- Mercredi 29 mars 2023
- Jeudi 30 mars 2023
- Questions diverses
- Recherche et propriété intellectuelle - Intelligence artificielle - Examen du rapport d'information, de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
- Désignation de rapporteur
- Institutions européennes - Suivi d'activité de la commission 2021-2022 - Examen du rapport
Mercredi 29 mars 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Instrument du marché unique pour les situations d'urgence - Examen de la proposition de résolution européenne
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, depuis quelques années maintenant, il me semble que l'urgence est un peu devenue le quotidien européen. On pourrait remonter à juillet 2015, quand la Grèce était au bord de la faillite et la zone euro au bord de la rupture, événements évités in extremis par un accord arraché au Conseil européen avec Alexis Tsipras... Incontestablement, la pandémie de covid-19, conduisant au confinement brutal de mars 2020, a obligé l'Union européenne (UE) à réagir dans l'urgence au repli sur soi spontané de chaque État membre, qui a menacé de ruiner le fonctionnement du marché intérieur. Il a fallu ensuite, en urgence là aussi, rapatrier les ressortissants européens qui étaient à l'étranger, pourvoir le plus vite possible aux besoins en masques puis en vaccins, rétablir des voies vertes pour assurer une liberté de circulation minimale dans l'Union... Prise au dépourvu, l'UE a dû s'improviser réactive, et l'agression soudaine de l'Ukraine par la Russie en février 2022 est venue encore mettre à l'épreuve sa réactivité.
Les suites du conflit continuent chaque jour de l'y obliger, que ce soit en matière d'accueil et de protection des réfugiés, ou d'assistance humanitaire, militaire et financière à l'Ukraine. Il en est allé de même sur le front de l'approvisionnement énergétique, de la hausse des prix, des sanctions envers la Russie et des ajustements que ces suites entraînent, ou encore de l'offensive américaine avec l'Inflation Reduction Act (IRA)... L'urgence s'impose, et l'Union légifère de plus en plus sur la base de l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'UE : cet article habilite le Conseil à prendre des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie, ou à accorder une assistance financière à un État membre qui connaît des catastrophes naturelles ou des événements exceptionnels échappant à son contrôle.
Depuis le début de la crise énergétique, c'est par ce biais que l'Union a pris diverses mesures, dans le contexte de la guerre en Ukraine : plafonnement des prix du gaz, réduction coordonnée de la demande en électricité, achats communs de gaz, mécanisme de solidarité ou taxation des superprofits. Cette procédure accélérée a permis aux Vingt-Sept de contourner le Parlement européen. Ce qui n'est pas sans rappeler, en France, le recours à l'article 49.3 de la Constitution...
Je laisse les rapporteurs nous présenter le nouvel instrument d'urgence que propose la Commission européenne, qui aura une portée plus générale, mais dont l'articulation avec cet article 122 du traité gagnerait à être précisée.
M. Didier Marie, rapporteur. - Lors de la crise sanitaire, des mesures de restriction de la libre circulation des biens, des services et des personnes ont été décidées unilatéralement par les États membres, dans l'urgence et sans aucune coordination. Il en est résulté une fragmentation du marché unique, qui a entraîné de graves difficultés en matière d'approvisionnement et d'accès aux services, sans oublier les conséquences pour les citoyens, familles et travailleurs, en particulier dans les zones frontalières.
Les effets de la crise ukrainienne ont en outre montré les vulnérabilités du marché unique et de ses chaînes d'approvisionnement en situation d'urgence.
Plusieurs instruments juridiques européens ciblés permettent de répondre à certaines crises : le mécanisme de protection civile et son centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), ou encore le dispositif intégré de l'UE pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise, Integrated Political Crisis Response (IPCR), qui a été activé lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Des mécanismes sectoriels sont également prévus et sont en cours de renforcement, en particulier en matière de médicaments et de dispositifs médicaux, secteur suivi par nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey.
Depuis la crise sanitaire, la Commission a en outre créé un mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, qui s'est réuni pour la première fois en mars 2022 pour examiner les incidences de la hausse des prix de l'énergie et des intrants et les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur l'approvisionnement et la sécurité alimentaires.
Ces instruments ne permettent toutefois pas d'appréhender globalement et de manière coordonnée les situations d'urgence susceptibles d'avoir un fort impact sur le marché unique. C'est pourquoi, dès octobre 2020, le Conseil européen a souhaité que soient tirés les enseignements des dysfonctionnements et insuffisances constatés lors de la pandémie de covid-19. La Commission européenne a annoncé une initiative en la matière, dans son programme de travail pour 2022 présenté en mai 2021, initiative qu'elle a formalisée le 19 septembre 2022 dans une proposition de règlement établissant un instrument d'urgence pour le marché unique (IUMU) ou, plus souvent en anglais, Single Market Emergency Instrument (SMEI).
Fondé sur l'article 114, relatif au marché intérieur, l'article 21, sur la libre circulation des personnes et l'article 45, qui porte sur la libre circulation des travailleurs, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'instrument vise à préserver, dans des situations d'urgence à venir, la libre circulation des biens, des services et des personnes, ainsi que l'accès aux biens et services essentiels, dans l'intérêt des consommateurs et des entreprises de l'UE, ainsi qu'à renforcer la résilience du marché intérieur.
Il prévoit une architecture de gestion de crise à trois niveaux comportant : un cadre permanent de planification des mesures d'urgence, un cadre pour le mode « situation d'alerte pour le marché unique » et un cadre pour le mode « situation d'urgence pour le marché unique ».
De manière générale, l'opportunité de la mise en place d'un tel instrument n'est ni contestable ni d'ailleurs contestée. Mais ce nouvel instrument juridique présente plusieurs zones d'ombre - je pense en particulier à l'imprécision des notions sur lesquelles il prend appui.
Les différents interlocuteurs que nous avons rencontrés nous ont fait part de leurs préoccupations à cet égard, qu'il s'agisse de la Représentation permanente et du secrétariat général des affaires européennes (SGAE) côté français, des représentants des entreprises européennes, en particulier des PME, ou des syndicats européens.
Le premier sujet de préoccupation concerne la définition même de la notion de crise sur le marché intérieur, qui justifie le déclenchement des modes alerte ou urgence, ou encore celle des biens et services d'importance stratégique en cas de crise.
La proposition de règlement précise ainsi qu'une crise est « un événement exceptionnel, inattendu et soudain, naturel ou d'origine humaine, qui se produit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union ». Il est en outre indiqué qu'un tel événement peut avoir un double impact sur le marché intérieur : l'apparition d'obstacles à la liberté de circulation, qui portent atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur et l'amplification des pénuries de produits et services pertinents, dans un marché fragmenté qui ne fonctionne pas.
Il en résulte une rupture des chaînes d'approvisionnement et donc des difficultés pour les entreprises à obtenir, fournir ou vendre des biens et services. Les consommateurs peuvent alors perdre l'accès à des produits et des services clés pour le fonctionnement du marché intérieur dans des domaines stratégiques et qui ne peuvent être remplacés par d'autres. L'absence d'informations peut exacerber les conséquences de ces dysfonctionnements, en particulier pour les personnes en situation économique fragile.
Cette définition est très générale et le périmètre n'en est pas défini. Nous vous proposons donc de demander que soient introduits des critères d'appréciation de l'existence d'une crise sur le marché intérieur. Il nous paraît en outre souhaitable d'expliciter le fait qu'une situation de crise ne saurait résulter de la mise en oeuvre du droit de négociation et d'actions collectives. Comme rappelé dans le considérant 36 du texte proposé par la Commission, ce droit est en effet protégé par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et son exercice ne saurait être considéré comme susceptible de constituer une crise au sens du règlement. C'est un sujet de préoccupation pour les syndicats européens, qui, lors de notre entretien, nous ont fait part de leur crainte qu'une action collective légalement menée puisse être assimilée à une crise.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Des clarifications et des précisions sont aussi nécessaires pour améliorer la sécurité juridique et la prévisibilité de l'instrument. Il nous semble en particulier que des critères précis devraient être définis. Par exemple, des critères d'évaluation du caractère stratégique pour distinguer les biens et services considérés comme d'importance stratégique de ceux nécessaires en cas de crise.
La gravité de la menace de nature à justifier l'activation du mode alerte ou du mode urgence nous paraît également devoir être mesurée à l'aune de critères permettant d'évaluer les conséquences, potentielles ou effectives, de ladite menace ; ces critères, nous semble-t-il, devraient être définis par le règlement.
Un autre sujet de préoccupation concerne l'articulation de cet instrument transversal avec les autres instruments d'urgence du marché intérieur. Il est indiqué que le règlement n'est pas applicable aux crises concernant certains produits ou services, pour lesquels sont prévus des instruments d'urgence sectoriels. L'articulation avec ces instruments nous paraît toutefois devoir être précisée et leur mise en cohérence assurée.
Ces observations ne remettent bien entendu pas en cause la pertinence de l'instrument proposé qui nous semble nécessaire, et qui repose sur une approche coordonnée, graduée et réversible. Cet instrument est utile pour faire face aux conséquences des crises sur le marché intérieur, en donnant la priorité à la préservation de la liberté de circulation des produits, des services et des personnes au sein du marché intérieur.
En amont des crises, il est proposé de mettre en place un cadre permanent de prévention des urgences, autrement dit de veille, comportant des protocoles de crise et de communication de crise, des formations et simulations et des dispositifs d'alerte précoce. Il ressort toutefois des échanges avec le cabinet de Thierry Breton que la Commission, qui est pourtant chargée d'animer ce volet, ne prévoit pas d'y dédier de moyens humains et matériels, ce qui peut laisser perplexe quant à l'efficacité de la préparation d'une réaction coordonnée en cas de crise.
Il nous semble en particulier qu'une architecture harmonisée de communication des données nécessaires pour répondre aux crises devrait au moins être définie, ce qui permettrait de préparer utilement la mise en place des points de contact nationaux et européens. Une telle démarche exige en particulier que le format des données que les États membres et les opérateurs économiques devront transmettre en cas de crise soient définis, afin d'en permettre le traitement, l'agrégation et l'interopérabilité. Ce point fait écho au travail important qui avait été réalisé par la délégation sénatoriale à la prospective sur les outils numériques dans le cadre des crises sanitaires. Nous avions observé un certain nombre de failles de l'État français : si un certain nombre de systèmes d'information existent, ceux-ci ne communiquent pas entre eux. Un cadre conceptuel doit donc être prévu à l'échelle européenne.
Venons-en maintenant à la gouvernance de l'instrument d'urgence. Celle-ci serait assurée par la Commission, conseillée par un groupe consultatif composé de représentants des États membres, en lien avec les bureaux centraux de liaison nationaux. Il est en outre prévu que la Commission pourra convier aux réunions pertinentes, en qualité d'observateurs, notamment des représentants des opérateurs économiques, des partenaires sociaux et des experts ainsi que des représentants des autres organes compétents en matière de crise de l'Union. Il nous semble utile de souligner que l'association de parties prenantes est de nature à éclairer utilement les discussions sur la pertinence et la faisabilité des mesures restrictives envisagées en matière de libre circulation au sein du marché unique.
Ce groupe consultatif est en effet associé à la définition des mesures destinées à prévenir les effets d'une menace de perturbation ou d'une crise affectant le marché unique, ou encore à y faire face, tout en assurant une coordination adaptée. Ce groupe assiste et conseille la Commission en vue de la définition des modalités de coopération administrative entre celle-ci et les États membres, dans le cadre des modes alerte et urgence du marché unique. Il contribue en outre à l'évaluation de l'ampleur de la menace ou de la crise, et de la nécessité d'activer le mode alerte ou urgence pour le marché unique.
Il nous paraît indispensable que les modalités de fonctionnement et de décision du groupe consultatif soient précisément définies dans le règlement. En cas de menace de perturbation sérieuse de la fourniture de biens ou services d'importance stratégique, c'est en effet après avoir recueilli l'avis de ce groupe que la Commission européenne peut activer, par un acte d'exécution, le mode alerte. La durée maximale de ce mode est fixée à six mois, prorogeable pour une durée équivalente par un nouvel acte d'exécution, également pris après avis de ce groupe consultatif.
L'acte d'exécution que prendrait alors la Commission liste les produits et services d'importance stratégique concernés et définit les mesures d'alerte que les autorités nationales doivent prendre : suivi des chaînes d'approvisionnement en biens et services d'importance stratégique concernées, recensement des opérateurs économiques les plus pertinents établis sur le territoire national, identification des biens pour lesquels il est nécessaire de constituer des réserves stratégiques et informations sur les stocks constitués dans les États membres.
En cas de crise perturbant gravement la libre circulation ou les chaînes d'approvisionnement indispensables aux activités sociales et économiques, la Commission peut proposer au Conseil de prendre un acte d'exécution pour activer le mode urgence. C'est aussi au Conseil que revient la possibilité d'étendre ou de désactiver ce mode urgence, sur proposition de la Commission.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - En cas d'activation du mode urgence, les États membres doivent respecter un ensemble de principes pour faciliter, voire rétablir, la libre circulation des biens et services nécessaires en cas de crise. Sauf mesure justifiée de dernier recours, des actes d'exécution pris par la Commission encadreront les mesures que peuvent utiliser les États membres pour faire face à une crise, par exemple en cas de restriction à l'exportation de produits et services, de nature à perturber les chaînes d'approvisionnement.
Sont également prohibées les discriminations entre États membres ou entre citoyens, les restrictions à la libre circulation des personnes participant à la production des biens nécessaires, dès lors qu'elles créent des pénuries de main d'oeuvre, ou encore les atteintes à la libre circulation des personnes vers leur État membre de nationalité ou de résidence. Toute mesure nationale restrictive doit être préalablement notifiée à la Commission, qui en informe les autres États membres - lesquels peuvent formuler des observations -, et examine sous dix jours sa compatibilité avec le droit européen. Si la Commission constate qu'une mesure n'est pas conforme, elle peut enjoindre à l'État membre de la supprimer.
Sans remettre en cause le rôle de coordination confié à la Commission pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur en période de crise, nous tenons à ce qu'il ne prive pas les États membres d'une capacité d'initiative collective, en particulier la possibilité de demander l'activation du mode alerte, sa prolongation ou sa désactivation, ou encore de prendre l'initiative de décider l'activation, la prolongation ou la désactivation du mode urgence.
Enfin, il doit être souligné que l'activation de l'instrument d'urgence est de nature à entraîner des obligations pour les opérateurs économiques, au respect desquelles doivent veiller les États membres : constitution de stocks, transmissions d'informations, etc. En cas de pénurie grave et lorsque le mode urgence a été activé, la Commission peut demander aux opérateurs économiques des chaînes d'approvisionnement de lui transmettre des informations spécifiques sur les capacités de production et les stocks éventuels de biens nécessaires, dans l'UE ou dans des lieux de production de pays tiers qu'ils exploitent. La non-transmission des informations est passible d'amendes.
Toutes ces mesures sont de nature à compliquer la situation des entreprises qui subissent les conséquences d'une crise. Il nous semble donc indispensable de mettre l'accent sur la nécessaire proportionnalité des demandes, afin de ne pas faire peser des charges excessives sur ces opérateurs, en particulier les PME. L'attention doit également être attirée sur la nécessaire protection des secrets d'affaires.
Une priorisation des commandes peut en outre être imposée, sous peine d'amende. Eu égard aux conséquences potentielles d'une telle mesure, il nous semble que toute décision en la matière devrait être encadrée par des critères précis, prenant en compte les contrats déjà conclus par les entreprises, en particulier avec des pays tiers.
Il est par ailleurs prévu que des assouplissements peuvent être temporairement apportés aux règles harmonisées applicables aux produits nécessaires à la gestion de crise. Il convient de rappeler que toute dérogation en la matière doit être justifiée et que la souplesse autorisée ne peut en aucun cas réduire le niveau de protection de la santé et de l'environnement.
Enfin, le dispositif d'évaluation prévu nous paraît devoir être complété. Une évaluation a posteriori de l'efficacité et de la pertinence de l'instrument nous semble en effet indispensable lorsque le mode alerte ou le mode urgence a été activé.
M. André Reichardt. - L'instrument du marché unique pour les situations d'urgence est intéressant, notamment sur le plan transfrontalier - c'est l'Alsacien qui parle. Du jour au lendemain, à la suite de la fermeture des frontières à cause du covid-19, nous avons en effet connu de nombreuses difficultés.
Il ne faut pas priver les États membres de leur possibilité d'intervenir dans cette activation du mode alerte, et ne pas donner à la Commission une telle compétence exclusive : cette gouvernance doit être largement partagée.
Comme le préconisent les rapporteurs, nous ne devons pas nous limiter à un bilan de la procédure élaboré par la Commission tous les cinq ans. Il importe d'être réactif : une évaluation a posteriori doit avoir lieu après chaque usage de la procédure.
J'ai néanmoins une interrogation sur la composition du groupe consultatif : l'alinéa 34 de la proposition de résolution indique que « la gouvernance de l'instrument d'urgence serait confiée à la Commission européenne, conseillée par un groupe consultatif réunissant, sous sa présidence, des représentants des États membres ». Les conditions de composition de ce groupe doivent être précisées : de quels États membres est-il question, et comment les représentants sont-ils choisis ? Nous ne voyons pas très bien l'intérêt de ce melting pot : il suffirait que chaque intéressé fasse état de sa position, de façon écrite par exemple. Je ne vois pas ce qu'apporte ce groupe consultatif, et je crains que cette concertation n'aboutisse à une usine à gaz.
M. Jacques Fernique. - Comme son texte nous a été transmis avant-hier en fin d'après-midi, nous avons eu un temps restreint pour analyser cette proposition de résolution européenne (PPRE). Si les États membres accueillent favorablement l'instrument proposé par la Commission, la Belgique émet des réticences sur la protection du droit de grève, qui apparaît à l'alinéa 16 de la proposition de résolution. Le texte de la Commission européenne semble laisser planer un doute sur cette protection du droit d'action collective. Il s'agit de préciser cet élément pour protéger les droits syndicaux, en particulier le droit de grève. La Commission pense répondre aux inquiétudes des syndicats en incluant une référence à l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux, mais cette référence ne figure que parmi les considérants non contraignants de la proposition de règlement. Les articles juridiquement contraignants du texte devraient préciser que cet instrument n'interfère pas avec le droit de grève. Ce point est d'autant plus important que la Commission voudrait, par cet instrument, abroger le règlement « fraises » de 1998, qui contient une clause protégeant explicitement le droit de grève. Dans cette PPRE, nous devrions demander qu'à cette abrogation, corresponde une substitution robuste.
Effectivement, la gouvernance de cet instrument revient essentiellement à la Commission. Le groupe écologiste pense qu'il faut garantir une part de contrôle parlementaire : le groupe consultatif pourrait intégrer des membres du Parlement européen, et la Commission devrait, par souci de transparence, rendre périodiquement des comptes à ce Parlement. Ce point pourrait être ajouté à l'alinéa 36 de la proposition de résolution, pour réduire « l'effet 49.3 » évoqué par le président de notre commission.
Enfin, l'alinéa 49 de la PPRE est très important ; il porte sur les droits à la protection de la santé et de l'environnement, qui ne doivent pas être rabotés, notamment en temps de crise, lorsque nos concitoyens ont besoin de davantage de protection. Un lien pourrait être établi avec la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ou avec le Green Deal : le meilleur moyen de favoriser la résilience est la transition vers une économie circulaire.
M. François Calvet. - Je rejoins André Reichardt sur la question du transfrontalier : du jour au lendemain, en raison de la pandémie, les frontières ont été fermées entre la France et l'Espagne, alors que Schengen nous avait habitués à les passer librement...
Ne faudrait-il pas faire un bilan de la situation en termes de passages à cette frontière ? De nouveau, les contrôles des douanes et de la police ont été rétablis. Le poste-frontière du Perthus a été en fait reconstitué au Boulou, à quelques kilomètres. Il n'y a plus que trois passages routiers dans les Pyrénées-Orientales, car un certain nombre d'autres ont été fermés, comme le col de Banyuls. On nous expliquait avoir suspendu Schengen en raison du covid, maintenant on invoque l'immigration... Mais tout de même, soit l'on est en Europe, soit l'on n'y est plus. Pourquoi ne pas mener l'enquête sur ces points de passage, parfois fermés alors qu'ils étaient ouverts même du temps de Franco ? Je me demande si la liberté est revenue ou non...
M. Pierre Cuypers. - Je m'interroge sur l'alinéa 20 de la proposition de résolution qui prévoit que le Sénat « souligne que les mesures prises en cas de crise doivent respecter les libertés et droits fondamentaux, et être proportionnées à la gravité de la situation ». Mais quels sont les degrés d'appréciation ? Qui décide, qui tranche, sur quels critères ? L'espace n'est-il pas trop ouvert à des appréciations ne correspondant pas forcément à nos intérêts ?
M. Didier Marie, rapporteur. - Monsieur Cuypers, à l'alinéa 20 de notre texte, nous rappelons à la Commission que les mesures doivent toujours être proportionnées à la gravité de la situation. In fine, c'est la Commission qui peut déclencher les différents modes, après avoir recueilli l'avis du groupe consultatif, pour le mode alerte, et l'approbation du Conseil pour le mode urgence.
Monsieur Fernique, je ne vous cache pas que la question du règlement « fraises », des « clauses Monti » et de la préservation du droit de grève a fait débat parmi les rapporteurs. Nous avons trouvé une formulation qui nous convient à tous, qui répond aux questions que nous avons posées à la Commission, en sachant que ses différentes directions ne nous ont pas exactement donné les mêmes réponses... Effectivement, la Charte des droits fondamentaux garantit le droit de grève, et nos différents interlocuteurs ont confirmé qu'en aucun cas, l'exercice de ce droit ne pourra être considéré comme un élément de crise. Si une grève européenne des transports bloquait le marché intérieur, cela ne relèverait pas de l'instrument d'urgence pour le marché intérieur.
Mme Christine Lavarde, rapporteur. - Monsieur Cuypers, votre remarque est liée à notre préocupation à l'égard de ce qui nous semble être des concepts mous. Aujourd'hui, nous n'avons pas de définition précise d'une crise « grave », ou d'outils pour mesurer la gravité des crises. Nous restons un peu dans le monde des idées... Nous avons cru comprendre qu'une fois la proposition de règlement adoptée, ces notions seraient précisées. Il est un peu gênant de demander aux législateurs de donner un tel blanc-seing pour que les eurocrates puissent ainsi en définir le contenu... Nous vous proposons donc d'insister sur le nécessaire renforcement des définitions et l'introduction de critères de mesure de la gravité des effets.
Par ailleurs, je vous confirme, Monsieur Reichardt, que le groupe consultatif comportera des représentants de tous les États membres. Ce que nous proposons, c'est d'en définir les règles de majorité.
M. Didier Marie, rapporteur. - Ces représentants seront nommés par les États membres. En France, ce sera vraisemblablement le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) qui sera chargé de cette désignation.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - Nous voulons clarifier les critères, mais aussi veiller à ne pas monter une usine à gaz. Ce groupe consultatif doit être simple et agile, particulièrement dans des contextes complexes. Par ailleurs, une représentation du Parlement européen, sans droit de vote, est prévue dans ce groupe consultatif.
M. Didier Marie, rapporteur. - Ce règlement utile et intéressant tire les conséquences des crises antérieures et devrait nous éviter d'être aussi démunis que nous l'étions lorsque le covid est arrivé ou lors du déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais il reste des imprécisions, un peu de technocratie dans tout cela, et il faut pousser la Commission à préciser certains aspects : tel est l'objet de notre proposition de résolution.
M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Calvet, concernant la situation transfrontalière franco-espagnole, nous avions pu l'évoquer avec notre ambassadeur en Espagne lors de notre mission à Madrid en fin d'année dernière, mais il faut rester attentifs à cette situation. Je relève que de nombreux articles du traité de Barcelone signé entre la France et l'Espagne en janvier 2023 traitent des questions transfrontalières. La création d'un comité de coopération transfrontalière, notamment pour la sécurité routière ou l'immigration, est prévue. Les deux États se donnent, avec ce traité, de nouveaux moyens pour gérer ensemble leurs frontières. Les accords de Schengen prévoient de fait des possibilités de rétablissement des contrôles aux frontières, qu'il faut regarder de plus près compte tenu de la réalité de terrain.
M. Daniel Gremillet. - En soi, l'idée d'un instrument européen pour les situations d'urgence dans le marché intérieur est très bonne, mais sera-t-il en mesure de permettre aux stratégies nationales de s'articuler à l'échelle communautaire ? Chaque État a ses propres règles de gestion des stocks. Dans le domaine privé, l'articulation sera plus difficile encore, que ce soit d'une entreprise à l'autre ou d'un pays à l'autre.
M. Didier Marie, rapporteur. - En cas d'alerte ou d'urgence, la Commission pourra demander aux États membres de s'organiser pour constituer des stocks. Puis, les États détermineront quelle entreprise mobiliser.
Nous sommes bien sûr conscients des problèmes que ces dispositions peuvent poser pour certaines entreprises. L'obligation de constituer des stocks peut perturber les relations commerciales internationales. Le secret des affaires doit également être pris en considération. Ce sera aux États membres de choisir le bon moment et de déterminer les entreprises auxquelles demander de constituer de tels stocks.
La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
La réunion est close à 14 h 45.
Jeudi 30 mars 2023
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Questions diverses
M. Jean-François Rapin, président. - Je salue la présence parmi nous des auditeurs de la nouvelle promotion de l'Institut du Sénat.
Je me permets une digression pour apporter un soutien total et entier aux pêcheurs français, face au plan annoncé par la Commission européenne pour « verdir » le secteur de la pêche, notamment en interdisant d'ici 2030 le chalutage dans les aires marines protégées, ce qui menace sérieusement la survie de la filière. Soyons très attentifs à éviter des décisions qui ne vont manifestement pas dans le bon sens. La pêche française est en danger.
Élu du Pas-de-Calais, je connais bien le sujet : Boulogne-sur-Mer, c'est 5 000 emplois liés à la pêche, souvent à la pêche artisanale, notamment au port d'Étaples. Un symbole très fort m'inquiète grandement : le maire d'Étaples vient de baisser le drapeau européen au fronton de la mairie. Nous qui sommes profondément européens, nous ne pouvons que nous inquiéter qu'un maire, désespéré, en vienne à ce geste par solidarité avec la moitié de sa population qui vit de la pêche.
Nous sommes déjà intervenus auprès du ministre et une question d'actualité au Gouvernement a été posée hier ici-même, au Sénat. La réponse est aussi désespérée à ce stade : la France se bat, mais elle n'est pas entendue.
Je suis combatif sur le sujet ; quelle action devons-nous mener ? Nous avons entendu non seulement le ministre, mais aussi, une seule fois en deux ans, le commissaire européen.
M. André Gattolin. - Notre groupe de suivi de la nouvelle relation euro-britannique doit s'intéresser à la nature des accords trouvés sur l'Irlande. Au motif que la pêche ne concerne que quelques pays côtiers, ce secteur a été la victime collatérale de l'arrangement trouvé - difficile à obtenir - sur l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. L'Union européenne a cherché à négocier un paquet où les profits étaient maximisés, mais aussi les pertes pour certains pays. La problématique du secteur de la pêche est globale, alors que l'Union européenne a tendance à tout régler en silo.
M. Jean-François Rapin, président. - Je ne pensais pas que mon propos allait provoquer un débat...
M. Jacques Fernique. - L'issue ne peut être trouvée sans tenir compte de la surmortalité des dauphins, à laquelle les pratiques de pêche ne sont pas totalement étrangères. Les dispositifs d'effarouchement ne fonctionnent pas, on ne peut régler ce problème à l'emporte-pièce.
M. Jean-François Rapin, président. - Je ne propose pas une solution à l'emporte-pièce, mais j'exprime ma colère par rapport à une situation qui s'envenime depuis trop longtemps. On dénonce la surpêche, mais à Boulogne-sur-Mer, on débarquait 80 000 tonnes de poissons il y a vingt ans, contre 30 000 tonnes actuellement, essentiellement issues de la pêche locale. Un emploi sur mer induit quatre emplois à terre et fait vivre des familles entières. Évitons de tuer ce système, au moment où l'on parle justement de souveraineté alimentaire. Certes, il faut préserver la biodiversité et certains espaces. Mais agissons avec mesure.
J'ai participé à la création d'un parc marin où la pêche est interdite pour protéger les fonds, et notamment une zone de reproduction de poissons. Qui souhaiterait détruire son outil de travail ? Évidemment pas les pêcheurs, pas plus que les agriculteurs. Il faut faire attention, lorsque la coupe est pleine.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Les marins pêcheurs nous interpellent, avec désespoir. Nous avons suivi le dossier de la politique européenne de la pêche précisément avec le ministre Clément Beaune. Il est important que la commission des affaires européennes se saisisse du sujet, par exemple en organisant une table ronde ou en rédigeant un communiqué de presse.
M. Jean-François Rapin, président. - C'est une très bonne idée. Nous nous saisirons également d'une proposition de résolution européenne que notre collègue Michel Canévet a l'intention de déposer début mai. Lui aussi avait posé une question d'actualité au Gouvernement.
M. Pierre Ouzoulias. - Nous nous associons totalement aux propos du président Rapin - même si, sénateur des Hauts-de-Seine, je ne suis pas aussi directement concerné par ce sujet... Il faut envoyer un message fort à l'Union européenne : la réalité sociale d'un pays est essentielle. L'Europe ne peut se construire en niant cette réalité. Sinon, d'autres communes, voire des pays, vont baisser pavillon. Il faut tenir compte de la montée des populismes. Cette Europe doit être plus sociale et mesurer les conséquences sociales de ses décisions.
M. Jean-François Rapin, président. - Je publierai un tweet à titre personnel, n'hésitez pas à le faire circuler si vous le souhaitez.
Recherche et propriété intellectuelle - Intelligence artificielle - Examen du rapport d'information, de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique
M. Jean-François Rapin, président. - Nous examinons ce matin une proposition de résolution européenne sur un projet de législation européenne destiné à encadrer l'intelligence artificielle (IA). Il s'agit d'un pan d'innovation numérique gigantesque, que l'Union européenne ne régule pas encore. Les récentes avancées en la matière font couler beaucoup d'encre, je pense bien sûr à l'outil de conversation automatisé ChatGPT dont les performances sont impressionnantes et représentent un défi, d'abord en matière d'emploi - puisque Goldman Sachs estime que l'IA menacerait 300 millions d'emplois dans le monde, tout en pouvant aussi contribuer à terme à augmenter le PIB mondial annuel de 7 % - mais aussi en matière d'enseignement... On peut aussi évoquer les technologies permettant de générer des images par l'intelligence artificielle, qui constituent une menace pour l'information. Bref, l'IA nous conduit-elle à notre perte ?
Hier était publiée une lettre ouverte qui a eu un retentissement médiatique mondial : le patron de Tesla et Twitter, le cofondateur d'Apple et plus d'un millier d'universitaires et de spécialistes de l'IA alertent sur les graves risques pour la société et l'humanité que représentent les systèmes d'IA dotés d'une intelligence capables de concurrencer celle de l'homme. Ils appellent à suspendre pour au moins six mois le développement de systèmes d'IA plus puissants que la dernière version du robot conversationnel d'OpenAI. Faut-il donc faire une pause sur les expériences géantes d'intelligence artificielle ?
Faut-il en accélérer la régulation, comme le propose l'Union européenne au travers du texte que nous examinons aujourd'hui, encadrer ces technologies émergentes pour accompagner le développement de celles dont les effets seront positifs et dont les risques seront gérables, dans un sens conforme à nos valeurs ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - La proposition de législation européenne sur l'intelligence artificielle que nous examinons aujourd'hui constitue la troisième grande réglementation numérique horizontale que l'Union européenne entend mettre en place, après le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA).
Ce règlement est le fruit de travaux initiés dès 2018 par la Commission européenne ; il s'inscrit dans la continuité de la stratégie européenne d'IA et s'appuie sur les conclusions du Livre blanc sur l'intelligence artificielle de 2020, qui fixait le double objectif pour l'Union de promouvoir le développement de l'IA en Europe, tout en tenant compte des risques qui peuvent y être associés.
Alors même que l'intelligence artificielle représente des gisements de croissance importants, l'Europe souffre d'un déficit d'investissement considérable dans ce domaine. Pour ne prendre qu'un exemple, les petites et moyennes entreprises d'IA sont deux fois et demie plus nombreuses aux États-Unis que dans l'Union européenne.
En parallèle, force est de constater que, mal utilisée, l'IA est susceptible de causer de graves atteintes aux droits fondamentaux, qu'il s'agisse du respect de la vie privée, de l'accès à la justice ou encore du respect du principe de non-discrimination. Entendons-nous bien : l'IA n'est en elle-même ni une opportunité ni un danger. En réalité, comme toutes les technologies, sa valeur dépend de l'usage qui en est fait. Jusqu'à présent, l'absence de toute réglementation générale sur l'IA à l'échelon européen constituait donc, sans aucun doute, un risque pour les droits fondamentaux.
La Commission européenne entend remédier à cette situation en faisant de l'Europe « le pôle mondial d'une intelligence artificielle digne de confiance ». En pratique, le nouveau règlement sur l'IA vise à mieux protéger les citoyens, en appelant au développement d'une IA au service de l'humain, fiable, éthique et conforme aux valeurs européennes, mais aussi à stimuler les investissements et l'innovation dans l'IA, en accroissant la confiance dans l'IA des utilisateurs et la sécurité du cadre juridique applicable.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - La proposition de règlement sur l'IA repose sur une approche fondée sur le risque, en distinguant trois catégories de systèmes d'IA : ceux qui génèrent un risque inacceptable et sont à ce titre interdits ; ceux qui génèrent un haut risque pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux des personnes physiques et dont l'utilisation est fortement encadrée ; ceux qui présentent un risque faible et sont donc uniquement soumis à des obligations de transparence renforcée.
Je ne m'attarderai pas sur les pratiques d'IA interdites par le règlement ; il va de soi que les systèmes qui influencent de manière subliminale les comportements, qui exploitent les vulnérabilités dues à l'âge ou au handicap ou encore les systèmes de notation sociale sont parfaitement contraires aux valeurs de l'Union européenne et posent des risques majeurs du point de vue de la protection des droits fondamentaux.
L'enjeu de la proposition législative européenne en matière d'IA se situe davantage au niveau des systèmes d'IA à haut risque, qui font l'objet de l'essentiel du règlement.
Le texte de la Commission répond à deux questions cruciales : sur quels critères faut-il considérer qu'un système d'IA est à « haut risque » ? Et quelles garanties spécifiques poser à la mise sur le marché et l'utilisation de ces systèmes, afin de protéger les droits fondamentaux ?
S'agissant du premier point, la classification retenue dans le règlement repose sur la finalité et les modalités d'utilisation des systèmes d'IA, et non sur leur mode de fonctionnement et leurs fonctionnalités in abstracto. En pratique, pourront être classés parmi les systèmes à haut risque les systèmes appartenant à un nombre limitatif de domaines : l'identification biométrique, les infrastructures critiques, l'éducation et la formation professionnelle, l'emploi, l'accès aux services publics et aux services privés essentiels, la migration, l'asile et le contrôle aux frontières, enfin la justice et les processus démocratiques.
S'agissant du second point, à savoir le cadre juridique applicable, le projet de règlement prévoit que les fournisseurs soient soumis à d'importantes obligations ex ante, avec notamment la mise en place d'un système d'identification, d'évaluation et de gestion des risques, mais aussi des exigences en matière de qualité des jeux de données utilisées pour l'entraînement des systèmes.
Par ailleurs, les fournisseurs seront tenus de faire évaluer la conformité de leurs systèmes au règlement IA avant leur mise sur le marché, mais également de mettre en oeuvre des systèmes de surveillance après commercialisation, et tout au long de la vie du système, afin notamment de pouvoir alerter les autorités compétentes en cas d'incidents ou de dysfonctionnements graves.
La mise en oeuvre de ces différentes obligations doit se faire sous le contrôle d'une autorité nationale désignée par chaque État membre, habilitée, si elle considère qu'un système d'IA présente un risque, à procéder à toutes les vérifications utiles, à enjoindre au fournisseur de prendre des mesures correctives appropriées et, dans certains cas, à retirer le système du marché.
Enfin, la proposition de règlement prévoit la création d'un Comité européen de l'intelligence artificielle, composé de représentants des autorités de contrôle nationales et du Contrôleur européen de la protection des données, et présidé par la Commission. Ce Comité a vocation à assister les autorités de contrôle et la Commission dans la mise en oeuvre du règlement, afin d'en assurer une application cohérente.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je vais vous présenter la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons, fruit de nombreuses auditions.
Nous ne pouvons tout d'abord que saluer l'initiative de la Commission de réguler le secteur de l'IA, puisque les technologies d'intelligence artificielle sont actuellement déployées en dehors de tout cadre juridique clair.
Cela étant dit, le texte de la Commission demeure perfectible ; nos travaux ont permis d'identifier un certain nombre de points de vigilance et de pistes d'amélioration.
Il nous semble, en premier lieu, que les applications directement visées par le règlement devraient être mieux définies, afin de garantir une plus grande sécurité juridique.
Nous demandons ainsi que les fournisseurs de systèmes d'IA à usage générique, jusqu'à présent exclus du champ d'application du règlement, soient également soumis à des obligations spécifiques. Alors que la presse se fait très régulièrement l'écho des prouesses de systèmes d'IA tels que ChatGPT, il est indispensable de réglementer les systèmes d'IA capables d'accomplir une très grande variété de tâches, comme créer des contenus généraux, images et textes, à partir de grandes quantités de données existantes.
Nous appelons également à la prise en compte, dans la définition des systèmes d'IA à haut risque, des risques systémiques, c'est-à-dire concernant les individus dans leur ensemble. La liste des systèmes d'IA à haut risque pourrait de la sorte être étendue aux applications susceptibles de causer des préjudices environnementaux ou aux algorithmes de recommandation de contenus qui promeuvent des contenus clivants ou de désinformation - en somme, tous les réseaux sociaux.
Nous avons également relevé un certain nombre de lacunes préjudiciables dans la liste des systèmes d'IA à haut risque et demandons que cette dernière soit étendue aux systèmes susceptibles d'influencer ou d'avoir des incidences négatives sur les droits des personnes vulnérables - notamment les enfants -, mais également sur leur santé, de même que les systèmes destinés à établir des priorités dans l'envoi des services de police, eu égard au caractère potentiellement très discriminant de telles applications.
De toute évidence, cette liste sera amenée à être complétée, au gré des évolutions de technologies et d'usages, afin de ne pas laisser d'angle mort susceptible d'affecter les droits fondamentaux. Il importe cependant que ces modifications soient soumises à un examen attentif de scientifiques et de praticiens de l'IA, afin d'être fondées sur des éléments objectifs et documentés.
Dans un souci de transparence, il nous semble également opportun de prévoir la création d'un registre public des organismes ou autorités publics utilisant les systèmes d'IA à haut risque, sauf évidemment dans les cas où une telle transparence se révélerait préjudiciable à l'action des autorités répressives.
J'en viens à présent aux systèmes d'IA interdits par le règlement. Nous sommes convaincus qu'il faut résister à la tentation d'une utilisation excessive de l'IA, en dépit de ses performances, dans les cas où cette dernière contrevient à des principes fondamentaux de l'Union européenne.
Nous estimons, par conséquent, que les pratiques interdites au secteur public devraient l'être aussi pour le secteur privé, puisque le potentiel d'atteinte aux droits fondamentaux ne dépend pas du fournisseur ou de l'utilisateur du système, mais de la finalité de ce dernier. Nous appelons également à l'interdiction générale des systèmes de notation sociale et de reconnaissance des émotions, mais aussi des systèmes ayant pour objet la catégorisation des personnes dans l'espace public et de tous les systèmes visant à classer les individus à partir de données biométriques dans des groupes relevant de catégories correspondant à des données sensibles. Nous sommes également favorables à une interdiction des systèmes d'identification biométrique à distance dans l'espace public, sauf dans certains cas bien précis.
En parallèle, nos travaux ont montré que le cadre juridique posé par le règlement soulevait un certain nombre de difficultés opérationnelles s'agissant de l'usage de l'IA par les autorités régaliennes et les forces de sécurité.
Nous souhaitons donc, d'une part, que les champs de la défense et de la sécurité nationale soient explicitement exclus de la législation sur l'IA et d'autre part, que des aménagements soient trouvés en ce qui concerne l'utilisation de l'IA par les autorités répressives. Il ne s'agit pas de lever les obligations posées par le règlement, mais de les adapter, sous réserve des garanties appropriées. Je pense notamment aux règles applicables en matière de transparence, ou à l'exigence d'un double contrôle humain pour pouvoir exploiter les données issues de systèmes d'identification biométrique des personnes physiques dans l'espace public.
S'agissant de l'usage de l'IA dans l'espace public, nous estimons que, dans un contexte marqué par le développement du métavers, la notion d'espace public virtuel doit absolument être intégrée, afin qu'y soient appliquées les mêmes restrictions que dans l'espace public physique.
Enfin, il nous paraît primordial que les personnes affectées par l'IA sans en être utilisatrices soient davantage prises en compte. Nous souhaitons que ces personnes disposent a minima d'une information intelligible sur leur exposition potentielle à des systèmes d'IA et qu'elles soient en mesure de signaler les éventuels usages abusifs ou performances défaillantes des systèmes d'IA aux régulateurs, aux fournisseurs ou aux utilisateurs.
M. André Gattolin, rapporteur. - Nos travaux ont également mis en exergue la nécessité de préciser les obligations pesant sur les fournisseurs.
Il nous semble tout d'abord essentiel de renforcer les exigences en matière de documentation sur les données exploitées par les systèmes d'IA, notamment les conditions de collecte et les éventuelles lacunes identifiées. Nous demandons également que les fournisseurs soient tenus de vérifier que ces données ont été acquises de manière licite et conforme à la réglementation européenne en matière de protection des données. J'insiste sur ce point. Lorsqu'on parle de qualité des jeux de données, on pense à une qualité intrinsèque ; or rien ne ressemble plus à une donnée acquise de manière licite et avec consentement qu'une donnée volée. Nos services de renseignement nous font régulièrement part de vols de données publiques ou parapubliques par une grande puissance internationale qui développe du machine learning, ce qui nécessite une importante masse de données. Le règlement ne précise pas ce point.
Plus généralement, l'articulation du règlement IA avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) doit être explicitée. Nous invitons donc le Comité européen de la protection des données à élaborer des lignes directrices, afin de préciser le degré de souplesse avec laquelle le RGPD peut être interprété, dans le but de ne pas entraver le développement de l'IA en Europe. En parallèle, pour ne pas amoindrir le haut degré de protection dont jouissent les citoyens européens en ce qui concerne la protection de leurs données à caractère personnel, nous souhaitons qu'il soit clairement énoncé dans le règlement IA que celui-ci s'applique sans préjudice du RGPD, et que la conformité d'un système au règlement IA n'implique pas de facto sa conformité au RGPD.
Nous avons, mes chers collègues, assez longuement détaillé les garde-fous posés par le texte afin de protéger les droits fondamentaux des citoyens. Je souhaite aborder à présent les mesures de soutien à l'innovation puisque, comme nous l'avons indiqué en introduction, le règlement IA poursuit un double objectif : non seulement mieux protéger les citoyens, mais également renforcer la compétitivité européenne en matière d'IA.
Dans cette perspective, la proposition de règlement encourage les autorités nationales à mettre en place des bacs à sable réglementaires, qui offriraient « un environnement contrôlé pour mettre à l'essai des technologies novatrices sur une durée limitée », soit un cadre pour expérimenter. Nous estimons non seulement que le développement de ces bacs à sable réglementaires doit être encouragé, mais en plus que le caractère dérogatoire de ces facilités mériterait d'être renforcé.
Nous demandons par ailleurs que les modalités et conditions de fonctionnement des bacs à sable réglementaires, qui seront déterminées par la Commission par la voie d'actes d'exécution, soient soumises pour avis au Comité européen de l'intelligence artificielle. Nous souhaitons, en tout état de cause, que le fonctionnement de ces bacs à sable réglementaires soit aussi homogène que possible à travers les États membres, afin de garantir une concurrence équitable. Enfin, nous soutenons l'accès préférentiel aux bacs à sable réglementaires pour les petits acteurs et les start-up, souvent à la pointe de l'innovation.
Il importe que les États soient en mesure de veiller à la mise en oeuvre effective des différentes obligations énoncées, sans quoi le règlement restera lettre morte. À cet égard, nous regrettons que les moyens techniques et humains alloués aux autorités de contrôle nationales au sein de l'Union demeurent très hétérogènes, dans la mesure où cette situation pourrait faire obstacle à une application uniforme, donc efficace, du règlement sur l'IA.
À l'échelle nationale, nous recommandons la désignation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) comme autorité compétente pour la surveillance de l'application du règlement, compte tenu de l'expertise acquise par cette autorité dans la régulation des systèmes d'IA impliquant des données à caractère personnel. Une telle désignation offrirait un cadre cohérent aux professionnels du numérique, en identifiant un interlocuteur unique et en permettant une régulation sectorielle fluide avec les différents acteurs impliqués.
À l'échelle européenne, le Comité européen de l'intelligence artificielle sera la cheville ouvrière de l'application du règlement IA ; or cette instance ne pourra remplir ses fonctions d'assistance aux États membres et de conseil à la Commission que si elle parvient à asseoir sa légitimité dans le secteur de l'IA.
Dans cette optique, nous demandons que la composition du Comité soit revue, afin d'intégrer des scientifiques et des praticiens de l'IA qui seraient en mesure, par leur assistance, de pallier les capacités et compétences insuffisantes de certains États membres en matière d'IA, de façon à garantir une mise en oeuvre effective et uniforme du règlement.
Nous appelons également à un accroissement des compétences consultatives du Comité et à un renforcement de son rôle prospectif. Nous souhaitons notamment que le Comité se voie explicitement accorder la possibilité de s'autosaisir de toute question pertinente en lien avec l'application du règlement sur l'IA, afin de formuler des recommandations ou des avis sans saisine préalable de la Commission. La reconnaissance d'un tel droit d'initiative constituerait un gage fort d'autonomie pour le Comité sur l'IA.
Nous partageons les objectifs de cette proposition de législation. Cependant, cette approche réglementaire de l'IA est nécessaire, mais pas suffisante, et doit être complétée par un soutien affirmé à l'investissement, à la formation et à l'élaboration des normes internationales dans le domaine de l'IA.
M. Jean-François Rapin, président. - Les géants du numérique et les centaines d'universitaires ayant demandé un moratoire ont-ils raison ?
M. André Gattolin, rapporteur. - Je ne suis jamais opposé aux moratoires, mais il faut s'interroger : alors que nous vivons une période de transformation rapide, quels sont ces acteurs qui demandent un moratoire ? Google n'est pas l'acteur d'internet le plus respectueux des régulations européennes. Il réalise plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec son moteur de recherche. Or, il est menacé par l'émergence de ChatGPT et son utilisation sur Bing, le moteur de recherche de Microsoft : Google veut donc six mois supplémentaires pour riposter contre son concurrent.
M. Jean-François Rapin, président. - Que penser alors de la mobilisation des nombreux universitaires ?
M. André Gattolin, rapporteur. - L'IA est un concurrent redoutable pour les universitaires et les politiques. Le secteur universitaire se trouve déjà confronté à une abondance de publications, nécessaires pour avoir un bon ranking, notamment dans le classement de Shanghai. Or les comités de lecture et de validation sont de plus en plus tenus de publier rapidement les articles, pour une bonne rentabilité économique des revues. Mais cela ne va pas pouvoir se réguler au niveau européen, d'autant que la Chine a pris le dessus sur l'IA.
M. Jean-François Rapin, président. - En bref, certains veulent un moratoire pour gagner plus ou perdre moins...
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'Union européenne s'est enfin saisie du sujet avec ces trois textes. La régulation est devenue nécessaire et sa mise au point peut impliquer une pause pour examiner davantage le sujet... Cette lettre ouverte témoigne de l'inquiétude généralisée sur la puissance transformatrice des nouvelles technologies. Prenons-la comme une alerte, un appel à la vigilance. Travaillons pour avoir des réglementations qui seront capables de s'adapter. En effet, lorsqu'une directive est votée, combien d'années faut-il attendre pour la rouvrir et la modifier ?
Nous avons essayé d'être sur une ligne de crête entre le développement de potentialités et la prévention des risques de l'IA. Les autorités doivent faire preuve d'une vigilance permanente.
M. André Reichardt. - Je me félicite du projet de règlement et de la proposition de résolution européenne dont je rejoins les différentes recommandations.
Je ferai deux observations.
Première observation, la protection des citoyens. J'ai été rapporteur pour la commission des lois sur le projet de loi de mise en oeuvre du règlement « lutte contre le terrorisme en ligne » l'été dernier, et corapporteur dans notre commission sur la proposition de réglementation pour lutter contre la pédopornographie en ligne. Désormais, nous débattons d'une proposition de résolution européenne sur l'intelligence artificielle. Il s'agit du même combat, auquel il faut les mêmes solutions : une meilleure régulation et une meilleure harmonisation des pratiques des autorités des différents États. Il faudra, à un moment, mettre de l'ordre dans tout cela. Il faut davantage contrôler le numérique.
J'ai le sentiment que la Commission européenne n'anticipe pas assez et se contente de suivre le mouvement. Une certaine usine à gaz se crée. Mettons tout à plat pour dégager des lignes de conduite.
Seconde observation, il faut favoriser l'innovation et l'Union européenne ne peut rester en retard. Comment protéger les citoyens face à une technologie éminemment évolutive ? Jusqu'où blinder pour éviter que l'obus ne nous traverse ? Les domaines d'activités cernés par le règlement et envisagés par la proposition de résolution européenne seront très vite dépassés par d'autres domaines auxquels nous n'avons pas pensé. Je crains que nous soyons toujours en retard, faute d'anticiper suffisamment.
Je suis totalement opposé à un moratoire, que les acteurs privés ne respecteront pas. Et la Chine ne nous attendra pas...
M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie les rapporteurs pour leur travail de très grande qualité. Je partage totalement leurs observations.
L'IA est une intelligence de compilation : la machine n'invente rien, elle va rechercher les informations, les classe et fait remonter celles qui sont les plus présentes. La véritable intelligence, c'est celle qui crée et donc qui n'est pas reconnue par l'IA - je doute que le premier article d'Einstein sur la relativité restreinte puisse être remonté par l'algorithme de l'IA.
Les conséquences pour les méthodes d'apprentissage sont gigantesques. Ancien professeur à l'université, je proposais à mes étudiants de licence deux examens : pour le premier, ils arrivaient en classe avec tout leur cours et je notais uniquement leur argumentation. Pour le second, ils laissaient leur cours à la maison et je notais aussi le contenu. Tous les étudiants préféraient la deuxième solution, plus simple. Avec ChatGPT, la seconde solution n'existera plus, puisque, lors d'un partiel, l'étudiant pourra récupérer ce qu'il a demandé à ChatGPT.
Il faut transformer complètement les méthodes d'apprentissage et les formes d'examen en notant de façon beaucoup plus importante la structuration de l'esprit, l'innovation. C'est un changement radical dans les façons d'enseigner. Il faut aussi développer l'esprit critique.
L'IA, c'est la dictature de la tautologie. La machine répète tout ce que tout le monde dit déjà ; je ne suis pas sûr que cela puisse être un puissant ferment d'innovation. Nous avons besoin d'intelligence naturelle pour sortir des paradigmes de la répétition de l'IA.
Je suis par ailleurs très sensible aux passages de cette PPRE relatifs aux droits des individus. J'estime qu'en la matière, il nous faut revenir à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Nous devons garantir aux citoyens le droit de savoir comment une décision qui s'impose à eux a été traitée par l'intelligence artificielle. Contre qui les citoyens pourront-ils se retourner pour contester une décision ? Est-ce l'algorithme, la personne qui l'a conçu ou celle qui l'a utilisé qui est responsable ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Je comprends que l'Europe se saisisse du sujet, mais il sera sans doute difficile de faire appliquer une réglementation européenne dans un contexte mondialisé.
S'agissant de la lutte contre la cybercriminalité, l'Union parlementaire avait fait le constat que l'organisation des Nations unies devait être partie prenante des décisions qui pourraient être prises. De même, en matière d'intelligence artificielle, si nous voulons viser une efficacité mondiale, il importe que les travaux des différents comités européens soient communiqués aux Nations unies.
M. Jacques Fernique. - La volonté européenne de réguler l'intelligence artificielle est une évolution positive, et les points de vigilance pointés par la PPRE sont utiles. Si mon groupe approuve en grande partie la rédaction proposée, je suis toutefois en désaccord avec les points 62 et 64, qui concernent les migrations et la répression, dont je propose la suppression.
En juin, la Défenseure des droits avait alerté sur la nécessité de respecter le principe de non-discrimination et appelé à ce que des études d'impact sur les droits humains soient menées à intervalles réguliers tout au long du cycle de vie de ces systèmes d'intelligence artificielle. Il convient en particulier de s'assurer que des mécanismes de recours en cas de violation des droits des personnes résultant de l'utilisation de ces systèmes soient établis dans tous les pays.
Les systèmes d'intelligence artificielle utilisés dans le domaine des migrations sont classés « à haut risque », alors que certains, notamment l'identification biométrique à distance, l'usage des drones ou les systèmes d'analyse prédictive des flux de migration, qui pourraient se heurter au droit d'asile, relèvent selon moi du « risque inacceptable ».
Je crains par ailleurs que la rédaction proposée crée un double standard en matière de droits humains. C'est pourquoi je propose de modifier la rédaction du point 28 de manière à préciser qu'il convient de ne pas amoindrir les droits fondamentaux, non seulement des Européens, mais de l'ensemble des personnes.
Concernant le secteur répressif, enfin, le point 62 pourrait ouvrir la porte à des abus.
Mme Valérie Boyer. - Comment rendre des copies innovantes si l'on ne dispose pas d'un minimum de connaissances ? À défaut d'un socle d'apprentissages fondamentaux, n'assisterons-nous pas à un abaissement du niveau des connaissances ?
Dans un contexte mondialisé, les bons sentiments ne suffiront pas à garantir l'application des mesures proposées. Comment s'assurer de leur efficacité ?
M. André Gattolin, rapporteur. - Afin d'assurer une meilleure régulation et de pallier la fixité de toute taxonomie, nous proposons d'élargir le Comité sur l'intelligence artificielle à des scientifiques et à des praticiens dotés d'un droit d'autosaisine. Plus agile et réactif, ce comité pourra prendre en compte les innovations et requalifier les risques sans attendre d'être saisi. Nous observons par exemple que la frontière entre les technologies civiles et militaires évolue rapidement.
En l'absence de règles internationales, nous estimons que l'édiction de règles européennes est une première étape pour commencer à dialoguer avec les pays de l'OCDE, avant d'envisager, dans un second temps, des négociations qui seront nécessairement plus âpres avec des pays comme la Chine et la Russie.
J'en viens aux impacts de l'intelligence artificielle sur les savoirs. De fait, nous n'enseignons pas de la même manière qu'il y a vingt ans, quand les élèves n'étaient pas équipés de micro-ordinateurs. Il est clair que les changements qui vont intervenir ne seront pas sans effet sur le développement cognitif et qu'il faudra sans doute insister sur la propédeutique. Pour autant, j'estime que l'interdiction n'est pas une solution et qu'il faut nous adapter au développement de l'intelligence artificielle.
Mme Elsa Schalck, rapporteure. - J'estime qu'en dépit des nombreuses interrogations que cela suscite - ce qui, compte tenu du champ très vaste que recouvre l'intelligence artificielle, est tout à fait normal -, il est nécessaire d'adopter une réglementation. Celle-ci doit permettre de trouver un équilibre entre le respect des droits fondamentaux et la protection des citoyens, mais elle doit également encourager l'innovation et la formation.
Nous préconisons par ailleurs la désignation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) comme autorité compétente pour la surveillance de l'application du règlement sur l'intelligence artificielle à l'échelon national. Nous estimons en effet que les compétences et l'expertise que la Cnil a acquises au fil des années lui permettront de s'acquitter de cette mission de contrôle, mais aussi de répondre au besoin de cohérence entre les différents acteurs.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - J'estime qu'il faut réaffirmer l'exigence d'un socle de savoirs et d'apprentissages fondamentaux, en dehors de toute technologie. Les recherches menées sur l'impact des nouvelles technologies sur les processus cognitifs sont trop peu nombreuses.
Je regrette, comme André Reichardt, le manque d'harmonisation et parfois de cohérence entre des textes dont les champs sont connexes.
La PPRE précise bien que la régulation doit s'accompagner d'une politique industrielle et d'innovation extrêmement ambitieuse à l'échelon européen. L'ère de la naïveté est terminée. Par l'Inflation Reduction Act, les États-Unis ont investi 348 milliards d'euros dans l'innovation. Il nous faut nous aussi investir massivement, notamment dans l'IA, et construire nos systèmes souverains.
En complément à ce qu'a indiqué André Gattolin sur la composition du comité, j'ajoute que l'Annexe III, qui porte sur les applications à haut risque, précise que ce règlement pourra être modifié par acte délégué afin de l'adapter aux évolutions et innovations.
J'en viens aux propositions de modification de Jacques Fernique.
En ce qui concerne l'alinéa 28, je vous propose, mon cher collègue, de supprimer les mots « des Européens » après les mots « droits fondamentaux », de remplacer le mot « ils » avant le mot « jouissent » par les mots « les Européens ». Une telle rédaction me paraît de nature à affirmer l'ambition d'une protection des droits fondamentaux pour toute personne.
Il en est ainsi décidé.
Pour ce qui concerne l'alinéa 62, je précise que la Cour de justice de l'Union européenne veillera aux « garanties appropriées pour la protection des droits fondamentaux » en cas d'utilisation des systèmes d'IA par les autorités répressives. En tout état de cause, je ne suis pas favorable à la suppression de ce point.
L'alinéa 62 est maintenu.
Enfin, l'alinéa 64 introduit une disposition pragmatique. Il ne s'agit pas de supprimer le contrôle humain, mais le double contrôle qui imposerait un doublement des effectifs et qui, de l'avis des services du ministère de l'intérieur, n'est pas très opérant.
M. Jacques Fernique. - Dans ce cas, il serait préférable d'affirmer que l'on impose un contrôle humain.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je vous propose de remplacer les mots « ne soit pas soumise à l'exigence d'un double contrôle humain, onéreuse et peu opérante du point de vue de la protection des droits fondamentaux » par les mots « soit soumise à un contrôle humain mais non pas double, ce qui serait onéreux et peu opérant du point de vue de la protection des droits fondamentaux ».
Il en est ainsi décidé.
J'ajoute que l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, que nous avons interrogée, nous a indiqué que l'IA avait également des effets positifs sur la gestion des flux migratoires et des demandes d'asile. Je vous renvoie sur ce point à notre rapport.
M. André Gattolin, rapporteur. - Le recours à l'IA permet notamment de réduire les délais de traitement.
La commission autorise la publication du présent rapport d'information et adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible en ligne sur le site internet du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Désignation de rapporteur
M. Jean-François Rapin, président. - Le groupe de travail Subsidiarité de notre commission qui s'est réuni ce matin propose que notre commission examine de plus près la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement relatif aux emballages et aux déchets d'emballages (COM(2022) 677). Je vous propose de confier ce travail à notre collègue Marta de Cidrac, qui suit ce dossier depuis plusieurs années et préside le groupe d'études Économie circulaire.
Il en est ainsi décidé.
Institutions européennes - Suivi d'activité de la commission 2021-2022 - Examen du rapport
M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, comme chaque année, il me paraît important de procéder à un rapide bilan de notre travail au cours de la session parlementaire écoulée. Ce suivi fait partie de la mission de contrôle de notre commission : cette mission vise non seulement à faire connaître les positions du Sénat au Gouvernement, à qui nous avons confié le soin de légiférer à notre place à Bruxelles, mais aussi à vérifier quelles suites ont été réservées aux positions que nous avons exprimées.
En premier lieu, je voudrais vous remercier pour le travail accompli. En 2021-2022, l'activité de notre commission a été importante : nous avons tenu 48 réunions de commission - une de plus que lors de la session précédente - pour un nombre total d'heures de réunions comparable (72 heures et 17 minutes contre 78 heures et 40 minutes en 2020-2021).
La session 2021-2022 a été marquée par l'intensité de notre travail d'influence auprès des institutions européennes. Ce travail est en effet essentiel pour ne pas être pris au dépourvu par les réformes européennes et pour contribuer à ces dernières en faisant valoir les priorités de nos concitoyens.
Ce dialogue politique s'est d'abord traduit par l'audition de trois commissaires européens - le vice-président Maro efèoviè, le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, et le commissaire au marché intérieur et à l'industrie, Thierry Breton.
Il s'est également traduit par plusieurs déplacements de rapporteurs de notre commission à Bruxelles pour échanger directement avec les directions générales de la Commission européenne et les représentations permanentes des autres États membres, par exemple sur le devoir de vigilance des entreprises ou le pacte sur la migration et l'asile.
Ce dialogue a, de plus, été enrichi par l'organisation d'événements exceptionnels liés au volet parlementaire de la présidence française de l'Union européenne (PFUE). Pour rappel, le Sénat a accueilli le collège des commissaires, le 7 janvier 2022, ainsi que plusieurs conférences interparlementaires, à commencer par la « petite COSAC » (Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires), réunion des présidents des commissions des affaires européennes des Parlements de l'Union européenne. Dans le cadre de la Cosac et sur notre initiative, des groupes de travail ont été institués - l'un mené par l'Assemblée nationale, l'autre par le Sénat.
Comme vous le savez, celui que je présidais avait pour thème le renforcement du rôle des Parlements nationaux dans l'Union européenne. Il a abouti à la formulation de conclusions ambitieuses, préconisant en particulier l'instauration d'un « carton vert », droit d'initiative qui nous permettrait de mieux contribuer au processus législatif européen.
Par ailleurs, avec ma collègue Gisèle Jourda, nous avons pu nouer de nombreux contacts lors des travaux de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, dans le cadre de laquelle le président Larcher nous avait mandatés pour représenter le Sénat. Cela nous a particulièrement mobilisés au premier semestre 2022, puisque la Conférence a achevé ses travaux en mai dernier, en présentant 49 propositions. Même si le devenir de ces propositions est aujourd'hui incertain, ces réunions furent l'occasion de multiplier les échanges avec nos homologues des autres parlements de l'Union européenne et de les sensibiliser à nos priorités.
Je souhaite aussi rappeler que notre commission a entendu 33 communications - soit deux fois plus qu'en 2020-2021 - qui ont constitué autant de points d'étape sur d'importants sujets européens en cours de discussion - je pense aux salaires minimaux, à la révision du code frontières Schengen ou à l'accompagnement des pêcheurs français face au Brexit. Elles ont aussi permis de penser l'avenir - à l'exemple des communications sur la réponse européenne au développement de la puissance chinoise ou sur les perspectives d'élargissement de l'Union européenne. Elles ont enfin garanti l'information de notre commission sur l'activité des délégations du Sénat à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et à celle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui ont acquis une importance supplémentaire depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.
L'activité de notre commission doit être ensuite évaluée au regard du contrôle qu'elle exerce sur la politique européenne du Gouvernement et de l'examen systématique qu'elle effectue de l'ensemble des textes européens qui lui sont soumis.
Au cours de la session 2021-2022, notre commission a été saisie de 949 textes européens au titre de l'article 88-4 de la Constitution, soit autant que lors de la session précédente. Elle en a examiné le quart - 261 textes - de plus près, soit en procédure écrite, soit directement lors de ses réunions. Il faut aussi signaler qu'environ la moitié des textes soumis à notre contrôle - 514 exactement - ont fait l'objet d'une procédure d'accord tacite après 72 heures, surtout - pour les deux tiers d'entre eux quasiment, soit 312 textes - en raison de la guerre en Ukraine.
Sur la base des textes européens reçus par notre commission, ce sont, en premier lieu, 17 résolutions européennes - contre 6 lors de la session précédente - qui ont été adressées par le Sénat au Gouvernement, au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Cette augmentation en un an est remarquable, mais correspond en fait à un retour au rythme de croisière habituel de notre commission, qui est d'une quinzaine de résolutions par an, après la rupture de rythme imputable à la pandémie et au renouvellement sénatorial de 2020.
Dans environ 64 % des cas, les positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité. Ce pourcentage est équivalent à celui constaté en 2020-2021, mais cette apparente stabilité est très satisfaisante, car, appliquée à un plus grand nombre de résolutions, cette proportion stable signifie que le nombre de résolutions ayant connu des suites favorables est beaucoup plus important - 11 au lieu de 4 l'année précédente. Ce résultat doit nous pousser à poursuivre nos efforts.
Les résolutions qui ont été le mieux suivies d'effets sont celles qui sont relatives au programme de travail de la Commission européenne pour 2022, à la lutte contre les violences faites aux femmes, au nécessaire soutien à la liberté académique, à la transparence de la publicité politique, à l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie, à l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (Hera), au contrôle des subventions étrangères faussant le marché intérieur, au programme Iris (Infrastructure de résilience et d'interconnexion sécurisée par satellite) pour une connectivité sécurisée, ainsi qu'au cadre européen du numérique. Ce dernier a en réalité fait l'objet de 3 résolutions, relatives à la législation sur les marchés numériques, à celle sur les services numériques et au programme d'action à l'horizon 2030 « La voie à suivre pour la décennie numérique ».
À titre d'exemple, conformément aux préconisations du Sénat, une proposition de directive a été présentée par la Commission européenne, le 8 mars 2022, pour qualifier les violences faites aux femmes en infractions pénales à l'échelon européen et prévoir des sanctions harmonisées. Autre exemple : suivant notre résolution, le règlement européen adopté sur les services numériques lutte plus efficacement contre les contenus illicites en ligne et prévoit l'interdiction de certaines publicités ciblées, en particulier auprès des mineurs.
Par ailleurs, en l'état des négociations européennes, qui ne sont pas toujours achevées, on peut estimer que 5 résolutions européennes ont été partiellement suivies d'effets. Il s'agit notamment de notre résolution « fleuve » sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et des résolutions sur le devoir de vigilance des entreprises et sur le renforcement de la politique européenne du patrimoine.
Enfin, dans le cadre de la révision annoncée du règlement Reach (Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of Chemicals) et du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges (CLP), je veux rappeler nos deux résolutions relatives, l'une à la protection des huiles essentielles de lavande, l'autre à celle des filières du patrimoine.
Sur ces deux derniers dossiers, nos collègues rapporteurs Jean-Michel Arnaud, Catherine Morin-Desailly et Louis-Jean de Nicolaÿ ont eu la bonne idée d'assurer un suivi en poursuivant l'échange avec les institutions européennes, notamment dans le cadre d'un déplacement à Bruxelles le 17 février dernier. Ils estiment que le cabinet du commissaire Breton est plutôt optimiste quant à la possibilité d'atteindre un compromis satisfaisant à l'occasion de ces révisions, mais que la représentation permanente française est plus prudente. Notre vigilance ne doit donc pas se relâcher sur ces dossiers au long cours.
Enfin, signalons que le Sénat n'a malheureusement pas obtenu gain de cause dans sa résolution demandant la réorientation de la stratégie « de la ferme à la fourchette », afin d'assurer l'autonomie alimentaire de l'Union européenne dans le contexte de guerre en Ukraine.
En deuxième lieu, parallèlement à l'adoption des résolutions européennes adressées au Gouvernement, nous avons contribué à nourrir le dialogue politique informel institué avec la Commission européenne. Dans ce cadre, les Parlements nationaux des États membres de l'Union européenne ont adressé à la Commission européenne 360 avis en 2021, contre 255 en 2020. Pour sa part, au cours de la session parlementaire 2021-2022, le Sénat a adopté 15 avis politiques - contre 8 sur la période 2020-2021 -, ce qui en fait la septième assemblée parlementaire de l'Union européenne sur 39 la plus active à cet égard.
Sur ces 15 avis politiques, 13 avaient le même objet que nos résolutions européennes. J'évoquerai donc les deux autres avis.
Le premier était relatif à la place des exigences du développement durable dans les accords commerciaux de l'Union européenne. Il a été adopté pour formaliser la contribution du Sénat à une consultation publique ouverte par la Commission européenne. Comme vous le savez, ces phases de consultation précèdent souvent l'élaboration des textes législatifs européens. Nous devons donc être prêts à renouveler de telles contributions dès que nous l'estimons nécessaire pour agir le plus en amont possible.
Le second avis politique répondait à un problème très concret consécutif au Brexit, à savoir la réintroduction de comptoirs de ventes hors taxes de biens du côté français du tunnel sous la Manche, dès lors que ces ventes étaient de nouveau autorisées sur les ferrys et du côté anglais du tunnel. Conformément à notre demande, les modifications réglementaires nécessaires à cette réintroduction ont été effectuées.
Je tiens à souligner que la Commission européenne a répondu systématiquement à nos avis politiques. Si cet effort doit être salué, je note que, malgré son engagement à nous répondre dans un délai de trois mois, son délai de réponse s'est fortement dégradé en un an, le taux de respect de ce délai passant de 62,5 % à 26,5 %. Les causes de cette évolution ne sont pas évidentes, mais peut-être est-elle liée à l'accroissement notable du nombre d'avis politiques adressés à la Commission par les Parlements nationaux.
Par ailleurs, je regrette la grande capacité de la Commission européenne, dans les réponses qu'elle nous apporte, à éluder les « sujets qui fâchent », par exemple lorsque nous lui avons demandé les analyses d'impact évaluant les conséquences du Pacte vert sur l'agriculture ou que nous l'avons interrogée sur la compatibilité du maintien du financement des partis politiques européens par les entreprises avec la préservation de leur indépendance.
En troisième lieu, la commission des affaires européennes a été saisie par la Commission européenne de 110 textes, sur la période concernée, au titre du contrôle de subsidiarité que les traités confient aux Parlements nationaux.
L'article 88-6 de la Constitution prévoit que « l'Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité ». À ce titre, notre commission s'appuie sur le groupe de travail subsidiarité créé en son sein, qui comprend un représentant de chaque groupe politique et qui effectue un examen systématique au regard du principe de subsidiarité de tous les projets d'actes législatifs transmis, soit les 110 textes évoqués pour l'année parlementaire passée. Ce groupe de travail s'est réuni régulièrement au cours de la session 2021-2022.
S'il estime qu'une proposition législative ne respecte pas le principe de subsidiarité, ce groupe recommande à notre commission de nommer un rapporteur pour expertiser ce point. Sur le fondement de son analyse, le Sénat peut ainsi adopter un avis motivé - prenant la forme d'une résolution - dans lequel il indique les raisons pour lesquelles la proposition ne lui paraît pas conforme. Dans ce cadre, il vérifie si l'Union européenne est bien compétente pour proposer une telle initiative, si la base juridique choisie est pertinente et si l'initiative proposée apporte une « valeur ajoutée » européenne. En outre, le Sénat vérifie si le projet n'excède pas ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre les objectifs poursuivis.
À ce titre, sur la session 2021-2022, notre commission a adopté quatre avis motivés. Ils portaient sur les propositions législatives relatives à la fixation d'objectifs de neutralité climatique dans les secteurs de l'utilisation des terres, de la foresterie et de l'agriculture, au développement du réseau transeuropéen de transport, aux procédures judiciaires abusives contre les personnes participant au débat public et à la révision des directives relatives aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique.
Dans son avis motivé sur les procédures judiciaires abusives, le Sénat souligne que la procédure prévue pour rejeter rapidement les recours « manifestement infondés » est fragile au regard du droit effectif au recours et du droit au procès équitable, faute de définitions et de garanties suffisantes. Dans sa réponse en date du 16 août 2022, la Commission européenne nie l'existence d'une réelle difficulté. Les préoccupations du Sénat étant toutefois partagées par plusieurs États membres, cette procédure a finalement été réécrite dans le sens voulu par le Sénat dans le dernier compromis en négociation au Conseil.
Si l'impact de nos avis motivés est variable, la pérennité d'un contrôle de subsidiarité dynamique est une nécessité pour les Parlements nationaux, qui, je le rappelle, ne sont pas directement associés à l'élaboration des textes européens. C'est pourquoi le groupe de travail de la Cosac a recommandé un assouplissement des règles de mise en oeuvre du contrôle de subsidiarité. Un tel assouplissement serait d'autant plus justifié que la Commission européenne, invoquant la pandémie puis la guerre en Ukraine, multiplie désormais les règlements d'effet direct pour accroître son champ de compétences. En privilégiant de plus en plus les règlements au détriment des directives, elle prive trop souvent de marge d'appréciation les États membres.
De même, la Commission tend à recourir de manière croissante aux actes délégués, que nous pouvons comparer à nos ordonnances et qui échappent au contrôle parlementaire.
De telles évolutions ne doivent pas se faire « dans le dos de nos concitoyens ». Elles doivent donner lieu à un débat démocratique. J'espère que les élections européennes de 2024 en seront l'occasion et je veillerai à ce que notre commission y contribue.
La commission autorise à l'unanimité la publication du rapport.
La réunion est close à 10h30.