Mardi 4 avril 2023
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -
Parentalité dans les outre-mer - Table ronde sur la situation dans les collectivités du Pacifique
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par deux délégations, la délégation aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.
Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique nos collègues Victoire Jasmin et Elsa Schalck.
Si certains constats sont communs aux différents territoires d'outre-mer, chacun présente évidemment ses particularités. C'est pourquoi nous organisons des tables rondes régionales, consacrées à chaque bassin de territoire.
Nous nous intéressons ce matin aux collectivités du Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna.
Nous entendons, par visioconférence :
- M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ;
- Mme Kialiki Lagikula, présidente de la commission « Condition féminine » de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ;
- Mme Isabelle Leblic, docteure en anthropologie sociale et culturelle, directrice de recherche au CNRS ;
- Mme Stéphanie Geneix-Rabault, maîtresse de conférences à l'Université de la Nouvelle-Calédonie ;
- M. Loïs Bastide, maître de conférences en sociologie à l'Université de la Polynésie française, chercheur associé à la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique ;
- et Mme Rodica Ailincai, professeure des universités, enseignante chercheuse à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de Polynésie française, directrice du Laboratoire EASTCO Sociétés Traditionnelles et Contemporaines en Océanie.
Bienvenue à vous et merci pour votre disponibilité en dépit des décalages horaires.
L'objectif de cette table ronde est double :
- premièrement, examiner ce que recouvre la notion de famille dans les îles du Pacifique, les évolutions des structures familiales, les rôles des mères, pères, grands-parents et autres membres de la famille, ainsi que la question de la circulation des enfants, fréquente dans les sociétés traditionnelles kanak et polynésienne ;
- deuxièmement, examiner les actions de soutien à la parentalité mises en place par les collectivités de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna, sachant que ces collectivités d'outre-mer sont autonomes en matière de politiques familiales et sociales. Il est toujours intéressant pour nous de prendre connaissance des initiatives mises en place localement, dans différents territoires, afin d'envisager de les dupliquer ailleurs.
Je laisse sans plus tarder la parole à mon collègue Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer, qui intervient à distance depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, à un horaire plus que matinal, soit 4 heures du matin !
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vous salue depuis Saint-Pierre-et-Miquelon où je me trouve actuellement.
Je participerai donc en visioconférence à cette table ronde sur la parentalité dans le Pacifique, je vous prie de m'en excuser.
Comme vous, je me félicite de cette opportunité d'appréhender les notions de famille élargie, d'adoption, de réseau de parents.
Je remercie nos intervenants, qui connaissent particulièrement bien ces réalités de nos trois collectivités du Pacifique, de nous aider à entrer dans les subtilités des réalités sociologiques de territoires qui ont leurs cultures spécifiques et de fortes identités.
Ces sociétés, qu'elles soient polynésiennes ou mélanésiennes, sont aussi impactées par la modernité. Il nous est particulièrement utile, Mesdames et Messieurs, d'avoir vos différents points de vue sur l'évolution des rapports au sein des familles dans des sociétés issues d'autres traditions que celles que nous avons dans l'Hexagone.
Je suis également particulièrement heureux de saluer le président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, M. Munipoese Muni'aka'aka, que j'ai eu le plaisir d'accueillir au Sénat il y a quelques mois dans le cadre de notre étude sur l'évolution institutionnelle, et que nous avons sollicité sur d'autres sujets comme la continuité territoriale, qui vient de faire l'objet du rapport de nos collègues Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, lequel bénéficie d'une large couverture presse.
Je ne serai pas plus long pour laisser la parole aux invités et à nos collègues.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Je me tourne en premier lieu vers les représentants de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, M. Munipoese Muni'aka'aka et Mme Kialiki Lagikula. Vous nous présenterez les particularités des structures familiales et parentales à Wallis-et-Futuna, l'organisation des politiques familiales, ainsi que les actions en matière de soutien à la parentalité qui existent sur votre territoire ou qui gagneraient à y être développées. Je vous laisse organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.
M. Munipoese Muni'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Bonjour à tous.
Je profite de cette prise de parole pour présenter mes salutations les plus respectueuses au président de la délégation aux outre-mer. Par ailleurs, j'adresse mes salutations à la présidente de la délégation aux droits des femmes, Mme Billon, qui se charge de l'animation de cette réunion tenue conjointement en visioconférence et en présentiel.
Pour le territoire de Wallis-et-Futuna, le traitement du sujet relatif à la parentalité a donné lieu à la réalisation d'une analyse spécifique. Nous allons vous présenter cette étude en la déclinant en trois volets. Le premier reviendra sur les particularités des structures familiales et parentales. Le deuxième volet portera sur l'organisation des politiques familiales. Enfin, la troisième partie se focalisera sur les actions d'accueil et de soutien propres au thème de la parentalité.
Ma collègue, Mme Lagikula, n'a pas eu la possibilité de participer à cette présente réunion, car elle a dû s'absenter pour des raisons de santé. Néanmoins, deux élus représentant le territoire de Futuna ont eu la possibilité de prendre part à notre table ronde. La présentation du rapport sera quant à elle effectuée par ma chargée de mission, Mme Olga Gaveau.
Je vous remercie pour votre attention.
Mme Olga Gaveau, chargée de mission à l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Comme je l'ai indiqué à la présidente, je vous transmettrai la version écrite du rapport à l'issue de la présente séance.
Au sein des îles Wallis-et-Futuna, la notion de famille inclut les parents et les enfants, mais également - c'est une particularité - la famille élargie, qui intègre les grands-parents, les conjoints, les oncles et les tantes, ainsi que les « nounous » et l'ensemble des personnes qui contribuent à l'éducation de l'enfant. En réalité, la notion de famille s'apparente davantage à un clan. Les grands-parents sont à la tête de ce clan, ils se chargent de la transmission des savoir-faire, des coutumes et des traditions.
Nous avons aussi la présence de familles monoparentales qui apparaissent à la suite d'un divorce. Enfin, les couples sans enfant sont également à prendre en considération.
Au sein des maisons traditionnelles, les « fale », qui peuvent encore exister localement, toute la famille habite sous le même toit ; une maison peut donc accueillir simultanément jusqu'à quatre générations.
Par ailleurs, il existe des communautés composées de personnes expatriées. Ces populations se fondent principalement sur le modèle métropolitain.
Comme indiqué précédemment, la deuxième partie de ma présentation revient sur l'organisation des politiques familiales.
Il est à noter que sur le territoire de Wallis-et-Futuna, les parents sont davantage conservateurs et traditionalistes.
Dans le même temps, les grands-parents jouent un rôle important, car ils contribuent activement à l'éducation de l'enfant, à la transmission des savoirs, des valeurs - notamment du respect, des priorités de vie, des traditions, de la culture, des travaux à la maison et aux champs - envers les plus jeunes.
Dans ce contexte particulier, les enfants affichent un niveau plus ou moins élevé de proximité avec le noyau familial. Les interactions entre les membres de la famille sont quasi-quotidiennes. Puis par moment, certains oncles et tantes prennent le relais sur les parents biologiques.
L'autorité parentale recouvre l'ensemble des droits et devoirs des parents à l'égard de l'enfant mineur qu'ils doivent élever. En réalité, la notion de protection - physique comme morale - de l'enfant n'est apparue que très récemment. À Wallis-et-Futuna, chaque parent, accompagné des grands-parents, oeuvre pour la transmission d'informations sur le droit coutumier, sur la tradition et sur la culture. Dans cette tâche, les parents bénéficient de l'appui des grands-parents. Par ailleurs, ils transmettent les informations à l'enfant en tenant compte de son âge et de son genre.
L'organisation politique de Wallis-et-Futuna a pour particularité la présence d'une chefferie, qui joue un rôle important dans l'éducation des enfants.
Le troisième volet du rapport se concentre sur les actions de soutien à la parentalité. Plusieurs services territoriaux agissent aujourd'hui pour les enfants et les jeunes vivant à Wallis-et-Futuna : le pôle social du SITAS (Service de l'inspection du travail et des affaires sociales), l'Agence de santé, qui travaille quotidiennement dans le domaine de la prévention, une semi PMI gérée par le pôle de sages-femmes. Le vice-rectorat suit pour sa part les établissements scolaires grâce à un réseau d'infirmières et de référentes. Il existe aussi de nombreuses associations de parents d'élèves.
En outre, la déléguée aux droits des femmes intervient au sein du pôle social et gère des dossiers qui concernent des enfants victimes de violences diverses. Le rôle joué par la Fédération du handicap, par les associations sportives, par l'Assemblée territoriale, par le tribunal et par la Gendarmerie est aussi à prendre en considération.
L'Église dispose également d'un rôle prépondérant sur le territoire de Wallis-et-Futuna. Les actions et les messages passés lors des messes contribuent à la création d'un référent commun qui rassemble les jeunes.
Il devient aujourd'hui nécessaire de créer un soutien et une éducation à la parentalité sur Wallis-et-Futuna. Il est impératif d'y inclure toutes les catégories sociales et de s'adapter à l'intégralité des niveaux de compréhension. Par ailleurs, un outil d'accompagnement doit être mis en place, aussi bien pour les jeunes parents que pour les parents les plus âgés et pour l'intégralité des enfants.
Il existe actuellement un déficit de communication imputable à la censure inhérente au système familial et social. Les conflits restent réguliers au sein des familles et les violences intrafamiliales comme extrafamiliales sont fréquentes. En parallèle, les situations de mal-être liées à l'adolescence tendent à augmenter.
Des formations portant sur l'utilisation des outils numériques et des réseaux sociaux sont indispensables sur notre territoire, auprès des parents, des grands-parents et pour la chefferie qui se charge du suivi des enfants.
Notre Chefferie accorde une attention particulière à la coutume.
Plusieurs actions restent à développer. Nous devons notamment déployer une approche globale pour informer l'ensemble de la population et cibler des lieux d'échange par site, par district et par village. Nous devons également oeuvrer pour la création de postes de médiateurs sociaux de proximité dont certains seraient issus de la chefferie.
Les élus de l'Assemblée territoriale prévoient d'engager des actions concrètes de soutien en faveur de la prévention des conflits dans les familles.
De plus, une forte restructuration, avec une augmentation des personnels qualifiés et des salariés, est à entamer au niveau du pôle social du SITAS et du pôle Petite enfance de l'Agence de santé - avec la création d'une PMI quotidienne et d'une maison de la petite enfance - et au sein du pôle Prévention.
Les services et les associations partenaires doivent améliorer leur niveau de coordination, mieux communiquer et mettre en place un schéma de structuration des interventions communes.
Une réflexion globale à 360° doit être initiée. Cette étude devra donner lieu à l'instauration d'un plan d'action général tenant compte des lacunes du territoire et des problèmes imputables à l'absence de structures. La mise en place d'une politique sociale adaptée aux spécificités du territoire de Wallis-et-Futuna doit être étudiée.
De manière globale, la réalité récente montre que les îles Wallis-et-Futuna ont connu des évolutions technologiques considérables. Pour autant, le rôle joué par les parents dans l'éducation de l'enfant demeure important car les adultes qui vivent encore dans le foyer familial restent considérés comme des enfants.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie. Je donne la parole à Mme Isabelle Leblic, directrice de recherche au CNRS, pour une présentation des particularités de la parentalité en Nouvelle-Calédonie et un éclairage sur le sujet de la circulation des enfants dans les sociétés kanak et polynésienne. Vous nous direz également quelles conséquences vous en tirez quant aux besoins en matière de soutien à la parentalité et à la nécessaire adaptation des politiques familiales.
Mme Isabelle Leblic, docteure en anthropologie sociale et culturelle, directrice de recherche au CNRS. - Bonjour. Je tiens à préciser que mes travaux remontent déjà à quelques années. Je ne bénéficie pas d'une vision sur la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie, car je n'ai pas pu poursuivre mes recherches. L'arrêt de mes analyses résulte principalement de problématiques imputables à un manque de ressources disponibles sur le terrain.
La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française disposent de structures familiales semblables à celles de Wallis-et-Futuna : des parentés élargies et pas simplement une famille nucléaire comme en métropole. Ce modèle reste encore largement répandu en Nouvelle-Calédonie, bien qu'il faille distinguer le Grand Nouméa de l'intérieur et des îles, avec des contextes différents tant au niveau de l'urbanisation que des modes de vie, qui influent grandement sur les modèles parentaux.
Comme dit précédemment, les familles incluent les parents mais aussi les frères des pères, les soeurs des mères, voire dans certaines régions tous les oncles et tantes des côtés maternels et paternels. Ces personnes interviennent de façon traditionnelle dans l'éducation des enfants, dans la transmission orale des savoirs et dans les soins des enfants. Toutefois, leur niveau d'influence tend à diminuer depuis l'émergence des nouvelles technologies. De ce fait, les enfants passent moins de temps avec leurs grands-parents.
Malgré l'arrivée de ces nouvelles technologies, la vie des familles demeure rythmée par certaines cérémonies. Ces dernières vont de la naissance au deuil. Il s'agit de temps de rencontre qui rappellent l'existence de liens particuliers entre les individus, les groupes, les familles et les clans.
Il est également important de différencier les familles qui dépendent du statut coutumier de celles qui dépendent du droit commun. Le statut coutumier concerne uniquement les populations Kanak. Le statut de droit commun s'adresse quant à lui aux populations arrivées en Nouvelle-Calédonie par le biais de la colonisation.
Tous les parents présents dans les familles Kanak ont un rôle important. Pour autant, les possibilités de prise en charge peuvent être multiples.
En ville, l'éducation repose surtout sur une parentalité restreinte et les parents confient généralement la surveillance des enfants à des garderies et à des « nounous »...
Dans les tribus, l'habitat est familial et les maisons sont proches les unes des autres. Ainsi, les enfants côtoient régulièrement les tantes, les oncles et les grands-parents.
Par ailleurs, comme dans de nombreuses sociétés océaniennes, les sociétés kanak et polynésienne connaissent une circulation traditionnelle des enfants, dans la parenté proche ou dans une parenté élargie par alliance.
Ces opérations de circulation ont de multiples raisons. Le processus d'adoption ne vient pas seulement pallier un manque de descendance. Cette pratique peut en effet être liée à d'autres éléments.
Actuellement, les circulations d'enfants demeurent importantes en Nouvelle-Calédonie. Lors de mon étude, j'ai constaté qu'un quart des enfants recensés dans les généalogies avait fait l'objet d'un transfert d'enfant. Il s'agit donc d'une proportion importante.
Les adoptions ont généralement lieu par le biais du droit coutumier. De ce fait, les transferts de parenté ne nécessitent pas de jugements spécifiques. Je tiens à préciser que le secret adoptif n'existe pas dans la plupart des régions de Nouvelle-Calédonie. Les enfants circulent dans leur famille de naissance et dans leur famille adoptive de façon conjointe. Par ailleurs, les parties prenantes s'appuient sur le principe de cumul de filiations.
Durant mes travaux, j'ai uniquement travaillé avec des adultes ayant été adoptés durant leur enfance. Je n'ai pas pu m'entretenir avec des enfants adoptés, car ce procédé implique une méthodologie particulière qui n'était pas réalisable. Néanmoins, j'ai tout de même eu la possibilité d'observer des enfants dans leur milieu d'adoption. Ces études ont montré que les enfants naviguent entre leurs différentes familles.
Il existe une différence fondamentale entre les processus d'adoption initiés en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie et les processus engagés en métropole. Il est à noter que de nombreux couples sans enfant issus de l'Hexagone se rendent en Polynésie pour émettre une demande d'adoption. C'est souvent un système d'adoption ouverte prévoyant des retours réguliers de l'enfant adopté sur le territoire polynésien. Il s'agit d'une donnée importante à prendre en considération.
La différence entre le droit commun et le droit coutumier demeure effective en Nouvelle-Calédonie. Lorsque j'avais étudié cette thématique au cours des années 1990, j'ai pu constater que les adoptions engagées en milieu kanak suscitaient régulièrement l'incompréhension des intervenants sociaux. Les acteurs mobilisés avaient notamment tendance à se calquer sur leurs modèles de référence et sur les traumatismes générés par la séparation.
Je vous confirme que les traumatismes imputables à l'adoption peuvent effectivement exister. Toutefois, nous ne pouvons effectuer de généralités. Pour le moment, le secteur social de la Nouvelle-Calédonie reste relativement pauvre, car les autorités se heurtent à un manque d'intervenants issus des différentes communautés locales. Les instances ne parviennent donc pas à intégrer les différences communautaires dans leur système de gestion.
L'importance accordée aux liens familiaux est encore prégnante en Nouvelle-Calédonie. Cependant, je ne peux pas m'exprimer sur le Grand Nouméa, car mes travaux n'ont porté que sur l'intérieur et sur les îles.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je souhaite mentionner la présence aujourd'hui au Sénat des sénateurs des territoires dont nous traitons ce matin. Nous accueillons notamment le sénateur de Wallis-et-Futuna Mikaele Kulimoetoke et notre collègue de Nouvelle-Calédonie Gérard Poadja. J'imagine que les sénateurs présents réagiront ultérieurement aux interventions des experts.
Je vais maintenant passer la parole à Stéphanie Geneix-Rabault. Cette dernière se charge de la présentation du projet P'tit Campus.
Mme Stéphanie Geneix-Rabault, maîtresse de conférences à l'Université de la Nouvelle-Calédonie. - Bonjour à tous. Merci d'avoir associé l'université de la Nouvelle-Calédonie à ce panel. J'espère que le dispositif que je m'apprête à vous présenter apportera des éclairages complémentaires.
Le projet P'tit Campus a été initié en 2020. L'Université de la Nouvelle-Calédonie se compose actuellement de deux campus, dont un localisé au sud de l'archipel. En 2023, l'établissement compte environ 4 000 étudiants inscrits.
Le projet a émergé en mai 2020 à la suite d'une demande émise par une étudiante enceinte de sept mois. Cette personne faisait alors face à des difficultés sociales notables ; elle envisageait donc d'interrompre son cursus scolaire. Il s'agissait pourtant d'une étudiante brillante qui s'apprêtait à obtenir sa licence.
Au vu des difficultés rencontrées, la personne concernée s'est tournée vers la directrice de l'université pour lui faire part de ses doutes. Un élan de solidarité s'est ensuite créé.
Les responsables chargés de traiter la requête d'accompagnement émise par l'étudiante ont par la suite décidé de déployer un dispositif collectif. L'objectif de ce projet était de répondre aux besoins des étudiants contraints de concilier leur parentalité avec leur cursus scolaire.
Durant la phase d'analyse préalable, les chargés de projet ont observé que neuf fois sur dix, les étudiantes enceintes décident d'abandonner leur enfant du fait de l'absence de solutions. La seule alternative qui se présente à ces personnes consiste à confier l'enfant aux grands-parents. Cependant, ce type de pratique nécessite parfois des déplacements dans les îles et des ruptures de liens familiaux imputables à des difficultés financières.
Comme expliqué précédemment, le dispositif P'tit Campus vient accompagner les étudiants qui se préparent à la parentalité. L'outil s'adresse aussi aux étudiants déjà parents. Les personnes mobilisées aident également les bénéficiaires à concilier la poursuite d'études avec leur parentalité.
Le dispositif P'tit Campus s'est constitué grâce à des partenariats. L'université a notamment signé des partenariats avec des collectivités de Nouvelle-Calédonie, telles que la Province Sud. Dans le même temps, des associations comme Kwanis ont pris part au projet.
En parallèle, la Fondation de l'Université de Nouvelle-Calédonie a contribué au plan P'tit Campus en s'appuyant sur du mécénat. Grâce aux mécènes, la Fondation a pu engager des actions innovantes. De plus, la mission « Égalité » lancée au sein de l'établissement a joué un rôle majeur lors de la précédente mandature ainsi que l'actuelle.
Les différents partenariats évoqués plus tôt ont donc permis de déployer l'outil P'tit Campus. L'inauguration de la nouvelle salle de parentalité a ensuite eu lieu en avril 2022.
Je précise que la salle de parentalité a été montée avec le soutien de la Maison de l'étudiant. Il s'agit d'une instance équivalente au Crous.
La pièce de parentalité mise en place dans le cadre du projet P'tit Campus est accessible du lundi au samedi. L'espace se compose d'accessoires qui permettent aux utilisateurs de concilier travail, études et parentalité. Les étudiantes présentes dans la salle ont également la possibilité d'allaiter, de tirer leur lait et de le conserver dans un réfrigérateur.
La salle de parentalité comprend aussi d'autres équipements tels que des transats, des tables à langer, des tapis, un ordinateur, une table d'étude et un accès au Wi-Fi. Les étudiants qui se rendent dans cet espace peuvent ainsi rester avec leur enfant tout en étudiant.
Par ailleurs, nous proposons des prêts de trousseaux de linges aux jeunes parents. Cette pratique s'inscrit dans le cadre d'une démarche éco-citoyenne. À l'issue de leur utilisation, les accessoires sont nettoyés et remis à d'autres jeunes parents. Les trousseaux attribués évoluent en fonction de l'âge de l'enfant.
Lors des deux premières années d'existence du P'tit Campus, une dizaine d'étudiantes ont pu bénéficier du dispositif. Depuis la dernière rentrée universitaire, deux étudiantes occupent la salle de parentalité de façon régulière. Elles peuvent ainsi revenir sur le campus tout en passant du temps avec leur enfant et en continuant leurs travaux.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup.
Nous nous intéressons maintenant à la Polynésie française. Je laisse la parole à M. Loïs Bastide, sociologue, pour une présentation des spécificités familiales et parentales dans ce territoire.
M. Loïs Bastide, maître de conférences en sociologie à l'Université de la Polynésie française, chercheur associé à la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique. - De nombreux éléments évoqués au sujet des structures familiales en Nouvelle-Calédonie se retrouvent en Polynésie française. Je vais donc essayer d'aborder les points non évoqués préalablement.
En Polynésie française, on distingue la grande famille - feti'i - et la famille conjugale. Avec les interventions des églises, la globalisation des productions culturelles et le métissage des familles, les familles sont mises en tension entre différents modèles.
Ces problématiques se retrouvent surtout chez les jeunes générations qui aspirent à se concentrer sur la sphère conjugale.
Dans ce contexte, la famille élargie continue néanmoins à jouer un rôle prépondérant à la fois sur le plan affectif et pour des raisons matérielles. De nombreuses personnes s'appuient sur leur famille élargie pour assurer leur survie économique, sachant que le coût de la vie en Polynésie française est élevé, avec un taux de pauvreté monétaire important.
Au sein de la grande famille, les rapports de solidarité jouent beaucoup. La Polynésie française est un territoire éclaté géographiquement. Il existe un phénomène de forte polarisation autour de Tahiti, pour accéder à des emplois et à des établissements scolaires. De façon globale, les individus ont la quasi-obligation de migrer. Ces mouvements s'effectuent vers Tahiti ou les îles de la Polynésie française. Les migrations au sein du réseau familial sont souvent les seules solutions possibles car moins onéreuses. Les personnes concernées par ce cas de figure développent ainsi un fort niveau de dépendance vis-à-vis du cadre familial.
Même si les prestations sociales existantes visent à permettre aux jeunes de s'émanciper, cette émancipation demeure relativement difficile en Polynésie française.
La suite de mon intervention porte sur la question du transfert d'enfant ou fa'a'mu. Pour ma part, j'ai étudié ce sujet à travers le prisme des violences interfamiliales. Mes recherches indiquent que l'adoption coutumière est un phénomène persistant qui ne diminue pas. Une étude réalisée par l'Institut national d'études démographiques (Ined) en 2022 vient d'ailleurs confirmer ce ressenti de stabilité du phénomène. D'après cette analyse, les pratiques visant à donner un enfant concernent plus de 11 % des femmes de plus de 35 ans. En parallèle, 20 % des femmes de plus 55 ans reçoivent, à leur domicile, des enfants considérés comme étant des Fa'a'mu.
Comme indiqué par Mme Leblic, les raisons qui donnent lieu à un transfert d'enfant restent multiples et de nos jours, les motifs sont encore plus hétérogènes qu'auparavant. Par exemple, des difficultés économiques peuvent contraindre des couples à confier leur enfant, y compris hors de la famille élargie.
S'il existe plusieurs formes de Fa'a'amu, ces différentes pratiques bénéficient d'une légitimité sociale, elles ne sont pas socialement dévalorisées. C'est une option qui s'offre aux personnes confrontées à des situations de vie qui peuvent être compliquées par ailleurs.
Les anciennes générations n'associent plus les transferts d'enfants actuels à des Fa'a'amu, les motifs étant différents des motifs traditionnels.
Les transferts d'enfants restent très importants dans la société polynésienne et il est important de préciser que les procédures de transfert d'enfant se passent généralement très bien.
Néanmoins, notre enquête relative aux violences familiales montre une surreprésentation des enfants Fa'a'amu impliqués dans les violences familiales, à la fois comme victimes et comme auteurs. Pour autant, cette distinction peut s'avérer biaisée, car les victimes sont davantage susceptibles de devenir auteurs de violences.
En Polynésie française, la famille continue à accorder une importance considérable aux terres familiales. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie, les populations polynésiennes ont eu la possibilité de conserver leurs terres. Les individus peuvent ainsi disposer de terres grâce à leur famille élargie. Ces terres sont détenues de façon collective, en indivision, ce qui est un facteur majeur de conflits. Au moment de l'héritage, la place de l'enfant Fa'a'mu est un facteur majeur de tensions dans les fratries.
J'ai eu l'occasion d'échanger avec des enfants Fa'a'amu. L'enfant Fa'a'amu peut être l'enfant le plus ou le moins chéri de la famille d'accueil. Par ailleurs, la différence entre l'enfant Fa'a'amu et l'enfant biologique gagne en importance au moment où la question du partage des biens familiaux devient effective.
En Polynésie française, le droit n'est pas adapté pour gérer les Fa'a'amu de façon optimale. Dans ce sens, les acteurs locaux agissent en procédant à du « bricolage ». Il y a un dualisme entre le droit civil français et le droit coutumier, qui demeure opérant.
L'effectivité des normes coutumières mène à une absence de formalisation des transferts d'enfant en droit civil français. Le statut juridique des enfants concernés par un transfert demeure imprécis. Les organismes médicaux et les opérateurs de terrain qui gèrent ces dossiers se retrouvent donc contraints de prendre des risques juridiques majeurs. Ce point a régulièrement été mis en exergue par les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête.
L'aménagement du Fa'a'amu dépend principalement de la politique pénale du moment. Dans ce sens, un procureur pourrait subitement décider de mettre un terme à la pratique du Fa'a'amu. Il s'agit d'une problématique notable en Polynésie française.
Je termine ma prise de parole avec le sujet propre aux aides sociales. Même si les prestations sociales proposées restent modestes en Polynésie française, les aides jouent un rôle critique dans le quotidien des bénéficiaires.
À date, les dépenses sociales par habitant s'élèvent à 1 700 euros en métropole, contre 630 euros en Polynésie française. Les besoins y sont pourtant plus importants. C'est une des raisons qui expliquent la dépendance des individus au cadre familial.
Je ne vais pas m'étendre sur le paysage institutionnel car je ne maîtrise pas suffisamment ce sujet. Je tiens seulement à vous communiquer une donnée intéressante relative aux allocations familiales. Actuellement, les allocations familiales liées au régime des salariés s'établissent mensuellement à 10 000 francs Pacifique par enfant. Ce montant passe à 7 000 francs Pacifique par enfant pour les bénéficiaires du régime social. J'estime qu'il s'agit d'un fait paradoxal : les familles en difficulté perçoivent des prestations inférieures à celles des individus disposant d'un emploi.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci de nous avoir montré les spécificités de la Polynésie française.
Je laisse maintenant la parole à notre dernière intervenante, Mme Rodica Ailincai, sur la question des actions de soutien à la parentalité en Polynésie française.
Mme Rodica Ailincai, professeure des universités, enseignante chercheuse à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de Polynésie française, directrice du Laboratoire EASTCO Sociétés Traditionnelles et Contemporaines en Océanie. - Bonjour à tous. Ma présentation se consacre au soutien à la parentalité. Je vais commencer par expliquer l'origine des besoins exprimés par les parents.
En premier lieu, les besoins proviennent de l'évolution de la structure familiale. Par le passé, les familles élargies s'appuyaient sur un fonctionnement homogène. Désormais, le principe d'individualisation gagne en importance. Les familles polynésiennes se retrouvent donc contraintes d'ajuster leur mode de vie. La modification des habitudes quotidiennes donne lieu à l'émergence de nouveaux besoins et à la création d'outils complémentaires d'accompagnement.
Le passage d'une société rurale autosuffisante à une société basée sur une rémunération stable pousse les populations issues des îles éloignées à migrer vers Tahiti. Certains parents s'appuient même sur cet exode pour éviter la rupture familiale. Par exemple, des parents n'hésitent pas à déménager vers Tahiti pour permettre à leur enfant de poursuivre ses études. Parfois, des parents décident également de se tourner vers la scolarisation et l'instruction à domicile.
Les études notent une différence d'implication des parents dans la scolarité des enfants. Le niveau d'implication dépend du milieu social d'appartenance et de la situation économique. Les données relevées par l'Institut des statistiques de la Nouvelle-Calédonie indiquent que 60 % des Polynésiens vivent sous le seuil du bas revenu métropolitain et 36 % sous le seuil de pauvreté, contre 14 % en métropole.
Les mutations sociales et la fragilité économique affichée par les familles mènent aussi à l'émergence d'autres phénomènes préoccupants. Les observateurs ont notamment pu constater une hausse des comportements à risques, de la surconsommation d'alcool, des rapports sexuels non protégés, des ruptures familiales, des défauts de soin, des décrochages scolaires et des violences intrafamiliales. Ces situations nécessitent le déploiement de dispositifs spécifiques d'aide à la parentalité.
Je précise qu'on distingue dans le soutien à la parentalité, les besoins des familles connaissant les difficultés évoquées et ceux des parents dits « ordinaires ».
En Polynésie française, les acteurs locaux accordent une attention particulière aux besoins manifestés par les familles et par les parents en situation de précarité. Par exemple, des travaux axés sur la définition d'un plan d'action adapté aux besoins des Polynésiens et sur la mise en place d'une politique de prévention de la délinquance ont récemment été menés. Cette action a donné lieu à la création de dispositifs d'accompagnement gérés par le service social de la Caisse de prévoyance, par l'office polynésien de l'habitat, par les services de la santé, par les associations et par d'autres partenaires.
En parallèle, le ministère de l'immigration a créé, dans certaines communes, une plateforme d'accueil réservée aux décrocheurs scolaires. Par ailleurs, des référents « Décrochage » ont été désignés dans chaque établissement scolaire. Les autorités ont également mis en place un groupe de prévention spécialisé dans la gestion du décrochage. Cette instance se concentre surtout sur la lutte contre l'absentéisme. Enfin, des dispositifs spécifiques permettent aux élèves de sixième de rester plus longuement dans leur ville d'origine.
L'importance accordée au décrochage scolaire est élevée. Les instances chargées de la supervision de l'éducation ont notamment décidé d'intégrer la thématique du décrochage dans leurs objectifs. Les autorités impliquent aussi les parents dans les actions. En outre, les services de transports scolaires sont adaptés à la réalité du terrain.
Dans le même temps, des associations organisent des sessions collectives de sensibilisation centrées sur la parentalité. La Maison de l'enfance propose pour sa part des ateliers portant sur le thème de la parentalité positive. L'association Agir pour l'insertion organise également des formations de soutien à la parentalité. La durée de ces sessions d'apprentissage peut atteindre deux mois, et ce, à raison de deux séances hebdomadaires.
Les mairies déploient quant à elles des dispositifs multi-parentaux visant à favoriser la réussite éducative des jeunes et des élèves vivant dans des quartiers prioritaires. Pour finir, l'entité Parent Autrement organise des formations en ligne. Celles-ci se focalisent sur la promotion d'une parentalité bienveillante.
Je pense qu'il serait préférable de traiter du soutien à la parentalité en optant pour une approche globale. Par la suite, il serait intéressant d'adapter les aides aux différentes situations existantes. Ce fonctionnement permettrait de tenir compte de la diversité des populations locales.
Par moment, les cas à traiter s'apparentent à des situations de décrochage scolaire.
Il est à noter que des parents manifestent des besoins centrés sur le contenu des programmes d'apprentissage présentés à l'école. Enfin, certains parents n'expriment pas de besoins particuliers, et ce, pour des raisons diverses.
Même si des dispositifs d'accompagnement à la parentalité existent à Tahiti, l'accessibilité de ces outils est faible, voire nulle, au sein des archipels éloignés. Je considère ainsi qu'il devient impératif de déployer des aides spécifiques dans les différentes îles de la Polynésie française.
Lorsque nous analysons la situation locale avec davantage de finesse, nous pouvons observer que les besoins des parents évoluent en fonction de leur localisation géographique. Dans ce sens, l'instauration d'outils adaptés aux spécificités locales revêt une importance majeure, car la nature des facteurs d'évolution peut changer.
Un autre aspect important porte sur l'impact des dispositifs mis en place par les instances étatiques. Aujourd'hui, les parents accordent une importance certaine aux aides et à la localisation géographique des sessions d'accompagnement. Les parents bénéficiaires agissent également de manière proactive, et ce, en participant activement aux ateliers organisés par les associations.
Toutefois, le nombre de places disponibles à ces sessions d'échange est souvent limité. En général, les ateliers ont lieu au siège de l'association ou à l'école. En parallèle, les familles manifestant un volume considérable de besoins rencontrent des difficultés pour accéder aux formations en ligne, car elles ne disposent pas forcément d'outils numériques.
Au vu de ces différents éléments, j'estime que le déploiement de solutions itinérantes revêt un intérêt certain. Les acteurs pourraient ainsi se rendre au domicile des parents. Nous avons également la possibilité de mettre en place des outils qui permettraient d'améliorer l'image de l'école dans l'esprit des parents.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions sur les solutions d'itinérance. Avant de passer la parole aux rapporteurs, je reviens sur le thème des transferts d'enfants en Polynésie française. Pouvez-vous nous donner des chiffres ? Ce type de donnée nous permettrait de connaître la proportion de ces transferts par rapport aux naissances.
Je souhaite aussi bénéficier de détails sur les liens entre les violences intrafamiliales et les transferts d'enfants. Je me demande surtout si les enfants transférés se trouvent dans un état de stress ou de colère. De manière globale, mes interrogations portent principalement sur les raisons qui poussent les enfants transférés à jouer un rôle dans les cas de violences intrafamiliales.
Mes questions suivantes se focalisent sur le projet P'tit Campus. Je souhaiterais connaître le budget accordé dans le cadre de ce programme, les modalités de répartition et les possibilités de garde d'enfant existantes sur le campus de l'Université de la Nouvelle-Calédonie. Cette dernière solution offrirait plus de souplesse aux jeunes parents.
Pour terminer, je voudrais connaître la place occupée par l'Église et la religion dans la parentalité.
Je vais m'arrêter là afin de permettre au président et aux rapporteures de poser leurs questions. Je passe la parole au Président Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je crois que M. Bastide évoquait plus tôt le processus d'adoption et de transfert d'enfant. Je lui adresse donc la question suivante : pensez-vous qu'il est possible de déployer des dispositifs d'adoption qui tiennent compte des pratiques locales ?
La sociologie propre à la thématique de l'adoption en Polynésie française diffère de celle des autres territoires. Pourtant, la loi relative à l'adoption est nationale et s'applique dans l'ensemble des territoires français.
Je connais d'ailleurs un couple, en demande d'adoption, qui s'est heurté aux spécificités de la loi française alors que le cadre sociologique de la Polynésie française est différent de celui de la métropole. Je souhaite ainsi savoir s'il serait souhaitable d'adapter les dispositifs existants aux pratiques. Cette interrogation s'adresse également à M. Bastide.
Je reviens sur les options d'itinérance évoquées plus tôt par Mme Ailincai.
Je souhaiterai savoir si des fédérations nationales venant de l'Hexagone se rendent en Polynésie française pour apporter un appui aux acteurs présents sur place ou si les solutions existantes ont été mises en oeuvre par des institutions locales.
La réponse à cette question me permettrait de voir si les fédérations de parentalité de l'Hexagone se heurtent à des freins particuliers dans le cadre de leurs interventions. Par ailleurs, je souhaite savoir si l'instauration des dispositifs d'aide peut s'effectuer par le biais des acteurs déjà présents dans les territoires concernés.
Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour les informations apportées aujourd'hui.
Je reviens sur l'intérêt représenté par la famille élargie. Je note que quatre générations peuvent vivre sous un même toit. Pour autant, la famille nucléaire reste présente. Pensez-vous que cette cohabitation est profitable à l'éducation des enfants ?
Je souhaite savoir si les utilisateurs du P'tit Campus sont soumis à des conventions et à des contreparties spécifiques. Est-ce que des études visant à évaluer le niveau d'efficacité et de pertinence de cette solution ont été effectuées ?
Je note que le nombre de bénéficiaires de l'outil P'tit Campus est passé de dix à deux en quelques mois. Je me demande donc si l'Université de Nouvelle-Calédonie a été confrontée à un phénomène de désertion.
Enfin, au niveau de l'accès au numérique, je rappelle qu'il existe un niveau élevé de disparité. Notre dernière intervenante a notamment proposé d'explorer les bénéfices apportés par les dispositifs itinérants. Au vu des spécificités affichées par la Polynésie française, ne serait-il pas plus opportun de prendre des mesures destinées à l'ensemble des individus ? Ce fonctionnement permettrait de mettre en avant le principe d'égalité des chances.
Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de remercier nos intervenants pour la qualité de leurs présentations. Les éléments rapportés montrent que les familles ont traversé des mutations majeures au cours des dernières années. L'influence des réseaux sociaux, l'éloignement géographique et la fluctuation de la situation économique ont aussi créé de nouveaux bouleversements.
En tant que législateurs, nous portons une attention particulière au droit appliqué. La situation actuelle montre une coexistence entre un droit civil commun et un droit coutumier. Les intervenants ont d'ailleurs exposé plusieurs exemples marquants.
Pour ma part, je voudrais savoir comment s'articulent les notions de droit civil et de droit coutumier. Je souhaite aussi connaître les méthodes utilisées par les nouvelles générations pour s'approprier ces notions. Est-ce que les jeunes se reconnaissent dans un droit coutumier ? Est-ce que les nouvelles générations oeuvrent pour une dilution progressive du droit coutumier ?
Ma deuxième question fait écho au développement des familles monoparentales et à l'évolution de la famille. Est-ce que les acteurs locaux ont constaté une augmentation des cas de monoparentalité et de grossesses précoces ?
J'en reviens maintenant au projet P'tit Campus. Je me demande si l'outil est uniquement destiné aux femmes ou s'il s'adresse à de jeunes hommes étudiants. J'associe ce dispositif à un outil novateur qui permet de concilier vie professionnelle et vie parentale.
Pour finir, je souhaite m'adresser à l'intervenant qui représente la Nouvelle-Calédonie. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la politique pénale effective à l'échelle locale ? Cette thématique revêt un intérêt certain, car nous observons parfois des liens entre la délinquance juvénile et les problématiques familiales.
Je vous remercie d'avance pour les réponses apportées.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci aux rapporteurs. Je laisse les intervenants répondre aux questions et organiser leurs prises de parole.
Mme Stéphanie Geneix-Rabault. - Je vais répondre à la question relative au budget accordé pour le projet P'tit Campus. Les gestionnaires ont bénéficié d'un fond de 800 000 francs Pacifique, soit 6 600 euros, dans le cadre de la rénovation de la salle de la parentalité. Les travaux portaient principalement sur le rafraîchissement de la peinture et sur la mise aux normes de l'espace. Une partie de l'enveloppe budgétaire a également été consacrée à l'installation des réfrigérateurs et des armoires de rangement. Les autres équipements ont été fournis par des bénévoles et des associations.
L'Université de la Nouvelle-Calédonie a longuement étudié la question portant sur l'instauration d'un système de garde d'enfants. Nous avons constaté que ce dispositif implique une souscription à des assurances au coût relativement élevé.
Le dispositif P'tit Campus offre pour sa part davantage de souplesse aux parents, car ces derniers peuvent agir et se déplacer librement. Les responsables avaient même pensé à la mise en place d'un système de Blablacar visant à faciliter les déplacements sur le campus. Néanmoins, ce projet n'a pas abouti.
Je précise que le déploiement d'une garde d'enfants peut s'avérer compliqué, car l'université se situe dans une partie excentrée de la Nouvelle-Calédonie. En outre, les navettes de bus s'arrêtent à 19 heures alors que la salle de parentalité reste accessible jusqu'à 22 heures.
J'en viens maintenant aux contrats imposés aux utilisateurs de P'tit Campus. Il existe une convention soumise à la signature du demandeur, de la Maison de l'étudiant et de l'Université de la Nouvelle-Calédonie. Ce document fixe la durée et les conditions d'accès.
La salle de parentalité est généralement occupée par des étudiants parents. Les mères ne se trouvent jamais seules dans cet espace. Pour autant, les déplacements seuls demeurent occasionnellement possibles.
Les utilisateurs de P'tit Campus sont également soumis à un système de convention. Par ailleurs, ils bénéficient d'un trousseau d'outils prêtés par les gestionnaires de la salle de parentalité. Les responsables dressent régulièrement des inventaires des linges et des matériaux de première nécessité mis à disposition. Ces vérifications leur permettent de s'assurer que les matériels restitués sont en bon état, et ce, en vue d'un redéploiement dans le circuit de prêt.
Le dispositif P'tit Campus a compté respectivement neuf et dix étudiants utilisateurs en 2021 et en 2022. L'année universitaire 2023 vient quant à elle de débuter en février dernier. Je ne peux donc pas encore vous communiquer les chiffres sur l'exercice entier.
Les requêtes d'utilisation de la salle de parentalité sont majoritairement émises par des étudiantes. Des membres de la communauté universitaire demandent aussi à accéder ponctuellement à l'espace pour procéder à un tirage de lait.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions. Je vais faire intervenir M. Bastide afin qu'il nous apporte des informations sur les transferts d'enfants.
M. Loïs Bastide. - Merci. Je vais essayer de répondre aux questions dans l'ordre.
D'un point de vue sociologique, la coexistence d'univers normatifs très différents s'agissant des transferts d'enfants ne peut qu'engendrer des tensions et des incompréhensions. Dans ce sens, je pense que le fait de disposer de moyens juridiques adaptés aux transferts d'enfants appliqués en Polynésie française améliorerait la situation. J'ajoute que de nouveaux outils réglementaires seraient un acte symbolique majeur, car le transfert d'enfant est une institution importante dans la communauté polynésienne. En reconnaissant juridiquement cet acte, l'État français montrerait qu'il accorde une valeur considérable aux pratiques propres à la Polynésie française.
Une question portait sur la notion de famille élargie et sur son impact sur les enfants. Les cas changent en fonction des situations. En Polynésie française, il existe une pluralité de modèles familiaux. Le véritable souci est qu'aujourd'hui la vie au sein de la famille étendue n'est pas un choix mais une nécessité. Les entretiens avec les populations locales montrent d'ailleurs que la plupart des individus souhaiteraient bénéficier d'une plus grande autonomie.
Il est ainsi important d'aménager les choix disponibles, de faciliter l'émancipation. Pour l'instant, les personnes ont seulement la possibilité de choisir entre l'éloignement et le rapprochement familial.
Les jeunes de Polynésie française ont des aspirations individuelles plus fortes. Néanmoins, il reste difficile de s'émanciper du cadre familial.
Je reviens sur le thème des modèles familiaux. Je précise que les institutions portent aussi des normes parentales spécifiques, même de façon implicite, par exemple dans la gestion des politiques sociales ou l'organisation de l'école, conduisant à une diffusion des modèles parentaux occidentaux vers l'Océanie.
Au niveau de la politique pénale, le problème principal porte sur l'absence de cadre juridique. Dans ce contexte, la sécurisation juridique des pratiques permettrait de décharger les opérateurs de première ligne. Ces opérateurs gèrent quotidiennement les problèmes familiaux en prenant des risques juridiques majeurs du fait de l'absence de décision juridique claire.
Les enfants Fa'a'amu sont généralement plus exposés aux violences. Nous retrouvons des configurations similaires dans les familles recomposées.
Dans ces familles recomposées, l'idée globale donne l'impression que les enfants issus des « précédents lits » sont mal perçus par les membres du « nouveau lit ». Ce type de situation mène parfois à la hausse du nombre d'enfants Fa'a'amu.
Pour rappel, la présence d'enfants Fa'a'amu donne mécaniquement lieu à une multiplication des acteurs de la parentalité, car il s'agit d'une parenté additive, avec à la fois les parents biologiques et les parents adoptifs. La situation sociale dans laquelle s'inscrivent les relations de parenté et les relations familiales en devient plus complexe et peut mener à l'apparition de nouveaux conflits, notamment sur la question de la dévolution des biens familiaux. Traditionnellement, l'enfant Fa'a'amu n'héritait que de sa famille biologique. Désormais, il peut légitimement hériter de sa famille adoptive.
Je ne dispose pas de données statistiques sur l'évolution du nombre de familles monoparentales. De façon globale, la situation des familles monoparentales est différente, car ces dernières cohabitent souvent avec la famille élargie. L'obtention de chiffres plus précis passe forcément par la réalisation d'enquêtes centrées sur ces cas de figure.
Je termine en évoquant les grossesses précoces. Il s'agit d'un phénomène important en Polynésie française. Toutefois, le volume de grossesses précoces tend à diminuer depuis plusieurs années. J'ajoute que le taux de fécondité, en Polynésie française, a très rapidement baissé au cours de la dernière décennie.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Avez-vous une explication à ce phénomène ? La réduction du taux de fécondité résulte-t-elle de normes préventives spécifiques ?
M. Loïs Bastide. - Je ne pourrai pas vous expliquer ce phénomène.
L'une de spécificités de la Polynésie française porte sur le passage brutal d'une société traditionnelle à une société salariale. Ce changement a eu lieu suite aux essais nucléaires et à l'implantation du Centre d'expérimentation du Pacifique. Ces évènements ont donné lieu à un boom économique relativement violent pour les populations locales. Un processus accéléré de modernisation, étendu sur une période de vingt ans, a d'ailleurs eu lieu.
Ce type de modification reste difficile à comprendre pour les individus non issus d'une société traditionnelle. En réalité, les changements sociétaux majeurs, semblables à ceux survenus au cours du XXe siècle en Polynésie française, demandent une capacité d'adaptation extraordinaire.
En parallèle, dans une société salariale, le fait de concevoir un volume élevé d'enfants est souvent associé à une difficulté. Ces différents éléments montrent qu'il est primordial de bénéficier de données concrètes pour connaître les causes ayant mené à la baisse de la fécondité en Polynésie française.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces réponses. Je rappelle que les intervenants peuvent répondre aux questions, transmises à l'écrit, par courriel. Je passe la parole à Mme Leblic.
Mme Isabelle Leblic. - Je voudrais compléter l'intervention préalable de M. Bastide.
Aujourd'hui, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la notion de salariat concerne principalement Tahiti. Je pense que l'influence du salariat demeure moins importante dans les territoires éloignés.
Nous ne devons pas oublier que le territoire de Polynésie française est vaste et diversifié. De ce fait, il est particulièrement difficile de procéder à une étude générale couvrant l'ensemble des archipels.
Par le passé, des expériences axées sur la décentralisation des tribunaux ont été effectuées. Je considère que l'étude de cette solution revêtirait un intérêt certain.
Il existe une multitude de Fa'a'amu. Je me demande donc si les personnes chargées de la réalisation des études ont identifié des types de Fa'a'amu davantage concernés par les violences, par la délinquance et par le mal-être. J'ajoute que les Fa'a'amu accordent une importance particulière aux personnes âgées. Il s'agit d'un facteur à prendre en compte.
Les familles hexagonales décident fréquemment de placer les personnes âgées dans des Ehpad du fait de l'absence de solidarité familiale. En parallèle, les sociétés océaniennes continuent à s'appuyer sur la notion de solidarité familiale. Pour autant, cette stratégie ne correspond pas toujours à une solution optimale, car les familles manquent parfois de moyens tout en étant exposées à l'isolement.
En outre, les prestations proposées aux familles en milieu rural qui ne dépendent pas du salariat sont généralement moins élevées. Nous devons donc croiser la totalité des facteurs existants pour bénéficier d'une vision objective.
Je note que les chargés d'étude ont analysé la situation des Fa'a'amu en se basant sur les cas de violences familiales. Pour ma part, j'ai pris la décision d'étudier les adoptions à part entière, et ce, en évitant de m'appuyer sur le prisme des violences familiales. J'ai fait ce choix, car je considérais qu'il était impératif de tenir compte de l'ensemble des éléments effectifs.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions. Je vais d'abord donner la parole à mes collègues représentants des territoires ultramarins. Par la suite, je donnerai la possibilité aux autres intervenants de s'exprimer.
M. Gérard Poadja. - Merci Madame la Présidente. Je tiens à indiquer aux rapporteurs qu'il existe deux statuts en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit du droit coutumier et du droit commun.
Le droit coutumier présente des particularités liées à la tradition. Les autorités se heurtent aujourd'hui à des difficultés dans le cadre de la gestion des terres, car la différence entre le droit coutumier et le droit commun s'applique aussi dans le domaine du foncier.
Je tenais simplement à préciser que le fait de dépendre du droit coutumier engendre des difficultés majeures, car les instances étatiques ont tendance à penser que les dossiers à traiter correspondent à des cas de droit commun. Il est à noter que les tribunaux se composent d'assesseurs coutumiers, car ces instances ont l'obligation de gérer des situations dépendantes du droit coutumier. Cette particularité est à prendre en considération.
De mon point de vue, je trouve que l'absence de questionnements centrés sur les caisses d'aides sociales et les allocations familiales est dommageable.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je peux vous assurer que la délégation aux droits des femmes accorde une attention particulière aux prestations sociales existantes dans les territoires ultramarins. Les informations complémentaires qui pourront nous être transmises par écrit nous permettraient de connaître l'ensemble des spécificités et des pistes de réflexion envisagées par les acteurs locaux.
M. Gérard Poadja. - Je souhaitais préciser que le statut de la Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs évolutions notables au cours des dernières années. Nous disposons désormais de compétences propres au gouvernement, aux trois provinces et à la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (CAFAT). Pour l'instant, ce système ne donne pas la possibilité aux collectivités et à la caisse de prestations familiales de répartir leurs responsabilités de façon optimale.
Je précise que les dispositifs existants en Nouvelle-Calédonie mettent l'accent sur le développement économique. Cependant, nous faisons actuellement face à des problématiques imputables à l'instabilité de la situation politique locale. Ces difficultés s'ajoutent aux complexités statutaires.
En réalité, la situation sociale de la Nouvelle-Calédonie est complexe, car certaines familles vivent en dessous du seuil de pauvreté.
En Nouvelle-Calédonie, le phénomène de développement économique est mieux géré dans les territoires dépendant du droit commun. Les autorités présentes dans les secteurs dépendant du droit coutumier rencontrent pour leur part des difficultés notables, car ce droit comporte plusieurs spécificités. Ces problématiques réglementaires viennent par la suite impacter le cadre familial.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup cher collègue. Je vais maintenant céder la parole au sénateur de Wallis-et-Futuna, Mikaele Kulimoetoke.
M. Mikaele Kulimoetoke. - Merci Madame la Présidente.
Je pense que tout a été dit par l'Assemblée territoriale. Je complète en rappelant que les difficultés économiques influencent directement le contexte social. Dans ce sens, les aides portent surtout sur le domaine de la parentalité.
À Wallis-et-Futuna, le service de l'inspection du travail et des affaires sociales (Sitas) et la Caisse des prestations sociales interviennent auprès des familles en leur apportant des aides spécifiques. Actuellement, les outils déployés par les instances locales se concentrent principalement sur la petite enfance.
Mme Gaveau a évoqué plus tôt la notion de famille élargie. Il s'agit d'un terme qui s'inscrit dans un premier temps dans le noyau classique. Dans un second temps, la famille élargie donne généralement lieu à la création d'un clan.
En 2010, le nombre de naissances enregistré par les îles de Wallis-et-Futuna s'établissait à 300. Puis, en 2022, nous avons observé une baisse conséquente de ce chiffre. Le volume annuel de naissances est passé à 100.
Je pense qu'il existe une problématique sociale majeure. Au niveau sociologique, nous remarquons que le quotidien des populations locales évolue de façon continue. Désormais, les jeunes couples ont tendance à s'« européaniser ».
Ces différents éléments mènent à une modification des habitudes et à une réduction de la natalité. Par ailleurs, l'exode vers la métropole et la Nouvelle-Calédonie croît. Ces déplacements résultent des difficultés matérielles et du manque d'emploi.
Les structures existantes à Wallis-et-Futuna doivent donc faire l'objet d'une amélioration. Même si les difficultés sont nombreuses, les parlementaires et l'Assemblée territoriale oeuvrent constamment pour une optimisation des aides.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup. J'invite les intervenants à faire part de leurs réponses et de leurs réactions. Pourrions-nous bénéficier d'informations sur le taux de représentation des familles monoparentales ?
Mme Rodica Ailincai. - J'ai trouvé quelques chiffres, datant de 2022 et de 2021, sur les enfants Fa'a'amu et les familles monoparentales. Je vais donc vous les communiquer.
Sur cette période, les enfants Fa'a'amu représentaient environ 9 % de la population des mineurs, soit 7 000 enfants ne vivant pas avec leurs parents biologiques. Les études indiquent que le nombre d'enfants Fa'a'amu change en fonction du type de famille. Par exemple, la population des Fa'a'amu est deux fois moins importantes chez les couples que chez les familles monoparentales.
Après l'audition, je vous transmettrai un document centré sur la typologie des enfants Fa'a'amu. Ce fichier propose notamment de traiter les problématiques effectives en analysant plusieurs angles d'études.
Concernant l'intervention des fédérations de métropole sur les territoires ultramarins, je pense que ces actions sont impossibles juridiquement. En outre, les familles locales se montrent plus sensibles lorsqu'elles participent à des séances animées par des personnes venant de Polynésie française. Pour autant, les associations peuvent tout de même inviter des spécialistes de métropoles à leurs ateliers.
M. Loïs Bastide. - Je suis tout à fait d'accord avec l'intervention de Mme Leblic.
Tout d'abord, le caractère éclaté affiché par les territoires ultramarins mène à l'émergence d'un phénomène d'hyper-concentration des populations sur la zone de Tahiti. En parallèle, les situations évoluent en fonction des îles et des archipels. Par exemple, des communautés polynésiennes parviennent à rester en marge de la société salariale. Dans le même temps, l'autoconsommation joue un rôle économique majeur pour les familles vivant en Polynésie française.
En ce qui concerne le Fa'a'amu, j'insiste sur le fait que les formes demeurent très hétérogènes. Comme évoqué dans une des interventions précédentes, mon étude aborde le prisme des violences familiales. Pour autant, j'ai également proposé de réaliser une enquête axée sur la définition d'une typologie des formes contemporaines de Fa'a'amu. Ce procédé donnerait la possibilité d'identifier les types de violence qui fragilisent directement les enfants.
Lors d'une de mes prises de parole, j'ai pris la précaution de rappeler que la majorité des Fa'a'amu se passent relativement bien. Je ne veux pas donner l'impression aux intervenants que j'associe le Fa'a'amu à une institution pathologique.
Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Nous avons étudié toutes les questions.
La délégation aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes ont adressé, à chaque territoire, un questionnaire adapté aux spécificités locales. Si besoin, les représentants peuvent nous faire parvenir des compléments écrits et des données chiffrées. Ces informations seront les bienvenues.
Je vais désormais mettre un terme à cette table ronde. Avant de refermer ce temps d'échanges, je vais laisser la parole au Président Stéphane Artano. Je remercie également l'ensemble des participants pour leur implication.
Je conclus mon intervention en adressant aussi mes remerciements aux rapporteurs.
M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je remercie l'ensemble des collègues et des intervenants pour leur travail. Les différentes prises de parole nous ont notamment permis de prendre connaissance d'éléments sociologiques très intéressants.
Je vous souhaite à tous une très bonne journée.
Jeudi 6 avril 2023
- Présidence de Mme Vivette Lopez, vice-président -
Foncier agricole dans les outre-mer - Audition de MM. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer et Jacques Andrieu, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM)
Mme Vivette Lopez, président et rapporteur. - Monsieur le président, messieurs, chers collègues, j'ai l'honneur de remplacer aujourd'hui le Président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser de ne pas être présent physiquement. Il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et il participe à nos travaux en visioconférence. Il vous salue chaleureusement et conclura cette audition.
Dans le cadre de l'étude sur le foncier agricole dans les outre-mer lancée début mars par la Délégation sénatoriale aux outre-mer, nous entendons ce matin Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, et Jacques Andrieu, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM).
Dans un premier temps, nous vous demanderons de répondre au questionnaire qui vous a été adressé pour préparer cet échange. Au cours de nos premières auditions, nous avons identifié plusieurs problématiques qui s'articulent autour du recul du foncier agricole disponible, des difficultés de fonctionnement des Safer, de la lutte contre les friches, de l'installation des jeunes agriculteurs, de la mutation des modes de production, ou encore de l'impact de la transition écologique.
Dans un deuxième temps, les rapporteurs Thani Mohamed Soilihi et moi-même interviendront pour vous demander des précisions complémentaires.
Enfin, je donnerai la parole à nos collègues qui la demanderont.
Monsieur le délégué interministériel, vous avez la parole.
M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer. - Bonjour madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs. Je salue le président Stéphane Artano et la sénatrice Victoire Jasmin, qui sont présents malgré l'heure matinale dans leurs territoires.
Mme Victoire Jasmin. - Je suis à l'aéroport en partance pour la Guadeloupe. Je suis heureuse de vous saluer.
M. Arnaud Martrenchar. - Nous estimons que la surface agricole utile des territoires ultramarins représente aujourd'hui environ 130 000 hectares.
Le dernier recensement agricole, publié en mars 2022, date de 2020. Il s'agit d'un outil statistique remarquable qui offre de précieuses données. Cependant ce recensement n'est mené que tous les dix ans. En effet, il est difficile de dresser un état des lieux de l'emploi agricole, ou de mesurer le nombre d'exploitants, les surfaces agricoles, ou encore les volumes de production.
Ce recensement montre l'évolution de la situation du foncier agricole depuis 1985, dans chacun des territoires d'outre-mer. Nous constatons une rétractation globale de la surface agricole utile des territoires ultramarins. Cette problématique se retrouve dans l'ensemble du territoire national.
Seule la Guyane fait exception. La surface agricole utile de ce territoire augmente assez régulièrement depuis 1985. Il s'agit aussi du seul territoire où le nombre d'installations d'exploitants agricoles a augmenté.
Le recul du foncier agricole doit évidemment être suivi de près au regard de l'objectif d'autosuffisance alimentaire. L'augmentation des productions agricoles est étroitement liée à l'évolution des surfaces agricoles.
Dans les territoires de grandes cultures traditionnelles d'exportation, comme la Martinique, la Guadeloupe ou La Réunion, il existe un débat très ancien autour d'une éventuelle diminution de la culture de la banane ou de la canne à sucre, au profit d'une diversification des cultures.
Nous avons réalisé des estimations sur le nombre d'hectares supplémentaires à mettre en culture pour aboutir à une autosuffisance alimentaire. Pour autant, chacun sait que nous ne parviendrons pas à une autosuffisance alimentaire en outre-mer d'ici à 2030. Certaines cultures, comme les cultures céréalières, y sont quasiment absentes.
Les surfaces nécessaires pour atteindre les objectifs réalistes fixés par chaque territoire d'outre-mer représentent quelques centaines d'hectares. Nous pourrions largement trouver ces surfaces, sur les terres en friche.
Il existe aussi une volonté d'augmenter la production de banane ou de canne à sucre, ainsi que les surfaces dédiées à ces cultures. Cependant, ces productions diminuent en raison de difficultés de certains exploitants. Ces derniers ne parviennent plus à poursuivre leurs activités, notamment en raison de retraits de produits phytosanitaires, et ils finissent par laisser leurs cultures en friche.
Actuellement, il faut suivre de près le recul du foncier agricole. Il faut mettre en place tous les outils disponibles pour préserver au mieux la surface agricole. Pour autant, la situation actuelle n'est pas rédhibitoire au regard de l'objectif d'autosuffisance alimentaire.
M. Jacques Andrieu, directeur de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer. - Cette étude sur le foncier agricole d'outre-mer est particulièrement intéressante. Les territoires d'outre-mer connaissent en effet de fortes contraintes sur le foncier. Le modèle agricole des outre-mer se différencie fortement de celui de l'Hexagone.
Les surfaces moyennes d'exploitation atteignent cinq ou six hectares en outre-mer, contre plus de soixante en métropole. L'agriculture d'outre-mer est très productive à l'hectare. Elle emploie aussi beaucoup de main-d'oeuvre à l'hectare. Dans ces territoires, les zones cultivables sont limitées, en raison de contraintes topographiques, bien que la Guyane présente des spécificités sur ce point. Aussi, ces territoires sont petits et il est difficile d'y trouver de nouvelles surfaces agricoles, si ce n'est par la mise en valeur des friches.
Il est possible d'atteindre une autonomie alimentaire dans les outre-mer en augmentant les surfaces des activités agricoles qui peuvent permettre des augmentations sensibles de la production (maraîchage, élevage...). Parmi les consommations de produits agricoles qui montent le plus en puissance dans les outre-mer figurent celles des viandes blanches (poulet, porc...), qui proviennent notamment de l'élevage hors-sol. De plus, une grande part de l'augmentation de la production des fruits et des légumes est réalisée en serres.
Ainsi, si les pâtures et les productions en plein champ dépendent beaucoup de l'évolution des surfaces agricoles, il existe des marges de progrès importantes pour d'autres types de productions.
Par ailleurs, nous pouvons penser qu'au regard de la taille de la Guyane, il suffirait d'augmenter la surface agricole pour augmenter la production. En réalité, le cas de ce territoire s'avère plus complexe. En effet, la surface réellement utilisable pour l'agriculture reste essentiellement limitée au littoral guyanais. Même un défrichage de la forêt tropicale, que nous ne souhaitons évidemment pas, n'offrirait pas de sols qui se prêteraient particulièrement à l'agriculture. Nous ne pouvons pas espérer une grande augmentation de la surface agricole guyanaise via des défrichements. Pour autant, il est aussi possible en Guyane de réaliser des gains de surfaces agricoles sur des friches.
Enfin, les recensements agricoles décennaux nous fournissent des données objectivées et comparables qui nous permettent de suivre des évolutions. Cependant, Mayotte n'a pour le moment participé qu'au dernier recensement.
Mme Vivette Lopez, président et rapporteur. - Ces recensements rendent-ils compte d'une diversité des cultures ?
M. Jacques Andrieu. - Ces recensements montrent effectivement toute la diversité des systèmes de production agricole des territoires ultramarins. Toutefois, comme l'indiquait Arnaud Martrenchar, certaines cultures peuvent occuper localement une place importante, voire dominante, en termes de surface agricole. La culture de la banane occupe une place importante en Guadeloupe et en Martinique. Il en est de même pour la culture de la canne à sucre dans ces deux territoires et à La Réunion, bien que sa place tende à diminuer en Martinique.
M. Arnaud Martrenchar. - Une Safer fonctionne comme une agence immobilière, en se rémunérant sur les transactions foncières agricoles. Cependant, en outre-mer, le volume de ces transactions est bien plus faible que dans l'Hexagone. De ce fait, le système de financement des frais de fonctionnement des Safer rencontre des difficultés en outre-mer.
Ces Safer dépendent donc d'une subvention du ministère de l'Agriculture et d'un fonds de péréquation des Safer, similaire à celui des chambres d'agriculture. Pour autant, ces Safer peinent à fonctionner. Ces aides ne leur permettent pas d'obtenir un niveau de financement équivalent à celui des Safer métropolitaines.
Pourtant, les Safer sont utiles et leur absence se fait sentir. La Safer de Guyane, qui ne dispose pas encore d'un agrément, ne peut exercer son droit de préemption. Par conséquent, nous constatons que certains terrains agricoles de ce territoire sont vendus en prévision d'une spéculation immobilière.
En 2014, une discussion a eu lieu avec le Conseil d'État sur les dispositions relatives aux outre-mer de la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Le Conseil d'État avait émis des réserves sur la complexité de mise en oeuvre d'une des dispositions de cette loi, qui modifiait le code rural et de la pêche maritime pour permettre la sortie de l'indivision successorale de terres non cultivées avec l'accord de seulement deux tiers des ayants droit.
En pratique, cette mesure a effectivement été difficile à appliquer. Lorsque les notaires ne connaissent pas le nombre d'héritiers, il n'est pas possible de calculer le pourcentage d'héritiers qui s'accordent à sortir d'une indivision et l'opération s'étend dans le temps.
Pour les terres en friche, les dispositions du code rural et de la pêche maritime pour les outre-mer prévoient une procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées. Un recensement de ces terres est réalisé, puis les propriétaires concernés sont informés sur l'état de leurs terres. Si leurs terres ne sont pas mises en culture, les préfets émettent des arrêtés de mise en demeure. Néanmoins, si les propriétaires ne respectent pas ces mises en demeure, la situation de leurs terres est peu susceptible d'évoluer. Il faut donc réfléchir à une évolution législative qui exposerait ces propriétaires à des sanctions, qui pourraient être d'ordre fiscal.
Des dispositifs incitatifs pourraient aussi être imaginés. Les propriétaires qui feraient l'effort de mettre en valeur leurs terres, en les exploitant eux-mêmes ou via un fermage ou un autre bail, pourraient être exonérés de certaines taxes (taxe foncière...).
En tout état de cause, en matière de mise en valeur de friche, il faut réfléchir à des dispositifs législatifs plus forts. En effet, les dispositifs actuels ne fonctionnent pas bien.
Or, ces terres en friche seraient bien utiles pour parvenir aux objectifs d'autonomie alimentaire et d'installation des jeunes exploitants. Ces derniers peinent aujourd'hui à s'installer.
Pour cela, il faut résoudre les difficultés liées aux retraites agricoles. En effet, de nombreux exploitants d'outre-mer ont peu ou pas cotisé. Malgré les systèmes de bonification qui permettent de cotiser moins longtemps en outre-mer que dans l'Hexagone pour un niveau de retraite équivalent, les personnes qui n'ont pas cotisé ne bénéficient pas de retraites. Ainsi, de nombreux exploitants disposent de pensions de retraite qui atteignent 300 à 400 euros par mois. Ils sont donc contraints de travailler après l'âge de la retraite, sans transmettre leurs exploitations.
L'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) peut permettre de recevoir environ 960 euros par mois. Cependant, l'ASPA fait l'objet , après le décès du bénéficiaire, d'un recouvrement de la part des ayants droit. Le seuil du recouvrement de l'ASPA a été réhaussé pour les outre-mer, passant de 39 000 euros à 100 000 euros. Il devrait encore s'élever, peut-être à 150 000 ou 160 000 euros.
Néanmoins, malgré l'augmentation de ce seuil, il existe un frein spécifique aux outre-mer pour l'adhésion à l'ASPA. Les maisons d'habitations attenantes aux exploitations agricoles sont moins nombreuses en outre-mer, alors même qu'elles sont exclues du champ de recouvrement de l'ASPA. Cette spécificité tient à l'histoire métropolitaine du foncier agricole, marquée par le développement de corps de ferme séculaires. De cette façon, les agriculteurs métropolitains sont plus nombreux à pouvoir léguer leurs maisons et leurs exploitations, tout en bénéficiant de l'ASPA.
Même s'il a existé des plantations en outre-mer, les maisons attenantes aux exploitations y sont moins fréquentes. On peut également citer l'exemple de l'application de la loi Littoral à Mayotte qui a contribué à séparer les maisons d'habitations et les exploitations agricoles. Les personnes dont la maison n'est pas attenante à leur exploitation agricole ne choisissent donc pas de bénéficier de l'ASPA, pour permettre à leurs ayants droit de la récupérer.
C'est pourquoi il serait possible de faire évoluer la loi pour que les maisons d'habitation des agriculteurs soient réputées attenantes à leurs exploitations. Naturellement, cette mesure aurait un coût, mais elle pourrait être très utile pour favoriser l'installation des jeunes exploitants.
M. Jacques Andrieu. - Nous recueillons actuellement des remontées de l'ensemble des départements sur les freins et les leviers liés au développement de l'agriculture et le foncier agricole est toujours cité comme un enjeu majeur.
La question du foncier est étroitement liée à celle de l'installation des jeunes. Il faut pouvoir fluidifier l'accès à la propriété agricole en agissant sur les freins cités par Arnaud Martrenchar. De plus, il faut pouvoir limiter les rétentions d'exploitations par les retraités, mais aussi les autres usages des friches liés au tourisme ou encore aux infrastructures.
Pour ce faire, l'ensemble des dispositifs existants doivent être examinés. Nous pouvons y intégrer des sanctions pour les rétentions d'exploitation en friche et des incitations pour les installations. Nous fluidifierions ainsi le marché foncier agricole, tout en continuant à le réguler.
Pour améliorer la situation de la propriété foncière, je me rapporte aux propos d'Arnaud Martrenchar, qui a évoqué le champ de recouvrement de l'ASPA. Il est vrai que l'histoire particulière des territoires d'outre-mer fait que la maison attenante à l'exploitation n'y est pas la norme. Cette particularité peut d'ailleurs aussi poser des difficultés pour la sécurisation des terres agricoles contre les vols.
M. Arnaud Martrenchar. - La sécurisation des terres agricoles constitue effectivement un enjeu important en outre-mer, notamment dans certains territoires. Le sénateur Thani Mohamed Soilihi conviendra qu'il existe un vrai problème de sécurité à Mayotte, notamment sur les terres agricoles (vols de produits agricoles...). En effet, les exploitants mahorais ne résident pas dans leurs exploitations. Leurs exploitations sont désertes la nuit et il est aisé d'y pénétrer. De plus, même lorsque les voleurs sont surpris, ils ne s'enfuient pas nécessairement.
Devant ce problème de sécurité mahorais, il existe un dispositif d'aides publiques pour acheter des chiens. Ce dispositif avait été mis en place dans l'Hexagone pour lutter contre la prédation des ours ou des loups. En Guyane, ce dispositif permet d'acheter des mules et des chiens pour protéger les cheptels contre les jaguars. Les mules sont très protectrices et n'ont pas peur des jaguars.
Pour sécuriser les terres agricoles mahoraises, il importe que les agriculteurs puissent disposer de maisons d'habitation dans leurs exploitations. La loi Littoral, qui impose de bâtir sans rupture de continuité avec l'urbanisation existante et qui s'applique à Mayotte, pourrait donc être aménagée, spécifiquement pour les agriculteurs mahorais.
Par ailleurs, aux Antilles, presque un chevreau sur deux, voire deux chevreaux sur trois, est tué par des chiens errants. Une telle mortalité s'avère dramatique pour les éleveurs. Ce cas se retrouve aussi à La Réunion, où des éleveurs voient parfois la totalité de leurs basses-cours ravagée par des meutes de chiens errants. Pour faire face à cette problématique, les exploitants ne doivent pas hésiter à faire appel aux aides publiques pour acheter des chiens de garde, qui peuvent se montrer très efficaces, même contre des meutes de chiens. Il faut aussi continuer à sensibiliser les propriétaires pour les inciter à ne plus laisser divaguer leurs animaux et pour les stériliser.
Les grandes cultures de canne à sucre ou de banane, très critiquées pour différentes raisons, sont cependant très structurées. Les entreprises de ces filières sont associées à des conseils techniques, à de l'ingénierie administrative et financière, ainsi qu'à des ingénieries de projets. Elles peuvent embaucher des cadres, pour répondre aux appels à projets nationaux et offrir des conseils techniques aux agriculteurs.
Ces cadres peuvent notamment conseiller les jeunes agriculteurs, en leur prodiguant des conseils techniques très spécialisés. En particulier, ils fournissent des conseils sur les adaptations à réaliser devant les retraits croissants de produits phytosanitaires demandés par les scientifiques. Ces adaptations peuvent d'ailleurs demander de mettre en place des itinéraires techniques spécifiques, exploitation par exploitation. Or seules ces filières structurées peuvent apporter aux agriculteurs ce type de conseils techniques.
Le modèle de la filière sucrière de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion souffre d'un défaut majeur, d'ordre structurel. En effet, cette filière se trouve excessivement dépendante des aides publiques qui sont de l'ordre chaque année d'environ 220 millions d'euros. Ces aides sont destinées uniquement à la production de sucre. Elles ne soutiennent pas la production de rhum. Or cette filière produit 200 000 tonnes de sucre, qui se vend aux alentours de 500 euros la tonne. Cette production est donc vendue à 100 millions d'euros.
Ce sucre est exporté vers l'Hexagone et concurrence directement la betterave sucrière. Par ailleurs, les sucres de spécialité proviennent d'Amérique du Sud. Or chacun sait que les coûts de l'agriculture résident avant tout dans la main-d'oeuvre. Il est donc difficile de concurrencer des pays où le salaire mensuel minimum atteint 100 euros.
De plus, les aides transitent par les sucreries, qui les reversent ensuite aux exploitants, et elles sont forfaitaires. Quel que soit le volume de canne à sucre produit, l'aide perçue par les sucreries reste identique. Or, on peut penser qu'acheter 1,5 million de tonnes de canne à sucre revient moins cher à la sucrerie, que l'achat de 2 millions de tonnes de ce produit.
C'est pourquoi une transparence des entreprises sucrières sur le partage de la valeur ajoutée s'avère essentielle pour la sérénité de tous. Victoire Jasmin, qui est en Guadeloupe, pourra témoigner des tensions sociales liées à la signature de la convention canne.
Par ailleurs, les entreprises sucrières doivent se diriger vers des produits à forte valeur ajoutée. Est-il vraiment nécessaire de développer la production de sucre en vrac qui se vend à 250 euros la tonne ? Ne vaut-il pas mieux tendre au maximum vers la production de sucres de spécialité, qui se vendent à 900 ou 1 000 euros la tonne ?
Aujourd'hui, il n'existe pas de sucre de canne français issu de l'agriculture biologique. Je sais que la sucrerie Gardel souhaite en produire. La sucrerie Tereos souhaitait tenter de produire 5 000 tonnes de ce type de sucre, soit 10 % du marché national.
M. Jacques Andrieu. - Les entreprises sucrières ont connu d'importantes restructurations. En outre-mer, nous sommes passés d'une multitude d'entreprises sucrières, à cinq sucreries : deux sucreries à La Réunion, comprises dans un même groupe ; deux sucreries en Guadeloupe, dont une à Marie-Galante ; une en Martinique. Ce processus de restructuration est donc arrivé à son terme.
Il est difficile d'identifier les liens directs qui peuvent exister entre les évolutions de filières particulières et le marché foncier agricole. En tout état de cause, la réallocation des besoins est permise par la fluidité de ce marché.
Je présume que votre question renvoie à l'expérience à tirer des groupements fonciers agricoles (GFA) de la Guadeloupe. Ces GFA avaient été créées dans le cadre de la troisième réforme foncière du territoire amorcée en 1981. La fermeture de sucreries avait donné lieu à la réallocation de terres. Dans ce cas particulier, il existe un lien direct entre une mutation sectorielle et le marché foncier agricole.
Plus largement, dès lors qu'un marché foncier fonctionne correctement, les réallocations entre cultures peuvent s'opérer de manière relativement fluide.
M. Arnaud Martrenchar. - Les phénomènes naturels extrêmes auxquels sont exposés les territoires ultramarins représentent un handicap. Pour autant, ces phénomènes contraignent ces territoires à se situer à la pointe de l'innovation et de la résilience.
Ainsi, à Saint-Barthélemy, des bâtiments de dernière génération supposés être résistants aux cyclones se sont avérés sensibles aux cyclones majeurs, ce qui va pousser le territoire à être encore plus performant dans ce domaine.
La géographie tropicale n'est pas seulement associée à l'existence de phénomènes climatiques majeurs, hormis pour les territoires situés au niveau de l'équateur. Cette géographie est aussi associée à des problèmes particulièrement accrus liés aux ravageurs des cultures. Ces territoires ne connaissent pas d'hiver et les ravageurs y sont extrêmement virulents.
C'est pourquoi il est bien plus difficile de pratiquer une agriculture biologique en outre-mer qu'en climat tempéré. Des associations viennent me voir pour promouvoir une agriculture intégralement biologique en outre-mer et nourrir tous les territoires ultramarins avec des produits biologiques. Il est très facile de formuler ce voeu. Les agriculteurs n'emploient pas les produits phytosanitaires de gaieté de coeur. S'ils pouvaient se passer totalement de ces produits, ils le feraient. Cependant, il existe des réalités biologiques.
Si les maladies végétales n'étaient pas traitées avec ces produits, ces maladies détruiraient les cultures. Par conséquent, des pertes de rendement considérables seraient constatées et les prix des produits offerts aux consommateurs s'envoleraient. Or une frange importante de la population en outre-mer vit avec des revenus très faibles. Pour beaucoup, la première qualité d'un produit alimentaire se trouve dans son prix. Il s'agit d'une réalité. Il n'est tout simplement pas réaliste d'imaginer que nous pourrions pratiquer une agriculture intégralement biologique dans les territoires ultramarins, tout en proposant des produits peu onéreux.
Pour autant, des agriculteurs ultramarins se lancent dans l'agriculture biologique et nous les soutenons. Toutefois, nous devons être conscients des difficultés qui se présentent devant le développement de cette forme d'agriculture.
Par exemple, les représentants de la filière de la banane exprimaient il y a quelques années l'impossibilité de cultiver des bananes en utilisant l'agriculture biologique. Cette filière espère cultiver 320 000 tonnes de bananes en 2030, sans produit phytosanitaire, ce qui n'est pas possible aujourd'hui car ils doivent utiliser des fongicides contre la cercosporiose.
Pour éviter d'utiliser un fongicide et pratiquer une agriculture biologique, il existe un système de vitroplants de bananiers dont le gène de sensibilité à la cercosporiose a été retiré par la technique des ciseaux moléculaires. L'invention de cette technique a été récompensée par un Prix Nobel en 2020. Or les agriculteurs ne peuvent pas utiliser ces vitroplants, qui sont considérés comme des organismes génétiquement modifiés, même si aucun gène étranger n'a été introduit dans ces organismes. L'Union européenne réfléchit à l'utilisation de vitroplants dans toute l'Europe. Il est donc possible de se diriger vers une agriculture biologique, mais il ne faut pas s'interdire de bénéficier des innovations. Il est impossible d'un côté de refuser les progrès de la science, dont les améliorations génétiques et, de l'autre, de réclamer des productions peu onéreuses.
M. Jacques Andrieu. - Je partage entièrement les propos d'Arnaud Martrenchar sur les difficultés associées à la transition écologique. Je souhaite aussi mettre en exergue les atouts des outre-mer, qui peuvent les rendre propices au développement d'une agriculture biologique intensive, à savoir : le climat ; la disponibilité en eau ; la fertilité des sols ; la technicité des exploitants agricoles qui connaissent les cultures adaptées à leurs territoires. Le chemin de la transition écologique est déjà engagé en outre-mer et les filières agricoles jouent le jeu. Je suis confiant sur ce point.
Néanmoins, les agriculteurs ultramarins devront aussi s'adapter au changement climatique. Ce dernier peut se manifester de manière très différente selon les territoires, bien que la Guadeloupe et la Martinique se trouvent dans la situation comparable.
Il semble que le changement climatique devrait s'opérer plus rapidement dans les outre-mer, avec des phénomènes qui ne sont pas tous identifiés, même si la littérature scientifique s'étoffe sur ce sujet. Ces territoires devront faire face à une augmentation de la température, à une montée des eaux, à des modifications de régimes hydriques et à des phénomènes climatiques extrêmes (ouragans ...) qui ne seront pas nécessairement plus nombreux, mais qui seront plus intenses. Ces mutations doivent être anticipées, car elles toucheront fortement les modes de production et les itinéraires techniques des exploitants agricoles.
M. Arnaud Martrenchar. - Les ministres chargés de l'agriculture, des outre-mer, de la santé et de la mer ont écrit aux préfets des outre-mer en janvier 2023 pour leur demander de bâtir dans chaque territoire, avec les acteurs locaux, les collectivités et les représentants du monde agricole, des feuilles de route territoriales associées à un objectif de souveraineté alimentaire. Cette démarche s'adapte à chaque territoire, car aucun territoire n'est semblable.
Dans ce cadre, nous cherchons à construire des trajectoires réalistes, pour progresser au mieux dans certains secteurs, tout en identifiant les points où les progrès ne sont pas possibles. L'autonomie alimentaire atteint des niveaux variables selon les territoires. Par exemple, Mayotte et la Guyane se trouvent assez avancées en termes d'autosuffisance en produits végétaux, mais leur autosuffisance en produits animaux est bien moindre.
Dans la construction de ces trajectoires, nous identifions des facteurs limitants, tels que le foncier. Nous incitons donc les acteurs locaux à mettre en place toutes les procédures possibles pour préserver le foncier agricole.
Les commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) s'intéressent directement à la préservation du foncier agricole. En outre-mer, contrairement à l'Hexagone, un avis conforme des CDPENAF est obligatoire pour la délivrance de permis de construire. Des élus ultramarins souhaitent changer cette obligation d'avis conforme. Néanmoins, nous savons que le retrait de cette obligation impacterait le foncier agricole.
Je comprends tout à fait les maires qui souhaitent conserver la maîtrise du foncier. Cependant, nous ne pouvons pas envisager de développer les productions alimentaires et de préserver le foncier agricole, tout en prenant des mesures qui aboutiraient à un recul du foncier agricole. Telle est la position du ministère de l'agriculture.
L'Union européenne n'intervient pas sur les outils de préservation directe du foncier agricole. L'État central n'intervient pas non plus dans les décisions des CDPENAF. En revanche, le système d'aides de l'Union européenne peut avoir des effets sur la préservation du foncier agricole.
La politique agricole commune (PAC) comprend deux piliers, à savoir le soutien des marchés et des revenus agricoles, et le soutien de la politique de développement rural. Dans l'Hexagone, le premier pilier de la PAC bénéficie d'un budget annuel de 7 à 8 milliards d'euros, tandis que l'enveloppe annuelle du second pilier s'élève à 1 milliard d'euros.
En outre-mer, le premier pilier de la PAC est porté par le POSEI, avec 278 millions d'euros de crédits communautaires annuels, tandis que le second pilier est porté par le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), dont l'enveloppe septennale s'élève à environ 850 millions d'euros sur l'ensemble des régions ultrapériphériques sur sept ans, soit environ 120 millions d'euros par an.
Dans l'Hexagone, les aides de la PAC sont liées à la surface des exploitations. Les agriculteurs déclarent leurs surfaces agricoles et reçoivent des subventions, indépendamment du niveau de production des exploitations. En Europe continentale, à une époque donnée, il avait fallu freiner la production.
En outre-mer, nous avons choisi en 1989 de coupler ces aides à la production, pour inciter à la production. À l'occasion du Conseil interministériel des outre-mer (CIOM) du 6 novembre 2009, ce choix politique a été réitéré par le président de la République. C'est un choix politique.
Les agriculteurs ultramarins dont la production n'est pas connue ne peuvent donc pas bénéficier de ces aides. Dans les faits, la proportion de ces agriculteurs n'est pas négligeable. Régulièrement, des représentants du monde agricole ultramarin réclament la mise en place d'aides surfaciques.
Des aides surfaciques ont été mises en place par exception à Mayotte. En effet, le niveau de structuration des filières agricoles est bas dans ce territoire, où les agriculteurs structurés sont généralement les seuls à déclarer leurs niveaux de production. Sans cette mesure, très peu d'aides auraient été versées à Mayotte. De plus, cette mesure a incité les agriculteurs à déclarer leurs surfaces, alors que beaucoup d'entre eux ne l'avaient pas fait.
Par ailleurs, un rapport produit en 2022 par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) préconisait le recours à une aide par exploitation. L'Académie d'Agriculture est du même avis. La forme de ces aides dépend seulement de choix politiques.
Toutefois, la mise en place des aides surfaciques dans l'ensemble des outre-mer a des inconvénients. Imaginons l'affectation d'une enveloppe de près de 20 millions d'euros pour une aide surfacique. Immédiatement, les 20 millions d'euros sont consommés sans qu'un seul kilogramme de plus ne soit produit. Elle pourrait toutefois contribuer à limiter à terme la déprise agricole en sécurisant financièrement les agriculteurs.
Même si la mise en place d'aides nationales destinées à améliorer la gestion du foncier agricole demande l'approbation de l'Union européenne, la gestion du foncier agricole s'opère davantage au niveau national qu'au niveau européen.
M. Jacques Andrieu. - L'Union européenne ne souhaite d'ailleurs pas s'ingérer dans la gestion du foncier agricole, ou dans la définition des modèles agricoles. Elle laisse les États membres définir leurs propres orientations et leurs propres organisations en la matière. Les régimes liés au foncier agricole sont d'ailleurs très différents selon les territoires européens.
Pour la PAC (2023-2027), des propositions d'orientation sont formulées par les États membres, puis validées par l'Union européenne. La gestion du POSEI suit ce même principe. L'Union européenne se contente de vérifier que les propositions d'orientations liées au POSEI sont conformes à ses objectifs généraux, sans établir elle-même de règles très précises.
Par ailleurs, l'ODEADOM n'intervient pas directement sur les questions foncières. Pour autant, cet office s'intéresse aux effets fonciers des dispositifs d'aides qui peuvent être mis en place (aides à l'hectare...). Ces dispositifs peuvent inciter des agriculteurs à agrandir leurs exploitations ou à relâcher du foncier. Autrement dit, ces dispositifs peuvent avoir des effets sur la pression foncière, ou encore sur la limitation des friches.
Mme Vivette Lopez, président et rapporteur. - Un agriculteur qui parvient à vivre de son activité a-t-il le droit de ne pas recevoir d'aides ? Je pense que certains agriculteurs souhaitent pouvoir s'en sortir sans aides.
M. Arnaud Martrenchar. - Il n'est évidemment pas obligatoire de demander des aides. Les exploitants qui ne souhaitent pas d'aides n'en demandent pas.
En revanche, certains agriculteurs qui souhaiteraient recevoir des aides n'en perçoivent pas. Pour percevoir ces aides, ils seraient contraints de déclarer leurs volumes de production. Or ils ne souhaitent pas effectuer ces déclarations, car ils craignent des vérifications fiscales. Ces déclarations les contraindraient aussi à entrer dans une forme de structuration, qui peut ne pas leur convenir, notamment en raison de risques de retards de paiement. Ces agriculteurs préfèrent se rendre au marché, pour vendre directement leurs productions.
Mme Vivette Lopez, président et rapporteur. - On ne peut pas tout avoir !
M. Arnaud Martrenchar. - Certains agriculteurs se rendent sur les marchés locaux, que nous cherchons d'ailleurs à promouvoir, tout en étant parfaitement à jour de leurs obligations fiscales. Nous pourrions aussi réfléchir à un système d'aide destiné à promouvoir ce type de circuits courts. Je le répète, personne ne contraint les agriculteurs à demander des aides.
Je ne suis pas expert en matière de fermage. Ce système existe en outre-mer comme ailleurs. Il faut tenter de le développer. Des propriétaires peuvent ne pas être en mesure d'exploiter eux-mêmes leurs terres, pour différents motifs (manque de moyen, absence de vocation agricole...).
Nous ne pouvons pas contraindre ces propriétaires à aliéner leurs exploitations. Une telle contrainte serait inconstitutionnelle, hormis dans des cas très précis, tels que des expropriations liées à des projets d'intérêt général (autoroutes...). Pour autant, nous pouvons contraindre ces propriétaires à proposer un fermage, dans le cadre de procédures liées aux terres en friche. Toutes les mesures qui peuvent contribuer à la mise en valeur des terres arables doivent être prises. Dans ce cadre, le fermage peut être mobilisé.
M. Jacques Andrieu. - Je ne suis pas non plus expert sur la question du fermage en outre-mer. Historiquement, dans la politique agricole française, le fermage a représenté un élément important de sécurisation des terres cultivées. Le fermage est toutefois mobilisé très diversement selon les régions. Il existe des régions de fermage et des régions de propriété. Ces disparités existent sans doute aussi en outre-mer.
Le développement du fermage serait certainement utile en outre-mer, mais je ne saurais pas déterminer s'il s'agit d'un levier majeur à actionner pour atteindre les objectifs d'autosuffisance alimentaire. Je ne sais pas non plus si nous pourrons beaucoup le développer. En effet, le fermage présente des contraintes importantes qui peuvent rebuter les propriétaires (obligations de baux à long terme ...).
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Monsieur le délégué, monsieur le directeur, je vous remercie vivement pour vos éclairages. Vous nous avez beaucoup appris. Nous pourrons avancer dans notre étude - très importante - qui concerne le foncier agricole.
Je souhaite revenir sur les Safer, que vous présentez comme étant économiquement en difficulté en outre-mer. Ces Safer sont toutefois utiles, notamment dans le cadre de la lutte contre l'inflation et de la protection des espaces naturels et des terres agricoles.
Comme vous le savez, Mayotte ne dispose pas de Safer. Le droit de préemption y est donc exercé par l'établissement public foncier et d'aménagement (EPFA). Estimez-vous que l'exercice du droit de préemption est bien géré à Mayotte ? Je vous interroge sur ce point, car la Guyane, qui dispose aussi d'un EPFA, met pourtant en place une Safer.
Pourrait-on imaginer pour Mayotte un système qui permette de répondre à l'objectif de protection du foncier agricole porté par les EPFA et les Safer, tout en améliorant le modèle économique de l'agriculture ?
Par ailleurs, au sujet de la loi Letchimy, vous avez expliqué que l'obligation de contacter les indivisaires peut s'avérer difficile lorsque nous ne les connaissons pas tous. Certes, des mesures de publicité sont prises pour que chacun puisse savoir qu'une indivision est en cours de traitement. Néanmoins, je signale que l'une des difficultés liées à ces indivisions tient au fait que les indivisaires sont contactés tant au début qu'à la fin du processus de sortie de l'indivision. Par conséquent, pourrions-nous réaliser l'économie de la seconde prise de contact avec les indivisaires ? En effet, cette seconde prise de contact peut générer des complications supplémentaires dans le processus de sortie d'indivision. En définitive, nous pourrions renforcer la publicité liée à ce processus, tout en le simplifiant. Il faut noter que des indivisaires sont parfois introuvables.
M. Arnaud Martrenchar. - La Guyane a été le premier territoire à se doter d'un EPFA. Cet établissement disposait durant des années de la compétence agricole et urbaine. Le ministère de l'Agriculture était réticent à l'idée d'installer une Safer en Guyane, alors même que les moyens nécessaires pour la faire fonctionner n'étaient pas identifiés et qu'elle n'aurait pas bénéficié d'une dotation nationale suffisante. Sur cette base, le droit de préemption devait être confié à l'EPFA de Guyane. Néanmoins, cet EPFA n'a pas exercé ce droit, dans l'attente d'un décret qui n'a jamais été publié. En effet, le projet de création d'une Safer était resté pendant. Le droit de préemption n'a donc jamais été exercé en Guyane.
À la suite du mouvement social guyanais de 2017, les accords de Guyane ont prévu la création d'une Safer. Or, en 2023, cette Safer n'est toujours pas agréée. Le droit de préemption n'est toujours pas exercé sur ce territoire. La sénatrice de Guyane, Mme Marie-Laure Phinera Horth, connaît les difficultés liées à l'agrément de cette Safer. Je rappelle que l'EPFA de Mayotte a été doté de ce droit de préemption.
Vous vous interrogiez sur les motifs de la création d'une Safer en Guyane. Les Guyanais ont estimé que la gouvernance de la commission de l'EPFA qui aurait décidé du droit de préemption serait trop peu orientée vers l'agriculture. Ils ont estimé que la création d'une Safer permettrait au monde agricole d'exercer par lui-même le droit de préemption sur le foncier agricole.
Un EPFA dépend essentiellement du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et bénéficie de moyens de fonctionnement. En intégrant à cet établissement la gestion du foncier agricole, il était possible de bénéficier de ces moyens de fonctionnement. De plus, les textes précisent bien que les décisions liées à l'exercice du droit de préemption qui concernent le monde agricole sont prises par des commissions à dominante rurale.
Néanmoins, si dans les textes, l'EPFA de Mayotte dispose du droit de préemption, je n'ai pas de précisions sur la fréquence de l'exercice de ce droit par cet établissement. Je ne connais pas suffisamment la situation de Mayotte, mais je ne me remémore pas d'exemples d'usage de ce droit par son EPFA. S'il s'avérait que ce droit n'avait pas été exercé, il faudrait identifier les éventuels points de blocage.
Par ailleurs, en 2014, la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt avait fait évoluer le code rural et de la pêche maritime, pour faciliter la procédure de sortie de l'indivision. Pour vérifier l'existence d'indivisaires, les notaires doivent effectuer une publicité au niveau national, mais aussi au niveau du territoire de l'exploitation concernée. En l'absence de réponse durant un certain délai fixé dans les textes, le notaire est en droit de procéder à la vente, même lorsque le nombre exact d'indivisaires n'est pas connu.
Vous évoquez une difficulté liée au fait que cette publicité doit être réalisée au début et à la fin de la procédure de sortie de l'indivision. Les parlementaires pourraient toujours faire évoluer la législation sur ce point. Cependant, je pense qu'il faudrait préalablement inviter des notaires ultramarins, pour leur demander de préciser les éléments qui pourraient être changés dans les textes. Je vois bien qu'il existe une difficulté liée à l'indivision, mais je ne suis pas notaire. Une séance de travail pourrait être organisée avec des spécialistes de la question.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. - Avec Marie-Laure Phinéra-Horth, nous avons assisté en mars à un colloque qui dressait un bilan de la loi Letchimy. Les travaux de ce colloque donneront lieu à la rédaction d'un rapport. J'avais insisté sur les particularités du foncier agricole d'outre-mer.
M. Arnaud Martrenchar. - Je vous transmettrai la disposition qui a été intégrée au code rural en 2014. Cette disposition concerne exclusivement les terres agricoles et elle est très précise. À ce jour, je ne suis pas en mesure de vous indiquer les changements à apporter à la loi Letchimy. Il faudrait échanger avec des spécialistes de la question.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) a été adoptée par le parlement il y a plus d'un an. Ce texte prévoit la suppression du plafonnement des cessions de terrain aux communes de Guyane. Cette disposition vise à faciliter la mise en oeuvre de l'accord de Guyane du 21 avril 2017. De plus, l'État s'est engagé à céder 250 000 hectares de terrains à la collectivité de Guyane et aux communes du territoire. Pouvez-vous apporter des précisions sur la publication des décrets d'application de cette loi, relatifs à ces engagements ?
Par ailleurs, nous ne pouvons pas nier l'importance d'une structure telle que la Safer pour mon territoire. Arnaud Martrenchar vient d'évoquer ce sujet. Pourtant, près de deux ans après la création de la Safer de Guyane, la structure ne dispose toujours pas d'agrément ni de droit de préemption. Or, ces outils, vous le savez, sont primordiaux pour permettre à la Safer de mener à bien ses missions. Devons-nous paralyser le fonctionnement d'une telle structure pour des histoires personnelles ?
Enfin, j'ai eu l'occasion de me rendre sur le terrain avec l'ex-député Olivier Damaisin, pour rencontrer des jeunes agriculteurs en souffrance après une succession de suicides d'agriculteurs. Olivier Damaisin devrait remettre un rapport sur ce sujet vers la fin du mois de février ou début mars. Comme nous sommes en avril, je souhaite m'informer sur l'état de ce rapport.
M. Arnaud Martrenchar. - Olivier Damaisin a remis son rapport il y a une semaine. La semaine prochaine, ce rapport sera présenté au cabinet du ministère de l'agriculture. J'ai lu ce rapport qui présente plusieurs recommandations.
Ce rapport évoque certaines questions pour lesquelles je ne trouve pas de réponses, comme la question des pistes agricoles. Il est notoire que les pistes agricoles ne sont pas entretenues. En particulier, l'Office national des forêts n'entretient plus les pistes qu'il trace, une fois les exploitations forestières achevées. Or je ne sais pas à qui appartiennent ces pistes. Je crains que ces pistes appartiennent aux communes, qui ne disposent pas aujourd'hui des moyens nécessaires pour les entretenir. Au regard de l'intensité de la saison des pluies guyanaise, les agriculteurs installés le long de ces pistes rencontrent des difficultés dès que ces pistes cessent d'être entretenues par l'ONF. Des spécialistes du droit pourraient identifier les propriétaires de ces pistes. Une fois que leur statut sera précisé, nous pourrions vérifier si le Feader est mobilisable pour les entretenir.
Par ailleurs, j'avoue ne pas connaitre l'état d'avancement des décrets d'application de la loi 3DS qui se rapportent au transfert de 250 000 hectares de terrains que vous citez. Je dois me renseigner sur ce point. Je n'ai pas suivi ce sujet qui ne relève pas de ma compétence et je déplore avec vous le fait que ce transfert n'ait pas été réalisé à ce jour.
Enfin, la situation actuelle de la Safer de Guyane n'est pas du tout satisfaisante. Vous vous êtes rendue avec le sénateur Georges Patient au ministère de l'Agriculture pour défendre le cas de cette Safer. J'ai aussi reçu l'ex-député Gabriel Serville et actuel président de la Collectivité territoriale de Guyane, qui déplorait le fait que la Safer ne dispose pas du droit de préemption. Durant le temps de nos palabres, la spéculation foncière se poursuit. Cette situation n'est évidemment pas satisfaisante.
D'après la procédure en vigueur, le président de la Safer doit d'abord être agréé. Puis, il faut monter un dossier d'agrément de la Safer. Enfin, une fois que la Safer est agréée, elle dispose de facto du droit de préemption, sans qu'il y ait besoin de publier un texte. Or nous rencontrons une difficulté que je ne détaillerai pas dans le cadre de cette audition, dans la mesure où nous ne pouvons pas évoquer des situations individuelles. Pour autant, il faut absolument résoudre cette difficulté.
Mme Victoire Jasmin. - J'attends beaucoup du rapport d'information sur le foncier agricole.
Nous avons auditionné des représentants des Safer et de la Fédération nationale des Safer, qui nous ont fourni des explications au sujet des différents territoires d'outre-mer. Le fait que les agriculteurs disposent de petites surfaces peut leur poser des difficultés. Aussi, les agriculteurs ne bénéficient pas non plus toujours de toutes les aides qu'ils pourraient percevoir.
Selon vous, dans l'optique de favoriser la mise en valeur des terres en friche, serait-il opportun de mettre en place des chantiers d'insertion destinés à aider les enfants d'agriculteurs à reprendre les exploitations de leurs parents ? Ces chantiers d'insertion pourraient notamment inciter les jeunes à se diriger vers des formations agricoles. Dans les outre-mer, le chômage des jeunes est important et ces derniers ne sont pas toujours très qualifiés. Cependant, les jeunes peuvent craindre de prendre la suite de leurs parents par manque de formation ou d'accompagnement.
De plus, il faut aussi réaliser de la pédagogie auprès des agriculteurs proches de l'âge de départ en retraite. Je note que les jeunes agriculteurs payent de plus en plus leurs charges. Ils sont plus nombreux à cotiser pour leurs retraites, même si les absences de cotisations posent encore des problèmes au moment de la liquidation de la retraite.
Faudrait-il accompagner les agriculteurs pour les aider à préparer leurs départs à la retraite, en lien avec les services sociaux et la caisse de retraite des agriculteurs ?
Les agriculteurs continuent parfois à travailler après l'âge de la retraite, sans que leur travail soit toujours rentable. Ils peuvent bloquer le foncier, bien que des jeunes soient en attente d'emplois. Un accompagnement social permettrait d'éviter ces difficultés.
Par ailleurs, il est vrai que le dialogue social n'est pas toujours apaisé. Il existe en ce moment un mouvement social chez les planteurs de canne à sucre de Guadeloupe. Cependant, les économies d'outre-mer sont fragiles. En particulier, les filières agricoles s'appuient parfois majoritairement sur de la main-d'oeuvre étrangère, qui ne se trouve pas nécessairement en situation régulière de séjour. Dans ce contexte, au regard des montants importants utilisés pour subventionner les filières de la canne à sucre et de la banane, ne faudrait-il pas inciter ces filières à développer la formation de leurs salariés ? Ces formations pourraient prendre la forme de chantiers d'insertion, car les jeunes ont besoin d'être encadrés. Beaucoup de jeunes souhaitent travailler, mais ils ont peut-être peur de franchir le pas et de se diriger vers le monde agricole.
Parallèlement, il faut aussi favoriser le dialogue social dans ces filières pour construire des projets communs. Les usiniers peuvent évoluer vers la production de sucres de spécialité, ou d'autres produits plus rémunérateurs. Il est aussi possible de planter des cannes fibreuses destinées à la production de biocarburants. De nombreuses pistes existent.
Avec ces évolutions, les jeunes qui résident à proximité et qui se dirigent vers l'emploi devront être de plus en plus formés pour rejoindre ces filières.
De plus, au-delà des problèmes d'indivision, il est aussi possible d'inciter les enfants à reprendre les exploitations de leurs parents. Ainsi, dans le cadre de la procédure destinée à mettre en culture les terres laissées en friche (arrêtés préfectoraux de mise en demeure...), nous pourrions inciter les enfants d'agriculteurs qui se trouvent au chômage de se déclarer en tant qu'agriculteurs.
Ils pourraient alors bénéficier de formations de base, qui leur permettraient notamment de connaître le régime juridique des agriculteurs. Très souvent, des agriculteurs qui reprennent les exploitations de leurs parents n'ont pas été formés et ils ne prennent pas l'habitude de payer leurs charges fiscales ou sociales. Un accompagnement, qui impliquerait les collectivités et les différents services publics, pourrait être mis en place pour ces jeunes.
Certains agriculteurs ne demandent pas d'aides, par méconnaissance, mais aussi en raison de difficultés à remplir des dossiers administratifs. Ils peuvent avoir besoin d'aide. Les rapports du Sénat de 2018 et 2019 sur les risques naturels majeurs des outre-mer, dont j'ai été co-rapporteure, ont montré que beaucoup d'agriculteurs ne sont pas assurés. Ces personnes peuvent parfois beaucoup perdre en cas d'ouragans, avec la destruction de leurs cultures. Or, elles ne savent pas toujours comment procéder pour bénéficier des aides publiques liées aux catastrophes naturelles. Un effort pédagogique doit donc être mené avec le concours des chambres d'agriculture.
Les différents éléments que je viens d'évoquer pourraient contribuer à sécuriser l'avenir de l'agriculture et à réduire la surface des terres en friche.
Par ailleurs, certains enfants de bénéficiaires des GFA n'ont pas toujours compris le fonctionnement du dispositif. Un effort de pédagogie doit aussi être mené auprès d'eux. Pour eux, les terres des GFA appartiennent à leurs familles. Ils ne comprennent pas qu'à partir du moment où ils partent en retraite, ou qu'ils cessent leurs activités, ils doivent céder leurs exploitations pour permettre à d'autres personnes de les reprendre.
Selon moi, ces mesures pourraient contribuer à mieux utiliser et valoriser le foncier agricole. Sur le volet social, ces mesures permettraient aussi de mieux insérer les jeunes en attente d'intégration professionnelle.
En particulier, le foncier agricole peut être mobilisé pour favoriser le retour à l'emploi des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), dont les parents détiennent des exploitations non cultivées.
Enfin, je note que la loi Letchimy a notamment été inspirée par le rapport rédigé par notre collègue Thani Mohamed Soilihi sur le foncier à Mayotte. En tout état de cause, je remercie une fois de plus le président Stéphane Artano d'avoir lancé ces travaux sur le foncier agricole. Je remercie aussi les personnes auditionnées et j'attends leurs réponses et leurs suggestions.
M. Arnaud Martrenchar. - Je pense qu'il faut absolument se saisir de l'opportunité offerte par la concertation menée actuellement sur le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Ce projet de loi sera présenté cet automne au Parlement. Dans ce cadre, des groupes de travail nationaux se sont constitués autour de la formation agricole, de l'installation et de la transmission, et de la transition agroécologique.
En Guadeloupe, il existe un groupe de travail, chargé de faire remonter l'ensemble des propositions au ministère de l'Agriculture. Nous pourrions très bien intégrer dans ces propositions vos suggestions, telles que les chantiers d'insertion pour les jeunes, ou l'accompagnement social des agriculteurs qui souhaitent prendre leur retraite pour permettre aux jeunes de s'installer. Une réunion aura lieu le 12 avril 2023.
Il serait opportun d'y intégrer toutes les propositions que vous évoquez, et auxquelles je souscris pleinement. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas disposé d'un vecteur tel que celui-là. Il faut en profiter, car, il peut s'avérer difficile de faire aboutir des propositions de nature législative sans un vecteur adapté. Lorsque nous les intégrons dans d'autres projets de loi, le Conseil constitutionnel les censure en tant que cavaliers législatifs.
Vous avez aussi évoqué le problème des agriculteurs qui n'ont pas accès aux aides par méconnaissance. Or nous sommes conscients qu'il existe un déficit en termes d'ingénierie de projets en outre-mer, pour les agriculteurs, ou même pour les communes.
Souvent, on déplore que les outre-mer demandent de l'argent mais qu'une fois cet argent octroyé, il n'est pas dépensé. Depuis des années, nous cherchons à trouver des moyens pour renforcer cette ingénierie.
En Guyane, nous avons établi une organisation particulière de la préfecture, avec une forme de cellule d'ingénierie de projets. Lorsque nous avons mis en place les systèmes d'aide à la relance, nous avons désigné des sous-préfets à la relance.
Dans le cadre du plan France 2030, nous craignons que les outre-mer réalisent un mauvais « score », dans la mesure où ce plan s'appuie sur des guichets nationaux. Nous savons bien que de nombreux acteurs ne disposent malheureusement pas de l'agilité nécessaire pour accéder à ces guichets. Lorsque ces guichets s'ouvriront, les acteurs de l'Hexagone seront les premiers à candidater aux appels à projets. C'est pourquoi nous avons établi dans chaque territoire d'outre-mer un référent France 2030.
Par ailleurs, les chambres d'agriculture devraient accompagner les agriculteurs qui peinent à monter des dossiers de demandes d'aides.
Mme Victoire Jasmin. - Je n'avais pas connaissance du groupe de travail qui oeuvre actuellement en Guadeloupe. Je ne pourrais pas participer à la réunion du 12 avril. Je n'y ai d'ailleurs pas été invitée directement.
Pour autant, je peux tout à fait présenter une contribution écrite à ce groupe de travail. J'ai d'ailleurs posé é récemment une question écrite au ministre de l'agriculture, où j'ai mentionné la proposition du chantier d'insertion. Compte tenu de la situation actuelle de mon département, je prépare aussi d'autres travaux...
M. Jacques Andrieu - Pour revenir sur votre intervention, je note que les questions que vous soulevez s'inscrivent directement dans les débats actuels liés au projet de de loi d'orientation et d'avenir agricoles. Ces débats sont tenus dans des groupes de travail nationaux, mais aussi au niveau local, dans les régions de l'Hexagone et dans l'ensemble des outre-mer. Dans ce cadre, il existe évidemment des possibilités de contributions écrites. Il importe aussi que les acteurs concernés puissent participer à cette concertation. Les travaux touchant l'enseignement et la formation professionnelle se tiennent souvent dans des lycées agricoles, dans tous les territoires.
Nous pouvons faire parvenir à la Délégation sénatoriale aux outre-mer des éléments généraux sur cette concertation, qui est pilotée par la Direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'Agriculture.
Cette concertation est en cours. Comme le mentionnait Arnaud Martrenchar, vous pouvez vous saisir de ce vecteur pour faire remonter vos propositions, qui concernent des sujets importants (formation, accompagnement des agriculteurs, transmissions intergénérationnelles...).
Le ministre souhaite aussi que cette concertation s'intéresse aux nouveaux enjeux de la transition agroécologique et du changement climatique. Si une réunion est organisée le 12 avril en Guadeloupe, d'autres réunions se tiendront aussi dans l'ensemble des départements.
Par ailleurs, comme vous l'indiquez, il existe effectivement un besoin de formation et d'accompagnement des jeunes agriculteurs et des personnes qui souhaitent se lancer dans l'agriculture. Pour répondre à ce besoin, nous avons la chance de pouvoir compter sur le réseau de la formation agricole (lycées publics, lycées privés, maisons familiales rurales...), qui existe dans tous les départements d'outre-mer. Ce réseau propose tant des formations initiales que des formations continues, courtes ou diplômantes, qui permettent d'accéder au statut d'agriculteur. Les freins à l'utilisation de ce réseau sont discutés dans les débats actuels.
Aussi, la question de l'emploi est remontée par les filières. Il s'agit d'une question majeure, notamment dans les outre-mer. D'une part, des employeurs peinent à trouver la main-d'oeuvre qui correspond à leurs attentes et d'autre part, le taux de chômage est important et des jeunes souhaitent entrer dans la vie active. Nous tentons d'étudier au mieux cette question.
Vous avez encore soulevé une question sur les assurances des exploitants agricoles. Ce sujet a aussi été identifié. Une importante réforme a été menée sur l'assurance récolte dans l'Hexagone. Cette réforme sera suivie d'une ordonnance qui permettra de tenir compte des particularités des outre-mer. L'offre d'assurance s'y avère insuffisante, car la survenue de phénomènes climatiques extrêmes rend l'assurabilité difficile pour les assureurs. Il s'agit de mieux identifier la part de la contribution de la solidarité nationale et celle des assurances.
Je serais très intéressé par d'éventuelles auditions qui concerneraient l'application de la loi Letchimy. La question de la sortie des indivisions est souvent ressortie des débats de la concertation actuelle. Je ne dispose pas d'éléments de bilan quantitatif sur cette loi. Je ne sais pas si cette loi fonctionne bien ou si elle permet de dépasser les dispositifs identifiés comme bloquants par les notaires.
Enfin, le dispositif des GFA de la Guadeloupe est particulier. Une question se pose sur la manière dont ce dispositif peut se pérenniser, après la vie active de ses bénéficiaires.
Mme Victoire Jasmin. - Je souligne l'importance de la question de l'assurance des agriculteurs.
Mme Vivette Lopez, président et rapporteur. - Je vous remercie pour vos éclairages très précis. Je propose maintenant à notre président de conclure cette réunion, depuis Saint-Pierre-et-Miquelon.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie, chère Vivette Lopez, d'avoir présidé cette séance. Je remercie nos interlocuteurs pour la qualité de leurs interventions.
Cette étude sur le foncier agricole se veut aussi constructive que celle que nous venons d'achever sur la continuité du territoire, à laquelle le Sénat est très attaché.
Cette étude s'inscrit dans le contexte de la préparation du prochain CIOM, prévu pour la mi-mai. En tant qu'élus, nous espérons que les thématiques mises en avant dans nos travaux (déchets, mobilité, enjeux agricoles...) seront prises en compte dans le cadre des travaux du CIOM. Naturellement, celui-ci ne réglera pas toutes les problèmes, mais il s'agit d'un élément important du dispositif annoncé par le ministre délégué chargé des outre-mer.
La présente étude s'achèvera fin juin . Nous pouvons faire confiance à notre binôme de rapporteurs, qui se montreront proactifs. Je pense que vous l'avez senti, au regard de son implication. Nous sommes évidemment intéressés par vos contributions écrites, d'autant plus que vous travaillez directement à répondre aux défis évoqués au cours de cette audition. Parmi ces défis figure celui de la pollution des sols et des eaux par le chlordécone, sujet qui a donné lieu à un échange nourri, autour du rapport fait au nom de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) par notre collègue Catherine Procaccia, entre les membres des délégations aux outre-mer de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je me permets donc de vous renvoyer à ces débats.
Je précise aussi que nos rapporteurs se rendront prochainement à la Martinique du 16 au 20 avril, pour rencontrer des acteurs de terrain. De nombreuses pistes de réflexion seront sans doute à creuser du côté de nos collectivités territoriales, notamment autour du droit de préemption, des banques de terres, ou encore de la sortie de l'indivision en outre-mer (loi Letchimy...).
J'ai aussi retenu vos propositions, en particulier votre suggestion de modification législative concernant les maisons d'habitations non attenantes aux exploitations d'outre-mer. Pour porter leurs propositions, les parlementaires sauront se saisir des véhicules législatifs annoncés par le Gouvernement. Ils pourront aussi se saisir des niches parlementaires des différents groupes !
Je vous remercie encore pour vos éclairages.