Mardi 9 mai 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Construction - Audition
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde sur la construction.
La fédération française du bâtiment (FFB) est représentée par son vice-président M. Franck Perraud, également président du conseil des professions de la FFB, accompagné par M. Éric Durand, directeur des affaires techniques. Constituée de fédérations territoriales et de chambres syndicales, la FFB défend ses 50 000 entreprises adhérentes - dont 70 % d'entreprises artisanales -, qui représentent les deux tiers de la production annuelle du secteur.
La confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) est représentée par M. Jean-Christophe Repon, son président, et M. Henry Halna du Fretay, secrétaire général. La Capeb est une organisation patronale représentant l'ensemble du secteur du bâtiment, mais qui défend particulièrement les intérêts des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Elle fait partie des quatre confédérations composant l'Union des entreprises de proximité (U2P).
Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) est représenté par son président, M. Christophe Caresche. Créé en 2015, le CSCEE est placé sous l'autorité du ministre de la ville et du logement. Il a pour mission de conseiller les pouvoirs publics dans la définition, la mise en oeuvre et l'évaluation des politiques publiques relatives à la construction et dans l'adaptation des règles relatives à la construction aux objectifs de développement durable.
Messieurs, dans vos fonctions respectives, vous intervenez aussi bien sur des sujets concernant des constructions neuves que des interventions de rénovation énergétique. Bien que la construction neuve ne soit pas dans le champ de notre commission d'enquête, elle joue un rôle très important à long terme dans la performance énergétique globale des bâtiments et dans l'atteinte des objectifs de neutralité en 2050. Par ailleurs, que ce soit en termes de technologies, de matériaux, de filières, de formations et d'entreprises, les deux sujets sont intimement liés. Beaucoup d'entreprises font les deux.
Pour répondre au besoin de logement, la construction neuve conserve toute sa place à côté de la rénovation. À ce titre, il nous serait utile d'avoir votre retour d'expérience sur la mise en oeuvre progressive de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et votre position sur les discussions en cours à Bruxelles sur la future directive sur la performance énergétique des bâtiments.
Concernant la rénovation énergétique, qui est notre coeur de sujet, nous aimerions connaître votre position sur les dispositifs d'incitation mis en place par la puissance publique - MaPrimeRénov' et les certificats d'économies d'énergie (C2E) - et d'accompagnement - France Rénov' et MonAccompagnateurRénov'. Quel a été l'impact de cette politique, tant en termes d'offre que de demande, sur le secteur du bâtiment ?
Enfin, nous avons conscience que la mise en place d'une nouvelle réglementation et l'atteinte d'objectifs de rénovation globale nécessitent une formation du secteur : quels besoins identifiez-vous ? Comment transformer la contrainte et l'objectif de décarbonation et de sobriété énergétique en opportunité économique et industrielle pour la filière du bâtiment et pour l'emploi ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, je vous informe que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jean-Christophe Repon, Henry Halna du Fretay, Christophe Caresche, Franck Perraud et Éric Durand prêtent serment.
M. Christophe Caresche, président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique. - Je dirai quelques mots d'introduction sur l'ensemble du dispositif mis en oeuvre dans le cadre de la transition écologique.
L'activité réglementaire dans le domaine de la construction a été très intense au cours des trois dernières années. Je pense en premier lieu à la réglementation structurante que constitue la RE2020, mais également à la filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) déchets dont l'impact sera également très important pour le secteur. Il y a aussi d'autres réglementations, mais ces deux-là sont les plus importantes.
En matière de rénovation énergétique, une architecture a été bâtie avec, au premier plan, le diagnostic de performance énergétique (DPE), mais aussi les accompagnateurs et l'ensemble du dispositif MaPrimeRénov'.
Ce socle réglementaire a été mis en place à la faveur d'une activité réglementaire extrêmement intense : au cours des dernières années, le CSCEE a rendu une trentaine d'avis chaque année ; c'est tout à fait considérable. C'est aussi paradoxal : alors que nous sommes garants de la simplification énergétique, l'activité réglementaire n'a jamais été aussi élevée. Ce socle réglementaire a donc été mis en place dans un temps extrêmement contraint.
Les débats ont été très importants. Je salue à cet égard le travail remarquable réalisé par les fonctionnaires de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), même si le CSCEE a émis un certain nombre de réserves sur certains dispositifs.
Le sujet, maintenant, c'est la mise en oeuvre de ce dispositif réglementaire, qui suscite des inquiétudes et des interrogations que les organisations exprimeront beaucoup mieux que moi. Les pouvoirs publics doivent faire en sorte que ce dispositif réglementaire performant soit désormais mis en oeuvre.
M. Franck Perraud, président de la fédération française du bâtiment. - En matière de réglementation de la construction neuve, la RE2020 a constitué un grand changement : pour la première fois, on prend en compte la dimension carbone dans l'acte de construire, alors que jusqu'alors nous n'avions qu'une réglementation thermique. Cette réglementation nouvelle a été assez vite assimilée : les produits biosourcés sont de plus en plus présents. Nous observons une montée en compétences au sein de nos entreprises, sur le suivi, la gestion des interfaces, les nouveaux matériaux, et nous apprenons à travailler ensemble. Cela a constitué la grande révolution sur le neuf.
On ne rappelle pas assez que la RE2020 prévoit une clause de revoyure tous les trois ans, afin d'évaluer notre capacité à atteindre les objectifs, ce qui est très important.
En matière de rénovation énergétique, les mesures que vous avez évoquées - MaPrimeRénov', les C2E, etc. - ont pour objectif de massifier les rénovations, essentiellement en direction des passoires thermiques.
Premier constat : nous sommes au rendez-vous, mais pas à la hauteur, avec environ 70 000 rénovations lourdes, pour un objectif de 700 000.
Deuxième constat : MaPrimeRénov' a été orientée vers les ménages les plus modestes, voire modestes, alors que le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) bénéficiait à des foyers aisés via la défiscalisation.
On constate aussi des différences, avec des coups de pouce assez forts sur l'isolation des combles ; le CITE pour les fenêtres ; avant que l'on revienne dessus... Les entreprises du bâtiment ont besoin d'un peu de visibilité sur les aides.
Nos entreprises ont dû suivre des formations pour devenir RGE (reconnu garant de l'environnement), mais je reviendrai plus tard sur la mise en place de ce RGE et son contrôle.
Enfin, nous assistons à l'irruption d'écodélinquants, avec l'arrivée d'acteurs qui ne sont pas des entreprises du bâtiment.
M. Jean-Christophe Repon, président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - La Capeb représente l'artisanat du bâtiment et ses 62 000 adhérents.
Avec MaPrimeRénov', un signal important a été envoyé aux particuliers. Mais je rejoins la FFB : le CITE permettait d'attirer d'autres ménages dans la démarche, grâce la défiscalisation. L'effet est donc contrasté : avant la hausse des prix de l'énergie, la question des économies d'énergie pures n'avait pas encore été intégrée à la réflexion des ménages.
Tout ce qui est sorti de la RE2020 est plutôt positif, mais elle a plus complexifié que simplifié, en dépit de ses objectifs louables. La décarbonation est également un sujet à traiter. D'importantes strates ont donc été ajoutées et le coût des chantiers a augmenté en conséquence.
Les médias nous parlent de la crise du logement, mais avec la hausse des prix de l'énergie et des matériaux depuis plus d'un an - 26 % d'augmentation pour les matériaux -, la contrainte supplémentaire en matière de transition écologique a fait augmenter la facture globale et a conduit les ménages à revoir leurs investissements. C'est un frein à l'investissement et au crédit.
On ne peut que louer l'effort réalisé par le secteur du bâtiment sur la transition écologique : nous devons y participer, avec de l'innovation et des prises en charge. Mais la facture pour le client final n'a cessé d'augmenter plus depuis deux ans, avec un effet boomerang sur la crise du logement.
MaPrimeRénov' n'est pas encore une réussite. Il faudrait plus de moyens pour la dynamiser et simplifier définitivement le marché afin que les entreprises soient plus nombreuses à entrer dans la démarche.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces premières explications.
La RE2020 est le changement le plus important depuis la réglementation thermique 2012 (RT2012). Elle a modifié la façon d'appréhender la construction, avec les matériaux biosourcés, mais elle est axée sur le neuf, alors que l'objet de notre commission d'enquête porte sur la rénovation.
Comment la RE2020 a-t-elle modifié les pratiques, sur les formations, les matériaux, etc. ? Ces modifications se retrouvent-elles sur les chantiers de rénovation ? Je pense aussi au confort thermique d'été, peu pris en compte dans les analyses, notamment dans le DPE - qui n'en tient presque pas compte -, et les chantiers.
De nouvelles filières se mettent en place. Comment pourrez-vous les intégrer ?
Compte tenu de l'objectif de 700 000 rénovations globales annuelles, comment envisagez-vous d'absorber ce nouveau marché ? Il y a certes la question financière, mais aussi celle de la réalisation technique, avec le sujet de la main-d'oeuvre. Comment les dispositifs vont-ils monter en charge pour absorber ces chantiers ?
MonAccompagnateurRénov' en est à ses débuts. Quelle vision en avez-vous ? Comment s'intègre-t-il dans la chaîne ? Son pendant, MonAccompagnateurPro, pourrait être une solution envisageable pour assister au mieux les artisans et les petites entreprises.
Enfin, nous nous apercevons au fil des auditions que de nombreuses entreprises - souvent des entreprises compétentes, qui, ayant leur propre réseau, ne voient pas l'intérêt de ce label - se détournent du RGE. Que pensez-vous de cette qualification ? Une formation de départ plus aboutie serait-elle suffisante pour s'y substituer, comme cela se fait à l'étranger ? Comment faire en sorte que des entreprises qualifiées se positionnent sur ce type de chantiers, notamment de rénovation ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pouvez-vous nous indiquer la part du marché de la rénovation dans vos secteurs d'activité ? Ce marché est-il en forte progression ?
M. Christophe Caresche. - La RE2020 est plus qu'une évolution ; c'est presque une révolution ! Cela étant, s'agissant d'une réglementation évolutive, elle se mettra en place en dix ans : le seuil de 2022 a surtout concerné la construction de maisons individuelles, le prochain seuil, en 2025, commencera à impacter fortement la construction de logements collectifs, il sera suivi par deux seuils, en 2028 et 2031.
Cette réglementation est très exigeante, notamment parce qu'elle intègre la dimension carbone à tous les stades d'évolution du bâtiment, de la construction à la fin de vie. On prend donc en compte le stade de la construction, qui représente à lui seul au moins 50 % des émissions de carbone d'un bâtiment. C'est là un point très novateur.
En outre, cette intégration se fait avec une méthodologie propre à la France, qui a été débattue et contestée, mais que je trouve plutôt intéressante : l'analyse de cycle de vie (ACV) dynamique. Selon cette méthode, on privilégie dans l'analyse du cycle de vie les matériaux émettant leur carbone en fin de vie. De ce fait, la RE2020 favorise très nettement les matériaux biosourcés et le bois, et on peut penser que, en 2031, plus une maison ne sera construite en béton et, pour le logement collectif, on passera probablement d'une part du bois de 7 % à 40 % ou 50 %, voire plus.
Pour l'heure, je constate que les permis sont déposés et que commencent à apparaître des constructions respectant le seuil de 2025. La filière semble donc s'approprier assez positivement le dispositif.
Comme indiqué, le CSCEE a été chargé du suivi de la RE2020, avec des rendez-vous d'étape avant chaque passage de seuil. Le prochain est prévu pour 2025 : sur le fondement des données recueillies par la DHUP, nous verrons comment faire évoluer la réglementation - j'insiste, celle-ci peut évoluer à la baisse ou à la hausse.
Sur le plan économique, la RE2020 implique certes un surcoût, mais, alors que la DHUP avait évalué celui-ci à 4 % d'emblée et à 10 % à la fin de la mise en oeuvre, l'Union nationale des économistes de la construction (Untec) vient de sortir une étude plus optimiste, estimant l'impact dans une fourchette comprise entre 0 % et 4 %.
Dernier point, très important, la RE2020 est territorialisée, comme le diagnostic de performance énergétique, le DPE, avec 8 secteurs géographiques pour l'une comme l'autre. Les deux réglementations sont voisines, reposant sur la même méthodologie de calcul. S'il n'y a que peu de prise en compte du confort d'été dans le DPE - prise en compte qui est effective dans la RE2020 - il y a une prise en compte géographique et climatique.
M. Franck Perraud. - En 2022, la part de la rénovation énergétique, tous types de bâtiments confondus, a atteint 14 % de l'activité du secteur du bâtiment, soit 23,5 milliards d'euros. La part se réduit à 10 % pour le logement. L'activité de rénovation énergétique a progressé de 1,9 % en volume, soit une progression de 1,8 % pour le logement et de 2,4 % pour le non résidentiel. Malheureusement, les premiers trimestres de l'année 2023 laissent apparaître une hausse plus faible de 1,3 %.
Le confort d'été est certes pris en compte dans la RE2020 pour les bâtiments neufs, mais ce n'est pas forcément le cas dans la rénovation. Il faut travailler sur ce sujet, car, comme l'ont démontré, notamment, des expérimentations réalisées dans des écoles, c'est une vraie solution.
S'agissant du RGE, les entreprises sont bien prêtes à répondre à ce nouveau marché, surtout avec la crise du logement qui s'annonce et les 100 000 emplois que, d'après nos estimations, nous allons perdre dans les deux ans à venir. Il y a, en effet, une nette baisse des déclarations de permis de construire, les particuliers n'ayant plus les moyens de contractualiser des prêts. S'ajoutent à cela l'accroissement du coût des constructions dû à la RE2020 ainsi que l'envolée des prix des matériaux, cette dernière étant liée autant aux pénuries à l'échelle internationale qu'au reflet, dans les tarifs, de l'engagement massif de nos industriels dans la décarbonation de leur production, notamment pour le béton et l'acier.
La RE2020 a favorisé une prise de conscience - et nous sommes actifs en tant que présidents du conseil des professions - sur la nécessité pour les entreprises du bâtiment de moins travailler en silo et de s'adapter à de nouveaux supports, tant dans le neuf que dans la rénovation.
Par ailleurs, nous regrettons que l'on n'ait pas laissé le choix aux entreprises du secteur du bâtiment d'accomplir la mission MonAccompagnateurRénov'. Celles-ci savent mieux que quiconque ce qu'il convient de faire. Dont acte ! Pour autant, nous nous inquiétons de la capacité à disposer d'un nombre suffisant de rénovateurs énergétiques et rappelons que, dans le cas d'une rénovation avec architecte, par exemple, il n'est pas forcément utile d'ajouter une couche supplémentaire d'intervention, en outre coûteuse en argent.
La RE2020 a effectivement provoqué un séisme assez fort : nous avions travaillé sur l'expérimentation du dispositif E+ C-, qui n'intégrait pas la méthode dynamique précédemment évoquée, et, du jour au lendemain, on nous a imposé une nouvelle réglementation. Il nous a donc fallu le temps de l'assimiler, ce qui est désormais chose faite.
Je reviens un instant sur le RGE. Pour nous, le principal problème dans ce domaine est de savoir comment lutter efficacement contre la fraude. On parle beaucoup de malfaçons, mais celles-ci sont le fait, non pas de nos entreprises vertueuses, mais de structures tout à fait nouvelles dans le secteur, qui travaillent beaucoup par marketing direct, ce que nous ne savons pas faire ou faisons mal. La baisse constatée en matière de RGE est plus liée, comme je l'indiquais en introduction, aux primes coups de pouce données. Il y a plus de 500 000 salariés dans les entreprises RGE, nous sommes bien tous en train d'orienter nos entreprises vers la rénovation : s'il y a un marché et des fonds disponibles, nous serons en mesure de répondre à la demande.
M. Éric Durand, directeur des affaires techniques de la Fédération française du bâtiment. - Les aides ont été ciblées sur les ménages modestes et très modestes. Or, en province, un foyer de 2 personnes n'est plus considéré comme modeste à partir de 31 000 euros de revenus ; il est même aisé au-delà d'un seuil de 43 000 euros. De nombreux ménages ont donc été exclus des dispositifs d'aides et, de ce fait, les entreprises habituées à travailler avec eux n'ont plus besoin du RGE.
M. Jean-Christophe Repon. - Au niveau des entreprises artisanales du bâtiment, la part de la rénovation représente 60 % à 70 % de l'activité.
Par ailleurs, tel que le dispositif du RGE a été conçu, l'entreprise a une qualification, indépendamment du nombre de ses salariés. Autrement dit, la contrainte est la même pour une TPE que pour une entreprise de 500 personnes, ce qui nous pose tout de même problème. Nous ferons donc des propositions allant plutôt dans le sens d'un audit en fin de chantier. Il faut se rappeler, à cet égard, qu'indépendamment des produits posés, la performance dépendra plus de l'interface entre les métiers que de la stricte application des règles de l'art, déjà intégrées dans les formations initiales, qui comprennent toutes une formation à la transition énergétique. Rappelons également qu'on ne transforme pas en une seconde un chauffagiste en climaticien : il y a un temps pour la formation et l'acquisition de compétences. La Capeb, au moment où une étude évoquait la nécessité de créer 200 000 emplois en rénovation énergétique pour relever le défi de la transition énergétique, s'est engagée sur le dossier, le nombre d'apprentis dans notre réseau étant passé de 40 000 en 2018 à 100 000 aujourd'hui. Nous avons une attractivité - nous ne sommes plus uniquement des bâtisseurs, mais aussi des sauveurs de planète - et des entreprises à taille humaine, autant de moyens de parler aux jeunes générations et les inviter à nous rejoindre. Pour cela, il est important de ne pas nous exclure du marché.
Pour ces raisons, j'y insiste, nous sommes favorables à ce que l'on procède à une évaluation en fin du chantier, plutôt que l'on exige une qualification ou une formation préalable pour pouvoir y accéder.
M. Henry Halna du Fretay, secrétaire général de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment. - S'agissant de France Rénov' et des accompagnateurs, j'évoquerai plusieurs points de vigilance.
Premièrement, les anciens réseaux de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) étant encore bien distincts, il faut une mise en cohérence des différentes missions. Deuxièmement, l'accompagnateur doit évidemment intervenir dans l'accompagnement des particuliers, dans la recherche des financements et la délivrance d'informations, mais il n'a pas les compétences pour s'avancer jusqu'au champ des préconisations, de la conception ou du suivi de chantier. Troisièmement, le dispositif entraînera, dans une certaine mesure, une délégation de missions à des opérateurs privés. Il faut être particulièrement vigilant sur ce point, du fait des risques d'absence de neutralité.
Le dispositif d'accompagnateurs pro part d'une idée simple : les règles changent continuellement et les différents dispositifs sont très complexes. On ne cesse notamment d'ajouter des couches d'exigences, en général pour lutter contre les fraudes - et ce, en vain. Pourquoi, comme cela vient d'être indiqué, ne pourrait-on pas abandonner toutes ces exigences administratives, au bénéfice d'une évaluation en fin de chantier ?
Pour les professionnels, l'accompagnateur vise à aider les entreprises de petite taille - elles concluent quelques contrats par an, non pas parce qu'elles sont incompétentes, mais parce que le marché n'en demande pas plus - à monter les dossiers, répondre aux exigences administratives et respecter les délais. Je rappelle que ces petites entreprises de moins de dix salariés représentent 96 % du secteur. Nous souhaiterions une généralisation assez rapide, car c'est, à nos yeux, un bon moyen d'augmenter le nombre d'entreprises labellisées RGE.
M. Franck Perraud. - Aujourd'hui, dans un dossier RGE, il faut mentionner cinq chantiers. C'est aberrant ! D'une part, le nombre de chantiers contrôlés doit être en rapport avec le nombre de chantiers réalisés ; d'autre part, les contrôles doivent être aléatoires. Par ailleurs, une entreprise peut tout à fait passer un contrat auquel vient s'adosser une aide MaPrimeRénov' sans avoir pour autant le label RGE.
M. Jean-Christophe Repon. - En matière de sécurité électrique, il n'est pas nécessaire d'être qualifié pour réaliser une installation visant une attestation Consuel. Les audits se font a posteriori : si je ne réalise qu'une installation par an, elle sera vérifiée ; si j'en réalise plus, il y aura des contrôles aléatoires. La proposition nous semble de bon sens.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous préconisez donc l'abandon d'une labellisation, au profit d'un contrôle en fin de chantier...
M. Jean-Christophe Repon. - On peut tout à fait conserver la labellisation pour les entreprises qui veulent vraiment faire du RGE leur coeur de métier, sans interdire le coup par coup. Il ne faut pas opposer les deux, et l'on pourrait envisager de financer les audits via les fonds dédiés aux certificats d'économies d'énergie.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le RGE a-t-il vraiment fait monter les entreprises en compétence ?
M. Jean-Christophe Repon. - Environ 300 000 formations aux économies d'énergie dans le bâtiment (FEEBat) ont été suivies. Les entreprises ont fait cet effort de montée en compétence dans le domaine de la transition énergétique. Nous le soulignons auprès de nos adhérents. Cependant, ils nous répondent que cela représente beaucoup de contraintes pour trop peu de chantiers et des difficultés de paiement par l'Anah. C'est pourquoi les entreprises hors RGE changent tout de même des chaudières, notamment pour des clients ne bénéficiant pas d'une aide : beaucoup d'actes ne sont ainsi pas comptés dans les efforts des particuliers.
M. Henry Halna du Fretay. - La montée en compétence s'est aussi faite avec divers programmes, dont les règles de l'art Grenelle environnement (Rage), le programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique (Pacte) ou encore le programme de la filière pour l'innovation en faveur des économies d'énergies dans le bâtiment et le logement (Profeel). Leur utilisation croissante conduit à mieux travailler ensemble.
M. Jean-Christophe Repon. - Elle facilite aussi les autodiagnostics en fin de chantier. Profeel est utile à la montée en compétence.
M. Franck Perraud. - Avec la refonte du RGE, les audits de qualification ont davantage un rôle d'accompagnement et de pédagogie que de sanction.
J'insiste : toute entreprise peut travailler dans le bâtiment sans formation. C'est par la qualification qu'on assure un minimum de formation, même si nos retours d'expérience et les guides que nous produisons constituent autant de points de vigilance pour les entreprises.
M. Éric Durand. - Les audits doivent avoir lieu sur la base non des chantiers déclarés, mais des retours de chantier faits par l'Anah ou par les obligés : malgré des discussions avec les pouvoirs publics, ce n'est toujours pas en place.
M. Jean-Christophe Repon. - De même, il faut rapprocher C2E et RGE car leurs audits sont différenciés. C'est pourquoi notre outil Profeel les réunit. En outre, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a produit un rapport en ce sens.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - C'est ce que nous ont dit les organismes de qualification : entre MaPrimeRénov', les C2E et le label RGE, il faudrait un label commun.
M. Éric Durand. - Il s'agit aussi de s'assurer que celui qui réalise effectivement le chantier est bien labellisé RGE.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes tous convaincus qu'il faut encourager les rénovations globales, plus performantes, mais la rénovation par geste a au moins l'avantage d'être accessible. Faut-il la maintenir ?
M. Jean-Christophe Repon. - On ne peut opposer les deux. Certes, la rénovation globale est vertueuse, et avoir plus de travail plaît aux artisans que nous sommes. Mais au quotidien, les particuliers doivent rénover des sites habités. Le diagnostic initial est l'occasion de viser un résultat final global avec plusieurs gestes effectués sur autant d'années. Ce parcours de rénovation est essentiel, mais doit être bien défini, avec un état initial et la détermination des gestes à effectuer pour une amélioration de 30 % à 40 %.
Le secteur bancaire, avec l'État, doit proposer un modèle financier pertinent, comme pour les achats de voitures hybrides. De plus, nous parlons d'emprunter pour des travaux qui valorisent logement, contrairement à un achat de véhicule qui perd tout de suite de la valeur.
Il ne faut pas opposer rénovation globale et rénovation au geste. L'élément déclencheur est souvent une panne, qui est l'occasion de remplacer l'équipement défectueux par un modèle plus vertueux. Ce premier geste peut aboutir à une rénovation globale.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du prêt avance mutation (PAM) ?
M. Christophe Caresche. - L'objectif est de porter le parc immobilier français, résidentiel et tertiaire, au niveau du label bâtiment basse consommation (BBC) d'ici à 2050. Comment y parvenir ? La rénovation par geste doit en faire partie. Il ne s'agit pas de l'opposer à la performance, mais d'avoir une vision globale, dès le départ de la rénovation. Il ne faut pas gaspiller l'argent, public comme privé : reconnaissons que certaines rénovations par geste n'améliorent pas la performance.
L'objectif est très ambitieux : selon l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) - anciennement Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) -, il revient à rénover 20 millions de logements privés, dont 11 millions de maisons individuelles, avec, au minimum, 50 000 euros de travaux pour chacune, soit 550 milliards d'euros. S'ajoutent 9 millions de logements collectifs, pour un coût d'environ 20 000 euros chacun, soit 180 milliards d'euros. Le coût total atteindrait donc 730 milliards d'euros, soit 27 milliards d'euros par an jusqu'en 2050, ou 15 milliards d'euros par an jusqu'en 2070 pour respecter l'objectif de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). L'État peut beaucoup, mais peut-il consacrer 1 % du PIB chaque année à la seule rénovation ? Il faut donc trouver un modèle économique.
C'est pourquoi je suis opposé à l'idée de service public. Dans ce secteur, mis à part l'argent, peu de choses sont publiques... le risque serait de déresponsabiliser les acteurs. C'est une raison de la fraude : quand on ne paie pas, on est moins regardant. Souvenez-vous du Pinel...
Quant au modèle économique, il doit passer par un signal prix. Il faut réexaminer la taxe carbone. Les investisseurs, notamment particuliers, ont du mal à trouver un retour sur investissement, même si le coût de l'énergie a augmenté. La seule satisfaction d'agir pour le climat ne suffit pas pour engager 70 000 euros dans une rénovation. Je renvoie aux travaux de Jean Pisani-Ferry. Dans les pays qui ont le mieux réussi, la taxe carbone a été un levier.
M. Franck Perraud. - La rénovation globale ne doit pas mettre brutalement fin au geste parce que de nombreuses entreprises se retireraient du RGE. De plus, la rénovation globale est intrusive pour un ménage. Nous plaidons pour un passeport de rénovation globale comportant des gestes successifs.
La FFB a fait 500 simulations : isoler les murs, c'est un gain de consommation d'énergie de 30 %. Installer une pompe à chaleur (PAC) hybride dégage une économie de 45 %. Ces seuls monogestes éliminent les passoires thermiques F et G. Les négliger serait dramatique, d'autant qu'il faut prendre en compte les ménages modestes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes passés des crédits d'impôt à MaPrimeRénov'. Qu'en pensez-vous ?
M. Franck Perraud. - Le CITE ne ciblait pas les ménages modestes et très modestes, désormais MaPrimeRénov' cible à 100 % ces ménages. D'autres solutions pourraient être envisagées, comme l'incitation aux travaux au moment d'une mutation. Nous pourrions combiner les approches.
Mme Sabine Drexler. - Les spécificités du bâti patrimonial sont-elles suffisamment prises en compte ? Les techniques d'isolation respectent-elles ses particularités architecturales et hygrothermiques ? Les artisans sont-ils suffisamment informés des matériaux et techniques spécifiques à ce type de bâti ?
M. Jean-Christophe Repon. - L'artisan est diplômé, mais se forme toute sa vie. C'est notre rôle d'organisation patronale que d'inciter à le faire, parce que les techniques de pose et les matériaux ne cessent d'évoluer, comme pour le biosourcé. Si le marché est porteur, l'artisan se forme sans difficulté.
Le risque est, en revanche, de développer ses compétences quand il n'y a pas de marché : durant nos assemblées générales, on nous le reproche pour le RGE. Coller dix autocollants de qualification sur son camion ne sert à rien. Sur le bâti patrimonial, les artisans du territoire se formeront pour satisfaire le client. En effet, l'artisan vertueux veut continuer à exercer au même endroit.
M. Franck Perraud. - En effet, nos entreprises sont passionnées par la technique, mais il faut un marché. C'est notre rôle, avec nos guides et nos projets de recherche, que d'accompagner les artisans. Les évolutions techniques sont dans leurs gènes.
M. Christophe Caresche. - La rénovation énergétique la plus efficace se fait par l'extérieur, ce qui suppose un bâti récent. Rénover par l'intérieur, ce qui est nécessaire pour l'ancien, est plus coûteux et réduit les surfaces et la performance, même si la réglementation est moins exigeante pour cette dernière.
Le DPE est dans la continuité de la RE 2020, mais il a été créé bien plus rapidement que celle-ci, qui avait fait l'objet d'une expérimentation de deux ans. L'administration a d'ailleurs accepté qu'on sorte de la contrainte de temps prévue par la loi... S'il y a eu quelques déconvenues, l'essentiel est désormais réglé, mais nous suggérons de continuer à travailler, sur le plan technique, sur le DPE. Celui-ci, par exemple, semble pénaliser les petites surfaces.
De plus, le DPE est par logement. La RE 2020 devrait garantir une certaine classe de DPE, mais tel n'est pas le cas. La raison en est que des logements, dans un même immeuble, sont parfois fort différents. Une grande surface sera réputée moins consommatrice qu'une petite. Reconnaissons que cela n'encourage pas l'industrialisation, d'autant que, en copropriété, celui qui a un DPE convenable n'a aucun intérêt à accepter des travaux, qui n'ont de plus aucune garantie de changement de classe de DPE. Ce n'est manifestement pas une science exacte, il faut le sécuriser.
Enfin, sur le BBC rénovation, l'interdiction d'une chaufferie au gaz a été retirée, car elle est superfétatoire : la performance BBC rénovation implique que le gaz ne passe plus. Il y a toutefois débat au sein du CSCEE : beaucoup d'organisations souhaitaient que l'on conserve les hybrides PAC-gaz. En effet, la PAC a ses limites, notamment lorsqu'il fait froid, et est bruyante.
Alors que le gaz devait être interdit pour la seule construction nouvelle à partir de 2025, et réservé à la rénovation, il est en train d'en sortir. Or la question se pose de la capacité à passer au tout électrique. C'est une question de sécurité et de souveraineté énergétiques. En outre, la filière gaz développe le gaz propre. L'exclure complètement, alors que les réseaux existent déjà, est-il bien raisonnable ?
Cela étant, au niveau européen, il y a, manifestement, la volonté d'interdire toutes les énergies carbonées, dont le gaz.
M. Henry Halna du Fretay. - Certains logements, notamment en immeubles collectifs, sont sans solution technique si l'on interdit le gaz.
M. Christophe Caresche. - L'alternative, c'est la PAC ou le réseau de chaleur. Il y a aujourd'hui, lors de la construction, une obligation de raccordement aux réseaux de chaleur s'ils sont à proximité. Or les trois quarts de ces réseaux ne sont pas décarbonés. Il faut travailler à leur décarbonation, ce que l'Europe devrait encourager.
En outre, la PAC n'est pas une technologie française - tout vient de Chine - alors que nous avons des acteurs très performants dans le chauffage au gaz. Ne négligeons pas l'enjeu industriel.
M. Franck Perraud. - Pour ce qui concerne le gaz, l'objectif est d'atteindre la classe de consommation B, mais il ne faut restreindre aucune technologie. Il y a des innovations, notamment le biofioul ou le biogaz, c'est-à-dire le gaz vert. Or, avec l'interdiction complète du gaz, non seulement on n'a pas de solution de remplacement, mais on coupe l'élan de toutes ces technologies, souvent françaises et qui font des progrès importants. Comme pour le matériau, il faut le bon produit au bon endroit.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Que pensez-vous du C2E ? Comment pourrait-il évoluer ?
M. Franck Perraud. - Pour la rénovation énergétique, le C2E représente 2,5 milliards d'euros, un montant comparable à celui de MaPrimeRénov' - dont le financement devrait selon nous augmenter chaque année de 1 milliard d'euros. Il faudrait un dispositif transparent et commun à toutes les mesures existantes. Le C2E est une corde supplémentaire à l'arc de la rénovation, mais il faudrait que tout soit fléché de la même manière et que l'on mette fin à l'existence de deux mondes parallèles, aux fonctionnements différents.
En outre, les entreprises qui travaillent sur un même projet n'obtiennent pas toutes le même montant de C2E. D'où cette exigence de transparence...
M. Éric Durand. - Ce qui était intéressant avec les C2E, c'étaient les coups de pouce accordés au-delà du montant de travaux ; c'était un montant fixe et clair pour l'entrepreneur et le client. Un C2E dont le prix varie en permanence ne facilite pas les choses, d'autant que les règles, elles aussi, changent constamment. On l'a vu avec le marché de l'isolation des combles, qui a fortement chuté quand les fiches ont été modifiées ; les entreprises ayant investi dans ce secteur en ont beaucoup souffert.
M. Henry Halna du Fretay. - Nous partageons cette analyse, c'est d'une très grande complexité, et c'est sans cohérence avec le dispositif RGE. On a ajouté sans cesse de nouvelles exigences. Je prendrai deux exemples pour vous faire comprendre l'absurdité du système.
Le client d'une entreprise qui a été contrôlée dans le cadre des C2E et qui a obtenu un bon résultat n'est pas forcément payé, parce que l'entreprise d'à côté a eu un problème sur son chantier et que tout le paquet de dossiers est bloqué lorsqu'une entreprise a un problème. Pour une entreprise dont le chantier a été validé, il est incompréhensible de ne pas être payé sous prétexte que d'autres n'ont pas fait bien le travail. Second exemple : lorsque l'adresse du client n'a pas de numéro de rue ou de route, il faut fournir un extrait cadastral de la parcelle, afin de lutter contre la fraude. C'est très complexe.
Les exemples de ce type sont nombreux. Nous espérons que le programme Oscar permettra de simplifier tout cela, car ces obstacles bloquent les initiatives, alors que l'argent issu des C2E représente la moitié du marché ; on en a besoin pour dynamiser le secteur.
M. Franck Perraud. - Le programme Oscar est bon, mais il consiste à expliquer des textes compliqués ; autant simplifier les textes...
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - On entend souvent parler des lourdeurs administratives et du temps passé à monter des dossiers plutôt que sur les chantiers. Quel dispositif plus simple recommanderiez-vous, puisque, dès lors qu'il y a une aide publique, il faut bien du contrôle ?
M. Henry Halna du Fretay. - Le dispositif RGE doit être conservé pour les entreprises qui ont une activité importante ; pour les autres - les entreprises de deux ou trois salariés -, il faut un contrôle en fin de chantier, comme le fait Consuel. C'est la bonne manière d'englober le maximum d'entreprises. Cela éliminerait la fraude dans le secteur et cela apporterait la garantie que l'argent est investi dans des travaux de qualité.
M. Franck Perraud. - Il faut des mesures concrètes pour lutter contre les fraudes des entreprises RGE. Les médias font des reportages à charge, en affirmant que la plupart des travaux aidés sont mal faits, alors que 90 % des chantiers contrôlés sont satisfaisants. On parle de ce qui ne va pas, notamment sur le travail illégal. Cela instille le doute chez les personnes qui seraient prêtes à s'engager dans une rénovation énergétique.
Les organismes de qualification retirent la certification RGE à des entreprises qui sont hors des clous, mais des avocats spécialisés obligent ces organismes à redonner cette qualification à leur client et exigent des dommages et intérêts !
Par conséquent, les autorités renforcent les critères de RGE, mais ce n'est pas en renforçant les critères pour les entreprises vertueuses qu'on luttera contre le travail illégal ! C'est un enjeu important. Nous avons fait des propositions, comme l'établissement d'un fichier commun entre l'Anah, le C2E et MaPrimeRénov'. Surtout, il faut faire des contrôles aléatoires et s'assurer que les entreprises qui font des centaines ou des milliers de chantiers aient un nombre suffisant d'audits.
Ces fraudes polluent le marché, parce que la réputation des entreprises vertueuses en souffre et que cela freine la rénovation énergétique. On doit être sévère. L'entreprise qui bénéficie des aides doit être RGE et, si elle sous-traite, on doit limiter le rang de sous-traitance et savoir qui réalise les travaux.
M. Christophe Caresche. - Il existe, de ce point de vue, le dispositif de l'accompagnateur, qui fait office de tiers de confiance. Attendons de voir comment ce dispositif nouveau se met en place. Le CSCEE a eu un long débat sur ce sujet, car ce dispositif est parfois mal perçu par les artisans, qui donnent aussi du conseil et qui ne veulent pas être sous-traitants de l'accompagnateur.
L'État a permis à des entreprises de travaux de créer des filiales pouvant être accompagnateurs. Le CSCEE a décidé, à une très faible majorité, que, dans cette hypothèse, un accompagnateur ne pourrait pas intervenir sur un chantier si sa maison mère est opérateur. On voit ainsi la difficulté, valable aussi pour les diagnostiqueurs, à créer un service public avec des opérateurs privés que l'on rémunère, mais peu. Un DPE coûte 150 euros, donc le diagnostiqueur ne se déplace généralement pas et fait son diagnostic par téléphone. S'il n'a pas les bonnes indications, il saisit des données par défaut, ce qui dégrade considérablement le DPE ; cela peut empêcher le propriétaire de vendre ou de louer son bien.
Il faut renforcer les diagnostiqueurs et les accompagnateurs, pour que le système soit bien contrôlé. Du reste, les accompagnateurs pourraient être ceux qui fournissent l'attestation en fin de chantier.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de cette table ronde très intéressante. Si vous avez des éléments complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas à nous les envoyer.
La réunion est close à 16 h 40.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Mercredi 10 mai 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 17 h 00.
Rénovation du parc social - Audition
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée aux enjeux de la rénovation du parc de logements sociaux. Nous recevons ainsi les représentants de trois organismes : tout d'abord, Mme Emmanuelle Cosse, dans ses fonctions, non pas d'ancienne ministre, mais de présidente de l'Union sociale pour l'habitat qui rassemble le mouvement HLM, et M. Alban Charrier, adjoint au directeur de la maitrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'USH, ensuite Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, créée il y a vingt ans pour la restructuration et la réhabilitation des quartiers prioritaires et enfin M. Simon Molesin, directeur du patrimoine de la Régie immobilière de la ville de Paris qui est un acteur local important et dont certaines réalisations apparaissent emblématiques. Je pense notamment à la tour Bois-Le-Prêtre sous la direction des architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal.
Mesdames, Monsieur, je souhaite que cette audition nous permette d'avoir une vision plus claire des enjeux de la rénovation énergétique du parc social qui est soumis au même calendrier que le logement privé. Quelle est la situation du parc en France, dans les quartiers et à Paris ? Les bailleurs sociaux, éventuellement avec l'appui de l'Anru, sont-ils en mesure de relever le défi du calendrier de la loi Climat-résilience ? Quels sont les montants d'investissement à programmer ? Le chiffre de 8,6 milliards d'euros par an a été évoqué, le confirmez-vous ? Est-ce réalisable dans un contexte de RLS, de hausse du taux du livret A et de l'endettement global du secteur, et de hausse des coûts des travaux ? Nous avons pu visiter en Isère, à L'Isle-d'Abeau, une rénovation HLM menée par Action Logement, d'un coût de plus de 60 000 euros par logement. Je sais que cette équation financière, sans être générale, n'est pas isolée. Est-ce soutenable ? Ce besoin de rénovation peut-il se conjuguer avec le besoin de construire de nouveaux logements sociaux, qui n'est pas dans le champ de la commission d'enquête mais que je ne peux et ne veux pas occulter ?
Par ailleurs, comme l'a souligné Antoine Pellion, le secrétaire général à la planification écologique, devant notre commission d'enquête, et comme nous y incite la directive européenne sur la décarbonation des bâtiments en cours de discussion, n'est-on pas conduit à faire un choix stratégique entre une décarbonation rapide et une recherche de sobriété sur plus long terme compte tenu du coût, de la complexité et du temps nécessaire à des rénovations globales. Dans ce cadre, comment évoluent les réflexions en matière de seconde vie du parc social et de stratégie de patrimoine ? Du côté de l'Anru, comment s'insèrent ces enjeux entre rénovation très profonde et reconstruction neuve qui était davantage dans l'ADN de l'Agence ? En quoi l'initiative « quartiers résilients » constitue-t-elle une inflexion ? L'Agence conserve-t-elle les moyens nécessaires à son action - définis de manière forfaitaire - dans le contexte inflationniste que nous connaissons ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Emmanuelle Cosse, M. Alban Charrier, Mme Anne-Claire Mialot et M. Simon Molesin prêtent serment.
M. Emmanuelle Cosse, présidente de l'Union sociale pour l'habitat. - Tout d'abord, je vous remercie pour cette table ronde et ce focus spécifique sur le logement social car l'enjeu de la rénovation énergétique des bâtiments y est crucial. Les loyers pratiqués ainsi que le public qui vit dans le parc social soulèvent des questions spécifiques et il nous semble important de pouvoir vous les présenter ainsi que notre stratégie relative à l'enjeu de décarbonation.
Le parc résidentiel porté par les organismes HLM et les sociétés d'économie mixte (SEM) se compose d'environ 5,5 millions de logements, dont 4,8 millions de logements familiaux et 500 000 logements accompagnés ou gérés, dans lesquels on trouve des logements étudiants, des résidences pour personnes âgées et des foyers. Je souligne l'importance de ces 500 000 logements qui sont totalement absents des statistiques et nous menons une bataille pour les inclure alors qu'ils ont été complètement oubliés du calendrier de rénovation.
Le deuxième constat, établi à plusieurs reprises par l'Ademe et le Plan Bâtiment - sur la base de l'ancien diagnostic de performance énergétique (DPE) - est que le parc social est en général plus performant d'un point de vue énergétique que l'ensemble du parc privé. Nous ne disposons pas encore de statistiques assez consolidées avec le nouveau DPE mais il est important de signaler que les passoires énergétiques les plus énergivores sont moins nombreuses dans le parc social que dans le parc privé. En revanche, la difficulté pour le parc social est que le patrimoine ultra-performant, c'est-à-dire classé A ou B, est assez rare et nos résidences se composent principalement de bâtis relevant des classes E, D et C.
Il est important que vous gardiez en mémoire ces données qu'il faut mettre en relation avec l'ancienneté du parc social : quasiment un tiers a été construit avant les années 1975, un gros tiers entre 1975 et 1990 et donc deux tiers datent d'avant les années 1990 avec une partie construite avant 1945. Ces patrimoines qui sont plutôt anciens ont déjà fait l'objet de rénovations car il y a dans le parc social une culture de la réhabilitation - pas nécessairement énergétique jusqu'à présent mais qui s'est traduite par des changements de composantes, comme l'installation de salles de bain, et de travaux depuis bien plus longtemps que beaucoup d'autres patrimoines. Cela explique certainement que les logements soient moins énergivores et, par ailleurs, le parc social a parfois bénéficié d'avancées technologiques plus ou moins efficaces mais je souligne le recours à la géothermie très utilisée dans les quartiers d'habitat social depuis les années 1950 à 1960, et aux réseaux de chaleur urbaine. Plus récemment, les premières centrales biomasse ont également été installées dans le parc social puis dans le parc privé résidentiel. Cela explique notre sensibilité particulière sur les questions de rénovation par rapport au reste du parc résidentiel.
Néanmoins, lorsque la loi Climat et résilience a pour la première fois fixé un calendrier d'obligations de rénovation, le mouvement HLM a pris position en indiquant majoritairement qu'il partageait l'ambition de décarboner son parc et qu'il était prêt à relever ce défi, ce qui s'explique pour plusieurs raisons. La première est que nous gérons ce patrimoine sur des décennies voire sur des siècles et que nous souhaitons l'améliorer en permanence, y compris pour limiter les charges locatives individuelles. De plus, les bailleurs sociaux qui gèrent un patrimoine avoisinant 5,5 millions de logements - soit environ 18 % des résidences principales - ont un poids significatif dans la politique du logement et estiment devoir jouer un rôle leader dans la décarbonation du secteur. J'ai moi-même été, dans les discussions ministérielles, une des seules actrices du logement à défendre le calendrier de rénovation - non pas que j'estime qu'il soit bon ou mauvais mais parce qu'il est de notre devoir d'essayer d'y répondre sans a priori négatif. De plus, l'avantage - entre guillemets - de ce calendrier assez exigeant est de créer une dynamique qui nous permet de voir loin et de nous mobiliser à partir des jalons - 2025, 2028, 2034 - qui sont fixés. En toute franchise, nous sommes prêts à relever le défi d'un point de vue politique ou social et à franchir la marche de 2025 et de 2028 mais la difficulté réside dans les outils à notre disposition. Je rappelle que la réforme prévue par la loi Climat et résilience s'appuie sur deux principes tout à fait nouveaux dans le logement. Le premier est qu'elle fixe une obligation de rénovation basée sur le nouveau DPE qui recouvre deux dimensions : l'étiquette énergétique, c'est-à-dire la consommation du bâtiment et l'étiquette carbone qui est liée au vecteur énergétique utilisé. Cependant, le nouveau DPE, n'existait pas quand la réforme a été lancée en juillet 2021 ; un premier arrêté modificatif sur le DPE est intervenu en octobre 2021 et on nous a ensuite indiqué que les logiciels de calcul utilisés par les diagnostiqueurs ne seraient validés qu'au 31 mars 2022. On nous a donc demandé de lancer une stratégie de rénovation sans pouvoir disposer des outils appropriés pour fournir des données juridiquement opposables conformément à l'innovation introduite par la réforme.
Je ne vous cache pas que ces deux ans d'atermoiement nous ont placés dans une situation compliquée avec l'obligation de relancer les marchés de diagnostics et des bailleurs sociaux qui n'ont pas encore pu obtenir les résultats définitifs de leurs campagnes de nouveau DPE. Aujourd'hui, en 2023, le fait de ne pas pouvoir encore mesurer grâce aux DPE le défi que doit relever notre patrimoine complique singulièrement la définition de notre stratégie pour 2025-2028 car une réhabilitation ne se fait pas en un an.
Par ailleurs, une partie du patrimoine social - et en particulier celui qui date d'avant la Première Guerre mondiale - n'était pas soumise au DPE avant cette réforme. Ce parc, essentiellement classé en G, n'était pas non plus comptabilisé dans les statistiques et par conséquent, les études d'impact transmises aux parlementaires pour qu'ils statuent sur la réforme reposaient sur les anciens DPE ainsi que sur une base statistique erronée, ce qui n'a sans doute pas permis de préparer les décisions de façon optimale.
De plus, au-delà de l'obligation de rénovation, le DPE devient le critère permettant de classer le logement comme décent ou indécent, ce qui est une problématique très nouvelle pour les bailleurs sociaux dont le patrimoine est habité. Je souligne également que l'indécence d'un logement entraîne l'arrêt des allocations familiales, des aides personnalisées au logement (APL) et peut-être des négociations sur la minoration de loyer. Je ne vous cache pas les difficultés actuelles à réaliser des DPE fiables : certains locataires n'ouvrent pas la porte aux diagnostiqueurs et les bailleurs ont engagé des procédures contentieuses pour les y contraindre, sinon, le diagnostiqueur estime qu'il n'a pas assez d'éléments probants, et peut inscrire des données assez éloignées de la réalité de la performance du bâtiment.
Dans les statistiques dont nous disposions au 1er janvier 2022 - que je vous livre avec beaucoup de prudence - sur plus de 4 millions de logements, 3 % du parc était considéré comme relevant de l'étiquette G, 7 % en F, 21 % en E, 33 % en D et 34 % en C. Le patrimoine relève donc majoritairement des classes C ou D. Je précise que les 30 % de logements en catégorie E, F et G se répartissent en 20 % d'étiquette E et 10 % de catégorie Fet G et il reste 5 % du patrimoine en A ou B. Je précise que le logement social n'est pas réparti de manière homogène sur le territoire et le parc le plus ancien - avec des étiquettes les plus dégradées - se trouve principalement dans les anciennes régions industrielles : le Grand Est, les Hauts-de-France, l'Île-de-France, et un peu en Rhône-Alpes ou en PACA. Les bâtiments les plus énergivores ne sont pas situés dans les zones Anru mais plutôt dans les quartiers d'habitat social construits dans les années 50, 60 et 70. On les réhabilite avant tout dans une optique urbaine bien que la question énergétique puisse être prise en compte. Pour nous permettre d'avancer dans la trajectoire de rénovation, je constate que les outils de diagnostic ont été perfectionnés mais nous ne disposerons qu'à la fin de l'année 2023 d'une image assez exhaustive du patrimoine social.
S'agissant des travaux, deux priorités doivent être prises en compte. Il faut d'abord remédier à la précarité énergétique qui frappe surtout les locataires des logements classés F et G en rénovant ce parc pour le rendre plus sobre et alléger les factures énergétiques. La décarbonation implique surtout de changer le vecteur énergétique, ce qui soulève une difficulté spécifique pour le patrimoine social : selon nos statistiques, celui-ci n'est équipé de chauffage à l'électricité qu'à hauteur de 20 % ; le bois représente 3 %, 54 % du parc est chauffé au gaz, 2 % au fioul - ce qui représente tout de même 100 000 logements - et 20 % au chauffage urbain où se conjuguent des réseaux très peu carbonés et d'autres qui le sont encore beaucoup.
Au total, le parc social est beaucoup plus chauffé au gaz que la moyenne nationale et que le parc privé, ce qui s'explique par les politiques publiques incitatives conduites dans le passé auprès des bailleurs sociaux. La récente augmentation du prix de l'énergie encourage encore plus les bailleurs sociaux à se désengager du gaz et à diversifier leur mix énergétique. La principale difficulté - au-delà des travaux de rénovation - est de choisir une alternative décarbonée au gaz. Or, très franchement, je ne suis pas certaine que l'entreprise Réseau de transport d'électricité (RTE) soit prête à absorber 2,5 millions de logements supplémentaires sur le réseau électrique. Étant entendu que la décarbonation ne passera pas par une substitution intégrale du gaz par l'électricité, la triple question est plutôt de savoir, d'abord, si on peut raccorder plus de logements aux réseaux de chaleur - c'est un combat essentiel que nous menons car ces réseaux se décarbonent très rapidement. Ensuite, le parc HLM aura-t-il accès à une quantité plus importante de biogaz dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie ? Enfin, le patrimoine social pourra-t-il être un acteur important du développement des énergies renouvelables et je pense ici aux chaufferies biomasse mais aussi au solaire, entre autres.
Ces évolutions soulèvent parfois de considérables difficultés réglementaires et en voici un exemple à propos des réseaux de chaleur dont je souligne qu'ils évoluent tous les ans, sous l'impulsion des collectivités qui font des efforts très importants pour les verdir. Le diagnostiqueur, pour élaborer le DPE, se réfère à un arrêté - dont on a attendu pendant 18 mois la publication - qui fixe les paramètres de calcul correspondant à tel ou tel réseau de chaleur en fonction de son vecteur énergétique. Si cet arrêté n'est pas suffisamment bien actualisé et omet de prendre en compte les évolutions des réseaux de chaleur, certains DPE risquent de se baser sur des calculs erronés, ce qui peut placer un bailleur social dans une situation catastrophique avec un patrimoine classé en indécence sur la base de données périmées.
Dans ces conditions, nous préconisons d'abord une stabilité du cadre de la trajectoire de rénovation énergétique et de son calendrier. Nous on ne militons pas pour une détente du calendrier mais pour disposer des moyens permettant de le respecter ce qui implique plus de visibilité financière. Aujourd'hui la difficulté que nous rencontrons consiste à établir un plan de rénovation à 5 ou 10 ans sans disposer d'informations sur nos ressources annuelles en aides, subventions, CEE et encouragements fiscaux. De plus, le taux du Livret A impacte non seulement nos opérations de construction neuve mais aussi de réhabilitation car nous les finançons par l'emprunt. Aux besoins de visibilité et de stabilité s'ajoute la nécessité d'un appui technique et de disponibilité de la filière qui doit pouvoir répondre à l'ensemble des marchés que nous devons lancer pour accélérer - d'au moins un tiers, voire de la moitié - le rythme de la rénovation dans le logement social. La mobilisation de la filière doit être planifiée et coordonnée avec la capacité des bailleurs à présenter les plans de charge prévus au niveau régional ou départemental car nous parlons ici de réhabiliter un million de logements dans les dix prochaines années.
Je signale également le débat extrêmement vif que nous avons avec les services du ministère du logement. Il s'agit de déterminer la portée des travaux de réhabilitation : doit-on les limiter à la stricte rénovation énergétique pour permettre au parc d'atteindre la classe D et de s'éloigner du risque d'indécence, ou peut-on saisir l'occasion pour adapter les salles de bain, refaire les cuisines, rénover les zones humides, ce qui n'a pas été fait depuis 30 ou quarante ans, ainsi que les parties communes dans une démarche d'évolution du patrimoine.
Financièrement, le coût de 60 000 euros par logement pour permettre un gain de deux classes énergétiques est, d'après nos données, une moyenne et je vous transmettrai les résultats de l'enquête flash lancée par l'Union sociale pour l'habitat auprès des opérateurs sur les coûts des travaux en 2022. En se limitant strictement à la partie énergétique des travaux on peut réduire la somme à 30 000 euros mais tout dépend du nombre de classes que l'on veut gagner et de la structure du bâtiment. Les coûts varient considérablement - de 20 000 euros à 100 000 euros selon les projets - selon l'emplacement du bien et selon qu'il s'agit, par exemple, d'une tour à quatre faces moins chère à traiter que des résidences de petite taille à deux étages ou de résidences individuelles, ces dernières représentant 12 % de l'ensemble des biens immobiliers de notre parc. Le coût des travaux de rénovation énergétique permettant un gain de deux classes étant souvent supérieur à la moitié de la valeur du bien estimée par l'administration des Domaines, on peut se demander s'il est judicieux de réhabiliter ces logements plutôt que d'en acheter d'autres ou de ne plus les proposer à la location : c'est un débat en cours.
La seconde vie des bâtiments fait l'objet d'un appel à projets lancé par le ministère du logement mais l'idée a été inventée et portée par l'Union sociale pour l'habitat ainsi que par la Caisse des dépôts : il s'agit, en s'inspirant des pratiques utilisées dans l'immobilier de bureau, de « désosser » les structures existantes et en ne conservant que les éléments porteurs, tout le reste ayant vocation à être refait à neuf, y compris les planchers, en limitant les émissions de carbone.
Cela nécessite de mettre en place un mode de financement qui combine un allongement au-delà de 25 ans des prêts liés à la rénovation ainsi que des aides qui correspondent à du logement neuf et qui nous permettent de répondre à des programmes d'habitat très particuliers. Il existe de nombreux exemples de projets de seconde vie, principalement à Paris et dans l'Anru mais ils ont été réalisés avec des modèles économiques peu viables.
Notre idée, aujourd'hui, consiste à vider une partie de notre patrimoine, à le rénover, à changer sa composition en substituant des surfaces plus petites aux anciens T5 et à lui assurer une nouvelle vie, pour 50 à 100 ans, le tout en évitant les inconvénients de la démolition très émissive en CO2 et en déchets. Je précise que cette seconde vie ne permet de réhabiliter qu'une petite partie de notre patrimoine, à savoir principalement le parc collectif qui date essentiellement des années 1950 à 1980 ou le parc ancien parisien. Ce nouvel outil va nous permettre de proposer une offre de bâtiments quasiment neufs mais il ne va pas satisfaire l'ensemble des besoins. Nous avons lancé une expérimentation pour évaluer les coûts des travaux de seconde vie, leur faisabilité en fonction de l'année de construction des bâtiments et le niveau de performance de ce patrimoine une fois réhabilité. Je signale que si on n'a pas de visibilité sur les moyens qui seront alloués au secteur HLM pour financer ces travaux, nous nous limiterons à sortir les logements de l'indécence. Par exemple, on amènerait des logements en classe D mais pas en C faute de pouvoir disposer de 10 000 euros supplémentaires par logement et vous pourrez estimer à juste titre qu'il est absurde de limiter cette performance énergétique pour une somme aussi modeste.
Par ailleurs, dans la situation financière actuelle du logement social, nous nous interrogeons très sérieusement sur la pertinence d'investir 90 000 euros pour réhabiliter un logement. Nous y sommes a priori favorables mais la question mérite d'être posée et un certain nombre d'élus locaux nous demandent si ce patrimoine réhabilité va pouvoir être mis en location pendant encore 50 ans. Je fais ici observer que ne sont pas seulement les loyers qui financent les travaux mais aussi les emprunts, les subventions des collectivités locales, la fiscalité et les dégrèvements de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB).
En conclusion nous voulons être leader de la rénovation en nous conformant au calendrier prévu mais il faut nous en donner les moyens financiers, sachant que nous sommes à la fois techniquement compétent et propriétaire du patrimoine, ce qui nous évite de rencontrer les mêmes difficultés que dans le parc privé ou dans les copropriétés. Cependant nous pâtissons d'une absence de visibilité et, par exemple, je ne peux pas aujourd'hui construire la maquette financière des programmes de réhabilitation pour 2024.
Mme Anne-Claire Mialot, directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). - Voici tout d'abord quelques éléments pour préciser le périmètre d'intervention de l'Anru : nous intervenons sur 450 des 1 500 quartiers de la politique de la ville, ce qui représente à peu près 850 000 logements sociaux, c'est-à-dire une échelle moins importante que celle de l'USH.
L'ADN de l'Anru, conformément à la loi du 1er août 2003, se fonde sur deux grands piliers : la mixité sociale et la construction de la ville durable. Notre marque de fabrique consiste à « refaire la ville sur la ville » en apportant des réponses globales en termes d'habitat et d'aménagement ou d'équipement. Il s'agit de prendre en compte la globalité d'un quartier et pas seulement d'intervenir sur le logement social.
S'agissant de la rénovation de ce dernier, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU), nous intervenons pour traiter environ 250 000 logements en finançant 105 000 démolitions de logements sociaux et environ 140 000 réhabilitations lourdes. Par rapport au premier Programme national de rénovation urbaine (PNRU), nous avons choisi, avec le second NPNRU, de financer moins de réhabilitations mais avec un niveau qualitatif beaucoup plus élevé et des restructurations lourdes nécessitant un niveau moyen d'intervention environ six fois plus important que les interventions du PNRU qui relevaient plutôt de l'entretien du patrimoine. Je confirme ici les chiffres fournis par Emmanuelle Cosse car nous constatons que le coût des dernières restructurations lourdes atteint 80 000 à 100 000 euros par logement quand on allie rénovation énergétique - pour atteindre un niveau supérieur ou égal au label BBC Rénovation (Bâtiment basse consommation) - et réhabilitation dans toutes ses dimensions thermiques ou d'habitabilité.
Je précise que sur les 250 000 logements que nous rénovons, environ 8 000 appartiennent au parc privé. Nous participons aussi à la reconstruction de logements sociaux ainsi que de logements en diversification. Au-delà de ces interventions sur l'habitat, l'Anru finance plus de 1 000 équipements publics et l'aménagement d'un grand nombre d'hectares de terrain.
Pour en revenir au logement social, nous sommes beaucoup préoccupés de la question de la sobriété énergétique et de la rénovation thermique. Dans nos financements, nous avons incité les bailleurs à privilégier les rénovations BBC - en leur accordant des financements majorés - plutôt que d'intervenir en Haute Performance énergétique (HPE). Aujourd'hui nous finançons 70 % de nos réhabilitations en label BBC et, dans le cadre de l'abondement de 2 milliards d'euros qui a été décidé en 2021 en faveur du PNRU, nous avons décidé de ne plus financer que des réhabilitations au niveau BBC ce qui témoigne de la force de notre engagement pour la performance énergétique.
En ce qui concerne la mise en oeuvre du NPNRU, tous les crédits sont alloués et la quasi-totalité des quartiers - 440 sur 450 au total - sont en chantier. Je souligne que dans cette phase opérationnelle extrêmement active, nous avons mené avec l'ensemble de nos partenaires - USH, Action Logement, Caisse des dépôts et un certain nombre d'agences d'État - une réflexion pour réexaminer les projets que nous déployons à l'aune de la résilience requise par la loi Climat et résilience. Cela nous a conduits à nous interroger beaucoup plus fortement qu'avant sur le mode d'alimentation en énergie des quartiers et à renforcer notre partenariat avec l'Ademe : celle-ci s'est engagée, dans le cadre du programme Quartiers résilients, à accompagner chaque année, à hauteur d'au moins 50 millions d'euros, nos projets de renouvellement urbain sur ce volet d'approvisionnement en énergie.
S'agissant des diagnostics, et comme l'a indiqué la représentante de l'USH à l'instant, on constate, d'après les chiffres que nous sommes en train d'actualiser, que le parc de logements sociaux dans les quartiers NPNRU est assez bien positionné en matière énergétique ou thermique : il est généralement classé en D, en raison de sa construction assez récente, même si quelques bâtiments relèvent encore des étiquettes E, F et G. En revanche, le chauffage de ce parc est essentiellement assuré par le gaz et le développement des réseaux de chauffage urbain est un enjeu extrêmement important. Je rejoins également les propos de la présidente de l'USH sur les arrêtés de classements des réseaux de chauffage urbain. Certains bailleurs sont venus nous dire qu'ils allaient se déconnecter des réseaux de chauffage urbain non classés verts car ils ne pouvaient pas atteindre les objectifs BBC rénovation en y restant raccordés. Dans l'exemple auquel je fais ici référence, nous avons convenu avec la maire de la ville de suspendre notre projet de rénovation en attendant que le réseau se verdisse. Cet exemple illustre notre démarche sur le programme de quartiers résilients qui comporte deux volets. Le premier est d'analyser tous les projets de renouvellement urbain au regard des grands objectifs de résilience et le second est d'assurer un accompagnement renforcé de 50 territoires pour remédier à leurs dysfonctionnements croisés - urbains, environnementaux et sociaux. Sur ces 50 territoires, nous avons déjà retenu 25 territoires d'intervention renforcée dont un quart nous sollicite sur ces enjeux énergétiques. Le partenariat que nous avons engagé avec les acteurs que j'ai mentionnés témoigne de la réponse globale que nous entendons apporter au défi de la rénovation énergétique des logements sociaux.
M. Simon Molesin, directeur du patrimoine de la Régie immobilière de la ville de Paris. - Notre organisme fête ses 100 ans cette année et gère un patrimoine dont la moyenne d'âge est de 50 ans. Nous sommes volontaires pour nous engager dans la rénovation énergétique et avons dès 2018 formalisé notre stratégie bas-carbone pour nous conformer à la trajectoire nationale jusqu'en 2050. Nous avons également innové en testant des solutions d'énergies renouvelables comme la récupération de chaleur fatale de data centers ou autres et noué des partenariats avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) pour explorer de nouvelles solutions de décarbonation.
Pour nous, la principale difficulté n'est pas l'éradication des étiquettes F et G en 2025 et 2028 mais de rénover le bloc des étiquettes E qui représente 25 % de notre patrimoine. Je souligne également les contraintes patrimoniales que nous devons respecter et la nécessité de changer les vecteurs énergétiques pour réussir la décarbonation. Cela m'amène à faire observer, en matière de coût de l'énergie, que nous ne bénéficions plus de tarifs réglementés et nos locataires peuvent difficilement accepter le passage à un réseau de chaleur s'il en résulte une augmentation de leurs charges de 50 %. Je signale également les difficultés que nous rencontrons avec l'empreinte carbone des réseaux de chaleur, qui nous obligent à trouver des solutions alternatives ou à abandonner nos ambitions initiales en termes de décarbonation.
De plus, la stratégie nationale préconise l'utilisation des pompes à chaleur, mais leur installation est complexe en milieu urbain et actuellement mal maîtrisée tant par les industriels que par les personnes en charge de la maintenance. Par conséquent, on risque de ne pas atteindre les résultats attendus ; or nous avons besoin de solutions durables et fiables sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, afin d'éviter tout écart par rapport aux calculs théoriques.
Par ailleurs, comme vous l'avez mentionné, le patrimoine ancien d'avant 1948 est fortement pénalisé en termes d'étiquettes DPE. Maintenant que la réglementation s'est stabilisée, nous sommes en train d'établir les nouveaux diagnostics de performance énergétique (DPE) et nous aurons terminé ce processus à la fin de l'année. Mais j'observe que nous avons dû commencer à programmer la rénovation sans pouvoir nous baser sur des outils actualisés. Pour le patrimoine ancien, il semble difficile d'atteindre les objectifs fixés et cela va impliquer des coûts très élevés de travaux ainsi que la mise en place de solutions complexes en recourant à l'isolation par l'intérieur : cela concerne en particulier les immeubles en brique rouge de la ceinture parisienne. L'isolation par l'intérieur implique, d'une part, une perte de surface habitable génératrice de perte de loyers qui s'ajoutera au coût des travaux et, d'autre part, un relogement temporaire au moment où les contrats de relogement sont problématiques dans un contexte de fortes tensions. Par conséquent, si nous appliquons la méthode telle qu'elle est actuellement définie, nous allons au-devant de réelles difficultés pour ces immeubles anciens.
Je m'associe aux constats et aux recommandations de l'USH au plan financier. Lorsque le taux du livret A était à 1 %, nous avions des rentrées annuelles d'environ 40 à 50 millions d'euros. Chaque augmentation de 1 % de ce taux entraîne pour nous une perte de plus de 15 millions d'euros par an, ce qui accentue les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour autofinancer la rénovation tout en continuant à développer notre parc.
De plus, réaliser ces travaux tout en maintenant l'occupation des logements est complexe et souvent mal vécu par les locataires. Les professionnels n'ont pas toujours pris en compte cette dimension sociale et les exigences liées à la gêne occasionnée par les travaux. Il est donc essentiel que l'ensemble de la filière se professionnalise pour réaliser des travaux ambitieux et invasifs de manière efficace.
En général, nous rénovons les logements de façon globale, sans nous limiter à l'aspect thermique et deux sujets nous préoccupent particulièrement. Le premier est le vieillissement de la population qui implique l'adaptation des salles de bains. Près de 30 % de nos résidents ont plus de 65 ans : dans 10 ans, ils auront plus de 75 ans et la prise en compte du vieillissement est donc essentielle pour nous. De plus, la question du confort en été devient de plus en plus préoccupante. Nous recevons presque plus de réclamations en été pour des problèmes de surchauffe qu'en hiver pour le froid. Or l'isolation par l'intérieur est une solution très efficace en hiver mais potentiellement défavorable en été et le DPE ne prend actuellement en compte que les aspects hivernaux, sous-estimant ainsi les enjeux estivaux.
Nous voulons construire et réhabiliter avec des solutions durables ces projets coûteux. Avant la période d'inflation, notre budget moyen de rénovation était de 50 000 euros par logement et aujourd'hui il est plutôt de 60 000 euros et les perspectives sont incertaines : à chaque nouvel appel d'offres, nous sommes surpris par les prix proposés. Nous voulons avancer dans la rénovation mais les contraintes et les difficultés sont nombreuses.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour les différentes interventions très complètes qui appellent quelques précisions et remarques. Je note d'abord que vous souhaitez vous inscrire dans le calendrier de décarbonation mais que vous restez réalistes : est-il atteignable ?
Ensuite, je vous rejoins sur le fait qu'il faut raisonner à la fois en termes de décarbonation et de rénovation thermique globale car en présence de passoires thermiques ou de logements indignes, il ne suffit pas de changer la chaudière pour régler l'ensemble des problèmes : comment atteindrez-vous tous ces objectifs ?
Cela me permet de faire le lien avec notre intéressant déplacement à L'Isle-d'Abeau où l'opération de rénovation thermique qui a été réalisée s'intègre dans l'aménagement des espaces urbains lancé par la commune pour réduire les îlots de chaleur et diminuer la part de la voiture. Comment mieux articuler les interventions des bailleurs sociaux avec celles des collectivités territoriales, ce qui permet, comme on l'a vu à L'Isle-d'Abeau, d'améliorer le confort thermique d'été ?
Par ailleurs, vous avez rappelé que nous sommes dans la deuxième phase du DPE : pouvez-vous apporter des précisions sur son efficacité et son adaptation aux bâtiments anciens ? Où en sont vos réflexions sur le DPE global qui me paraissent apporter une simplification par rapport au DPE pour chaque logement ?
Je voudrais également avoir votre point de vue sur l'amélioration des leviers de sobriété individuelle de vos locataires. Je rappelle l'opinion d'une économiste comme Esther Duflo qui, schématiquement, estime que la rénovation thermique telle qu'on l'envisage est en toute certitude très coûteuse mais son efficacité est incertaine : il serait donc intéressant d'agir plutôt sur l'individualisation du chauffage et sur la sobriété des comportements.
Quelle est votre méthodologie, au plan financier et du point de vue de l'efficacité technique, pour arbitrer entre la rénovation globale, la démolition ou la deuxième vie des bâtiments ?
Enfin, comment intégrez-vous la problématique du Zéro artificialisation nette (ZAN), avec, par exemple, l'idée que la rénovation d'un complexe immobilier peut être l'occasion d'ajouter des logements ou d'optimiser l'utilisation du foncier ?
M. Emmanuelle Cosse. - Tout d'abord, nous avons pris la décision de respecter le calendrier prévu pour la rénovation énergétique du logement social, même si cela peut être difficile. Cette position est collective, bien que certains opérateurs d'HLM soient plus sensibles à la question que d'autres. Par exemple, en Bretagne, il y a très peu de bâtiments classés E, F ou G : les patrimoines sont plus récents et utilisent beaucoup d'électricité. En revanche, les opérateurs des Hauts-de-France, du Grand Est et d'Île-de-France sont beaucoup plus impactés, avec le cas extrême de l'opérateur qui gère 60 000 logements dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais. De plus, les diagnostics de performance énergétique (DPE) varient en fonction des régions. Pour que le calendrier soit respecté, il faut faire jouer le principe de solidarité entre l'ensemble des organismes HLM, surtout en faveur de ceux qui possèdent les patrimoines les plus énergivores - selon la classification introduite par le nouveau DPE - et qui ne sont pas responsables de cette situation puisque le volet carbone n'était pas antérieurement pris en compte.
Nous nous interrogeons également pour savoir si certains patrimoines doivent être démolis ou vendus et je rappelle que depuis cinq ans, on nous demande de vendre du patrimoine pour financer les politiques de logement social.
S'agissant des bâtiments situés dans les quartiers parisiens ou lyonnais et du patrimoine haussmannien, cela fait 15 ans qu'on se demande comment les réhabiliter. Par exemple, l'encapsulage rencontre, d'une part, l'opposition des architectes des bâtiments de France (ABF) et risque, d'autre part, de faire mourir ces bâtiments - en briques, en terre ou en pierre de taille - si on ne choisit pas les matériaux de réhabilitation adéquats pour les laisser respirer. Tout cela explique que nous souhaitons bien entendu réhabiliter le bâti haussmannien mais que nous ne savons pas comment ni à quel prix.
J'attire également votre attention sur le fait que le décret d'application de la loi Climat et résilience qui doit préciser les modalités de rénovation des bâtiments patrimoniaux - en secteur protégé, dans les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) ou en zone ABF - n'est, à ma connaissance, pas publié. Je signale qu'une seule réunion à laquelle nous n'étions pas conviés et dont nous n'avons pas le compte rendu a été organisée sur le sujet avec le ministère de la culture, le ministère du logement et les ABF. Quand on ne sait pas quelle solution de réhabilitation peut convenir aux ABF comment fait-on ?
Les bailleurs propriétaires privés peuvent mettre au point une stratégie plus facilement que les bailleurs sociaux dont le patrimoine est habité. Je crains que l'on s'oriente vers des quartiers à deux vitesses : certains bénéficieront de logements sociaux dont on aura amélioré la performance énergétique, ce qui protégera les locataires de la dépense énergétique excessive ; dans d'autres quartiers on ne rénovera pas le patrimoine classé ni les bâtiments dont les copropriétaires n'auront pas accepté de voter les travaux ; dans ce dernier cas, la loi prévoit la possibilité de recours contentieux mais l'inaction reste possible, ce qui maintiendrait dans la pauvreté certains locataires accablés de lourdes factures énergétiques. Or notre choix stratégique est de protéger et de cibler dans le calendrier des travaux les locataires les plus pauvres face à des hausses de prix de l'énergie qui ne seraient pas compensées.
Pa ailleurs, le calendrier actuel de la rénovation du logement me semble réaliste mais je m'interroge sur la trajectoire de décarbonation prévue par le « Fit for 55 » ? Je trouve un peu regrettable qu'on demande un effort considérable au parc résidentiel par rapport aux autres secteurs émetteurs de gaz à effet de serre comme l'agriculture, les transports ou le parc tertiaire. Soyons honnêtes et constatons que les propriétaires privés qui occupent leur logement peuvent choisir de ne pas effectuer les travaux ; les bailleurs privés peuvent renoncer à louer et sortir de l'obligation de rénovation ; en revanche, les bailleurs doivent réaliser des travaux de rénovation quoi qu'il arrive, sauf à réduire le parc locatif. J'alerte sur le fait que nous sommes volontaires et compétents pour rénover le parc social mais on nous demande des efforts presque insurmontables : nous pouvons donc respecter le calendrier prévu mais pas l'accélérer.
Le DPE actuel, sur lequel vous nous interrogez, comporte à la fois un volet consommation et un volet carbone qui invite à choisir des vecteurs énergétiques moins émissifs. Je crains comme vous qu'on se focalise sur la performance thermique ou énergétique en oubliant le reste : l'Anru nous incite, après l'expérience de la pandémie, à installer des balcons à la faveur de la réhabilitation. J'y suis favorable même si techniquement et financièrement c'est assez compliqué et j'observe que le besoin d'espaces extérieurs ne se limite pas aux quartiers de l'Anru.
Je rejoins également vos observations sur le confort d'été qui ne se limite pas aux aménagements intérieurs aux logements mais aussi à la végétalisation et à la renaturation extérieure : nous y travaillons beaucoup et de façon très efficace, en particulier là où les collectivités nous incitent à utiliser notre foncier pour développer des zones d'ombrage. On peut ainsi faire chuter très vite de 5 à 10 degrés la température autour des résidences.
J'en viens aux travaux de rénovation énergétique des logements sociaux dans lesquels le locataire reste en place et je précise qu'une éventuelle augmentation du loyer ne peut intervenir qu'en cas de relocation à un autre occupant. Cependant, une troisième ligne de quittance peut être utilisée non pas pour financer le programme de rénovation mais pour partager les économies de dépenses énergétiques à venir entre le propriétaire et le locataire, à parts égales. Cette troisième ligne de quittance, souvent contestée par les associations de locataires, est mise en place pour une durée de 10 à 15 ans et peut représenter entre 20 et 40 euros par mois, au regard de programmes de rénovation de l'ordre de 50 000 euros par logement. Je rappelle que les programmes de rénovation sont financés par des prêts, des subventions des collectivités territoriales, des prélèvements fiscaux adaptés en fonction des territoires ou encore des allocations du fonds européen de développement régional (Feder) lorsque les bailleurs sociaux y sont éligibles - et je souligne que ces dernières créent de fortes distorsions entre les régions. J'insiste également sur l'importance des certificats d'économies d'énergie (CEE) et j'ajoute que les fonds propres, qui représentent une part considérable du financement de ces opérations, proviennent des recettes locatives générées par les années précédentes. En général, une rénovation d'environ 100 000 euros par logement nécessite un apport de fonds propres de l'ordre de 30 000 ou 40 000 euros de fonds propres, mais les bailleurs sociaux disposent de moins en moins de telles sommes.
Comme vous l'indiquez, les comportements des occupants ont un impact très important sur la sobriété énergétique des bâtiments. Récemment, le Gouvernement a demandé aux bailleurs sociaux de limiter la température de chauffage à 19 degrés et nous avons répondu favorablement à ces consignes qui ont permis de réduire considérablement la consommation énergétique, même si cela a créé des difficultés dans certains endroits. Le même raisonnement s'applique à l'eau et je signale l'intérêt de l'intervention des acteurs associatifs qui dialoguent avec les occupants sur l'électroménager énergivore, la façon de chauffer les pièces ou l'installation de thermostats.
J'en viens à l'individualisation des frais de chauffage qui est un sujet très particulier pour le logement social. Pour être honnête, le secteur social HLM n'a rien contre l'IFC (Individualisation des frais de chauffage), mais se pose beaucoup de questions sur son application réglementaire. En tant que ministre, j'ai pris les décrets concernant l'IFC et j'assume totalement cette décision, même si l'Union sociale pour l'habitat l'a attaquée sans succès devant les instances administratives. La difficulté dans le logement social est que les locataires n'ont ni le choix du logement qui leur est attribué ni celui de son étage ou de son orientation nord ou au sud. Cela crée une iniquité car, dans un même immeuble, à chauffage égal, on peut mesurer une température de 21 degrés d'un côté et 16 degrés de l'autre. J'ajoute qu'aujourd'hui, le modèle de l'IFC tel qu'il est proposé dans le décret est un peu dépassé. Nous trouverions plus intéressant de muscler l'action quotidienne récurrente auprès des locataires sur les usages et je ne vous cache pas que d'aider les locataires à s'équiper en électroménager peu énergivore est, à mon avis, l'une des meilleures façons de faire des économies d'énergie. Il faudrait également intervenir plus souvent, en maintenance, sur les questions de consommation et intensifier les veilles, ce que nous avons d'ailleurs fait avec le plan de sobriété à 19 degrés.
Je pense par ailleurs que certains patrimoines qui aujourd'hui connaissent une seconde vie auraient été démolis il y a plusieurs années car le modèle de financement de la production neuve était plus simple. La technique de la seconde vie présente plusieurs avantages : elle émet moins de carbone, génère moins de déchets que la démolition et préserve un niveau de constructibilité important. Par le passé on pensait que la démolition permettrait de réaménager et de densifier l'habitat social mais, d'après mon expérience récente, partout où on démolit, on perd de la constructibilité, ce qui a contribué à faire évoluer la culture de la démolition.
Mme Anne-Claire Mialot. - Pour donner le point de vue de l'Anru à propos des questions du rapporteur, je commencerai par vous résumer les résultats publiés l'été dernier du sondage auprès les habitants des quartiers de la politique de la ville et qui portait, en particulier, sur la canicule ainsi que leurs réactions face à la crise sanitaire. Nous constatons un enjeu extrêmement fort lié à la précarité sociale lorsque celle-ci se conjugue avec la précarité énergétique : 72 % des habitants se sont dits inquiets de l'évolution du prix de l'énergie, contre la moitié pour la France entière. De même, 70 % des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ont indiqué avoir souffert de la chaleur, contre 50 à 55 % pour le reste de la France. Nous considérons donc qu'il nous faut, dans le cadre de nos programmes de renouvellement urbain, tout particulièrement prendre en compte les enjeux d'adaptation au changement climatique.
En deuxième lieu, la prise en compte simultanée de l'ensemble des objectifs de rénovation est un des fondements de l'Anru et c'est la méthode suivie dans le NPNRU, notamment sur le sujet de la mobilité. Nous examinons systématiquement les dessertes de transports en commun avec les porteurs de projets que sont les intercommunalités ainsi que les maires et je constate partout en France un nombre croissant de quartiers reliés par le tramway, une amélioration des dessertes et un travail très important sur les mobilités douces. Tout l'enjeu de notre démarche « quartiers résilients » consiste justement à apporter des réponses globales à la fois sur le logement, la performance thermique ou l'autoproduction d'énergie, les modes d'énergie propres, la renaturation des espaces et les aides à la mobilité.
Dans les quartiers de renouvellement urbain, l'artificialisation des sols est très forte mais la densité n'est pas nécessairement élevée : le potentiel de densification est donc réel dans un certain nombre de quartiers. En revanche, l'enjeu de renaturation est essentiel, d'autant que les quartiers NPNRU sont très souvent positionnés à côté des autoroutes, au bord des voies de chemin de fer ou à proximité d'un site naturel problématique. Cela s'accompagne d'éventuelles difficultés de santé environnementale ou de la nécessité d'établir des plans de prévention des risques inondation (PPRi). Nous insistons beaucoup, auprès des collectivités qui viennent en comité d'engagement, sur notre approche globale - qui intègre les équipements publics de santé, de scolarité et de réussite éducative - même si 70 % de nos financements vont vers l'habitat.
J'ajoute que l'Anru a joué un rôle important de laboratoire pour tester des solutions de ville durable. L'Anru a ainsi financé dans le cadre d'un des programmes d'investissement d'avenir (PIA) qui lui a été confié par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) la réhabilitation des tours Nuages d'Émile Aillaud à La Défense. Un travail de recherche a été effectué pour rénover thermiquement ces tours tout en conservant leur qualité patrimoniale. On m'a expliqué que les procédés constructifs utilisés le long des façades pouvaient également servir en centre-ville ancien pour la réhabilitation thermique de patrimoines remarquables. Je rappelle également que le procédé d'isolation par l'extérieur EnergieSprong - testé par exemple à Vaulx-en-Velin - est une technique extrêmement rapide et utilisable pour les logements sociaux à géométrie simple. L'Anru accompagne ainsi les bailleurs sociaux pour tester des solutions innovantes qui pourront ensuite se diffuser au reste du patrimoine.
Nous finançons également, par l'intermédiaire de notre fonds PIA, des projets d'autoproduction d'énergie, de thalassothermie et de géothermie. Nous accompagnons aussi un projet - labellisé lors du dernier congrès de l'USH à Nantes - d'agriculture urbaine sur un toit d'immeuble ainsi qu'une serre permettant de chauffer le bâtiment. Au titre des expérimentations, je mentionne également notre programme Quartiers fertiles qui vise à développer l'agriculture urbaine en répondant aux objectifs de renaturation et de création d'activités d'insertion économique. Nous travaillons enfin beaucoup sur le réemploi des matériaux pour verdir la déconstruction. Je rappelle que, dans le cadre du PMRU, on démolissait les immeubles par explosion en employant de la dynamite, ce qui n'est plus le cas : aujourd'hui, la déconstruction s'accompagne de l'installation de plateformes de tri dans de nombreux quartiers qui, de façon emblématique, permettent de réutiliser par exemple les baignoires ou les chaînes des logements réhabilités.
S'agissant de notre méthodologie pour choisir les projets, et plus exactement les collectivités qui les portent, nous examinons chaque programme - de démolition, de reconstruction ou de réhabilitation - en tenant compte de l'ensemble des contraintes qui s'imposent à nous en termes de durabilité des projets et de décarbonation. Nous prenons en compte le contexte urbain et examinons les modalités d'implantation des logements en évaluant la capacité des bâtiments à être réhabilités. Je souligne que l'Anru, qui refait la ville sur la ville intervient sur des zones déjà artificialisées, ce qui permet d'économiser du foncier. Nous constatons que les collectivités présentent de moins en moins de projets de démolition et se concentrent surtout sur des projets de restructuration lourde, ce qui reflète l'évolution de la technique de renouvellement urbain vers un traitement des dysfonctionnements plutôt que la destruction systématique des grands ensembles, comme cela se faisait auparavant.
Toutefois, financièrement, le coût de la réhabilitation pour certains bâtiments peut atteindre 170 000 euros par logement tout en sachant qu'on n'atteindra jamais une étiquette énergie B. Nous devons donc tenir compte de la qualité constructive initiale des bâtiments. Certains d'entre eux se prêtent très bien à une restructuration lourde : ainsi à Rennes une tour a été rénovée de façon exemplaire pour 110 000 euros par logement. Dans le cas contraire, j'insiste souvent en comité d'engagement sur notre volonté de recharger les bâtiments pour une durée qui ne soit pas inférieure à 40 ou 50 ans. Il me semble également fondamental de pouvoir traiter non seulement le sujet énergétique, mais aussi le sujet de la sobriété - car l'électricité n'est pas inépuisable - et celui du confort thermique, y compris le confort d'été et la renaturation. Ce dernier devient une préoccupation croissante car les habitants des quartiers populaires partent beaucoup moins en vacances que les autres et ne peuvent pas se réfugier à la campagne quand il fait très chaud.
J'insiste également sur le nécessaire travail sur la restructuration typologique des logements pour les adapter à l'évolution des structures familiales et sur l'amélioration du confort des pièces de vie des locataires. Ces travaux sont très intrusifs : c'est pourquoi ils sont souvent réalisés en site inoccupé mais je souligne que même en site occupé, les locataires ne comprennent pas qu'on intervienne uniquement pour faire l'isolation par l'extérieur sans rénover leur salle de bain qu'ils utilisent quotidiennement. Le coût des rénovations globales est élevé mais elles sont nécessaires.
Je réponds donc à votre question sur les choix que nous privilégions en indiquant que nous n'avons pas de dogmes et faisons des choix contextualisés par rapport aux situations spécifiques dans les quartiers. Avant de mettre 80 ou 90 000 euros par logement, il faut quand même se poser la question de savoir si l'ossature initiale du bâtiment est suffisamment solide et si, au vu du fonctionnement urbain du quartier, le bâtiment est bien positionné ou s'il est préférable de retravailler la trame urbaine. Si on démolit le bâtiment, il faut ensuite reconstruire en trouvant du foncier disponible et nous sommes particulièrement vigilants sur ce sujet.
Je termine en soulignant notre préoccupation majeure de renforcer la mixité sociale : si on démolit des logements sociaux, c'est aussi pour faire baisser la part de logements sociaux dans certains quartiers où ils représentent 70-80 % du parc. Conformément à l'ADN de l'Anru, nous devons travailler, d'une part, sur la démolition-reconstruction de logements sociaux en dehors des quartiers et, d'autre part, sur le changement d'usage, ce qui nécessite également le relogement des locataires.
M. Simon Molesin. - S'agissant du lien entre décarbonation et rénovation, notre conviction est que la sobriété est le facteur prioritaire : nous travaillons donc avant tout sur la rénovation et la question de la décarbonation vient dans un second temps. En ce qui concerne les usages, nous avons réalisé des campagnes d'éco-gestes les uns les autres et on constate que les résultats efficaces sont obtenus quand on prend le temps de personnaliser les réponses aux locataires et les solutions. C'est pourquoi je me demande si l'individualisation des frais de chauffage apporte une réponse bien adaptée, d'autant qu'en arrière-plan on a recours à une méthode de calcul assez obscure qui dépend des matériels installés et qui n'est pas facilement perceptible pour le locataire. Par conséquent nous préférons mobiliser les énergéticiens pour cofinancer avec nous des campagnes de sobriété auprès des personnes en grande précarité. L'individualisation des frais de chauffage se heurte à une seconde difficulté : en, effet, nous avons signé des contrats de performances et d'intéressement avec nos exploitants, ce qui ne serait plus possible si chacun peut régler sa température. Or le travail engagé avec ces exploitants porte ses fruits comme en témoigne l'épisode de l'hiver dernier où notre force de négociation a été bénéfique.
Par ailleurs, nous réalisons des DPE par bâtiment : cela nous permet de ne visiter que 10 % des logements, avec des campagnes de diagnostics dont le coût atteint tout de même 2 millions d'euros. Les DPE par bâtiment sont ensuite déclinés par logement et, par exemple, un bâti global en étiquette E peut néanmoins abriter quelques logements en classe F ou G.
J'indique à mon tour que le choix du niveau d'intervention sur les bâtiments dépend de chaque cas particulier. Au Village Saint-Paul, nous avons pu rénover des logements en ayant recours à l'isolation par l'extérieur et en trouvant le moyen de dialoguer avec les architectes et les ABF, et ça marche. Dans certains cas, où nous n'avons pas encore pu dégager les meilleures solutions avec les ABF, c'est plus compliqué. En tout état de cause, une rénovation doit être poussée au maximum de son efficacité pour éviter d'intervenir deux fois, ce qui saturerait nos moyens financiers et humains. Pour respecter la trajectoire de rénovation dans des limites financières raisonnables, il est crucial d'optimiser le niveau des interventions.
M. Philippe Folliot. - Ma question s'adresse à la présidente de l'USH et porte sur certains bailleurs et collectivités qui se trouvent dans une situation inextricable. Hier, j'étais dans la commune de Saint-Benoît de Carmaux qui comporte 60 % de logements sociaux construits, pour l'essentiel, dans les années 1920 pour accueillir les mineurs et je précise que la situation est similaire dans les communes voisines de Cagnac-les-Mines, Blaye-les-Mines ou Carmaux. On est en présence de logements collectifs horizontaux, pour la plupart classés E, F ou G en termes de performance énergétique, dans des communes qui ont perdu entre le quart et le tiers de leur population au cours des 15 à 30 dernières années. Le bailleur, en l'occurrence 3F, qui a repris les actifs des anciennes houillères des deux communes, rencontre des difficultés pour réhabiliter tous ces logements et les faire passer de la classe F à une classe plus élevée. La loi rend également la cession de ces logements compliquée. À partir de 2025, ils se retrouveront donc dans une situation où ils ne pourront ni réhabiliter ni vendre ces logements.
Ne faudrait-il pas envisager un cadre plus souple pour faciliter des schémas d'accession sociale à la propriété sur ces territoires dont je précise qu'ils restent sous-tendus en matière de logement ? Les personnes ayant acquis des logements pourraient alors effectuer eux-mêmes les travaux de rénovation énergétique sous le contrôle d'artisans ou d'organismes agréés tandis que les organismes pourraient réinvestir le produit de ces ventes dans la réhabilitation du parc existant sur les communes concernées.
Cela mérite un examen attentif car nous sommes ici dans la situation que vous avez décrite où la mise aux normes énergétique coûte presque aussi cher que la valeur des biens qui sont, en l'occurrence, situés dans des secteurs où le prix du foncier est relativement bas. Les attentes de la part des collectivités sont très importantes sur ce sujet et celles-ci voient avec beaucoup d'inquiétude se rapprocher l'échéance de 2025.
Mme Emmanuelle Cosse. - Votre question est extrêmement pertinente car on parle ici d'un patrimoine ancien et qui est occupé, même si on relève un peu de vacance. J'ai évoqué le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais mais il faut prendre en compte l'ensemble du patrimoine des houillères situé dans le Grand Est, en Lorraine et aussi le Sud. Les loyers y sont extrêmement bas et les locataires sont souvent au niveau du seuil de pauvreté. Plusieurs observations doivent être faites. D'abord, ce patrimoine, plutôt individuel, a généralement des qualités architecturales réelles : certains bâtiments sont classés et font partie des cités jardins. Ensuite, leurs modes de chauffage sont plutôt individuels et la réhabilitation de ces logements est plus coûteuse : dans le cas d'une tour on peut abaisser le prix à moins de 40 000 euros mais, pour rénover une maison individuelle, il faut compter au moins 60 000 euros car pour ramener de la sobriété on refait les toitures, les planchers et les sous-sols dans des zones où à certains endroits, il n'y a pas de fondations. Par ailleurs, c'est un patrimoine utile, habité, qui contribue à la revitalisation de certains territoires et qui entre parfois dans les périmètres d'Action coeur de ville. Si ce patrimoine a été identifié par les bailleurs dans leur convention d'utilité sociale (CUS), il peut être vendu même s'il est étiqueté F ou G : c'est paradoxal mais c'est la règle en vigueur. Faute d'identification, il faut faire des travaux, quoi qu'il arrive, pour le vendre. J'estime d'ailleurs normal que le bailleur fasse des travaux pour améliorer la classe énergétique de ce patrimoine, car il ne me semble pas souhaitable que les futurs propriétaires se retrouvent avec un patrimoine aussi complexe à réhabiliter - mais cela ne suffira pas. Je constate que les bailleurs essayent de vendre ces logements mais ne trouvent pas d'acheteurs, dans un contexte où la vente d'HLM est à un niveau qui tend vers zéro. À supposer même qu'on mette en place des programmes d'accession sociale, je pense qu'a minima, il faudrait que les bailleurs puissent construire les programmes de travaux par classe énergétique à gagner. Il me semble même que nos organismes devraient pouvoir réaliser les travaux de rénovation du patrimoine en vente pour le compte des futurs propriétaires individuels pour leur éviter des difficultés. Aujourd'hui, à la demande de certains maires nous rachetons du patrimoine que nous avons vendu il y a 25 ans parce que financièrement, les travaux n'ont pas été faits. Il serait intéressant d'envisager une solution sous la forme d'un plan concerté, en associant l'intervention de l'Anah et des crédits de la rénovation du parc privé. J'ajoute que ce patrimoine se rattache à notre histoire industrielle et procure une très bonne qualité d'habitat, avec des espaces extérieurs, même si les salles de bain sont petites et que le bâti est mal adapté au handicap. Il faut donc trouver des moyens financiers pour le rénover, ce qui me ramène à mes remarques précédentes sur notre absence de visibilité dans ce domaine. Par ailleurs, certains éléments de ce patrimoine se prêtent à une massification des gestes de travaux et donc à des économies de coût en planifiant les interventions.
J'en termine en évoquant la transparence sur les coûts des matériaux. Nous avons obtenu de la part de Bruno Le Maire la mise en place d'un observatoire sur ce thème, depuis deux mois, et le ministre a indiqué que, pour l'instant, les industriels ne jouaient pas assez le jeu de la transparence sur le coût des matériaux. C'est un facteur de surcoûts des travaux de rénovation et d'incertitude pour en chiffrer le montant.
M. Franck Montaugé. - Merci pour la clarté de vos interventions et leur qualité pédagogique sur des sujets complexes. Je voudrais d'abord savoir si vous avez des retours d'expérience sur l'efficacité des travaux de rénovation énergétique dans l'hypothèse où ceux-ci ont été correctement réalisés.
Ma deuxième question est fondée sur mon expérience personnelle dans un quartier, à Auch dans le Gers, qui relevait à la fois dans la politique de la ville et du PNRU. J'ai été témoin, à regret, d'un programme de réhabilitation dont l'aspect qualité de l'habitat a été complètement éludé. Comme vous l'avez suggéré, il faut traiter simultanément les dimensions de rénovation, d'énergie et d'habitabilité qui relèvent d'objectifs distincts mais qui sont, du point de vue des habitants, tous aussi importants les uns que les autres. Dans ces conditions, ne faut-il pas pondérer l'importance de l'objectif climatique en réintroduisant plus fortement dans les programmes la qualité de vie ?
Mme Anne-Claire Mialot. - En ce qui concerne les économies d'énergie générées par la rénovation, nous n'avons pas dans le cadre du NPNRU, de retour d'expérience suffisant pour l'instant, car le programme est encore en phase de déploiement.
Nous souhaitons, avec la présidente Catherine Vautrin, renforcer le monitoring des programmes de renouvellement urbains car nous avons parfois la désagréable sensation quand nous retournons dans des quartiers rénovés que le plan de gestion initial n'a pas été respecté. Une évaluation est en cours sur la mise en oeuvre du PNRU dont les résultats seront publiés cet automne, ce qui permettra de renforcer notre pilotage et notre droit de suite, justifiés par les investissements massifs qui sont alloués.
Par ailleurs, les problématiques d'habitabilité et de confort de vie se manifestent souvent en cas de relogement, quand les locataires quittent des logements assez vastes et à des niveaux de loyer bas, pour habiter des logements neufs, avec des loyers éventuellement plus élevés, une surface moindre et une moins bonne habitabilité parce que les pièces d'eau sont très grandes mais les pièces de vie beaucoup plus petites.
La qualité et le coût des logements sont un sujet dont nous discutons avec le Conseil national de l'ordre des architectes et nous devons renforcer ce travail collectif. Je mentionne qu'après le confinement, nous avons beaucoup insisté sur la mise en place de balcons pour répondre au besoin d'espaces extérieurs. Nous devons également réfléchir à la restructuration de logements de grande taille construits dans les années 1960 et 1970.
Comme cela a été souligné, la question du vieillissement de la population est cruciale dans les quartiers en renouvellement urbain et il est nécessaire d'offrir aux personnes âgées des logements, des espaces extérieurs adaptés, ainsi que des services publics et des commerces à proximité des immeubles. Je pense qu'au-delà de la question énergétique, il est essentiel de travailler sur la qualité de l'habitabilité des logements.
M. Franck Montaugé. - Juste une remarque sur l'habitabilité : je regrette que, dans le cas concret de rénovation que j'ai mentionné, la possibilité technique de créer des baies vitrées n'ait pas été prise en compte. Je pense que la relation entre l'habitant et son quartier est un déterminant fondamental de son rapport de citoyenneté avec sa ville. Agir ensemble, qui est l'essence du politique, passe par de tels aménagements qui n'ont l'air de rien mais qui sont en réalité fondamentaux, y compris pour améliorer l'attractivité des bâtiments ainsi que des quartiers qui l'ont perdue. Cela peut apparaître comme des dépenses supplémentaires mais à plus long terme, ces dépenses apportent des bénéfices sociaux, sociétaux et politiques dans le bon sens du terme. J'exprime donc un regret pour ma ville, tout en rendant hommage aux acteurs du logement social.
M. Emmanuelle Cosse. - Votre question est au coeur du sujet : la réhabilitation touche un domaine très sensible puisqu'on entre chez les gens, qu'ils soient propriétaires ou locataires. Je ne remets bien entendu pas en cause l'objectif de décarbonation, mais le locataire se préoccupe avant tout du chemin piéton pour accéder à son logement, de l'ascenseur qui ne fonctionne pas ou de la boîte aux lettres qui n'est pas à bonne hauteur et, je vais le dire franchement, à la limite, il se moque de savoir si son appartement va contribuer à la décarbonation du pays. C'est pourquoi nous plaidons plutôt pour que nos interventions chez les locataires répondent à la fois aux enjeux énergétiques mais aussi aux désagréments actuels. Je mentionne également ici les questions importantes du bruit, de l'adaptation des logements au vieillissement et les nouvelles demandes concernant par exemple le stationnement des poussettes et des vélos.
De plus, la qualité du logement est très importante et, sur ce sujet, le rapport de 2021 de Laurent Girometti, directeur général d'Epamarne, et François Leclerq, architecte urbaniste, réalisé à la demande de la ministre Emmanuelle Wargon, met en évidence des éléments assez simples : on a besoin de logements traversants pour favoriser les courants d'air ainsi que de cuisines fermées, contrairement à la nouvelle tendance qui consiste à supprimer les cuisines pour gagner de l'espace et qui rend la vie inconfortable pour les familles. Les chambres doivent avoir une taille convenable et, si possible, des placards doivent être intégrés dans la conception du logement, comme c'était le cas dans les logements sociaux jusque dans les années 1980 pour améliorer l'habitabilité. Aujourd'hui, certains de nos locataires HLM quittent d'anciens logements qui, certes, présentent des problèmes urbains mais sont d'une habitabilité bien meilleure - non seulement en termes d'espace, mais aussi de configuration - à celle que leur offre le parc plus récent. Il est important de prévoir une cuisine fermée avec une fenêtre ainsi qu'une salle de bain disposant également d'une fenêtre plutôt que d'une climatisation ou d'une ventilation mécanique contrôlée (VMC) et j'observe que ces éléments contribuent au confort d'été. Ce rapport appelle aussi à repenser la manière dont les immeubles sont implantés, en tenant compte des courants d'air existants ou de leur absence pour améliorer la qualité de l'habitat. Nous essayons d'appliquer ces suggestions lors des réhabilitations. Cependant, je me souviens d'un cas où les locataires ont demandé à un bailleur de changer les boîtes aux lettres : au terme d'une étude de trois mois qui a abouti à une rénovation de 50 000 euros par logement, cette demande n'a pas été prise en compte. Je regrette ce type de situation et j'estime nécessaire de mieux écouter les personnes que nous logeons ainsi que les élus locaux.
De plus, je rejoins les propos de Mme Anne-Claire Mialot sur l'intérêt de mener les programmes de réhabilitation à l'échelle du quartier pour deux raisons. Tout d'abord, de nombreuses collectivités ont aujourd'hui des stratégies énergétiques, climatiques et de renaturation à l'échelle de leur territoire : parfois les bailleurs sociaux y sont associés mais leur participation devrait être plus systématique. Ensuite, il serait dommage de réfléchir à la question de l'énergie uniquement du point de vue résidentiel alors que des écoles ou d'autres bâtiments publics du même quartier pourraient bénéficier de l'énergie renouvelable produite par nos résidences pendant la journée. Or d'un point de vue législatif, il est extrêmement compliqué de réhabiliter à l'échelle du quartier, en dehors des opérations conduites par l'Anru. J'insiste sur ce point car pour respecter le calendrier de décarbonation, il faudrait lever les obstacles à cette généralisation de la rénovation au niveau des quartiers. Compte tenu des fonds publics très importants alloués à cette mission, il nous paraît souhaitable d'adopter une cible plus intelligente et plus large que celle du bâtiment dont on est propriétaire.
M. Simon Molesin. - S'agissant de l'efficacité des travaux dans la durée, nous essayons de mesurer les consommations réelles des bâtiments avant et après rénovation. Tout en sachant qu'un écart existe entre le théorique et le réel imputable à l'utilisation des DPE, nous constatons, pour les rénovations que nous avons réalisées depuis plus de trois ans, des gains sensibles en économie d'énergie. Là où nous sommes intervenus de manière très significative, les économies d'énergie durables, réelles et mesurables atteignent 40 % ou plus.
M. Alban Charrier, adjoint au directeur de la maîtrise d'ouvrage et des politiques patrimoniales de l'USH. - Les bailleurs utilisent beaucoup le contrat de performance énergétique avec leurs exploitants, principalement quand le patrimoine est équipé de chauffage collectif. Dans un tel cas, nos exploitants souscrivent un engagement de consommation et sont intéressés à le respecter dans la durée, avec des contrats qui s'étendent de 4 à 8 ans sur l'exploitation du chauffage. La consommation de base figurant dans le contrat est celle qui est normalement attribuée à la qualité du bâtiment. Ce mécanisme fonctionne assez bien pour les bâtiments collectifs mais c'est plus compliqué pour les bâtiments individuels où l'exploitant ne vient pas régulièrement entretenir le matériel. Dans le parc social, à la différence du parc privé, tous les équipements sont sous contrat de maintenance géré par le bailleur, ce qui permet a minima de maintenir dans la durée la qualité intrinsèque des équipements. Pour améliorer ce système - basé sur des calculs conventionnels théoriques incluant un scénario d'occupation qui diverge souvent de la réalité - on a besoin du meilleur accès possible aux données : on en dispose pour le chauffage collectif mais pas suffisamment pour les logements individuels, ce qui limite nos possibilités d'identifier les bâtiments qui dérivent pour pouvoir cibler les interventions.
Mme Sabine Drexler. - J'aimerais savoir comment est appréhendé le bâti d'avant 1948 qui a une valeur patrimoniale ou architecturale. Comment sont prises en compte ses spécificités, et estimez-vous que sa préservation est garantie ?
M. Emmanuelle Cosse. - Ce patrimoine ancien appelle plusieurs observations. Tout d'abord, nous pensons que le DPE actuel doit être adapté car leur mode de calcul défavorise systématiquement une partie du parc ancien et il est extrêmement difficile pour celui-ci d'améliorer sa classe énergétique. Ensuite, nous devons trouver des solutions qui permettent de concilier sa préservation avec la performance des travaux en utilisant des écomatériaux ou de matériaux nobles. Dans ce domaine, nous rencontrons des difficultés réelles concernant les briques et les pierres. Enfin, s'agissant des bâtiments classés, nous rencontrons un refus par les ABF de l'isolation par l'extérieur des façades et même des difficultés pour la rénovation des cours intérieures. Nous manquons clairement de techniques adéquates dans ce domaine et, de plus, dans certains territoires, il est interdit d'utiliser de nouveaux matériaux.
Je signale cependant des expériences intéressantes comme l'utilisation du béton de chanvre pour la rénovation intérieure du patrimoine classé dans le bassin minier : ce procédé donne des résultats très encourageants dans ces bâtiments que l'on ne peut pas encapsuler mais implique de vider les logements en procédant à deux déménagements. Sur ces sujets très techniques, la recherche, l'innovation et l'approche des architectes peuvent nous être très utiles. Cependant, je tiens à souligner que la loi a prévu qu'un décret fixe des critères de délimitation et de traitement des bâtiments patrimoniaux : à ce jour, ce texte d'application n'a pas été publié. Nous en sommes donc réduits à laisser de côté le patrimoine sur lequel nous ne savons pas comment il faut intervenir : dans cet ensemble, les bâtiments relevant de l'étiquette G aujourd'hui occupés ne pourront donc pas être remis en location. Même si, dans un contentieux futur, la justice nous reconnaissait le droit de ne pas effectuer de travaux sur ce patrimoine, les logements resteraient considérés comme indécents : en tant que bailleur social, cela nous pose un véritable problème de ne pas pouvoir les louer ou de les louer sans pouvoir percevoir de loyers. Ces enjeux patrimoniaux concernent une part importante de notre parc et notre ressenti est que nos questions restent sans réponse.
M. Simon Molesin. - Je constate à mon tour il n'y a pas de réponse uniforme sur le patrimoine ancien. Comme je l'ai déjà mentionné, nous avons réalisé des travaux d'isolation par l'extérieur au Village Saint-Paul ; cependant sur du patrimoine classé en briques rouges, c'est plus compliqué et la difficulté est que le même programme de travaux peut être accepté par certains ABF mais pas par d'autres, avec un aléa qui peut nous placer en position difficile. Nous devons rechercher collectivement des solutions, y compris avec les centres de recherche, pour améliorer les matériaux et la durabilité des rénovations. Des incertitudes subsistent également sur la qualité de l'air des bâtiments que l'on va fortement isoler : il faut réintroduire de la ventilation pour éviter les moisissures et s'adapter à leur densité d'occupation accrue. Par ailleurs, nous sommes confrontés à des défis supplémentaires comme le refus par les ABF de l'isolation par l'extérieur dans des petites courettes de cinq mètres carrés.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions sincèrement pour ces informations très intéressantes et complètes. Votre expertise et votre engagement sur ces sujets sont indéniables. Merci beaucoup et bonne soirée.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de l'entreprise Schneider Electric
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de l'entreprise Schneider Electric.
Monsieur le Directeur, vous occupez ce poste depuis 2000 et vous êtes, depuis 2021, vice-président Citoyenneté et relations institutionnelles de l'entreprise. Ingénieur de formation, vous êtes également engagé pour l'environnement en dehors de Schneider Electric en tant vice-président de la commission environnement du Conseil économique social et environnemental (Cese) depuis 2021. Votre entreprise est spécialisée dans les solutions numériques d'énergie et d'automatisation. Elle propose notamment, et c'est ce qui intéresse notre commission aujourd'hui, des technologies permettant d'optimiser l'efficacité énergétique des bâtiments. Pouvez-vous, de manière générale, présenter l'action de Schneider Electric dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments ?
Les solutions que vous proposez permettent de réguler les consommations le plus efficacement possible dans un objectif de sobriété, mais également de prévoir les travaux nécessaires de rénovation énergétique. Quelle place ces solutions doivent-elles selon vous occuper dans l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du bâtiment résidentiel ? L'optimisation de la consommation d'énergie par la technologie peut-elle compenser le trop faible nombre de travaux de rénovation énergétique entrepris ? Enfin, nous interrogeons également, dans le cadre de cette commission d'enquête, la gouvernance des politiques publiques de rénovation énergétique des bâtiments. Estimez-vous, en tant qu'acteur de la rénovation, être suffisamment associé à la conception et à la mise en oeuvre des politiques publiques de rénovation énergétique ? Quel rôle les acteurs privés doivent-ils selon vous jouer dans l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre du bâtiment ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gilles Vermot Desroches prête serment.
M. Gilles Vermot Desroches, directeur du développement durable de l'entreprise Schneider Electric. - Merci pour votre invitation. Je voudrais, avant de présenter en quelques mots les métiers de Schneider Electric, faire deux observations. Tout d'abord, si votre commission avait eu lieu il y a quelques années, elle se serait sans doute appelée « rénovation thermique » et pas « rénovation énergétique ». En effet, la réglementation thermique RT2012 a, pendant un moment, porté le nom de « régulation énergétique 2012 » : cette remarque de vocabulaire est importante, car elle donne une cohérence globale à la notion d'énergie et montre le chemin parcouru depuis une vingtaine d'années. Le deuxième point notable est que, dans le cadre de votre commission, vous invitiez Schneider Electric à répondre à vos questions et, à travers elle, un des acteurs du Groupement des entreprises de la filière électronumérique française (Gimelec) ainsi que de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC). Il n'est pas certain que, dans le passé, on ait pu envisager que ces entreprises puissent apporter un point de vue intéressant sur ce sujet. Ces deux premières observations ont un lien avec la réflexion sur le comportement des habitants et des gestionnaires de bâtiments - j'y reviendrai.
En tant que membre du Conseil économique social et environnemental (Cese), je rappelle la publication, fin 2022, de notre rapport intitulé Pour des bâtiments plus durables grâce à une ambitieuse politique de rénovation. Il a été adopté par l'ensemble des groupes du Cese, il n'est pas facile d'obtenir un tel accord sur un document qui comporte une vingtaine de préconisations. En préparant cette audition, j'ai relu ce rapport consensuel qui s'appuie sur de nombreuses auditions et formule quelques réponses aux questions que vous vous posez.
Au fond, je viens vers vous avec une question préalable plutôt qu'une réponse : aujourd'hui, en 2023, le numérique bouleverse-t-il la performance énergétique du bâtiment et plus généralement du système énergétique français - ou même mondial, puisque Schneider Electric est présent dans tous les pays ? Les solutions que nous mettons en oeuvre dans différents pays varient en fonction de leurs politiques publiques et de leurs réalités énergétiques ou dans le domaine du bâti. En réponse à cette interrogation, Schneider Electric apporte une idée et une contribution en démontrant que le numérique modifie drastiquement le rapport entre les investissements et les performances du bâtiment. Cela ne signifie pas que les gestes de rénovation comme l'isolation, le changement des fenêtres ou les interventions sur les combles sont inutiles. Notre message est différent : nous proposons, pour un logement, un bâtiment tertiaire ou un bâtiment public, d'améliorer la performance énergétique de 20 à 50 % avec un investissement de 10 à 20 euros par mètre carré. Je précise que le gain est de 20 à 30 % pour le bâti résidentiel et atteint son maximum de 50 % dans le cas particulier des bâtiments scolaires à condition d'utiliser un appareillage intelligent de pilotage numérique. Vous conviendrez qu'il y a là une disruption de méthode par rapport à la rénovation classique du bâtiment qui nécessite généralement un investissement de 200 à 2 000 euros par mètre carré pour atteindre une performance habituellement située entre 20 et 30 % de réduction de consommation énergétique.
Le numérique est un outil de pilotage simple : par exemple, avec un simple téléphone mobile, je peux, à distance, contrôler et modifier la température de chaque pièce de mon logement, l'éclairage, les détecteurs de fumée, l'ouverture des portes ou des fenêtres, etc. Le coût total d'installation de ces instruments de pilotage dans un logement normal - chauffé à l'électricité ou par boucle d'eau chaude - est de 700 à 1000 euros : on met en place, par exemple, des vannes connectées au système de régulation du chauffage ou des capteurs sur les prises électriques. Ces outils permettent de téléguider toutes les consommations de votre maison, reléguant ainsi le thermostat au rang d'ancêtre.
Pour montrer l'intérêt de ce procédé, je prendrai l'exemple d'actualité du bâtiment scolaire : la boucle d'eau chaude représente de 3 à 5 % de sa consommation énergétique, uniquement pour assurer en permanence son fonctionnement. La très grande majorité des bâtiments scolaires n'ayant pas de régulation de la boucle d'eau chaude, celle-ci est activée jour et nuit pendant toute l'année. En la stoppant pendant les deux tiers du temps où les bâtiments scolaires sont inutilisés, on peut bénéficier d'un gisement d'économie significatif. De plus, en installant de petits connecteurs, qui coûtent à l'unité moins de 10 euros, sur chaque fenêtre ou chaque porte, le chauffage ou la climatisation peut s'arrêter automatiquement en cas d'ouverture prolongée de ces dernières ou d'inoccupation du local, sauf si on programme une activation avant l'arrivée des élèves.
L'ensemble de ces petits gestes et ce pilotage automatique font passer de la sobriété - qui se limite à des actions ponctuelles au moment où on reprend conscience de la nécessité de consommer moins - à l'efficacité systématique. J'ai piloté pendant l'hiver dernier - où la hausse des prix a donné plus de crédit à la nécessité de l'efficacité énergétique - un groupe de travail du Collège des directeurs du développement durable (C3D), consacré à la sobriété dans les bâtiments tertiaires d'entreprises de toutes tailles. Des systèmes de Gestion technique du bâtiment (GTB) sont maintenant obligatoirement installés dans chacun des bâtiments, publics ou privés, de plus de 1 000 m2, seuil bientôt abaissé à 500 m2. 10 % des GTB françaises sont programmées, c'est-à-dire installées, et l'électricité y passe sans aucun obstacle, comme si elles n'existaient pas. Il suffit donc de les mettre en place ou de les réinitialiser pour générer des économies d'énergie.
Le numérique change donc la donne énergétique dans plusieurs dimensions. En premier lieu, il apporte un remède au point faible de toutes nos politiques d'efficacité énergétique des 20 dernières années : la numérisation produit des données. Je rappelle que les compteurs Linky ont été conçus avec cet objectif, mais l'élaboration des normes ne s'est pas suffisamment appuyée sur des mesures chiffrées. Ainsi, le décret BACS (« Building Automation & Control Systems »), qui détaille en 250 pages les consommations usage par usage, a été construit à l'évidence sans disposer de données initiales suffisantes. Ce manque de données entrave, depuis le Grenelle de l'environnement, les possibilités de définir des outils de régulation efficaces et réalistes.
Le deuxième avantage du numérique est de permettre le contrôle de la consommation en fonction de la présence des occupants, de la température extérieure et des usages de chaque pièce du bâtiment, en individualisant les lieux de consommation. Ce contrôle est possible quel que soit le mode de production de chaleur, mais il est maximisé en cas de chauffage électrique.
Troisièmement, le numérique favorise la flexibilité d'usage, et, en quatrième lieu, il permet de définir l'étape de demain. En effet, si chacun d'entre nous, dans une logique prospective, pouvait dessiner la ville et le bâtiment de 2050, ce dernier aurait, en toute certitude, au moins deux particularités : il serait tout électrique et disposerait d'une capacité autonome de produire une partie de son énergie, en particulier par des moyens solaires. Comme on ne produit qu'un pour cent de notre parc de bâtiments par an, une grande partie des logements vont être rénovés, mais toutes les constructions neuves devraient prendre en compte ces caractéristiques, en positionnant le bâtiment comme instrument central de la flexibilité énergétique. Or, il est regrettable qu'on produise encore certains logements sans équiper le parking souterrain en prises électriques, alors que tout le parc de véhicules légers fonctionnera bientôt avec cette énergie. Il est étonnant que la réglementation n'impose pas l'installation de bornes de recharge dans les constructions neuves.
Parallèlement, on constate aujourd'hui, singulièrement après la pandémie, qu'une grande partie de la population utilise avec aisance le numérique qui devient de plus en plus convivial, conversationnel et facile à utiliser, même pour les grands-parents. Nous estimons donc nécessaire que les rénovations et les constructions anticipent dès à présent les caractéristiques de notre consommation d'énergie de demain dans les bâtiments et placent ces derniers au centre de la flexibilité générale ainsi que de l'interaction entre l'offre et la demande.
Il faut donc penser différemment le bâtiment et mieux articuler les raisonnements aujourd'hui trop cloisonnés sur la production et la consommation d'énergie. Quand on parle de mix ou de politique énergétique du pays, on ne pense généralement qu'à ses vecteurs ou ses modes de production. Si on prenait sérieusement en compte la capacité de baisser de 30 % la consommation énergétique des bâtiments en investissant ce sujet - non pas comme la « cerise sur le gâteau », mais en considérant l'efficacité énergétique comme une production à part entière - on pourrait redéployer les financements vers la réduction de la consommation et on émettrait moins de CO2 tout en qualifiant nos biens immobiliers.
Le logement doit être envisagé dans sa flexibilité d'usage et certains pays mettent d'ores et déjà en oeuvre cette démarche : je rappelle ainsi qu'à l'horizon 2025, la batterie automobile deviendra un pourvoyeur d'énergie pour le logement puisqu'elle pourra se charger et se décharger dans les deux sens. Ce sera particulièrement utile pour gérer le pic de consommation, qui reste la principale difficulté énergétique en France comme ailleurs : il s'agit de 1 000 heures par an de pics de consommation qui représentent entre la moitié et les deux tiers des émissions de carbone issues de la production électrique française. Il est donc essentiel, pour la sécurité énergétique du pays, de réduire en permanence la consommation d'électricité et de façon particulièrement drastique pendant les périodes clefs de pointes qui surviennent par exemple par temps de froid hivernal.
En deuxième lieu, une bonne partie des moyens que se donne la puissance publique pour accompagner la rénovation du bâtiment finance l'évolution des chaudières : plus des deux tiers des montants de MaPrimeRénov' y sont alloués. Nous estimons ici souhaitable de réfléchir à un passage direct au tout électrique - d'autant que la France est en train de se doter de l'appareil industriel ad hoc - et de ne financer que cette démarche-là. Je sais que tous les industriels ne partagent pas ce point de vue, mais je fais observer que notre filière de production de chaudières au gaz, qui est une référence au niveau mondial, est en train elle-même de produire des pompes à chaleur. Il convient d'accompagner cette transition et de l'accélérer : cela permettra de décarboner l'énergie en ayant recours à l'électricité - surtout en France -, de multiplier les possibilités d'autoconsommation ainsi que d'effacement de la pointe, et de nous rapprocher du modèle de la ville de demain en évitant de prolonger la vie des installations du passé.
S'agissant des vertus de l'autoconsommation, je vous invite à examiner l'expérience anglaise où le taux de précarité énergétique était traditionnellement 50 % plus élevé qu'en France, sachant que, selon les mesures, on recense entre 10 et 18 % de nos concitoyens dans cette situation. Au Royaume-Uni, il a été proposé aux personnes en précarité énergétique d'installer des panneaux photovoltaïques, ce qui diminue par deux leur consommation énergétique et les rend plus attentifs à la comparaison entre leur production autonome et leur consommation. On retrouve exactement le même souci d'optimisation chez tous les ménages français qui pratiquent l'autoconsommation et disposent d'instruments de mesure des flux : des études démontrent un engagement accru de ces personnes dans l'efficacité énergétique.
Tout cela invite à rapprocher les politiques publiques françaises de celles du nord de l'Europe qui font confiance à l'efficacité de la logique comportementaliste. En revanche, notre politique de rénovation énergétique ne l'est presque jamais : elle préfère des gestes qu'elle considère d'autant plus efficaces qu'ils sont très lourds alors même que le numérique rebat les cartes en permettant de privilégier des gestes simples, à faible coût et à efficacité immédiate. En investissant simplement 10 à 20 euros du mètre carré pour réduire de 20 % sa consommation énergétique, on dégage un retour sur investissement en moins de 5 ans - voire 2 ou 3 ans dans certains bâtis - permettant de financer la rénovation de son bien et de conserver ou d'accroître sa valeur. S'ajoute à ces 20 % de gain en efficacité énergétique une division par vingt des allocations publiques pour parvenir à ce résultat. Avec le même montant de financements publics, on pourrait donc accompagner vingt fois plus de gestes à visée comportementaliste et intégrer plus de citoyens dans cette démarche. Je souligne également que l'installation de dispositifs de pilotage intelligent n'empêche pas l'usage du logement pendant la rénovation, à la différence des opérations lourdes qui impliquent un déménagement. Au sortir de l'hiver 2022 et de la communication sur la sobriété énergétique, le moment est propice pour généraliser l'approche comportementale que le numérique va permettre d'automatiser à bas coût, dans une logique de confiance avec la puissance publique.
L'autre point qui me paraît important est de penser le bâtiment du futur en dynamique et dans son usage en cohérence avec les politiques énergétiques. En particulier, le bâtiment doit devenir la brique centrale de la relation avec le transport, dans une trajectoire globale vers le tout électrique.
Troisièmement, l'État régulateur doit montrer l'exemple à travers le bâtiment public, qui représente environ un tiers du bâtiment tertiaire et 400 millions de mètres carrés, dont un tiers pour le bâti appartenant à l'État et deux tiers pour celui des collectivités territoriales ou d'autres entités publiques. La puissance publique a un rôle central à jouer pour l'acquisition des compétences, d'une part, en formation initiale pour donner de la noblesse ainsi que de l'attractivité à ces métiers et, d'autre part, pour améliorer l'accompagnement de l'évolution des compétences des salariés, par exemple en permettant à l'employeur de trouver plus facilement un remplaçant au salarié en stage de formation continue. L'attractivité pour les jeunes de ces métiers portant sur le numérique et l'énergie est un enjeu capital pour mener des politiques publiques qui ne s'attachent pas simplement à financer des gestes parce qu'ils sont lourds, mais aussi à accompagner des actions utiles en efficacité énergétique. Je conviens qu'il peut être plus compliqué de financer beaucoup de petits gestes que quelques grosses rénovations, mais, en renforçant les capacités de formation aux métiers dont nous parlons, on pourra éviter de renoncer à des interventions performantes en raison de la pénurie de professionnels compétents dans ce domaine.
Je vous ai ainsi résumé l'apport d'entreprises comme Schneider Electric dans un domaine technique qui, historiquement, a plutôt été réservé aux bâtiments tertiaires, mais qui peut aujourd'hui trouver sa place au coeur des politiques publiques d'efficacité énergétique. C'est d'autant plus vrai que, dans notre pays, les pouvoirs publics sont très influents, voire intrusifs, en matière de politiques énergétiques. Je crois pouvoir affirmer qu'il n'y a pas d'autres exemples que la France où le législateur décide avec autant de précision des cibles et du montant des subventions, avec des choix qui varient souvent chaque année. Par exemple, il y a 12 ans, j'ai refait le chauffage et l'eau chaude dans ma maison. Le législateur avait décidé cette année-là qu'il valait mieux installer séparément à la fois une pompe à chaleur pour l'eau chaude et une chaudière pour le chauffage : une telle installation bénéficiait de 40 % de déduction fiscale contre 30 % pour l'achat d'une seule chaudière affectée aux deux circuits. Cet encouragement fiscal a été ponctuel pendant une seule année et illustre la singularité de notre législation qui va très loin dans le détail des solutions techniques.
Je mentionne également que, pendant un an - et avant d'être réintroduites - les incitations à s'équiper de thermostats de chauffage ont été retirées, car ces appareils n'étaient pas considérés comme assez coûteux. Si la France persiste dans cette méthode, elle doit au moins permettre de financer les outils de changement comportemental des consommateurs d'énergie. J'estime que l'Ademe doit mieux favoriser cette évolution et aurait dû jouer un rôle plus important dans le plan de sobriété lancé l'hiver dernier. On peut cependant comprendre que les salariés de l'Ademe, qui accompagnent les Français dans leurs gestes d'efficacité énergétique, n'osent pas mentionner les solutions que je vous ai présentées, car on les imagine mal expliquer à nos concitoyens le paradoxe selon lequel les subventions ne sont pas allouées aux outils de pilotage bon marché et très performants. Il me semble que notre dispositif incitatif en faveur de la rénovation du bâtiment - plus massif qu'ailleurs - devrait intégrer ces gestes de pilotage numérique même s'il est plus complexe de les financer et s'ils sont moins chers ainsi que plus vite rentables - faute de quoi ces outils ne seront pas installés. L'expérience de Schneider Electric permet de constater que la solution que je vous ai présentée pour le résidentiel, que nous appelons « Wiser », est très répandue dans les pays où il n'y a pas d'accompagnement public à la réduction de la consommation énergétique. En effet, quand le consommateur finance seul un investissement, il choisit l'efficacité à moindre coût. Je pense donc qu'il faut inclure en France les outils numériques dans l'accompagnement de l'efficacité énergétique pour leur permettre plus largement, et autant que dans d'autres pays, de rebattre les cartes de l'efficacité énergétique et de remplir leur rôle pédagogique de sensibilisation en soutenant les professions compétentes pour ces gestes d'installation.
Dans une période transitoire, on pourrait également imaginer de coupler les travaux d'efficacité énergétique passive avec l'installation d'un pilotage actif, tous deux subventionnés avec un accroissement de leur efficacité globale démontrée par des études, sans pour autant alourdir sensiblement la facture de la rénovation.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour ces explications très riches. Je souhaite formuler plusieurs remarques sur le rôle du numérique dans le système énergétique des bâtiments et je me demande si on ne peut pas apporter certains tempéraments à vos propos.
Tout d'abord, je vous rejoins sur le fait que la maison de 2050 évoluera vers l'indépendance et l'autonomie énergétique, ce qui peut se rattacher à l'atténuation de la confiance à l'égard du service public d'alimentation en électricité. Cependant, le numérique peut également apparaître comme porteur d'une autre forme de dépendance. Vous avez ensuite souligné à juste titre que le fait de produire sa propre énergie favorise la diminution de la consommation ainsi que des comportements plus responsables. Toutefois, je ne suis pas certain que cela soit directement lié au numérique : cette sobriété semble surtout guidée par la capacité d'observer ce que l'on produit soi-même : ma grand-mère, lorsqu'elle utilisait du bois de chauffage, faisait très attention aux quantités qu'elle consommait pour pouvoir en disposer les jours suivants, sans pour autant disposer de technologies numériques.
L'intérêt du numérique pour favoriser les économies d'énergie me paraît, en revanche, incontestable surtout en installant des outils à bas coût et à l'efficacité démontrée. Toutefois, dans une passoire thermique ou un logement indigne, on a beau diminuer la consommation d'énergie en pilotant le chauffage, cela ne suffit pas à régler les problèmes de bâti et de santé liés à l'insalubrité, l'humidité ou la ventilation. Le confort ne peut pas être optimal dans une maison mal isolée, même en chauffant à 22 ou 23 degrés, car des différences de température subsistent entre les différentes pièces. Je pense que les deux types d'interventions sont complémentaires et qu'il ne faut pas se limiter à l'intervention numérique sur des bâtiments très dégradés.
Je souligne l'importance de la maintenance et de l'accompagnement pédagogique autour de ces outils. J'ai vu, par exemple, des groupes scolaires où le pilotage fonctionnait bien au début puis, avec le temps et faute de maintenance, le chauffage s'est complètement déréglé, ce qui a entraîné des consommations d'énergie beaucoup plus importantes. Je cite également l'expérience comparée de deux collèges : l'un avait réalisé une ventilation totalement naturelle - avec une sensibilisation à l'usage - et l'autre disposait d'installations pilotées. Au bout du compte, l'absence de ventilation mécanique génère des économies d'énergie et évite les difficultés d'arrêt ou de redémarrage parce qu'il suffit d'ouvrir une fenêtre donnant sur une coursive.
J'en viens à plusieurs questions : tout d'abord, avez-vous été associés aux travaux de mise au point du DPE, puisqu'il serait intéressant d'y inclure un volet numérique ? Une interrogation similaire peut-être formulée à propos du dispositif Mon Accompagnateur Rénov' qui vient d'être mis en place ; l'entreprise Schneider Electric envisage-t-elle de solliciter une demande d'agrément dans ce secteur ?
M. Gilles Vermot Desroches. - Vos questions, qui expriment l'inquiétude sur le numérique et les doutes quant à son potentiel, appellent plusieurs observations.
Tout d'abord, à mon sens, les personnes qui installent des panneaux photovoltaïques se lancent dans cette démarche non pas tant par manque de confiance vis-à-vis de la puissance publique ou pour s'autonomiser que pour s'inscrire dans le XXIe siècle qui est celui de la montée de l'économie circulaire. Dans beaucoup de secteurs, on invite nos concitoyens à devenir la fois producteurs et consommateurs et les jeunes ménages sont particulièrement sensibles à cette logique.
Par ailleurs, le solaire vient de diviser son prix par dix en 10 ans et devient dans beaucoup de pays l'énergie la moins chère. Je précise que l'entreprise Schneider Electric ne vend pas d'installations solaires, mais sur la base des chiffres de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la majeure partie de la nouvelle production électrique mondiale est solaire depuis plusieurs années. On constate donc l'existence d'une industrie d'autoconsommation très puissante et très efficace qui soulève certaines difficultés, de même que les autres sources ou vecteurs d'énergie.
Les limites du pilotage numérique que vous évoquez sont bien réelles, mais on en trouve aussi dans d'autres domaines à commencer par les changements de chaudière préalables à l'isolation d'un logement qui aboutissent à installer des unités beaucoup trop puissantes.
La précarité énergétique est pour nous une préoccupation constante et Schneider Electric est la seule entreprise qui participe à la démarche « Stop à l'exclusion énergétique », tous les autres adhérents étant des ONG. Je précise que dans environ 10 % des cas, qui correspondent à la moitié des personnes en précarité énergétique vivant dans des passoires énergétiques, la solution de pilotage numérique ne fonctionne pas. Cependant, elle reste efficace pour 80 % des autres personnes et permettrait de réduire fortement le coût de la rénovation pour la puissance publique en réduisant de 20 % la consommation énergétique de la très grande majorité des logements. On dégagerait ainsi des ressources publiques pour rénover les passoires thermiques ce qui résoudrait également les problèmes de sécurité qu'elles posent puisqu'elles sont le lieu de 60 000 départs d'incendie par an en France.
Pour réduire la consommation énergétique, il faut d'abord la mesurer et surtout être attentif aux résultats obtenus sans céder à la tentation de juger de la pertinence d'une politique en fonction du seul critère du volume d'investissement requis. Je partage donc avec vous l'idée que ces solutions qui ont un impact positif à coûts très réduits méritent d'être encouragées à travers plus de maintenance - qu'il conviendrait d'organiser et de mutualiser au niveau des collectivités - et de formations à de nouveaux métiers.
Je rejoins votre constat selon lequel nos grands-parents étaient attentifs à leur consommation, mais je fais observer que le numérique permet à ceux qui aujourd'hui ne s'en préoccupent pas d'en prendre connaissance et d'identifier avec précision l'ustensile, la pièce ou l'acte quotidien le plus énergivore.
En réponse à vos questions, j'indique que Schneider n'a pas vocation à intervenir en tant qu'acteur du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Notre entreprise est un fournisseur de technologies permettant aux très grands acteurs comme Vinci Energies ou Eiffage, mais aussi à l'électricien de quartier, de disposer de solutions techniques afin de les installer chez les habitants : nous n'allons pas nous substituer à nos clients.
S'agissant du DPE, je rappelle ma longue expérience dans ce métier qui, dans notre pays, se traite en relation avec la puissance publique et je fais observer que le Gimelec - qui est le syndicat des entreprises relevant du même secteur que Schneider Electric - avait produit dès 2013 un document intitulé « Efficacité énergétique : l'outil majeur de la transition énergétique ». C'était probablement trop avant-gardiste pour l'époque et les solutions n'étaient pas aussi matures qu'aujourd'hui. Parallèlement, les choix de politiques énergétiques ou d'efficacité énergétique ont longtemps été essentiellement dictés par le maintien ou l'amélioration de l'emploi - plus encore que leur impact sur la consommation d'énergie. Lorsque je présentais des solutions techniques à la puissance publique, la première question qui m'était posée portait sur le nombre de créations d'emplois induites : c'était parfaitement légitime, car la France subissait une période de chômage bien plus élevé qu'aujourd'hui.
Aujourd'hui, on est probablement en train de redessiner l'emploi différemment pour la décennie à venir et le regard a changé sur l'importance des enjeux de carbone ou de production énergétique électrique française. Les producteurs de technologie et les utilisateurs ont également progressé en maturité. Je fais ici observer que le rappel des dysfonctionnements du passé n'enseigne pas grand-chose sur les usages d'aujourd'hui. Rappelons-nous les limites de nos premiers téléphones portables aujourd'hui relégués dans le passé et il en va de même pour les GTB d'il y a 5 ou 10 ans par rapport à celles d'aujourd'hui. Les utilisateurs de vidéoconférence se souviennent également des difficultés qu'ils rencontraient avant la pandémie et constatent une amélioration des systèmes avec moins de difficultés à se connecter. Le véhicule électrique que je possède aujourd'hui n'a plus rien à voir avec les premiers modèles et il en va de même pour la gestion intelligente du bâtiment résidentiel, collectif ou individuel. Je pense que la mesure de l'impact positif de ce pilotage numérique permettra de dépasser largement les 60 000 logements que nous avons équipés depuis 2017 pour atteindre rapidement une cible de 500 000 à 600 000 logements. Ces solutions à bas coût permettront d'aller plus vite sur les rénovations lourdes en y allouant plus de moyens. N'oublions pas que lorsqu'on subventionne largement la rénovation pour les ménages modestes, un reste à charge assez important persiste pour la plupart d'entre eux et certains ne sont pas en mesure de le payer. Il est souhaitable de leur proposer un premier geste peu coûteux et efficace pour réduire leur facture et ainsi augmenter leur capacité d'acquitter ce reste à charge. Quant à eux, les ménages plus aisés vont effectuer ces travaux non pas tant pour l'efficacité énergétique que pour valoriser leur bien immobilier.
Nous proposons donc un chemin vertueux, à condition de reconnaître que des gains de 20 à 30 % d'efficacité énergétique sont tout autant appréciables qu'ils proviennent de gestes à faible coût ou de lourds travaux de rénovation.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, pour vos explications.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 05.
Jeudi 11 mai 2023
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 30.
Rôle des collectivités territoriales dans la rénovation énergétique - Audition
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames, messieurs, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde sur le rôle des collectivités territoriales dans la conduite de la politique publique de rénovation énergétique. Nous vous remercions de votre présence et, par avance, des échanges que nous espérons les plus intéressants possible et porteurs d'avancées.
Nous recevons aujourd'hui les représentants de plusieurs associations d'élus. Il s'agit tout d'abord de l'Association des maires des France et des présidents d'intercommunalité (AMF), représentée par M. Guy Geoffroy, vice-président, maire de Combs-la-Ville et président de l'Association des maires et présidents d'intercommunalités de Seine-et-Marne. Nous accueillons ensuite Intercommunalités de France, représentée par Mme Anne Hébert, vice-présidente en charge du développement durable et de la mobilité de la communauté de communes Côte Ouest Centre Manche. L'association France Urbaine est représentée par M. Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon métropole et conseiller municipal délégué de Dijon. Enfin, nous recevons l'Association nationale des collectivités territoriales et de leurs partenaires pour la gestion de l'énergie, des déchets, de l'eau et de l'assainissement, en faveur de la transition écologique et de la protection du climat, dite Amorce, représentée par M. Nicolas Garnier, en qualité de délégué général.
Dans vos différentes fonctions en tant qu'élus locaux et par votre engagement au sein de ces associations, vous participez activement à la politique nationale de rénovation énergétique, notamment en offrant de nombreuses aides locales, à commencer par des dispositifs d'information et d'accompagnement qui permettent le déploiement local et l'adaptation, mais parfois aussi devancent ce qui est décidé à Paris. Ces actions en matière de rénovation s'insèrent, d'ailleurs, dans une politique et des compétences plus larges en matière d'urbanisme et de logement.
Les citoyens ne s'y trompent pas et se tournent, en première intention, vers leurs élus locaux et les services des collectivités pour être guidés et sécurisés dans leur démarche. Nos collectivités conservent des services de proximité et de contact avec les populations, ce que ne font pas - ou plus - les grandes agences nationales ou les services de l'État.
Dès lors, je voudrais vous interroger sur la manière dont vous voyez le devenir de France Rénov' et de l'accompagnateur Rénov' au regard de ce qui existe déjà, de leur financement et de leur déploiement sur l'ensemble du territoire. M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, auditionné la semaine dernière, a annoncé à notre commission d'enquête, le déploiement d'un guichet d'accueil et d'orientation dans chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI) d'ici à 2025. Qu'en pensez-vous ? Faut-il aller plus loin dans l'accompagnement et l'unicité des démarches ? Il me semble que les dynamiques locales sont particulièrement importantes pour jouer un rôle d'entraînement à travers des rénovations réussies, au risque cependant d'accroître les inégalités entre les collectivités ayant le plus de moyens et les autres, comme nous l'avons vu en Isère.
Dans le cadre actuel, nous avons reçu plusieurs témoignages de collectivités qui déplorent n'avoir aucune prise sur les aides relevant de MaPrimeRénov', n'ayant aucune information ou facilité à en obtenir pour accompagner des citoyens parfois en attente de précisions ou dans une situation d'incompréhension, alors même que ces collectivités peuvent être délégataires d'autres aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) au titre, par exemple, des aides à la pierre. Comment pourrait-on améliorer cette situation ?
En matière immobilière, je souhaiterais connaître la manière dont vous percevez, au sein de vos territoires, les conséquences du calendrier de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, sur le marché locatif, mais aussi sur les logements les plus énergivores. Observez-vous une tension accrue sur le marché locatif et une augmentation des mises en vente ?
Enfin, la rénovation est également une question de structuration d'une filière économique, allant des matériaux aux hommes et femmes qui réalisent les travaux. Comment vos collectivités s'engagent-elles pour accompagner ce secteur d'activité afin de réussir la transition écologique ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Guy Geoffroy, M. Jean-Patrick Masson, Mme Anne Hébert et M. Nicolas Garnier prêtent serment.
M. Guy Geoffroy, vice-président de l'AMF, maire de Combs-la-Ville et président de l'Association des maires et présidents d'intercommunalités de Seine-et-Marne. - Le sujet est très vaste et fait l'objet d'une très grande diversité d'approches, couvrant des aspects aussi bien philosophiques que très concrets relevant de questions de proximité.
Aussi l'Association des maires de France vous fera-t-elle parvenir tout document, faisant preuve de la plus grande précision possible et émanant de l'ensemble des commissions ou groupes de travail réfléchissant sur l'ensemble de ces sujets. Pour cette raison, mon propos introductif et mes réponses à vos questions s'efforceront d'être aussi précis que possible, mais ne seront pas exhaustifs.
Dans ce propos introductif, je souhaiterais alerter sur ce que sont les dispositions, sur ce qu'elles risquent d'entraîner et sur les mesures éventuellement envisagées, à propos desquelles nous aimerions aujourd'hui formuler des observations et des propositions.
La première remarque a trait aux dispositions de l'article 160 de la loi Climat et résilience issues, pour l'essentiel, des réflexions de la Convention citoyenne pour le climat. Le Parlement a alors décidé de limiter les dispositions que l'on peut qualifier de contraignantes à un calendrier et à un simple, mais parfois complexe, face-à-face entre le propriétaire privé et son locataire. Or, parallèlement à la judiciarisation des relations entre le propriétaire et le locataire, une série de propositions de la Convention citoyenne visait à la mise en place de mesures administratives, à la disposition des représentants de l'État pour ce qui les concerne, mais également des élus locaux dans le cadre de leur pouvoir réglementaire local ; mais ces propositions n'ont pas été retenues.
Il s'agit, en particulier, d'un malus sur la taxe foncière, qui aurait permis aux collectivités et, plus spécialement, aux communes, pour lesquelles la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties reste la seule recette fiscale sur laquelle ils peuvent agir, de disposer de ressources complémentaires au cas où elles devraient contribuer à l'atteinte des objectifs fixés par la loi.
Nous sommes persuadés que tout n'est pas sanction, mais lorsqu'une sanction existe, celle-ci doit dépasser le cadre - toujours complexe à mettre en oeuvre - des poursuites judiciaires déclenchées par un locataire à l'encontre d'un propriétaire. En effet, la complexité et les méandres - tout à fait nécessaires, par ailleurs - des procédures judiciaires peuvent conduire certains locataires à abandonner toute idée, ou même à ne pas avoir l'idée, d'exiger du propriétaire, par voie de justice, de rendre le logement décent dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi.
Cela me permet de formuler une remarque d'ordre général, déjà exprimée à propos d'autres sujets, en particulier le « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui n'est pas totalement éloigné de nos préoccupations d'aujourd'hui : oui, il faut fixer un calendrier, des objectifs et ne pas fixer de date butoir pour atteindre ces objectifs est toujours problématique, mais l'établissement d'un calendrier le devient également. En effet, le caractère certes progressif de ce calendrier, mais qui est toujours trop juste pour les premières dispositions concernées, démontre d'emblée la difficulté d'atteindre les objectifs et, par conséquent, fragilise la crédibilité du dispositif.
L'exclusion progressive des logements, issues d'abord des classes d'habitation situées en bas du tableau pour remonter vers la classe A, est intellectuellement compréhensible. Toutefois, nous sommes persuadés, en tant qu'acteurs de terrain confrontés chaque jour aux réalités concrètes, que ce calendrier sera extrêmement difficile à respecter.
La deuxième série de remarques que je souhaite faire au nom de l'AMF porte sur les conséquences potentielles des stratégies de contournement des objectifs, et surtout du calendrier de mise en oeuvre de la loi, qui pourraient être utilisées par certains propriétaires. En effet, les dispositions de la loi s'appliquent aux logements loués à une personne privée et non pas aux meublés. Il existe donc un risque de transformation des habitations en logements meublés, mais aussi en résidence secondaire, même si le logement n'est pas occupé et que cela entraîne le paiement d'une taxe d'habitation au profit de la commune, éventuellement majorée en raison du caractère inoccupé du logement.
La question de la disponibilité du parc locatif au sein de nos communes est un véritable sujet, d'autant plus - vous l'avez souligné, madame la présidente - que la règle, si je puis dire, est l'extrême diversité des situations sur l'ensemble du territoire national, pas simplement entre communes dites urbaines et communes dites rurales, mais également au sein de chacune de ces catégories. En effet, aucune commune urbaine ne ressemble à une autre s'agissant de l'état des lieux des logements non décents du fait de leur caractère de passoires énergétiques ; il en est de même en milieu rural. En outre, en milieu urbain, particulièrement en zone tendue, il est très difficile de développer le logement neuf, surtout dans le parc social, afin d'atteindre les objectifs, par ailleurs tout à fait compréhensibles, de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, et de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi Alur. Il est clair que certaines dispositions actuellement mises en place par la loi engendrent, par une sorte d'effet pervers, des difficultés en matière de disponibilité de logements. L'objectif d'offrir un logement décent à tout le monde, qui est un problème majeur dans notre pays, est difficile à atteindre et pourrait malencontreusement l'être encore davantage du fait de la difficulté de mise en oeuvre de certaines dispositions.
Le troisième sujet sur lequel nous souhaitons attirer l'attention de votre commission d'enquête est celui des perspectives de décentralisation de compétences relevant de sujets de cette nature, qui ont été ouvertes lors des échanges avec le Chef de l'État et le Gouvernement. L'idée et le principe sont compréhensibles, dans la mesure où la proximité induit une bonne connaissance des choses - ce que nous revendiquons aussi souvent - comme la capacité à prendre les dispositions permettant d'améliorer la situation.
Si une décentralisation des politiques de lutte contre les logements énergivores et donc, plus globalement, contre le logement non décent doit avoir lieu, il faut au préalable que les choses soient très claires. D'abord, il est impératif de dresser un état des lieux - c'est la responsabilité de l'État et je suis persuadé que l'ensemble des collectivités participeront à ce partenariat - avant d'envisager quoi que ce soit.
Ensuite, il faut traiter enfin sérieusement la question du transfert des moyens permettant d'exercer la compétence transférée. Cette remarque de fond reflète la préoccupation considérable des élus locaux à ce sujet. Nous ne savons que trop ce que fait l'État de certains outils liés à la décentralisation. Ainsi, la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est non pas un cadeau, mais un dû de l'État aux collectivités, a été réduite d'environ un tiers, ce qui n'est tout de même pas négligeable, et ce au détriment des politiques publiques pour lesquelles la DGF avait été créée. La tendance est plutôt celle-ci. Or les moyens de mettre fin au gouffre de la dette publique ne sont certainement pas à trouver du côté des collectivités locales.
Je prendrai cette fois seulement l'exemple de la commune que j'administre depuis vingt-huit ans, qui compte 22 000 habitants et qui a perdu la modique somme de 12 millions d'euros, en euros courants, depuis 2014, que nous aurions sinon reçus de l'État en supposant que cette contribution n'ait pas été augmentée d'un seul centime jusqu'à aujourd'hui. En comparant cette somme au montant de la dette de la commune, qui s'élève à 15 millions d'euros, la différence est visible.
Par conséquent, il est absolument inenvisageable que la question de la décentralisation de ces politiques publiques, dont l'atteinte des objectifs - auxquels nous adhérons - est essentielle, puisse être faite dans un cadre où nous aurions plus de pouvoir d'agir, sans disposer des moyens afférents. J'ai évoqué au début de mon propos le malus sur la taxe foncière qui aurait pu constituer une ressource supplémentaire utile à la lutte globale contre les passoires thermiques. Accorder aux pouvoirs publics locaux la capacité de mieux agir, parce qu'ils sont les mieux placés pour le faire, ne peut se dispenser d'un examen sérieux et loyal, réalisé entre l'État et les collectivités locales, des conditions dans lesquelles toute action de décentralisation peut être mise en place de manière intelligible et responsable.
M. Jean-Patrick Masson, vice-président de Dijon métropole et conseiller municipal délégué de Dijon, représentant l'association France Urbaine. - Je mettrai l'accent sur deux ou trois points problématiques aujourd'hui.
Tout d'abord, il existe un degré de complexité est particulièrement grand pour le citoyen, mais aussi pour les collectivités. Lorsque nous devons mettre en place un certain nombre de dispositifs, nous faisons face à leurs modifications constantes, à l'apparition de complémentarités, d'adjonction ou de soustractions d'un certain nombre d'éléments, qui rendent l'exercice difficile.
Par ailleurs, il existe deux façons de parler de ce sujet aux citoyens aujourd'hui : le discours des pouvoirs publics au sens large - collectivités, État -, mais aussi celui des entreprises. Deux canaux existent en parallèle, ce qui engendre une méfiance sans cesse plus grande de ceux qui souhaitent rénover leur habitat. Cela crée de la complexité et suscite une non-action. Une première proposition serait donc d'avoir un système unique, qui obligerait à passer par un dispositif public avant de se lancer dans des rénovations.
S'ajoute à cela la succession des campagnes sur la rénovation à un euro ou sur les pompes à chaleur qui contribuent à la perte de confiance, comme les résultats attendus ne sont pas au rendez-vous. En tant que collectivités, nous recevons des témoignages d'un certain nombre de personnes, un peu désespérées, soulignant par exemple ne pas constater d'amélioration après une isolation un euro. Il est vrai que l'augmentation non négligeable des coûts pèse sur la facture, mais il s'agit aussi d'une absence de baisse de consommation par rapport à la promesse faite. C'est la même chose pour la pompe à chaleur, sachant que changer les moyens de chauffage en premier est la plus mauvaise opération en termes de rénovation.
Les politiques publiques sont donc en contradiction aujourd'hui avec les objectifs à atteindre ; elles sont chères et peu efficaces. Nous souhaiterions avoir l'équivalent des aides à la pierre, c'est-à-dire les aides à la rénovation énergétique, ce qui serait le moyen d'aller vers un guichet unique. Vous nous avez annoncé que M. Peillon envisageait un guichet d'accueil et d'orientation dans les EPCI. Il faut faire preuve d'une certaine prudence afin de ne pas se doter d'un élément supplémentaire difficile à gérer. Je rappelle l'existence de dispositifs déjà financés par les collectivités sur ce sujet, notamment les agences locales de l'énergie et du climat (Alec). Multiplier les guichets uniques serait un contresens pour atteindre l'objectif.
Je souhaitais également insister sur la question de la neutralité de l'information. Le citoyen ne fait pas confiance au système également parce qu'il n'a pas le sentiment que cette neutralité est respectée. Beaucoup d'informations circulent sur les arnaques et le fait que les choix soient très orientés. Cet ensemble aboutit à créer une vraie difficulté, à laquelle s'ajoutent les problèmes de précarité énergétique.
Nous sommes en première ligne sur ce sujet. En dépit de l'existence de l'Anah, le fait d'être relativement démunis, pour résumer, vis-à-vis de ces populations est un problème. L'augmentation du nombre de précaires énergétiques, liée à celle des prix, est importante. S'y ajoute la contrainte pesant sur les logements classés F et G, qui peut engendrer deux effets. Le premier est la non-mise sur le marché de ces logements, ce qui accroît la tension du marché immobilier dans nos territoires. Le second effet est l'absence de réponse financière. Il n'existe aucune visibilité à moyen ou long termes sur les politiques publiques menées en la matière. Certaines personnes souhaiteraient laisser sur le marché leurs biens et ne savent pas ce qui se passera, d'autant que deux ou trois ans sont nécessaires pour réaliser une rénovation énergétique. À cela s'ajoutent des difficultés, dans les territoires, pour trouver des entreprises capables de répondre à la demande, en raison d'un manque de compétences nécessaires ou d'un surcroît de travail.
On est dans un ensemble qui, dans un premier temps, nécessite un renforcement de l'accompagnement. Le guichet unique serait une bonne chose.
On a d'un côté MaPrimeRénov', de l'autre les certificats d'économies d'énergie (C2E) : bien malin qui s'y retrouve ! Les C2E sont calculés de manière complètement hors sol et ces aides sont présentées par les entreprises, ou par le conseil dans le meilleur des cas.
La non-garantie de l'atteinte des résultats constitue un autre point problématique. Cela est dû d'une part à la difficulté des entreprises à être à la hauteur, et d'autre part au fait que le citoyen ne dispose pas d'éléments de vérification neutres de sa situation.
Certes, il y a l'effet rebond : les ménages précaires vont mieux se chauffer, et c'est une bonne chose.
Mais quand elles délivrent un permis de construire ou une autorisation de travaux, les collectivités territoriales ne peuvent pas procéder à des vérifications. La collectivité qui délivre le permis de construire ou l'autorisation de travaux devrait garantir le résultat - mais en réalité elle ne garantit rien. Le citoyen pense être passé sous les fourches caudines d'une institution qui connaît le sujet.
En dernier lieu, je souhaitais insister sur le financement. Le Sénat a voté à deux reprises la territorialisation de la contribution climat énergie (CCE). C'est un élément important pour plusieurs raisons. Tout d'abord, cela donnerait du sens : le citoyen paye cette taxe et a un retour sur sa contribution. Ensuite, cela conférerait de la visibilité sur le financement d'opérations particulièrement longues. Enfin, les collectivités pourraient mettre les moyens pour accompagner de manière sérieuse les porteurs de projets. Même les moyens des grandes collectivités, représentées par France urbaine, ne sont pas à la hauteur des enjeux sur des territoires qui comportent quelques centaines de milliers d'habitants.
En conclusion, il me semble indispensable d'instituer un tiers de confiance dans le dispositif : l'État ? La collectivité elle-même ? Pour être à la hauteur, nous avons besoin de financement et de confiance. Or ni l'un ni l'autre ne sont au rendez-vous.
Mme Anne Hébert, vice-présidente en charge du développement durable et de la mobilité de la communauté de communes Côte Ouest Centre Manche, représentant Intercommunalités de France. - Ce sujet d'actualité nous presse. En dépit de nombreuses années de réflexion, nous avons du mal à avancer.
Intercommunalités de France part de la vision des habitants et des élus qui sont à la manoeuvre et qui ne trouvent pas toujours de réponse à leurs questionnements.
La rénovation énergétique des bâtiments répond à de multiples enjeux environnementaux, financiers, sociaux, etc. Dans les territoires, quand un ménage souhaite s'installer quelque part, il considère tout en même temps : le droit de s'installer à tel endroit et le coût énergétique. De nombreux logements sont vacants, car les propriétaires n'ont pas réalisé les efforts de rénovation nécessaires. Cela pose la question de la revitalisation des centres-bourgs, dans le milieu rural comme en ville : certains logements des centres-villes ne correspondent plus aux attentes, au-delà des seules passoires thermiques.
Cela pose aussi la question des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) et du zéro artificialisation nette (ZAN). Quand une intercommunalité adopte un PLUi ambitieux en termes d'économies de foncier, elle doit pouvoir proposer des solutions aux artisans, aux particuliers et aux collectivités ; mais ces solutions ne sont pas encore suffisamment accessibles pour être efficaces. Intercommunalités de France accompagne depuis longtemps ses membres en matière de rénovation énergétique, car il s'agit de politiques complexes. Il y a un vrai besoin de simplicité, de transparence du conseil, d'une approche globale et d'exemplarité des collectivités.
Si l'on souhaite entraîner les propriétaires et les habitants, il faut que tout le territoire entre dans la démarche. Pour cela, il n'est pas toujours nécessaire de passer par la case rénovation énergétique.
Je suis vice-présidente - et anciennement présidente - d'une intercommunalité rurale normande dans laquelle se pose la question des logements de la reconstruction dans lesquels les gens ne veulent plus vivre. Quand nous avons choisi, dans le PLUi, de restreindre le terrain constructible, nous avons tâché de proposer une solution simple. Mais cela nécessite des moyens techniques et humains, dans les collectivités, pour animer et garantir la transparence du conseil.
Certains ménages commencent par envisager l'accessibilité de leur logement et aboutissent à un projet de rénovation globale. En commençant par un petit bout de la lorgnette, on parvient à réaliser une rénovation qui tient la route.
Mais nous avons besoin d'agents formés pour faire fonctionner ces guichets uniques d'accueil et d'orientation. Or les collectivités connaissent des difficultés de recrutement. Notre plateforme en est à son troisième agent... Nous avons besoin d'agents compétents, impliqués et qui restent sur le territoire, car il s'agit d'un travail de conviction sur le temps long.
S'agissant des exigences énergétiques qui s'appliqueront à la location, je constate dans mon territoire que de nombreux propriétaires vendent, ce qui crée une pression supplémentaire sur le marché locatif et donc sur l'accessibilité au logement.
Vous évoquez l'unicité des démarches, mais les territoires sont très divers. Pour que ce soit efficace, il faut que la collectivité porteuse du projet élabore un diagnostic fin et une stratégie adaptée à son territoire. Je reprends l'exemple, dans mon territoire, des logements de la reconstruction. Il faut prendre en compte la culture régionale : Normands et Francs-Comtois n'abordent pas la question de la rénovation énergétique de la même manière. Il nous faut de la souplesse pour mettre en place une stratégie efficace. Nous avons besoin d'une co-construction avec l'État, les communes et la communauté de communes sur ce que l'on veut faire sur notre territoire.
Pour montrer que c'est possible, il faudrait un accompagnement particulier pour les communes qui s'engagent à faire du logement locatif, en acquérant des logements vacants par exemple. Chez moi, Manche Habitat se montre très frileux dans ces opérations de réhabilitation. Du coup, ce sont de petites communes qui s'engagent, comme celle dont je suis maire, de 730 habitants, qui loue dix logements. Il faudrait donc des espaces démonstratifs pour que tout le monde s'y mette et que l'on travaille collectivement.
La question de la transparence du conseil est très importante et cette valeur devra être conservée dans les politiques de rénovation.
M. Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce. - Permettez-moi d'excuser M. Michel Maya, vice-président délégué à la rénovation énergétique au sein d'Amorce, qui n'était pas disponible aujourd'hui.
La transition énergétique et l'amélioration de l'efficacité énergétique du bâti et du logement - principal poste de consommation énergétique avec les transports - sont en trompe-l'oeil.
J'en veux pour preuve la stabilité de la consommation finale d'énergie du résidentiel depuis vingt ans, autour de 500 térawattheures d'énergie finale. Bien sûr, nous avons de nouveaux usages de l'énergie, avec nos tablettes et nos ordinateurs ; mais on n'assiste pas à une baisse de la consommation d'énergie dans nos logements.
En second lieu, le chiffre officiel de 718 000 rénovations cache une réalité plus préoccupante : il s'agit essentiellement de rénovations dites monogestes. Autrement dit, on ne rénove que très partiellement l'habitat. De surcroît, la plupart de ces rénovations monogestes sont des changements de chauffage. Il s'agit essentiellement de l'installation de poêles à bois et de pompes à chaleur. Vous m'avez demandé de dire la vérité : les pompes à chaleur air-air ou air-eau posent un véritable problème, j'y reviendrai. Or dans le mix de chauffage français, la pompe à chaleur air-air se développe très rapidement. Nous devons nous poser la question de cet outil, sans le diaboliser, mais en le remettant à sa juste place.
La grille de lecture de votre réflexion est complexe, car il faut mener une réflexion sur le neuf et l'existant. La RE2020 est-elle appliquée ou pas ? A-t-elle été bien élaborée ? Elle a probablement été orientée sur les questions de CO2, à juste titre, mais cela a biaisé certains débats, sur le chauffage électrique par exemple.
Les situations sont différentes dans le logement individuel, dans le logement collectif public - sur lequel les élus ont plus de prise via les bailleurs sociaux - et dans les copropriétés privées. Elles le sont également selon que le propriétaire est occupant ou bailleur, ou quand le propriétaire est précaire.
Il faut aborder ce sujet avec méthode et je vous invite à élaborer un grand tableau avec différentes entrées. Se pose aussi la question de l'enveloppe et des usages de l'énergie.
Nous sommes face à des marchés - marché énergétique, marché de la construction -, que l'État et les collectivités, garants de l'intérêt général, essayent d'orienter. D'où ces questions : comment le marché influe-t-il sur la trajectoire ? Comment les pouvoirs publics réussissent-ils à le réorienter pour éviter qu'il ne prenne une mauvaise direction ?
La crise énergétique actuelle - avec l'augmentation des prix et les risques de black-out - est un phénomène de marché qui a conduit à des progrès en termes de sobriété, avec une baisse de la consommation entre 9 et 13 %. Ces phénomènes doivent être pris en compte dans l'élaboration de nos politiques publiques, et notamment dans la régulation.
Je crois que le processus favorable à l'efficacité énergétique dans le logement passe, successivement, par l'information, la sensibilisation, l'accompagnement technique, les aides et les financements, la coercition et enfin le contrôle. Une fois cette chaîne vertueuse mise en place, nous pouvons atteindre notre objectif.
On constate tout d'abord un déficit d'information, notamment en tant qu'usager. Vous savez probablement combien consomme votre voiture, mais pas combien affichait votre compteur électrique hier soir. Moi-même, je ne le sais pas. Certains élus prennent le sujet en main : c'est ainsi que le maire de Belleville-en-Beaujolais a annoncé hier la distribution de petits compteurs visuels en télérelève, liés à Linky, mais plus visibles, que l'on peut placer dans son logement. C'est un premier niveau d'information. Le jour où les Français sauront ce qu'ils consomment et ce qu'ils payent - comme ils le savent pour le carburant -, leur relation à l'énergie changera.
Un pas considérable a été franchi en matière d'information des collectivités avec l'article 179 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite LTECV. Les collectivités territoriales disposent désormais de la liste des consommations de leurs principaux bâtiments. C'est un pas important, mais insuffisant, car limité à dix points de livraison. C'est à la fois beaucoup, car cela nous donne accès aux données d'immeubles R3, R4 ou R5, mais nous n'avons pas les données en dessous, alors que la précarité énergétique concerne aussi le logement individuel. Pour récupérer ces données de consommation, les collectivités doivent passer par le centre communal d'action sociale (CCAS) ou le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) et demander à la personne concernée l'autorisation d'utiliser sa donnée pour éviter d'effectuer une demande à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Il est donc très compliqué pour une collectivité d'appréhender la consommation d'énergie de son territoire. Il faut aller plus loin dans l'accès à la donnée.
Toujours sur l'information, France Rénov' s'intitule service public d'efficacité énergétique ; je serais plus modeste, il s'agit d'un service public d'information à l'efficacité énergétique. Il ne s'agit que de la première brique de la chaîne vertueuse que j'ai évoquée tout à l'heure.
Cette chaîne fonctionne sur tout le territoire. C'est une vraie réussite collective, mais elle a ses limites. Il serait intéressant de savoir combien de personnes ont été en contact avec France Rénov' et combien ont été démarchées le samedi et le dimanche ? Je crains que le second chiffre ne soit supérieur au premier... Or ces démarcheurs ne disent pas la vérité, eux.
Il faut donc booster la capacité d'intervention de France Rénov', y compris par du contact à domicile. Il faut aller vers les gens, or nous sommes dans une logique de guichet.
France Rénov' a d'abord été créé pour parler d'enveloppe. Il n'est pas question de l'en dessaisir, mais il est temps que France Rénov' parle aussi de chauffage et de comportements. Certains points d'information le font, mais cela ne fait pas partie du cahier des charges. Une fois réglée la question de l'enveloppe, si vous appelez un point d'information France Rénov' pour savoir comment vous chauffer, dans deux cas sur trois vous n'aurez pas de réponse ou une réponse très partielle. Nous l'avons testé : presque aucun n'évoque les réseaux de chaleur, alors qu'il s'agit d'un outil public local à notre disposition, qui procure une énergie moins chère, moins carbonée, renouvelable et locale. Il faut donc élargir le champ d'intervention de France Rénov'.
S'agissant de l'accompagnement, la mise en place des Accompagnateurs Rénov' constitue une avancée. Jusqu'à présent, une fois que vous aviez un professionnel chez vous, il vous orientait vers une solution : une chaudière à condensation gaz dans l'ancien monde, aujourd'hui une pompe à chaleur air-air. L'Accompagnateur Rénov' permet donc d'encadrer la capacité à intervenir. Mais c'est un peu frustrant : d'une part, on a l'impression que l'on va donner le titre d'accompagnateur à tout le monde et d'autre part, il n'y a pas de connexion réelle entre MonAccompagnateurRénov' et France Rénov'.
A minima, il faudrait un service après-vente (SAV) afin que le consommateur puisse se retourner vers France Rénov' pour vérifier que ce que lui a dit l'accompagnateur est cohérent.
On peut aussi imaginer, en étant plus ambitieux, que ce soient les collectivités locales qui coordonnent les Accompagnateurs Rénov', car puisqu'il fait l'information, il doit aussi être capable d'accompagner la mise en oeuvre. Mais cela nous mènerait vers des débats plus compliqués, notamment au plan financier.
Un accompagnement très spécifique doit être réalisé auprès des populations les plus précaires. Or l'Accompagnateur Rénov' ne le fera pas naturellement. Amorce a créé un programme, Pacte - 15, qui permet d'identifier des profils très spécifiques : certains peuvent accompagner une rénovation, d'autres ne peuvent pas se permettre le moindre reste à charge ; certains doivent être accompagnés de A à Z, d'autres sont plus autonomes ; certains sont propriétaires, d'autres locataires. Nous devons absolument affiner cet accompagnement et l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en a besoin aussi. Ce programme identifie des populations précaires qui sont sous les radars et que l'Anah ne voit pas.
S'agissant des aides et du financement, le dispositif est à la fois bien fait, mais il est aussi très orienté : MaPrimeRénov' aide principalement l'installation de pompes à chaleur et de poêles à bois. Nous n'avons pas encore trouvé un rythme de croisière permettant à MaPrimeRénov' d'accompagner la rénovation énergétique, encore moins dans le logement collectif.
La rénovation énergétique dans le logement collectif ne fonctionne pas ou peu : 25 000 rénovations tout au plus. Cela renvoie à la question de la prise de décision au sein des assemblées de copropriétaires, ne serait-ce que pour changer un paillasson... Il faut donc complètement changer les processus de décision des copropriétés, mais aussi l'accompagnement.
Les aides sont principalement étatiques. Les collectivités n'ont presque aucune prise : il y a certes les aides à la pierre, mais les collectivités n'en sont que les opérateurs, elles n'ont pas le droit de les orienter. Il faut donc trouver d'autres dispositifs. Certains élus réfléchissent à permettre des malus de taxe foncière en fonction des situations.
S'agissant de la coercition, le président d'une grande agglomération m'avait dit il y a quelques années : « sans coercition, les aides, ça finit par coûter très cher ! » D'où l'idée d'un horizon de coercition et notre amendement sur les passoires thermiques adopté dans la LTECV. Cette mesure, que le Conseil constitutionnel avait failli supprimer, a mis dix ans à se mettre en place. Malgré ses défauts, elle va commencer à rendre son office, avec le rapprochement de l'échéance. Le décret sur le tertiaire, qui n'est pas parfait lui non plus, challenge les collectivités. Il faut des horizons de coercition, en particulier pour les copropriétés, sinon ça n'avancera pas. Il faut aussi oser ces périodes intermédiaires, qui ont été plutôt bien faites, avec l'interdiction d'augmentation des loyers qui a constitué un premier coup de semonce. Autrement, on n'arrivera pas à embarquer tout le monde. Mais entretemps, il faut des aides, pour permettre aux gens de faire : si les aides sont insuffisantes, notamment pour les précaires, ils vont prendre de plein fouet l'interdiction de vivre dans ces logements.
Nos outils de planification sont-ils suffisamment efficaces ? La capacité d'un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ou d'un programme local de l'habitat (PLH) à provoquer de la rénovation est proche de zéro. Un plan local d'urbanisme (PLU) n'intervient pas et c'est bien là son drame : il impose à celui qui fait, mais pas à celui qui ne fait pas alors qu'il devrait faire. Nos outils de planification, dont le plus coercitif est le PLU, ont donc peu d'impact sur cette politique.
Le paquet européen Fit for 55 introduit l'idée de plan territorial chaleur : le chauffage pourrait être l'objet d'une planification propre avec des moyens de coercition.
La semaine dernière, la Première ministre a confirmé le dépôt d'un projet de loi de programmation de l'énergie. J'espère qu'il comportera un chapitre consacré au chauffage et un autre sur les transports. Nous devons sortir du débat mortifère sur la manière de produire l'électricité. Je renvoie dos à dos les tenants de l'éolien et ceux du nucléaire : ce n'est pas le sujet. Le sujet, c'est : comment on se chauffe, comment on se déplace et comment on réduit cette consommation. Cela fait vingt ans que l'on se pose la question de la production d'électricité ; résultat : la consommation d'énergie dans le logement n'a pas bougé.
S'agissant du contrôle, la capacité de contrôle d'une collectivité sur ce qui est construit ou rénové est proche de zéro. Celle de l'État n'est guère meilleure. Il faut absolument régler cela.
Pourquoi parlons-nous tous de la pompe à chaleur ? Parce que cela va être un carnage dans les vingt prochaines années. Je ne vise pas les pompes à chaleur eau-eau qui sont de vrais dispositifs efficaces. Le principe de la pompe à chaleur repose sur le cycle de Carnot : vous prenez de l'air dans l'atmosphère et le compressez. Si l'air est à 15 °C, le monter à 25 °C ne consommera pas beaucoup d'énergie ; en revanche, si l'air est à 0° C parce que c'est l'hiver, votre pompe à chaleur va consommer presque autant d'énergie qu'un radiateur électrique, soit un coefficient de performance énergétique (Cop) de 1...
La pompe à chaleur air-air est-elle un outil d'énergie renouvelable ? De notre point de vue, c'est plutôt un outil d'efficacité énergétique, comme l'était la cogénération au gaz. Elle doit permettre d'économiser de l'énergie, mais ce n'est pas un outil d'énergie renouvelable, car il consomme de l'énergie qui n'est, en France, renouvelable qu'à hauteur de 20 %. Dès lors, doit-elle être aidée à ce point ? MaPrimeRénov' a été supprimée, mais il reste des C2E.
Les pompes à chaleur air-eau n'ont pas de bien meilleures performances. Il faut trier le bon grain de l'ivraie, car certaines pompes à chaleur air-eau présentent de très bons Cop, supérieurs à 4 ou 5 : celles-ci doivent être aidées. Mais il faut absolument des critères d'efficacité énergétique sur les pompes à chaleur. On est en train d'équiper la France de l'équivalent des radiateurs électriques, en particulier dans le logement social. On voit déjà des impayés et des dysfonctionnements. Il est temps de réguler cet outil de chauffage qui n'en est pas toujours un bon, contrairement à ce qu'en disent les publicités qui nous promettent monts et merveilles.
L'État français, dans le contexte de la transition énergétique, joue un rôle ambivalent, agissant à la fois en tant que garant de l'intérêt général, soit de la baisse de la consommation, et comme acteur du marché de l'électricité. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ressemble donc à une loi relative à la transition électrique, ce qui est sans doute sain, car l'électricité est en grande partie décarbonée. Pour autant, ne manquons pas le rendez-vous avec l'efficacité énergétique. Or des aides telles que MaPrimeRénov' soutiennent en premier lieu des systèmes de chauffage électrique, avant de favoriser des outils d'efficacité et de rénovation énergétique. Il y a un risque que tout passe à l'électricité, qui pourrait alors être plus coûteuse et dont la production pourrait être insuffisante. Le parc nucléaire à venir arrivera seulement dans quinze ans, nous avons ce laps de temps à combler, et nous devons faire face à des problèmes de pouvoir d'achat et de précarité énergétique. Il est donc essentiel de se concentrer sur la façon dont nous chauffons nos maisons et nous déplaçons, plutôt que sur la production d'électricité.
En 1946, le général de Gaulle a créé deux services publics, EDF, service public de fourniture et de distribution d'électricité, et GDF, l'équivalent pour le gaz, afin de répondre à la nécessité de fournir de l'énergie aux Français lors de la période de redéploiement économique. L'enjeu de la future loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC), qui sera bientôt débattue dans cet hémicycle, est de redéfinir ce service public de l'énergie. Il faudrait peut-être transformer EDF en « Économie d'énergie de France » et créer ainsi un service public dédié à l'efficacité énergétique, en réponse aux défis climatiques, économiques et énergétiques que nous rencontrons. Il faut sans doute assigner de nouvelles missions à EDF, créer d'autres opérateurs, passer par des opérateurs locaux, mais la priorité est à notre sens ce service public de l'efficacité, qui n'existe pas et qui va au-delà des aides et du service public d'information.
Par ailleurs, le service public de gaz au sens propre - à l'exception, peut-être, du biogaz - n'a pas d'avenir, contrairement aux réseaux de chaleur renouvelables. De très nombreux élus locaux souhaitent créer de tels réseaux, mais nous sommes encore loin de leur généralisation. Près de 300 communes de 10 000 à 30 000 habitants n'ont pas de réseaux de chaleur et sont donc dépendantes du marché de l'électricité et du gaz, y compris des collectivités qui ont l'obligation d'acheter l'électricité sur le marché libre. Il est donc essentiel de mettre en place un service public quasi universel de la chaleur renouvelable, appuyé sur des ressources, locales, qui favorisera l'économie locale et permettra une meilleure maîtrise de la facture énergétique. En dehors du bouclier tarifaire, seuls les réseaux de chaleur renouvelable ont su maîtriser leur facture pendant la crise, malgré quelques difficultés liées, précisément, à l'appoint de gaz.
Enfin, il est nécessaire de déterminer la place du service public dans la résorption de la précarité énergétique. Malgré quelques mesures législatives importantes, nous sommes loin d'avoir éliminé les passoires thermiques ; or il s'agit d'une question majeure pour le futur du service public de l'énergie dans notre pays, qui sera abordée lors des discussions sur la future loi de programmation sur l'énergie et le climat.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de vos explications détaillées sur ce sujet complexe des politiques de rénovation énergétique. Vous avez bien abordé l'ensemble des problématiques que nous avons identifiées, notamment, à travers différents déplacements et auditions. Nous partageons de nombreux avis exprimés, en particulier sur la nécessité d'une politique simple et accessible, d'un conseil indépendant et de confiance, ainsi que de la proximité avec les collectivités.
Ma première question est relative à l'interaction entre les politiques publiques locales et les dispositifs nationaux comme France Rénov' ou MaPrimeRénov' : on observe une certaine évolution vers une meilleure lisibilité, même s'il reste beaucoup à faire ; comment voyez-vous l'intégration des initiatives locales, de ces dispositifs qui, bien qu'indépendants, ont montré des résultats intéressants grâce à leur proximité et leur capacité d'adaptation aux critères locaux ? Veillons à ne pas ajouter une couche de complexité supplémentaire avec les dispositifs d'État. Comment réussir leur intégration ? Cela nécessite peut-être une clarification des compétences entre les différentes échelles de gouvernance : intercommunalité, département, régions, etc. Nous avons abordé d'autres aspects de cette question, notamment l'ambition de « zéro artificialisation nette » (ZAN), dont les enjeux sont du même ordre. J'aimerais donc connaître votre vision sur l'interaction entre les politiques publiques et ce qui se passe réellement sur le terrain.
Cela mène à la question du guichet unique. Comment voyez-vous cela ? L'idée est-elle de disposer de guichets uniques qui varient selon les territoires, ou cherche-t-on une uniformisation, comme le propose France Rénov' ?
Avez-vous des informations sur les disparités d'intervention entre les différentes typologies de territoires : rural, urbain, périurbain, etc. Comment avance-t-on en matière de rénovation thermique en fonction de ces différents contextes ?
Je m'interroge sur MonAccompagnateurRénov'. Comment ce dispositif s'intègre-t-il dans les initiatives locales déjà en place ? Les collectivités ne risquent-elles pas de se désengager, en laissant ce rôle à l'État, alors qu'elles pourraient avoir mis en place des solutions efficaces sur leurs territoires ? Comment envisagez-vous donc son intégration avec ce qui se fait déjà ?
Se pose également la question du rôle des collectivités dans l'accompagnement des filières et des entreprises, notamment en termes de formation aux nouvelles techniques et aux nouveaux matériaux du bâtiment. De même, quid du développement de filières locales pour les matériaux, appuyés sur des circuits courts ? Avec l'augmentation de la demande, la disponibilité et la production de matériaux seront de véritables enjeux. Les collectivités pourraient jouer un rôle dans l'accompagnement et la mise en place de ces filières.
Enfin, la question des réseaux de chaleur est importante. Faisons-nous une transition énergétique ou une transition électrique ? Avec une vision uniquement basée sur le carbone, on risque en effet de privilégier l'électricité, ce qui pourrait poser problème. Les réseaux de chaleur constituent une solution intéressante, notamment en collectif, où il n'existe pas beaucoup d'alternatives. Pour autant, les données et les informations manquent à leur sujet, ce qui peut poser problème, notamment dans les diagnostics de performance énergétique (DPE), car leur score pourrait souffrir de l'utilisation de données périmées.
M. Guy Geoffroy. - En ce qui concerne le guichet unique, la question est : pour quoi faire ? S'il s'agit seulement d'informer, c'est déjà fait. En outre, il existe des dispositifs qui permettent de rendre les guichets uniques véritablement uniques : France Services. Je ne trouverais donc pas incongru que ces lieux soient des points d'entrée pour l'information et l'accompagnement initial de nos concitoyens, en accueillant le dispositif France Rénov'. Je parle d'expérience : l'État a mis en place un guichet France Service dans ma commune et ses résultats sont exemplaires. Nos concitoyens veulent avoir un interlocuteur public crédible pour répondre à leurs besoins et à leurs difficultés, qu'il relève de l'État, de la région, du département, de l'intercommunalité ou de la commune, même si le premier interlocuteur public crédible à leur disposition est bien l'élu local du bloc communal. La puissance publique, que tous ces élus constituent, doit offrir une réponse immédiate acceptable : une information et un premier accompagnement. Pour autant, pour que le guichet unique soit efficace, il devra être simple d'accès et perçu comme réellement unique. S'il y a plusieurs guichets uniques pour traiter plusieurs problèmes, il ne s'agit plus d'un guichet unique, mais de plusieurs guichets spécifiques dédiés à une diversité de sujets. J'évoquais précédemment la difficulté issue de la judiciarisation de la relation entre le locataire et le propriétaire. Nos concitoyens nous disent souvent qu'ils trouvent le système complexe ; ils ne remettent pas en cause la volonté des pouvoirs publics de résoudre leurs problèmes, mais ils estiment que même les solutions les plus simples restent difficiles d'accès.
À mon sens, notre économie a la capacité répondre à ces défis, sous réserve de traiter deux questions principales : la première concerne la disponibilité des ressources humaines et matérielles dans un délai forcément court ; la seconde porte sur la lutte contre les effets d'aubaine qui peuvent résulter de ces aides publiques. Nous avons tous entendu parler des excès et des scandales liés aux détournements de ces aides, qui compliquent la lisibilité du système et donc sa crédibilité.
Vous avez également évoqué l'utilisation de matériaux locaux. Mon département, à la fois urbain et rural, produit d'importantes quantités de chanvre et une filière de béton chanvré est en train de s'y développer. De nombreux élus souhaitent favoriser l'utilisation de ce matériau biosourcé et local pour leurs bâtiments publics et, pourquoi pas, pour la construction privée. Cependant, nous devons respecter certaines règles supérieures, comme celles qui concernent les marchés publics. Dans le respect des règles européennes, que nous surtransposons toujours en les complexifiant, nous devons trouver le moyen de permettre aux économies locales de mettre en oeuvre toutes les ressources dont elles disposent. De ce point de vue, la question des matériaux et des personnels, notamment en termes de formation, est un véritable sujet et un des plus grands défis que nous devons relever. La complexité de ces sujets est immense, d'autant plus que les priorités peuvent fluctuer d'un jour à l'autre.
Je terminerai mon intervention avec deux points qui ajoutent à la complexité, mais qu'il faut garder à l'esprit. Quel est l'objectif que nous cherchons à atteindre au travers de cette réflexion et de vos travaux ? Nous cherchons à assurer que chacun, dans notre pays, ait accès à un logement décent, le plus économique possible, permettant une vie quotidienne sans précarité, avec un chauffage convenable, tout en améliorant notre indépendance énergétique. Il faut donc prendre en compte tous ces éléments et y inclure des groupes qui ne sont pas prioritaires aujourd'hui, par exemple les propriétaires occupants. Aujourd'hui, un propriétaire occupant peut être proactif et rechercher les aides dont il peut disposer pour améliorer son logement, le rendre plus confortable et moins coûteux, ou ne pas le faire, s'il n'en a pas les moyens. Pour autant, considérer que les propriétaires sont riches serait une erreur monumentale. Beaucoup d'entre eux peuvent même se trouver en difficulté, notamment à l'approche de l'âge de la retraite. Or le propriétaire occupant n'est pas aujourd'hui perçu comme une cible nécessaire dans la lutte contre les déperditions d'énergie et contre le mal-vivre dans son logement, alors qu'il s'agit d'un enjeu crucial. Des habitants se plaignent auprès des élus locaux que leur propriétaire ne leur permet pas de vivre dans des conditions décentes, nous disposons pour cela de quelques moyens d'action, et j'espère que nous en aurons davantage à l'avenir ; il est rare, pour autant, qu'un propriétaire occupant nous interpelle, peut-être parce que les personnes concernées estiment que ce n'est pas le rôle de la puissance publique ou qu'elles sont gênées de reconnaître que leur propre logement n'est ni confortable ni décent.
Enfin, l'exemplarité des collectivités est un sujet complexe : nous ne pouvons parler aux gens de manière crédible que si nous sommes nous-mêmes exemplaires. Vous évoquez le logement, mais cela concerne tout ce qui caractérise les collectivités locales, en particulier les équipements publics : leur état, leur entretien, leur rénovation et le coût qu'ils représentent pour le budget de la collectivité. Si le cours de choses nous amène à prendre davantage de décisions au niveau local, nous exigerons les moyens nécessaires pour ce faire, mais nous devrons, en parallèle, être en mesure de poursuivre cet effort et de le mener à terme, même si c'est le tonneau des Danaïdes. La situation est inégale sur le territoire, mais les communes françaises n'ont pas attendu les crises actuelles pour commencer à maintenir leurs équipements en bon état et à anticiper leurs besoins énergétiques. C'est d'autant plus vrai que cela coûte cher, comme nous l'avons constaté en 2022 avec l'envolée des prix de l'énergie. Il est important de promouvoir cette exemplarité, mais celle-ci représente un deuxième enjeu en matière de capacité globale de l'économie et de financement nécessaire ; toutefois, elle nous permettra d'être des prescripteurs crédibles, éventuellement de sanctionner, tout en montrant à l'opinion publique que nous avons la capacité de le faire et que nous ne revendiquons pas une autorité sans avoir balayé devant notre propre porte.
M. Jean-Patrick Masson. - Sur la compétence des collectivités, il est absolument nécessaire d'être au plus proche de la population, et à ce titre, le bloc communal est bien armé, dans la limite de ses moyens. Il offre une proximité et un contact direct avec les habitants. Le guichet unique ne devrait pas se limiter à l'accueil et à l'orientation, mais devenir une force proactive allant vers le citoyen. Sur mon territoire, nous avons testé cela avec La Poste : les facteurs sont allés à la rencontre des habitants et cela a bien fonctionné, amenant les gens à se poser des questions et à enclencher des actions, même s'il y a loin, en effet, entre le premier contact et la réalisation. Un guichet unique par étapes ne simplifie pas les choses, il faut bien un guichet unique proactif et qui gère une partie significative de l'opération.
Deuxième point, la diversité dans les territoires est évidente. Pour la caractériser, et pour que les territoires justifient des pratiques différentes, nous devons élaborer des stratégies territoriales. Par exemple, mon territoire dispose d'un important réseau de chaleur concernant 55 000 équivalents logements, mais un grand nombre de logements - 130 000 - restent hors de sa portée. Peut-être est-ce sur ces logements-là qu'il faut insister pour aller vers la rénovation, notamment pour des raisons financières. Nous ne pouvons pas tout faire, il nous faut donc dessiner des stratégies territoriales différenciées ; c'est une nécessité.
Il y a bien un risque de désengagements des collectivités lié à Mon Accompagnateur Rénov'. Si le système est trop compliqué et difficile d'accès pour les collectivités elles-mêmes, alors l'État devra s'en débrouiller seul. Ce n'est pas uniquement une question de financement, mais aussi de posture : si nous ne savons pas quel rôle nous devons jouer dans ce contexte, nous n'en jouerons aucun !
Concernant les dispositifs comme MaPrimeRénov' et les autres, un point doit être pris en compte : le prêt à taux zéro, qui semble de moins en moins courant. Il s'agit d'un élément de complexité supplémentaire évident qui implique un autre acteur fondamental : le financement privé bancaire. Nous rencontrons donc, certes, un problème de compétences, de capacité à agir, mais se pose également cette difficulté relative à la présence de financement privé.
Sur la formation des filières : il est compliqué pour une collectivité de lancer ce type d'initiative, même s'il est toujours possible d'inciter, de financer ou de monter des opérations exemplaires avec les entreprises.
Pour organiser des formations et des filières locales de fourniture de matériaux, une piste est à explorer : la standardisation. Monter des projets uniques fait perdre du temps et de l'argent. Par exemple, pour une zone pavillonnaire des années 1970 avec des maisons identiques, il convient de suivre une logique de groupe : on pourrait attirer les entreprises en leur disant qu'il y a 50, 100 ou 200 pavillons à rénover. Or, en l'occurrence, rien n'est prévu pour ce genre de projet ; il y a un trou dans la raquette. Ces opérations de groupe constitueraient pourtant un levier significatif.
Nous avons une certaine habitude de la différenciation entre zones urbaines et rurales : dans la métropole de Dijon, la commune-centre compte 160 000 habitants et la plus petite commune 145 habitants...
Mme Anne Hébert. - Cette question, complexe, de la rénovation énergétique intéresse les élus et les citoyens. Il faut donc se mettre autour de la table locale pour coconstruire les solutions. L'intercommunalité est le lieu adéquat pour mettre en place une politique de long terme qui soit adaptée et puisse être évaluée. Les élus doivent prendre ce sujet à bras-le-corps !
Sur les énergies renouvelables, il convient que les élus de plusieurs communes réfléchissent collectivement, échangent et débattent. Cet outil de gouvernance locale est important car ce domaine connaît une amélioration continue : si le dossier des éoliennes est aujourd'hui compliqué, il en sera peut-être différemment demain. Le besoin de formation des élus est considérable, du fait de la technicité du sujet. Ces groupes permettraient de dispenser une formation locale. Quant aux plateformes, elles devraient aussi bénéficier d'une formation à l'accompagnement, afin que l'aide qu'elles apportent ne demeure pas extérieure aux territoires. Je rappelle que les intercommunalités ont deux compétences utiles en la matière : l'aménagement du territoire, d'une part, et le développement économique, d'autre part.
Enfin, il convient de travailler sur le long terme, avec une transmission des connaissances d'un élu à l'autre.
M. Nicolas Garnier. - Qu'entend-on par guichet unique : un opérateur unique ou plusieurs opérateurs, qui sont toujours les mêmes - Agence nationale de l'habitat (Anah), collectivités, France Rénov, etc. - au même endroit ? On ne le sait pas vraiment.
Il est incroyable que le dispositif France Rénov soit aussi précaire économiquement : il est susceptible de s'arrêter chaque année ou tous les trois ans, ce qui pose des problèmes de pérennité des emplois. Or la caractéristique d'un service public est la continuité !
S'agissant du dispositif Mon Accompagnateur Rénov', le mot « accompagnement » revêt des réalités très différentes. Il peut s'agir de formation, de pré-diagnostic, d'étude de faisabilité, ou encore d'ingénierie financière ; Île-de-France Énergies a même tenté de financer des travaux et d'en assurer la réalisation. Il faut donc clarifier cette notion ; pour l'instant Mon Accompagnateur Rénov' semble s'apparenter à un maître d'oeuvre ou maître d'ouvrage uniquement. Quant aux situations de précarité énergétique, elles nécessitent un accompagnement renforcé, assurant le pré-financement et la mise en oeuvre des travaux.
Des collectivités, notamment Grenoble, ont tenté d'être Accompagnateur Rénov', dans la mesure où elles ont une expérience d'accompagnement de premier niveau, mais ce processus n'est pas évident. Il faudrait un dispositif Mon Accompagnateur Rénov' dédié aux collectivités.
La rénovation énergétique n'avance pas assez vite parce que se posent des problèmes de financement. L'effort d'investissement dans ce domaine est estimé à 31 milliards d'euros d'ici à 2030, ce qui est énorme ; pour le parc nucléaire, on estime les investissements nécessaires à 51 milliards : c'est le même ordre de grandeur. Le développement de l'éolien représente 19 milliards d'euros. Il faudra mettre tous ces chiffres sur la table.
Pour ce qui est des réseaux de chaleur, l'aide au raccordement a été largement améliorée dans les logements collectifs. Un raccordement coûte 200 euros par logement dans les petits immeubles grâce à un coup de pouce C2E. Cela fonctionne moins bien pour les logements individuels ; or les demandes se multiplient en zone rurale.
Nous avons monté un comité des abonnés des réseaux de chaleur, dont nous recueillons les attentes. Nous préparons des outils de simulation cartographique des réseaux existants pour que les bailleurs sachent où sont les réseaux les plus proches, s'ils peuvent se raccorder et à quel prix. Cela permettra aussi de simuler des réseaux de chaleur là où il n'y en a pas.
Le Club de la chaleur renouvelable, qui réunit notamment Amorce, le syndicat des énergies renouvelables (SER), la fédération des services énergie environnement (Fedene), le syndicat des professionnels de l'énergie solaire (Enerplan), etc., a proposé la semaine dernière à Mme Agnès Pannier-Runacher un « plan Marshall » de la chaleur renouvelable. On est en effet capables d'atteindre un niveau de 50 à 75 % de chaleur renouvelable locale fatale. Pourtant, nous avons découvert que depuis vingt ans plus un seul logement n'était équipé de boucle d'eau chaude, ce qui pose des problèmes de raccordement. Nous avons donc dû opposer de nombreux refus de raccordement, alors que la demande a explosé du fait de la hausse du prix de l'énergie.
La future réglementation environnementale devra prévoir l'installation de ces boucles, y compris pour l'équipement des bas d'immeubles en chaufferies bois et en pompes à chaleur de bonne qualité. La plupart des logements sont aujourd'hui piégés entre chauffage électrique et chaudière à gaz, et ce pour longtemps : c'est problématique ! Nous souhaitons donc que l'État mette en place une aide à l'installation de boucles d'eau chaude dans les immeubles existants, mais cela coûtera cher.
M. Laurent Burgoa. - Lorsque le pays sera apaisé, l'exécutif devra réfléchir à une nouvelle loi de décentralisation qui ne soit pas une autre loi 3DS (loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale), pour dire qui fait quoi...
Madame Hébert, Intercommunalités de France serait-elle prête à discuter d'un transfert de compétence visant à ce que les intercommunalités gèrent le financement de la rénovation énergétique ?
Messieurs Geoffroy, Garnier et Masson, que pensez-vous du Fonds vert ? Dans mon département, de petites communes craignent de ne pas pouvoir en bénéficier.
Mme Anne Hébert. - À Intercommunalités de France, nous sommes prêts à envisager un tel transfert s'il peut renforcer l'efficacité de la rénovation énergétique, mais il faudrait savoir comment le couple commune-intercommunalité peut travailler sur cette question.
M. Guy Geoffroy. - Il s'agit de définir la pertinence du niveau d'intervention, qui n'est pas forcément la commune ou l'intercommunalité puisque tout dépend du tissu humain et territorial. Mieux vaut parler de « bloc communal », lequel est désireux de s'investir dans ce qu'il sait le mieux faire. Je rappelle à cet égard que les intercommunalités sont des établissements publics de coopération intercommunale et non pas des collectivités territoriales : c'est dans ce cadre qu'il faut envisager cette question.
Lorsque le ministre Christophe Béchu a présenté la première fois le Fonds vert à l'AMF, on pouvait croire à une révolution copernicienne : c'en était fini de la verticalité des appels à projets ; désormais, l'échelon local décidait et obtenait... Avec le recul, nous devons modérer notre enthousiasme comme nos critiques. Le volume de ce fonds se réduit de plus en plus, mais c'est toujours bon à prendre. Il ne convient pas de dénigrer un dispositif dont la qualité, ou l'absence de qualité, n'a pas encore été démontrée.
Nous avons obtenu du Gouvernement qu'il recommande aux représentants de l'État d'être le plus souples possible dans le cadre du dialogue avec les associations d'élus locaux et de la mise en place du Fonds vert, articulé avec la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Nous espérons que ce fonds perdurera au-delà de 2024, car une politique publique de cette ampleur doit être conduite sur une certaine durée, qu'il ne se réduira pas comme peau de chagrin et qu'il ne deviendra pas une machine à fabriquer des appels à projets.
Il faudra évaluer le plus rapidement possible la première année d'application du Fonds vert afin de proposer au Gouvernement, avec l'appui du Parlement, les évolutions indispensables. Ce fonds permettra probablement aux collectivités d'atteindre des objectifs d'amélioration de la situation climatique globale. Mais il s'agit de faire preuve de vigilance, laquelle est davantage d'actualité que la confiance ; mais il est possible d'y remédier.
M. Jean-Patrick Masson. - Le Fonds vert permet de recycler de nombreux projets, mais le problème de l'ingénierie se pose. Résultat : il y a beaucoup de saupoudrage. Se posent aussi des problèmes de délais et de pérennité du financement pour des projets dont certains aboutiront en 2025 ou 2026... Malgré ces limites, ce fonds est une bonne chose en ce qu'il crée un appel d'air et du mouvement.
M. Nicolas Garnier. - Au sujet du transfert de compétence, il s'agit avant tout d'une question de modulation : actuellement nous ne faisons qu'appliquer les règles de l'Anah pour les aides à la pierre, et de l'Ademe pour le fonds chaleur. Nous sommes en quelque sorte un opérateur de l'état, mais il ne s'agit pas d'un transfert de compétence et de moyens.
Habituellement, en matière de financement de la transition écologique, on est très soucieux du bon usage de l'argent. Or le Fonds vert est en quelque sorte un open bar... Et puis, un jour, il n'y a plus d'argent. Cela rappelle le dispositif « territoires à énergie positive pour la croissance verte » dont l'inconvénient majeur était qu'il donnait lieu à une foire d'empoigne, avec un faible niveau de rationalisation des aides publiques. Nous souhaitons donc que des grilles soient prévues et que les opérateurs de l'État, comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), instruisent les dossiers.
La transition écologique est à un tournant : beaucoup a été fait, mais nous sommes limités par le manque de moyens juridiques et financiers ; c'est vrai pour la rénovation énergétique ainsi que pour le tri sélectif ou la sobriété en eau. Or les besoins sont beaucoup plus importants que les moyens proposés. Il manque une loi de programmation du financement de la transition écologique, qui réconcilierait les Français avec la fiscalité environnementale, l'idée étant qu'il faut un signal prix sur les usages les moins vertueux et de l'argent pour mobiliser les comportements les plus vertueux. Pour cela, il faut donner une prévisibilité au signal prix, et garantir l'équité et une affectation de la fiscalité environnementale à son objet.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Bon nombre des ministres que nous avons auditionnés ont également appelé de leurs voeux une loi de programmation de la transition écologique et énergétique.
M. Michel Dagbert. - Parce que la population se tourne toujours vers eux et au vu de leurs compétences, qui sont majeures, les élus locaux pourraient représenter ce « point de rencontre » au moment de bâtir une politique en matière d'énergies et de chaleur. Or souvent, à l'échelle communale, on bute sur la question de l'ingénierie ; le bon niveau en la matière est donc sans doute l'intercommunalité.
Il faudrait faire un diagnostic des calories perdues, notamment dans les territoires où sont implantées des industries très consommatrices d'énergies. Dans mon département minier, le Pas-de-Calais, nous récupérons un gaz fatal qui s'échappe et que nous réinjectons dans le réseau de gaz, et donc dans les réseaux de chaleur.
L'intercommunalité est aussi la bonne échelle pour accompagner les élus locaux, étudier la faisabilité des réseaux de chaleur, y compris ceux qui sont de taille modeste, et veiller au retour des bonnes pratiques. Aux Pays-Bas, un réseau de chaleur a ainsi été développé par la géothermie à partir des eaux d'exhaure des puits de mine.
Il s'agit d'établir un schéma d'organisation qui soit lisible, mais surtout de trouver des solutions pour nos concitoyens.
M. Nicolas Garnier. - Il manque effectivement une ingénierie des réseaux de chaleur. L'agglomération de Lorient a embauché un chargé de mission sur ce sujet, dont l'objectif est d'installer un réseau de chaleur par commune de l'intercommunalité, ce qui est en cours de réalisation. Quant à la ville de Bordeaux, elle va multiplier ces réseaux par huit. L'Ademe a augmenté ses aides de faisabilité de ces projets à hauteur de 80 %.
Vous avez évoqué la chaleur fatale. J'ajouterai à vos propos que Dunkerque alimente une grande partie de son agglomération grâce à la chaleur des aciéries. Il existe un immense potentiel insuffisamment exploité permettant de produire de la chaleur à haute, moyenne ou basse température, et de très nombreux projets de récupération de chaleur fatale émergent actuellement. Dans notre « plan Marshall » de la chaleur renouvelable, nous proposons de prévoir un plan national d'évaluation des potentiels de chaleur, avec des financements locaux.
Il y a en France environ 1 000 réseaux de chaleur, dont 700 alimentés avec du bois, 150 par la valorisation énergétique de déchets, de 50 à 60 par la géothermie profonde, quelques dizaines par de la chaleur fatale. Des réseaux de chaleur solaire apparaissent aussi. Il faut citer aussi la récupération de chaleur fatale liée aux datacenters, auxquels il faudrait imposer de prévoir une solution de récupération de leur chaleur. Le potentiel du biogaz est très important. Ce qui est stratégiquement dangereux, selon nous, ce sont la monoénergie et le tout-électrique. Mieux vaut disposer d'un large panel de sources d'énergie, quitte à adapter les réseaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions pour ces échanges passionnants.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 35.
- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 00.
Ingénierie locale - Audition
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde sur l'ingénierie locale en matière de rénovation énergétique.
Nous recevons, à ce titre, les représentants de deux organismes.
Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) est représenté par M. Pascal Berteaud, directeur général, et par Mme Annabelle Ferry, directrice Territoires et Ville. Monsieur, vous êtes ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts. Vous avez auparavant exercé les fonctions de directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et de président de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). Le Cerema est un établissement public assez récent : ce centre de ressources et d'expertise en matière d'aménagement, d'urbanisme, de transition écologique et de cohésion des territoires a été créé en 2014, à la suite du Grenelle de l'environnement, afin de regrouper onze composantes de notre réseau scientifique et technique.
La Fédération des agences locales de maîtrise de l'énergie et du climat (Flame) est quant à elle représentée par sa présidente, Mme Maryse Combres, et par son délégué général, M. Franck Sentier. Madame Combres, vous êtes administratrice de l'agence de l'énergie et du climat de la métropole bordelaise et de la Gironde. Vous êtes par ailleurs conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine et, au cours de votre précédent mandat, vous avez été déléguée à l'efficacité énergétique et aux énergies renouvelables. Monsieur Sentier, vous étiez auparavant, notamment, coordinateur de la Flame et directeur de l'agence de l'énergie et du climat du centre et sud Yvelines. En 2004, les agences locales de maîtrise de l'énergie et du climat (Alec) se sont réunies en assemblée constituante afin de créer la Flame. Je rappelle que l'apparition des Alec résulte d'une initiative de la Commission européenne de 1994 et qu'elles sont des structures à but non lucratif, dont le rôle est d'accompagner les collectivités territoriales dans la transition énergétique.
Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions, vous intervenez à plusieurs titres sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, à savoir l'ingénierie locale des projets de rénovation énergétique. Nous souhaitons connaître vos analyses sur les dispositifs mis en place au titre des politiques publiques. Quel regard portez-vous sur les politiques de rénovation énergétique mises en oeuvre ? Quelle est votre position sur les obligations créées, notamment à la suite de la loi Climat et résilience, comme l'interdiction de la mise en location des passoires énergétiques ? Quelle est votre position sur les dispositifs d'incitation, qu'il s'agisse de MaPrimeRénov' ou des certificats d'économies d'énergie (C2E), et sur les politiques d'accompagnement, avec France Rénov' et, tout récemment, Mon Accompagnateur Rénov' ?
Au Sénat, nous sommes convaincus que les dynamiques locales sont particulièrement importantes pour entraîner des rénovations réussies : comment articuler l'action de l'État et celle des collectivités territoriales ? Quel rôle les collectivités territoriales doivent-elles jouer dans l'avenir ? Quelle ingénierie doit-on déployer au niveau local pour conduire plus efficacement des projets locaux de rénovation énergétique ? Que prévoir, en particulier, pour les logements sociaux ou les copropriétés ? Quelle adaptation des guichets et des accompagnateurs locaux est-elle nécessaire selon vous, alors que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a récemment fait parvenir des consignes aux collectivités pour obtenir le label MonAccompagnateurRénov' ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Berteaud, Mme Maryse Combres, Mme Annabelle Ferry et M. Franck Sentier prêtent serment.
Mme Maryse Combres, présidente de la Flame. - Avant tout, permettez-moi de vous remercier de cette audition. C'est effectivement en 1994, à la suite d'un programme européen, que les 450 Alec actuelles ont émergé à l'échelle de l'Union, dont une quarantaine en France. Les Alec apportent une ingénierie experte aux collectivités territoriales. Fortes de leurs vingt-cinq ans d'expérience, les agences françaises se sont fédérées au sein du réseau Flame, qui regroupe aujourd'hui une quarantaine d'entre elles et dénombre plus de 600 salariés. Il couvre, de surcroît, un territoire de 23 millions d'habitants, soit un tiers de la population française.
Les agences sont portées par plus de 300 intercommunalités et conseillent 1 100 communes. L'article L. 211-5-1 du code de l'énergie précise qu'elles accompagnent les collectivités territoriales dans leurs politiques relatives à l'énergie et au climat. Les Alec sont un outil privilégié pour les élus. Comme vous l'avez très justement rappelé, elles sont neutres et indépendantes. Elles favorisent l'émergence de projets en réunissant tous les acteurs autour de la table pour prendre un certain nombre de décisions.
Elles exercent une mission d'intérêt général à but non lucratif. J'insiste souvent sur ce point : les Alec ne demandent aucune rétribution de leurs services aux collectivités. Elles contribuent à déployer les actions d'information, de sensibilisation, de conseil et d'assistance technique. Elles assurent également l'accompagnement de la performance énergétique de tout bâtiment, visant à réduire les consommations, à limiter les émissions de gaz à effet de serre, à lutter contre la précarité énergétique et à favoriser l'émergence d'outils de production d'énergies renouvelables. Elles répondent ainsi aux objectifs de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Les Alec ont pour particularité de toucher tous les publics, des particuliers aux collectivités en passant par les entreprises. Elles peuvent donc intervenir sur tout format de bâtiment.
Leur ingénierie est généralement mutualisée dans les territoires. Elles agissent souvent à l'échelle d'une métropole, d'un groupe d'intercommunalités, voire d'un pays ou d'un département. Très malléables et très agiles, elles s'adaptent réellement aux besoins des territoires et sont impliquées dans le dossier de la rénovation thermique des bâtiments : toutes sauf une disposent d'un guichet France Rénov'.
La rénovation thermique des bâtiments est un élément clef de la transition énergétique. Le programme des Nations unies pour le développement (Pnud) nous le rappelle, 50 % à 80 % des leviers d'action pour lutter contre le changement climatique se trouvent à l'échelle locale. Il s'agit bel et bien de l'échelon opérationnel.
Le modèle des Alec est donc particulièrement pertinent pour accélérer les transitions au coeur des territoires. Ces ingénieries sont créées par des élus, pour des élus, au bénéfice de l'ensemble des collectivités territoriales.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Parmi les questions abordées, viendront sans doute ensuite la pérennité de vos structures et vos difficultés de financement.
Mme Maryse Combres. - Tout à fait. Sur le terrain, nous souffrons d'un grave manque de lisibilité. En dix ans, trois « marques » se sont succédées : espaces info énergie (EIE), réseau Faire et France rénov'. Ce manque de lisibilité touche également le financement, y compris celui des missions. Aux financements assurés par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et les régions ont succédé le programme Sare (service d'accompagnement pour la rénovation énergétique), entre l'État et la région ou les départements, quand celle-ci n'a pas souhaité assumer cette compétence. S'y ajoutent les nombreux changements associés à l'émergence d'acteurs très opportunistes. Je pense notamment à la rénovation des combles à 1 euro. Aujourd'hui, de nouvelles démarches se multiplient, par téléphone ou sur les réseaux sociaux : contrairement à ce qu'affirment ces acteurs, elles sont bien de nature commerciale.
Cette succession de changements a provoqué la méfiance de nos concitoyens pour les accompagnements proposés. Ces derniers doivent donc être institutionnalisés et reconnus : c'est indispensable pour restaurer la confiance. Quelle que soit la structure porteuse, les EIE d'autrefois étaient bien identifiés : en s'y rendant, on savait que l'on obtiendrait des conseils avisés. MaPrimeRénov' s'inscrit dans cette logique.
Je précise que, ce matin même, nous avons pris part à la réunion de lancement de la concertation du pacte territorial, entre l'État et les collectivités, sur le service public de la rénovation de l'habitat : l'État entend désormais assurer la coconstruction des futures politiques publiques en la matière.
Nous avons appris à cette occasion que MonAccompagnateurRénov' n'oeuvrerait finalement qu'à partir du 1er janvier prochain. Nous avons longuement parlé de ce dispositif, qui relèvera des acteurs privés. De nombreuses questions se font jour à son sujet.
On déplore un manque de visibilité quant aux suites données au programme Sare, qui - nous l'avons appris il y a quelques jours - va être prolongé d'une année. Cette mesure doit nous permettre d'assurer la coconstruction que j'évoquais avec les différents services de l'État. C'était un très grand sujet d'inquiétude pour les collectivités porteuses, qui ne savaient plus si elles devaient inscrire ou non ce dispositif dans leur budget. C'était également une grande source d'anxiété pour les directrices et directeurs d'agence, qui se voyaient déjà licencier leur personnel. Ce manque d'anticipation, qui provoque des troubles à tous les niveaux, n'a pas été de nature à resserrer les liens avec nos concitoyens.
Le cofinancement de travaux performants dans le cadre de rénovations globales est seul à même de limiter les consommations d'énergie et donc les émissions de gaz à effet de serre.
À nos yeux, les projets de rénovation doivent comporter un volet d'adaptation : ce choix permettrait véritablement d'anticiper.
Jusqu'à présent, les financements se sont concentrés sur les équipements. Or, selon nous, ce choix n'est pas le plus judicieux. Financer l'installation d'une pompe à chaleur (PAC) dans un logement non isolé, c'est gaspiller de l'argent public, car une telle formule est techniquement inefficace.
Est-il pertinent de continuer à financer le geste unique ? Nous avons également abordé cette question. À l'évidence, les actions engagées doivent s'inscrire dans un parcours, car à l'heure actuelle le premier geste, qui concerne très souvent le financement d'équipements, n'est que rarement suivi de travaux d'isolation. Dès lors que le logement considéré bénéficie d'un programme d'isolation, l'équipement installé se révèle surdimensionné ; et, tant que cet effort n'est pas consenti, il est en situation de surconsommation, en tout cas pour l'électricité.
Il existe une multiplicité d'aides financières - MaPrimeRénov', MaPrimeRénov' Sérénité, les C2E, les prêts à taux zéro (PTZ), les prêts Avance rénovation (PAR) - et nos concitoyens ont beaucoup de mal à s'y retrouver. Ces aides sont difficiles, non seulement à solliciter, mais à obtenir. En parallèle, le reste à charge demeure trop lourd, en particulier pour les ménages en grande précarité.
La rénovation du patrimoine public doit faire l'objet d'une politique très claire. Or, comme en matière de logement, il existe une multiplicité d'aides, relevant de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de la dotation d'équipement aux territoires ruraux (DETR), de France Relance, du Fonds vert ou de l'Action des collectivités territoriales pour l'efficacité énergétique (Actee) : on a l'impression d'être face à un saupoudrage d'argent public. Ne serait-il pas plus pertinent de concentrer ces efforts de financement, pour que les collectivités puissent engager une véritable planification des travaux ?
Je viens de faire un tour de France des agences, je me déplace fréquemment dans les territoires et, en me fondant sur les remontées de terrain, je puis vous assurer que, dans certains endroits, le manque d'ingénierie territoriale est criant.
Nombre d'élus sont désormais prêts à agir en faveur des transitions écologique et énergétique. Malgré la multiplicité des aides, ils sont à même d'obtenir des financements, mais ils ne savent pas par où commencer et comment s'organiser. Dans un tel contexte, une ingénierie territoriale experte fait cruellement défaut. Elle donnerait aux élus une vision plus globale de leur territoire et de son patrimoine en fixant des priorités et en garantissant une planification. Comme chacun sait, la rénovation s'inscrit dans le temps long.
Cette démarche permettrait d'amorcer la transition dont il s'agit, qui - j'y insiste - demeure très incertaine, faute de soutien et d'ingénierie.
Dès lors que les élus le demandent et que le besoin est constaté, nous nous efforçons de mettre en oeuvre une ingénierie mutualisée, surtout dans le tissu rural, qui en a absolument besoin. Cette ingénierie mutualisée est à même de financer le déploiement de conseillers en énergie partagés (CEP), au service des bâtiments publics des collectivités porteuses.
Enfin, pour la rénovation du tertiaire privé, le décret tertiaire pour les bâtiments de plus de 1 000 mètres carrés, tel qu'il est rédigé, est globalement positif. Mais nous manquons encore d'un service public dédié au petit tertiaire non soumis au décret. Le programme Sare en a permis une première ébauche, avec ce que l'on appelle les B1 et les B2, mais il faut aller plus loin en clarifiant et en pérennisant ces initiatives. Les besoins sont réels.
En résumé, l'État doit déployer des politiques publiques de rénovation énergétique via des dispositifs stables, clairs et simples. Les particuliers comme les collectivités ont un grand besoin de simplification. Nous avons besoin de structures de qualité neutres et indépendantes. Nous martelons ces termes, car c'est le seul moyen de retrouver la confiance de nos concitoyens. Il faut, de même, assurer des financements fiables et pérennes. La logique de dispositifs dédiés et d'appels à projets est très difficile à mettre en oeuvre. Les financements apportés, qui s'inscrivent dans le temps court, entrent en contradiction avec notre mission, par définition longue, de rénovation thermique.
M. Pascal Berteaud, directeur général du Cerema. - Le Cerema est certes une structure récente - il va bientôt avoir dix ans -, mais il est l'héritier d'une longue tradition d'ingénierie et d'expertise publiques. Dans notre territoire, les premières routes se sont concentrées autour de Lyon : il s'agit des voies romaines. C'est peut-être ce qui explique que notre siège se trouve dans cette ville.
Aujourd'hui, nous regroupons environ 2 500 agents, dont 2 000 ingénieurs et techniciens, présents dans vingt-trois villes. Ce maillage correspond grosso modo à celui des anciennes régions.
Notre mission est d'assurer une expertise dite « de deuxième niveau ». À cette échelle, nous pouvons travailler à l'élaboration de méthodologies et à l'accompagnement des collectivités territoriales. Cela étant, nous ne saurions avoir l'initiative du premier geste, évoqué par Mme Combres.
L'ingénierie publique fonctionnait assez bien mais elle a été supprimée. N'est-il pas temps de recréer un dispositif plus formel ? Un certain nombre d'acteurs existent et agissent - je pense notamment aux agences départementales -, mais, dans la pratique, on éprouve un grand besoin d'ingénierie de proximité, tout particulièrement dans les départements ruraux.
Bien sûr, de nombreuses personnes interviennent, y compris des chargés de mission suivant diverses politiques financées par l'État. Toutefois, à la base, on a besoin de quelqu'un qui réalise le projet : ce qui manque aux collectivités territoriales, c'est une assistance à la maîtrise d'oeuvre.
Par suite d'une assez forte réduction d'effectifs - ces derniers ont été réduits de 4 000 dans les années 2000 à 2 400 aujourd'hui -, le Cerema a recentré son activité sur ses sujets majeurs, au titre des politiques publiques, et sur les domaines où son expertise nationale est reconnue.
Dans le secteur du bâtiment, nous nous consacrons uniquement à l'efficacité énergétique des bâtiments. Il s'agit principalement du fonctionnement des ventilations et de la perméabilité des ouvrants. À ce titre, nous menons à la fois des travaux de recherche et des activités de développement méthodologique.
Sur le terrain, nous nous efforçons de changer les comportements. Ainsi, avant de lancer des travaux, il faut améliorer l'utilisation des éclairages.
C'est tout le sens des programmes Cube.S élaborés avec nos partenaires. Nous avons commencé par les bâtiments de bureaux avant d'étendre notre action aux bâtiments scolaires - les lycées, les collèges et maintenant les écoles, où les enseignants prolongent d'ailleurs notre démarche par leurs projets pédagogiques.
Les économies d'énergie obtenues sont de l'ordre de 10 % à 30 % : les chiffres sont assez élevés. De surcroît, de retour à la maison, les enfants ont une influence sur leurs parents - nous sommes en train d'en mesurer l'effet avec notre partenaire, l'Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) -, ce qui favorise la baisse de consommation dans les logements.
Ces démarches, qui ne coûtent pas grand-chose - en pratique, on se contente souvent d'installer quelques capteurs -, permettent de s'assurer que, lorsqu'on en vient aux investissements lourds, le sujet est bien appréhendé. Il est inutile d'isoler intégralement un bâtiment par l'extérieur si ses occupants continuent de vivre les fenêtres ouvertes.
Nous commençons tout juste à agir dans les logements. En pratique, nous n'avons encore que peu d'activité à cet égard.
J'y insiste, cette démarche prouve son efficacité : on commence par changer les comportements, puis on fait les investissements lourds.
En matière d'investissements, le programme Sereine (pour « Solution d'Évaluation de la peRformance Énergétique INtrinsèquE des bâtiments ») monte en puissance. Il permet la mesure des performances énergétiques des bâtiments, qui est pour nous un sujet majeur. De fait, on fait beaucoup de travaux, on dépense beaucoup d'argent, mais on ne mesure pas forcément le gain à la sortie ! Du coup, entre les promesses et la réalité, se creuse un écart, que le développement des méthodes d'évaluation devrait réduire.
Je me réjouis qu'on observe une prise de conscience très forte par les autorités publiques, au niveau local notamment : les élus veulent agir. C'est d'autant plus notable que c'était moins le cas il y a une dizaine d'années. L'État manifeste aussi une vraie volonté d'accompagner, avec des programmes dotés de montants particulièrement importants.
Il est vrai qu'il y a beaucoup de démarches simultanées, dont la visibilité est parfois faible. Sur ce point, comme cela a été dit, je confirme que les élus ne savent parfois pas trop comment faire : il y a trop d'offres ! Pourtant, le rythme des rénovations n'est pas suffisant par rapport aux enjeux du changement climatique.
Les dispositifs MaPrimeRénov' et MonAccompagnateurRénov' semblent être la clef de voûte du système, car ils mobilisent des personnes effectivement capables d'accompagner les propriétaires dans les travaux à effectuer. Il est important de mettre en oeuvre des programmes globaux, afin de mettre sur le terrain, auprès des particuliers comme des maîtres d'ouvrage, des personnes capables de les accompagner.
À destination des entreprises, l'offre pourrait être assez largement améliorée. L'enjeu de la formation des artisans est fondamental, et nous aurions intérêt à monter en puissance. Les artisans sont assez sensibilisés, mais ils ne savent pas toujours comment faire.
Le point positif, c'est que les moyens sont là. Reste à bien les canaliser, pour qu'ils soient mis en oeuvre sur le terrain.
Mme Maryse Combres, présidente de la Fédération des agences locales énergies climat (Flame). - Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit M. Berthaud. L'interdiction de louer des passoires énergétiques serait une bonne chose si elle suscitait des rénovations. Mais on constate qu'elle déclenche aussi des mises sur le marché... Un accompagnement plus fort vis-à-vis des bailleurs de tous types devrait être imaginé. Il faudrait leur faire valoir l'intérêt d'une rénovation faisant intervenir le tiers financement.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos premières explications. Je vous rejoins sur le besoin d'ingénierie, notamment auprès des collectivités territoriales. Nous avons justement organisé une table ronde sur ce sujet. Pour agir fortement et rapidement, il faut nous appuyer sur les collectivités territoriales, et celles-ci ont besoin d'ingénierie à l'échelle locale.
Dans le dispositif actuel, on est encore beaucoup sur du monogeste, lié aux aides attribuées et au démarchage existant. Selon vous, comment sortir de ce schéma pour aller vers de la rénovation globale ? Il faudrait au moins veiller à ce que le premier geste soit fait en connaissance de cause, dans la perspective d'une rénovation globale. Et nous devrions veiller à obtenir une vraie visibilité sur l'évolution des logements et les interventions successives. Comment voyez-vous MonAccompagnateurRénov' ? Ce dispositif va-t-il remplacer l'existant, ou lui est-il complémentaire ? Il y a des inégalités entre territoires. MonAccompagnateurRénov' peut apporter une réponse ; en voyez-vous d'autres ? Sur les nouveaux matériaux biosourcés, par exemple, la mise en place de filières locales commence à émerger. Reste à fixer des normes. Et, à l'échelle d'un territoire, cela demande une ingénierie assez importante. Avez-vous des exemples d'accompagnement pour aller plus vite dans ce domaine ?
M. Franck Sentier, directeur général de la Flame. - Pour commencer, parlons de la problématique du monogeste. L'essentiel est d'éviter un monogeste effectué dans le mauvais sens. Par exemple, il faut éviter de subventionner le changement d'un système de chauffage si le bâtiment n'a pas été isolé au préalable. Il est préférable de procéder en plusieurs étapes si nécessaire, mais le processus doit être fait dans le bon sens : d'abord, isoler l'enveloppe pour réduire les consommations, puis changer de système de chauffage. Si l'on fait les étapes dans le mauvais sens, c'est de l'argent gaspillé.
MonAccompagnateurRénov' doit surtout venir en complément de l'existant. Le service public de rénovation doit fournir non seulement de l'information et des conseils personnalisés, mais également un suivi tout au long du projet. Même si le ménage fait appel à une assistance à maîtrise d'ouvrage, avec un cahier des charges bien défini, il doit pouvoir se retourner vers son service public de confiance en cas de problème ou de questions.
MonAccompagnateurRénov' coûte cher et concerne les projets ambitieux, avec au moins 10 000 euros d'aides. Les autres projets devraient être accompagnés aussi. Il devrait être possible de le faire dans le cadre du service public, en fonction des besoins des particuliers - le service public jouant le rôle de tiers de confiance.
Mme Maryse Combres. - Ce qu'a dit M. Berthaud concernant la nécessité de prendre des mesures rejoint un peu ce qu'a évoqué M. Sentier sur la nécessité de prioriser de manière cohérente les actions entreprises.
Par exemple, élue régionale, j'étais chargée de la performance énergétique des lycées. Nous avons commencé par les instrumenter, car il était nécessaire d'avoir une mesure de référence pour savoir si toutes les actions que nous allions mener nous permettraient d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Nous sommes partis de l'objectif et avons fait un rétroplanning.
Après l'instrumentation des lycées, qui atteint désormais 50 %, nous avons travaillé sur leur efficacité énergétique, notamment sur leur rénovation - même s'il reste encore quelques points noirs, car certains lycées ont plus d'un siècle ! Là où les rénovations étaient moins importantes, nous avons procédé à une substitution systématique d'énergies renouvelables, pour atteindre une rénovation extrêmement performante. Cela nous a permis d'obtenir des résultats conséquents, puisque nous avons réussi à faire baisser de 40 % les émissions de gaz à effet de serre entre 2000 et 2023. Il est donc crucial de porter graduellement et de prioriser les actions de rénovation.
C'est le rôle des régions que de proposer et d'organiser la structuration des filières. En Nouvelle-Aquitaine, nous avons structuré la filière chanvre et la filière paille, et nous sommes aujourd'hui en mesure de proposer, grâce à un guide environnemental rigoureux et pointu, des matériaux biosourcés pour les rénovations. Les régions ont donc un rôle d'animation très important pour créer ces filières et ces structures.
Parallèlement, elles ont également un rôle important à jouer dans la formation professionnelle. Il peut y avoir des problèmes importants avec les professionnels du bâtiment, notamment en ce qui concerne la méconnaissance de l'utilisation des biomatériaux. Lorsque la mise en oeuvre n'est pas faite dans les règles, nous n'obtenons pas les résultats escomptés. Mais la formation professionnelle et la structuration des filières relèvent, à mon sens, des régions.
M. Franck Sentier. - Il y a clairement besoin de former plus de personnes... Aujourd'hui, il est parfois difficile de recruter.
M. Pascal Berthaud. - Sur les questions de financement, la bonne nouvelle est que les travaux que l'on veut réaliser entraînent une diminution de la facture énergétique : il y a des gains potentiels. La difficulté, c'est de savoir comment les activer pour arriver à faire les travaux. Nous sommes totalement d'accord avec ce qui a été dit, c'est-à-dire qu'il faut agir dans l'ordre, et commencer par faire ce qui coûte peu cher. Pour l'instant, nos programmes fonctionnent très bien dans le tertiaire et sur le logement. Il y a probablement des choses à apprendre pour trouver d'autres solutions. Mais il nous semble que c'est déjà la première des choses à faire.
Ensuite, il faut avoir des projets globaux et il y a un grand intérêt à activer les économies qui peuvent être réalisées pour aider au financement, à travers du processus de tiers financement ou de contrats de performance énergétique. Les outils existent, y compris le tiers financement, qui peut être étendu aux collectivités territoriales. Il faut travailler avec ces outils. Mais il faut avoir en tête que ces sujets de technique financière sont plus compliqués que ce que l'on avait l'habitude de faire jusqu'à présent, ce qui renvoie immédiatement à des questions de formation.
Les outils existent ou sont en train d'être créés, mais il y a encore beaucoup à faire en matière de formation des accompagnateurs. Les maîtres d'ouvrage, qu'ils soient des entreprises, des collectivités territoriales ou des particuliers, ne sont pas compétents sur ce sujet, et la notion d'accompagnateur est une très bonne chose car cela permet de les prendre par la main. Le travail de l'accompagnateur ne sera pas le même selon qu'il s'agit d'un office HLM ou de particuliers, mais c'est comme cela qu'on arrivera à faire basculer la situation, car sinon, les maîtres d'ouvrage sont seuls face à ces sujets qu'ils ne connaissent pas.
On voit bien ce qu'il faut faire. La difficulté réside surtout dans la formation. Il y a un effort massif à faire pour faire monter en compétence à la fois des accompagnateurs concrets, des entreprises et de nouvelles filières, comme celle des biomatériaux, sur laquelle nous nous sommes investis et où nous voyons que les choses commencent à évoluer. Mais il y a un gros effort de promotion à faire.
Mme Annabelle Ferry. - Effectivement, les questions de formation, de filière locale et de matériaux biosourcés sont essentielles. Nous devons aussi adapter les interventions selon le territoire et le patrimoine. Une rénovation énergétique doit être adaptée au territoire, c'est aussi le cas des constructions neuves. Les filières doivent être en adéquation avec ces paramètres.
Nous travaillons beaucoup sur ces sujets, en partenariat avec le Centre de ressources pour la réhabilitation du bâti ancien (Creba) et l'Observatoire des coûts de la construction. Nous avons par exemple publié des fiches sur le coût des opérations de constructions en matériaux biosourcés. Il nous faut sensibiliser les maîtres d'ouvrage, les maîtres d'oeuvre, les architectes ou encore les artisans.
Nous devons mettre en place des filières locales à la fois pour la construction et la réhabilitation et pour les matériaux, et ce tant en ce qui concerne le thermique que l'acoustique. Nous y travaillons notamment avec l'université Gustave-Eiffel. Nous pouvons déjà valoriser un certain nombre de choses avec des projets que j'appellerai vitrines, par exemple la terre crue en Isère.
En tout cas, notre conviction, c'est qu'il faut absolument partir du local pour pouvoir avancer, même si des échelles plus larges peuvent être pertinentes pour certains aspects. Bien sûr, il existe des disparités entre les territoires, mais il est très important d'avancer sur tous ces chantiers.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Prenez-vous en compte la question du stockage du carbone, lorsque vous travaillez sur les matériaux biosourcés ?
Mme Annabelle Ferry. - Absolument, ces éléments sont complètement corrélés. Les recherches sur les matériaux biosourcés se font aussi sous cet angle. Nous privilégions les matériaux qui permettent d'atteindre une certaine performance, tout en améliorant le stockage du carbone. Et les choses sont différentes selon les territoires.
M. Franck Sentier. - J'ajoute qu'il est très important de faire savoir tout ce qui se réalise concrètement sur le terrain. Cela peut passer par des visites de sites, tant pour des particuliers que pour des représentants de collectivités locales - visiter une école rénovée dans une commune proche peut enclencher un processus vertueux. Les visites font partie de la nécessaire sensibilisation que nous devons mettre en place et cela me semble faire partie du service public. C'est un moyen de faire entrer les gens dans ce type de démarche et d'encourager les économies.
Mme Maryse Combes. - Le coeur de notre métier, c'est bien l'échange d'expériences. C'est par l'animation et l'information que nous pourrons convaincre et avancer. Il n'y a qu'un élu qui peut convaincre un autre élu ; c'est la même chose pour les professionnels.
En ce qui concerne l'ingénierie locale, j'ai adressé fin février une proposition au ministère des comptes publics au sujet de son financement. Il me semble que l'ingénierie doit être mutualisée au travers d'un budget annexe mis en place par l'État et décliné dans chaque intercommunalité. Si nous voulons agir efficacement sur la production d'énergie et la rénovation des bâtiments, nous avons besoin d'une vision globale et de passerelles entre les territoires, notamment entre le rural et l'urbain, comme entre les producteurs et les consommateurs.
Quand on parle d'ingénierie, beaucoup de gens pensent nouvelles dépenses de fonctionnement... Nous devons faire valoir que cela génère du chiffre d'affaires sur le territoire et de l'attractivité. Plus l'État financera de manière simple de l'ingénierie, plus les retombées seront fortes dans les territoires. Il faut engager un cercle vertueux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Un système gagnant-gagnant !
Mme Maryse Combes. - Exactement. Tout cela génère par exemple des recettes de TVA pour l'État. L'ingénierie est productive et les conseillers sont finalement, même si cette expression est inadaptée s'agissant d'un service public, des « apporteurs d'affaires » au bénéfice des territoires.
M. Pascal Berteaud. - Nous devons réfléchir en termes de complémentarité entre le privé et le public. Au moment de la création du Cerema, les bureaux d'études privés avaient certaines craintes, mais les choses se passent finalement bien. Nous avons d'ailleurs des conventions avec les fédérations Syntec et Cinov, des organisations qui les représentent, et un représentant de Syntec Ingénierie siège à notre conseil d'administration. Il y a certaines choses que le privé ne peut pas faire, notamment auprès des collectivités locales.
L'ingénierie existe partout sur le territoire, mais ce sont souvent de petits bureaux d'études. Nous devons faire monter les acteurs privés en compétence : ils peuvent aisément monter un projet pour refaire la place de l'église, mais il est souvent plus difficile pour eux d'intégrer les enjeux globaux, par exemple les conséquences du changement climatique, ou d'aider la collectivité à se projeter sur les trente prochaines années. Cela nous a amenés à augmenter notre offre de formation ; c'est comme cela que nous réussirons à mobiliser l'ensemble de la communauté.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La semaine dernière, nous avons entendu M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique. Il nous a annoncé la création d'un guichet unique pour l'accueil et l'orientation dans chaque EPCI d'ici à 2025. Qu'en pensez-vous ?
Mme Maryse Combes. - Nous avons effectivement débattu de ce sujet ce matin avec lui et nous y travaillerons dans le cadre des groupes de travail qui ont été mis en place. La question est de savoir ce qu'on met précisément derrière cette notion de guichet unique. Il faut réfléchir en amont sur les modalités de mise en oeuvre. Autre interrogation : comment en faire bénéficier concrètement les petites communes ?
M. Franck Sentier. - Un guichet unique ne signifie pas nécessairement une structure dans chaque EPCI. Dans les territoires ruraux, il faudra certainement mutualiser. Cela fonctionne déjà pour certains dispositifs : l'échelle est par exemple départementale, mais une permanence est assurée régulièrement dans les mairies pour être au plus près des habitants et des élus.
Mme Maryse Combes. - Dans ce type de situation, nous avons d'ailleurs créé des liens avec les maisons France Services. Au début, il pouvait là aussi y avoir des inquiétudes, mais cela fonctionne très bien. Souvent, une véritable dynamique s'est même enclenchée.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Existe-t-il aussi une articulation avec France Rénov' ?
Mme Maryse Combes. - Oui. Le guichet unique sera fort, s'il constitue un point d'entrée. Mais nous n'en sommes qu'au début du projet...
M. Pascal Berteaud. - Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur le guichet unique. Le système est complexe et le guichet unique peut constituer un point d'entrée utile, pas forcément pour simplifier - c'est un objectif difficile à atteindre. Nous avons besoin d'intermédiaires qui soient proches du terrain, tout en connaissant la complexité du système et la manière d'actionner le réseau. Il ne faut pas mettre en place un système centralisé, puisqu'on ne construit pas à partir de zéro - de nombreuses structures existent déjà. Le guichet unique doit aider les gens ou les collectivités à se mouvoir dans le labyrinthe - c'est cela son intérêt.
M. Franck Montaugé. - La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 a créé les plateformes territoriales de la rénovation énergétique (PTRE), qui devaient jouer le rôle de guichet unique. Avez-vous pu observer comment elles fonctionnaient ? Certaines fonctionnent-elles toujours ? D'autres ont-elles cessé leur activité et, si oui, pourquoi ? Ne faudrait-il pas s'inspirer des démarches de ce type qui ont fonctionné, en les actualisant si nécessaire ?
Mme Maryse Combres. - Les PTRE existent toujours. Le problème est que, même à l'échelle d'une région, tous les EPCI ne se sont pas dotés d'une PTRE. Or il faut que les politiques énergétiques nationales soient déployées à toutes les échelles. L'arrêt de ces plateformes est souvent dû à un problème de financement : quand les aides, d'État ou régionales, s'arrêtent, l'engagement des collectivités dans ces plateformes cesse parfois aussi. L'idée aujourd'hui est d'instaurer un guichet unique dans tous les EPCI : c'est ainsi que l'on combattra les inégalités territoriales, mais il faudra y mettre les moyens.
M. Franck Sentier. - Beaucoup d'Alec portent des PTRE, qui permettent une forme d'accompagnement. C'est la même idée qui inspire Mon Accompagnateur Rénov'. Selon l'Ademe, à peu près tous les territoires sont couverts d'une manière ou d'une autre : parfois, ce n'est que de l'information et du conseil par téléphone ; parfois, il y a une présence physique ; parfois, l'accompagnement est plus poussé. Dans certains territoires, ces services sont offerts par les EPCI en régie ; dans d'autres, ce sont les Alec qui s'en chargent, ou encore des associations.
M. Franck Montaugé. - Au vu de la multiplicité des parties prenantes, croyez-vous à la notion de guichet unique ?
Mme Maryse Combres. - Oui. Il faut que chaque niveau institutionnel se saisisse de l'enjeu, avec ses compétences spécifiques.
M. Franck Montaugé. - Je me place du point de vue de l'habitant du territoire.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le guichet unique doit être un point d'entrée.
Mme Maryse Combres. - Les porteurs de ce guichet peuvent être multiples ; l'important est qu'il soit unique et qu'il soit le même partout, pour favoriser l'égalité territoriale.
M. Pascal Berteaud. - L'expression « guichet unique » peut avoir de multiples sens. Ce ne peut être l'endroit où l'on va tout faire. J'y vois plutôt un réducteur de complexité, un endroit où l'on explique simplement aux citoyens les aides auxquelles ils ont droit et les interlocuteurs auxquels ils doivent s'adresser.
M. Franck Montaugé. - Un aspect me paraît essentiel : le suivi du demandeur de A à Z. La vision globale de son parcours ne doit pas être perdue pour qu'il ait finalement une réponse à son problème, quitte à reformuler celui-ci.
Mme Maryse Combres. - L'important est de recréer de la confiance chez nos concitoyens, qui sont démarchés de partout. Le rôle du guichet unique sera de réorienter le citoyen, ou la collectivité, qui s'adresse à lui vers le bon interlocuteur, qui pourra apporter une réponse fiable à sa question.
M. Franck Montaugé. - Le numérique va sans doute jouer un rôle important dans ce domaine comme dans d'autres. Le rapport aux plateformes va être crucial, notamment dans les territoires où la population est plus âgée.
M. Franck Sentier. - Les plateformes peuvent rendre service, mais tout le monde ne peut pas s'en servir ; c'est pourquoi la présence physique est capitale. Le numérique est surtout un outil essentiel pour les opérateurs des guichets.
M. Pascal Berteaud. - Le numérique peut, s'il est bien utilisé, être un vrai réducteur de complexité. Par ailleurs, si l'on veut offrir plus de sécurité aux citoyens, il faudra aller assez loin, y compris en développant une labellisation des entreprises, pour désigner celles qui sont dignes de confiance. Le nombre de margoulins dans ce secteur est hallucinant !
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Le guichet unique existe déjà largement : nombre de collectivités ont mis en place des plateformes de rénovation, qui offrent accompagnement et orientation au sein d'un réseau local d'entreprises. La vraie question, c'est la généralisation de ces dispositifs.
Mme Maryse Combres. - Absolument ! Il faudra aussi savoir ce que le ministère entend par « guichet unique »...
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Hier, M. Vermot Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric, nous expliquait comment le numérique peut aussi constituer un outil de sobriété énergétique.
Mme Sabine Drexler. - Les matériaux locaux et biosourcés sont ceux avec lesquels on construisait il y a deux ou trois siècles... Les enjeux de protection du bâti patrimonial et ses spécificités, notamment hygrothermiques, sont-ils suffisamment pris en compte dans le DPE et les préconisations de travaux qui en découlent ?
Mme Annabelle Ferry. - Je ne saurais me prononcer précisément sur le DPE, mais ces enjeux sont pris en compte par le Cerema ; le centre de ressources développé vise la rénovation de tout type de patrimoine, même très ancien. Nous y travaillons en lien avec la Fondation du patrimoine. Cette association entre rénovation patrimoniale et rénovation thermique est assez récente.
M. Pascal Berteaud. - Depuis deux ou trois ans, nous rencontrons un engouement croissant pour cette question.
Mme Maryse Combres. - Certaines Alec travaillent sur ce sujet depuis plusieurs années ; elles se sont inscrites dans le programme européen Violet, qui répertorie tous les retours d'expérience fructueux, quand l'amélioration de la performance énergétique du bâti ancien va de pair avec le respect de son intégrité patrimoniale. Un guide a notamment été produit par l'Alec de Bordeaux Métropole. Nous travaillons sur ces sujets en lien très étroit avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Comment appréhendez-vous la nouvelle formulation du DPE ? Le dispositif est précis, mais son application est complexe, ce qui nuit à la stabilité des résultats. Les Alec que je connais travaillent à la simplification du bouquet de travaux à mener. Ne faudrait-il pas travailler à une telle simplification du DPE lui-même, pour améliorer sa lisibilité, mais aussi son caractère motivant pour le particulier ?
Mme Maryse Combres. - Concernant les DPE, nous ne pouvons vous exprimer que le retour de ce que nous constatons sur le terrain. Ils ont le mérite d'exister et de mesurer la gradation des efforts à accomplir. Le calcul est parfois quelque peu aléatoire : on a vu des logements passer de la classe D à la classe C du fait d'un simple changement de fenêtres, alors qu'ils restent des passoires thermiques. Il faut donc peut-être revoir les critères permettant le passage d'une classe à l'autre, voire simplifier en éloignant plus les classes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On a même vu l'inverse : des logements classés C qui, après travaux importants, se retrouvaient en classe E !
M. Franck Sentier. - Il faudrait que les diagnostiqueurs soient mieux formés pour prendre l'outil en main. Il faut rentrer des informations techniques correctes ; sinon, le DPE sera aléatoire et ne reflétera pas la réalité. Il faut éviter que le technicien se contente de cocher la case « Je ne sais pas ».
M. Pascal Berteaud. - Là encore, c'est un problème de formation des acteurs. Il faut une professionnalisation accrue et plus de contrôles. L'enjeu est moins de remettre de nouveau en cause la mécanique du DPE que de mieux appliquer ce qui est déjà dans les textes.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La préoccupation est que le DPE a été rendu opposable, comme le Gouvernement avait garanti qu'il serait fiabilisé : des contentieux sont probables.
M. Franck Sentier. - Par ailleurs, on n'a pas forcément besoin d'un DPE pour savoir quels travaux faire dans une maison.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup pour ces échanges. N'hésitez pas à nous faire parvenir d'éventuelles réponses complémentaires à notre questionnaire.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Rôle des architectes dans la rénovation énergétique - Audition
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde consacrée à l'architecture, en recevant les représentants de trois organismes :
1. Le Conseil national de l'ordre des architectes, représenté par Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente et M. Stéphane Lutard, chargé de mission transition écologique et maquette numérique. L'Ordre des architectes comprend, outre le Conseil national, 17 conseils régionaux. L'Ordre assure plusieurs missions de service public, comme la tenue du Tableau régional des architectes, de manière à protéger et contrôler le titre d'architecte, l'organisation de conciliations en cas de conflits, et la garantie du respect des règles déontologiques. L'Ordre également représente et promeut la profession auprès des pouvoirs publics.
2. Le Collège des directeurs d'écoles d'architecture, représenté par M. Raphaël Labrunye, directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Bretagne. Le Collège rassemble les directeurs des vingt écoles nationales supérieures d'architecture de France, dont le statut est défini par le décret n° 78-266 du 8 mars 1878.
3. La Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE), est représentée par sa directrice, Mme Valérie Charollais. Ainsi que Mme Éléonore Chambras Lafuente, chargée de mission à la FNCAUE.
M. Denis Dessus, alors président du Conseil national de l'ordre des architectes, affirmait avec force dans une tribune du 8 octobre 2020 que les architectes sont des « acteurs indispensables de la rénovation énergétique ». En effet, en plus d'être un interlocuteur privilégié des ménages et des acteurs du bâtiment, l'architecte doit posséder une vision globale des enjeux du logement, dont ceux qui touchent à la transition énergétique.
La formation des architectes est donc fondamentale. À ce titre, la rénovation énergétique prend une place de plus en plus importante dans le cursus des écoles d'architecture. Estimez-vous que les efforts réalisés sont suffisants, ou qu'il faille aller plus loin ? Quant aux architectes en exercice, est-ce que les enjeux de rénovation énergétique vous semblent bien intégrés au sein de la profession ? Avez-vous des témoignages de difficultés rencontrées par des architectes relatives à la réglementation et aux dispositifs d'aides à la rénovation énergétique ?
Les architectes peuvent aussi jouer un rôle majeur d'accompagnement des ménages et des entreprises. Dès lors, que pensez-vous de la mise en oeuvre de Mon Accompagnateur Rénov' ? Les architectes ont-ils été suffisamment associés à la conception du dispositif ?
Enfin, l'architecte doit assurer la conciliation entre les exigences de la rénovation énergétique et la préservation architecturale du bâti. Comment les spécificités des bâtiments ayant un caractère patrimonial sont-elles prises en compte ? Est-ce que la réglementation à ce sujet vous semble suffisamment complète et précise ?
Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ dix minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.
Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.
Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».
Mmes Marjan Hessamfar, Valérie Charollais, Éléonore Chambras Lafuente et MM. Stéphane Lutard et Raphaël Labrunye prêtent serment.
Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'ordre des architectes. - L'article 1er de la loi du 3 janvier 1977 dispose que l'architecture est l'expression de la culture et qu'elle est d'intérêt public : le législateur a ainsi marqué sa volonté de promouvoir la qualité de l'architecture, et il a confié à l'Ordre des architectes le soin de garantir cette qualité tout en protégeant les usagers et les professionnels. On le sait peu, mais les architectes prêtent serment et leur déontologie leur interdit de travailler en entreprise en tant qu'architectes, le cadre de notre profession protège les intérêts de nos clients et nous permet de jouer aussi un rôle de conseil auprès d'eux - des clauses contractuelles doivent préciser les liens que nous avons avec les entreprises avec lesquelles nous avons déjà travaillé, il y a une obligation d'informer nos clients. Comme élue de l'ordre des architectes, je constate que les architectes ne sont pas beaucoup sollicités dans la rénovation énergétique et que leur utilité n'est pas bien connue, alors qu'ils jouent le rôle de tiers de confiance, à même d'apprécier l'utilité des travaux, c'est très important dans un secteur où les consommateurs se plaignent d'être victimes d'escroqueries.
Le Conseil de l'ordre des architectes est organisé en 17 régions et un conseil national composé d'élus ; nous avons quelque 39 000 architectes inscrits, notre rôle est d'assurer que les architectes soient de bonne moralité, qu'ils disposent d'une assurance professionnelle et qu'ils respectent leurs obligations de formation professionnelle continue.
Mme Valérie Charollais, directrice de la Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement. - Institués en 1977, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) forment une sorte de service public de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement, accompagnant les porteurs de projets, publics ou privés, et diffusant une culture de l'architecture et du paysage, grâce leur maillage départemental. Notre rôle se situe en amont, nous aidons à la décision, nous écoutons les besoins des territoires et nous tâchons de faire de la pédagogie sur les politiques publiques de notre secteur, pour aider à la définition du cadre d'intervention - mais nous ne faisons aucune maîtrise d'oeuvre, et nos règles prévoient également qu'un architecte qui intervient dans un CAUE, ne peut exercer en libéral dans le département où ce CAUE est implanté.
Nous assumons cette double fonction aussi pour la rénovation énergétique et je veux souligner, d'emblée, que nous regrettons qu'une partie seulement des CAUE figurent dans la plateforme MaPrim'Rénov', puisque seuls y ont été inscrits ceux qui étaient auparavant « Espace information-énergie », soit 16 CAUE seulement sur les 92 qui forment le maillage actuel. Tous les CAUE ne sont certes pas équipés en ressources comme le sont ceux qui avaient créé en leur sein un tel espace, mais nous recevons tous les publics et nous connaissons les territoires, nous sommes donc tout à fait capables, quand nous n'avons pas les compétences en interne, d'indiquer aux porteurs de projet les structures à même de les accompagner. La rénovation énergétique nécessite du conseil, de l'accompagnement, aussi bien pour les collectivités publiques que pour les particuliers ; nous sommes reconnus par la loi et nous avons un rôle à jouer, j'indique au passage que le nouveau service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare), parce que son modèle économique passe par des actes marchands, rend difficile d'effectuer comme il le faudrait ces missions de conseil et d'accompagnement.
Comme réseau national, nous nous félicitons que la mobilisation pour la rénovation énergétique s'accélère, il faut parvenir à massifier la rénovation. On en parle désormais davantage, les acteurs convergent mieux, mais on confond encore trop ce qui relève du public et du privé et nous pensons aussi qu'il faut mettre plus de moyens dans la rénovation, après des années où ce sujet n'était pas prioritaire - mais aussi qu'il faut mobiliser davantage et mieux les ingénieries territoriales en place.
M. Raphaël Labrunye, directeur de l'École nationale supérieure d'architecture de Bretagne. - Je précise qu'en plus de diriger l'école nationale supérieure d'architecture de Bretagne, je suis architecte praticien et enseignant-chercheur, et que mes activités sont principalement liées à l'intervention dans l'existant, ce qui m'en donne une vision large.
Notre pays compte 20 écoles nationales supérieures d'architecture réparties sur le territoire national, elles accueillent environ 20 000 étudiants ; 3 300 étudiants y entrent chaque année, 2 500 diplômes de Master sont délivrés par an et 1 500 habilitations à la maîtrise d'oeuvre ; les écoles comptent 1 736 enseignants et 723 agents administratifs et techniques. Seules deux régions ne comptent pas d'école nationale d'architecture : le Centre-Val de Loire et la Bourgogne-Franche-Comté, tandis qu'en outremer, seule La Réunion accueille une formation à l'architecture - via une antenne de l'école de Montpellier.
D'écoles professionnelles, les écoles nationales supérieures d'architecture se sont transformées considérablement depuis 30 ans pour devenir des établissements de type universitaires, accueillant des équipes de recherche, développant des enseignements académiques indispensables à la formation des architectes. Placées sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur elles délivrent, depuis l'adoption du système licence-master-doctorat (LMD) en 2006, des diplômes valant grade universitaire jusqu'au doctorat, selon le même déroulement de cursus que l'ensemble des universités européennes. Sous des formes plus ou moins intégrées, elles participent toutes au mouvement de regroupement universitaire à l`oeuvre depuis quelques années.
La multiplication des doubles diplômes ou des formations conjointes avec des écoles d'ingénieurs, de design, ou des masters spécialisés avec des universités, a permis de développer l'offre de formation et de l'adapter à une réalité multiple. Cependant, même si les écoles d'architecture ont désormais un caractère universitaire plus marqué, elles dispensent des formations professionnalisantes, formant à une profession réglementée, préparant à l'exercice du métier d'architecte, dans toutes ses acceptions. La double nature académique et professionnelle des écoles d'architecture, constitue la richesse de nos formations.
Les textes sont nombreux, depuis vingt ans, à souligner l'importance de la formation à la réhabilitation. C'est le cas des arrêtés de 2005 relatifs aux études d'architecture, du rapport Feltesse, de 2013, sur l'enseignement supérieur et la recherche en architecture, du rapport Bloche, de 2014, sur la création architecturale, de la Stratégie nationale pour l'architecture énoncée en 2015 et en passe d'être renouvelée, du Plan national en faveur des espaces protégés énoncé par le sénateur Yves Dauge en 2016, ou encore de la Stratégie pluriannuelle du patrimoine formulée en 2017 par Françoise Nyssen.
Après deux rapports internes du ministère en 2003 et 2011, une première enquête exhaustive sur la formation à la réhabilitation a été réalisée en 2018 par l'Ensa Normandie, financée par le ministère de la transition ; elle démontrait qu'à des degrés divers, toutes les Ensa forment leurs étudiants à l'intervention dans l'existant, avec 155 enseignements identifiés. Une deuxième enquête menée par le réseau Ensa ECO et financée par le Feebat - un programme d'EDF pour les économies d'énergie - a recensé 285 enseignements comportant des modules spécifiquement sur la question de la rénovation énergétique dans 17 Ensa, en Master et en Licence. Seuls 30 % d'entre eux sont spécifiquement dédiés à cette problématique avec plus de 50 % des contenus identifiés sur la rénovation énergétique. Les enseignants restent globalement attachés à produire des enseignements qui élargissent le spectre de la problématique avec une visée pluridisciplinaire qui ne soit pas uniquement concentrée sur des aspects purement techniques.
Une enquête, à laquelle je participe, est conduite actuellement par le réseau architecture, patrimoine et création, dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt sur les métiers d'avenir, et financée par la Caisse des dépôts. Elle montre que nous en sommes à 396 enseignements dans les Ensa, soit deux fois plus qu'il y a 5 ans, même si l'école de Chaillot représente à elle seule 142 enseignements. Il y aurait donc, en moyenne, par école, une vingtaine d'enseignements liés à l'intervention sur l'existant. Ce domaine se diffuse, il faut encore le structurer, lui donner sa place dans les enseignements fondamentaux, par exemple sur le relevé de diagnostic, ou encore sur la connaissance du bâti ancien, qui est peu dispensée en école d'architecture. En Master, les écoles ont en général un ou plusieurs domaines de spécialité sur l'existant, à diverses échelles, les étudiants peuvent se spécialiser, je pourrai vous communiquer la liste de ce type de spécialisation.
Les enseignements liés à l'intervention dans l'existant sont souvent articulés à ceux liés à la transition numérique ou à la transition écologique, il y a de quoi structurer des formations, comme c'est le cas dans d'autres pays européens. Nous constatons aussi une forte demande des étudiants dans ce sens, nous le voyons par exemple dans notre école en Normandie, où le Master en réhabilitation, que nous avons depuis une vingtaine d'années, est un motif de candidature. Nous sommes, également, très bien placés pour situer ces formations dans un cadre local, avec les élus et les habitants, et démontrer alors l'importance de l'intervention des architectes dans la rénovation énergétique au sens large. Le terme rénovation énergétique, du reste, n'apparaît que dans 19 des 396 présentations d'enseignement de l'enquête Feebat.
L'enquête à laquelle je participe, et dont nous présenterons les résultats le mois prochain à la Caisse des dépôts, établit aussi un besoin de renforcement de certains modules techniques dans nos enseignements et pose la question de nos moyens, sachant que les ressources humaines et financières des écoles d'architecture n'ont pas progressé depuis vingt ans, depuis que le ministère de la culture a repris la tutelle des écoles.
Je souhaite, ensuite, attirer l'attention de la commission sur trois points.
Le premier concerne la dénomination de votre commission d'enquête. Les termes de « rénovation énergétique » restreignent le sujet et présupposent une orientation qui n'est pas que sémantique, mais qui se traduit par de réelles difficultés. Le terme « rénovation » suppose une remise à neuf, avec toute la matière et le bilan carbone défavorable que cela entraîne, alors qu'il y existe tout un panel d'interventions alternatives ; le terme « énergétique », ensuite, implique une focalisation sur la consommation énergétique de l'édifice, ce qui peut se traduire, par exemple en Normandie, par une isolation extérieure de longères à pan de bois et torchis, avec du polystyrène et du bardage plastique - soit un type de rénovation énergétique très contestable sur le plan environnemental, sans parler de la mise en danger du bâtiment lui-même ou encore de l'impact sur le vivant. Les architectes insistent pour que les politiques publiques ne soient pas segmentaires, mais qu'elles privilégient un diagnostic global intégrant l'usage et ses évolutions, la valeur patrimoniale, les techniques constructives originelles et leur fonctionnement, les techniques modernes d'amélioration des performances énergétiques et de confort des bâtiments et leurs liens avec les ressources.
Le deuxième point concerne la recherche scientifique, qui permet la production de connaissance et l'innovation. Les structures de recherche qui travaillent dans le domaine de la construction, de l'architecture ou du patrimoine sont dispersées, et se trouvent sous la tutelle de ministères différents. Il faut pourtant disposer d'une meilleure connaissance du bâti, mettre en place des bases de données qui caractérisent les constructions. Considérer que les bâtiments construits entre 1948 et 1974 sont des passoires thermiques, c'est partiellement faux et cela conduit à globaliser les solutions, comme le fameux décret sur les travaux embarqués qui impose des isolations thermiques par l'extérieur, comme si on imposait par décret le menu dans tous les restaurants de France. Le laboratoire TSAM de l'école polytechnique fédérale de Lausanne a démontré que, sur un grand ensemble datant des années 1960, une intervention fine et précautionneuse était deux fois moins chère et atteignant 80 % des performances attendues d'une rénovation énergétique aux normes, en préservant la qualité patrimoniale et architecturale de l'ensemble. Nous avons besoin de ce type d'études, mais nos écoles n'ont que très rarement la possibilité de les conduire, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens. Alors que pour le spatial, le cancer ou l'agriculture, l'État s'est doté d'instituts nationaux de recherche, il ne l'a pas fait sur la ville ou la construction, la recherche dépend de structures éparses, c'est regrettable. Il y a des exemples, pourtant, montrant que l'intervention de la recherche peut être décisive - je pense à une doctorante impliquée dans l'équipe du bailleur social Habitat-76, qui, en aidant l'organisme à définir une stratégie d'intervention sur le patrimoine individuel, parvient à changer les pratiques, pour mieux faire prendre en compte la qualité architecturale et la qualité d'usage.
Troisième point, l'ingénierie de projet est trop souvent marginalisée dans les dispositifs de financement et de politique publique, en particulier les missions de l'architecte. On estime qu'elle représente 1 % du coût global des opérations, mais elle peut avoir un impact majeur. Je prendrai l'exemple d'une opération à Fontainebleau, où l'étude technique avait préconisé la démolition du patrimoine ; or, l'agence Eliet et Lehmann, missionnée par le bailleur, a permis de trouver une solution qui a sauvegardé le patrimoine et atteint le label BBC Rénovation sans en passer par une isolation par l'extérieur, grâce à des études historiques et des sondages réalisés dans les murs qui ont révélé des qualités que l'étude technique n'avait pas vues. Aujourd'hui, trop de modèles normatifs sont pris en fonction des constructions neuves et appliqués à l'existant sans adaptation et conduisent à des opérations peu pertinentes voire contre-productives, qu'on doit renouveler tous les vingt ans au gré de vagues de financement. Ceci pose la question d'une évaluation architecturale des projets par les financeurs, pour mieux allouer les fonds publics.
Mme Marjan Hessamfar. - Parmi les questions que vous nous avez adressées par écrit, vous nous interrogez sur le rôle de l'architecte dans la rénovation énergétique. L'architecte y joue le même rôle que dans la construction en général, sa première mission est d'accompagner son client pour formaliser son projet, de participer à la sélection des entreprises, d'analyser les devis et de suivre le chantier, jusqu'à sa réception. Il regarde aussi, bien entendu, quel projet est possible dans le budget de son client, et c'est aussi là qu'il est un tiers de confiance, en particulier pour les fonds publics. L'architecte est intéressant parce qu'il apporte une approche globale, il va regarder, à l'occasion de la rénovation strictement énergétique, les améliorations en qualité d'usage et en valeur patrimoniale, il va projeter l'évolution du bâti, c'est très important pour ne pas avoir à refaire des travaux trop rapidement.
Nous préconisons donc un diagnostic global à l'occasion de la rénovation énergétique. Les architectes ont pris le virage des crises successives, 87 % déclarent avoir dirigé un chantier de rénovation depuis 2020, ils se forment, 2 500 ont suivi une formation spécifique sur la rénovation énergétique. Je signale que la formation continue des architectes est obligatoire, à raison de 20 heures par an, nous y veillons.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - J'entends d'autant mieux votre remarque sur le titre de notre commission d'enquête, Monsieur Labrunye, que notre objectif est d'interroger les politiques publiques qui aident à la rénovation énergétique, de voir leurs effets et leurs omissions, en particulier sur la qualité de vie, sur les politiques du logement et d'habitat, c'est ce dont nous parlons avec les bailleurs et ce qui remonte de notre enquête, les sujets sont liés.
Une question sur le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) : qu'en pensez-vous, de ses modalités et de ses effets ? Comment regardez-vous les réalisations qui sont faites sous couvert de ce label ? Vous paraissent-elles efficaces, durables ? Et quel peut en être le contrôle, au moins a posteriori, quand il n'y a pas de maîtrise d'oeuvre, donc pour la plupart des rénovations chez les particuliers ? Peut-on s'inspirer de ce qui se passe avec le contrôle des installations électriques et l'attestation de conformité délivrée par le Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité (Consuel) ?
Quelle est votre analyse de l'accompagnateur Rénov' ? Et que pensez-vous de l'idée que ce poste devrait revenir à un architecte ?
Que pensez-vous, ensuite, de la place des matériaux bio-sourcés dans la rénovation thermique, mais aussi dans la formation à la formation thermique ? Nous sommes allés aux Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau, en Isère, ce qu'on y a vu est impressionnant, en particulier pour les implications sur la formation des architectes, aussi bien que sur le développement d'activité en lien avec les filières locales : quelle est votre analyse sur le sujet ?
Mme Marjan Hessamfar. - Quand on parle de rénovation énergétique, à l'heure du réchauffement climatique, le prisme n'est pas seulement celui de l'énergie ni du thermique, il inclut bien sûr le confort d'été, et l'analyse que nous conduisons étant globale, nous regardons également le fait par exemple qu'un bâtiment doit continuer à respirer, ces notions de confort et de cohérence font partie intégrante du travail global de l'architecte.
Le label RGE va dans le bon sens, mais le problème, c'est que quand une entreprise de fenêtres est labellisée RGE, il ne faut pas en attendre qu'elle propose autre chose que des fenêtres, ce qui est partiel - c'est ici que se situe notre critique. Un autre aspect est le fait qu'il a fallu débattre pour dispenser les architectes de la mention RGE, étant donné que la formation qu'ils ont reçue est déjà suffisante, que c'est pour eux déjà un acquis. Je crois aussi que sur ces sujets, on ne met pas assez de moyens sur l'ingénierie des projets et qu'on en gâche en finançant des actions partielles, mono-tâches, qui coûtent cher sans améliorer vraiment la situation, le principal problème est là.
Il y a, également, la question de la réception des chantiers. Faut-il un assistant à la maîtrise d'ouvrage qui préconise les actions, puis laisse les particuliers en face-à-face avec les entreprises, avec un contrôle a posteriori par une tierce personne - ou bien un intervenant assermenté, qui suit le chantier de l'amont à l'aval, qui vérifie en particulier que les assurances sont prises, et qui réceptionne les travaux ? Nous pensons que l'accélération de la rénovation, telle qu'on l'envisage désormais, incite à regrouper les aides et à « globaliser » les intervenants, et qu'on aidera mieux les ménages avec une approche plus globale.
L'accompagnateur Rénov' est un dispositif qui va dans le bon sens, mais ses missions sont encore définies de manière partielle, il faut aller plus loin.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - L'idéal serait qu'un architecte puisse intervenir sur tout chantier de rénovation énergétique ; cependant, est-ce réaliste, y a-t-il assez d'architectes formés pour le faire ?
Mme Marjan Hessamfar. - C'est possible, mais il faut que les écoles soient mieux dotées, on ne peut pas en rester aux moyens d'il y a vingt ou trente ans. Nous ne sommes pas assez nombreux, mais il y a des marges de manoeuvre dès lors que la construction neuve ralentit et que la rénovation prend plus d'importance, un tournant a été pris. J'attire l'attention sur le fait que le diagnostiqueur doit être assuré, sinon cela ne pourra pas fonctionner, n'importe qui pourra se faire diagnostiqueur, sans être responsable de ce qu'il fait puisque les particuliers ne pourront pas se retourner contre lui. Les architectes, en tout cas, répondent présents, et s'ils ne sont pas assez nombreux, il faut regarder aussi du côté des ingénieurs, par exemple.
M. Stéphane Lutard, chargé de mission transition écologique et maquette numérique au Conseil national de l'ordre des architectes. - La question du nombre d'architectes se pose, effectivement, mais on pourrait très bien envisager de conditionner les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), en cas de rénovation globale, à la présence d'une maîtrise d'oeuvre. On retrouve l'idée de contrôle dans l'attestation délivrée par l'auditeur énergétique : il ne se rend pas sur le chantier, mais il délivre son attestation au vu des factures que le ménage lui présente, il vérifie alors que ces travaux correspondent bien à ceux qu'il a prescrits. Un flou demeure cependant dans la définition du rôle de l'accompagnateur Rénov' : sur le site du ministère, les missions de cet accompagnateur s'apparentent bien à celles d'un assistant à la maîtrise d'ouvrage, - il aide au projet, oriente vers les entreprises, regarde le devis, assiste à la réception des travaux -, mais le Gouvernement ne franchit pas le Rubicon, refusant de faire de cet accompagnateur Rénov' un véritable assistant à la maîtrise d'ouvrage. Ceci, alors même qu'on sait pertinemment que des rénovations partielles ne sont pas efficaces. Des milliards d'euros sont investis dans la rénovation énergétique, cela justifie un contrôle, une régulation.
Mme Valérie Charollais. - Si le recours à l'architecte est utile, la question se pose aussi du budget, c'est la clé d'entrée pour les particuliers, ils nous parlent d'abord argent - ce qui contribue à justifier la présence d'un homme de l'art, qui peut dire mieux que d'autres ce qu'on peut envisager de faire dans le budget déterminé. Reste, cependant, qu'il faut bien préciser que si un architecte intervient en amont du projet en tant qu'accompagnateur Rénov', il ne peut ensuite s'occuper du marché, c'est une question de déontologie.
Les architectes ne sont pas les seuls à ne pas toujours comprendre l'évolution des règles, les élus et les habitants ont eux aussi bien des difficultés à comprendre des règles qui changent souvent, qui en perdent leur lisibilité. Des règles sont définies, mais comment s'y prépare-t-on sur les territoires, comment les élus en sont-ils informés, comment les artisans s'y forment-ils ? Il y a maints décalages en la matière. Et je crois que s'y ajoute aussi une dimension culturelle, du lien qu'on entretient avec son habitat. Lorsqu'on achète une voiture, on sait qu'elle va s'user, qu'il faudra l'entretenir, remplacer des pièces ; c'est moins clair avec sa maison, on ne conçoit pas toujours les choses dans le temps, la rénovation n'est pas anticipée, en particulier sur le plan financier.
Je veux signaler également l'importance de la formation des syndics, c'est un vrai sujet car eux non plus n'anticipent pas bien les rénovations. Le CAUE du Val-de-Marne y travaille, on voit tout ce qu'il y a à faire en la matière.
Il faut aussi stimuler la qualité de la rénovation, c'est le rôle par exemple de l'association Effinergie, reconnue d'intérêt public et qui délivre des labels reconnaissant les bâtiments sobres en énergie et bas carbone, y compris les bâtiments ayant un caractère patrimonial, la méthode fait travailler ensemble architectes et ingénieurs. Je me réjouis aussi de voir que la formation des architectes évolue, il faut que les architectes et les ingénieurs se parlent, au-delà de l'expertise technique, il y a là aussi un enjeu culturel. Je signale que la place de l'architecte reste compliquée dans le comité de pilotage du SAR, c'est aussi le cas au sein des instances de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Je crois, enfin, que nous avons effectivement beaucoup à faire pour construire des filières, en particulier sur les matériaux bio-sourcés. Des initiatives existent ici et là, mais il faut mettre tout le monde autour de la table, localement, il faut rendre les choses plus fluides. C'est un chantier à ouvrir, pour intégrer aussi la dimension économique de ces enjeux.
M. Raphaël Labrunye. - Parmi les modules défaillants dans nos formations, il y a l'économie du bâtiment en général et de la rénovation en particulier. Ces questions doivent-elles être abordées à l'école d'architecture, ou bien en insertion professionnelle ? Les études d'architecture sont relativement courtes, comparées à celle d'un médecin ou d'un compagnon du devoir, cependant ces compétences économiques importent, on le voit par exemple dans le fait qu'un jeune diplômé d'un IUT en économie du bâtiment se voit proposer en moyenne un meilleur salaire qu'un jeune architecte qui a pourtant fait deux ou trois ans d'études en plus. Il faut donc, probablement, conforter ces aspects de l'économie du bâtiment dans nos cursus. Il y a aussi la formation continue, nos écoles peuvent former très largement, sous réserve que nous ayons les moyens de nous développer, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - et ce sont des organismes privés qui s'en chargent, c'est dommage, nous pourrions faire bien davantage en étant soutenus dans cette direction, nous avons les enseignants, les chercheurs, la pédagogie, mais pas les outils de développement, les ressources administratives pour développer cette offre de formation.
Les Grands ateliers de L'Isle-d'Abeau sont un outil extraordinaire, toutes les écoles d'architecture rêveraient de disposer d'un équivalent, alors que les écoles d'ingénieur, par exemple, sont dotées d'outils approchants. Le problème, en fait, c'est que cet outil ne soit qu'une exception. Il est adossé à une fondation d'université, une association a été montée pour le gérer et aller chercher des financements, ce fonctionnement fait rêver bien des écoles d'architecture.
Pour développer les matériaux bio-sourcés, nous butons sur le fait que notre tutelle, le ministère de la culture, n'a pas la compétence de développer des filières, nous parvenons à soutenir des initiatives, mais guère à aller plus loin et à porter des projets de filière. Il faut structurer le financement, comme les écoles d'ingénieur l'ont fait par exemple pour l'automobile, on pourrait le faire sur le lin, en Normandie, où nous avons un plan de transfert de R&D de l'enseignement supérieur vers les filières industrielles ; nous en sommes pourtant encore très loin.
Mme Sabine Drexler. - Nous déplorons nous aussi, en Alsace, que du bâti patrimonial soit saccagé par des techniques de rénovation inadaptées, les choses commencent à se savoir alors que les injonctions à la rénovation énergétique se font plus fortes depuis la loi « Climat et résilience ». Je me réjouis que les écoles d'architecture se saisissent enfin de cette question, ce que j'entends aujourd'hui me rassure - et je sais que vous pouvez compter sur les collectivités territoriales, qui mettent déjà des moyens à disposition de la rénovation énergétique.
Mme Marjan Hessamfar. - La construction de filières est freinée aussi par le défaut d'homologation de certains matériaux, qui ne sont pas reconnus pour la construction et certains lobbys des matériaux en place ne vont pas dans le sens de l'ouverture, il faut accélérer les choses de ce côté-là.
Certaines règles nouvelles, cependant, améliorent les choses, je pense par exemple à la souplesse sur la hauteur des bâtiments, qui permet d'inclure mieux l'isolation par de nouveaux matériaux : c'est une bonne nouvelle, cette souplesse va dans le bon sens.
Je veux signaler aussi l'importance des architectes des bâtiments de France (ABF), qui sont en quelque sorte les gardiens du temple de notre patrimoine, de sa beauté : ils apparaissent comme des censeurs, alors qu'ils pourraient mieux conseiller en amont s'ils étaient plus nombreux - les ABF sont tout à fait nécessaires et utiles, mais il faut qu'ils puissent travailler dans de bonnes conditions, ce qui n'est pas le cas actuellement.
M. Stéphane Lutard. - Il y a deux types d'audit énergétique : celui qui est fait lors de la vente d'un bien, il est alors réalisé par un diagnostiqueur immobilier, conformément à la réglementation ; le diagnostic incitatif réalisé dans le cadre de MaPrimeRénov', réalisé par des architectes et des bureaux d'études. L'administration réfléchit, apparemment, à les confondre, en les confiant aux diagnostiqueurs immobiliers et ce que nous craignons, c'est un recul des exigences, alors que le diagnostic est la clé d'une rénovation énergétique performante. Des diagnostiqueurs immobiliers font des scénarios irréalistes, avec des dégâts sur le patrimoine, il faut faire attention, en particulier dans les secteurs protégés - où les ABF n'acceptent pas, avec raison, des scénarios irréalistes qui ont été présentés aux particuliers.
Mme Valérie Charollais. - Il faut effectivement mieux sensibiliser les particuliers, nous le faisons avec des visites thermographiques, qui rencontrent un grand succès parce que les participants comprennent mieux comment les choses se passent ; il faut aussi mieux sensibiliser les élus, qui sont des acteurs clés : comment mieux les former sur la rénovation énergétique, afin qu'ils aient les meilleurs outils pour leur territoire ? Le président de l'association nationale des CAUE ne le cache pas, après 15 années passées à la tête des CAUE : il a beaucoup appris ! Cela pose la question d'une formation socle pour les élus, qui intègre les rôles de l'architecte, du thermicien et de l'artisan.
M. Raphaël Labrunye. - Cela montre aussi le caractère essentiel des CAUE et l'importance d'assurer leur financement, ce sont des acteurs incontournables pour informer et former en particulier les élus, et plus largement la population. Une autre piste est du côté de la simplification administrative, par exemple sur les règles relatives au patrimoine remarquable : beaucoup d'élus hésitent à s'y engager parce que les contraintes sont lourdes, alors que c'est un outil formidable pour faire comprendre et connaître les caractéristiques des bâtiments, mais aussi pour le dialogue entre les élus et les ABF. Il est curieux d'ajouter un règlement patrimonial spécifique au règlement urbain déjà en place, il doit y avoir des solutions plus simples pour intégrer ces règles dans le corpus habituel, pour mieux articuler les choses.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez signé la charte « Faciliter, Accompagner et Informer pour la Rénovation Énergétique » (FairE) en 2019 : quel bilan en faites-vous ?
Mme Valérie Charollais. - Oui, nous l'avons signée, sans avoir le droit de figurer sur la plateforme Faire... Cette charte était déjà dans le réseau, elle a permis de mieux reconnaitre le travail réalisé dans les territoires, où l'on travaille sur ces questions depuis longtemps. Le bilan est difficile à faire dans le détail, mais je suis convaincue qu'il est positif, cette charte a eu un effet d'entraînement.
Mme Marjan Hessamfar. - En tant que co-rapporteurs du groupe de travail n° 3 du Conseil national de la refondation, nous avons proposé de renforcer les moyens pour la thermographie, c'est un bon outil pour prioriser la rénovation thermique, en ciblant d'abord les passoires thermiques - c'est très intéressant en particulier pour les zones pavillonnaires.
Mme Valérie Charollais. - La charte Faire a eu comme effet de rapprocher les structures, la meilleure connaissance du réseau a certainement amélioré les choses ; cependant, les services publics historiques de la rénovation énergétique constatent que le programme SAR ne leur fait pas bénéficier de plus de moyens d'agir.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci encore pour vos témoignages, je dois malheureusement vous quitter, et laisse la présidence à notre rapporteur.
- Présidence de M. Guillaume Gontard, rapporteur -
M. Raphaël Labrunye. - La constitution de données fiables sur l'état du bâti reste problématique, nous n'avons pas de méthode de travail pour les regrouper et les agréger, alors que ces données existent, de manière dispersée : il faut structurer leur recueil et leur analyse, pour mieux cibler le déploiement des moyens et les outils à utiliser.
Mme Marjan Hessamfar. - Ce que nous préconisons aussi, c'est que l'accompagnateur Rénov' n'ait pas le statut d'assistant à la maîtrise d'oeuvre, qui serait alors « à côté » de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage, car il s'agit en fait d'un travail d'accompagnement : celui qui fait le diagnostic devrait aussi pouvoir aider à sélectionner les entreprises et vérifier que les travaux ont été faits - ce serait mieux que l'accompagnateur Rénov' fasse l'ensemble de ces missions, plutôt qu'une partie seulement. Attention, aussi, à la tarification de ce service, parce qu'en deçà d'un certain prix, cela ne va plus intéresser d'expert.
M. Guillaume Gontard, président. - Effectivement, en deçà d'un certain, prix, la fonction ne saurait être attractive. Le constat est unanime, aussi, du manque de lisibilité de ce qui se profile, des missions que cet accompagnateur Rénov' devra assumer. En tout état de cause, merci encore pour votre participation à nos travaux.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 10.