Jeudi 13 avril 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Institutions européennes - Audition de Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir, madame l'ambassadrice, pour un large tour d'horizon de notre relation bilatérale avec le Royaume-Uni, où vous représentez la France depuis un peu plus de six mois.
Cette audition sera une occasion de rappeler l'importance déterminante du dialogue franco-britannique dans notre politique extérieure, importance soulignée par le fait que le roi Charles III, auquel vous avez récemment remis vos lettres de créance, aurait dû être accueilli au Sénat le mois dernier, à l'occasion d'une visite reportée, à une date ultérieure.
Alors que l'année prochaine marquera le 120e anniversaire de l'Entente cordiale, et sans revenir sur la riche histoire de la coopération bilatérale entre les deux pays, le partenariat entre la France et le Royaume-Uni est un pivot structurant, aussi bien de notre politique étrangère que de notre politique de défense.
En dépit des divergences récentes apparues en 2021 à l'occasion de la mise en oeuvre du Brexit et de l'annonce de l'alliance AUKUS entre les Britanniques, les Australiens et les Américains en Indopacifique, les politiques extérieures de la France et du Royaume-Uni demeurent étroitement liées. C'est une bonne chose !
Les spécificités que la France partage avec le Royaume-Uni, en sa qualité de puissance dotée de l'arme nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, constituent un facteur de rapprochement, transcendant les désaccords ponctuels qui peuvent survenir entre les deux pays. L'échange de ce matin nous permettra donc d'aborder l'ensemble des grands enjeux de notre politique étrangère et de défense.
À ce titre, le bouleversement géostratégique déclenché par l'agression de l'armée russe en Ukraine le 24 février 2022 est un témoignage de la convergence structurelle entre la France et le Royaume-Uni.
Les autorités britanniques ont été parmi les plus réactives et les plus déterminées à soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine. Alors que l'aide militaire du Royaume-Uni à ce pays est estimée à plus de 6,5 milliards d'euros depuis le début du conflit, vous nous donnerez la position actuelle du gouvernement britannique sur le conflit. Dans quelle mesure son aide fait-elle l'objet d'une coordination efficace avec celle que l'Union européenne apporte ?
C'est dans ce contexte de convergence géostratégique que le Président de la République a accueilli le Premier ministre Rishi Sunak, le 10 mars dernier, à l'occasion d'un sommet franco-britannique ayant permis d'évoquer de nombreux domaines de coopération entre nos deux pays.
Avant de revenir sur les composantes diplomatiques et militaires de notre coopération, je souhaiterais profiter de votre présence pour souligner l'appartenance commune de la France et du Royaume-Uni à l'Alliance atlantique, qui constitue un cadre déterminant pour notre coopération bilatérale.
La semaine dernière, conformément à la volonté commune de la France et du Royaume-Uni, la Finlande a pu rejoindre formellement l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan), après ratification de son instrument d'adhésion par l'ensemble des Alliés.
Pour autant, le processus d'adhésion reste en suspens pour la Suède, dont l'instrument d'adhésion doit encore être ratifié par la Hongrie et la Turquie. Alors que l'adhésion rapide de la Suède à l'Alliance atlantique est un objectif partagé par la France et le Royaume-Uni, vous nous direz comment ces deux pays coordonnent leur effort pour accélérer ce processus.
Sur le volet diplomatique de notre relation bilatérale, vous pourrez également nous entretenir de la façon dont a été accueilli, au Royaume-Uni, le format de la Communauté politique européenne (CPE), proposé voilà un peu moins d'un an par le Président de la République.
Après une première réunion à Prague en octobre dernier, qui a permis d'aborder la question des infrastructures critiques, ainsi que le soutien à l'Ukraine, vous nous direz quelle est la perception de ce nouveau format diplomatique, réunissant 44 pays et dépassant le périmètre de l'Union européenne.
En particulier, quelques mois avant un nouveau sommet en Moldavie le 1er juin et un an avant que la 4ème édition de la CPE ne soit organisée au Royaume-Uni, vous nous direz quel rôle les Britanniques entendent jouer dans ce nouvel instrument de politique extérieure, excédant les limites de l'Union européenne.
Sur le volet militaire de notre relation bilatérale, nous serons heureux de vous entendre préciser l'état d'avancement de plusieurs projets de coopération.
Le cadre fixé par les accords de Lancaster House du 2 novembre 2010 demeure une référence incontournable. Alors que la longue mise en oeuvre du Brexit a parfois donné le sentiment de ralentir cette coopération, nous serons attentifs à votre analyse sur les perspectives en matière de coopération militaire bilatérale.
En matière opérationnelle, vous pourrez nous rappeler le rôle des 10 000 militaires de la Force expéditionnaire conjointe franco-britannique, la CJEF, et nous indiquer quelles directions sont envisagées pour renforcer son potentiel à moyen terme.
En matière capacitaire, alors que le Gouvernement a présenté la semaine dernière le projet de loi de programmation militaire, nous serons heureux de vous entendre sur les grands projets industriels menés en commun, en particulier sur l'état d'avancement du futur missile antinavire et futur missile de croisière, ainsi que du projet « One MBDA » de création de centres d'excellence partagés entre les filiales françaises et britanniques du groupe.
Vous voyez, à l'évocation de tous ces sujets, combien votre audition est importante pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, mais également pour la commission des affaires européennes.
M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est la première fois que, conjointement, nos deux commissions vous entendent, en votre qualité de nouvelle ambassadrice de France au Royaume-Uni, et nous en sommes, madame l'ambassadrice, ravis.
Je rappelle que, dès le Brexit engagé, nos commissions ont mis en place un groupe de suivi commun sur le sujet. Celui-ci s'attache désormais à suivre l'évolution de la nouvelle relation euro-britannique. Une délégation de ce groupe s'est d'ailleurs rendue à Dublin et Londres en octobre dernier, juste avant votre prise de fonctions. Votre prédécesseure, Mme Catherine Colonna, avait été reçue à plusieurs reprises dans ce cadre. Il faut dire que la mise en oeuvre des accords de retrait et de commerce n'a pas été un long fleuve tranquille, c'est le moins qu'on puisse dire !
Le protocole sur l'Irlande et l'Irlande du Nord, annexé à l'accord de retrait, en est l'illustration. Il fut source de vives tensions entre Londres et Bruxelles pendant de nombreux mois. Face aux difficultés constatées sur le terrain, la Commission européenne avait proposé, en octobre 2021, d'assouplir les conditions de mise en oeuvre du protocole. Malgré ses propositions, le climat de confiance dans les négociations avait été altéré par la décision de Boris Johnson, prise en juin 2022, de déposer un projet de loi prévoyant la désactivation unilatérale de certaines stipulations du protocole.
La relation euro-britannique semblait alors dans l'impasse. Il aura fallu attendre l'arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre, M. Rishi Sunak, pour entrevoir la possibilité d'une issue.
Après des mois de négociations, le Premier ministre britannique et la présidente de la Commission européenne ont finalement annoncé, le 27 février dernier, la conclusion d'un accord sur les dispositions du protocole nord-irlandais, dit cadre de Windsor. Cet accord vise à alléger les contrôles douaniers, sanitaires et phytosanitaires imposés aux marchandises provenant de Grande-Bretagne et entrant en Irlande du Nord, mais non destinées à être exportées en Irlande, c'est-à-dire dans l'Union européenne.
Selon vous, madame l'ambassadrice, cet accord largement salué marque-t-il l'ouverture d'un « nouveau chapitre » dans la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, comme a pu l'exprimer Maros Sefcovic, vice-président de la Commission européenne ? Comment cet accord a-t-il été accueilli outre-Manche ? Peut-on vraiment espérer, d'ailleurs, qu'il mette fin au blocage politique persistant en Irlande du Nord ?
Outre la mise en oeuvre du protocole, d'autres points de crispation enveniment la relation euro-britannique depuis le Brexit, à commencer par la pêche. Notre commission s'est penchée à plusieurs reprises sur le sujet, que je suis également de très près, en ma qualité d'élu du Pas-de-Calais.
L'obtention de licences de pêche pour accéder aux eaux britanniques a été un combat long et difficile pour nos pêcheurs français. Il semblerait que des tensions aient refait surface au sujet des îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, qui auraient durci les modalités de permis de pêche pour accéder à leurs eaux. Pourriez-vous nous apporter des informations à ce sujet ?
Par ailleurs, l'accord de commerce et de coopération conclu entre l'Union européenne et le Royaume-Uni réduit progressivement de 25 % la part des droits de pêche de l'Union européenne dans les eaux britanniques sur une période de cinq ans et demi. Eu égard aux tensions, notamment liées aux licences, comment voyez-vous les perspectives pour l'après-2026, quand l'accès aux eaux britanniques devra faire l'objet d'une négociation annuelle ?
Au-delà de l'épineuse question de la pêche, l'enjeu migratoire mobilise aussi notre commission des affaires européennes. Les migrants n'ont jamais été aussi nombreux à traverser la Manche sur de petites embarcations pour rallier le Royaume-Uni. Plus de 45 000 sont arrivés sur les côtes anglaises en 2022, contre 28 526 en 2021. Sur ce sujet, la France et le Royaume-Uni ont pris de nombreux engagements à l'issue, notamment, du sommet franco-britannique du 10 mars dernier. Qu'en est-il vraiment ? Pourriez-vous nous indiquer si les mesures annoncées ont été mises en oeuvre, ou si elles vont l'être rapidement ? Avec quel financement et selon quel calendrier ? Quel sera l'impact concret de ces mesures sur le terrain ?
Sur le même sujet, alors que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a décidé d'examiner, en début de semaine, la requête d'un demandeur d'asile irakien menacé d'expulsion du Royaume-Uni vers le Rwanda, dans le cadre d'un accord controversé entre Londres et Kigali, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les principales dispositions du projet de loi britannique contre l'immigration illégale ? Où en est sa discussion ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni. - Je vous remercie de m'accueillir ce matin, mesdames, messieurs les sénateurs. Je reconnais d'ailleurs avec plaisir certains visages que j'ai pu déjà rencontrer dans ma carrière, notamment en tant qu'ambassadrice auprès de l'Otan. J'aurai à mon tour l'occasion d'accueillir certains d'entre vous prochainement car, ayant pris mes fonctions il y a cinq mois, je constate une reprise des contacts avec le Royaume-Uni. C'est positif !
Je suis heureuse de pouvoir échanger avec vous sur la relation franco-britannique, à l'issue du 36e sommet entre nos deux pays, et d'évoquer d'autres sujets, comme la conclusion de l'accord de Windsor.
Ce sommet de Paris du 10 mars était attendu. Cinq années s'étaient écoulées depuis le dernier sommet franco-britannique, celui de Sandhurst, cinq années marquées par la pandémie de covid-19, le retour de la guerre sur le continent européen, la crise énergétique, l'inflation, les tensions liées à l'annonce du partenariat AUKUS et le départ de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Par le passé, les rencontres entre nos deux pays étaient annuelles ou bisannuelles : cela dit bien l'ampleur des retrouvailles et le sens du récent sommet.
Le Président de la République a rappelé à cette occasion, comme il l'avait fait lors du sommet de Sandhurst, qu'aucun événement ou aucune décision politique ne pourrait jamais changer ni la géographie ni l'histoire. Nous avons avec le Royaume-Uni une histoire millénaire, qui nous a parfois opposés, nous partageons des valeurs et les liens entre nos peuples sont solides. Il était donc important de relancer les relations avec un pays qui, certes, n'est plus membre de l'Union européenne, mais demeure un voisin et partenaire important.
Sur le plan économique, par exemple, la France est le huitième client et le sixième fournisseur du Royaume-Uni, qui représente notre deuxième excédent commercial - 5 milliards d'euros en 2022 - et le troisième investisseur dans le pays. C'est le troisième pays comptant le plus de filiales françaises.
Dans le domaine de la défense, le Royaume-Uni est également notre premier partenaire en termes d'interactions opérationnelles, d'entraînement, de missions, d'escales, de survols, avec des échanges permanents et à tous les niveaux entre nos états-majors. Le Royaume-Uni est notre premier partenaire en termes de réseau d'échange des officiers de liaison, et la France est le 2ème partenaire du Royaume-Uni. Nos domaines de coopération sont multiples et, même pendant les périodes les plus difficiles, ces coopérations étroites, historiques et constantes en matière de défense n'ont pas cessé. En tant qu'ambassadrice auprès de l'Otan, j'ai vu se mettre en place, en 2017, la présence avancée renforcée en Estonie, aux côtés des Britanniques.
Par ailleurs, environ 250 000 de nos compatriotes vivent au Royaume-Uni, avec, en parallèle, 150 000 Britanniques résidant de façon permanente dans notre pays. C'est une richesse, mais nous avons aussi, vis-à-vis de ces communautés, la responsabilité d'entretenir entre nos pays de bonnes relations.
Sur le plan culturel, nous pouvons compter sur le dynamisme du British Council et de l'Institut français. Le réseau des alliances françaises au Royaume-Uni est l'un des plus anciens, avec 11 alliances françaises. Le français est en outre la langue la plus enseignée dans le système éducatif britannique, même s'il subit une concurrence de plus en plus rude de l'espagnol. Nous travaillons ainsi à entretenir cet attachement au français. Il existe par ailleurs 80 doubles diplômes et le Royaume-Uni est, en matière de recherche, notre premier partenaire scientifique pour les co-publications.
Enfin, sur le plan diplomatique, France et Royaume-Uni sont tous deux membres permanents du Conseil de sécurité et membres de l'Alliance atlantique. Comme j'ai pu le constater dans mes précédentes fonctions, ils défendent très souvent une approche similaire sur les grands dossiers de ce monde.
Dans les circonstances actuelles, des éléments nous invitent à nous rapprocher davantage, en particulier en matière de sécurité, de défense et de politique étrangère - c'était tout l'enjeu du sommet du 10 mars.
Tout d'abord, nos deux pays évoluent dans un contexte international renouvelé, plaçant l'Europe, au sens géographique du terme, face à de nouvelles responsabilités. La France et le Royaume-Uni ont un rôle majeur à jouer pour faire prévaloir les principes universalistes et humanistes auxquels ils sont fondamentalement attachés et assurer une bonne coopération entre l'Union européenne et l'Otan.
Je veux ainsi saluer le virage pris par le gouvernement britannique avec le cadre de Windsor, lequel marque une volonté de réengagement et d'une relation stabilisée avec l'Union européenne. Cet accord ménage ce qui compte pour nous - l'intégrité de notre marché intérieur -, il maintient des contrôles nécessaires en simplifiant les procédures, pour les marchandises allant de Grande-Bretagne vers l'Irlande du Nord, et apporte un signal positif pour la préservation des acquis de l'accord du Vendredi saint, dont on célèbre le 25ème anniversaire, au moment de la venue du Président américain Joe Biden en République d'Irlande et Irlande du Nord. Cet accord permet aussi d'envisager la poursuite de relations constructives dans de nombreux domaines - économie et finance, sécurité et politique étrangère -, sachant qu'il était essentiel de rétablir la confiance.
Le Premier ministre britannique a obtenu le soutien d'une large majorité à la Chambre pour le valider, bien que les unionistes nord-irlandais et plusieurs députés conservateurs aient fait entendre leurs différences. La négociation a été longue, mais très bien conduite. Ce cadre marque donc un nouveau départ. Il faudra cependant être vigilant sur sa mise en oeuvre, mais c'était une étape à franchir pour recréer un lien entre le Royaume-Uni et l'Union européenne.
Ce nouveau départ, nous voulons le mettre à profit pour une meilleure coordination de notre soutien à l'Ukraine, nos deux pays partageant la même volonté de ne pas voir la Russie gagner cette guerre. Depuis le premier jour, France et Royaume-Uni soutiennent l'Ukraine sur le plan humanitaire, militaire et économique. Notre coopération est très étroite en matière de sanctions. Nous avons également choisi de mener des opérations concrètes, par exemple sur la formation des militaires ukrainiens ou les équipements opérationnels à haute valeur. Pour faciliter cette coordination, il y a des officiers de liaison dans les missions européenne et britannique. C'est ensemble que nous préparons les semaines et mois à venir, avec une conviction commune : il faudra trouver une issue à ce conflit, c'est-à-dire une paix durable qui respecte le droit international et les intérêts du peuple ukrainien Notre coopération pour la reconstruction de l'Ukraine sera aussi accrue, dans la perspective notamment de la prochaine conférence organisée à Londres en juin.
La coopération est tout autant étroite au niveau de l'Otan, dont le prochain sommet aura lieu en juillet. Nous constatons des convergences sur la nécessité d'investir dans la défense - nous soutenons le DIP malgré nos différences, avec un budget à plus de 2% -, sur le financement commun, sur le soutien à l'Ukraine ou encore sur notre présence avancée en Estonie.
S'agissant de la communauté politique européenne (CPE), le Royaume-Uni a annoncé y participer, avant son premier sommet tenu à Prague en octobre dernier. Les prochains sommets auront lieu en Moldavie en juin, puis en Espagne et au Royaume-Uni. La CPE offre une autre occasion de travail conjoint, un espace de coopération et de dialogue au service de la sécurité et de la stabilité de notre continent. C'est une façon, pour le Royaume-Uni, de rappeler qu'il appartient bien au continent européen et qu'un certain nombre de sujets - énergie, infrastructures, connectivité, cybersécurité, lutte contre la désinformation et l'immigration - doivent s'appréhender au-delà du périmètre strict de l'Union européenne.
La CPE vient donc compléter et amplifier les actions menées dans d'autres cadres - au niveau national, au sein de l'UE, du G7, et de l'Otan - pour renforcer notre résilience collective face aux menaces.
Le sommet de Paris a en outre permis de renforcer la coopération en matière de défense et de sécurité, qui est très forte ; les accords de Lancaster House sont assez uniques en leur genre. Il s'agit de renforcer l'interopérabilité, tant technique qu'humaine, qui est parfois peu visible mais essentielle, quand on pense notamment à la convergence des radios. Nous entendons également avancer sur le projet relatif aux missiles, dont le calendrier est ambitieux, avec une échéance à 2030 pour le futur missile antinavire et futur missile de croisière, ou sur l'interopérabilité de nos systèmes aériens futurs. Il est enfin des domaines nouveaux que nous souhaitons explorer ensemble, comme les armes à énergie dirigée ou la maîtrise des fonds marins. Nous envisageons également des adaptations du potentiel de la Force expéditionnaire conjointe (CJEF)- au nouvel environnement de sécurité et aux nouvelles régions contestées comme le Grand Nord. De même, nous souhaitons améliorer notre coopération en matière logistique, accroître les échanges de renseignement en soutien aux opérations, et faciliter, de façon concrète, l'accès de chacun aux bases militaires de l'autre.
Par ailleurs, le sommet de Paris a marqué la volonté de nos deux pays de renforcer la coordination de leur déploiement militaire maritime dans la région indopacifique, en vue d'instaurer une présence européenne pérenne dans la région.
En ce qui concerne le nucléaire militaire, les travaux se poursuivent dans le cadre de la commission nucléaire conjointe. Le sommet a en effet comporté tout un volet économique et industriel très important. Sur le nucléaire civil, le chantier de Hinkley Point, visant la construction de deux réacteurs EPR par EDF, constitue la concrétisation la plus visible de la coopération franco-britannique. S'y ajoute le projet de Sizewell C, qui pourrait concerner deux réacteurs EPR supplémentaires et que nous soutenons pleinement.
Le sommet de Paris a marqué notre volonté de renforcer la coordination en matière de décarbonation et d'énergies renouvelables, et de travailler à la réforme de l'architecture financière internationale, en préparant le sommet de Paris de juin prochain sur le nouveau pacte financier
J'en viens à l'immigration irrégulière, un sujet sur lequel la coopération franco-britannique est essentielle. Les deux pays y travaillent depuis longtemps : à titre d'exemple, en 2022, plus de 1 300 traversées d'embarcations de fortune ont été empêchées, 55 filières de criminalité organisée démantelées et plus de 500 arrestations réalisées.
Après le cadre bilatéral renouvelé conclu le 14 novembre dernier, une étape supplémentaire a été franchie lors du sommet de Paris, avec un engagement des Britanniques sur une contribution pluriannuelle de 141 millions d'euros pour 2023-2024, 191 millions d'euros pour 2024-2025 et 209 millions d'euros pour 2025-2026. Ces sommes permettront de financer 500 nouveaux membres des services opérationnels et d'autres ressources humaines en France, et d'investir dans de nouvelles infrastructures et de nouveaux équipements de surveillance, afin de permettre une détection plus rapide des tentatives de traversées. Ces investissements doivent permettre de mettre en circulation davantage de drones, d'hélicoptères et d'aéronefs, et d'accroître les capacités de gestion des migrants irréguliers, notamment par la création d'un centre de rétention, qui permettra d'augmenter le nombre de retours et de prévenir les tentatives de traversées.
La pêche n'était pas au centre des discussions qui ont eu lieu lors du sommet de mars dernier, les échéances sur le dossier n'intervenant qu'en 2026. Mais, comme vous l'avez souligné, monsieur le Président Rapin, les discussions sur le sujet ont été complexes du fait des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de l'autorisation d'accès aux eaux britanniques pour les bateaux de pêche européens qui y pêchaient précédemment, notamment pour la zone des 6 à 12 milles et autour des îles anglo-normandes, ainsi que pour les bateaux de moins de 12 mètres, .Ces questions avaient engendré à l'époque des tensions diplomatiques, ce qui avait valu à ma prédécesseure une convocation au Ministère des affaires étrangères britannique, ce qui n'est pas fréquent. Les travaux approfondis menés par la Commission européenne et les autorités françaises auprès de leurs homologues britanniques ont permis d'apaiser la situation, mais certains sujets demeurent problématiques. Nous sommes en particulier vigilants sur la question de l'activité dans les eaux des îles anglo-normandes et des bateaux remplaçants. La poursuite des échanges est importante pour que les bateaux puissent continuer leurs activités dans ces eaux. La mise en place d'une instance de concertation locale est à cet égard très importante.
Nous avons clairement en tête l'échéance de 2026. Dans cette optique, nous nous attacherons à défendre au mieux les intérêts de nos pêcheurs, comme cela a été fait tout au long de la négociation de l'accord de commerce et de coopération. À ce stade, les interventions britanniques sont peu précises et devront inclure les positions des nations - car la pêche est une compétence dévolue. Les orientations seront connues plus tard en raison des élections générales qui auront lieu l'an prochain.
Avant 2026, il y a cependant un certain nombre de sujets que nous suivons de près, comme le déploiement de nouvelles politiques de pêche en remplacement de la politique commune européenne, et la question notamment des zones protégées. Je suis très attentive à ce sujet de la pêche, et nos représentants à Bruxelles également.
Le récent sommet, enfin, était important pour renouer les liens entre nos sociétés, car il ne faudrait pas que celles-ci se perdent de vue avec le temps et la limitation des échanges humains. Nos pays se sont donc engagés à approfondir leur coopération culturelle, éducative et scientifique. En particulier, nous avons souhaité qu'un dialogue sur la mobilité de la jeunesse soit engagé, car c'est important pour l'avenir.
Nous regardons également vers 2024, avec la commémoration du 120ème anniversaire de l'Entente cordiale, à laquelle la représentation nationale, les collectivités locales et les nombreuses villes jumelées devront participer.
C'est donc à la relance d'un dialogue que nous assistons. Certes, ce n'est pas un aboutissement dans un certain nombre de domaines - énergie, économie... - , mais cette reprise souhaitée des discussions nous permettra de mieux nous comprendre et, ainsi, d'anticiper d'éventuelles difficultés.
M. Claude Kern. - Une loi promulguée au Royaume-Uni, le 23 mars dernier, permettra aux autorités britanniques de sanctionner, voire de refuser l'accès aux ports du royaume des navires employant des marins rémunérés en dessous du salaire minimal national. Une proposition de loi similaire a été adoptée à l'Assemblée nationale française le 28 mars et sera prochainement examinée par le Sénat. Ces textes font suite à l'affaire P&O Ferries, qui a licencié, l'an dernier, 800 marins britanniques pour les remplacer par une main d'oeuvre bon marché. Si tout le monde s'accorde sur la nécessité de protéger nos marins contre une concurrence déloyale, les salaires minimaux divergent néanmoins entre nos deux pays. Qu'en est-il de la coordination entre la France et le Royaume-Uni sur le sujet afin que le régime le plus protecteur pour les marins s'applique pour les liaisons transmanche?
M. Didier Marie. - Voilà plusieurs mois que la Grande-Bretagne est secouée par d'importants mouvements de grève. Un mot d'ordre de débrayage total a été lancé par les organisations syndicales. Quelle est, selon votre analyse, la part du Brexit dans cette évolution de la situation économique et sociale, par rapport à d'autres facteurs, comme les conséquences de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine ? Quelles en sont les répercussions politiques ?
Les sondages en Grande-Bretagne attestent d'une évolution de l'opinion des Britanniques sur le Brexit. Une majorité d'entre eux estime que c'était une erreur et que les gouvernements successifs n'ont pas été à la hauteur de la situation. Qu'en pensez-vous ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je souhaiterais évoquer quatre sujets distincts. Des signes montrent-ils une évolution vers un système plus simple du dispositif Erasmus ? L'actuel gouvernement britannique souhaite-t-il se rapprocher à nouveau de l'Union européenne en matière de coopération spatiale ? Envisage-t-on une coopération renforcée sur la cybercriminalité et la cybersurveillance ? Enfin, une ouverture semble poindre en matière de coopération financière : retournerions-nous à une situation similaire à l'avant-Brexit ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. - Pour ce qui concerne le salaire des marins et le dumping social, je vous renvoie à la déclaration conjointe ayant clôturé le sommet de Paris. Il y est écrit : « La France et le Royaume-Uni s'efforceront d'améliorer les conditions sociales des gens en mer, en accordant la priorité à leur santé et à leur sécurité. Ils présenteront ainsi tous deux, de manière indépendante, des projets de loi à leur Parlement respectif protégeant ces personnes contre l'exploitation. » Le gouvernement britannique est particulièrement attentif au sujet, surtout après le licenciement brutal des 800 marins de P&O Ferries au printemps dernier. La France défend aussi depuis longtemps, dans le cadre de l'Union européenne, l'établissement de standards minimaux pour les gens de mer. Il est souhaitable que les entreprises qui respectent les règles de salaire minimum national, comme Brittany Ferries, n'aient pas à souffrir d'une forme de dumping social de la part de certaines compagnies étrangères.
Le Royaume-Uni a promulgué le 23 mars dernier le Seafarers'Wages Act, imposant que la rémunération des personnels employés sur des navires effectuant des liaisons régulières - plus de 120 par an - à partir d'un port britannique soit au moins égale au salaire minimum national. Ce texte prévoit également que les autorités portuaires imposent aux opérateurs d'attester du respect de cette règle et puissent leur infliger des pénalités en cas de défaut. Des contrôles sur pièce et sur place devraient être effectués sur les navires pour s'assurer du respect de ces règles. Par ailleurs, en janvier, le gouvernement britannique a pris une disposition visant à limiter les pratiques de fire and rehire, consistant à licencier ses employés pour les réembaucher dans des conditions moins favorables, avec de possibles condamnations pour les entreprises faisant usage de cette menace sur leurs employés pour leur faire accepter des conditions de travail moins avantageuses.
Vous avez évoqué un projet de texte en France : nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas trop de divergence, une fois le texte voté et publié.
Vous m'avez interrogée sur les conséquences du Brexit sur la situation sociale et économique. Il est difficile de répondre à cette question. Beaucoup de facteurs se mêlent. Certains acteurs économiques, avant même l'accord de retrait ou la ratification de l'accord de coopération, avaient anticipé les conséquences économiques du Brexit. Il y a également eu un effet couperet au 1er janvier 2021, ainsi que des effets conjoncturels dus à la période covid et au redémarrage de l'économie. Il y a également eu des facteurs plus structurels, comme les détournements de flux commerciaux, qui traversent de plus en plus la République d'Irlande. Il est donc difficile de répondre de manière exhaustive et précise. Ce que l'Office for Budget Responsibility (OBR) documente clairement, c'est une perte de productivité et un affaiblissement durable de l'économie du pays. Les prévisions économiques du Fonds monétaire international (FMI) ne sont pas positives pour l'instant ; l'OBR prévoit une croissance négative, avec un PIB en baisse de 0,2 point.
Ce n'est pas à moi de juger du débat britannique sur le Brexit. Les positions sont en train d'évoluer, et le sujet doit être appréhendé dans la durée.
Pour l'instant, nous ne percevons que peu d'évolutions sur le programme Erasmus. Le sujet est important pour améliorer les liens entre les sociétés. Le cadre de Windsor permettra, si les Britanniques le souhaitent, la participation du Royaume-Uni au programme Horizon 2020, afin notamment d'améliorer les échanges entre les chercheurs, qui concerneront également les étudiants.
Sur les questions cyber, notre coopération avec le Royaume-Uni, historique, demeure très bonne. À l'occasion du sommet, nous avons relancé le dialogue, et nous continuerons d'avancer sur ce sujet.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. - Madame l'ambassadrice, nous vous remercions de cet échange, qui nous permet de prendre la mesure de ce qui reste à faire pour relancer notre coopération, une fois la page du Brexit tournée. Nous ferons en sorte que les échanges interparlementaires, qui n'ont jamais cessé et auxquels nous attachons beaucoup d'importance, se poursuivent.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 20.
Mercredi 3 mai 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Projet de loi de programmation militaire - Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le ministre, après vous avoir entendu en février sur les orientations du projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, nous pouvons aujourd'hui entrer dans le vif du sujet, puisque le texte a été approuvé en conseil des ministres et que sa discussion en première lecture à l'Assemblée nationale est proche.
Alors que 413 milliards d'euros de besoins programmés sont annoncés pour la période 2024-2030, nous en savons davantage sur le rythme de cette programmation : vous prévoyez une augmentation des crédits de la mission « Défense » de 3 milliards d'euros par an entre 2024 et 2027, puis de 4,3 milliards d'euros par an jusqu'en 2030, pour atteindre à cet horizon 69 milliards d'euros, contre 47 milliards d'euros en 2024. Si ces engagements sont tenus, le budget de forces armées aura été doublé par ces deux LPM.
Une loi de programmation présente bien sûr un enjeu de finances publiques. Il faut reconnaître que le total annoncé est nettement supérieur aux 295 milliards d'euros prévus pour les années 2019 à 2025. L'effort demandé à la Nation sera donc important.
Lors de son audition organisée conjointement par notre commission et la commission des finances, le 12 avril dernier, M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, a partagé la préoccupation dont nous vous avions fait part lors de votre précédente audition sur ce qu'il qualifie de « hiatus de 13,3 milliards d'euros », c'est-à-dire la différence entre les besoins et les crédits budgétaires prévus. Vous pourrez sans doute nous éclairer sur ce sujet, monsieur le ministre. Si 5,9 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires sont prévus au titre des recettes de cessions immobilières, des cessions de matériels et des recettes du service de santé des armées, pour reprendre l'expression du président Moscovici, il manque « une documentation précise » sur le financement des 7,4 milliards d'euros restants.
Notre commission est traditionnellement sceptique quant aux ressources extrabudgétaires, monsieur le ministre, car l'expérience montre qu'elles sont toujours incertaines et parfois très en deçà des espérances.
Au-delà de l'énumération des techniques de reports de charges ou de l'invocation de la solidarité interministérielle, il est heureux que nous puissions clarifier ce point.
De même, le rapport annexé n'apporte aucune précision quant aux effets de l'inflation, qui pourraient être de l'ordre de 30 milliards d'euros.
Enfin, en ce qui concerne le porte-avions de nouvelle génération (Pang), la presse indique que vous demanderiez aux industriels de faire l'avance de 1 milliard d'euros. Il y a donc comme un « hors-champ » budgétaire dont le contour ne nous est pas connu, et sur lequel nous avons besoin d'entendre vos précisions.
Quant au contenu de cette loi de programmation, je serai assez bref pour laisser mes collègues poser leurs questions. Derrière la discussion des moyens à consacrer à nos armées, le vrai sujet est bien celui de la stratégie et du modèle d'armée que nous voulons projeter à l'horizon 2030 et bien au-delà.
Nous avons plusieurs questions à ce sujet.
Nous sommes tout d'abord frappés par le paradoxe entre l'augmentation des moyens de cette LPM et la diminution des cibles à atteindre en 2030 sur des programmes emblématiques tels que les Rafale, les frégates, les Griffon ou, entre autres, les hélicoptères HIL. Mes collègues rapporteurs y reviendront.
Les termes d'« économie de guerre » et d'« engagement majeur » employés dans le rapport annexé ont-ils encore un sens si nous réduisons le carnet de commandes de notre industrie de défense et si nous persistons dans l'absence de masse de nos équipements ?
Le deuxième point de questionnement qui m'a été rapporté par les groupes de travail que nous avons constitués sur la LPM porte sur la réponse des services auditionnés postérieurement à la publication du projet, qui nous ont tous indiqués que les arbitrages étaient encore en cours, qu'il s'agisse des crédits du renseignement ou de la préparation opérationnelle.
Enfin, on peut parfois avoir l'impression que cette LPM prend le contre-pied de la précédente - sur le rythme du programme Scorpion, sur les hélicoptères, sur les reports de charges, etc. Y a-t-il un changement de doctrine, et si oui, quelles en sont les causes ?
Monsieur le ministre, nous vous proposons de vous soumettre, à l'issue de cette audition, un questionnaire écrit plus détaillé. Je souhaiterais que vous vous engagiez à ce que vos services y répondent avant le 26 mai. Il est indispensable que notre commission puisse se forger une opinion éclairée sur le contenu exact de cette programmation, ce qui ne sera possible qu'avec des réponses précises et exhaustives à nos questions. Telle est la mission que nous confie la Constitution. Nous vous proposons donc de jouer « cartes sur table », ce qui nous paraît à la fois le plus démocratique et le plus sûr pour soutenir notre effort de défense. Nous avons quelques semaines pour mener cet important travail. Je salue d'ailleurs les rapporteurs pour les travaux d'ampleur qu'ils sont en train de mener.
Je souhaite également que nous puissions nous revoir après la première lecture de ce texte à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, afin de discuter des modifications qui y auront été apportées.
Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées- Je m'engage très volontiers à répondre au questionnaire que vous évoquez, monsieur le président. J'observe que la matière militaire est sujette à de nombreuses rumeurs - la presse affirmait par exemple hier que 60 % des 413 milliards d'euros prévus au titre de la LPM iraient à la seule dissuasion nucléaire, ce qui est complètement absurde. Dans ce contexte, ce questionnaire constituera un document de référence et un gage de transparence.
Dans ce propos liminaire, je m'efforcerai, comme vous m'y avez invité, d'évoquer tant les sujets financiers que la stratégie globale et les formats d'armée.
Dans les années 1960, les gaullistes ont souhaité inscrire dans des lois de programme non seulement un certain nombre d'équipements majeurs, liés notamment à la dissuasion nucléaire, mais aussi, progressivement, le format des forces, des éléments liés à l'activité et même aux ressources humaines.
Depuis les années 1960, plus d'une dizaine de lois de programme ont ainsi été adoptées. Si l'on peut observer une forme de continuité entre ces différentes lois pour ce qui concerne la dissuasion, on note aussi des points de rupture découlant de choix politiques ou tout simplement de la situation géostratégique - la guerre froide, la professionnalisation de nos armées dans les années 1990, les derniers essais nucléaires décidés par le président Chirac, la guerre dans les Balkans puis la lutte contre le terrorisme en Afrique, au Levant ou en Afghanistan. De manière générale, ces lois de programme ont « collé » à l'activité opérationnelle des forces.
Il me paraît important de rappeler que nos forces continuent d'être employées. Nous l'avons vu récemment, lors de l'opération Sagittaire qui a permis la mise en protection et l'évacuation de nos ressortissants français, mais aussi de ressortissants européens à Khartoum. Je salue la qualité du travail accompli par nos forces armées à cette occasion, mais aussi pour les opérations Chammal, Harpie ou Barkhane.
Quand la mer est calme, la programmation est un exercice presque scolaire. Il est clair que dès lors que la mer est plus agitée, que ce soit pour des raisons technologique, comme dans les années 1960-1970 du fait de l'atome, ou pour des raisons opérationnelles, il est important de ménager une forme de souplesse dans la construction des lois de programme.
La comparaison entre la LPM 2019-2025 et le texte que je vous propose montre que du fait de la situation sécuritaire et opérationnelle, de sauts technologiques et de la militarisation de nouveaux espaces, certains pivots se font jour.
Je prône donc une loi de programme à la fois précise et autorisant une certaine souplesse. Vous m'avez indiqué, monsieur le président, que le Sénat s'était ému que les revoyures prévues dans la précédente LPM n'aient pas été mises en oeuvre. Je considère pour ma part qu'au regard de la situation stratégique, il nous faudra débattre du déploiement de la LPM en amont de chaque loi de finances.
Si comme le Conseil d'État l'a rappelé, il n'appartient pas à l'exécutif de proposer des évolutions quant au contrôle que le Parlement exerce sur la loi de programmation militaire, je serais favorable à des amendements de l'Assemblée nationale et du Sénat tendant à préciser le rôle des deux chambres, car j'estime que cela permet aussi à l'ensemble des groupes politiques de s'exprimer, « cartes sur table ».
Il faut par ailleurs assumer l'aléa, que celui-ci ait trait aux grands programmes de dissuasion que nous menons, aux drones, aux exportations ou à l'appareil industriel. D'ici à la discussion du texte en séance, je serai d'ailleurs peut-être amené à mettre à jour le rapport annexé. En effet, nous allons continuer de fournir à l'Ukraine des dispositifs anciens, ce qui nécessitera des ajustements de recomplètement.
Nous conservons toutefois une approche de l'exécution dite « à l'euro près », contrairement à la pratique des années 1990 et 2000, qui consistait à présenter des promesses alléchantes qui n'étaient pas tenues, notamment parce que les engagements étaient pris, non pas en euros courants comme c'est le cas pour ce texte, mais en euros constants.
Je tiens toutefois à préciser d'emblée que contrairement à ce qui a pu être la pratique du général de Gaulle, j'estime que cette souplesse que je souhaite doit être mise en oeuvre avec le Parlement.
La LPM aborde également la question des ressources humaines - la cible d'équivalents temps plein (ETP), la fidélisation, le modèle de recrutement - qui constitue une des faiblesses de la LPM en cours. Nous avons rencontré des difficultés à exécuter la cible d'ETP sur la période, notamment parce que nous peinons à fidéliser nos soldats comme les civils de la défense, qui sont tout de même au nombre de 60 000.
Je vous propose de porter la masse salariale globale, dont le montant s'élève à 87 milliards d'euros pour la période actuelle, à 98 milliards d'euros pour la période à venir. Cette augmentation permettra de financer, non seulement la cible d'ETP, mais aussi la revalorisation du point d'indice, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM), qui commence à produire des effets et qui produira des effets plus importants encore dès le mois d'octobre avec la prime du combattant terrestre. Il faudra mener un véritable chantier indiciaire, notamment pour les sous-officiers qui actuellement, ne sont pas incités à quitter le corps de troupe, et de manière différenciée au service de santé des armées, à la direction générale de l'armement (DGA) ou au sein de l'armée de terre.
Quoi qu'il en soit, la cible de 275 000 ETP est maintenue, ce qui suppose 6 300 créations de postes, notamment dans les métiers nouveaux et au titre des redéploiements qu'entraîneront entre autres la modernisation de l'armée de terre et la montée de la guerre électronique.
J'assume le besoin de dépenses militaires à hauteur de 413 milliards d'euros, à raison de 400 milliards d'euros de ressources budgétaires et de 13 milliards d'euros de ressources extrabudgétaires. Lorsqu'il était député ou ministre, M. Moscovici a voté des lois de finances ou des lois de programmation militaire qui comportaient des marges frictionnelles, des reports de charges ou des ressources propres.
Le ministère des armées a toujours eu des recettes propres issues du service de santé des armées, des prestations facturées par la DGA, ou même de cessions immobilières, et c'est souvent à la demande des parlementaires que ces ressources lui ont été affectées pour éviter qu'elles soient réinjectées dans le budget général de l'État. Mais alors que la pratique est d'ordinaire de les noyer dans l'enveloppe globale, j'ai fait le choix de les montrer.
Permettez-moi une parenthèse sur le rapport annexé, qu'il n'est pas toujours facile de comparer à celui de la dernière LPM, car j'ai souhaité que l'on raisonne, non plus en termes de commandes ou d'ambition, mais de parcs, c'est-à-dire de matériel livré. Au regard de l'effort que nous allons demander à la Nation et aux contribuables, j'estime en effet qu'il faut être précis.
Sur les 13,3 milliards d'euros recettes extrabudgétaires, 7,1 milliards d'euros correspondent à des recettes en tant que telles, et 5,9 milliards d'euros à des ressources extrabudgétaires. Nous avons en effet observé que sur les périodes précédentes, celles-ci s'élevaient en moyenne à 800 millions d'euros par an.
Par ailleurs, les reports de charges, dont je rappelle qu'ils constituent un outil utile pour gérer l'inflation, s'élèvent à 6,2 milliards d'euros. Alors que Florence Parly avait fait attention à ces reports car l'inflation était faible lors du vote de la précédente LPM, nous pouvons aujourd'hui nous en servir puisqu'ils n'ont pas d'impact majeur pour les finances publiques.
Enfin, les marges frictionnelles ont toujours existé, car il y a nécessairement des aléas entre le moment de la commande et celui de la livraison.
Au regard du débat qui s'engage quant à l'acceptabilité politique et sociétale des 413 milliards d'euros de dépenses militaires proposés, j'ai jugé bon de détailler le plus possible la structuration des ressources. Chacun pourra ainsi se faire son opinion.
Pourquoi tant d'argent ?
La première raison est que la réparation n'est pas terminée, en premier lieu en ce qui concerne les infrastructures. Entre le lancement des travaux et leur livraison il s'écoule beaucoup de temps, si bien que les crédits votés dans le cadre de la précédente LPM commencent à peine à produire leurs effets - j'ai pu le constater récemment à Istres.
Alors que les crédits alloués aux infrastructures s'élevaient à 12 milliards d'euros pour la période actuelle, je vous propose dans la future LPM de les porter à 16 milliards d'euros. Du fait des compressions de budget successives, le ministère des armées est propriétaire de nombreux bâtiments qui ne sont pas toujours en bon état et qui sont loin d'être exemplaires sur le plan énergétique. Nous devons faire un effort majeur en la matière.
La deuxième raison tient à la dissuasion nucléaire, qui fait elle aussi l'objet d'une forte inertie. Les forces aériennes stratégiques (FAS), la force navale d'action nucléaire (Fanu) et la force océanique stratégique (Fost) d'aujourd'hui sont le fruit de crédits votés il y a dix, quinze ou vingt ans, et la prochaine programmation portera la modernisation de notre dissuasion nucléaire pour les vingt prochaines années, au travers des vecteurs SNLE 3G et des missiles M51 et ASN 4G. Cette modernisation sera à cheval sur deux LPM, car elle repose sur des programmes structurants qui ne peuvent être menés qu'au long cours. Nous proposons d'ailleurs des investissements dont le volume est équivalent à ceux qui avaient été décidés dans les années 1990, lors de la précédente modernisation de notre dissuasion nucléaire.
Nous devons en troisième lieu continuer à restaurer nos capacités expéditionnaires. Quelles sont les missions à l'extérieur du territoire national que nous souhaitons mener seuls ou avec d'autres, en surface maritime et hors surface maritime, et avec quelles interactions avec nos bases prépositionnées ? Quel doit être notre temps de réaction entre le moment où le Président la République et chef des armées donne un ordre et son exécution ? Combien de temps pouvons-nous et devons-nous tenir en opération ?
Dans le rapport annexé, il est indiqué que l'armée française doit passer, en 2027, à une capacité divisionnaire à deux brigades complètement équipées. Cela nous conférera de facto un rôle particulier au sein de la défense européenne, car aujourd'hui, seuls les États-Unis sont dotés de telles capacités.
Il faut enfin tenir compte des nouveaux espaces qui se militarisent, avec parfois un saut technologique important et un contournement de la dissuasion nucléaire. Il s'agit bien sûr du cyber et de l'intelligence artificielle, qui nécessitent d'importants moyens car il y va de notre souveraineté. Il s'agit également de l'espace, des fonds sous-marins et des enjeux relatifs à la sécurisation des oléoducs et des câbles sous-marins, voire d'une guerre des mines, y compris dans un océan Atlantique qui devient de plus en plus dangereux.
Tout ceci explique que les crédits augmentent.
Nous nous sommes attachés dans ce texte à trouver un point d'équilibre entre la cohérence de l'ensemble et la masse, afin d'éviter le « syndrome hélicoptère ». S'il est satisfaisant d'avoir des cibles d'hélicoptères, encore faut-il que ces derniers puissent décoller, autrement dit, que le maintien en condition opérationnelle (MCO) soit assuré et que l'équipage, les infrastructures terrestres et les pièces détachées soient disponibles.
C'est pourquoi nous nous sommes efforcés de remettre en cohérence les livraisons et nos capacités en matière d'activités opérationnelles, même si contrairement aux armées, les industriels ont tendant à préférer la masse.
S'il n'y a pas de ruptures de cible, j'assume que certaines cibles dépassent l'horizon 2030.
J'en viens aux marches et aux trajectoires. Comme vous l'avez indiqué, monsieur le président, le budget annuel de la défense s'élevait à 32 milliards d'euros 2017, et nous vous proposons de le porter à 56 milliards d'euros en 2027, puis à 69 milliards d'euros en 2030. Autrement dit, les deux tiers du chemin auront été faits sous les deux quinquennats d'Emmanuel Macron.
Certains s'interrogent sur le fait qu'une partie du chemin reste à faire entre 2027 et 2030, mais la loi de programmation est ainsi faite ! L'effort devra certes être poursuivi par le prochain Président de la République, et aucune précaution que nous pourrions prendre ne saurait empêcher celui-ci de défaire, s'il le souhaite, ce que nous nous apprêtons à faire. En tout état de cause, il faudra que nos choix politiques soient confirmés en 2027.
Par ailleurs, si les choix politiques que nous avons faits sont cohérents avec la trajectoire que Bruno Le Maire et Gabriel Attal proposeront au Sénat dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, les marches prévues tiennent également compte de réalités physiques que l'on ne peut enjamber par la volonté politique.
Le porte-avions de nouvelle génération, le SNLE, les programmes spatiaux ou certaines missions liées à la dissuasion nucléaire nous imposent de prévoir des crédits de paiement entre 2027 et 2030 qu'il n'est tout simplement pas possible de décaisser avant. Certains amendements qui ont été déposés à l'Assemblée nationale tendent à fixer des marches qui ne sont pas tenables, non pas politiquement, mais concrètement.
En ce qui concerne le Pang, je tiens à vous rassurer, monsieur le président : 5 milliards d'euros de crédits de paiement sont bien prévus pour le financer. Tout ce que je demande aux industriels, c'est que ces crédits soient décaissés en fonction de l'exécution des travaux, ce qui ne mettra nullement les trésoreries des entreprises concernées en difficulté. De fait, à l'exportation, les industriels ne demanderaient jamais que l'intégralité du prix d'un bateau soit payée avant le début des travaux. Je souhaite instaurer de meilleures pratiques en la matière.
Je terminerai en évoquant l'inflation. Il se trouve que des mécanismes ont été prévus, d'ailleurs souvent à la demande des parlementaires, pour garantir que la programmation ne soit pas entravée - reports de charges, solidarité interministérielle pour le carburant, revoyures permettant d'ouvrir des crédits de paiement supplémentaires dans le cadre des collectifs budgétaires. Je vous renvoie par exemple à l'article 5 du projet de loi sur les carburants opérationnels, que nous avons repris de la précédente LPM, dans laquelle il avait été introduit par le Parlement.
Les effets de l'inflation sont estimés - mais il faut prendre ce nombre avec précaution - à 30 milliards d'euros sur l'ensemble de la période.
J'estime que l'on peut voir les choses de deux manières : soit on considère, comme on le faisait dans les années 1960, que la courbe budgétaire et les critères économiques déterminent le physique, c'est-à-dire le matériel, l'entraînement, la vie des troupes, etc. ; soit on considère que c'est le rapport annexé et l'engagement du ministre devant le Parlement qui doit déterminer les ressources. Au fond, les marches sont-elles des planchers ou des plafonds ? Il est clair qu'à mes yeux, il s'agit de planchers.
J'en veux pour preuve l'abondement de 1 milliard d'euros de crédits de la défense que nous avons proposé d'adopter l'an dernier lors du projet de loi de finances, et je vous proposerai de rajouter encore lors d'un prochain collectif budgétaire, 1,5 milliard d'euros supplémentaires pour financer la lutte anti-drones, compenser quelques effets de l'inflation, soutenir nos efforts sur les munitions, etc. La précédente loi de programmation militaire sera donc surexécutée à hauteur de 2,5 milliards d'euros ! Aucun programme d'équipement militaire n'a été réduit, en dépit de l'inflation.
Je m'étais engagé à ce que l'aide à l'Ukraine soit hors programmation. Elle fera l'objet d'un financement différencié en fonction de la qualité des matériels que nous donnons. On peut distinguer trois catégories.
Pour les matériels anciens qui ne sont plus utilisés par nos armées, à l'image des TRF1, ces vieilles pièces d'artillerie qui étaient tractées, il n'y a pas lieu de se faire financer des pièces qui étaient remisées dans des camps militaires et dont nous n'aurions plus jamais eu l'usage.
Une deuxième catégorie de matériels concerne des matériels vieillissants, mais encore dans le format des armées, qui devaient être retirés du service, mais dont nous avons avancé la date de retrait pour les donner à l'Ukraine - c'est le cas des missiles Crotale, encore très efficaces, mais qui devaient être remplacés par des systèmes VL MICA. Comme il s'agit d'un retrait accéléré qui sera assorti d'un remplacement par du matériel neuf, le financement, 1,2 milliard, figure dans les 413 milliards de la programmation.
Enfin, en ce qui concerne le matériel neuf, à l'image des canons Caesar, le financement n'a pas lieu d'être inscrit dans la programmation, car on prélève du matériel neuf, qui est remplacé par un autre matériel neuf. Nous avons donc tenu à garantir la transparence budgétaire.
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. - Merci de m'avoir convié à cette audition. En tant que rapporteur de la commission des finances, je vous interrogerai sur les aspects budgétaires.
A force de multiplier les lois de programmation, on risque d'entrer en contradiction avec l'objectif de réduction de la dépense publique, qu'a encore rappelé M. Attal hier.
Quand on parle de souveraineté, il faut aussi se rappeler que la charge de la dette est plus importante que le budget de la défense et que notre déficit commercial est trois fois supérieur à ce dernier ! C'est aussi une question d'autonomie stratégique. Celle-ci doit s'inscrire dans ce contexte économique, que l'on ne peut occulter.
Vous estimez que les effets de l'inflation représentent un tiers de l'effort budgétaire nouveau en faveur de nos armées sur la période. Vous avez calculé l'inflation sur la base de l'indice des prix à la consommation. Or, compte tenu du contexte international tendu et des difficultés d'approvisionnement, rien ne dit que l'inflation ne sera pas supérieure pour les matériels militaires. L'article 5 de la LPM actuelle comporte un dispositif pour les carburants, mais ces derniers ne représentent pas l'essentiel du budget de la défense. L'inflation risque, je e crains, de perturber le déroulement de cette programmation.
Pourriez-vous, en outre, nous donner des éclaircissements sur les crédits de 1,5 milliard d'euros supplémentaires annoncés pour 2023 : hier, M. Attal nous a indiqué qu'il n'y aurait ni budget rectificatif, ni décret d'avance.
Je note enfin un effort important sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) : s'agit-il d'une mise à niveau du MCO pour tenir compte du renchérissement des équipements ou bien d'une volonté d'améliorer la disponibilité opérationnelle des équipements - il existe sans doute des marges de manoeuvre à cet égard, mais il ne faut pas afficher des objectifs trop ambitieux, car nous n'avons pas toujours su tenir ceux que nous nous étions donnés dans le passé.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je suis très sensible à vos propos sur la souveraineté : nos efforts pour renforcer notre autonomie et notre sécurité n'ont pas de sens évidemment si l'on fragilise la crédibilité de la France sur les marchés financiers. La loi de programmation militaire prévoit une trajectoire budgétaire en hausse, mais nos dépenses doivent rester soutenables. C'est pourquoi nous privilégions la progressivité afin de respecter notre stratégie d'évolution des finances publiques.
Les lois de programmation permettent de limiter les à-coups dans les dépenses : elles donnent une prévisibilité qui permet de maintenir les structures de coûts, sauf évidemment dans le cas d'un engagement imprévu de nos forces.
En mettant l'accent sur le MCO, on augmente la disponibilité des matériels. Celle-ci a déjà augmenté de 15 ou 20 % lors de la dernière loi de programmation militaire. Il reste un effort à faire sur la verticalisation des contrats en matière de MCO pour trouver le bon point d'équilibre. S'il est compréhensible que le MCO soit élevé sur des matériels anciens, on comprend moins qu'il le soit pour des matériels récents. Nous devons travailler sur cette question avec les industriels, car cela a aussi des effets sur nos exportations. Je pense au F35 américain, peu coûteux en apparence à l'achat, mais fort coûteux à l'entretien, alors que Dassault a trouvé un bon équilibre entre le prix initial de ses avions et le MCO.
Un mot sur l'inflation. Certes le carburant n'est pas tout, mais les dépenses en produits pétroliers sont significatives et si le Parlement a souhaité mettre en place le dispositif actuel, c'est parce que la question du bouclage du budget se posait pendant longtemps. Lorsque l'inflation est faible, on a tendance à faire du « bourrage », c'est-à-dire lancer des programmes non prévus dans la programmation. Il faut se prémunir contre cette tendance. Notre scénario est prudent, mais si l'inflation baisse d'ici à 2030, on récupèrera des marges de manoeuvre. De grands programmes ont été lancés pour de bonnes raisons sur le spatial, le fort neuf de Vincennes pour la DGSE, etc. Certains équipements cyber n'étaient pas dans la programmation initiale. Mais quand l'inflation augmente, le budget se comprime, et c'est ce qui explique les crédits de 1 milliard d'euros octroyés l'année dernière pour faire la jonction entre les deux lois de programmation militaire.
En ce qui concerne l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros que j'ai évoquée, elle correspond à l'autorisation que j'ai reçue de Matignon pour construire la maquette budgétaire ; toutefois, je ne suis pas dans le secret des calendriers des différents PLFR, mais je reviendrai vers vous lorsque j'en saurai plus.
Les critères retenus pour mesurer l'inflation sont ceux fournis par Bercy ; ils ne reposent pas uniquement sur les produits de grande consommation, ils prennent en compte une série d'indices, les prix industriels ou des matières premières, etc. Nous vous communiquerons la méthodologie retenue. L'inflation constitue un défi, mais elle n'entravera pas notre action, d'autres ministères sont bien plus inquiets des effets de l'inflation que celui de la défense ; pour les industriels, le coût des matières premières est un enjeu critique.
M. Cédric Perrin. - Avec Hélène Conway-Mouret, nous sommes rapporteurs du programme budgétaire 146 sur l'équipement des forces. C'est à ce titre que je vous interrogerai.
Je souhaiterais que vous reveniez précisément sur le tableau des capacités qui figure en annexe du projet de loi de programmation militaire. Vous affirmez que cette LPM va irriguer l'industrie et les territoires : peut-être, mais pas autant que ce que prévoyait la LPM actuelle ! De nombreux programmes subissent en effet, a minima, des « étalements ». C'est le cas, notablement, du programme Scorpion : la cible Griffon baisse de 30 %, de même que les cibles Jaguar et Serval. La cible des chars Leclerc rénovés passe de 200 à 160. Or 160 chars de combat, c'est très peu ! Nous avons montré, dans le rapport de la commission sur les enseignements de la guerre d'Ukraine, ce que cela signifiait.
L'un des rares programmes annoncé en hausse dans cette LPM porte sur le système de drones tactiques, le Patroller... Or il s'agit en fait d'une erreur, d'une confusion entre drones et systèmes, puisqu'on resterait en réalité sur 5 systèmes et non 17, comme indiqué dans le tableau capacitaire, ce qui correspond à 25 drones et à trois d'entraînement, et non à 85 !
Des erreurs sont possibles, mais il y a néanmoins de quoi s'étonner : quelle est alors la stratégie en matière de drones ? Quels seront les drones achetés ou développés avec les moyens mis en oeuvre ? Où en sont les appels d'offres Colibri et Larinae, alors que des industriels ont investi dans ces programmes, mais avec des perspectives floues pour l'avenir ? Il semble qu'il y ait eu là aussi des erreurs dans l'appel d'offres.
Certains programmes sont purement et simplement « oubliés » par le rapport annexé. Je pense à des programmes comme le VBAE, qui doit succéder au VBL, ou encore à l'engin du génie de combat. Je pense aussi au remplacement des poids lourds de l'armée de terre. La précédente LPM mentionnait un successeur pour les véhicules 4-6 tonnes, qui a ici disparu. Or la question de la logistique est fondamentale.
Quant au Tigre Mark 3, il n'est pas mentionné non plus. Il est fait état de 67 hélicoptères, mais combien seront rénovés ? Quels seront les caractéristiques de ce Tigre Mk3 ou Mk2+ ? Nous aurions besoin de précisions à ce sujet, de même que sur l'armement de ce nouveau Tigre.
La réduction des cibles sur le Rafale (de 185 à 137 appareils) et sur les Mirage 2000 D rénovés nous préoccupe également. Une partie des Rafale est mobilisée par la dissuasion. Que peut-on espérer d'un format aussi restreint ? Quid du format « tout Rafale » annoncé par le Président de la République à Mont-de-Marsan ?
De façon générale, le nouveau tableau capacitaire que vous nous proposez est difficilement comparable avec le précédent. Quant à votre affirmation que la LPM proposée porterait sur des livraisons là où la LPM actuelle ne porterait que sur des commandes, c'est faux. C'est regrettable. On aurait par exemple aimé avoir un point de passage à 2025 pour pouvoir juger de l'avancement des programmes par rapport aux cibles figurant dans la LPM actuelle. Dans la précédente loi de programmation militaire figuraient les ambitions de livraison, mais aussi les parcs d'équipements à différentes dates ; il ne reste plus que ces derniers, tandis que les matériels diffèrent et qu'il y a parfois des regroupements, comme pour le Serval.
La frontière entre aléas industriels et arbitrages budgétaires n'est pas claire. Je souhaiterais que vous soyez beaucoup plus précis sur les raisons de l'écart entre un effort financier de 400 milliards d'euros, une enveloppe importante, et la réalité des évolutions capacitaires à 2030, qui sont à la baisse. Pourquoi la liste des programmes en recul est-elle si longue ? Pouvez-vous expliciter les choix, les principaux arbitrages effectués en amont de cette LPM ?
Des renoncements se traduisent par des étalements de programmes dans le temps. L'économie de guerre semble être encore davantage un concept qu'une réalité. Mais peut-être pourrez-vous nous expliquer comment les cibles sont réduites alors que le budget augmente...
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je tiens tout d'abord à saluer l'évacuation réussie de 538 personnes, dont 209 Français, au Soudan.
L'enveloppe financière de cette LPM paraît conséquente, même s'il faudrait la moduler en fonction de l'inflation, pour avoir une idée plus précise de l'effort réel. Mais un budget ne fait pas forcément une vision ! Que veut-on faire avec cette enveloppe ? C'est la question à laquelle la Revue nationale stratégique a tenté de répondre, à mon avis de façon incomplète. Il manque un exercice de type Livre blanc pour fonder la légitimité de cette LPM, expliquer les formats et donc les choix effectués.
Je vous poserai deux questions en lien avec la coopération européenne et notamment franco-allemande. Cette coopération est au coeur de plusieurs programmes structurants pour notre modèle d'armée. Or elle est pour le moins fragile.
Le rapport annexé au projet de LPM mentionne rapidement le projet de système principal de combat terrestre (MGCS). Mais, en l'état actuel, ce programme fondamental est en panne. L'échéance de 2035 ne paraît plus guère crédible.
Au même moment, la guerre en Ukraine rebat les cartes dans le domaine des industries terrestres. L'industrie sud-coréenne, très réactive, est largement sollicitée par la Pologne. Cela nécessite d'avancer rapidement. Rheinmetall promeut son char Panther. Il apparaît clairement que l'industrie terrestre allemande veut affirmer son leadership. Nexter promeut pour sa part l'EMBT (Enhanced Main Battle Tank). Les voies d'une convergence semblent étroites. Que faire pour sortir de cette impasse ? Où en sont vos discussions avec votre homologue allemand ? D'autres coopérations sont-elles possibles ?
Ma seconde question porte sur l'A400M, programme qui fait l'objet d'un étalement en LPM puisque la cible est d'« au moins 35 », en 2030, contre 53 dans le cadre actuel. Cet appareil est d'autant plus nécessaire que la fermeture de bases en Afrique nécessitera de pouvoir se déployer rapidement sur de longues distances, par exemple pour évacuer des ressortissants.
Il semble que la cadence actuelle mettrait en danger la chaîne de production de l'appareil à compter de 2026. La relation franco-allemande est là aussi en question, puisque l'Allemagne bloquerait des licences à l'exportation. Pouvez-vous nous confirmer ces informations ? Les commandes de l'Espagne et du Royaume-Uni sont aussi dans la balance. Une négociation dans un cadre européen est donc nécessaire. Quelles sont les pistes que vous envisagez à ce sujet ?
Je voudrais aussi obtenir quelques clarifications. La loi de programmation militaire prévoit 200 chars de combat rénovés en 2035. Avez-vous prévu une programmation pour les véhicules blindés légers qui évoluent aux côtés des chars ?
Qu'en est-il également de la flotte de surface : quid des bâtiments ravitailleurs de force (BRF)? La LPM fixait un objectif de 4 BRF, dont les livraisons devaient s'étaler entre 2022 et 2029. Cet objectif est-il repoussé à 2035 et pour quelle raison ? La région indopacifique est, vous l'avez rappelé, une zone prioritaire pour la défense et la sécurité de notre pays.
Enfin, comment expliquer le décalage dans le temps de la livraison des 169 hélicoptères interarmées légers ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Vos questions sont nombreuses. Il me faudrait beaucoup de temps pour y répondre. Je donnerai donc les grands principes.
La légitimité d'une loi de programmation militaire ne dépend pas de l'existence préalable d'un Livre blanc. Comme le président Cambon l'a indiqué fort justement, c'est au Parlement qu'il revient de donner la légitimité aux travaux préparatoires d'une loi de programmation militaire, c'est d'ailleurs ce que le Sénat a fait avec sa méthodologie et ses groupes de travail. Il y a eu des consultations des think tanks, des associations, etc. Il faut reconnaître que, dans le passé, la réalisation de Livres blancs et la consultation de think tanks a pu servir de moyen de justifier la baisse des moyens budgétaires.
Je suis d'accord avec vous, le budget ne traduit pas une vision, pas plus d'ailleurs que le tableau capacitaire. C'est en fonction de l'emploi des forces armées que l'on envisage et des menaces auxquelles on doit répondre que l'on doit bâtir ce tableau, sauf à considérer qu'il ne s'agit que d'un outil de commande publique militaire pour les industriels, même si cette dimension existe aussi. L'essentiel est la cohérence. On a trop souvent eu dans le passé des équipements disponibles sur le papier, mais non opérationnels dans la réalité - des hélicoptères qui ne pouvaient pas voler... Monsieur Perrin a fait la comparaison entre les tableaux capacitaires des deux lois de programmation militaire. La loi précédente avait pour horizon 2025 ; si l'on fait la comparaison aujourd'hui les deux ne se superposent donc évidemment pas. L'horizon est fixé dans cette loi de programmation militaire à 2035. Je préfère que l'on raisonne en parc, en matériels livrés, plutôt qu'en commandes. Si l'on raisonne en commandes, on observe un rattrapage en 2031 et 2032 ! Le parc correspond lui à la réalité militaire.
En ce qui concerne le programme Scorpion, la loi de programmation militaire a permis 800 livraisons de véhicules blindés (Griffon, Jaguar, etc.). La nouvelle loi de programmation militaire prévoit 2 300 véhicules blindés nouveaux, grâce à la scorpionisation de la plupart des régiments, et cela s'accompagne - c'est la nouveauté ! - de la formation, du MCO et des infrastructures nécessaires, car Scorpion requiert la réalisation de nouvelles infrastructures. Il s'agit de faire preuve de cohérence. La cible pour Scorpion n'est pas réduite pour autant, mais ira jusqu'en 2031 ou 2032, au-delà de la période de la LPM. Cet étalement dans le temps n'est pas grave, si les forces peuvent interagir et exécuter les missions qui leur sont confiées. Il serait politiquement plus facile pour moi de présenter des chiffres de livraisons en hausse, en rognant sur l'entretien ou la formation ! Il me semble que ce serait irresponsable. Je préfère la cohérence.
La scorpionisation devient irréversible. En 2018, certains se demandaient si le programme Scorpion serait exécuté ; il le sera ! On pourrait exécuter Scorpion dès 2030, mais cela impliquerait de réduire d'autres programmes, sur le spatial, la formation, etc. En cela, la loi de programmation militaire s'emboîte avec la précédente, mais commence à pivoter. Ce n'est pas le seul nombre de Griffon qui fera notre sécurité. Lisser la réalisation sur deux ans de plus...
M. Cédric Perrin. - Plutôt jusqu'en 2035.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Quand bien même nous finirions la scorpionisation en 2035, serait-ce si grave pour la sécurité du pays au regard des missions de nos armées ? Le mouvement est enclenché - sinon, c'est comme si M. le sénateur de Legge n'avait rien dit sur la souveraineté. Monsieur Perrin, je reconnais votre cohérence : vous aviez immédiatement tweeté, après le discours du Président de la République du 4 janvier, que les 413 milliards d'euros étaient insuffisants. Il faut faire des choix : il est dangereux de négliger le spatial ou le renseignement. Nous assumons ce cas pratique.
Un autre cas pratique est différent : il tient à l'industrie. Ainsi, le texte qui vous est proposé prend en compte deux décalages pour les frégates de défense et d'intervention (FDI), pour prolonger l'activité de Lorient le plus longtemps possible, en faisant le pari d'un succès à l'export de deux bâtiments vers un pays dont je tairai le nom, en produisant les FDI françaises à leur suite.
Par ailleurs, il y a bien quelques coquilles, notamment sur les drones. Je vous rassure : la cible est bien la même que précédemment. Le rapporteur de l'Assemblée nationale l'a remarqué également, et devrait déposer un amendement de correction. La nouveauté, c'est que nous durcirons les charges emportées - armement et renseignement - par les Patroller. Il serait utile que les deux chambres s'articulent entre elles sur ce point.
Nos industriels bénéficient, désormais, de plus de visibilité. J'ai donc du mal à comprendre les accusations de fragilisation, car nous ne réduisons pas la cible, mais nous l'étalons. De plus, nous croyons tous à nos capacités à l'export. Quand on voit les efforts des Ukrainiens pour dire du bien du Caesar, on peut espérer que Nexter en vendra davantage... La commande publique est un socle de souveraineté, mais l'exportation permet d'équilibrer.
Par ailleurs, vous relayez l'inquiétude des industriels quant à ces lissages. Toutefois, Arquus verra son chiffre d'affaires de la commande publique augmenter de 40 %. Pour Nexter, la hausse atteindra 90 %. Dans ces conditions, décaler certains programmes ne crée pas de risque. D'ailleurs, dans le cas contraire, les syndicats nous auraient déjà saisis.
M. Cédric Perrin. - Prenez-vous l'engagement qu'il n'y aura aucune fermeture de site liée aux étalements ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Liée aux étalements, aucune. Cependant, la situation de chaque entreprise est différente. Je ne suis pas ministre de la France insoumise, je ne prendrai pas un engagement démagogique... Ce qui est factuel, c'est que la dépense militaire augmente, pour l'achat comme pour le MCO. Je suis à la disposition du Sénat pour en examiner les effets, entreprise par entreprise.
Madame Conway-Mouret, l'armée de l'air et de l'espace estime que nous aurons besoin d'un socle de 35 A400M. Je souhaite qu'Airbus regarde de près les perspectives à l'export. Les évacuations menées à Kaboul et à Khartoum montrent à quel point l'aviation de transport tactique est un vecteur formidable. Cet appareil lutte aussi contre la tyrannie de l'éloignement, y compris pour nos outre-mer, auxquels seraient consacrés certains des 35 appareils. Alors que les Espagnols ont revu leur ambition à la baisse, nous gardons ce socle à 35, avec une cible à 50. J'entends lever certaines options à l'exportation, que je ne peux développer davantage dans le cadre d'une audition publique.
Les discussions ont repris avec l'Allemagne sur MGCS. Si la France est chef de file sur le Scaf, c'est l'Allemagne pour le MGCS. Les armées de Terre des deux pays échangent sur leurs attendus. Pour la cavalerie blindée, l'horizon est 2040, et de nombreuses questions se posent : téléopérabilité, rôle des drones, interconnexion et connectivité - le savoir-faire de Scorpion peut être utile en la matière. Une réunion ministérielle est prévue avant le 14 juillet avec Boris Pistorius, ministre allemand de la défense, pour définir le rôle des entreprises allemandes et françaises sur le MGCS et, surtout, pour éviter les difficultés du Scaf, les besoins des deux armées de Terre en matière de produit final.
En outre, l'Allemagne et d'autres pays cédant des Leopard, la question de l'après se pose de plus en plus. Nous avons eu des échanges avec mon homologue allemand en marge du sommet de Madrid. D'ici à l'examen de la LPM par le Sénat, en juin, j'aurai de nouveaux éléments.
M. Joël Guerriau, rapporteur. - Je vous interroge sur les aspects relatifs au programme 212, « Soutien de la politique de la défense ». Je veux plus spécifiquement évoquer la politique immobilière du ministère, qui représente un des postes de recettes expressément identifiés pour financer ces ressources supplémentaires. Le parc immobilier du ministère de la défense est déjà sous tension à l'heure actuelle. L'insuffisance de l'offre d'hébergement a justifié un programme d'investissement spécifique pour construire ou réhabiliter 30 000 places d'hébergement pendant la programmation actuellement en vigueur (2019-2025).
Dans ce contexte tendu, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les cessions immobilières envisagées par le ministère pour générer les 474 millions d'euros de recettes prévues ? Quelles mesures seront prises pour que ces cessions ne dégradent pas l'offre du ministère en matière d'hébergement des militaires ?
Je relaie également la question de ma collègue Marie-Arlette Carlotti, rapporteure comme moi du programme 212. Le projet de loi a été élaboré dans un contexte de dégradation préoccupante de notre environnement stratégique et de réaffirmation de notre volonté d'être en mesure de faire face à un engagement majeur. Or, en dépit de la hausse du budget, la trajectoire des effectifs est paradoxale. Ainsi, le projet de loi divise par deux les créations nettes d'effectifs dans les armées pour 2024 et 2025 par rapport à la programmation actuelle. Dans le même temps, certains choix stratégiques structurants pour le format de nos armées restent incertains.
À cet égard, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer votre hypothèse sur la poursuite de l'opération Sentinelle ? Plus largement, quelles sont vos hypothèses de travail en matière de contribution des effectifs du ministère pour assurer des missions de sécurité civile dans le cadre des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Pour les recettes, M. Moscovici estimait que les 5,9 milliards d'euros de recettes étaient bien documentés.
En revanche, sur les cessions, j'ai donné des instructions pour n'intégrer que celles qui sont déjà réalisées. Les promesses et les actes de vente en cours ne concernent d'ailleurs que de petites opérations, sans nuire au parc de logements. Il n'y a plus de grands mouvements comparables à 1990 et à 2008. D'importantes opérations restent en cours, comme le Val de Grâce, mais elles n'entrent pas dans les calculs. Le montant des cessions immobilières, celle du bien situé boulevard Saint-Germain incluse, s'élève à 474 millions d'euros. Il correspond à la « queue de comète » des décisions qui ont été prises depuis dix ans.
Pour ce qui concerne le format des armées, il n'est nullement prévu de diviser par deux les créations nettes d'effectifs, puisque nous avons repris la cible de 275 000 ETP. Si nous parvenons à exécuter celle-ci, nous aurons donc 6 000 postes supplémentaires à la fin de cette LPM, et même davantage en comptant les forces de réserves, dont nous prévoyons de doubler le nombre.
Je rappelle par ailleurs que les forces opérationnelles terrestres (FOT) de l'armée de terre avaient déjà augmenté de manière importante du fait de la mission Sentinelle. À l'issue des jeux Olympiques, nous pourrons effectivement nous poser la question du devenir du format de cette mission pour tenir compte de l'évolution des effectifs du ministère de l'intérieur, tout en permettant à l'armée française de conserver son agilité en matière de lutte contre le terrorisme.
Mme Michelle Gréaume. - J'interviens en tant que rapporteure du programme 178, « Préparation et emploi des forces », en mon nom et en celui de mon corapporteur Olivier Cigolotti, empêché ce jour.
La Guerre en Ukraine a changé la donne en remettant au coeur des priorités les services de soutien, les stocks de munitions et la préparation opérationnelle. Elle a imposé une forme de « vérité des prix » sur ce que coûte la guerre : on ne pourra désormais plus rogner, comme cela a été fait, y compris lors de la précédente LPM - nous l'avions souligné lors de son actualisation -, sur l'entraînement, le MCO, les stocks et les services de soutien.
Dans ces conditions, malgré les efforts annoncés, nous nous inquiétons de l'imprécision des informations qui nous sont présentées : les chiffres de progression de l'entretien programmé du matériel (EPM) sont globaux, et l'augmentation de 14 milliards d'euros qui est proposée n'est assortie d'aucune annuité. Quel en sera le rythme de réalisation ? Avec quels objectifs et quelles priorités ? Le Parlement ne devrait-il pas en être informé et en débattre ?
Nous nous sommes également étonnés du référentiel retenu pour présenter de façon avantageuse des objectifs affichés : les chiffres de la remontée de la préparation opérationnelle sont comparés à la cible du document budgétaire pour 2023. Si on les compare à la cible de la précédente LPM, force est de constater qu'il n'y a pas de progression. Les objectifs sont inchangés, car non atteints. Vous me direz qu'ils ne devaient être atteints qu'à l'issue de la LPM, soit d'ici à 2025. Mais là encore, nous n'avons aucun tableau d'objectifs intermédiaires. Il y a donc fort à craindre, si nous ne remédions pas à cette situation, que cela se reproduise au cours de cette LPM : la remontée de la préparation opérationnelle sera rognée lors de chaque ajustement annuel de la programmation militaire (A2PM), comme cela a été le cas précédemment. Pourquoi n'a-t-on plus d'objectif d'entraînement sur les chars légers AMX-10RC et les VAB Ultima, qui seront pourtant maintenus en activité ?
Les services de soutien doivent bénéficier de 4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à la précédente loi de programmation militaire, qui ne répondaient pas à tous leurs besoins. Comment pouvons-nous juger si c'est suffisant sans autre précision que des « exemples de réalisation à l'horizon 2030 » ? Quelle sera la répartition entre les services de soutien ? Comment expliquer que les services auditionnés ne puissent pas nous indiquer quels sont leurs besoins pour cette période ? Ces montants comprennent-ils les crédits du titre 2 (T II), c'est-à-dire l'augmentation des effectifs ?
Quelques 16 milliards d'euros supplémentaires sont annoncés au titre de l'augmentation des stocks de munitions, mais les besoins prévisibles en infrastructures de stockage et l'adaptation du Simu ne sont pas mentionnés. Faut-il comprendre que cela n'est pas prévu ? Que nous avions des espaces de stockage vides et un Simu surdimensionné ? Telle n'est pas l'impression qui se dégage.
Enfin, comment expliquer que les moyens détaillés dans les postures de réactivité comme dans le complément en cas d'engagement majeur soient réduits par rapport aux contrats opérationnels prévus par la précédente LPM ? On s'attendait plutôt à ce que la perspective d'un engagement majeur conduise à les augmenter, ou du moins, à les stabiliser.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Si ne pouvons pas entrer dans tous les détails dans le cadre de ce projet de loi, au risque de brouiller la vision stratégique et l'intention politique, soyez assurée que toutes les questions trouveront une réponse.
En ce qui concerne l'entretien programmé du matériel, nous avons porté les crédits, de 35 milliards d'euros sur la LPM en cours, à 49 milliards d'euros pour la période à venir.
Par ailleurs, vous avez raison, faire remonter l'activité prend du temps. Alors que 46 milliards d'euros étaient consacrés à ce poste de dépense par la loi de programmation actuelle, nous allons porter ce montant à 65 milliards d'euros pour la période à venir, soit une augmentation prodigieuse. Vous avez eu raison de pointer ce sujet, car nous devrons nous doter d'objectifs ambitieux afin d'exécuter la cible d'ici à 2030.
Il est possible de réduire les crédits alloués pour ces postes budgétaires par voie d'amendement afin de réaugmenter la masse, qu'il s'agisse de l'entretien programmé du matériel ou de l'activité. Mais je rappelle que ce sont nos militaires qui ont construit cet équilibre.
Vous avez évoqué les VAB et les AMX10RC, et vous avez raison, nous devons parler de ces matériels qui font partie du format d'armée. Nous vous transmettrons les éléments demandés par écrit.
Enfin, le T II n'est jamais pris en compte dans la LPM. Celui-ci devrait s'élever à 98 milliards d'euros pour la période à venir, contre 88 milliards d'euros pour la période en cours.
M. Pascal Allizard. - J'interviens en tant que rapporteur du programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense ».
Ce projet de loi de programmation militaire est peu dissert sur la question de l'innovation. Le rapport annexé indique que la future programmation permettra « d'anticiper certains besoins capacitaires par des innovations de rupture et d'assumer des paris technologiques pour anticiper la génération future dès lors que le contexte et les menaces le permettent ». On ne peut qu'être d'accord ! Pourriez-vous toutefois préciser quelles sont les priorités en matière d'études amont ?
Ce projet de programmation militaire prévoit un effort de 10 milliards d'euros sur sept ans au titre de l'innovation, dont 7,5 milliards pour les études amont. Pourriez-vous nous indiquer la ventilation prévisionnelle d'utilisation de ces crédits pour chaque année de la programmation ?
Enfin, pouvez-vous nous donner une idée plus précise des estimations et des anticipations dont vous disposez sur l'inflation ? Existe-t-il des plans correctifs, en lien notamment avec les industriels ? L'impact pourrait être important aussi bien pour les équipements de nos armées que pour les plans de charge des industriels.
M. Yannick Vaugrenard. - J'interviens moi aussi en tant que rapporteur du programme 144, « Environnement et prospective de la politique de défense ».
Les services que nous avons entendus ont tous fait état d'arbitrages encore en cours. C'est le cas en ce qui concerne les crédits de fonctionnement et d'investissement du renseignement. À nos questions sur la répartition de l'augmentation de 60 % des crédits du renseignement sur la période 2024-2030, pour atteindre un total de 5 milliards d'euros, aucun des trois services concernés - la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et la direction du renseignement militaire (DRM) - n'a répondu sur les marches de progression, arguant d'arbitrages en cours.
En revanche, ces services ont clairement indiqué que ces augmentations de crédits ne concernent pas les dépenses de personnel. Celles-ci se situent donc hors de l'enveloppe des 5 milliards d'euros pour le renseignement.
Les investissements techniques sont certes indispensables pour éviter le décrochage par rapport aux meilleurs services de renseignement, mais à titre d'exemple, la DGSE, qui compte pourtant près de 6 000 agents, reste de taille modeste par rapport aux services de nos voisins britanniques et même allemands.
Quels sont donc les objectifs de renforcement des personnels du renseignement ? Les services nous répondent qu'ils n'ont pas encore de connaissances sur l'évolution de leurs personnels, tandis que la direction des ressources humaines nous indique que la cible 2030 d'augmentation de 6 300 emplois reste à répartir entre grands domaines d'emploi : renseignement, cyber, unités opérationnelles, etc. Quels sont donc vos arbitrages budgétaires et de recrutements ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - En ce qui concerne le volet innovation, les débats au Parlement permettront sans doute de compléter le rapport annexé. On doit s'attendre à des sauts technologiques brutaux. La loi de programmation militaire prévoit 10 milliards d'euros sur ce sujet, auxquels il faut ajouter les réalisations de notre base industrielle et technique de défense (BITD). Parmi les dossiers sur lesquels nous devons avancer, je citerai par exemple 100 millions d'euros pour les armes à énergie dirigée, 300 millions d'euros pour l'hypervélocité, 250 millions pour la guerre électronique. Nous devons aussi avancer sur l'intelligence artificielle, dont on voit l'importance déjà dans le civil et qui soulève des questions éthiques, ou encore sur le quantique, notamment pour le cryptage. Je pourrais mentionner aussi le spatial et les drones : plutôt que de chercher à rattraper le retard, essayons plutôt de faire un saut technique en pensant déjà la nouvelle génération de matériel, ce qui implique de réfléchir aux innovations le plus vite possible.
En ce qui concerne les études amont, la loi de programmation militaire prévoyait 6,8 milliards d'euros ; l'enveloppe passera à 7,5 milliards d'euros pour la période 2024-2030. Cet effort devrait permettra à l'agence de l'innovation de défense de produire ses effets.
Sur l'inflation, il existe plusieurs hypothèses, mais celles retenues par Bercy sont les plus pessimistes. Des clauses de révision sont prévues. Je ne manquerai pas d'informer le Parlement. La situation peut évoluer rapidement.
J'ai notifié aux trois services de renseignement leurs cibles d'ETP et la répartition des crédits : ils sont en hausse de 60 % sur les deux lois de programmation. L'enveloppe totale est de plus de 5 milliards d'euros pour les trois services. La DGSE sera dotée de 4,6 milliards ; la DRM verra ses crédits doubler à 600 millions d'euros, tandis que les crédits de la DSRD augmentent aussi fortement à 233 millions d'euros- ce service peu connu joue un rôle majeur en matière de contre-espionnage, de lutte contre les ingérences étrangères, de sécurité de notre BITD, de lutte contre la radicalisation, etc.
La cible socle d'ETP de la DGSE prévoit une augmentation de 728 ETP sur la période, mais on peut sans soute faire plus, car il possible de répartir différemment les effectifs au sein de l'enveloppe globale d'ETP du ministère des armées. Le premier chantier est la fidélisation des agents, d'éviter que des cybercombattants jeunes et formés quittent l'armée au bout de quelques années. Il faut réfléchir à cette fidélisation, autant qu'aux effectifs.
M. André Gattolin. - Olivier Cadic et Mickaël Vallet, rapporteurs du programme 129, « Coordination du travail gouvernemental », souhaitaient vous interroger sur deux points.
La résilience cyber a été érigée en objectif stratégique par la Revue nationale stratégique et le Président de la République a annoncé dans son discours sur la LPM son souhait de voir doubler notre capacité de traitement des attaques cyber majeures. On se demande d'ailleurs si le seul objectif de doublement de capacité est suffisant quand on sait la progression exponentielle des menaces répertoriées par l'Anssi et Cybermalveillance.
Au-delà de ces chiffres, comment véritablement inscrire dans la prochaine LPM la nécessité de rapprocher les fonctions défensives et offensives, qui sont traditionnellement et structurellement séparées dans notre organisation actuelle, pour que la défense de nos intérêts soit mieux intégrée, notamment entre l'Anssi pour le volet civil et le ComCyber pour le volet militaire?
La seconde question est relative à la programmation des besoins programmés dans le domaine cyber. Le rapport annexé à la LPM prévoit 4 milliards d'euros pour la cyberdéfense afin d'augmenter les effectifs, de s'adapter aux évolutions technologiques, d'accompagner les entreprises du secteur de la défense et d'appuyer l'Anssi en cas de crise cyber nationale.
Quelle sera concrètement la cible d'augmentation des effectifs dans ce domaine ?
D'autre part quel sera l'impact budgétaire de la LPM sur l'Anssi ? Le journal Le Monde du 18 avril 2023 a indiqué, je cite, qu'une « part non négligeable des nouveaux crédits de la LPM devrait aussi irriguer l'Agence ». Or l'Anssi nous a certifié qu'aucun crédit LPM n'était fléché vers elle. Qu'en est-il ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - L'Anssi n'est pas dans la loi de programmation militaire, car elle est sous la tutelle de la Première ministre. Néanmoins le ministère de la défense est meneur sur les missions qui relèvent de sa compétence, comme la lutte informatique offensive ou défensive, ou l'informatique d'influence : 4 milliards d'euros sont prévus pour la cyberdéfense sur la période, soit un triplement de l'enveloppe. L'effort en matière RH sera sensible, avec une hausse de 953 ETP pour le seul ministère des armées répartis entre la DGSE, la DGA et les armées. Nous assumons ces choix : il s'agit de défendre notre démocratie face aux menaces cyber, informatiques, informationnelles, etc. Il est urgent d'agir et c'est plus important pour notre sécurité collective que de retarder d'un ou deux ans la livraison de quelques Griffon.
M. François Patriat. - Il convient de saluer l'effort en faveur de la défense du pays. La trajectoire financière de la loi de programmation militaire augmente de 100 milliards par rapport à la précédente loi de programmation militaire. Le budget de nos forces armées aura été doublé par ces deux LPM. Les orientations stratégiques sont claires.
Le retour de la guerre sur le continent européen aurait dû nous conduire à une forme d'union sacrée, mais je ne suis sûr que nous ayons pris le meilleur chemin, et il me semble que nous pouvons faire mieux en la matière...
Votre méthode de travail a fait l'objet de critiques incessantes. Je rappelle pourtant que nous avons été associés à des groupes de travail et que c'est la troisième fois que nous avons l'occasion d'échanger avec vous sur ce sujet ! Certains ont instruit aussi un procès en insincérité sur l'étude d'impact, mais le Conseil constitutionnel a estimé dans sa décision du 20 avril dernier que les griefs étaient infondés.
La loi de programmation militaire donne de la visibilité aux industriels. Le ministère a t- il une idée des commandes à venir ?
M. Jacques Le Nay. - La cybersécurité, tant en mode offensif que défensif, est cruciale.
J'ai eu la chance, dans le cadre de l'exercice Orion, d'être intégré dans un escadron de reconnaissance d'un régiment de cuirassiers. Cet exercice n'avait pas eu lieu depuis 30 ans. Or de tels exercices de simulation sont indispensables pour évaluer l'efficacité de nos armes. Le hasard avait voulu que cette initiative soit prise avant la guerre en Ukraine. Ces exercices se reproduiront-ils ? Pour quel coût ?
Mme Vivette Lopez. - La semaine prochaine, avec Gisèle Jourda, Hugues Saury et André Guiol, nous nous rendons en mission à Oman et aux Émirats arabes unis. Quelle est la stratégie de la France au Moyen-Orient ? Quel message souhaitez-vous que nous portions ? Des visites ministérielles sont-elles prévues sur place ?
Mme Nicole Duranton. - Je reviens du Brésil : on vous y attend également...
Au sein de la LPM, quels marqueurs garantissent que nos partenaires européens et de l'Otan feront bloc avec nous en cas de conflit de haute intensité ?
M. Hugues Saury. - Pouvez-vous mettre en perspective ces 413 milliards d'euros avec l'effort de réarmement des autres pays ? Le budget américain de la défense est, en 2023, de 858 milliards d'euros, en hausse de 8 %, celui de l'Inde augmente de 13 % et atteint 75 milliards d'euros, et les Britanniques prévoient 110 milliards d'euros pour 2030. Quelle est notre ambition ?
Ensuite, la Revue nationale stratégique de 2022 érige l'influence et la lutte informationnelle en fonction stratégique. La France voit cependant sa voix discréditée à travers le globe, et notamment en Afrique. Quels sont les apports de la LPM dans ce domaine, ainsi que dans le cyberespace ?
M. Pierre Laurent. - Vous avez entendu tuer les rumeurs sur la dissuasion nucléaire. Avez-vous des chiffres précis, alors que bien peu circulent ? Combien la dissuasion représente-t-elle dans la LPM ? Que regroupe-t-elle ? Quels éléments dépassent la période de la LPM ?
Vous mentionniez un effort en hausse significative, en raison d'une modernisation de l'arsenal nucléaire que vous compariez au saut des années 1990. Pourriez-vous apporter, y compris par écrit, des éléments plus précis d'ici à la discussion du texte ?
Une dernière remarque : comment et quand travaillerons-nous sur le rapport annexé à l'article 2 ?
M. Christian Cambon, président. - Nous pourrons amender le rapport annexé, qui sera examiné dans le cadre de l'article 2, selon l'ordre de la discussion.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Monsieur Patriat, sur l'union sacrée, nous la constaterons au moment du vote. Toutefois, sur le fond, les sujets de défense nationale n'ont jamais été pleinement consensuels depuis les années 1960 - les questions de Pierre Laurent le démontrent, et il y a une cohérence du parti communiste français sur la dissuasion nucléaire et l'appartenance à l'Otan. Je le reconnaissais d'ailleurs hier devant les députés Lecoq et Roussel : c'est la noblesse du débat politique. En revanche, il y a aussi des querelles politiciennes. Remettre en cause l'étude d'impact n'est pas la meilleure manière de saluer le travail du ministère et des armées, d'autant que c'est la plus solide qui ait jamais été fournie. Je trouve surprenante cette alliance de circonstance de deux présidents de groupe politique. Étant moi-même élu au Parlement, je tiens à montrer l'exemple et me tiens à votre disposition. Bien sûr, une LPM n'est jamais parfaite, il y a toujours une part d'aléa et de risque politique, militaire et budgétaire.
Sur la visibilité du chiffre d'affaires apporté aux différentes entreprises, hors dissuasion nucléaire, Airbus pourrait enregistrer une hausse de 40 %, comme Arquus, et Naval Group de 15 %, sur des sommes plus importantes. Pour les autres chantiers navals, l'augmentation atteindrait 90 %, et 75 % pour Dassault, 70 % pour MBDA, 90 % pour Nexter, plus de 100 % pour Safran et 70 % pour Thales. Voilà des montants visibles et prévisibles.
Monsieur Le Nay, sur Orion, vous avez raison : un tableau ne suffit pas. Il faut examiner la programmation à la lumière de la réalité des opérations et de l'entraînement. Le dernier exercice Orion avait eu lieu avant ma naissance. Sa nouvelle version a été décidé par un certain général Burkhard, alors chef d'état-major de l'armée de terre. Devenu chef d'état-major des armées, il a oeuvré pour en faire un exercice hors du commun, interarmées et interallié. Je souhaite en partager le retour d'expérience avec le Sénat. On en revient au débat sur la cohérence et la masse : participer à Orion est l'occasion de voir, concrètement, le rôle de chacun. L'exercice, triennal, sera une occasion de muscler l'entraînement et un facteur d'attractivité pour l'engagement.
Pour la prochaine édition, il faudra encore mieux associer le monde civil à ce moment armée-Nation. Je vous donnerai des éléments de coût ultérieurement. On a longtemps rogné sur l'activité des forces et l'entraînement pour éviter des difficultés politiques et industrielles. Je vous propose un équilibre avec le capacitaire et le MCO.
Madame Lopez, nous avons un accord de défense avec une clause de sécurité et des forces prépositionnées aux Émirats arabes unis, tournées vers l'Indopacifique comme la région golfique. Vous y rencontrerez nos soldats, dirigés par un contre-amiral, avec aussi une composante aérienne et terrestre. Lorsque les Émirats ont connu des attaques de drones, il y a un an et demi, la cause de sécurité a joué : nous avons été les premiers à patrouiller dans le ciel émirien. Ils achètent en outre des Rafale, ce qui facilite l'interopérabilité. Nous avons répondu quand ils en ont eu besoin, démontrant notre crédibilité et notre fiabilité dans les deux régions, dans un environnement structuré autour de la sécurité vis-à-vis de l'Iran. Vous y verrez aussi les matériels utiles aux missions de réassurance et de sécurité. J'y suis allé, j'y retournerai de nouveau voir mon homologue et le prince.
Madame Duranton, le marqueur Otan mériterait un long développement. La Pologne est un grand pays d'Europe centrale et orientale, et les États-Unis, nation-cadre, y disposent déjà de bases. La Roumanie est le troisième grand pays de la région. Alors que nous n'y avons pas de base sur place, notre réactivité, en interarmées, avec une promesse de montée en puissance de l'allié roumain - c'est le sens d'être une nation-cadre -, démontre notre engagement. Il faut dépasser la notion bureaucratique des 2 % du PIB.
Notre LPM est, en elle-même, un marqueur de crédibilité de la posture de dissuasion de l'ensemble de l'alliance. L'Otan s'est tournée vers la diplomatie, mais l'agression russe en Ukraine la remilitarise. Le rôle du commandant suprême allié Transformation (SACT), actuellement un officier général français, sur les fonctions de planification et opérationnelles, y participe, tout comme l'action que nous accomplissons sous bannière otanienne. Ainsi, chaque pays s'engage sur un volume d'activité - des heures de vol, par exemple. La France est le pays qui exécute le mieux sa promesse annuelle. En matière de réassurance aérienne ou de sécurité dans l'Atlantique, nous sommes soit meneurs, soit les égaux des Américains. Par exemple, en Méditerranée, il y a deux groupes aéronavals : le groupe de Georges Bush et le nôtre.
M. Christian Cambon, président. - Au sein de l'Assemblée parlementaire de l'Otan, nous entendons souvent des propos mettant en doute l'engagement de la France vis-à-vis de l'Otan. Votre rappel est important : nous sommes présents et nous tenons nos promesses.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Considérer les effets militaires réels plutôt que les fixations de la bureaucratie otanienne est un élément clé.
Monsieur Saury, parler de perte d'influence en Afrique est un raccourci. C'est un grand continent : il y a des déprises dans certains pays, et une réaffirmation de la volonté de travailler avec la France dans d'autres. Nos partenaires ivoiriens, tchadiens ou djiboutiens prennent mal qu'on parle d'Afrique comme globalité. Le moment venu, nous pourrions faire un point devant vous avec Catherine Colonna.
M. Christian Cambon, président. - Le 6 juin, devrait être inscrit à l'ordre du jour de la séance publique un débat au titre de l'article 50-1 de la Constitution, sur la politique de la France en Afrique.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Dans les pays où nous avons des bases prépositionnées, il y a un désir de France, avec une demande de formation sur les métiers du spatial et du renseignement par exemple. Le combat contre le terrorisme est plus nécessaire que jamais. À l'inverse, certaines juntes nous évincent pour les raisons que vous connaissez. Cessons de globaliser. Nos partenaires se demandent pourquoi les élites parisiennes mettent tout le monde dans le même sac.
Il est toujours difficile de se comparer à l'international : certains pays comptent les pensions dans les budgets militaires, tout comme l'Otan. Si nous le faisions, cela ajouterait 10 milliards d'euros, soit 80 milliards d'euros en tout. Selon ce critère, nous serions devant l'Allemagne et le Royaume-Uni. Au-delà, comparer des pays, comme la France qui ont une dissuasion nucléaire, des outre-mer ou une armée de projection, et ceux qui n'en ont pas, est toujours délicat - nous sommes bien différents de l'Allemagne, notamment sur les deux premiers points. La notion même de souveraineté diffère. Le nombre de tués et de blessés est aussi parlant quant à l'exposition de nos armées au danger.
Monsieur Pierre Laurent, les positions de votre parti sur la dissuasion nucléaire sont connues, mais je ne les partage pas. Comme le disait le général de Gaulle, le désarmement ne saurait être unilatéral.
L'agrégat de la dissuasion représente 13 % du montant global. Sur certains détails, comme le disait Pierre Messmer, « à certains secrets militaires, équivaut une forme de discrétion budgétaire. » Toutefois, je vous ferai parvenir le maximum d'informations exploitables publiquement. Néanmoins, les efforts de modernisation de la dissuasion, comme pour les vecteurs, ainsi que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) par exemple, sont aussi un facteur de souveraineté. La discrétion acoustique est un sujet clé : si un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) n'a pas besoin de la même discrétion qu'un SNLE, la technologie tire tout le savoir-faire français vers le haut. De même, pour la succession du Rafale, le Scaf doit intégrer les forces aériennes stratégiques. Enfin, les missiles, aéroportés comme océaniques, doivent aussi être modernisés : ces derniers s'apparentent presque à des fusées Ariane. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et la direction générale de l'armement y travaillent.
M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie de vous êtes prêté à l'exercice. Respectueuse de la Constitution, notre commission travaillera sans concession, mais dans un esprit constructif. L'horizon 2030 reste lointain, il est difficile de prédire quel sera l'état du monde. Je rappelle les propos de l'amiral Vandier : le prochain porte-avions sera peut-être aussi un porte-drones...
Nous poursuivrons nos travaux demain en nous rendant à l'exercice Orion.
La réunion est close à 19 h 00.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.