Jeudi 9 mars 2023
Rencontre avec des élues des territoires ruraux
M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues sénatrices et sénateurs, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, chers élus, nombreux en visioconférence, je le sais, je vous souhaite la bienvenue dans la salle Médicis du Sénat, y compris par l'image. La présidente de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Christiane Lambert, doit également nous rejoindre.
Je suis ravi d'être parmi vous ce matin pour ouvrir ce colloque sur les femmes et la ruralité. Je suis également heureux d'avoir échangé avec des élues des Ardennes ce matin. Nous poursuivrons nos discussions tout à l'heure. Il me tient à coeur, chers collègues, de vous accueillir dans notre assemblée dont la vocation est d'être la caisse de résonance des préoccupations de terrain et, en l'occurrence, de vos préoccupations de terrain.
J'ai eu l'occasion de m'exprimer hier, à l'initiative de la présidente de la délégation, devant onze femmes ministres du Gouvernement. En ce lendemain du 8 mars, j'ai eu à coeur de rendre hommage aux femmes élues qui, par leur engagement, contribuent de façon exemplaire à l'accomplissement de l'égalité et à un regard qui me semble important.
Il se trouve qu'à la mairie de Rambouillet, c'est une femme a pris ma suite. J'ai moi-même succédé à un monument de l'histoire politique, Jacqueline Thome-Patenôtre, une des premières femmes élues conseiller de la République, secrétaire d'État, juste après la guerre.
Je tenais également à remercier les huit rapporteurs de la délégation qui ont porté la réflexion sur les femmes et la ruralité : Bruno Belin, Nadège Havet, Raymonde Poncet Monge, Jean-Michel Arnaud, Guylène Pantel, Pierre Médevielle, Marie-Claude Varaillas et Marie-Pierre Monier.
Ce rapport a, me semble-t-il, obtenu une vraie réussite, celle de l'inscription à l'agenda politique d'un impensé des politiques publiques pour les femmes en milieu rural. La politique d'égalité entre les femmes et les hommes est bien souvent traitée comme un sujet macro ou comme un sujet national. La politique en faveur de la ruralité est rarement conçue sous l'angle de la parité. Toute la force du rapport de la délégation me paraît résider dans la conjugaison de ces deux prismes que sont la parité et la ruralité.
Grâce à ce rapport, de nombreux responsables politiques, au premier rang desquels le ministre de la cohésion des territoires, me paraissent avoir eu la conviction qu'il fallait articuler les politiques publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes et celles en faveur des territoires ruraux, afin de les inscrire dans un processus d'égalité territoriale. Les questions d'égalité doivent toujours être partie prenante des politiques d'aménagement du territoire, dès leur définition et lors de leur mise en oeuvre. L'aménagement du territoire ne peut se penser sans la dimension égalité femmes-hommes. Inversement, les politiques d'égalité doivent systématiquement intégrer, me semble-t-il, une réflexion territoriale.
La ruralité est le creuset d'inégalités plus marquées pour les femmes. Ce constat ressort de ce rapport, mais aussi de témoignages. Nous observons un déficit de mobilité individuelle comme collective, des services publics éloignés, ainsi qu'un manque de solutions de garde d'enfant à proximité. Il a également été relevé des choix d'orientation scolaire plus restreints, notamment pour les jeunes filles, un manque de mixité dans certaines branches professionnelles, un accès aux soins et à la santé plus difficile.
Dans une vie antérieure, j'étais président de la Fédération hospitalière. Permettez-moi, à ce titre, d'évoquer la question des départements fort dépourvus dans le domaine de la gynécologie médicale. De plus, pour des raisons scientifiques ou techniques, le nombre de maternités a été divisé par trois en quarante ans. Des femmes ont plus difficilement accès aux centres de santé et aux médecins spécialistes éloignés. Ce sujet doit nous toucher particulièrement. Treize départements sont totalement dépourvus de gynécologues médicaux. S'agissant de l'autre bout de la vie, vingt-six départements ne comptent toujours pas de services de soins palliatifs. Cette réalité doit être exprimée. Souvent, les femmes sont aussi des aidantes. Ce sujet sera débattu dans les jours qui viennent dans le cadre des discussions sur l'assurance vieillesse des aidants familiaux. Il pourra nous diviser. Je l'ai moi-même évoqué, en aparté, lorsque j'étais interrogé sur une radio nationale. Je me suis rendu compte que personne ne prenait la mesure de cette réalité. Le rapport l'a touchée du doigt.
Madame la Présidente de la FNSEA, les femmes du secteur d'activité que vous représentez se trouvent dans une situation particulière.
J'ai pu mesurer que ces difficultés d'accès aux soins conduisaient parfois au renoncement à un suivi, pourtant primordial en matière de prévention, et à un faible taux de dépistage de cancer. Ce constat doit réellement nous interpeller. Il nous oblige à renforcer les moyens, à accompagner les efforts, à être vigilants. En termes de législation, nous devons peut-être également nous interroger, dès que nous légiférons. C'est tout l'intérêt des délégations, d'ailleurs, d'ouvrir la voie, de nous tenir éveillés.
Je crois que les rapporteurs ont fait oeuvre utile, pas simplement lors du rendu de leur rapport, mais aussi en soulignant la préoccupation nécessaire que nous devons adopter au moment où nous légiférons, où nous contrôlons, où nous évaluons.
La ruralité est aussi un lieu de créativité, d'engagement, et de l'engagement hors norme de milliers de femmes. Je l'ai mesuré dans mon département natal, où je suis retourné il y a quelques jours. Combien de femmes sont des marqueurs dans mon département de l'Orne, qui n'est pas parmi les plus favorisés ? Elles jouent un rôle absolument exceptionnel.
Malgré les difficultés liées à l'enclavement et à l'isolement, il me semble que les femmes en milieu rural font souvent preuve d'un dynamisme et d'un esprit d'initiative, avec une dimension qui, parfois, peu nous manquer : la solidarité. Quelque part, je pense qu'elles sont des ciments de solidarité.
J'espère que cette matinée vous permettra de vous faire l'écho de bonnes pratiques innovantes et de solutions originales.
Je salue celles et ceux qui sont connectés en visioconférence. Je veux qu'ils aient le sentiment d'être associés à notre matinée au Sénat. Celle-ci n'est d'ailleurs pas qu'une matinée d'étape, elle doit être une référence, démontrant que notre assemblée représente, conformément à la Constitution, les territoires, qui sont aussi façonnés par des hommes et des femmes, par des citoyens. Au travers de la représentation territoriale, notamment, ceux-ci sont des acteurs de progrès.
Je remercie encore une fois les rapporteurs, représentants d'une variété très diverse de territoires, venant des quatre coins de l'horizon, de nous avoir livré ce rapport. Je vous souhaite une très bonne matinée.
Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le Président, merci pour votre présence, votre fidélité à nos évènements, votre accompagnement, vos mots à destination de nos rapporteurs et de la délégation, qui ont travaillé sur le rapport Femmes et ruralités, en finir avec les zones blanches de l'égalité.
Madame la Présidente de la FNSEA, merci d'être à nos côtés ce matin, chers collègues, Mesdames, Messieurs, c'est un immense plaisir pour moi de vous accueillir au Sénat pour cette matinée consacrée aux femmes des territoires ruraux, organisée par la délégation aux droits des femmes dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes.
Je remercie tout particulièrement le président du Sénat d'avoir accepté d'ouvrir notre colloque. Je le sais très attentif à l'activité de notre délégation. Il a notamment suivi de près nos travaux sur la situation des femmes dans les territoires ruraux qui ont abouti à la publication en octobre 2021 du rapport Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité.
Celui-ci est le fruit d'un travail collégial et transpartisan. Il a été porté par huit co-rapporteurs représentant chaque groupe parlementaire du Sénat, mais aussi toute une diversité de territoires :
- Jean-Michel Arnaud, sénateur des Hautes-Alpes, parmi nous ce matin, qui animera notre première séquence de la matinée. Il devait être accompagné de plusieurs élues de son département, qui ont malheureusement dû annuler leur venue. Nous les saluons à distance ;
- Bruno Belin, sénateur de la Vienne, qui avait organisé une réunion à ce sujet dans son département, à laquelle Jean-Michel Arnaud et moi-même avons participé ;
- Nadège Havet, sénatrice du Finistère ;
- Pierre Médevielle, sénateur de la Haute-Garonne ;
- Marie-Pierre Monier, sénatrice de la Drôme, parmi nous ce matin, qui animera la seconde séquence de la matinée. Elle devait également être accompagnée de plusieurs élues de son département, qui en ont été empêchées, mais nous écouterons à distance Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure ;
- Guylène Pantel, sénatrice de la Lozère ;
- Raymonde Poncet Monge, sénatrice du Rhône ;
- et Marie-Claude Varaillas, sénatrice de la Dordogne.
Le point de départ du travail de notre délégation sur la situation des femmes dans les territoires ruraux a résulté d'un examen attentif de l'Agenda rural du Gouvernement, adopté à l'automne 2019 : aucune de ses 181 mesures ne faisait, au moment de son adoption, référence à l'égalité femmes-hommes ni à aucune problématique spécifique aux femmes dans les territoires ruraux. Or, pas moins de 11 millions de femmes vivent aujourd'hui dans les territoires ruraux, soit une femme sur trois. C'est donc un sujet majeur.
Nos travaux sur ce thème ont duré près de dix mois. Nous avons organisé une trentaine d'heures d'auditions. Nous avons publié un questionnaire en ligne, sur la plateforme du Sénat de consultation des élus locaux, qui nous a permis de recueillir plus d'un millier de réponses et témoignages. Enfin, nos rapporteurs ont organisé diverses rencontres dans leur département respectif.
Tout ce travail a permis de dresser un large tour d'horizon de la situation des femmes dans les territoires ruraux, dans toute leur diversité et à tous les âges de la vie.
Notre rapport couvrait plus spécifiquement huit thématiques :
- les enjeux de mobilité et d'articulation des temps de vie ;
- la jeunesse et l'orientation scolaire et universitaire ;
- l'emploi et l'insertion professionnelle ;
- l'entrepreneuriat au féminin ;
- le métier d'agricultrice ;
- la santé des femmes et l'accès aux soins ;
- les violences conjugales ;
- et enfin l'engagement politique et les femmes aux responsabilités politiques locales.
Je ne vais pas revenir dans le détail sur l'ensemble des constats dressés dans ce rapport, ni sur les 70 recommandations adoptées par la délégation ; vous les trouverez dans les documents disponibles à l'entrée de la salle. Je remercie à ce titre l'équipe qui nous entoure, qui a organisé cette matinée.
Celle-ci comprendra deux séquences, portant chacune sur une thématique du rapport : l'accès des femmes issues de la ruralité aux responsabilités et la jeunesse dans les territoires ruraux.
Avant d'explorer plus précisément ces deux sujets avec l'ensemble de nos invités, j'aimerais rappeler quelques constats issus de notre rapport qui, pour certains, sont communs à l'ensemble des thématiques, et donc déterminants pour améliorer les conditions de vie des femmes en milieu rural.
Tout d'abord, les enjeux de mobilité irriguent l'ensemble des difficultés auxquelles peuvent être confrontées les femmes dans les territoires ruraux. Le manque de mobilité, l'éloignement des services et l'insuffisance de la couverture numérique sont les principales difficultés rencontrées dans les territoires ruraux, et elles sont cumulatives, tout particulièrement pour les femmes qui y résident.
Les difficultés de mobilité génèrent un accès plus compliqué à l'emploi, aux services publics, aux offres de soins, aux modes de garde des enfants, aux commerces, aux associations, aux loisirs.... Elles sont à l'origine d'un isolement plus grand des femmes et entravent la lutte contre les violences faites aux femmes et intrafamiliales en rendant complexes le déplacement en gendarmerie comme le départ du domicile.
Les femmes des territoires ruraux sont particulièrement touchées par ces difficultés de mobilité. Alors que la voiture représente 80 % des déplacements en zone rurale et y constitue souvent un critère d'embauche, les femmes y ont un accès plus restreint que les hommes : une femme sur cinq n'a pas le permis, contre un homme sur dix.
Les transports en commun réguliers sont insuffisants en milieu rural pour en faire une solution alternative. La mobilité dans le territoire rural est différente de celle des territoires urbains. Les transports en commun sont peu adaptés aux spécificités des habitudes de déplacement des femmes.
En outre, les territoires ruraux agissent comme un amplificateur d'inégalités entre les femmes et les hommes en matière de conditions d'emploi : les différences constatées pour les indicateurs de taux de chômage, précarité ou temps partiel sont en effet plus importantes dans les territoires ruraux que dans les territoires urbains. Les territoires ruraux se caractérisent également par une très faible mixité de l'offre d'emploi.
S'agissant de la santé et de l'accès aux soins, la désertification médicale touche tout particulièrement les gynécologues. Treize départements sont même dépourvus de gynécologue médical. Soixante-dix-sept départements n'en ont pas suffisamment pour proposer un service normal. Certaines femmes renoncent donc à un suivi gynécologique, pourtant primordial en matière de prévention, et les taux de dépistage des cancers féminins sont plus faibles en milieu rural.
Concernant les violences intrafamiliales, les territoires ruraux concentrent la moitié des interventions de gendarmerie pour violences intrafamiliales et la moitié des féminicides, alors même que seul un tiers des femmes y vivent. Dans ces territoires, les femmes victimes sont plus isolées, moins informées et moins protégées. Elles sont sous-représentées dans les sollicitations des dispositifs d'aide. Moins de 30 % des appels au 3919 proviennent de ces territoires ruraux.
Les acteurs locaux - notamment la gendarmerie, les professionnels de santé, les associations et bien sûr les élus - jouent un rôle majeur, mais manquent souvent de moyens et de coordination.
Globalement, nous considérons donc qu'il est indispensable d'articuler les politiques publiques en faveur de l'égalité femmes-hommes et celles en faveur des territoires ruraux.
Pour en finir avec les zones blanches de l'égalité, nous estimons que la politique d'aménagement du territoire ne peut se concevoir sans y intégrer la dimension « égalité femmes-hommes ». Inversement, les politiques d'égalité doivent systématiquement se fonder sur une réflexion territoriale.
Dans mon propos introductif, je n'ai volontairement pas détaillé les constats et propositions de la délégation concernant l'accès des femmes aux responsabilités dans les zones rurales, ni ceux relatifs aux jeunes de ces territoires, puisque mes collègues Jean-Michel Arnaud et Marie-Pierre Monier vont s'emparer de ces sujets et nourrir le débat avec nos invités.
Je vous remercie à nouveau chaleureusement pour votre présence. Monsieur le Président, merci d'être à nos côtés. Je nous souhaite collectivement une belle réunion.
Je laisse la parole au rapporteur Jean-Michel Arnaud, et salue les co-rapporteurs présents dans la salle. Ils ont réalisé un long travail au Sénat, mais aussi dans leurs territoires.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci Madame la Présidente, chère Annick, Monsieur le Président, Mesdames les Présidentes, chers collègues, je tiens à saluer le travail et le pilotage de notre délégation par Annick Billon, depuis des années, avec un crantage qui s'est fortement amélioré sur les questions d'égalité femmes-hommes dans notre assemblée. Je salue également le Président Larcher, assidu lors de chaque rendez-vous important de notre assemblée. Il était encore présent hier après-midi, lors de l'examen en séance du texte sur les retraites, ou lors d'un déjeuner avec onze femmes ministres, mais aussi cette nuit.
Monsieur le Président, vous êtes un phare important pour l'engagement politique de notre assemblée. Vous êtes au rendez-vous de toutes les causes défendues par nos collègues.
La première séquence de notre matinée est consacrée à l'engagement des femmes issues des territoires ruraux, en politique, mais aussi au sein de structures associatives ou syndicales, au niveau local comme national. Nous nous intéresserons notamment aux freins qui entravent encore cet engagement, mais également aux mesures qui pourraient permettre de l'encourager.
Je suis très heureux d'accueillir Christiane Lambert, pour plusieurs raisons. D'abord, à côté de Nicole Notat, grande figure du syndicalisme français, vous incarnez depuis une quarantaine d'années un engagement sans faille auprès des agricultrices et agriculteurs de France. Je suis l'un d'eux. Je connais aussi votre présence, comme celle de notre président Gérard Larcher, partout sur le territoire, au contact de la réalité pour défendre au mieux les causes agricoles, et notamment les femmes dans leur engagement politique.
Dans le cadre de la préparation du rapport évoqué plus tôt, chacun des rapporteurs avait organisé des rencontres dans son département, afin d'échanger avec des acteurs de terrain et de recueillir des témoignages au plus près de nos territoires. J'avais, pour ma part, organisé le 8 mars 2021 une rencontre dans mon département des Hautes-Alpes, réunissant plusieurs centaines de collègues femmes, en plus de quelques hommes, qui avait été l'occasion d'échanger avec de nombreuses femmes élues, sur leurs difficultés, mais aussi leurs réussites et leurs fiertés, et sur les leviers qu'elles identifiaient pour faire progresser la parité et l'accès des femmes aux responsabilités.
Ces témoignages, confortés par un questionnaire que nous avions adressé à l'ensemble des élues rurales ayant reçu plus de 1 000 réponses, ainsi que par des tables rondes organisées ici même au Sénat, ont été des sources d'informations précieuses pour notre rapport.
Les principales difficultés mentionnées et révélées par les élues locales portent sur la conciliation des vies politique, professionnelle et familiale. Ce matin, avant le début de notre réunion, j'échangeais avec une élue de l'Est de la France qui me faisait part de ses difficultés, y compris au sein d'une commune de 200 habitants, à concilier son engagement professionnel, l'animation dans sa commune, et l'intercommunalité, qui constitue un engagement pour les communes rurales. Nous avons également pointé un certain nombre d'insuffisances liées au statut de l'élu et la persistance du sexisme, notamment dans l'attribution de délégations au sein des conseils municipaux, tant en nombre que par leur nature.
Ces difficultés expliquent que si les femmes représentent aujourd'hui 42 % des élus locaux - et l'on ne peut que s'en féliciter - elles ne représentent encore que 20 % des maires, 11 % des présidents de conseils communautaires, 20 % des présidents de conseils départementaux et un tiers des présidents de région.
En outre, le nombre de femmes reste encore limité au sein des conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants, qui représentent, je le rappelle, trois quarts des communes de France, et pour lesquelles le scrutin de liste paritaire ne s'applique pas. La part des femmes conseillères municipales au sein des communes de moins de 1 000 habitants n'est ainsi que de 38 %, contre 49 % dans les communes de 1 000 habitants ou plus, qui bénéficient du scrutin dit paritaire.
Ces différents constats nous ont amenés à formuler sept recommandations de nature à accroître la mixité dans la vie politique locale.
Tout d'abord, nous recommandons unanimement, après une longue discussion au sein de la délégation, de faire sauter le verrou des 1 000 habitants et d'étendre à toutes les communes les obligations de parité aux élections municipales. Nous n'allons pas ouvrir le débat, je sais les difficultés que cela pose. Je sais également que les lignes ont un peu bougé depuis la publication de ce rapport. Depuis, l'Association des maires ruraux de France (AMRF) porte l'idée d'une parité, avec des adaptations du nombre de conseillers municipaux. J'espère que cette question pourra prospérer dans nos assemblées parlementaires et, pourquoi pas, au Sénat. C'est une autre question, Monsieur le Président.
En parallèle, nous souhaitons également appliquer à toutes les communes le système de fléchage pour les élections intercommunales, avec obligation de listes paritaires.
Nous avons aussi formulé des recommandations en matière de statut, notamment afin de faciliter les gardes d'enfants pendant les réunions. Il est prévu formellement des dispositifs dans le cadre légal, mais ils sont difficilement applicables. Il n'est pas simple de demander à une commune rurale d'indemniser, avec ses moyens budgétaires, les gardes d'enfants de conseillères municipales, d'adjointes, de maires qui font face à leurs responsabilités municipales.
Nous souhaitons par ailleurs voir émerger des référents égalité au sein de toutes les communes et intercommunalités. Ils pourraient d'ailleurs servir aux élus municipaux aux responsabilités induites par leurs fonctions municipales, mais aussi permettre un dialogue avec les femmes des villages et communes rurales de France sur ces sujets, pour ouvrir des débats sociologiques.
S'agissant de l'engagement des femmes au sein des instances professionnelles et syndicales, nous avions par exemple recommandé dans notre rapport d'instaurer des quotas au sein des instances de gouvernance agricole, sujet important sur lequel vous réagirez sans doute, Madame la Présidente, et de réfléchir à l'application de quotas dans les conseils d'administration des coopératives et interprofessions agricoles. Je crois qu'il est nécessaire d'ouvrir de nouvelles voies pour l'égalité et la parité dans ces organismes.
Nous sommes aussi très favorables au soutien et au développement de réseaux de femmes dans tous les secteurs, professionnels, syndicaux, associatifs ou politiques. Nous avons notamment auditionné un certain nombre de jeunes femmes étudiantes qui, à partir de zones rurales, développent des réseaux pour faciliter la confiance des filles rurales, par du tutorat et presque du mentorat, pour les faire entrer dans des filières professionnelles de haute qualité et de haut niveau. Nous sommes également très favorables au soutien et au développement de réseaux d'entraide. Plus ils sont puissants, plus ils seront des vecteurs d'influence dans tous les domaines. Nous ne pouvons qu'encourager cela.
Dans une optique de partage d'expériences et d'échanges autour de ces différents constats et recommandations, je suis très heureux d'accueillir ce matin Mme Christiane Lambert, présidente - encore pour quelques semaines - du premier syndicat d'exploitants agricoles de France, la FNSEA. Elle occupe cette fonction depuis 2017, après avoir gravi tous les échelons du syndicalisme agricole, et avoir été très présente sur son exploitation familiale. Elle a su adapter cette dernière aux exigences et évolutions techniques nécessitées par l'ouverture du marché et la nécessaire performance économique.
Madame la Présidente, vous êtes ici dans votre maison, puisque vous représentez les agriculteurs de France, et donc les territoires de France au travers de cette profession. Nous serons très attentifs à vos propos et à votre retour d'expérience.
Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. - Merci beaucoup.
Monsieur le Président Larcher, je suis ravie de vous retrouver. La dernière fois que nous nous sommes vus, nous étions devant l'assemblée des vétérinaires, profession essentielle à notre secteur, et qui vous est chère.
Chère Annick Billon, Madame la Présidente, cher Monsieur le sénateur Arnaud, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, Mesdames et Messieurs, merci pour cette invitation. J'avais eu l'occasion d'être auditionnée au Sénat. Annick Billon m'a invitée, nous avons déjà travaillé ensemble. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre rapport, lors de sa sortie, avec la commission des agricultrices de la FNSEA. Nous partageons un certain nombre de constats et de souhaits d'amélioration.
Je commencerai mon propos en me présentant. Je suis née dans le Cantal en 1961, année de l'entrée dans Le Petit Larousse du mot « agricultrice ». Mes deux parents étaient agriculteurs, tous deux militants à la Jeunesse agricole catholique (JAC), tous deux travailleurs, enthousiastes, optimistes, persuadés qu'en travaillant plus, ils amélioreraient leur sort. C'était les années pendant lesquelles l'agriculture était en plein essor, que Michel Debatisse avait nommées la « révolution silencieuse ». De nombreux changements ont eu lieu dans les exploitations agricoles. Les jeunes arrivaient, pleins d'espoir et d'envies de changement pour leur profession. L'histoire leur a donné raison.
J'ai choisi d'être agricultrice à l'âge de 8 ans, en travaillant avec ma mère dans l'exploitation. Je la suivais partout. Je préférais être au boulot plutôt que de faire mes devoirs, même si j'ai bien fait mes devoirs : j'ai eu mon brevet, mon bac, mon BTS. J'étais plutôt bonne élève. Mes professeurs et maîtres de stage m'ont souvent dissuadée d'être agricultrice, estimant qu'au vu de mes résultats, je devrais exercer un autre métier. Ce n'est pas parce que je suis auvergnate et que j'ai un fort caractère, mais je me suis obstinée à le devenir, par passion. J'ai choisi d'aller dans une école d'agriculture, et à la suite d'un bac agricole, j'ai obtenu mon brevet de technicien supérieur (BTS) le jour de mes 19 ans. Cinq jours plus tard, je m'installais sur une exploitation voisine de celle de mes parents. Je n'ai eu aucune difficulté à trouver du foncier, mais l'accueil du banquier fut plutôt frileux. Il m'a indiqué, je cite, « Mademoiselle, une jeune fille qui s'installe à 19 ans, célibataire, n'est pas un élément stable et sécurisant ». Heureusement, la caution de mes parents m'a permis de conclure l'emprunt dont j'avais besoin pour installer une exploitation de vaches laitières et de porcs.
Pendant mes études, j'ai côtoyé de nombreux jeunes de toutes les régions de France. Originaire d'une famille modeste, je n'étais jamais partie en vacances, mais le BTS m'a permis de rencontrer des jeunes - fils d'agriculteur ou non - venant de plus de quarante départements. Ils représentaient une formidable ouverture d'esprit et une approche très positive de l'agriculture.
J'ai étudié en Haute-Loire, où j'ai rencontré un jeune vice-président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA). Je suis née à Saint-Flour, dans le Cantal, et j'étais agricultrice à Massiac, commune d'Alain Marleix. Aujourd'hui, son fils Olivier Marleix est député de l'Eure-et-Loir. Je confonds souvent leurs prénoms car j'ai beaucoup côtoyé le premier.
J'avais pour projet de développer mon exploitation. Je l'ai fait en travaillant seule, en étant célibataire. J'ai eu immédiatement des engagements professionnels, après avoir entendu ce jeune agriculteur du CNJA pendant mes études. Je me disais que cet agriculteur du fin fond de la Haute-Loire, originaire d'un département très rural et d'une commune très isolée située à plus de 1 000 mètres d'altitude, avait une connaissance parfaite du monde et des enjeux agricoles. J'ai été impressionnée par sa capacité d'analyse et par son éloquence. Je me suis dit que le CNJA était vraiment une belle organisation.
Dès mon arrivée dans le Cantal, j'ai été approchée pour entrer dans l'équipe cantonale des jeunes agriculteurs. J'ai ainsi commencé à l'échelle la plus locale, celle de la commune, du canton. J'ai apprécié la liberté d'initiative que j'y avais. Je pouvais organiser un certain nombre de réunions qui réunissaient de plus en plus d'agriculteurs, preuve qu'il existait un vrai besoin de lieux de rencontres et d'échanges entre ces professionnels. Nous étions d'abord dix, puis quinze, puis vingt. Lors de l'assemblée générale, nous étions cinquante-cinq, grâce à l'effet d'entraînement qu'a occasionné l'intérêt des thèmes que nous choisissions. Ceux-ci correspondaient aux besoins de ces jeunes de rencontrer, par exemple, un vétérinaire député européen, d'ailleurs originaire de Brioude, qui nous a largement éclairés sur ce qu'il se passait au niveau européen. Cette liberté d'organisation dont on dispose lorsqu'on appartient à ce type de syndicat ouvre largement le champ des possibles.
C'est ainsi qu'ont commencé mes responsabilités. Étant vice-présidente du département du Cantal, j'ai côtoyé des gens brillants, tels que Michel Teyssedou ou d'autres dirigeants. Ce sont très souvent des personnes charismatiques qui donnent envie de s'engager davantage. J'ai poursuivi ma route en étant vice-présidente départementale, puis présidente régionale en Auvergne. J'ai ensuite tout arrêté lorsque j'ai rencontré mon mari, Thierry, originaire du Maine-et-Loire. Nous avons décidé de changer de région. Me voilà alors arrivée en Pays de la Loire, en 1989. J'y ai repris des responsabilités au niveau du canton, attirée par des personnes que j'avais côtoyées à Paris, lorsque je vivais dans le Cantal.
Pourquoi ai-je ce gène de la responsabilité, ce besoin de m'engager ailleurs, de ne pas rester en responsabilité sur mon exploitation uniquement, alors qu'elle m'occupait déjà beaucoup ?
Je crois que ce besoin de faire avec les autres et pour les autres est hérité des parents, d'une culture, d'une éducation. J'ai également eu la chance de le développer dans mon établissement d'enseignement, l'Institut Saint-Dominique du Puy-en-Velay, en Haute-Loire. Il avait pour leitmotiv « ouverture d'esprit et esprit de synthèse ». S'agissant de l'ouverture d'esprit, on nous engageait vraiment à aller voir ailleurs. J'ai par exemple rencontré le juge pour enfants de la ville du Puy-en-Velay, et nous avions dressé un rapport sur ce sujet. Nous nous intéressions à une multitude de thématiques extérieures. Cette culture générale m'a été très bénéfique. Ensuite, l'esprit de synthèse consistait à voir tout cela, à n'en garder que le meilleur pour soi afin de se construire et de construire ses convictions. Cela m'a beaucoup aidée par la suite, y compris en termes de curiosité et de tolérance face aux rencontres que j'ai pu faire. Le gène de la responsabilité m'a également été transmis par mes parents. J'ai été déléguée de classe, capitaine de l'équipe de handball... Il m'a suivie un peu partout.
Très vite, je me suis vue confier des responsabilités. Le syndicalisme agricole présente une originalité qui n'existe pas partout. Dès leur création, le CNJA et laFNSEA ont créé un poste statutaire pour une vice-présidence féminine. Depuis toujours, et cela a été relevé davantage pendant la guerre, lorsque les hommes étaient au front, les femmes ont su tenir les exploitations. Le documentaire Nous paysans, que vous avez sans doute vu, a bien mis en avant le rôle des femmes, des mères, pendant que leurs pères et frères étaient au combat. Elles ont « tenu » la Nation, comme le disait le général de Gaulle. Elles ont joué un rôle très important, ce qui a justifié cette reconnaissance.
À cette vice-présidence féminine au sein de la FNSEA s'ajoute une section féminine spécifique pour accompagner les femmes. Celles-ci ne sont pas toujours aussi rompues que les hommes à certaines tâches. Certaines sont venues à l'agriculture par le mariage, sans avoir de formation ou de compétence propre, et ont ainsi besoin d'une formation continue, d'une aide à l'insertion, d'un accompagnement.
Cette vice-présidence féminine a également poussé certaines femmes à prendre cette responsabilité, alors qu'elles ne l'auraient a priori pas acceptée, parce qu'il fallait nécessairement nommer une femme. La situation est un peu similaire à celle des conseils municipaux lorsqu'on veut y atteindre une parité. Certaines ne se mettent pas en avant et ne se jettent pas dans les responsabilités. Elles doivent être un peu poussées avant d'accepter. On se rend compte quelques années plus tard qu'elles excellent à leur poste, qu'elles pilotent très bien leurs dossiers et qu'elles apportent beaucoup à l'équilibre du groupe, quel qu'il soit.
Arrivée dans le Maine-et-Loire, où nous nous sommes installés avec mon mari, j'ai eu deux enfants. J'ai refusé une responsabilité nationale, car ils étaient très petits. En 1992, lorsque Thibault avait un an et que Guillaume en avait trois, j'ai accédé au conseil d'administration des jeunes agriculteurs. Des éléments ont été déterminants dans cette décision.
D'abord, mon mari a toujours accompagné mes responsabilités. J'ouvre ici une parenthèse : la semaine dernière, au salon de l'agriculture, lors d'un dîner prestigieux, la responsable d'une grande maison de vin m'a demandé si mon mari avait accepté mes responsabilités, ou si je les lui avais imposées. Cette question m'a beaucoup surprise. Vous imaginez bien qu'un engagement qui prend tant de temps, s'il est imposé, ne peut pas fonctionner. Le partage au sein du couple est primordial, j'insiste sur ce point. Puisque nous sommes mariés depuis trente-sept ans, j'imagine qu'il ne s'est pas senti trop contraint. Il est aussi nécessaire de partager les mêmes convictions quant aux raisons de l'engagement. En effet, il faut tout de même pouvoir gérer l'absence, et tout ce qui l'accompagne, sur le plan familial ou personnel, vis-à-vis des enfants, dans l'organisation de l'intendance de la maison.
Lorsque j'ai été sollicitée pour être présidente du CNJA, Thierry m'a dit que je travaillerais autant en tant que numéro 1 qu'en tant que numéro 2, et qu'il fallait donc que j'accepte ce poste, que l'on s'organiserait. Ces paroles ont allégé mon coeur et ont facilité ma décision. Il est toujours difficile de dire « oui » - chacune de vous le sait. Après avoir accepté, le soir, on se couche en se demandant si on va y arriver, si ça ne sera pas trop compliqué, si on va tenir.
Le deuxième élément déterminant a été mon président des Jeunes agriculteurs du Maine-et-Loire, Jean-Marc Lézé, qui m'a fait part de son envie de me voir responsable du département. Au lieu de me proposer le recours au service de remplacement pour faire le travail à ma place sur l'exploitation, il m'a proposé de chercher une nounou pour garder mes deux enfants, encore petits, dès lors que Thierry et moi étions absents, lorsqu'il travaillait sur l'exploitation et que je n'étais pas présente.
Ces deux personnes ont joué un rôle très important. Nous avons alors recruté Laure, qui a élevé Guillaume et Thibault, puis Pauline, arrivée après le CNJA. Laure est restée vingt-trois ans à la maison. Elle fait partie de la famille et est la marraine de Pauline. Elle a été déterminante dans ma sérénité pour conduire mes responsabilités, puisque je savais que tout était bien tenu à la maison. Elle partage nos valeurs de respect, de rigueur, de famille, de travail. Elle a bien accompagné les enfants dans leurs études - ils ont tous les trois obtenu une mention très bien au bac, ce dont elle est très fière, elle aussi. Elle est encore aujourd'hui très proche de nous.
Les femmes sont plus prêtes à témoigner de ces éléments facilitateurs, qui pallient un certain nombre d'éléments évoqués par M. le président du Sénat et Mme la présidente Billon, telles que la faiblesse de garde en milieu rural ou les difficultés pour trouver des haltes garderies ou des nounous. Il existe désormais davantage d'infrastructures, mais ce n'était pas le cas à l'époque. Il y a aujourd'hui une maison maternelle dans notre commune. Il n'y en avait pas. Nous devions alors nous organiser.
La responsabilité, c'est d'abord accepter de dire « Oui, je veux le faire ». Ce n'est pas évident. Vous citiez tout à l'heure Nicole Notat. Lorsqu'elle a été pressentie pour prendre la présidence de la CFDT, tous les journaux titraient « Voilà une femme ambitieuse qui arrive à la tête de la CFDT ». Une femme dans cette situation est qualifiée d'ambitieuse. Pour un homme, on lui demande simplement d'y aller. C'est encore un peu ancré dans les approches. Ensuite, de fil en aiguille, j'ai été nommée présidente du CNJA deux ans plus tard, pour un mandat de quatre ans, au pas de course, en portant des sujets d'importance : l'installation des jeunes agriculteurs, le renouvellement, la nécessité d'avoir des jeunes qui arrivent pour la vitalité des communes rurales. Nous avons mis ce dernier point en avant avec notre formule fétiche : « Nous avons plus besoin de voisins que d'hectares », qui nous venait de responsables de l'Aveyron. Renouveler les exploitations agricoles était la clé de la vitalité des villages et des communes rurales.
À 35 ans, nous ne sommes plus considérés comme de jeunes agriculteurs. J'ai tout arrêté et Pauline est née. Nous avions pour objectif d'avoir trois enfants et les avons eus : deux garçons et une fille. Très vite, j'ai repris des responsabilités. Pour l'anecdote, j'ai été élue au conseil d'administration de la FDSEA du Maine-et-Loire alors que j'étais sur mon lit de maternité, juste après la naissance de Pauline. Il est vrai que j'aime l'action collective et l'engagement pour l'action, c'est-à-dire que j'apprécie le fait de conduire des projets, animer et entraîner des équipes.
J'ai mis en place une école de formation pour les jeunes responsables lors de mon arrivée dans le Maine-et-Loire. Pour exercer des responsabilités, vous le savez, il est nécessaire de disposer d'une maîtrise des dossiers, de la prise de décisions, du pilotage de réunion. Certaines l'ont instinctivement, d'autres non. Il est toujours préférable d'avoir justement plus de capacité et d'assurance pour bien travailler, mais aussi pour asseoir son autorité, pour montrer qu'on est en capacité de faire, pour bien conduire les réunions, de façon rigoureuse et productive. Je dis souvent que lorsqu'on laisse deux ou trois enfants à la maison, on ne peut pas partir pour « buller » à l'extérieur. On doit être efficace et utile, apporter quelque chose à la cause pour laquelle on s'engage.
J'ai conduit bon nombre de dossiers. J'ai pris du plaisir dans mes responsabilités, j'ose le dire. Je n'ai jamais présenté mes responsabilités sous un angle sacrificiel ou de complexité, parce que j'ai apprécié le contact, les équipes. J'aimais voir les gens grandir dans leurs responsabilités. Je me suis engagée à 19 ans et demi. En quarante-deux ans, j'ai vu grandir des responsables qui ont commencé de manière timide, étant assez peu engagés. Ils sont aujourd'hui brillants. Ils excellent et sont en plein exercice de responsabilités. C'est gratifiant. La responsabilité, c'est aussi le fait de savoir s'entourer de collaborateurs, d'agriculteurs ou d'agricultrices qui nous aident beaucoup.
Je viens de participer au Salon de l'agriculture pendant huit jours. J'ai ensuite passé mon dimanche au bureau de la FNSEA, à rattraper mon retard de mail et ma gestion de courrier, de dossiers, de préparation de réunion. Hier soir, mon directeur m'indiquait que je lui avais envoyé 90 mails dimanche. Je ne les avais pas comptés, contrairement à lui, mais j'ai tout de même vérifié qu'il n'exagérait pas. Je sais que j'ai largement éclusé tous les courriers de la semaine pour éviter d'avoir du retard et de passer à côté de quelque chose. Nous sollicitons également beaucoup nos collaborateurs dans le cadre de nos responsabilités.
Comment suis-je arrivée à la présidence de la FNSEA ?
J'étais première vice-présidente de Xavier Beulin. C'est Jean-Michel Lemétayer qui m'a fait entrer en tant que vice-présidente, et non vice-présidente féminine statutaire. Ce poste était occupé par une autre femme. Moi, j'ai été nommée après avoir été présidente départementale de Maine-et-Loire pendant dix ans. J'avais une responsabilité territoriale en département. J'ai piloté bon nombre de dossiers et Xavier Beulin m'a fait confiance pour être première vice-présidente. On m'a récemment présentée comme le maillot jaune des premières : première présidente des Jeunes agriculteurs, première femme première vice-présidente, première femme présidente de la FNSEA, première femme présidente du Copa, le syndicat européen. C'est un cheminement. J'ai longtemps hésité avant d'accepter cette responsabilité européenne mais les sujets européens me semblent primordiaux pour l'agriculture. De nombreux horizons pour l'agriculture sont européens. La Politique agricole commune (PAC), les textes européens ou les normes sanitaires sont tous décidés à Bruxelles, d'où l'importance d'y avoir un pied, une oreille et une tête pour essayer de faire bouger les lignes.
C'est plus un sentiment de devoir qu'un sentiment de pouvoir qui m'a amenée à prendre ces responsabilités. Elles se sont accompagnées de beaucoup d'insomnies. Je ne suis pas très sûre de moi. Je suis perfectionniste. J'aime faire les choses bien. Je me demande souvent si j'en fais assez, si je fais les choses comme je le devrais. S'en ressentent parfois une certaine pression, un certain stress sur mes collaborateurs lorsque je leur demande de m'aider à en faire plus.
Vous m'interrogez quant aux freins qui existent. Le premier, bien souvent, se trouve dans la tête des agricultrices elles-mêmes. Mon ami Jean-Marc Lézé me disait souvent que, lorsqu'on demande à une femme de prendre des responsabilités, elle demande « Pourquoi moi ? ». Un homme à qui on dit non répond au contraire « Pourquoi pas moi ? ». J'aime cette formule et la répète. Pour cette raison, nous incitons souvent les agricultrices à oser s'engager, à s'en sentir capables. Le deuxième frein correspond à un manque de formation de certaines femmes. Celles qui sont venues à l'agriculture sans être formées sont tout de même de moins en moins nombreuses, parce qu'elles choisissent désormais ce métier. Lorsqu'elles n'ont pas de formation initiale, il existe aujourd'hui des formations continues leur apportant les compétences. Pour discuter d'égal à égal en réunion ou en négociation, il est préférable s'avoir suivi une formation et de disposer de bases de connaissances agricoles.
La famille ou le conjoint peut aussi, parfois, constituer un frein s'il vit mal la prise de responsabilités et l'organisation qu'elle suppose, vis-à-vis des gardes d'enfants, par exemple. Il n'y a pas toujours de haltes garderies, de nounous, de Maisons d'assistants maternels (MAM). Dans notre culture judéo-chrétienne, cette responsabilité incombe plutôt aux femmes dans le foyer. Puisque le travail ne manque pas dans les exploitations, les hommes peinent parfois à le concilier avec la prise en charge des enfants, bien que cette situation évolue. Dans ma commune, trois agriculteurs dont les compagnes travaillent à l'extérieur ont pris en charge les enfants, leur préparation, les trajets vers et au retour de l'école, les repas s'ils ont des intolérances alimentaires, le goûter avant de retourner soigner leurs animaux. Beaucoup ne mesurent pas suffisamment la chance que ces temps choisis peuvent représenter dans l'agriculture par rapport à d'autres professions.
Mentionnons également les horaires de réunion, souvent à 18 heures ou 20h30. Le choix d'horaires compatibles avec ceux de femmes et de mères n'était pas mis en place chez nous.
Nous avons tenté de pallier tous ces freins avec la mission des agricultrices, qui a bien travaillé sur ces sujets.
Les règles ont changé. Les listes des chambres d'agriculture doivent désormais compter 30 % de femmes, et pas quatorze hommes, puis sept femmes en fin de liste, mais bien deux hommes, puis une femme, puis deux hommes, puis une femme... Cette règle a permis à plus de femmes d'arriver en responsabilité dans les chambres d'agriculture. Là aussi, il a fallu aller chercher des femmes qui ne voulaient pas de ces postes et qui se révèlent finalement très à leur place dans leurs responsabilités, pilotant des projets de formation, interterritoriaux ou autres. Les femmes, quand elles sont en situation d'agir, s'en donnent les moyens. Dans la majorité des cas, elles parviennent à leurs fins, puis engagent un second, voire un troisième mandat. Le nombre de présidentes de chambres d'agricultures est aujourd'hui inédit, puisqu'elles sont cinq.
Notre organisation n'a pas fixé de quotas. La présidente de la Commission nationale des agricultrices (CNA) l'avait évoqué, mais nous n'avons pas voulu basculer vers ce système. En agriculture, 33 % des actifs sont des femmes. 25 % sont chefs d'exploitation. Nous n'atteindrions donc pas une parité à 50-50. Nous poussons en revanche une représentativité de 30 % de femmes.
Nous n'avons pas établi de quotas à la FNSEA. Peut-être devrons nous un jour le faire, mais nos scores se sont améliorés. Nous comptons aujourd'hui trois femmes sur un bureau de vingt-six personnes. C'est inédit. Le conseil d'administration compte treize femmes parmi ses soixante-neuf membres. Douze femmes sont présidentes départementales. Une seule est présidente de région, dans l'Orne, chez le président Larcher. Cinq femmes sont présidentes d'associations spécialisées telles que les fédérations des chevaux, des ovins, des fruits ou du riz. Nous ne sommes pas prêts à basculer sur des quotas. Ce sujet est souvent débattu dans de nombreuses organisations et de nombreux conseils d'administration. J'espère que nous n'en arriverons pas là.
Aujourd'hui, 32 % des installations de jeunes sont le fait de femmes. Les écoles d'agriculture accueillent 52 % de filles pour 48 % de garçons. Ma fille Pauline a passé un diplôme d'ingénieur agronome à Rennes Agrocampus Ouest. Sa classe comptait 68 % de filles. Ainsi, la situation s'améliore. Toutes ces filles ont trouvé du travail dans les trois mois suivant la fin de leurs études. Certaines sont agricultrices, d'autres conseillères. Cette réussite est impressionnante, tout comme cet intérêt pour les métiers de l'agriculture.
Nous avons besoin de bras. Nous lançons un appel pour accueillir des jeunes filles, des jeunes femmes. Les femmes vétérinaires sont de plus en plus nombreuses. Les craintes dont faisaient part les agriculteurs, au départ, ont disparu. Tous les métiers, même certains qui étaient par le passé exclusivement masculins, sont aujourd'hui choisis par des jeunes filles. C'est très bien. Nous allons continuer à lever les freins existants, dans la mesure du possible, pour apporter davantage de coordination. Les femmes apportent un équilibre important dans les groupes majoritairement masculins.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci. Nous pouvons applaudir Mme Lambert.
J'en profite pour saluer nos collègues des Ardennes qui ont réussi à dépasser les problèmes d'embouteillages, ainsi que la vice-présidente du Sénat, Valérie Létard, qui a marqué l'actualité de ces dernières semaines par son engagement permanent au service de la cause des femmes. Je pense notamment à l'aide d'urgence pour les victimes de violences conjugales, texte qu'elle est parvenue à faire aboutir. Je crois que c'est la fierté de son mandat.
Je vous propose d'enchaîner avec le témoignage de Christine Maximin, maire de Baratier, petite commune touristique rurale de moins de 600 habitants dans les Hautes-Alpes, vice-présidente de la Communauté de communes de Serre-Ponçon. Elle est par ailleurs ma suppléante. Elle a l'ambition de vous présenter le cheminement d'un engagement. Je lui laisse le soin de vous présenter son parcours, sa vision de l'engagement des femmes en zone rurale, en tant qu'élue locale dans une collectivité rurale.
Mme Christine Maximin, maire de Baratier (Hautes-Alpes). - Monsieur le Président Larcher, Madame la Présidente Billon, Mesdames les Sénatrices, Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les élus, je souhaite tout d'abord exprimer, avec la maire du village de La Faurie, dans les Hautes-Alpes, toute notre déception de ne pas être présente avec vous, physiquement aujourd'hui.
Je suis Christine Maximin, fière suppléante du sénateur Jean-Michel Arnaud. Je suis par ailleurs maire d'un petit village magnifique, Baratier, dans les Hautes-Alpes, à proximité du lac de Serre-Ponçon et du parc régional des Écrins. Je suis également vice-présidente de la Communauté de communes de Serre-Ponçon, qui regroupe dix-sept communes et 17 000 habitants.
Je suis très attachée à mon village, passionnée par mon département. Je me suis investie très jeune en faveur de l'intérêt général, et dans la vie du village. À 18 ans, j'ai cofondé et co-animé une association regroupant tous les jeunes du village. Elle avait pour mission de responsabiliser les jeunes à travers l'animation de leur village. Cet investissement et cette implication m'ont, je pense, prédisposée à l'engagement. À 21 ans, je me présentais en tant que candidate libre aux élections municipales, avec deux autres candidates plus âgées. Nous n'avons pas été élues. J'ai continué à m'intéresser à la vie locale publique. J'ai été stagiaire de la commune sur un projet de développement local. J'ai suivi une formation de responsable dans les secteurs sociaux éducatifs, de loisirs et culturels, puis je me suis aussi investie professionnellement dans la vie locale, notamment dans le tourisme et l'encadrement de groupes. Ce n'était pas simple, puisque la ruralité ne permet pas toujours l'accès aux emplois en lien avec notre niveau d'études.
En 1989, on m'a proposé de candidater sur une liste communale. J'ai été élue pour la première fois. J'étais la plus jeune. Pour certains élus ou administrés, j'étais aussi la petite fille qu'ils avaient vu grandir. À cette époque, peu de femmes avaient des responsabilités dans la vie publique et professionnelle. L'ouverture d'esprit était peut-être moindre dans la ruralité. Je me revois lors de mon premier conseil municipal. Je n'osais pas prendre la parole. J'ai énormément travaillé pour gagner en assurance et en crédibilité.
J'ai continué à m'engager. Aux élections suivantes, je suis arrivée à une voix du maire sortant. Il a créé un poste de troisième adjointe, spécialement pour moi. J'ai ensuite été élue première adjointe durant les trois dernières mandatures. Le conseil comptait entre deux et quatre femmes pour onze élus, puis quatre femmes pour quinze élus sur le dernier mandat.
J'ai réalisé que les femmes avaient souvent une vision différente. Elles entraient davantage dans les détails, s'investissaient dans le collectif sans attendre une valorisation en retour.
Durant toutes ces mandatures, je me suis énormément impliquée. J'étais la seule adjointe. J'ai travaillé avec beaucoup de persistance pour me donner de la crédibilité. Comme d'autres femmes, peut-être, je devais démontrer un professionnalisme, prouver ma valeur ajoutée à la commune. Je n'ai pas réellement rencontré de difficultés dans mes relations avec les hommes, bien que j'aie parfois dû hausser la voix pour me faire entendre. Pour autant, je crois tout de même que ma position de femme m'a réussi. On me laissait faire. Certains me regardaient faire. Il me semblait normal, en tant que femme, d'être plus contributrice, de réaliser plus d'activités que d'autres élus hommes. J'ai eu l'opportunité de présenter des dossiers, de réaliser des actions sur des projets qui me tenaient à coeur, pour l'intérêt de mon village, de mon territoire, en entraînant toute l'équipe. C'était pour moi essentiel. Mon engagement était le plus fort.
J'ai ensuite été élue maire de mon village en mai 2022. J'en étais très fière. La liste que j'avais constituée était paritaire et comptait sept femmes et sept hommes. C'était pour moi une priorité, bien que la parité ne soit pas obligatoire. J'ai deux adjoints et deux adjointes. La première adjointe est une femme. J'avais également fait appel à un organisme de formation pour former l'équipe sur le rôle de la commune et de ceux qui l'animent. Je voulais que chacun - et chacune - prenne sa place pleine et entière, et qu'une solidarité se mette en place, sans différences entre les élus.
Les délégations habituellement attribuées aux femmes - telles que l'éducation - ou aux hommes - les travaux publics - ont été réparties selon les appétences de chacun. Trois élus constituent la commission école. Un référent se charge de l'enfance et de la jeunesse. Une femme est référente sur les dossiers de glissement de terrain et des risques naturels. La première adjointe se charge de la sécurité des personnes et des espaces. Ces hommes et ces femmes sont jeunes, en majorité. L'équipe ne compte que deux retraités. Ils viennent d'horizons différents. La bienveillance et le respect règnent entre chaque élu, femmes et hommes. Nous organisons des réunions en visioconférence pour gagner du temps, pour caler les horaires en fonction des disponibilités de chacun, qu'il s'agisse de saisonniers, ou de mamans de jeunes enfants. Nous échangeons beaucoup par mail pour ne pas perdre de temps.
Je suis également vice-présidente de la Communauté de communes de Serre-Ponçon, comptant 17 000 habitants de dix-sept communes. Nous ne sommes que trois maires femmes, dont la présidente qui est également deuxième vice-présidente de la région. La gouvernance des EPCI ne permet pas la parité. Je pense que la situation évolue et que nous devons pousser la parité pour les communes de moins de 1 000 habitants. Nous devons également assurer une meilleure représentativité des femmes à l'échelle intercommunale et les inciter à s'engager dans la vie politique, en assurant une meilleure articulation des temps de vie. Il est par ailleurs essentiel d'assurer une formation des élus dès la prise de fonction.
En tant que suppléante du sénateur, j'accompagne le travail de qualité qu'il mène sur ces questions. Après les tables rondes que nous avons organisées en 2021, notamment dans le cadre du rapport Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité, nous devons continuer à créer du lien. Aujourd'hui, je souhaite - aux côtés des sénateurs - mettre en place des actions d'information et de communication auprès des collectivités locales, afin d'informer les élus sur tous les dispositifs et les structures concernant les femmes victimes de violence.
En conclusion, j'aimerais souligner ma fierté d'être une femme et de m'investir pour l'intérêt de mon village, de mon territoire. Je pense que la différence d'approche et de sensibilité entre les hommes et les femmes crée une complémentarité de vision, qui sert l'intérêt du territoire. C'est une richesse très importante. Dans les faits, nous sommes, je crois, plus persistantes que les hommes, sans vraiment chercher les lauriers. Nous agissons pour le collectif, dans l'intérêt général. Nous sommes capables d'établir des stratégies de long terme tout en entrant dans le détail. Nous savons faire faire, mais aussi faire, tout simplement, si cela est nécessaire.
À mon sens, il est primordial de continuer à travailler sur les nombreuses contraintes qui restreignent l'envie des femmes d'accéder à la vie politique. Il faut leur donner l'envie et les moyens de s'engager. C'est une belle place. Il faut la favoriser.
Enfin, la parité et l'égalité femmes-hommes dans la vie économique et sociale progresseront aussi par l'exemplarité de nos collectivités.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci beaucoup. Qui souhaite prendre la parole, réagir ?
Mme Martine Mousserion, maire d'Anché (Vienne). - Je suis maire d'Anché, commune de 356 habitants dans la Vienne, département de Bruno Belin. Je suis également vice-présidente en charge de l'enfance et de la jeunesse de la Communauté de communes du Civraisien en Poitou, membre du Comité européen des régions depuis un an et enseignante dans un lycée agricole auprès des apprentis en bac professionnel.
J'aimerais réagir à l'intervention de Mme Christiane Lambert concernant les jeunes filles en lycée agricole. Forte de mes trente-sept ans d'expérience, je peux dire que ces dernières sont motrices dans les classes. Lorsque certaines d'entre elles suivent mes enseignements - ce n'est pas toujours le cas -, je sais que la classe va travailler. Un jour, j'ai demandé à un jeune garçon s'il avait pris des notes. Il m'a répondu « mais je ne suis pas une fille ». Les garçons demandent à leurs camarades filles - rarement plus de trois ou quatre sur des promotions de vingt-quatre - de les aider. J'ai confiance en celles-ci. Lorsque je les suis, après leur bac professionnel, je vois qu'elles vont plus loin, qu'elles suivent des BTS. Ce sont elles qui prennent les responsabilités.
Je suis certaine que le monde agricole, dans les années à venir, comptera encore plus sur ces jeunes femmes, qui deviendront agricultrices, entre autres.
Mme Annick Billon, présidente. - Il était question, dans une intervention de Madame la maire, de la place des femmes dans les entreprises, mais aussi dans la fonction publique. Puisque nous voulons mettre à l'honneur le travail de la délégation, je souhaite donner la parole à Martine Filleul, co-auteure avec notre collègue Dominique Vérien d'une proposition de loi qui arrivera en discussion au Sénat le 5 avril. Elle vise à faire monter les femmes en responsabilités dans la fonction publique.
Mme Martine Filleul, sénatrice du Nord. - Merci de me donner la parole sur un dossier qui me tient à coeur, celui de la fonction publique et de l'égalité entre les hommes et les femmes en son sein.
J'ai moi-même appartenu à ce secteur. J'aimerais qu'il soit exemplaire, mais nous nous apercevons malheureusement que nous sommes loin du compte. Il y a dix ans, la loi Sauvadet avait pour objectif de faire progresser la part des femmes dans la fonction publique, mais elle n'a pas donné tous les résultats attendus, bien qu'elle ait permis quelques progrès s'agissant des postes les plus importants, correspondant à la haute fonction publique.
Je le disais hier dans une émission de Public Sénat, certains ministères traditionnellement masculins, c'est-à-dire le ministère des armées ou des finances par exemple, ne remplissent pas leurs obligations de parité dans les postes de la haute fonction publique. Ils paient des amendes, parfois jusqu'à un million d'euros, parce qu'ils n'appliquent pas la loi. C'est très surprenant. Ce constat mérite d'être connu. Bien qu'une certaine transparence soit de mise, il faut fouiller un peu dans les lois de finances publiques pour se rendre compte de cette réalité.
Nous avons, avec Dominique Vérien, proposé des modes d'approfondissement et d'amélioration de la loi Sauvadet, notamment par deux axes importants :
- l'élargissement des postes concernés par cette égalité femmes-hommes ;
- l'instauration d'un index de l'égalité, comme il en existe dans le privé. Il n'est pas totalement satisfaisant, mais devrait s'améliorer au fil du temps, je l'espère. La fonction publique devrait également être concernée, pour contrôler les progrès réalisés.
Si ce sujet vous intéresse, sachez que cette proposition de loi sera débattue en séance publique le 5 avril.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci, chère collègue, nous y serons. Je crois avoir vu quelques réactions lors de l'intervention portant sur l'obligation de la parité, notamment dans les conseils municipaux des communes de moins de 1 000 habitants.
Mme Sylvie Miceli-Houdais, maire de Rognac (Bouches-du-Rhône). - Bonjour. Je suis maire de la commune de Rognac, dans les Bouches-du-Rhône, et je co-préside plusieurs commissions de l'Association des maires de France (AMF) - éducation, sport, droits de la femme et sécurité.
Je m'interroge par moments sur la notion de quotas. Il m'est un peu difficile de passer par une notion de quantitatif, et non de qualitatif, pour exister dans les instances. J'aurais souhaité qu'on associe la femme à la compétence et non au nombre. Je ne fais pas de féminisme extrême ou abusif. Mon féminisme est au contraire assez universaliste. Nous sommes parfois contraints d'obliger des hommes compétents à terminer leur mandat pour rechercher des femmes lorsque nous établissons les listes. Je suis ébranlée de voir que notre pays en est encore là. La femme est compétente et a sa place. L'homme est également compétent. Lui aussi a sa place. Nous voyons que la méritocratie recule, dans tous les domaines et pas uniquement dans celui de la parité.
S'agissant des quotas pour les communes de moins de 1 000 habitants, il est déjà compliqué, pour nos confrères, d'établir une liste tout court. Je me dis qu'ajouter une contrainte pourrait nous empêcher de les remplir dans les secteurs dans lesquels nous peinons déjà à trouver des élus qui souhaitent s'engager dans nos fonctions, dans notre contexte.
Il est aujourd'hui compliqué d'être élu de la République, dans n'importe quelle instance. Le contexte économique, social, sociétal, peut faire peur et entraver l'engagement. L'ajout d'un paramètre pourrait encore compliquer la situation. Je vous fais ici part d'une inquiétude déjà évoquée à l'AMF.
M. Jean-Michel Arnaud. - Merci pour ce témoignage. Je laisse Christiane Lambert y réagir.
Mme Christiane Lambert. - Nous nous sommes posé cette question dans les mêmes termes. Il peut être mal perçu par certaines femmes d'entendre qu'on doit instaurer des quotas pour être engagées. Il est vrai qu'il peut être mal vu de bloquer des postes pour des femmes à mesure que l'on monte en responsabilité.
À la FNSEA, nous avons décidé de faire le maximum pour leur donner la possibilité de prendre des responsabilités, en mettant en place des formations, en accompagnant le remplacement sur l'exploitation ou la prise en charge des enfants. J'ai beaucoup apprécié la prise de parole de Mme la maire, lorsqu'elle indiquait que les femmes faisaient peut-être plus attention aux détails et précisions pour maîtriser parfaitement les dossiers. Dans notre milieu, ce n'est pas pour rien que les femmes sont très engagées sur les sujets sociaux et fiscaux, d'importance politique et d'une grande complexité. Ils nécessitent une parfaite maîtrise des détails pour bien négocier.
Sans avoir fait le choix de quotas, j'espère que nous parviendrons tout de même à nos objectifs. Des femmes arrivent aujourd'hui sur des postes qu'elles n'occupaient pas auparavant, en responsabilité sur de grandes productions animales ou sur des dossiers sanitaires. Comme chez vous, nous avons largement débattu de ce sujet, mais n'avons pas tranché en faveur des quotas.
M. Jean-Michel Arnaud. - Nous avons eu ce débat, que nous avons tranché dans les conclusions de notre rapport en recommandant un volontarisme. Par ailleurs, entre la première instauration des assemblées départementales paritaires et leur renouvellement, nous avons progressé. À quelques rares exceptions près, nous ne voyons plus de contestations liées à un binôme homme-femme dans ces conseils. Nous voyons glisser positivement les responsabilités des femmes vers de l'exécutif et vers des thématiques plus variées.
Mme Valérie Boyer, sénatrice des Bouches-du-Rhône. - Depuis 1965, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à obtenir le baccalauréat. Elles sont beaucoup plus diplômées que leurs homologues masculins. C'est une réalité extrêmement importante. Être réduites à des quotas est agaçant, je le sais.
Je suis toujours touchée, émue. C'est curieux. Dès qu'on dit à une femme de témoigner de son parcours, elle va évoquer les grands évènements de sa vie professionnelle, mais elle va aussi toujours mentionner les maternités. Ces dates sont très importantes dans la vie d'une famille, mais quand un homme présente son CV, les moments où il est devenu papa n'apparaissent que rarement. Cela montre l'importance de la conciliation de la vie professionnelle et familiale pour une femme.
Surtout, nous devrions réfléchir à la violence à laquelle sont confrontées les jeunes femmes, contraintes à choisir entre le travail et les enfants. Elles repoussent leurs grossesses, se privent du deuxième, troisième ou quatrième enfant, parce que notre société n'est pas accueillante pour celles qui veulent à la fois être mères et continuer à travailler. Cette réflexion est globale, que l'on soit en milieu rural ou ailleurs. Les femmes doivent avoir le choix et nous devons les accompagner. L'émancipation, c'est aussi avoir la liberté d'avoir des enfants et de continuer à travailler totalement. Ce sujet traverse toutes les zones, qu'elles soient rurales ou urbaines.
Mme Christiane Lambert. - Cette réalité évolue. De plus en plus de pères prennent leur congé paternité. C'est le cas de mon fils aîné, qui travaille chez Ersnt & Young. Sa femme est fonctionnaire. C'est lui qui a pris son congé paternité. Au sein de la Coopération agricole, je m'étonnais qu'un dossier n'avance pas comme il le devait, puis j'ai appris que l'homme qui s'en chargeait était lui aussi en congé paternité. Ainsi, la jeune génération évolue, bien qu'elle ait besoin d'un peu de temps.
Nous, femmes, sommes habituées à avoir des vies séquencées. Dans mon parcours, j'ai refusé certaines opportunités lorsque mon deuxième fils est né. J'ai réorganisé ma vie par rapport aux maternités. Lorsque j'ai fait le choix d'arrêter mes responsabilités, de nombreux hommes m'ont demandé ce que j'allais faire, comme si nous étions perdues lorsque nous n'avions plus de responsabilités. J'ai pourtant un mari, des enfants, une reprise d'exploitation qui se prépare, deux petits enfants. On peut avoir des projets et un agenda plus choisi, en bénéficiant d'un peu plus de temps disponible. En responsabilités élevées, notre agenda est tracé du lundi au samedi, sans aucun temps de respiration. Les femmes me disent que j'ai eu raison de décider d'arrêter, que je suis courageuse. Les hommes, eux, disent que je vais m'ennuyer. En riant, je leur réponds que je vais tricoter, ce que je ne sais pas faire. Pour certains, après une vie de responsabilités vient la rupture et le saut dans le vide. Non. Il peut y avoir autre chose après. La difficulté, c'est que nous n'avons plus aucun temps de responsabilité.
M. Jean-Michel Arnaud. - Mme Lambert revendique à sa manière le droit à la paresse. Je la taquine.
Mme Isabelle Claudet, maire de Saint-Martin-d'Ordon (Yonne). - Je suis maire d'une commune de 425 habitants en Franche-Comté, en Bourgogne. Je suis devenue maire par hasard. J'étais adjointe dans l'opposition d'une grosse mairie, dans une commune de plus de 7 000 habitants de Seine-et-Marne. Je suis arrivée en Bourgogne deux ans avant de devenir maire. Je ne connaissais personne. La liste a été montée par l'ancienne maire.
Dans mon mandat, je suis surtout dérangée par un manque de formation. J'ai pris mes fonctions en mai 2020. La secrétaire de mairie, en place depuis des années, est partie en vacances, puis en arrêt maladie, et je ne l'ai jamais revue. Il a été très compliqué de lui trouver un remplaçant qui soit formé et qui puisse m'épauler. J'en ai trouvé une autre, mais elle non plus ne connaît pas le secteur.
Dans une communauté de dix-neuf communes, nous ne sommes par ailleurs que deux femmes. C'est dommage. Nos avis et façons de voir les choses sont très différents de ceux des hommes. Ce n'est pas inutile.
Enfin, j'aimerais rebondir sur un éventuel manque de compétences. Je trouve que dès lors qu'on a la volonté, qu'on veut s'investir et faire avancer les choses, on peut arriver à tout, en trouvant les moyens de se former, même si c'est un peu compliqué.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci à vous toutes pour ces témoignages intéressants.
J'aimerais moi aussi revenir sur vos propos. Personne n'a envie de quotas ou de contraintes. Simplement, nous savons que sans obligations on n'avance pas, on recule.
Pour ma part, je suis entrée dans une commune de plus de 1 000 habitants il y a vingt ans, en raison d'une obligation de liste paritaire. Dans le monde de l'entreprise, la loi Copé-Zimmermann et l'obligation de parité dans les conseils d'administration et conseils de surveillance ont inquiété. On nous disait que le vivier était insuffisant, qu'on ne trouverait pas suffisamment de femmes pour siéger. Ce n'était en réalité pas un problème. Grâce à cette contrainte, nous sommes devenus les meilleurs au niveau international en termes de représentation féminine dans les conseils d'administration et les conseils de surveillance des grandes entreprises. Charge aux femmes de s'engager, de montrer toutes leurs compétences une fois en poste. Ensuite, les choses se font naturellement. Hier, notre président Gérard Larcher déjeunait avec onze ministres femmes invitées au Sénat. Il leur expliquait lui aussi cette réalité. Ainsi, sans obligation, on ne progresse pas.
Nous avions tout à l'heure la chance d'avoir la vice-présidente du Sénat, Valérie Létard, à nos côtés. Je salue maintenant la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine. J'aimerais qu'elle nous dise un mot sur les collectivités et l'engagement au féminin, ainsi que sur sa vision des contraintes et des freins. Dans une intercommunalité, là où se trouve le pouvoir, les postes à responsabilité sont aujourd'hui occupés par les maires. Si le nombre de femmes maires est restreint, la représentation féminine dans ces lieux de pouvoir est également limitée.
Madame la Présidente, je vous laisse la parole pour clôturer cette table ronde.
Mme Françoise Gatel, sénatrice d'Ille-et-Vilaine. - Merci à vous tous. Je suis heureuse de saluer Christiane Lambert. J'aime ses propos. Les femmes peuvent choisir leurs temps de vie. On peut être très heureux en adoptant un engagement fort, avec des responsabilités, mais aussi en s'intéressant à d'autres sujets. Merci de le dire.
La parité dans les collectivités territoriales est un vrai sujet. La délégation aux collectivités territoriales, que j'ai l'honneur de présider, s'interroge beaucoup, en se rappelant que l'objectif final doit être celui de l'efficacité de l'action publique. Nous pensons qu'il y a de la place pour tous les citoyens. Un conseil municipal est composé dans la diversité des citoyens, puisqu'il est un échantillon représentatif de la population. Il comporte des représentants de quartiers différents, d'âges différents. Des femmes doivent y avoir leur place.
Aujourd'hui, nous pouvons regretter qu'il y ait encore des quotas. Pour autant, je pense que sans cette incitation, les femmes ayant envie de s'engager n'auraient pas nécessairement pu le faire. Je suis moi-même devenue maire parce que j'en ai eu envie, mais présidente de mon intercommunalité par hasard, grâce aux hommes. En effet, aucun des maires ne voulait prendre cette place, ils ont estimé qu'en tant que maire de la plus grande ville, il me revenait de l'occuper. J'y suis allée et nous nous en sommes sortis.
L'intercommunalité reste un lieu de difficulté, mais les syndicats le sont peut-être encore plus. Connaissez-vous trois femmes présidentes de syndicats de collecte et de traitement des ordures ménagères ou des eaux ? Il doit bien y en avoir trois, mais ces postes à responsabilité restent éminemment masculins. Allons voir du côté des syndicats, qui sont aussi des lieux d'importance.
Lorsque je suis devenue présidente de l'association des maires, j'ai également observé une différence de culture assez spontanée des femmes. Une femme qui devient maire prend son téléphone, contacte une collègue pour lui parler des difficultés qu'elle rencontre, et lui demander comment elle a elle-même pu les affronter. Je ne dis pas que nous sommes plus ouvertes, mais nous avons en tout cas un ego qui n'est pas nécessairement surpuissant. Nous avons envie de réussir, d'être utiles. Si une collègue est parvenue à résoudre un problème, nous n'aurons pas l'air nul si nous lui demandons de l'aide. Au contraire, elle nous fera gagner du temps.
De plus, quand vous montez une liste et que vous allez chercher des femmes, elles s'en demandent souvent les raisons, estiment qu'elles n'en auront pas le temps. J'ai plus souvent entendu ces questions de la part de femmes que d'hommes.
Maintenant, je pense que nous devons encourager les femmes à devenir maires ou adjointes. C'est très important. J'entends la question de la représentante de l'AMF. Je m'interroge moi-même. Allons-nous chercher la parité dans les communes de moins de 1 000 habitants ? Devons-nous l'imposer ? Les quotas ne doivent pas empêcher l'efficacité. On me dit que si nous établissons des listes paritaires dans les communes de moins de 1 000 habitants, la démocratie sera finie, parce qu'on ne trouvera pas de monde, et qu'il « n'y aura pas de seconde liste ». On nous a déjà affirmé cela lors de l'établissement des listes paritaires pour les communes de plus de 1 000 habitants. Je pense personnellement que nous devons regarder, et éventuellement diminuer, en parallèle, le nombre de conseillers municipaux. Dans les communes de 40 ou 50 habitants - elles existent -, le conseil municipal, s'il peut être complet au départ, perd ensuite ses membres au fur et à mesure. Nous avons reconnu qu'il pouvait ne pas être complet.
Vous l'avez dit, il est parfois compliqué pour une femme de s'engager lorsque son conjoint travaille et qu'il faut s'occuper des enfants. Je rappelle que la loi Engagement et proximité a prévu la prise en charge par les communes des frais de garde d'enfants. Nous devons, je pense, permettre aux femmes de s'engager. La vie personnelle ne doit pas constituer un frein.
Ensuite, j'identifie un sujet en termes de formation. Lorsque j'ai été élue maire, nous disposions d'une formation en finance. Elle est utile, mais nous devrions également être formés à la gestion d'équipes ou à la relation avec les personnels. Nous devons donner la capacité, aux hommes comme aux femmes, de bien trouver leur place.
Je n'ai jamais dit oui à la parité dans les intercommunalités et les exécutifs. Les réalités diffèrent largement selon les situations. Si on décide d'instaurer la parité dans l'exécutif, un important problème de démocratie risque de se poser. Si vous choisissez d'organiser votre exécutif communautaire en fonction des compétences des gens, parce que vous voulez que tous les maires soient au bureau, les communes dont le maire n'est pas une femme seront écartées. Imaginez alors la relation que vous entretiendrez avec la seule commune dont le maire n'est pas nommé au bureau. Cela me semble difficile.
Ainsi, j'estime que nous devons, pour résoudre ce problème d'intercommunalités, encourager les femmes à devenir maires et à assurer des fonctions universelles. Je ne pense pas qu'un homme soit plus compétent qu'une femme pour réaliser une voirie, au contraire. J'ai en effet vu des femmes très au fait des problématiques à ce sujet, parce qu'elles empruntaient la voirie du village avec une poussette, par exemple. Une intelligence complémentaire me semble de mise. Je pense que nous devons gagner la parité dans les exécutifs communautaires grâce à l'augmentation du nombre de femmes maires.
Je terminerai par un exemple, celui d'une proposition de loi arrivant la semaine prochaine. Dans les communes de plus de 1 000 habitants, les conseillers municipaux sont fléchés par sexe. Il se peut aujourd'hui que votre commune n'ait plus la représentation qu'elle devait avoir dans votre intercommunalité. Si votre stock d'hommes ou de femmes est épuisé, vous ne pouvez pas remplacer un homme par une femme, ou inversement. Dans ce contexte, nous allons proposer une continuité de représentation, signifiant qu'une femme est égale à un homme.
M. Jean-Michel Arnaud. - Notre première séquence touche à sa fin. Marie-Pierre Monier va désormais nous parler des jeunes dans les territoires ruraux et des solutions mises en place pour élargir le champ des possibles.
Je terminerai ce volet en reprenant une formule proclamée plus tôt par Mme Maximin : il s'agit finalement de travailler, hommes et femmes, dans la différence de nos sensibilités, mais dans la complémentarité de nos visions. Je crois que c'est l'objectif que nous devons poursuivre pour l'efficacité de nos politiques publiques.
Merci à toutes et tous pour votre participation, élargie par l'arrivée d'un grand nombre de collègues élus locaux. Nous sommes heureux de constater votre intérêt pour les thématiques qui nous réunissent ce matin.
Mme Marie-Pierre Monier ; sénatrice de la Drôme. - Bonjour à toutes et à tous.
Madame Lambert, nous vous avions auditionnée dans le cadre d'un rapport sur les femmes et l'agriculture, que je vous invite à consulter sur le site du Sénat. Merci pour votre témoignage très intéressant.
J'aime à dire que la question d'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas qu'une question de femmes ou de féminisme, mais d'égalité entre des êtres humains. Nous ne pouvons pas, nous les femmes, être les seules à porter ce sujet. Nous devons le faire ensemble.
Nous sommes 51,6 % de femmes sur Terre. Nous avons, nous aussi, un cerveau. Votre présence, femmes maires, adjointes ou conseillères municipales, en est un bel exemple. Nous devons multiplier ces moments qui prouvent que nous sommes capables d'être à la tête d'une commune, d'une intercommunalité, d'un département, d'une région, d'être parlementaires.
Comme Mme Claudet, je suis arrivée en politique par hasard. Je suis un pur produit de la parité. Sans cette obligation, je ne serais pas là. Il a bien fallu qu'ils viennent chercher une femme. Ce que vous faites est important, pour votre commune, mais aussi pour les femmes qui y vivent. Vous leur montrez que nous sommes capables de diriger une commune. Surtout, ne lâchez rien.
Puisque nous parlions plus tôt de compétences, je me permettrai de citer Françoise Giroud, qui a dit en 1983 : « La femme serait vraiment l'égale de l'homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » Les femmes s'investissent souvent énormément et sont très compétentes.
J'en reviens à la séquence qui m'intéresse, consacrée à la jeunesse des territoires ruraux. La jeunesse, c'est la vie. Elle est le devenir de nos territoires. Nous allons donc l'évoquer, avec les opportunités qui s'offrent à elle, qui constituaient également un axe central de notre rapport d'information « Femmes et ruralités ». Je suis une rurale pur jus, et je remercie Annick Billon et les membres de la délégation qui se sont investis dans ce travail ayant mis en lumière toutes les problématiques que nous connaissons et que nous vivons au quotidien.
Nous l'avons montré dans notre rapport : les jeunes filles des territoires ruraux font face à des souhaits et injonctions contradictoires. Il s'agit souvent pour elles de faire un choix : partir pour avoir plus d'opportunités, dans tous les domaines, ou rester pour soutenir leur famille et leur territoire.
Les jeunes filles quittent plus souvent le territoire que les garçons pour poursuivre des études ou trouver un premier emploi. Elles n'y reviennent souvent pas une fois diplômées, n'y trouvant pas de métiers correspondant à leur qualification et à la formation qu'elles ont reçue.
Les jeunes filles qui restent en zone rurale ont un champ d'opportunités plus limité que le reste de leur classe d'âge - et surtout que les jeunes filles issues des villes - dans tous les domaines. Elles poursuivent moins d'études : seuls 52 % des étudiantes vivant en zone rurale visent au moins un bac +4 ou 5, contre 65 % des étudiantes urbaines. Elles occupent davantage d'emplois précaires, travaillent essentiellement dans les secteurs du soin et de l'aide à la personne. Elles pratiquent aussi moins d'activités sportives, occupent les espaces intérieurs et sont invisibilisées dans les discours publics et sociaux.
Nous avons souhaité dresser un focus sur le sujet de l'orientation scolaire et universitaire, car de nombreux freins pèsent encore sur l'orientation des jeunes filles, parmi lesquels une offre de formation faible et peu diversifiée en milieu rural, conjuguée avec des opportunités professionnelles plus limitées ; un manque d'accompagnement dans certains choix d'orientation ; des difficultés à quitter le territoire ; un manque de confiance en soi - c'est pour cette raison que les femmes en général répondent par la négative quand on les sollicite - et un manque de confiance en l'avenir ; l'absence de références ou « rôles modèles » féminins ; ou encore des stéréotypes de genre. Vous avez évoqué ce sujet lorsque vous avez cité les vice-présidences au sein des intercommunalités. Les femmes occupent celles de la jeunesse, de la petite enfance ou du social, mais elles peuvent aussi se charger des finances ou de la voirie.
Face à ces constats, nous avons formulé cinq recommandations - lorsque nous rédigeons un rapport, nous dressons un état des lieux, puis faisons des recommandations et essayons de les insérer dans des débats parlementaires ou dans des textes de loi - pour élargir le champ des possibles des jeunes filles, à la fois au sein des territoires ruraux et en dehors de ceux-ci.
Nous souhaitons ainsi mener des campagnes d'information à l'orientation incarnées et inversant les stéréotypes, en utilisant des figures et « rôles modèles » féminins pour recruter au sein des filières perçues comme masculines, et vice-versa.
Cela doit aller de pair avec une éducation et une sensibilisation à l'égalité des élèves, filles comme garçons, mais aussi des enseignants et des conseillers d'orientation.
Nous voulons aussi encourager les dispositifs de mentorat et les partenariats entre les collèges et lycées ruraux et des associations et programmes comme Les cordées de la réussite, Des territoires aux grandes écoles, ou encore Chemins d'avenirs. Les associations font un travail très important. Nous y reviendrons tout à l'heure avec la fondatrice de l'association Chemins d'avenirs, Salomé Berlioux, que nous avons eu l'occasion d'auditionner et qui intervient aujourd'hui en visioconférence.
Nous recommandions également de développer des solutions permettant aux jeunes de suivre a minima deux années d'études supérieures à proximité de leur domicile, par exemple en ouvrant de nouveaux BTS, en ayant recours aux campus connectés, ou en ouvrant des antennes universitaires délocalisées. Le départ du domicile, à 20 ans, est ensuite plus aisé.
Enfin, nous pensons sincèrement qu'il est nécessaire d'accompagner la mobilité des jeunes filles, notamment via des transports sécurisés, le financement de séjours hors du territoire et l'attribution de bourses. Les difficultés de déplacement dans les territoires ruraux sont en effet revenues dans toutes les thématiques que nous avons étudiées.
D'une manière générale, je suis convaincue que ce que nous faisons en matière d'égalité contribue à ouvrir le champ des possibles pour les jeunes femmes de nos territoires.
Afin d'échanger sur ces différents sujets, je suis heureuse d'accueillir Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'avenirs ; et Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure, dans la Drôme, une commune rurale de 1 275 habitants.
Je me tourne d'abord vers Salomé Berlioux.
Vous avez créé, en 2016, l'association Chemins d'avenirs après avoir fait un triple constat.
Premièrement, les jeunes des territoires ruraux sont très nombreux. Deuxièmement, ces jeunes rencontrent un certain nombre d'obstacles ou de défis dans la construction de leur parcours et ces obstacles portent atteinte à l'égalité des chances entre les jeunes Français. Enfin, troisièmement, ce thème est resté très longtemps un angle mort des politiques publiques et des dispositifs d'égalité des chances. Au sein de cette jeunesse, les filles font, dans ce contexte, face à un triple déterminisme : géographique, social et de genre.
Je vous laisse sans plus tarder la parole afin que vous nous exposiez plus précisément les verrous à l'oeuvre dans le parcours des jeunes filles vivant en milieu rural, ainsi que les solutions pour les faire sauter.
[Un problème technique ne permet pas à Madame Berlioux de se faire entendre dans de bonnes conditions.]
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous propose de laisser la parole à notre deuxième intervenante, afin de laisser le temps à la régie audiovisuelle de résoudre ce problème technique.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je laisse alors la parole à Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure. Elle reviendra, je n'en doute pas, sur ce qu'elle a pu mettre en place, de manière directe ou indirecte, à l'échelle d'une commune rurale pour faire avancer l'égalité femmes-hommes auprès des jeunes.
Je sais que Laurence est parfois modeste. Par sa façon de se saisir de son rôle de maire et de l'incarner au quotidien, comme beaucoup d'entre vous ici, elle montre aux jeunes filles et femmes que nous sommes légitimes à exercer des responsabilités et à prétendre aux plus hautes fonctions politiques. Elle occupe également un poste sur lequel on n'attendrait pas du tout une femme. Je la laisse vous en parler.
Mme Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure. - Bonjour à toutes et à tous. Merci, Marie-Pierre, pour cette invitation.
Je suis maire depuis 2014 d'une commune qui comptait à l'époque 800 habitants. Depuis 2022, elle en compte 1 275, car je viens de créer une nouvelle commune. À ce titre, je salue particulièrement Françoise Gatel - et tous les sénateurs et invités présents, évidemment.
Je suis donc maire, mais aussi présidente d'un syndicat de collecte d'ordures ménagères, sur un territoire de 72 000 habitants. Je peux ici faire un clin d'oeil à ce qu'évoquait plus tôt Françoise Gatel, car ce n'est pas un endroit où l'on attend les femmes. J'en suis pourtant présidente, après avoir succédé à un homme. L'exécutif comptait cinq hommes vice-présidents. Il compte aujourd'hui une présidente et une vice-présidente, en plus de trois vice-présidents masculins. Le syndicat fonctionne très bien. On peut effet être femme et savoir compter et gérer un budget de dix millions d'euros, et même faire baisser la taxe d'ordures ménagères, ce qui a fait des envieux.
J'aimerais revenir sur la question des quotas évoquée plus tôt. Je ne trouve pas ce mot très joli. Pour autant, je voudrais juste rappeler que nous ne devons pas souffrir du syndrome de l'imposteur. S'appuyer sur le postulat selon lequel il ne faudrait pas aller chercher des femmes alors que l'on n'a déjà pas assez d'hommes dans les petites communes reviendrait déjà un peu à se tromper. Nous ne sommes pas plus sottes en ruralité qu'en ville. Il est aussi possible d'aller chercher des femmes dans les communes de moins de 1 000 habitants que dans les plus grandes villes.
Marie-Pierre l'a rappelé, plus de la moitié de l'humanité est féminine. Il est tout à fait possible d'aller chercher des femmes compétentes. On pourrait dire que s'il est déjà compliqué de construire des listes, « pourquoi aller chercher des femmes ? » Je répondrai, de mon côté : « pourquoi aller chercher des hommes ? » La solution serait-elle de réduire le nombre de conseillers municipaux ? Je ne le sais pas. En tout cas, je suis personnellement toujours parvenue à atteindre la parité, tant sur ma liste en 2014 qu'en 2020, sur quinze conseillers. Je ne l'atteins plus sur ma nouvelle commune, car je me suis « mariée » à une commune qui n'affichait pas cette parité. Son maire était un homme. Je ne lui en veux pas. Nous travaillons aujourd'hui main dans la main, dans une parfaire entente, en douceur et en binôme. Je ne doute pas que le prochain conseil sera paritaire et de qualité.
Revenons-en au sujet qui nous occupe aujourd'hui, à savoir les jeunes en ruralité. Je ne vous exposerai pas des tonnes d'exemples de ce que j'ai pu mettre en place pour faire avancer ce sujet, parce que dans une commune comme la mienne, vous vous en doutez, nous rencontrons des difficultés en termes de budget. Les politiques publiques sont difficiles à mettre en oeuvre à l'échelle d'une petite commune. Pour autant, je crois en l'exemplarité. Celle-ci passe par le fait qu'une femme soit maire, qu'elle s'ouvre à cette jeunesse et qu'elle lui montre qu'il est possible, en tant que femme, d'être mère, mais aussi entrepreneure, maman. Tout est possible.
Comment cette action s'articule-t-elle au quotidien ? D'abord, nous avons souhaité, dès 2014, créer un groupe de jeunes. En ruralité, nous rencontrions une difficulté particulière : nous disposons d'écoles publiques, mais aussi de nombreuses écoles privées. Les enfants, étant inscrits de part et d'autre, ne se fréquentent pas nécessairement. Nous souhaitions les rassembler. Nous avons alors lancé un appel à la jeunesse, l'incitant à venir nous voir. De nombreux jeunes y ont répondu. Ainsi, un groupe a fondé une junior association. Depuis sa création, il y a huit ans, ses membres grandissent, mais leurs frères, soeurs, cousins ou amis la rejoignent au fur et à mesure. Ils sont âgés de 12 à 18 ans environ. Lorsque nous discutons avec eux, nous évoquons rapidement le sujet de la parité ou de la gouvernance, lorsqu'il doit y en avoir, des organisations et des animations qu'ils peuvent mettre en place. Nous tenons également à l'inter-génération. Nos échanges sont très riches.
Comment pouvons-nous intervenir au niveau de ce groupe de jeunes, au sein de notre commune, à l'aide de l'association Familles rurales ?
Notre action consiste principalement dans des activités que nous pouvons proposer. J'évite au maximum de proposer des activités genrées. Par exemple, nous ne proposons pas nécessairement de foot, ou d'autres pratiques regroupant les garçons, pendant que les filles les regardent. Nous essayons plutôt de trouver des loisirs permettant à ces publics de s'épanouir ensemble. Souvent, lorsque j'évoque ce point, mes interlocuteurs m'expliquent que leur petite fille aime le foot. Très bien, il n'y a aucun souci. Si un garçon avait souhaité faire de la danse, il se serait moins épanoui, parce qu'on ne lui aurait pas proposé d'en faire, ou parce qu'il aurait été stigmatisé. Le « non genré » revient à proposer des activités plus centrées autour de la nature, par exemple.
Ensuite, comment proposer de l'exemplarité sur la commune ? Nous pouvons suggérer un retour à l'importance du matrimoine.
Comme un peu partout en France, nous ne disposons pas de rues ou de bâtiments nommés après des femmes. C'est pourtant un élément qui peut ouvrir le champ des possibles et offrir de la représentation aux jeunes filles. Ainsi, nous sommes en train de construire un bâtiment culturel comprenant une salle des associations, une bibliothèque ou encore un espace public. Il sera baptisé Blanche Peyron, en l'honneur de cette officière de l'Armée du salut, fondatrice du Palais de la femme, un hôtel social à Paris. Cette décision a été prise à l'unanimité du conseil municipal.
Surtout, il est important d'ouvrir le champ des possibles, pour que les filles - en ruralité comme ailleurs - puissent se dire qu'elles peuvent le faire. Je ne parle pas ici uniquement des métiers prestigieux, comme on peut souvent l'entendre. Elles peuvent également prétendre à des métiers dits d'hommes, comme chauffeur poids lourd ou bouchère. Une jeune fille de ma commune exerce cette profession, elle souffre régulièrement de misogynie.
Enfin, l'exemplarité que nous recherchons ne peut que s'accompagner de la déconstruction d'un monde assez masculin au quotidien, où la place de la femme reste au second plan. C'est d'ailleurs encore plus le cas en ruralité. J'illustrerai mon propos par un exemple que je tiens de commissions de cantine avec nos agents, des élus et des parents.
On nous a fait savoir que des enfants aidaient à mettre et à débarrasser la table. Seulement, lorsque l'on a poussé le sujet, et qu'on a demandé des précisions sur les enfants qui participaient à ces tâches, on nous a répondu 99 fois sur 100 que seules les filles le faisaient. Il nous était assuré que ces dernières en avaient envie, qu'elles le demandaient. Pendant ce temps, les garçons jouaient au foot.
Nous souhaitons que demain, ces jeunes filles sachent qu'elles ont, elles aussi, le droit de débarrasser, si elles le souhaitent, mais aussi d'aller lire un livre, de jouer à des jeux de société ou de faire plein d'autres choses, comme leurs camarades. Les garçons, quant à eux, doivent participer aux tâches du quotidien, pas uniquement regarder les filles le faire et continuer à construire ces schémas qui, sans être conscients, leur paraissent normaux. Nous essayons de déconstruire cela au quotidien. Nous sommes également vigilants quant au vocabulaire que nous employons.
Par ailleurs, nous créons des expositions ou les louons pour les mettre en place dans ma petite commune. J'ai ainsi pu proposer une exposition des élus contre les violences faites aux femmes, qui a rencontré un vif succès. Nous l'avons ouverte le dimanche, à l'heure du marché, entre autres. Ainsi, nous n'y avons pas attiré que des personnes sensibles à cette cause.
Je vous le disais, nous manquons de moyens pour mettre en place de grosses politiques publiques. Pour autant, nous essayons au quotidien d'ouvrir le champ des possibles aux filles en ruralité, sur la carrière, le métier, la vie qu'elles choisiraient, pour qu'elles n'aient pas à rester enfermées dans des stéréotypes de genre ou des modèles patriarcaux qui perdurent.
Mme Marie-Pierre Monier. - Puisque nous ne parvenons pas encore à nous connecter avec notre autre intervenante, je vous propose un premier échange.
Je propose à Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy, d'intervenir sur le sujet du parcours scolaire des jeunes filles dans les outre-mer.
Mme Micheline Jacques. - Merci. C'est toujours un plaisir de participer aux travaux de la délégation aux droits des femmes.
Je rejoins tous les propos entendus ce matin. Effectivement, nous retrouvons les filles dans ces petits territoires isolés, mais elles ont tendance à s'émanciper. J'ai été enseignante et directrice d'école pendant de nombreuses années. Il nous était important de montrer qu'il n'existait pas de fonctions pour les garçons, et d'autres pour les filles, mais que tout le monde était égal. Chez nous, les premiers font de la danse, et les secondes, du foot. Ils font preuve d'un respect mutuel. Nous essayons de sortir de ces clichés.
Il y a quelques années, parce que les jeunes n'avaient pas les moyens de partir - nous n'avons pas de lycée à Saint-Barthélemy, juste un collège - nous avions créé un centre de métiers du bâtiment pour les jeunes hommes. Leurs homologues féminines étaient réservées aux tâches ménagères ou au crochet. Les choses ont beaucoup évolué, mais l'isolement reste prégnant.
Je laisse la parole à ma première vice-présidente, qui a beaucoup oeuvré pour l'environnement et les problématiques sociales.
Mme Marie-Hélène Bernier, première vice-présidente de la Collectivité de Saint-Barthélemy. - Merci. Je suis émue d'être là. Le discours de Mme Lambert m'a beaucoup touchée. Dans ce genre de réunion, les propos échangés sont souvent très techniques et globaux. Entendre quelqu'un parler de soi nous touche toutes, car bon nombre d'entre nous sont des femmes. Nous sommes toutes un peu concernées.
Pour autant, je suis un peu moins optimiste que Micheline Jacques. Il est vrai que l'égalité femmes-hommes a avancé, mais il nous reste encore énormément de travail pour que les femmes soient considérées pour ce qu'elles sont, pour leurs compétences ou leur position.
Je suis première vice-présidente, depuis un an, à la collectivité de Saint-Barthélemy. Je viens du milieu associatif. En 2009, j'ai fondé une association oeuvrant pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine environnemental, historique et culturel. Je l'ai présidée jusqu'en 2022.
J'étais la seule femme à mener une liste aux élections en 2017. Toutes les autres têtes de liste étaient des hommes. À l'époque, on m'a dit que j'étais une femme, homosexuelle, qu'il ne me restait plus qu'à être noire pour combler les caricatures.
Nous devons lutter pour ce que nous sommes, avec nos convictions. Les femmes disposent d'une force exceptionnelle.
Merci pour l'invitation. Je suis heureuse d'être là.
Mme Marie-Pierre Monier. - Merci pour ce témoignage fort. Il est important que nous assumions, que nous nous libérions. Lors de mon arrivée au sein de la délégation, nous avons tenu une table ronde à l'occasion de laquelle on m'a demandé de m'exprimer sur ma carrière. Je me suis alors rendu compte que nous nous imposions nous-mêmes des barrières. Nous devons nous en libérer.
Avez-vous des questions pour Mme Pérez, ou des retours d'expérience à nous exprimer ?
Mme Aude Serein, maire d'Évigny (Ardennes). - Je suis maire d'un petit village de 200 habitants, première femme à occuper ce poste. Je suis maire et mère. Mon deuxième enfant est né en 2021, moins d'un an après mon élection. Au sein du conseil municipal, je n'ai eu que des félicitations, tant de la part d'hommes que de femmes. Au niveau de l'intercommunalité - composée à 80 % d'hommes, a minima, souvent retraités - en revanche, j'ai été confrontée à une incompréhension totale. À leurs yeux, le fait d'avoir un deuxième enfant revenait à abandonner mes fonctions. On m'a reproché mon absence pendant mon congé maternité. Pourtant, une semaine après mon accouchement, je reprenais mes responsabilités de maire.
Je tiens à préciser que je suis entièrement épanouie dans ma vie personnelle, dans ma vie d'élue et dans ma vie professionnelle. En effet, j'ai également une activité professionnelle.
Je pense que les mentalités évoluent. Dans les villages, le fait qu'une femme jeune ait envie de s'impliquer est souvent salué. Ce n'est d'ailleurs pas une question de sexe, mais de compétences et d'envie. Il me semble positif qu'on ne s'arrête pas toujours à la question du genre. Pour autant, certains propos ne devraient même pas être tenus de la part de certains élus.
Ainsi, je voulais prendre la parole pour témoigner que nos épanouissements professionnels et personnels ne sont pas contradictoires, et qu'ils peuvent se rejoindre.
Mme Marie-Pierre Monier. - Seuls les conseils départementaux sont de vraies instances paritaires. Seuls 20 % des présidents de départements ou des intercommunalités sont des femmes. Je rejoins votre propos sur les intercommunalités rurales. Il faut que les femmes soient maires. En effet, pour des équilibres territoriaux, on nomme souvent les maires des communes à l'exécutif de ces intercommunalités. Se pose ici la question de la constitution des listes pour les communes de moins de 1 000 habitants. Nous avions réfléchi à la mise en place d'un binôme pour que les femmes soient plus présentes.
Mme Laurence Bussière, maire de Daubeuf-la-Campagne (Eure). - Je suis présidente de l'Union des maires ruraux de l'Eure, maire d'une petite commune de 241 habitants, et vice-présidente du syndicat de l'eau. Lorsque j'ai proposé ma candidature au président pour occuper cette fonction, il m'a dit qu'il la prenait, mais que sa liste était déjà pleine. Je n'ai pas eu de nouvelles de lui. Le jour J, il m'a contactée pour m'annoncer que je n'aurais pas la fonction demandée, mais qu'il m'avait désignée membre du bureau. Ce n'est pas ce que je voulais.
J'ai longtemps hésité à prendre la parole pour me faire entendre. Lorsque le président a énoncé sa liste, j'ai décidé de me lever pour expliquer que j'avais proposé ma candidature, qui avait été refusée. Plusieurs hommes m'ont suivie et ont dit qu'eux aussi avaient vu leur candidature retoquée. L'un d'eux a indiqué « Nous ne sommes pas en Russie ici. Si nous souhaitons nous présenter, nous pouvons le faire ». Je me suis présentée, et j'ai récolté le plus de voix.
Ensuite, ça n'a pas été simple. Récemment, j'ai demandé des informations concernant un dossier. On m'a répondu : « Tu te tais, ou je t'enlève tes indemnités ». J'ai répondu que j'étais prête. J'en passe. Parfois, quand j'arrive, il me demande « Tu as vu comment tu es habillée ? ». Personnellement, j'estime que je suis bien vêtue. Un jour, en présence d'un préfet, il a dit « Tu as vu, maintenant c'est une blonde qui va devenir grise ». Le préfet a répondu que je pouvais faire ce que je voulais et qu'il n'interviendrait pas. C'était une parenthèse.
En écoutant vos propos, je pense que la femme a besoin, pour être mise en valeur, d'outils et de formation. Je suis devenue maire par hasard, moi aussi.
J'étais la première femme maire de mon village. J'en ai bavé. J'ai pleuré à plusieurs reprises - mais jamais devant les personnes concernées, uniquement en arrivant chez moi. Nous ne sommes pas suffisamment soutenues. Nous avons besoin d'outils pour intervenir, d'éléments de langage. Avec une association, nous mettons en place des ateliers d'autodéfense pour le dialogue, pour apprendre à riposter. Ils nous ont énormément servi. Un psychologue intervient. Nous ne sommes pas suffisamment formés, femmes comme hommes. Nous sommes maires, l'avons choisi, mais n'y connaissons rien.
Vous parlez de compétences. Je ne pense pas que ce soit réellement le sujet. De nombreuses femmes veulent s'investir mais craignent de ne pas y parvenir. Je suis dans le syndicat d'eau, alors que je n'y connaissais pas grand-chose. Pour autant, certains de mes collègues vice-présidents m'ont posé de nombreuses questions à mon arrivée. J'ai été en mesure d'y répondre. Lorsque je les ai interrogés, ils ne connaissaient en revanche pas les informations recherchées.
Ainsi, des compétences sont nécessaires, mais même si on ne dispose pas de toutes celles qui sont demandées, il faut se faire confiance, puis se doter d'outils pour pouvoir avancer.
À titre d'exemple, je ne suis pas à l'aise pour prendre la parole en public. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, parce que je m'exprime devant une majorité de femmes. Lorsque vous parlez devant une multitude d'hommes, vous savez que vous êtes jugée. Ici, c'est différent. Dans l'Eure, je sais que je vais bafouiller, parce que je suis jugée.
Les femmes, mais aussi les hommes, ont besoin d'outils. Je m'arrête là.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je pense que vos propos reflètent la réalité de beaucoup. Vous savez combien le regard porté par d'autres sur nous peut être difficile.
Nous allons essayer de nous reconnecter avec Mme Berlioux.
Mme Salomé Berlioux, fondatrice de l'association Chemins d'avenirs. - Veuillez m'excuser, j'avais pourtant testé la connexion en amont. Je vais essayer d'être encore plus rapide que prévu pour ne pas vous imposer un son approximatif. De toute façon, vous avez déjà couvert de nombreux points en introduction. Les différentes prises de parole étaient passionnantes, et abondent très largement dans le sens des travaux que je mène depuis 2016, tant sur le terrain, via l'association Chemins d'avenirs, qu'en matière de recherche, à travers différents livres. Je citerai notamment Les invisibles de la République, qui met en lumière la vie et les défis des jeunes dans la ruralité et les petites communes de France.
J'ai également eu l'opportunité de rendre un certain nombre de rapports au précédent ministre de l'éducation nationale. Certaines de leurs recommandations destinées aux jeunes des zones rurales et des petites villes font aujourd'hui l'objet d'expérimentation de politiques publiques.
Vous l'avez dit en introduction, on a parfois tendance à penser que les jeunes des zones rurales et des petites villes sont une poignée de filles et de fils d'agriculteurs. Vous qui connaissez intimement ces territoires, vous savez que c'est loin d'être le cas. 23 % des moins de 20 ans vivent dans les zones rurales. Si l'on y ajoute les jeunes des petites villes, nous arrivons très vite à 60 % des jeunes Français. Le phénomène est donc loin d'être marginal.
Par ailleurs, ces jeunes font face à une série d'obstacles. En 2016, j'ai frappé aux portes des ministères et des entreprises pour essayer d'attirer leur attention sur la diversité territoriale et sur la nécessité d'aller chercher les jeunes de la ruralité pour les mettre en lumière et raconter leurs parcours, pour leur donner accès à des opportunités supplémentaires. Je ne dirais pas que l'on m'a ri au nez, mais les lignes bougeaient peu à l'époque. C'est un peu plus le cas aujourd'hui. Nous voyons tout de même qu'il reste beaucoup de travail.
Vous le disiez, les jeunes des zones rurales sont touchées par un triple déterminisme. Nous devons tout de même nuancer ce constat. La réalité pour ces jeunes filles est évidemment très différente selon leur famille, la situation socioprofessionnelle de leurs parents, et même selon leur territoire.
En effet, il existe plusieurs types de ruralité et donc plusieurs situations très nuancées, très différentes, pour les jeunes femmes et les jeunes filles concernées. Parfois, pour trouver des solutions à la hauteur d'un problème général, il faut accepter de généraliser un peu et de prendre une situation dans son ensemble. Pour cette raison, je me permets d'affirmer que, globalement, les jeunes filles des zones rurales comme celles des petites communes ne sont pas dans la même situation de départ face à l'avenir que les jeunes filles qui grandissent dans le coeur de Lyon, de Paris ou de Bordeaux.
Nous avons évoqué un triple déterminisme. Je reviens très brièvement sur cette affirmation.
Aujourd'hui, environ 80 % des classes populaires vivent en dehors des grandes métropoles et de leurs banlieues. On connaît les fragilités économiques et sociales de certains territoires ruraux. Chez Chemins d'avenirs, nous accompagnons par exemple très largement des jeunes boursiers et boursières dans ces territoires. Nous savons - et j'enfonce des portes ouvertes - à quel point la situation économique et sociale des familles pèse sur les choix - notamment des jeunes filles - au moment des choix d'orientation géographique.
Dire qu'il existe un déterminisme géographique n'est évidemment absolument pas faire injure à la ruralité. J'en profite pour préciser que j'ai moi-même grandi dans un territoire très rural, dans l'Allier. Je suis restée entre l'Allier et la Nièvre jusqu'à mes 18 ans. Mes parents y vivent toujours. Je suis très attachée à ces territoires. C'est pour permettre aux jeunes filles qui y vivent d'en être pleinement actrices, et d'être actrices de leur vie, que nous cherchons avec l'association à leur offrir des solutions permettant de surmonter ce triple déterminisme.
Lorsqu'on parle de déterminisme géographique, pensons au nombre de jeunes filles qu'on a entendu dire « ce n'est pas fait pour moi, parce que je viens de la campagne », de la même manière d'ailleurs que certaines affirment « ce n'est pas fait pour moi, parce que je viens de banlieue ». Cette affirmation a quelque chose d'insupportable à notre époque. Elle est encore bien trop prégnante dans le parcours de ces jeunes femmes.
Il existe également un déterminisme de genre. Il est important de le rappeler. Nous savons qu'une jeune femme peine déjà à s'imaginer travailler dans la tech, être professeur de médecine, ingénieure ou pilote de chasse quand elle grandit au coeur de Paris ou de Lyon, du fait d'une autocensure liée à son genre. Imaginez alors ce qu'il en est pour une jeune fille qui grandit à La Côte-Saint-André, à Bourbon-l'Archambault, à Mirecourt, dans des territoires de montagne ou très éloignés des grandes métropoles.
Mon intervention doit être relativement courte. Aussi, je ne pourrais pas développer tous les aspects du constat autour duquel l'équipe de Chemins d'avenirs travaille depuis sept ans désormais. L'association a lancé hier la septième promotion de jeunes. 5 000 d'entre eux ont été accompagnés individuellement dans la construction de leur parcours académique, professionnel et citoyen depuis 2016. Sept bénéficiaires sur dix sont des filles. Cette proportion n'est pas neutre, parce que nous les invitons à nous rejoindre sur le critère de la motivation. Ainsi, ce constat prouve que la motivation des jeunes filles dans ces territoires est grande. Cela peut donner des situations d'autant plus cruelles - et je pèse mes mots - lorsque des jeunes filles sont motivées, mais ne parviennent pas à réaliser pleinement leur potentiel.
Je n'entrerai pas dans tous les détails de tous ces constats, de la même manière que je n'entrerai pas dans les détails des différentes recommandations, y compris parce que j'en ai entendu certaines tout à l'heure. Elles me paraissaient particulièrement pertinentes. Elles s'inspiraient, je le sais, très largement de nos travaux. Je vous en remercie.
Je concentrerai donc mon propos autour de deux idées : d'une part, l'accumulation d'obstacles auxquels font face les jeunes filles des zones rurales et, d'autre part, la nécessité de développer une approche systémique dans les réponses à apporter à cette situation.
Ces jeunes filles sont confrontées à des chaînes d'obstacles. Chaque défi nourrit l'autre et rend parfois impossible la réalisation de leur potentiel. Je peux ici citer le manque d'informations concernant les filières et les métiers qui existent. J'imagine que vous avez souvent entendu dire « si j'avais su que telle filière ou tel métier existait, évidemment, c'est ce que j'aurais choisi, parce que cela me correspond pleinement, mais je ne le savais pas ». En plus de ce déficit et de ce biais d'information, l'autocensure typiquement féminine est renforcée dans ces territoires. Elles pensent « ce n'est pas fait pour moi parce que je viens de la ruralité, parce que je suis une fille, parce que je suis d'origine modeste ».
Nous avons également réalisé un travail approfondi avec Jérôme Fourquet dans le cadre de recherches avec la Fondation Jean-Jaurès. Nous y soulignions l'absence de rôles modèles d'incarnation, de modèle de réussite.
Par « réussite », je n'entends pas uniquement le fait de fréquenter une grande école, de devenir chef d'entreprise ou de faire de la politique, mais bien de se sentir pleinement épanoui dans sa vie personnelle et professionnelle, en les articulant bien.
Nous manquons de modèles féminins qui se revendiquent comme venant de la ruralité, à même de représenter des parcours de réussite pluriels pour ces jeunes femmes. Si elles existent, elles n'osent pas toujours prendre la parole sur ces thématiques. C'est là que nous observons le retard des territoires dans la prise de conscience de ces défis. En effet, de plus en plus de modèles de réussites - chefs cuisiniers, acteurs, footballeurs - issus des banlieues, de quartiers très difficiles, s'expriment, se disent très attachés à leur territoire, expliquent pourquoi ils en sont partis, mais aussi pourquoi ils y reviennent. C'est plus lent dans la ruralité.
La fracture numérique pèse elle aussi sur ces territoires. Très souvent, on nous dit dans les grandes métropoles qu'Internet permet de se connecter partout en France, de s'orienter. Nous savons pourtant que des défis techniques sont liés à la fracture digitale. S'y ajoutent des difficultés d'usage.
Il ne suffit pas d'avoir Internet pour s'orienter. Il faut être accompagné, et bien accompagné, par sa famille pour pouvoir le faire. On ne dispose pas toujours des codes dans la ruralité.
Ensuite, le manque d'opportunités académiques, culturelles ou professionnelles à proximité immédiate du domicile de ces jeunes occasionne une lourdeur, ne serait-ce que d'un point de vue financier, lorsqu'il faut partir. D'ailleurs, on ne souhaite pas toujours partir, mais il le faut parfois pour se former.
En raison de cette accumulation d'obstacles, si l'information concernant une filière ou un métier parvient à temps à cette jeune fille d'un territoire très rural, mais qu'elle s'autocensure, qu'elle ne se sent pas mobile ou qu'elle n'a pas les moyens psychologiques ou matériels d'aller étudier ailleurs que dans la ville à côté de chez elle, la situation restera très complexe. Le géographe Benoît Coquard indiquait d'ailleurs dans son excellent ouvrage Ceux qui restent que les jeunes filles des zones rurales affichent une belle réussite à l'école, des résultats dans un premier temps supérieurs à la moyenne nationale, bien que cette tendance soit à nuancer à mesure qu'elles avancent dans leur parcours scolaire. En tout cas, par rapport aux garçons du même territoire, elles sortent du lot en termes de résultats scolaires, de motivation, voire de volonté d'aller se former. Pour autant, elles restent très largement déterminées dans leur orientation, notamment professionnelle.
Nous pourrons, si vous le souhaitez, revenir sur cette accumulation d'obstacles. Il faut en prendre la pleine mesure pour déjouer chacun de ces freins qui limitent le parcours de ces jeunes filles.
Ceci m'amène à mon second point. Qui dit « chaîne d'obstacles » dit « chaîne de solutions ».
La situation des jeunes filles des zones rurales et des petites communes de France, à ce jour, nécessite une réaction collective et massive pour inverser une tendance inscrite dans le temps et non prise en compte pendant des décennies.
Nous sommes confrontés à un sujet déplorable à l'échelle individuelle : autant de destins de filles et de femmes qui ne se réalisent pas, autant de filles et de femmes qui auront l'impression de ne pas être allées au bout de leur potentiel. Ce potentiel pourrait viser à reprendre la ferme de leurs parents dans de bonnes conditions, devenir artisan sur leur territoire, avoir envie de faire Science Po ou l'ENS si elles le souhaitent. À l'échelle collective, la situation est catastrophique sur les plans économiques, sociaux et politiques. Or pour être à la hauteur de l'enjeu, je suis convaincue que nous devons nous attaquer à la racine du problème. C'est ce que nous essayons de faire avec Chemins d'avenirs.
Depuis 2016, nous avons accompagné individuellement 5 000 jeunes. Notre objectif quantitatif est d'en avoir accompagné 25 000 en 2025. Entre trois et quatre millions de jeunes de moins de 20 ans grandissent dans les zones rurales. Ainsi, notre action n'est qu'une miette de pain et n'est absolument pas à la hauteur de l'enjeu.
Il est réellement nécessaire de faire bouger la société française sur la thématique des jeunes des zones rurales, et notamment des jeunes filles. Nous devons influer sur les mentalités du pays, provoquer une prise de conscience. Les jeunes, et notamment les jeunes filles de ces territoires, ne sont pas en mesure d'aller aussi loin qu'ils et elles peuvent aller. La diversité territoriale doit être mieux prise en compte. Interrogeons-nous pour savoir si nous entendons beaucoup parler de diversité territoriale. Personnellement, ce n'est jamais le cas. Pourtant, je suis très attentive à ce sujet. En entreprise, on parle un peu plus d'égalité femmes-hommes et de diversité d'origine, mais nous devons forcer pour que les portes s'ouvrent sur la thématique de la diversité territoriale.
Nous avons besoin de dispositifs robustes dédiés à ces jeunes, de politiques publiques et d'entreprise. Les médias doivent s'emparer du sujet. C'était très peu le cas en 2016, mais Chemins d'avenirs est aujourd'hui contacté chaque semaine pour réaliser des articles, reportages ou documentaires sur ces jeunes.
La société civile, très puissante dans ses réponses, doit intégrer cette notion de ruralité et de jeunes filles des zones rurales dans les réponses qu'elle apporte. Le grand public doit participer à ce mouvement.
Si vous avez des questions sur les dispositifs que nous mettons en place chez Chemins d'avenirs, ou sur nos propositions, je vous répondrai volontiers.
C'en est fini de mon intervention. Je souhaitais essentiellement adresser ces messages à une audience qui, je le sais, est particulièrement sensible à ce sujet et agit déjà en sa faveur. Si nous ne prenons pas au sérieux la situation des jeunes filles des zones rurales, elle n'avancera pas. Elle suppose au contraire des réponses qui ne soient pas homéopathiques et une mobilisation de toutes et de tous, en commençant par une prise de conscience collective et en débouchant sur des actions concrètes.
Mme Marie-Pierre Monier. - C'est nous qui vous remercions. Vous êtes au plus près du terrain. Nous savons en outre que le tissu associatif en milieu rural est essentiel à notre vie et à notre vivre ensemble. Nous sommes d'accord sur les actions à mettre en place, au regard de vos propos. Il nous reste peu de temps, mais je pense que nous pouvons tenir un petit échange avec la salle.
Mme Kristina Pluchet, sénatrice de l'Eure. - Je suis sénatrice de l'Eure, un territoire extrêmement rural. 80 % de mes communes comptent moins de 1 000 habitants.
Nos élus sont sur tous les fronts. Ils ne disposent pas de toute l'ingénierie qu'on retrouve dans les grosses communes. Un maire rural a une secrétaire de mairie, s'il a la chance d'en avoir une, car nous sommes confrontés, en France, à une pénurie sur cette profession. Ces maires se chargent de l'administratif, sont médiateurs, mettent la main aux espaces verts, font le ménage de l'église...
Je salue l'engagement de tous ces élus des petites communes rurales françaises, qui représentent plus de la moitié des communes. Ils aimeraient avoir plus facilement accès à des formations renforcées.
J'identifie également un réel sujet sur les secrétaires de mairie, qui n'ont pas de formation spécifique, alors qu'elles ont à intégrer de nombreuses notions en matière d'urbanisme ou de budget. Nous sommes obligées de créer des binômes avec des secrétaires qui partent à la retraite pour assurer un tuilage de six mois. Elles sont noyées dans un millefeuille administratif hors norme.
Mme Marie-Pierre Monier. - Merci. En France, plus de la moitié des communes comptent moins de 500 habitants. 72 % en comptent moins de 1 000. Ainsi, la France est très rurale, et cette ruralité tient le territoire.
Par ailleurs, une proposition de loi sénatoriale traitant du sujet des secrétaires de mairie, sera débattue en séance publique le 5 avril prochain.
Mme Aline Pélissier, maire d'Eygalières (Bouches-du-Rhône). -
Je suis maire d'Eygalières, une petite commune dans les Bouches-du-Rhône. J'ai une super secrétaire de mairie, mais il est vrai que nous, élus, nous battons sur tous les fronts.
J'aimerais évoquer le sujet de l'aide en milieu rural pour les gens en ayant besoin. Dans mon village, douze personnes, uniquement des femmes, travaillent et sont payées au lance-pierre. Elles ont des enfants, et rencontrent les problèmes évoqués plus tôt. Nous avons également un Ehpad privé, coûtant 3 000 euros par mois. Ainsi, des retraités en milieu rural, touchant 1 000 ou 1 100 euros de pension par mois, ne peuvent se le permettre. Il est très compliqué de trouver des services pour les aider.
Je suis aujourd'hui au Sénat pour les femmes. Essayons de nous entraider pour améliorer nos conditions de travail. C'est très important. Le milieu rural est démuni. Nous nous demandons comment faire. Au vu des salaires, il est normal que l'on trouve très peu de professionnels pour apporter cette aide. Il en va pourtant de la vie, et de la vie décente, de notre population.
Mme Marie-Pierre Monier. - Un tiers de la population vit en territoire rural.
Mme Isabelle Claudet, maire de Saint-Martin-d'Ordon (Yonne). - J'aimerais revenir sur le CDG, le Centre de gestion pour les secrétaires de mairie.
Je suis devenue maire en juin 2020. Ma secrétaire est partie en congé maladie début septembre de la même année. J'ai alors contacté le CDG, lui demandant de me mettre en relation avec le service d'intérim. On m'a répondu que la personne concernée était en vacances et on m'a conseillé de rappeler dix jours plus tard, de regarder autour de moi, en attendant.
J'ai donc regardé autour de moi, et j'ai trouvé quelqu'un que j'ai embauché. Nous n'avons rempli le contrat de travail qu'en fin de journée de travail. Le CDG m'a rappelée quelques jours plus tard pour me reprocher de ne pas avoir fait les choses dans le bon ordre. Il me semblerait opportun que ces services communiquent au moins la procédure à suivre lorsqu'un maire les contacte.
Mme Sylvie Miceli-Houdais, maire de Rognac (Bouches-du-Rhône). - Je désire revenir sur la notion de compétences. Quand on est une femme, on nous en demande toujours plus. On nous demande toujours une autorité de compétence sur nos dossiers, alors qu'on demande une autorité de statut aux hommes.
En termes de responsabilités civiles et pénales, s'ils n'ont pas un secrétaire de mairie qui les appuie pour les signatures, les confrères craignent de s'engager. Les règles changent régulièrement et les lois s'appliquent rapidement. Les responsabilités que nous portons ont de fortes conséquences lorsqu'elles sont mal appliquées par nos fonctionnaires territoriaux. Il est terrible pour un maire, notamment en zone rurale, de ne pas être bien épaulé.
Enfin, sachez que nous voyons de plus en plus de femmes dans les métiers agricoles, grâce à une modernisation des structures. L'automatisation a permis aux femmes d'être à la tête de sites agricoles. Nous avons abandonné le seul critère de la force physique. Par ailleurs, nous avons statistiquement plus de diplômes que les hommes.
Mme Marie-Pierre Monier. - Nous avons aujourd'hui débattu de la place des femmes en ruralité, dans des territoires bien spécifiques. Je vous remercie. Les échanges ont été très riches et intéressants. Au fond, ils nous donnent de l'espoir pour le futur.
Mme Annick Billon, présidente. - Je ne peux clôturer cette matinée d'échange - qui fait écho à la journée du 8 mars - sans vous remercier. Je pense à ceux qui n'ont pu nous rejoindre en raison des suppressions de trains.
Je remercie notamment le président Larcher pour son engagement à nos côtés et pour sa présence. Nous avons la chance d'avoir un président investi, qui représente les territoires et qui se rend très souvent sur le terrain, dans tous les territoires.
Je remercie également la présidente Christiane Lambert, avec laquelle nous avons l'habitude de travailler depuis son arrivée à la présidence de la FNSEA. Nos échanges sont extrêmement intéressants. Nous l'avons vu ce matin, la parole est libre. Nous pouvons nous écouter, nous comprendre, et constater que nos difficultés sont souvent identiques. De bonnes pratiques peuvent être mises en oeuvre collectivement.
Je remercie par ailleurs mes deux co-rapporteurs Jean-Michel Arnaud et Marie-Pierre Monier pour leur travail, qu'ils ont alimenté de manière efficace sur le terrain et au Sénat. Ils sont très engagés.
Merci également à vous, Mesdames les Maires, les Conseillères départementales et régionales, d'avoir participé activement à cette matinée. Nous avons tenu des échanges nourris au cours de nos deux tables rondes.
Je reprendrai l'expression de Christiane Lambert, qui disait qu'il est important de s'engager sans renoncer. Je me suis moi-même engagée dans ma carrière professionnelle et dans mon mandat politique, sans renoncer.
Pour ne pas avoir à le faire, il est important d'être accompagnée, de bénéficier d'un environnement favorable à l'engagement et d'être soutenue. Je ne parle pas nécessairement d'un conjoint, mais d'amis, de famille. Nous devons être portées pour que cet engagement ne soit pas un renoncement. Nous ne sommes pas des bêtes de travail. Nous avons besoin d'un temps professionnel, personnel et d'engagement. Nous devons parvenir à les concilier. En tant que législateurs, nous avons des responsabilités, pour donner des moyens. Il était question plus tôt des remplacements pour les agricultrices, ou d'une adaptation des modes de garde et de la mobilité au centre des problématiques de la ruralité.
Je rappelle que cette matinée fait écho à la Journée internationale des droits des femmes. En France, nous avons la liberté de nous engager, d'accéder à l'éducation, de travailler, nous avons des droits sexuels et reproductifs. Je souhaite que nous les défendions tous ensemble. Nous ne progressons que grâce à des hommes et des femmes engagés. Ces libertés ne sont pas acquises. Nous devons les protéger.
Nous devons également nous battre pour les femmes de territoires n'étant pas si éloignés de nous - en Iran, en Afghanistan, en Ukraine - qui sont privées de ces libertés.
Battons-nous pour faire progresser l'égalité dans l'engagement politique, en termes de salaire, en général. Engageons-nous aussi pour faire progresser la lutte contre les violences en France, dans les territoires ultramarins, et partout dans le monde. Ce qu'on gagne ici, on le gagne aussi pour elles.
Je vous remercie sincèrement.