- Mercredi 29 mars 2023
- Le Brésil et l'intégration régionale en Amérique latine - Audition de Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE)
- Audition de Mme Myriam Fillaud, magistrate, chef du bureau de liaison new-yorkais d'UNITAD (mission des Nations unies sur les crimes internationaux de Daech), conseillère politique auprès du représentant spécial
Mercredi 29 mars 2023
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Le Brésil et l'intégration régionale en Amérique latine - Audition de Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE)
M. Christian Cambon, président. - Nous recevons ce matin Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, que je remercie d'être parmi nous et à qui je souhaite la bienvenue.
Madame la directrice, vous le savez, notre commission considère l'Amérique latine comme un sujet prioritaire. Plusieurs missions se sont ainsi rendues dans cette zone au cours des dernières années - en Colombie en avril 2019 et en Guyane en décembre 2020 - et une délégation de cinq sénateurs de notre commission se rendra dans quelques semaines au Brésil, en Guyane et au Guyana.
Dans cette perspective, nous avons souhaité vous entendre afin que vous nous dressiez une présentation générale de la situation économique, politique et sociale du Brésil, alors que vient de débuter la nouvelle présidence Lula.
Il nous serait également utile que vous nous présentiez l'état de la relation bilatérale avec ce pays, qu'il s'agisse du partenariat stratégique conclu en 2006 ou encore de la coopération transfrontalière. Je rappelle que c'est avec le Brésil que nous partageons notre plus longue frontière terrestre - 730 kilomètres. Vous nous exposerez les perspectives de relance des relations franco-brésiliennes, après une présidence de Jair Bolsonaro marquée par une défiance réciproque. À cet égard, la visite de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères en février dernier constitue un signal important.
Par ailleurs, nous souhaiterions vous entendre sur les perspectives et les enjeux auxquels est confronté le Guyana. Ce pays, encore pauvre, est parfois présenté comme un futur Qatar du fait de ses importantes réserves pétrolières. Selon la Banque mondiale, sa production de pétrole devrait quasiment quadrupler entre 2021 et 2024. En 2027, selon les projections du Fonds monétaire internationale (FMI), le PIB guyanien par habitant, en parité de pouvoir d'achat, pourrait se situer juste au-dessus de celui de la Suisse.
Aussi, vous nous direz si les politiques mises en oeuvre par le gouvernement guyanien vous semblent de nature à favoriser le développement de ce pays et à éviter la mise en place d'une économie reposant exclusivement sur la rente pétrolière, ce qui poserait bien des questions sur le plan environnemental. Vous nous présenterez également les perspectives de renforcement de nos relations diplomatiques et commerciales avec ce pays.
Lors de son discours d'investiture, le président Lula a souhaité donner un nouvel élan à l'intégration régionale en Amérique du Sud. Vous nous indiquerez si une relance du Mercosur, voire de l'Unasur (Union des nations sud-américaines), vous semble crédible dans les mois ou années à venir et quels pourraient en être les contours. Vous pourrez également évoquer la manière dont un éventuel retour du leadership brésilien est perçu par ses voisins.
Enfin, nous souhaiterions que vous nous précisiez comment la France entend se positionner dans cette zone, dans quelle mesure la présidence espagnole de l'Union européenne (UE), au second semestre 2023, pourrait constituer l'occasion pour l'UE d'approfondir ses relations avec l'Amérique latine et quelles sont les attentes françaises vis-à-vis du sommet UE-Celac (Communauté d'États latino-américains et caribéens) prévu en juillet 2023.
En d'autres termes, beaucoup d'interrogations pèsent sur l'avenir du continent sud-américain et ses relations avec l'Europe. Lorsque nous rencontrons les ambassadeurs sud-américains, ils se plaignent d'une forme de désintérêt - peu de visites ministérielles, pas de visite présidentielle...
Alors que le chancelier Olaf Scholz vient de réaliser une tournée de plusieurs jours sur le continent et que nous sommes nous-mêmes physiquement présents au travers de la Guyane, il est intéressant de nous pencher sur les nouvelles formes de collaboration envisageables.
Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à mes collègues pour un échange de questions-réponses. Je vous rappelle que cette audition est captée et diffusée sur le site internet du Sénat.
Mme Michèle Ramis, directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Je remercie la commission de m'avoir invitée à faire cette présentation sur le Brésil. C'est un grand plaisir pour moi d'être ici avec le sous-directeur d'Amérique du Sud, Jean-Christophe Tallard-Fleury.
J'ai bien noté qu'une délégation de votre commission se rendrait au Brésil du 9 au 17 avril. Cette visite est opportune et participe d'une relance de la relation diplomatique avec ce pays. Nous tâcherons de vous éclairer au maximum pour la préparer.
Nous entendons les attentes des pays latino-américains quant à une multiplication des visites et des échanges et je m'emploie à les satisfaire, mais aussi à corriger une certaine perception. L'Amérique latine est importante pour la France et le président de la République, qui n'a pas pu s'y rendre durant son premier quinquennat, émaillé de nombreuses crises, souhaite le faire cette année. Je souligne par ailleurs qu'il reçoit souvent les chefs d'État étrangers et a récemment reçu les présidents costaricien, argentin et colombien ainsi que monsieur Lula avant son élection.
Le Brésil est un géant de 8,5 millions de kilomètres carrés - soit quinze fois la France -, qui compte 212 millions d'habitants. Il est un partenaire historique de la France, avec lequel nous partageons un partenariat stratégique signé en 2006 par les présidents Chirac et Lula, dont la feuille de route a été établie par ce dernier et le président Sarkozy en 2008.
Si la relation bilatérale a été distendue pendant le mandat du président précédent, nous sommes en train de la relancer, comme en témoigne la visite officielle de Catherine Colonna du 8 au 9 février. Celle-ci a trouvé un pays polarisé, les événements du 8 janvier ayant montré qu'une partie de la population, peut-être manipulée par les réseaux sociaux, n'a pas accepté l'alternance.
Par ailleurs, nos relations économiques et culturelles ont perduré pendant ces quatre années et nous avons beaucoup travaillé avec les États fédérés et les mairies.
Lula ayant été élu avec une faible marge, il va devoir, pour rassembler sa population, faire preuve d'une capacité à concilier les inconciliables. À cet égard, il a nommé un gouvernement élargi au centre, sachant qu'il doit composer avec un Sénat conservateur.
J'ai accompagné la ministre lors de sa visite en févier et nous avons eu le sentiment que Lula se sentait renforcé par les événements du 8 janvier, car il est parvenu à éviter une dérive vers une situation incontrôlable, obtenant des présidents des deux chambres et des gouverneurs qu'ils s'expriment en faveur du respect des institutions démocratiques, soutenu en cela par la Cour suprême.
Toutefois, il devra rapidement engranger des succès, dans un pays où plus de 30 millions de personnes souffrent encore de la faim.
Le Brésil, neuvième économie mondiale, exporte essentiellement des produits primaires - produits agricoles, minerais, pétrole - et importe ses produits manufacturés. Ce grand pays émergent, qui a beaucoup souffert des conséquences du covid-19, doit donc améliorer sa productivité et faire évoluer son modèle.
En matière de politique étrangère, le retour de Lula a été célébré dans le monde entier, car sa voix porte dans le « Sud global » et il peut relancer le processus d'intégration régionale. En effet, la crise vénézuélienne a entraîné une polarisation du continent. L'arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche en Amérique latine - Brésil, Colombie, Honduras - a permis de réconcilier le continent et de retrouver un dialogue intra-américain, ainsi qu'avec l'Europe - un sommet UE-Celac se tiendra en effet au mois de juillet.
La voix du Brésil sera très attendue sur les sujets environnementaux. Lula s'est déplacé à la COP 27 et a annoncé qu'il accueillera la COP 30 en 2025 en Amazonie.
De plus, le président brésilien souhaite faire le pont entre le Nord et le Sud et encourager la coopération Sud-Sud.
Pour autant, le Brésil de 2023 ne s'éloignera pas des fondamentaux passés. Culturellement occidental, ce pays se refuse à un alignement sur l'Europe ou les États-Unis en matière de politique étrangère : il est critique des interventions militaires et des sanctions et cherche une forme de neutralité, par exemple sur le conflit en Ukraine, bien qu'il ait voté les résolutions des Nations unies.
Pour ce qui concerne sa politique économique, elle sera dictée par les intérêts commerciaux du pays : un tiers de ses exportations se font vers la Chine et il est dépendant d'importations d'engrais en provenance de Russie, ce qui peut expliquer certaines de ses prises de position.
Le sommet UE-Celac qui se tiendra en juillet marque le retour de cette organisation après huit ans d'interruption, le Brésil s'étant notamment retiré de la Celac à cause de la crise vénézuélienne. Nous en attendons la réactivation du dialogue sur les questions économiques, environnementales, énergétiques, ainsi que de démocratie, car l'État de droit est mis à mal dans certains pays.
Nous souhaitons tenir un dialogue franc avec tous les pays de ce continent qui, vu de loin, partage les principes démocratiques de la France, mais qui connaît des crises préoccupantes en matière de droits de l'homme.
Le Mercosur comporte deux pays conservateurs et deux pays progressistes, ce qui complique l'adoption de positions communes. Toutefois, la présidence espagnole souhaite, comme vous l'avez noté, monsieur le président, relancer la relation avec l'Amérique latine à l'occasion du sommet avec le Celac, ce à quoi nous sommes tout à fait favorables.
La relation bilatérale entre la France et le Brésil s'est altérée à partir de 2019 à cause de divergences sur les questions environnementales, consécutivement aux incendies en Amazonie. Il n'y a donc pas eu de visites bilatérales pendant les quatre années précédentes, mais les contacts techniques entre fonctionnaires se sont poursuivis, de même que le dialogue avec des États, notamment celui de São Paulo.
La relation a été rétablie avec la visite de Catherine Colonna, reçue par le président Lula et son homologue brésilien Mauro Vieira. Nous avons annoncé que nous allions signer une feuille de route pour relancer notre partenariat stratégique, qui date de 2008 et doit être nourri. Il porte sur les questions de défense, de culture, de francophonie, de lutte contre la désinformation, mais il doit aussi inclure les questions globales, c'est-à-dire la lutte contre le changement climatique, les questions de santé, d'alimentation et de gouvernance mondiale.
Le président de la République réunira les 22 et 23 juin un sommet à Paris pour réformer l'architecture financière internationale, auquel le Brésil est invité.
En ce qui concerne l'Ukraine, le Brésil, acteur majeur du dialogue Nord-Sud, a voté en faveur de la résolution de l'ONU condamnant l'invasion russe, s'est entretenu avec le président Zelensky et a défendu l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous dialoguons donc bien sûr avec ce pays, dont je rappelle qu'il est membre des « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud).
Par ailleurs, nous plaidons pour un renforcement et un rééquilibrage de nos relations économiques bilatérales, d'ores et déjà amorcé. La ministre s'est rendue dans l'État de São Paulo, qui représente un tiers du PIB brésilien et a reçu la communauté française des affaires, importante dans cet État.
Ainsi, un agenda politique et diplomatique très riche se dessine : des délégations parlementaires se rendront au Brésil dans les semaines à venir, la secrétaire générale du ministère mènera des consultations bilatérales en avril et le ministre délégué au commerce extérieur devrait également effectuer une visite. Nous en profiterons pour imaginer de nouvelles formes de coopération.
Nous souhaitons accompagner le Brésil dans ses démarches d'adhésion à l'OCDE, notamment pour qu'il parvienne à se conformer aux normes environnementales.
Je sais que la délégation de votre commission se rendra dans l'État d'Amapá, qui partage une frontière avec la Guyane. La relation transfrontalière est très importante ; nous la relancerons également en réunissant, pour la première fois depuis quatre ans, la commission mixte franco-brésilienne à Cayenne, en juillet, pour examiner les questions de sécurité, de lutte contre les trafics et de circulation des personnes.
M. Christian Cambon, président. - Cette réunion sera d'autant plus importante que la frontière est très poreuse, comme nous avons pu le constater lors de notre déplacement en Guyane. Les gens passent d'un côté et de l'autre du fleuve comme on changerait de trottoir.
Avant de vous entendre sur le Guyana, madame la directrice, je cède la parole à mes collègues pour vous interroger sur la situation brésilienne.
M. André Vallini. - J'ai la chance de faire partie de la délégation qui se rendra en Amérique latine. Pour préparer cette visite, nous multiplions les auditions, notamment en vue du salon Défense et sécurité qui se tiendra à Rio de Janeiro. Le Brésil achète des hélicoptères, nous construisons des sous-marins ensemble, il envisage d'acheter des canons Caesar, etc.
Aussi, nous nous interrogeons sur les raisons pour lesquelles Lula, dans la suite de Bolsonaro, veut à ce point réarmer son pays et rediriger les forces armées vers l'extérieur du pays, alors qu'il n'a a priori ni ennemi ni problème frontalier.
M. André Gattolin. - Il y a quatre ans, la crise vénézuélienne a poussé 5 millions de Vénézuéliens à l'exil - soit 10 % de la population -, notamment vers le Brésil qui leur accorde des visas. Comment évaluez-vous l'impact de cette situation dans la région, alors que des élections dont on ne sait pas si elles seront libres et non faussées doivent se tenir l'année prochaine au Venezuela ?
M. Jacques Le Nay. - Comment se déroule la coopération avec les pays frontaliers, en particulier le Brésil, dans la lutte contre les trafics en Guyane - stupéfiants, orpaillage, pêche clandestine ? À cet égard, je rends hommage au maréchal des logis-chef Arnaud Blanc, décédé le week-end dernier.
Par ailleurs, quels sont les liens entre les pays latino-américains, la Russie et la Chine ?
M. Philippe Folliot. - Je ferai également partie de la délégation qui se rendra au Brésil. En ce qui concerne les relations franco-brésiliennes autour de la Guyane, vous venez de nous informer qu'une commission mixte se réunira au mois de juillet. Comment faire en sorte que notre visite à Macapá et à Cayenne contribue à remédier à la situation difficile que nous rencontrons à cause de l'orpaillage, de l'immigration et de la pêche illégale ?
Dans le cadre de l'élaboration du rapport d'information Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale, j'avais recueilli le témoignage de pêcheurs guyanais victimes d'actes de piraterie de la part de pêcheurs clandestins brésiliens. Comment assurer la souveraineté maritime et terrestre de notre pays, alors que l'on peut suspecter une certaine complaisance des autorités brésiliennes en la matière ?
M. Olivier Cadic. - Je me rendrai pour ma part à Curitiba, dans l'État du Paranà, où le procureur Sergio Moro avait mené l'enquête sur les accusations de blanchiment ayant conduit à l'emprisonnement de Lula. Ce dernier a tenu des propos injurieux la semaine dernière à l'égard du premier, devenu depuis sénateur, qui a répondu sur CNN. Cela témoigne de la polarisation que vous avez évoquée.
Or les milieux économiques ne sont pas les plus grands supporters du président Lula. Comment envisagez-vous la relation économique avec ce pays ? Inclurez-vous l'opposition à vos discussions ?
M. Guillaume Gontard. - L'une des premières décisions de Lula a été de créer un ministère des peuples autochtones. Quelles mesures ont été prises par la ministre Sonia Guajajara pour protéger les peuples autochtones, fortement affectés par la déforestation ?
M. Yannick Vaugrenard. - Ma question porte sur la position du Brésil sur le conflit en Ukraine, qui s'est abstenu aux Nations unies. Vous avez dit que cela pouvait en partie s'expliquer par le fait que le Brésil était un grand importateur d'engrais en provenance de Russie. Comment l'Europe peut-elle intervenir sur le plan économique pour tenter d'infléchir la position brésilienne - et celle d'autres pays d'Amérique latine - sur le conflit ukrainien ?
Mme Michèle Ramis. - Sur la question de la défense, nous avons un partenariat avec le Brésil pour la production de sous-marins et d'hélicoptères. Pourquoi le Brésil se dote-t-il en moyens militaires ? Tout grand pays a besoin d'une armée, même lorsqu'il n'est pas menacé, comme c'est le cas du Brésil actuellement. Nous espérons d'ailleurs que le Brésil s'investira davantage dans les opérations de maintien de la paix qu'il ne l'a fait jusqu'à présent.
L'armée est une institution loyale et qui compte au Brésil. Pour sa stature régionale, ce pays ne peut pas se permettre de ne pas disposer d'une armée moderne et équipée, sans avoir pour autant des visées bellicistes.
M. André Vallini. - Pourquoi ? Nous sommes prisonniers d'une espèce de préjugé global selon lequel un pays doit absolument être armé jusqu'aux dents, même s'il n'est confronté à aucune menace. Je ne veux pas jouer le pacifiste de service, mais votre réponse est curieuse.
Mme Michèle Ramis. - Il s'agit également de dissuader les éventuels agresseurs. Tous les pays du monde dotent leurs armées d'équipements permettant de répondre à une menace qui peut intervenir par surprise.
M. Christian Cambon, président. - La confiance que le Brésil manifeste aux industries de défense françaises, notamment pour la confection de sous-marins, est très importante. Compte tenu de l'étendue des espaces maritimes à contrôler, même s'il n'y a pas de contentieux ou d'intention belliqueuse, les pays d'Amérique latine ont de légitimes préoccupations de sécurité.
Mme Michèle Ramis. - En effet, le rôle de l'armée est également de lutter contre les menaces intérieures : les trafics, la déforestation, l'orpaillage...
En ce qui concerne la crise vénézuélienne, elle a mis sur les routes 7 millions de Vénézuéliens, soit 20 % de la population - le chiffre a augmenté - pour se rendre au Brésil, mais aussi en Colombie ou au Chili. Cette crise multidimensionnelle dure depuis une dizaine d'années. Nous essayons d'y répondre et espérons que le Brésil de Lula incitera Nicolás Maduro à organiser des élections libres et démocratiques en 2024. Le processus de négociation est actuellement suspendu. La proximité des élections américaines n'y est pas étrangère, car le congrès suit de près tout ce qui concerne le Venezuela.
En attendant, le Brésil ou la Colombie ont donné un statut à ces migrants pour qu'ils ne soient privés ni d'accès à la santé ni de droit au travail. Tant que la crise vénézuélienne ne sera pas résolue, il est certain que ces migrations massives se poursuivront.
Pour ce qui est de la coopération transfrontalière, elle est ancienne et vise notamment à lutter contre la venue d'orpailleurs brésiliens en Guyane, qui utilisent du mercure pour trouver de l'or et qui polluent ainsi les eaux. Elle doit toutefois être renforcée, ce dont est conscient le nouveau gouvernement brésilien, qui a augmenté la dotation du comité de coopération policière à la frontière. Une opération conjointe a récemment été menée sur le fleuve Oyapock.
La question de la lutte contre l'orpaillage, le trafic et la pêche illégale est prise au sérieux par le Brésil. L'État de l'Amapá est d'ailleurs très concerné. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous vous y rendrez, vous pouvez insister sur la nécessité de renforcer la coopération entre nos deux États en vue de la commission mixte qui se tiendra à Cayenne au début du mois de juillet.
Sur les présences chinoise et russe, nous savons que la Chine a fortement investi le continent, au travers d'investissements nombreux, qui peuvent se faire à bas bruit. Celle-ci voit l'Amérique du Sud comme un réservoir de ressources naturelles et est destinataire d'une grande partie du commerce extérieur des pays du continent. Accentuer la présence européenne pourrait ralentir la montée en puissance de la Chine sur le continent, qui se traduit pour le moment par une forte présence économique.
Par ailleurs, la Chine cherche à légitimer sa politique à l'égard de Taïwan : sur les quatorze États qui reconnaissent encore Taïwan, huit se trouvent en Amérique latine et dans les Caraïbes. Lorsqu'un État bascule sur la question, à l'instar du Nicaragua l'année dernière et du Honduras il y a quelques jours, la Chine engrange une victoire diplomatique.
La Russie est peu présente sur le plan économique, mais compte des alliés fidèles en Amérique latine - Venezuela, Nicaragua, Cuba -, qui ont résisté aux sanctions américaines grâce au soutien russe. La pénétration d'acteurs étrangers peut ainsi contribuer à pérenniser les crises.
Une partie du secteur privé est en effet défavorable à Lula ; c'est la raison pour laquelle il a nommé un ancien ennemi politique, libéral, vice-président et ministre de l'industrie et du commerce : Geraldo Alckmin. En réalité, Lula ne va pas remettre en cause la primauté de l'agronégoce, qui est un volet très important de l'économie. En outre, le Brésil souhaitant se réindustrialiser, Lula ne souhaite pas se mettre à dos le secteur privé.
La question des autochtones est très importante et le Gouvernement compte désormais une ministre des peuples autochtones, ainsi qu'une ministre des droits des femmes. Le gouvernement de Lula a fait un geste important en organisant des rencontres avec les populations Yanomami, qui souffrent de l'orpaillage et de la déforestation. Il compte défendre leur mode de vie traditionnel, tout en les encourageant à se montrer respectueux de l'environnement.
Enfin, monsieur Vaugrenard, le Brésil ne s'est abstenu qu'une seule fois au conseil de sécurité des Nations unies sur les questions d'annexion de territoires ukrainiens. En général, il se prononce en faveur des résolutions de l'assemblée générale, comme celle du 23 février qui a marqué l'anniversaire de l'agression russe en Ukraine.
Sa position, qu'il souhaite équilibrée, est liée à des raisons politiques - apparaître comme une puissance libre de ses choix -, mais également économiques, liées à sa dépendance aux engrais. Ainsi, nous étudions la manière dont l'Union européenne pourrait constituer une source d'approvisionnement alternative, car il est compliqué pour les Brésiliens de produire eux-mêmes des engrais.
M. Bruno Sido. - La négociation concernant le Mercosur menée directement par Bruxelles est importante. Si les États membres n'ont pas à savoir où en sont les négociations, la France a posé des conditions, notamment l'adoption de clauses miroir, afin d'éviter d'importer du Brésil des organismes génétiquement modifiés (OGM) interdits en France. Pensez-vous que cette négociation aboutira ?
Mme Gisèle Jourda. - Quelles sont les négociations menées en ce qui concerne les objectifs de transition verte, notamment édictés par le pacte vert européen ? La déforestation de l'Amazonie durant la présidence Bolsonaro a été un véritable cataclysme qui déstabilise l'équilibre mondial en matière d'émission de gaz à effet de serre.
Mme Michèle Ramis. - L'accord entre l'UE et le Mercosur ne doit pas conduire à une augmentation de la déforestation importée. Les pays du Mercosur doivent se conformer à leurs engagements au titre de l'accord de Paris et respecter les mêmes normes sanitaires et phytosanitaires qu'en Europe pour produire ce qu'ils exportent.
Où en sommes-nous de cet accord ? Si l'élection de Lula a relancé la dynamique, la Commission européenne élabore un projet d'instrument additionnel pour introduire des clauses complémentaires et juridiquement contraignantes, notamment en matière de droit du travail. C'est elle qui a le sujet entre les mains et consulte les deux blocs, qui composent avec diverses exigences. Je ne sais pas quand les travaux aboutiront, mais ce sera après le sommet de juillet. Nous serons vigilants sur le respect des normes environnementales.
Par ailleurs, c'est une priorité pour le président Lula de mettre fin à la déforestation de l'Amazonie, qui s'est accrue de 70 % lors du précédent mandat. Le seul arrêt de la déforestation suffirait au Brésil pour remplir ses obligations en matière d'émission de gaz à effets de serre. L'Union européenne peut agir par ses programmes de coopération et nous le faisons notamment avec l'Agence française de développement (AFD).
Le Brésil, compte tenu de sa superficie, a un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre le réchauffement global. Toutefois, l'Amazonie s'étend également sur les pays voisins, avec lesquels il n'est pas facile de trouver des consensus.
M. Christian Cambon, président. -Pouvez-vous nous dire un mot de la situation du Guyana ?
Mme Michèle Ramis. - J'ai compris que votre délégation se rendra également à Georgetown. Le Guyana est un ancien pays pauvre et un futur pays riche, en proie à une transformation économique majeure grâce à la mise en exploitation de champs de pétrole offshore découverts récemment.
Ce pays, dont la superficie est légèrement inférieure à la moitié de celle de la France, compte seulement 800 000 habitants. Or il disposerait de près de 11 milliards de barils de pétrole au large de ses côtes, ce qui le classe au second rang mondial du rapport entre population et volume des réserves estimées en hydrocarbures. Ce pays devrait donc connaître un bouleversement d'une ampleur majeure.
Depuis 2020, le pays enregistre la plus forte croissance mondiale : son PIB a augmenté de 43 % en 2020 malgré la crise du covid-19. Entre 2023 et 2026, son économie devrait croître de 25 %.
Ces ressources pourraient permettre un développement très rapide du pays. Toutefois, la gestion de telles ressources n'est pas facile pour un pays démuni où la vie politique est marquée par un fort bipartisme entre le parti progressiste du peuple du président Irfaan Ali, qui représente majoritairement la population indo-guyanienne, et la coalition entre APNU (A Partnership for National Unity) et AFC (Alliance for Change), qui est l'alliance des partis afro-guyaniens.
Un contentieux électoral a eu lieu lors des dernières élections générales. Le président sortant, issu de la communauté afro-guyanienne, a perdu les élections de peu et a remis en cause les résultats. Cette situation a plongé le Guyana dans une crise profonde pendant plusieurs mois. La Cour caribéenne de justice a tranché le litige et permis, sous la pression internationale, d'officialiser la victoire de l'opposition : le président sortant a admis sa défaite et laissé la place, sans violence, au président Irfaan Ali, issu de la communauté indo-guyanienne.
Le principal défi du Guyana réside dans la gestion inclusive de cette manne pétrolière, dont la communauté afro-guyanienne craint d'être privée. L'enjeu majeur est le pilotage d'un processus de développement équilibré au plan économique, social et environnemental. Pour y parvenir, le Gouvernement a mis en place un fonds de ressources naturelles auprès d'une institution financière new-yorkaise, afin d'éviter tout risque de corruption ou de mauvais usage. L'abondance est parfois difficile à gérer...
Sur le plan international, le Guyana est devenu un partenaire de plus en plus convoité : le Premier ministre indien s'y est rendu en visite officielle en 2018, le secrétaire d'État américain en 2019, Jair Bolsonaro en 2022 et le ministre saoudien du pétrole en février 2022. Pour l'instant, l'entreprise américaine Exxon Mobil est l'acteur pétrolier principal sur place, le Guyana ne possédant pas de compagnie nationale.
Les relations du Guyana avec les États-Unis et le Canada sont facilitées par la présence de fortes communautés guyaniennes dans ces deux pays. Le Guyana demande à renforcer ses relations avec la France. Nous sommes le seul État à disposer d'une présence diplomatique à Georgetown : aucun autre État membre de l'Union européenne ne dispose d'ambassade ; seule une délégation de l'Union européenne est présente. La représentation diplomatique est assurée par notre ambassade au Suriname, l'ambassadeur en poste à Paramaribo étant également compétent pour le Guyana. Un agent, volontaire international, physiquement présent dans les locaux de la délégation de l'Union européenne, est chargé de mettre en oeuvre des actions de coopération.
Nous avons récemment créé un fonds de solidarité pour les projets innovants doté de plus de 500 000 euros qui vise à protéger les forêts. Par la coopération bilatérale, nous luttons contre la déforestation, en élargissant les droits fonciers des peuples autochtones et en soutenant l'accès à leurs moyens de subsistance et leur droit à la prise de décision.
Nous savons que cette représentation n'est pas suffisante, raison pour laquelle nous avons décidé, voilà quelques semaines, de rehausser le statut de notre représentation diplomatique au Guyana, en ouvrant une antenne diplomatique. Un diplomate expatrié, qui dépendra de l'ambassade de Paramaribo, sera ainsi basé à Georgetown. Nous serons donc le premier État membre de l'Union européenne à disposer d'une représentation diplomatique permanente dans ce pays.
L'essor du Guyana offre des perspectives à nos entreprises - et je ne pense pas seulement à TotalEnergies. Le Guyana souhaite protéger ses installations pétrolières en mer, ce qui ouvre des espaces aux entreprises du secteur de la défense - patrouilleurs d'Ocea, hélicoptères d'Airbus, matériels de surveillance côtière de Thales, drones de surveillance de Safran, etc. Une délégation d'entreprises de la chambre de commerce et d'industrie de Guyane se rendra au Guyana pour étudier les opportunités de marché du 14 au 17 mai.
En 2021, nous avons lancé le dialogue stratégique du plateau des Guyanes, organisé par les forces armées françaises de Guyane, qui réunit des représentants du Guyana, du Suriname, de France et du Brésil. La première édition a eu lieu en 2021, la deuxième en 2022 et la troisième devrait se tenir au Guyana.
La Chine a bien évidemment pris conscience du fort potentiel du Guyana. Les entreprises chinoises renforcent leur présence, en particulier dans le domaine de la construction et des infrastructures. Des contacts politiques ont été établis au plus haut niveau. Le ministre des affaires étrangères chinois s'est ainsi rendu au Guyana. En 2021, le président guyanien et ses ministres ont tenu une réunion virtuelle avec le président Xi Jinping. Le Guyana a adhéré aux nouvelles routes de la soie. La China National Offshore Oil Corporation détient par ailleurs une participation directe de 25 % dans un bloc d'exploitation de pétrole offshore. Face à la présence américaine, on constate également la montée d'une présence chinoise en lien avec la recherche de ressources naturelles.
M. Philippe Folliot. - . - Nous avions découvert des réserves de pétrole dans notre zone économique exclusive de Guyane avant de décider de ne pas poursuivre les explorations. Quels arguments opposer à ceux qui soulignent que cette manne pétrolière, à laquelle nous avons renoncé, aurait pu être un levier de développement pour la Guyane ?
Mme Michèle Ramis. - Cette décision sort du cadre diplomatique, monsieur le sénateur. Il m'est donc quelque peu difficile de vous répondre. Cette manne pétrolière est une aubaine pour le Guyana, qui était un pays extrêmement pauvre. Il s'agit de situations différentes. Ce sera ensuite au Guyana de trouver les ressources nécessaires pour se conformer aux attentes des accords de Paris en matière de transition écologique et énergétique.
M. Rachid Temal. - J'entends ce que vous dites du Guyana et des accords de Paris, mais il est toujours facile pour un pays industrialisé de demander à un autre pays de ne pas appuyer son développement sur les énergies fossiles, sans proposer d'alternative...
M. Christian Cambon, président. - Un rapport sera publié après la visite de notre délégation au Brésil et au Guyana afin d'enrichir, je l'espère, la réflexion du Gouvernement.
Après avoir rencontré récemment quinze ambassadeurs d'Amérique latine, j'ai le sentiment qu'on attend davantage d'attention de notre part dans cette partie du monde.
Mme Michèle Ramis. - J'en ai bien conscience, monsieur le président, et je m'emploie à corriger les choses, en proposant de nombreuses rencontres à nos partenaires. Le rapport de votre délégation nous sera extrêmement utile, puisqu'il interviendra juste avant les consultations politiques.
Les semaines de l'Amérique latine se tiendront du 25 mai au 10 juin. Je tiens à souligner que le Sénat est à l'origine de cet événement, puisqu'il avait organisé la première journée de l'Amérique latine, en 2011.
Ce sera l'occasion de mettre en valeur nos liens culturels, scientifiques, économiques et politiques. Nous avons intérêt à développer avec ces pays des relations fortes dans ces domaines. Mon équipe et moi-même nous y employons.
M. Christian Cambon, président. - C'est effectivement sous l'impulsion du président du Sénat que cet événement, toujours très attendu, a été créé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Myriam Fillaud, magistrate, chef du bureau de liaison new-yorkais d'UNITAD (mission des Nations unies sur les crimes internationaux de Daech), conseillère politique auprès du représentant spécial
Cette audition ne donnera pas lieu à compte rendu.
La réunion est close à 11 h 55.