- Mardi 16 mai 2023
- Mercredi 17 mai 2023
- Audition de M. Philippe Baptiste, président du Centre national d'études spatiales (CNES)
- Proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux - Désignation des candidats appelés à siéger au sein de la commission mixte paritaire
Mardi 16 mai 2023
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France - Examen des amendements au texte de la commission
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Nous examinons les amendements au texte de la commission sur la proposition de loi visant à instaurer un choc de compétitivité en faveur de la ferme France.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEUR
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Mon amendement no 121 vise à inclure l'accompagnement à l'exportation dans les thèmes discutés par la conférence publique de filière.
L'amendement no 121 est adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Mon amendement n° 122 vise à indiquer que le plan quinquennal de compétitivité et d'adaptation doit tenir compte des spécificités des territoires ultra-marins.
L'amendement n° 122 est adopté.
Articles 4,5, 9, 12, et 13
Les amendements rédactionnels n°s 123, 124 rectifié, 125, 126, et 127 sont adoptés.
Article 20
L'amendement rédactionnel n° 128 est adopté.
Mme Sophie Primas, présidente, rapporteur. - Mon amendement n° 129 vise à reprendre les termes de la proposition de loi de Claude Malhuret et de plusieurs de ses collègues votée au Sénat en avril 2021.
L'amendement n° 129 est adopté.
Article 25
L'amendement rédactionnel n° 130 est adopté.
Titre VI : Dispositions diverses
L'amendement rédactionnel n° 131 est adopté.
EXAMEN DE LA MOTION
Mme Sophie Primas, rapporteur. - J'émets un avis défavorable à la motion no 10, contraire à la position de notre commission.
La commission émet un avis défavorable à la motion n° 10 tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement n° 71, qui vise à étendre le bénéfice de l'exonération sociale pour les employeurs de travailleurs saisonniers aux coopératives ayant une activité de conditionnement des fruits et légumes.
M. Laurent Duplomb. - Cet article étend le dispositif d'exonérations applicable pour l'emploi de travailleurs occasionnels et demandeurs d'emplois (TO-DE). Je ne comprends pas pourquoi on exclurait les coopératives de fruits et légumes.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 71.
Mme Sophie Primas, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements de suppression nos 49 rectifié et 120 du Gouvernement.
M. Laurent Duplomb. - Je rappelle que l'article 22 exclut les entreprises agricoles et agroalimentaires dont le cycle de production est directement déterminé par le cycle naturel des récoltes de l'application du dispositif de bonus-malus sur les contributions patronales d'assurance chômage. L'objectif est d'inciter les employeurs à allonger la durée des contrats de travail. Si je comprends bien, le Gouvernement est contre la suppression du bonus-malus sur les contrats de travail courts pour les entreprises agricoles ?
Mme Sophie Primas. - C'est cela.
M. Laurent Duplomb. - C'est incroyable !
La commission émet un avis défavorable aux amendements nos 49 et 120.
La commission a également donné les avis suivants sur les autres amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après:
La réunion est close à 15 h 00.
Mercredi 17 mai 2023
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Audition de M. Philippe Baptiste, président du Centre national d'études spatiales (CNES)
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Philippe Baptiste, président du Centre national d'études spatiales (Cnes), que nous avions reçu il y a un peu plus d'un an au sein de notre commission ainsi qu'en septembre dernier dans le cadre de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC), que j'ai eu l'honneur de présider avec mes collègues Jean-François Rapin, Claude Raynal et Gisèle Jourda.
Monsieur le Président, depuis votre dernière venue au Sénat, a eu lieu une rencontre importante pour l'avenir de la politique spatiale européenne. Lors de la dernière Conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne (ESA), en novembre dernier, les ministres des États membres de l'ESA ont augmenté le budget de l'agence de 17 %, le portant à environ 17 milliards d'euros, même si l'ambition initiale était de l'ordre de 18,5 milliards d'euros. C'est une avancée notable, mais nous remarquons que la France, malgré une hausse de sa contribution de 600 millions d'euros, demeure le deuxième souscripteur à ce budget, avec 3,2 milliards d'euros contre 3,5 milliards d'euros pour l'Allemagne.
Au-delà de la seule question budgétaire, à mettre en perspective avec les autres investissements nationaux de la France en faveur de notre politique spatiale, ce sont surtout les questions de l'influence française et de la défense des intérêts français qui se posent. Les conclusions de la dernière Conférence ministérielle de l'ESA sont-elles favorables à la France et à ses intérêts, offensifs et défensifs, dans le domaine spatial ? Les priorités françaises trouvent-elles toutes satisfaction dans la nouvelle feuille de route européenne dont s'est dotée l'ESA jusqu'en 2025 ?
Les défis à relever sont nombreux, en priorité celui de garantir dans la durée un accès souverain et durable à l'espace. La question des lanceurs nous préoccupe tout particulièrement. Nous espérons ainsi que le vol inaugural d'Ariane 6 aura lieu prochainement, pour répondre le plus rapidement possible aux besoins commerciaux et institutionnels de l'Europe, en particulier pour la mise en orbite de la constellation européenne de connectivité sécurisée (Constellation Iris). Êtes-vous confiant quant à la capacité de l'Europe à garantir la fluidité et la cadence de ses lancements dans la durée ?
Il faudra également assurer le retour en vol de Vega-C et créer les conditions d'une véritable compétition européenne, stimulante pour l'innovation industrielle, en particulier pour les gammes des micro et des mini-lanceurs. Sur ce point, notre commission est attentive au développement du New Space, d'autant qu'il s'agissait de l'une des priorités fixées lors de votre arrivée à la présidence du Cnes. En France, nous avons de plus en plus de start-up, c'est une très bonne chose. Que ce soit en matière de lanceurs, d'applications spatiales ou de surveillance de l'espace, nous ne manquons pas d'idées, ni d'entrepreneurs passionnés et engagés : j'ai eu l'occasion d'en rencontrer plusieurs encore récemment. Malheureusement, les idées ne suffisent pas toujours et, en matière spatiale, il faut aussi un écosystème de soutien, des fonds d'investissement et de la volonté politique pour permettre à ces entrepreneurs de concrétiser leurs ambitions. Quel bilan tirez-vous du développement du New Space en France ? Quelles sont vos perspectives d'action en la matière ? Je crois que nous avons encore du chemin à parcourir pour rivaliser avec des pays aux ambitions spatiales toujours plus importantes.
L'espace est plus que jamais un nouveau lieu de conflictualités et de rivalités, et la concurrence se déplace désormais sur de nouveaux terrains.
D'abord, sur le terrain de l'exploration humaine et des vols habités. L'Europe ne dispose plus aujourd'hui d'un programme spatial habité, ni d'une capsule de vol habité, alors que le premier vol d'essai de Starship, développé par Space X, a eu lieu le mois dernier.
Il y a pourtant des options sur la table. Par exemple, le projet SUSIE d'ArianeGroup, qui ambitionne de faire du dernier étage réutilisable d'Ariane 6 un « véhicule à tout faire » en orbite basse, capable de transporter des satellites comme des astronautes. Il y a également le projet de la start-up franco-allemande The Exploration Company, qui développe un véhicule spatial dont l'ambition est de pouvoir transporter des marchandises à court terme puis des astronautes à long terme.
Ensuite, sur le terrain de l'exploration scientifique, mais la contribution de la France et de l'Europe en la matière n'est pas en reste. En témoigne le lancement, par Ariane 5, du télescope James Webb ou encore de la sonde Juice pour étudier les lunes glacées de Jupiter.
Enfin, sur le terrain normatif, et c'est un sujet qui nous intéresse tout particulièrement en tant que parlementaires. Ainsi, la Commission européenne est en train de se doter d'une nouvelle stratégie de gestion du trafic spatial, adaptée aux enjeux de développement durable et de lutte contre l'encombrement de l'espace. Au niveau national, une mise à jour de la loi du 3 juin 2008 sur les opérations spatiales a été annoncée. Où en sont les discussions à ce sujet ? Les concertations avec les opérateurs économiques concernés ont-elles déjà commencé ? Quelles seraient les grandes orientations de cette nouvelle loi sur les opérations spatiales ?
M. Philippe Baptiste, président du Centre national d'études spatiales. - Merci pour votre invitation, c'est toujours un grand plaisir de m'exprimer devant votre commission. Je commencerai par rappeler les ordres de grandeur : les États-Unis dépensent, au total, 70 milliards de dollars par an dans le spatial, quand l'ESA dépense 17 milliards... sur trois ans. Le budget du Cnes, incluant la part française à l'ESA, atteint 2,6 milliards d'euros par an : c'est un effort important de la Nation qui nous place au premier rang des agences spatiales européennes, mais dans un environnement où l'on dépense bien moins que de l'autre côté de l'Atlantique.
Nous assistons, ensuite, à une relance du spatial du fait de la compétition entre la Chine et les États-Unis - les Américains dépensaient 50 milliards de dollars dans le spatial il y a deux ans, ils ont donc accru leur effort de 20 milliards de dollars, c'est considérable. Il y a toujours eu une différence de budget des deux côtés de l'Atlantique, ce qui s'est traduit par des choix assumés, par les Européens, de n'investir qu'une partie du spectre. Ce choix a été gagnant, on l'a vu sur les lanceurs, ou encore sur l'observation de la Terre, domaines où l'Europe est en position de leader mondial, de même que nous avons des industriels de premier plan sur les télécoms et sur la défense. Je tenais à le souligner en amorce de mon propos : nous avons marqué des points, mais l'échelle d'investissement n'est pas la même des deux côtés de l'Atlantique, ni encore avec la Chine, dont les informations sont moins transparentes.
La Première ministre a annoncé que notre investissement dans le secteur spatial serait de l'ordre de 9 milliards d'euros sur les trois prochaines années, ce qui représente une hausse de 25 % par rapport aux années précédentes. Nous assistons à une véritable mobilisation du Gouvernement pour l'espace, pour répondre à des impératifs de défense ou des projets économiques. La France est la première puissance spatiale européenne, c'est vrai pour les investissements publics mais aussi pour l'industrie spatiale : notre pays concentre près de la moitié de l'industrie spatiale européenne, nous avons des compétiteurs, mais nous sommes en tête.
La France contribue pour 3,2 milliards d'euros à l'ESA, en augmentation de 20 %, avec la décision de faire un effort plus accentué sur l'observation de la Terre et sur l'exploration, alors que dans la phase précédente, la priorité allait au financement d'Ariane 6, nous poursuivons donc des programmes de long terme. La France est le deuxième contributeur de l'ESA, derrière l'Allemagne, notre pays fait le choix d'avoir aussi une agence nationale forte, avec le Cnes, qui voit sa trajectoire budgétaire rehaussée de 400 millions d'euros, ceci pour financer davantage des programmes qui se déroulent hors ESA - en matière de défense, mais aussi sur des programmes emblématiques comme notre collaboration avec la mission martienne de la Nasa : les rovers martiens de l'agence américaine sont équipés de caméras et de sismographes qui sont réalisés dans la métropole toulousaine ; il y a aussi d'autres programmes emblématiques franco-américains comme le satellite d'observation Swot (pour Surface Water Ocean Topography), qui, en révolutionnant la mesure du relief des océans, nous permettra de mieux comprendre le climat et son évolution - et nous avons aussi des collaborations fructueuses avec l'Inde, les Émirats arabes unis et le Japon.
Cette « ministérielle » de l'ESA se conclut également par le lancement de la constellation de satellites en orbite basse Iris Ware, dite « constellation Breton », qui va offrir aux Européens un réseau de télécoms sécurisés, ce projet est en phase de constitution de son consortium, la France y est très engagée. Nous avons aussi financé la transition d'Ariane 5 vers Ariane 6, et engagé la modernisation de la base de Kourou, sur le plan digital et environnemental, beaucoup de retard avait été pris que nous sommes en passe de rattraper, nous avons également participé à de nombreuses missions scientifiques.
Les lanceurs sont le dossier le plus compliqué de l'Europe spatiale, c'est là que les difficultés sont les plus importantes. Nous sommes passés d'une situation où nous disposions de trois lanceurs dans le port spatial de Kourou, à une situation où nous n'avons plus de lanceur, après Ariane-5. Pourquoi ? Il y a, d'abord, le retrait de Soyouz, qui était utilisé pour la plupart de nos lancements institutionnels européens, Ariane 5 servant surtout aux lancements commerciaux de gros satellites en orbite géostationnaires ; il y a, également, le retard d'Ariane 6, qui se fait d'autant plus ressentir avec le départ des Russes. Il y a, ensuite, l'échec de Vega-C, qui pose un problème, nous y travaillons avec l'industriel concerné et l'ESA. Pour Ariane 6, lors des trois derniers mois, plusieurs grandes difficultés du programme ont été levées. Il y a une bonne dynamique sur le pas de tir et sur le lanceur, le planning a été tenu. Ces signaux sont positifs, mobilisateurs pour toute l'équipe, je suis relativement optimiste, même si je ne saurais vous donner une date de tir dès lors que nous entrons dans la phase dite d'essais combinés, où l'on relie le lanceur et le pas de tir, ce qui demande d'accorder les logiciels et d'expérimenter la mécanique concrète, une phase où l'on voit s'il y a des difficultés ou pas, ce qui conditionne le calendrier.
La première priorité, désormais, c'est donc de réussir le premier vol d'Ariane 6, il y a une pression politique forte, à l'échelle européenne, pour retrouver un accès autonome à l'espace. Nous devons aussi réussir la montée en cadence industrielle d'Ariane 6, c'est un enjeu décisif. Enfin, nous devons faire ce qu'on appelle le bloc 2, c'est-à-dire parvenir à une Ariane 6 plus ambitieuse, capable en particulier d'honorer les contrats signés avec Amazon.
Une compétition s'est engagée également sur les micro-lanceurs, des acteurs nouveaux arrivent dans ce domaine, avec de nouvelles idées et de nouveaux outils, c'est intéressant. La France doit y jouer tout son rôle, non pas tant pour le poids de ce marché - il représente entre 10 et 15 % du marché spatial - que pour son rôle dans l'innovation, c'est sur ce marché qu'il y a de nouveaux entrants et qu'on peut développer des technologies, en particulier le réutilisable, un segment où nous n'avons pas beaucoup investi en Europe alors qu'il représente un enjeu important pour l'avenir. La start-up MaiaSpace nous donne accès à cette technologie du réutilisable, c'est très intéressant et il y a d'autres start-up françaises et européennes que nous accueillerons sur nos plateformes, pour mettre en place des lanceurs réactifs de nouvelle génération, dont les utilisations évoluent elles aussi, dans les domaines civil et militaire. Le domaine des lanceurs s'accommode mal du modèle économique des start-up, car les investissements nécessaires sont très importants et demandent beaucoup de temps, on le voit avec Starship, mais des start-up sont très actives sur des segments de technologie, et nous les aidons à participer à nos programmes.
Le New Space est une grande priorité pour la France. Il faut bien voir que nous sommes passés d'un système où quelques start-up seulement apparaissaient chaque année dans le spatial - qu'avec le CNRS nous biberonnions et dont nous avons fait quelques champions, c'est une fierté - à un environnement où il en apparaît désormais une par semaine. L'argent devenant cher, cet écosystème va probablement se contracter, mais l'appétence est là. Ce qui change, c'est qu'un cercle vertueux s'est enclenché, de nouvelles façons de faire apparaissent avec le digital, des capitaux privés arrivent, et comme les coûts baissent, cet ensemble est vertueux. Cette évolution, cependant, ne concerne pas tous les segments du spatial : quand on fabrique un sismomètre pour Mars, on sait que le marché est étroit, il y aura peu de commandes ; c'est très différent pour ce qui concerne l'orbite basse, où les changements sont rapides puisque les clients sont nombreux, avec les télécoms, les enjeux de défense, et parce qu'on peut désormais imaginer une constellation de mini-satellites pour quelques dizaines de millions d'euros, quand on parlait hier de centaines de millions d'euros. Nous devons donc soutenir l'écosystème, sans mettre à mal les trois grands champions que sont Thales, Airbus et ArianeGroup, très présents sur ce marché. France 2030 a mis beaucoup d'argent pour acheter des services à l'écosystème, et nous avons aussi tout un ensemble de dispositifs au sein du Cnes pour soutenir les projets, accélérer les incubateurs, cet ensemble fonctionne à plein régime et la question se pose de savoir comment mettre à disposition le savoir technique du Cnes, c'est aussi une petite révolution culturelle car ce n'est pas nos habitudes.
L'observation de la Terre est un enjeu majeur, l'Europe est très bien placée et c'est un objet de consensus pour les Européens dès lors que l'observation est déterminante pour les questions du climat, de la biodiversité, le suivi de polluants, il faut continuer dans cette direction. Le satellite Swot est une réussite technique exceptionnelle de la collaboration franco-américaine, la Nasa le présente comme « le James Webb de l'observation », il révolutionne la mesure du niveau des eaux, celle des océans mais aussi des lacs et fleuves, ce qui donne une estimation précise des réserves en eau, un enjeu considérable pour les politiques publiques.
Lors du Sommet spatial européen de Toulouse de février 2022, le Président de la République a demandé la réouverture de l'exploration spatiale par l'Europe, un domaine que nous avions laissé de côté en préférant passer par des partenariats avec les Américains et les Russes, en échangeant l'apport de technologies contre des vols habités, en particulier sur la station spatiale internationale (ISS). Pourquoi la question est-elle rouverte ? D'abord parce que les coûts ont changé : alors que l'ISS représente un investissement de quelque 120 milliards de dollars, les nouveaux projets de stations spatiales tablent sur 2 à 3 milliards de dollars - quand bien même ce serait optimiste, on voit bien que ce n'est pas la même échelle. Ensuite, le schéma qui a prévalu, où les Américains financent les structures et où ils nous échangent du temps d'astronaute contre des apports techniques, ce schéma ne peut plus avoir cours. Dès lors que l'ISS va fermer, nous pouvons soit renoncer à tout vol habité pour des Européens, soit payer notre place sur des plateformes qui appartiendront vraisemblablement à des entreprises privées ; n'a-t-on pas, plutôt, intérêt à disposer de notre propre station spatiale, pour faire voler des Européens dans l'espace, pour disposer des lanceurs et des techniques spatiales de nouvelle génération - alors qu'on parle d'une dépense qui se chiffre non plus en centaine de milliards, mais en milliards d'euros, ce qui n'est pas inaccessible pour le continent européen ? Je crois que c'est important pour les scientifiques, mais aussi, et peut-être surtout, pour l'image que l'Europe veut porter sur le spatial, sur sa confiance dans la science et la technologie - regardez l'image de confiance que renvoie Thomas Pesquet -, et sur ce qu'est la Terre, sa fragilité : la France et l'Europe ne peuvent rester en dehors de cette aventure. C'est mon plaidoyer pour les vols habités et l'exploration spatiale, je sais qu'il n'y a pas de consensus dans nos pays et que la question est d'abord politique, j'espère que vous entendrez ma voix sur ce sujet qui me tient à coeur.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous devons effectivement nous familiariser avec le spatial et nous emparer de ces enjeux, redécouvrir les opportunités du spatial pour faire face aux défis de notre planète. Nous ressentons cette effervescence pour le spatial, avec les enjeux d'observation de la Terre, donc d'action face au changement climatique, mais aussi de défense, de souveraineté, aussi bien que le déploiement nouveau de stratégies d'entreprises privées dans l'espace. Que pensez-vous d'une réglementation de l'espace - où en est-on et que devrait-on faire ? En parlant de la constellation Iris, vous dites qu'il faut accélérer pour pouvoir honorer nos contrats avec Amazon, mais n'avons-nous pas aussi à lancer nos propres satellites - et quand le seront-ils ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En décembre dernier, le satellite Swot a été lancé pour collecter des informations sur les océans et le changement climatique : comment s'est déroulée cette collaboration franco-américaine entre le Cnes et la Nasa - quel bilan en faites-vous ?
M. Serge Babary. - Le nombre et la masse des débris spatiaux ne cessent d'augmenter, occupant toujours plus de place, ce qu'observe un bureau de l'ESA notamment pour prévenir les collisions : que pensez-vous d'une réglementation en la matière ? Comment l'ESA travaille-t-elle pour rendre les objets spatiaux plus durables ?
M. Bernard Buis. - Dans son rapport qu'elle vient de publier sur le Cnes, la Cour des comptes souligne les difficultés de maintenir en interne les compétences techniques, du fait du vieillissement des effectifs - un tiers des salariés atteindra 62 ans d'ici deux ans - et du manque de renouvellement des ingénieurs. La Cour recommande que vous meniez à son terme l'identification des compétences prioritaires dans le cadre d'une gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) : comment pensez-vous assurer le renouvellement des ingénieurs au sein du Cnes ?
La stratégie du Cnes a évolué, passant du financement de projets complexes, de bout en bout, à l'accompagnement d'entreprises et de start-up innovantes - vous avez installé de nouvelles formes de financement, avec le fonds Cosmicapital, qui accompagne une vingtaine d'entreprises européennes de l'économie spatiale, et le fonds Spacefounder, programme public ouvert il y a deux ans pour accélérer le développement de start-up. Quel bilan dressez-vous du tissu entrepreneurial français dans le secteur spatial ?
Mme Micheline Jacques. - J'ai eu la chance de visiter le Centre spatial de Kourou, et je peux le dire : c'est extraordinaire. Dans son rapport, la Cour des comptes signale les écarts significatifs de salaire entre le Cnes et le secteur industriel, mais aussi le turn over important, qui atteindrait 24 % pour les moins de 35 ans ; elle préconise une politique d'attractivité fondée sur les atouts du Cnes, qui passerait par une politique de l'innovation et un suivi des projets dans le temps : qu'en pensez-vous ?
La maîtrise de l'accès à l'espace, ensuite, est essentielle pour bien des nouvelles thématiques liées en particulier au climat, vous l'avez dit pour l'observation de la Terre. Le Cnes ayant vendu ses parts dans ArianeGroup, la France ne risque-t-elle pas de perdre la maîtrise du centre spatial de Guyane ?
M. Jean-Pierre Moga. - Selon vous, quels sont les enjeux budgétaires les plus importants pour la prochaine loi de finances ? Que penser du tourisme spatial, par exemple de cette proposition de l'entreprise française Zephalto, d'un dîner dans l'espace à 120 000 euros, une initiative qui est soutenue par le Cnes ?
M. Daniel Salmon. - J'avais une question sur l'intérêt des vols habités, vous y avez répondu par votre plaidoyer, je voulais vous interroger sur les débris spatiaux, Serge Babary m'a précédé. Reste cette question, liée à la pollution lumineuse des constellations de satellites, qui dénaturent l'un des derniers paysages gratuits qu'est le cosmos : où en sommes-nous de la fabrication de satellites qui ne renvoient pas la lumière ? Je crois, enfin, que l'observation de la vie sur Terre et des océans est fondamentale.
M. Daniel Gremillet. - Quelle est la répartition, dans l'activité spatiale, entre ce qui relève du militaire, de l'économique et du touristique ? Où en est-on, ensuite, de l'institution d'un gendarme de l'espace ? Enfin, quel sera le carburant du futur ?
M. Franck Montaugé. - Lors de votre précédente audition je vous avais interrogé sur le droit de l'espace : quels en sont les principaux sujets sur lesquels il faudrait avancer ? Comment l'ESA et la France se positionnent-elles dans la gouvernance du droit de l'espace ? On voit qu'on saccage l'espace, qu'il n'y a pas de règles : que faire ? S'agissant du réchauffement climatique, ensuite, sait-on l'impact de l'utilisation des lanceurs sur la pollution atmosphérique ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Quel est l'impact du retrait britannique de l'Union européenne sur les programmes spatiaux ? Ensuite, où en est la préparation de la mise à jour de la loi du 3 juin 2008 sur les opérations spatiales ?
M. Philippe Baptiste. - Merci pour ces questions nombreuses et intéressantes, j'y répondrai par thème.
Sur les débris spatiaux, d'abord, et le droit spatial, avec l'idée d'une régulation. Des orbites deviennent encombrées, en particulier l'orbite basse, avec des risques de collision, il y en a eu par le passé, mais il y a aussi des destructions volontaires, avec des missiles. Nous sommes devant un enjeu de régulation du trafic. Or, contrairement à ce qui se passe dans l'aérien, où tous les pays respectent des règles minimales communes, il n'y a pas de régulation dans le spatial, les choses se font de manière tout à fait artisanale. Quand deux objets risquent d'entrer en collision, la question est de savoir lequel des deux va modifier sa trajectoire pour éviter l'autre ; mais cela demande d'utiliser une partie du carburant embarqué, donc de réduire la durée de vie du satellite, puisque ce carburant est utilisé pour l'empêcher d'entrer dans l'atmosphère. Et en l'absence de règles communes, les choses relèvent de la négociation au cas par cas. La question des débris relève aussi de la désorbitation des objets spatiaux, et nous constatons que les opérateurs ne sont pas dans logique de responsabilité, ils ne règlent pas la question des objets spatiaux en fin de vie car cela coûte du carburant, donc réduit le rendement de l'objet. La France et l'Europe sont en avance, nous imposons des contraintes aux opérateurs qui passent par Kourou, mais le problème est loin d'être réglé pour autant. Dans quel cadre le faire ? Nous avons le cadre national, puisque le port spatial de Kourou est sur notre territoire, et il y a l'ESA, qui n'a cependant pas de pouvoir normatif, lequel appartient à l'UE. Des signes récents nous montrent que l'UE s'intéresse de plus en plus à la définition d'une régulation pour le spatial, je suis convaincu que c'est le bon niveau pour avancer et que la France a un message fort à faire passer. La régulation, cependant, doit se faire à l'échelle mondiale et il faudrait mettre toutes les puissances spatiales autour de la table, c'est une autre histoire. Je suis relativement optimiste, parce que c'est l'intérêt de tous de parvenir à une régulation, mais le cadre onusien ne fonctionne pas sur le spatial.
M. Franck Montaugé. - Il n'y a donc que des rapports de force ?
M. Philippe Baptiste. - Oui, surtout que les puissances en présence sont la Chine, les États-Unis et la Russie... Il n'y a pas de réponse simple, c'est un enjeu pour tout le monde : nous avons tous intérêt à une régulation pour l'orbite basse, mais nous n'y sommes pas. Des initiatives sont prises pour désorbiter des satellites inactifs ; c'est intéressant, mais c'est aussi coûteux, et l'on fait surtout de la démonstration ; il y a aussi qu'entre détruire un satellite inactif et éliminer un satellite non coopératif, la différence n'est pas toujours évidente à voir, et que la volonté de détruire des satellites « adverses » explique une partie de l'engouement pour ces techniques de destruction dans l'orbite basse... D'autres modèles existent, plus pérennes, pour allonger la durée de vie des satellites, avec en particulier du refueling en orbite, on peut imaginer des systèmes à durée de vie plus longue.
M. Franck Montaugé. - Peut-on utiliser des énergies renouvelables ?
M. Philippe Baptiste. - Pour maintenir les satellites sur leur orbite, on utilise classiquement de la propulsion chimique, avec des ergols, on peut aussi utiliser de la propulsion électrique avec des panneaux solaires, mais dans tous ces cas il y a des consommables, qui ont une durée de vie limitée.
A-t-on besoin de textes législatifs à court terme ? Oui, pour prendre en compte les constellations de satellites, par exemple, ou encore sur la question du réutilisable, il serait nécessaire d'avoir un nouveau cadre d'action pour encadrer les missions avec des lanceurs qui reviennent.
L'industrie spatiale prend en compte les enjeux climatiques, nous avons, comme toute activité, une responsabilité environnementale. Nos bâtiments commencent à être aux normes, nos énergies sont en partie décarbonées. Quel est l'impact du lancement même des objets dans l'espace ? Il est très faible : je cite le chiffre de mémoire, mais l'ensemble des lancements annuels représenterait l'équivalent de quelques heures de trafic aérien international. Quel sera le carburant du futur ? Il faut être prudent. On peut avoir une propulsion avec de la poudre, du méthane, qui émettent donc du CO2, on peut imaginer une propulsion à hydrogène vert, mais la production d'eau à haute altitude entraîne des gaz à effet de serre, c'est à prendre en compte. Sur les normes environnementales, nous avons à l'évidence un enjeu immobilier à Kourou : nos bâtiments sont climatisés et nous devons les rénover, nous produisons notre énergie avec de gros groupes électrogènes diesel. Nous avons commencé le projet de modernisation, nous aimerions produire une électricité avec des panneaux voltaïques et des batteries, je ne vous cache pas que les autorisations sont difficiles à obtenir, dans le contexte qui est le nôtre à Kourou. Il y a aussi la possibilité d'utiliser de l'hydrogène vert, en utilisant de la biomasse, c'est très motivant. Le Cnes a aussi du travail à faire à Toulouse sur le plan environnemental - d'autant plus que nous avons un devoir d'exemplarité, dès lors que nous travaillons sur l'observation du climat.
Le tourisme spatial est beaucoup plus avancé outre-Atlantique, des entreprises l'utilisent pour financer une partie de leurs activités. Je serais surpris qu'en Europe, on ait un développement identique, car l'opinion publique me semble moins prête à soutenir de tels projets. L'entreprise française Zephalto propose effectivement un « séjour » de quelques heures - pour un repas, donc - à une hauteur de 25 kilomètres, en utilisant des ballons, qui ont un impact environnemental limité. L'entreprise mobilise une technique éprouvée, que le Cnes utilise depuis des années, nous avons des missions régulières avec de tels ballons réutilisables qui nous permettent de récupérer directement les données, les instruments, de les changer si l'on pense faire mieux avec d'autres outils, le tout pour beaucoup moins cher qu'une fusée - les ballons sont très utiles, on sait aussi qu'ils servent en matière de défense, on l'a vu récemment avec le ballon chinois au-dessus du territoire américain. Plusieurs entreprises ont investi dans le secteur, bien au-delà du tourisme spatial.
Nous avons de très beaux projets européens, le vaisseau spatial Juice - pour Jupiter Icy Moons Explorer - vient d'être lancé le mois dernier, avec l'objectif d'examiner les lunes glacées de Jupiter, pour voir si elles ont été « habitables » par le passé, si elles ont accueilli de la vie ; c'est une mission de longue durée, puisque le trajet dure 8 ans, elle commence bien. Le télescope spatial James Webb (JWST) est aussi une grande réussite, la France y a pris sa part et le lanceur Ariane 5 a été crucial, c'est grâce à la double activité, civile et militaire d'ArianeGroup, que le lanceur a pu être si précis - la Nasa estime que cette précision d'Ariane 5 aurait fait gagner dix ans de vie au télescope, ce n'est pas négligeable pour un outil à 10 milliards de dollars...
La coopération avec les Américains est très bonne, en témoigne le satellite Swot, nous nous sommes mis d'accord en amont sur la répartition des tâches, la France est responsable d'une partie des instruments de la plateforme et la coopération est très fluide ; il y a eu des soucis techniques, les problèmes ont été réglés, et sur cette mission qui dure plusieurs années, les premiers résultats sont au-delà de nos espérances.
Nous avons bien sûr lu très attentivement le rapport de la Cour des comptes sur le Cnes, je trouve ses conclusions et recommandations plutôt positives et constructives, en particulier le fait de mettre en avant la maîtrise des projets et des budgets, ce qui est essentiel. La Cour mentionne nos enjeux de ressources humaines et le vieillissement de nos effectifs, nous avons lancé, avant l'enquête de la Cour, une gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences. Une difficulté tient à ce que Cnes ne compte que 2 500 salariés, c'est peu lorsqu'on sait la spécialisation de certaines compétences : sur certaines questions très spécialisées, nous n'avons qu'un salarié comme personne ressource, ce qui rend son remplacement plus délicat lorsqu'il vient à partir. Il y a plus de turn over chez les jeunes, effectivement, c'est un phénomène que l'on constate dans bien d'autres secteurs, le niveau des salaires est plus élevé dans le privé, c'est aussi un phénomène général - mais des salariés viennent au Cnes aussi avec la motivation de travailler pour le public, avec un sens du service public, sur des questions transverses ; cependant, il faut veiller à ce que l'écart des salaires ne se creuse pas trop, la période est rendue plus difficile par l'engouement pour le spatial, qui fait une pression plus grande sur le besoin de compétences spécialisées.
La France risque-t-elle de perdre sa place pour la gestion du Centre spatial Guyanais ? Je ne le crois pas. La France et l'ESA ont une convention sur le CSG, le Cnes a toute sa place, la France assure la coordination de ce vaste site industriel - il a la taille de Singapour...-, les lanceurs que nous y accueillons se diversifient, c'est une bonne dynamique qui va s'accentuer à l'avenir. Je ne crois pas que la France va perdre la main sur cette plateforme, il y a des textes bien établis et la volonté de continuer, je ne pense pas que cet équilibre soit remis en cause.
Je vous accorde, en revanche, qu'il y a un encombrement pour les lancements. Cependant, nous tenons à la priorité des lancements institutionnels européens. Les satellites de la constellation européenne Iris ne sont pas encore construits, il est prématuré de penser que des difficultés pour leur lancement feraient prendre du retard. Cela dit, il faut qu'Ariane 6 soit un succès non pas seulement institutionnel mais commercial, c'est une vision que partagent ses dirigeants, il est décisif pour l'ensemble du programme que ce lanceur honore ses engagements commerciaux.
Mme Sophie Primas. - Merci pour toutes ces informations passionnantes, qui nous donnent l'occasion de voir loin et grand.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux - Désignation des candidats appelés à siéger au sein de la commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre, M. Laurent Somon, Mmes Micheline Jacques, Florence Blatrix-Contat, MM. Rémi Cardon et Jean-Baptiste Lemoyne comme membres titulaires, et de M. Yves Bouloux, Mmes Anne Chain-Larché, Sylviane Noël, Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Montaugé, Henri Cabanel et Fabien Gay comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux.
La réunion est close à 11 h 00.