres pays. Dans ce domaine, coexistent la qualité du matériel issu de l'expression d'un besoin opérationnel de nos armées, et l'utilisation par notre armée de l'air et notre marine. C'est ce qui fait la différence. Si vous regardez le concept d'emploi russe, il date de l'URSS, il n'y a pas de coordination, de contrôle tactique, etc. Les militaires vous en parleraient mieux que moi, qui ne suis pas compétent dans le domaine, mais on voit bien que les modes d'utilisation ne sont pas les mêmes. Quant aux Ukrainiens, il me semble qu'ils bénéficient de tout le savoir-faire des pays occidentaux, anglo-américains en particulier. Cela explique une bonne part des différences de situations. Il ne faut pas prendre en compte le seul matériel mais aussi l'utilisation opérationnelle.
La taxonomie sociale a été mise de côté mais n'en demeure pas moins une ambiance de méfiance vis-à-vis des industries de défense. Il faudrait pouvoir être fier de contribuer à développer des matériels militaires dans un cadre démocratique, au lieu d'être montrés du doigt. Analysons ceux qui montrent du doigt : d'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? On serait surpris de voir que certains attaquent plutôt l'Europe que leur propre pays.
Sur les perspectives d'exportation, en Indonésie, nous avons démarré avec une commande de 6 Rafale, qui passera à 42 dans les mois qui viennent. C'est le grand travail de l'année 2023. Nous attendons également des annonces de nos amis indiens. Avec l'Inde il convient d'être patient. On a entendu parler d'un pays en Amérique du Sud, et lu dans le Wall street journal que cela commençait à agacer les Américains que Dassault vende des avions un peu partout. Moi, cela ne m'agace pas, il leur revient d'être meilleurs que nous. L'Amérique du Sud et la Colombie sont des zones auxquelles ils tiennent beaucoup.
D'autres prospections sont en cours dans d'autres pays. Je ne vais pas vous parler de pays en particulier mais je peux vous dire qu'il y a un intérêt renforcé pour nos avions car leur utilisation par l'Inde et nos armées démontre bien les capacités du Rafale. Le succès appelle le succès. Quand en plus cet avion est vendu par un pays comme la France, cela a un sens, à travers des partenariats stratégiques notamment. J'en reviens à ce que je vous disais en introduction : le monde n'est pas bipolaire, cela nous donne des perspectives d'exportation. C'est vrai pour les avions, mais aussi pour d'autres types de matériels, comme le matériel naval.
Sur le contrôle des exportations par le Parlement, je n'ai pas de commentaire. Aujourd'hui, le dispositif prévoit la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). À vous de voir avec l'État comme vous voulez vous partager le contrôle. Pour ma part, je subis les contrôles de façon quasi quotidienne et j'ai des équipes entières dédiées à la tâche de répondre aux questions des contrôleurs. Nous sommes soumis à une interdiction de vente du matériel de guerre, c'est l'État qui peut nous autoriser à vendre. La seule chose que je peux dire, sur le travail parlementaire dans ce domaine, c'est qu'il doit être fait dans la discrétion, car il s'agit de situations diplomatiques compliquées. Il ne faut également ne pas être trop perméable, comme je le vois à Bruxelles, aux idées de certaines ONG. Je ne suis pas contre les ONG, mais certaines sont financées pour venir casser l'industrie en France et il faut s'en défendre.
M. Gilbert Roger. - J'espère que vous n'amalgamez pas le contrôle parlementaire avec les ONG, ce que je trouverais particulièrement vexant.
M. Éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviation. - Je ne souhaitais absolument pas être vexant, ce n'est évidemment pas mon intention. Je parlais bien des ONG qui agissent au niveau du Parlement européen et certainement pas du Parlement français.
Sur la mise en place d'un marché national des munitions, il me semble qu'il y a une vraie question qui porte sur la quantité des munitions fabriquées. Ce domaine d'activité doit rester en partie en France ; nous travaillons beaucoup avec MBDA et Safran notamment. Je connais moins Manurhin qui est spécialiste des munitions pour les matériels terrestres, c'est moins mon domaine. Pour autant, nous utilisons des canons de Nexter. Ces problématiques font partie de la réflexion sur la souveraineté.
S'agissant de l'avenir de l'aviation de chasse au regard de ce qui se passe en Ukraine, je ferai un parallèle avec l'aviation de combat utilisée par notre armée de l'air aujourd'hui en train de passer du Mirage 2000 au tout Rafale. Nous apportons des technologies, des solutions, des architectures, et nos armées, nos opérationnels définissent ce qu'ils veulent en faire. C'est ce qui a été fait dans le pilier 0 du SCAF dont nous avons parlé. L'avenir de l'aviation de chasse est en définition à ce stade. Nous apportons des technologies sur la furtivité, l'aérodynamique, ce qui mènera vers des missions air-air ou air-sol dans un réseau connecté que nous avons évoqué précédemment. Nous avons des briques, le résultat auquel elles permettront d'aboutir en 2040 est en cours de définition.
Enfin, je n'ai pas d'informations sur le type de formation qui pourrait être dispensée aux pilotes ukrainiens. Je suppose que c'est à l'armée de l'air et de l'espace qu'il faudrait poser cette question.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie des informations que vous nous avez apportées. La situation du SCAF est meilleure que lors de votre précédente audition.
La question qui se pose et que j'évoquais tout à l'heure est bien celle du modèle d'armée vers lequel nous souhaitons aller, dans un contexte international en pleine mutation marqué par la guerre en Ukraine.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Loi de programmation militaire - Groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs du groupe de travail sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », dans la perspective de la loi de programmation militaire (LPM).
M. Pascal Allizard, rapporteur- Le groupe de travail, dont Yannick Vaugrenard et moi-même avons le plaisir de vous livrer les conclusions ce matin, était composé de nos collègues Vivette Lopez, Gisèle Jourda, Philippe Folliot, Jacques le Nay et André Gattolin, que nous remercions pour leur participation à nos travaux.
Dans le cadre de ce rapport, nous avons souhaité aborder trois thématiques : la place de l'innovation de défense dans la future loi de programmation militaire, les difficultés d'accès au financement privé rencontrées par les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) et les moyens qui devront être consacrés au renseignement dans le cadre de la programmation à venir.
Je me concentrerai sur les questions relatives à l'innovation et au financement de la BITD puis laisserai Yannick Vaugrenard vous présenter nos recommandations sur ce dernier sujet et aborder les questions relatives au renseignement.
L'innovation de défense revêt un caractère crucial pour nos forces, nos industries de défense et, par conséquent, notre autonomie stratégique en ce qu'elle permet, d'une part, de garantir la supériorité opérationnelle de nos armées et, d'autre part, de s'appuyer sur une BITD disposant de compétences et de savoir-faire de pointe et donc de maintenir la compétitivité de notre tissu industriel, comme l'a démontré l'audition précédente d'Éric Trappier.
Le conflit ukrainien a par ailleurs bien démontré l'omniprésence de l'innovation sur le champ de bataille et son rôle déterminant dans l'effort de guerre, tous les milieux et tous les champs de confrontation étant exploités et décuplés par les nouvelles technologies.
Si le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030, que nous examinerons prochainement, est assez peu disert sur les questions d'innovation de défense, il présente cependant des motifs de satisfaction.
En particulier, l'effort financier qui a été consenti au cours des dernières années en faveur de l'innovation, qui s'est notamment traduit par une augmentation des crédits d'études amont de 730 millions d'euros à un milliard d'euros par an en cinq ans, devrait être poursuivi dans les années à venir.
Il est ainsi prévu que 10 milliards d'euros soient consacrés à l'innovation de défense sur la durée de la programmation. Au sein de cette enveloppe, 7,5 milliards d'euros sont inscrits dans le projet de LPM au titre des études amont. Cela représente une hausse significative, de plus de 10 %, par rapport à la période précédente.
Dans le cadre de nos travaux, nous avons interrogé les armées et les industriels sur les priorités qui devront être financées sur ce budget. D'une manière générale, il ressort que les domaines prioritaires identifiés par l'Agence de l'innovation de défense (AID), retracés au sein du document de référence pour l'orientation de l'innovation de défense (Droid), correspondent bien aux attentes et aux besoins des forces.
Sans prétendre à l'exhaustivité, un effort devra ainsi être consenti dans les domaines tels que le combat collaboratif, l'hypervélocité, le quantique, les armes à énergie dirigée, les drones et la lutte anti drones, l'intelligence artificielle et les systèmes autonomes, et la furtivité.
Au-delà de la question des moyens, il nous semble important que l'innovation irrigue également les organisations et leur mode de fonctionnement. En particulier, il est ressorti des auditions que des efforts pourraient être entrepris pour faciliter ce que l'on appelle le « passage à l'échelle », c'est-à-dire la prise en compte de l'innovation en vue d'un déploiement auprès des utilisateurs finaux.
Plusieurs mesures nous semblent pouvoir être prises dans ce sens.
En premier lieu, tous nos interlocuteurs ont rappelé le rôle crucial des démonstrateurs technologiques. Un effort devrait ainsi être consenti en faveur du financement de démonstrateurs d'envergure dans le cadre de la prochaine programmation, ce qui nous semble aller dans le bon sens.
En deuxième lieu, le retour d'expérience ukrainien doit nous inviter à repenser l'équilibre entre sophistication et masse et interroger systémiquement la nécessité de disposer de deux versions d'un même matériel : une version de haute technologie permettant l'entrée en premier, et une version moins sophistiquée et moins coûteuse permettant, d'une part, de supporter une attrition plus importante et, d'autre part, de faciliter l'exportation du matériel en question. Cette nécessité doit en outre être prise en compte le plus en amont possible afin de limiter les coûts de développement ultérieurs.
Enfin, en troisième lieu, comme l'a rappelé le Délégué général pour l'armement (DGA) lors de son audition devant notre commission, des mesures de simplification des normes et procédures doivent être envisagées.
À titre d'exemple, et cela est d'ailleurs en lien avec ce que je viens d'évoquer, même si la tentation peut être grande de développer des équipements en mesure de répondre à toutes les éventualités, le mieux est parfois l'ennemi du bien, et toute « sur spécification » est source de délai et de coût supplémentaires.
Par ailleurs, notre attention a été appelée sur les difficultés liées à l'application du code de la commande publique. Des mécanismes existent ainsi pour faciliter l'acquisition de l'innovation, mais ils peuvent comporter des biais. C'est par exemple le cas des marchés soumis à l'exclusion « recherche et développement », qui doivent faire l'objet d'une mise en concurrence à l'issue de la phase de recherche et développement. Cela se traduit par une perte de temps et dissuade les entreprises de déposer un dossier lors du premier appel d'offres.
Certains dispositifs sont en outre trop peu utilisés, comme cela est le cas du « partenariat innovation ». Des mesures réglementaires devraient ainsi être prises afin de faciliter le recours à ces instruments.
J'en viens maintenant au deuxième sujet traité dans notre rapport qui concerne le financement des entreprises de la BITD.
Vous le savez, notre commission a été la première à alerter, dès l'été 2020, sur les difficultés croissantes rencontrées par les industriels de la défense et nous avons souhaité procéder à une actualisation de ces premiers travaux.
Cinq constats nous semblent pouvoir être établis.
Premièrement, s'il est difficile à quantifier, le phénomène de « frilosité » bancaire qui était dénoncé par l'ancien délégué général pour l'armement existe toujours, même si celui-ci s'est atténué au cours des derniers mois du fait de la guerre en Ukraine.
Deuxièmement, ces difficultés de financement concernent majoritairement les PME et les TPE, moins bien armées que les grands groupes, pour faire face aux exigences de certains établissements bancaires. Cette problématique touche en outre plus particulièrement les opérations d'exportation vers des pays jugés sensibles.
Troisièmement, si cette « frilosité » concernait à l'origine essentiellement les banques, elle s'est étendue depuis à d'autres secteurs : fonds d'investissement, assurances, voire bailleurs immobiliers et hébergeurs web. Ces situations semblent certes encore marginales mais elles révèlent une tendance de fond inquiétante.
Quatrièmement, ces difficultés d'accès aux financements privés résultent de la prise en compte par les acteurs concernés de deux risques : un risque juridique - et force est de constater que les investisseurs privés sont soumis à un nombre croissant de règles et normes contraignantes - et un risque d'image, « réputationnel », alimenté en partie par certaines organisations non-gouvernementales (ONG) et des lobbies. Cela nous a été très clairement expliqué lors de nos auditions : certaines ONG, qui n'en ont que le nom, sont financées par certains pays et ont pour seul objectif de nuire à la BITD européenne et française. À cet égard, les textes en matière environnementale, sociale et de gouvernance, tels que les projets de taxonomie ou d'écolabels, constituent de véritables épées de Damoclès pour la BITD.
Enfin, cinquième constat, pour faire face à cette situation, des mesures ont été prises par les pouvoirs publics, les banques et les industriels. Je citerai par exemple la mise en place d'une « médiatrice des banques » au sein de la Direction générale de l'armement (DGA) dont la mission consister à assurer le lien entre les entreprises qui se sont vu opposer un refus de financement et les établissements bancaires, la création d'un groupe d'expert sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) au sein de l'Agence européenne de défense (AED) afin de sensibiliser et mobiliser les autres ministères de la défense européens sur ces sujets ou encore la mise en place de « référents défense » au sein des principales banques françaises.
Pour autant, il nous semble que si ces mesures vont incontestablement dans le bon sens, elles doivent faire l'objet d'approfondissements.
Je laisse donc la parole à Yannick Vaugrenard pour vous présenter nos recommandations en la matière et évoquer la question des moyens qui devront être consacrés au renseignement dans le cadre de la future programmation.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur. - Nos recommandations concernant l'accès au financement des entreprises de la défense s'articulent autour de quatre axes.
En premier lieu, il nous semble indispensable d'établir un diagnostic partagé et objectif des difficultés de financement rencontrées par les entreprises de la BITD. Cela passe notamment par l'établissement d'un bilan, à un an, de l'activité de la médiatrice des banques mise en place au sein de la DGA et du réseau des référents bancaires.
En deuxième lieu, nous pensons que des mesures doivent être prises afin d'encourager les banques à s'engager davantage aux côtés des entreprises de la BITD. Nous proposons par exemple d'inciter les groupes bancaires à revoir leurs politiques internes d'investissement, dans lesquelles elles ont souvent recours à la terminologie d'« armes controversées », laquelle est dépourvue d'existence juridique, en privilégiant celle d'« armes interdites au titre des conventions internationales » afin de lever toute ambigüité. Il pourrait également être envisagé de publier la liste des vérifications menées par la Commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre, qui recoupent pour partie celles menées par les banques dans le cadre de leurs contrôles de conformité, afin de leur permettre de s'appuyer sur cette première instruction réalisée et réduire ainsi la liste des pièces demandées aux entreprises. Dans le même objectif, un label à destination des entreprises de défense reprenant des critères ESG pourrait être créé en partenariat avec les principaux groupes bancaires ou la Fédération bancaire française.
En troisième lieu, nous estimons nécessaire que l'ensemble des parties adopte une attitude plus volontariste au niveau européen. En particulier, nous estimons indispensable de pousser la banque européenne d'investissement à revoir sa politique interne qui lui interdit actuellement de financer des investissements dans le secteur de la défense. Cette évolution constituerait un signal fort à l'égard des investisseurs privés. Nous appelons également à établir une cartographie précise des ONG et lobbies actifs en matière ESG et dont l'action peut avoir des conséquences sur notre industrie de défense. De même, nous appelons à une vigilance accrue sur les projets de textes européens dans ce domaine.
Enfin en quatrième lieu, nous pensons que l'accompagnement public des entreprises de la BITD doit être renforcé. Cela passe par un passage en revue des éventuelles « surtranspositions » normatives ou surinterprétations de la part des régulateurs. Cela peut aussi donner lieu à un accompagnement financier renforcé pour certaines opérations d'export considérées comme sensibles. Il pourrait également être envisagé de créer un livret d'épargne réglementé destiné au financement des entreprises de souveraineté.
Je vous renvoie à notre rapport pour une présentation exhaustive de nos recommandations.
J'en viens maintenant à la question des moyens qui devront être consacrés au renseignement. Je rappelle que les crédits alloués par la LPM s'élèvent à 5 milliards d'euros sur la période. C'est donc plus que la précédente LPM qui prévoyait 3,5 milliards d'euros. Le Président de la République avait annoncé lors du discours de Mont-de-Marsan sur la LPM une augmentation de 60 % des crédits de renseignement au total, dont un doublement des budgets de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Nous verrons que ces proportions d'augmentation se restreignent aux crédits de fonctionnement et d'investissement, mais pas aux crédits de personnel. Les effectifs ne vont donc pas doubler.
Il s'agit toutefois d'une progression importante qu'il faut analyser au regard de l'évolution de nos besoins face aux menaces extérieures mais aussi face à la capacité des services de renseignements d'autres pays, y compris alliés. Nos services, pour être performants doivent donc rester dans la course.
Aussi, je vous propose de structurer mon propos sur les trois points suivants : je commencerai par les moyens budgétaires de fonctionnement et d'investissement, puis les moyens en personnels et je terminerai par les moyens technologiques, ce qui fera le lien avec les questions de cyberdéfense que nos collègues Olivier Cadic et Mickaël Vallet suivent au titre du programme 129 qui finance le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) notamment.
Sur les moyens budgétaires, lorsque nous avons auditionné les trois services de renseignement dits du premier cercle qui dépendent du ministère des armées - la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) - les arbitrages relatifs à la répartition des 5 milliards d'euros de crédits n'étaient pas encore établis. L'audition du Ministre des armées a pu préciser quelques points en indiquant que, sur la période 2024-2030, la DGSE serait dotée de 4,6 milliards, la DRM de 600 millions d'euros et la DSRD de 233 millions d'euros. On observe d'ailleurs que l'addition de ces crédits atteint les 5,4 milliards d'euros. Il convient à ce sujet d'éclaircir la question des dépenses de personnel dans la trajectoire de la LPM.
En prenant pour exemple la dotation de la DGSE, les crédits de fonctionnement et d'investissement qui sont actuellement de 420 millions d'euros devraient atteindre près de 600 millions d'euros par an dès 2025. Il faut y ajouter les dépenses de personnels dont le montant pour 2023 est de 516 millions d'euros pour un effectif d'environ 5 800 équivalents temps plein travaillé (ETPT), lesquels sont comptabilisés dans le programme 212, et hors de ce que le ministre désigne comme le « patch » renseignement de 5 milliards d'euros.
Une clarification de la méthode de la prise en compte des dépenses de personnel a été demandée dans le questionnaire adressé au ministre. Comme les autres rapporteurs, nous attendons d'obtenir des réponses précises.
En premier lieu, sur la trajectoire des effectifs, la précédente LPM annonçait une augmentation de 1 500 postes supplémentaires sur la période. Pour la prochaine LPM, c'est beaucoup moins clair puisque le projet de loi ne s'engage ni sur la cible globale de 6 300 emplois, ni sur les domaines d'emplois dans lesquels ils seront répartis.
En second lieu, le ministre a formulée une cible de 728 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour la DGSE ce qui porterait ses effectifs d'environ 6 000 aujourd'hui aux alentours de 7 000 en 2030, ce qui reste plus modeste que les effectifs de nos voisins britannique et même allemand.
Enfin, si l'on prend en compte les augmentations d'effectifs de la DRSD, qui passeraient de 1 600 actuellement à environ 1 750 en 2030, soit + 150, et la DRM, dont les effectifs actuels de 1 900 personnes pourraient augmenter de 500 emplois, le total des augmentations d'effectifs s'établirait entre 1 300 et 1 400 emplois.
Au chapitre des moyens technologiques, il convient d'inclure également la réforme des services de la DGSE qui, pour ce qui peut être dit publiquement, va conserver le modèle d'intégration de la direction technique dans une nouvelle organisation non plus organisée en silos mais en centres de mission pour mieux mobiliser les ressources internes, mais aussi mieux mutualiser au profit de la communauté française du renseignement et de l'ANSSI en matière cyber. De même, le déménagement du boulevard Mortier vers le Fort Neuf de Vincennes à l'horizon 2030 pour la DGSE et la modernisation du siège de de la DRSD sont des projets qui visent un objectif d'efficacité opérationnelle plus qu'une simple opération immobilière.
Pour conclure, et à défaut d'une ventilation plus précise des crédits sur les programmes à effet majeur dans le domaine du renseignement, je propose de définir plusieurs points de vigilance pendant la réalisation de la LPM.
Il s'agit pour la DGSE, de suivre l'opération de déménagement, pour lequel un montant de 1,1 milliard d'euros a d'ores et déjà été prévu, ainsi que le développement des programmes techniques mutualisés et la diversification des sources techniques et humaines de renseignement. Ces sujets appellent à la même vigilance pour la DRSD et la DRM.
S'agissant des capacités de renseignement aérien et spatial, il faudra être attentif à la réduction de la cible d'avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR) et à la suppression d'un satellite supplémentaire Syracuse IV qui pose la question des moyens alternatifs à mettre en oeuvre. Pour les ALSR, la DRM semble privilégier un recours plus fréquent à la location de ces matériels plutôt que leur acquisition. Cela pose la question de l'autonomie et de l'indépendance de nos moyens d'acquisition du renseignement. Par ailleurs, le système Archange d'avions de renseignement et de guerre électronique devant succéder aux Transall Gabriel retirés du service l'an dernier ne figure qu'à l'inventaire du parc pour 2030 !
Enfin, s'agissant des questions de ressources humaines et de fidélisation aucun des services n'a éludé les difficultés de recrutement aussi bien de personnels militaires, en raison des tensions dans le vivier des sous-officiers et officiers, que civils, le recours accru aux contractuels nécessitant une réflexion à la fois sur les rémunérations et leur fidélisation. En effet, les contractuels même qualifiés sont écartés des carrières longues puisque la transformation des contrats à durée déterminée (CDD) en contrats à durée indéterminée (CDI) reste exceptionnelle notamment à la DRM et la DRSD. La direction des ressources humaines (DRH) du ministère des armées estime toutefois que la tension sur les métiers du renseignement est en passe d'être réglée dans les 3 à 5 ans. Les métiers qui resteront en tension concerneront les filières du cyber et du nucléaire. Aussi, la DRH, en matière de renseignement, doit s'attacher à éviter la fuite des contractuels en instituant des parcours croisés entre services du premier cercle tout en évitant la concurrence interservices de l'État. On peut déplorer à cet égard le manque de transparence des services entre eux, et à l'égard de la DRH. Si une proposition devait être faite, ce serait de donner le temps au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) de mettre en application le décret du 4 juillet 2022 lui confiant la coordination interministérielle des politiques de ressources humaines de ces services. Sans empiéter sur les politiques de gestion des ressources humaines propres aux services de renseignement, avec la LPM à venir, le CNRLT serait pleinement légitime à dégager une politique de ressources humaines interministérielle, en appui de la politique publique du renseignement, en matière d'homogénéisation des rémunérations, de construction des parcours professionnels et de mutualisation des formations.
M. Cédric Perrin. - Je voudrais revenir sur les questions liées aux projets de taxonomies. Il faut en effet arrêter de croire que les conseils d'administration des banques décideraient spontanément, du jour au lendemain, d'arrêter de financer les entreprises de la défense. Il y a une pression exercée par certaines ONG qui, j'imagine, sont financées par des pays étrangers. Il me semble qu'il faut désormais mettre des noms sur ces organisations qui n'ont aucun intérêt à ce que notre BITD se développe. Le problème de financement touchait d'abord les PME puis les entreprises de taille intermédiaire (ETI), désormais même les grands groupes sont victimes de ces cabales contre la défense qui sont parfaitement orchestrées.
M. Christian Cambon, président. - C'est en effet un vrai sujet. Nous savons que des pays qui veulent nuire à nos industries se servent de certaines ONG. Même si la plupart d'entre elles sont évidemment respectables et font un travail essentiel, d'autres sont cependant instrumentalisées pour pousser ces projets de taxonomie dans un sens défavorable à notre BITD.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
Loi de programmation militaire - Programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » (action 2 : Coordination de la sécurité et de la défense, SGDSN, Cyberdéfense) - Examen du rapport d'information du groupe de travail
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs du groupe de travail sur le programme 129 « Coordination du travail gouvernemental », dans la perspective de la loi de programmation militaire (LPM).
M. Olivier Cadic. - Mes chers collègues, le programme 129 que je rapporte avec mon collègue Mickaël Vallet sur la coordination de la sécurité et de la défense relève de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », c'est-à-dire les services de la Première ministre, et non de la mission « Défense ».
Nous y examinons chaque année en loi de finances le budget du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) dont relèvent notamment l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI).
Ce programme comporte toutefois plusieurs liens avec la LPM en cours d'examen et je remercie le Président de la commission d'avoir bien voulu renouveler la mise en place d'un groupe de travail sur le thème de la coordination de la cyberdéfense, comme pour la LPM précédente.
Je remercie André Gattolin d'avoir rejoint et contribué aux travaux du groupe.
« Il va falloir être plus connectés et moins vulnérables », a dit Eric Trappier, Président de Dassault aviation, ce matin. Cet objectif guide nos réflexions.
Quels sont ces points de contact entre l'ANSSI et la LPM ?
En premier lieu, la résilience cyber a été érigée en objectif stratégique par la Revue nationale stratégique et le Président de la République a annoncé dans son discours sur la LPM son souhait de voir doubler notre capacité de traitement des attaques cyber majeures.
À notre sens, cet objectif ne peut s'inscrire que dans une coordination entre les milieux civils et militaires, le public et le privé, le national et le local.
S'y ajoute un enjeu de coordination entre le bouclier (la lutte informatique défensive) et le glaive (la lutte informatique offensive) qui caractérise la dichotomie du dispositif français :
- avec d'une part la compétence de l'ANSSI sur le volet défensif des réseaux interministériels, des opérateurs d'importance vitale (OIV) et les opérateurs de services essentiels (OSE) au nombre desquels figurent par exemple 142 centre hospitaliers ;
- et d'autre part la compétence de lutte informatique offensive dont l'existence est reconnue mais dont les acteurs et les moyens relèvent du ministère des armées et donc in fine du Président de la République si une action devait être déclenchée.
On se demande d'ailleurs si le seul objectif de doublement de capacité est suffisant quand on sait la progression exponentielle des menaces répertoriées par l'ANSSI (831 intrusions avérées) et Cybermalveillance (plus de 170 000 demandes d'assistance dont plus de 90 % émanent de collectivités territoriales).
Sur le volet militaire de la lutte informatique défensive (LID), le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) a traité en une année 150 événements de sécurité numérique touchant au périmètre du ministère des armées (hors services de renseignements).
Le second point de contact a trait à la coordination civilo-militaire entre ANSSI d'une part et le COMCYBER, la DGA-MI, (Délégation générale à l'armement « maîtrise de l'information ») et la DGSE d'autre part.
Le groupe de travail s'est rendu à Rennes à la rencontre du Pôle d'excellence cyber et dans les locaux du ComCyber et de la DGA-MI. Il nous y a été relaté la relation très directe et quasi quotidienne entre l'ANSSI et la DGA-MI cette dernière apportant son expertise technique dans le traitement des données et la conception de programmes dédiés.
Comment véritablement inscrire dans la prochaine LPM la nécessité de rapprocher les fonctions défensives et offensives (qui sont traditionnellement et structurellement séparées dans notre organisation actuelle) pour que la défense de nos intérêts soit mieux intégrée, notamment entre l'ANSSI pour le volet civil (en métropole et dans les outre-mer) et le ComCyber pour le volet militaire?
Le troisième point de contact entre ANSSI et LPM se matérialise par 4 articles normatifs :
- l'article 32 vise à demander aux opérateurs un filtrage des noms de domaine afin d'entraver une menace susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale ;
- l'article 33 prévoit la transmission à l'ANSSI de données lui permettant d'identifier les serveurs et infrastructure des pirates informatiques ;
- l'article 34 vise à obliger les éditeurs de logiciels informatiques à informer l'ANSSI et les utilisateurs de tous incidents ou vulnérabilité de leur produit ;
- enfin, l'article 35 vise à renforcer les capacités de détection des cyberattaques en permettant à l'ANSSI l'accès au contenu des communications et à l'identité des victimes présumées de cyberattaques.
J'attire votre vigilance sur ces articles qui soulèveront certainement un débat sur la question de l'accès aux contenus des communications, alors que jusqu'à présent le leitmotiv de l'ANSSI était de n'accéder qu'aux réseaux, c'est-à-dire les contenants, voire aux métadonnées, mais pas aux contenus proprement-dit.
On pourra s'interroger sur la compétence de l'Autorité des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) en tant qu'autorité de contrôle a priori sur les avis autorisant l'accès aux données de contenu.
Alors même que le projet de loi propose la suppression de l'assermentation judiciaire des agents de l'ANSSI, celle-ci emploierait des techniques d'accès au contenu jusqu'alors réservées aux services de renseignement, ce que l'agence n'est pas.
S'agissant du financement, le rapport annexé à la LPM prévoit 4 milliards d'euros de besoins programmés pour la cyberdéfense afin d'augmenter les effectifs, de s'adapter aux évolutions technologiques, d'accompagner les entreprises du secteur de la défense et d'appuyer l'ANSSI en cas de crise cyber nationale.
Il faut rappeler que le ComCyber est susceptible de mettre à disposition quelques cybercombattants pour soutenir directement l'ANSSI, mais pas dans des proportions annoncées pour faire face à un doublement des cyberattaques.
Cela pose la question de la cible d'augmentation des effectifs pour la période 2024-2030 : le ministre des armées a annoncé une hausse de 953 ETP pour le seul ministère des armées répartis entre la DGSE, la DGA et les armées. C'est moins que les 1 500 postes prévus dans le domaine cyber pour la LPM 2019-2025.
J'en viens maintenant à quelques observations assorties de propositions :
Ainsi que le ministre des armées l'a précisé lors de son audition, aucun des 4 milliards de crédit de la LPM n'est destiné à l'ANSSI. La LPM ne vise aucunement à financer le passage de l'ANSSI de 660 agents en 2023 à 800 agents en 2027. Cette augmentation sera financée par le budget du SGDSN.
Une question se pose de savoir si ces 4 milliards d'euros seront principalement fléchés vers la DGSE, la DGA-MI et le COMCYBER, en partie dans le but de pouvoir davantage contribuer à l'action défensive. La raison serait d'organiser l'emploi des ressources publiques et privées en cas de dépassement des capacités de l'État à faire face à une crise cyber d'ampleur. Mais alors pourquoi ne serait-ce pas à l'ANSSI, au lieu de l'armée, de monter davantage en puissance afin de coordonner directement les capacités cyberdéfensives publiques et privées du pays pour faire face à la massification des attaques ?
Enfin, je souhaite formuler deux observations plus générales sur les stratégies de réponse. S'il existe bien une comitologie de niveau stratégique (le C4 strat est mensuel) et opérationnel (le C4 TechOps est quasi quotidien), on peut s'interroger sur les conditions de contrôle de l'efficience globale du dispositif.
Ensuite, je ne partage pas, et d'autres pays alliés non plus, la stratégie de la revue nationale stratégique selon laquelle, je cite, « l'application d'une logique dissuasive dans le cyberespace qui forcerait tout attaquant à la retenue contre la France est illusoire ».
Comme l'a dit le Président de la République, le 9 novembre 2023, je cite, « une attitude qui serait seulement réactive, voire défensive, pourrait passer pour une forme de passivité ».
Voilà pourquoi je pense qu'il faut absolument faire évoluer l'action de l'ANSSI vers un rôle plus offensif, a minima plus proactif, ainsi que le prévoient certains des articles de la LPM.
M. Mickaël Vallet. - Mes chers collègues, je partage le constat sur la massification des attaques qui conduit l'ANSSI à devoir protéger les collectivités et les entreprises qui auparavant ne se trouvaient pas dans son périmètre de compétence. La part des incidents affectant le secteur de la santé n'a cessé d'augmenter en métropole comme en Outre-mer avec plus de 400 incidents depuis 2020. Au début de l'année 2023, c'était au tour de l'hôpital de la Réunion de détecter des « compromissions d'importance », traitées par les CERT Santé et CERT-FR national qui est l'équipe de réaction aux incidents cyber de niveau gouvernemental. Je précise que le CERT signifie « Computer Emergency Response Team », que la dénomination officielle française est centre gouvernemental de veille et de réponses aux attaques informatiques. C'est cette définition française que nous privilégierons dans nos rapports. Le sigle est formulé en anglais du fait des directives européennes.
Comme j'ai pu le constater avec Olivier Cadic, lors de la venue d'une délégation du Monténégro au Sénat, celle-ci nous avait décrit la paralysie dans laquelle s'étaient trouvés tous les ministères du pays suite à une cyberattaque. L'Albanie a fait l'objet elle aussi d'une attaque étatique, attribuée à l'Iran, en juillet 2022. Il faut conserver à l'esprit que personne n'est à l'abri pas même l'Assemblée nationale et le Sénat qui peuvent être pris pour cible par des attaques.
L'enjeu de la coordination de la cyberdéfense n'est pas que celui des attaques, il est aussi celui de la définition et de la typologie des entreprises à protéger. La directive dite « NIS 2 » aura pour effet au niveau européen de considérablement ouvrir le champ des entreprises assujetties à des obligations de cybersécurité. Comme pour la sécurité incendie, il y a des tailles d'entreprises et des niveaux d'obligations différents selon d'un immeuble reçoit du public ou non. De quelques centaines d'acteurs à réguler, l'ANSSI prévoit une multiplication par 20, soit près de 15 000 entreprises.
C'est une des raisons ayant conduit l'agence à susciter la création dans chaque région d'un CSIRT (Computer security incident response team) - que nous pourrons appeler « centre de réponse aux incidents de cybersécurité » (CRIC) - afin de prendre en charge les entreprises qui entreront dans les critères de seuil les assujettissant aux obligations de cette directive NIS 2. Le plan de relance a prévu une enveloppe de 12 millions d'euros répartis entre 12 CSIRT régionaux, à l'exception de la région Auvergne-Rhône-Alpe. Nous y reviendrons plus loin.
Ces dispositifs, contractualisés en 2021 dans le cadre du plan de Relance, sont entrés progressivement en oeuvre après 2 années consacrées à la création des structures par les régions, l'embauche d'experts - ou la débauche d'experts - et la recherche de locaux sécurisés.
Plusieurs observations peuvent être faites à la lumière d'une visite effectuée au Campus cyber de Nouvelle Aquitaine dont le « CRIC » venait d'entrer en service en avril 2023 avec d'abord 2 ingénieurs puis un troisième par ailleurs ancien agent de l'ANSSI. Plusieurs remarques :
- la création de ces centres, qui remplissent localement des missions régaliennes qui leur sont confiées par l'ANSSI, nécessite un portage politique important (au titre de la compétence développement économique des régions) alors même que la pérennité de la ressource n'est pas assurée ;
- après la consommation des crédits du Plan de relance (1 million d'euros de démarrage par région), le risque est grand de voir toute la charge reposer sur des conseils régionaux qui n'ont pas vraiment l'obligation de poursuivre dans cette démarche. C'est ce qui se passe en Nouvelle Aquitaine pour un budget de 650 000 euros, le reste étant constitué d'apport des entreprises partenaires de ce Campus. Ce point nous a éclairé sur les raisons du refus de la région Auvergne-Rhône-Alpe de se lancer dans cette démarche car nous pouvons comprendre qu'une collectivité, ne voyant pas assuré sur le très long terme une mission qui n'entre pas forcément dans ses compétences, ne souhaite s'engager en toute confiance ;
- en tout état de cause les élus régionaux que nous avons rencontrés se sont malgré tout montré allants sur la création de leurs CSIRT respectifs (Bretagne et Nouvelle Aquitaine) mais ils appellent d'urgence à penser dès maintenant l'après Plan de Relance, soit par le biais d'un plan État-Région, soit, et c'est plus original, au moyen d'un modèle de type SPL (société publique locale) qui générerait des ressources financières, comme une SPL de télécommunication, pour assurer le financement d'un CSIRT. La piste de la constitution de groupement d'intérêt public (GIP) a également été évoquée. Cela pose toutefois la question d'un transfert de compétences régaliennes à des collectivités territoriales ;
- cette question ne s'éloigne pas du sujet de la LPM dans la mesure où l'objectif de la revue nationale stratégique est de constituer des synergies entre public et privé pour constituer un environnement sécurisé et faire face aux menaces. Dans une optique d'« économie de guerre », le caractère régalien de la cybersécurité nécessiterait une harmonisation de l'offre de services et des modalités d'appel en cas d'incident. L'ANSSI assume le caractère expérimental de la démarche dans sa phase de lancement, mais indique qu'une association « Inter-CERT » serait créée pour constituer une tête de réseau des CSIRT régionaux et ultérieurement harmoniser les procédures. Certains CSIRT communiquent largement leurs coordonnées tandis que d'autres confient le soin de la diffusion d'information aux réseaux consulaires et organisations professionnelles. On est encore loin du principe du numéro d'appel universel tel que le 18 ou le 112 sur les questions cyber.
Enfin, pour conclure ces observations sur la question des campus cyber en région, de la création récente du Campus Cyber national à Puteaux, ou d'autres initiatives qui se font jour, le rapport annexé de la LPM prévoit la création d'un nouveau pôle d'excellence structuré autour de l'Ecole polytechnique au bénéfice des armées. Ce sur quoi nous alertons, c'est qu'il ne faudrait pas que la multiplication des pôles d'excellence ou des campus cyber conduise à l'effet inverse de celui recherché qui était de mettre dans un même lieu des acteurs du cyber de tous horizons et non de multiplier les locaux, disperser les acteurs et saupoudrer les moyens.
J'ajoute un point sur ce qu'a évoqué Olivier Cadic et soulevé Yannick Vaugrenard, c'est la question des recrutements. Nous sommes dans un domaine ou des États étrangers recrutent des ingénieurs comme on recrute des joueurs de football en allant prospecter dans les écoles, et même en ciblant dès le collège pour identifier des talents. Cette rareté de la ressource est aggravée par le fait que les structures publiques se trouvent en situation de concurrence entre-elles, avec des grilles de rémunérations très diverses. Les débauchages mutuels conduisent à des effets contreproductifs sur lesquels il convient de s'interroger.
M. André Gattolin. - Je salue le travail des deux rapporteurs que j'ai eu l'occasion d'accompagner lors de la visite de la DGA-MI et du Comcyber à Rennes. Nous avons été impressionnés par les moyens mis en oeuvre et les capacités techniques de ces unités.
Je voudrais formuler une remarque valable pour les deux programmes, 129 et 144. Notre doctrine évolue sur la séparation dans le domaine cyber entre le défensif et l'offensif, cette distinction étant illusoire dans le contexte actuel. Le problème fondamental lorsque l'on passe du défensif à l'offensif est celui d'avoir une doctrine. Il faut savoir ce que l'on veut faire. Il faut le penser et le faire dans le cadre de l'État de droit. Et ce cadre, nous ne l'avons pas.
Nous sommes très bons pour nous occuper des tuyaux et des technologies. Mais quand il s'agit d'agir, dans le domaine de l'influence, nous sommes assez mauvais dans la construction des discours et des narratifs. Le contre-narratif est laissé au ministère des affaires européennes et étrangères. Nous devons définir si nous nous autorisons, face à la désinformation, nous aussi la divulgation de fausses informations. Cela paraît compliqué pour un État de droit.
En revanche, quel discours tenons-nous. Notre problème repose sur un désarmement intellectuel de l'État. On lance beaucoup d'études et on crée un observatoire des ingérences étrangères mais on n'en définit pas le périmètre. C'est notre rôle de parlementaire que d'alerter sur la nécessité d'une approche plus inclusive notamment à l'égard du monde de la rechercher pour conduire des travaux duaux, c'est-à-dire à double usages, surtout si nous voulons construire une pensée et une doctrine, au-delà des seuls aspects techniques. Il faut aussi définir quels sont les ennemis ou les ennemis potentiels.
Cela nécessite davantage de coordination et c'est à mon sens essentiel pour les années à venir.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour ce rapport qui pose les bonnes questions et qui va au fond des sujets. Ma question s'adresse à Olivier Cadic pour savoir si les observations formulées sont personnelles ou collectives, les co-rapporteurs pouvant ne pas être sur la même ligne, et si l'intention est de traduire les propositions en amendements à la LPM ?
M. Olivier Cadic. - Nous travaillons en bonne intelligence, ce qui ne veut pas dire que nous pensons pareil sur tout, et il est important de pouvoir exprimer des nuances personnelles. D'ailleurs, Mickaël Vallet a exprimé des constats qui lui sont propres, mais que je partage et prends à mon compte.
M. Mickaël Vallet. - Par exemple sur la question du rôle de l'ANSSI, de l'ARCEP et de la fin de l'assermentation judiciaire de certains agents, nous avons fait une présentation factuelle de ces points d'attention car il est possible que dans les débats, des amendements viennent modifier des seuils d'alerte avant que le texte ne soit transmis au Sénat. Nous souhaitions pointer du doigt des évolutions notables du droit existant.
M. Christian Cambon, président. - Je note la pertinence de la méthode que nous avons utilisée en confiant à des parlementaires la préparation de la discussion de la LPM, chacun dans son secteur de compétence, au lieu de se fondre dans les groupes de travail qui nous étaient proposés par le gouvernement et dont aucune proposition, à part peut-être pour la condition militaire, n'est véritablement sortie.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.
La réunion est close à 12 heures.