Mercredi 10 mai 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Politique régionale - Politiques européennes en outre-mer - Audition des services de la Commission européenne : Mmes Monika Hencsey, directrice budget, communication et affaires générales (Regio A) de la direction générale politique régionale et urbaine, et Catherine Metdepenningen, chef de l'unité des relations avec les pays et territoires d'outre-mer, accompagnée de M. Frédéric Maier, chargé de la coopération, à la direction générale Partenariats internationaux (INTPA B3)
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Les régions et territoires d'outre-mer sont une richesse pour l'Union européenne, dont le territoire se trouve ainsi étendu autour du globe, bien au-delà du seul continent européen. Ils constituent à cet égard de précieux atouts pour l'Union sur le plan stratégique, mais ils lui offrent aussi des opportunités en matière de développement touristique ; ce sont aussi des lieux riches d'une grande biodiversité.
Un grand nombre de ces régions et territoires font partie intégrante de la République française, sous le statut de régions ultrapériphériques (RUP) ou bien de pays et territoires d'outre-mer (PTOM) ; notre pays est l'État membre le plus concerné par le sort que leur réserve l'Union. Depuis 1999, les traités prévoient explicitement de leur accorder une attention spécifique au titre de leur éloignement, de leur insularité, de leur climat, de leur faible superficie ou de leur dépendance économique. Nous pourrions ajouter à cette liste leur exposition particulière aux risques naturels : volcans, cyclones, séismes, voire tsunamis.
En 2019, j'ai eu l'occasion de présenter un rapport à ce sujet ; celui-ci avait été adopté par la délégation aux outre-mer, dont je suis membre. Tous ces éléments justifient en effet que l'Union adapte ses règles en outre-mer et apporte un soutien constant au développement de ces territoires, grâce aux différents outils existants : c'est une conviction partagée par la délégation sénatoriale aux outre-mer et par la commission des affaires européennes, ce qui justifie l'organisation, aujourd'hui, de cette table ronde par nos deux instances.
De ce point de vue, nous saluons de concert la décision de la Commission européenne, prise en février dernier, d'autoriser un régime français de 3 milliards d'euros d'aides d'État destiné à indemniser, jusqu'en 2027, les entreprises de cinq régions ultrapériphériques françaises, pour les surcoûts qu'elles supportent dans le cadre des activités qu'elles exercent sur ces territoires. Ce régime d'aide consiste en une réduction de l'octroi de mer, cette taxe prélevée sur les produits importés dans les RUP françaises ou les productions locales de ces dernières : nous nous réjouissons qu'il puisse contribuer au développement régional et à la compétitivité de ces régions.
Toutefois, sur de nombreux autres dossiers, il nous semble utile d'approfondir les échanges avec la Commission européenne pour mieux la sensibiliser aux enjeux des outre-mer, et je remercie ses représentants d'avoir accepté notre invitation, depuis Bruxelles : le cabinet de la commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Mme Elisa Ferreira, représentée par Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne ; et Mme Catherine Metdepenningen, chef d'unité de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission, accompagnée de M. Frédéric Maier, plus particulièrement chargé des pays et territoires d'outre-mer (Intpa B3).
Nous souhaitons examiner avec vous la possibilité de recourir plus fréquemment aux dispositions des traités consacrées aux outre-mer, notamment l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Mécaniquement, l'élargissement progressif de l'Union rend de plus en plus difficile la prise en compte des réalités des RUP : celle-ci comprend désormais 27 États membres, dont la plupart ignorent les problématiques des outre-mer, et l'intégration possible des États aujourd'hui candidats, situés dans les Balkans ou sur le flanc est du continent, pourrait encore occulter un peu plus les sujets ultramarins.
Dans ce contexte, nous sommes particulièrement inquiets à l'approche de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne : les fonds aujourd'hui consacrés à soutenir les outre-mer pourraient être réduits au nom d'autres priorités incontestables, comme la transition énergétique ou le soutien à l'Ukraine.
Plus généralement, nous souhaiterions comprendre comment convaincre nos partenaires de la nécessité d'adapter les normes européennes aux réalités des outre-mer. Je pense par exemple à la marque CE, dont la mention est requise pour les produits importés dans l'Union européenne : cette exigence appliquée dans les régions d'outre-mer les empêche de s'approvisionner directement dans leur environnement régional, et conduit, pour importer des marchandises provenant parfois d'un pays voisin, à les faire transiter par un pays de l'Union. C'est ce type de décalage entre les règles et la réalité de terrain que nous avons collectivement intérêt à éviter, pour ne pas entraver le développement local de ces territoires qui, je le répète, sont une chance pour l'Union européenne.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie vivement Jean-François Rapin d'avoir pris l'initiative de réunir nos deux instances afin d'aborder les politiques européennes sous l'angle de nos territoires ultramarins.
Nous estimons en effet que la France a un rôle particulier à jouer dans ce domaine, car elle est la seule à posséder à la fois des régions ultrapériphériques et des PTOM - six RUP et six PTOM au total. Notre pays est en quelque sorte le porte-parole des outre-mer au plan européen : nous mettons en exergue de manière transversale les difficultés constatées dans des territoires qui sont, comme vous le savez, extrêmement variés.
Ce n'est pas la première fois que notre délégation se saisit de la dimension européenne des politiques menées dans les outre-mer. En juillet 2020, alors que nous étions en pleine négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027, celle-ci a adopté un rapport sur les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer, dans lequel figurait une trentaine de recommandations.
La présente réunion s'inscrit d'ailleurs, à nos yeux, dans le cadre du suivi de ce rapport et de la prise en compte des sujets d'actualité, comme l'a fortement préconisé le groupe de travail de notre collègue Pascale Gruny.
À l'époque, notre objectif était de veiller à ce que l'équilibre budgétaire pluriannuel ne soit pas défavorable aux outre-mer et de mieux faire entendre leur voix auprès des institutions françaises et européennes. La délégation avait ainsi organisé de nombreuses réunions et surtout un déplacement à Bruxelles, ce qui lui avait permis d'entendre au total une quarantaine de personnalités. Presque trois ans après sa sortie, et à un mois du prochain comité interministériel des outre-mer (Ciom) sous l'égide de la Première ministre, où en sommes-nous ?
Comme l'a dit le président Rapin, nous attendons de nos invités un certain nombre d'éclairages. Pour notre part, nous souhaiterions vous entendre sur les sujets en lien avec les travaux récents menés par la délégation, tels que la gestion des déchets, la continuité territoriale ou encore le foncier agricole.
La commission des affaires européennes devrait examiner prochainement une proposition de résolution européenne relative aux déchets, déposée par nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet, à la suite de leur remarquable rapport sur ce sujet. Celles-ci préconisent de faire du secteur des déchets et de l'économie circulaire l'un des champs prioritaires d'adaptation des normes et des aides européennes aux spécificités des RUP, conformément à l'article 349 du TFUE.
Leur rapport appelle aussi à l'adaptation du règlement européen sur les transferts de déchets aux contraintes particulières des outre-mer et à l'ouverture de discussions dans le cadre de la convention de Bâle, afin de conclure des accords régionaux pour le traitement des déchets des outre- mer.
Des évolutions des règles en matière de continuité territoriale sont également en cours, avec la réforme de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) ; des annonces seront faites à ce sujet au cours du prochain Ciom qui se tiendra le 12 juin prochain.
J'insisterai davantage sur le secteur agricole. Les rapporteurs de notre délégation, Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi, reviennent de Martinique : ils ont pris la mesure du défi de l'autonomie alimentaire pour ces territoires et de la nécessité d'une revalorisation des enveloppes communautaires allouées à l'agriculture ultramarine par le biais du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi), notamment pour faire face à l'augmentation des coûts de production.
Sur place, il a beaucoup été question des ravages de la cercosporiose noire : ce champignon, présent partout aux Antilles, progresse de façon exponentielle ; il est à l'origine d'une chute très importante des tonnages récoltés de banane, avec une baisse de plus de 20 % en 2021. L'utilisation de nouvelles techniques génomiques (NTG) pourrait être une solution, mais cela suppose un cadre juridique spécifique, dont la compétence relève de la Commission. Où en sont les travaux à ce sujet ?
L'adaptation du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) - notamment pour faciliter et accélérer encore davantage la transition écologique et numérique européenne -, et des politiques européennes en matière de pêche figure également au coeur des préoccupations de nos territoires.
Alors qu'elle a été autorisée par principe par la Commission européenne en février 2022, l'aide au renouvellement des flottes de pêche n'est toujours pas entrée en vigueur. J'espère que vous pourrez nous préciser les causes de cette situation.
Enfin, la demande de simplification des procédures d'attributions des aides au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et du Fonds européen de développement régional (Feder) est unanimement partagée, afin de relancer les productions.
Mme Monika Hencsey, directrice Budget, communication et affaires générales (Regio A) au sein de la direction générale Politique régionale et urbaine de la Commission européenne. - Je vous prie de bien vouloir excuser mon absence à Paris, en raison d'un problème de transport.
Ce débat est une excellente occasion d'examiner la stratégie de l'Union européenne (UE) en faveur des RUP, c'est-à-dire la Guadeloupe, La Réunion, la Martinique, Saint-Martin, Mayotte, la Guyane, mais aussi les Açores, Madère et les îles Canaries. Ces régions font partie intégrante de l'UE et leurs citoyens sont pleinement européens. Malgré leur éloignement, ils doivent profiter des avantages de l'Union.
Ces territoires disposent d'atouts incontestables : une biodiversité très riche, une situation stratégique, notamment pour le lancement des satellites, et des zones maritimes étendues, proches des autres continents.
Malheureusement, la crise ukrainienne a renchéri le coût des transports, de l'énergie et de l'alimentation. Or ces régions sont très dépendantes des importations. Au mois de mai dernier, la Commission s'est pleinement engagée à poursuivre le soutien aux RUP. Nous voulons contribuer à combler le fossé en matière de qualité de vie entre ces régions et le reste de l'Union européenne : à cet égard, la politique de cohésion est très importante.
De plus, nous renforçons le dialogue avec toutes les RUP, par le biais d'une coopération bilatérale. La commissaire Elisa Ferreira se rendra à l'automne dans chaque région. Cette nouvelle stratégie vise à améliorer le niveau de vie des habitants et à renforcer l'accès aux infrastructures et aux services essentiels. Nous voulons relancer la croissance durable, en nous fondant sur les atouts de chaque région, en vue de diversifier leur économie et de créer des emplois.
La Commission a déjà commencé à mettre en oeuvre cette stratégie : nous avons inscrit les spécificités de ces régions dans plus de 70 initiatives lancées par l'Union européenne. Le Pacte vert pour l'Europe prend en compte leur vulnérabilité au changement climatique et aux catastrophes naturelles. La protection et la restauration de leurs écosystèmes figurent au coeur de la stratégie de l'Union en faveur de la biodiversité. Le transport est un secteur essentiel, compte tenu de leur situation géographique : la proposition relative aux réseaux transeuropéens de transport les rend éligibles au financement de mécanismes facilitant l'interconnexion avec les réseaux européens. Le paquet Fit for 55 maintient une exception au système d'échange de quotas jusqu'en 2030 pour les vols domestiques vers et en provenance des RUP afin de faciliter la continuité territoriale. Il en va de même pour les voyages maritimes.
De plus, les RUP peuvent pleinement prétendre aux financements européens. Nous organisons plusieurs ateliers avec les représentants de ces régions pour les aider à monter des projets de qualité.
Les fonds structurels sont également très utiles ; la mise en oeuvre de la programmation 2021-2027 peut commencer. En revanche, je m'inquiète du faible taux d'exécution financière des fonds du Feder au titre de la période 2014-2020 pour les régions françaises, notamment les RUP : ceux-ci risquent d'être définitivement perdus.
La Commission européenne a lancé les consultations sur l'avenir de la politique de cohésion ; un groupe de réflexion de haut niveau a été constitué. Nous aimerions avoir des discussions avec chaque État membre, mais aussi avec les RUP : nous voulons nous assurer que ces dernières soient bien intégrées au processus. J'encourage la France à participer à ces échanges.
Mme Catherine Metdepenningen, chef d'unité de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission. - Je salue le dialogue constructif que nous maintenons avec la France sur ce dossier. La présidence française de l'Union européenne (PFUE) a été un succès ; je salue sa contribution au dossier - complexe - de la coopération intrarégionale. Je remercie la France et la Nouvelle-Calédonie pour l'organisation du forum Union européenne-PTOM, qui s'est tenu à Nouméa en novembre 2022. Les résultats de cette réunion ont été très satisfaisants. Notre prochain forum se tiendra à Bruxelles, à la mi-novembre.
Les relations entre l'Union et les 13 PTOM sont uniques et durables. Elles ont des fondements historiques, depuis le traité de Rome de 1957. Contrairement aux RUP, les PTOM ne font partie ni du territoire ni du marché de l'Union : ils ne sont donc pas liés par l'acquis communautaire. En revanche, leurs citoyens disposent de la citoyenneté européenne et ils ont le droit de vote au Parlement européen.
Les PTOM jouent un rôle important en tant qu'avant-poste stratégique dans de nombreuses régions du globe et contribuent à la promotion des valeurs et des normes européennes.
Les relations entre l'Union et les PTOM sont régies par un cadre juridique se traduisant par des décisions d'association, qui promeuvent un dialogue politique continu entre ces territoires et les pays concernés, à savoir la France, les Pays-Bas et le Danemark. Les PTOM bénéficient d'un accès libre - exempt de tout droit - au marché intérieur et d'une coopération financière répondant à leurs besoins spécifiques. L'accord d'association ne revêt pas uniquement un aspect financier : il matérialise également des liens politiques et commerciaux.
Le Groenland bénéficiera d'un soutien bilatéral d'un montant de 225 millions d'euros. Cette somme importante s'explique notamment par l'existence d'un accord de pêche très favorable à l'Union européenne. Des subventions d'un montant de 164 millions d'euros seront versées aux autres PTOM. Une enveloppe de 76 millions d'euros est prévue pour les programmes régionaux, dont 15 millions d'euros en faveur de la coopération intrarégionale. Par ailleurs, les PTOM ont accès à tous les programmes européens, comme Erasmus+ ou Horizon Europe.
Les décisions d'association font actuellement l'objet d'une évaluation à mi-parcours. La consultation publique est ouverte jusqu'à la fin du mois de juin 2023 et le rapport, mené par des évaluateurs indépendants, sera présenté devant le Parlement européen à la fin du mois de février 2024. Une évaluation stratégique de notre coopération avec tous les PTOM est également prévue en 2024 ; la dernière évaluation couvrait la période 1999-2009.
Notre coopération est bien avancée, puisque nous avons adopté 14 documents de programmation avec les PTOM, qui se décomposent ainsi : 30,9 millions d'euros pour la transition énergétique en Nouvelle-Calédonie ; 31,1 millions d'euros au titre d'un projet de gestion durable de l'eau en Polynésie française ; 2,5 millions d'euros au titre de la réduction des risques liés aux catastrophes naturelles pour Saint-Barthélemy ; 4 millions d'euros pour la protection de la biodiversité marine dans les Terres australes et antarctiques françaises (Taaf) ; 27 millions d'euros au profit du tourisme durable à Saint-Pierre-et-Miquelon ; 20,4 millions d'euros au profit du développement socioéconomique durable de Wallis-et-Futuna.
Tous ces programmes comporteront des actions prioritaires consacrées à la lutte contre le changement climatique, en lien avec le Pacte vert et les autres priorités de l'Union européenne. L'appui budgétaire est le mode d'action privilégié : les fonds seront directement versés aux autorités partenaires, afin de soutenir leurs politiques sectorielles et de développer leurs capacités institutionnelles.
La stratégie Global Gateway, ou, en français, « passerelle mondiale », vise à orienter vers certaines priorités les investissements européens à travers le monde, en sus de ceux des États membres qui le souhaitent. Le constat est simple : au niveau mondial, il existe un déficit d'investissements dans des secteurs importants, comme le numérique, l'éducation, la santé, les transports ou la recherche, entre autres. La Commission européenne a débloqué 300 milliards d'euros afin de soutenir ces secteurs essentiels : c'est là un véritable plan Marshall d'investissements.
La région indopacifique compte 4 PTOM français - la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, les Taaf et Wallis-et-Futuna. L'Union européenne a fait sienne la stratégie française dans cette région. Des forces armées françaises sont basées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française : ce sont les seules à pouvoir intervenir dans le cadre du mécanisme de protection civile de l'Union.
M. Frédéric Maier, chargé des pays et territoires d'outre-mer au sein de la direction générale Partenariats internationaux de la Commission européenne. - La stratégie intrarégionale s'inscrit dans le cadre de la décision relative à l'association des outre-mer, y compris le Groenland (Decision on the Overseas Association including Greenland- DOAG).
Nous disposons depuis longtemps d'une coopération bilatérale classique avec les PTOM, mais c'est la première fois qu'une enveloppe en faveur de la coopération intrarégionale est créée. Nous avons bien avancé : 14 des 16 programmes indicatifs pluriannuels ont été adoptés. L'un d'eux est consacré à l'enveloppe intrarégionale. Cette année, nous voulons avancer dans le dialogue avec les PTOM. Les premières idées de projets pourraient être examinées entre 2024 et 2025, avec une application jusqu'en 2027. Une enveloppe de 15 millions d'euros a été débloquée pour cet objectif.
Mme Catherine Metdepenningen. - En 2020, lorsque le Royaume-Uni faisait encore partie de l'Union européenne, les PTOM concentraient 80 % de la biodiversité mondiale. C'est un atout fantastique à l'heure du changement climatique : l'Union reste plus que jamais engagée auprès des PTOM.
De plus, la Commission européenne ouvrira en septembre un bureau à Nuuk au Groenland, sur le modèle de celui créé en Nouvelle-Calédonie.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie les intervenants pour cette présentation. J'ai l'impression que l'action de l'Union européenne dans nos territoires est très importante, mais qu'elle n'est pas assez mise en valeur. Partagez-vous ce constat ? Comment agir pour améliorer cette situation ? Nous sommes unis non seulement par ces actions, mais aussi par des valeurs communes.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - L'ouverture d'un bureau de l'Union européenne au Groenland est une excellente nouvelle : la Chine veut s'y implanter, en « surfant » sur les tentations indépendantistes de ce territoire.
Serait-il envisageable d'utiliser les fonds européens destinés aux PTOM pour financer la création d'Alliances françaises dans les pays voisins ? Je pense à la Guyane : aucun enseignement de français n'est dispensé dans la région brésilienne de l'Amapá ; ce serait pourtant un bon moyen d'assurer le développement de ces territoires.
Mme Micheline Jacques. - Merci pour vos propos éclairants.
Plusieurs études de la délégation sénatoriale aux outre-mer ont mis en évidence les inadaptations normatives aux réalités ultramarines, ce qui contribue à renchérir les coûts de production, notamment dans le domaine du bâtiment. Existe-t-il une volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps ? Pourquoi ne pas créer un référentiel d'équivalence facilitant les échanges commerciaux dans l'environnement proche des outre-mer, à l'heure où la réduction de l'empreinte carbone est une nécessité ? Faut-il maintenir l'exclusivité des échanges avec l'Union européenne ?
M. Jean-Yves Leconte. - Quid de la conjugaison du pacte sur la migration et l'asile avec les réalités ultramarines ? Certains de nos départements et territoires d'outre-mer ne sont pas dans l'espace Schengen, alors que ce sont bien des territoires européens. Aucune disposition des accords européens relative aux questions d'asile et de migration n'y est en vigueur: le règlement Eurodac n'est pas appliqué en Guyane et à Mayotte, par exemple. La France refuse d'utiliser Eurodac ; pourtant, des personnes utilisent comme point d'entrée les territoires d'outre-mer.
De plus, les Brésiliens souhaitant se rendre en Guyane doivent disposer d'un visa, alors que cette obligation ne leur est pas imposée lorsqu'ils se rendent sur le continent européen, dans un État membre de l'Union.
Mme Monika Hencsey. - Je souscris à l'analyse de M. Thani Mohamed Soilihi : nous devons améliorer notre communication et mieux mettre en valeur le travail de la Commission dans les PTOM. Nous nous sommes engagés à multiplier les rencontres avec les autorités locales et nous avons lancé un appel à projets doté d'un million d'euros en direction des jeunes. En outre, la commissaire Elisa Ferreira entend se rendre dans chaque RUP.
Les questions liées à l'espace Schengen relèvent de la compétence des États membres. Cela dit, de nombreux fonds européens peuvent être mobilisés dans ces territoires pour faciliter l'accueil et l'intégration des migrants, y compris les mineurs non accompagnés (MNA).
Mme Catherine Metdepenningen. - Il faut le reconnaître, les PTOM, malgré l'obligation qui leur est faite de communiquer sur l'origine des fonds européens dans le cadre de nos échanges, ne le font pas suffisamment. C'est souvent là que le bât blesse dans le cadre de la coopération. Il s'agit du reste d'une difficulté qui concerne la coopération en général et pas seulement les pays et territoires d'outre-mer, d'où le projet Global Gateway, qui se veut non seulement un programme d'investissement, mais aussi un plan de communication beaucoup plus agressif.
Il est temps que l'Union européenne se fasse respecter par les structures ou territoires qu'elle finance.
Même s'il existe des forums tripartites entre Union européenne, États membres et PTOM au sein desquels nous discutons de ces questions, nous avons décidé de dédier une grande partie des fonds de notre assistance technique à la mise en oeuvre d'un plan de communication beaucoup plus ambitieux, destiné aux PTOM en particulier.
Mme Micheline Jacques. - Ma question portait sur l'inadaptation normative aux réalités ultramarines, qui conduit à un renchérissement des coûts de production, notamment dans le secteur de la construction.
Existe-t-il une volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps, en élaborant par exemple un référentiel d'équivalence qui faciliterait les échanges commerciaux dans les zones régionales ? Est-il indispensable de maintenir l'exclusivité des échanges entre les régions ultrapériphériques et l'Union européenne, au vu notamment de l'empreinte carbone que ces échanges induisent ?
Mme Catherine Metdepenningen. - Tous les produits issus des RUP, à l'exception des produits de la pêche du Groenland, qui relèvent du protocole 33 du traité, bénéficient d'un régime hors taxes.
Les RUP font parfois l'objet d'un traitement plus favorable que les PTOM, ce que ces derniers leur envient d'ailleurs. Il ne faut cependant pas oublier que ces derniers disposent eux aussi de conditions d'échanges plus qu'avantageuses.
Pour ce qui est des normes techniques, rien n'empêche un PTOM de se porter candidat à un projet de coopération commerciale, dans le cadre duquel il pourrait travailler à l'amélioration de ces normes. Cela étant, nous n'avons eu aucune demande de ce genre à ce jour.
Mme Monika Hencsey. - Nous sommes conscients des difficultés de certification que peut poser la réglementation européenne pour ce qui est de l'importation de produits issus des RUP au sein de l'Union européenne.
Je sais qu'il existe actuellement des discussions à ce sujet dans le cadre de l'élaboration des directives européennes sur l'énergie renouvelable. J'ignore l'issue de ces travaux, mais je me renseignerai.
Mme Annick Petrus. - Vous venez d'indiquer que les jeunes des RUP pourraient percevoir des aides issues des fonds européens, afin de monter des projets innovants pour leur territoire. Or, très souvent, les jeunes qui souhaitent se lancer dans ce genre de projet se heurtent à un problème de préfinancement.
Chacun sait qu'aujourd'hui l'Europe ne préfinance pas les jeunes qui se trouvent dans cette situation : quelles solutions pourrait-on imaginer à cette échelle ?
Mme Monika Hencsey. - Nous avons lancé un appel à propositions en direction des jeunes, mais nous cherchons encore des organisations, au sein ou non des RUP, avec lesquelles nous pourrions monter les projets. Nous espérons y parvenir avant l'été ou l'automne prochain.
Dans ce cadre, aucun préfinancement ne sera demandé aux jeunes concernés : ils recevront entre 500 et 1 000 euros, peut-être davantage, pour mettre en oeuvre leurs projets.
M. Victorin Lurel. - Sachez que, parfois, les collectivités rencontrent elles-mêmes des problèmes de préfinancement et qu'elles ont aussi des difficultés pour consommer les crédits européens.
Il existait pourtant une solution qui consistait à ce que les collectivités concluent une convention de mandat financier : des sociétés d'économie mixte (SEM) préfinançaient les opérations lorsque les collectivités avaient des difficultés ou étaient en déficit. Sur la base d'un appel d'offres ou d'une convention passée avec une SEM, les collectivités pouvaient alors avoir accès au crédit bancaire.
Or les chambres régionales des comptes ont condamné cette pratique, au motif qu'il s'agissait d'une activité bancaire déguisée. L'Union européenne pourrait-elle reconsidérer cette question et encourager ce mode de financement ? Après tout, cette problématique relève tout autant des gouvernements nationaux que de l'Europe.
Ma deuxième question porte sur la coopération régionale : il est très difficile aujourd'hui de délimiter les différentes frontières maritimes ou les zones économiques exclusives. Par exemple, dans la Caraïbe, il n'y a pas de limitation entre la Guadeloupe et la Dominique, la Dominique et la Martinique, Martinique et Sainte-Lucie.
Les conventions de pêche relèvent ainsi de la compétence de l'Europe, ce qui pose des difficultés. C'est la même chose en matière de coopération judiciaire et policière : il est très compliqué d'obtenir des officiers de liaison par exemple, alors que nous sommes membres de l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECS).
Autre remarque, les préfets ont davantage de pouvoir dans ces territoires que les préfets hexagonaux, notamment en matière de reconduite à la frontière et de rétention administrative.
Personne ne soulève ce point, mais si on devait l'étudier de près, nous nous apercevrions qu'il est très difficile à traiter.
Mme Monika Hencsey. - Dans la plupart des cas, les RUP bénéficient de conditions de préfinancement beaucoup plus favorables que les autres régions. C'est vrai pour les fonds structurels contrôlés par les États membres, mais aussi pour différents programmes directement gérés à Bruxelles, pour lesquels les RUP doivent certes postuler, mais qui leur assurent, si elles sont choisies, un taux de cofinancement plus bas que celui qui s'appliquerait aux autres.
Par ailleurs, nous avons créé un certain nombre d'instruments d'urgence en réponse à la crise du covid, à celle des réfugiés, ou pour garantir une énergie abordable. Nous avons introduit davantage de flexibilité dans l'utilisation des fonds de cohésion, avec un taux de préfinancement s'élevant à 100 % et un cofinancement réduit des régions et des États membres. Cette flexibilité permet de pallier le défaut d'exécution financière que nous constatons en temps normal : elle favorise en effet une consommation beaucoup plus rapide de ces fonds.
Mme Catherine Metdepenningen. - Dès qu'une convention de financement est signée, le territoire concerné a directement accès aux crédits, d'abord par tranches fixes, puis par tranches variables, ce qui est le propre de l'aide budgétaire. De la même manière, quand le citoyen d'un PTOM participe, au même titre qu'un État membre, à un appel à propositions pour n'importe quel projet ou programme de l'Union européenne, il peut postuler sans avoir à verser le moindre euro au moment de la signature grâce aux avances de la Commission européenne.
Dans le cadre de nos actions de coopération, il n'existe donc a priori aucun souci d'accès au préfinancement.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je souhaiterais vous faire partager mon expérience d'ancien ordonnateur d'un PTOM, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ce que l'on vient de nous décrire en termes de tranches fixes et de tranches variables est exact, mais il arrivait tout de même à la collectivité que je présidais de devoir faire appel au préfinancement bancaire, tout simplement pour enclencher le processus. C'est probablement cette difficulté que pointait Victorin Lurel.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie chaque intervenant pour sa disponibilité.
La coopération entre la commission des affaires européennes et la délégation aux outre-mer est importante, tant - je l'ai dit dans mon propos liminaire - l'Union européenne a besoin des outre-mer.
La réunion est close à 14 h 40.
Jeudi 11 mai 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 h 10.
Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Proposition de règlement européen sur les données (« Data Act ») - Accessibilité et usage des données - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, les technologies numériques tiennent une place désormais centrale dans nos vies quotidiennes et transforment profondément l'économie et la société. Leur développement ouvre de formidables perspectives, mais favorise également des comportements préjudiciables. Il crée en outre des tensions, dans un univers interconnecté mondialisé, dominé par de très grands acteurs, le plus souvent américains ou chinois.
L'Union européenne (UE) s'attelle à construire une régulation du numérique dans le marché intérieur, pour protéger ses citoyens et ses valeurs et pour assurer le respect des règles de concurrence. Elle a ainsi récemment adopté plusieurs législations importantes, dont le règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique. Cette législation sur les marchés numériques, le Digital Markets Act (DMA), vise à rétablir la concurrence mise à mal sur le marché intérieur par les pratiques abusives des grandes plateformes qualifiées de « contrôleurs d'accès », en encadrant leurs comportements de domination et d'éviction.
Afin que ne soit pas praticable en ligne ce qui est interdit hors ligne, l'Union européenne a également adopté une législation sur les services numériques, le Digital Services Act (DSA), qui encadre les activités des plateformes afin de lutter contre la haine en ligne, la manipulation, la désinformation ou la vente de produits contrefaits.
Nous avons déjà eu l'occasion d'étudier ces textes européens et d'adopter des résolutions pour en renforcer la portée et l'efficacité. D'ailleurs, le Sénat examinera bientôt le projet de loi déposé hier par le Gouvernement pour assurer leur transposition en droit national.
En complément du DMA et du DSA, la Commission européenne a aussi présenté, le 19 février 2020, deux stratégies européennes : l'une dédiée à l'intelligence artificielle (IA), l'autre aux données. Dernièrement, en mars, c'est l'intelligence artificielle qui a mobilisé notre commission, afin de contribuer à ce que son déploiement sur notre continent respecte les valeurs européennes.
L'objet de notre réunion de ce jour est d'aborder l'autre volet : le sujet des données, souvent qualifiées d'« or noir » à l'ère numérique. Mme Blatrix Contat, Mme Morin-Desailly et M. Gattolin vont nous présenter la stratégie européenne en la matière et, plus spécialement, leur rapport sur la proposition de règlement européen sur les données, le Data Act.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - Nous allons effectivement vous présenter aujourd'hui le volet législatif de la stratégie européenne pour les données visant à réduire les obstacles de différentes natures auxquels se heurte la construction en cours du partage des données au sein de l'UE.
La Commission a identifié un certain nombre de barrières qui empêchent la libre circulation effective des données au sein de l'Union, au premier rang desquelles la faible confiance dans le partage des données. Elle a également constaté que des pratiques de verrouillage empêchent les personnes, physiques ou morales, d'exercer pleinement leurs droits à accéder aux données générées par l'utilisation d'objets connectés et de services numériques liés, à en suivre l'utilisation et à en permettre la réutilisation dans les écosystèmes numériques. En effet, des déséquilibres en termes de pouvoir de marché permettent aux contrôleurs d'accès de concentrer les données et d'imposer unilatéralement des conditions d'accès et d'utilisation qui en empêchent le partage.
La Commission a en outre constaté que la réutilisation des données se heurte à des obstacles techniques significatifs en raison de difficultés d'interopérabilité et de qualité des données, en l'absence de normes impératives en la matière. Elle a par ailleurs identifié des problématiques liées à la disponibilité des données, en particulier des données du secteur public, et à la collecte de données dans l'intérêt commun.
Enfin, elle n'a pu que constater que la souveraineté européenne sur les données n'est pas assurée. En raison du rôle marginal des fournisseurs européens de cloud, les fournisseurs étrangers opérant dans l'UE jouent un rôle prédominant, alors même qu'ils sont soumis à la législation applicable aux États tiers, avec les risques en résultant en matière de protection des données et de cybersécurité.
Pour remédier à ces insuffisances, la Commission a publié une stratégie européenne pour les données, destinée à mettre en place un espace européen des données, dont les règles communes et les mécanismes d'application doivent tout à la fois garantir les points suivants : la circulation des données à l'intérieur du marché unique et entre les secteurs, dans le respect des règles et valeurs européennes, en particulier la protection des données à caractère personnel - fil rouge du texte - ; une concurrence efficace sur le marché intérieur, en prévoyant des règles d'accès et d'utilisation des données équitables, pratiques et fiables ; des mécanismes de gouvernance des données clairs et fiables ; enfin, une approche ouverte des flux internationaux de données, mais affirmée et fondée sur les valeurs européennes.
Les actions proposées par la Commission reposent sur quatre piliers : des mesures horizontales trans-sectorielles pour l'accès aux données et leur utilisation ; des investissements dans les données et le renforcement des capacités et des infrastructures européennes pour l'hébergement, le traitement et l'utilisation des données ainsi que leur interopérabilité ; le développement des compétences en matière numérique ; le développement d'espaces européens communs des données dans des secteurs économiques stratégiques et des domaines d'intérêt public, en particulier les données relatives au pacte vert, en matière de santé, de mobilité, ou encore d'énergie.
Après le récent règlement sur la gouvernance des données, dit Data Governance Act, qui est destiné à faciliter la réutilisation des données du secteur public, et qui sera applicable à compter du 24 septembre prochain, la proposition de règlement sur les données, dite Data Act, sur laquelle nous nous penchons aujourd'hui, s'inscrit dans le premier pilier. En effet, elle définit un cadre juridique et technique horizontal pour permettre une répartition plus équitable de la valeur des données industrielles entre les acteurs de l'économie des données.
Les données concernées sont les données produites par l'utilisation d'objets connectés et de services liés. Point important : il s'agit donc de données primaires, non traitées, ce qui devrait d'ailleurs être plus clairement précisé dans le texte, comme nous le préconisons dans la proposition de résolution que nous vous soumettrons. Le volume de ces données connaît depuis quelques années un développement exponentiel en raison du nombre croissant d'objets connectés : 8 milliards d'objets en 2019, 13,8 milliards attendus en 2024. Or ces données, qualifiées d'industrielles, sont peu exploitées en Europe. Lors de son discours de 2020 sur l'état de l'Union, la présidente de la Commission européenne a ainsi précisé que 80 % d'entre elles ne sont pas utilisées. D'où le grand intérêt de ce texte.
M. André Gattolin, rapporteur. - Le Data Act prévoit un droit d'accès et de partage encadré. Il reconnaît aux utilisateurs des objets connectés des droits sur les données produites par leur utilisation de ces objets et de services liés. Il fixe des règles harmonisées en matière d'accès, d'utilisation et de partage de ces données entre entreprises et consommateurs et interentreprises. Enfin, il définit les obligations des détenteurs des données tenus de rendre des données disponibles.
Nous avons donc affaire à trois protagonistes : l'utilisateur de l'objet connecté et de services liés, qui peut être une personne physique - un consommateur -, ou une personne morale - une entreprise - ; le détenteur des données produites par cet objet, qui en est généralement le fabricant ; le destinataire des données, entreprise tierce désignée par l'utilisateur en raison de son activité, afin qu'il puisse utiliser les données à des fins précises, notamment de réparation de l'objet connecté.
L'utilisateur de l'objet connecté se voit reconnaître un double droit sur les données générées par son utilisation de l'objet connecté et des services liés : un droit d'accès gratuit et un droit d'utilisation, y compris pour les partager avec des tiers.
La proposition de règlement précise la portée du droit d'accès de l'utilisateur aux données, y compris en termes de qualité des données. Elle prévoit des mesures pour en faciliter la mise en oeuvre, en particulier l'obligation de prévoir l'accès aux données dès la conception, dit by design, et d'assurer la protection de la confidentialité et de la sécurité des données.
Le partage des données avec un tiers désigné par l'utilisateur est également encadré : les données transférées doivent présenter un niveau de qualité identique ; une compensation raisonnable des coûts de mise à disposition peut être facturée ; l'utilisation des données est limitée aux fins et conditions convenues avec l'utilisateur, pour la fourniture d'un service ; profilage et manipulation des données sont prohibés. Un dispositif de règlement des conflits est prévu en cas de litige.
Enfin, il est proposé de corriger les déséquilibres contractuels constatés en rééquilibrant le pouvoir de négociation des micro, petites et moyennes entreprises dans les contrats de partage de données et en écartant les grandes plateformes du bénéfice de ce partage.
Plusieurs points doivent être précisés. Nous proposons tout d'abord d'affirmer fermement la primauté des règles de protection des données à caractère personnel, en particulier du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la directive sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. De telles données à caractère personnel peuvent en effet être mêlées aux données dont nous parlons.
Une attention toute particulière doit en outre être portée aux situations dans lesquelles les données sont celles non pas de l'utilisateur titulaire, mais, par exemple, d'un salarié ou d'un membre tiers du foyer.
Deuxième point d'attention : il faut assurer l'effectivité des droits des utilisateurs sur les données. Cela suppose en particulier que le format des données soit compréhensible, structuré, habituel et lisible par la machine et que les métadonnées nécessaires à leur interprétation soient communiquées. Nous proposons de rendre obligatoire le respect de ces exigences techniques.
Dans un souci d'équilibre de la relation contractuelle entre l'utilisateur et le détenteur des données, nous préconisons par ailleurs que soient identifiées des clauses abusives afin de les priver d'effet.
S'agissant du partage des données avec des tiers, il nous semble pertinent de maintenir l'exclusion proposée des grandes plateformes dites « contrôleurs d'accès » en raison de leur pouvoir de marché excessif. Je signale toutefois que ce point est contesté par certaines entreprises, au nom de la cohérence du fonctionnement des chaînes de valeur.
Afin d'équilibrer les accords de partage conclus entre le détenteur des données et le tiers utilisateur, il est prévu de rendre inopposables un ensemble de clauses considérées comme abusives, ce qui, là encore, nous paraît pertinent. La compensation des coûts de mise à disposition des données devrait toutefois être mieux encadrée.
Venons-en maintenant à un sujet particulièrement sensible : la protection des secrets d'affaires. Qui dit protection ne dit pas refus de communiquer des données pour ce motif - le texte ne l'autorise pas -, mais interdiction de les utiliser à des fins concurrentielles - ce qui est prévu -, et mise en place de mesures de protection, en particulier contractuelles, ce qui est également prévu. Encore faudrait-il que ces mesures n'excèdent pas les besoins légitimes d'assurer cette protection.
Nous vous proposons malgré tout de considérer que, dans certains cas exceptionnels, la protection de secrets d'affaires puisse justifier un refus de transmettre les données. Notre attention a ainsi été attirée sur la possibilité de déduire de données brutes des éléments clés sur les dispositifs de sécurité inclus dans le produit connecté - c'est notamment le cas dans le domaine de l'aviation. Pour justifier un refus en pareil cas, le détenteur des données devrait démontrer que leur divulgation est de nature à avoir des conséquences dommageables graves, y compris au regard de la sécurité.
J'en viens à un point particulier : l'accès d'autorités publiques nationales et européennes à des données en cas d'urgence publique. Un chapitre du Data Act est consacré à la mise à disposition de ces autorités de données détenues par le secteur privé, en cas de besoin exceptionnel.
Trois situations sont considérées comme constitutives d'un tel besoin exceptionnel : lorsque les données sont nécessaires pour réagir à une urgence publique ; lorsqu'elles sont nécessaires pour prévenir une telle urgence ou contribuer au rétablissement à la suite d'une telle urgence ; lorsque l'absence de données disponibles empêche l'organisme de s'acquitter d'une mission d'intérêt public prévue par la loi et qu'il ne lui a pas été possible d'obtenir ces données par d'autres voies.
Je ferai plusieurs observations. Tout d'abord, l'urgence publique est définie comme une situation exceptionnelle qui a des conséquences négatives pour la population de l'Union, d'un État membre ou d'une partie de celui-ci, entraînant un risque de répercussions graves et durables sur les conditions de vie, la stabilité économique ou la situation d'actifs économiques. Nous vous proposons de demander que la nature de l'urgence soit précisée en indiquant expressément quelles sont les circonstances visées : santé, catastrophe, cyberattaque, par exemple. Les conséquences de la situation exceptionnelle justifiant l'exercice de ce droit d'utilisation des données doivent également être précisées. Il est ainsi préférable de parler d'atteinte à la stabilité financière ou à des actifs économiques majeurs, plutôt que de faire référence à la « stabilité économique » ou la « situation d'actifs économiques ».
La troisième situation visée par la proposition de règlement - l'absence de données disponibles empêchant l'organisme de s'acquitter d'une mission d'intérêt public - est recevable, mais il nous semble qu'elle doit être plus précisément encadrée, qu'il s'agisse de la durée et de la portée de la mise à disposition des données, de la démonstration de l'impossibilité de trouver ces données et de l'obligation de ne les utiliser que pour les seules finalités de la demande, dans le strict respect des droits et libertés des personnes.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Le second objectif du texte est de permettre une mobilité effective et sécurisée des données.
Trois dimensions de cette mobilité sont ainsi traitées : le changement de fournisseur de services de traitement des données, autrement dit de cloud ; la définition des conditions techniques permettant cette mobilité, autrement dit la portabilité et l'interopérabilité des données ; enfin la sécurisation des flux internationaux de données.
S'agissant de la mise en oeuvre du droit de changer de fournisseur de cloud, la proposition de règlement s'attaque à une vraie difficulté. Le marché de l'informatique en nuage est fortement concentré : 72 % du marché européen est ainsi contrôlé par trois fournisseurs américains, Microsoft Azure, AWS et Google Cloud, ce qui laisse peu de place aux fournisseurs européens, dont la part relative tend à régresser rapidement. La raison en est un fort lobbying de ces trois acteurs et un déficit de politique industrielle volontariste pour accompagner le développement du cloud européen.
Ces acteurs dominants, dits hyperscalers, ont recours à des pratiques de verrouillage qui empêchent les utilisateurs de changer de fournisseurs et, par voie de conséquence, le développement de concurrents. Ces pratiques sont techniques, juridiques et financières, en particulier le recours à des formats propriétaires et la facturation de frais de sorties très élevés. Les personnes auditionnées ont particulièrement insisté sur ce point.
On constate également des abus de position de marché. Ces très grands acteurs convertissent ainsi leur position forte au sein d'une couche du cloud - câbles, data centers, serveurs ou logiciels de traitement - en une position dominante au sein d'autres couches, par exemple en recourant à la vente liée, ou en appliquant des mesures de représailles. Vous trouverez des détails à ce sujet dans notre rapport d'information.
Pour supprimer les obstacles commerciaux, techniques, contractuels et organisationnels au changement de fournisseur de services de traitements de données, le chapitre VI de la proposition de règlement soumet le fournisseur initial de services de traitement des données à un ensemble d'obligations et met en place un cadre de préparation et d'accompagnement du changement. Enfin, il prévoit une interdiction progressive de facturer des frais de changement à horizon de trois ans.
Les mesures proposées permettront aux clients de pouvoir changer de fournisseur de services de traitement des données lorsqu'ils le souhaitent. Certains compléments pourraient toutefois y être utilement apportés, afin que le client soit pleinement informé en la matière, y compris avant l'acceptation de l'offre de service. Il devrait également être précisément informé sur les étapes du processus de migration et les diligences à mettre en oeuvre.
Par ailleurs, il conviendrait d'interdire au fournisseur de services de traitement des données d'empêcher un client de changer de fournisseur au motif qu'il aurait bénéficié d'une phase d'utilisation gratuite de ses services. Peut-on même admettre ces pratiques de gratuité, forme de dumping ? Telle est la question que nous nous sommes aussi posée.
Quant au délai de mise en oeuvre de la suppression des frais de sortie - trois ans -, il nous paraît difficilement acceptable, sauf à anéantir toutes velléités concurrentielles sur le marché intérieur.
Venons-en maintenant à l'interopérabilité. La combinaison de données provenant de différentes sources à l'intérieur des secteurs et entre les secteurs ne peut être mise en oeuvre si les espaces de données ne sont pas interopérables. Le frein majeur à une interopérabilité optimale est l'utilisation de formats dits propriétaires et l'absence de protocoles de communication.
La proposition de règlement impose aux exploitants - d'espaces de données, de mécanismes de partage de données et des services dans ces domaines - un ensemble d'exigences essentielles en matière d'interopérabilité des données et d'interopérabilité des services de traitement des données, ainsi qu'en matière de contrats intelligents pour le partage des données, autant de domaines dans lesquels il n'existe pas de normes harmonisées, ou de normes suffisantes en la matière. Il est prévu que des normes harmonisées soient publiées. Sans doute serait-il utile de préciser d'ores et déjà l'objet de ces normes et leur processus d'élaboration, en particulier le rôle des parties prenantes.
J'en viens à la sécurité des données en cas de transferts internationaux, dernier point crucial traité par la proposition de règlement, en raison de l'application extraterritoriale de leurs lois par des États tiers sur des données européennes, en méconnaissance du droit européen ou du droit national, en particulier en matière de protection des droits fondamentaux de la personne, des intérêts fondamentaux d'un État membre pour des raisons tenant à la sécurité ou la défense nationales, aux secrets d'affaires ou aux droits de propriété intellectuelle.
En l'absence d'accord international - le régime de transferts de données entre l'Union européenne et les États-Unis, dit Privacy Shield, a été invalidé - , la proposition de règlement prévoit des garanties spécifiques de protection des données, et soumet les fournisseurs de services de traitement de données à l'obligation de prendre « toutes les mesures techniques, juridiques et organisationnelles raisonnables » afin d'empêcher le transfert hors du territoire européen de données à caractère non personnel qui y sont détenues ou l'accès d'un État tiers à celles-ci.
Il s'agit indiscutablement d'une démarche positive. Mais rappelons que, étant donné la législation américaine, incluant le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) et le Cloud Act, nous aurons beau voter toutes les législations possibles, dès que nous aurons affaire à un fournisseur de la Big Tech, le transfert des données sera rendu obligatoire. Il nous semble donc tout aussi indispensable d'établir une liste de données sensibles et de données dont la divulgation est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale que de doter l'Europe d'infrastructures souveraines sécurisées, qui ne soient pas contrôlées par des capitaux étrangers.
J'en viens au dernier sujet : la supervision de la mise en oeuvre du règlement. Elle est organisée au niveau national et doit être confiée à des autorités dotées de pouvoirs de surveillance, d'injonction, astreinte et de sanctions. Ces pouvoirs pourraient être utilement complétés par la possibilité d'imposer des remèdes aux professionnels défaillants. Par ailleurs, dès lors que des données à caractère personnel sont en cause, une attention particulière devra être portée à l'articulation entre ces autorités chargées de superviser l'application du règlement sur les données et celles qui sont en charge de la protection de ces données personnelles. Enfin, pour renforcer l'efficacité de la coopération intra-européenne en matière de données, qui est nécessaire à une mise en oeuvre efficace et coordonnée du règlement, la mise en place d'une structure de coordination, réunissant des représentants des autorités nationales de contrôle concernées nous paraît s'imposer.
Voilà l'ensemble de nos préconisations, rassemblées dans la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons.
Pour conclure, je précise que, dans le projet de loi sur le numérique que le Gouvernement vient de déposer sur le bureau du Sénat à l'initiative du ministre Jean-Noël Barrot, est présente par anticipation la question des fournisseurs de services de traitement de données, notamment de l'interopérabilité et du transfert des données.
M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie pour votre grande expertise, sur des sujets certes austères, mais dont le retentissement sera considérable. La transposition à venir que constitue le texte du ministre Barrot devra s'inspirer de vos travaux, dont j'ai rappelé l'importance.
M. André Reichardt. - La proposition de règlement est essentielle, et votre proposition de résolution l'est tout autant. J'y souscris pleinement.
Cependant, l'alinéa 29 ne devrait-il pas plutôt indiquer que le service de communication électronique est exclu du champ d'application de la proposition de règlement ? Cela serait plus clair et plus simple que la rédaction proposée.
Par ailleurs, vous me semblez trop prudents, à l'alinéa 46, sur le renforcement de la protection des droits de l'utilisateur. Ne devrions-nous pas préconiser l'interdiction de certaines clauses, plutôt que demander à examiner l'opportunité d'une telle interdiction ? Selon moi, les clauses abusives devraient être considérées comme non écrites.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous avons privilégié cette formulation parce qu'il faut d'abord identifier de telles clauses, ce qui reste à faire.
M. André Reichardt. - Enfin, dès lors qu'on autorise les autorités publiques nationales et européennes à accéder aux données en cas d'urgence, il faut préciser la nature de celle-ci. Ainsi, à l'alinéa 68, ne faudrait-il pas définir des éléments quantitatifs, s'agissant de la temporalité de l'urgence et de ses conséquences ? En particulier, à quoi renvoie la notion d'« actifs économiques majeurs » ? Il faut encadrer au maximum l'accès à ces données. L'urgence doit être objective.
M. Jean-François Rapin, président. - Il y a l'urgence liée au numérique, mais aussi celle qui relève d'un état de catastrophe.
M. Didier Marie. - En cas de crise majeure, l'urgence est appréciée par l'État membre et pas par la Commission européenne. La proposition de règlement est une simple couche d'harmonisation. Mais la définition de l'urgence n'est pas harmonisée au niveau européen.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - L'urgence est déjà encadrée par la proposition de règlement et les compléments que nous proposons d'y apporter. Peut-on aller au-delà ? Par définition, on ne peut pas prévoir tous les cas d'urgence.
M. André Gattolin, rapporteur. - On n'aurait pas imaginé la pandémie avant 2019...
Mme Pascale Gruny. - N'oublions pas l'effet sur la recherche d'un trop grand verrouillage de l'accès aux données.
M. André Reichardt. - Cela étant, je salue votre travail, soutenu et détaillé. Il est d'autant plus nécessaire au regard du contenu du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique présenté hier en conseil des ministres.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous ne devons pas prêter le flanc aux critiques sur le respect de la subsidiarité. À chaque État membre de définir l'état d'urgence. Pouvons-nous demander plus d'harmonisation en ce domaine ? Je n'en suis pas certain.
M. André Reichardt. - Ce n'est pas ce que je propose : il s'agit plutôt de définir un cadre temporel de l'urgence, quitte à avoir des variantes de délais au sein de ce cadre, d'un État à l'autre.
M. Jean-François Rapin, président. - À qui s'en remettre, alors, pour une telle définition ? Au Conseil ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - J'observe que la notion d'urgence présentait les mêmes difficultés de définition pour l'instrument d'urgence pour le marché intérieur. Peut-être y a-t-il d'ailleurs une articulation à trouver avec ce texte, ainsi qu'avec tous les textes sectoriels prévoyant des situations d'urgence, comme en matière de santé. Je ne suis pas certaine qu'on puisse aller plus loin en l'état.
En revanche, il faut distinguer les urgences concernant tout le marché intérieur, et celles qui frappent un État membre seulement. Dans ce dernier cas, la définition relève de la compétence nationale. On peut envisager l'obligation harmonisée de fixer une durée à l'urgence, mais aller au-delà risquerait de porter atteinte au principe de subsidiarité.
M. André Gattolin, rapporteur. - Peut-être pourrions-nous, à l'alinéa 68, mentionner parmi les exemples la notion d'une crise majeure. En outre, la proposition de règlement prévoit l'accès aux données pour prévenir -et non seulement traiter- une situation d'urgence. Le risque lié aux régimes d'exception me semble surtout important sur ce point.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Selon le c du 1 de l'article 17 de la proposition de règlement, la durée d'utilisation des données doit être précisée. La répétition, même si elle est à la base de la pédagogie, est-elle bien nécessaire ?
M. André Reichardt. - Chat échaudé craint l'eau froide : nous voyons bien comment la deuxième vague pandémique, en France, avait conduit notre ministre de la santé à prolonger l'état d'urgence sanitaire, sous le prétexte effrayant d'une charge virale mille fois plus grande. L'autorité nationale peut prendre tout type de décision.
M. Jean-François Rapin, président. - Je ne vois pas l'autorité européenne s'y substituer.
M. André Reichardt. - Tout à fait, mais il s'agit de créer un garde-fou pour les autorités publiques, nationales comme européennes. Il faut selon moi préciser la notion d'urgence.
M. Jean-François Rapin, président. - À nouveau, j'alerte sur la nécessité de respecter le principe de subsidiarité.
M. André Gattolin, rapporteur. - Lors d'un déplacement sur place en septembre 2020, avec Jean Bizet et Jean-Yves Leconte, nous avions constaté que les décisions d'urgence prises en Hongrie ont annihilé la capacité des collectivités locales, notamment la mairie de Budapest, à exécuter leur budget, empêchant l'opposition à Viktor Orban de démontrer sa capacité à agir. Le recours à l'état d'urgence varie singulièrement d'un pays à l'autre.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Nous n'avons pas vocation à définir l'urgence. Nous pourrions toutefois compléter l'alinéa 68 par les mots : « et que sa durée soit encadrée. »
M. André Gattolin, rapporteur. - Il faut en effet que la durée de telles mesures soit limitée.
M. André Reichardt. - Très bien.
Mme Pascale Gruny. - Avec Laurence Harribey et Patricia Schillinger, nous travaillons actuellement sur la régulation en matière de données de santé. La protection des données de santé est fondamentale, mais celles-ci sont essentielles à la recherche. Tout en comprenant André Reichardt, je souligne l'importance de ne pas bloquer l'accès à ces données.
Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure. - L'utilisation des données à des fins de recherche est déjà prévue dans le texte, et ce même en dehors de situation d'urgences.
M. Jean-François Rapin, président. - Nous sommes malheureusement très en retard sur les données de santé. Chaque application de santé prévoit des clauses d'acceptation par l'utilisateur du transfert de ses données, hors de tout contrôle...
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - En principe, ces données sont anonymisées, mais les données françaises sont gérées par des acteurs extra européens. C'est pourquoi nous demandons que soit établie une liste des données sensibles. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) recommande d'ailleurs de trouver rapidement des solutions souveraines, qui sont à notre portée.
Mme Pascale Gruny. - La commission des affaires sociales travaille aussi sur ce sujet. La plateforme européenne attend la mise en oeuvre de la plateforme française.
L'anonymisation est associée au numéro d'inscription au répertoire (NIR, ou numéro de sécurité sociale), qui permet donc de retrouver la personne concernée. On risque de perdre l'anonymat. Les personnes auditionnées nous confirment qu'on ne pourra jamais se protéger de toutes les attaques conduites par des hackers.
M. Jean-François Rapin, président. - J'ajoute que le Sénat est attaqué depuis plusieurs jours. Soyez prudents... Vendredi, notre site était d'ailleurs inaccessible.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - André Reichardt demandait à préciser l'alinéa 29. Votre proposition de remplacer les mots : « n'est pas un service numérique lié à un objet connecté relevant » par les mots : « est exclu du champ » ne pose pas de souci. Appelons un chat un chat.
M. Pierre Ouzoulias. - Je me réjouis que la commission des affaires européennes du Sénat soit pilote sur ces sujets complexes et irrigue les travaux des autres commissions. Après six ans, nous ne connaissons toujours pas la position du Gouvernement en la matière. Nous votons, deux à trois fois par an, des lois rendues obsolètes par les directives et règlements européens. Ainsi, le 12 juillet 2022, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne, le Gouvernement m'avait assuré que les prochains règlements européens ne remettraient pas en cause le texte que nous votions. Tel n'a pas été le cas, et le projet de loi qui vient d'être déposé ne fait que prolonger cette incompréhension.
Je tiens beaucoup à votre mention de l'interopérabilité dans la proposition de résolution. Les citoyens doivent avoir une alternative lorsque leurs réseaux sociaux et clouds ne sont pas conformes à leurs valeurs. Or, aujourd'hui, nous en sommes prisonniers, car nous ne pouvons retirer nos données de ces opérateurs.
Enfin, nous ne pouvons faire l'économie d'une politique industrielle et d'investissements massifs.
M. André Gattolin, rapporteur. - Nous le disons depuis dix ans !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Considérez-vous normal que les fournisseurs de service d'informatique en nuage continuent à formuler des offres gratuites, jusqu'à un certain seuil, pour appâter et enserrer le client ? Il est difficile de sortir de ce qui s'apparente à du dumping.
M. André Gattolin. - L'internet s'est fondé sur le mythe de la gratuité. Les entreprises se rétribuent sur les données, la publicité ou l'abonnement, voire, en position dominante, sur l'ensemble des vecteurs. La gratuité, en elle-même, pose problème dans un système concurrentiel dès lors qu'elle emprisonne le client. Lors de son audition, OVHcloud, nous a rappelé que cette technique d'enfermement l'empêche de prospérer dans les secteurs où il est le plus concurrentiel. La suppression progressive, sur trois ans, des frais de changement d'opérateur émane sans doute du lobby des grands groupes internet à Bruxelles.
J'ai demandé à la Commission européenne qui étaient réellement les membres de DIGITALEUROPE : à de rares exceptions près, comme Dassault Systèmes, ils étaient à 90 % américains. Désormais, les Chinois, avec TikTok et Huawei, y sont présents en force. Alors que, depuis la directive sur le commerce électronique, on refuse les barrières pour ne pas gêner le développement d'un internet européen, avec notamment le principe de non-responsabilité des hébergeurs, on n'a fait que renforcer les opérateurs internationaux sur le marché européen.
Cependant, il ne fait pas de doute que la Commission est sous pression. Ainsi, lors des travaux sur la directive Vie privée et communications électroniques, les trente principaux cabinets d'avocats spécialisés dans le droit du numérique à Bruxelles étaient déjà sous contrat avec Google ou ce qui deviendrait Meta. Nous sommes juridiquement désarmés. La production du droit est en cours de « désouverainisation ».
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Seuls les Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft - peuvent proposer des offres véritablement gratuites. Ils captent les marchés par anticipation, notamment via l'Éducation nationale : c'est une concurrence déloyale au cloud européen. Je vous rappelle aussi que nos marchés sont ouverts aux quatre vents, quand ceux des États-Unis nous sont fermés. Sans symétrie, nous continuerons à scier la branche, déjà bien fragile, sur laquelle nous sommes assis.
M. Jean-François Rapin, président. - Le sujet émergent est celui des objets connectés. Un échelon est franchi avec la voiture autonome. On vous impose un opérateur, en général un Gafam, lors de l'achat du véhicule. Ainsi, un compte Google est requis pour faire fonctionner l'Austral de Renault. Nous sommes rattrapés par la patrouille, hors de toute réglementation.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - C'est tout l'enjeu des systèmes propriétaires.
M. André Gattolin. - Je souligne qu'il y a un défaut de vision globale en raison de l'emboîtement des législations européennes. Il est impératif de veiller à leur articulation..
La commission adopte la proposition de résolution européenne, ainsi modifiée, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne et au Parlement européen, et autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 10 h 15.