Mardi 14 mars 2023
- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Audition de représentants d'associations de maires
Mme Maryse Carrère, présidente. - Avant d'ouvrir l'audition de ce matin, je vous signale le déplacement que nous organisons lundi prochain, en Ille-et-Vilaine, auquel vous êtes invités à participer.
Je vous propose à présent d'ouvrir la table ronde. Nous avons le plaisir d'accueillir : pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), en visioconférence, M. Jean-Paul Carteret, maire de Lavoncourt dans le département de Haute-Saône, qui est vice-président de cette association, ainsi que M. Michel Gros, maire de la Roquebrussanne, dans le Var, qui est membre de son bureau ; pour l'Association des petites villes de France (APVF), M. Daniel Cornalba, qui est membre de son bureau et maire de l'Étang-la-Ville, dans les Yvelines ; et enfin, pour l'association Villes de France, en visioconférence, M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, et M. Éric Straumann, maire de Colmar, tous deux membres du conseil d'administration de cette association.
Avait également été conviée à cette table ronde l'association France Urbaine, qui n'a malheureusement pas pu être représentée ce matin, mais qui enverra à la mission d'information une contribution écrite éclairant sa position sur les sujets qui nous intéressent.
Le sujet examiné par notre mission d'information est l'avenir de la commune et du maire. Votre témoignage nous est donc particulièrement précieux, à la fois pour cerner les difficultés auxquelles sont confrontées les catégories de communes et de maires que vous représentez, et pour identifier les solutions qui se dessinent pour garantir aux communes un avenir conforme à ce qu'attendent les élus et nos concitoyens.
M. Daniel Cornalba, membre du bureau de l'Association des petites villes de France. - L'Association des petites villes de France représente les petites villes de 2 500 à 25 000 habitants, qui regroupent un tiers de la population française. Ces communes sont en plein essor depuis la crise sanitaire ; elles attirent grâce à la qualité de vie qu'elles proposent et à leur relative centralité.
Toutes les études montrent, année après année, que les Français continuent à faire confiance à leur maire, ce qui est remarquable dans le climat de défiance à l'égard des institutions que nous connaissons en France et alors que nos concitoyens ont le sentiment de vivre dans un état de crise permanent : crise des gilets jaunes, crise sanitaire, inflation, etc. En tout cas, les maires sont toujours en première ligne en cas de crise et savent répondre présent.
Votre mission concerne l'avenir du maire et de la commune à l'horizon 2030. Il me semble que leur rôle ne doit pas changer. Les communes ont fait la preuve de leur force et de leur utilité. Il importe de préserver cette instance.
Vous nous interrogez sur la place de la commune dans le bloc communal et sur le lien avec les intercommunalités. Nombre de changements sont intervenus ces dernières années, mais je pense que modifier le périmètre des intercommunalités ne les rendra pas plus efficaces. Celles-ci doivent permettre de démultiplier l'efficacité de l'action locale, en intervenant en soutien des politiques communales. Elles sont avant tout utiles lorsqu'une mutualisation est pertinente : en matière d'assainissement, de gestion des déchets, d'organisation des mobilités, de développement économique, etc. Pour le reste, l'intercommunalité doit avoir une compétence d'appui, de manière souple, en lien avec les communes.
Les finances publiques locales sont sous tension : les communes ont été mises à contribution à hauteur de 46 milliards d'euros ces dernières années, à tel point que, selon notre étude, 44 % des maires envisagent de fermer des services publics. L'État a supprimé des dotations, qui sont, je le rappelle, non pas des subventions, mais des compensations d'un pouvoir fiscal retiré aux communes dans les années 1970. Cette évolution est révélatrice d'une vision restrictive de l'autonomie des collectivités, tant de la part des gouvernements successifs que du juge constitutionnel, car le transfert des compétences devrait s'accompagner de la capacité à agir. Les suppressions successives de leviers fiscaux sont une mauvaise nouvelle. Elles mettent en péril notre capacité à répondre aux problèmes que l'on rencontre. L'État privilégie désormais les appels à projets, qui constituent en fait une prime aux grandes communes, qui disposent seules de l'ingénierie nécessaire pour y répondre. Les petites communes en manquent, c'est le maire qui doit remplir les dossiers le week-end ; dès lors, beaucoup renoncent. Par exemple, en Indre-et-Loire, Tours reçoit plus de la moitié de l'enveloppe de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) du département.
Le problème de l'ingénierie est central. Les petites communes sont victimes de la dévitalisation progressive de l'État déconcentré, qui joue de moins en moins son rôle de conseil. L'État se rétracte et tend à se recentrer sur ses missions de contrôle. Il est important de maintenir les sous-préfectures, afin que l'État puisse s'adapter aux réalités locales. Dans les Yvelines, les sous-préfets n'ont pas les mêmes rôles à Saint-Germain-en-Laye, zone urbaine dense, qu'à Rambouillet. Il faut penser ensemble déconcentration et décentralisation.
On observe aussi une « agencification » de l'État, pour donner de la visibilité à certaines politiques publiques. Celle-ci aboutit parfois à des situations ubuesques : à l'occasion de l'aménagement d'une parcelle, une agence m'a déclaré que l'on devait la densifier, mais une autre a considéré qu'il s'agissait d'une aire protégée... Je me suis tourné vers la sous-préfecture qui n'a pas su arbitrer, et nous avons dû mener conjointement une procédure de délivrance de permis de construire et un dossier de protection des aires protégées ! Il serait utile que les préfectures retrouvent leur capacité d'analyse des dossiers et d'arbitrage in fine. Les maires ont parfois le sentiment d'être dépossédés de leurs prérogatives, dans la mesure où ils n'ont plus d'interlocuteur de proximité et ne savent pas qui étudie leurs dossiers. Les décisions semblent être prises au niveau national. C'est pourquoi il conviendrait que les élus soient représentés au sein des agences.
M. Jean-Paul Carteret, vice-président de l'Association des maires ruraux de France. - On connaît l'importance des services de proximité dans les communes rurales. On ne pourra jamais se passer du maire. Il faut que les communes conservent le plus de compétences possible.
M. Michel Gros, membre du bureau de l'AMRF. - L'Association des maires ruraux de France représente les communes de moins de 3 500 habitants, qui rassemblent un tiers de la population et couvrent plus de 80 % du territoire. Depuis 2020, 900 maires ont démissionné : ils ne comprennent plus les politiques menées par l'État, ni l'attitude de ses services. Ils ont le sentiment d'une perte de sens. Les politiques publiques manquent de visibilité, de continuité. Elles changent trop vite et empêchent les maires de construire une politique de long terme. Les maires sont en contact avec les multiples agences de l'État : l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), etc. Leurs interlocuteurs sont nombreux ; ce n'est pas simple à gérer pour les communes rurales dépourvues d'ingénierie.
On constate avec une certaine amertume une marche forcée vers l'intercommunalité depuis la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe. Les maires avaient pourtant su depuis longtemps travailler ensemble et mutualiser les moyens pour être plus efficaces. Résultat, les communes-centres se renforcent au détriment des communes rurales, sauf si le président de l'intercommunalité est maire d'une commune rurale. Mais dans la majorité des cas, le président est le maire de la ville-centre.
La dotation globale de fonctionnement est deux fois plus élevée par habitant dans les communes urbaines (128 euros) que dans les communes rurales (64 euros), alors même que les charges de centralité qui étaient supportées par les villes-centres ont été pour l'essentiel transférées aux intercommunalités. Le cabinet de la Première ministre nous a répondu qu'il n'était pas possible de réformer la DGF, car la formule est trop complexe, la « clé en aurait été perdue »... Ce n'est pas satisfaisant et on comprend que nos collègues soient démotivés.
Si les procédures pour obtenir des subventions de la part des régions ou des départements sont plutôt simples, il en va différemment pour les subventions de l'État : l'octroi des aides est soumis à différents critères, et les taux varient en fonction du bon vouloir du préfet. Je siège à la commission d'élus de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) du Var ; nous avons dû faire modifier les critères d'attribution de la DETR pour la recentrer sur les territoires ruraux : elle pouvait en effet bénéficier, dans certains cas, à des communes de plus de 20 000 habitants, qui ont accès à d'autres sources de financement à la différence des communes rurales. Le résultat de cette complexité des conditions d'attribution est que les projets des communes rurales sont souvent inéligibles aux aides. Les dossiers sont de plus en plus complexes et on manque cruellement d'ingénierie. L'ANCT ne suffit pas. Les maires ont du mal à trouver un interlocuteur et sont souvent renvoyés de bureau en bureau, jusqu'à en être découragés.
De plus, dans le cas des projets financés par la DETR ou la DSIL, les communes doivent avancer les fonds et l'État les rembourse avec un délai de sept ou huit mois - c'est trop -, au prix de nombreuses tracasseries administratives.
Les communes rurales ont été, dans leur grande majorité, de bons élèves s'agissant de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), mais la loi va s'appliquer uniformément, pénalisant autant les communes qui ont été vertueuses que les autres ; une approche différenciée serait intéressante.
Nous saluons les opérations « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain », mais nous plaidons pour la création d'un nouveau mécanisme, que l'on pourrait appeler « Villages d'avenir », pour soutenir les anciens chefs-lieux de canton ou les communes rurales qui le souhaitent.
Nous souhaitons pérenniser par la loi les zones de revitalisation rurale (ZRR) pour avoir de la visibilité à long terme.
Les territoires ruraux abritent la forêt, l'eau, les terres agricoles, etc. Or ces aménités rurales, ces services rendus pas la nature au profit du plus grand nombre, ne sont pas prises en compte dans le calcul des dotations de l'État. Il est ainsi plus rentable de bétonner une plaine agricole pour installer une zone commerciale que de créer une zone agricole protégée, qui pourtant permet de stocker l'eau, le carbone, tout en protégeant l'environnement. Ces services écosystémiques devraient être reconnus et la notion « d'espace » rural consacrée dans la Constitution.
Enfin, nous ne pouvons que noter, hélas, un changement de comportement de nos administrés, qui se comportent de plus en plus en consommateurs, et moins en citoyens. Cela rend la gestion des communes encore plus difficile.
M. Jean-Paul Carteret. - La dotation de solidarité rurale (DSR) a été orientée vers les bourgs-centres. Plutôt que de vouloir concentrer les services dans certains endroits, mieux vaudrait les répartir de manière équilibrée sur tout le territoire.
On a trop tendance à identifier communautés de communes et bassins de vie. Or il existe plusieurs bassins de vie au sein d'une intercommunalité : un bassin de vie, c'est une unité de vie, le périmètre scolaire d'une école primaire. On ne peut pas demander à tout le monde de vivre au même rythme dans une communauté de communes, car d'un bout à l'autre de son territoire, les gens ne se connaissent pas. Il faudrait faire en sorte que chaque bassin de vie soit doté d'une école primaire, de services de santé, de services publics, etc. Ce serait la mise en oeuvre de la proximité. Quand on va chercher ses enfants à l'école, on fait ses courses. Créer des aides pour la relance des commerces, c'est bien, mais on ne peut pas les implanter au milieu de nulle part ! Il en va de même pour les médecins. Il faut garantir la présence de tous ces services dans chaque bassin de vie.
Je plaide aussi pour la présence d'un service public de la petite enfance à proximité de chaque école dans les territoires ruraux. On manque d'assistantes maternelles ; des crèches ou des micro-crèches se développent, mais elles sont parfois éloignées d'un bourg-centre ou d'un village. Lorsqu'un village n'a pas de service de la petite enfance, les jeunes parents ne sont pas incités à venir y vivre, et il est à craindre que l'école, tôt ou tard, ferme. Si l'on concentre les services dans certains bourgs-centres ou certaines « petites villes de demain », les autres communes vont dépérir. Il importe de mailler tout le territoire. La création des zones artisanales a été une erreur, car l'activité s'est concentrée dans ces zones. Mieux aurait valu permettre aux artisans de s'installer dans les villages, afin d'entretenir la mixité sociale. J'ai été directeur d'école dans une commune rurale : la mixité sociale était forte ; mais aujourd'hui elle a disparu.
Nous l'avons constaté lors de la crise sanitaire : dans les communes, le maire est le premier maillon de la chaîne sociale, le premier interlocuteur pour la sécurité. Les maires ruraux sont ainsi souvent référents pour les violences conjugales. Les élus sont à disposition de leur population en permanence, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les maisons France Services devraient mailler le territoire encore plus finement, au-delà des centres des communautés de communes. N'oublions pas non plus que le premier maillon du service public, c'est la mairie. On crée une plateforme numérique pour faciliter la délivrance des cartes d'identité et des passeports, mais ce n'est pas une bonne idée. Il faut que la mairie reste le point de référence pour tous ceux qui vivent à proximité. Lors de fusions réalisées en application de la loi Marcellin de 1971, chaque hameau avait, dans un premier temps, conservé son maire délégué, mais ces mairies ont depuis fermé, et il ne faut pas s'étonner que certains n'aillent plus voter, car ils vivent maintenant trop loin de la mairie centrale. La ruralité mérite davantage de respect !
Les communes rurales contribuent à l'économie locale. Or 65 % seulement des crédits de l'enveloppe de la DETR reviennent aux communes rurales. On fait pourtant travailler les artisans locaux. Les communautés de communes consomment 23 % de la dotation ; elles ont des frais de fonctionnement plus élevés. Les communes rurales, elles, s'appuient sur des bénévoles dévoués.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Pourriez-vous nous donner des exemples concrets ? Par exemple, pourriez-vous nous préciser quelles compétences devraient rester aux communes au sein des intercommunalités ?
Nous nous intéressons aussi aux conditions d'exercice du mandat de maire. Quels sujets méritent selon vous d'être évoqués ? Que proposez-vous s'agissant des secrétaires de mairie ou du statut de l'élu ?
J'attire également votre attention sur le fait que la réflexion que nous avons engagée est une réflexion prospective : que doivent être, demain, la commune et le maire ?
Vous nous avez décrit les difficultés rencontrées par les maires. Nous partageons le constat et nous avons souvent eu l'occasion de défendre vos positions dans l'hémicycle, notamment sur l'agencification ou sur la répartition de la DETR, qui devrait revenir en totalité aux communes rurales, comme nous l'avons précisé dans un projet de loi de finances récent, etc.
Nos questions s'adressent aussi aux élus de communes plus importantes : quelle est la place du maire dans une ville-centre ? Quelle est l'articulation entre les communes et les intercommunalités ? Nous ne voulons pas opposer les deux, mais identifier les compétences de proximité, qui doivent relever de la commune, et celles, plus stratégiques, qui doivent relever de l'intercommunalité.
M. Daniel Cornalba. - Je me retrouve dans de nombreux discours. De nombreuses communes membres de l'APVF sont attachées à l'Agenda rural, que nous devons construire ensemble.
L'évolution du bloc communal s'est faite à marche forcée. Je suis maire depuis 2020, mais selon mes collègues, c'était autrefois différent ; ils déplorent le carcan actuel. Mais à partir du moment où l'intercommunalité existe, elle doit être utile.
Une chose peut nous réunir : l'intercommunalité n'a de sens que s'il existe un projet de territoire, qu'il faudrait rendre impératif. Parfois, dans les intercommunalités XXL, tous les maires ne se connaissent pas. L'année suivant les élections, il faudrait qu'ils se rencontrent pour déterminer les projets à faire ensemble, quels que soient les programmes sur lesquels ils ont été élus. Certes, il faut également un équilibre entre la commune-centre et les petites communes.
L'intercommunalité peut aussi avoir une plus-value pour la recherche de financements, notamment européens. Souvent, une petite commune a l'impression de se trouver devant une montagne et n'ose pas y prétendre. L'intercommunalité peut mutualiser l'ingénierie pour préparer les des dossiers à déposer.
Auparavant, dans les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), nous étions obligés de faire remonter certains projets au niveau de l'intercommunalité. Nous nous sommes aperçus que nous avions, au sein de différentes communes, des projets similaires sur la rénovation thermique ou les sites scolaires qui, mis ensemble, pouvaient avoir le poids suffisant pour intéresser les financeurs.
La commune, c'est le guichet de base des citoyens, qui les réoriente ensuite. Parfois, les citoyens ont l'impression que la mairie est responsable de tout, ou presque. Les gens se rendent facilement en mairie : on l'a vu pour la crise covid, pour l'accueil des réfugiés ukrainiens : le lendemain de l'agression russe, des gens y déposaient des sacs de nourriture. Aller à la mairie est un réflexe de base ; ne l'oublions pas.
À l'échelle d'une intercommunalité, on pense à l'aménagement du territoire avec notamment le plan vélo, l'assainissement, mais certaines problématiques d'urbanisme relèvent des communes. Il y a des équilibres à préserver : patrimoine, aménagement, sensibilité de la population : le maire, qui est « à portée de baffes », est celui qui est le plus à l'écoute des citoyens. Cela permet une plus grande finesse dans les aménagements urbanistiques. Dans une agglomération, si tous les projets sont remontés à l'intercommunalité, cela pose problème.
N'oublions pas les ressources humaines. Les représentants de l'AMRF ont évoqué l'attractivité des emplois territoriaux. Si l'on veut une montée en compétences de l'ingénierie, il faut rémunérer celles-ci. Les petites communes ne peuvent accorder cette revalorisation salariale, et doivent être accompagnées. Un décrochage s'est réalisé progressivement. Des métiers valorisants sont devenus de moins en moins attractifs, et les personnes compétentes ont fui vers d'autres secteurs. Nous ne pouvons que le regretter, mais il nous revient d'y répondre.
M. Jean-Paul Carteret. - Que pouvons-nous mieux gérer en proximité ? J'évoquerai quelques exemples. Il nous faut rester cohérents par rapport au périmètre de scolarisation des enfants : le ministre veut « faire école ensemble » lorsqu'il y a quatre ou cinq écoles sur une communauté de communes, mais ce n'est pas possible. On ne peut pas avoir le même projet, tout dépend du bassin de vie. Nous sommes capables de monter des projets communs avec des syndicats. Il faut autoriser les communes à travailler ensemble, sur un même bassin de vie, quitte à appeler cela autrement, comme des conventions de partenariat.
Dans ma communauté de communes, en application de la loi NOTRe, plus une commune est grande, plus elle a de représentants. Trois communes ont ainsi 26 représentants sur 60 ; il faut 27 autres communes pour contrebalancer leur pouvoir. Il faut revenir à un système plus équilibré, car cela ne marche pas.
La communauté de communes est utile pour certaines compétences. Cependant, chez nous, trois grosses communes ont plaidé pour le transfert de compétence de la voirie : désormais, les travaux ont lieu en fin d'année et non plus en début d'année, car les chantiers sont plus gros, et les entreprises qui remportent le marché ne sont même plus de la commune. On a enlevé des compétences aux communes, et donc des capacités d'initiative. La gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) est passée aux intercommunalités. Les rivières ne sont plus entretenues, alors qu'auparavant chaque commune le faisait. Certains ponts sont envahis d'arbres, car personne n'ose s'en occuper.
M. Michel Gros. - Je serai direct, voire provocateur : il faut arrêter le double discours. Soit les communes sont inutiles, et il faut les supprimer, soit elles sont utiles et il faut leur donner des moyens. Depuis 2008, on assiste à un discours formaté, qui dépasse les élus et qui diffère des actes. Soit nous sommes des gens irresponsables dilapidant l'argent public, soit nous savons aménager le territoire et il faut nous donner de l'argent. Ce double discours est difficile à accepter pour les communes rurales. Le Gouvernement nous dit qu'il a besoin de nous, mais la technostructure nous fait sentir que ce n'est pas bien de parler à 25 communes, car c'est plus compliqué que de ne s'adresser qu'à une seule. J'en veux pour preuve, mais d'autres exemples pourraient être tirés des gouvernements précédents, les récents propos de la Première ministre aux intercommunalités sur le zéro artificialisation nette (ZAN), alors que ce sujet concerne les communes. Nous, communes rurales, sommes vertueuses pour l'aménagement du territoire.
Nous n'acceptons plus ce double discours : dire que nous sommes utiles, sans nous donner les moyens ou en transférant à marche forcée nos compétences vers l'intercommunalité.
Nous voulons bien un transfert de compétences - nous n'avons pas attendu l'État pour nous rassembler, mais derrière il y avait un véritable projet. Or désormais, cela vient d'en haut et descend sans analyse fine. Laissez-nous travailler, et jugez-nous sur les résultats et non par anticipation : dans les territoires ruraux, nous avons des communes qui savent faire.
Il faut aussi revoir le statut de l'élu : comment avoir des territoires ruraux dynamiques, avec des jeunes voulant s'investir dans un mandat local, quand l'employeur rechigne à la mise à disposition, lorsque le statut est précaire, que l'élu est responsable de tout sans couverture, ou lorsque les indemnités des élus sont ridicules ? Une vice-présidente de l'AMRF a dû se mettre en arrêt maladie pour continuer à mener son mandat. C'est plus compliqué dans une commune rurale que dans une grosse commune. Il en est de même pour l'ingénierie : souvent, c'est le maire qui s'y colle.
Quand nos administrés s'interrogent, le premier réflexe est d'aller à la mairie. Mais lorsqu'on interroge le maire sur les poubelles qui débordent ou la réparation d'un réseau d'eau, que répond-il ? Cela ne dépend pas de moi, mais de l'intercommunalité... Cela le décrédibilise.
Les taux de participation aux élections municipales ont chuté : on ne voit plus la pertinence des maires dans les communes rurales.
M. Frédéric Chéreau, maire de Douai, membre du conseil d'administration de Villes de France. - Merci de l'attention que vous portez aux communes. Nous savons que vous nous défendez au quotidien, et que plusieurs d'entre vous étiez maires. Villes de France rassemble les communes entre 10 000 et 100 000 habitants, qui sont souvent communes-centres d'intercommunalités. Nous sommes sur une strate différente de celle des communes rurales, mais nous avons de nombreux sujets communs.
Les principales différences entre les communes rurales et nous reposent sur deux points : le ratio entre le nombre d'élus et la population, et le ratio entre le nombre d'agents et la population. Les communes rurales sont très bien loties pour le nombre d'élus par habitant : elles ont environ une quinzaine d'élus pour 1 000 habitants. À l'inverse, elles sont moins bien dotées en agents. Les élus jouent parfois aussi le rôle de directeur, de chef de service voire d'ouvrier... Dans les communes plus importantes, nous avons à l'inverse un élu pour 1 000 habitants, mais nous avons davantage d'agents : une directrice du budget, un responsable d'ingénierie pour répondre aux appels à projets par exemple.
Les communes attendent trois choses : visibilité ou temps long, autonomie et souplesse.
Nous avons manqué de visibilité durant les années précédentes. Lors de la crise sanitaire, il a fallu tout inventer, seuls, pour continuer à travailler sans les administrations étatiques qui avaient fermé. Ceux qui étaient en première ligne devaient inventer les solutions...
Actuellement la crise inflationniste et la pénurie de matériaux sont compliquées à gérer. Nous travaillons sur des projets à long terme, durant parfois deux ou trois mandats. Pour la mise en place d'un nouveau service, que ce soit en investissement ou en fonctionnement, avons besoin de stabilité du cadre juridique et de visibilité pour nos ressources. Toute perturbation est difficile à gérer.
Nous avons besoin d'être autonomes vis-à-vis de l'État et dans nos choix d'organisation, localement, à l'échelle du bloc communal. Nous avons parfois le sentiment, à mesure que l'État se déprend de ses capacités d'ingénierie, qu'il devient plus tatillon, recroquevillé sur sa capacité ou plutôt son incapacité à contrôler. Il existe une sorte de présomption d'amateurisme de certains grands services centraux de l'État vis-à-vis des maires : le projet serait électoraliste, trop cher, mal ficelé, car le maire n'est pas sorti des bonnes écoles... Il vaudrait mieux qu'une agence de l'État ou un service ministériel vienne y mettre bon ordre. Or souvent, ce n'est pas le cas...
Nous ne voulons pas être dans une position d'exécutant de l'État. Nous avons travaillé avec le sous-préfet de mon arrondissement sur les établissements recevant du public. Je me suis retrouvé l'exécutant d'un projet piloté par l'État. Le sous-préfet n'a plus de moyens : il demande aux maires de faire et de rendre des comptes. Si l'État veut exercer une compétence, qu'il le fasse lui-même et ne demande pas à nos ingénieries territoriales de le faire à sa place.
Je suis d'accord avec notre collègue, il faut nous laisser gérer nos territoires comme nous le voulons. Les relations avec l'office de tourisme intercommunal sont compliquées pour gérer les visites du beffroi de l'hôtel de ville de Douai. De nombreuses procédures ont ainsi été transformées, sans gagner grand-chose en efficacité.
Il en est ainsi de la compétence habitat, qui relève de l'intercommunalité. Mais ce sont les mairies qui ont la connaissance fine des bailleurs. Je voudrais mettre en place le permis de louer dans ma commune ; je suis le seul à le demander, parmi les 36 communes de l'intercommunalité, mais je suis d'accord pour prendre en charge toute l'ingénierie et recruter le personnel nécessaire. Cela fait trois ans que j'attends l'autorisation... Nous avons besoin de cette souplesse.
Certaines compétences doivent toujours relever de la commune, car l'intercommunalité n'est pas le bon niveau. Il n'est pas simple de confier à l'intercommunalité les sujets nécessitant une connaissance fine des habitants : la petite enfance, le scolaire, le social, parfois la politique de la ville. L'intercommunalité est une structure d'ingénierie : elle peut très bien agir sur l'économie, mais cela n'a pas de sens pour des sujets de proximité.
L'État a toujours l'impression que le bloc communal est un tout, et que parler à l'intercommunalité permet de parler à toutes les communes. Or c'est une structure propre, avec son projet politique propre. La commune est autre. On peut comprendre cette confusion de la part de l'habitant, qui se tourne vers le maire sans tenir compte de l'intercommunalité. Ce n'est pas à lui de gérer notre propre complexité.
L'intercommunalité a été construite de manière bizarre, mi-chèvre mi-chou. Nous n'avons pas supprimé des communes comme en Allemagne ou en Belgique, mais créé une strate supplémentaire sans en supprimer. Nous ne voulons pas supprimer les communes. Actuellement, les intercommunalités existent et gèrent des projets politiques et non plus techniques comme les syndicats. Elles n'ont aucun compte à rendre aux citoyens, mais uniquement aux maires. Le projet intercommunal n'est pas présenté par les maires.
Contrairement au citoyen, on peut exiger de l'État qu'il comprenne que maires et intercommunalités ne sont pas la même chose, et qu'il doit parler aux maires sur les compétences communales.
Nous avons besoin de souplesse, car nous travaillons sur le temps long. Les sujets sont complexes. Le maire, ensemblier, a besoin que l'État lui facilite la vie. Les appels à projets sont très compliqués, et nous bousculent lorsque nous mettons en place, sur le temps long, toutes nos politiques. Souvent, pour obtenir un appel à projets, il faut sortir quelque chose de neuf de son chapeau, en réalité juste pour avoir quelques sous pour financer du temps long.
Nous avons besoin d'avoir un État ensemblier qui regarde les choses de manière croisée, comme nous : nous gérons des écosystèmes locaux. Souvent, c'est pour cela que les maires apprécient le préfet et le sous-préfet, qui représentent un État à une seule tête, capable de répondre sur plusieurs thématiques. Sinon, il est difficile d'avoir affaire avec plusieurs agences de l'État ou avec des directions régionales de l'État qui parfois en se parlent pas, ou à un architecte des bâtiments de France (ABF) local qui ne dit pas la même chose que l'ABF qui est au-dessus ou que les pompiers lorsqu'il s'agit de sécuriser un bâtiment...
Autre exemple, le sous-préfet nous demande, dans le cadre d'un PLU, de construire de toute urgence des logements pour répondre à la demande d'une entreprise qui s'installe dans le Douaisis, et de l'autre, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) estime qu'il ne faut pas sortir immédiatement tous les logements, car beaucoup sont prévus sur des friches et qu'il faut les échelonner... Le préfet doit arbitrer. Parfois, la loi n'est pas totalement claire, et il reste une marge d'interprétation. Que l'État utilise cette marge pour simplifier, et qu'il nous couvre.
D'autres choses fonctionnent moins bien, comme les multiples schémas qu'on nous demande de réaliser pendant des heures, sans trop de résultat. Par exemple la convention de sécurité intégrée, qui ne nous a pas permis d'avoir un policier de plus, et pour laquelle je vais devoir encore attendre six mois pour obtenir une réponse sur les caméras mobiles que je souhaite installer à Douai...
J'ai fait des pieds et des mains pour intégrer le contrat de relance et de transition écologique (CRTE), mais je n'ai pas eu le droit de le signer, puisqu'il relève de l'agglomération. Agglomération et ville ont deux agendas différents. Je ne suis pas vice-président de l'agglomération alors que je suis maire de la ville centre. Dans le Douaisis, les communes périphériques ont le pouvoir dans l'agglomération. C'est d'ailleurs une réponse à mon collègue qui reprochait aux communes centres d'imposer leurs vues dans les intercommunalités. Les deux cas de figure existent.
Autre exemple de ce qui ne marche pas très, les contrats de ville : on saupoudre, il n'y a pas de cohérence, et chaque année nous y passons des heures en mobilisant énormément d'ingénierie, pour financer une vingtaine de projets. De la même manière, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) nous demande de multiplier les études pour, in fine, sortir ce que les maires savaient dès le début et obtenir des financements. Mais on va mesurer à chaque fois si on sait bien les utiliser, en raison d'un soupçon permanent.
En revanche, ce qui fonctionne, c'est quand l'État nous soutient de façon souple sur des projets de long terme où la stratégie est vraiment définie par le territoire. Ainsi, les programmes de réussite éducative fonctionnent très bien, de même que la cité éducative, même si ce projet ne durera que trois ans. C'est une vraie initiative des maires.
Le programme Action coeur de ville fonctionne également bien. Villes de France est un partenaire évident de l'État pour ce programme, qui est porté par un préfet connaissant bien les maires. Chaque maire peut inventer son projet. Le Président de la République s'interroge beaucoup sur le dispositif, qui ne serait pas bien contrôlé par l'État. Mais vu des maires, c'est un bon dispositif.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - La formule de « présomption d'amateurisme » fait recette auprès de nos collègues...
M. Éric Straumann maire de Colmar, membre du conseil d'administration de Villes de France. - Je suis le maire de Colmar, ville de 70 000 habitants, et je préside l'agglomération de 110 000 habitants. Les Français sont très attachés, historiquement, à la figure du maire. J'ai été président de conseil départemental et parlementaire. Il faut maintenir et défendre l'image et la fonction de maire, même si avec la montée des réseaux sociaux, il devient plus difficile de faire passer des messages, avec certains contradicteurs qui ne participent pas de la même façon au débat public.
Pour que le maire subsiste, il faut que la commune puisse conserver certaines compétences, comme les écoles, le périscolaire, l'urbanisme - sinon le compte à rebours de la fin de la commune et du maire va démarrer -, la culture, le sport. Il y a suffisamment à faire dans les intercommunalités.
Avec les départements et les régions, je pense sincèrement qu'il y a une strate en trop. C'est la course pour couper le ruban entre les différents financeurs. On ne comprend plus qui fait quoi. Un big bang institutionnel se prépare : il faut réduire d'une strate.
Les espaces France Services, mis en place après la crise des Gilets jaunes, fonctionnent bien. Au départ réservés pour les communes rurales, ils fonctionnent aussi en zone urbaine, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine où les habitants peuvent avoir des problèmes pour accéder à internet, que ce soit pour des raisons intellectuelles, financières ou pratiques. Et j'approuve ce qui a été dit précédemment.
Mme Anne Chain-Larché. - Pouvez-vous nous en dire plus sur la compétence eau et assainissement, et sur le report éventuel du transfert de cette compétence aux communautés de communes, actuellement facultatif ?
M. Jean-Michel Arnaud. - Vous avez évoqué l'attractivité de la fonction publique territoriale et des ressources humaines. Quelle articulation des ressources humaines instaurer entre le niveau communal et intercommunal ? Certaines intercommunalités ont fait le choix de mutualisations intégrées se traduisant par l'absorption des services de la ville centre avec l'intercommunalité, ce qui crée des difficultés d'appropriation des agents intercommunaux et de liaison entre les personnels des communes membres de l'intercommunalité avec leurs collègues de la ville centre. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point, et avez-vous des suggestions ?
Mme Cécile Cukierman. - Merci pour vos interventions fondées sur la réalité quotidienne. Vous avez évoqué l'enjeu pour l'échelon communal de conserver suffisamment de compétences pour que le pouvoir du maire soit reconnu et que son rôle ne se réduise pas à seulement accueillir les habitants venant toquer à la mairie, sans pouvoir répondre à leurs demandes. Vous avez également souligné que la compétence des maires en matière d'urbanisme tend à se réduire, notamment à cause de la multiplication des PLU intercommunaux (PLUi). Mme Chain-Larché a évoqué également la compétence eau et assainissement.
Certaines compétences transférées viennent-elles à manquer aux communes ? Il ne s'agit pas, pour elles, de faire une collection Panini de compétences, mais d'être en mesure de remplir véritablement les missions qui sont les leurs, afin de conserver leur légitimité auprès des citoyens.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Les équipes administratives dans les communes peuvent rencontrer de vraies difficultés. L'absence d'interlocuteur en matière de finances publiques pose problème. Les maisons France Services n'y répondent pas. Le conseiller fiscal peut avoir parfois une centaine d'interlocuteurs pour les budgets. Cela rend l'exercice du métier de secrétaire de mairie encore plus complexe et moins attractif, eu égard aux difficultés rencontrées.
M. Éric Straumann. - En Alsace, nous n'avons aucun problème pour la gestion de l'eau et de l'assainissement. Dans le Bas-Rhin, nous avons un syndicat unique pour l'ensemble des communes, et presque toutes y ont adhéré. Cela peut être différent dans les autres régions françaises.
Je suis convaincu que le PLUi réduit considérablement les pouvoirs du maire. C'est un compte à rebours pour la disparition de la commune, selon mon avis personnel. Nous voulons conserver la compétence urbanisme.
Dans les petites communes, il est difficile de recruter des secrétaires de mairie, qui deviennent une denrée rare ; les maires font monter les enchères et se piquent les secrétaires de mairie. Il faudrait créer un diplôme, une formation structurée dans les universités ou des écoles. Auparavant, il existait des écoles pratiques d'administration.
M. Michel Gros. - Depuis que la compétence eau et assainissement a été transférée de façon obligatoire à la communauté d'agglomération, nous faisons double travail : les besoins émanent de la commune, nous devons rechercher l'entreprise qui exécutera les travaux, préparer la paperasse administrative, et ensuite la transmettre à l'intercommunalité qui valide ou non le dossier, par un vote du conseil communautaire. Cette lourdeur administrative entraîne aussi une moindre réactivité. Le transfert de compétence n'est donc pas exemplaire. Dans les communes rurales, où l'on fait très attention à l'eau, c'est un sujet très sensible. L'État a suffisamment de contrôle sur les stations d'épuration et les rendements des réseaux d'eau pour ne pas contraindre à la mutualisation intercommunale.
Depuis la fusion en 2017, le coût des ressources humaines au niveau de l'intercommunalité ne cesse de croître. Alors qu'il n'y a pas forcément de transfert de personnel vers l'agglomération. Hormis pour les crèches, le personnel est toujours resté à la commune : pour le PLUi et l'eau, c'est nous qui le faisons. Nous n'avons pas réalisé d'économies d'échelle. Comme le dit notre président national de l'AMRF, depuis les années qu'il connaît les échelles, il n'en a jamais vu faire des économies ...
Nous sommes opposés au PLUi : le PLU doit rester aux mains du maire et du conseil municipal afin d'être en phase avec les attentes de la population. Certaines communes veulent se développer, il faut leur laisser la liberté de le faire. L'État est là pour encadrer les éventuelles dérives.
Les aides techniques de l'État disparaissent. Le conseiller fiscal nous est vendu comme la panacée. On a rationalisé, c'est-à-dire fermé, les trésoreries, et nous avons été contraints de passer au référentiel M57. L'État, qui se sentait peut-être coupable, a voulu nous aider avec le conseiller fiscal. Dans mon bassin de vie, celui-ci est très efficace et apporte de précieux conseils à ma directrice générale des services.
M. Frédéric Chéreau. - L'eau et l'assainissement sont gérés par mon intercommunalité de façon plutôt satisfaisante. La plupart des intercommunalités sont couvertes par le syndicat interdépartemental. L'intercommunalité gère pour la moitié des communes.
Une difficulté que soulève l'intercommunalisation de la compétence voirie est la gestion du calendrier des chantiers.. Pour une meilleure acceptabilité de la population, il faut vraiment gérer le phasage des interventions pour un enchaînement le plus efficace possible. Or plus il y a d'intervenants, plus il y a de problèmes ; quand je suis prêt à lancer des appels d'offres, l'agglomération n'est parfois pas prête de son côté...
Souvent, le périmètre pour gérer les inondations est plus large que celui de l'agglomération. Dans le Nord, le territoire est plat avec des cours d'eau reliés entre eux, voire anthropisés depuis le Moyen-âge. Nous devrions créer un établissement public territorial de bassin sur quatre ou cinq agglomérations. L'État devrait prendre la main, car cela devient complexe à gérer.
Oui pour conserver le pouvoir de l'ingénierie dans les communes. L'ingénierie et le projet stratégique du territoire doivent appartenir aux communes, élues sur la base d'un projet politique. Les agglomérations doivent se concentrer sur des compétences techniques, au choix des maires et communes qui les composent.
Nous avons besoin de garder la main sur l'urbanisme. Le passage au PLUi est vécu comme une perte de substance. Dans l'agglomération de Lille, qui comprend plus de cent communes, les maires ne se connaissent plus par leur prénom, alors que dans la nôtre, nous ne sommes que 36. Le PLU reste l'outil stratégique numéro un des maires. S'il y a PLUi, Ville de France défend qu'au moins la modification à petite échelle pour une ou deux communes, soit facilitée, sans une procédure trop complexe multipliant les consultations de tout le monde.
Les maires ne doivent pas uniquement gérer le quotidien, mais piloter une stratégie, sinon c'est la mort de la commune.
Nous avons de fortes attentes en matière d'ingénierie pour gérer des projets. Nous avons besoin du soutien de l'État en la matière, et pas seulement besoin de financements pour investir. L'État semble toujours dire que l'argent utilisé en fonctionnement est du gaspillage, or pour porter un projet et préparer l'avenir, il faut bien des dépenses de fonctionnement notamment en personnel, par exemple pour développer de nouvelles sources d'énergie locales, transformer un centre-ville, créer une petite centrale intégrée dans un projet éducatif de territoire, en lien avec le projet alimentaire de territoire. Je souhaite créer un grand pôle petite enfance alliant crèche, maternelle et école élémentaire. L'État doit nous aider à financer pendant deux ans un contrat de projet, car il faut une personne qui se consacre à 100 % à ce type de dossiers.
M. Jean Sol. - Merci pour votre éclairage sur ce que vous vivez au quotidien. Je souhaite revenir sur le statut de l'élu et les difficultés quotidiennes des maires et des secrétaires de mairie, dont il faut parfois s'accommoder, faute d'avoir un directeur de services diplômé et compétent.
M. Michel Gros. - Plus nous arriverons vers 2026, plus nous aurons des personnes qui voudront s'occuper des mairies. Mais en réalité, le maire est responsable de tout, et il est en permanence sur le fil. Au moindre souci, cela lui retombe dessus juridiquement. Il a aussi des budgets à gérer.
Si nous ne sommes pas entourés d'experts, c'est difficile. Le soutien de l'État, à travers un appui en ingénierie ou par le biais d'un conseiller fiscal, est crucial pour entretenir les vocations pour la fonction de maire dans le monde rural.
Les maires ont le sentiment d'une perte de sens. Ils s'interrogent sur leur engagement, hésitent parfois à poursuivre. Ils ne comptent pas leurs heures. Mais nos concitoyens se comportent de plus en plus comme des consommateurs et ne voient pas le travail nécessaire pour faire avancer les dossiers. Il est donc plus que jamais nécessaire que l'État soutienne les communes rurales. N'oublions pas que ce qui fait la spécificité de la France, c'est son tissu de communes : songez à leur rôle pendant la crise des gilets jaunes pour faire remonter les cahiers de doléances. Les maires sont en phase avec leur population.
En conclusion, si j'avais un mot à dire à l'État, je lui dirais : « Écoutez-nous ! Aidez-nous ! Faites-nous confiance ! » Il est important de travailler ensemble. Or on a trop souvent l'impression d'être victimes de barrières. Les contrôles de l'État sont draconiens, excessivement et inutilement pointilleux.
Mme Maryse Carrère, présidente. - Je vous remercie. Nous avons tous été maires et nous souscrivons à ce que vous avez dit. Le Sénat se préoccupe de la vie des communes : ainsi cette semaine, nous examinons en séance publique cinq propositions de loi qui concernent les collectivités territoriales. Nous sommes à vos côtés. La commune est une strate essentielle dans l'organisation de notre pays, pour son avenir et le lien social dans nos territoires.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible '' en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 15.