Mercredi 15 mars 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 11 h 00.

Proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitat non-décent - Examen de l'amendement de séance

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons un amendement de séance sur la proposition de loi visant à mieux protéger les locataires bénéficiant d'une allocation de logement et vivant dans un habitant non-décent.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT DE SÉANCE

Article unique

Mme Micheline Jacques, rapporteur. - L'amendement n°  1 de M. Lagourgue vise à restreindre l'application du dispositif proposé au seul territoire de La Réunion pour une durée limitée, à titre expérimental. Mon avis est défavorable pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées la semaine dernière.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

Mission d'information sur la viande in vitro - Examen du rapport d'information

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous allons à présent examiner le rapport d'information consacrée, selon son appellation initiale, à la « viande in vitro », dont Olivier Rietmann et Henri Cabanel sont les rapporteurs. Je leur donne donc la parole pour qu'ils nous présentent leur rapport et leurs propositions. Je donnerai ensuite à chacun l'occasion de s'exprimer.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Merci Madame la Présidente. Mes chers collègues, avant d'aborder la question passionnelle de la « viande in vitro », ou plutôt des aliments cellulaires, je voulais commencer par rappeler l'état d'esprit dépassionné dans lequel la mission d'information a abordé cette question.

Quand j'ai proposé à Sophie Primas d'organiser une audition sur le sujet, je ne savais pas encore qu'elle se transformerait en une mission d'information avec Henri Cabanel. J'avais en revanche, en tant qu'ancien éleveur et engraisseur, quelques idées bien arrêtées à l'égard de cette innovation. Nous aurions donc pu nous contenter de dresser un réquisitoire contre les aliments cellulaires. Cette solution de facilité m'aurait d'ailleurs épargné quelques réflexions. Toutefois, il ne m'a pas semblé que c'était notre rôle. La question dépasse le fait de savoir s'il faut se positionner pour ou contre les aliments cellulaires puisque la décision de l'autoriser ou non nous échappe en tant que parlementaires.

Nous nous sommes plutôt donné comme objectif d'étudier les perspectives de développement des aliments cellulaires et les conséquences, bien sûr négatives mais aussi potentiellement positives, que ce développement pourrait avoir au regard d'objectifs identifiés comme stratégiques pour la société : la création de richesses, l'autonomie protéique, la souveraineté alimentaire, une alimentation accessible et de qualité, la santé, la nutrition ou encore le climat et la gestion de l'eau...

Pour que les deux déplacements sur le terrain et la quarantaine d'auditions menées soient productifs, il fallait aborder le sujet de façon technique et sans a priori, en mettant de côté nos opinions personnelles. Cela ne signifie pas que je n'ai pas conservé un avis personnel sur la question, bien au contraire, mais que je me suis efforcé de réfléchir en tant que législateur et non en tant que consommateur. L'intérêt de cette démarche est qu'une critique ne vise jamais aussi juste que lorsqu'elle est appuyée sur des faits plutôt que sur des demi-vérités ou des approximations.

J'en viens à notre rapport, qui compte une centaine de pages et se veut très documenté. Il contient même certaines informations qui n'étaient pas publiquement disponibles auparavant et auxquelles certains chercheurs n'avaient pas accès.

Notre constat s'articule en deux temps. Sa première partie présente de façon descriptive de quoi il s'agit, en répondant aux questions : qui, quoi, où, quand, comment et pourquoi. Sa seconde partie vise à vérifier le réalisme - ou non - des promesses des entreprises du secteur, dans une logique comparative avec l'élevage.

Forts de ces constats, nous formulons vingt-deux recommandations, regroupées en quatre axes, dans la perspective de « maîtriser la technologie pour mieux l'encadrer » - c'est le titre du rapport.

Le premier de ces axes consiste en un appel à intensifier les recherches sur les aliments cellulaires pour prendre des décisions en toute connaissance de cause.

Il s'agit là de l'un des enseignements majeurs auxquels a abouti l'audition plénière du 8 février dernier : chez les plus sceptiques, dont vous étiez pour la plupart, comme chez les promoteurs des aliments cellulaires, un consensus s'est dessiné pour accroître nos connaissances sur le sujet, tant les inconnues restent nombreuses.

J'en citerai deux exemples. D'abord, la composition du milieu de culture reste un secret de fabrication jalousement gardé par les entreprises.

Ensuite, bien que le GIEC ait souligné son potentiel de décarbonation, l'impact environnemental de la production à l'échelle industrielle d'aliments cellulaires en analyse de cycle de vie est calculé à partir d'extrapolations.

Un effort doit donc être mené dans la compréhension du produit et des procédés en tant que tels. Sans nécessairement reproduire l'ensemble des travaux des entreprises, une unité mixte de recherche au sein de l'Inrae et du CNRS pourrait être dédiée à la maîtrise des techniques de l'industrie cellulaire et à une plus large diffusion des aspects les plus méconnus de ses procédés de fabrication.

Sur le modèle d'Israël et des Pays-Bas, cette infrastructure publique constituerait, du reste, un avantage compétitif pour les entreprises françaises, renforçant nos chances de ne pas perdre pied dans la compétition mondiale pour la maîtrise de la technologie, et nous évitant de tomber dans la dépendance vis-à-vis de grandes entreprises étrangères.

Face aux nombreuses incertitudes qui demeurent au sujet des aliments cellulaires et de leurs conséquences sur la société, il n'en reste pas moins essentiel de procéder à une évaluation socio-économique, environnementale et éthique de la diffusion des aliments cellulaires. C'est pourquoi, comme l'a proposé le chercheur Jean-François Hocquette, nous demandons formellement à ces organismes de recherche une expertise scientifique collective (ESCo) pour, au-delà de la question du comment, nous poser la question du pourquoi.

Cet effort de recherche serait toutefois vain si les plus de cent entreprises qui développent ce produit dans le monde ne jouaient pas le jeu de la transparence. Un tel principe paraît d'autant plus justifié que ce secteur, dont on a parfois l'impression qu'il veut laver plus blanc que blanc, fait des préoccupations écologiques un argument commercial majeur.

En matière de sécurité sanitaire, l'EFSA oblige désormais les entreprises opérant en Europe à l'informer du lancement de toute nouvelle étude relative aux risques sanitaires, afin d'éviter la rétention d'informations et la sélection des données les plus favorables. Nous proposons de transposer cet impératif de transparence de la santé à l'environnement, en imposant la communication des données en analyse de cycle de vie aux autorités environnementales (en France, à l'ADEME) dès le stade des ateliers-pilotes et surtout lors des premières étapes de l'industrialisation.

Ces efforts de recherche et de transparence permettront d'éclairer la décision des pouvoirs publics et de forger une position interministérielle plus cohérente qu'aujourd'hui sur l'industrie cellulaire. Illustrant les hésitations des pouvoirs publics, le ministère chargé de l'agriculture, en la personne de MM. Denormandie et Fesneau, s'est fermement opposé aux aliments cellulaires. Cependant, dans le même temps, Bpifrance a financé à hauteur de près de 15 millions d'euros les deux entreprises françaises actives dans ce secteur, Vital Meat et Gourmey, au titre du soutien à l'innovation.

Afin d'éviter un stop-and-go contre-productif, nous demandons au Gouvernement soit d'élaborer un livre blanc dédié à l'industrie cellulaire, soit d'intégrer celle-ci dans la stratégie nationale protéines végétales (qui inclut déjà les insectes). L'idée, à travers ces documents, n'est ni d'être pour ni d'être contre les aliments cellulaires, mais d'inviter les pouvoirs publics à mener une réflexion d'ensemble sur les différentes sources de protéines actuelles et futures. Cela devrait permettre en particulier de mettre la lumière sur la fermentation de précision, une technique moins médiatique mais beaucoup plus avancée que la production d'aliments cellulaires, pour produire par exemple la caséine du lait ou le blanc de l'oeuf, en lien, déjà, avec de grands groupes laitiers tels que Bel.

Tant que ces efforts de recherche (expertise scientifique collective) et de réflexion (livre blanc sur l'industrie cellulaire) n'auront pas été menés, la mission appelle à se montrer prudent et à ne pas exclure par principe le financement de l'innovation dans ce secteur, que ce soit par des subventions publiques ou des concours. Dans cette période transitoire, les financements doivent être octroyés au cas par cas, selon des critères d'opportunité. Procéder autrement reviendrait à s'auto-infliger une perte de chances dans la compétition mondiale pour la maîtrise d'un produit qui risquerait d'être commercialisé malgré tout par des entreprises étrangères.

Enfin, nous avons pu mesurer que nos travaux intervenaient encore un peu tôt dans le développement des aliments cellulaires : c'est frémissant, mais cela ne bouillonne pas encore. C'est pourquoi nous proposons de réaliser un droit de suite à ce rapport d'information, un an après les premières demandes d'autorisation déposées sur le bureau de l'EFSA, à un moment où les pouvoirs publics seront amenés à se prononcer.

Je donne à présent la parole à mon collègue Henri Cabanel qui va successivement vous présenter les axes 2 et 3 de nos recommandations.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Madame la Présidente, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier Olivier de m'avoir associé à cette mission et saluer la passion qu'il a mise au service de cette dernière. Il m'a totalement happé sur un sujet que, jusqu'alors, je regardais de loin.

À travers de telles missions, nous avons la chance d'effectuer un travail en profondeur qui nous amène à la réflexion et, aujourd'hui, à la présentation de ce rapport.

Je vais désormais présenter l'axe deux, qui vise à consolider la procédure d'autorisation de mise sur le marché des aliments cellulaires. Il faut rappeler que partout dans le monde, la commercialisation requiert une autorisation de mise sur le marché fondée sur une évaluation de la sécurité sanitaire des produits. À ce jour, seule Singapour a autorisé des bouchées de « poulet cellulaire », en 2020, tandis qu'aux États-Unis, où l'autorisation a lieu en deux temps, seule la première étape a été validée.

Au sein de l'Union européenne, aucun dossier n'a encore été déposé. L'autorisation devra suivre une procédure réglementaire centralisée, définie dans le règlement européen de 2015 dit « nouveaux aliments ». C'est la Commission européenne qui est compétente pour autoriser tout « nouvel aliment » (c'est-à-dire non consommé avant 1997, comme les insectes ou l'alimentation cellulaire), après avis de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Les États membres s'expriment à la majorité qualifiée dans le cadre de la « comitologie », mais ils ne disposent pas individuellement d'un droit de veto. Autrement dit, si l'autorisation est donnée, elle est valable sur l'ensemble du marché intérieur, y compris dans les pays où elle aurait été refusée.

Tant qu'une telle autorisation n'est pas donnée, on peut s'appuyer sur l'amendement de l'ancien député Julien Aubert à la loi « Climat et résilience », qui exclut les aliments cellulaires de la restauration collective - cantines scolaires et administratives, EHPAD, prisons... Nous proposons d'aller plus loin en réaffirmant plutôt dans la loi le principe de l'interdiction de toute commercialisation, en restauration collective ou non, tant que le produit n'est pas autorisé dans le cadre du règlement européen « nouveaux aliments ».

En revanche, il serait cohérent de clarifier le droit existant sur les « dégustations » d'aliments cellulaires qui ont lieu aujourd'hui, mais qui se situent dans une zone grise juridique. Elles devraient pouvoir être autorisées dans un cadre réglementé.

S'agissant de la procédure prévue par le règlement « nouveaux aliments », la mission a identifié deux pistes intéressantes pour la consolider.

D'abord, nous souhaitons instituer une notification automatique des commissions chargées de l'alimentation au Parlement européen et dans les parlements nationaux (en France, la commission des affaires économiques) pour l'autorisation de mise sur le marché de tout nouvel aliment. Il n'est pas normal que les Parlements ne soient à aucun moment associés ni même informés dans ce processus qui laisse la Commission et les États membres en tête-à-tête.

Nous voudrions aussi une analyse systématique des risques sanitaires des nouveaux aliments par l'Anses, en plus de l'évaluation de l'EFSA au niveau européen. La France connaît une certaine aversion au risque. Aussi ce doublon ne serait pas de trop. Cet avis consultatif permettrait d'éclairer les débats, sans concurrencer le travail remarquable de l'EFSA.

Enfin, si en Europe, une autorisation de mise sur le marché de tels produits ne sera vraisemblablement pas donnée avant 2025, ce ne doit pas être un prétexte pour agir comme si le sujet n'existait pas. Il est urgent de travailler dans les deux prochaines années, au moins préventivement, à façonner des standards français et européens avant que ce produit n'arrive dans nos assiettes. Préparer l'arrivée éventuelle de ce produit sur le marché ne signifie pas la souhaiter, mais agir de façon responsable.

Cela suppose de forger un cadre réglementaire plus strict pour la production d'aliments cellulaires sur le territoire national et de pousser pour son adoption au niveau européen.

Nous pourrions en particulier acter les progrès des entreprises en instituant un moratoire sur l'utilisation du sérum foetal bovin dans les milieux de culture entrant dans les processus de production alimentaire.

Afin de limiter la concentration des risques sanitaires, nous pourrions également étudier l'opportunité de définir par voie réglementaire un volume de bioréacteurs au-delà duquel la production serait taxée (par exemple à partir de 25 000 litres), pour favoriser une production plus décentralisée.

J'en viens maintenant au troisième axe, qui vise la bonne information des consommateurs par des règles de dénomination et d'étiquetage claires.

Pour commencer, nous vous devons, je pense, une explication sur le choix du vocable « aliments cellulaires ». En effet, par abus de langage, le produit est appelé dans le langage courant « viande artificielle », « viande cellulaire », « viande de culture » voire « viande propre » - nous-mêmes avions choisi « viande in vitro » au début de nos travaux.

Il s'agit, selon les entreprises du secteur, de « produits d'origine animale, issus de cellules animales », avec la seule différence que « la viande grossit en dehors de l'animal ».

Or les entreprises sont encore aujourd'hui en phase de recherche et développement et sont loin de prétendre, en termes de texture du produit, égaler la viande issue de l'élevage.

Des trois destinations possibles des aliments cellulaires - pièce de viande entière, hybride avec des analogues végétaux ou ingrédient pour l'industrie agroalimentaire -, les deux dernières sont les plus probables pendant au moins plusieurs années.

Autrement dit : l'entrecôte à base de cellules n'est pas pour demain.

C'est pourquoi nous proposons d'interdire la dénomination commerciale « viande » sur les emballages des produits, car elle serait trompeuse pour le consommateur. Il faudra donc s'accorder collectivement sur un terme qui devra être utilisé à la place de celui de « viande ». Le livre blanc que nous demandons devra s'atteler à cette question.

De notre côté, nous avons retenu le terme « aliments cellulaires », jugé dans un récent document de la FAO, « l'ONU de l'alimentation », le plus descriptif et le plus neutre pour désigner le sujet de nos travaux. Pour plus de clarté, nous proposons également d'étendre aux aliments cellulaires la loi et le décret qui interdisent pour les analogues végétaux l'usage de termes faisant référence à des produits animaux, comme « cuisse de poulet » ou « faux-filet ». Même quand il s'agit des mêmes composants, il est difficile de faire référence à l'anatomie quand il n'y a précisément pas de corps...

En revanche, il nous est apparu que la mention de l'espèce animale d'origine des cellules (« poulet », « boeuf », « crevettes ») devrait être obligatoire, notamment au regard de la réglementation européenne sur les risques allergènes.

En clair, « viande cellulaire » et « cuisse de canard cellulaire », c'est non ; mais « canard cellulaire » est inéluctable pour assurer la sécurité sanitaire des consommateurs.

Pour autant, pour éviter les confusions ou le mélange des genres, il est indispensable d'identifier clairement par l'étiquetage aliments cellulaires et viande issue de l'élevage. Nous proposons purement et simplement d'interdire la commercialisation de produits mélangeant aliments cellulaires et viande issue de l'élevage, un principe inspiré de réglementations du début du XXe siècle sur le beurre et la margarine, qui permettra de maintenir la distinction entre viande et aliments cellulaires.

Par ailleurs, en cas d'hybride végétaux-aliments cellulaires, ce qui reste le plus probable dans les premières années, il sera opportun d'afficher obligatoirement la part agrégée d'origine végétale et d'origine cellulaire, en complément de la simple liste des ingrédients.

Il serait aussi intéressant, si un produit contient des aliments cellulaires ou tout autre « nouvel aliment » (dont les insectes), de prévoir un affichage spécifique sur la face avant des produits préemballés, du type « contient des nouveaux aliments ».

Enfin, dans l'hypothèse où des aliments cellulaires seraient commercialisés en restauration hors foyer, l'information sur la présence de ce produit dans un plat ainsi que sur l'origine des produits servis serait la moindre des choses.

Ce sont des règles d'étiquetage de bon sens qui ne devraient pas, du reste, valoir seulement pour les aliments cellulaires. En ce domaine, nous sommes contraints par les principes européens de libre circulation des marchandises et ne pourrions légiférer que sur les produits fabriqués en France. Mais il faut poser un cadre dès maintenant dans notre pays pour mieux pousser pour son application au niveau européen. Ce sont là, je crois, des « surtranspositions » qui se justifient.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Pour conclure, je vais évoquer avec notre axe 4 le sujet brûlant des effets de l'industrie cellulaire sur l'élevage et, plus généralement, sur le monde agricole et les territoires ruraux.

La mission a eu pour objectif permanent la protection du monde agricole. Henri Cabanel et moi-même avons tous deux exercé des professions agricoles. Aussi y avons-nous apporté un soin tout particulier.

À cet égard, nous voulons souligner le paradoxe de « l'impact à géométrie variable » des entreprises d'alimentation cellulaire. L'« impact positif » sur lequel communiquent ces entreprises repose nécessairement sur un remplacement, au moins partiel, de la viande d'élevage, car cette dernière serait moins-disante d'un point de vue environnemental et de bien-être animal. En effet, les aliments cellulaires auront un impact significatif s'ils viennent « à la place de la viande d'élevage », mais non s'ils viennent « en plus de la viande d'élevage ».

Or ces mêmes entreprises cherchent à minimiser le bouleversement que l'alimentation cellulaire pourrait constituer pour l'élevage en particulier, et les territoires ruraux en général, en niant ce processus de destruction créatrice. Ce faisant, elles s'affranchissent de l'adage paysan selon lequel on ne peut avoir le beurre - tous les avantages qui seraient associés à la substitution d'aliments cellulaires à la viande d'élevage - et l'argent du beurre - c'est-à-dire l'absence de conséquences négatives pour le secteur substitué.

Qui plus est, les aliments cellulaires sont présentés par leurs promoteurs comme une solution aux problèmes soulevés par l'élevage industriel, mais pourraient d'abord concurrencer l'élevage extensif, déjà économiquement fragilisé, et dont les aménités pour les territoires ruraux et les paysages sont nombreuses.

Aussi nos recommandations étudient-elles les moyens de faire en sorte que l'industrie cellulaire ne nuise pas, ou le moins possible, au monde agricole.

Si les perspectives d'une production décentralisée, « à la ferme », d'aliments cellulaires semblent plus qu'hypothétiques, certaines synergies possibles entre l'industrie cellulaire et les filières agricoles et agroalimentaires existantes sont à explorer. Nous demandons aux instituts techniques de procéder à un état des lieux de ces synergies, ce qui aura aussi pour effet bénéfique de pousser les filières à se préparer à l'arrivée sur le marché d'aliments cellulaires, qu'elles ne voient aujourd'hui que comme un horizon très lointain.

Comparés à d'autres moyens plus directs et efficaces, les aliments cellulaires ne seront pas indispensables pour nourrir le monde en 2050. Dans les pays riches, la diversification des régimes alimentaires par un rééquilibrage des sources de protéines végétales (légumineuses) ou animales permettrait d'atteindre les mêmes objectifs plus rapidement et de façon plus simple. En outre, les limites présentées comme indépassables des autres familles de protéines alternatives (analogues végétaux à partir de soja ou de pois) ne semblent pas insurmontables. C'est pourquoi le meilleur moyen de se passer des aliments cellulaires reste encore d'accélérer la mise en oeuvre de la stratégie protéines végétales, en augmentant en particulier les financements dédiés.

Enfin, la contribution des aliments cellulaires à la sécurité alimentaire des pays en développement semble très hypothétique.

Il ne faut donc pas entretenir l'illusion que les aliments cellulaires pourraient constituer une solution à court ou même à moyen terme pour les apports protéiniques de ces pays. En ne voyant l'élevage qu'au prisme de l'élevage en feed-lot brésilien ou américain et de ses externalités, on risquerait de jeter le discrédit sur l'élevage extensif et paysan.

L'élevage paysan demeure dans ces pays une ressource importante pour la subsistance des ménages, revêtant en outre une grande importance sociale et culturelle.

Il convient donc de maintenir, voire rehausser, les soutiens à l'agriculture paysanne et à l'élevage dans l'aide publique et privée à destination des pays en développement, des secteurs qui voient leurs financements publics et privés se tarir à cause de grilles de lecture du nord transposées au sud.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie nos deux rapporteurs pour leur traitement de ce sujet difficile. Ces produits peu ragoûtants sont développés par une centaine d'entreprises. Le travail d'Olivier Rietmann et d'Henri Cabanel est d'autant plus important que ces sujets sont très controversés et méritent d'être abordés frontalement.

M. Laurent Duplomb. - Je tiens d'abord à remercier les deux rapporteurs. Faire de la politique, c'est faire preuve de clarté. Si je reconnais l'importance du travail réalisé, notre engagement doit être le plus clair possible. Résistance et obéissance sont les deux vertus du citoyen : par l'obéissance, il assure l'ordre ; par la résistance, il garantit sa liberté. Aujourd'hui, par mon vote symbolique contre ce rapport, j'entends garder ma liberté au lieu de céder petit à petit à des pratiques que je réprouve. Je ne veux pas en venir à accepter l'inacceptable. Je ne voterai donc pas contre le travail réalisé par les deux rapporteurs, mais contre l'image qu'il renvoie et pour réaffirmer mon engagement politique.

M. Franck Montaugé. - Il faut distinguer le travail d'objectivation réalisé par les rapporteurs du fond du sujet, à l'égard duquel nous devons nous prononcer. Nous vivons dans un monde où tout ce qui est techniquement réalisable finit tôt ou tard par être réalisé, avec des conséquences parfois très positives, mais hélas trop souvent négatives. La question des normes alimentaires concerne tous les pays du monde. Politiquement, comment peut-on border le sujet le plus possible, étant donné que tout développement s'effectuera au détriment de l'élevage traditionnel qui connaît déjà de grandes difficultés ?

Je salue le travail des rapporteurs, mais je crois, comme Laurent Duplomb, qu'il nous faut adopter une position claire, ce qui n'empêche pas de mener un travail de recherche avec l'Inrae par exemple. La question de l'impact environnemental est également importante. La puissance publique doit s'intéresser à ce sujet. Néanmoins, il faut d'ores et déjà afficher nos interrogations et en appeler, au niveau législatif, à préserver autant que possible nos éleveurs et nos territoires.

Mme Anne Chain-Larché. - Je me souviens de l'abominable film Soleil Vert où, après un désastre environnemental, des personnes acceptaient de mourir pour servir de nourriture aux autres. Nous nous en rapprochons. Les recommandations cautionnent, en acceptant de l'encadrer, une pratique contre laquelle nous luttons tous. Nous sommes, au contraire, dans le pays de la gastronomie, des villages, avec leurs pâturages et leurs élevages, mais aussi dans le pays qui s'est le plus battu contre les OGM. Il nous appartient donc, à nous politiques, de définir la façon dont nous souhaitons vivre, sans attendre qu'une directive européenne nous l'impose. J'appelle ainsi le Sénat à émettre une position claire, transpartisane, s'opposant à tout encadrement d'une forme de déconstruction à venir, même si celle-ci fera appel à tous nos bons principes, que ce soit le bilan carbone ou la malnutrition. Nous devons être fiers de nos origines et de livrer à nos enfants une terre qui leur appartient. Ainsi, comme mon collègue Laurent Duplomb, je voterai non pas contre le travail réalisé, mais contre le principe visant à se pencher sur des pratiques contre lesquelles nous luttons.

M. Daniel Gremillet. - Ce sujet n'est pas spécifiquement français, mais mondial. Il peut interpeller, choquer, et la viande cellulaire n'est pas le modèle que je défends. Néanmoins, chacun voit bien la limite de l'exercice d'une opposition frontale. L'exemple des OGM est parlant : il s'en produit tous les jours alors qu'ils sont interdits en France et en Europe. Toute la recherche en matière de génétique a quitté l'Hexagone et l'Europe. Il est donc essentiel que la recherche publique se saisisse de ce nouveau sujet.

Mon deuxième argument est sanitaire. Qui dit cellules vivantes, dit risques sanitaires, comme ce qui peut se produire dans les élevages et dans les productions agricoles, y compris végétales, ou au moment de la transformation. Il s'agit d'appréhender ces risques. La notion de cellules souches ouvre par ailleurs des possibilités de manipulation génétique à des fins de production alimentaire dont il nous faut mesurer les conséquences.

Je me suis rendu en 2022 au Salon international de l'agroalimentaire (SIAL) afin d'observer les grandes tendances alimentaires qui se dessinent à travers le monde. J'y ai découvert avec surprise que l'alimentation présentée par les entreprises françaises comme étrangères reposait pour beaucoup sur l'agriculture-ingrédients. Dans ce cadre, personne n'a plus peur désormais d'afficher du fromage végétal ou des productions dites « carnées » dénuées d'une seule cellule provenant d'un animal.

Nous ne devons pas réitérer l'erreur commise à propos des OGM, qui me blesse et que nous payons encore. Le sujet de la viande cellulaire mérite donc d'être évoqué tant il est lourd de conséquences. Je ne souhaite pas que la France reste déconnectée du monde.

M. Alain Chatillon. - Je veux remercier les deux rapporteurs. Néanmoins, pour m'être occupé durant cinquante ans de nutrition, j'estime scandaleux d'avoir abordé ces dossiers sans entrer en contact avec l'Association nationale des industries alimentaires, les vétérinaires de Maisons-Alfort ou la DGCCRF. L'émission Capital a montré dernièrement que la Hollande importe des produits du Brésil pour leur apposer l'étiquette Union européenne. Il faut prendre en compte les recommandations de nos organismes spécialisés.

Mme Sophie Primas, présidente. - Les auditions dont vous parlez ont été réalisées. Par ailleurs, le rapport ne porte pas sur des dysfonctionnements du système alimentaire européen. Il est à la fois précis et sérieux. Je comprends les voix qui s'élèvent, mais il nous faut rester fidèles au projet du rapport.

M. Pierre Louault. - Je comprends les contraintes de la réglementation européenne, mais nous arrivons, selon moi, à l'apothéose de la malbouffe et à la fin d'une certaine civilisation. Je partage l'avis d'Anne Chain-Larché et de Laurent Duplomb : si nous ouvrons la porte à ces produits, notre alimentation finira par s'assimiler à la consommation de pilules. Alors que tout le monde court après l'agriculture verte, nous allons en sens inverse. Je pense que l'homme et la civilisation doivent savoir imposer des limites.

Le véritable problème n'est pas tant la production que la consommation. Si seule la première est interdite, les grandes firmes importeront à grande vitesse, avec les moyens colossaux qui sont les leurs, la « merde » qu'elles produisent. Je voterai contre le rapport malgré toute l'estime que je porte aux rapporteurs.

M. Daniel Salmon. - Il est très important de se pencher sur ce type de nourriture. Nous devons adopter une approche politique et non pas technique. Nous sommes à la fois face à une continuité - l'industrialisation de notre alimentation depuis soixante-dix ans environ - et à une véritable rupture qui soulève des questions éthiques. Daniel Gremillet évoquait les OGM, mais nous pourrions parler du clonage ou des hormones. Ce sont les interdictions qui font société.

Cependant, il n'est pas possible de vivre en vase clos. Nous devons donc développer notre propre expertise en finançant la recherche. Néanmoins, il n'est pas question d'accepter des pratiques parce qu'elles existeraient déjà ailleurs. La question se pose également s'agissant de la compétitivité française : jusqu'où et à quel prix souhaitons-nous augmenter notre compétitivité ?

Ce rapport sera très éclairant, mais il est avant tout technique et, au vu des préconisations, il s'inscrit dans une forme d'accompagnement et d'acceptation de la viande cellulaire, ce que je déplore. Or il est beaucoup trop tôt. Le terme de viande cellulaire lui-même n'est sans doute pas adapté, puisque tout ce que nous mangeons contient des cellules. Je doute également que ce type d'aliment, faute de rentabilité, envahisse rapidement le marché.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est ce qui est indiqué dans le rapport.

M. Daniel Salmon. - Je ne pourrai pas voter favorablement, mais je le lirai avec intérêt.

Mme Martine Berthet. - Merci à nos deux collègues. Si nous sommes unanimes à ne pas cautionner cette alimentation, ce rapport constitue un bon point d'étape et établit des propositions, même si toutes ne me conviennent pas. Il faut impérativement encadrer la recherche. Au salon de l'agriculture, nous sommes allés au stand de l'Inrae où il a beaucoup été question des recherches sur la fermentation, mais pas de culture cellulaire. Pour lutter contre la déprotéinisation et pallier le manque de nourriture, il faudrait plutôt produire et importer en priorité des protéines d'insecte.

Je ne suis pas favorable à la recommandation visant à intégrer la culture cellulaire dans la stratégie nationale protéines végétales : ce sont deux choses différentes, notamment au niveau des risques. De même, j'émets des réserves sur la cinquième recommandation visant à ne pas exclure le principe de financement de l'innovation. Certes, la recherche est nécessaire, son cadrage également, comme le propose la première recommandation. Néanmoins, tant que ces recherches n'ont pas été menées, cette pratique doit être interdite. Il faut en outre réaffirmer notre soutien à l'agriculture.

Mme Amel Gacquerre. - Je voudrais saluer le travail réalisé par les rapporteurs. Il ne faut éluder aucune question : refuser de s'intéresser au mouvement ne l'empêchera pas. Il est important de l'encadrer afin de protéger nos concitoyens. Je crains que la viande cellulaire crée un emballement économique qui nous dépasse si nous ne l'étudions pas. Je soutiens donc la démarche du rapport. La véritable question est celle de l'alimentation des dix milliards d'habitants que comptera notre planète en 2050. Ce rapport s'inscrit ainsi dans un débat plus vaste. Il ne s'agit pas de savoir si nous sommes favorables ou non à cette invention alimentaire, mais de savoir de quoi il s'agit. Je voterai favorablement au rapport pour sa dimension informative.

Mme Marie-Christine Chauvin. - Je tiens moi aussi à saluer le travail de mes deux collègues, et en particulier leur courage. Je voterai néanmoins contre ce rapport. Celui-ci dérange mes convictions personnelles. En tant que fille d'agriculteur, il ne correspond pas à mon éthique agricole. En tant que Jurassienne, département qui compte onze AOC agricoles, il m'interroge également. Récemment, l'industriel laitier jurassien Bel a produit du « fromage » sans lait ; nous parlons maintenant de « viande » sans bétail. Cette escalade m'inquiète profondément. En tant que présidente du groupe élevage, je m'y oppose. Trop d'interrogations subsistent au niveau éthique et sanitaire.

M. Serge Mérillou. - Je ferai partie de la majorité qui se dessine en votant contre ce rapport. Je ne suis évidemment pas opposé au besoin d'un état des lieux précis du risque généré par la « viande » cellulaire. Cependant, les recommandations m'inquiètent car, à travers elles, le rapport accompagne le développement de cette pratique. Politiquement, l'approuver donnerait aux éleveurs un mauvais signal.

En revanche, d'ici vingt ou trente ans, aurons-nous besoin de recourir à ce type d'aliments pour nourrir la population mondiale ? Si tel est le cas, mieux vaut se pencher sur leur production. Je crains cependant que les promoteurs de la viande cellulaire soient d'abord guidés par des motivations financières. La viande cellulaire pourrait faire partie intégrante de notre alimentation dans les décennies prochaines.

Je crains également, au regard des recommandations, que le rapport n'évalue pas suffisamment son impact négatif sur les élevages et l'économie. Je salue cependant le travail réalisé.

Mme Françoise Férat. - Je voudrais moi aussi saluer le travail de nos deux rapporteurs. Je reste convaincue qu'il revient à notre commission d'aborder ce sujet. J'en comprends la difficulté.

Il faut prendre en compte cette innovation, mais pas n'importe comment ni trop tôt. Je voudrais insister particulièrement sur la liste des recommandations : il est difficile pour moi d'imaginer ces futures actions dans un pays où la gastronomie est reconnue au patrimoine mondial de l'humanité.

M. Bernard Buis. - À mon tour de remercier les rapporteurs. Il est nécessaire d'encadrer le développement de la viande cellulaire. Même si je ne cautionne pas ce type d'alimentation, il ne faut pas s'interdire de réfléchir à cette production. Ce rapport va dans le bon sens en produisant des recommandations que je partage pour la plupart. Je voterai donc favorablement : il faut maîtriser pour mieux encadrer.

M. Fabien Gay. - Je remercie moi aussi les rapporteurs. Dans sa très grande majorité, la commission a exprimé son opposition à la viande cellulaire, à la fois philosophiquement et politiquement, mais aussi pour défendre nos territoires et nos agriculteurs. Je pense personnellement que le capitalisme est bien trop avancé et ne permet pas aux éleveurs de nourrir la planète.

En tant que sénatrices et sénateurs, nous savons qu'un rapport se traduit par des recommandations. Nous pouvons adopter une position politique, comme certains parmi nous, et décider de rejeter le rapport à la majorité. Néanmoins, ce cas est extrêmement rare. Chaque fois qu'un collègue produit un rapport, même sur un sujet auquel il est complètement opposé, il émet des recommandations. Je suis en l'occurrence plutôt défavorable à celles-ci. Néanmoins, certaines me conviennent.

Je suis plutôt favorable à celles du premier axe concernant la recherche. Puisque la « viande » cellulaire existe, il faut la considérer. De plus, lors de l'audition, j'ai déjà indiqué que la puissance publique devait massivement investir dans la recherche. Toutefois, je suis plutôt opposé au contenu du deuxième axe, qui accompagne le processus de reconnaissance de la « viande » cellulaire. Quant au troisième axe, visant à mieux informer les consommatrices et consommateurs, nous sommes sans doute tous d'accord pour l'approuver.

Pour résumer, rejeter tout le travail accompli m'ennuie, car il a été bien fait. Je propose donc de nous accorder sur une partie des recommandations. Nous pourrions mettre en commun nos avis et nous accorder d'ici la semaine prochaine sur une modification des recommandations. En l'état, je voterais plutôt contre ce rapport. Je crois que tout le monde ici s'oppose à la « viande » cellulaire. Néanmoins, il faut regarder lucidement la situation.

Mme Sylviane Noël. - Bravo à nos deux collègues pour leur travail de grande qualité sur un sujet complexe. Je rejoins la plupart des avis exprimés. Dans notre pays, le principe de précaution est roi. Or nous sommes en passe de franchir une ligne rouge qui entraînera notamment des conséquences sur la santé, qui me gênent particulièrement. Les conséquences de la « viande » cellulaire et de l'agriculture végétale sont différentes. Certes, de nombreux pays se sont engagés dans cette pratique. Doit-on la cautionner pour autant ? Au contraire, nos concitoyens attendent de nous que nous les protégions. Si nous sommes capables de nous opposer dès aujourd'hui à son introduction en France, la pratique marquera un coup d'arrêt. À travers ce rapport et ses recommandations, même si elles peuvent être entendues, nous mettons le doigt dans un engrenage assez dangereux. Je voterai donc contre ce rapport.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Nous nous accordons sur l'inquiétude et les interrogations que suscite le phénomène de la « viande » cellulaire. Lors des auditions, nous avons bien compris qu'une stratégie industrielle et commerciale se cache derrière la rhétorique « On n'arrête pas le progrès ». Il peut également y avoir des approches générationnelles différenciées. Nous avons la responsabilité, en tant que législateurs, d'aborder ce sujet. Je voudrais donc remercier les rapporteurs. Néanmoins, je partage le propos de Fabien Gay : ce rapport ne doit pas laisser penser que le Sénat cautionne de telles pratiques, mais au contraire traduire l'état de nos interrogations. Celles-ci portent sur les modalités de production et de commercialisation de la viande cellulaire, les conséquences sur la santé et pour nos territoires. Il faut que nos concitoyens prennent conscience de ces problèmes.

Je voterai favorablement à ce rapport, car je partage la volonté affichée de mieux connaître le phénomène. En revanche, ne pourrions-nous pas revoir les recommandations pour ne pas apparaître comme les promoteurs d'un système auquel nous sommes opposés ? Nous sommes tous favorables à la nécessité de mener des recherches. Nous pouvons cependant revoir l'axe 2, car il cristallise à mon sens les désaccords.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Merci pour ce travail, largement valorisé au sein du rapport. La démarche intellectuelle qui le traverse est sincère, cohérente et déontologiquement irréprochable. Néanmoins, je ne peux pas le voter dans la mesure où nous devons nous opposer à ce phénomène dès aujourd'hui. Dans cinq ans, il sera trop tard.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il est déjà trop tard.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Dans cinq ans, ce sera d'autant plus le cas. Même les recommandations de l'axe 1 concernant la recherche sont discutables : les intérêts économiques et industriels investissant massivement au sein des programmes de recherche, demain, une équipe de chercheurs viendra certainement prouver que la viande cellulaire est sans risque. Nous devons donc fixer des limites dès à présent. Quant à l'axe 4, à voir l'état de l'agriculture paysanne aujourd'hui, il est certain que ce type d'industrie ne permettra pas d'améliorer sa situation demain. Malgré ces inquiétudes, peut-être qu'en étant retravaillées, les recommandations seraient davantage acceptées. Cependant, en l'état, nous prenons un véritable risque à les cautionner.

M. Laurent Somon. - Ce rapport est un véritable perturbateur, non pas endocrinien mais culturel. Quand il est question d'aliments, s'agit-il seulement de la satisfaction des besoins alimentaires ou de leur qualité ? Dans un tout autre domaine, l'arrivée du train a entraîné la suppression des chevaux, ce qui a particulièrement impacté l'élevage. Lors du développement de l'alimentation rapide avec les McDonalds, nous étions assez peu nombreux à cautionner cette pratique. Comment distinguer, demain, un steak haché animal, cellulaire ou végétal ? Par ailleurs, sur le plan sanitaire, et je parle en tant que vétérinaire, il est plus facile de contrôler une cuve où se développent des cellules que la fabrication de fromages qui pose bien plus de risques.

Nous avons interdit les OGM en France. La réflexion est ici identique : puisque des gens travaillent sur ce sujet, il finira par se développer. Je suis donc très perturbé par ce rapport. Si nous ne voulons pas de manipulation génétique, il faut s'opposer à la viande cellulaire dès maintenant. L'éclairage informatif du rapport me convient. Néanmoins, les recommandations représentent un début de validation, en autorisant dans notre pays la poursuite de cette pratique. Par ailleurs, à ceux qui essaient de stigmatiser la culture cellulaire, je rappellerai, au risque de choquer, que les fécondations in vitro reposent peu ou prou sur le même principe. Quant aux manipulations génétiques sur les animaux, elles existent déjà, notamment la division de cellules embryonnaires. Si, comme Sylviane Noël, on considère que la culture de cellules contient des risques de manipulation génétique, il faut rappeler que ces techniques sont déjà implantées au sein de l'élevage plus traditionnel.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Mon raisonnement a évolué. Je suis à la fois favorable et défavorable à votre rapport. Lorsque j'étais opposée aux Airbnb, Dominique Estrosi m'avait fait remarquer qu'il s'agissait d'une évolution inévitable. Autant, dès lors, essayer de légiférer au mieux. J'examine ce rapport de la même manière : si certaines propositions ne me conviennent pas, je suis obligée d'y être favorable, car il n'est pas possible d'ignorer cette évolution.

Mme Sophie Primas, présidente. - À la fin des interventions, je donnerai la parole aux rapporteurs, puis je vous ferai une proposition.

Mme Florence Blatrix Contat. - Ma position a également évolué durant les débats. Il faut distinguer la première partie des recommandations, portant sur la recherche, des suivantes. Il n'est pas possible d'exclure la recherche sur le sujet. En revanche, les autres recommandations seront interprétées comme une validation de ce type de procédé. Nous sommes trop peu avancés pour pouvoir valider les recommandations deux, trois et les suivantes. Je souhaiterais donc pouvoir scinder en deux les recommandations. J'attends avec impatience une proposition à ce sujet.

M. Laurent Somon. - Une dernière remarque : quand on accuse les bovins de produire trop de méthane, nous allons dans le sens de la viande cellulaire. Les Néerlandais ont décidé, pour cette raison, de réduire de 30 % leur cheptel dans les années à venir et de se lancer dans la viande cellulaire.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je demande à présent aux rapporteurs de réagir en répondant aux remarques formulées.

M. Olivier Rietmann, rapporteur. - Ces échanges sont très enrichissants. Je vais expliquer certains éléments, avec pédagogie bien sûr, mais aussi de manière directe. Tout d'abord, une grande partie du débat qui s'est tenu dans cette salle est caduque depuis 2015 et, par conséquent, n'est en rien contradictoire avec notre rapport. Les OGM évoqués par Daniel Gremillet sont le seul point de comparaison possible, même si la technologie est différente. En effet, la législation de mise sur le marché des produits à base d'éléments cellulaires - je remarque que nous sommes les seuls à n'avoir jamais parlé, avec Henri Cabanel et Sophie Primas, de « viande » cellulaire -, aussi appelée législation sur les nouveaux aliments, existe depuis 2015. C'est à ce moment-là qu'il aurait fallu dresser des barrières : désormais, il est trop tard.

Il a été décidé par les États européens que les aliments n'ayant pas été consommés de façon significative avant la date d'entrée en vigueur du règlement - fermentation de précision, viande cellulaire, etc. - relevaient de la nouvelle législation. Dorénavant, une entreprise demandant une mise sur le marché doit monter un dossier d'autorisation devant la Commission européenne. Au bout d'un an, celle-ci se tourne vers l'EFSA, l'autorité de sécurité sanitaire de l'alimentation de l'Union européenne, située à Parme, qui rend son avis après neuf mois minimum. La Commission européenne engage alors un dialogue avec chaque État membre, mais c'est elle qui prend la décision finale. Cette question de souveraineté a été largement débattue à l'époque : nous n'avons plus la possibilité, en tant qu'État membre, de décider de la régulation.

Par ailleurs, nous n'avons jamais, dans aucune de nos recommandations, voulu nous prêter à la promotion de ce type de production. Nous sommes partis des faits. Ces dernières années, 2,6 milliards de dollars ont été investis dans la recherche et le développement de ces produits, dont 1,5 aux États-Unis et plusieurs millions en France, aux Pays-Bas et en Israël. La recherche privée française est en pointe, contrairement à la recherche publique, comme l'a reconnu Jean-François Hocquette lors de son audition. Nous avons proposé ce rapport à Sophie Primas afin d'éclairer ce sujet.

Nous ne nous prononçons jamais en faveur ou non de ces techniques de production, puisque nous n'en avons plus le pouvoir. Cependant, nous préconisons de continuer à investir. Il se peut en effet que, d'ici 2025 ou 2026, l'Union européenne donne l'autorisation de commercialiser ce type de produits sur tout le territoire européen. Aucune possibilité de veto n'existe. Essayons-nous, dès lors, de faire partie du jeu ? Ceux qui souhaiteraient - je ne me prononce pas personnellement - consommer des aliments cellulaires seront-ils obligés d'acheter des produits importés ou pourront-ils consommer des produits français ? L'enjeu des aliments cellulaires réside à la fois dans la captation de la production de richesse et la protection des consommateurs.

Concernant les risques sanitaires, l'EFSA se prononcera puisque c'est son rôle. Nous demandons également que l'Anses puisse rendre un avis également. La question des modifications génétiques renvoie, elle, aux OGM, qui sont strictement interdits. Par ailleurs, la malbouffe existe déjà et nous ne souhaitons surtout pas l'encourager. Je précise également que nous ne parlons pas de production mais d'autorisation de mise sur le marché. Bien évidemment, nous avons auditionné les services vétérinaires.

À Martine Berthet, je réponds que ce rapport vise justement à inciter et à cadrer la recherche publique de manière à prendre les meilleures décisions. Soit nous refermons le dossier, au prétexte que nous ne voulons pas d'aliments cellulaires, et les autres pays décideront pour nous ; soit nous nous donnons la possibilité de connaître le sujet.

Certains parmi vous ont estimé qu'un tel rapport laisserait croire au monde agricole que nous acceptons ces techniques de production. Cependant, nous devons moins nous préoccuper du message politique que nous pouvons laisser que de l'avenir. Par ailleurs, si les Néerlandais ont décidé de diminuer de 30 % leurs élevages, c'est d'abord à cause de la pollution à l'azote qui a rendu les terrains inconstructibles. Nous sommes allés nous-mêmes aux Pays-Bas pour pouvoir le comprendre.

Enfin, il n'est pas trop tôt pour se pencher sur le sujet. Au contraire, le moment est parfait : si les autorisations de l'Union européenne tombent, elles tomberont dans deux ou trois ans, comme celle qui a autorisé les farines d'insectes il y a un mois. La recherche doit donc être financée dès maintenant. Nous aurions pu nous y opposer obstinément, la décision aurait été strictement identique. Néanmoins, si nous n'avions pas laissé se développer le système de production de farine d'insectes en France, nous n'aurions pas la place de leader mondial que nous occupons aujourd'hui. En revanche, d'autres pays les auraient produites et nous en aurions tout de même consommé...

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je partage les propos d'Olivier Rietmann. Nous ne sommes pas les promoteurs des aliments cellulaires. Nous avons le choix, mais si nous laissons faire, nous subirons ce mode de production. Vous aurez compris que les décisions sont prises au niveau européen. Ces aliments existant déjà, nous pouvons faire la politique de l'autruche - comme pour les OGM - ou tenter d'établir un cadre pour pouvoir nous défendre au niveau européen.

J'entends la volonté de préserver nos traditions et d'éviter la malbouffe. Le viticulteur que je suis ne peut imaginer qu'un vin sans alcool soit apprécié. Pourtant, de nouveaux marchés s'ouvrent, que ce soit le vin sans alcool ou les aliments cellulaires. Quant à croire que celle-ci remplacera la viande dans l'alimentation, nous sommes tous deux convaincus que ce ne sera pas le cas de notre vivant. Il n'est pas possible de refuser l'innovation et l'ouverture de nouveaux marchés.

J'ai entendu votre volonté de ne pas voter ce rapport. Je proposerai à Olivier de prendre quelques semaines de réflexion pour réfléchir à la meilleure manière de vous représenter nos intentions, avant de revenir vers vous afin de voter. Ce serait, sinon, la première fois que cette commission accepte une mission d'information - car elle a été acceptée - pour ne pas voter le rapport qu'elle produit. Je vous remercie d'avoir souligné l'ampleur du travail accompli, mais notre satisfaction ne sera complète qu'après l'adoption du rapport. Je vous propose donc de ne pas prendre de décision à vif mais de réfléchir quelques semaines.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est également la proposition que je souhaitais faire. Certaines des recommandations gênent notre commission. Je vous invite donc à lire les informations communiquées, puis à transmettre vos observations aux rapporteurs. Néanmoins, avant d'adopter cette solution, je voudrais savoir si elle en vaut la peine. Au vu de certaines des positions entendues, le refus de s'exprimer sur le sujet semble total. S'il s'agit de positions de principe, il n'est pas utile de perdre quelques semaines de plus. J'ai donc besoin de connaître vos positions.

Mme Anne Chain-Larché. - Il ne s'agissait pas de s'opposer au rapport, mais d'envoyer un signal politique fort. Il me semble donc important de préciser en préambule du rapport notre désapprobation de cette pratique. Le terme de recommandation, nous l'avons compris à travers les différentes interventions, est une manière de la cautionner.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'une des recommandations propose pourtant d'interdire la dénomination commerciale « viande cellulaire ». Je vous redemande donc vos positions.

M. Serge Mérillou. - Est-il possible qu'un rapport ne donne pas suite à des recommandations ?

Mme Sophie Primas, présidente. - J'entends qu'il n'y a pas d'hostilité à un report du vote. Je vous demande de revenir vers les rapporteurs après avoir examiné les différents éléments que nous vous fournirons.

M. Serge Mérillou. - Ce délai de huit jours n'est-il pas trop court ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je repousse l'échéance dans les quinze prochains jours. Je vous remercie de la qualité des échanges.

La réunion est close à 12 h 30.