Mercredi 15 mars 2023
- Présidence de Mme Évelyne Perrot, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale, et M. Pierre Pannet, directeur adjoint des actions territoriales, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation pour échanger sur la question importante de l'eau. Cette audition vise à éclairer les membres de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau, créée par le Sénat début février, à la demande du groupe socialiste, écologiste et républicain, dont le rapporteur est Hervé Gillé. Cette mission, qui comprend des sénateurs représentant l'ensemble des groupes politiques, devrait achever ses travaux d'ici l'été. Dans ce temps court, il s'agit pour nous d'entendre les experts, les parties prenantes et les acteurs institutionnels de la politique de l'eau en France.
Le changement climatique conduit à mettre sous tension l'ensemble des utilisateurs de l'eau. Dans ce contexte, la politique publique de l'eau, tant dans ses aspects quantitatifs que qualitatifs, est-elle encore aujourd'hui pertinente dans ses objectifs et ses instruments. Nous attendons aujourd'hui votre éclairage sur les transformations du cycle de l'eau et les perspectives d'ici une ou deux décennies. En effet, votre stratégie scientifique à 10 ans, qui définit les priorités de recherche associées aux grands enjeux socio-économiques liés au sol et au sous-sol, notamment la gestion des eaux souterraines, nous aidera à répondre, plus ou moins directement, aux différentes questions posées à la mission.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nos travaux font écho à la période particulière que nous traversons. Le Gouvernement devrait prochainement faire des annonces. La situation hivernale est déjà particulièrement inquiétante. Nous vous proposons un échange à partir des questions qui vous ont été transmises. Il me paraît essentiel d'aborder la question des bassines, source de nombreux conflits, tant sur les plans juridique que scientifique. Nous souhaiterions aussi connaître votre point de vue sur le rôle des forêts dans le stockage souterrain de l'eau, et, inversement, sur leur capacité à pomper l'eau. La consommation d'un pin peut varier de 50 à 100 litres d'eau par jour ; la question du choix des plantations doit donc être posée.
Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). - En premier lieu, il est difficile d'évaluer les quantités d'eau exploitables dans les eaux souterraines : nous connaissons l'existence des nappes, leur étendue, mais moins leur profondeur et la quantité d'eau stockée, qui dépend beaucoup de la qualité et de la porosité du substrat rocheux. En vertu du principe de précaution, il vaut mieux ne pas prélever plus que ce qui a été rechargé, que nous parvenons à chiffrer plus facilement. Cela dit, à l'instar d'une rivière, une nappe s'écoule, mais plus lentement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Une meilleure connaissance de la capacité de stockage des nappes est-elle un objectif à atteindre ?
M. Pierre Pannet, directeur adjoint des actions territoriales, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). - Au plan local, oui, mais pas à l'échelle globale. Le plus important est la connaissance du stock disponible et la quantité d'eau potentiellement exploitable, surtout pour les secteurs en tension. Une vingtaine de bassins versants mériteraient de disposer de modèles de gestion de l'eau plus précis afin de déterminer le stock et définir des scénarios d'usage de l'eau.
Mme Michèle Rousseau. - On prélève environ 6 milliards de mètres cubes par an dans nos nappes, pour un stock global estimé approximativement à 100 milliards de mètres cubes.
M. Pierre Pannet. - Ce chiffre fait référence à la quantité d'eau prélevée dans les eaux souterraines pour l'industrie, l'agriculture et la consommation d'eau potable, hors énergie, qui est de l'ordre de 6 à 10 milliards de mètres cubes. Ces chiffres sont probablement sous-estimés, car il subsiste des puits non déclarés.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La connaissance approfondie des capacités de stockage des nappes constituerait donc un objectif. Disposez-vous des moyens nécessaires pour l'atteindre ?
M. Pierre Pannet. - C'est un objectif qui peut être réalisé à l'échelon local du bassin versant, qui constitue le niveau pertinent de gestion du stock d'eau. Par ailleurs, aux termes du contrat d'objectif, de moyens et de performance du BRGM sur la période 2023-2027, un des objectifs est de créer des modèles de gestion en vue de connaître précisément l'état de la ressource en eau pour les bassins en tension.
Mme Michèle Rousseau. - Nous avons pour but d'établir d'ici à cinq ans des modèles saisonniers de prévision du niveau des nappes et de gestion accompagnés de scénarios prospectifs chargés de déterminer les conséquences du changement climatique, pour toutes les zones en tension. S'agissant de la mesure de l'épaisseur de la nappe et de sa porosité, nous pouvons réaliser de telles mesures localement. Toutefois, cela représente un coût financier important, qu'il est impossible d'étendre à l'échelle de l'ensemble du pays.
Quant aux forages palliatifs en période de sécheresse, il est toujours possible de forer plus en profondeur, mais veillons à ne pas vouloir gérer l'eau comme une ressource intarissable et à ne pas épuiser complètement les stocks, au risque sinon de faire face à une situation catastrophique.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le renouvellement des nappes profondes est beaucoup plus lent. Qu'en est-il de la dégradation du niveau de remplissage ?
Mme Michèle Rousseau. - Il existe deux types de nappes : les nappes phréatiques, assez superficielles, en relation avec les cours d'eau superficiels, et les nappes inertielles, plus profondes. Hormis dans le quart nord-ouest, 80 % des nappes du pays ont un niveau plus bas qu'en mars 2022, contre 50 % l'année dernière, en raison d'une recharge insuffisante durant l'automne puis l'hiver. Nous sommes assez pessimistes quant à une amélioration de la situation des nappes inertielles. Le niveau des nappes superficielles, par nature réactives, peut encore augmenter, mais cela dépendra des précipitations des prochains mois.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Mais les végétaux seront alors en pleine croissance, ce qui limitera la recharge.
M. Pierre Pannet. - Le niveau des nappes du nord du pays peut s'améliorer s'il pleut beaucoup. En revanche, cela ne sera pas possible dans le sud du pays, car la végétation aura entamé son cycle de pousse.
S'agissant du long terme, il est difficile d'établir des prévisions pour les nappes réactives, car elles peuvent se remplir et se vider en quelques mois. En revanche, il semblerait que les nappes inertielles ne connaissent pas de baisse structurelle, hormis dans la Beauce ou dans certaines régions du sud de la France (Provence et Sud-Ouest). Les nappes connectées avec la surface parviennent encore à bénéficier de recharges importantes. Cela dit, le niveau de ces nappes inertielles connaît des cycles plus longs - plusieurs années, voire plusieurs centaines d'années pour la recharge de la nappe du carbonifère, qui alimente le nord de la France, la Wallonie et la Flandre : la ressource est surexploitée par rapport à la capacité de remplissage de la nappe.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comment définir une stratégie permettant d'améliorer la recharge ? Notre réflexion porte aussi sur l'intégration de la gestion de l'eau dans les politiques d'urbanisme.
Mme Michèle Rousseau. - La désimperméabilisation des sols, la diminution des sols nus avec de la végétation, la multiplication des noues et des fossés, la rétention d'eau en surface pour qu'elle puisse ensuite alimenter les nappes sont des solutions intéressantes. Mais ces techniques ne permettent que de recharger les nappes superficielles. Elles conduisent également à filtrer l'eau qui est ainsi rapidement récupérée pour la production d'eau potable. Toutefois, nous ne savons pas dans quelle mesure elles contribuent à l'augmentation du niveau des nappes. Cela relève du domaine de la recherche. Quelques travaux en cours visent à mieux quantifier ces phénomènes.
M. Pierre Pannet. - À titre d'illustration, le BRGM a conclu un partenariat de recherche et de développement avec la Métropole européenne de Lille (MEL) afin de définir les meilleures techniques de désimperméabilisation, les politiques d'aménagement urbain les plus efficaces pour améliorer la quantité et la qualité de la nappe de la craie. Nous tentons des opérations de déconnexion du réseau d'eau potable : grâce à quelques traitements simples, les eaux pluviales pourraient servir à l'arrosage des stades par exemple. En outre, nous modélisons de nombreuses données en vue d'obtenir une sorte de jumeau numérique de la réalité physique : il est alors possible de mieux étudier les effets des politiques publiques d'urbanisme sur les ressources en eau.
Mme Michèle Rousseau. - Il est établi que, dans les zones plus rurales, un sol très labouré tend à nuire à l'infiltration de l'eau. En outre, les seuils présents sur les cours d'eau réduisent certes la circulation des poissons, mais améliorent l'infiltration de l'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le débat au Sénat est toujours vif entre la vision patrimoniale et la continuité écologique !
M. Pierre Pannet. - Dans les milieux urbains, l'objectif est de favoriser l'infiltration de l'eau dans les sols. Mais ce n'est pas sans risque : les remontées de nappes peuvent causer des inondations. Définir une politique généraliste est impossible : il faut adapter les actions en fonction de chaque territoire et faire preuve de bon sens pour végétaliser les centres urbains.
Dans les milieux ruraux, le non-labour, l'enherbement et la remise en place de haies ont fait leurs preuves : les capacités d'infiltration sont multipliées par 30. Les pratiques culturales ont beaucoup évolué depuis une vingtaine d'années, avec, entre autres, l'instauration des cultures intermédiaires qui font office de pièges à nitrates. Actuellement, nous rencontrons surtout des problèmes dans les cultures de printemps, notamment en Normandie, lorsque les sols sont nus, alors que les orages sont nombreux durant cette période. La mise en place de haies est nécessaire.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ces dernières années, le nombre de haies a plutôt eu tendance à régresser, malgré les normes définies par l'Union européenne (UE). Mais rêvons un peu : on pourrait imaginer demain, dans le cadre des réseaux séparatifs que l'eau pluviale soit ainsi davantage mobilisée pour reconstituer les zones humides et améliorer l'infiltration.
M. Pierre Pannet. - Sur le long terme, des moyens existent, mais il faut aussi bien gérer les risques associés : pour éviter tout risque de pollution, il faut prévoir des microstations si l'on a davantage recours aux eaux pluviales.
M. Éric Gold. - Vous nous avez livré des informations pessimistes sur le niveau actuel des nappes souterraines. Les arrêtés de restriction d'eau toucheront bientôt toute la France. Je sais que le BRGM a esquissé des pistes nouvelles pour recharger les nappes, comme l'utilisation des eaux non conventionnelles, y compris des eaux usées traitées par les stations d'épuration. Pouvez-vous nous en dire davantage ? En outre, quel regard scientifique portez-vous sur les quantités d'eaux de source prélevées à des fins de commercialisation ? Ces pratiques diminuent parfois drastiquement la ressource disponible pour une utilisation locale, créant des inquiétudes légitimes pour l'avenir.
Mme Michèle Rousseau. - En réponse à votre seconde question, il revient aux préfets de fixer les seuils de prélèvement destinés à la production des eaux minérales. Le BRGM est peu sollicité pour aider au calcul des volumes pouvant être prélevés. Par ailleurs je le mentionnais, on ne connait pas forcément très bien le stock d'eau d'une nappe et sa dynamique de recharge. Quant aux prélèvements, on les connait en exploitant les bases de données des agences de l'eau mais il s'agit des données de prélèvements annuels.
M. Pierre Pannet. - Toutefois, nous sommes parvenus à modéliser correctement l'état de la nappe des grès du trias inférieur en Lorraine, qui est aussi utilisée par un embouteilleur, Vittel en l'occurrence. L'enjeu est d'établir des scénarios de prélèvement ne dépassant pas le niveau de recharge annuelle. Nous disposons d'une moins bonne connaissance de l'état de la nappe dans votre département, le Puy-de-Dôme.
M. Éric Gold. - Qui a sollicité l'étude de la nappe lorraine ?
M. Pierre Panet. - C'est un service de l'État.
Mme Michèle Rousseau. - Votre première question portait sur les recharges maîtrisées : à notre connaissance, celle-ci ne concerne que 2 % des prélèvements, uniquement pour des nappes réactives, très superficielles.
M. Pierre Pannet. - La loi est très stricte pour l'utilisation des eaux usées - nous en sommes encore à la phase de recherche et développement. Mais nous voulons acquérir une maîtrise de ces sujets. Quoi qu'il en soit, il convient de ne pas dégrader la qualité des eaux souterraines, d'où l'importance des études relatives à la chimie de l'eau.
Mme Michèle Rousseau. - La recharge des nappes réactives n'a de sens que si l'eau injectée est utilisée au cours de la même saison. En outre, nous n'avons pas connaissance de procédures de recharge maîtrisée pour les nappes inertielles, en France.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - À cet égard, des expérimentations sont menées dans les départements du Lot-et-Garonne et de la Haute-Garonne.
M. Pierre Pannet. - Le BRGM conduit cette expérimentation, baptisée R'Garonne. Celle-ci vise à utiliser, l'hiver, le surplus d'eau de la Garonne pour l'infiltrer, via un canal, dans la nappe, afin, l'été venu, de soutenir le débit d'étiage du fleuve. Nous en sommes encore au stade des études expérimentales, et, cet hiver, nous déplorons l'absence de surplus. En revanche, la recharge maîtrisée des nappes aquifères est une technique éprouvée, dont l'intérêt est de créer un effet retard en infiltrant l'eau du surplus hivernal pour soutenir le débit d'étiage durant l'été.
Mme Kristina Pluchet. - Les haies sont désormais bien acceptées par les agriculteurs. Des centaines de kilomètres de haies sont plantées chaque hiver en Normandie, grâce à l'accompagnement financier mis en place par le conseil régional. Les cultures de printemps font partie d'une rotation. Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle celles-ci laissent les sols nus : cela dépend du niveau de précipitations.
M. Pierre Pannet. - Loin de moi l'idée que quiconque est responsable de quoi que ce soit. Les dernières coulées de boue importantes que nous avons connues, notamment dans les Hauts-de-France, en Seine-Maritime et dans l'Eure, datent de la mi-mai ou du début du mois de juin. Elles concernent les cultures de printemps, particulièrement les pommes de terre.
La pomme de terre, dont la culture se développe fortement ces dernières années, notamment dans les Hauts-de-France, demande beaucoup d'eau et est souvent cultivée dans le sens de la pente, engendrant des rigoles et donc de véritables autoroutes à ruissellements et des coulées de boue assez importantes.
Le lin ne pose pas de soucis trop importants, tout comme l'orge de printemps. En revanche, le maïs, la pomme de terre et, dans une moindre mesure, la betterave sont des cultures à l'origine de coulées de boue en cas d'orage de printemps. Or le changement climatique a pour effet une intensification et une densification des orages de printemps, à des moments où les sols ne sont pas encore totalement couverts. En effet, les pommes de terre et les betteraves ont tendance à couvrir les sols plutôt en juillet.
M. Ludovic Haye. - Au sujet de l'expérimentation dans le Lot-et-Garonne, on dit que cette méthode était déjà utilisée au temps des Romains. Alors qu'on cherche à mettre en place des bassines qui sont en quelque sorte des stockages de surface, le bon sens nous indique qu'il serait préférable de stocker l'eau en profondeur, à l'abri de l'évaporation et des pollutions. Néanmoins, ne polluons-nous pas les nappes ? L'eau injectée est-elle une eau de bonne qualité qui a le temps d'être filtrée ?
M. Pierre Pannet. - La nappe d'accompagnement de la Garonne est alimentée par l'eau de la Garonne. Dans le test que nous réalisons, l'eau prélevée vient de la Garonne. Ainsi, nous répétons le schéma naturel en l'aidant un peu. Toutefois, pour l'ensemble de nos actions et de nos propositions, l'étude du risque et de l'impact est importante. Pour les endroits où l'eau injectée ne correspondrait pas à la chimie de la nappe sous-jacente, des études d'impact ainsi que des analyses physico-chimiques et géochimiques sont nécessaires au préalable.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Au niveau juridique et au regard de l'acceptabilité des projets, vous êtes de plus en plus sollicités, parfois peut-être instrumentalisés. Aujourd'hui, des problématiques émergent au travers des décisions des tribunaux administratifs qui reviennent sur des études des BRGM. C'est le cas en Charente et en Charente-Maritime où les quantités d'eau prélevées ont été remises en cause, en dépit des études que vous aviez conduites. Percevez-vous une montée en puissance des contentieux ? Nous avons tous en tête l'exemple des bassines, notamment à Sainte-Soline, à propos desquelles existe une forme de guerre livrée par rapports scientifiques interposés.
Mme Michèle Rousseau. - La montée en puissance de questions difficiles au sujet de l'eau est perceptible et nous nous attendons à en avoir davantage au fil des décennies, en raison du réchauffement climatique. L'eau sera un sujet central pour de nombreuses régions. Nous ne sommes pas souvent consultés par les préfets sur le calcul des volumes susceptibles d'être prélevés, mais nous travaillons sur la question.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Une des voies possibles serait celle de la maîtrise de la ressource disponible et des quantités prélevées à l'échelle des bassins. Une clarification favoriserait une responsabilisation d'autant plus forte.
Mme Michèle Rousseau. - Dans le cadre de notre nouveau contrat d'objectifs, qui commence cette année, nous assisterons davantage les préfets pour le calcul des volumes prélevables, mais nous partons d'une situation où nous ne le faisions assez peu.
Dans le cas de Sainte-Soline, le BRGM est intervenu pour le compte d'une coopérative, en accord avec l'État, afin de déterminer si une amélioration des débits aurait été constatée en été et en hiver, si les retenues avaient été construites dans la décennie 2000-2010. Le BRGM a répondu à cette question en indiquant qu'une amélioration durant l'été aurait eu lieu si des prélèvements avaient été réalisés en hiver pour remplir les retenues. Nous avons quantifié cette amélioration à l'aide d'un modèle calé sur les années 2000-2010 - seul modèle existant d'ailleurs - et pas sur les années 2010-2020. Néanmoins, la décennie 2000-2010 semblait représentative d'une décennie classique. Nous n'avons pas simulé les conséquences du réchauffement climatique. Nous n'avons pas dit que des prélèvements pouvaient nécessairement être réalisés en hiver. En effet, nous disposions d'un cahier des charges fixant les niveaux de prélèvement réalisés en hiver et en été afin de déterminer quels effets cela aurait pu avoir sur les débits des cours d'eau. Le rapport du BRGM a ensuite été utilisé d'une autre façon, semble-t-il ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je parlais d'instrumentalisation.
Mme Michèle Rousseau. - Ce rapport est à votre disposition. Nous avons réalisé un communiqué de presse pour préciser ces éléments. Nous espérons que le contenu de notre rapport sera progressivement mieux compris. La rentabilité de la construction de ces bassines n'a pas été dans notre champ d'étude.
M. Pierre Pannet. - Les remplir pose la question des seuils de niveau de nappes à partir desquels autoriser des prélèvements. Nous travaillons assez peu sur ce sujet pour le moment. Or nous aimerions y travailler. En effet, dans certains cas, ces seuils paraissent étonnants.
Mme Michèle Rousseau. - Nous souhaiterions travailler sur les seuils ou les modèles afin de mieux pouvoir apprécier la question dans son ensemble.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Par conséquent, vous avez besoin de plus de moyens ?
Mme Michèle Rousseau. - Nous en avons déjà obtenu, mais les moyens consacrés à ce type de questions ne sont peut-être pas à la hauteur des enjeux des prochaines décennies.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Un des éléments d'actualité est l'évolution de la qualité des nappes superficielles. En effet, des polluants inconnus hier nous inquiètent aujourd'hui. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?
Mme Michèle Rousseau. - Les pesticides sont les polluants les plus détectés et la contamination par les pesticides ne ralentit pas. Pour les polluants plus émergents, comme les résidus de médicaments ou les perfluorés, nous disposons de moins de données et surtout de moins de séries longues. La pollution qu'ils causent commence à être perceptible, mais aucune limite de seuil n'a été définie. Cette problématique est en forte progression.
M. Pierre Pannet. - Les nappes en France sont très inertielles. Plusieurs centaines d'années sont ainsi nécessaires pour effacer la présence de molécules de polluants. Ainsi, en prenant l'exemple des pesticides et de la nappe de la craie, qui est une des nappes de surface les plus inertielles en France, si tout traitement de pesticides était arrêté, les niveaux de contaminants progresseraient encore pendant plusieurs dizaines d'années. La difficulté actuelle est de déterminer à quel moment les polluants présents dans la nappe ont été déversés. Techniquement, nous savons calculer les âges de l'eau, mais ce sujet est complexe.
Mme Michèle Rousseau. - Dans le domaine des nitrates, dans le bassin Seine-Normandie, si l'utilisation d'engrais était totalement arrêtée, un siècle et demi serait nécessaire pour respecter les normes européennes.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pour autant, ce n'est pas une raison pour ne pas s'en soucier.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Malgré tout, le monde agricole fait des efforts.
Mme Michèle Rousseau. - Je ne dis pas le contraire. Cependant, en raison de l'inertie des nappes, un temps assez long peut s'écouler avant de constater la disparition des problèmes, une fois la solution mise en place.
M. Thierry Cozic. - Des éléments de comparaison internationale existent-ils s'agissant des réinjections d'eau dans les nappes par exemple ?
Mme Michèle Rousseau. - Nous travaillons parfois aussi à l'international par exemple avec la ville du Cap en Afrique du Sud. S'agissant de la recharge, certains pays, comme Israël, sont plus avancés que nous.
M. Pierre Pannet. - C'est d'ailleurs le cas de tous les pays ayant eu des problèmes d'eau avant nous, à l'instar de l'Espagne.
Mme Michèle Rousseau. - Dans un contexte où les effectifs sont toujours un peu contraints, doit-on consacrer nos effectifs à faire de la recherche académique, de la recherche pour les collectivités territoriales ou à se tourner vers l'international avec des hydrogéologues modélisateurs extrêmement sollicités ? Pour le BRGM, la coopération internationale nous permettra d'acquérir des connaissances que nous pourrons importer en France quand la situation sera plus compliquée.
M. Pierre Pannet. - Sur le plan européen, nous profitons des programmes Interreg qui nous permettent de travailler avec des laboratoires allemands, hollandais, anglais - le dernier programme Interreg s'achève avec l'Angleterre -, italiens et espagnols.
Mme Michèle Rousseau. - Néanmoins, aucun parangonnage systématique des recherches conduites à l'étranger n'est à notre disposition afin d'évaluer notre positionnement.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela peut être un élément en faveur d'un meilleur partage des connaissances et un sujet à travailler.
Mme Florence Blatrix Contat. - Au sujet des substances encore peu recherchées actuellement, comme les substances médicamenteuses ou les perturbateurs endocriniens, ne doit-on pas accélérer dans ce domaine ? Peut-on avoir des éléments comparatifs en fonction des systèmes d'épuration utilisés ? Ainsi, des systèmes par membrane semblent plus efficaces. Dans la mesure où les collectivités investissent, elles doivent pouvoir le faire en direction des systèmes les plus efficients.
Mme Michèle Rousseau. - Le BRGM est un établissement public sous tutelle principale du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Nous ne décidons pas de l'endroit où nous menons nos recherches, nous respectons les indications qui nous sont données. Nous n'avons aucun pouvoir de décision sur la nature de nos recherches, à l'exception des recherches menées avec nos ressources propres, mais cela reste limité.
M. Pierre Pannet. - Sur le plan technique, je ne maîtrise pas beaucoup ces sujets. En effet, le BRGM travaille très peu sur l'assainissement, mais sur les ressources du sol et du sous-sol. Néanmoins, nous travaillons avec des collectivités ou des délégataires de services publics qui gèrent l'alimentation en eau et son assainissement.
Il est fondamental d'avoir une meilleure connaissance des polluants dits émergents, à savoir les résidus médicamenteux ou les perfluorés, également appelés substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (ou PFAS), dont la dégradation est quasiment impossible. Nous commençons à y travailler.
S'agissant des systèmes d'assainissement, nous constatons beaucoup d'évolutions techniques, mais la meilleure solution reste encore de limiter au maximum la présence de contaminants dans les eaux brutes. La prévention sur l'origine de ces polluants et leur cycle de dégradation est le meilleur investissement par rapport aux solutions curatives d'assainissement, qui ne sont pas du ressort du BRGM.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Une dernière question a trait aux mesures législatives et réglementaires pour assurer une gestion durable de l'eau. Avez-vous des idées à partager ?
Mme Michèle Rousseau. - À propos des prélèvements dans les nappes, il serait intéressant d'adresser au BRGM les prélèvements localisés sur une base mensuelle - en indiquant dans quel aquifère et à quelle profondeur le prélèvement est effectué - et non sur une base annuelle, comme c'est le cas actuellement. Nous récupérons les données des agences de l'eau, mais qui sont des données fiscales.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela dépend de la qualité du référentiel sur les points de prélèvements.
Mme Michèle Rousseau. - S'agissant des points d'eau, les données sont disponibles et d'assez bonne qualité. En revanche, nous ne disposons que des données annuelles, ce qui est dommageable à la construction de modèles. En effet, quand des écarts importants sont constatés, il est difficile de déterminer si c'est en raison de la qualité du modèle ou de prélèvements erronés.
M. Pierre Pannet. - Il n'existera pas de modèle fiable, tant que nous n'aurons pas de données de prélèvement fiables selon des séquences temporelles précises.
Une autre préconisation envisageable est que tous les gestionnaires de l'eau, qui ont parfois leur propre réseau de suivi, puissent intégrer leurs données dans les bases de données nationales, en particulier celle du portail national d'accès aux données sur les eaux souterraines (Ades).
Sur les prélèvements d'eau effectués plus en profondeur, la loi est actuellement quasi inexistante en la matière. Des éléments de protection plus importants sont nécessaires. Aucune disposition ou presque ne concerne les nappes inertielles.
Mme Évelyne Perrot, présidente. - Je vous remercie pour votre éclairage utile aux travaux de notre mission.
La réunion est close à 14 h 55.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 16 mars 2023
- Présidence de Mme Évelyne Perrot, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 11 heures.
Audition de M. Jean Launay, président du Comité national de l'eau (CNE)
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Merci d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau pour une audition visant à éclairer ses membres sur la manière de prendre en compte la nouvelle donne climatique. Nous avons pour but d'évaluer la pertinence de la politique publique de l'eau menée aujourd'hui dans notre pays, tant dans ses aspects quantitatifs que qualitatifs.
Nous souhaitons aujourd'hui que vous puissiez nous éclairer d'une part sur le pilotage des politiques de l'eau, leur financement et leur gouvernance, et d'autre part sur la restauration du cycle de l'eau et la gestion sobre de la ressource.
Vos travaux et analyses nous aideront à répondre aux différentes questions que se pose la mission. Les objectifs de la politique de l'eau sont-ils adaptés ? Les instruments juridiques, organisationnels ou encore financiers de la politique de l'eau sont-ils efficients et efficaces ? Le cadre fixé par les grandes lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 doit-il évoluer ? Quels sont les changements nécessaires pour mieux gérer l'eau sur notre territoire ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je remercie Jean Launay de sa disponibilité. Votre expertise est reconnue sur le plan national. Vous avez participé à différents travaux, notamment au Varenne agricole de l'eau. Je suppose que vous suivrez de près l'annonce attendue tout prochainement du Plan Eau, L'année 2023 débute dans des conditions particulièrement défavorables qui justifient pleinement l'adoption d'un tel plan.
Notre mission aborde les questions de gestion qualitative et quantitative de l'eau. Le Comité National de l'Eau (CNE) que vous présidez s'intéresse depuis de nombreuses années à ces questions en contribuant à nourrir le débat public. Pouvez-vous indiquer les thématiques sur lesquelles vous avez travaillé ainsi que les sujets abordés avec les pouvoirs publics ?
M. Jean Launay, président du Comité National de l'Eau. - Le sujet de l'eau est placé au sommet de l'agenda politique depuis le discours du Président de la République en clôture du congrès des Maires en novembre 2017. Ce discours a donné l'impulsion préalable à l'organisation des Assises de l'eau, en 2018 pour le petit cycle et en 2019 pour le grand cycle. À l'échelle globale, il n'y a qu'un seul cycle de l'eau, mais pour des raisons pratiques, il y a eu deux années de réflexion séparées. Nous reviendrons sur ces questions de petit cycle et de grand cycle. Par la suite, il y a eu, vous l'avez mentionné, le Varenne agricole de l'eau et de l'adaptation au changement climatique. Je me suis personnellement impliqué dans l'ensemble de ces réflexions. J'ai été coordinateur général des Assises de l'eau durant leur première phase auprès du ministre Sébastien Lecornu. Emmanuelle Wargon, durant la seconde phase sur le grand cycle, m'a chargé des sujets de gouvernance et de financement, en plus des quatre groupes de réflexion qui ont mené leurs travaux sur les économies d'eau, le partage de l'eau, la protection de l'eau et les solutions fondées sur la nature. J'ai été également coresponsable de la thématique 3 du Varenne agricole de l'eau sur la thématique : « quelle stratégie d'aménagement des territoires ? », centrée sur les questions de mobilisation de la ressource en eau.
Le chantier relatif à l'eau s'inscrit dans le cadre de la planification écologique. Il nous aura permis de compléter l'état des lieux, notamment à l'aune de l'épisode de sécheresse très intense de l'été 2022, qui a renforcé les prises de conscience individuelle et collective sur le sujet de l'eau, et son traitement nécessaire de façon transversale et interministérielle.
Dans le cadre de ce dernier chantier Eau de la planification écologique lancé par les ministres Christophe Béchu, Bérengère Couillard et Agnès Firmin Le Bodo le 29 septembre 2022, le CNE dans son ensemble, et pas seulement son président, a été pleinement mobilisé. Les présidents des comités de bassin et moi-même avons reçu après le 29 septembre une lettre de cadrage demandant à tous de faire parvenir les propositions à l'État, le plus rapidement possible. Nous avons travaillé de novembre à décembre 2022. Dans le cadre du CNE, j'ai créé trois groupes de travail supplémentaires aux trois qui existaient déjà, sur les DOM, la Commission consultative sur le prix et la qualité des services publics d'eau potable (CCPQSPEA) et le Comité d'anticipation et de suivi hydrologique (CASH) présidé par mes soins. Trois nouveaux groupes ont été constitués, afin de travailler sur le grand cycle de l'eau, les pollutions diffuses, ainsi que les questions de partage et de sobriété.
Ces groupes ont été animés par des binômes composés d'un élu et d'un représentant associatif membre du CNE. Ces réflexions engagées en novembre et décembre 2022 ont été élargies au-delà des membres du CNE. Par exemple, la Fédération nationale des SCoT ou d'autres organisations comme la Confédération paysanne ont participé aux travaux. L'élargissement des groupes vise à associer davantage d'organismes à nos travaux, pour garantir une plus large participation des acteurs pertinents. Le CNE s'est réuni le 20 décembre dernier pour synthétiser les conclusions des groupes de travail. Le 5 janvier 2023, une réunion plénière supplémentaire du CNE s'est tenue pour remettre à la secrétaire d'État Bérangère Couillard l'ensemble des conclusions. Je tiens ces éléments à la disposition de la mission d'information.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous avons effectivement reçu ces documents que nous analyserons en profondeur. Quel est votre analyse sur les convergences des politiques de l'eau entre les bassins, les priorités affichées entre différents SDAGE ? En ce qui concerne les programmes d'intervention des agences, pensez-vous que la vision et les approches sont homogènes ? Y a-t-il des différenciations particulières ? Nous regardons aujourd'hui la qualité et le rendement des redevances pour analyser les modèles économiques susceptibles de fonctionner. Les agences de l'eau que nous avons rencontrées affirment que la réglementation les conduit beaucoup plus à subventionner l'investissement et à moins intervenir sur le fonctionnement, ce que questionne un certain nombre de parties prenantes. Certaines travaillent sur des redevances et les soutiens d'étiage, ce qui impose de modifier les modèles économiques pour les redevances participants à cette activité.
M. Jean Launay. - La question est complexe, car elle recouvre plusieurs sujets. Une réflexion est en cours au niveau des agences de l'eau pour améliorer la lisibilité des redevances actuelles. Ce travail aboutira très prochainement. Il a été évoqué lors des dernières réunions du Comité de bassin Adour-Garonne et du CNE. Nous aboutirons à une simplification immédiate d'une redevance eau et d'une redevance assainissement.
Une réflexion de plus long terme se pose sur une éventuelle redevance sur le soutien d'étiage et une redevance sur la biodiversité. Aujourd'hui, il n'y a pas de redevance spécifique au bénéfice de la biodiversité. Cette question mérite d'être posée. Par ailleurs, votre collègue Alain Richard a travaillé sur ce sujet avec le député Christophe Jerretie il y a deux ans. Nous les avons entendus dans le cadre du CNE sur leur proposition de mise en place d'une taxe biodiversité en l'adossant à la taxe locale d'équipement (TLE) perçue par les départements.
Je ne sais ce que l'État décidera. Bercy est structurellement réticent à l'idée d'une taxe nouvelle, et même si elle existait déjà, le renforcement de l'assiette créerait de la fiscalité supplémentaire. Pour ma part, je ne vois pas bien l'évolution des politiques de taxation en matière environnementale. Il y a une unanimité très forte exprimée par les présidents des comités de bassin pour demander à l'État de laisser l'argent de l'eau à l'eau et de cesser d'appliquer le plafond mordant aux dépenses et aux recettes des agences de l'eau. J'estime que les lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 fondent un système de gestion de l'eau anticipateur de la décentralisation, de la déconcentration, de la démocratie participative et de la fiscalité écologique.
Les différences existent sur les territoires, car les bassins hydrographiques et la géologie ont commandé depuis 1964 la réflexion politique autour de l'eau. Gardons ce point structurant. Il n'est pas anormal que l'État impulse des politiques publiques plus efficientes en fonction de la situation. Par contre, il faut instaurer une confiance plus grande entre l'État et ses opérateurs, les agences de l'eau, les régions qui sont en charge du développement économique et voient la nécessité de donner de l'eau à l'agriculture pour mettre en place les projets alimentaires territoriaux (PAT). La réflexion se situe à ce niveau du développement politique, entre l'État et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
L'accès à l'eau doit être privilégié pour les acteurs économiques. L'État doit renouer un partenariat de confiance avec les départements, même si l'eau n'entre plus dans leur compétence, dans la mesure où ils ont une histoire en lien avec l'eau. Ils ont accompagné les premiers équipements des communes dans les réseaux de seconde génération. Ils ont hérité d'une part des savoir-faire et des connaissances en termes d'ingénierie et des transferts de l'État vers les départements.
Organisons autour de schémas départementaux, qui méritent d'être réactualisés, particulièrement dans le monde rural, la réflexion politique sur l'organisation des services d'eau potable. Je plaide pour ma part pour une rationalisation de la maîtrise d'ouvrage, qui est aujourd'hui émiettée. Il ne faut plus reculer sur le transfert de la compétence eau. Cette compétence doit-elle être transférée aux EPCI, comme la loi le prétend ? Peut-être, si celles-ci le veulent. Nous devons trouver d'autres modalités de transfert vers des syndicats structurés.
Je défends l'idée d'une structuration autour de syndicats assurant la production d'eau potable et la distribution d'eau dans une carte des départements simplifiée. Nous verrions ainsi mieux où agir. Cette organisation favoriserait un déclenchement plus rapide de la commande publique. L'émiettement de la maîtrise d'ouvrage est trop grand. Nous sommes incapables - du fait de cet émiettement - de voir l'importance des travaux à réaliser où ils devraient l'être, avec le meilleur rapport coût/efficacité.
Nous avons plaidé, dans le cadre du CNE, pour le maintien de l'intervention des agences de l'eau sur le petit cycle de l'eau. Du point de vue politique, ce serait difficilement compréhensible des acteurs publics et de la population que les agences ne financent plus l'eau, c'est-à-dire les travaux d'interconnexion ou de lutte contre les fuites. Ils doivent subsister dans les 11e programmes en cours et figurer dans les 12e programmes à venir, sans quoi il la perte de la relation de confiance entre l'État et les collectivités locales s'aggraverait.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous avez abordé plusieurs sujets à fortes implications. Je souhaite sortir du cadre et vous interroger sur la gouvernance. Le président du comité de bassin Adour-Garonne serait favorable à l'idée que les agences soient présidées par des élus, et non par des préfets ou des représentants de l'État. Quel est votre avis sur ce sujet ? Faut-il rapprocher la gouvernance des agences de l'eau et des comités de bassin ?
En ce qui concerne les comités de bassin, tout le monde souligne l'intérêt des « parlements de l'eau », mais un certain nombre d'acteurs soulève la complexité et la difficulté pour ceux qui ont moins de connaissances techniques et administratives de pouvoir s'approprier l'ensemble des travaux. Des critiques sont émises sur le fait que des décisions sont proposées à la délibération alors que les parties prenantes ne se sont pas suffisamment acculturées aux sujets. Les ensembliers des comités de bassin sont assez lourds et assez complexes. Qu'en pensez-vous ?
En ce qui concerne la gouvernance, êtes-vous favorable au renforcement des EPTB et des EPAGE ? Pour favoriser la différenciation territoriale, nous pouvons comprendre que l'organisation des syndicats peut être différente d'un territoire à l'autre. Nous plaidons pour un modèle le plus homogène possible sur le plan national. L'ANEB est favorable au développement des EPTB.
Sur la planification territoriale de l'eau, quel est votre sentiment quant à l'articulation entre SDAGE, SAGE et les plans de gestion des étiages (PGE) ? Quelles pourraient être la stratégie pour les territoires qui n'ont pas de SAGE, ou qui en ont peu, pour développer ces schémas qui présentent un certain nombre de vertus ?
M. Jean Launay. - Cette question complexe peut être abordée à travers plusieurs clés d'entrée. En ce qui concerne la présidence des comités de bassin, l'évolution des Conseils d'Administration des agences de l'eau et des comités de bassin, placés sous la responsabilité du préfet coordonnateur, est une mesure assez récente. Ce n'était pas le cas il y a deux ou trois ans. L'État a fait le choix de renforcer la place des préfets coordonnateurs de bassin. Je connais la position d'Alain Rousset, qui travaillait bien avec le préfet coordonnateur de bassin lorsqu'il menait les réunions des comités de bassin. Dans le pacte de confiance appelé de mes voeux et compte tenu du rôle d'impulsion que doit jouer l'État, je ne sais s'il est judicieux de remettre en cause ce choix récent.
La notion qui me semble importante est celui de « coordonnateur ». Les préfets, du fait de leur fonction, sont les relais de l'État sur les territoires. Au niveau des bassins hydrographiques, dès lors que leur importance est reconnue, que nous abandonnons définitivement les projets de débudgétisation de la politique de l'eau, que nous abdiquons les vues jacobines sur la recentralisation de la politique de l'eau, laissons à l'État ce rôle d'impulsion. L'organisation autour des préfets coordonnateurs ne me choque plus, même si j'ai été très surpris lorsque la décision a été prise de les mettre à la manoeuvre. Néanmoins, il faut que ce lien de confiance s'établisse avec les élus et tous les usagers de l'eau, dans une relation d'écoute réelle au niveau des bassins.
En ce qui concerne les questions de gouvernance, je distinguerai entre petit et grand cycle de l'eau. J'ai commencé à aborder le sujet du petit cycle avec la question du transfert de la compétence eau, dont l'horizon a été fixé par le législateur en 2026. Certains voudront maintenir l'exercice de la compétence eau par la commune. Je pense que ce n'est pas souhaitable. Le département du Lot compte une centaine de maîtres d'ouvrage différents sur l'eau. L'émiettement actuel de la maîtrise d'ouvrage est un obstacle à une vue d'ensemble, coordonnée, de la situation nos réseaux, et de nos conditions d'accès à l'eau, quels que soient les usages.
Il vaudrait mieux rationaliser l'organisation de cette maîtrise d'ouvrage. Doit-elle être prise en charge par les EPCI comme le dit la loi ? Cette hypothèse est envisageable si les EPCI y sont favorables. C'est notamment le cas dans les agglomérations, qui ont déjà cette compétence. En tant que député, j'avais fait voter dans le cadre de la loi « Maptam » un amendement dit de représentation et substitution. Il mériterait peut-être aujourd'hui d'être desserré. Par cette loi, les EPCI qui héritent de la compétence eau pourraient la transférer à d'autres structures. Je plaide pour ma part, dès lors que les EPCI ne souhaiteraient pas prendre la compétence, pour l'organisation de syndicats structurés, qui traiteraient de la production et de la distribution d'eau potable.
L'actualisation des schémas départementaux d'eau potable amèneraient les syndicats et les EPCI à mettre au point la cartographie utile des interconnexions, sous l'oeil attentif du financeur indispensable que sont les agences de l'eau, ce qui garantirait un meilleur rapport coût/efficacité.
Au sujet du grand cycle, vous avez mentionné les EPTB et les EPAGE. J'ai été de ceux, en ma qualité de parlementaire, qui ont porté l'émergence de ces outils et leur inscription dans la loi. Je suis convaincu que ce sont surtout les territoires qui doivent mettre en oeuvre ces structures. Les initiatives de créer des EPTB ou des EPAGE, avant qu'ils ne soient inscrits dans la loi, relevaient de la prise de conscience de ces sujets qui touchent au grand cycle. Les sujets relatifs aux inondations, à la gestion des milieux aquatiques ou à la GEMAPI sont portés par des structures telles que les EPTB et les EPAGE.
Je suis favorable à la création de liens de confiance et à des contrats qui puissent être établis entre les agences de l'eau, les EPTB et les EPAGE. Ces structures doivent pouvoir être maîtres d'ouvrage. Les réflexions collectives sur l'accès à l'eau, le lien à la biodiversité et le partage de la ressource doivent se dérouler dans ce cadre.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - J'ai le sentiment que les dispositifs conventionnels ne sont pas suffisamment incitatifs. Nous manquons peut-être de lisibilité en termes d'intérêt politique pour inciter les acteurs et les parties prenantes à s'engager en faveur des EPTB et des EPAGE. Le modèle actuel est différencié, mais face aux enjeux, je serais plutôt favorable à ce que nous soyons plus incitatifs pour contribuer à développer les EPTB et les EPAGE. Êtes-vous d'accord avec ce point de vue ?
M. Jean Launay. - Oui, je partage votre point de vue. Dans le bassin sur lequel je suis administrateur, en Adour-Garonne, nous plaidons, en lien avec l'agence, pour la couverture totale du territoire en EPTB. Dans ce cadre élargi de réflexion, nous pourrons développer des syndicats à l'échelle des sous-bassins versants, que sont les EPAGE, pour mettre en place des politiques de grand cycle en direction des milieux aquatiques, de la biodiversité, de la prévention des inondations, etc. Je partage ces idées.
Je fais aussi le constat que pour les SAGE (schémas d'aménagement et de gestion de l'eau), les déclinaisons des SDAGE sur les territoires, la carte de France est largement incomplète, surtout à l'est du pays. L'appropriation de la problématique de l'eau par les élus et leur volonté de s'engager dans une phase de réflexion, puis d'organisation, est encore assez inégale sur le territoire national. Il est indispensable d'insister pour que la prise de conscience croissante des enjeux de l'eau, paradoxalement en raison des sécheresses répétées, incite les élus locaux à s'engager sur ce sujet complexe, car il est souvent conflictuel. C'est la noblesse de la politique de ne pas refuser l'obstacle. C'est en raison de la difficulté, ou parce que c'est difficile, qu'il doit y avoir l'implication des élus.
Ce projet nous renvoie à la question des préfets coordonnateurs. L'État impulse et incite, y compris financièrement, autour de structures de gouvernance crédibles, les syndicats et EPCI pour le petit cycle de l'eau, ainsi que les EPAGE et EPTB pour le grand cycle.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - J'ai une inquiétude sur les concessions hydroélectriques pour le renouvellement desquelles l'Europe met la France au pied du mur. Ce sujet est particulièrement sensible, notamment dans le comité de bassin Adour-Garonne. Quelle est votre position sur une éventuelle mise en concurrence ? Quel serait le chemin le plus judicieux pour nous sécuriser sur ces sujets ?
En termes de planification, quelle est votre vision pour mieux tenir compte des politiques de l'eau dans les documents d'urbanisme, et notamment dans des SCoT intégrateurs ? Avoir une vision intégrée de la gestion de la ressource, liée à l'accueil des populations sur les territoires, nous semble être un sujet important, à décliner dans la gestion du fil de l'eau au niveau des PLU et des PLUI.
M. Jean Launay. - J'ai un avis très tranché sur le renouvellement des concessions hydroélectriques. Le sujet est ouvert depuis maintenant vingt ou trente ans. Je ne comprends pas que ce funeste statu quo soit maintenu. Nous devons vraiment avancer sur ce sujet. Je suis très réservé quant à la mise en concurrence des concessions. C'est une question de souveraineté et de conditions d'accès à l'énergie pour nos concitoyens. Les infrastructures hydroélectriques en France sont importantes. Ces installations servent à gérer la pointe de consommation d'électricité et nous voyons bien en période de tension sur le réseau l'importance des barrages. Par ailleurs, il n'est pas certain que nous parviendrons à les reconstruire aujourd'hui, si nous devions le faire à nouveau. Ce qui a été fait au siècle dernier est une chance. En Adour-Garonne, c'est le modèle économique du soutien d'étiage qui est sous-tendu par cette question du renouvellement des concessions hydroélectriques. Des réflexions s'organisent au niveau de la totalité du cours d'eau, dans la mesure où plusieurs opérateurs peuvent intervenir sur le même cours d'eau : EDF, CNR, SHEM, etc. L'engagement d'une réflexion par chaîne ne me contrarie pas. En revanche, la possibilité que ces installations échappent à la souveraineté nationale me hérisserait. Les décisions doivent être rapidement prises. Je suis favorable à la sortie de ce statu quo.
Concernant la seconde question relative aux documents d'urbanisme, la réflexion du chantier eau de la planification écologique a associé la fédération des SCoT. Les SCoT doivent être mieux pris en compte par les PLU et les PLUi. Le bénéfice que nous pourrons tirer de ces périodes de tension sur la ressource consiste en l'accélération de la prise de conscience que l'eau doit être considérée comme un élément transversal des politiques publiques et qu'elle doit être gérée en inter-ministérialité.
La réflexion sur l'urbanisme serait incomplète sans une meilleure prise en compte des eaux pluviales. Une plus grande attention doit être portée à l'artificialisation des sols, qui est trop rapide et trop violente, ainsi que sur la nécessaire désimperméabilisation. La réutilisation des eaux usées traitées pour les aires sportives et les espaces verts des collectivités doit être développée. Ces réflexions doivent être mieux intégrées dans les documents d'urbanisme qu'elles ne le sont aujourd'hui. Nécessité aura force de loi. Il est indispensable que ce soit le cas.
M. Thierry Cozic. - Je siégeais auparavant dans le comité de bassin Loire Bretagne. Une question est posée sur la solidarité inter-bassin. Quelle est la position du CNE sur ce sujet ?
M. Hervé Gillé, rapporteur. - La solidarité inter-bassin est un sujet très important. Ce sujet titille un peu les agences de l'eau. Nous leur disons qu'il serait souhaitable qu'une enveloppe nationale permette d'accompagner des projets d'ampleur nationale. Nous pouvons déplafonner et réserver une partie de l'enveloppe pour accompagner de grands projets à caractère structurant sur le plan national. Les solidarités interbassins peuvent jouer sur les politiques de l'eau entre barrages hydro-électriques. Cette forme de solidarité interbassins peut s'exercer en tant qu'opérateur. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean Launay. - C'est une question complexe. Le modèle français de gestion de l'eau issu des lois de 1964, de 1992 et de 2006 génère des disparités de moyens entre les bassins hydrographiques. À taux de redevance et de pollution identique, les montants collectés sont très différents. Cette situation génère une inégalité entre les bassins. Faut-il remettre en cause les modèles ? Je ne le pense pas. C'est peut-être la raison des réticences des directeurs d'agence que vous avez entendus. Derrière leur réticence émerge l'interrogation sur le risque de rebudgétisation des moyens de la politique de l'eau.
Les agences de l'eau font d'ores et déjà jouer la solidarité interbassins de deux manières. Une agence chef de file est placée sur certains sujets. Elle agrège les savoir-faire des autres agences pour que les chefs de file portent de façon mutualisée leur savoir-faire et leurs réflexions. Doivent-elles le faire au niveau financier ? Doivent-elles s'aider davantage entre elles ? Ce sujet n'est pas évoqué publiquement. Je ne crois plus à l'hypothèse de grands travaux interbassins, ou l'État devra trouver la solution. Je ne crois plus à la possibilité de travaux à l'intérieur d'un bassin nécessitant une participation des autres bassins. Les conditions d'une acceptabilité sociale de très grands travaux comme ceux pour créer un barrage ne me semblent pas réunies.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il y a quelques projets de rehaussement de barrages, pour optimiser les stocks et les ressources existants.
M. Jean Launay. - Je n'en vois pas. Le dernier débat auquel j'ai assisté était sur Adour-Garonne, avec le barrage de Charlas. Je ne sais qui osera piloter ce projet.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je partage l'analyse. La construction du barrage de Charlas sera très difficile, surtout après Sivens. Il faut mettre les sujets en perspective en termes d'acceptabilité. Le sujet est assez complexe.
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Les grands lacs de Seine, les réservoirs de la Seine, de l'Aube, de l'Yonne et de la Marne, sont-ils des projets que nous ne verrons plus ?
M. Jean Launay. - Ces projets ont été structurants pour garantir l'approvisionnement en eau de Paris et pour préserver partiellement la capitale du risque des inondations. Ces projets de préservation de la qualité des champs captants et de l'augmentation de la capacité sont un sujet d'avenir. Il faut continuer à s'y intéresser. C'est le devoir d'une réflexion collective.
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Ce sont désormais des réservoirs de biodiversité de très grande qualité.
M. Jean Launay. - Nous le voyons ailleurs. Des ouvrages mis en place par des sociétés d'aménagement régionaux - la France en compte trois importants en France - ont pu être contestés, alors qu'ils ont généré l'apparition d'écosystèmes de biodiversité végétale et animale réels. Il ne faut pas s'arrêter à une position dogmatique et fermée. Les conditions du dialogue sont compliquées au plan local. Il existe des positions extrêmes dans l'écologie, avec les tenants de la renaturation à tout prix, qui ne s'accommoderont d'aucun type d'aménagement. Il faut organiser des débats publics de qualité, qui génèrent de bons consensus et permettront de réaliser ces équipements indispensables.
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Ce sont des exemples de très grande qualité. Je regrette que l'État ne s'en serve pas davantage.
M. Jean Launay, - L'État les connaît. Il faut les promouvoir, montrer ce qu'ils ont apporté. Les impératifs du changement climatique et la récurrence des sécheresses doivent amener à se pencher sur ces sujets et ce type de réflexion.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Au niveau des systèmes d'assainissement et des canalisations d'eau potable, de vastes questions se posent sur le renouvellement et le moyen d'accompagner les renouvellements. Une faiblesse est constatée au niveau des moyens. Comment percevez-vous ce sujet ? Vous avez parlé de réengagement des agences de l'eau, et certains parlent de « plan Marshall » du fait des montants requis pour renouveler les réseaux d'eau.
M. Jean Launay. - C'est vrai pour l'eau potable et l'assainissement. Le taux de renouvellement de nos installations est faible, particulièrement pour l'eau potable. Le renouvellement est insuffisant par rapport au vieillissement de nos installations. Les moyens doivent être maintenus sur le petit cycle de l'eau et l'assainissement par les agences.
Quelle peut être la condition de cette politique, avec le meilleur rapport coût/efficacité ? Il faut sortir du « coup par coup ». J'en reviens à nos schémas départementaux, à leur validation, à leur actualisation, au fait qu'en regroupant des maîtres d'ouvrage actuellement trop éclatés, nous réussirons à avoir des objectifs plus partagés. Cette démarche justifiera d'autant mieux l'intervention financière des agences en garantissant le meilleur rapport coût/efficacité.
La démarche d'organisation de la maîtrise d'ouvrage est primordiale pour un renouvellement des systèmes d'assainissement et des canalisations d'eau potable. L'argent de l'eau existe dans ces collectivités primaires trop émiettées. Bercy le sait. Chaque mois, les comptables du trésor transmettent la situation résumée des opérations du trésor, étant donné que les collectivités locales ont l'obligation de dépôts de fonds au trésor. Bercy connaît chaque mois l'argent de l'eau dans les collectivités compétentes. Le problème est au niveau de la commande, qui ne se déclenche pas, étant donné que nos élus n'engagent les travaux qu'à partir de 80 % de taux de subvention. Ce n'est pas possible en matière d'eau potable. Si nous ne regroupons pas les maitres d'ouvrage, si nous ne faisons pas les travaux jugés indispensables pour lutter contre les fuites, nous ne déclencherons pas suffisamment tôt la commande publique.
Les travaux sur les réseaux d'eau peuvent être financés par des fonds disponibles avec l'accompagnement financier des agences issu des produits des redevances et l'emprunt. J'ai été stupéfait de constater qu'après la première phase des assises de l'eau, et la mise en place des aqua-prêts par la Banque des territoires, l'enveloppe ouverte de 2 milliards d'euros n'ait été que très partiellement consommée. Il existe un parti pris reposant sur l'idée qu'il ne faut pas augmenter le prix de l'eau et que les travaux doivent être basés sur une subvention très élevée. On ne déclenche pas suffisamment vite la commande publique.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Tâchons d'idéaliser. Imaginons que nous accompagnons un audit prospectif qui mette en perspective, syndicat par syndicat, une capacité financière de renouvellement par des travaux, en proposant différents modèles économiques. Certains le font, mais ce n'est pas le cas partout. Nous sommes des acteurs locaux de terrain. Nous le savons. Les qualités de gestion sont très différenciées selon la nature des syndicats. Si nous avions une forme d'accompagnement d'ingénierie financière qui ouvrirait le débat, cela permettrait d'aller plus vite. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean Launay. - Il faut coupler la stratégie financière à la stratégie effective de travaux, ce que je résume en employant le terme coût/efficacité. Il s'agit d'étudier comment s'interconnecter là où les interconnexions sont possibles, de se demander que faire pour lutter contre les fuites, comment analyser les indispensables travaux structurels pour garantir l'accès à l'eau de nos concitoyens, à commencer par l'alimentation en eau potable. Cette ingénierie financière peut se trouver en cumulant les savoir-faire existants dans certaines structures.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cet élément permettrait de conditionner les interventions des agences de l'eau.
M. Jean Launay. - Bien entendu. Nous pourrions être plus forts sur ce sujet aujourd'hui. Les bons montages financiers doivent accompagner les bons montages techniques, à condition de créer les conditions, qui ne sont pas forcément réunies aujourd'hui, de déclenchement de la commande publique. J'ai été appelé le 15 mars 2023 par le Président de la communauté d'agglomération de Guéret, qui a connu une coupure d'eau en 2022. Les ressources d'eau de cette ville, qualifiées d'historiques et suffisantes, ne le sont plus depuis deux ans. J'interviens dans quelques semaines auprès d'eux dans le cadre d'une réunion publique pour plaider le fait de regrouper les acteurs au-delà du périmètre de la communauté d'agglomération de Guéret, autour du schéma départemental qui doit être actualisé. Il a été conçu il y a trois ans. Ces outils doivent être utilisés. Il faut les actualiser et se donner les moyens de les mettre en oeuvre. Cette démarche suppose d'améliorer la gouvernance, c'est-à-dire restructurer, se regrouper, se donner des objectifs techniques à atteindre pour garantir l'accès à l'eau, mais aussi, que les moyens financiers suivent. Nous ne pouvons pas imaginer de bons schémas actualisés, qui donnent une vision des choses à faire, s'il n'y a pas la garantie que l'intendance suive.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Concernant la GEMAPI, même si le modèle de fiscalité a évolué avec la loi « 3DS », sur les cours d'eau majeurs, lorsque nous voulons travailler à la protection face aux inondations, nous montons de manière complexe des programmes d'étude préalables des PAPI, etc. Une fois que les pré-études sont financées, et que nous définissons les plans de référence, nous n'y parvenons pas compte tenu des coûts des endiguements. Je parle des cours d'eau majeurs. Le système actuel ne fonctionne pas. En effet, nous réfléchissons, puis nous édifions un château de cartes impressionnant. Le programme d'action est financé à 30 ou 40 % exceptionnellement, mais les 60 % restants ne permettent pas aux collectivités locales membres de la GEMAPI de faire face à ces coûts. Les collectivités locales et les régions sont très prudentes vis-à-vis de ces investissements. La fiscalité actuelle ne permet pas de financer ces travaux. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean Launay. - J'ai tout entendu au sujet de la GEMAPI : des élus regrettent que le taux ne puisse être augmenté, des élus disent qu'ils voteront 40 euros s'ils peuvent le faire, etc.. Cette question touche aux grands cycles et aux besoins des moyens de l'État. Ces travaux jugés indispensables ne peuvent se dérouler sans moyens de l'État. Ce ne peut être la facture de l'eau ou la taxe GEMAPI qui les financent. S'il faut un « plan Marshall », c'est bien pour ces types de travaux qu'il faut mettre les moyens de l'État en plus des moyens des agences issus de la facture d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les agences cofinancent les études, mais elles interviennent peu sur les programmes d'investissement.
M. Jean Launay. - Je suis bien d'accord sur ce point. Nous n'avancerons qu'avec les moyens de l'État si les travaux sont jugés indispensables.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Avez-vous des suggestions sur l'évolution du cadre législatif et réglementaire concernant les politiques de l'eau dans notre pays ?
M. Jean Launay. - Je ne pense pas qu'une nouvelle loi sur l'eau soit indispensable. Je privilégie le pointillisme en ce domaine. Les propositions de loi sont des véhicules législatifs appropriés pour les évolutions souhaitables. Je privilégie l'amélioration du volet réglementaire. Parmi les points que nous avons abordés, de nombreux sujets relèvent du réglementaire, de la fluidité des processus et des flux financiers, plutôt que d'un nouveau cadre législatif.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Souhaitez-vous évoquer d'autres sujets ?
M. Jean Launay. - Vous m'avez transmis de nombreuses questions. Les réponses au questionnaire issues du travail du CNE sont à votre disposition. Je pense que le travail mené dans le cadre de la mission d'information du Sénat est important. Il vient à point nommé. J'espère qu'il ouvrira des pistes concrètes au-delà des annonces du chantier eau attendu avant le départ de la délégation française à New York pour la Conférence sur l'eau à l'ONU.
Le travail collectif accompli par les comités de bassin, ainsi que les assises de l'eau et le Varenne agricole, ont suffisamment fourni d'éléments d'état des lieux pour que l'État puisse prendre des décisions prospectives d'accompagnement des territoires et des acteurs de l'eau dans un pacte de confiance renouvelé. C'est mon espoir. Nous verrons s'il en est ainsi avec les annonces à venir. Les constats sont connus. Il faut nous donner les moyens de passer à l'action, éviter les réactions corporatistes ou territorialisées à la mauvaise échelle.
L'eau est un sujet d'ampleur. Il faut trouver les bonnes échelles de discussions, puis les bonnes échelles de gestion. Merci d'avoir écouté le président du CNE. Je ne suis pas un expert. Je ne suis qu'un praticien. J'ai été durant 25 ans élu local et 19 ans parlementaire. L'eau a été un axe majeur de mon travail de parlementaire. Des éléments de la pratique m'ont amené à ce discours. Davantage qu'une expertise, j'ai le sentiment d'une appropriation indispensable du sujet de l'eau par tout le monde, et d'un traitement économique, scientifique et politique plus transversal. Il faut sortir l'eau des silos et adopter une réflexion qui soit la plus partagée possible pour garantir l'accès à l'eau et améliorer les conditions de sa gestion.
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Je vous rejoins pour la gestion des travaux par un syndicat départemental de l'eau. Mon département a mis en place un syndicat en 1945. Pour ma part, être maire d'un petit village de 300 habitants comme je l'ai été durant 25 ans, avec un syndicat qui chapeaute ces sujets, a été très confortable.
M. Jean Launay. - Madame la Présidente, je souhaite rebondir sur un sujet. Dans les systèmes les moins organisés, le mot de syndicat fait peur, alors que nous avons de bons exemples en Vendée, en Alsace, en Lorraine, en Charente ou ailleurs. Il ne faut peut-être pas utiliser ce terme-là où les syndicats n'existent pas. Je suggère d'utiliser plutôt la possibilité de créer une fédération départementale comme cela a été le cas en matière d'électricité. En effet, la fédération réunit les acteurs autour de la table et les amène à parler entre eux. J'ai été invité le 15 mars à une réunion des présidents des syndicats du Lot. Ils parlent entre eux, car ils redoutent la création d'un syndicat départemental. Je préfère parler de fédération. Devenez des syndicats de production, mais aussi de distribution. Les projets s'enclencheront plus facilement de cette manière.
Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Merci pour cet échange.
La séance est levée à 12 heures 05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.