- Mardi 16 mai 2023
- Mercredi 17 mai 2023
- Projet de loi relatif à l'industrie verte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
- Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen du rapport pour avis
- Audition de M. Yannick Morez, maire démissionnaire de Saint-Brevin-les-Pins
Mardi 16 mai 2023
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 14 h 15.
Proposition de loi visant à réduire les inégalités territoriales pour les ouvertures de casinos - Examen des amendements au texte de la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à réduire les inégalités territoriales pour les ouvertures de casinos.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. François Bonhomme, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié permettant aux communes riveraines des étangs salés et des plans d'eau intérieurs d'ouvrir des casinos, car ce champ est trop large. Imaginez le nombre potentiel de casinos si cet amendement était adopté !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié.
M. François Bonhomme, rapporteur. - L'amendement n° 2 rectifié bis vise également à élargir le critère permettant l'implantation d'un casino aux communes classées historiques dans un département frontalier et membre d'une intercommunalité de plus de 100 000 habitants. Concernant le terme « historique », je pense qu'il s'agit d'une erreur matérielle - cette appellation n'est pas prévue par le législateur - et que nos collègues veulent parler des communes dites « touristiques ». Sous réserve de cette correction matérielle, nous pourrions envisager un avis de sagesse, même si la semaine dernière, nous n'avons pas retenu cet amendement.
M. André Reichardt. - Cet amendement pose problème selon moi.
M. Alain Marc. - Il faut être cohérent.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Il est vrai que je suis assez réservé sur cet amendement même s'il est vraisemblable que le Gouvernement ne le rejettera pas. En tout état de cause, nous demanderons à notre collègue de préciser s'il s'agit bien des communes touristiques.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous pouvons aussi nous en tenir à l'avis défavorable de la commission.
M. André Reichardt. - Se pose tout de même un problème de cohérence. L'adoption de cet amendement signifie que nous accepterions l'implantation de casinos à proximité d'autres casinos dans le département.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Cela risque en effet de créer un déséquilibre.
M. Alain Marc. - La portée du premier amendement était bien moindre.
M. François Bonhomme, rapporteur. - Non, le nombre de communes à proximité d'un étang salé ou d'un plan d'eau est bien supérieur. Qui plus est, il n'y a pas de tradition de jeux d'argent et de hasard autour d'un lac, contrairement à l'hippisme. À l'aune de nos échanges, je vous propose d'émettre un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 rectifié.
La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :
Auteur |
N° |
Avis de la commission |
Article unique |
||
M. MENONVILLE |
1 rect. |
Défavorable |
Mme JOSEPH |
2 rect. ter |
Défavorable |
La réunion est close à 14 h 20.
Mercredi 17 mai 2023
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Projet de loi relatif à l'industrie verte - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 607 (2022-2023) relatif à l'industrie verte et désigne M. Arnaud de Belenet rapporteur pour avis.
Projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces - Examen du rapport pour avis
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Alain Richard sur le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Le texte que nous examinons est un peu original car le code des douanes est en général modifié dans le cadre des projets de loi de finances.
Permettez-moi de faire un rappel général sur le rôle des douanes.
Les douanes sont l'administration de la marchandise et de la frontière. Nous les connaissons généralement sous l'angle des droits de douane qu'elles perçoivent, mais elles contrôlent également des marchandises légales et illégales, ce qui les place en première ligne dans la lutte contre l'importation de stupéfiants sur le territoire métropolitain et dans les outre-mer, mais aussi contre le trafic d'espèces sauvages, qui est devenu une des sources majeures de financement de la criminalité organisée.
Le code des douanes de l'Union européenne confie aux douanes une mission générale de contrôle des trafics internationaux de marchandises entrant sur le territoire de l'Union.
Par ailleurs, le code de Schengen fait des douaniers les gardes-frontières de l'Union, ce qui implique leur participation au contrôle migratoire. Ils participent également, en application du droit européen, au contrôle des mouvements d'argent liquide. En outre, s'y ajoutent des missions diverses de protection du patrimoine ou de l'environnement par exemple.
L'étude d'impact du projet de loi indique que les douanes assurent la vérification du respect de 350 réglementations non douanières pour les marchandises entrant sur le territoire. Elles ont un rôle essentiel dans la lutte contre les trafics de toute nature, qu'il s'agisse de stupéfiants, d'armes ou de tabacs de contrebande. À cet égard, Mme Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants (Ofast), nous a parlé la semaine dernière de ce sujet de manière détaillée. Je soulignerai simplement que, en 2022, les douanes ont saisi plus de 100 tonnes de drogues pour une valeur de revente illicite estimée à plus de 1 milliard d'euros, environ 640 tonnes de tabacs et de cigarettes et plus de 11 millions d'articles de contrefaçon.
C'est pourquoi l'administration des douanes sera au coeur du plan de lutte contre la fraude fiscale et douanière présenté récemment par le ministère des finances et des comptes publics. Face à la dématérialisation des trafics, qui s'appuient de plus en plus souvent sur le e-commerce, l'autre objectif majeur du plan est de faire de la lutte contre les infractions en ligne une priorité des douanes.
Pour exercer leurs missions, les douanes sont dotées de larges pouvoirs coercitifs. Elles disposent de leur propre service de renseignement, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et s'appuient sur un service d'enquête spécialisé, le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Elles sont, par ailleurs, soumises à un droit original, qui présente la particularité d'avoir été très peu modifié et donc d'être, sur certains points, en décalage au regard des droits de la défense et des libertés individuelles. La dernière difficulté en date concerne l'annulation, le 22 septembre 2022, par le Conseil constitutionnel de l'article 60 du code des douanes, qui définit les pouvoirs de contrôle des agents des douanes sur place et sur pièces, lequel sera abrogé le 1er septembre 2023.
Le projet de loi qui nous est présenté vise donc à refondre le droit de visite douanière, autrement dit les fouilles, mais également à étendre les prérogatives des douanes et à mieux appréhender le volet numérique des infractions. Il a été renvoyé au fond à la commission des finances, la commission des lois s'étant saisie pour avis. Nous avons toutefois obtenu une délégation au fond pour sept des seize articles du texte : les articles 1er à 5 qui portent sur la refonte du droit de visite ; l'article 8 relatif à la sonorisation et la captation d'images sans consentement ; et l'article 11 qui porte sur l'expérimentation d'une durée de conservation étendue des données issues des lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (Lapi).
D'autres articles toutefois, sans avoir fait l'objet d'une délégation, ont un lien étroit avec le périmètre de compétences de notre commission en ce qu'ils concernent l'exercice, par les agents des douanes, de leurs pouvoirs d'enquête ou visent à les doter d'outils juridiques nouveaux - les articles 9, 10 et 12 - et ont justifié une saisine pour avis.
Je dirai, tout d'abord, quelques mots sur les articles qui nous ont été délégués au fond.
Les articles 1er et 2 du projet de loi visent à encadrer le régime de la visite douanière afin d'assurer sa conformité à la Constitution.
L'article 1er définit de manière plus stricte la zone terrestre du « rayon des douanes », à savoir 40 kilomètres de la frontière, au sein duquel les agents des douanes disposent de prérogatives étendues de contrôle. L'article 2 tend, pour sa part, à remplacer l'article 60 du code des douanes par onze articles présentant une gradation dans les pouvoirs des agents des douanes en matière de visite, en fonction du lieu et des motifs ; parallèlement, ils adaptent le contrôle exercé par le juge et les garanties offertes aux personnes contrôlées. La visite douanière serait désormais fondée soit sur le lieu où elle se déroule, c'est-à-dire le rayon des douanes ou les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international, soit sur l'ensemble de la voie publique pour des motifs particuliers, lorsqu'une infraction est soupçonnée ou recherchée. La recherche des infractions douanières les plus graves, comme le trafic de stupéfiants, serait soumise à l'information préalable du procureur de la République.
L'article 3 étend le nouveau régime des personnes soumises à une visite douanière à celles qui sont présentes lors de la visite d'un navire.
L'article 4 encadre les modalités selon lesquelles un agent des douanes qui constate une infraction flagrante de droit commun peut intervenir avant de remettre la personne interpellée à un officier de police judiciaire (OPJ).
L'article 5 apporte, quant à lui, une précision sur le fondement en droit européen des contrôles exercés aux frontières sur les personnes par les agents des douanes.
L'article 8 propose d'étendre aux enquêtes douanières une nouvelle technique spéciale, la sonorisation et la captation d'images ; elle serait soumise aux mêmes modalités d'autorisation et de contrôle que les techniques spéciales auxquelles il est possible de recourir dans le cadre des enquêtes judiciaires.
Enfin, l'article 11 prévoit la mise oeuvre d'une expérimentation, d'une durée de trois ans, offrant aux agents du renseignement douanier un double élargissement de l'usage des données issues des Lapi. Aujourd'hui, la lecture des plaques d'immatriculation est utilisée pour repérer les véhicules volés, avec une durée de conservation des données limitée, quinze jours ou, au maximum, un mois lorsqu'elle donne lieu à la détection d'une infraction. 'Le projet de loi vise à étendre cet usage pour 'identifier les mouvements de véhicules qui peuvent révéler l'existence d'un trafic routier, comme, par exemple, des véhicules en convoi sur une longue distance.
J'en viens aux articles dont nous sommes saisis pour avis.
Les articles 9 et 10 visent à combler des lacunes en matière d'accès des agents des douanes aux données informatiques ; ils permettraient aux agents des douanes de prendre connaissance, puis de saisir, les pièces et documents informatiques des personnes placées en retenue douanière, c'est-à-dire les données qui se trouvent, par exemple, sur un téléphone portable. Ils permettraient aussi, en cas de visite domiciliaire, de « geler » les données hébergées sur un système distant afin de procéder ultérieurement à leur téléchargement en évitant qu'une personne mise en cause ou un complice ne les modifie dans cet intervalle.
Quant à l'article 12, il entend renforcer la lutte contre la criminalité en ligne en permettant aux agents des douanes d'obtenir la suppression, la mise hors d'accès ou le déréférencement des contenus illicites ; il s'agit là des ventes de drogue en ligne.
Enfin, même si nous n'en sommes pas saisis, l'article 15 du projet de loi prévoit une recodification intégrale du code des douanes. Conçu en 1948, il ne répond plus aujourd''hui aux normes d'accessibilité du droit, sans compter que certains articles, modifiés à plusieurs reprises, sont devenus illisibles.
Sur ce texte, je vous propose de rechercher un équilibre entre deux impératifs : donner aux agents des douanes les moyens d'exercer efficacement leurs missions, essentielles et difficiles ; et, dans le même temps, sécuriser l'exercice de ces missions sur le plan juridique. En effet, il subsiste encore plusieurs constats d'irrégularités. L'article de recodification porte la mention « à droit constant » ; l'ordonnance est prise dans un délai de trente-six mois suivant la publication de la loi et un projet de loi de ratification est prévu dans un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance. Ce délai ne paraît pas excessif eu égard à la charge de travail que cela représentera.
Sur le premier impératif, la modernisation des pouvoirs des agents des douanes, je vous proposerai de souscrire aux innovations relatives à la sonorisation et à la captation d'images, à l'article 8, ainsi qu'à celles qui concernent l'accès aux données informatiques aux articles 9 et 10, sous réserve de quelques amendements rédactionnels, de clarification ou de précision. Je donnerai également un avis favorable à certains amendements qui visent, eux aussi, à faciliter l'exercice des missions des agents des douanes, à l'instar d'un amendement de notre collègue André Reichardt sur les horaires de la visite douanière.
Sur la lutte contre les infractions commises en ligne, à l'article 12, je ne vous proposerai pas de modifications à ce stade : le mécanisme proposé par le Gouvernement pose des difficultés pratiques, mais l'objectif poursuivi est légitime. Nous devrons, en lien avec la commission des finances, trouver d'ici à la séance publique les moyens d'améliorer la rédaction dans le sens d'une plus grande cohérence.
Je vous proposerai également de soutenir l'expérimentation proposée à l'article 11, tout en prévoyant un partage de l'évaluation avec d'autres services.
S'agissant du second impératif, celui de la sécurisation juridique du droit douanier, voici les évolutions que je souhaite promouvoir.
Sur le droit de visite douanière, le Gouvernement a déjà fait un important travail de réécriture ; les amendements que j'ai déposés permettent, outre des clarifications rédactionnelles, de le compléter et de garantir pleinement les droits des personnes. Je vous proposerai ainsi de préciser que les opérations de visite ne peuvent durer plus de douze heures consécutives sur un même lieu ou dans une même zone et que le contrôle ne peut porter que sur une fraction limitée du public présent.
De même, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, nous devons détailler le contenu des opérations matérielles de visite et de prévoir que la visite des personnes lieu séparé et pas de fouille intégrale.
Enfin, je vous propose de préciser les conditions d'information du procureur de la République en cas de transfert d'une personne ou de marchandises pour les opérations de visite.
Je pense aussi indispensable de modifier, sans attendre la recodification du code des douanes, des dispositions très dérogatoires au droit commun qui soulèvent des difficultés de principe. Aussi, je vous présenterai, un amendement, à l'article 10, visant à mettre fin à une situation anormale qui concerne les visites domiciliaires : alors que celles-ci s'apparentent à des perquisitions, elles sont aujourd'hui faites en dehors de toute association de l'autorité judiciaire lorsqu'elles font suite à un flagrant délit, c'est-à-dire dans 90 % des cas. Il convient donc de prévoir une information, avec pouvoir d'opposition, du procureur de la République.
Je vous proposerai de même un amendement, à l'article 9, permettant de mieux encadrer une innovation proposée par le Gouvernement, à savoir le nouveau pouvoir de saisie conféré aux agents des douanes en ce qui concerne la saisie de supports informatiques, notamment lorsque celle-ci concerne les supports détenus par une personne remise en liberté à l'issue d'une retenue douanière.
M. Jean-Yves Leconte. - Ce projet de loi répond à l'impératif de mise en conformité constitutionnelle de l'article 60. Nous adhérons aux mesures d'encadrement que vous proposez. Toutefois, j'ai une interrogation sur la réserve opérationnelle, dont l'examen échoit à la commission des finances. Est-ce dû à l'annonce de l'éventuelle baisse d'effectifs ?
Par ailleurs, compte tenu des prérogatives des douanes aux frontières, nous veillerons à ce que les agents des douanes ne contournent pas le droit à la liberté de circulation. Sur ce point, nous serons particulièrement vigilants sur les flagrances.
M. Loïc Hervé. - Ce rapport est très intéressant. Sur la question de l'intervention du procureur de la République, comment s'assurer que l'approche des procureurs sera cohérente dans les territoires lorsqu'ils se saisiront de leur droit d'opposition. Le ministère de la justice a-t-il prévu une doctrine commune ?
Concernant la conservation des données issues des Lapi, vous avez évoqué la question de la lutte contre les convois. Comment s'assurer que l'algorithme sera uniquement dédié à la confrontation de certaines données dans ce cadre précis ? Cette technologie est très efficace, il faut l'utiliser à bon escient.
Mme Agnès Canayer. - Je me félicite de ce texte. Il est essentiel que les douanes aient les moyens de mener leurs actions, notamment en adéquation avec l'évolution des techniques de plus en plus pointues des trafiquants de drogue. Cela n'est pas sans conséquence en termes de criminalité et sur l'ensemble de la population des territoires concernés en termes de pression.
Le recours aux algorithmes est essentiel, mais j'aimerais savoir pourquoi un délai de quatre mois est prévu pour la durée de conservation des données.
Mme Nadine Bellurot. - Merci pour ce rapport très complet sur ce sujet important.
D'un point de vue pratique, informer le procureur de la République ne risque-t-il pas de créer une sorte d'embouteillage ? Cela prend déjà du temps d'obtenir l'autorisation du procureur pour procéder aux visites. Alors même que l'on souhaite simplifier la procédure pénale, cette mesure n'est-elle pas trop contraignante sachant que les magistrats sont déjà surchargés ?
J'aimerais savoir quelle est la procédure pour les camping-cars visés à l'alinéa 22 de l'article 2. Les agents des douanes risquent d'être entravés dans leurs démarches, alors que l'on observe des trafics de drogue dans ces véhicules.
Dresser un procès-verbal est une démarche vertueuse, mais cela va mobiliser deux agents une vingtaine de minutes. De plus, les trafiquants déjouent déjà les contrôles : les douaniers pourraient donner quitus à une ouvreuse, laquelle pourrait charger une cargaison quelques kilomètres plus loin et présenter son quitus si elle était de nouveau arrêtée. Ce procès-verbal est-il absolument indispensable ?
Mme Catherine Belrhiti. - Merci pour ce travail pointu. Je ferai remonter deux inquiétudes de la direction des douanes. Il est envisager de limiter le rayon des douanes ce qui placerait 50 % des effectifs hors périmètre. Les interventions pourraient être plus efficaces si l'on élargissait le périmètre. Par ailleurs, concernant l'information des procureurs de la République, les douanes souhaiteraient que l'information préalable au parquet soit simple, pour plus d'efficacité. Avec les réseaux sociaux, les douanes doivent se déplacer au bout de quinze minutes, car tout le monde est au courant de l'opération de contrôle.
Mme Marie Mercier. - Je remercie le rapporteur pour cet exposé. Je veux simplement dire que, fin 2019, Jérôme Durain et moi-même nous nous sommes battus pour le maintien des effectifs du bureau de douanes de Chalon-sur-Saône, que nous avons obtenu au début de cette année. Même si nous avons perdu des années, je veux souligner cet effort.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Il était évident que cette administration dotée de pouvoirs de contrainte et d'un esprit de discipline indiscutable ne verrait pas d'un bon oeil l'entrée de l'État de droit dans ses activités. Or, dans un État de droit, les délinquants ont aussi des droits ; c'est un fait. Comme je l'ai indiqué, le code des douanes pose des problèmes juridiques, une lecture attentive des dispositions révèle d'ailleurs d'autres difficultés potentielles. À cet égard, les cabinets d'avocats se font fort d'obtenir l'annulation de poursuites d'un gros trafiquant en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
C'est pourquoi ce projet de loi introduit dans les procédures de contrainte un certain nombre de mesures visant à informer la justice, en vue d'encadrer ou de limiter le déroulement des contrôles. Les amendements visent à les compléter pour combler des lacunes en matière de droits de la personne. Au cours des vingt dernières années, le code de procédure pénale a connu des évolutions similaires.
Même si les procédures douanières ne sont pas rigoureusement analogues aux procédures judiciaires, il ne sera pas tenable à terme d'avoir des règles de protection individuelles différentes quand il s'agit de fouiller un véhicule, un stock de marchandises, une personne ou un domicile.
Des contacts existent déjà entre le service des douanes et les parquets dans le ressort desquels il y a soit un aéroport, soit des lignes ferroviaires transnationales. La durée du contact avec le procureur sera évidemment brève, mais cela permettra à l'autorité judiciaire, au moment où elle sera informée, de demander des explications à la brigade de surveillance et de poser des limites quant à ses pouvoirs d'intrusion. De même, l'exigence des procès-verbaux nécessitera certes un travail supplémentaire, mais il suffira aux agents des douanes de remplir un formulaire préétabli. C'est la garantie minimale que l'on peut prévoir dans cette procédure de contrainte.
J'ai préféré négliger une petite divergence entre la décision du Conseil constitutionnel, qui se fonde sur l'absence de garantie procédurale des contrôles opérés au titre de l'article 60, et de la Cour de cassation. Cette dernière, acceptant une QPC, a relevé qu'une personne contrôlée sans qu'aucune infraction ne soit relevée devrait avoir le droit de faire disparaître les traces juridiques de ce contrôle, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Nous n'avons pas pris l'initiative d'instaurer cette faculté purement symbolique. Faire disparaître les procès-verbaux serait de nature à nourrir une activité juridictionnelle supplémentaire dont nous n'avons pas besoin. Néanmoins, les pouvoirs de contrôle étant très intrusifs pour les entreprises et les personnes, les douanes doivent les exercer en respectant les droits individuels.
En ce qui concerne la question du domicile, il existe des cas de visites proprement domiciliaires et des fouilles dans des véhicules ou des stocks de marchandises dans les ports. En pur droit, une vieille jurisprudence du Conseil constitutionnel fait du véhicule, y compris lorsqu'il est purement routier, une annexe du domicile. Même si les techniques de dissimulation sont toujours plus fines, les douaniers disposent à présent de dispositifs de radiographie traversant divers matériaux pour constater la présence de paquets de drogue, notamment au milieu de cargaisons de sucre ou de biens textiles, il ne m'a pas paru possible de faire une distinction : le véhicule, qui plus est lorsqu'il est habitable, doit être protégé comme le domicile.
Le périmètre des douanes est fixé à quarante kilomètres, alors que la norme européenne pour les contrôles d'identité est de vingt kilomètres. Les particularités du territoire français sont un argument justifiant cet épaississement de la zone frontière. Un amendement vise à étendre cette zone à soixante kilomètres, ce qui est risqué au regard de la réglementation européenne, d'autant qu'elle comprend également les aéroports internationaux, les ports et les lignes ferroviaires transnationales. Nous ne pouvons guère aller plus loin.
Il est depuis longtemps précisé que le pouvoir de visite des douanes dans les zones portuaires et aéroportuaires s'exerce dans le port et dans ses abords. Ce critère paraît subjectif. Je privilégierai, pour ma part, à la notion d'« abords », l'idée d'un rayon circonscrit et mesurable géographiquement, comme le propose un des amendements que nous aurons à examiner.
La durée normale de conservation des données relatives aux plaques minéralogiques est de quinze jours. En cas de suspicion de vol de véhicule, par exemple, elles sont conservables au-delà. L'expérimentation du Gouvernement étendrait le délai à quatre mois, ce qui paraît beaucoup. Un article prévoit que la mise en place d'un traitement collectant ces données soit approuvée par un décret en Conseil d'État. Nous demandons que le délai testé au cours de cette expérimentation soit de deux mois puis de trois mois, afin de justifier ensuite de la nécessité des quatre mois. L'interception des convois qui desservent les points de distribution de drogue, source importante de l'augmentation des volumes en France, selon le Gouvernement, justifie le délai proposé.
Les agents de la douane ne contrôlent que les plaques, à l'arrière, si bien que les occupants des véhicules ne sont pas photographiés. La simple observation d'un mouvement récurrent de la part de certains véhicules permettra de repérer les convois. Le décret devra préciser que seuls les numéros d'immatriculation sont stockés dans un délai de quatre mois.
M. François-Noël Buffet, président. - Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer qu'il comprend les dispositions relatives à la définition du rayon douanier ; aux règles d'exercice du droit de visite douanier ; aux règles de contrôle de l'identité des personnes circulant dans le rayon douanier ou qui entrent ou sortent du territoire douanier ; aux techniques de sonorisation et de captation d'images offertes aux agents du renseignement douanier ; à l'expérimentation d'une durée de conservation étendue aux traitements complémentaires des données issues des lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (Lapi).
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES POUR AVIS
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-47 a pour objet de supprimer une mention redondante.
L'amendement COM-47 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-48 prévoit que, dans le cadre de l'enquête douanière, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, les agents des douanes puissent saisir des données informatiques contenues dans des supports numériques des personnes remises en liberté à l'issue d'une retenue.
L'amendement COM-48 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-82 vise à éviter les litiges relatifs au droit à restitution des marchandises retenues. Il s'agit de lever une ambiguïté présente dans les textes actuels en définissant quand la fin d'une procédure donne droit à restitution.
Le sous-amendement COM-82 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-51 a pour objet les visites domiciliaires qui s'apparentent en réalité à une perquisition. Dans le système actuel, la perquisition est autorisée par le juge des libertés et de la détention; en cas de flagrant délit, il y a visite domiciliaire sans intervention de la justice. Les douanes n'ont pas envie de voir leurs habitudes changer. Notre objectif est que, dès le début de la visite, il y ait information du procureur afin qu'il ait la possibilité de s'y opposer.
Mme Agnès Canayer. - Les visites domiciliaires sont-elles limitées à certains horaires ?
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Les visites ne peuvent avoir lieu la nuit. Il nous a paru que l'information du procureur afin qu'il puisse s'opposer à la visite pourrait s'appliquer aux visites du domicile au sens propre ou aux véhicules.
L'amendement COM-51 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-52 a pour objet la durée de conservation des données. Si ces dernières ont été gelées, c'est-à-dire qu'elles ont été détectées, mais que les agents n'ont pu y avoir accès, la conservation vaut pour trente jours.
L'amendement COM-52 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-56 a également pour objet la conservation des données dans un délai de trente jours.
L'amendement COM-56 est adopté.
L'amendement de coordination COM-53 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-54 tend à appliquer des sanctions dans le cas où l'occupant des lieux ferait obstacle à l'accès aux données.
L'amendement COM-54 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement de coordination COM-55 prévoit le contrôle par le procureur de la République des visites domiciliaires fiscales à la suite d'une flagrance.
L'amendement COM-55 est adopté.
L'amendement de coordination COM-57 est adopté.
EXAMEN DES ARTICLES DÉLÉGUÉS AU FOND
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-1 rectifié vise à étendre à soixante kilomètres le périmètre douanier. Le compromis proposé par le projet de loi de conserver une limite de quarante kilomètres puisque le principe fixé par le code Schengen est de vingt kilomètres. À la suite de la censure prononcée par le Conseil constitutionnel, proposer à nouveau un périmètre de soixante kilomètres serait perçu comme disproportionné.
Mme Nathalie Goulet. - Soixante kilomètres, c'est peu pour le contrôle des trafics de drogue.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Pour les infractions les plus graves, les pouvoirs qui sont ceux de la douane valent également sur la voie publique, partout sur le territoire ; d'où l'encadrement du droit de visite. Avis défavorable à cet amendement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-1 rectifié.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 1er sans modification.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-26, le sous-amendement COM-81 et l'amendement COM-18 visent à préciser l'article relatif au droit de visite douanière sur la voie publique. L'amendement COM-26 est rédactionnel. Le sous-amendement COM-81 et l'amendement COM-18 tendent à préciser les objectifs du contrôle, mais ils sont satisfaits par le mien. Aussi proposerai-je leur retrait ; à défaut, l'avis serait défavorable.
M. Jean-Yves Leconte. - Je les retire.
Le sous-amendement COM-81 et l'amendement COM-18 sont retirés. L'amendement COM-26 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-19 a pour objet le rayon douanier. Je ne souhaite pas garder la notion de droit de contrôle étendu « aux abords » des ports et aéroports. Nous verrons avec la commission des finances si nous retenons un rayon de « cinq kilomètres » ou de « dix kilomètres » comme le propose l'amendement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement COM-19.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-65 tend à clarifier le périmètre de contrôle en incluant les espaces routiers.
L'amendement COM-65 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-27 a pour objet les visites douanières sur le premier arrêt des lignes internationales, en dehors du périmètre des quarante kilomètres. La liste de grandes gares où le contrôle douanier peut s'exercer, comme si elles étaient incluses dans le périmètre, doit être établie par arrêté ministériel. Je demande que cet arrêté soit conjoint aux ministères des transports et des douanes pour mieux apprécier la notion de gare internationale.
L'amendement COM-27 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-6 vise à substituer, pour exercer un contrôle, à la notion de « raisons plausibles de soupçonner » des infractions, qui induit une production de renseignement, celle d'« indices ou de raisons concordantes ». Cette dernière expression nous paraît trop restrictive : dans le cas de contrôles préventifs, nous ne pouvons demander de disposer de preuves préalables. Nous demandons le retrait de l'amendement, à défaut l'avis serait défavorable.
M. André Reichardt. - Je le retire.
L'amendement COM-6 est retiré.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-20 vise à informer le procureur avant l'exercice du droit de visite en cas de raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction. Il va à l'encontre de la logique du texte qui établit une gradation des contrôles du juge en fonction du motif qui fonde la visite. Mon avis est défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-20.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-28 a pour objet de supprimer le fait d'incriminer les tentatives séparément des infractions. La tentative vaut commission.
L'amendement COM-28 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-29 rectifié apporte des précisions rédactionnelles.
L'amendement COM-29 rectifié est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-7 vise à élargir l'amplitude horaire des visites douanières. La plage actuelle figurant dans le code des douanes est de 8 heures à 20 heures et vise les locaux professionnels. L'amendement propose d'étendre la plage horaire de 6 heures à 21 heures. L'avis est favorable.
La commission émet un avis favorable à l'amendement COM-7.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-30 a pour objet d'expliciter la durée limite des douze heures durant laquelle les douaniers peuvent, pour exercer une séquence de contrôles, se poster dans un lieu ou le long d'une route.
Le projet de loi visait à ce que le contrôle ne soit pas exhaustif. Cet amendement limite le contrôle aux personnes « dont le comportement les signale à l'attention des agents ou d'une fraction limitée du public présent ».
L'amendement COM-30 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-31 a pour objet de substituer « fouille intégrale » à « fouille à corps », car c'est l'expression qui présente dans d'autres textes et qui est plus claire.
L'amendement COM-31 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-32 vise à préciser que les fouilles sont pratiquées dans un lieu clos « sauf impossibilité ».
L'amendement COM-32 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-33 tend à préciser le contenu des opérations matérielles que les douaniers peuvent effectuer ainsi qu'à garantir la rédaction d'un procès-verbal.
L'amendement COM-33 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-34 risque de créer quelques dissensions avec le ministre. La rédaction initiale concernant la durée limite de maintien sur place d'un véhicule était astucieuse : le délai de quatre heures au terme duquel le procureur est prévenu courait à partir du déplacement. Mais il n'y avait aucune limite concernant le maintien sur place préalable. La durée totale de rétention d'un véhicule doit être limitée. Reste à voir si elle sera de quatre heures ou de six heures.
Je rectifierai une erreur de formulation : les termes « des opérations de visite » doivent être remplacés par « des opérations de la visite. »
L'amendement COM-34, ainsi modifié, est adopté.
L'amendement de clarification COM-35 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-21 a pour objet d'encadrer le pouvoir d'audition lors d'une visite. Il est satisfait par le texte gouvernemental.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-21.
L'amendement de précision rédactionnelle COM-36 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 2 ainsi modifié.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-66 vise à préciser que le contrôle s'exerce aussi en application d'un règlement de l'Union européenne relatif aux contrôles de l'argent liquide.
L'amendement COM-66 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 3 ainsi modifié.
Article 4 (délégué)
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 4 sans modification.
Article 5 (délégué)
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 5 sans modification.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-22 vise à durcir les conditions d'habilitation des agents pour les contrôles les plus resserrés. Si nous adoptons en juillet prochain la rédaction précisant « dans des conditions fixées par décret », dans l'intervalle, les douaniers ne pourront plus pratiquer de visite. De plus, les règles d'habilitation sont déjà exigeantes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-22.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-23 tend à introduire dans le code des douanes la procédure du code de procédure pénale et non à procéder par renvois. C'est une mauvaise pratique que le même texte figure dans deux codes car inévitablement les textes divergents. Aussi l'avis est-il défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-23.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 8 sans modification.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-64 rectifié tend à ajouter dans le code de procédure pénale la mention des infractions en bande organisée.
L'amendement COM-64 rectifié est adopté et devient article additionnel.
La commission propose à la commission des finances d'adopter cet article additionnel.
Article 11 (délégué)
Les amendements de clarification COM-37 et COM-38 sont adoptés.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-39 vise à encadrer le décret relatif à l'expérimentation de la lecture des plaques. Nous reprenons la recommandation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).
L'amendement COM-39 est adopté.
Les amendements rédactionnels COM-40 et COM-41 sont adoptés.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - La rédaction du sous-amendement COM-83 entraînerait une extension des possibilités de conservation des données alors que l'intention est inverse. L'avis est défavorable.
La commission émet un avis défavorable au sous-amendement COM-83.
L'amendement rédactionnel COM-42 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-43 concerne l'évaluation de l'expérimentation relative à la lecture des plaques. Nous demandons un bilan annuel, sur les trois ans, pour évaluer au mieux l'efficacité à long terme du système. En effet, les bandes organisées risquent de trouver une parade contre cette détection. Avant de rendre pérenne ce pouvoir de contrôle, le ministère de la justice doit apporter l'analyse de son efficacité pénale.
L'amendement COM-43 est adopté.
M. Alain Richard, rapporteur pour avis. - Je demande le retrait du sous-amendement de coordination COM-84.
La commission émet un avis défavorable au sous-amendement COM-84.
L'amendement de clarification rédactionnelle COM-44 est adopté.
La commission propose à la commission des finances d'adopter l'article 11 ainsi modifié.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles délégués, sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission a également adopté les amendements suivants du rapporteur :
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, et de Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France -
La réunion suspendue à 9 h 45, est reprise à 11 h 20.
Audition de M. Yannick Morez, maire démissionnaire de Saint-Brevin-les-Pins
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins, démissionnaire, même si nous avons compris grâce à la presse que le préfet compétent faisait l'objet des plus hautes pressions pour ne pas accepter votre démission. Ce moment est difficile pour vous eu égard aux événements que vous avez subis, à titre personnel et qui vous ont décidé à remettre à votre mandat.
Vous êtes entouré par Maryse Carrère, présidente, et Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France, ainsi que de nos collègues sénateurs, qui ont tous, à un moment de leur carrière, détenu un mandat local. C'est dire à quel point nous avons conscience de votre situation, tout comme de celle de nos collègues élus municipaux, de même que les violences et les agressions que vous vivez.
Ayant été maire pendant vingt ans de ma commune du Rhône, Oulins, j'ai connu des moments difficiles, mais jamais à la hauteur de ce que nos collègues maires endurent aujourd'hui. La violence, quel que soit le milieu, prend sa place dans la vie publique comme dans la vie. Elle doit toujours être combattue.
Voilà déjà plusieurs années que les violences contre les élus, et contre les maires en particulier, sont un sujet de préoccupation pour le Sénat, chambre des collectivités locales. Je salue, à ce titre, la présence de Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Je ne rappellerai pas le lâche crime subi par le maire de Signes, l'agression de la maire de Plougrescant et tant d'autres. Nous vous apportons, à chacun, notre soutien unanime.
Nous souhaitons que vous disiez à la représentation nationale ce que vous avez vécu. Nous voulons comprendre ce qui ne s'est pas passé, alors que vous attendiez un soutien de l'État. En effet, plusieurs textes récents que le Sénat a adoptés, enjoignent aux préfectures et aux magistrats de se rapprocher des élus locaux, des maires en particulier, et de les écouter. En outre, en 2019 et en 2021, nous avions saisi le garde des Sceaux sur la situation des élus. Il avait pris des engagements. Vos propos nous permettront de comprendre ce que vous avez vécu et ce que vous n'avez pu obtenir, afin d'avancer dans notre travail de contrôle et d'améliorer notre législation.
Mme Maryse Carrère, présidente de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Nous vous apportons tout notre soutien pour ces moments douloureux, pour vous et votre famille.
Dès le début de ses travaux, la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire s'est intéressée à la problématique des démissions volontaires de maires, dont on observe qu'elles sont, en ce début de mandat, plus nombreuses que précédemment. Nous y avons vu le symptôme d'un mal-être des maires dont il nous appartenait d'identifier les causes. Déjà, des éléments émergent : un sentiment d'abandon, un déséquilibre entre les charges que l'on doit assumer, les moyens dont on dispose et l'aide que l'on reçoit, et des relations plus tendues avec certains citoyens.
Les causes sont nombreuses, et nous avons lancé, depuis la semaine dernière, une vaste consultation en ligne des élus municipaux, ouverte jusqu'au 8 juin, pour recueillir leur point de vue sur les conditions d'exercice de leur mandat et leur perception de l'avenir de la commune. Elle sera riche d'enseignements et nous permettra de mieux mesurer l'ampleur du phénomène et des difficultés des maires. Mais ces statistiques seraient impuissantes à décrire la réalité du phénomène si nous ne disposions pas, en même temps, du témoignage direct de ceux qui y sont confrontés. C'est pourquoi, monsieur le maire, au nom de mes collègues de la mission d'information, je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous, afin de nous éclairer sur le drame que vous avez vécu et sur ce qui, selon vous, a manqué dans l'aide et la protection que vous auriez dû recevoir.
M. Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-les-Pins. - Tout d'abord, je tiens à remercier tous les élus de France des messages de soutien que j'ai pu avoir, quel que soit leur rôle. Ils m'ont apporté beaucoup de chaleur, c'est vrai. Je me suis aperçu que, dans tous ces messages d'élus, par rapport à ceux, déjà nombreux, que j'avais reçus après l'incendie, le 22 mars, bien plus nombreux étaient les messages de soutien de maires qui m'ont exprimé ce qui leur était arrivé, notamment parfois des agressions, qu'elles soient verbales ou physiques. Beaucoup n'ont rien fait, n'ont pas déposé plainte, puisque très souvent - c'est ce qu'ils écrivaient dans les courriers que j'ai reçus -, celle-ci ne donnait pas lieu à des poursuites. C'est vrai que l'on constate une augmentation importante des agressions depuis un an, mais je pense que le pourcentage est largement sous-estimé et sous-évalué, puisque dans tous ces courriers, on s'aperçoit que les agressions sont fréquentes.
Je pense que ce n'est pas terminé, en raison de toutes les contraintes que nous avons nous à subir en tant que maires, avec les différentes lois. Je pense notamment à la loi dite « Climat et résilience » qui introduit le « zéro artificialisation nette » (ZAN) : on le sait, lorsqu'il faudra annoncer aux concitoyens qui ont parfois acheté des terrains pour les transmettre à leurs enfants qu'ils ne sont plus constructibles, ceux qui subiront, ce seront encore les maires.
Dans un premier temps, permettez-moi de vous présenter rapidement Saint-Brévin-les-Pins, commune de bientôt 15 000 habitants située au sud de l'estuaire de la Loire. Au nord de l'estuaire, il y a la ville de Saint-Nazaire, célèbre pour la construction navale et Airbus. Saint-Brévin-les-Pins fait partie du pays de Retz, situé entre la Loire et la Vendée. Dans ce pays, les deux villes importantes sont Pornic, que vous connaissez peut-être, et Saint-Brévin, où j'habite depuis 32 ans, et j'exerce la profession de médecin généraliste. J'y ai été élu pour la première fois en 2008, où j'étais adjoint au maire à la voirie et aux réseaux. En 2014, je suis devenu adjoint au maire au bâtiment et à la performance énergétique. En 2017, mon prédécesseur, Yannick Haury, aujourd'hui député, m'a demandé de prendre sa suite quand il a été élu. Depuis, je suis maire de la commune, ayant été réélu en 2020.
En 2016 - Yannick Haury était donc encore maire -, à la suite du démantèlement de la « jungle » de Calais, l'État nous a imposé l'arrivée de migrants et la création d'un centre d'accueil et d'orientation (CAO) de demandeurs d'asile. Il devait être situé dans un ancien centre de vacances qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, et qui n'était plus en fonction, puisqu'il n'était plus aux normes. C'est donc depuis cette date que nous accueillons des demandeurs d'asile, sans la moindre difficulté, avec, toutefois, un petit bémol puisque, juste avant leur arrivée, la situation avait été un petit peu tendue : deux coups de feu avaient été tirés sur le bâtiment. Une réunion publique avait cependant permis de confronter les points de vue, entre ceux qui étaient favorables à l'arrivée de ces migrants et, bien entendu, les partis d'extrême droite qui s'y étaient opposés. Le reste du temps, cela s'est bien passé. S'était également créée une association pour les aider, et les différentes associations brévinoises ont participé à l'inclusion de ces demandeurs d'asile.
En 2018, alors que j'étais devenu maire de Saint-Brévin-les-Pins, il s'est agi de récupérer certains migrants et demandeurs d'asile situés à Nantes, notamment au niveau du square Daviais. Johanna Rolland, la maire de Nantes, m'avait contacté pour me dire qu'ils viendraient dans notre centre d'accueil. Comme précédemment, ils ont été parfaitement accueillis, et nos associations se sont occupées d'eux, notamment pour leur apprendre le français ou encore leur faire faire du sport. À nouveau, tout s'est très bien passé entre la population et ces demandeurs d'asile.
Le 11 mars 2021, j'ai invité le sous-préfet visiter un bunker - nous en avons plusieurs sur notre littoral - qui avait été réhabilité. À la fin de cette visite, il m'apprend que l'État a décidé que le centre d'hébergement d'urgence deviendrait un centre d'accueil de demandeurs d'asile (Cada) de façon pérenne. Il m'en a informé tout de go, de façon verbale ; je n'ai même pas reçu de courrier. De plus, le bâtiment du précédent centre, qui appartenait au comité d'entreprise d'EDF, était en vente, et des promoteurs étaient déjà intéressés. Le préfet m'a indiqué qu'il nous fallait trouver un autre site pour accueillir ce Cada qui allait s'installer dans notre commune.
Nous avions, au sud de la commune, une ancienne colonie en friche. Elle comportait deux bâtiments et une petite maison, situés à côté d'une école maternelle et primaire et de la forêt de la Pierre attelée. Ayant gardé les coordonnées d'un représentant de l'association Aurore, qui gère les Cada au niveau national, je l'ai appelé pour lui parler de ce site, en lui demandant si sa situation, à côté d'une école maternelle et primaire, pouvait poser problème. Il m'a répondu que la présence d'une école ne posait, bien sûr, pas de difficulté.
Deux semaines après, il m'a rappelé pour m'informer qu'il venait visiter, avec toute son équipe, le site de la Pierre attelée. Ils l'ont validé. En effet, ce site présentait l'avantage de disposer de deux bâtiments et d'une maison, contrairement à beaucoup de Cada actuels en France, où il n'y a qu'un seul bâtiment, ce qui rend difficile d'accueillir des femmes et des enfants, mélangés à des hommes seuls. L'existence de ces bâtiments faciliterait donc l'accueil des familles. Ils ont donc validé le site et les travaux, de même que l'État. Les travaux pouvaient donc démarrer très rapidement, en avril 2022.
La première difficulté pour ce Cada, qui correspondait, tout simplement, à une délocalisation dans un autre quartier, c'est que l'État et ses représentants ne souhaitaient ni communiquer ni informer les habitants. Ils ont laissé la municipalité s'en charger, alors que c'était pourtant un projet de l'État. Nous avons donc organisé une réunion avec les parents d'élèves, la directrice de l'école et les différentes associations dont une qui, au sein de l'école, gère les accueils de loisirs sans hébergement. Nous les avons réunis de façon à les informer de ce projet le 5 octobre 2021, en mairie. Dès le lendemain, parce que nous savions bien que la nouvelle allait se diffuser à toute vitesse, nous avons distribué un flyer dans tout le quartier. Nous avons également publié des messages sur les réseaux et sur le site de la commune, ainsi que dans le bulletin hebdomadaire d'information Brév'Infos, sans oublier le magazine municipal de novembre-décembre 2021 et répondu pour l'écriture de nombreux articles de presse. Tout se passait alors bien, mais c'était la municipalité qui annoncait la nouvelle et qui a été chargée de l'expliquer à la population.
Au début de l'année 2022, nous avons constitué des groupes de travail, notamment avec l'association Aurore et le constructeur CISN, qui était chargé des travaux pour réhabiliter ce site et construire le Cada. C'est là que nous avons commencé à apercevoir quelques parents d'élèves et riverains qui contestaient un peu ce site, vu qu'il était à proximité de l'école. Ils ont créé le « Collectif pour la préservation de la Pierre attelée » et ont lancé une pétition, qui n'a fait que peu de bruit et dont le nombre de signatures n'a presque pas monté. Le permis de construire a été délivré à CISN le 10 janvier 2022. Le 7 février 2022, notre conseil municipal a validé à l'unanimité la vente du terrain à l'association Aurore. Le Collectif pour la préservation de la pierre attelée a déposé un recours gracieux contre le permis le 9 mars 2022, que nous avons rejeté le 22 mars. Il n'est pas allé plus loin et n'a pas déposé de recours auprès du tribunal administratif.
Bien sûr, les panneaux de chantier ont été régulièrement dégradés. En septembre 2022, les travaux ont débuté. Le 15 octobre 2022, une première manifestation, organisée par ce collectif, a réuni à peu près une quarantaine de personnes, dont la majorité provenait déjà de l'extérieur de la commune : à Saint-Brévin, il y a quand même relativement peu de personnes qui sont à l'extrême, et notamment l'extrême droite.
Très rapidement, ce collectif s'est aperçu que, avec quelques personnes, il n'allait pas faire bouger la mairie, d'autant que, je vous l'ai dit, le conseil municipal avait voté à l'unanimité. Le collectif a donc fait appel directement à l'extrême droite et à tous ses groupuscules. Le 11 décembre 2022, une nouvelle manifestation a réuni une centaine de personnes, avec toujours très peu de Brévinois, devant la mairie. Il y avait également une contre-manifestation, pilotée par l'association brévinoise qui s'était créée en 2016, justement pour aider les demandeurs d'asile. Cela a été assez bien géré par les forces de l'ordre, qui ont tout fait pour éviter que les deux groupes ne se rencontrent.
Lors de mes voeux à la population, j'ai rappelé que, même s'il ne s'agissait pas à l'origine d'un projet de la municipalité, mais que la vente du terrain avait été votée à l'unanimité, toute la municipalité soutenait le projet de Cada. C'est à partir de là que les problèmes ont commencé, avec différents articles sur les réseaux sociaux, des menaces et des intimidations. De nombreux articles ont été publiés sur un site intitulé « Riposte laïque », où nous étions mis en pâture en permanence, que ce soit moi, la directrice de l'école - elle était, en plus, une nouvelle directrice, ayant débuté à la rentrée de septembre - ou la présidente de l'association des parents d'élèves. Le tout avec des photos, bien entendu. Je ne vous dirai pas, ce matin, le détail de toutes les menaces et des différentes insultes.
Cela a continué. Nous avons alerté la gendarmerie, en leur demandant ce qui ce qu'ils pouvaient faire. La réponse, je vous la répéterai souvent, c'était toujours « la liberté d'expression » : donc, « on ne peut rien faire ». Quant aux manifestations, l'idée était que, puisqu'il y avait un projet un peu similaire à Callac contre lequel ils avaient gagné, à Saint-Brévin, ils allaient continuer à faire monter la pression.
J'ai reçu, à deux semaines d'intervalle, des tracts dans ma boîte aux lettres personnelle - pour bien montrer qu'ils savaient où j'habitais. Des tracts que je qualifierais d' « ignobles ». Je ne sais pas si vous vous souvenez, en 2004, un petit garçon, qui était dans une colonie à Saint-Brévin, avait été enlevé et retrouvé tué dans une mare à Guérande. Cela n'avait strictement rien à voir avec les migrants. Dans ce tract, j'avais la photo de ce petit garçon, avec un rappel de l'histoire. En dessous il était marqué : « Voilà ce qui risque de se passer à Saint Brévin avec 110 migrants » La semaine suivante, la même chose, avec la photo d'une petite fille. C'était encore plus horrible, parce qu'ils mettaient la photo « avant » et « après », toujours avec ce même discours, alors que cela renvoyait à une histoire qui ne s'était même pas passée en France. Voilà le type de tracts que j'ai reçus. Bien entendu, on a transmis cela à la gendarmerie. Toujours la même réponse : « liberté d'expression ».
Le 23 janvier, j'ai envoyé un courrier au préfet pour lui dire tout ce qui se passait, particulièrement toutes ces menaces. J'avais notamment reçu celle-ci : « ce ne sera pas une tarte à la crème, mais une tarte au plomb » Mon courrier au préfet avait pour objet de demander un soutien de l'État parce qu'on se sentait, au niveau de la commune de Saint-Brévin, démunis, seuls. Le courrier est revenu sans réponse.
En février 2023, nous avons organisé, comme à chaque fois en début d'année, l'accueil des nouveaux Brévinois. Bien entendu, on a retrouvé quelques membres du collectif, qui harcelaient les personnes qui ressortaient, avec également la distribution d'un tract haineux. Les personnes qui ne souhaitaient pas prendre leur tract étaient insultées. Ils ont aussi distribué, à plusieurs reprises, des tracts sur le marché de Saint-Brévin. Et le pire : ils ont distribué, un jour, des tracts à l'entrée de l'école. Saint-Brévin est une commune très plate, où tout est fait pour faire du vélo. Nous avons donc beaucoup d'enfants qui se rendent à l'école, notamment en primaire, à vélo, sans toujours être accompagnés par leurs parents. Et ce collectif a distribué ses tracts, bien entendu aux parents qui accompagnaient les enfants, mais également aux enfants qui venaient seuls. En fait, les tracts étaient mis directement dans leur cartable. Nous l'avons signalé à la gendarmerie, qui était présente sur les lieux, mais qui ne les a pas empêchés de distribuer ce tract. Elle les a laissé faire.
Beaucoup de parents d'élèves se sont aussi sentis menacés puisque, par l'association de parents d'élèves, ils avaient récupéré les adresses mail des parents et ont harcelé, dans leur boîte mail, tous ceux qui ne les suivaient pas. Nous avons donc organisé, le 27 janvier, une réunion avec les parents d'élèves pour essayer de rassurer un peu tout le monde. Nous avons convoqué, à cette réunion, un lieutenant de gendarmerie, pour que les personnes se sentent rassurées et puissent lui poser toutes leurs questions. Mais la réponse était toujours la même : de toute façon cela ne sert à rien de déposer plainte, nous ne ferons rien, c'est la liberté d'expression. Le tract : liberté d'expression, on ne peut rien faire contre.
Le 7 février 2023, le conseil municipal a été envahi par les membres de ce collectif : encore une fois, très peu de Brévinois, surtout des personnes extérieures. Nous avions prévu de faire voter une motion pour condamner les menaces sur les différentes personnes, que ce soit les élus, les membres de l'association des parents d'élèves et la directrice de l'école. Cette motion a été, bien entendu, votée à l'unanimité. Pendant ce temps, toutes ces personnes assistaient à ce conseil municipal. Nous avions quand même prévenu la gendarmerie, en cas de coup de chaud, de façon à pouvoir les évacuer, mais je pense qu'ils n'attendaient qu'une chose : que je demande le huis clos. Comme ils n'ont fait aucun bruit, ils sont restés et ont assisté à toute la réunion du conseil municipal, je n'ai pas pu les évacuer.
Une autre réunion a été organisée trois jours après, le 10 février, avec le commandant de gendarmerie qui commande tout pays de Retz, notamment les gendarmeries importantes de Saint-Brévin et de Pornic. Nous avions également convié le sous-préfet à cette réunion, à laquelle j'étais avec ma première adjointe qui, elle aussi, avait pris pas mal de coups par Riposte laïque, et mon adjointe aux affaires scolaires, qui puisqu'elle s'occupait des écoles, avait aussi été confrontée à ce collectif. Lors de cette réunion, nous avons rappelé au sous-préfet tout ce qui s'était passé. Et je peux vous assurer qu'on a été très surpris : le sous-préfet nous a tout simplement dit : « Les menaces, vous savez, j'en ai tous les jours » Le commandant de gendarmerie nous a dit que ce n'était pas grand-chose, simplement des menaces, de l'intimidation, et que cela ne servait à rien de déposer plainte. De toute façon, il ne pourrait rien faire : c'était la liberté d'expression.
On a toujours entendu ce leitmotiv de liberté d'expression, aussi bien par la gendarmerie que par le sous-préfet. Quand ils sont repartis de cette réunion, avec mes deux adjointes, nous étions un peu dépités, un peu choqués, en fin de compte, par ce que nous avions entendu. C'est alors là que nous nous sommes aperçus que nous nous retrouvions totalement démunis, seuls, abandonnés par les services de l'État, et que nous allions devoir continuer à affronter la montée en puissance de ce collectif. En fin de compte, il ne représentait même plus Saint-Brévin, mais toute l'extrême droite et ses groupuscules.
À la suite de cette réunion, le 15 février, j'ai envoyé un courrier à la procureure de la République pour dénoncer tous ces faits. Nous avons repris toute la liste, toutes les menaces, toutes les insultes, tout ce qui s'était passé. Nous avons aussi rappelé le manque de soutien de l'État. Nous n'avons reçu aucun courrier de retour de la procureure.
C'est important, toute cette chronologie, c'est peut-être un peu long, mais cela vous permet de voir comment cela s'est passé.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - C'est utile.
M. Yannick Morez. - Le 25 janvier 2023, dans l'après-midi, a été organisée, par le même collectif, une manifestation. Voici la manipulation : parmi ceux qui déclaraient la manifestation, très souvent, il y avait un Brévinois et deux autres personnes qui étaient en dehors de Saint-Brévin. 250 personnes sont venues et ont bloqué la ville, les commerces et ont causé des dégâts, puisque, bien entendu, qui dit manifestation d'extrême droite dit, en face, une ultragauche qui appelle à venir, tout simplement pour se taper dessus. On n'avait jamais vu ça à Saint-Brévin. Le matin, avait été organisée, par les associations qui soutiennent le projet, une contre-manifestation, qui avait réuni pratiquement 1 300 personnes. Elle avait eu lieu le matin pour éviter la confrontation avec les agressions de l'extrême droite et de l'ultragauche.
Le 18 mars avait lieu la cérémonie publique de commémoration de la catastrophe du Boivre. Saint-Brévin fait partie de la poche sud de Saint-Nazaire. Dans cette catastrophe, en 1945, une vingtaine de personnes sont décédées dans une explosion. Il y a donc un monument autour duquel on fait chaque année cette commémoration. Je suis à chaque fois présent à toutes ces cérémonies patriotiques, et les gendarmes sont prévenus. Ce 18 mars, après la cérémonie, il y avait un verre de l'amitié, justement, puisque ce n'est pas très loin, dans une salle de l'école de la Pierre attelée. Et je les ai vus arriver. Je me suis trouvé entouré par six ou sept membres de ce collectif, je ne pouvais même pas partir. Il y a eu des échanges. Durant l'entretien, ils m'ont demandé d'essayer de les aider à obtenir un rendez-vous avec le préfet. Je me suis donc engagé à le faire. À plusieurs reprises, certains m'ont demandé si je dormais bien et ils m'ont même raccompagné jusqu'à mon véhicule. C'était le 18 mars.
Le 22 mars, dans la nuit, entre 4 heures et demie et 5 heures du matin, j'ai été victime d'un attentat criminel. Un engin explosif a probablement été lancé ou mis entre mes deux véhicules, qui ont pris feu. L'incendie s'est propagé à mon domicile. Nous étions dans la maison. Heureusement, nous avons été réveillés par les bruits et par trois personnes qui revenaient de leur travail chez Airbus à Saint-Nazaire. Voyant les flammes, elles ont appelé les pompiers, qui nous ont aidés à sortir de la maison, puisque tout était en train de brûler. Le jour de l'incendie, ce mercredi 22 mars, j'ai eu, bien entendu, plusieurs coups de fil. J'ai eu un coup de fil de la procureure, qui m'a appelé pour m'apporter son soutien. Elle n'avait toujours pas répondu au courrier précédent. J'ai eu un coup de téléphone de le sous-préfet, qui m'a aussi apporté son soutien. Et puis un appel téléphonique également dupréfet des Pays de la Loire, Fabrice Rigoulet-Roze, qui était préfet depuis assez peu de temps, et qui m'a également apporté son soutien.
Deux jours plus tard, le vendredi, lors d'une interview avec la presse, j'ai essayé de dire ce manque de soutien de l'État. Seulement, j'ai été coupé par la presse, ce passage n'a pas été diffusé. De colère, j'ai donc envoyé un courrier à Olivier Véran. Il m'avait appelé le jour même, c'est le seul ministre à l'avoir fait. J'ai donc décidé de lui écrire, en envoyant une copie de mon courrier à Gerald Darmanin, au préfet, au sous-préfet et, également, au Président de la République. Deux jours après l'incendie, le sous-préfet est allé couper un ruban à Pornic. Pour ceux qui ne connaissent pas, pour aller à Pornic, quand on vient de Saint-Nazaire, on franchit la Loire par le pont, donc on traverse obligatoirement ma commune de Saint-Brévin. Cela aurait été moindre des choses, un peu d'humanité, qu'il s'arrête dans la commune pour me demander des nouvelles. Eh bien non, il ne s'est même pas arrêté, il est allé couper son ruban à Pornic.
J'ai alors reçu un courrier d'Olivier Véran qui ne répondait pas aux questions que je lui transmettais dans le mien. J'ai également reçu un courrier du Président de la République, Emmanuel Macron, qui m'assurait de son soutien. Mais, bien entendu, il ne répondait pas non plus aux questions de mon courrier, justement sur le fait qu'il n'y avait eu aucun soutien de l'État.
Le 4 avril 2023, j'ai également été auditionné par la commission des finances de l'Assemblée nationale sur la loi sur l'immigration. Cette audition avait été prévue avant l'incendie. Je me suis retrouvé en visioconférence avec le maire de Bélâbre, à qui on a aussi imposé un Cada, mais il a, lui, la chance d'avoir un soutien du sous-préfet et du préfet. On a pu discuter ensemble : il était surpris du fait que je n'avais vraiment aucune relation avec le préfet et le sous-préfet, alors que lui les avait pratiquement tous les jours au téléphone.
Début avril, on a reçu une lettre du maire de Fameck, un courrier officiel. C'était une lettre d'insultes : vous l'imaginez bien, j'ai trouvé cela un peu curieux, venant d'un collègue maire. Nous l'avons donc appelé : en fait, c'était tout simplement une usurpation d'identité. Quelqu'un de sa commune avait pris du papier à en-tête, avait recopié sa signature avec le cachet et une enveloppe de la commune, et cela m'avait été adressé. Bien entendu, il a déposé plainte aussitôt.
Le 7 avril, j'ai écrit au sous-préfet pour lui demander une protection renforcée, puisque sur les réseaux sociaux commençait à circuler l'organisation d'une nouvelle manifestation prévue pour le 29 avril. Vu ce qui s'était passé, je n'avais pas envie de subir de nouveau des violences. Le sous-préfet m'a répondu le 13 avril qu'il allait faire une évaluation des risques sur ma personne. Voilà la réponse que j'ai eue ! Et puis, pas de nouvelle. Il a donc fallu que je le relance par mail le 25 avril. Le sous-préfet, le 28 avril, donc la veille de cette manifestation, m'a répondu que l'évaluation des risques était toujours en cours. Elle l'est encore actuellement...
Le 7 avril, j'ai été invité au Pouliguen par notre ami Joël Guerriau, qui organisait une réunion sur les violences envers les élus, justement pour expliquer la situation et pour évoquer une nouvelle fois auprès du sous-préfet, qui était présent à cette réunion, le manque de soutien. Deux collègues maires étaient également présents, dont ma collègue maire de Vue, une commune à proximité de Saint Brévin, dont le jugement de son prédécesseur, qui la harcelait en permanence, a eu lieu en début de semaine - il a été condamné.
Pour cette manifestation du 29 avril, nous étions aperçus, sur les réseaux sociaux, qu'était appelée à manifester, comme ce que nous avons vu à Paris ces derniers jours, toute une formation néonazie de Rennes. Plus de 100 personnes devaient venir à Saint-Brévin. On annonçait également, bien entendu, la présence de toute l'ultragauche du pays de Retz et de la région nantaise, qui appelait aussi à manifester, tout simplement pour venir se taper dessus. Le 17 avril, j'ai fait un courrier au préfet en lui précisant toutes ces informations pour lui dire que la manifestation allait entraîner des troubles à l'ordre public et lui en demander l'interdiction. Pas de réponse.
Le 25 avril, nous avons fait une relance. La veille de la manifestation, le sous-préfet m'a envoyé un mail disant qu'il ne pouvait pas l'interdire pour des raisons juridiques. Je l'ai reçu le matin. L'après-midi, on découvrait que le préfet de Paris interdisait la manifestation autour du Stade de France. Deux poids, deux mesures. Même s'il y a eu un recours s'agissant de la manifestation francilienne, nôtre préfet ne pouvait pas l'interdire juridiquement. Quelques jours après la manifestation, j'ai bien sûr renvoyé un courrier au préfet lui disant ce qui s'était passé. Nous l'avions averti. C'était le week-end de trois jours du 1er mai.
La ville de Saint-Brévin et ses commerces ont subi des dégradations. On est une station balnéaire, beaucoup de monde s'y promène, et un grand nombre de nos commerces de centre-ville ont été obligés de fermer pratiquement toute la journée. Les dégradations, cela a également fait peur à beaucoup de Brévinois : dans une petite commune normalement tranquille, quand vous voyez arriver 100 jeunes cagoulés et tout de noir vêtus dans le centre-ville, vous rebroussez chemin. Une voiture et des poubelles ont brûlé, il y a eu pas mal de dégâts. Dans ce courrier, j'indiquais donc également au préfet qu'on allait répertorier toutes ces dégradations, et qu'on allait lui envoyer la facture. Nous savions très bien qu'il n'y participerait pas, mais c'était purement symbolique. On allait également faire chiffrer le manque à gagner par nos commerçants qui ont été obligés de fermer. Bien entendu, je n'ai reçu à ce jour aucune réponse à ce courrier. Il n'y a même pas eu d'arrestation, que ce soit d'un côté ou de l'autre, de l'ultradroite ou de l'ultragauche, rien. Ces manifestants sont repartis tranquillement chez eux après avoir cassé.
J'ai eu le rapport de la gendarmerie : 98 grenades lacrymogènes ont quand même été lancées. Dans une petite ville comme la mienne, cela paraît phénoménal. J'ai écrit, le 30 avril, au préfet pour lui dire son absence de soutien et lui demander le remboursement de tous ces dégâts.
Voyant cela, j'ai eu une longue discussion avec ma famille. Vous imaginez que c'est très difficile de continuer à vivre ça. Il y a deux semaines, lors du week-end du 8 mai, mon fils, qui habite Paris, est venu passer trois jours à Saint-Brévin. Nous étions à la terrasse d'un café le dimanche midi, donc en public. Une personne de ce collectif, qui avait bien entendu des idées d'extrême droite, s'est dirigée vers moi. Je l'avais vu arriver, mais j'avais tourné la tête pour ne pas le fixer du regard. Il est venu directement vers nous en m'insultant, en me disant : « t'as pas fini de foutre le bazar à Saint-Brévin avec tes migrants ? ». Tout en continuant à m'insulter, il a essayé de faire croire à tout le monde que c'était moi-même qui avais mis l'incendie à mes deux véhicules et à ma maison. Il a fini par partir.
J'ai donc relaté cet épisode à la presse pour expliquer pourquoi on ne voulait plus vivre ça. Ma femme ne veut pas non plus rencontrer ce genre de personne. C'est donc la raison pour laquelle j'ai décidé de démissionner de ma fonction d'élu et de quitter cette ville, qui m'avait accueilli il y a trente-deux ans.
J'ai envoyé ma démission au préfet le mardi qui a suivi. Il m'a appelé le lendemain. Nous avons discuté. Je lui ai dit que je n'avais pas senti le soutien de l'État, sa réponse a été que si, il m'avait soutenu. Lorsqu'il y a eu des manifestations, il avait tout fait, avec trois compagnies républicaines de sécurité (CRS) pour éviter les dégâts. Il avait envoyé également un sous-préfet d'astreinte, et la procureure était présente sur site. « J'ai agi » : voilà sa réponse.
Le préfet a écrit dans la presse qu'il m'avait eu régulièrement au téléphone... Il faut savoir que ce jour-là, après que j'ai remis ma démission, c'était la deuxième fois que je l'avais au téléphone. La première était le jour de l'incendie. Quant au le sous-préfet, je l'ai eu au téléphone, comme je vous l'ai dit, le jour de l'incendie. Depuis, plus jamais.
Voilà la chronologie de tout ce qui est arrivé. C'est pour cette raison que le manque de soutien de l'État que j'ai évoqué est flagrant. Surtout, quand je vois tous les messages de soutien que j'ai reçus.
Il y a quand même des Cada qui s'implantent un peu partout. Je m'aperçois que mes collègues maires ont des relations importantes avec les préfets et les sous-préfets, qui viennent faire des réunions publiques pour expliquer ce que c'est qu'un Cada à la population. Alors que nous, nous n'avons pas eu ce genre de choses.
Un autre fait également désolant : vous avez dû voir la communication du préfet après ma démission. Je ne m'attendais pas à ce que cela fasse de tels remous. Quand il dit qu'il a organisé des réunions publiques... De la part d'un préfet, mentir effrontément en public, c'est quand même important. Il représente l'État. Il sait très bien qu'il n'a pas organisé de réunions publiques, on a toutes les preuves. Il suffit de lui demander la date, il ne pourra pas en fournir. Il n'en a pas fait.
Donc voilà, résumée chronologiquement, toute mon histoire à Saint-Brévin. Ce qui est amusant, parce que je pense qu'il y a dû y avoir des retombées, c'est que certains ont dû se faire taper sur les doigts. Je vous ai raconté l'histoire avec ma famille, il y a deux semaines, et je l'ai raconté à la presse pour expliquer pourquoi je souhaitais quitter la commune. La gendarmerie m'a appelé en disant que je n'avais pas déposé de plainte... J'ai donc porté plainte. Ces jours-ci, ils ont même entendu ma femme, qui était présente hier également, et qui a porté plainte. Et je me suis aperçu, en allant signer ma plainte hier à la gendarmerie, qu'ils étaient en train de travailler sur les tracts haineux. D'un seul coup, maintenant, on peut faire quelque chose...
C'est aussi le cas pour le directeur de publication du site « Riposte laïque ». Quand on le leur avait dit, on nous avait répondu que c'était un site, qu'on ne pouvait rien faire. On a appris qu'ils étaient en train de monter tout un dossier pour le transmettre au procureur. Sur d'autres choses également, notamment sur les tracts que j'ai reçus, c'est pareil, ils sont en train de monter tout un dossier. C'est curieux... Des mois après, il a fallu qu'il arrive quelque chose pour que, d'un seul coup, on prenne conscience que rien n'avait été fait et que la liberté d'expression avait ses limites. Maintenant, cela bouge, mais un peu trop tard, je pense. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent)
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la mission d'information sur l'avenir de la commune et du maire en France. - Je vous apporte à mon tour mon soutien et vous remercie de votre propos, poignant et désarçonnant. Ce sujet, la confrontation des élus à la violence, est au coeur des travaux de notre mission d'information. Nous imaginons ce que vous avez dû revivre en nous relatant ces faits.
Vous avez fait état de l'ensemble de vos saisines des autorités de l'État, préfet et sous-préfet. Ce n'est que récemment que la gendarmerie vous a invité à porter plainte. Aviez-vous déposé une main courante ? Était-ce le cas d'autres élus municipaux ?
Vous avez aussi mentionné une confrontation directe entre les habitants de votre commune et des membres du collectif, qui vous ont interpellés. Y a-t-il eu un contact avec le préfet à la suite de cet épisode ? L'État a-t-il cherché à entrer en contact avec ces personnes, notamment pour expliquer les raisons de la décision relative au Cada ?
Enfin, au-delà des témoignages de sympathie et de soutien, avez-vous fait une demande de soutien psychologique ? En avez-vous ressenti le besoin, notamment face au sentiment de solitude ?
M. Jean-François Rapin. - Bravo pour votre expression des choses, dans le calme, alors qu'on ressent en vous une émotion très forte, celle de quelqu'un qui a été bafoué. Vous exercez une noble profession, qui se raréfie parfois. En tant que confrère médecin, quel a été le ressenti de votre patientèle ?
Ensuite, je me souviens d'une question de Laurence Garnier, en séance publique, sur votre problème particulier : en avez-vous eu un retour ? Votre député, élu de la majorité, est-il intervenu sur ce sujet ? On peut s'étonner qu'il n'y ait pas eu un soutien plus fort.
Je constate, en tout cas, que nous sommes face au tonneau des Danaïdes à tous les niveaux : sécurité, probité, justice. Vous n'avez eu aucune réponse, et le château de cartes s'est écroulé avec votre démission.
M. Philippe Bas. - Je suis profondément indigné par les défaillances qui émaillent votre chronologie méthodique, d'autant plus que voilà maintenant cinq ans, après la mort brutale du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel, notre consultation auprès des maires de France a révélé l'ampleur du phénomène, à la suite de laquelle nous avons formulé des recommandations dont certaines ont été reprises dans la loi.
La démocratie repose sur le fait que tout citoyen puisse devenir maire. Cependant, il n'y a pas d'école des maires. Nous demandions donc que, à chaque menace, insulte ou agression, soit immédiatement créée une cellule de crise pilotée par le préfet, demandant elle-même les poursuites pénales, afin que le maire ne soit pas seul. Les préfets et les procureurs de la République avaient reçu, à l'époque, des instructions ministérielles. Or nous constatons que nous restons à la situation antérieure. Ce n'aurait pas dû être à vous de prendre des initiatives, d'autant que l'État était concerné au premier chef, avec la création d'un Cada. C'est scandaleux de bout en bout.
M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - J'ai entre les mains les deux courriers de réponse du garde des Sceaux et du ministre de l'Intérieur, datés du 7 avril et du 6 mai 2021. Ces engagements sont manifestement non tenus.
M. Loïc Hervé. - Nous sommes stupéfaits. Il y a une dizaine d'années, là aussi pour la mise en place d'un Cada, je m'étais retrouvé dans une sitution similaire, et j'avais bénéficié d'un soutien bien plus important du préfet et de la gendarmerie face à une situation qui mettait ma famille en danger.
Au-delà du manque de soutien, la non-association d'une ville comme la vôtre aux décisions touchant à l'accueil des demandeurs d'asile ne vous place-t-elle pas dans le mauvais rôle ? Cela vaut pour cette politique comme pour d'autres. Les lois reposent sur des êtres humains chargés de les appliquer : il faut un bouleversement de l'administration déconcentrée de l'État.
Enfin, j'ai une dernière question : votre décision est-elle irréversible ?
M. Patrick Kanner. - Vous êtes devenu un symbole défendu, à juste titre, par tous les maires de France. La foudre est tombée sur vous, la même que beaucoup de maires cherchent aujourd'hui à éviter. Représentant de vos concitoyens, vous êtes aussi, en tant que maire, un agent de l'État.
J'ai été choqué de lire, ce matin, que le préfet devait s'opposer à votre décision dans l'attente de votre rendez-vous de ce soir avec Mme la Première ministre. Je ne sais pas quels arguments de sa part pourraient vous convaincre de revenir sur votre décision, mais cela illustre la rupture de confiance entre le Gouvernement et les élus locaux. Avec le recul, quel message, en tant que représentants de la nation, pouvons-nous faire passer à l'exécutif ?
Je poserai une question à Mme la Première ministre sur votre situation cet après-midi, pour lui demander si elle a conscience de la situation. Dans mon département du Nord, le nombre d'élus locaux faisant part de leurs ras-le-bol est terrifiant et dangereux pour notre démocratie.
M. Hussein Bourgi. - Je souhaite exprimer trois sentiments. Tout d'abord, je vous remercie de votre présence et de votre témoignage, malgré l'épreuve que vous traversez avec votre famille, qui nous révulse. Ensuite, je me fais le porte-parole des maires de l'Hérault, qui vous apportent leur soutien et ne me parlent que de vous depuis quelques semaines. Enfin, nous sommes indignés par l'inaction de l'État : vous avez été victime d'une somme de lâcheté.
La Première ministre va vous recevoir : elle vous demandera sans doute de revenir sur votre démission. Je lui suggérerais d'abord deux annonces : vous présenter des excuses et limoger les hauts fonctionnaires censés représenter l'État dans votre département. La somme de leurs défaillances frise l'incompétence. On ne peut laisser des élus et des habitants livrés à de tels représentants.
Enfin, quelle est la nature du soutien de la part d'élus, nationaux ou locaux, dont vous avez bénéficié depuis l'annonce de la création du Cada à celle de votre démission ?
Mme Françoise Gatel. - Je veux vous dire mon admiration pour la manière dont vous vous adressez à nous, avec une sincérité et un sens des responsabilités qui nous impressionnent. Vous nous décrivez la tragédie de dérapages incontrôlés vous amenant à quitter la ville que vous servez. Nous vivons la conséquence de la faillite d'une chaîne de responsabilité, de l'abandon de l'État qui ordonne, mais laisse le maire exécuter seul.
Nous vous devrons sans doute la prise de conscience que, partout, l'État doit être à vos côtés, car vous incarnez les valeurs de la République. La preuve, vous êtes transformé en bouc émissaire de la violence et de l'abandon de l'État.
Mme Cécile Cukierman. - À mon tour, je vous apporte notre soutien, mais vous dis aussi ma stupéfaction à l'écoute de votre témoignage. Sans que cela ne change rien à ce que vous avez subi, cela ne se passe pas heureusement toujours ainsi dans d'autres départements, sans quoi bien plus de 1 000 maires auraient déjà démissionné depuis le début du mandat. Nous prenons conscience, avec votre témoignage, d'une défaillance en cascade qui nous interpelle fortement. In fine, votre vie, celle de votre famille, ne connaît pas une fin dramatique, mais tout est imaginable.
Sans polémiquer, n'y a-t-il pas eu une sous-estimation des menaces à votre égard ? Ce n'était pas le fait de quelques individus. Dans votre cas, il y avait bien une organisation et une mobilisation de l'extrême droite à votre encontre. Chaque situation est unique, mais les cas se multiplient. Quand il n'y aura plus de maire, la démocratie sera à terre.
M. Jean-Michel Arnaud. - Je crains que votre situation ne soit pas isolée. Nous recevons régulièrement des témoignages, liés à des projets spécifiques ou à une ambiance générale, dans ce pays, d'attenter aux figures d'autorité et à leurs familles. J'ai une pensée pour celle du Président de la République : ce qui est arrivé aujourd'hui est dans un contexte différent, mais de même nature.
Comment la République fait-elle face à votre situation ? Il y a dix ans, avec l'association départementale des maires des Hautes-Alpes, nous avons créé une assistance juridique, et nous sommes l'une des premières à avoir conventionné avec un psychologue pour accompagner les maires, sur ce plan. Quand le maire lâche, c'est souvent pour protéger sa famille, qui elle n'a pas choisi l'engagement de l'élu.
S'agit-il, selon vous, d'une chaîne de défaillance individuelle, ou un déficit de la réponse institutionnelle ?
Enfin, vous avez subi du harcèlement sur les réseaux sociaux de la part de groupes organisés. Qu'en pensez-vous ? Bien souvent, nous sommes à portée de connexion de tout ce qui fait que la petite République qu'est la commune est bafouée. Il faut une réponse forte au harcèlement.
M. Joël Guerriau. - Le 7 avril, lorsque j'avais organisé cette réunion autour de la violence faite aux élus, presque une cinquantaine, pour la plupart des maires, étaient présents. Cher Yannick Morez, votre présentation du tract que vous avez décrit tout à l'heure m'avait marquée : elle était le témoignage d'une violence extrême touchant nos proches. Or, c'est lorsque ceux-ci sont touchés que nous sommes amenés à une décision telle que la vôtre. Elle est difficilement réversible, car on ne peut, par son engagement, mettre sa famille en danger.
Je ne comprends pas l'absence de réaction des forces de l'ordre face à des menaces odieuses et inacceptables. Comment vos proches l'ont-ils vécue ?
Mme Catherine Belrhiti. - Je vous remercie et vous félicite pour votre courage : vous dénoncez le sentiment, devenu général chez les maires, de l'abandon de l'État. Dans mon département de la Moselle, face à une dizaine de cas similaires, la réponse de la justice est très légère. Vous souhaitez une prise réelle de conscience de l'État : j'espère que cela servira.
Le 13 avril dernier, quand je l'ai interpellée, la ministre Dominique Faure m'annonçait des mesures, mais je crois que rien n'a été fait. Cela renvoie à l'incapacité chronique de réaffirmer l'autorité dans notre pays.
La justice a-t-elle des réponses à la hauteur contre ces agresseurs ?
M. Éric Kerrouche. - Vous êtes devenu un symbole, presque à votre insu. Votre situation est difficile.
Il y a plusieurs problèmes dans votre cas, avec la recrudescence des actions de l'extrême droite et de l'ultradroite en France, à Callac, à Lille, avec le bar La Citadelle, ou encore à Lyon. Peut-on avoir trop de complaisance politique ? Ne faut-il pas réagir à ces exactions qui remettent en cause la démocratie locale, comme chez vous ?
Ensuite, cette protestation extrémiste s'est incarnée contre vous et votre équipe. Nous en arrivons à la protection et au statut des élus, pour qu'ils ne soient pas seuls face à ces situations. C'est précisément l'histoire de la solitude que vous avez décrite par rapport à un État qui n'a pas répondu comme il aurait dû le faire.
Selon vous, quelle réponse a manqué ? De quoi auriez-vous eu besoin pour affronter cette situation avant qu'elle ne déborde sur votre vie privée et votre famille ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Ce que vous avez décrit est bien plus éloquent que de grandes déclarations, parce que nous avons vu votre vécu. Mais notre soutien n'a de sens que si les choses changent. À la mort du maire de Signes, nous disions : « Plus jamais ça ! » Que s'est-il passé ?
On ne traite pas les dossiers à cause d'une routine, entre la crise des « gilets jaunes », les manifestations contre les retraites, etc... Or face à la question du droit d'asile, honneur de la République, un racisme banal se développe très rapidement, honte pour la France. Il faut un changement de cap pour que le moindre fait soit traité, plutôt qu'un empilement des dossiers. Il aurait fallu un coup d'arrêt.
À cet égard, j'ai été frappé quand, à l'Assemblée nationale, presque tout le monde s'est levé pour vous applaudir : certains sont restés assis face à la violence faite à un maire qui applique la loi de la République, qui est d'accueillir ceux qui sont persécutés.
Cela n'aura de sens que si cette République connaît un sursaut pour agir dès le premier tract, le premier papier. Comment l'incendie n'a-t-il pas suscité de réaction plus forte ? Notre soutien est le devoir de demander le changement.
Mme Valérie Boyer. - Je vous dis à mon tour tout mon soutien. À peine élue sénatrice, j'ai entendu un ministre proposer le hashtag #BalanceTonMaire, ce qui a créé un climat particulièrement délétère.
Nous avons tous été confrontés à la violence dans nos fonctions : nous assistons à la contestation de tout ce qui ressemble à une figure d'autorité ou de réussite, pour faire plier la République. Il y a quelques semaines, sur l'initiative du président de l'association des maires et de la présidente du département des Bouches-du-Rhône, nous avons réuni tous les maires et les parlementaires du département, mais aussi les représentants de l'État. De nombreux maires y ont évoqué la question des violences : ils ont été incités à porter plainte. Or vous êtes devenu le symbole des défaillances de la République, mais aussi du courage des élus.
Pensez-vous que l'inaction est liée à l'affaissement de la réponse publique et des services publics ? Que faudrait-il pour assurer une réponse effective et efficace ?
M. Yannick Morez. - Oui, certaines personnes ont réussi à porter plainte, notamment la directrice de l'école et la présidente de l'association des parents d'élèves. En fait, on leur a demandé à tout prix de le faire parce qu'elles ne se sont pas des élues, et qu'elles devaient assumer leur rôle de directrice d'école et à l'association des parents d'élèves. Je dirais donc qu'on les a aidées, et leur plainte a été enregistrée.
Tout à l'heure j'ai dit que le collectif m'avait demandé à tout prix de les aider pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Il a fallu que je le relance plusieurs fois, parce qu'il n'y avait pas de suite. La veille de la dernière manifestation, j'ai reçu un mail m'informant qu'ils avaient été reçus quelques jours auparavant par le secrétaire général de la préfecture.
Vous m'avez posé plusieurs questions sur l'aspect psychologique. J'ai beaucoup de chance, car je n'ai pas du tout un tempérament anxieux. Je subis les attaques, les menaces ou les insultes sans problème. Mais là, quand même, j'ai pris un coup sur la tête, le jour où c'est arrivé. Le matin même, je me demandais si ce n'était pas un cauchemar. Quand je me suis retrouvé, à 5 heures, du matin avec mon épouse, en train de voir mes voitures et ma maison brûler... On se sent complètement démuni. En plus, à cette heure-là, les pompiers ne mettent pas de sirène pour éviter les nuisances. Je peux vous assurer qu'on trouve le temps vraiment très long.
Le soutien psychologique, je pense qu'il peut être utile. J'ai vu, au sein même de mon équipe, que cela n'a pas été facile pour tous les élus. J'ai la chance d'avoir une équipe très soudée, mais il y en a un certain nombre à qui cela faisait peur, qui ne le vivaient pas très bien. Donc j'étais là pour essayer de leur remonter le moral et de maintenir toute l'équipe. Je pense que cela aurait été plus difficile pour certaines personnes. Probablement, des maires auraient démissionné avant. Un soutien psychologique peut être proposé pour essayer de pallier ces difficultés.
Ma patientèle a été un soutien total. Bien entendu, je ne pouvais pas tout raconter : vu le manque de médecins, même dans les communes comme la mienne, on n'a pas le temps de discuter trop longtemps avec les patients. Mais il y avait quand même un soutien important, notamment au niveau de ce projet de Cada, puisque tous les Brevinois, mes patients aussi donc, ont vécu ces manifestations. En fin de compte, ceux qui y étaient opposés étaient vraiment une toute petite minorité, quelques personnes, puisque tous ceux qui manifestaient venaient hors de la commune. Lorsque la contre-manifestation a été organisée, beaucoup de Brévinois, dont certains de mes patients, y ont participé. De ce côté-là, il n'y avait pas de difficulté.
Vous m'avez posé une question importante sur le soutien ou non du député, mon prédécesseur. En 2017, c'est lui qui m'avait demandé de prendre la suite. On a eu quelques petits différends sur la commune, et en 2020, quand j'ai décidé de me représenter, il s'est inscrit sur une liste opposée. C'était son droit, bien entendu.
Le jour de l'incendie, il ne m'a pas appelé. J'ai eu droit au communiqué officiel qu'il a mis sur les réseaux. Mon prédécesseur était pharmacien à Saint-Brévin. Pendant trente-deux ans, en exerçant, j'ai eu des relations régulières avec lui jusqu'à ce qu'il arrête sa profession de pharmacien. J'achetais mes fournitures médicales dans sa pharmacie. Là, le côté humain, je ne l'ai pas vu. Il y a deux ou trois semaines, nous avons inauguré un nouvel établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) dans ma commune. Le directeur du département a pris de mes nouvelles, le vice-président du département aussi. M. le député, qui était présent et que je n'avais pas vu depuis longtemps, ne m'a même pas demandé de nouvelles. Depuis, pas un mot. Je sais qu'il est intervenu hier lors des questions d'actualité à l'Assemblée, mais bon... Je n'en dirai pas plus.
Ma décision est-elle irréversible ? Vous savez, depuis le 22 mars dernier, j'ai pris le temps de réfléchir, avec mon épouse et mes enfants, même si ces derniers ne vivent plus à la maison, de façon à ne pas prendre une décision trop rapide. Maintenant, mes enfants me disent de tout arrêter, ma femme ne veut plus rester à Saint-Brévin puisque, pour l'instant, l'auteur des faits n'est toujours pas arrêté. Elle me dit que, quand elle fait les courses, elle le croise peut-être. Ajoutez à cela ce qui s'est passé le week-end dernier, ma décision est prise et je ne reviendrai pas en arrière. J'avais un autre projet, que nous avions construit avec mon épouse, mais que nous avions prévu de réaliser en 2026, puisque j'avais déjà décidé de ne pas me représenter à l'issue de mon troisième mandat. Ce projet, nous allons l'avancer et nous allons pouvoir en profiter.
Concernant les messages à faire passer à l'exécutif, quand j'ai eu le préfet au téléphone le jour de ma démission, je lui ai parlé du manque de soutien et de l'isolement que nous avons ressentis. C'est la raison pour laquelle j'avais évoqué dans mon communiqué le manque de soutien de l'État. Ce que je lui ai dit c'est qu'il y a sûrement des choses à faire. Quand il a été nommé préfet, il aurait peut-être pu organiser, à l'échelle de la Loire-Atlantique, une réunion pour se présenter et rencontrer les différents maires. Je sais bien qu'il ne peut pas se rendre dans toutes les communes, mais vu ce qu'on subissait, il aurait pu faire en sorte qu'on ait plus de relations, ne serait-ce que par des coups de téléphone et des courriers. Il y avait probablement un gros problème de communication entre le sous-préfet, le préfet et les collectivités territoriales, alors que dans d'autres départements, ce n'est pas du tout le cas. Dans d'autres départements, il y a une vraie relation entre les maires et le préfet, surtout qu'on a souvent entendu dire que le couple important, c'était le couple préfet-maire. Le couple préfet-maire, là, on ne peut pas vraiment dire que je l'ai connu.
Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout et de venir devant vous ce matin, c'est parce que je n'ai pas envie que cela se reproduise. Je n'ai pas envie non plus que les autres maires qui m'ont adressé des messages et qui subissent eux aussi des violences verbales ou physiques vivent la même chose. Je crois qu'il faut que cela change. On s'aperçoit que malgré les différentes propositions de loi en lien avec ce sujet, rien n'a bougé.
Mon souhait, puisque certains ont dit que j'étais devenu un symbole, ce serait de terminer cette carrière politique en essayant d'avoir fait quelque chose et d'avoir fait bouger les lignes pour l'avenir et notamment pour les élus car on s'aperçoit quand même que les contraintes qui pèsent sur eux sont de plus en plus importantes. Qui est en contact avec les concitoyens ? C'est le maire qui est en première ligne et c'est lui qui doit défendre à tout prix les décisions de l'État. On sait très bien que ce n'est pas simple. Au tout début de mon intervention, j'ai cité le ZAN, je pense que cela va être difficile d'annoncer à certains citoyens que leur terrain n'est plus constructible et qu'on ne peut plus rien y faire.
Dans différents projets de l'État, est ce qu'il y a de la communication ? Pas forcément. Avec mon collègue Jean-Michel Brard, le maire de Pornic, nous avions organisé une conférence de presse parce que nos riverains nous disaient : « Arrêtez de bétonner, arrêtez de bétonner dans les centres villes ! », pour essayer d'expliquer justement à nos concitoyens que nous appliquons la loi. Au niveau de mon bulletin municipal, il y a aussi un dossier pour essayer d'expliquer les décisions, pour éviter d'être harcelé ou critiqué en permanence. Mais c'est vrai, il y a peut-être un manque de communication de la part de l'exécutif pour faire comprendre à nos concitoyens que ce n'est pas le maire qui est responsable, que lui malheureusement est obligé de subir, de faire appliquer la loi et d'essayer de faire comprendre ces différents messages auprès des concitoyens.
S'agissant du soutien des élus, puisque je suis également président de l'intercommunalité, nous sommes relativement soudés et tous mes collègues maires étaient avec nous. Vous avez dû entendre parler de la zone à défendre (ZAD) du Carnet. Cela concerne encore une fois un projet de l'État ; douze sites qui étaient prêts pour accueillir des projets industriels, dont un dans notre intercommunalité. Cette ZAD s'est installée, ce qui a entraîné des nuisances pour nos concitoyens qui habitaient à proximité. Nous n'arrivions pas à obtenir de rendez-vous avec Didier Martin, le prédécesseur de l'actuel préfet, pour connaître la date d'évacuation de cette ZAD. Nous avons donc décidé un jour - les six maires, la sénatrice Laurence Garnier et la conseillère départementale -, de nous rendre à la préfecture à Nantes avec nos écharpes, pour obtenir un rendez-vous avec le préfet. Nous n'avons pas obtenu gain de cause et on nous a envoyé la police, pour manifestation non-déclarée. Nous sommes rentrés dans nos territoires et avons appris l'après-midi par la presse que nous serions reçus par le préfet. Nous avons eu ce rendez-vous deux semaines après.
Encore une fois, même si cela n'avait rien à voir avec le CADA, cela montre bien qu'il y avait quand même un décalage entre les élus locaux et l'État. Pour six maires, une sénatrice et une conseillère départementale, envoyer la police pour manifestation non déclarée !
Concernant la sous-estimation des menaces, le sous-préfet et le commandant de gendarmerie nous ont dit, lorsque nous les avons reçus, mes deux adjointes et moi : « les menaces, c'est rien, nous aussi nous recevons des menaces ». Nous leur avons pourtant rappelé que l'affaire Samuel Paty avait commencé par des menaces sur les réseaux sociaux ; nous avons bien vu à quoi cela a abouti. Le sous-préfet nous a indiqué que cela n'avait rien à voir. Nous avons vraiment eu l'impression de ne jamais avoir été entendus, de ne jamais avoir été pris au sérieux.
Les réseaux sociaux, c'est une véritable catastrophe, il va falloir agir. On assiste à un déchaînement de haine : certaines personnes utilisent de faux profils et attisent la haine en permanence. On se trouve totalement démunis. Bien sûr, quand ces commentaires apparaissent sur le site de la commune, on peut les enlever, mais lorsqu'il s'agit de groupes sur les réseaux sociaux, on ne peut rien faire. Cette haine et cette violence sur les réseaux sociaux sont incroyables. Une réflexion doit être menée pour bloquer ce phénomène. J'ai l'impression que ce déchaînement de haine se diffuse au niveau de la population. Certaines personnes peuvent être amenées à passer à l'acte.
Nous n'avons pas obtenu de réponse à nos multiples tentatives formulées auprès du procureur de la République, même si celle-ci m'a appelé le jour de l'incendie. La semaine suivante, elle a préféré appeler mon directeur de cabinet pour lui annoncer qu'elle ouvrirait une information judiciaire sur les menaces proférées à mon encontre, alors qu'elle n'avait pas répondu au premier courrier dans lequel nous avions listé toutes ces menaces. Donc là aussi, il y a un décalage important entre les élus et la justice.
Ceux qui sont condamnés s'en sortent bien ; cela ne les empêche donc pas de recommencer, sans compter toutes les plaintes qui sont classées sans suite. Il faut sûrement agir pour bien montrer qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, qu'on ne peut pas insulter ou agresser verbalement ou physiquement les élus qui sont là pour faire appliquer les lois.
L'inaction publique, je crois que je l'ai démontrée. Je n'y reviens pas.
Si j'ai décidé d'aller jusqu'au bout, c'est que j'espère que les choses bougeront. Je rencontre d'ailleurs ce soir la Première ministre, Élisabeth Borne, accompagnée de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des relations avec les collectivités territoriales et de la ruralité. Au niveau des collectivités, des actions importantes doivent être menées pour les communes et pour les élus en général. Nous ne pouvons pas continuer comme cela.
Le taux d'abstention a fortement augmenté lors des dernières élections municipales de 2020. Beaucoup de petites communes n'ont pu présenter qu'une liste. Dans la commune de Corsept en Loire-Atlantique, près de Saint-Brévin, la liste a été déposée au dernier moment. Que va-t-il se passer en 2026 ? Avoir le choix entre plusieurs listes, c'est la garantie d'avoir un débat démocratique et des échanges. J'ai bien peur qu'en 2026, dans certaines petites communes, nous n'ayons pas de liste. Il va falloir prendre en compte cette non-participation et ce non-engagement des citoyens qui craignent parfois les conséquences d'un engagement politique. Nous devons les rassurer et ne pas leur montrer que le côté négatif des fonctions.
J'ai essayé de répondre à toutes les questions. Je vous remercie de m'avoir écouté, c'était très important pour moi d'être présent ce matin pour essayer de faire passer un message.
M. François-Noël Buffet, président.- Dans ce climat général de violences et d'intimidations, il y a une urgence à agir pour les élus locaux. Je tenais également à vous informer que dans le cadre du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2017, nous entendrons bientôt le garde des Sceaux. Cette audition sera l'occasion de revenir sur les relations entre la justice et les élus locaux. Nous souhaitons poursuivre notre travail pour comprendre ce qui s'est passé et mènerons pour cela de nouvelles auditions dans les prochaines semaines.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 13 h 05.