- Mercredi 15 mars 2023
- Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
- Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
COMMISSION MIXTE PARITAIRE
Mercredi 15 mars 2023
- Présidence de Mme Fadila Khattabi, députée, présidente -
La réunion est ouverte à 9 h 00.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de M. le Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 15 mars 2023.
Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :
- Mme Fadila Khattabi, députée, présidente ;
- Mme Catherine Deroche, sénatrice, vice-présidente ;
- Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;
- Mme Élisabeth Doineau et M. René-Paul Savary, sénateurs, rapporteurs pour le Sénat.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions du projet de loi restant en discussion.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Le projet de loi initial comptait vingt et un articles. À l'issue de la première lecture, notre commission mixte paritaire est saisie d'un texte de quarante-quatre articles. Ceci démontre que les deux assemblées ont travaillé, et confirme que l'on ne peut considérer que le temps de la discussion a manqué depuis le dépôt du projet de loi et sa présentation en Conseil des ministres.
Lors de la réforme Woerth, en 2010, deux mois, en déduisant l'interruption estivale des travaux, ont séparé l'adoption du texte en Conseil des ministres de la réunion de la commission mixte paritaire. Lors de la réforme Touraine, en 2013, cette durée a été de quarante-neuf jours. Cette année, elle est de cinquante-deux jours.
Par ailleurs, les débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ont été significativement plus longs que ceux de 2010 et de 2013, en commission et plus encore en séance publique, sans même mentionner le nombre d'amendements déposés et examinés. Je suis certaine que la présidente Catherine Deroche en dirait autant s'agissant du Sénat.
Je rappelle aux parlementaires chevronnés que vous êtes que notre réunion, conformément aux dispositions de l'article 122 du Règlement de l'Assemblée nationale, se tient à huis clos. Depuis 1958, il n'a jamais été dérogé à cette règle, confirmée hier par la Conférence des présidents et rappelée par la présidente de l'Assemblée nationale dans un courrier adressé au président du groupe Socialistes et apparentés. Ce n'est pas une raison pour entretenir un sentiment d'opacité et de manque de transparence : nos travaux feront l'objet, comme toujours, d'un compte rendu écrit, qui sera publié dans les meilleurs délais. Dès lors, il n'est pas nécessaire de procéder, par quelque moyen que ce soit, à la diffusion en direct ou à l'enregistrement de la présente réunion. Compte tenu des échanges hier matin en Conférence des présidents, je considère même qu'il m'appartient d'informer la présidente de l'Assemblée nationale si je constate qu'un député de la commission mixte paritaire n'adopte pas à ce sujet un comportement approprié.
Bien entendu, je veillerai, comme il est d'usage, à faire en sorte que chacune et chacun, membre titulaire ou suppléant, puisse s'exprimer. On peut être en désaccord sur le fond du texte et avec la réforme - il n'y a rien de plus légitime en démocratie. Mais, en tant que présidente de la commission, je ne peux pas laisser dire que les conditions dans lesquelles l'examen du texte a été organisé ont été mauvaises, ni que le temps imparti à nos débats a été insuffisant, d'autant qu'ils ont été précédés d'une longue phase de concertation avec les organisations syndicales.
Pour ce qui est, ce matin, de la commission mixte paritaire, la perspective d'un accord me semble forte. Comme de coutume, nous statuerons, pour chaque article, sur les rédactions globales proposées conjointement par les rapporteurs et consignées dans l'un des documents du dossier mis à votre disposition.
Mme Catherine Deroche, sénatrice, vice-présidente. - Madame la présidente, je vous remercie de votre accueil. Au fil des commissions mixtes paritaires, nous avons établi de solides habitudes de travail en commun, qui ont permis parfois d'aboutir à des textes importants, et parfois de constater des échecs dans le sérieux et le respect mutuel.
La présente commission mixte paritaire se déroule dans des conditions inhabituelles, l'Assemblée nationale n'ayant pas été en mesure d'adopter un texte. Je salue les rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé, confrontant leurs points de vue et leurs rédactions. Ils sont en mesure, je crois, de formuler des propositions conjointes.
Le moment est grave et le sujet important pour le pays. Il s'agit du début d'un long processus. Le report de l'âge de départ en retraite devra se traduire par un changement d'ampleur de la gestion des fins de carrière, qui ne pourra s'opérer sans un changement radical du regard que nous portons sur les plus âgés. Pour l'heure, nous nous sommes attachés à préserver la pérennité du système de retraite par répartition, héritage reçu de nos aînés que nous devons transmettre, car il est une part du pacte social et de l'identité de notre pays.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Le Sénat a accueilli avec un esprit constructif le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023. D'une part, nous défendons de longue date, au Sénat, l'objectif de retour à l'équilibre des comptes du système de retraite, qui risque de s'enfoncer dans de lourds déficits dans les années à venir sous l'effet de l'évolution démographique. D'après nous, il y va de la soutenabilité financière du modèle de solidarité intergénérationnelle que constitue la retraite par répartition. D'autre part, nous avons pris l'habitude d'adopter chaque année, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un amendement dont les principales dispositions - recul progressif de l'âge d'ouverture des droits à 64 ans et accélération de la réforme Touraine - sont reprises dans le présent projet de loi.
Dès lors, nous avons veillé à apporter des corrections et des marqueurs du Sénat, que détaillera René-Paul Savary. Nous avons également veillé à ne pas détourner la réforme de son principal objectif - le retour à l'équilibre financier du système de retraite à l'horizon 2030 -, que nous veillerons à maintenir au cours de cette réunion.
S'agissant de l'article 1er, relatif à la mise en extinction des principaux régimes spéciaux, nous avons confirmé l'équilibre retenu par l'Assemblée nationale en procédant uniquement à des modifications de coordination.
Nous avons supprimé l'article 1er bis prévoyant un rapport sur l'opportunité et les modalités de l'instauration d'un système de retraite universel.
L'article 3, qui sanctionne l'abandon du projet de transfert aux Urssaf de l'activité de recouvrement de l'Agirc-Arrco et de la Caisse des dépôts et consignations, constitue un motif de satisfaction pour le Sénat. Au demeurant, nous avons défendu cette disposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Nous l'avons donc confirmée, en adoptant un amendement rédactionnel.
Par ailleurs, nous avons accepté la proposition du Gouvernement d'augmenter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie pour 2023 de 750 millions d'euros et d'en tirer les conséquences au sein des articles récapitulatifs et des objectifs de dépenses.
S'agissant de l'annexe A, nous avons introduit un amendement à l'article 6 pour y faire figurer le principe de compensation intégrale par l'État, dès 2023, des surcoûts pour les employeurs publics engendrés par l'augmentation des cotisations patronales à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le Sénat a adopté samedi soir, à l'issue de dix jours de débats, le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 que la commission mixte paritaire examine aujourd'hui.
Je remercie la rapporteure générale Stéphanie Rist de la qualité et de la sincérité des discussions que nous avons eues dans un délai restreint. Les propositions que nous présentons, issues du texte adopté par le Sénat et des débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale, devraient rallier toutes les bonnes volontés autour de l'enjeu de préservation du système de retraite par répartition. Cela fait quatre ans que le Sénat vote, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le report à 64 ans de l'âge légal de départ en retraite et l'accélération de la réforme Touraine. Nul ne sera surpris de constater que ces deux préconisations sénatoriales constituent l'ossature du texte que nous avons sous les yeux.
Conformément à la position constante de notre assemblée, nous n'avons pas remis en cause les mesures paramétriques de la réforme. Elles constituent à nos yeux la seule solution de retour à l'équilibre du système de retraite à l'horizon 2030, à défaut de diminuer les pensions de nos retraités, lourdement frappés par l'inflation, ou d'augmenter des prélèvements obligatoires déjà écrasants. Je rappelle que, comme le prévoit le texte, le déficit de la branche vieillesse des régimes obligatoires de base atteindra 15 milliards d'euros en 2026. Il y a urgence à agir. Le Sénat ne reculera pas devant ses responsabilités.
Je me réjouis que nous ayons conservé, en accord avec la rapporteure générale Stéphanie Rist, les amendements adoptés par le Sénat à l'article 7 portant diverses mesures de bon sens et de justice sociale, notamment l'allongement du délai de rachat de trimestres de stage en entreprise ou d'études supérieures et la prise en compte du rachat des trimestres d'apprentissage dans le cadre du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue.
L'article 8 porte l'un des principaux apports du Sénat au projet de loi : l'ouverture aux assurés, notamment aux mères de famille justifiant d'une carrière complète et d'au moins un trimestre de majoration de durée d'assurance pour enfants, de la possibilité de se constituer des droits à surcote, à hauteur de 5 %, en contrepartie des trimestres travaillés un an avant l'âge légal. Cette mesure profitera à 130 000 femmes par génération, soit 30 % d'entre elles. Nous souhaitons évidemment que cette disposition soit conservée.
Il en va de même de trois articles insérés par le Sénat. L'article 8 bis prive du bénéfice des majorations de durée d'assurance pour enfants et de la majoration de pension pour trois enfants les parents condamnés pour violences et maltraitance à l'encontre de leurs enfants. L'article 8 nonies prévoit l'attribution des trimestres de majoration de durée d'assurance au titre de l'éducation des enfants en cas de décès de l'enfant avant la fin de sa quatrième année. L'article 8 decies permet la prise en compte des enfants décédés pour l'attribution aux parents fonctionnaires de la majoration de pension pour enfant.
En revanche, nous proposerons de supprimer les articles 8 ter à 8 octies car la modification des règles de partage de ces trimestres entre parents est inopportune ou contraire au droit de l'Union européenne.
Concernant l'article 10, qui comporte des mesures de revalorisation des minima de pension, nous vous invitons à sauvegarder les améliorations apportées par le Sénat : l'institution d'une pension d'orphelin au régime général, l'indexation sur le Smic du minimum de pension de base des exploitants agricoles, l'allongement de six à neuf mois par an de la durée de résidence en France requise pour le bénéfice de l'allocation de solidarité aux personnes âgées et la fixation à 100 000 euros du seuil de récupération sur succession des sommes versées au titre de cette prestation. La rapporteure pour l'Assemblée nationale et moi suggérons également de fixer ce seuil à 150 000 euros outre-mer jusqu'en 2030, de façon à tenir compte des difficultés particulières de nos compatriotes ultramarins.
Seraient également maintenus, si vous l'acceptez, les articles 10 bis à 10 quinquies ajoutés par le Sénat, qui prévoient respectivement la revalorisation des pensions de retraite et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées à Mayotte, l'extension aux professions libérales et aux avocats de la majoration de pension pour trois enfants et la prise en compte, pour le calcul du salaire annuel moyen des vingt-cinq meilleures années, des indemnités journalières versées dans le cadre des congés de maternité ayant débuté avant 2012.
À l'article 11, nous proposerons de conserver les mesures en faveur des élus locaux adoptées par le Sénat : les indemnités de fonction inférieures à la moitié du plafond de la sécurité sociale pourront ainsi, sur option, être assujetties aux cotisations vieillesse du régime général. Le bénéfice du dispositif de rachat de trimestres sera étendu aux périodes de mandat électoral.
L'article 11 bis, introduit par le Sénat, accorde une bonification de durée d'assurance aux sapeurs-pompiers volontaires totalisant au moins dix années de service, afin de valoriser leur engagement. Nous proposons de conserver cette mesure dans une rédaction améliorée.
Le Sénat a adopté l'article 12 créant une assurance vieillesse des aidants qui rendra plus lisible leur affiliation à l'assurance vieillesse du régime général, étendue à l'ensemble des situations d'aide qui ont des conséquences sur l'activité professionnelle. Nous proposerons de retenir cette mesure.
En matière d'emploi des seniors, nous sommes d'avis, à l'article 2, de conserver la modification apportée par le Sénat, qui a rehaussé à 300 salariés le seuil d'effectif des entreprises concernées par la publication d'indicateurs sur l'emploi des seniors. Ce seuil est pertinent compte tenu des démarches demandées, de la nécessité de disposer d'un effectif suffisant pour obtenir des statistiques fiables et de la négociation prévue dans ces entreprises au sujet de la gestion des emplois et des parcours professionnels. En outre, nous proposerons de compléter cet article afin qu'une entreprise dont les résultats en matière d'emploi des seniors se dégradent pendant trois ans prenne des mesures destinées à redresser la situation par la voie d'un accord ou, à défaut, d'un plan d'action.
Le Sénat a introduit un article 2 bis A qui crée un contrat de fin de carrière pour inciter les employeurs à recruter des seniors. Ouverts aux plus de 60 ans, ces contrats à durée indéterminée (CDI) seraient exonérés de cotisations familiales. L'employeur pourrait mettre à la retraite le salarié qui satisfait les conditions pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Les branches fixeraient par un accord les activités concernées et les contreparties données au salarié en matière de rémunération.
Il semble utile que les partenaires sociaux se saisissent de l'enjeu du chômage des seniors, d'autant qu'une loi sur le travail est attendue prochainement. En conséquence, nous proposons qu'une négociation soit engagée au niveau national à propos de l'emploi des seniors chômeurs de longue durée. À défaut d'accord, le « CDI seniors » sera instauré à titre expérimental du 1er septembre 2023 au 1er septembre 2026. Dans ce cadre, nous suggèrerons de réserver ce contrat aux demandeurs d'emploi de longue durée d'au moins 60 ans et de limiter l'exonération de cotisations familiales à la première année, pour éviter des effets d'aubaine.
Le Sénat a approuvé, sous réserve de quelques ajustements, les articles 2 bis et 2 ter introduits à l'Assemblée nationale. D'une part, ils harmonisent à 30 % le taux de la contribution assise sur les indemnités de mise à la retraite d'un salarié à l'initiative de l'employeur et, surtout, sur celles versées à l'occasion d'une rupture conventionnelle. D'autre part, ils permettront la mutualisation entre les entreprises des coûts liés aux maladies professionnelles dont l'effet est différé, afin d'alléger le poids pour le dernier employeur de l'usure accumulée au cours de leur carrière par les salariés âgés. Nous recommandons de conserver ces mesures.
En matière de prévention et de réparation de l'usure professionnelle, à notre sens l'un des enjeux essentiels de la réforme, la rédaction que nous retenons à l'article 9 reprend plusieurs apports du Sénat.
Pour les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles ayant un taux d'incapacité supérieur ou égal à 20 %, elle maintient à 60 ans l'âge de départ en retraite anticipée pour incapacité permanente. Il s'agit d'un acquis important par rapport aux ambitions initiales. Cet âge serait porté à 62 ans pour les personnes présentant un taux d'incapacité permanente compris entre 10 et 19 % et une durée d'exposition à des facteurs de pénibilité d'au moins cinq ans, contre dix-sept actuellement. Cette mesure ne pèsera pas sur l'équilibre du système, les dépenses créées par le dispositif étant compensées par la branche accidents du travail et maladies professionnelles.
Concernant le compte professionnel de prévention, le Sénat a plafonné la mobilisation de points pour passer à temps partiel avant le soixantième anniversaire du salarié, afin de favoriser leur utilisation à partir de 60 ans, dans un souci d'amélioration de la transition entre l'emploi - a fortiori exposé à des risques professionnels - et la retraite. Cette mesure figure dans le texte que nous proposons et permettra l'amélioration de la prise en charge du travail à temps partiel, qui sera effectuée par décret. Ainsi, dix points permettront un maintien de la rémunération pendant quatre mois travaillés à mi-temps, contre trois actuellement.
Nous sommes en revanche convenus que les agents chimiques dangereux ne seraient pas pris en compte dans les orientations du nouveau fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle afin de ne pas diluer son action de prévention des risques ergonomiques qui sont, rappelons-le, à l'origine du plus grand nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Le risque chimique ayant été identifié prioritaire dans les négociations interprofessionnelles en cours sur la branche accidents du travail et de maladies professionnelles, nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour aboutir à un meilleur accompagnement des efforts de prévention des entreprises.
Enfin, nous souhaitons que les améliorations apportées par le Sénat à l'article 13, sur le cumul emploi-retraite et la retraite progressive, soient conservées.
Sous réserve de quelques ajustements, nous invitons également à conserver l'article 13 bis, qui améliore l'information sur les droits à la retraite des assurés ayant validé moins de dix annuités ou ayant connu une interruption de carrière.
Nous souhaitons qu'il en soit de même de l'article 13 ter qui fixe au Gouvernement un délai pour l'application des dispositions législatives permettant le recours à la biométrie pour le contrôle des bénéficiaires de pensions françaises résidant à l'étranger.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je voudrais dire ma satisfaction que nous nous retrouvions en commission mixte paritaire pour examiner un texte d'une grande importance pour les Français et pour notre protection sociale. Des débats se sont déroulés dans les deux assemblées et il est primordial que nous puissions continuer à avancer dans le processus législatif.
Le constat est désormais connu et il a fait l'objet de longues discussions à l'Assemblée nationale comme au Sénat ; en dépit de désaccords qui se sont exprimés tout au long de l'examen du texte. Il est un point qui doit tous nous rassembler : la défense de la retraite par répartition. Notre système subit un choc démographique. L'allongement de l'espérance de vie en bonne santé est une excellente nouvelle mais elle implique des évolutions de notre protection sociale.
Les débats ont aussi démontré l'enjeu majeur du financement de notre système de retraite : que nous le voulions ou non, les projections du Conseil d'orientation des retraites (COR), même dans les scénarios les plus optimistes, démontrent un déficit structurel. Si nous ne faisons rien, la dégradation de ce trésor national est inéluctable. Nous choisissons donc la responsabilité pour garantir les pensions des générations futures, en nous fondant sur le travail et en améliorant la prise en compte de la pénibilité et l'adaptation aux métiers pénibles.
Je suis heureuse que, grâce à un travail nourri, mes collègues rapporteurs du Sénat et moi-même puissions vous soumettre des rédactions communes. Je tiens à les remercier sincèrement pour nos échanges denses afin d'aboutir au texte que nous allons vous proposer, en dépit d'un délai particulièrement limité.
Nous permettons d'abord la fermeture progressive pour les nouveaux entrants de certains régimes spéciaux, à l'article 1er.
Le compromis dessiné avec le Sénat sur l'index seniors, à l'article 2, me paraît équilibré. Il s'agit d'une mesure nécessaire mais non suffisante pour améliorer l'emploi des seniors. Cet article doit être lu en lien avec ceux qui suivent et qui sont venus enrichir le texte au cours de la navette parlementaire. Je pense en particulier au « CDI seniors », mais aussi à l'harmonisation de la fiscalité des indemnités de mise à la retraite et de rupture conventionnelle, que j'ai défendue. Je pense aussi à la mutualisation des coûts des maladies professionnelles à effet différé afin qu'elles ne soient pas un frein à l'embauche. Nous devrons continuer à progresser sur ce sujet mais le texte pose des jalons.
Au nom de la nécessité d'une réforme responsable et juste, nous avons partagé les dispositions retenues aux articles 7 et 8. Nous avons déjà débattu de ces sujets au sein de nos assemblées respectives, même si je regrette encore que nous n'ayons pu arriver jusque-là à l'Assemblée nationale.
S'agissant de l'article 7, bien connu de l'ensemble des membres de cette commission, je souhaite remercier le Sénat d'y avoir intégré un certain nombre de dispositions qui nous tenaient à coeur. Je pense en particulier à la facilitation du rachat des trimestres pour les études supérieures et les stages, à la reconnaissance des trimestres validés par les sportifs de haut niveau, ou encore à l'intégration des trimestres d'apprentissage dans le dispositif « carrières longues ».
Concernant l'article 8, qui vise à protéger les plus fragiles et les personnes qui ont commencé à travailler tôt, je note que le Sénat y a inscrit une surcote pour les personnes ayant eu des enfants et qui, sous réserve d'avoir atteint le taux plein, continueront de cotiser entre 63 et 64 ans. Ce dispositif ajoute une mesure de justice sociale qui me semble bienvenue. Les sénateurs ont également adopté un dispositif proposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale : l'ajout d'une quatrième borne d'âge, à 21 ans, pour le dispositif « carrières longues ». Là aussi, des convergences se sont dessinées, qui ont permis d'ajouter, dans le texte que nous proposons, au dispositif « carrières longues » un plancher d'éligibilité correspondant à la durée d'assurance requise, sans aucun trimestre supplémentaire. Ce sont des mesures coûteuses, mais qui relèvent d'une attention aux plus fragiles que je sais partagée au-delà de nos divergences politiques.
S'agissant de la prise en compte de l'usure professionnelle, le compromis que nous présenterons permet un équilibre. En premier lieu, le départ à la retraite pour incapacité permanente sera maintenu à 60 ans pour les personnes justifiant d'un taux d'incapacité supérieur à 20 % en lien avec une maladie professionnelle ou un accident du travail. C'était une demande forte de René-Paul Savary ; je me réjouis que nous ayons pu parvenir à une rédaction commune.
En deuxième lieu, nous maintenons la création d'un cadre cohérent et, surtout, opérationnel de prévention et de reconnaissance de l'usure professionnelle, spécifiquement adapté aux personnes amenées à porter des charges lourdes ou à subir des contraintes posturales ou des vibrations mécaniques dans leur métier. Face à la priorité que constituent les troubles musculo-squelettiques, à l'origine de plus de 80 % des maladies professionnelles, nous avons maintenu le périmètre initial du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle qui, je le rappelle, sera doté de 1 milliard d'euros sur la durée du quinquennat. Je salue par ailleurs l'esprit constructif des rapporteurs du Sénat s'agissant du maintien du suivi individuel renforcé en médecine du travail pour les salariés particulièrement exposés aux facteurs de risques ergonomiques. J'y suis particulièrement attachée.
Enfin, l'article 9 préserve les mesures de montée en charge du compte professionnel de prévention par l'accroissement des droits de leurs bénéficiaires, en particulier ceux exposés simultanément à plusieurs risques professionnels, et la création d'une nouvelle utilisation à des fins de reconversion professionnelle.
Le texte comporte en outre des mesures ambitieuses pour renforcer la solidarité au sein de notre système. La pension de plus de 1,8 million de retraités actuels et de près de 200 000 nouveaux retraités chaque année sera revalorisée grâce aux dispositions relatives aux minima de pension.
Les travaux de nos deux assemblées ont conduit à ajouter aux éléments de solidarité que je viens d'évoquer des avancées concrètes pour améliorer la situation de nos concitoyens.
Les articles 10 bis et 10 ter adoptés par le Sénat, inspirés d'amendements que l'Assemblée nationale n'a pu examiner en séance en raison de l'obstruction, aboutiront à une revalorisation significative des pensions de nos concitoyens mahorais.
L'article 10 quinquies, issu d'une proposition du groupe Démocrate à l'Assemblée nationale reprise par les sénateurs, permet de mieux prendre en compte les indemnités maternité dans le calcul de la retraite des femmes.
À l'article 10, les sénateurs ont adopté un amendement créant une pension pour les orphelins selon un mécanisme proche de celui des pensions de réversion.
Ces innovations s'ajoutent à la prise en compte des trimestres effectués par les anciens tucistes et à la création d'une assurance vieillesse des aidants, qui permettra à plus de 40 000 personnes supplémentaires de se créer des droits à la retraite. Ce sont des mesures de justice et d'équité.
Les débats ont aussi permis d'enrichir les dispositions de transition entre l'emploi et la retraite. Nous améliorons de manière significative le cumul emploi-retraite, que nous rendons créateur de droits, et la retraite progressive, que nous ouvrons largement à de nouveaux publics, notamment dans la fonction publique.
Les discussions au Sénat ont également amélioré la lutte contre la fraude, simplifié les démarches pour les Français résidant à l'étranger et renforcé l'information des assurés, notamment ceux qui auraient de faibles pensions.
Enfin, je me réjouis de l'adoption au Sénat de l'augmentation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie rectificatif pour 2023, à hauteur de 750 millions d'euros pour l'hôpital et la médecine de ville.
Au total, cette réforme, après avoir fait l'objet de plusieurs mois de travail avec les partenaires sociaux, a été au centre des discussions parlementaires puis des échanges entre les deux assemblées. Avec les rapporteurs du Sénat, nous proposons un texte équilibré qui permet des avancées sociales importantes tout en gardant un esprit de responsabilité budgétaire auquel, en tant que rapporteure générale, je suis particulièrement attachée.
Pour notre part, nous défendrons toujours le système par répartition. Celui-ci doit être réformé pour prendre en compte les évolutions sociales majeures auxquelles nous assistons, afin de préserver le pacte unissant les générations. Je remercie mes homologues du Sénat pour le travail accompli au bénéfice de nos concitoyens et dans le respect du Parlement. Je me réjouis à la perspective d'un accord en commission mixte paritaire.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - Nous réaffirmons notre opposition à ce texte, en particulier au report à 64 ans de l'âge légal de la retraite. Si les projections du COR démontrent un problème de financement à venir, le projet de loi n'y répond que par l'apport de recettes supportées par les salariés, faisant fi de la pénibilité de certains métiers. Or, de nombreux salariés ne pourront exercer au-delà de 60 ans - je pense en particulier aux soignants. Vous avez refusé d'étudier d'autres solutions de financement.
Par ailleurs, le véhicule est inadapté : il s'agit d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale et non d'un projet de loi dédié aux retraites, qui aurait permis de parler du travail avant d'envisager un meilleur fonctionnement du système.
Le report à 64 ans est une grande injustice car il oblige certaines personnes, prêtes à partir à la retraite, qui travaillent depuis longtemps et qui exercent les métiers les plus difficiles et les moins bien rémunérés, à prolonger leur activité.
Si j'ai bien compris, s'agissant du dispositif pour les carrières longues, la borne des quarante-trois années pour tout le monde a été retenue. Nous avions déposé un amendement en ce sens mais l'article 40 de la Constitution nous avait été opposé. Rien n'est trop beau pour parvenir à un accord...
L'augmentation des petites retraites a été largement surestimée, à tel point que l'on peut parler de tromperie sur les objectifs initiaux.
La surcote pour les femmes, qui apparaît comme une avancée, ne fait en réalité qu'atténuer les effets négatifs du dispositif. En outre, les femmes ayant eu une carrière complète et qui seront obligées de travailler jusqu'à 64 ans y perdront. La situation des salariés les plus âgés est aggravée car de nombreuses personnes se trouvent sans emploi avant 60 ans et dans l'incapacité d'en retrouver un. De surcroît, le dispositif relatif à l'emploi des seniors, auquel tenait tant René-Paul Savary, a été revu à la baisse.
Quel sera le coût de la réforme ? Le Gouvernement comptait récupérer 18 milliards d'euros et réaliser, au total, une économie de 13 milliards d'euros - en tenant compte de 4 ou 5 milliards d'euros destinés à atténuer les effets de la réforme. Or, avec toutes les mesures retenues, l'économie sera moindre. De plus, les salariés seront les seuls à financer ces changements. Non seulement l'efficacité de la réforme sera très limitée, mais elle fera souffrir de nombreux travailleurs.
Mme Mathilde Panot, députée. - La procédure suivie est inhabituelle, en effet. Nous contestons le véhicule choisi : plusieurs articles n'ont aucun impact budgétaire - on pense notamment à l'article 2. Ensuite, tous les outils antidémocratiques de la Ve République ont été mobilisés. Le temps alloué aux débats est contraint par l'article 47-1 de la Constitution, faute de quoi le texte pourrait être appliqué par ordonnance. Le sénateur Bruno Retailleau, qui s'inquiète du vote des députés de son parti, a appelé la Première ministre à utiliser l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Au Sénat, ont été invoqués les articles 38, 42 et 44 du Règlement, ainsi que l'article 44, alinéas 2 et 3, de la Constitution. Le débat n'a pas eu lieu. Vous fustigez l'obstruction parlementaire ; pour notre part, nous considérons qu'il s'agit d'une obstruction gouvernementale.
Le texte pose de graves problèmes de sincérité. Qui touchera les 1 200 euros bruts ? En décembre, l'ensemble des retraités était concerné ; en janvier, 1,8 million de personnes ; début février, 40 000 ; fin février, 10 000 à 20 000. Nous avons levé les lièvres un à un.
Nous n'avons jamais été en mesure de savoir non plus si, avec cette réforme, il y aurait effectivement, comme le laissent craindre les prévisions de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 100 000 personnes de plus touchant les minima sociaux, 277 000 chômeurs et 400 000 personnes supplémentaires en invalidité pour cause d'accidents du travail.
Enfin, le choix d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pose problème en raison de l'absence de chiffrage de certaines mesures, notamment celles adoptées par voie d'amendement.
Vous avez décidé de passer en force face à 80 % des Français et 93 % des actifs. Depuis le début de la mobilisation, le Gouvernement a refusé de rencontrer l'intersyndicale unie et il a piétiné le Parlement. Tout cela est dû à l'attitude du Président de la République, seul contre tout un peuple.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous réaffirmons à notre tour notre opposition à cette réforme. Contre l'avis des organisations syndicales et malgré l'opposition des Français, mobilisés massivement dans tous les territoires, le Gouvernement s'obstine à vouloir reculer l'âge légal de départ à la retraite. Vous avez parlé d'une longue phase de « concertation » avec les organisations syndicales. Nous n'avons pas la même définition du mot... Les huit principaux syndicats et cinq organisations de jeunesse ont écrit au Président de la République pour demander une rencontre, voyant dans le silence de l'exécutif face au mouvement social un grave problème démocratique. Or, le Président n'a pas souhaité répondre, montrant le peu de cas qu'il fait des corps intermédiaires ainsi que son mépris envers les Français.
Comme la grande majorité des Français, nous nous opposons à cette réforme injuste et brutale. Elle est brutale car elle frappera dès cette année ceux qui avaient les annuités nécessaires pour partir à 62 ans, mais devront continuer à travailler. La méthode est elle aussi brutale : l'exécutif a cherché à imposer son texte en passant par un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale et en usant de l'artifice de l'article 47-1 de la Constitution, empêchant les débats et nous obligeant à travailler vite et mal. Un tel véhicule n'était pas adapté pour modifier en profondeur les équilibres de financement du système de retraite. Au Sénat, un nouveau pas a été franchi lorsque le Gouvernement, soutenu par la droite, a eu recours à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, autrement dit au vote bloqué. Au-delà du fait qu'il s'agit d'un aveu de faiblesse, ce passage en force restera dans l'histoire comme un mauvais coup porté à la séparation des pouvoirs, au parlementarisme et à la démocratie.
La réforme est injuste : elle ne changera rien ou presque à la vie des privilégiés, mais pèsera sur les premiers de corvée, tous ces Français qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui travaillent dans des conditions difficiles et à qui l'on demande des efforts supplémentaires. Madame la rapporteure, vous avez parlé de mesures sociales. Je les cherche... Là encore, nous n'avons pas la même définition de cette notion.
La réforme est injuste pour tous ceux qui exercent des métiers pénibles. La réintégration des quatre critères de pénibilité dans le compte professionnel de prévention n'est pas d'actualité : vous considérez que le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle et les visites médicales suffisent. La réforme est également injuste pour les personnes ayant des carrières longues. Elle l'est particulièrement pour les femmes, alors que celles-ci subissent déjà des salaires moins élevés, des carrières hachées et des temps partiels imposés, dont les conséquences sur le niveau de leur pension sont gravissimes.
Vous voudriez que tous ces Français travaillent jusqu'à 64 ans, voire au-delà, pour une retraite digne de ce nom. Ce n'est pas acceptable, surtout au regard du triste sort réservé aux seniors sur le marché du travail. À cet égard, la place accordée dans le texte définitif au CDI seniors, dispositif proposé par le Sénat, est une marque de faiblesse : il ne s'agit plus que d'une expérimentation, conduite pendant quelques mois. Le compte n'y est pas.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je dois préciser mon précédent propos : le Président de la République avait invité l'ensemble des syndicats mais certains n'ont pas daigné répondre. En amont de l'examen de ce texte, le Gouvernement a mené des consultations et des concertations. Nous en sommes à présent au temps du travail parlementaire.
M. Thomas Ménagé, député. - Je déplore que la représentativité des Français ne soit pas au rendez-vous de cette commission mixte paritaire. Pas moins de 70 % des membres de cette commission mixte paritaire sont favorables à la réforme mais n'oublions pas que les sénateurs du groupe Les Républicains qui la composent ont été élus en 2017, à une époque où leur parti obtenait 20 % des suffrages alors qu'il plafonne à 4 % aujourd'hui. Je ne suis pas là pour remettre en cause nos institutions mais je remarque que 70 % des Français sont défavorables à la réforme.
Je regrette également que les débats de ce matin ne soient pas publics. Le huis clos est source de suspicion mais, de fait, il semble que les négociations aient déjà abouti avant même le début de la commission mixte paritaire ! L'accord entre Les Républicains et le Gouvernement était couru d'avance, contre l'intérêt des Français. Nous en tenons la preuve ce matin.
Notre groupe désapprouve le recours par le Gouvernement aux pires outils de la Ve République. Je ne remettrai pas en cause pour autant le caractère démocratique du vote de la réforme mais le Gouvernement aurait pu user avec plus de délicatesse des instruments à sa disposition, surtout pour un sujet aussi sensible et clivant que la réforme des retraites, auquel la majorité des Français est opposée.
Je regrette enfin les mensonges permanents du Gouvernement, l'absence de réponse, par exemple à la pension de 1 200 euros, les approximations, et les propos irresponsables qui enveniment le débat. On ne peut pas, comme l'a fait notre collègue Éric Woerth, considérer que voter contre cette réforme des retraites revient à voter contre la nation. Les 70 % des Français opposés à cette réforme ne sont pas contre la nation ! On peut ne pas avoir les mêmes opinions que vous et proposer un projet différent, sans pour autant être contre la nation. Depuis le début, vous alimentez les peurs en faisant croire que si cette réforme n'est pas adoptée, tout le système de retraite par répartition tombera ! Vous n'avez pas créé les conditions d'un débat serein.
Notre groupe aborde cette réunion dans un esprit constructif et je me félicite des avancées obtenues au Sénat. Il est dommage que l'Assemblée nationale n'ait pu aboutir à un texte similaire à cause de l'obstruction. La limitation de la durée de cotisation à quarante-trois annuités est une avancée dont nous nous réjouissons même si je reste opposé à cette réforme dont l'économie générale est néfaste pour les Français.
En prévision du vote de demain - puisque, nous le savons, cette commission mixte paritaire sera conclusive -, j'invite les membres du groupe Les Républicains à faire preuve de cohérence. Il y a quelques semaines, MM. Retailleau, Ciotti et Marleix, affirmaient que voter un budget, c'était entrer dans la majorité. L'opposition vote contre, c'est ainsi. En soutenant ce texte, Les Républicains acteront leur entrée dans la majorité.
Nous approuvons les avancées apportées par les sénateurs, qu'il s'agisse des mesures en faveur des mères de famille et des sapeurs-pompiers volontaires ou des quarante-trois annuités. Mais je m'inquiète des souffrances supplémentaires que cette réforme infligera inutilement aux Français puisque les économies escomptées ne seront pas au rendez-vous et que peu de ressources supplémentaires seront dégagées. Alors que les prévisions affichaient un déficit modéré, nous assumions les choix nécessaires pour le compenser. Je comprends que vous cherchiez des économies car vous n'avez pas une vision macroéconomique de la situation. Vous n'avez pas su nous dire comment seraient financées les dépenses nouvelles que cette réforme ne manquerait pas de générer, ne serait-ce que pour compenser le chômage ou l'invalidité. Je remercie le Sénat pour les mesures prises afin d'adoucir cette réforme mais nous y resterons opposés.
M. Xavier Iacovelli, sénateur. - Je remercie le député Thomas Ménagé de ne pas remettre en cause la légitimité des sénateurs élus en 2017 ou en 2020. Le Sénat a sauvé la crédibilité du Parlement car un parlementaire se doit de voter la loi, ce que seul le Sénat a réussi. Le principe de la commission mixte paritaire est, précisément, de permettre aux rapporteurs de discuter du texte en amont. Sinon, il ne servirait à rien de nous réunir. Cette commission mixte paritaire ne présente aucun caractère inhabituel.
Sur le fond, je remercie les rapporteurs qui ont travaillé jusqu'à cette nuit. Je salue le maintien des apports du Sénat, notamment la bonification de la pension des mères de famille ayant une carrière complète dès 63 ans, la suppression du bénéfice des trimestres des parents condamnés pour des violences sur enfant, la pension de réversion d'orphelin, les mesures en faveur des élus locaux, l'assurance vieillesse des aidants.
Nous n'avons pas soutenu le CDI seniors en raison du risque d'effet d'aubaine pour certaines entreprises. Le rapporteur René-Paul Savary y tenait et le compromis trouvé, qui replace les organisations syndicales au coeur de la négociation, va dans le bon sens. L'expérimentation menée entre 2023 et 2026 permettra d'enrichir le travail. Je soutiendrai les modifications apportées, en particulier la fixation de la durée de cotisation à quarante-trois annuités. Nous sommes parvenus à un bon accord.
M. Philippe Mouiller, sénateur. - Je salue le travail des rapporteurs et des présidentes de commission qui ont animé les réunions. Notre groupe Les Républicains a fait preuve de cohérence. Depuis près de cinq ans, nous réfléchissons aux moyens de maintenir l'équilibre général du système de retraite par répartition. Nous avons tenu à jour un tableau de bord des équilibres généraux du budget de la sécurité sociale, régulièrement adapté aux évolutions de la société. Lorsque le texte du Gouvernement nous est parvenu, nous étions déjà mobilisés depuis des mois. L'Assemblée nationale n'ayant pu le modifier, nous avons essayé de l'améliorer en gardant constamment à l'esprit le souci de son équilibre mais aussi de la protection des Français les plus fragiles, du fait de leur situation personnelle, familiale, professionnelle. Si nous n'étions pas d'accord sur les grandes lignes, nous nous sommes retrouvés autour de mesures d'atténuation pour protéger les plus faibles quand des efforts étaient demandés à l'ensemble des Français. Je pense aux mères de famille et aux personnes handicapées.
M. Sylvain Maillard, député. - Ce moment important était attendu par les Français et je salue l'esprit constructif dans lequel nos rapporteurs ont travaillé. Une commission mixte paritaire se prépare, en effet. Nous avons vécu des moments difficiles à l'Assemblée nationale puisqu'un groupe politique nous a empêchés de discuter. Nous n'avons pas pu atteindre l'article 7 dont les dispositions sont essentielles pour l'avenir de nos concitoyens. Les modifications apportées par les sénateurs représentent de réelles avancées, en faveur des femmes ou des sapeurs-pompiers par exemple, et je pense que nous aurions pu, à l'Assemblée nationale, obtenir un consensus autour de ces dispositions. Hélas, nous n'avons pas pu en discuter. Cette commission mixte paritaire a le mérite de redonner du souffle à la démocratie. Le hasard fait bien les choses et je suis heureux qu'elle se tienne à l'Assemblée nationale.
Les commissions mixtes paritaires existent depuis 1958. Ceux de nos collègues qui débutent un premier mandat vivent peut-être leur première expérience et ne sont pas habitués à ce fonctionnement. Mais c'est ainsi qu'une commission mixte paritaire se déroule. Certaines dispositions de la Constitution ne leur conviennent pas ; ce n'est pas une raison pour la fragiliser.
C'est vrai, des accords ont pu être trouvés, en particulier autour de mesures que les sénateurs avaient à coeur, comme le CDI seniors. Un équilibre a été atteint. Nous avons entendu l'appel et tout doit être fait pour améliorer l'emploi des seniors.
Enfin, nous avons trouvé un juste compromis s'agissant des bornes d'âge.
Ce texte demande un effort aux Français : ceux qui le peuvent doivent travailler plus afin que les cotisations financent le système et que, dans quelques années, nous ne soyons pas contraints de baisser le niveau des pensions. La réforme est d'autant plus courageuse qu'en effet, elle est impopulaire. Elle doit donc être menée dans la justice sociale alors que notre système actuel, parfois, est injuste. C'est ainsi que près d'un tiers des cotisations supplémentaires collectées sera utile à nos pensionnés.
M. Philippe Vigier, député. - Les commissions mixtes paritaires sont en effet l'alpha et l'oméga du bicamérisme français, n'en déplaise à notre collègue Thomas Ménagé. D'autres collègues font partie d'une famille politique à laquelle appartenait un Premier ministre qui souhaitait la disparition du Sénat. Je suis quant à moi heureux que ce texte soit l'occasion de montrer combien celui-ci est essentiel alors que nous, députés, avons été privés d'un examen au-delà de l'article 2.
Tout est parti d'un rapport du COR expliquant, en sa page 11, que les excédents sont formidables quand les 30 milliards d'euros de déficits courants et récurrents étaient passés par pertes et profits, tout comme d'ailleurs la lecture de la page 41, où le déficit total était évalué à 150 milliards d'euros. D'aucuns versent des larmes de crocodile sur les petites retraites mais il faudrait ne rien faire ! Il est impossible de laisser prospérer des injustices flagrantes.
Je me félicite de la poursuite de notre travail commun et des avancées effectuées. Je pense notamment au calcul des cotisations d'accidents du travail et de maladies professionnelles afin de permettre la mutualisation des coûts entre les entreprises. Bravo aux sénateurs d'avoir étendu ce dispositif aux professions agricoles ! Il en est de même pour les femmes, avec les mesures concernant les carrières hachées. La réforme Touraine de 2015, nous disait-on, était un modèle de justice sociale mais rien n'avait été fait pour les femmes dont les enfants sont nés avant 2012. Il en est de même pour les élus locaux, les aidants familiaux, les pompiers ou les seniors : avec 36 % d'actifs seulement parmi les plus de soixante ans, nous sommes les derniers de la classe en Europe.
M. Olivier Marleix, député. - Être dans l'opposition n'interdit pas de saisir une rare occasion de redressement de notre pays, ce qui demande de faire preuve de courage et non de démagogie. Les quelques exigences que nous avions fixées ont été entendues : je pense à l'absence de braquage sur les réserves de l'Agirc-Arrco avec l'annulation du prélèvement au profit de l'Urssaf. L'argent des retraites doit aller aux retraites et non financer le tonneau des Danaïdes du déficit de l'État.
Je pense également à la revalorisation des petites retraites de 670 euros en moyenne pour 1,8 million de retraités dont les carrières sont complètes. Je pense au rythme de la réforme, désormais plus raisonnable, alors que le Gouvernement le voulait plus brutal avec un départ à la retraite à 65 ans à la fin du quinquennat. Le travail parlementaire a permis des avancées avec l'entrée dans le dispositif « carrières longues » de ceux qui ont travaillé avant 21 ans, avec la surcote de 5 % par an dès 63 ans dont bénéficieront les mères de famille, avec le CDI seniors et la prise en compte de la pénibilité.
Nous avons deux attentes. D'une part, la clause de revoyure doit être réécrite afin qu'un véritable débat puisse se dérouler au Parlement concernant le déploiement du CDI seniors et des dispositifs relatifs à la pénibilité. D'autre part, s'agissant des carrières longues, il n'y a aucune raison d'exiger une durée de cotisation supplémentaire. Nous rendrons ainsi ce texte un peu plus juste, même si l'exigence d'un effort de redressement n'est pas populaire. Nous ne sommes d'ailleurs pas là pour l'être mais pour répondre à l'intérêt national.
M. Charles de Courson, député. - Les trois rapporteurs ont-ils pu évaluer, mesure par mesure, le coût total de cette réforme à l'horizon 2030 ? Le CDI seniors est évalué à 800 millions d'euros ; le confirmez-vous ? La mesure pour les femmes ayant eu au moins un enfant est estimée me semble-t-il à 300 millions d'euros.
Je sais qu'une telle évaluation est difficile puisque l'application de certaines mesures dépend des entreprises. Seront-elles nombreuses à utiliser le CDI seniors ? Bénéficieront-elles d'un effet d'aubaine ? Les recrutements seront-ils plus nombreux ?
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Ce texte est révélateur d'un projet de société qui n'est pas le nôtre. Il a été proposé au Parlement sans débat. Vous poussez des cris d'orfraie sur une prétendue obstruction mais il n'y en a pas eu au Sénat, où vous avez néanmoins recouru au vote bloqué.
Vous ne voulez pas de débat faute de disposer d'une étude d'impact : quelles seront les conséquences financières, sociales et sanitaires de cette réforme ? Comment osez-vous proposer une loi d'une telle ampleur dans de telles conditions ? En outre, vous avez présenté le texte avec brutalité. Pourquoi, après des semaines de grèves et de manifestations, les ministres ne discutent-ils pas en permanence avec les forces syndicales ? Notre démocratie devient de plus en plus autoritaire.
Quelles sont les conséquences du recul de l'âge de départ à la retraite à 64 ans pour les comptes sociaux, en termes de dépenses maladie, invalidité, incapacité supplémentaires ? Quelles conséquences des quarante-trois annuités de cotisation ? Quelles conséquences pour les femmes ? Combien de personnes bénéficieront-elles d'une retraite de 1 200 euros ? Vous ne nous avez pas répondu en séance publique : le ferez-vous en commission mixte paritaire ?
Enfin, la suppression de l'article 7 est un enjeu fondamental. Tant qu'il y sera, aucune mesure de compensation ne permettra d'améliorer la vie des gens. Ce texte dégradera les conditions de vie dans notre pays.
M. Éric Woerth,
député. - Il y a eu énormément de
débats pendant des mois
- on pourrait même dire qu'il y a
un débat permanent depuis des années. Des réponses ont
été apportées à vos questions. Elles ne vous
satisfont pas ! Vous avez une idée préconçue :
on ne peut pas augmenter l'âge de départ à la retraite.
C'est aussi la position des syndicats depuis des années. Nous ne sommes
d'accord ni sur la description de la situation, ni sur la question,
évidemment centrale, de l'âge de départ. Nous sommes ici au
coeur de notre pacte social et intergénérationnel.
Je salue le travail de nos rapporteurs dans les conditions que l'on connaît. Les échanges ont été nourris et fructueux. Un compromis nous est proposé. Il est efficace ; il est juste parce qu'il est efficace : en conservant un système de retraite déséquilibré, nous agirions au détriment des générations futures. Or, le relais entre les générations actuelle et future est au coeur d'un système par répartition. La justice ne vient pas seulement de mesures de compensation, elle repose aussi sur l'augmentation de l'âge de départ qui garantit à chacun une retraite le moment venu.
Ce texte n'est pas idéologique au contraire de ce que proposent certains de nos collègues, notamment à gauche. Il s'impose à nous par la démographie, les circonstances économiques, l'anticipation d'une longue série de déficits à venir. Et un gouvernement responsable d'un pays démocratique pourrait ne rien faire ? Oui, nous voulons corriger cette trajectoire et ramener le système à l'équilibre en 2030. Ensuite, il faudra maintenir cet équilibre : c'est la longue histoire du système par répartition.
Ce texte est bon parce qu'il est équitable : tous ceux qui ne pourront pas partir à 64 ans, objectivement, ne partiront pas à 64 ans mais avant, et pour de nombreuses raisons. La majorité et le Gouvernement sont très sensibles à cet aspect.
Le Sénat a proposé une surcote pour les personnes qui ont déjà le nombre de trimestres nécessaires un an avant l'âge de 64 ans et qui ont au moins un trimestre de majoration au titre de la maternité. Cela concerne surtout des femmes et c'est une bonne chose. Cette surcote viendra s'ajouter aux 10 % pour ceux qui ont eu trois enfants, à la surcote pour ceux qui décident de continuer à travailler plus longtemps...
On entend parfois dans les rangs de la NUPES une tentation d'essayer de corriger par le système de retraite toutes les injustices que produit notre pays. Ce n'est simplement pas possible ! Nous devons réduire les inégalités, et notre système de retraite est en effet moins injuste que la vie ; il incite à régler les questions de pénibilité en amont, à accélérer pour régler cette question infernale des inégalités entre hommes et femmes. Nous devons permettre aux jeunes de rentrer plus vite sur le marché du travail, aux seniors et aux entreprises d'adapter leur vision du travail à l'âge au travail.
Mme Raymonde Poncet Monge, sénatrice. - Beaucoup d'entre vous avez proclamé votre soutien au régime par répartition, mais je redis que la branche retraite ne connaît pas de problème financier insurmontable. Les dépenses n'augmentent pas de façon préoccupante, comme leur part dans le produit intérieur brut. Quant aux recettes, la majorité et la droite ont refusé toute proposition de nouvelles ressources. Votre réforme a un autre but financier. M. Moscovici l'a dit : toute baisse d'impôt doit s'accompagner d'une baisse de dépenses publiques. Nous continuons d'assister à une folle course à la baisse d'impôt, en dernier lieu avec la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Pour atteindre les 3 % de déficit en 2027, vous devez diminuer les dépenses en matière de chômage et de retraite.
Votre réforme a aussi un but productiviste. Cela se voit dans la surcote accordée aux mères qui devront travailler jusqu'à 64 ans bien qu'elles aient les trimestres requis. Qu'elles partent ou qu'elles reçoivent une surcote de 5 %, n'importe quelle étude actuarielle vous dira que financièrement cela revient au même. Vous parlez d'égalité mais votre argument est fallacieux. En réalité, vous faites le choix de produire, produire, produire ! Un tiers des femmes partaient à 62 ans : alors qu'elles auraient pu travailler jusqu'à 64 ans pour avoir une surcote de 10 %, elles ne le faisaient pas. Vous les empêchez de partir en leur octroyant une surcote dans votre grande générosité !
Je remarque aussi que les agents chimiques ont à nouveau disparu des dispositifs de pénibilité. C'est incroyable ! La gauche et les écologistes estiment qu'il faut en revenir à dix critères de pénibilité pour le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle comme pour le compte professionnel de prévention. Monsieur Savary, vous étiez assez fier, je crois, de l'intégration des agents chimiques ! Et je ne vous redonne pas les chiffres des cancers professionnels. Mais voilà les agents chimiques effacés à nouveau !
Vous parlez de mesures d'atténuation : je suis contente que l'on ne parle plus de mesures sociales ou de mesures d'accompagnement. Vous atténuez quelque peu la brutalité de la réforme, c'est tout. Ces mesures sont évaluées à 6 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros pour compenser des invalidités permanentes alors que vous maintenez le statu quo : pourquoi ? Je n'ai pas de réponse.
Ceux qui ne pourront pas continuer à travailler partiront avant, nous dit M. Woerth. Non ! Partir, c'est avoir le droit de liquider sa retraite. À 61 ans, 28 % des ouvriers travaillent encore : ceux-là, vous allez les faire bosser, et on reparlera plus tard de leur santé. Les autres, les plus nombreux, seront aux minima sociaux, au chômage de longue durée, en maladie de longue durée !
S'agissant des petites retraites, vous dites que 1,8 million de personnes toucheront davantage ; mais il y a 5,8 millions de retraités pauvres, et à la fin seuls 125 000 d'entre eux toucheront 100 euros de plus. Il faut tout dire. Quant au CDI seniors, nous avions compris que vous ne demanderiez aucune contribution aux employeurs, mais c'est pire : vous réussissez à leur faire un cadeau de 800 millions d'euros.
M. Hadrien Clouet, député. - L'objet de la commission mixte paritaire est de trouver des accords entre parlementaires. Mais on constate, depuis quelques décennies, une évolution inquiétante de nos institutions : les commissions mixtes paritaires se jouent désormais sous la forte influence du Gouvernement ! C'est une rupture dangereuse avec l'ordre initial de la Ve République. Jusqu'en 1964, la commission mixte paritaire auditionnait les ministres. Désormais, certains passent des coups de fil pour prendre des consignes budgétaires ! Les parlementaires doivent au contraire travailler de façon autonome. La commission mixte paritaire n'est pas limitée dans le temps : rien ne nous oblige à aller très vite, d'autant que la saison des vacances au ski est terminée.
Ce texte budgétaire nous semble insincère pour au moins six raisons. Tout d'abord, on ne peut estimer les effets de cette réforme sur les recettes des caisses d'assurance vieillesse : il m'est donc difficile de préciser à quel degré j'y suis hostile.
Nous n'avons pas non plus idée des effets du texte en matière de dépenses. Nous ne connaissons pas vos prévisions s'agissant de la réaction des ménages, des entreprises et des collectivités face à une telle réforme : cela nous empêche d'estimer l'évolution des dépenses pour les futures cohortes.
Nous ne savons pas quel sera le prix du passage à quarante-trois annuités pour les carrières longues. Les chiffres entendus varient de 400 millions à 5 milliards d'euros, selon la station de radio écoutée et le ministre interrogé. Chacun conviendra que des estimations allant du simple au décuple ne sont pas satisfaisantes.
Quels seront les coûts annexes de la réforme pour la sécurité sociale ? Nous avons évoqué les coûts directs comme celui de la création d'un CDI fin de carrière - la version ripolinée du CDI senior -, qui obérera d'au moins 800 millions d'euros le budget de la branche famille. Mais le report de l'âge de départ à la retraite entraînera aussi d'autres frais, par exemple parce que les grands-parents n'assureront plus la garde des petits-enfants et que les familles se reporteront sur des prestations auxquelles elles n'avaient jusqu'à présent pas recours.
Par ailleurs, quels seront les coûts pour le budget de l'État ? Les dépenses de prestations versées aux chômeurs de longue durée ne sont pas estimées, non plus que les frais générés par l'accompagnement des seniors frappés par l'inactivité ou le chômage de longue durée. À Pôle emploi, par exemple, il faudra bien mettre des personnes derrière les guichets pour accueillir les chômeurs que vous créerez !
Enfin, quels seront les coûts pour les collectivités ? Les dépenses nouvelles supportées par les centres communaux d'action sociale et consécutives au recours accru aux dispositifs d'aide sociale existants ne sont pas budgétées.
Notre collègue Éric Woerth a évoqué la réforme de 2010, qui est un bon exemple. Nous pouvons l'évaluer avec un certain recul puisqu'elle date de treize ans et que des études ont été réalisées sur les cohortes. Qu'est-il advenu des travailleurs frappés en 2010 par le report de deux ans de l'âge légal de départ à la retraite ? On sait que 40 % sont demeurés dans l'emploi et que 60 % en sont sortis. Parmi ces derniers, 30 % sont devenus chômeurs, 10 % étaient en invalidité ou en handicap, 10 % en inactivité et 10 % en maladie professionnelle ou chronique.
Nous discutons d'un texte inefficace, insincère et coûteux - même si on ne sait pas s'il coûtera cher ou très cher -, dans le cadre d'une commission mixte paritaire qui tourne le dos à l'ordre constitutionnel voulant que les parlementaires contrôlent le Gouvernement, et non l'inverse. Donnons-nous le temps de discuter de ce texte, ligne par ligne, et de débattre du fond ! Même si nous sommes à huis clos - vous le répétez avec une insistance étonnante -, nous avons besoin d'entendre vos explications pour le grand public. Nous sommes tous des représentants du peuple auquel nous devons rendre des comptes quant à nos votes.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je n'ai entendu personne ici déclarer qu'il fallait travailler vite.
M. Hadrien Clouet, député. - Je ne parlais pas de vous, madame la présidente !
M. Arthur Delaporte, député. - Nous voyons sur les écrans de la salle une porte en bois de chêne, avec une poignée en bronze, accompagnée de l'inscription « huis clos ». Cette illustration n'est pas tout à fait révélatrice des débats en cours.
M. Éric Woerth, député. - Ce n'est pas un huis clos puisque vous communiquez sans arrêt sur les réseaux sociaux !
M. Arthur Delaporte, député. - Même si les portes sont fermées, les débats en commission mixte paritaire ne se tiennent pas nécessairement à huis clos. Alors que nous devons nous livrer à un exercice démocratique majeur, les conditions dans lesquelles nous discutons posent problème. L'un d'entre vous a déclaré qu'il était habituel, depuis 1958, de réunir des commissions mixtes paritaires. Est-il cependant habituel de demander à une commission mixte paritaire de se prononcer sur un texte qui n'a jamais été adopté par l'une des deux assemblées ?
Certes, vous pouvez vous livrer ici à un exercice d'autosatisfaction, à huis clos puisque c'est ce que vous souhaitez, mais lorsque vous aurez franchi les portes de cette salle, vous devrez assumer publiquement un accord sur un texte non voté.
Vous disiez à juste titre, cher collègue Éric Woerth, que les débats n'étaient pas idéologiques. En effet, nous voyons bien aujourd'hui qu'il n'y a pas de différence idéologique entre la majorité de l'Assemblée nationale et celle du Sénat : vous êtes d'accord sur tout, sur le report de l'âge légal ou sur les CDI seniors - une disposition que vous refusiez encore il y a quelques jours, chers collègues députés, mais que vous êtes désormais prêts à accepter dans une version encore plus dure proposée par le Gouvernement. J'ai sous les yeux une proposition de rédaction, que vous nous proposerez d'adopter tout à l'heure - si j'ai bien compris - et qui prévoit un dispositif expérimental permettant, dans le cadre d'un accord de branche, la mise à la retraite d'un salarié sans son accord dès qu'il aura atteint la retraite à taux plein. Vous retirerez ainsi aux salariés la possibilité de choisir leur âge de départ.
Nos conditions de travail sont très particulières. On nous transmet un document de 110 pages qui, si j'ai bien compris, correspond au texte que vous proposerez d'adopter à l'issue de la commission mixte paritaire. Pensez-vous que les parlementaires sont bien informés lorsqu'ils découvrent ce texte au beau milieu d'une réunion, sans avoir pu l'analyser au préalable ? Il y a un problème de vitalité du débat démocratique ! Le dispositif de la commission mixte paritaire est hautement perfectible : nous devons pouvoir exercer le droit d'amendement garanti par la Constitution dans des conditions permettant l'intelligibilité des débats.
Ce dispositif est non seulement incompréhensible, mais également dangereux. Nos collègues Hadrien Clouet et Charles de Courson ont expliqué en quoi ce projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale était profondément insincère. Les dispositions qu'il contient ne sont même pas reportées dans les tableaux budgétaires. Les modifications apportées au texte ne sont pas expliquées. En tant que parlementaire, je ne m'estime absolument pas éclairé pour émettre un avis fondé sur ce document incompréhensible.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous examinerons tout à l'heure le texte article par article. Vous dites que cette commission mixte paritaire est inédite parce que le texte n'a pas pu être adopté à l'Assemblée nationale. À qui la faute ? Il faut rendre à César ce qui est à César !
M. Paul Christophe, député. - Je constate qu'il existe encore des crispations autour de la question des 64 ans. Nous n'avons malheureusement pas pu examiner, à l'Assemblée nationale, le fameux article 7. Dans sa projection de 2021, le COR prévoyait que l'âge moyen de départ à la retraite serait naturellement porté à 64 ans d'ici à 2040. Par ailleurs, dans le cadre de l'Agirc-Arrco, les partenaires sociaux ont décidé, sur la base d'une projection à quinze ans, de fixer l'âge de départ à 64 ans, avec une décote initiale assez massive. Alors qu'ils ont prévu une clause de revoyure tous les quatre ans, ils estiment aujourd'hui qu'il manque encore 50 000 à 60 000 naissances par an pour assurer l'équilibre projeté. Je vous invite donc à être attentifs à la prochaine révision de ces dispositions, a priori en 2025.
Je rappelle que ce texte prévoit quelque 6 milliards d'euros pour réparer certaines injustices actuelles - ce n'est pas Arthur Delaporte qui me contredira au sujet des travaux d'utilité collective, une question chère à notre collègue Philippe Vigier qui concerne près de 2,8 millions de nos concitoyens. Parmi les avancées notables de ce texte, je veux aussi citer les carrières longues. Alors que, dans le dispositif actuel, certains travailleurs doivent cotiser 176 voire 180 trimestres, nous proposerons de limiter la durée de cotisation à 172 trimestres.
Je vous invite à prendre la mesure de l'équilibre du texte qui nous est soumis, au regard de l'enjeu. La raison doit l'emporter.
Mme Sylvie Vermeillet, sénatrice. - Cette réforme mettra un terme à l'injustice qui caractérise la retraite des élus locaux. De retour dans nos territoires, nous serons heureux de dire à ces derniers que nous avons voté une telle disposition. Depuis 2013, on distingue en matière de retraite deux catégories d'élus locaux : ceux qui perçoivent plus de la moitié du plafond de la sécurité sociale et qui sont soumis à l'ensemble des cotisations de la sécurité sociale et des complémentaires, et ceux qui perçoivent moins de la moitié du plafond, soit moins de 1 833 euros par mois toutes indemnités confondues, et qui ne cotisent qu'à l'Ircantec. À l'initiative du groupe Union centriste, le Sénat a adopté un amendement permettant à tous les élus d'être assujettis, à leur demande, aux cotisations de sécurité sociale de base sur les indemnités de fonction qu'ils perçoivent - ils décident en effet de réduire leur temps de travail pour assurer les fonctions de maire ou d'adjoint. Il s'agit d'une mesure de justice attendue et méritée. Je doute que ceux qui critiquent la réforme aujourd'hui osent soutenir, devant les élus locaux, qu'ils auraient pu se passer d'un tel droit.
Mme Cathy Apourceau-Poly, sénatrice. - Je regrette que nous ayons découvert les documents aujourd'hui, sur table. Je reconnais le travail considérable réalisé par les rapporteurs, probablement cette nuit, mais j'aurais aimé avoir le temps d'étudier leurs propositions. Nous ne sommes pas prêts : il aurait fallu reporter à vendredi l'examen du texte à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Nous défendons un projet de société différent de celui du Gouvernement et de la majorité sénatoriale. Nous avons proposé de mettre à contribution les revenus du capital, les dividendes, les fonds de pension, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes privés lucratifs, et de supprimer les exonérations de cotisations sociales patronales. Vous opposez les salariés entre eux, comme le montrent les mesures concernant les régimes spéciaux et les distinctions que vous établissez entre privé et public. Vous avez essayé de manoeuvrer en ce sens mais, comme on le voit, cela ne marche pas puisque tous les salariés sont dans la rue.
La rapporteure a dit que la rédaction commune manifestait le choix de la responsabilité. Je pense plutôt que vous avez opté pour l'irresponsabilité commune au Gouvernement et à la majorité sénatoriale. En effet, huit salariés sur dix s'opposent aujourd'hui à votre projet de départ à 64 ans. La responsabilité aurait été d'entendre l'intersyndicale, qui n'a eu de cesse de demander à être reçue, y compris par le Président de la République.
Vous avez choisi de restreindre le débat, ce dont le Gouvernement porte la responsabilité première. S'il y a eu de l'obstruction à l'Assemblée nationale, c'est bien en raison des choix de l'exécutif. Au Sénat, vous n'avez cessé de brandir le Règlement ; vous avez fait usage de certaines de ses dispositions, mais aussi de l'article 44 de la Constitution. Sur plus de 6 000 amendements déposés, 1 128 ont été déclarés irrecevables, 425 ont été retirés avant la séance, 298 ont été retirés pendant la discussion, 1 465 ont été rejetés, 1 551 sont tombés, 944 n'ont pas été soutenus et 201 ont été adoptés - évidemment pas les nôtres mais ceux des Républicains -, soit 3,34 % de l'ensemble.
Vous rejetez un des seuls amendements valables qui visait à introduire dans le périmètre du fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle l'exposition aux agents chimiques. Vous comptez également faire disparaître, apparemment, le rapport sur les conséquences de la mise en place d'un régime par capitalisation : on voit bien où vous voulez en venir. Par ailleurs, la réforme est à mes yeux insincère. Nous n'avons aucun chiffre crédible sur le minimum de 1 200 euros : on a dit que cette mesure allait concerner tout le monde puis, quelques jours après, seulement 10 000 personnes. Pouvez-vous donner les chiffres exacts ?
M. Victor Catteau, député. - Je regrette que le résultat de la commission mixte paritaire soit connu d'avance et que tout ait d'ores et déjà été négocié. Il est dommage que le Rassemblement national, premier groupe d'opposition, ne soit pas partie aux négociations et aux discussions sur un texte aussi important. Je trouve également regrettable que, par la faute de la NUPES, nous n'ayons pu discuter à l'Assemblée nationale de sujets essentiels pour les Français, en particulier de l'article 7. En circonscription, nos compatriotes font part de leur grande déception à cet égard.
Même s'il a bénéficié d'avancées au Sénat, le texte reste injuste socialement, absurde économiquement et absolument pas représentatif de la volonté des Français. Il va évidemment affecter nos seniors qui, lors de leur départ à la retraite, seront, pour la plupart d'entre eux, sans emploi ou en invalidité, et qui subiront donc une décote. Le projet de loi ne comporte aucune mesure sérieuse pour les protéger. Ni l'index seniors, ni le CDI seniors ne permettront leur maintien dans l'emploi. Nous nous opposerons, ici comme dans l'hémicycle, à ce texte porteur d'une injustice totale.
Mme Pascale Gruny, sénateur. - Le projet de loi ne recueillera jamais l'unanimité. Mais il nous appartient, en notre qualité d'élus, de prendre nos responsabilités compte tenu de la situation financière et démographique de la France. Du point de vue de l'organisation de nos travaux, cette commission mixte paritaire ne présente pas, à mes yeux, de particularité par rapport à toutes celles auxquelles j'ai participé.
Au Sénat, plutôt que d'engager un débat constructif, nos collègues de l'opposition ont déposé des amendements de suppression des articles et de nombreux amendements identiques pour lesquels seules les dates étaient modifiées. Chacun apporte ce qu'il veut au débat - je le respecte -, mais cela nous a conduits à user des outils à notre disposition. Toutefois, jusqu'à la fin, chaque sénateur a pu présenter les amendements qu'il avait déposés.
Depuis des années, au Sénat, nous proposons de porter l'âge légal de la retraite à 64 ans. Nous sommes donc favorables à la réforme. J'ai entendu dire que nous étions mariés avec le Gouvernement ou le Président de la République. En réalité, cette idée était la nôtre. Il y a quelques années, le Gouvernement avait proposé un système de retraite universel à points, auquel nous nous sommes opposés.
Je me réjouis des mesures d'accompagnement prévues pour les personnes exerçant un métier pénible ou en invalidité. Le texte a pris en compte ces situations. Je rappelle que nous avons voté en 2021 la loi pour renforcer la prévention en santé au travail, qui permet d'accompagner les personnes en activité pour qu'elles puissent aller le plus loin possible. Lorsqu'elles ne pourront plus travailler, elles auront la faculté de prendre leur retraite plus tôt.
S'agissant du CDI seniors, il me paraît bienvenu de mettre des outils à disposition ; nous verrons comment ils seront utilisés. Concernant les ruptures conventionnelles, nous avons fixé la contribution patronale à 30 % pour éviter les effets d'aubaine.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - La réforme entraînera 18 milliards d'euros d'économies. En outre, elle prévoit des mesures d'accompagnement, de redistribution et de justice sociale qui représentent un montant de 6,6 milliards ; plus de quatre personnes sur dix partiront avant l'âge légal de départ. Par comparaison, la réforme de 2010 redistribuait 1,5 milliard d'euros. Cela permettra d'arriver à l'équilibre financier en 2030.
Les mesures en faveur des familles représentent une dépense de 370 millions d'euros. Celles relatives aux carrières longues, avec une borne d'âge à 21 ans, coûteront 400 millions d'euros, et 300 millions d'euros avec l'apport des 43 ans. Enfin, on oublie souvent de dire que l'âge de départ à la retraite pour les personnes en invalidité est maintenu à 62 ans. C'est une mesure importante dont le coût est de 3 milliards d'euros.
Parmi les recettes, le Sénat a enrichi les mesures de lutte contre la fraude, ce qui devrait générer 200 millions d'euros, et j'ai moi-même proposé une mesure d'harmonisation fiscale des indemnités de mise en départ à la retraite, qui apportera 300 millions d'euros.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La philosophie du Sénat, depuis quatre ans, n'a pas varié : un système par répartition ne peut être financé ni par l'impôt, ni par la dette, mais par les cotisations. Lorsque ce système est en déficit, il paraît naturel de demander un effort pour augmenter ces cotisations. La difficulté, c'est de répartir cet effort. Le Sénat a toujours dit que le système de retraites repose sur deux piliers : la durée de cotisation, qui protège ceux qui commencent tôt, et la borne de l'âge, qui protège ceux qui commencent tard. Quand on joue sur les deux leviers, on répartit l'effort collectif.
Dans la mesure où l'on demande un effort collectif, il faut prendre des mesures de justice sociale, notamment en faveur de ceux qui ont été usés par le travail. Le Sénat a ainsi introduit, en concertation avec les députés, un dispositif complémentaire qui avait été proposé par le Gouvernement : une retraite anticipée dès 60 ans pour ceux qui ont un taux d'incapacité de plus de 20 %.
Il nous a également paru important de prendre en compte la famille. Par définition, la répartition nécessite un équilibre démographique : si la durée des retraites est de plus en plus longue, il faut des naissances pour les financer. C'est pourquoi nous avons pris en compte la situation des mères de famille, aux carrières hachées. C'est un marqueur de notre mouvement politique. C'est pourquoi nous avons proposé la surcote et l'extension de la majoration pour enfants aux professions libérales et aux avocats. Nous avons également introduit une pension de réversion pour les orphelins. Nous nous sommes, en outre, attachés aux mesures de lutte contre la fraude.
Il y a eu une répartition des tâches entre l'Assemblée nationale et le Sénat : les mesures de justice sociale pour le Sénat, les carrières longues pour l'Assemblée nationale.
J'ai critiqué le dispositif « carrières longues » et je l'assume. D'abord, mettre quarante-trois ans de cotisation pour tout le monde, ce n'est plus reconnaître une carrière longue. Ensuite, le dispositif est illisible compte tenu de la multiplicité des critères : avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant la fin de vos 20 ans ; le nombre de trimestres cotisés et la borne d'âge. Le principe du dispositif « carrières longues », c'est que la collectivité assure une durée de retraite anticipée aux gens qui ont une moindre espérance de vie, compte tenu de l'usure. Il faut donc que le dispositif soit ciblé et c'est pourquoi il y a énormément de dérogations. En réalité, seules six personnes sur dix partiront à 64 ans ; quatre personnes sur dix bénéficieront d'un dispositif dérogatoire et resteront dans le droit actuel avec un âge de départ légal à 62 ans et une possibilité de départ anticipé à 55 ans : les personnes handicapées, les personnes souffrant d'une incapacité permanente ou d'inaptitude.
Le système « carrières longues » proposé par l'Assemblée nationale me paraît donc illisible et inégalitaire. Mais je n'ai pas été capable de proposer un contre-système. J'invite le Gouvernement à y réfléchir parce que les gens risquent de ne pas s'y retrouver : selon qu'on est né en début ou en fin d'année, on n'est pas dans la même borne d'âge...
À l'Assemblée nationale, diverses propositions ont été faites : ouverture de la carrière longue dès un trimestre travaillé avant tel âge - mais un emploi d'été pendant un trimestre ne peut pas ouvrir des droits au dispositif « carrières longues » ; prise en considération de la durée de cotisation, de quarante-trois ou quarante-quatre ans, sans borne d'âge - mais avec un coût de 9 milliards d'euros, ce n'est pas possible. Je suis de l'avis d'Olivier Marleix et d'autres : il fallait cibler les gens qui ont commencé très tôt et qui ont cotisé quarante-trois ans.
Je rappelle, pour les formations de gauche, que c'est l'application de la réforme Touraine qui fait que les gens qui ont commencé à travailler à 16 ans devaient cotiser quarante-cinq ans. Cela méritait d'être corrigé ! Lorsque les gens partent avec une décote, le niveau des pensions baisse de 300 euros en moyenne. Avec le recul de l'âge de départ, les gens partent sans décote et les pensions augmentent. Et nous voulons faire en sorte que les retraités ne soient plus pauvres. Le décalage, impopulaire, de la borne d'âge permet de garantir le niveau de vie de nos retraités. On parle beaucoup du rapport du COR, mais on oublie toujours de dire que le déficit s'accompagnerait d'une baisse du niveau de vie moyen relatif des retraités.
Nous n'avons pas touché aux critères du compte professionnel de prévention parce qu'il ne faut pas les modifier sans arrêt. Nous avons débattu de l'opportunité de réintroduire l'exposition aux produits chimiques pour conclure que ce n'était pas le meilleur moyen. Je me suis rallié à ce qu'avait proposé l'Assemblée nationale. Comme nous n'avons pas obtenu de financement supplémentaire pour le fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, je me suis dit qu'il valait mieux cibler en priorité les troubles ergonomiques, qui représentent 80 % à 82 % des maladies professionnelles.
J'en viens à l'employabilité des seniors : c'est ce qui fera la réussite de la réforme. Nous avons réfléchi à une stratégie « 1 senior, 1 solution », sur le modèle du plan « 1 jeune, 1 solution » qui a bien fonctionné. Pour les seniors au chômage, nous proposons un nouveau type de contrat à durée indéterminée : l'équivalent d'un contrat de chantier utilisé, par exemple, pour la construction d'un collège, qui prend cinq à dix ans. Ce contrat courra jusqu'à la fin de carrière du salarié. Ce peut être l'âge de départ à taux plein ou l'âge d'annulation de la décote, à 67 ans, mais pas 70 ans, ce qui, dans le secteur privé, constitue actuellement un frein à l'emploi - quand on embauche un senior à 60 ans, on est tenu de le garder jusqu'à 70 ans.
Ce CDI particulier, il a fallu le recadrer parce que son coût avait d'abord été estimé à 800 millions d'euros, du fait d'une incompréhension. Nous avons prévu une exonération pour la branche famille car nous ne pouvions pas le faire au titre de la branche chômage - cela ne relève pas d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale. Pour éviter l'effet d'aubaine - argument auquel je me suis rallié -, cette exonération sera contingentée. Et puis, nous avons associé les partenaires sociaux : en accord avec la rapporteure de l'Assemblée nationale, l'emploi des seniors de longue durée fera l'objet d'un accord national interprofessionnel. C'est une belle avancée.
Nous n'avons pas inventé ce dispositif ; il était proposé par plusieurs formations syndicales, salariées et patronales. L'exonération pour la branche famille est estimée à 100 millions d'euros. Comme on embauche des gens qui étaient au chômage et que le taux de charge était de 40 %, il y a 3 % à 5 % de cotisations famille en dépense, mais 35 % à 37 % en recettes, notamment sur la branche vieillesse.
Il faut tout faire pour éviter que les seniors se retrouvent au chômage. C'est pourquoi nous nous sommes ralliés à la mesure proposée par l'Assemblée nationale de porter de 20 % à 30 % le forfait social payé par l'entreprise en cas de rupture conventionnelle. Il s'agit d'éviter les ruptures conventionnelles qui ont tendance à intervenir lorsque le salarié atteint 59 ans, trois ans avant l'âge légal de départ à la retraite. On mérite mieux, au terme de sa carrière, que le chômage. Pour les seniors en entreprise, une mesure vous a peut-être échappé : le plafonnement du compte professionnel de prévention avant 60 ans, pour réserver l'activité partielle rémunérée à temps plein à la fin de carrière aux gens usés.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous faisons une courte pause avant d'engager l'examen des dispositions restant en discussion.
La réunion, suspendue à 11 h 15, est reprise à 11 h 35.
Article liminaire
La commission mixte paritaire adopte l'article liminaire dans la rédaction du Sénat.
PREMIÈRE PARTIE : DISPOSITIONS RELATIVES
AUX RECETTES
ET À L'ÉQUILIBRE DE LA SÉCURITÉ
SOCIALE POUR L'EXERCICE 2023
Article 1er
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
Mme Mathilde Panot, députée. - Il s'agit de supprimer l'article 1er afin d'éviter la suppression des régimes spéciaux de retraite.
La perspective de disparition des régimes de retraite de la RATP et des industries électriques et gazières (IEG), qui ont un caractère pionnier, ne peut qu'inquiéter les personnes qui voudraient à l'avenir rejoindre ces secteurs. Compte tenu par ailleurs de l'inégalité qui touche les chauffeurs de bus travaillant hors de l'Île-de-France, et ne relevant donc pas de la RATP, nous proposons, au lieu de supprimer des dispositions favorables dans des métiers pénibles, de tirer tous les salariés vers le haut plutôt que vers le bas, en étendant ces régimes pionniers.
Les sous-traitants du nucléaire, qui ne bénéficient pas du statut des IEG, subissent des conditions de travail de plus en plus low cost et une augmentation du nombre d'heures de travail, de surcroît dans un secteur dangereux. Assurer un statut permettant de partir à la retraite avant d'atteindre un âge dangereux et de bénéficier de meilleures conditions de travail protégerait l'ensemble des salariés.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Avis défavorable.
Les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale sont parvenus à une écriture commune de l'article 1er, qui prévoit l'extinction progressive des principaux régimes spéciaux de retraite. Les personnes embauchées à partir du 1er septembre 2023 dans les entreprises et organisations concernées seraient ainsi affiliées au régime général. Le texte proposé est issu de la rédaction du Sénat, avec quelques modifications rédactionnelles.
M. Charles de Courson, député. - Quel est l'objet de la modification apportée à l'alinéa 35 pour ajouter au 10 bis A la mention des magistrats, fonctionnaires et anciens fonctionnaires de l'État ?
M. Thomas Ménagé, député. - Après que le groupe Rassemblement National a défendu en première lecture la suppression de l'article 1er, je voterai en faveur de la proposition de rédaction défendue par Mme Panot. Il ne s'agit pas de maintenir tous les régimes spéciaux, et je suis favorable à la suppression de ceux du Conseil économique, social et environnemental et de la Banque de France, car les Français n'ont pas à payer les retraites de personnes qui ne sont exposées dans leurs fonctions à aucun problème de pénibilité. En revanche, certains régimes spéciaux doivent être maintenus, comme ceux de la RATP et des IEG, pour des raisons d'attractivité et de fidélisation.
Nous pourrons, à terme, étudier cette question mais, à court terme, étant donné que le Gouvernement n'a engagé, malgré nos propositions, aucun débat sur les salaires et que, tandis que nous examinons un texte visant à accélérer le développement du nucléaire - que nous soutenons -, notre pays manque de soudeurs et doit recourir notamment à des Nord-Américains, je voterai pour cette proposition de rédaction.
M. Hadrien Clouet, député. - Je soutiens la proposition de suppression de l'article 1er. Tout d'abord, sur le plan rédactionnel, il n'y a pas de « régimes spéciaux » : il existe quarante-deux régimes, qui sont tous « spéciaux », le « régime général » n'étant que l'un d'entre eux. Ensuite, les régimes que vous appelez « spéciaux » visent à donner un horizon au régime général, en ménageant des espaces d'innovation et d'invention, comme le Gouvernement le prône du reste lui-même lorsqu'il veut décentraliser ou inventer des dispositifs. Ainsi, la caisse des clercs de notaires a inventé des mesures extraordinaires, comme un réseau d'accompagnement de tous les retraités par des bénévoles qui les aident à liquider leur pension, ou un rapport personnalisé permettant à chacun d'être suivi par un conseiller référent qui connaît toute sa trajectoire de carrière. Ce régime a également instauré des droits supérieurs à ceux du régime général, comme la possibilité pour une femme ayant un enfant en situation de handicap de partir sans âge légal. Un tel régime donne des idées pour le régime général, mais l'idée même d'harmoniser les droits par le haut fait pousser des cris d'orfraie à ceux qui veulent liquider tout ce qui est un peu meilleur que ce régime, pour la simple raison que ces caisses, qui appliquent des taux de cotisation supérieurs, incarnent une autre manière de concevoir les régimes de retraite, en partant du besoin au lieu de réduire les droits de toute la population au nom du blocage des cotisations.
M. Arthur Delaporte, député. - Il s'agit de supprimer l'une des dispositions les plus injustes du texte. Vous avez dit que vous aviez travaillé toute la nuit pour améliorer le texte. Nous vous proposons d'y travailler aussi toute la journée.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Après avoir voté contre cet article au Sénat, nous soutiendrons la proposition visant à le supprimer. La volonté de mettre fin aux régimes spéciaux fait fi de l'histoire et de toutes les raisons qui ont présidé à la création de ces régimes, parfois très anciens et antérieurs à la création du régime général de la sécurité sociale, ou motivés par la reconnaissance de la spécificité et de la pénibilité de certains métiers, comme les IEG, évoquées par Mme Panot. En outre, le fait que le critère du risque chimique n'a pas été réintégré au titre de la pénibilité est une raison de plus pour maintenir les régimes spéciaux.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Monsieur de Courson, la modification que vous évoquez est de pure coordination : alors que la version antérieure renvoyait en effet à l'article L. 712-1, il convient de modifier l'article L. 712-13 pour mentionner les magistrats.
Quant aux régimes spéciaux, ils avaient, comme je l'ai précisé lors de l'examen du texte au Sénat, un caractère provisoire. En outre, ils étaient la plupart du temps déficitaires ou donnaient lieu à une contribution de l'ensemble de nos concitoyens.
La proposition de rédaction est rejetée.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 1er bis A
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - L'article 1er bis A, dont nous demandons la suppression, illustre la stratégie des sénateurs Les Républicains : sous couvert de défendre un système par répartition en péril, il s'agit de préparer le passage au système par capitalisation.
Si notre objectif commun est de préserver le système par répartition, l'article n'a pas lieu d'être.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Avis favorable. Il n'est pas opportun de maintenir la demande de rapport.
Mme Mathilde Panot, députée. - La suppression est bienvenue. Elle donne corps à l'argument que vous nous avez servi à l'envi, et que nous contestons, selon lequel la réforme avait pour but de sauver le système par répartition.
La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises a considérablement élargi les possibilités de capitalisation. La demande de rapport prévue dans l'article ouvrait la voie à la généralisation de la capitalisation. Il n'en reste pas moins que le report de l'âge légal conduira inévitablement à un recours accru à la capitalisation.
M. Charles de Courson, député. - Je n'avais pas compris l'intérêt de l'article 1er bis A dès lors que de nombreux systèmes par capitalisation existent déjà, qu'il s'agisse des plans d'épargne retraite, de la Préfon, etc. La sagesse est de le supprimer.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - La capitalisation et les formes qu'elle peut prendre ont donné lieu à une longue discussion au Sénat. Nous rejetons le système qui impose aux citoyens de se constituer leur propre retraite par ce biais. En revanche, nous ne sommes pas opposés au système visant à apporter un complément de retraite, mais nous craignons que les entreprises préfèrent abonder la capitalisation de leurs salariés plutôt que de leur accorder les légitimes hausses de salaires qu'ils demandent.
M. Thomas Ménagé, député. - Nous sommes favorables à la suppression de l'article.
Vous justifiez la réforme par la nécessité de protéger le système par répartition. Selon le Rassemblement National, le système n'est pas véritablement en danger et si déficit il devait y avoir - ce qui est probable -, il devrait être résorbé par d'autres moyens.
Le rapport est un aveu de votre part. Il est la preuve que les pensions vont baisser - avec le relèvement de l'âge légal, les décotes seront plus fortes et les surcotes moins élevées - et les Français doivent s'y préparer en trouvant des compléments de retraite.
La proposition de rédaction est adoptée.
En conséquence, l'article 1er bis A est supprimé.
Article 1er bis
L'article 1er bis est supprimé.
Article 2
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
Mme Mathilde Panot, députée. - En augmentant l'âge de départ à la retraite, vous créez une trappe à chômage, à minima sociaux ainsi qu'à accidents du travail et invalidité. Selon des chiffres sur lesquels nous attendons toujours confirmation, votre réforme aurait pour effet d'augmenter de 277 000 le nombre de chômeurs, de 100 000 le nombre d'allocataires des minima sociaux et de 400 000 le nombre de personnes en arrêt maladie ou invalidité.
La France est très mauvaise élève en matière d'emploi des seniors. Vous proposez pour y remédier une solution particulièrement inefficace : la création d'un index dont seule l'absence de publication est sanctionnée. En outre, l'expérimentation pose des questions de forme.
Quant au CDI seniors, nous y sommes opposés, car il implique encore des exonérations de cotisations sociales qui seront à l'origine d'un nouveau déficit des caisses de retraite. L'article n'est pas exempt d'entorses au code du travail. Ainsi est-il prévu qu'un accord de branche fixe les modalités selon lesquelles l'employeur peut mettre à la retraite le salarié alors que l'accord du salarié est toujours requis.
Pour améliorer l'emploi des seniors, renoncez à la réforme et autorisez la retraite à 60 ans.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - L'article 2 est indispensable pour permettre aux grandes entreprises de s'emparer du sujet de l'emploi des seniors. Nous avons besoin d'objectiver la situation par des indicateurs clairs et négociés.
Avis défavorable.
M. Arthur Delaporte, député. - L'index seniors est évidemment insuffisant.
Vous ajoutez un alinéa aux termes duquel il n'y a toujours aucune pénalité de prévue en cas de mauvais résultats. Alors que le Gouvernement s'était engagé à assortir l'index de sanctions, il offre aux entreprises une porte de sortie. Je propose donc de supprimer cet alinéa.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - L'index qui était déjà peu contraignant l'est encore moins aux termes du texte qui nous est soumis : il ne concerne que les entreprises de plus de trois cents salariés et n'est assorti d'aucune sanction.
À quoi sert-il si ce n'est à se donner bonne conscience sur un texte qui détériore les conditions d'emploi des personnes les plus âgées ? Ce n'est qu'une modeste cerise sur un gâteau bien indigeste.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous sommes favorables à la suppression de l'article 2. Il s'agit d'une mesurette qui n'est pas à la hauteur du défi de l'emploi des seniors.
Le taux d'emploi des seniors en France est le plus faible d'Europe. Pour l'améliorer, nous avons besoin d'une politique volontariste de recrutement et de maintien dans l'emploi, et non d'un index inefficace.
M. Charles de Courson, député. - Si le Conseil d'État a jugé que l'index seniors constituait un cavalier législatif, peu importe que nous votions l'article ou pas, il sera censuré par le Conseil constitutionnel. Nos rapporteurs partagent-ils cette analyse ?
Ils introduisent deux alinéas après l'alinéa 11. Le premier mentionne la « détérioration » des indicateurs. Comment est-elle définie et qui en jugera ? Le second fait référence à l'objectif d'amélioration de l'embauche et du maintien en activité des seniors. N'est-ce pas contradictoire avec le fait de laisser aux partenaires sociaux le soin de définir les indicateurs ?
M. Sylvain Maillard, député. - Il y a deux questions à se poser. Est-il important d'avoir, pour chaque entreprise, une photographie de sa politique en matière d'emploi des seniors ? Je suis persuadé que nous pouvons réunir un consensus sur ce point. Sommes-nous ici pour taxer les entreprises au motif qu'elles ne sont pas de bons élèves ou pour favoriser l'emploi des seniors ? Il faut faire en sorte qu'elles emploient des seniors. Nous voterons en faveur de l'index seniors.
M. Thomas Ménagé, député. - Nous voterons la suppression de l'article 2, pour des raisons différentes de celles de la NUPES, qui souhaite contraindre les entreprises et taper sur les chefs d'entreprise, comme à son habitude et comme ses membres l'ont dit lors des longs débats sur l'index seniors.
Nous considérons que l'index seniors est uniquement là pour donner aux Français le sentiment que le Gouvernement agit en faveur de l'employabilité des seniors. Il s'agit, comme l'a dit M. Maillard, d'une photographie. Avec une photographie, on ne fait pas grand-chose !
Par ailleurs, comme l'a suggéré M. de Courson, l'article 2 est un cavalier législatif, qui sera censuré par le Conseil constitutionnel. Il sert à ajouter des paillettes et donner le sentiment que la majorité agit. Le Président de la République a indiqué que nous ne pourrons pas reporter l'âge légal de départ en retraite tant que nous n'aurons pas réglé le problème de l'employabilité des seniors. C'est ce que vous faites aujourd'hui : vous reportez l'âge légal de deux ans sans avoir réglé ce problème.
M. Philippe Vigier, député. - Nous sommes favorables à l'index seniors.
Un Français de plus de 60 ans sur trois travaille. Est-ce satisfaisant ? Certainement pas. J'invite chacun à lire le rapport très clair de Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, qui indique notamment que 100 000 seniors supplémentaires qui travaillent représentent 1 milliard d'euros de recettes fiscales supplémentaires. Mme Panot a évoqué les exonérations fiscales ; pour ma part, je préfère un investissement vertueux au constat que nous ne ferons rien pour les seniors.
Par ailleurs, nous partageons les arguments du rapporteur Savary en faveur du seuil de trois cents salariés. Il ne faut pas alourdir les contraintes pesant sur les petites entreprises. Créons cet index, et nous verrons.
Enfin, certaines entreprises sont plus vertueuses que d'autres et accompagnent davantage les seniors dans l'activité. Il serait bon, chacun peut sans doute en convenir, de regarder les bonnes pratiques. Cela permettrait d'aller plus loin.
Nous examinerons prochainement un projet de loi relatif au travail. De grâce, adoptons au moins une disposition ! Si nous supprimons tout indicateur, dans cinq ans, nous serons autour de la table pour constater, en versant des larmes de crocodile, que très peu de seniors travaillent. Quel gâchis humain !
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - J'invite chacun à lire le rapport d'information sur l'emploi des seniors que Mme Lubin et moi-même avons commis. Il a permis de définir une stratégie partagée en matière d'employabilité des seniors.
Le Conseil d'État a émis un avis favorable sur le texte, avec des réserves sur les dispositions d'ordre obligatoire, s'agissant d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, et sur les dispositions qui ne sont pas obligatoires, notamment celles de l'article 2. Le Conseil d'État appelle l'attention sur le fait que les recettes induites pour l'année 2023 peuvent être insuffisantes pour modifier l'équilibre de la loi de financement de la sécurité sociale de l'année 2023 : en raison du temps nécessaire à la mise en oeuvre du dispositif, il est probable que les recettes rentreront plus tard. En dépit de ces réserves, l'avis du Conseil d'État sur le texte, qui au demeurant ne détermine en rien la décision qui sera prise, est globalement favorable. Il appartient au Gouvernement de tenir compte, ou non, de ces réserves.
S'agissant du seuil de trois cents salariés, nous l'avons retenu en raison de la complexité de la situation. Certaines entreprises emploient de nombreux seniors, non parce qu'elles les aiment, mais parce qu'ils sont nombreux dans leurs bassins d'emploi. Elles auront donc un bon index seniors, qui se dégradera - ou se détériorera, pour répondre à M. de Courson - lorsqu'elles embaucheront. À l'inverse, les entreprises de biotechnologies embauchent peu de seniors, car les compétences requises sont rares dans cette classe d'âge. Elles auront donc un mauvais index seniors, qu'il leur sera difficile d'améliorer.
Il n'existe aucune base légale pour fonder l'index seniors sur le modèle de l'index de l'égalité professionnelle. Nous avons donc considéré, au Sénat, qu'il fallait s'en tenir à une photographie et qu'il était difficile d'aller plus loin. L'Assemblée nationale pense le contraire. Nous avons accepté une disposition présentée par M. Maillard permettant d'en mesurer l'évolution. C'est une première marche. Avant de fixer des pénalités, soyons attentifs ! Un index pénalise, un label valorise. Entre coercition et incitation, il faut trouver un juste milieu.
Quoi qu'il en soit, des négociations de branche auront lieu régulièrement. Il ne faut pas oublier que l'article 2 insère l'emploi des seniors dans la gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels. Cette disposition peut faire consensus. Nous verrons comment évolue le dispositif.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 bis A
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Hadrien Clouet, député. - Il s'agit de supprimer le dispositif « contrat de fin de carrière », dont nous dénonçons les défauts depuis le début de l'examen du texte.
Il pose d'abord un problème de sincérité des débats sur le plan budgétaire. Cette disposition figure dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Or on ne voit guère ce qu'un tel ajout change au budget de la sécurité sociale, ni même quelle urgence justifierait l'usage d'un tel véhicule législatif, la sécurité financière du budget de la sécurité sociale n'étant pas menacée.
Il pose aussi un problème en raison des effets d'aubaine qu'il provoquera. Nous n'avons pas une confiance pleine et entière dans le monde des entreprises. Nous préférons un dispositif au cas par cas. Sans vouloir jeter la pierre aux employeurs, ils sont payés pour optimiser les ressources dont ils disposent pour embaucher.
Plus généralement, les articles 2, 2 bis A et 2 bis soulèvent la question de la place des seniors. M. Vigier nous dit qu'un tiers seulement des seniors travaillent. Non : un tiers des seniors sont en emploi. Il ne faut pas confondre les deux. Je tiens d'autant plus à le préciser que je sais la majorité attachée au travail en tant qu'activité. Gérer une association ou faire du tutorat pour les jeunes sont des formes de travail. La discussion que nous devrions avoir est celle de la place de l'emploi dans le travail.
L'emploi des seniors dépend principalement de deux choses. Il dépend des conditions de travail. La plupart des seniors ont envie de tenir dans leur travail, mais n'y parviennent pas. Que prévoit le texte pour que les gens tiennent dans leur emploi jusqu'au bout de la carrière ou aussi longtemps qu'ils en ont envie ? Rien.
L'emploi des seniors, chacun en convient, dépend aussi de l'accès à la formation professionnelle. Plus on progresse dans une carrière, moins on y a accès sans reste à charge. S'agissant des méthodes pédagogiques, on forme les salariés de plus de 50 ans de la même façon qu'on forme les entrants dans les métiers, ce qui rend inenvisageable toute élévation du niveau des qualifications. On n'apprend pas à quelqu'un qui a quarante ans de bouteille sur des machines-outils la même chose qu'à un ou une jeune de 16, 17 ou 18 ans qui commence sa carrière.
Ces problèmes ne sont pas résolus. Tant qu'ils ne seront pas traités politiquement, on ne pourra rien faire en matière d'emploi des seniors. La seule raison pour laquelle il augmente - rappelons que le taux d'emploi des seniors augmente depuis trente ans, et de 2 points au cours des quinze dernières années -, c'est le décalage de l'âge d'entrée dans l'emploi. La durée des carrières, elle, n'a pas bougé.
Monsieur Maillard, vous dites en substance « c'est soit la taxe, soit l'emploi ». Votre propos est très simplificateur. Dans ce cas, supprimons l'indemnité de licenciement ! L'objet de certaines taxes pesant sur les entreprises est d'infléchir leur comportement. En l'espèce, il s'agit d'une menace de taxe en cas de comportement de l'entreprise jugé déviant. Une menace de sanction financière n'est pas une taxe supplémentaire sur les entreprises.
Vous êtes pessimiste : vous considérez que, même si on les taxe, elles ne modifient pas leur comportement. Je suis plus optimiste et je fais plus confiance au patronat que vous, si surprenant que cela puisse paraître. Je pense que des menaces de sanctions financières permettent de modifier le comportement des entreprises.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - La France se distingue des autres pays européens par un nombre élevé d'accidents du travail, le plus élevé d'Europe. La réforme des retraites fait comme si cela n'existait pas. Or la relation au travail, les conditions de travail et la qualité du travail sont des sujets majeurs. On peut continuer à travailler longtemps, à condition que le travail soit de qualité et que les salariés soient respectés dans l'entreprise.
Les études statistiques démontrent toutes que, en France plus qu'ailleurs, les salariés se plaignent de cadences intenables et ne supportent pas les rapports de subordination, non parce qu'ils sont rebelles, mais parce que ces derniers ne laissent quasiment aucune place aux salariés, notamment ceux qui sont en fin de chaîne hiérarchique, ce qui est pour eux un facteur de pénibilité au travail. Ils se plaignent aussi de devoir assister à de nombreuses réunions totalement inutiles qui durent des heures.
Le rapport au travail est dégradé en France. Les cadences et la densité du travail y sont plus élevées qu'ailleurs. Pourquoi ne pas tenir compte de la qualité du travail ? Pourquoi ne pas réfléchir au rapport de subordination, qui est très particulier à la France au sein de l'Europe ? Il faudrait à tout le moins, en marge de la réforme des retraites, une réforme portant sur la qualité du travail, qui ne soit pas une réforme libérale, mais une réforme de respect des salariés, dans un rapport de subordination respectueux de leur autonomie.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - On nous reproche de ne parler que de taxes et de pénalisation des entreprises, mais une partie des employeurs - pas tous -, notamment le Medef, ne consentent à parler d'effort pour recruter certains salariés que si, en contrepartie, on leur offre des réductions de cotisations ! C'est ce que nous avons constaté lorsqu'avec René-Paul Savary nous avons travaillé à notre rapport d'information sur l'emploi des seniors : qu'il s'agisse de contrainte ou de persuasion, cela ne va jamais ! Auditionnés au Sénat, les représentants du Medef ont clairement fait état de leur absence de volonté particulière de recruter des seniors.
Or, pour nous, les cadeaux sociaux et fiscaux faits aux entreprises ces cinq dernières années devraient suffire à ce que les employeurs, notamment les plus grandes entreprises, se sentent obligés de recruter les plus de 55 ans - car les seniors ne sont pas nécessairement âgés de plus de 60 ans : si vous perdez votre emploi à 50 ans à peine passés, vous n'avez quasiment aucune chance de retrouver un emploi en CDI au niveau de celui que vous occupiez précédemment et conforme à vos compétences. C'est la réalité !
Je sais René-Paul Savary sincère dans ses engagements. Mais je voudrais que nous ayons des exigences envers tous les employeurs dès lors que nous leur accordons des réductions d'impôts ou de charges.
M. Charles de Courson, député. - La version sénatoriale comportait une très bonne idée, qui n'était pas dans le texte du Gouvernement et que nous avions défendue en première lecture à l'Assemblée nationale : la réduction de cotisations sociales pour les seniors, afin d'essayer de convaincre les entreprises de garder ces derniers le plus longtemps possible. Mais dans le texte de compromis que vous nous proposez, cette bonne idée a été vidée de son contenu. Le coût estimé de la mesure y passe d'ailleurs à 100 millions d'euros à peine, contre 800 millions dans la version du Sénat.
J'ai quelques questions à poser à nos rapporteurs.
Leur texte se concentre uniquement sur les chômeurs de longue durée, ce qui réduit beaucoup l'intérêt du dispositif, car il s'agit souvent de personnes qui ont eu des problèmes dans leur carrière.
Ensuite, ils imposent aux organisations professionnelles un délai de quatre mois pour se mettre éventuellement d'accord, dont deux mois de vacances : cela ne me paraît pas réaliste.
Le texte s'applique à défaut d'accord ; mais, s'il y a un accord, il faudra le transposer, car réduire les cotisations sociales relève non des compétences des partenaires sociaux, mais de celles du Parlement : cela suppose des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Je défendrai une proposition de rédaction qui pourrait apporter une solution en autorisant le Gouvernement à réduire les cotisations sociales à l'intérieur d'une enveloppe à définir dans le cadre du même projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024. Cela serait prudent. La version sénatoriale initiale prévoyait que l'on supprime les cotisations vieillesse ; ce faisant, on obtenait automatiquement une baisse d'un peu plus de 7 %.
M. Victor Catteau, député. - Pour nous, le dispositif ne va pas assez loin, car il est très fréquent de ne plus avoir d'emploi bien avant 60 ans. Je citerai l'exemple de mon père, qui, à 55 ans, est depuis trois ans sans emploi et ne trouve plus d'emploi en CDI. La discrimination liée à l'âge concerne beaucoup de nos compatriotes.
En outre, le coût de la mesure est très aléatoire : on ne peut pas savoir combien de seniors vont en bénéficier et si elle produira ou non un effet d'aubaine, qui entraînerait un coût considérable pour l'État.
Nous avions formulé, en vain, une proposition cohérente, qui ne coûterait rien à l'État et protégerait les seniors : faire des salariés de plus de 55 ans des salariés protégés, comme les salariés élus en entreprise, afin de leur éviter tout licenciement. Concrètement, l'inspection du travail aurait donné son avis sur le licenciement pour vérifier l'absence de discrimination liée à l'âge. La mesure était simple à instaurer, puisqu'elle existe déjà pour les élus en entreprise, et gratuite.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - C'est pour tenir compte des préoccupations du père de notre collègue que nous avons proposé un CDI seniors différent du CDI classique. Et si on décale le seuil à 55 ans, il y aura des licenciements à 54 ans. Le dispositif n'est pas parfait, je le reconnais bien volontiers. Mais on ne peut pas demander l'équilibre des comptes tout en réclamant des exonérations plus fortes ; nous avons donc essayé de doser les mesures.
Même si le CDI seniors concernera moins de personnes dans cette version, un point important et positif est l'accord national interprofessionnel (ANI) sur l'emploi des seniors demandeurs d'emploi de longue durée. Les partenaires sociaux ont un rôle essentiel à jouer. Le CDI seniors sera expérimenté sans attendre que la loi traduise les éventuelles propositions formulées dans le cadre de l'ANI ; les critères de l'expérimentation sont évolutifs et ils seront améliorés à la suite de la discussion des partenaires sociaux.
Il a été rappelé combien le taux de productivité en France est élevé ; les projections du COR tiennent d'ailleurs compte de son évolution. Rappelons tout de même - c'est ce qui a motivé la proposition que nous faisons au sujet des retraites depuis quatre ans - que le nombre annuel d'heures de travail par habitant est de 630 chez nous, contre 720 en Allemagne et 800 en Angleterre. Il faut donc une production supplémentaire dans notre pays : si notre balance commerciale est négative, c'est bien parce que nous ne produisons pas assez.
Pourquoi le taux d'emploi des seniors est-il plus bas en France qu'ailleurs en Europe ? Parce qu'ailleurs, on part plus tard à la retraite : la réforme que nous entreprenons y a déjà été faite. Plus on décale l'âge de départ, plus le taux d'emploi des seniors augmente. C'est pourquoi cette voie est la bonne.
M. Éric Woerth, député. - Nous sommes parvenus à un très bon équilibre. D'un côté, la discussion des partenaires sociaux dans le cadre de l'ANI, conformément à la réforme Larcher, qui est fondamentale ; de l'autre, faute d'accord, l'expérimentation. Celle-ci est cruciale, car il faut modifier le code du travail - on ne parle pas de code de l'emploi, monsieur Clouet - en veillant, non seulement aux effets d'aubaine, mais également aux effets d'éviction : il ne faudrait pas que l'on dise à la personne de 57 ou de 58 ans qui cherche du travail d'attendre deux ans, le temps de pouvoir signer avec elle un contrat plus avantageux. Dans tout cela, il y a beaucoup de bonne volonté, mais, souvent, plus on crée de règles, plus on exclut de personnes, ce qui déplace le problème. C'est ce qui devra être vérifié par les partenaires sociaux, puis, éventuellement, au moment de l'expérimentation.
M. Philippe Vigier, député. - Jean-Hervé Lorenzi estimait qu'augmenter de 10 % le taux d'emploi des seniors d'ici à 2032 apporterait 48 milliards de recettes fiscales. Voilà un chiffre qui donne à réfléchir.
Je suis tout à fait favorable à une expérimentation, car elle permet d'apporter des corrections au dispositif, et rapidement.
Une question : pourquoi avoir choisi de jouer sur les cotisations familiales plutôt que sur une aide à l'embauche, comme on l'avait fait pour l'apprentissage ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Dans le cadre d'un projet de loi de financement de la sécurité sociale où nous nous situons, si on n'en passe pas par une exonération, on est hors sujet. Une prime serait une dépense supplémentaire qui tomberait sous le coup de l'article 40. Voilà pourquoi je défends l'expérimentation. On rejoindrait alors le dispositif d'aide à l'embauche d'un demandeur d'emploi de 45 ans et plus dans le cadre d'un contrat de professionnalisation.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 2 bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Mme Mathilde Panot, députée. - Nous n'avons pas examiné la proposition de réécriture présentée par M. de Courson !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Mais nous avons voté sur la proposition de suppression et sur l'article ; celui-ci est adopté !
M. Charles de Courson, député. - Je crois être quelqu'un de calme. J'ai défendu la version du Sénat, contre la suppression : il faut examiner ma proposition de réécriture, qui est sage. Il s'agissait de donner au Gouvernement le pouvoir de fixer le taux de cotisation pour appliquer le principe sénatorial d'une réduction des cotisations patronales - que sont les cotisations familiales - afin d'encourager l'emploi des seniors par un système dégressif calibré, qui sera repris dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cette proposition ne saurait tomber du fait de la non-adoption d'une proposition de rédaction tendant à supprimer l'article.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - J'entends, monsieur le député, mais il faut procéder dans l'ordre : nous examinons d'abord la proposition qui vous est faite par les rapporteurs ; si elle est mise aux voix et adoptée, votre proposition tombe.
M. Arthur Delaporte, député. - Ne peut-on considérer la proposition de M. de Courson comme un sous-amendement à la proposition de rédaction des rapporteurs ? Sinon, comment examiner les demandes de réécriture ? Comment réécrire le document ?
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Vous parlez d'une procédure qui n'existe pas.
M. Arthur Delaporte, député. - Même si cela n'existe pas...
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Quand cela vous arrange, même si cela n'existe pas, il faudrait le mettre dans le panier !
Mme Mathilde Panot, députée. - Après les amendements de suppression, il faudrait que nous examinions les propositions de réécriture globale, puis les propositions portant sur des points précis, avant de nous prononcer sur la rédaction proposée par les rapporteurs. Cela me semblerait plus logique - sinon, à quoi bon faire des propositions ?
M. Arthur Delaporte, député. - Tout à l'heure, j'ai demandé que nous examinions la modification apportée à l'alinéa 11 de l'article 2, et cela n'a pas été le cas. Comment pouvons-nous modifier le texte proposé par les rapporteurs ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - La proposition de rédaction à laquelle vous vous référez était tombée. Lorsque l'une des réécritures que nous vous proposons est adoptée, nous passons à l'article suivant.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Il est normal que nous commencions par la réécriture des rapporteurs, mais rien n'empêche les auteurs d'autres propositions de rédaction d'en faire état quand je leur donne la parole.
Mme Mathilde Panot, députée. - Le Sénat a proposé que l'index s'applique pour les entreprises de plus de trois cents salariés, alors que l'Assemblée souhaitait que le dispositif concerne toutes les entreprises dès cinquante salariés. Le rapporteur a expliqué pourquoi il préférait que l'on en reste à trois cents. Des dispositions comme celle-là peuvent être mises aux voix sans que cela emporte l'adhésion à l'article dans son ensemble. Nous devons nous prononcer sur ces propositions avant de voter l'article.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Pour reprendre votre exemple, si les parlementaires n'avaient pas été d'accord avec la limite fixée à trois cents salariés, ils auraient pu voter contre cette rédaction, et nous aurions alors pu introduire des modifications.
Article 2 bis
L'article 2 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 ter
L'article 2 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 2 quater
L'article 2 quater est supprimé.
Article 3
L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 3 bis
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Une étude ayant montré l'inefficacité de ce dispositif, nous proposons de le supprimer.
L'article 3 bis est supprimé.
Article 4
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Les tableaux dits d'équilibre figurant dans cet article sont en réalité des tableaux de déséquilibre. Il nous est proposé, en les adoptant, d'entériner une réforme sur laquelle nous n'avons pas d'informations sincères : aucune perspective budgétaire à court et moyen termes n'est proposée, et les débats n'ont pas été sincères. Nous n'avons toujours pas compris quel était l'impact budgétaire du texte en 2023 et les années suivantes.
À défaut d'adopter cette proposition de rédaction, qui vise à supprimer l'article, je vous invite à nous proposer une réécriture convaincante. En effet, l'article 4 n'a pas été modifié depuis son adoption au Sénat, alors que plusieurs dispositions ont évolué en commission mixte paritaire. Je ne comprendrais pas qu'il soit adopté sans que les rapporteurs en tiennent compte. Si tel était le cas, le Conseil constitutionnel ne saurait le considérer autrement que comme insincère.
M. Hadrien Clouet, député. - Alors que, depuis le début de la discussion, vous nous parlez d'un surcoût de 800 millions d'euros pour la branche maladie, il semble qu'il ne soit que de 700 millions. L'argent magique existe : 100 millions viennent de disparaître !
Le report de l'âge légal ne semble pas avoir d'incidence sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). Je doute que ce soit possible. Par définition, quand davantage de personnes travaillent, cela entraîne des dépenses supplémentaires. Pourriez-vous nous expliquer ce qui vous permet d'anticiper une absence de surcoût ?
Vous me direz sans doute que l'entrée en vigueur est décalée dans le temps. Toutefois, le comportement individuel dépend de la loi ; en l'occurrence, les personnes susceptibles de liquider leur pension cette année reporteront leur départ, par crainte de la décote.
La même question se pose s'agissant de la branche famille : de nombreux retraités pratiquent la garde d'enfants. Le fait de retirer plusieurs dizaines de milliers de personnes de ce marché entraînera des dépenses supplémentaires. Ce tableau me paraît donc sujet à caution.
M. Charles de Courson, député. - Je comprends l'évolution de la ligne maladie : 700 millions d'euros de dépenses se sont ajoutés du fait de l'amendement que le Gouvernement a déposé de nouveau au Sénat. Cela dit, il s'agit d'un cavalier : il n'a rien à voir avec les retraites. En revanche, je ne comprends pas la différence de 100 millions concernant la ligne vieillesse. Pourriez-vous me l'expliquer ?
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous soutiendrons la proposition de supprimer l'article notamment parce que le tableau d'équilibre n'est pas sincère. Outre qu'il n'y est pas tenu compte des décisions que vous avez prises, il y est prévu une augmentation de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) de 750 millions d'euros, ce qui est très insuffisant pour répondre aux besoins de l'hôpital public et de la médecine de ville. Vous aurez beau prétendre le contraire, si on tient compte de l'inflation, l'Ondam régresse ! Or on connaît tous les conséquences d'un Ondam déficient.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Avis défavorable, car la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale rend obligatoire l'établissement de tableaux d'équilibre.
Les 750 millions correspondent, ainsi que nous l'a expliqué le Gouvernement, aux ajustements annoncés en début d'année. Nous en avons pris acte au Sénat, car nous n'avions pas voté l'Ondam tel qu'il nous avait été présenté à la fin de l'année dernière.
Quant aux incidences, elles sont encore faibles, car les mesures ne s'appliqueront qu'à partir du 1er septembre. Les répercussions de la revalorisation des pensions ne vaudront que pour un trimestre.
Enfin, pour ce qui concerne la branche vieillesse, la fermeture des régimes spéciaux explique cette différence de 100 millions.
Mme Cathy Apourceau-Poly, sénatrice. - Ce tableau, c'est vrai, laisse perplexe. Mme Féret a raison, l'Ondam est insuffisant et le tableau laisse apparaître que les dépenses liées à la crise sanitaire n'ont pas été prises en charge par le budget de l'État. En tant que membre suppléant, je ne peux pas voter la suppression de cet article mais je l'approuve.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Nous sommes également opposés à cet article qui pose la question de la sincérité et de la solidité de notre système social. La hausse de l'Ondam est insuffisante pour répondre aux besoins mais quand vous déciderez-vous à chiffrer les montants nécessaires pour faire tenir l'hôpital et le système de retraite ? Nous n'avons aucune donnée, mais vous prévoyez de nouvelles dépenses sociales sans relever suffisamment le niveau de l'Ondam.
M. Thomas Ménagé, député. - Nous sommes, nous aussi, favorables à la suppression de l'article. Nous avons posé des questions, lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, pour essayer de comprendre les conséquences budgétaires de la réforme, en particulier pour les branches, mais du fait de l'incohérence des réponses du Gouvernement dont on ne compte plus les revirements, et de la persistance des incertitudes, nous ne pouvons que douter de la sincérité du tableau. Le report de l'âge légal de départ à la retraite multipliera le nombre de personnes âgées encore actives, ce qui ne sera pas sans conséquence pour la branche AT-MP - on est plus souvent malade lorsque l'on vieillit.
M. Charles de Courson, député. - Si j'ai bien compris, le Sénat aurait refusé l'augmentation de 700 millions d'euros de l'Ondam ?
M Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Je me suis mal exprimée. Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, le Sénat n'a pas adopté l'article qui fixait le montant de l'Ondam, en raison de son insuffisance. Depuis, le Gouvernement nous a fourni les explications que nous lui avions demandées au sujet des mesures annoncées en début d'année et nous avons accepté l'augmentation de 750 millions.
Rappelons, par ailleurs, que le tableau d'équilibre concerne l'année 2023. Du fait des arrondis et de l'incidence du seul dernier trimestre, les mouvements sont mineurs. On ne peut pas encore évaluer quelles seront, en 2023, les répercussions de la réforme pour les branches AT-MP et maladie.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 4 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 5
L'article 5 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 6
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte
Mme Mathilde Panot, députée. - Il s'agit de supprimer l'article pour les mêmes raisons tenant à l'insincérité. Mme Rist prétend que cette réforme générerait une économie de 18 milliards d'euros alors que l'OFCE l'évalue à 2,8 milliards. Compte tenu des dernières mesures annoncées, à combien la chiffrez-vous ? Pourriez-vous également nous indiquer combien coûteront, à l'assurance chômage, les milliers de chômeurs supplémentaires, à l'assurance maladie, les 400 000 personnes supplémentaires en arrêt maladie ou victimes d'un accident du travail du fait du report de l'âge légal de départ à la retraite, sans oublier les 100 000 personnes allocataires des minimas sociaux, notamment du revenu de solidarité active ?
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Avis défavorable. L'article prévoit d'approuver l'annexe A du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale et nous vous proposons de conserver la rédaction du Sénat.
M. Hadrien Clouet, député. - Le rapporteur du Sénat nous a expliqué que cette réforme des retraites répondait à un enjeu de balance commerciale. Pourriez-vous nous donner une explication claire ? La balance commerciale française étant grevée par la facture énergétique, je ne vois pas en quoi le fait de travailler deux ans de plus nous fera trouver du pétrole dans le territoire national.
M. Éric Woerth, député. - Madame Panot, nous examinons un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 et Mme la rapporteure vous a très bien répondu. Vous citez des chiffres à la volée, d'autres apparaîtront dans les prochaines années et ils ne seront pas plus justes. Les effets de bord d'une réforme des retraites doivent être mesurés mais, en général, ils ne sont pas ceux dont vous nous menacez. Au contraire, les bénéfices d'une telle réforme sont évidents, mais vous n'en tenez nullement compte.
Les chiffres indiqués pour 2023 sont les bons. Les effets d'un seul trimestre ne se font guère sentir, dans un sens comme dans un autre.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 6 est adopté dans la rédaction du Sénat.
La première partie du projet de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
DEUXIÈME PARTIE : DISPOSITIONS RELATIVES
AUX DÉPENSES
DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR L'EXERCICE
2023
Article 7
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je vous propose d'examiner à présent l'article 7 avant de suspendre notre réunion pour déjeuner.
M. Arthur Delaporte, député. - Il est treize heures et nous n'avons pas même eu le temps de décrypter les dizaines de pages que vous venez de donner. Nous apprécierions de disposer d'un peu de temps pour déjeuner et en prendre connaissance. Bien évidemment, de votre côté, vous n'en avez pas besoin puisque vous avez eu tout le loisir de les apprendre par coeur. La seule réécriture de l'article 7 par Mme la rapporteure s'étale sur une vingtaine de pages !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Qui serait favorable à la poursuite de l'examen du texte ?
Une majorité vote favorablement en faveur de la poursuite de l'examen du texte.
Mme Mathilde Panot, député. - Vous savez ce que l'article 7 représente ! Il ne serait pas du tout raisonnable de poursuivre sans nous laisser le temps de consulter le document que vous nous avez remis. Il faudrait que nous le lisions tout en présentant des amendements et en écoutant vos arguments : ce n'est pas sérieux ! La situation est déjà suffisamment compliquée pour ne pas en rajouter.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Précisément, nous sommes en commission mixte paritaire : vous ne découvrez pas le texte.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Tout se passait bien jusqu'à présent, mais vous nous proposez d'aborder l'examen d'un article phare du projet de loi, alors qu'il est déjà treize heures et que nous n'avons pas fait de pause. Pour conserver la sérénité des débats, il me semble préférable d'interrompre nos travaux dès maintenant plutôt que de poursuivre durant une heure encore, voire davantage.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article est en effet déterminant, mais il n'a fait l'objet que de modifications rédactionnelles ou de coordination, ce qui ne justifie pas, me semble-t-il, que l'on s'y attarde trop.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous poursuivons donc nos travaux.
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Nous sommes en train de marcher sur la tête ! Nous voudrions poursuivre nos discussions dans la sérénité, comme ce fut le cas jusqu'à présent. Accordez-nous une pause d'au moins un quart d'heure !
Cette proposition des groupes de gauche vise à supprimer cet article reportant l'âge légal de la retraite à 64 ans. Personne ne comprendrait que vous refusiez une suspension de séance avant d'aborder cette question fondamentale !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Il n'a pas été possible d'examiner cet article en séance publique à l'Assemblée nationale ; il faut le faire maintenant.
Proposition de rédaction de Mme Monique Lubin.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - Nous proposons également de supprimer l'article phare de cette réforme. Le report de l'âge de départ à la retraite est particulièrement injuste et brutal pour des Français qui, la plupart du temps, travaillent depuis longtemps dans des métiers difficiles et pour des salaires peu élevés.
Plus vous évoquez le dispositif « carrières longues », moins l'on n'y comprend quoi que ce soit.
La majorité sénatoriale a proposé de très nombreux aménagements mais le coeur du texte reste le même. En outre, combien ces derniers coûteront-ils ? En fin de compte, combien coûtera l'ensemble des mesures de ce projet de loi ? Les salariés ne seront-ils pas sacrifiés sur l'autel d'une pseudo-réforme financière qui n'améliorera rien ?
Mme Mathilde Panot, députée. - Une telle méthode de travail n'est pas acceptable. Nous vous demandons une pause pour examiner un document de 110 pages que nous venons de découvrir ; 3,5 millions de Français étaient dans la rue la semaine dernière pour exiger le retrait de ce texte ! Nous avons besoin de temps !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous prenons le temps du débat !
Mme Mathilde Panot, députée. - Nous vous demandons une pause d'un quart d'heure, précisément, pour étudier cet article tel qu'il a été modifié !
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Nous avons reçu la nouvelle rédaction de l'article ce matin, à neuf heures, et nous n'avons jamais cessé de travailler. Nous en venons au coeur de la réforme, à un article qui impose deux ans de plus de vie au travail, qui supprime les deux meilleures années de retraite des Français ! Et il faudrait l'évoquer en quelques minutes, avant la pause déjeuner ? C'est scandaleux ! Nous sommes la représentation nationale et vous devez respecter les débats démocratiques !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous sommes précisément en train d'examiner le texte !
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Vous ne nous laissez pas le temps de prendre connaissance de ses modifications ! Nous ne voulons pas être des députés fantoches !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je vous donnerai la parole dès que nous aborderons les légères modifications de cet article important. Nous prendrons alors le temps nécessaire.
M. Hadrien Clouet, député. - Nous vous demandons seulement de pouvoir examiner les trente-huit modifications en question. La confiance n'exclut pas la vérification.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je suspends la réunion pendant quinze minutes seulement.
La réunion est suspendue de 13 h 15 à 13 h 35.
M. Arthur Delaporte, député. - Nous venons donc de prendre connaissance des trente-huit modifications de l'article 7 que les organisations syndicales, unanimes, ont demandé au Gouvernement de retirer. Notre proposition de rédaction vise tout simplement à les soutenir en supprimant cet article et à faire du dialogue social et de la démocratie sociale une réalité.
Nous connaissons les effets du report de l'âge légal de départ en retraite : plus de pauvreté et de précarité pour des seniors qui, exclus du salariat et du chômage, seront voués aux minima sociaux.
De plus, ce sont les décotes supplémentaires qui financeront le système de retraite puisque tout report de l'âge légal de départ entraîne des prises de retraites anticipées, notamment pour les salariés les plus usés.
Rendez donc justice aux Français et aux organisations syndicales !
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Avec mes collègues Monique Lubin, Cathy Apourceau-Poly et Raymonde Poncet Monge, nous soutenons également la suppression de cet article injuste qui vise à demander à tous de travailler deux ans de plus, que l'on soit en milieu ou en fin de carrière, que l'on soit en situation de se maintenir dans l'emploi ou non, que l'on ait eu ou non des carrières hachées. Il s'agit là d'une véritable sanction, à quoi s'ajoute l'augmentation de la durée de cotisation à 43 ans.
Nous nous faisons l'écho des millions de Français qui, manifestations après manifestations, grèves après grèves, dénoncent votre réforme. Force est de constater que le Gouvernement et le Président de la République ont été sourds à leur endroit, comme ils le sont à l'égard de l'intersyndicale.
Retirez cette réforme ! En cette journée de mobilisation, la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale doivent entendre ce que disent des millions de Français.
Mme Mathilde Panot, députée. - Cet article est en effet le coeur de la loi et de la contestation. Même si la loi était adoptée demain, 60 % des Français souhaitent que le mouvement se poursuive. C'est d'ailleurs ce qui s'était passé avec le contrat première embauche (CPE), dispositif qui avait été adopté par le Parlement mais jamais appliqué. La colère ne s'arrêtera pas !
Plus vous faites de « pédagogie », plus le refus de travailler deux ans de plus est massif alors que de nombreuses alternatives existent pour financer le système de retraite.
Vous fixez l'objectif, à l'horizon 2050, d'une suppression de l'écart entre les pensions des hommes et des femmes, après sa réduction de moitié à l'horizon 2037 par rapport à celui constaté en 2023. Comment entendez-vous l'atteindre ? C'est un ministre qui l'a dit, les femmes sont les premières perdantes ! Ne me parlez pas de l'index de l'égalité professionnelle : 92 % des entreprises ne sont pas concernées par les sanctions, et il n'y a pas d'amélioration.
La lecture de l'article 7 nous livre aussi un aveu : celui de l'impact de la réforme sur le bénévolat. Deux années de travail en plus, cela veut dire des grands-parents qui ne seront plus là pour garder leurs petits-enfants, des gens qui ne pourront plus s'engager pour l'intérêt général - la moitié des maires ruraux sont des retraités, comme 27 % des bénévoles associatifs. Vous allez provoquer un effondrement de la solidarité au sein des familles et au sein de la société.
Ce monde-là, nous n'en voulons pas ; nous voulons un monde de l'entraide, un monde où l'on travaille moins pour travailler tous et travailler mieux.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - L'article 7 est évidemment le coeur de cette réforme, et nous y sommes fermement opposés. Je rappelle un chiffre qui m'empêche parfois de dormir : la différence d'espérance de vie entre les 5 % des salariés les plus pauvres et les 5 % des salariés les plus riches est de treize ans. Repousser l'âge de départ pour tout le monde, c'est priver les plus fragiles de leurs meilleures années de retraite.
Vous fixez un âge limite de 30 ans pour le rachat des années d'études. Qui peut, avant 30 ans, racheter des trimestres d'études ?
Les enseignants du premier degré ne pourront pas partir à la retraite s'il y a une nécessité de service, alors même que l'on sait très bien prévoir la date de départ des professeurs des écoles. Vous leur imposez des mois supplémentaires au nom d'une continuité de service qui devrait être assurée par l'État !
Pour les fonctionnaires qui ne relèvent pas de la catégorie active, la limite d'âge peut aller jusqu'à 70 ans. Vous revenez en arrière par rapport au droit du travail, alors que les fonctionnaires devaient partir à 67 ans.
Il y a dans ces reformulations, non pas de la liberté, mais de la contrainte à travailler. Vous parlez de nécessité de service, mais c'est en réalité une nécessité d'organisation libérale des services publics et non une protection des fonctionnaires !
M. Thomas Ménagé, député. - Le débat sur l'article 7 sera bien court ! Nous n'attendons pas grand-chose de cette commission mixte paritaire : rien de ce que nous faisons ici ne permet d'espérer la réforme de justice sociale que nous défendons avec Marine Le Pen. C'est demain que tout se décidera.
Cet article provoquera beaucoup de souffrance pour des gains minimes. Ses conséquences ne sont pas bien chiffrées. Ainsi, les grands-parents gardent souvent leurs petits-enfants : combien de crèches supplémentaires, combien de places chez des assistantes maternelles faudra-t-il ? Les retraités font aussi vivre les communes rurales, les sénateurs le savent mieux que personne : ces gens, à l'avenir, ne pourront plus nécessairement s'engager. Tout le monde n'a pas la chance, les gènes, le métier qui lui permettent d'arriver à 64 ans en bonne santé !
Votre vision Excel, purement comptable, est bien étroite.
M. Riester l'a dit, les femmes seront les plus touchées. Vous n'apportez pas de réponse à ce problème, à part la surcote de 5 % : on est loin du compte.
Je ne serai pas plus long car si nous n'avons pas pu débattre à l'Assemblée, ce n'est pas l'objet de cette commission mixte paritaire.
Nous voterons pour la suppression de cet article.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - J'aimerais lever quelques doutes au sujet de cet article.
Six personnes sur dix seront touchées par l'article 7, mais quatre sur dix le seront par l'article 8 qui renforce les départs anticipés. Il faut le dire autour de vous !
On ne peut pas dire simplement que les gens « prennent » deux ans de plus, puisqu'il y a déjà la réforme Touraine, qui commence à entrer en application. Ah, c'était facile de prendre des décisions pour le futur ! Les gens partent déjà à 62,5 ou 63 ans. Avec la réforme Touraine, ils vont partir à 64 ans.
Si nous touchons à la borne d'âge, c'est pour ne pas fabriquer de retraités pauvres : remonter l'âge de départ permet d'augmenter la retraite moyenne.
En ce qui concerne le rachat des trimestres, l'âge ne peut pas être inférieur à 30 ans. Après, vous rachetez plus cher, mais il faut en effet laisser du temps. Entre parenthèses, si vous sortez d'une grande école, vous n'avez pas à racheter ces trimestres : il y a une distorsion...
L'article 7 prévoit donc un report de deux ans de l'âge légal de départ à la retraite et une accélération de la réforme Touraine. Nous vous proposons de l'adopter dans la rédaction issue du Sénat, à quelques modifications près.
L'essentiel des modifications sont rédactionnelles ou de coordination. Nous souhaitons garantir, comme pour les autres catégories d'assurés, que le relèvement de 60 à 62 ans de l'âge de départ des infirmières de catégorie A soit progressif. Cela nous avait échappé jusque-là ! Le texte que nous vous soumettons prévoit aussi la remise d'un rapport étudiant les moyens de valoriser l'engagement bénévole dans le calcul de la pension de retraite, c'est l'amendement Bataillon. Nous vous proposons également de fixer un objectif de suppression à l'horizon 2050 des écarts de pension entre les femmes et les hommes ; c'est l'amendement Riotton. Dans cette optique, nous vous proposerons à l'article 8 une surcote : c'est une reconnaissance pour les mères de famille qui ont mené une carrière professionnelle tout en élevant leurs enfants, qui permet de réduire les écarts de pension entre hommes et femmes.
Nous proposons enfin une clause de revoyure, votée par le Sénat, qui répond aussi aux préoccupations de nombreux députés. Elle sera accompagnée d'une proposition de débat, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2028.
M. Sylvain Maillard, député. - Nous aurions tellement aimé débattre de cet article 7 à l'Assemblée nationale ! Malheureusement, nos collègues nous en ont empêchés.
Oui, nous demandons un effort aux Français qui le peuvent : nous leur demandons de travailler plus pour garantir leur pension. Regardons ce qui se passe dans les pays voisins : au fur et à mesure, les pensions, donc le niveau de vie des retraités, baissent. Ces pays ont aussi tous choisi un âge de départ à la retraite plus tardif que le nôtre : nous ne sommes pas une île !
Nous sommes tous profondément attachés au système par répartition. Les cotisations doivent payer les pensions, et celles-ci doivent rester au niveau actuel : nos retraités doivent recevoir une pension digne. Nous le regrettons tous, mais pour cela, notre démographie nous impose de travailler plus longtemps.
Oui, cette réforme demande du courage. Je compare la gauche de maintenant avec celle d'avant, qui a eu au moins le courage de voter la réforme Touraine, qui laissait quand même aux gouvernements suivants le soin d'assumer ces décisions... Oui, cette réforme peut être impopulaire mais nous l'assumons : dans quelques années, on reconnaîtra qu'elle était nécessaire. Je suis heureux de voir qu'elle va trouver une majorité, aujourd'hui en commission mixte paritaire, demain au Sénat et à l'Assemblée nationale.
M. Philippe Vigier, député. - Ce moment était attendu. Nos collègues sénateurs ont eu la chance de consacrer du temps à cet article 7, qui demande aux gens de travailler plus longtemps.
Regardons comment les partenaires sociaux gèrent l'Agirc-Arrco : ils ont su prendre des décisions courageuses et fixé une borne à 64 ans. Le groupe Démocrate est d'ailleurs favorable à l'idée de donner davantage de responsabilités aux partenaires sociaux pour gérer le système de retraite.
J'entends dire que tout le monde ne pourra pas travailler jusqu'à 64 ans - ce n'est d'ailleurs pas tout le monde, mais seulement six Français sur dix qui pensent que leur état ne leur permettra pas d'aller jusqu'à cet âge. Nous avons tous la même volonté d'offrir à chacun les meilleures conditions de vie et la meilleure retraite. Ne racontons pas n'importe quoi aux agents classés en catégorie superactive : les gardiens du centre de détention de Châteaudun, par exemple, ne travailleront pas jusqu'à 64 ans.
Les très faibles montants des pensions parfois constatés sont liés au déséquilibre du système et au défi démographique auquel nous faisons face. Les chiffres ont la tête dure, et nous nous les prenons en pleine figure. L'évolution du ratio entre actifs et retraités, par exemple dans la fonction publique, nécessite tout de même un peu d'anticipation !
La réforme Touraine, que la gauche de gouvernement de l'époque a fait voter, prévoit quarante-trois annuités de cotisation en 2030. Cette même gauche a exigé des jeunes ayant commencé leur carrière à 17 ans qu'ils ne prennent leur retraite qu'à 62 ans, après avoir travaillé pendant quarante-cinq ans. Je me souviens très bien des saillies des élus communistes de l'époque, qui avaient frappé très fort ! J'aurais aimé que nous ayons un tel débat dans l'hémicycle : cela nous aurait permis de renvoyer chacun à ses déclarations de 2013.
Nous avions demandé depuis le début l'instauration d'une clause de revoyure. On ne peut pas invoquer la démocratie tout en déniant au Parlement le droit d'évaluer une réforme quatre ans plus tard. On ne peut pas non plus débattre des retraites uniquement lorsqu'une nouvelle réforme est sur la table. D'ailleurs, un gouvernement est-il un jour revenu sur une réforme votée précédemment ? Ce n'est jamais arrivé ! Alors qu'Éric Woerth avait eu le courage de fixer l'âge légal de départ à 62 ans, d'aucuns nous ont expliqué il y a quelques années qu'il serait formidable de rétablir la retraite à 60 ans : ils n'ont jamais appliqué leur proposition.
Comme l'a très bien dit M. le rapporteur pour le Sénat, la clause de revoyure permettra de disposer d'une photo avant l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale par chacune des deux chambres : nous verrons ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, par exemple pour les seniors - j'ai dit tout à l'heure que je souscrirais à la proposition qui nous est faite, même si cela ne correspond pas à notre position initiale. Nous pourrons aussi réévaluer les équilibres budgétaires. Quand on voit ce qui se passe à la Bourse depuis trois jours, avec des banques qui sont en train de se casser la figure, on s'aperçoit que les hypothèses qui sous-tendent les modèles sont parfois très fragiles ! Ce n'est quand même pas rien de proposer aux partenaires sociaux de bénéficier d'un éclairage du COR et, je l'espère, de la Cour des comptes pour savoir où nous en sommes précisément.
Certes, l'article 7 impose aux Français un effort complémentaire, et il ne va pas assez loin en matière de petites retraites. Si nous parvenons à accroître le taux d'emploi des seniors, nous devrons consacrer les recettes supplémentaires ainsi perçues à la revalorisation de ces petites pensions.
J'invite enfin ceux qui ont promis la retraite à 60 ans pour tout le monde à réfléchir. Mme Le Pen expliquait pendant la campagne qu'elle revaloriserait les petites retraites pour les carrières pleines. Or nous ne connaissons ni le montant des pensions proposé, ni la décote imposée.
Mme Cathy Apourceau-Poly, sénatrice. - Si les pensions ne sont pas élevées, c'est parce que les salaires ne sont pas à la hauteur ; or vous repoussez toujours toutes nos propositions visant à les revaloriser.
Nous sommes nous aussi favorables à la suppression de l'article 7. Le report à 64 ans de l'âge légal de départ à la retraite, avec quarante-trois annuités exigées pour obtenir un taux plein, est une réforme brutale pour les travailleurs, notamment pour les plus populaires et les plus pauvres de notre pays, ainsi que pour les femmes dont les carrières sont hachées.
L'intersyndicale a demandé à être reçue par le Président de la République, qui lui a opposé une fin de non-recevoir. Cette réforme est menée contre le peuple. Huit salariés sur dix y sont opposés, et on verra encore tout à l'heure des centaines de milliers de personnes défiler dans la rue. Nous avions proposé d'autres solutions, consistant par exemple à mettre à contribution les revenus du capital, mais la droite sénatoriale et le Gouvernement n'ont pas voulu nous entendre.
La possibilité de racheter des trimestres avant l'âge de 30 ans est un leurre : seule une petite catégorie de Français peut se le permettre. Comment des couvreurs ayant été en apprentissage à partir de 16 ans et touchant des petits salaires de 1 400 ou 1 500 euros par mois peuvent-ils dépenser des milliers d'euros pour racheter l'ensemble de leurs trimestres avant 30 ans ?
M. Sylvain Maillard, député. - Il n'est pas nécessaire de racheter ses trimestres en apprentissage ! Ne confondez pas stages et apprentissage !
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Il est important de corriger vos propos, madame la sénatrice. D'une certaine façon, les apprentis cotisent déjà pour leur retraite puisque le temps passé en apprentissage est pris en compte dans le calcul des trimestres.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - La réforme Touraine a imposé le principe des quarante-trois annuités à partir de la génération 1973. Une personne née, comme moi, en 1963 aurait donc pu prendre sa retraite à l'âge de 62 ans. Avec votre réforme, elle devra attendre 63 ans. Ne dites donc pas que vous ne prévoyez pas de report pour les gens qui s'apprêtent à partir : ce report est au contraire immédiat pour la génération 1965, qui va se voir opposer le principe des quarante-trois annuités.
Où avez-vous vu que l'Agirc-Arrco avait reporté l'âge de départ à 64 ans ? Il est toujours fixé à 62 ans. Lorsque l'Agirc-Arrco s'est trouvée en situation délicate, elle a mis en place un système de décote sur trois ans ; à l'issue de ce délai, le pensionné récupère tous ses droits.
Enfin, le rapport du COR souligne que le principal problème posé en matière démographique est la transformation des baby-boomers en papy-boomers ; or ce sont désormais les dernières cohortes de ces papy-boomers qui arrivent à l'âge de la retraite, et le défi a été relevé grâce aux gains de productivité. Le problème démographique qui se trouve devant nous est loin d'être aussi important que celui auquel nous avons déjà fait face. C'est pourquoi nous nous sommes posé la question de la modification de l'assiette de cotisation.
Vous parlez de clause de revoyure, mais quand vous arrêterez-vous ? Vous allez nous faire travailler jusqu'à 64 ans, mais vous vouliez initialement fixer l'âge de départ à 65 ans et certains parlent déjà de 67 ans. Jusqu'à quand allez-vous faire travailler les aides-soignantes et les couvreurs ? Contrairement à ce que j'ai entendu, ces derniers ne relèvent pas de la catégorie active dans le privé.
Vous tapez tous sur la réforme Touraine, mais elle n'a pas reculé l'âge de départ à la retraite : ceux qui avaient commencé à travailler à 20 ans n'étaient pas obligés d'attendre 63 ans. Vous oubliez par ailleurs que, dès l'élection de François Hollande, un décret a réinstauré sous certaines conditions la retraite à 60 ans, ce qui a permis à beaucoup de gens de partir à cet âge.
Mme Raymonde Poncet Monge, sénatrice. - Vous proposez d'ajouter, au début de l'article 7, un objectif de suppression de l'écart entre le montant des pensions perçues par les femmes et celui des pensions perçues par les hommes. Cela concerne-t-il uniquement les pensions de droit direct, ou également les pensions de réversion ? Si les femmes ont une espérance de vie plus longue que les hommes, il s'agit toutefois le plus souvent d'une espérance de vie en mauvaise santé, c'est-à-dire avec certaines incapacités.
Vous avez affirmé que le report de l'âge de départ à la retraite était une tendance générale en Europe. C'est faux : dans le Panorama des pensions publié par l'Organisation de coopération et de développement économiques, il est indiqué qu'une personne ayant commencé à travailler à 22 ans prenait sa retraite à 64,5 ans en France contre 63,9 ans en moyenne dans l'Union européenne. Je ne parle pas ici de l'âge légal, mais de l'âge conjoncturel : cette notion est plus intéressante à analyser car il est possible, dans de nombreux pays, de partir avant l'âge légal avec une décote. Je ne dis pas que c'est mieux, car cela crée des retraités pauvres ou des travailleurs pauvres, comme en Allemagne, mais cela permet au moins de faire un choix. Quant à vous, vous l'interdisez, ce qui fait dire à la CGC, qui n'est pourtant pas un syndicat révolutionnaire, que votre projet de loi est liberticide.
Il faut toujours arbitrer entre l'âge légal et la durée de cotisation, dont l'insuffisance entraîne une décote. Pour autant, un cadre sur deux est déjà parti à la retraite à 63 ans, et 35 % des femmes partent à l'âge exact de 62 ans, parfois grâce aux trimestres de majoration accordés pour la naissance d'un enfant.
Les femmes n'auront plus le choix : elles devront continuer jusqu'à 64 ans, à moins qu'elles ne fassent partie des 40 % de Français qui pourront partir avant. Vous définissez un âge légal, mais vous êtes obligés de créer une voie de dérivation pour quatre personnes sur dix : c'est un aveu de la pénibilité du travail. Plus on avance en âge, plus il est nécessaire de prendre des mesures de raccrochage.
Après le vote de la loi de 2010, qui a porté l'âge de départ à 62 ans, on a cessé d'alimenter le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) et, depuis, on l'a vidé pour rembourser la dette sociale, qui résulte pour partie de la crise de 2008. L'Arrco a continué à faire ce que vous avez arrêté de faire en 2010. Si vous aviez continué à alimenter le FRR, cela nous aurait suffi pour surmonter la bosse démographique, mais vous vouliez que, dix ans après, survienne un nouveau problème.
Pourquoi les organisations syndicales, que vous jugez si responsables dans le cadre de la gestion de l'Agirc et de l'Arcco, ne le seraient-elles plus dans le débat actuel ? Elles sont toutes opposées à votre réforme.
Aujourd'hui, les gens partent à la retraite, en moyenne, à plus de 63 ans, mais 35 % des femmes partent à 62 ans et un cadre sur deux à 63 ans. Si vous portez l'âge légal à 64 ans, l'âge conjoncturel va s'élever substantiellement.
M. Thomas Ménagé, député. - Un certain nombre de Français n'arriveront pas, pour des raisons de santé, à rester en activité jusqu'à 64 ans et subiront une décote ; d'autres ne pourront plus prétendre à une surcote. Pouvez-vous m'expliquer pour quelle raison mystérieuse votre réforme n'entraînerait pas une baisse mécanique des pensions ?
On peut établir des comparaisons internationales sur l'âge de départ à la retraite, mais il faut mettre en relation ces chiffres avec le montant et la durée des cotisations. Vous demandez aux Français de travailler plus longtemps mais vous les faites cotiser autant, alors même qu'ils subissent la conjoncture économique et que leurs salaires n'augmentent pas.
Ceux qui seront principalement touchés par l'article 7, ce ne sont pas les cadres qui ont entamé leur activité à 23 ou à 24 ans, mais les personnes qui ont fait des études moins longues et qui ont commencé à travailler plus jeunes.
Nous avons insisté sur le fait qu'il fallait avant tout jouer sur les recettes, comme l'a dit le COR. Nous devons accroître notre soutien aux familles et à la natalité pour favoriser l'équilibre du système.
Je ne suis pas opposé à une clause de revoyure mais, en tout état de cause, on dressera le bilan de la réforme à l'occasion de l'élection présidentielle.
Le dispositif relatif aux carrières longues est nécessaire mais un couvreur qui commence son activité après 21 ans devra travailler plus longtemps, alors même que les critères de pénibilité entrés en vigueur en 2019 ne lui sont pas applicables.
J'entends régulièrement la gauche pousser des cris d'orfraie alors que ce texte constitue l'acte 2 de la réforme Touraine. Ramener l'âge de départ à 60 ans, comme certains le proposent, serait une catastrophe car cela multiplierait les décotes.
Je souhaiterais savoir si les sénateurs comptent renoncer à leur régime spécial car, avant de donner des leçons, mieux vaut s'appliquer les principes à soi-même.
M. Charles de Courson, député. - Juridiquement, l'âge d'ouverture des droits au sein de l'Agirc-Arcco demeure fixé à 65 ans. À la suite de la réforme de 1982, qui a avancé l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans, l'Agirc-Arcco s'est vu accorder un système de compensation pour ceux de ses adhérents qui partaient entre 60 et 65 ans. Actuellement, l'âge effectif d'ouverture des droits est de 63 ans et remonte peu à peu ; il devrait atteindre 64, voire 65 ans. L'Agirc-Arcco dispose d'environ six mois de réserves, soit 85 milliards d'euros.
Nous sommes favorables à la réforme des retraites mais pas selon ces modalités. Les efforts sont demandés très majoritairement aux plus modestes de nos concitoyens. On ne peut donc pas dire qu'il s'agit d'un projet de justice sociale - la majorité n'emploie d'ailleurs plus cet argument. Notre groupe s'oppose au recul de l'âge légal et lui préfère des dispositifs d'encouragement tels que la dégressivité des cotisations sociales patronales sur les seniors, l'augmentation de la surcote, l'effort de formation, etc.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Une personne qui commence à travailler à 19 ans sera affectée par le recul de l'âge de départ, mais quelqu'un qui entame son activité à 22 ans sera touché par la durée de cotisation.
Le nombre de retraités est en baisse mais ceux qui prennent leur retraite à l'heure actuelle ont des pensions plus élevées et le nombre de cotisants diminue plus fortement que le nombre de retraités. Il est donc indispensable de prendre des mesures d'âge, à moins de baisser les pensions - ce qui pénaliserait le pouvoir d'achat des retraités - ou d'augmenter les cotisations - ce qui réduirait le pouvoir d'achat des actifs.
Certains devront renoncer à la surcote mais ils ne seront pas pénalisés car ils percevront des revenus plus élevés par leur salaire.
Des inégalités demeureront nécessairement. La retraite est la conjugaison des inégalités affectant le monde du travail et de celles qui existent entre les quarante-deux régimes. Nous nous efforçons de les réduire autant que possible, par exemple en faisant bénéficier les personnes subissant une incapacité permanente de plus de 20 % d'une retraite anticipée à 60 ans.
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Nous vous proposons de supprimer les alinéas 2 à 5 tout en conservant, pour le symbole, le reste de l'article.
On parle souvent d'exil fiscal, mais peut-être devrait-on se livrer à l'exil des retraites ? On pourrait se rendre en Croatie où, à partir de 60 ans et de trente-cinq annuités - 58 ans et trente-trois anuités pour les femmes -, on peut prendre sa retraite, ou encore au Luxembourg, où on peut cesser son activité à 57 ans à condition d'avoir quarante annuités. L'âge moyen de départ en France est normal ; il est équivalent, par exemple, à celui de l'Autriche. Il faut cesser de voir notre pays comme le plus mauvais élève de l'Europe.
Proposition de rédaction de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix, député. - Au départ, le Gouvernement proposait de reporter progressivement l'âge légal à 65 ans, au rythme de quatre mois par an, ce qui était trop brutal. La proposition que fait le Sénat depuis plusieurs années de le reporter à 63 ans à la fin du quinquennat, puis à 64 ans en 2030, est beaucoup plus acceptable.
Je propose d'introduire une clause de revoyure, parce que nous devons la transparence aux Français. Il faudrait que, à mi-parcours, un rapport fasse le point sur l'équilibre du système, l'évolution démographique, l'emploi des seniors, l'effectivité des mesures de prise en compte de la pénibilité, la réduction des écarts de salaires entre les femmes et les hommes, etc. Ce rapport devrait faire l'objet d'un débat devant le Parlement.
Toutefois, je m'aperçois que mon amendement est satisfait par la nouvelle rédaction de l'article proposée par les rapporteurs. Je le retire donc.
La proposition de rédaction est retirée.
Les propositions de rédaction tendant à supprimer l'article 7 ne sont pas adoptées.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 8
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Nous demandons la suppression de l'article 8, qui adapte les règles du départ anticipé, à la suite du relèvement de l'âge légal de 62 à 64 ans.
Cet article devait être l'élément clé du deal entre la majorité à l'Assemblée nationale et Les Républicains au Sénat, mais nos collègues sénateurs se sont fait duper. Notre camarade Aurélien Pradié voulait que personne ne cotise plus de 172 trimestres, c'est-à-dire quarante-trois ans, mais, en l'état actuel du dispositif, cette demande n'est pas satisfaite.
Prenons l'exemple d'une personne qui a commencé à travailler à 20 ans. Pour bénéficier du dispositif « carrières longues », elle doit remplir trois critères : avoir cotisé quatre ou cinq trimestres avant le 31 décembre de l'année de ses 20 ans ; travailler jusqu'à 62 ans ; avoir cotisé 172 trimestres. Le texte qui nous est proposé dit seulement que le Gouvernement ne pourra pas porter ce nombre de trimestres à 176 ou 180 : cela ne change rien à la seconde condition, qui est de travailler jusqu'à 62 ans.
Il est vrai que soixante-deux moins dix-neuf, cela fait quarante-trois, mais les règles de cotisation des trimestres la première et la dernière année sont telles que la durée de cotisation, pour de nombreuses personnes, dépassera quarante-trois ans et pourra aller jusqu'à quarante-quatre ans et trois trimestres, dans le pire des cas.
M. Hadrien Clouet, député. - Certains de nos collègues du groupe Les Républicains avaient conditionné leur vote à l'adoption d'une disposition limitant à quarante-trois le nombre d'années de cotisation pour les carrières longues. Or mon collègue vient de montrer qu'il pourra y avoir des dépassements. Puisque cet accord entre la majorité et Les Républicains ne tient pas, nous proposons de l'annuler.
L'âge de départ anticipé n'a pas été fixé à 60 ans par hasard, mais parce qu'il y a, à cet âge-là, un effet de seuil important dans le monde du travail : c'est à partir de 60 ans que l'on constate le décuplement des incapacités permanentes en cas d'accident du travail. Ce sont les conditions d'existence des salariés qui sont en jeu, mais c'est aussi une question de budget public : 10 % des accidents du travail conduisant à une invalidité permanente après 60 ans, cela représente des milliards. Nous proposons donc de gagner de l'argent en maintenant à 60 ans les départs anticipés. C'est un dispositif gagnant-gagnant : les gens vont gagner des années de vie et vous allez gagner de l'argent.
Par ailleurs, il n'est pas vrai que la France est le pays où l'âge de départ à la retraite - légal ou effectif - est le plus bas d'Europe. Le Luxembourg, la République tchèque, la Grèce, la Slovaquie, la Slovénie ou, pour les femmes, l'Autriche et l'Espagne, sont des pays où l'âge effectif et l'âge légal de départ à la retraite sont plus bas. C'est la même chose pour le taux de remplacement : il est de 74 % en France, mais il est de 77 % en Norvège, de 84 % au Danemark - où il atteint même 120 % pour les bas revenus. Il n'est donc pas vrai que les pensions de retraite françaises sont les plus généreuses d'Europe.
Enfin, la durée de la retraite, par rapport à la durée de la vie, évolue très peu : on est passé de 30 % en 1971 à 34 % aujourd'hui. En proportion, le temps qu'un individu passe à la retraite a très peu évolué et je pense que nous pouvons absorber cette augmentation de 4 % par une meilleure redistribution des revenus du capital et une meilleure organisation du travail.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Avec les départs anticipés et le dispositif « carrières longues », près de cinq personnes sur dix partiront avant 64 ans.
Pour rappel, le texte initial prévoyait que le maintien du départ des travailleurs handicapés à la retraite à 55 ans ferait l'objet d'un décret. Il prévoyait le maintien à 62 ans du départ des personnes en situation d'inaptitude ou d'invalidité et des titulaires de l'allocation aux adultes handicapés. Cet article prévoit également des dispositifs de départ anticipé pour carrière longue.
Le Sénat a adopté d'autres dispositions, notamment la surcote. Il a inscrit dans la loi le maintien du départ à 55 ans pour les personnes en situation de handicap. Il a créé une quatrième borne d'âge à 63 ans pour les assurés qui ont commencé à travailler à 21 ans. Nous vous proposons de conserver l'ensemble de ces dispositions, qui rendent ce texte plus juste, notamment en faveur des femmes.
Nous proposons par ailleurs d'ouvrir le bénéfice du dispositif « carrières longues » à une durée d'assurance de 43 ans, à terme, pour chacune des bornes d'âge. Cette mesure, qui a été défendue par le président Marleix, a été reprise dans la rédaction que nous vous proposons.
Proposition de rédaction de M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix, député. - Comme je suis satisfait de la rédaction proposée par les rapporteurs, je retirerai ma proposition de rédaction. Le dispositif « carrières longues » est très complexe et, ce qui était particulièrement injuste, c'est qu'on exigeait par voie réglementaire des durées de cotisation qui, au terme de la réforme Touraine, pouvaient aller jusqu'à 180 trimestres - cela figure dans le décret sur les carrières longues. Inscrire dans la loi que l'exécutif ne pourra plus exiger une durée de cotisation supérieure à celle qui est exigée pour tous, à savoir, à terme, 172 trimestres, est un vrai progrès.
La proposition de rédaction est retirée.
M. Philippe Vigier, député. - Cette harmonisation était indispensable et nous avons clarifié des questions qui en avaient besoin. Nous connaissons maintenant les conditions précises de départ des carrières longues. Sans esprit polémique, nous rattrapons les loupés de la loi Touraine et nous allons enfin pouvoir traiter tout le monde selon les mêmes principes. Je vois là de l'apaisement et de la confiance pour l'avenir.
M. Éric Woerth, député. - Le dispositif applicable aux carrières longues a toujours été un peu compliqué, car le principe même de ces carrières est que l'on travaille plus longtemps - mais une carrière longue et une carrière qui commence tôt sont deux choses différentes. Le dispositif de 2003, qui relevait d'un certain état d'esprit, pouvait évoluer, et évoluera. Nous prenons en compte l'annonce par la Première ministre de la création notamment d'une quatrième borne d'âge. En fonction de ces bornes, il sera possible de partir plus tôt si l'on respecte l'âge requis et qu'on ne dépasse pas quarante-trois années de cotisation. Cette proposition recueille l'approbation des uns et des autres, et il faut la voter.
Propositions de rédaction de M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson, député. - Je suis tout à fait favorable à la proposition des rapporteurs d'intégrer au texte ma proposition de rédaction, très proche de celle de M. Marleix. Il est savoureux de voir cet amendement, initialement déposé par le Gouvernement et jamais discuté au Sénat, revenir en commission mixte paritaire.
Par ailleurs, l'amendement montre que le texte était mal fait. Selon nous, il faut jouer avant tout sur les annuités et sur les surcotes et décotes, mais notre proposition n'a malheureusement pas été retenue sur ce deuxième point - nous félicitons toutefois qu'elle l'ait été sur le premier. À défaut d'étude d'impact, pourrions-nous connaître quelques chiffres précis nous permettant de mesurer les incidences de cette mesure ? Au-delà du chiffre, qui semble être de l'ordre de 300 millions d'euros, disposez-vous d'éléments quant au nombre annuel de bénéficiaires jusqu'à 2030 ?
Mme Monique Lubin, sénatrice. - J'ai besoin de comprendre concrètement de quoi nous parlons. Un salarié qui a commencé à travailler à 18 ans et un mois et qui a cotisé toutes ses annuités peut partir à 62 ans dans le nouveau dispositif, c'est-à-dire après avoir cotisé quarante-quatre annuités. Pourra-t-il, si cette proposition est adoptée, partir à 61 ans ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le dispositif est illisible. Si on applique une durée de cotisation de quarante-trois ans à tout le monde, ce n'est plus un dispositif de carrières longues, mais de carrières précoces. La situation est différente selon que l'on est né en début ou en fin d'année, et la réponse à la question est donc difficile. En outre, la durée prise en compte consiste en trimestres cotisés ou réputés cotisés, avec une faible dose de solidarité, ce qui précisément pose problème.
Il faut conserver l'effet borne lié à l'âge, sous peine d'entraîner un coût prohibitif - 9 milliards d'euros ! La proposition de rédaction qui nous est soumise représente le moindre mal pour corriger les durées d'assurance requises, qui étaient de deux ans pour les bornes de 16 ans et de 18 ans respectivement, et ont été, dans le projet du Gouvernement, converties selon trois bornes, fixées respectivement à 16, 18 et 20 ans. Pour les bornes de 16 et de 18 ans, la durée d'assurance requise était d'une année, et on atteignait quarante-trois ans pour la borne de 20 ans. L'ajout d'une quatrième borne, à 21 ans, pour un départ à 63 ans et quarante-trois ans de cotisation, est un signe fort donné par l'Assemblée et par le Sénat. Il est toutefois mathématique que, dès lors que l'on applique des bornes, certaines personnes travailleront quarante-trois ans et d'autres quarante-quatre, selon le moment de l'année où elles sont nées.
Le fait de fixer le plancher à quarante-trois ans - c'est-à-dire d'élargir le dispositif à des gens qui, sans cela, auraient travaillé quarante-quatre ans - a une répercussion financière de 300 millions d'euros. Un tel dispositif ne permet cependant jamais de faire coïncider précisément l'âge de départ et la durée de cotisation, et se révèle donc particulièrement illisible. J'invite donc le Gouvernement à le revoir sous l'angle des carrières « précoces » plutôt que « longues ». Étant donné toutefois que la formule déjà revue représente un moindre mal, en ce qu'elle vise des cibles précises et limite la durée de cotisation, elle a été acceptée au Sénat.
Le nombre de personnes touchées par cette mesure est très important, compte tenu de son rendement de 300 millions d'euros.
Au Sénat, monsieur de Courson, ni le Gouvernement ni le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants n'a déposé d'amendements, ceux qui ont été déposés l'ayant été par d'autres formations politiques. Dans un esprit d'ouverture, le Sénat n'a pas voulu leur donner suite, car il nous semblait important que l'Assemblée nationale, frustrée de débat, puisse confirmer dans le cadre de la commission mixte paritaire les décisions relatives à la durée de cotisation.
M. Thomas Ménagé, député. - Je suis surpris de découvrir qu'il y a eu un accord entre le Gouvernement et Les Républicains sur un point - une durée maximale de cotisation de quarante-trois ans - qui était l'élément majeur de la position de ces derniers. Il en ressort, et cela doit être gravé dans le marbre, que certaines personnes travailleront quarante-trois ans, et d'autres quarante-trois ans et onze mois, en fonction de leur mois de naissance : c'est donc un mensonge que de laisser croire aux Français qu'il y a eu aujourd'hui une avancée considérable. Un montant de 300 millions d'euros est certes important, mais on est encore loin de la proposition défendue à l'Assemblée nationale par M. Pradié, qui prévoyait une durée maximale de quarante-trois annuités ! Certains Français croient que c'est ce qui s'appliquera, mais ce n'est pas le cas, et certaines personnes travailleront quasiment quarante-quatre ans.
M. Paul Christophe, député. - N'oubliez pas de tenir compte de la date de début de carrière, qui a aussi un impact. Comme l'a souligné M. le rapporteur Savary, le système est aujourd'hui particulièrement injuste, puisqu'il impose, selon la situation, jusqu'à 180 ou 176 trimestres. Il n'y a donc guère d'injustice à proposer une durée de 172 trimestres. Pour le reste, il faudra travailler de l'ordre de quarante-trois années, en fonction de sa date de naissance. Il faut aussi garder présent à l'esprit que les carrières ne sont pas linéaires, et sont parfois hachées par des périodes de chômage, de telle sorte que cette limitation à 172 trimestres peut avoir l'effet d'une bouffée d'oxygène.
M. Charles de Courson, député. - Une toute petite question : l'article 40 de la Constitution est-il opposable, comme en première lecture dans l'une et l'autre chambre, aux propositions de rédaction déposées en commission mixte paritaire qui entraîneraient des dépenses supplémentaires ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - L'augmentation des bornes d'âge se traduirait par un accroissement annuel de 30 000 personnes par an. Je rappelle aussi que le Gouvernement a déposé, le dernier vendredi des débats à l'Assemblée, un amendement identique à celui qui a été intégré dans le texte à l'issue des débats que nous avions eus avec le groupe de M. Marleix.
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte député. - Elle tend à intégrer dans les alinéas 2, 4 et 7 de l'article 8 la mention suivante : « qui ne peut être supérieure à quarante-trois annuités », le reste sans changement. Cette proposition rédactionnelle est importante, car elle apporte des clarifications bienvenues.
Ni nos collègues sénateurs ni nous-mêmes n'avons vraiment compris l'objet du deal. Vous avez présenté tout à l'heure cette mesure comme un moindre mal, avec un impact budgétaire de 300 millions d'euros par an, mais vous n'êtes pas en mesure de nous dire combien de personnes sont concernées par cette mesure. Or, selon les simulations que nous que nous avons effectuées et que nous pouvons vous communiquer, un tiers des personnes qui devraient bénéficier de ce dispositif parce qu'elles auront cotisé le nombre de trimestres suffisant devront travailler plus de quarante-trois ans. Contrairement aux déclarations de M. Christophe, 8 % de ceux qui pourraient bénéficier de ce dispositif travailleront au-delà de quarante-quatre ans. Reconnaissez-vous que c'est possible, et que cela ne correspond pas à la demande initiale de votre collègue Pradié, mais qu'il s'agit d'un deal que vous jugez acceptable parce que c'est un moindre mal ?
Mme Stéphanie Rist, députée,
rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Le chiffre de
30 000 comprend les personnes concernées par les mesures
liées aux bornes d'âge
- dont celle à
21 ans - ainsi que les bénéficiaires de l'amendement de
M. Marleix.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. Charles de Courson, député. - J'avais une autre proposition de modification à vous présenter.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - L'article 8 a été mis aux voix.
M. Arthur Delaporte, député. - En commission mixte paritaire, nous sommes libres d'organiser nos travaux comme nous le souhaitons.
M. Charles de Courson, député. - Le Sénat a eu raison de s'intéresser aux droits familiaux. Il a adopté une surcote de 5 % pour les femmes dès le premier enfant. Le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires défendait à l'Assemblée nationale une autre approche, destinée à prendre en considération l'extraordinaire variété des majorations actuelles pour enfants selon les régimes - de 0 pour les professionnels libéraux, quel que soit le nombre d'enfants, à 10 % à partir du troisième enfant auxquels s'ajoutent 5 % par enfant supplémentaire pour les régimes spéciaux. M. Dussopt a d'ailleurs saisi le COR pour essayer d'y voir plus clair dans ce bazar. Sachant que la plupart des familles françaises comptent deux enfants, il s'agissait d'accorder une majoration de 5 % dès le deuxième enfant qui vient s'ajouter aux majorations existantes dans les quarante-deux régimes.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Nous avons étudié comment compenser pour les mères de famille le fait que les majorations de la durée d'assurance dont elles bénéficiaient jusqu'alors perdent de leur intérêt à cause du report de l'âge légal.
Nous avons écarté l'ouverture anticipée des droits qui est non seulement en contradiction avec l'objectif de travailler plus mais aussi plus difficile à absorber pour les finances publiques. Une surcote de 5 % équivaut à une année de retraite, par calcul actuariel, si l'on estime que la durée moyenne de retraite est de vingt ans. Mais ces 5 % sont répartis sur vingt ans, alors que dans le cas d'un départ anticipé, le coût pour le système de retraite est immédiat.
Nous avons également envisagé des majorations mais les règles de l'article 40 de la Constitution nous l'interdisaient. Le problème ne se pose pas pour la surcote puisque le régime actuel en comporte déjà.
Nous avons discuté avec le Gouvernement pour aboutir à la solution que nous proposons. Nous aurions pu aller plus loin encore mais ce n'était pas sans conséquence financière. Ne l'oublions pas, la réforme a pour but d'accroître la durée d'activité et de combler les déficits, pas de les creuser.
Je vous invite donc à préférer la surcote à la majoration qui est proposée.
M. Charles de Courson, député. - Je ne conteste pas votre choix. Je fais preuve d'une plus grande rigueur en demandant que la surcote s'applique à compter du deuxième enfant.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - L'article 8 bis vise à priver les parents condamnés pour violences et maltraitance à l'encontre de leurs enfants du bénéfice des majorations de durée d'assurance et de pension pour enfants.
Nous vous proposons de l'adopter dans sa rédaction issue du Sénat.
M. Charles de Courson, député. - Êtes-vous sûrs que c'est une bonne idée ? Il y a violence et violence. Si vous êtes condamné pour avoir donné une paire de claques ou une fessée, vous seriez privés du bénéfice des majorations. Cela me paraît tout à fait excessif.
M. Xavier Iacovelli, sénateur. - Nous faisons confiance au juge. Une condamnation pour violences à l'encontre d'un enfant tient a priori à plus qu'une paire de claques.
L'article 8 bis est issu d'un amendement de Mme Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a été adopté à l'unanimité. Je soutiens ces dispositions de bon sens.
M. Hadrien Clouet, député. - Plutôt que de priver d'un droit social, les sénateurs ont-ils envisagé de transférer les montants correspondants aux institutions ou organismes qui prennent en charge les victimes de violences ?
Pourquoi avoir fait le choix d'une sanction automatique et non d'une peine complémentaire ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - C'est une question de justice. On ne peut pas accepter que de mesures sociales profitent à des personnes coupables de violences. C'est un moyen parmi d'autres de sensibiliser au respect des droits de l'enfant. Seules les condamnations définitives peuvent entraîner la perte du bénéfice de droits familiaux.
M. Charles de Courson, député. - La peine automatique n'est pas raisonnable. Elle ne passera jamais le contrôle de constitutionnalité. Nombreux sont les exemples de sanctions automatiques censurées par le passé.
Je propose de laisser au juge la faculté de prononcer la mesure à titre de sanction complémentaire. Si vous en êtes d'accord, nos rapporteurs pourraient s'atteler à une nouvelle rédaction en ce sens.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Il existe déjà des mesures similaires en cas de retrait de l'autorité parentale. Le Sénat avait décidé d'aller un cran plus loin. Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur les violences au sein de la famille, la pension de réversion n'est plus due au conjoint survivant s'il s'est rendu coupable de violences conjugales.
Je ne suis pas opposé à ce que le texte indique « le juge peut ».
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Je suis favorable à l'ajout du mot « peut » proposé par notre collègue Charles de Courson afin que la sanction ne soit pas automatique, ce qui risquerait de diminuer le nombre de condamnations.
M. Sylvain Maillard, député. - Chacun mesure l'intérêt d'une discussion apaisée où les uns et les autres s'écoutent mutuellement : on construit une meilleure loi. Nous sommes également favorables à la suggestion de Charles de Courson. Il est plus sage et plus sûr du point de vue constitutionnel de laisser la décision au juge.
La réunion est suspendue de 15 h 10 à 15 h 30.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons une nouvelle rédaction tenant compte des observations précédentes.
M. Xavier Iacovelli, sénateur. - Je m'abstiendrai sur cette modification. Je maintiens ma faveur à l'automaticité de la peine en cas de condamnation définitive d'un parent pour violences commises sur un enfant. Il ne me semble pas souhaitable de donner la main au juge qui place parfois l'intérêt de la famille au-dessus de l'intérêt supérieur de l'enfant.
M. Charles de Courson, député. - Cette nouvelle rédaction est plus satisfaisante, même si j'indique à M. Iacovelli qu'elle courra toujours un risque devant le Conseil constitutionnel.
Dans certains cas, la sanction valant privation des droits est temporaire. Peut-être pourrait-on préciser, pour renforcer la constitutionnalité du dispositif, qu'ils sont recouvrés à la fin d'une période déterminée ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La privation des allocations familiales peut être temporaire, pas celle de la pension de réversion. Elle est forcément définitive car elle a des conséquences sur le montant de la pension.
M. Charles de Courson, député. - La question se pose si des décisions de justice rendent cette privation temporaire. Cette hypothèse existe-t-elle ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Non. Une fois la majoration affectée à l'un des parents, il s'agit d'une décision définitive.
L'article 8 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 8 ter
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Nous proposons de supprimer l'article 8 ter, qui attribue à la mère deux trimestres de majoration d'assurance liée à l'éducation des enfants.
Le texte comporte de nombreuses mesures relatives aux droits familiaux : la surcote de 5 %, la prise en compte des indemnités journalières maladie antérieures à 2012, des congés parentaux et des pensions de réversion versées aux orphelins, la suppression de la majoration de la durée d'assurance et des pensions pour les parents violents, le bénéfice de la majoration de 10 % pour trois enfants dont l'un est décédé, enfin l'extension aux professions libérales de la majoration de pension de 10 % pour trois enfants ou plus. Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé à confier au Conseil d'orientation des retraites une mission sur les droits familiaux dans la perspective du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
L'article 8 ter, tel qu'il est rédigé, entraîne des modifications significatives. Il faut travailler davantage sur ce sujet.
Mme Mathilde Panot, députée. - Nous proposons quant à nous de conserver l'ensemble des articles 8 ter à 8 decies, issus d'amendements de Laurence Rossignol au Sénat. Ils prévoient que la mère assurée sociale bénéficie d'au moins la moitié des trimestres de majoration de la durée d'assurance au titre de l'éducation de l'enfant, que le parent qui n'est pas la mère assurée sociale bénéficie de cette majoration uniquement s'il a pris le congé de paternité et d'accueil de l'enfant et que, en cas de désaccord sur la répartition du bénéfice des trimestres en question, cette majoration soit attribuée au parent ayant assumé principalement l'accueil de l'enfant et par défaut à la mère.
Ces mesures de partage de trimestres de majoration de la durée d'assurance au titre de l'éducation de l'enfant au sein du couple sont intéressantes. D'après l'étude de l'Insee Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d'évolutions en 25 ans ?, en 2015, les femmes en couple hétérosexuel effectuaient 71 % des tâches domestiques et 65 % des tâches parentales en 2010.
On nous dit qu'il faut y travailler un peu plus, que l'on ne connaît pas l'effet exact de ces mesures. J'ai l'impression que de nombreuses dispositions ont été adoptées sans que l'on en mesure les effets exacts. Les femmes, nous le savons, seront les perdantes de cette réforme. Réaffirmer certains principes garantissant à la mère assurée sociale au moins la moitié des trimestres de majoration est opportun.
M. Xavier Iacovelli, sénateur. - J'ai soutenu ces amendements en séance publique. Ayant pris note de l'engagement du Gouvernement et des rapporteurs de confier au Conseil d'orientation des retraites une mission sur les droits familiaux pour aller plus loin, je soutiens la suppression des articles.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - D'après l'étude citée par Mathilde Panot, les femmes réalisent chaque semaine huit heures de travail domestique de plus que les hommes. L'Observatoire des inégalités, dont les chiffres sont plus récents, évalue cette inégalité à dix heures hebdomadaires. Ce travail gratuit est accompli pour la société et pas uniquement pour le foyer. C'est un travail de garde d'enfants ou, pour parler comme Marx, d'entretien et de reconstitution de la force de travail. La réforme prive les femmes de la reconnaissance de ce travail que sont les trimestres supplémentaires. Elles pourront en bénéficier mais ils ne leur permettront pas de partir plus tôt en retraite.
Les amendements de Laurence Rossignol au Sénat sont de nature à éviter le transfert aux hommes des compensations et des avantages issus du fait d'être parent. Il s'agit d'une sorte de filet de sécurité pour les mères, d'une forme de rééquilibrage d'une inégalité structurelle au sein des couples. Il est essentiel de conserver ces amendements.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - Ces amendements sont les seuls, parmi les nombreux des trois groupes de gauche, qui aient été adoptés. Il serait pénalisant qu'aucun d'eux ne soit retenu. Je me fais la porte-parole de Laurence Rossignol : l'article 8 ter au moins, qui fixe un minimum de deux trimestres de majoration de la durée d'assurance au titre de l'éducation des enfants au bénéfice de la mère, ne pose aucun problème. C'est une mesure de protection des mères.
M. Olivier Marleix, député. - Je suis déstabilisé par le fait d'être d'accord avec Mathilde Panot et Sandrine Rousseau... Je trouve les amendements adoptés au Sénat intéressants, ce qui n'enlève rien au respect que je porte au travail des rapporteurs. Sur la question des droits familiaux, notamment de l'attribution de leur bénéfice aux femmes, la réforme laisse un goût d'inachevé. Nous devrions réfléchir à ce qui sortira de la présente commission mixte paritaire sur ce point.
M. Charles de Courson, député. - Le ministre Olivier Dussopt lui-même a reconnu qu'il n'y a rien, dans le texte initial, concernant les droits familiaux, alors que c'est dans ce domaine que l'inégalité est la plus considérable. Tel est le cas en matière de majoration de durée d'assurance, qui va de zéro pour les professions libérales à six mois pour les agents de la fonction publique et deux ans dans le régime général. Absurde ! S'agissant des majorations de pension, le Sénat a essayé d'améliorer les dispositions en vigueur en ayant conscience que son travail n'est pas satisfaisant - mais cela vaut mieux que rien. Quant à l'attribution des pensions de réversion, elle pose un énorme problème.
Le Gouvernement a saisi le COR pour examiner ces questions. Il faudrait que les groupes politiques s'engagent à les traiter dans une loi de financement de la sécurité sociale, avec l'accord du Gouvernement - pour ne pas nous heurter à l'article 40 de la Constitution.
Mme Raymonde Poncet Monge, sénatrice. - Je souhaite que soient au moins préservés les articles 8 ter et 8 sexies, assurant à la femme 50 % des trimestres attribués. Quelles que soient les mesures publiées par différentes instances, les pères ont toujours l'impression de faire la moitié du travail !
M. Sylvain Maillard, député. - Il y a un consensus pour avancer mais une question de droit européen se pose.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je suspendrai brièvement la séance une fois les prises de parole achevées.
M. Thomas Ménagé, député. - Un consensus semble se dégager ; l'avancée qui se dessine sera peut-être la seule de cette commission mixte paritaire. Je suis heureux que certains, y compris les rapporteurs, soutiennent, au-delà de ce qui a été négocié ces derniers jours, des évolutions positives. Je remercie les sénateurs qui avaient voté ces dispositions. Si nous pouvions parvenir à une avancée en faveur des femmes et des droits familiaux, ce serait une bonne chose.
M. Philippe Mouiller, sénateur. - Ces dispositions ont été votées à la quasi-unanimité au Sénat. Après expertise, il s'est avéré qu'elles soulevaient des questions du point de vue du droit européen. Le ministre Olivier Dussopt souhaitait renvoyer le sujet au Conseil d'orientation des retraites. Il serait bon de se donner quelques instants pour satisfaire, malgré ces deux éléments, la volonté collective qui s'exprime.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La commission des affaires sociales du Sénat avait émis un avis défavorable à ces dispositions. Puis la discussion en séance publique a fait évoluer les positions vers une unanimité.
Je rappelle que la répartition a été instaurée en 2010 parce que notre droit attribuant à la mère de famille huit trimestres - quatre de maternité et quatre d'éducation - n'était pas conforme au droit européen. Les trimestres de maternité sont restés à la mère, mais les trimestres d'éducation méritaient d'être partagés. N'oublions pas non plus que le but est d'associer les pères à l'éducation de l'enfant.
Enfin, seuls les salariés du privé sont concernés par la répartition de la majoration. Les fonctionnaires, qui ne bénéficient que de deux trimestres liés à la maternité, ne le sont pas. Si la commission des affaires sociales du Sénat avait émis un avis défavorable sur ces dispositions, c'est parce que nous pensons que l'ensemble des droits familiaux doit être revu - probablement dans le cadre du COR. Je rappelle que les droits de réversion sont traités dans treize régimes différents. Il faut une vraie réflexion pour harmoniser tout cela. Mais je suis ouvert à ce que vous allez proposer.
La réunion, suspendue à 15 h 50, est reprise à 15 h 55.
M. Sylvain Maillard, député. - La majorité présidentielle est favorable aux articles 8 ter et 8 sexies.
M. Olivier Marleix, député. - Je comprends que la refonte globale des droits familiaux souhaitée par le rapporteur du Sénat, mais il n'est pas envisageable que la commission mixte paritaire débouche sur un texte moins-disant en matière de droits des mères. Retenir les articles 8 ter et 8 sexies semble un bon point de départ.
M. Charles de Courson, député. - Il reste un point à trancher : quelle date d'application ? Je suggère le 1er janvier 2024 qui laisserait le temps d'ajuster les dispositifs dans la loi de financement de la sécurité sociale.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - La date d'entrée en vigueur est le 1er septembre 2023.
M. Charles de Courson, député. - Certaines caisses ne pourront s'y conformer. L'article le plus important est le 8 ter car il crée des droits pour ceux qui n'en ont pas, notamment les professions libérales. Pour le régime des libéraux, traite-t-on le flux et le stock, ou seulement le flux ? Il paraît difficile de ne pas traiter le stock. D'ici au 1er janvier 2024, nous nous laisserions le temps d'ajuster ce qui doit l'être, sinon c'est de l'affichage.
M. Philippe Vigier, député. - À partir d'un avis défavorable en commission des affaires sociales du Sénat, nous sommes parvenus à une construction largement consensuelle : c'est un beau message. Nous soutiendrons la démarche engagée.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Ma position a évolué en fonction des débats. Notre avis défavorable résultait de la perspective d'un renvoi au Conseil d'orientation des retraites. Je suis sensible aux arguments présentés et j'étais dans un état d'esprit consensuel. Mais on me dit qu'il est déjà trompeté sur les réseaux sociaux que les groupes de la NUPES auraient « arraché » à la commission mixte paritaire une mesure favorable aux femmes. Je veux bien que l'on s'approprie les choses ainsi mais, en réalité, nous essayons tous d'apporter une valeur ajoutée à ce texte ô combien difficile.
La date devrait être celle du 1er septembre. Il faudra laisser au Conseil constitutionnel le temps de l'analyse : je ne suis pas sûr que la réintroduction de ce genre de mesure puisse être acceptée. Dans cette optique, il convient que la mesure soit réservée aux nouveaux retraités afin qu'elle conserve un lien avec le nouveau dispositif.
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Nous étions d'accord : personne n'a arraché quoi que ce soit. Nous débattons, nous discutons, nous allons voter. Ce sont les débats qui ont permis cette avancée.
L'article 8 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.
Articles 8 quater et 8 quinquies
Les articles 8 quater et 8 quinquies sont supprimés.
Article 8 sexies
L'article 8 sexies est adopté dans la rédaction du Sénat.
Articles 8 septies et 8 octies
Les articles 8 septies et 8 octies sont supprimés.
Article 8 nonies
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit de maintenir à quatre le nombre de trimestres accordés aux parents, même en cas de décès de l'enfant avant sa quatrième année. Nous proposons de conserver cet article dans la rédaction du Sénat.
M. Charles de Courson, député. - Il y a un problème de coordination au dernier alinéa de l'article. Il faudrait harmoniser sa rédaction avec ce que nous avons précédemment décidé.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Favorable.
L'article 8 nonies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article supprime les dispositions empêchant la prise en compte des enfants décédés sans avoir été élevés pendant au moins neuf ans pour l'attribution aux parents fonctionnaires de la majoration de pension pour enfant.
L'article 8 decies est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 9
Mme Mathilde Panot, députée. - Nous proposons de supprimer cet article, ersatz de prise en compte de la pénibilité. En 2017, le Gouvernement a supprimé quatre critères de pénibilité - port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques et exposition aux agents chimiques dangereux. Seuls 10 000 salariés sur 24 millions ont un compte professionnel de prévention, et seulement 4 000 en retirent un léger bénéfice. Bref, la pénibilité n'est pas prise en compte dans notre pays.
Plus de 2 millions de salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité non reconnus. Ainsi les aides-soignantes ou les aides à domicile, qui portent régulièrement des gens, ou les caissières, qui finissent par porter une tonne dans la journée, ne voient-elles pas le port de charges lourdes leur être reconnu. Les coiffeuses ou les ouvrières du textile sont exposées aux agents chimiques. Si les accidents du travail diminuent pour les métiers exercés en majorité par des hommes, ils augmentent pour ceux à dominante féminine.
Comme le fait remarquer le sociologue Pascal Marichalar, si, pour parler du travail d'un ouvrier, on remplaçait le terme de pénibilité par « exposition à un risque cancérogène ou de brûlure », on rendrait la situation moins acceptable ! Nous sommes très défavorables au décalage de l'âge légal de départ à la retraite pour ces métiers.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je suis défavorable à la proposition de suppression. Le Sénat a souhaité maintenir l'âge de départ en retraite pour incapacité permanente à 60 ans. La rédaction que nous proposons prévoit un départ à 60 ans pour les personnes les plus affectées, qui présentent un taux d'incapacité supérieur ou égal à 20 %, ainsi qu'un départ deux ans avant l'âge légal pour celles dont le taux d'incapacité est inférieur à 20 %. Il est aussi proposé de réduire la durée de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, de dix-sept ans, à cinq ans.
S'agissant de la prévention des risques ergonomiques, le Sénat a adopté des dispositions bienvenues d'encadrement du Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, notamment par l'intervention des caisses d'assurance retraite et de santé au travail. Pour des raisons d'opérationnalité et d'efficacité, nous proposons de maintenir le périmètre initial du Fonds, conçu pour répondre aux enjeux liés à l'exposition aux facteurs de risques ergonomiques, non à l'exposition aux agents chimiques dangereux.
Le texte que nous proposons améliore l'articulation du suivi individuel renforcé en médecine du travail avec les rendez-vous de prévention, que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a créés, et les cellules de prévention de la désinsertion professionnelle. Cette proposition est issue d'amendements des députées Nadia Hai et Charlotte Parmentier, que nous n'avons pas pu examiner en séance à l'Assemblée nationale.
Pour ce qui concerne le compte professionnel de prévention, le texte que nous proposons conserve les ajouts du Sénat, notamment les incitations à recourir au dispositif à des fins de formation et de reconversion professionnelles. Elles s'ajoutent à celles prévues par le texte initial accélérant l'acquisition des droits pour les personnes exposées simultanément à plusieurs facteurs de risques et augmentant le maximum de points par la suppression du plafond de 100 points.
Quant à la prévention de l'exposition aux agents chimiques, elle doit être traitée par la réglementation, les normes et les sanctions au sein de l'entreprise. Nous ne souhaitons pas l'inclure dans le périmètre du Fonds.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - L'article est important pour nos concitoyens, notamment les salariés. La façon dont le projet de réforme aborde la pénibilité est problématique. Que le Gouvernement le veuille ou non, certains métiers sont dangereux. Parler d'usure plutôt que de pénibilité, ce n'est pas la même chose. La pénibilité porte sur le travail et ses conditions. Elle relève d'une responsabilité collective alors que l'usure professionnelle a trait aux corps des travailleurs, donc à une responsabilité individuelle.
Lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, l'exécutif avait supprimé par ordonnance quatre critères de pénibilité parmi les dix adoptés en 2015 : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l'exposition aux agents chimiques dangereux. Il est demandé à des Français exposés à des facteurs de risque autrefois reconnus de travailler plus. On est bien dans la démarche de demander à tous de travailler deux ans de plus.
Le Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle ne mentionne pas tous les critères de pénibilité retenus en 2017. Il sera doté de 1 milliard d'euros entre 2023 et 2027. Un fonds spécifique est également créé pour les établissements de santé et les établissements médico-sociaux. Le dispositif ne permettra pas d'éviter les coûts du relèvement de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, que la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques évalue à 1,8 milliard d'euros par an, en rentes invalidité et arrêts maladie. Dans cette réforme, vous comptez sur la médecine du travail pour compenser les effets de la pénibilité, mais où sont les médecins du travail qui devraient assurer le suivi individuel renforcé et améliorer l'ergonomie des postes de travail ? Leur nombre ne cesse de diminuer !
Nous soutenons donc la proposition de supprimer l'article 9. Pour nombre de nos concitoyens, la retraite est l'aboutissement d'années de souffrance. Leur demander de travailler deux ans de plus dans de telles conditions de pénibilité est inacceptable.
M. Charles de Courson, député. - À l'alinéa 3, le terme d'usure, qui renvoie à l'usure physique, témoigne d'une conception archaïque : nombre de nouveaux métiers sont responsables de céphalées plutôt que d'une usure physique. Il conviendrait plutôt de parler de pénibilité. Quant au Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, il serait préférable de dire qu'il est placé sous la responsabilité de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles. Enfin, des dispositions sont-elles prévues pour éviter les effets de seuil, autour des 20 % de taux d'invalidité ?
Mme Sandrine Rousseau, députée. - L'emploi du terme d'usure est un des éléments les plus choquants de la réforme. Ce terme renvoie à la solidité des corps, donc à la santé et à la force, et à la nécessité pour les travailleurs d'entretenir leur forme physique. Au contraire, la pénibilité est de la responsabilité de l'employeur, qui doit améliorer les conditions de travail et l'ergonomie des postes de travail. Parler d'usure gomme la responsabilité de l'employeur dans la détérioration de la santé des salariés. Au nom de quoi décidez-vous que les salariés sont usés ou non ? Nous soutenons la suppression de l'article.
M. Philippe Vigier, député. - La création du Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle est une bonne chose, surtout avec une dotation de 1 milliard d'euros. Il faudra en définir précisément les critères et le rôle des partenaires sociaux.
S'agissant des risques liés aux agents chimiques, l'exposition aux poussières et aux fumées est exclue du compte professionnel de prévention. Il importe qu'elle ne soit pas incluse dans le Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle car des mécanismes spécifiques existent déjà.
Mme Cathy Apourceau-Poly, sénatrice. - Il faut mettre les bons mots sur les maux. La pénibilité n'a rien à voir avec l'usure. Le Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle sera alimenté à hauteur de 1 milliard d'euros sur quatre ans, soit 250 millions d'euros par an. Or, le coût du report de l'âge légal de départ à la retraite est estimé à 1,8 milliard d'euros par an. Le Gouvernement aurait pu réintégrer les quatre critères de pénibilité supprimés par les ordonnances Pénicaud. Je regrette que le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l'exposition aux agents chimiques dangereux aient disparu.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Les risques ergonomiques ont été retirés du compte professionnel de prévention en 2017 parce qu'ils ne servaient à rien. Le Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, doté de 1 milliard d'euros, prendra en compte le risque ergonomique de façon plus individuelle, favorisera la reconversion et proposera des mesures de protection aux salariés exposés à ces risques ergonomiques. C'est un virage en faveur de la prévention.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le terme « pénibilité » s'emploie pour caractériser l'emploi, « usure » pour l'employé - ce sont les mots de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail. Nous avons conservé « usure » pour replacer le salarié au centre du dispositif. D'autre part, le seuil d'un taux d'incapacité de 20 % n'est pas, contrairement à d'autres, ajustable à la demande du salarié. C'est un seuil de reconnaissance médicale qui correspond au taux d'incapacité du salarié, déterminé par le médecin de la caisse d'assurance maladie. Cette disposition est une avancée voulue par les sénateurs.
Mme Raymonde Poncet Monge, sénatrice. - Les syndicats demandent la réintégration dans le compte professionnel de prévention des facteurs de risque qui en ont été enlevés. Le Fonds ne permet pas un départ anticipé à la retraite. Une aide à domicile pourra bénéficier de mesures de prévention, recevoir un exosquelette, suivre une formation mais elle ne pourra accumuler de points qui permettraient de partir plus vite à la retraite. Je laisse de côté les risques chimiques, à propos desquels la controverse persiste, mais je souhaite que les neufs critères soient réintégrés, aussi bien pour être éligible au compte professionnel de prévention qu'au Fonds. Vous pouvez regretter que le dispositif soit trop utilisé pour solliciter des départs anticipés mais la réalité est là : les gens qui ont accumulé des points dans le compte professionnel de prévention veulent partir ! Ils ne sont pas intéressés par le mirage d'une reconversion !
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Avec cet article, plus de salariés seront reconnus invalides qu'auparavant. Les organisations syndicales établiront une liste des métiers à risques ergonomiques. Les personnes qui les exercent bénéficieront d'un suivi médical individuel et d'une visite à 60 ans ou 61 ans au cours de laquelle le médecin du travail vérifiera si les conditions d'invalidité sont remplies et en avisera, le cas échéant, le médecin conseil de l'assurance maladie. Ce sont autant de personnes qui partiront à la retraite avant 64 ans.
M. Arthur Delaporte, député. - Je souhaite reprendre l'amendement déposé par les rapporteurs au Sénat, visant à intégrer, parmi les critères d'éligibilité au Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, celui de l'exposition aux agents chimiques dangereux. Pourquoi faire une différence entre risques chimiques et ergonomiques ? Soyez cohérents. Retirez-les tous, ou réintroduisez-les tous !
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il me semblerait anormal, par exemple, que le Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle finance les masques que doivent fournir les employeurs. Les employeurs doivent assumer leur responsabilité face aux risques chimiques.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Au Sénat, l'opposition n'a pas voté l'amendement qui visait à prendre en compte l'exposition au risque d'agents chimiques dangereux, et a fait de l'obstruction sur la question. Vous voulez à présent le réintroduire. Et c'est à nous que vous demandez de faire preuve de cohérence !
Nous avons été convaincus du fait que ce n'était pas sans doute pas le bon dispositif, d'autant plus que l'élargissement du périmètre du Fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle pourrait affaiblir son efficacité pour son objectif premier, la prévention des troubles musculo-squelettiques. Pas moins de 80 % des maladies professionnelles ou des accidents du travail sont liés à des troubles ergonomiques. Il nous a paru important de distinguer les actions de prévention des actions de réparation, que nous avons renforcées en permettant aux personnes atteintes d'un taux d'invalidité supérieur ou égal à 20 % de partir à la retraite dès 60 ans.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - L'article prévoit de revaloriser le montant minimal des pensions et de relever le seuil de récupération sur succession des sommes versées au titre de l'allocation de solidarité aux personnes âgées. Nous proposons de l'adopter dans sa rédaction issue du Sénat, assortie de plusieurs modifications d'ordre rédactionnel et de la fixation à 150 000 euros jusqu'au 31 décembre 2029 du seuil outre-mer, pour conserver le différentiel existant.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 10 bis
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Cet article a été introduit par le Sénat. Un amendement similaire avait été déposé à l'Assemblée nationale par Guillaume Vuilletet et Estelle Youssouffa, que nous n'avons pu examiner. Il revalorise les pensions liquidées avant le 31 août 2023 d'un montant forfaitaire de 50 euros et, lorsqu'elles sont liquidées à taux plein, d'un montant supplémentaire pouvant atteindre 100 euros selon la durée d'assurance. Il prévoit également de revaloriser les salaires portés au compte avant le 1er septembre 2023, servant au calcul du salaire annuel moyen permettant de déterminer le montant des pensions liquidées à compter du 1er septembre. Hormis quelques modifications rédactionnelles, nous proposons d'adopter l'article dans la rédaction du Sénat.
M. Charles de Courson, député. - Quelle est la portée de cette mesure ? Quel est son coût ? Combien de personnes en bénéficieront-elles ? Combien recevront-elles par mois ? Est-ce bien une mesure exceptionnelle ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Les données dont je dispose concernent les enseignants et font état d'un coût de 2 millions d'euros.
M. Charles de Courson, député. - Comment voter une disposition sur laquelle nous avons si peu d'éléments ? C'est par le Gouvernement qu'elle a été introduite au Sénat.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - En effet car si cette disposition n'avait pas été introduite par le Gouvernement, l'article 40 de la Constitution se serait appliqué. Son coût global s'élèvera entre 10 et 20 millions d'euros à l'horizon 2030 ; quelques milliers de personnes sont concernées à Mayotte.
M. Charles de Courson, député. - Pourquoi la majoration est-elle donc prévue « à titre exceptionnel » ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - En raison des différences apparues au fil du temps s'agissant du Smic. Il en est d'ailleurs de même du minimum contributif, qui devait se situer à 85 % du Smic depuis 2003 - tel n'a pas été le cas car la revalorisation a été indexée sur l'inflation. Nous avons proposé une revalorisation indexée sur le Smic et une mesure parallèle de rattrapage à Mayotte.
L'article 10 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article concerne la revalorisation de l'allocation de solidarité aux personnes âgées à Mayotte.
M. Charles de Courson, député. - Quel est le coût de cette mesure et combien de personnes sont-elles concernées ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Le coût est compris dans les 10 à 20 millions d'euros dont j'ai parlé : c'est un montant globalisé.
M. Arthur Delaporte, député. - Pourra-t-on en disposer avant le vote de demain ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je vous transmettrai les chiffres d'ici demain si possible.
L'article 10 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 10 quater
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Cet article important propose d'étendre aux professionnels libéraux la majoration de pension de 10 % pour les personnes ayant eu trois enfants.
M. Charles de Courson, député. - Quel est le coût de cette mesure et combien de personnes sont-elles concernées ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Il s'élève à 30 millions d'euros.
M. Charles de Courson, député. - À l'horizon de 2030 ? Cette mesure ne concerne-t-elle que le flux ou est-elle rétroactive ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La question est super... flue si je puis dire ! Vous savez bien que lorsqu'une pension de retraite est liquidée, on ne peut pas y revenir. Cela ne concerne que le flux. Et nous sommes en effet à l'horizon 2030.
L'article 10 quater est adopté dans la rédaction du Sénat.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit la prise en compte dans le salaire annuel moyen des vingt-cinq meilleures années des indemnités journalières versées dans le cadre des congés maternité ayant débuté avant le 1er janvier 2012, comme c'est le cas depuis cette date. Le coût de cette mesure est évalué à 40 millions d'euros à l'horizon 2030. Nous vous dirons demain combien de personnes sont concernées.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - Vous disiez, monsieur le rapporteur, qu'il n'est pas possible de revenir sur une pension de retraite dès lors qu'elle est liquidée. Qu'en est-il donc des fameux 1 200 euros ? On nous aurait menti ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La majoration obéit à des règles précises : au moins 120 trimestres cotisés, rémunération autour du Smic et carrière complète pour les retraités qui touchent actuellement moins de 85 % du Smic net. Ceux qui entrent dans le cadre du minimum contributif majoré sont concernés et, pour ceux qui ont cotisé pendant un nombre de trimestres plus faible, nous proposons une proratisation : pour les premiers, la revalorisation sera de 75 euros au maximum et pour les seconds, de 25 euros. Le rattrapage portera au maximum sur 100 euros, en fonction des carrières. Les pensions ne seront pas liquidées : on regardera si les carrières sont complètes et un prorata s'appliquera.
M. Philippe Vigier, député. - Je me réjouis de cette disposition qui profitera aux femmes ayant eu des enfants avant 2012.
L'article 10 quinquies est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 11
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - L'article prend en compte les trimestres de stages de la formation professionnelle dans les droits à la retraite et les réformes des modalités de cotisation des élus locaux. Pour les personnes qui liquideront leur pension à compter du 1er septembre 2023, il prend en compte les périodes de stages ayant pour finalité l'insertion dans l'emploi - les travaux d'utilité collective - dont les cotisations étaient prises en charge par l'État.
M. Charles de Courson, député. - Les élus locaux bénéficient de deux régimes, selon que leurs indemnités de fonctions sont inférieures ou supérieures à la moitié du plafond annuel de la sécurité sociale : en-dessous, ils n'ont droit à rien ; au-dessus, ils peuvent cotiser. Désormais, la cotisation sera possible mais optionnelle. Y aura-t-il rachat ou non ?
Mme Monique Lubin, sénatrice. - Suite à la création de ce droit à cotiser, comment seront financées les cotisations ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Les possibilités de rachat sont effectives. Le versement de cotisations sur ces indemnités donnera droit à des trimestres. Outre la cotisation salariale, il y a une cotisation patronale : la collectivité prend une partie à sa charge. Cela permettra de tenir compte de la situation des élus des petites communes, mais c'est une charge pour la collectivité. Il s'agira d'une option et non d'une obligation.
M. Charles de Courson, député. - Tout cela se fait dans le cadre du régime Ircantec pour lequel cela représentera un coût.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - En effet.
M. Éric Woerth, député. - La mesure s'applique lorsque l'indemnité est trop faible pour déclencher la comptabilité de trimestres, c'est bien cela ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Il s'agit en fait d'ouvrir pour la Caisse nationale d'assurance vieillesse cette possibilité qui existait déjà pour l'Ircantec.
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Cet article important fait notamment suite aux préconisations de la mission « flash » dont Paul Christophe et moi-même avons été les rapporteurs ; Mme Lubin a également travaillé sur les TUC. C'est le cache-sexe de la réforme : une mesure positive qui veut cacher la brutalité de la réforme dans son ensemble.
J'ai déposé une proposition de rédaction qui nous permettrait de vérifier que cette mesure n'a pas de conséquences négatives sur les anciens bénéficiaires des TUC et de faire le point grâce à un rapport remis par le Gouvernement.
M. Paul Christophe, député. - Je me réjouis moi aussi de l'adoption par le Sénat de cet article, à la suite de notre rapport. Près de 1,7 million de ces contrats avaient été signés.
S'agissant de votre proposition de rédaction, il ne me paraît pas nécessaire de l'adopter : je suis sûr qu'il y aura un droit de suite. Je serai heureux que nous poursuivions ensemble cette évaluation.
Même M. Martinez approuve cet article ! Nous réparons ici une injustice flagrante.
M. Hadrien Clouet, député. - Je salue à mon tour cette disposition. Nous soutiendrons aussi la proposition de M. Delaporte.
Je m'inquiète néanmoins du fait que cette mesure repose sur le volontariat. Comme d'habitude, le non-recours au droit sera important ; toute personne qui n'est pas au courant ou qui n'a pas conservé les documents nécessaires sera privée de ses droits. Une mission publique devrait se charger d'éplucher les archives des associations et surtout des collectivités, afin de viser l'ouverture de ces droits pour toutes les personnes concernées.
M. Arthur Delaporte, député. - Un communiqué de presse du groupe Les Républicains se félicite du fait que la commission mixte paritaire soit conclusive, « avec trois avancées majeures » ! Ai-je manqué un vote ? Est-ce un retour vers le futur ?
Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Vous communiquez vous-même beaucoup ! Revenons-en à l'article 11.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Avis défavorable à la proposition de rédaction de M. Delaporte.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article introduit par le Sénat prévoit une bonification de durée d'assurance pour les sapeurs-pompiers volontaires à partir de dix années de service, afin de mieux valoriser leur engagement. Nous vous proposons de conserver ce principe dans une nouvelle rédaction, qui renvoie à un décret les modalités pratiques d'attribution des trimestres.
M. Charles de Courson, député. - N'est-ce pas bizarre de renvoyer à un décret ? D'habitude, ce genre de mesure figure dans la loi. Un encadrement ne serait-il pas opportun ? Le Gouvernement a-t-il pris des engagements ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Oui, le Gouvernement a pris des engagements. La dépense prévue est d'environ 30 millions d'euros.
M. Sylvain Maillard, député. - C'est là une belle mesure, une vraie avancée, dont je regrette qu'elle n'ait pas pu être votée par l'Assemblée nationale. Le travail des pompiers est très difficile, nous le savons tous.
M. Philippe Vigier, député. - Notre modèle d'organisation des services de secours est une chance. Ce n'est pas un petit message que nous leur envoyons : exprimer sa reconnaissance, cela passe parfois par une revalorisation financière.
Mme Monique Lubin, sénatrice. - C'est une bonne mesure, mais elle sera à la charge des départements.
M. Charles de Courson, député. - Pourquoi renoncez-vous à la fixation dans la loi de la majoration du nombre de trimestres, votée par le Sénat ?
M. Philippe Vigier, député. - Cette majorité a plus que doublé la prestation de fidélité et de reconnaissance des sapeurs-pompiers volontaires, et ici nous améliorons la retraite des sapeurs-pompiers. Cela n'a pas été fait depuis trente ans, et il faut le dire !
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous voterons cet article, n'ayant pu le faire au Sénat en raison de l'utilisation de la procédure du vote bloqué par le Gouvernement.
M. Thomas Ménagé, député. - Nous avions déposé un amendement similaire, qui aurait fait l'unanimité à l'Assemblée nationale. Élu rural moi-même, je connais l'importance des sapeurs-pompiers volontaires. Je voterai pour cet article.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Il est proposé trois trimestres pour dix ans puis un trimestre tous les cinq ans.
Beaucoup de décrets sont prévus, et c'est légitime : ces mesures sont très complexes, car elles s'adressent à des personnes qui relèvent de régimes qui peuvent être très différents. Mais le Gouvernement nous a exposé son intention et a approuvé cet article - qui aurait, sinon, été frappé des foudres de l'article 40. Nous pouvons le voter sans état d'âme.
L'article 11 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 12
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Cet article crée une assurance vieillesse des aidants. Nous vous proposons de l'adopter dans la rédaction du Sénat, moyennant quelques modifications.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article prévoit notamment la constitution de droits à pension en cumul emploi-retraite et l'extension de la retraite progressive aux fonctionnaires et aux professionnels libéraux. Nous vous proposons de l'adopter dans sa rédaction issue du Sénat, assortie de modifications d'ordre rédactionnel.
L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 13 bis
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit de demander aux organismes de retraite de contacter tous les assurés qui ont plus de 45 ans et au moins dix années de cotisations, afin de leur proposer un entretien. Le rapport Causse-Turquois indiquait que ces personnes pouvaient le souhaiter en vue d'une possible évolution de carrière.
Nous vous proposons d'adopter cet article dans la rédaction du Sénat, moyennant quelques modifications, qui visent trois objectifs : bien cibler les assurés concernés ; étendre le bénéfice de cette disposition aux personnes qui ont dû interrompre leur carrière ; assurer la bonne information des Français résidant à l'étranger.
L'article 13 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article fixe au 1er septembre 2023 la date limite à laquelle le Gouvernement doit avoir publié le décret d'application des dispositions législatives prévoyant le recours à la biométrie pour le contrôle de l'existence des bénéficiaires de pensions françaises résidant à l'étranger. Nous vous proposons de l'adopter dans sa rédaction issue du Sénat.
M. Charles de Courson, député. - Est-ce de cette mesure que viennent les 200 millions d'euros supplémentaires que vous attendez de la lutte contre la fraude ?
Par ailleurs, est-elle constitutionnelle et compatible avec le droit européen ?
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La disposition ne nous semble pas poser de problème de constitutionnalité. Elle figure déjà dans une loi adoptée en 2020. Nous trouvons simplement que le décret d'application tarde à être publié ; c'est pourquoi nous souhaitons fixer une échéance au Gouvernement.
La mesure, dont le produit est estimé à 200 millions d'euros, porte sur le versement des pensions ainsi que de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), dont le bénéfice n'est désormais accordé qu'à partir de neuf mois de résidence au lieu de six. Nous parlons là d'une mesure de lutte contre la fraude tout à fait significative aux yeux de nos concitoyens. Par ailleurs, l'usage de la biométrie constitue une mesure de simplification pour les Français de l'étranger.
L'article 13 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 14 A
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Nous vous proposons d'adopter cet article introduit par le Sénat, qui vise à affilier les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, auxiliaires médicaux et directeurs de laboratoires privés d'analyse médicale résidant à Mayotte au régime de prestations complémentaires de vieillesse en vigueur en métropole.
M. Charles de Courson, député. - Cette mesure ne concernerait-elle que six personnes ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Elle concerne tous les professionnels de santé que j'ai cités.
M. Olivier Marleix, député. - L'ordonnance du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte prévoit déjà la mise en oeuvre des régimes complémentaires de retraite Agirc-Arrco et Ircantec dans cette collectivité. Or, depuis vingt et un ans, il ne s'est rien passé. Avez-vous pu évoquer ce problème avec l'exécutif ?
L'article 14 A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 14
Proposition de rédaction de M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet, député. - Après huit heures de discussions, nous parlons enfin de dispositions ayant leur place dans un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale !
L'Ondam est légèrement réévalué de 700 millions d'euros, mais cela signifie simplement que nous allons perdre moins. Si nous prenons en compte l'inflation constatée en 2022 et prévue pour 2023 - elle n'a pas fini d'augmenter -, il en résulte une baisse nette de 5,2 %. Dès lors, trois options sont possibles. La première consisterait à donner aux malades des médicaments périmés, par mesure d'économie : vous conviendrez tous qu'il convient d'écarter cette solution. La deuxième option serait de bloquer les prix des produits et prestations les plus sensibles, tels que les médicaments, les blouses ou les scalpels : cette solution me semble plutôt intéressante. La troisième possibilité serait de supprimer l'article 14 et d'adopter une trajectoire de dépenses qui suive l'inflation afin de garantir la stabilité du niveau net de dépenses et d'engagements dans les droits sociaux de nos concitoyens.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Il s'agit d'un article obligatoire dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale : je suis donc évidemment défavorable à cette proposition de suppression.
L'article 14 relève l'Ondam de 750 millions d'euros. Il ne faut pas comparer ce chiffre à celui des dernières années, marquées par la crise sanitaire : si l'on exclut les dépenses liées au covid, l'Ondam augmente bel et bien.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 14 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 15
Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte, député. - Les modifications apportées à l'article 15 visent les mêmes objectifs qu'à l'article 14 : elles souffrent donc des mêmes critiques. Par cohérence, nous demandons la suppression de cet article.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Avis défavorable. Voulez-vous vraiment supprimer 750 millions d'euros en faveur de l'hôpital et de la médecine de ville ?
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 15 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 16
Proposition de rédaction de Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau, députée. - Nous nous opposons à l'objectif de dépenses de la branche AT-MP proposé par le Gouvernement. Cette branche subit un prélèvement d'autant plus malvenu que les accidents du travail et les maladies professionnelles sont sous-déclarés. Aussi demandons-nous la suppression de l'article 16.
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous soutenons cette proposition de suppression de l'article 16, car ce dernier vient confirmer la volonté du Gouvernement de déresponsabiliser les employeurs en matière de protection et de prise en charge des accidents du travail et maladies professionnelles. Nous avons déjà déploré tout à l'heure l'emploi de l'expression « usure professionnelle », qui va dans le même sens. L'article 16 est clairement un cadeau fait aux entreprises, puisqu'il y est proposé une diminution de leurs cotisations AT-MP, qui représentent pourtant 97 % des recettes de la branche, en contrepartie d'une légère augmentation de leurs cotisations d'assurance maladie. Si cette tendance se poursuit, quelle sera la situation financière de la branche AT-MP dans quelques années ?
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Cet article étant obligatoire dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, je donne un avis défavorable à la proposition de suppression.
Chaque année, nous votons un transfert de crédits, de l'ordre de 1,2 milliard d'euros, de la branche AT-MP vers la branche maladie en raison de la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles. J'ajoute que la branche AT-MP sera très excédentaire dès l'exercice 2025 ou 2026 : elle n'aura donc aucun mal à assumer des charges supplémentaires.
Les arrondis présentés dans le tableau ne vous permettent pas de percevoir l'augmentation de 50 millions d'euros de l'objectif de dépenses pour 2023, dont 30 millions seront consacrés au fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 16 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 17
Proposition de rédaction de M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet, député. - Dans le même esprit que nos propositions précédentes, nous demandons la suppression de l'article 17.
Nous tenons à exprimer nos doutes quant au maintien de ces objectifs de dépenses dans le contexte actuel d'inflation, qui devrait plutôt vous inciter à revoir ces montants à la hausse.
Nous contestons également ce qui paraît être un fil rouge de votre texte, à savoir la perception de la branche famille comme un ennemi. C'est en effet dans cette branche que vous comptiez ponctionner les crédits permettant de financer le CDI fin de carrière. Qui souhaitiez-vous précisément mettre à contribution ? Vouliez-vous réduire les dépenses relatives aux allocations familiales, à la prime de naissance, à l'allocation aux adultes handicapés ou à la prime d'activité ?
Enfin, quelles sont les dépenses que vous estimez devoir être associées à la prime d'activité pour les cohortes qui seront maintenues sur le marché du travail du fait de votre réforme des retraites ? En d'autres termes, quelle sera la contribution de la branche famille à cette réforme lorsque les générations 1968 à 1972 seront concernées ? Nous n'avons pas encore obtenu de réponse à cette question pour le moment.
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - La suppression de cet article entraînerait la disparition des 5 milliards d'euros supplémentaires accordés à la branche famille par rapport à 2022.
Avis défavorable.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 17 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 18
Proposition de rédaction de M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet, député. - Nous demandons la suppression de l'article 18 relatif aux objectifs de dépenses de la branche autonomie, pour des raisons assez proches de celles que je viens d'exposer.
Je poserai la même question que pour la branche famille : quelle est votre estimation des surcoûts que cette réforme entraînera, à terme, pour la branche autonomie une fois qu'elle sera entièrement entrée en vigueur et que toutes les cohortes auront été affectées par le report de l'âge légal de départ à la retraite ?
Mme Corinne Féret, sénatrice. - Nous soutiendrons cette proposition de suppression. La branche autonomie est essentielle pour nos concitoyens. Je m'interroge sur le devenir de la grande loi sur l'autonomie qu'avait annoncée le Président de la République au cours de son premier mandat, et qui n'est plus du tout évoquée. Il y a pourtant de réels besoins en termes de prise en charge de nos aînés à domicile ou en établissement. Il faut également remédier aux difficultés de recrutement et au manque d'attractivité des métiers d'aide à domicile et d'aide-soignant en établissement, dans un contexte de vieillissement de la population. Les objectifs de dépenses sont insuffisants. Depuis la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, en 2020, il ne s'est rien passé, ce qui est très inquiétant.
Mme Élisabeth Doineau, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Avis défavorable sur la proposition de suppression.
L'objectif de dépenses de la branche autonomie inclut l'assurance vieillesse des aidants. L'année prochaine, aura lieu un transfert de 0,15 point de CSG de la Caisse d'amortissement de la dette sociale vers la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), ce qui lui procurera 2,3 milliards d'euros supplémentaires. La CNSA pourra ainsi financer la création de 50 000 emplois destinés aux établissements médico-sociaux et conduire des actions d'accompagnement au sein de ceux-ci.
Mme Cathy Apourceau-Poly, sénatrice. - S'agissant de l'Ondam, je rappelle que les 750 millions d'euros que nous avons votés représentent un demi-poste par Ehpad public, ce qui n'est pas la panacée. Nous sommes confrontés à un vieillissement sans précédent de notre société. Depuis plusieurs années, le Gouvernement nous promet une loi sur le grand âge et l'autonomie. Nous l'attendons toujours. Le budget proposé est absolument insuffisant. Nos aînés ne trouvent plus d'aides à domicile, car le métier n'est pas valorisé. Le Gouvernement et les parlementaires Les Républicains auraient pu accomplir un effort en ce sens.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 18 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 19
Proposition de rédaction de M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet, député. - Nous demandons la suppression de l'article, car vous ne prévoyez aucune évolution des charges du Fonds de solidarité vieillesse. Selon vous, les personnes qui sont en passe de liquider leurs droits ne modifieront pas leurs choix concernant la liquidation de leur pension et leur départ en retraite. Je me demande vraiment sur quoi repose cette hypothèse.
La hausse du minimum contributif (Mico) sera compensée par une baisse des aides personnalisées au logement (APL) et de l'Aspa. Cela se traduira, pour certains retraités, par une perte de pouvoir d'achat - l'APL devant diminuer de 12 à 14 euros pour une hausse du Mico de 10 euros. Quelqu'un percevant un minimum contributif de 13 733 euros annuels, une Aspa de 1 400 euros et des aides au logement d'un montant de 3 000 euros perdrait ainsi 500 euros annuels. Combien de personnes seront-elles perdantes ?
Mme Stéphanie Rist, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit d'un article obligatoire. Avis défavorable.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 19 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 20
Proposition de rédaction de M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet, député. - Nous demandons la suppression de cet article, car vous estimez que les dépenses d'assurance vieillesse ne seront pas affectées par notre vote. Or, les personnes concernées adapteront leur comportement en conséquence.
M. René-Paul Savary, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Cet article fixe les objectifs de la branche vieillesse pour 2023 à hauteur de 273,7 milliards d'euros. Nous vous proposons d'adopter la rédaction issue du Sénat.
La proposition de rédaction n'est pas adoptée.
L'article 20 est adopté dans la rédaction du Sénat.
La seconde partie du projet de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
*
* *
En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
La réunion est close à 17 h 30.
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs
Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs se réunit au Sénat le mercredi 15 mars 2023.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de Mme Sophie Primas, sénateur, présidente, de M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président, de Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat, et de M. Frédéric Descrozaille, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Permettez-moi tout d'abord de souhaiter la bienvenue à nos collègues de l'Assemblée nationale pour cette commission mixte paritaire (CMP) sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
Je crois que le travail parlementaire a, une fois encore, fait toute la preuve de son efficacité concernant cette proposition de loi, qui a été largement enrichie. Je salue la qualité du travail réalisé par les parlementaires des deux chambres, et ce quelle que soit leur appartenance politique. Seuls trois mois et demi se sont écoulés entre le dépôt de cette proposition de loi par M. Descrozaille et notre réunion d'aujourd'hui. J'y vois là la confirmation de notre volonté commune de parvenir à un juste rééquilibrage des forces au sein des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, qui plus est dans un contexte de forte inflation et de négociations toujours plus ardues. L'examen de ce texte aurait toutefois pu gagner en sérénité s'il n'avait pas été concomitant aux négociations annuelles.
C'est la troisième fois en cinq ans que nous sommes amenés à légiférer sur ce sujet, après la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, la loi Égalim 1, et la loi Égalim 2 en 2021. Je crois pouvoir parler au nom de tous ici en disant que ce n'est pas par fantaisie ou plaisir que nous le faisons, mais bien parce que les principaux acteurs de ces relations commerciales ne parviennent pas à s'entendre, ce qui nécessite l'intervention d'une forme d'arbitre. C'est d'ailleurs une spécificité française que nous pouvons regretter : dans les autres pays, les négociations se déroulent dans un climat, me semble-t-il, plus apaisé, et les pouvoirs publics ne sont pas obligés de préciser, à intervalle régulier, les règles du jeu.
Si ce texte comportait à l'origine un nombre réduit d'articles, les travaux législatifs ont conduit à y intégrer d'autres dispositions afin d'encadrer les promotions sur les produits non alimentaires et, plus encore, les pénalités logistiques, et de mieux protéger les matières premières agricoles dans les produits vendus sous marques de distributeurs (MDD).
Les réserves du Sénat sur l'efficacité du SRP+ 10 - le seuil de revente à perte - sont connues, et les rapports récents n'ont pas permis de les lever, bien au contraire. Toutefois, les différents apports à ce texte, qu'ils aient pour origine l'Assemblée nationale ou le Sénat, sont bienvenus et contribueront à mettre progressivement fin à la partie de poker menteur à laquelle se livrent industriels et distributeurs, et ce, de plus en plus souvent, sur la place publique.
Je rappelle qu'il ne peut y avoir d'accord partiel en CMP. Aussi, dans l'hypothèse où nous parviendrions à un accord final, celui-ci devra porter sur l'ensemble des articles du texte.
Les quelques divergences qui subsistent pourront, je l'espère, être dépassées, afin que cette CMP aboutisse à l'adoption d'un texte transpartisan et consensuel. Les concessions mutuelles sur lesquelles ont échangé nos rapporteurs sont de nature à dessiner une solution équilibrée, satisfaisante pour tous.
À la demande des rapporteurs, j'indique que l'examen des articles 2 et 3 est réservé à la fin de notre discussion.
L'examen de l'article 2 et de l'article 3 est réservé.
M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Je vous remercie, madame la présidente, de nous accueillir au Sénat afin que sénateurs et députés puissent trouver un accord sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, selon l'intitulé issu des travaux de la Haute Assemblée.
Je me félicite, tout d'abord, que nous puissions discuter d'un texte issu d'une initiative parlementaire, prouvant ainsi que tout n'est pas cadenassé par l'exécutif, comme certains aiment à le laisser entendre. Nos commissions respectives auront d'ailleurs l'occasion de travailler prochainement sur d'autres propositions de loi - je pense au texte portant sur la « zéro artificialisation nette » (ZAN) ou encore à une excellente proposition de loi visant à lutter contre l'occupation illicite des logements...
Dans le cas qui nous occupe, c'est notre collègue Frédéric Descrozaille qui a porté ce texte, s'inscrivant dans la lignée des lois Égalim 1 et Égalim 2. Avec Mme Anne-Catherine Loisier, ils nous rappelleront dans quelques instants les objectifs poursuivis et les évolutions que cette proposition de loi a connues lors de son examen par l'Assemblée nationale, puis par le Sénat.
Je voudrais affirmer ici l'absolue nécessité de donner à nos exploitants agricoles et à nos industriels de l'agroalimentaire les moyens de vivre décemment de leur travail et de préserver une production nationale. L'alimentation a un coût que l'on ne saurait brader !
Pendant des années, à l'Assemblée nationale et au Sénat, sur toutes les travées, nous avons déploré les faibles rémunérations des agriculteurs et dénoncé les pressions que la grande distribution impose aux industriels lors des négociations commerciales annuelles.
Certes, l'inflation affecte aujourd'hui le pouvoir d'achat des consommateurs, mais elle traduit aussi la hausse des coûts supportée par la filière. Si cette hausse ne peut être répercutée au nom d'une course au « toujours moins cher », ce sont tous nos producteurs nationaux qui en subiront les conséquences. Alors que nombre d'exploitants vont prochainement prendre leur retraite, il faut donner aux jeunes repreneurs l'espoir de pouvoir vivre convenablement de leur travail. Alors que nous préconisons la réindustrialisation et les circuits courts, il faut fournir à nos industriels des marges leur permettant d'investir, de rémunérer convenablement leurs salariés et d'embaucher.
Depuis 2017, nos deux commissions se sont retrouvées près d'une quinzaine de fois réunies en commission mixte paritaire. Nous n'avons échoué qu'à une seule occasion : lors de l'examen de la loi Égalim 1 ! Pourtant, cette loi a inauguré un changement de paradigme dans la construction des prix agricoles et, grâce à quelques ajustements postérieurs, nous pouvons désormais nous accorder sur le fait qu'elle a eu des effets positifs pour nos producteurs. Parvenir aujourd'hui à un accord permettrait d'oublier ce fâcheux précédent.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous sommes, une fois encore, réunis pour tenter de clarifier et de renforcer le cadre applicable aux relations commerciales entre industriels et distributeurs ; nous l'avons tous vu ces derniers temps, les tensions sont toujours présentes et certains n'hésitent pas faire l'étalage de leurs griefs respectifs sur la place publique, ce qui ne facilite pas la tenue de nos débats. C'est pour cette raison, rendue plus prégnante encore cette année avec le niveau d'inflation, que nous devons de nouveau assumer un rôle d'arbitre.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail des députés, au premier rang desquels bien entendu l'auteur et le rapporteur de cette proposition de loi, Frédéric Descrozaille. J'ai eu grand plaisir à travailler avec lui tout au long du processus législatif, et je souhaite vraiment le remercier pour son écoute et la qualité de nos échanges. Les solutions que nous avons trouvées ensemble sur un bon nombre d'articles témoignent de notre volonté commune de parvenir à un texte consensuel, au service de l'intérêt général.
Les dispositions de la proposition de loi initiale sont majeures. Je pense bien entendu au fait d'inscrire dans le marbre qu'une partie importante de notre droit commercial est d'ordre public et que nul ne peut espérer le contourner en s'installant à l'étranger ou en prétendant négocier sous un autre droit ; je pense également à la poursuite de l'encadrement des promotions sur l'alimentaire, ainsi qu'au fait de faire évoluer les modalités de transparence entre industriels et distributeurs.
Comme l'a rappelé la présidente, les doutes du Sénat quant à l'efficacité du SRP+ 10, et donc quant à la nécessité de prolonger cette expérimentation, sont connus. Aucun acteur, aucun rapport, n'a démontré à ce jour son efficacité réelle en matière d'amélioration du revenu des agriculteurs ; certaines filières sont même perdantes, mais nous y reviendrons. En tout état de cause, le Sénat a souhaité mettre en évidence cette carence, sans pour autant perturber le déroulement des négociations commerciales en cours. C'est pourquoi il a adopté la prolongation de l'expérimentation du SRP+ 10 jusqu'en 2025. Persiste toutefois une légère différence d'appréciation quant au traitement qui doit être réservé à la filière des fruits et légumes.
L'article 3 est un autre article majeur de la proposition de loi. Le constat sur lequel il se fonde est entièrement juste. Aujourd'hui, en effet, le droit est trop silencieux quant à savoir ce qui se passe durant un préavis de rupture déclenché en cas d'absence d'accord entre les deux parties au 1er mars. L'auteur et rapporteur a entièrement raison de rappeler que ce vide, déjà peu sécurisant en temps normal, devient franchement problématique en période d'inflation du coût des intrants supporté par l'industriel. Le droit actuel permet au distributeur d'exiger d'être livré, durant ce préavis, à l'ancien tarif, c'est-à-dire celui de l'année n-1. Or, dans certains cas, ce tarif est déjà devenu caduc, car il coûte bien plus cher de produire en 2023 qu'en 2022.
Il était donc nécessaire de clarifier le droit sur ce point, et je salue le souhait de M. Descrozaille de s'y atteler. La solution proposée par le Sénat diverge de celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, mais les deux rapporteurs sont animés par la même intention, à savoir qu'un fournisseur ne peut être contraint de livrer à perte.
Pour ce faire, le Sénat a adopté un dispositif qui évite trois écueils : l'obligation pour le fournisseur de livrer à l'ancien tarif, le risque de déréférencement des petites et moyennes entreprises (PME), et le risque de rupture d'approvisionnement, qui pourrait déboucher sur des rayons vides. Nous avons donc introduit dans le droit le fait que le préavis doit tenir compte des conditions économiques du marché. Ces conditions évoluant d'une année à l'autre, le distributeur ne pourra donc plus exiger l'application de l'ancien tarif.
Nous avons également prévu que, en cas de litige sur les conditions du préavis, le médiateur soit obligatoirement saisi pour trouver une solution consensuelle ; si cette médiation échoue, le juge devra tenir compte des recommandations du médiateur. Permettre à l'une des deux parties d'arrêter de livrer du jour au lendemain en cas de désaccord est porteur de risque, même si cette rupture intervient à l'issue d'une médiation. D'une part, le risque de rupture dans les rayons persisterait ; et, d'autre part, les distributeurs pourraient profiter de ce nouvel outil, à savoir la disparition du préavis, pour déréférencer sèchement et brutalement nombre de PME - de nombreux acteurs n'ont pas caché leurs craintes.
C'est la raison pour laquelle le Sénat a adopté une nouvelle version de l'article 3, qui nous semble la plus équilibrée possible, mais nous allons en débattre.
Je me félicite par ailleurs des nombreux consensus auxquels nous sommes parvenus, qu'il s'agisse de l'encadrement des promotions sur les produits non alimentaires, de la non-négociabilité des matières premières agricoles pour les produits vendus sous MDD, du cadre applicable aux pénalités logistiques ou de la pérennisation des conventions tripartites. Ces dispositions importantes et utiles sont de nature à améliorer grandement le cadre des relations commerciales et contribueront à une meilleure rémunération de nos agriculteurs.
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je tiens également à souligner sincèrement la qualité de nos échanges ; j'ai tout particulièrement apprécié le sérieux et l'exigence du Sénat sur ce texte. Je me félicite des avancées réalisées en séance sur l'encadrement des promotions sur les produits non alimentaires, sur les pénalités logistiques, sur la non-négociabilité des matières premières agricoles pour les produits vendus sous MDD. Au-delà des deux articles sur lesquels nous ne sommes pas encore parvenus à nous accorder, le corpus de dispositions adoptées est extrêmement attendu. La complémentarité des deux chambres fait honneur au travail parlementaire.
Permettez-moi de revenir sur trois points.
Le calendrier n'était pas idéal, j'en suis conscient. Je me félicite néanmoins que nous ayons pu débattre à l'abri de la fureur ambiante. Ce calendrier est lié, vous le savez, à la fin des expérimentations le 15 avril ainsi qu'à l'inflation - le terme est, selon moi, impropre, car nous ne subissons pas une hausse généralisée des prix qui porte atteinte à la valeur de la monnaie - ou, plutôt, à la flambée des prix. Nous avons su travailler en bonne intelligence. Même si la lutte contre la vie chère reste une priorité de l'action du Gouvernement, que nous soutenons, il importait que nous portions cette initiative qui permet à des entreprises de dégager suffisamment de résultats pour investir, mieux recruter et mieux rémunérer. Je me félicite que nous ayons avancé de manière constructive pour aboutir, je l'espère, à un consensus.
Permettez-moi d'évoquer l'article 2.
Je salue les débats que vous avez eus sur le SRP+ 10 et le message que le Sénat a envoyé aux acteurs ; nous pouvons partager vos réserves. J'insiste sur l'importance de faire part au Gouvernement et aux distributeurs de notre exigence de mieux connaître, en tant que parlementaires, l'utilisation et l'utilité de ce mécanisme. Je remercie le Sénat de prolonger l'expérimentation au moins jusqu'en 2025, car tous les fournisseurs ont indiqué que la fin de cette expérimentation leur serait directement préjudiciable - cela en dit long sur la négociation commerciale en France !
C'est pourquoi il importe de trouver un subtil équilibre entre le maintien de la liberté du commerce et le cadre légal dans lequel elle doit s'exercer.
La filière fruits et légumes pose question. Nous sommes fondamentalement d'accord pour lui permettre de se prononcer sur la possibilité de bénéficier ou non du SRP+ 10. Je suis défavorable au principe de mentionner dans un texte de loi une filière spécifique. En tant qu'ancien directeur général de l'interprofession des fruits et légumes frais, je puis vous dire que cela revient à détériorer le dialogue interprofessionnel. Lorsque l'une des quatorze personnes morales que comprend cette interprofession se voit court-circuiter parce que ses partenaires ne l'ont pas convaincue, elle sera moins bien disposée la fois suivante à négocier si le législateur intervient.
Concernant l'article 3, c'est un exercice délicat.
Nous pouvons converger sur l'objectif, mais le risque de déréférencement doit être absolument conjuré. La version adoptée par l'Assemblée nationale a fait au moins un mécontent bruyant, la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF). La version adoptée par le Sénat a également fait des mécontents, l'Institut de liaisons des entreprises de consommation (Ilec), l'Association nationale des industries alimentaires (Ania). Il convient de trouver une rédaction à mi-chemin entre les deux versions, afin de donner de la liberté aux acteurs, de conjurer le risque de déréférencement, tout en incitant les acteurs à trouver un accord avant la date butoir. Tel est l'objet de la discussion que nous allons avoir.
Pour conclure, je tiens à renouveler mes remerciements, car il a été humainement très enrichissant de travailler aux côtés de Mme la rapporteure.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Ce plaisir a été réciproque.
EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION
Article 1er
La proposition commune de clarification n° 1 des rapporteurs est adoptée.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 bis A (nouveau)
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous vous proposons de maintenir la rédaction telle qu'adoptée par le Sénat.
M. Dominique Potier, député. - La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a introduit une disposition visant à supprimer l'expérimentation en matière de convention tripartite.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Nous examinerons cet article dans quelques instants.
M. Dominique Potier, député. - Je me permets d'anticiper un peu.
Organiser une convention annuelle ou tripartite est une faculté ouverte dans les négociations commerciales. Les expériences en cours dans plusieurs filières spécifiques sont prometteuses. Le cas échéant, dans le cadre d'un projet de loi de finances, le législateur pourra décider de favoriser ce type de convention, qui nous semble exemplaire.
La proposition commune de rédaction n° 3 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 4 précise que l'interdiction de la discrimination tarifaire s'applique, au sein des relations commerciales, à tous les produits de grande consommation.
La proposition commune de rédaction n° 4 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 bis B est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 bis (supprimé)
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 5 maintient la suppression de l'article 2 bis, la demande de rapport relatif au SRP+ 10 qui doit être remis au Parlement par le Gouvernement ayant été introduite au sein de l'article 2.
Nous convergeons vers cette exigence à l'égard du Gouvernement et des distributeurs, que vous avez introduite, pour que nous ayons une fine connaissance de cette règle. La grande distribution n'a jamais répondu à toutes les questions que nous lui avons posées à plusieurs reprises. Nous avions précisé que ce rapport devait porter notamment sur la répartition des marges. La rédaction que vous avez adoptée diffère quelque peu, mais j'insiste sur le fait que nous avons besoin d'en savoir plus sur le fameux ruissellement pour vérifier si cette marge offerte aux distributeurs ne leur profite pas exclusivement. Telles sont les informations que le Gouvernement et les distributeurs doivent nous transmettre.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous avons le même objectif : nous précisons que nous souhaitons connaître l'usage des marges créées par le SRP+ 10.
M. Dominique Potier, député. - Le groupe Socialistes et apparentés a défendu certains points avec force. Nous avons des doutes sur la capacité de ruissellement du SRP+ 10. Le partage de la valeur nous tient à coeur. La rédaction adoptée par le Sénat me semble moins forte. Nous proposions que le Gouvernement remette au Parlement « avant le 1er octobre de chaque année un rapport évaluant les effets du présent article sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie. Ce rapport présente notamment les effets relatifs au seuil de revente à perte majoré et évalue la création de valeur résultant de cette mesure ainsi que sa répartition entre les différents acteurs concernés, filière par filière. » Nous prenions bien en compte les industriels. Or la rédaction actuelle ne parle que des distributeurs et des producteurs.
Si l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires est associé à l'élaboration des prix, comme nous le proposions, la rédaction de l'Assemblée nationale me paraît plus pertinente. J'y insiste, j'aimerais que cette rédaction soit prise en compte.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - L'impact du SRP+ 10 se traduira dans les relations entre le distributeur et l'industriel, et il est mesurable, en dépit de ce que disent les distributeurs. Dès lors que l'on saura comment le SRP+ 10 sera ventilé, on pourra en tirer des conclusions. L'objectif de clarification et de transparence des marges me semble rempli.
Aux termes de l'article 2, le rapport présente la part du surplus de chiffre d'affaires enregistré à la suite de la mise en oeuvre du SRP+ 10. Il détaille la part du chiffre d'affaires supplémentaire qui s'est traduite par une revalorisation des prix convenus entre les distributeurs et leurs fournisseurs, et celle qui s'est traduite par une baisse des prix de vente à la consommation par un reversement aux consommateurs.
La proposition commune de rédaction n° 5 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 bis est supprimé.
Article 2 ter A (nouveau)
La proposition commune, rédactionnelle, n° 6 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 ter A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 ter BA (nouveau)
La proposition commune de clarification n° 7 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 ter BA est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 ter B (nouveau)
La proposition commune de clarification n° 8 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 ter B est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 2 ter
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 9 vise à rétablir l'article dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale, et j'en remercie Mme la rapporteure. Cet article permet de pérenniser les dispositions de la loi Égalim relatives à l'expérimentation de labellisation des conventions interprofessionnelles alimentaires territoriales.
La proposition commune de rédaction n° 9 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 ter est adopté dans la rédaction de l'Assemblée nationale.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 12 vise à maintenir la rédaction de l'article telle qu'adoptée par le Sénat.
La proposition commune de rédaction n° 12 des rapporteurs est adoptée.
L'article 3 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 3 bis B (nouveau)
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition de rédaction commune n° 13 précise que la résiliation de la convention logistique n'entraine pas la résiliation de la convention unique. Même si je comprends les motivations de distinguer les deux conventions, il ne faut surtout pas porter atteinte au principe adopté lors de la loi Égalim 2 selon lequel les pénalités logistiques sont fondées sur un préjudice économique qui doit être prouvé et aucunement sur un manquement contractuel.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous adhérons à ce principe.
La proposition commune de rédaction n° 13 des rapporteurs est adoptée.
L'article 3 bis B est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 14 précise que la preuve du manquement justifiant l'application des pénalités logistiques par le distributeur doit être apportée au fournisseur dès l'envoi de l'avis de pénalité logistique, qui précède l'envoi de la facture.
Par ailleurs, concernant la possibilité pour le Gouvernement de suspendre l'application des pénalités logistiques en cas de crise affectant les chaînes d'approvisionnement, cette proposition de rédaction prévoit qu'une telle suspension soit édictée par décret en Conseil d'État, et non pas par arrêté ministériel.
La proposition commune de rédaction n° 14 des rapporteurs est adoptée.
L'article 3 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 15 maintient la rédaction de cet article telle qu'adoptée par le Sénat.
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - L'exposé des motifs évoque les clauses pénales qui figurent dans les contrats des grossistes. Ce n'est pas un retour sur le principe de droit adopté par la loi Égalim 2. C'est bien le préjudice économique du grossiste par rapport à son client qui justifie l'exemption des grossistes du champ d'application des articles relatifs aux pénalités logistiques. Il ne faudrait pas que les distributeurs se servent d'un exposé des motifs pour arguer que les clauses contractuelles permettent de prononcer des pénalités logistiques.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Je profite de l'occasion pour remercier nos collègues du travail réalisé sur les grossistes. Nous avions collectivement oublié quelques effets collatéraux de la loi Égalim 2.
La proposition commune de rédaction n° 15 des rapporteurs est adoptée.
L'article 3 ter A est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 3 ter
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 16 maintient la rédaction de cet article telle qu'adoptée par le Sénat.
La proposition commune de rédaction n° 16 des rapporteurs est adoptée.
L'article 3 ter est adopté dans la rédaction du Sénat.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition commune de rédaction n° 17 précise que la méthodologie employée par le fournisseur pour déterminer l'impact sur son tarif de l'évolution du prix des matières premières agricoles doit être transmise uniquement au tiers indépendant, et non au distributeur. Elle procède par ailleurs à quelques ajustements rédactionnels.
La proposition commune de rédaction n° 17 des rapporteurs est adoptée.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 4 bis A (nouveau)
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition commune de rédaction n° 18 maintient la rédaction de cet article telle qu'adoptée par le Sénat. Je salue cette pièce maîtresse de la loi d'autant que les MDD vont prendre de l'importance.
M. Laurent Duplomb. - Je rappelle que cela rejoint ce que Daniel Gremillet et moi-même disions déjà dans le cadre de la loi Égalim 1. Il est normal que nous finissions par faire entendre la voix de la raison !
La proposition commune de rédaction n° 18 des rapporteurs est adoptée.
L'article 4 bis A est adopté dans la rédaction du Sénat.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Il s'agit du champ d'application de la clause de révision automatique des prix dans les conventions entre fournisseurs et distributeurs.
La proposition commune de rédaction n° 19 des rapporteurs est adoptée.
L'article 4 bis est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 5
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. -L'Assemblée nationale avait prudemment évoqué une habilitation pour travailler à la création, qui est vraiment utile, du régime des grossistes dans le code de commerce.
J'ai une totale confiance dans le travail que le Sénat a réalisé sur ce point. Je me félicite que, plutôt qu'une habilitation, nous créions dans le dur la codification de ce nouveau régime.
La proposition commune de rédaction n° 20 des rapporteurs est adoptée.
L'article 5 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - L'article 6 concerne les marchés des céréales et prend en compte les spécificités des marchés de vente à terme : il prévoit de sortir les céréaliers de la clause de renégociation.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Je me souviens d'avoir eu ces discussions lors d'Égalim 2.
La proposition commune de rédaction n° 21 des rapporteurs est adoptée.
L'article 6 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Article 7
La proposition commune de rédaction n° 22 des rapporteurs est adoptée.
L'article 7 est adopté dans la rédaction du Sénat.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous proposons de maintenir la suppression de l'article 8, qui prévoit la remise d'un rapport devenu redondant avec le contenu de l'article 3 ter.
La proposition commune de rédaction n° 23 des rapporteurs est adoptée.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Je propose que les positions du Sénat et de l'Assemblée nationale soient présentées sur les articles 2 et 3. Il me semble qu'il y a quelques arguments à échanger à leur sujet...
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Sur l'article 2, il me paraît nécessaire d'échanger sur deux points.
La question se pose de distinguer les dates pour la reconduction des deux mesures expérimentales que sont le SRP+ 10 et l'encadrement des promotions. Il serait, de notre point de vue, plus cohérent de laisser la même date, à savoir 2026, même si j'ai compris pourquoi le Sénat retenait 2025.
S'agissant de la mention de la filière fruits et légumes, je répugne à arbitrer à la place d'une interprofession, qui est un interlocuteur de l'État. Nous en attendons beaucoup. Nous savons que, à l'intérieur de l'interprofession, le débat est très difficile et que ses quatorze membres ont du mal à se mettre d'accord. L'essentiel est de maintenir la possibilité, pour l'interprofession, de demander au ministre de déroger ou de se voir appliquer le SRP+ 10.
Si je ne conteste pas les études qui montrent que le SRP+ 10 a été payé par les producteurs par un « prix psychologique », il y a tout de même des acteurs, au sein de ces filières, qui contestent cette idée et revendiquent de pouvoir mieux commercialiser en bénéficiant du SRP+ 10 pour une partie des producteurs. Pour une partie des producteurs, le SRP majoré est, en quelque sorte, un effet du coefficient multiplicateur. C'est demandé de très longue date par une bonne partie du syndicalisme agricole.
En cela, je préférais que nous ne tranchions pas, en ne mentionnant pas cette filière dans le texte de loi, et qu'on laisse aux acteurs de la filière la responsabilité de juger de ce qui est préférable pour l'économie de cette filière.
Sur l'article 3, la version que je présente consiste à laisser la possibilité au fournisseur, en cas de désaccord au 1er mars, de choisir entre la protection du préavis, tel que défini à l'article L. 442-1 du code de commerce, ce qui permet de conjurer le risque de déréférencement que dénonçaient un certain nombre de PME, et le fait de ne pas être dans l'illégalité en arrêtant de livrer, ce que font un bon nombre d'industriels à l'heure où nous parlons, et pas seulement des multinationales - c'est aussi le cas de certaines entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ce choix laissé au fournisseur est une dissymétrie. Dans l'article que je vous propose, le distributeur ne pourrait pas invoquer l'article L. 442-1 pour profiter d'un préavis si son fournisseur arrête de le livrer parce qu'il n'y a pas eu d'accord.
Le risque constitutionnel que nous prenons au regard de l'égalité devant la loi et de la liberté contractuelle est, pour moi, très raisonnable. Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel permet de déroger à l'égalité de la loi avec une constance absolue lorsque l'intérêt général est évoqué. En l'occurrence, il l'est, puisqu'il s'agit d'éviter des déréférencements et des ruptures commerciales massives. Il permet aussi d'y déroger en cas de traitement différencié de situations différentes. C'est tout l'objet du livre IV du code de commerce. Évidemment qu'il existe des situations différentes entre distributeurs et fournisseurs ! C'est pour cela que nous nous penchons régulièrement sur le cadre légal de cette négociation. L'écart que représente un client ou un fournisseur dans le chiffre d'affaires d'une entreprise justifie qu'il y ait une dissymétrie dans l'approche de l'échec de la négociation et de ses conséquences sur la relation commerciale.
Pour terminer, la rédaction que je vous propose a le mérite de faire l'unanimité au sein des fournisseurs. Il n'y a plus de fédération de fournisseurs qui émette des réserves sur cette version.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Sur l'article 2 et la date de 2025, la stratégie du Sénat est de faire peser une réelle pression sur les distributeurs, puisque, depuis quatre ans, pour une somme estimée à près de 2,8 milliards d'euros, le SRP+ 10 n'est pas transparent. Pour nous, la date de 2025 incarne la continuité de cette volonté de mettre une pression sur le distributeur et de créer un rendez-vous qui soit le plus proche possible.
Sur la filière des fruits et légumes, nous pensons qu'il est nécessaire de légiférer, puisque l'interprofession ne parvient pas à s'entendre. Il y a, aujourd'hui, au sein de cette interprofession, un blocage pour la sortie d'un nombre de produits - on en connaît l'impact dramatique.
C'est en raison de ce blocage que nous avons renversé les choses : nous proposons de sortir l'intégralité de la filière et de laisser la possibilité à ceux qui le souhaiteraient d'entrer de nouveau dans le système du SRP+ 10. La liberté est donc bien donnée aux acteurs de l'interprofession.
Sur l'article 3, je vais redire la proposition du Sénat.
Imaginons qu'à fin février, il n'y ait pas eu d'accord entre les parties. Le Sénat a donc proposé aux parties de travailler sur un préavis de rupture. La proposition singulière du Sénat était de dire que ce préavis devait impérativement tenir compte des conditions économiques du marché, c'est-à-dire d'un certain nombre de paramètres tangibles, comme l'inflation, qui sont autant de garanties, pour le fournisseur, que la réalité de la conjoncture et de l'évolution des prix sera prise en compte, mais aussi intégrer l'évolution des matières premières agricoles.
Cette proposition s'inscrit dans le cadre d'une expérimentation de trois ans, durant laquelle, en cas de désaccord, les parties peuvent solliciter le médiateur pour conclure ce préavis.
En cas de succès de la médiation, le prix s'applique rétroactivement : on revient au 1er mars. Il n'y a donc plus aucun intérêt, pour le distributeur, à faire traîner la négociation, puisque, de toute façon, elle s'appliquera au 1er mars. En cas d'échec, les parties doivent négocier entre elles les conditions du préavis, en tenant compte, une fois encore, des conditions économiques du marché. Par conséquent, même dans la phase ultérieure, nous encadrons une fois de plus cette négociation dans le cadre des conditions économiques du marché. Et, si les parties ne parviennent pas à cet accord, le droit actuel s'applique : il y a recours au juge.
En séance, en raison des interrogations d'un certain nombre de fournisseurs et d'industriels, nous avons encore redéfini cette partie relative à la sollicitation du juge : nous faisons intervenir systématiquement le médiateur, préalablement à toute saisine du juge, pour éviter les pressions du distributeur. Le médiateur se positionnera lui-même en fonction des conditions économiques du marché et de l'évolution des matières premières agricoles. Et les conclusions du médiateur, si elles n'étaient toujours pas acceptées à l'issue de cette seconde phase de débat, devraient être prises en compte par le juge.
En fait, le Sénat cherche à positionner le curseur à un niveau d'équilibre qui répond à la crainte du déréférencement brutal des PME, qui ne souhaitent pas de rupture soudaine si elles n'ont pas la garantie de pouvoir continuer à livrer leurs marchandises.
La version du Sénat répond également à la crainte de l'industriel fournisseur, qui se demande à quel prix il sera entraîné dans un préavis : il est entraîné dans un préavis qui tient compte des conditions du marché, donc qui est, somme toute, équilibré.
Elle répond également à la crainte du distributeur, qui ne veut pas de rupture d'approvisionnement dans ses rayons.
La différence de curseur, c'est que nous cherchons le compromis pour les trois acteurs, en essayant de rétablir un équilibre, mais sans créer un déséquilibre dans un autre sens, qui serait, à notre avis, tout aussi préjudiciable.
M. Laurent Duplomb, sénateur. - Je ne prendrai pas position sur la date de 2025. La position du Sénat est peut-être meilleure, mais je ne pense pas que ce point fera échouer la CMP. On doit pouvoir arriver à trouver une ligne commune.
En revanche, sur le SRP+ 10 dans la filière des fruits et légumes, je considère que sortir de cette impasse est une obligation.
Faisons un peu d'histoire. C'est un amendement que j'ai déposé dans le cadre de l'examen de la loi Égalim 2 qui, à titre expérimental, avec l'accord du ministre de l'agriculture de l'époque, permettait à la filière de sortir du SRP+ 10. En effet, déjà en 2021, nous connaissions les problèmes de cette filière ; le SRP+ 10 se traduisait, pour elles, par une perte économique : le prix psychologique étant atteint, toutes les négociations aboutissaient à une diminution de leurs marges. Du fait de l'adoption de mon amendement, de 2021 à aujourd'hui, toutes les filières pouvaient en sortir, en cas d'avis unanime de l'interprofession.
Pendant des années, on a connu un jeu de dupes : la Fédération du commerce et de la distribution (FCD) a pris soin de ne jamais donner d'avis franc ni de s'abstenir, bloquant toute possibilité d'unanimité et d'accord, laissant les filières rester dans le SRP, alors qu'elles voulaient en sortir. Cela s'est traduit par des coûts extrêmement importants, avec des pertes annuelles de 30 millions d'euros pour la filière tomates ; 25 millions d'euros pour la filière pommes-poires ; 6 millions d'euros pour la filière carottes ; 4 millions d'euros pour la filière asperges ; 11 millions d'euros pour la filière melons ; 15 millions d'euros pour la filière fraises.
Je veux bien que l'on nous explique que l'on peut continuer à payer pour être tranquille - on leur donne déjà 600 millions d'euros, mais il faudrait leur en donner 91 millions de plus -, mais, à un moment donné, nous devons prendre nos responsabilités, et ne pouvons continuer d'ignorer, dans une naïveté coupable, qu'elles perdent de l'argent et laisser faire ces pratiques.
La seule solution que nous avons aujourd'hui est de tordre le bras de la FCD, de façon que, demain, ces filières puissent sortir de ce système par la loi.
Je dis, par exemple, à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), qui estime qu'il ne faut surtout pas toucher au SRP+ 10, que la solution que le Sénat propose permet à tous ceux qui en sont sortis d'y entrer de nouveau, si le résultat est contraire à celui qu'ils espéraient. Et comme la majorité présidentielle aujourd'hui ne souhaite pas sortir du SRP, je ne vois pas comment, par arrêté du ministre, on ne leur laisserait pas la possibilité d'y entrer de nouveau.
C'est la solution la plus aboutie, celle qui nous permettra de régler les problèmes.
J'ajoute, pour tous ceux qui croient que le SRP+ 10 crée un ruissellement phénoménal, qu'aucun rapport ne l'a jamais prouvé, et que le Sénat a peut-être même pu démontrer un peu l'inverse - d'où la suppression, en première lecture, du SRP. En voulant maintenir ce système, certains craignent peut-être que l'on démontre qu'il n'est pas aussi bénéfique que cela.
Concernant l'article 3, je ne prône qu'une chose.
La seule grande qualité d'Égalim 1 était peut-être son titre 1, qui fournissait la possibilité de rééquilibrer les relations commerciales, alors que le titre 2 a posé une multitude de contraintes supplémentaires à l'agriculture - on en voit d'ailleurs tous les effets aujourd'hui.
Je reste persuadé que, pour renforcer le pot de terre, il faut fendre un peu le pot de fer. À cet égard, je serai favorable à toutes les dispositions qui pénaliseront les grandes et moyennes surfaces.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Dans la limite du respect de la loi, bien entendu...
M. Grégoire de Fournas, député. - Je suis désolé de briser la solidarité de l'Assemblée nationale, mais, sur l'article 2, je me sens un peu plus sénateur que député...
Nous sommes pour la suppression du SRP+ 10, dans la mesure où nous n'avons pas pu prouver le ruissellement. Nous considérons que 600 millions d'euros par an qui sont pris dans la poche du consommateur et qui ne ruissellent pas au producteur, c'est autant d'argent qui sert la grande distribution. Pour ma part, je soutiens très clairement la date de 2025, parce que plus tôt on pourra revoir les choses, mieux ce sera.
Concernant la filière des fruits et légumes, j'avais regretté, à l'Assemblée nationale, que l'on ne puisse trouver de solution avant que le texte ne soit examiné par le Sénat. On ne peut sortir de cette CMP sans avoir une solution pour cette filière, qui est en train de mourir de ce SRP+ 10.
Nous avons beaucoup parlé des pressions. Le syndicat majoritaire dans l'agriculture fait du SRP+ 10 un dogme, une espèce de veau d'or. Certains considèrent que, dès lors que l'on ferait une dérogation pour une filière, même si elle est en train de mourir, on attenterait à ce dogme.
Je crois qu'il faut trouver une solution, et celle que propose le Sénat me paraît tout à fait satisfaisante parce qu'on laisse à la filière la possibilité de revenir dans le dispositif si elle le juge bon - au reste, ce n'est pas du tout l'état d'esprit dans lequel elle se trouve aujourd'hui. Je pense que nous avons tous été sollicités par cette filière : ils nous ont dit combien le SRP+ 10 avait été une catastrophe pour eux.
J'ai le sentiment qu'à l'issue de cette CMP on n'aura pas véritablement réglé le problème - ou, en tout cas, on va repartir sur un système qui n'a pas fait ses preuves. Je regrette que l'on parte du principe que l'augmentation du prix de vente au consommateur va forcément ruisseler vers le producteur, comme par magie, et que la réflexion sur les marges de la grande distribution ait été abandonnée. Peut-être n'avons-nous pas été assez hermétiques aux pressions des uns ou des autres, mais on semble considérer qu'il n'y a qu'une solution pour augmenter les revenus des agriculteurs : augmenter le prix pour les consommateurs.
Sur l'article 3, nous sommes parvenus à quelque chose de très compliqué. J'étais favorable à ce que l'on s'en tienne à la toute première version présentée en commission à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire à ce que l'on revienne sur les tarifs en vigueur.
J'avais proposé que l'on puisse distinguer les PME des multinationales, ce qui aurait permis de balayer l'objection, faite par les distributeurs, que les multinationales peuvent faire passer des hausses importantes, et de préserver le tissu industriel des PME dans notre pays.
Je me demande si nous ne sommes pas partis trop loin dans les contraintes, dans la limitation des effets de bord. Je serai peut-être isolé sur cette idée, mais il me semble que c'était une piste beaucoup plus intéressante et beaucoup moins compliquée.
M. Dominique Potier, député. - Je soutiens la version défendue par l'Assemblée nationale et par Frédéric Descrozaille.
Nous devons nous interroger sur le fond : qu'est-ce qu'une économie où nous pourrions, sur l'ensemble des produits, acter le principe d'une revente à perte ?
On pourra toujours discuter de la durée de l'expérimentation ou encore du pourcentage, mais le principe du SRP+ doit être acté, et on doit isoler la dérogation pour les fruits et légumes, qui est indispensable, en raison de spécificités de saisonnalité et de mise en marché.
Il me semble que la proposition défendue par notre collègue permet d'atteindre l'équilibre. La banalisation d'une toute-puissance des interprofessions pourrait amener à la fin du SRP+ et aux effets qui en sont attendus, si tant est que l'on se donne les moyens de vérifier son ruissellement, non seulement vers les industriels, mais aussi vers les producteurs.
Nous avons été attentifs, depuis le débat en commission, au pouvoir de déréférencement des grandes marques et des multinationales, qui pouvaient avoir un effet de bord sur les PME.
Il me semble que la complexité de la rédaction qui a été mise en oeuvre a justement pour objet de protéger les uns des autres et à atteindre l'objectif que nous visons. Il ne faut pas avoir peur de la finesse de la rédaction : ce n'est pas une complexité pour rien. Elle vise à tenir compte des différences de rapports de forces dans la mise en marché.
M. Daniel Gremillet, sénateur. - Le Sénat a une position continue sur le SRP+ 10. Je me réjouis à l'idée que cette CMP puisse apporter une solution à la filière des fruits et légumes, qui permettra, dans les prochaines années, de démontrer que quelque chose ne colle pas dans le SRP+ 10. Expérimentons-la !
Le président de cette filière, que nous avons auditionné, nous a dit qu'il y avait unanimité. Moins de douze heures après, l'interprofession s'est réunie, et la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), contrairement à ce que le président pensait, n'était pas favorable...
Depuis que l'on y a intégré la distribution, les interprofessions n'ont plus la même connotation d'organisation professionnelle.
C'est pourquoi je suis heureux de cette initiative et du fait que nous puissions trouver ce compromis sur les fruits et légumes. Vous verrez que cela nous permettra de cheminer. Je vous donne presque déjà rendez-vous pour Égalim 4 !
M. Jérôme Nury, député. - Je souscris aux propos du sénateur Laurent Duplomb, notamment sur la filière fruits et légumes.
Il ne faut pas non plus que l'on verse à chaque fois dans le juridisme exacerbé. Le législateur est là pour essayer de régler les problèmes de manière très concrète et avec bon sens.
On voit bien que la seule solution est de pouvoir introduire cette dérogation dans la loi, puisque l'on sait que les acteurs de la filière ne peuvent pas s'entendre, notamment à cause des représentants de la grande distribution. Nous devons prendre nos responsabilités, et il me paraît, sur ce point, relativement simple de le faire.
Les propositions qui ont été faites par le Sénat vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
En revanche, sur l'article 3, la version de la Haute Assemblée ne me rassure pas tellement. On a beaucoup essayé de rééquilibrer entre l'agroalimentaire et l'agriculture, mais il y a tout de même un rééquilibrage à faire entre l'agroalimentaire et la grande distribution. À cet égard, la version du Sénat semble avoir été écrite dans le monde des Bisounours...
Les conclusions du médiateur seront-elles réellement reprises par le juge ? C'est tout à fait hypothétique. Et qui va aller devant le juge ?
Il me semble que la proposition de notre collègue Frédéric Descrozaille nous permet de rééquilibrer les choses et de faire en sorte que la grande distribution, qui est aujourd'hui maître du jeu, le soit un peu moins, et que les transformateurs, notamment toutes nos PME, qui sont aujourd'hui énormément pourvoyeuses d'emplois sur nos territoires ruraux, puissent être préservés : il ne faut pas qu'ils perdent, du jour au lendemain, 30 à 40 % de marchés globaux d'une entreprise, parce qu'ils ne savent pas comment faire face !
Nous devons être attentifs à protéger les PME et les ETI, qui créent souvent beaucoup plus d'emplois que les très grands groupes, pour lesquels le rapport de force sera toujours favorable face à la grande distribution. Pensons à ces petites PME !
M. Franck Montaugé, sénateur. - J'ai écouté attentivement les arguments développés par MM. Descrozaille et Duplomb sur l'article 2. Je comprends qu'il y ait une forme de stigmatisation de la filière fruits et légumes, et j'entends les difficultés que cela peut poser à l'interprofession. Toutefois, je m'interroge sur les conséquences du ciblage de cette filière, dont j'entends bien qu'elle a des spécificités au regard de l'équité de traitement législatif entre filières. Je me pose la question de l'inconstitutionnalité éventuelle du dispositif. N'ouvre-t-il pas la voie à un contentieux pour d'autres filières, qui souhaiteraient se soustraire au SRP+ 10 ? Il ne faudrait pas qu'au bout du compte cela déconstruise complètement le dispositif auquel on aspire pour progresser collectivement.
Sur l'article 3, je m'interroge aussi sur le risque d'inconstitutionnalité.
M. Pascal Lavergne, député. - Je veux saluer les conditions de travail qui sont les nôtres : l'éloignement des caméras, du bruit et de la fureur nous permet de travailler dans des conditions sereines, avec plus d'agilité et de manière beaucoup plus sincère.
Sur l'article 2, nous devrions pouvoir aboutir à une solution. Je sens, de part et d'autre, la volonté de faire aboutir quelque chose de positif. Le monde agricole en a grandement besoin.
Concernant l'article 3, étant moi aussi agriculteur, je souhaite que l'on puisse inverser la tendance, lourde, que l'on observe depuis de longues années. Pour reprendre une expression paysanne triviale, « il faut que les mouches changent d'âne » ! Or j'ai l'impression que l'on n'est pas en train de les faire changer.
J'ai un peu peur de la version qui prévoit la possibilité de revenir sur des prix de la négociation passée, alors que l'on est dans des phases de hausse. En outre, je trouve cette version un peu fragile. Elle conduit à une judiciarisation de la situation, qui m'inquiète un peu.
M. Laurent Alexandre, député. - Ne pas exclure du SRP+ 10 les fruits et légumes, c'est servir le seul intérêt de la grande distribution, et surtout pas celui des producteurs.
Nous avons rencontré différents producteurs des différentes filières. Il serait très dangereux de maintenir la filière des fruits et légumes dans le SRP+ 10. Nous voterons pour cette exclusion.
Mme Anne-Laure Babault, députée. - Je remercie M. Descrozaille d'avoir engagé ces échanges.
Pour ma part, j'ai négocié de nombreuses années avec la grande distribution - pour les PME et les ETI notamment. Je connais donc les box des négociations des centrales.
L'intérêt du SRP+ 10 reste à confirmer - les industriels sont convaincus de l'intérêt de la mise en place de ce dispositif -, mais je suis pour son maintien.
Concernant l'article 3, je suis favorable à la proposition de Frédéric Descrozaille, qui protège les PME - ce n'était pas le cas au départ. La proposition de Mme Loisier est encore un peu trop tendre face au déséquilibre notable qui existe. Celle de M. Descrozaille a le mérite d'avantager clairement les PME et les ETI.
M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Je souhaite être certain de bien comprendre ce qui se passe dans les deux scénarios.
Imaginons que je sois producteur de veau Marengo à Chartres, en lien avec la distribution, et que nous n'ayons pas réussi à nous mettre d'accord au 1er mars.
Dans votre version, madame la rapporteure pour le Sénat, la solution est une phase de négociation sur le préavis de rupture avec le médiateur. La médiation a vocation à parvenir à un accord sur le préavis qui fixerait des prix et une durée de préavis, avec un prix rétroactif qui commencerait au 1er mars. Que se passe-t-il si la médiation est un échec ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - On retombe dans le droit commun.
M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - En tant que producteur de veau Marengo, je suis toujours tenu de livrer du veau à la grande distribution. Si je n'arrive pas à répercuter, par exemple, l'augmentation du coût de matière, à quel prix vais-je livrer à la grande distribution ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - C'est la raison pour laquelle nous avons, en séance publique, ajouté une étape : si le producteur s'estime lésé, il peut de nouveau saisir le médiateur pour avoir un arbitrage extérieur et ne pas être sous la pression du distributeur, les conclusions du médiateur tenant également compte des conditions économiques du marché.
De la même manière, ces conclusions, si elles étaient appliquées, seraient rétroactives au 1er mars. On reviendrait donc sur le contrat, sur décision du juge. Si l'on ne parvient pas à trouver un accord au terme de la première phase de discussion et de médiation, le fournisseur a la possibilité de saisir le juge. Au reste, cette possibilité existe déjà ! J'entends parler de judiciarisation, mais on peut déjà saisir le juge. Ce n'est pas nouveau.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Contrairement à ce que j'ai pu entendre dans les couloirs de Bercy ou de l'Assemblée nationale, la proposition faite en séance au Sénat ne conduit pas à une judiciarisation supplémentaire, car il est déjà possible aujourd'hui pour les deux parties d'aller devant le juge.
En séance, on nous a objecté que cela prendrait trop de temps, que le juge n'y connaissait rien et que ses conclusions, en termes de préavis et de prix, seraient approximatives. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé un référé, pour avoir une décision plus rapide, et que nous avons, en cas de procédure judiciaire, exigé un avis de la médiation, afin que celle-ci puisse éclairer le juge.
Naturellement, pendant cette fausse période de préavis, l'industriel peut livrer et être payé aux conditions d'avant. Le jugement porte sur l'écart entre les conditions précédant le 1er mars et les nouvelles conditions, et tout sera rétroactif au 1er mars.
M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Pour le producteur de veau Marengo à Chartres, il me paraît un peu compliqué de se repérer dans la négociation...
Comment le producteur peut-il en sortir le plus vite possible si la relation avec la distribution se passe mal, son interlocuteur ne voulant répercuter aucune hausse ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Si le fournisseur estime qu'il est lésé, il peut décider de lui-même de rompre les relations et d'arrêter la livraison. Le distributeur va alors saisir le juge, qui pourra prendre en compte les conditions économiques du marché, que nous inscrivons noir sur blanc dans la loi.
Il y aura donc un temps de débat et de discussion, qui peut être économiquement difficile à supporter pour le fournisseur, mais, au final, ce dernier aura gain de cause.
Nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours ! Tout le monde sait bien ici que personne ne veut la rupture. Les cas de rupture de relations sont très rares, parce que toutes les parties sont amenées à travailler ensemble dans la durée. Rares sont les fournisseurs qui veulent se fâcher durablement avec leurs industriels.
La rupture brutale est une idée de poker menteur : il s'agit de faire peur pour être satisfait. Toutefois, rares sont les entreprises, aujourd'hui, qui peuvent aller à ce rapport de forces avec les distributeurs. C'est cette quinzaine d'entreprises qui justifie que l'on débatte de la rupture.
La grande majorité des entreprises arrivent à trouver un accord avec le distributeur, même si c'est encore plus difficile cette année, parce qu'elles ne veulent pas casser le lien.
M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Par parallélisme, je pose les mêmes questions au rapporteur pour l'Assemblée nationale.
Si l'on n'a pas d'accord au 1er mars, le fournisseur, et lui seul, a le choix : soit il considère qu'il ne peut pas y arriver, ses coûts de production ayant explosé ; soit il demande l'application d'un préavis, conformément à la loi existante actuelle ; soit il saisit un médiateur, qui fixe lui-même les conditions d'un préavis de rupture. Pouvez-vous me confirmer que le producteur a ces trois options sur la table ?
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Oui.
La principale différence, qui nous fait diverger depuis le début, est que, dans la version que je propose, je sécurise juridiquement la décision d'arrêter la livraison. Aujourd'hui, ceux qui arrêtent de livrer sont en situation d'illégalité. Ils s'appuient, en ce moment, sur la non-discrimination pour essayer de se justifier.
Je veux d'ailleurs souligner que, dans le travail qu'a fait le Sénat, la rétroactivité et la mention des conditions économiques de marché sont des apports considérables qui satisfont complètement les parties. Il est absolument vrai que personne ne veut rompre. Tout le monde veut vendre. Mais à quelles conditions ?
À cet égard, orienter l'article 3 sur une dualité médiateur et juge ne me paraît pas valable. On n'en sortira pas de cette façon.
Il est très important de se rappeler que la liberté du commerce prévaut, que les acteurs doivent se mettre librement d'accord sur ce qu'ils veulent et que nous ne faisons que poser le cadre légal. La loi donnera plus de poids au fournisseur dans la négociation. En outre, ceux qui veulent vraiment s'arrêter seront sécurisés juridiquement, alors qu'ils ne le sont pas aujourd'hui.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur. - Le dispositif du Sénat n'est pas source de judiciarisation : les textes prévoient d'ores et déjà le recours au juge. Combien de fois ce recours au juge a-t-il été enclenché ?
On peut imaginer que la capacité de l'industriel à mettre fin à la relation prévue par le dispositif de Frédéric Descrozaille ait potentiellement un effet inflationniste. On rééquilibre le bras de fer, mais cela ne va-t-il pas conduire à des prix excessifs ?
En droit, est-on vraiment à l'abri sur le plan constitutionnel ?
Nous avons tous un objectif similaire, mais les voies d'y arriver sont différentes. Il faut arriver à tout bien peser. Nous sommes dans la dentelle.
M. Pascal Lavergne, député. - Dans la version du Sénat, on impose, pendant la période de transition, un mode de rémunération qui met l'industriel en difficulté. Cela me gêne. La proposition de Frédéric Descrozaille me paraît plus rassurante.
Il faut vraiment que le rapport de forces s'inverse aujourd'hui. Voilà des années qu'il est favorable à la grande distribution. Une forme de peur s'est installée, au point que certains envisagent le déréférencement.
Mme Anne-Laure Babault, députée. - Nous allons tous dans le même sens, celui de la protection de nos entreprises. C'est déjà très positif.
Je remercie d'ailleurs le Sénat, qui a maintenu l'un de mes amendements, visant à tripler l'amende en cas de non-accord. Vous avez même ajouté une disposition en cas de récidive. Cela montre bien que nous allons dans le même sens.
Néanmoins, la pression sur les entreprises est telle aujourd'hui qu'une entreprise ne saisira pas un médiateur et le juge. Je crains que l'on ne dise que les parlementaires sont hors sol.
La proposition de Frédéric Descrozaille est beaucoup plus concrète. Elle donne la possibilité d'un choix.
Cela pose vraiment la question du modèle que nous voulons. Souhaitons-nous soutenir des multinationales ou des PME ? La proposition de Frédéric Descrozaille permet de protéger les deux. Pour moi, cette proposition est la bonne.
M. Thierry Benoit, député. - J'ai présidé une commission d'enquête sur les négociations commerciales il y a quelques années. Nous avons fini par comprendre que les négociations dites « commerciales » entre les industriels transformateurs et la grande distribution sont plus des négociations juridiques qu'autre chose.
Malheureusement, on parle peu du produit, on parle peu de la valeur créée et on parle peu du partage de la valeur.
Sur le sujet des négociations commerciales, nous voulons, aujourd'hui, travailler à un rééquilibrage. Les grands groupes viennent avec leur batterie de juristes face à la grande distribution, et tout ce petit monde se bataille.
L'enjeu de la décision que nous avons à prendre est de protéger les entreprises de taille intermédiaire, les entreprises familiales, qui font silence et n'attaqueront jamais en procédure judiciaire le secteur de la grande distribution. Un transformateur n'attaque pas son client !
Les travaux que nous avons menés en commission, puis dans l'hémicycle, ont conduit à une rédaction qui permet un vrai rééquilibrage.
Je souhaite que la commission donne la main au maillon transformation, parce que le secteur de la grande distribution, les centrales d'achat leur mènent la vie très dure depuis trop longtemps - depuis que l'on a travaillé à la loi de modernisation de l'économie -, au nom de la guerre des prix. Cela a créé beaucoup de dégâts et détruit beaucoup de valeur, au détriment du maillon en amont - les agriculteurs.
J'aimerais donc que les sénateurs puissent converger vers la proposition de Frédéric Descrozaille.
M. Daniel Gremillet, sénateur. - Nous sommes tous conscients que les grandes entreprises ont l'arsenal pour discuter. Le travail qui a été fait par notre rapporteure pour le Sénat a beaucoup plus ciblé les entreprises de taille moyenne, les petites entreprises agroalimentaires, qui sont vraiment le tissu très important dans nos territoires. Ce sont celles qui ont le plus pâti de la situation.
Les petites entreprises n'ont pas la capacité de décider une rupture brutale avec un client qui représente un tiers de leur marché. Elles ne peuvent pas se le permettre. Sinon, ce serait aussi une rupture brutale pour l'écoulement des productions. Il ne faut pas oublier non plus que le texte concerne aussi les producteurs, les paysans. On sait aussi ce qu'il coûte à une entreprise de revenir de nouveau sur le marché avec un client qu'elle a abandonné brutalement. À cet égard, les travaux du Sénat me paraissent un peu plus équilibrés.
Depuis le début, le Sénat martèle que l'on n'apportera pas de vraie réponse à la question du revenu des agriculteurs tant que l'on sera en période inflationniste.
Je reviens sur le système déflationniste à l'article 3. Notre rôle, en tant que parlementaires, est d'imaginer que cela fonctionne tant dans un système inflationniste que dans un système déflationniste.
Beaucoup d'entreprises ne savent pas vivre avec un choc d'inflation tel que celui que nous avons connu. Cela peut faire peser un risque sur les petites entreprises, alors qu'on veut les protéger.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Je veux dire à nos collègues députés que la défense des PME et du tissu économique territorial n'est pas l'apanage de l'Assemblée nationale. Nous y sommes, ici, extrêmement attentifs. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons fait évoluer l'article 3, en particulier au profit des PME et ETI.
Bien évidemment, j'entends l'argument sur les centrales d'achat et le déséquilibre qui existe. C'est un déséquilibre de marché. Je remercie Frédéric Descrozaille d'avoir écrit l'article 1er, qui traite en partie de ce problème.
Je vois d'autres sujets arriver sur les centrales d'achat, notamment celui de la coordination des calendriers entre les décisions prises en centrales d'achat européennes et la date du 1er mars. Nous ne l'avons pas traité dans ce texte, mais je pense que, à un moment ou à un autre, il faudra y revenir, car j'entends, sur le terrain, que ces décalages de calendrier créent des difficultés.
Ne proposer qu'à un seul des deux contractants un pouvoir supplémentaire pose un problème de dissymétrie juridique, qui met en péril les équilibres fondamentaux du code de commerce. Je comprends le déséquilibre du marché, avec quatre ou cinq centrales d'achat face à une myriade de fournisseurs. Mais nous prenons un risque juridique et une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut être déposée.
Par ailleurs, on constate aujourd'hui des arrêts de livraison par des PME et par des grandes entreprises. Dans ce cas, il appartient au distributeur de saisir le juge ; le distributeur d'une PME ne le fera pas. Tel est mon sentiment. Dans cette période de négociation extrêmement difficile que nous traversons, certaines grandes entreprises iront au clash.
J'ai le sentiment que cette disposition donnerait au distributeur une arme redoutable pour un déréférencement massif des PME au profit des MDD. Les conditions de négociation seront tellement insupportables que les PME arrêteront les livraisons et le distributeur, sans aucune contrepartie et sans préavis, sera débarrassé des marques dont il ne veut plus. Telle est ma conviction profonde.
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - J'apprécie la qualité de la discussion que nous avons.
Une PME pourra toujours invoquer l'article L. 442-1 du code de commerce et le régime actuel s'appliquera. J'entends votre conviction, mais je ne partage pas ce risque de déréférencement.
L'acteur que nous avons tous auditionné plusieurs fois et que vous avez écouté plus que nous encore est aujourd'hui très content de la version que je propose. Il conduira la négociation en sachant qu'il est protégé par l'article L. 442-1.
Je ne vous rejoins pas sur le risque inflationniste. Cette loi est faite pour permettre aux industriels de mieux faire passer leur hausse de tarifs, je l'assume. Les industriels n'ont aucun regard sur la péréquation des marges que font les distributeurs ; nous connaissons tous des exemples effarants d'industriels qui ont des marges allant jusqu'à 30 % sur des produits qui se vendent bien, mais la grande distribution a systématiquement des marges beaucoup plus importantes.
Les industriels ne vont pas profiter de cette loi pour augmenter leurs prix de manière inconsidérée. Les distributeurs peuvent jongler entre les produits pour fluidifier le marché. On est dans un contexte où tout le monde veut vendre.
Quant au risque constitutionnel, il existe, aucun juriste sérieux ne pourrait prétendre le contraire. Il est certain qu'une QPC sera déposée si cette version est adoptée. Mais notre argumentation est étayée. Nous créons une dissymétrie dans la loi parce qu'il y a une dissymétrie avérée dans la réalité. Nous légiférons dans l'intérêt général, nous parlons de l'ordre public économique et de l'écart structurel de situation entre l'acheteur et le fournisseur. Surtout, Alain Lambert m'a appris que les parlementaires ne prennent pas assez souvent de risque constitutionnel. Nous sommes dans notre rôle ; il reviendra au Conseil constitutionnel de trancher. Ne faisons pas son travail avant qu'il ne le fasse ! D'un point de vue politique, nous devons prendre ce risque.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Ce débat est très intéressant. Dans l'objectif de rééquilibrage des relations commerciales, deux stratégies sont possibles, mais toujours en vue de faire peur à l'autre partie. D'ailleurs, peu de recours sont formés devant le juge, qui est la menace finale. La rupture unilatérale, nous l'avons souligné, présente un risque juridique réel. Pour notre part, nous ne sommes pas rassurés par l'absence de positionnement des services de l'État sur le sujet.
Par ailleurs, on ne peut pas ignorer aujourd'hui l'impact inflationniste.
Dans notre option, nous privilégions la continuité des relations. Nous préférons voir comment il est possible de rééquilibrer le rapport de force. Quoi que fasse le distributeur, il se retrouvera confronté aux conditions économiques du marché ; il ne pourra donc plus faire pression sur le fournisseur pour vendre à perte.
Oui, nous sommes tous sensibles à l'ordre public économique, mais il s'appuie aujourd'hui sur une sécurisation des relations commerciales au travers du préavis.
Enfin, notre option s'inscrit dans un schéma inflationniste, mais aussi déflationniste. Nous espérons que nous sortirons rapidement de cette période d'inflation.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Je vous propose une suspension de séance.
La réunion, suspendue à 11 h 20, est reprise à 11 h 35.
M. Frédéric Descrozaille, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ma proposition de rédaction n° 11 bis maintient l'idée que les fournisseurs pourront choisir entre demander l'application d'un préavis, en vertu de l'article L. 442-1, ou mettre fin aux livraisons. Nous prévoyons une expérimentation pour une durée de trois ans. En outre, la saisine du médiateur en cas de désaccord au 1er mars sera possible pour conclure un accord fixant les conditions d'un préavis de rupture, et ce afin d'éviter que les distributeurs ne détournent la loi et profitent de l'ambiguïté pour avoir un mois supplémentaire pour négocier.
J'ai intégré les dispositions adoptées par le Sénat en reprenant le critère de respect « des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties » et la rétroactivité au 1er mars de l'accord sur le préavis défini ou sur le préavis conforme à l'article L. 442-1.
Je maintiens la référence à l'obligation de mener de bonne foi les négociations commerciales, une notion extrêmement forte du code civil.
Je fais appel à votre sens du compromis en vous proposant cette nouvelle rédaction de l'article 3 et en maintenant la version proposée par le Sénat s'agissant de l'article 2.
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous sommes tombés d'accord sur cette réécriture de l'article 3. Il nous importe qu'une modalité d'application d'un préavis soit prévue pour tenir compte des conditions économiques du marché, des matières premières agricoles et qui encadre les relations avec le distributeur dans un système plus équilibré, avec une rétroactivité au 1er mars. La question porte donc uniquement sur le préavis de rupture ; aucune négociation ne peut se poursuivre au-delà du 1er mars.
Concernant l'article 2, la rédaction adoptée par le Sénat sera maintenue. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre esprit de dialogue.
Mme Sophie Primas, sénateur, présidente. - Nous restons sur notre réserve quant au SRP+ 10, comme nous l'avons toujours été, avec l'espoir, sincère, d'avoir tort...
Article 2 (précédemment réservé)
La proposition commune de rédaction n° 2 des rapporteurs est adoptée.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 3 (précédemment réservé)
La proposition de rédaction n° 11 bis du rapporteur pour l'Assemblée nationale est adoptée.
L'article 3 est ainsi rédigé.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
La réunion est close à 11 h 40.